Monsieur le Président, je me réjouis de la tenue d'un débat en cette période charnière pour la région et pour le monde.
Je viens de rentrer d'un voyage au Moyen-Orient durant lequel j'ai rencontré mes homologues de l'Arabie saoudite, du Koweït, des Émirats arabes unis, d'Israël et également de l'Autorité palestinienne.
Il va sans dire que la guerre en cours entre Israël et le Hamas et la voie vers la paix ont figuré au premier plan des discussions. Les conversations n'ont pas toujours été faciles. Néanmoins, si nous ne partageons pas tous le même point de vue, nous poursuivons tous le même but, soit la paix et la stabilité dans la région. Par conséquent, nous devons faire preuve de pragmatisme et trouver une façon d'aller de l'avant ensemble.
Lors de notre visite en Israël, nous avons visité Yad Vashem, le monument dédié aux victimes de l'Holocauste, un des chapitres les plus sombres de l'histoire du monde. Il importe de se rappeler que la persécution du peuple juif n'a ni commencé ni pris fin avec l'Holocauste. Avant même la création de l'État d'Israël, les membres des communautés juives partout dans le monde luttaient pour trouver un endroit où ils pourraient se sentir chez eux, où ils se sentiraient en sécurité, où leurs droits fondamentaux seraient respectés et où ils pourraient vivre dans la dignité, avoir une famille et bâtir un avenir meilleur pour leurs proches sans vivre dans la peur. Pour le peuple juif, cet endroit, c'est Israël.
Le 7 octobre dernier, les Israéliens ont vu leur sentiment de sécurité et de confiance à l'égard de leurs institutions ébranlé, et pour plusieurs, tout simplement brisé. L'attaque terroriste du Hamas a été la plus meurtrière contre Israël depuis sa fondation en 1948. Ce sont 1 200 personnes qui ont été tuées par le Hamas et plus de 240 qui ont été enlevées. À ce jour, environ 134 d'entre elles sont toujours en captivité à Gaza. Ce sont 134 familles qui attendent désespérément leur retour afin de les serrer dans leurs bras.
Il est impossible de trouver une seule personne en Israël qui ne connaisse pas de près ou de loin quelqu'un qui a été tué ou enlevé ce jour fatidique. On peut sentir le poids de ce traumatisme collectif partout dans le pays. C'est donc sans équivoque que nous condamnons de nouveau le Hamas pour ses attaques terroristes du 7 octobre dernier.
Lors de notre passage en Israël, nous nous sommes également rendus dans le Sud, au kibboutz de Kfar Aza, l'une des premières collectivités attaquées par le Hamas le 7 octobre. J'y ai rencontré Ayelet, la mère de Netta, un Canadien qui a été tué en protégeant sa fiancée.
Ayelet nous a fait visiter son quartier et nous a raconté le terrible massacre du 7 octobre. Elle a dit que c'était le chaos, que personne ne comprenait ce qui se passait, que ses amis et des membres de sa famille couraient à perdre haleine d'une maison à l'autre, passant devant des maisons qui avaient été incendiées, à la recherche de leurs proches. Malheureusement, dans bien des cas, il était trop tard; leurs proches étaient déjà morts.
Alors que nous étions témoins des horreurs commises le 7 octobre, nous pouvions entendre et ressentir l'explosion des bombes larguées sur Gaza, à proximité, et les coups de feu incessants. À ce moment-là, nous avons compris de façon profonde la dualité de la tragédie qui a frappé les peuples israélien et palestinien. Je n'oublierai jamais ce moment.
Depuis le 7 octobre, plus de 31 000 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza. Plus de 70 % d'entre eux étaient des femmes et des enfants. Actuellement, 1,7 million de Palestiniens ont été déplacés, et le nombre des personnes menacées de famine, de maladie et de mort est encore plus élevé.
J'ai rencontré des travailleurs humanitaires qui ont décrit la crise dans la bande de Gaza comme étant la pire qu'ils aient connue au cours de leur carrière. Ils ont vu des mères subir des césariennes sans anesthésie, des enfants qui demandaient de la nourriture sur la route, et des enfants désespérés parce qu'ils sont devenus orphelins.
On peut dire que c'est maintenant chaque arbre généalogique palestinien qui a été coupé par la violence depuis le 7 octobre. C'est ce qui ressort clairement de nos conversations à Ramallah.
Au milieu de cette tragédie, les Palestiniens de Cisjordanie sont confrontés de leur côté à des actes de violence de plus en plus fréquents et intenses de la part de colons extrémistes. Ces actes violents, à eux seuls, ont coûté la vie à plus de 300 Palestiniens et ils ont forcé le déplacement de 1 000 autres depuis le 7 octobre. Nous avons parlé à une famille qui a été forcée par des colons israéliens de quitter sa maison et qui s'est vue interdire l'accès à la ferme familiale qui est normalement nécessaire à sa survie.
Nous sommes fermement opposés à cette violence et nous sanctionnerons ceux qui en sont responsables.
Les Palestiniens continuent de lutter pour leur autodétermination et la création d'un État palestinien, un État où ils pourraient vivre et se sentir en sécurité, où leurs droits seraient respectés et où ils pourraient vivre dans la dignité, avoir une famille et bâtir un avenir meilleur pour leurs enfants. Les Palestiniens luttent pour avoir leur propre maison.
Cette crise a mis en évidence des fissures et a aggravé les blessures de la société de part et d'autre. Elle est alimentée par la déshumanisation. Lorsque nous ne voyons pas l'humanité des autres, l'injustice retombe sur les épaules des innocents. Cette douleur s'est étendue à toute la région et ici, chez nous. Au Canada, nous pleurons la perte de huit Canadiens tués le 7 octobre. D'innombrables familles canadiennes pleurent la perte d'êtres chers en Israël, à Gaza et en Cisjordanie.
Au Canada et partout dans le monde, nous assistons à une montée en flèche de l'antisémitisme et de l'islamophobie. Les communautés musulmanes et juives sont la cible d'attaques physiques et verbales. Des gens sont harcelés dans la rue et en ligne, interdits de culte et amenés à se sentir en danger dans leurs établissements scolaires. Ce n'est pas ce que promet le Canada. Notre gouvernement continuera de dénoncer et de condamner fermement toutes les formes de discrimination et de racisme; elles n'ont pas leur place au Canada.
Outre la montée de l'antisémitisme et de l'islamophobie, ce conflit polarise notre société et met à l'épreuve notre cohésion sociale. Nous sommes empêtrés dans un tissu de dévastation et nous subissons des pressions pour prendre parti. Nous sommes forcés de croire que si nous prenons la défense de l'un, il va sans dire qu'on estimera que nous sommes contre l'autre. Pour nous, ce n'est pas aussi simple.
Compte tenu de l’état de la situation, je doute qu’il y ait un vainqueur. Il n’y aura que des victimes et des survivants qui pleureront à jamais leur perte. Avec le niveau de destruction actuel dont nous avons été témoins, il faudra des années pour tout reconstruire.
La reconstruction de Gaza nécessitera notre aide. Le Canada sera là. Nous serons là pour reconstruire le système de santé à Gaza, en particulier les hôpitaux pour enfants. Il faudra des décennies, voire des générations, pour faire émerger et traiter les conséquences du traumatisme vécu par les Israéliens et aussi par les Palestiniens.
C’est pourquoi, dans cette tragédie, je prendrais toujours le parti de la dignité humaine et de la protection des civils, autant palestiniens qu’israéliens; parce que nous le devons aux Palestiniens et aux Israéliens qui ont été abandonnés pendant des décennies, parce qu’aucune solution durable n’a été trouvée à ce conflit.
Au-delà de cet échec, les terroristes et les voix extrémistes se font entendre sur toutes les tribunes. Ils sapent l’avenir des Israéliens et des Palestiniens. C’est sans mentionner les répercussions plus larges dans tout le Moyen‑Orient. Nous n’avons pas de choix. Nous devons faire mieux.
Au Canada, notre position repose sur trois principes. Le premier est le droit d'exister d'Israël et, par extension, son droit de se défendre conformément au droit humanitaire. Le deuxième est la protection des civils. Le troisième est le droit à l'autodétermination du peuple palestinien. Nous reconnaissons entièrement qu'il existe des conflits entre ces principes en ce moment, mais nous continuons de souscrire à chacun d'eux.
La violence doit cesser. Un cessez-le-feu humanitaire s'impose de toute urgence et il ne peut être unilatéral. Bien entendu, le Hamas doit déposer les armes et libérer tous les otages. Gaza n'a jamais eu autant besoin d'aide humanitaire. On doit sans tarder fournir des secours humanitaires rapides, sûrs et sans entraves aux civils. C'est pour cette raison que le Canada fera tout ce qu'il peut pour aider.
En raison de l'urgence de la situation, nous avons repris le financement de l'UNRWA tout en appuyant les efforts de réforme de l'organisation. Nous allons contribuer au corridor humanitaire maritime. Nous allons appuyer le largage aérien de colis. Nous reconnaissons que cela ne règle pas l'urgent besoin d'un meilleur accès terrestre, et nous allons continuer de faire pression en ce sens.
Nous sommes gravement préoccupés par l'offensive militaire terrestre que compte lancer Israël à Rafah. Environ 1,5 million de Palestiniens se sont réfugiés dans cette zone, dont beaucoup de nos citoyens et leurs familles. Ils n'ont nulle part d'autre où aller. Nous avons sans ambages exhorté le gouvernement israélien à renoncer à cette idée.
En ce qui concerne la Cour internationale de justice, nous reconnaissons pleinement que les mesures provisoires de la Cour sont contraignantes pour les deux parties. La Cour a été claire: Israël doit assurer la fourniture des services de base et l'aide humanitaire essentielle et doit protéger les civils.
En ce qui concerne les exportations de marchandises contrôlées vers Israël, j'aimerais réitérer que le Canada dispose d'un régime d'exportation très strict dans le cadre duquel chaque demande est étudiée au cas par cas. Depuis le 7 octobre, nous n'avons pas approuvé de permis d'armement en soi.
Compte tenu de l'évolution rapide de la situation sur le terrain, le ministère des Affaires étrangères n'a pas approuvé de permis depuis le 8 janvier, puisque nous n'avons pas été en mesure de confirmer le respect des droits de la personne et le respect, bien entendu, des critères de notre régime d'exportation.
En conclusion, la seule façon de parvenir à une paix et à une sécurité durables pour les Israéliens et les Palestiniens est une solution politique négociée. Je crois que le Canada a un rôle à jouer. Notre héritage diplomatique est celui de Lester B. Pearson, de Pierre Elliott Trudeau, de Brian Mulroney et de Jean Chrétien. C'est celui du maintien de la paix et l'établissement de ponts pour favoriser les pourparlers. Aujourd'hui, nous avons la responsabilité de bâtir sur cette tradition.
Le Canada continuera à préconiser une solution à deux États, y compris la création d'un État palestinien où les Palestiniens et les Israéliens vivront côte à côte dans la paix, la sécurité et la dignité. La sécurité à long terme d'Israël, la normalisation des relations diplomatiques dans le monde arabe et la création d'un État palestinien ne peuvent pas être envisagées séparément ou en opposition. Elles sont indissociables. Nous devons le reconnaître et agir en conséquence. Nous nous engageons à être pragmatiques et à contribuer à une solution.