Monsieur le Président, comme les députés le savent, je suis toujours heureux de prendre la parole au sujet de la justice pénale et de la sécurité publique. Avant de venir ici, j’ai enseigné dans ce domaine pendant 20 ans. Je suis aussi toujours heureux d’en parler en tant qu’ancien membre d’une commission de police municipale. Bien sûr, en ce moment, je suis particulièrement heureux de pouvoir aborder cette question en tant que membre d’une collectivité qui, comme bien d’autres au pays, a connu une augmentation du désordre public, ce qui préoccupe grandement les citoyens et, je dois le dire, en particulier les petites entreprises de ma circonscription qui, bien souvent, font les frais de ce désordre public.
Je suis également content, comme toujours, de pouvoir parler de solutions, et c’est pourquoi je ne suis pas si heureux de discuter de la motion conservatrice dont nous sommes saisis aujourd’hui.
Comme je l’ai mentionné plus tôt dans une question, une chose me laisse un peu perplexe. Lundi, nous nous sommes réunis au comité de la justice pour étudier une motion très raisonnable présentée par le député de Fundy Royal, que j’ai appuyée et que le gouvernement a finalement appuyée, pour que le comité puisse chercher des solutions pratiques aux problèmes réels soulevés par les dirigeants municipaux, le public et les premiers ministres afin de trouver des moyens pratiques et efficaces qui amélioreraient la sécurité publique en modifiant le système de mise en liberté sous caution.
Lundi, nous nous préparions donc, et comme nous avons prévu que ces audiences commenceraient d’ici deux semaines, nous essayons donc de trouver rapidement des solutions. Je dois dire que nous avançons plus rapidement à la Chambre des communes qu’au gouvernement. Ces questions ont été présentées au gouvernement il y a des mois par les premiers ministres provinciaux, et il ne s’est pas passé grand-chose depuis. Cependant, comme je suis de nature optimiste, j’étais très encouragé lundi. Pourtant, trois jours plus tard, les conservateurs présentent une motion qui sème la division et qui est truffée de discours enflammés, de statistiques sensationnalistes et de fausses déclarations au sujet du système de mise en liberté sous caution.
Comme je l’ai déjà dit, je me demande quel est le vrai Parti conservateur dans ce dossier? Est-ce celui qui présente cette motion sensationnaliste qui, comme je ne peux m’empêcher de le conclure, vise à motiver sa base et à recueillir des fonds, ou est-ce le parti qui a présenté une motion raisonnable sur laquelle nous pourrions tous nous entendre, les libéraux, les bloquistes et les néo-démocrates, en collaborant au sein du Comité de la justice pour trouver des solutions pratiques aux véritables préoccupations des Canadiens au sujet du système de mise en liberté sous caution?
Je suppose que nous aurons la réponse au comité, lorsque nous verrons si les conservateurs collaboreront avec nous pour trouver ces solutions pratiques, parce que cette motion attise vraiment la peur au sein de la population, plutôt que de contribuer à la résolution du problème.
Les néo-démocrates conviennent que nous devons trouver des façons de régler le problème créé par certains criminels violents qui ont déjà été accusés et condamnés pour des infractions graves et qui ont fini par être libérés sous caution. Nous devons examiner comment nous pouvons resserrer le système à cet égard.
En même temps, nous sommes également préoccupés par la question de l’ordre public. Nous savons qu’il n’y a probablement pas de solution législative facile à ces problèmes d’ordre public. Ils suscitent de réelles craintes chez les citoyens, à juste titre, mais nous savons que la plupart de ces problèmes d’ordre public sont liés à des problèmes de santé mentale, de toxicomanie et de pauvreté.
Tant que notre société ne s’attaquera pas à la pauvreté, à la toxicomanie et aux problèmes de santé mentale, et tant que le gouvernement fédéral ne tiendra pas sa promesse de financer davantage les programmes en la matière et les provinces, je n’entrevois pas de véritable solution aux problèmes d’ordre public dont nous sommes saisis.
Au cœur de ce dont nous parlons aujourd’hui se trouve un principe que nous avons tendance à oublier, à savoir la présomption d’innocence. Dans toute société juste, ceux qui sont accusés d’un crime ont le droit d’être présumés innocents, un droit inscrit dans notre Charte, tant qu’ils ne sont pas reconnus coupables.
Dans notre système, nous avons une présomption contre la détention avant le procès. Nous croyons vraiment que nous ne devrions pas être pénalisés en étant détenus avant d’avoir été reconnus coupables de quoi que ce soit.
Il est très troublant pour moi de constater, en examinant notre système, que jusqu’aux deux tiers des personnes incarcérées dans les centres de détention provinciaux n’ont jamais été condamnées pour quoi que ce soit. Elles y sont en attendant leur procès. Il faut reconnaître que c’est là une très grande proportion des personnes détenues.
Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui comparent notre système de libération sous caution à un mécanisme de portes tournantes. Nous détenons un très grand nombre de Canadiens avant leur procès. Qui finit par être détenu? Qui n'obtient pas de libération sous caution? Il s’agit généralement des Autochtones, des Canadiens racialisés, des néo-Canadiens et des Canadiens à faible revenu.
Pourquoi? En raison des exigences de la libération sous caution. Les gens qui veulent être libérés doivent occuper un emploi stable, avoir une adresse permanente et quelqu’un qui peut les superviser pendant qu’ils sont en liberté sous caution. Bien sûr, les gens qui ont le moins de ressources dans la société sont ceux qui sont le moins en mesure de remplir les conditions fondamentales pour obtenir une libération sous caution. S’ils obtiennent une libération sous caution, ce sont eux qui ont le moins de ressources pour respecter les conditions qui pourraient leur être imposées.
Je connais quelqu’un qui a travaillé avec une personne ayant des problèmes de santé mentale et qui devait se présenter régulièrement à son superviseur de libération sous caution, mais qui n’a pas pu le faire à cause de ses problèmes de santé mentale. Ces gens risquent donc de violer les conditions de leur libération sous caution et d'écoper d’une autre infraction, même s’ils n’étaient pas coupables au départ de ce dont ils ont été accusés. Honnêtement, notre système contribue à l'incarcération excessive des Autochtones, des personnes racialisées et des pauvres au pays, et cela commence par le système de libération sous caution.
Même si nous reconnaissons qu’il y a certains problèmes liés au système de libération sous caution que nous devons examiner, les néo-démocrates élargiraient cet examen pour voir ce que nous pouvons faire pour nous assurer de ne pas pénaliser inutilement les gens en les plaçant en détention pendant de longues périodes en attendant leur procès.
Ce qui me trouble le plus, dans ce projet de loi, c’est l’utilisation abusive des statistiques par les conservateurs. Nous savons tous que le taux global de criminalité au Canada est en baisse depuis 30 ans. C’est encore la tendance générale. Nous savons cependant qu’au cours des cinq dernières années, il y a eu une hausse des crimes contre l’ordre public, de la violence dans les rues et des crimes graves avec violence.
Comment expliquer ce phénomène? Nous devons examiner sérieusement les causes de ces augmentations. Des choses inhabituelles se sont produites dans le monde et au Canada au cours des cinq dernières années. Par conséquent, une partie de la situation est liée à la pandémie; une autre partie est liée aux problèmes de santé mentale que nous n’avons honnêtement pas réussi à régler en raison de la pandémie. Lorsqu’il est question de trouver des solutions à ces problèmes, il ne me suffit pas d’examiner un pic dans les statistiques et de dire que nous devons apporter des changements généraux à notre système. Cela revient à la proverbiale solution qui consiste à jeter le bébé avec l’eau du bain.
Nous avons des problèmes précis à régler, et nous devons les examiner très attentivement et trouver des solutions efficaces qui contribuent vraiment à la sécurité publique.
Comme je l’ai dit plus tôt, les ministres de la Justice des provinces et des territoires ont fait part de leurs préoccupations lors de la réunion des ministres de la Justice tenue en Nouvelle-Écosse en octobre dernier. Ils avaient des préoccupations au sujet des auteurs d'infractions graves avec violence, du système de libération sous caution et de la crise de l’ordre public au sein des collectivités, et le ministre fédéral de la Justice avait promis de revoir le système de libération sous caution. On me répète sans cesse que le gouvernement y travaille. Il nous faut peut-être passer à une vitesse supérieure; c’est une chose que nous disons souvent, chez les néo-démocrates, au sujet des libéraux. Oui, ils expriment les bonnes idées, mais il leur reste à les mettre en pratique.
En janvier, après le meurtre très médiatisé d’un agent de la Police provinciale de l’Ontario, lors duquel un des accusés était en liberté sous caution, les premiers ministres n’avaient toujours rien entendu de précis de la part du gouvernement libéral. Ils ont donc rédigé une lettre dans laquelle ils suggéraient très précisément au premier ministre d'envisager le renversement du fardeau de la preuve pour d’autres infractions graves et violentes à titre de réforme du système de libération sous caution. C’est une solution que je prends très au sérieux, et je crois que les néo-démocrates sont tout à fait disposés à l’examiner.
En termes clairs, le renversement du fardeau de la preuve pour la libération sous caution signifie qu’il faudrait démontrer pourquoi une personne devrait être libérée, plutôt que l’obligation pour la poursuite de démontrer pourquoi une personne devrait être détenue, ce qui est la norme. Il existe déjà une liste d’infractions pour lesquelles il y a renversement du fardeau de la preuve en ce qui concerne la libération sous caution, y compris les meurtres et les crimes graves avec violence commis avec une arme à feu. Le projet de loi C‑75 prévoyait également le renversement du fardeau de la preuve dans les cas de violence familiale. On présume maintenant que les personnes qui sont accusées et qui ont déjà été accusées ou condamnées pour des infractions de violence familiale doivent démontrer pourquoi elles devraient être libérées, plutôt que l’obligation pour la poursuite de démontrer pourquoi elles devraient rester en prison.
Pour examiner cette question, il faut entendre des experts, des policiers et des procureurs sur la façon de régler les problèmes et sur ce que nous devons faire précisément. Quelles infractions devraient être ajoutées à cette liste?
Encore une fois, c’est un peu paradoxal. Les conservateurs se portent habituellement à la défense des propriétaires d’armes à feu, mais dans cette motion, ils disent que toute infraction mettant en cause des armes à feu devrait faire l’objet d’un renversement du fardeau de la preuve, qu’il devrait y avoir une restriction à la libération sous caution.
Cela me semble étrange de la part des conservateurs, car ce qui me préoccupe, ce sont les infractions graves avec violence, et non les infractions techniques aux lois sur les armes à feu. Par conséquent, lorsqu’ils disent que nous devrions nous débarrasser de la totalité du projet de loi C‑75, cela commence à ressembler à un projet de loi sur la réforme du système de libération sous caution. En fait, il s’agissait d’un projet de loi omnibus en matière de justice pénale qui prévoyait de nombreuses mesures que les néo-démocrates appuyaient et que je préconisais depuis longtemps, y compris le renversement du fardeau de la preuve dans les cas de libération sous caution pour des infractions de violence familiale. Cependant, il est tout simplement faux de prétendre que le projet de loi C‑75 force la main aux juges. L’affirmation contenue dans cette motion n’est pas vraie.
Le projet de loi C‑75 a donné force de loi à la décision rendue par la Cour suprême en 2017 dans l’affaire R. c. Antic. Dans cette décision, la Cour suprême a dit très clairement que la justice fondamentale et la Charte exigent que ceux qui attendent leur procès soient libérés à la première occasion raisonnable et dans les conditions les moins sévères possible pour respecter le principe de la présomption d’innocence. Y a-t-il des conséquences imprévues de cette décision dans le projet de loi C‑75? Peut-être que oui. J’ai hâte que le comité se penche sur les détails de ce que nous pouvons faire en cas de conséquences imprévues. Cependant, comme la députée de Saint-Jean l’a souligné à juste titre, l’abrogation du projet de loi C‑75 ne changerait rien à la loi sur la libération sous caution parce que la Charte et la décision de la Cour suprême existeraient toujours. Par conséquent, il n’est vraiment pas réaliste de considérer que l’abrogation du projet de loi C‑75 constitue une solution aux problèmes dont il question.
Qu’est-ce que je veux en tant que néo-démocrate et député? Je veux que nous travaillions d’arrache-pied au comité pour trouver une façon de donner aux Canadiens l'assurance que les personnes accusées de crimes graves avec violence et qui ont déjà un casier judiciaire pour des crimes de cette nature ne sont pas libérées sous caution avant leur procès pour une autre infraction.
J’aimerais également que nous examinions la question plus large de savoir comment nous pouvons nous assurer que les changements apportés au système de libération sous caution ne contribuent pas par inadvertance au rejet ou à la détention démesurée des Autochtones, des pauvres ou des Canadiens racialisés. Nous ne pouvons pas apporter des changements radicaux à ce système tout en respectant la nécessité de rendre le système de justice équitable pour tous les Canadiens.
Sur ce, je conclus mes remarques aujourd’hui. Je tiens à dire que je suis déçu par cette motion, et pour cette raison, les néo-démocrates voteront contre. Cependant, il demeure évident qu’il y a au moins certains députés du Parti conservateur qui sont présentés au comité de la justice lundi avec l'intention de travailler sérieusement sur ces questions et de trouver des solutions réelles aux préoccupations des Canadiens concernant le désordre public et les crimes violents. Ils sont prêts à trouver des moyens efficaces d’accroître la sécurité publique, et non pas à s'en tenir à une motion comme celle-ci, qui donne un caractère sensationnaliste au problème et n’apporte aucune solution réelle.