Madame la Présidente, c'est un plaisir de participer aujourd'hui au débat sur le projet de loi C‑33, qui vise à modifier plusieurs lois. D'après le communiqué de presse émis par le gouvernement, ce projet de loi est censé avoir de profondes répercussions sur les chaînes d'approvisionnement et la sécurité ferroviaire. Après m'être entretenu avec des dizaines de parties prenantes pendant plusieurs semaines, force est de constater que ce n'est pas le cas.
Très franchement, il s'agit d'une occasion manquée. Cela fait pourtant quatre ans que le gouvernement mène des consultations. Comme le ministre l'a indiqué, les occasions de modifier le mode de fonctionnement de nos ports et de notre réseau ferroviaire ne se présentent que rarement. Or, dans ce cas-ci, le gouvernement a raté l'occasion de changer réellement les choses et de renforcer la chaîne d'approvisionnement de notre pays.
D'après les observations générales dont on nous a fait part, le projet de loi va en fait dans la mauvaise direction. De nombreux intervenants ont indiqué que cette mesure législative ne contribuerait en rien à rendre la chaîne d'approvisionnement plus efficace, et d'autres ont déclaré qu'elle ne ferait qu'empirer les choses. D'après ce que j'ai pu constater, les réactions les plus positives qu'a suscitées le projet de loi du ministre se résumaient à de l'indifférence. Il ne s'agit certainement pas d'un appui enthousiaste pour ce qui a été présenté comme une réforme majeure de la chaîne d'approvisionnement et une solution importante aux problèmes qui touchent notre pays depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.
Mon collègue a parlé du rapport du Groupe de travail national sur la chaîne d'approvisionnement, qui explique l'urgence de la situation et propose plusieurs changements devant être apportés dans l'immédiat. Le gouvernement ne semble tout simplement pas réagir assez urgemment. Le projet de loi ne met pas en œuvre suffisamment de recommandations formulées dans ce rapport. Il s'agit de la première occasion qu'a le gouvernement de montrer qu'il prend ce rapport au sérieux. Or, il rate l'occasion.
Rien dans ce projet de loi n'améliorerait la fiabilité des services de transport ferroviaire ni la relation entre les expéditeurs et les compagnies de chemin de fer. En fait, le gouvernement laisse simplement entendre qu'il estime que la situation actuelle est tout à fait acceptable. Rien dans ce projet de loi ne protège nos chaînes d'approvisionnement et notre réputation sur la scène internationale dans l'éventualité où un conflit de travail perturberait les activités des ports ou le transport ferroviaire. Rien n'est prévu pour dissiper les préoccupations concernant, par exemple, le chargement de grain sous la pluie à Vancouver. Ce sont là toutes des occasions ratées.
D'ailleurs, comme l'a indiqué le ministre à quelques reprises dans son discours, les ports sont indépendants. Dans la réponse à la question que je viens de lui poser, il a souligné que cette indépendance tendait à se rétrécir. Le gouvernement veut se mettre le nez dans les affaires des ports pour imposer sa volonté aux autorités portuaires censées être indépendantes. Il est vraiment consternant d'entendre le ministre affirmer ouvertement que le problème tient au fait que les ports ne font pas tout ce qu'Ottawa voudrait et que le gouvernement fédéral doit exercer davantage de contrôle sur les ports. Les ports sont censés agir de façon à servir les intérêts de l'économie nationale et de la chaîne d'approvisionnement, pas de façon à soutenir les intérêts du gouvernement à Ottawa.
Certaines de nos préoccupations les plus graves concernent les modifications apportées au système de gouvernance des ports. L'indépendance des ports commence par la capacité du conseil d'administration de nommer son président. C'est ainsi que le système fonctionne à l'heure actuelle. Je n'ai jamais entendu personne dire que c'était un problème majeur qui nuisait aux activités portuaires, mais on constate ici le recours à l'approche « Ottawa a toujours raison » ou « le gouvernement libéral a toujours raison ». Le gouvernement affirme qu'on ne peut pas faire confiance aux conseils d'administration des différents ports pour la nomination de leur président — comme ils le font présentement — et qu'il faut que ce soit le ministre lui-même qui s'en charge.
Je noterai également que les utilisateurs du port, les locataires du port, les expéditeurs, les compagnies céréalières, et bien d'autres ont vu leur influence sur les conseils d'administration s'amoindrir. Des représentants locaux ont obtenu des sièges supplémentaires au sein des conseils d'administration. Deux ont été attribués à des entités gouvernementales, mais aucun siège supplémentaire n'a été attribué pour représenter les personnes qui gèrent nos ports et qui veillent au transport de nos marchandises de nos fermes jusqu'à nos clients à l'étranger.
Je pense qu'il s'agit là d'un oubli. Je pense également que la nature excessivement normative et bureaucratique de l'imposition d'une solution « conçue à Ottawa » en matière de consultation va s'avérer très difficile à gérer dans de nombreux ports au pays.
Le projet de loi C-33 semble conçu pour être imposé aux grands ports, comme le port de Vancouver. Il existe 17 autorités portuaires au Canada et certaines d'entre elles sont très modestes. Le projet de loi ne prévoit aucune flexibilité pour les petits ports, qui n'ont peut-être pas de communautés autochtones à proximité ou qui n'ont peut-être pas la capacité de mettre en place ces mesures sans engendrer de nouveaux coûts importants, qui seront répercutés sur les utilisateurs des ports et sur les consommateurs canadiens. Il s'agit de coûts imposés qui seront répercutés à un moment où nous sommes déjà confrontés à une inflation record. Ces coûts inflationnistes se répercuteront sur le coût des marchandises dont les Canadiens ont besoin.
Le Port de Vancouver, par exemple, mène déjà de vastes consultations auprès des Autochtones et de la collectivité, et sollicite beaucoup la participation de l'administration municipale. Pour ce qui est de la constitution de comités consultatifs, il y a des gens qui ont communiqué avec moi pour me dire qu'il y a peut-être une seule nation autochtone dans toute leur province. Compte tenu de cela, comment pourraient-ils mettre sur pied un comité consultatif autochtone?
Quant au Port de Vancouver dans ma province, la Colombie‑Britannique, qui siégerait au sein de ce comité? Ce ne serait certes pas la poignée de membres des Premières Nations qui vivent dans la région de Vancouver, mais plutôt des membres des communautés en amont du fleuve Fraser. Ce serait des membres des communautés situées le long des routes maritimes.
Maintenant que les comités consultatifs seront prescrits par la loi, il faudra déterminer qui y siégerait, en ferait partie, et quel rôle ces gens y joueraient. Si on ne précise pas dans la mesure législative le rôle ou les pouvoirs qu'auraient les comités, se pourrait-il que le rôle de ceux-ci se limiterait à donner des conseils pouvant être ignorés? Ces comités pourraient-ils empêcher les administrations portuaires d'exercer leur autorité? Nous ne le savons tout simplement pas.
À mon avis, c'est un aspect qui est revenu souvent dans les commentaires des parties prenantes. Pour beaucoup de changements qui ont été apportés, le ministère des Transports ou le ministre se contente de dire: « Oh non, il n'y a pas de raison de s'inquiéter. Ce n'était pas notre intention lorsque nous avons prévu ces modifications dans le projet de loi. Nous trouverons un moyen de contourner cela. Nous ne voulions pas dire que le ministre allait nommer le président du conseil. Il ne ferait que consulter les administrations portuaires et suivre leur avis. »
Ce n'est pas ce que dit la mesure législative. Je pense que c'est un projet de loi mal rédigé qui laisse beaucoup de place à l'interprétation et qui, en fait, accentuera le climat d'incertitude pour les administrations portuaires à un moment où elles ont besoin de plus de certitude.
Je vais maintenant parler brièvement de la portion de la mesure législative sur la gestion active du trafic maritime.
Je pense que, de toute évidence, il est justifié de donner aux administrations portuaires le pouvoir de gérer le trafic maritime sur leur territoire. Cela dit, on ignore là encore ce que cela signifiera exactement. Jusqu'où ira le pouvoir des administrations portuaires pour gérer le trafic maritime? Sera-t-il limité à leur territoire? S'appliquera-t-il à des centaines de kilomètres des côtes? Ces points nécessitent des éclaircissements.
Il convient également de dire qu'en se concentrant uniquement sur le trafic maritime et non sur le trafic ferroviaire, le gouvernement a raté encore une fois une bonne occasion d'agir. Il n'aborde pas les questions de la fiabilité du service ferroviaire, des niveaux de service, de l'assurance que les expéditeurs sont bien servis par le secteur ferroviaire, ou des données fiables qui sont nécessaires pour que les navires sachent quand les produits arrivent par train. On semble se concentrer entièrement sur le secteur maritime.
Nous nous demandons également ce que le gouvernement entend par le fait d'autoriser les ports à gérer les aires de mouillage. En Colombie‑Britannique, il y a de grandes inquiétudes à ce sujet. Certains veulent que les aires de mouillage soient carrément éliminées dans certaines zones. D'autres voudraient que ces aires soient mieux réglementées, et d'autres encore voudraient que l'efficacité des ports soit portée à un niveau tel qu'il serait moins nécessaire d'y avoir recours.
Il a été difficile d'étudier cette question dans le sillage de la COVID, en raison de l'arriéré important attribuable à l'effondrement de la chaîne d'approvisionnement dans le monde entier et, par conséquent, de l'utilisation accrue d'aires de mouillage qui n'avaient pas été utilisées auparavant. Que veut-on dire en affirmant que le conseil d'administration aurait le contrôle sur les aires de mouillage? Pourrait-il les supprimer? Pourrait-il limiter le nombre de jours pendant lesquels les navires peuvent être au mouillage?
Ce sont des questions très préoccupantes que les usagers des ports se posent lorsqu'on parle d'étendre les activités portuaires. Les autorités du port de Vancouver ont indiqué qu'elles veulent étendre leurs activités et accroître leurs capacités. Or, nous ne pouvons accroître les capacités du port en empêchant les navires de jeter l'ancre de façon sécuritaire pendant qu'ils attendent de pouvoir accoster au port.
Est-ce qu'on éliminerait tout simplement ces aires de mouillage sans consultation et sans déterminer comment composer avec les navires qui arrivent et qui n'ont aucun point d'accostage ou de mouillage sécuritaire? Vont-ils simplement naviguer en rond et brûler du carburant en attendant de pouvoir accoster au port? Il faut clarifier les choses à ce sujet.
En ce qui concerne la sécurité ferroviaire, nous sommes favorables à l'idée de préciser que les barrages ferroviaires sont illégaux. Je pense que la plupart des Canadiens se seraient attendus à ce que ce soit déjà le cas, d'autant plus qu'il est déjà illégal de perturber le service ferroviaire. Cependant, le problème, ce ne sont pas les règles, mais leur application. Je pense que préciser davantage les règles est une bonne chose, mais si cela ne s'accompagne pas d'un renforcement des mesures d'application, je ne pense pas que nous verrons beaucoup de changement à cet égard.
Les formalités administratives et le fardeau réglementaire accrus suscitent des préoccupations. Nous voulons que les ports soient transparents, mais il faut être raisonnable. Je pense qu'on se demande si les exigences en matière de rapports demanderaient simplement la publication de données que le gouvernement reçoit déjà ou si elles imposeraient aux ports un nouveau fardeau qui, encore une fois, serait transmis à la chaîne d'approvisionnement et, au bout du compte, au consommateur. Par exemple, les rapports financiers trimestriels représentent-ils une nouvelle exigence, ou s'agit-il simplement de rendre publics les rapports que le gouvernement reçoit déjà?
J'estime que ces questions demeurent sans réponse. Il faut aussi les poser au sujet des rapports sur l'environnement. Les grands ports effectuent déjà ce travail. Serait-ce une exigence redondante? Aurait-elle pour effet de prendre le travail qui se fait déjà et de le présenter dans un format plus universel? Si nous alourdissons le fardeau des ports avec de nouvelles exigences en matière de rapport, alors qu'ils accomplissent déjà ce travail, c'est inefficace et inefficient. Nous devons éviter de leur demander de refaire le travail qu'ils font déjà.
Nous sommes également en désaccord fondamental avec le gouvernement sur le rôle des ports. Un port doit adopter une perspective nationale quant à la protection de la chaîne d'approvisionnement nationale, à la desserte de nos marchés internationaux et à l'acheminement des marchandises des agriculteurs, des expéditeurs et des créateurs d'ici vers nos marchés. Le ministre nous a dit aujourd'hui que le gouvernement veut imposer un nouvel ensemble de règles. Il veut que les ports aient une orientation différente et que l'on tienne davantage compte du point de vue local. Certes, ce n'est pas sans répercussions sur les résidants, mais l'objectif premier doit être de livrer des marchandises aux Canadiens et à nos clients.
Nous ne pouvons pas nous mettre à envisager d'autres orientations pour les ports. Je pense que c'est ce que fait le gouvernement en apportant des changements aux conseils d'administration. En procédant à ces changements pour les conseils consultatifs, le gouvernement veut manifestement augmenter la participation d'Ottawa, ainsi que celle des administrations locales. Cela permet de mieux faire valoir les intérêts locaux qui, à mon avis, méritent d'être entendus, mais cela ne doit pas détourner les ports de leur responsabilité première, qui est de servir l'économie nationale du Canada.
Lorsqu'on entend le ministre dire que les conseils d'administration des ports doivent s'aligner sur le programme du gouvernement, on ne s'imagine pas une gouvernance indépendante, mais un organe du gouvernement. Dans le projet de loi, le gouvernement impose son point de vue aux ports à de trop nombreuses reprises. Il impose son programme aux ports et l le fait d'une manière qui ne tient pas compte des distinctions entre les ports. Les ports de Saguenay, de Thunder Bay, de St. John's et d'ailleurs au pays ont une réalité différente de celle des ports de Montréal, de Vancouver et d'Halifax. On propose une approche unique qui, au lieu d'avoir un effet positif sur la chaîne d'approvisionnement, alourdira le fardeau de tous ses maillons. Surtout, elle renforcera le pouvoir d'Ottawa au détriment de l'indépendance des autorités portuaires.
Selon nous, le projet de loi devrait être repris à zéro. Il ne répond pas suffisamment aux préoccupations relatives à la chaîne d'approvisionnement. Il impose trop de solutions paternalistes dictées depuis Ottawa et il accorde au ministre trop de pouvoirs sur les ports. Il n'en fait pas assez pour améliorer la situation. Par conséquent, nous n'appuierons pas le projet de loi C‑33. Nous pensons qu'il s'agit d'une occasion manquée. Nous ne pouvons pas avaliser les modifications en matière de gouvernance. Nous ne pouvons pas avaliser l'augmentation des coûts, qui se répercutera sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement.
Après quatre ans, le gouvernement devrait avoir fait beaucoup mieux. Nous espérons qu'il retournera à la planche à dessin pour revenir avec un projet de loi qui permettra de renforcer notre chaîne d'approvisionnement et de laisser les ports faire le travail qu'ils sont censés faire. Nous espérons qu'il pourra le faire sans cette pénible approche paternaliste dictée depuis Ottawa qu'imposerait malheureusement cette mesure législative.