Madame la Présidente, le projet de loi C‑321 propose une modification des dispositions actuelles concernant les peines applicables pour les condamnations pour voies de fait, lorsque la victime est un travailleur de la santé ou un premier répondant. On propose de considérer ce contexte professionnel comme constituant une circonstance aggravante.
Ce projet de loi fait suite à la recommandation 3 du rapport sur la violence subie par les travailleurs de la santé au Canada, déposé par le Comité permanent de la santé en juin 2019, lequel recommandait au gouvernement de « modifie[r] le Code criminel afin d’exiger qu’il considère comme circonstance aggravante pour la détermination de la peine le fait que la victime de voies de fait est un travailleur du secteur de la santé. »
Plusieurs groupes, comme l’Association médicale canadienne, l’Association médicale de l'Ontario, la British Columbia Nurses’ Union, le Syndicat canadien de la fonction publique, Concerned Ontario Doctors et l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, ont dit appuyer une telle mesure.
Puisque le rapport a été présenté à la Chambre le 19 juin 2019, le gouvernement Trudeau n’a pas fourni de réponse à cette étude avant la dissolution de la Chambre et la tenue des élections. Nous y voilà donc revenus.
Qu’en est-il aujourd’hui? Bien sûr, le fait de se livrer à des voies de fait sur une personne qui œuvre à fournir des soins à une personne malade ou blessée est inacceptable. Cela va de soi. Il faut que l’agresseur soit sanctionné avec sérieux et que le message qu'envoie la peine applicable soit tout aussi sérieux. Nous en convenons tous. Quand même, il y a déjà au Code criminel des dispositions qui le prévoient.
Le sous-alinéa 718.2a)(iii.2) édicte en effet que toute infraction perpétrée à l’encontre d’une personne qui, dans l’exercice de ses attributions, fournissait des services de santé, notamment des services de soins personnels, doit être considérée comme emportant des circonstances aggravantes. Cela s’applique à toute infraction, sans distinction quant à la victime ou à celui ou celle qui commet l'infraction.
Ainsi, le projet de loi C‑321 ne pourra, s’il est adopté, que confirmer et rappeler que pour les crimes de voies de fait ou de menaces de voies de fait sur ces travailleuses et ces travailleurs, la peine applicable pourrait être plus sévère.
C’est louable. Or cela dit, on doit être prudent quand on détermine une catégorie de citoyens comme devant recevoir une protection particulière. Évidemment, on tient beaucoup à ce que toutes celles et tous ceux qui se consacrent à veiller sur leurs semblables, à les soigner, à les traiter ou à les sauver d’un péril quelconque soient bien traités eux-mêmes. On veut qu’ils sachent que leur dévouement ne passe pas inaperçu, qu’il soit reconnu et qu’eux-mêmes exercent leurs activités en toute sécurité.
Cependant, d’autres parmi nos concitoyens commandent eux aussi notre respect et notre attention. Sans en dresser une liste exhaustive qui serait probablement incomplète, que dire de nos enseignantes et de nos enseignants? Que dire du personnel de soutien dans nos écoles? Que dire de ceux et celles qui œuvrent dans des garderies? Plusieurs d'entre nous, pour y avoir œuvré, en sont conscients: l'enseignement en 2023 n'a plus rien à voir avec l'enseignement d'il y a 50 ans. Je pense à mon collègue de Rivière-des-Mille-Îles, qui dirigeait une école il n'y a pas si longtemps et qui pourrait sûrement nous en parler.
Ceux et celles qui se consacrent à l’éducation de nos enfants ne devraient-ils pas recevoir les mêmes égards? Que dire des bienfaitrices et des bienfaiteurs qui se consacrent aux plus démunis, dans des soupes populaires ou dans des refuges? Les temps sont durs, tout coûte plus cher, il y a une pénurie de main-d'œuvre et une crise du logement. Il y a des problèmes majeurs, et les gens qui travaillent dans ces domaines ont eux aussi besoin d'être reconnus et protégés.
Quel serait ensuite le message qu’on souhaite envoyer à tous ceux et toutes celles qui travaillent dans une usine, dans un palais de justice, dans un commerce, dans un restaurant ou dans la fonction publique? Que leur dirait-on? Que leurs fonctions ne sont pas suffisamment importantes? Je suis convaincu que ce n'est pas ce qu'on souhaite.
Je me permets par ailleurs de rappeler qu'en 2015, le projet de loi S‑221 du sénateur Bob Runciman a été adopté et qu'il était assez semblable au projet de loi actuel, mais rédigé au bénéfice des opérateurs de transports en commun. Il n'a pourtant pas eu un effet dissuasif sur les violences envers les chauffeurs d'autobus. Outre une baisse momentanée en 2016, les statistiques à cet égard n'ont pratiquement pas bougé, sinon à l'occasion de la pandémie de la COVID‑19. Au Québec, les cas de lésion professionnelle acceptés par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail sont passés de 21 en 2014 à 22 en 2022.
Finalement, j'ajouterais que notre priorité doit demeurer d'assurer à tous ceux et à toutes celles qu'on souhaite protéger un milieu de travail, et plus généralement une société, sécuritaire et en santé. La prévention et la mise en place de conditions de vie saine et épanouissante ne doivent jamais être sacrifiées au profit de dispositions pénales dissuasives. Tout cela se doit d'être complémentaire.
En conclusion, au Bloc québécois, nous considérons que la question des violences causées aux travailleurs de la santé et aux premiers répondants est préoccupante et que nous nous devons d'en discuter. Nous nous devons de chercher à y apporter des solutions qui permettent à ces personnes d'exercer leurs fonctions essentielles, faut-il le rappeler, en toute sécurité.
Le projet de loi C‑321 propose-t-il une solution parfaite? Probablement pas, mais il mérite sûrement notre attention. C'est pourquoi nous prévoyons appuyer ce projet de loi pour qu'il soit étudié en comité, ultimement amélioré et, le cas échéant, adopté.