Madame la Présidente, je félicite la députée d'Edmonton Strathcona d'avoir présenté ce projet de loi à la Chambre. C'est pour moi un privilège d'intervenir à ce sujet.
J'aimerais raconter une histoire à la Chambre. C'est une véritable histoire à la David contre Goliath. Elle commence dans une petite localité rurale, qui doit se mesurer à la plus grande entreprise de traitement des déchets au monde, Waste Management Inc.
En 1998, lorsque je siégeais au conseil municipal du canton de Tynendinaga, des représentants de Waste Management Inc. ont présenté au conseil ce qu'ils pensaient être une idée géniale: l'aménagement d'une gigantesque décharge d'une superficie de 200 acres et d'une capacité annuelle de 750 000 tonnes de déchets et de 250 000 tonnes de sols contaminés. Je le répète: cette décharge devait être aménagée dans une petite localité rurale, qui repose sur du calcaire fracturé. La décharge aurait été située sur un sol en calcaire fracturé, tant verticalement qu'horizontalement.
Le site retenu se trouve à la campagne, dans une zone vierge. Dans cette région, toutes les maisons, fermes et entreprises sont alimentées en eau grâce à des puits. Le site est situé en amont de la baie de Quinte, où se trouve une communauté mohawk. Depuis un certain nombre d'années, l'ONU considère la baie de Quinte comme étant l'un des plans d'eau les plus pollués au monde.
Lorsque les représentants de Waste Management Inc. ont conclu la présentation de leur projet, la préfète de l'époque, Margaret Walsh, et moi nous sommes regardés. Ils comptaient réellement aménager une décharge sur du calcaire fracturé? Nous n'allions certainement pas autoriser un projet aussi délirant pendant notre mandat.
Nous avons alors organisé de nombreuses assemblées publiques pour sensibiliser la population des environs à cette farce monumentale: une méga-enteprise entendait construire un méga-dépotoir en plein cœur d'une localité voisine. Bien entendu, tout le monde est monté aux barricades. Le site ne convenait carrément pas à un tel projet.
Après toutes ces assemblées publiques, le Concerned Citizens Committee of Tynendinaga and Environs a vu le jour. Un groupe principal a pris la tête de ce comité, à commencer par son président, Steven Geneja; Margaret Walsh; moi-même; Ed File; Allan Gardiner; Mary Lynne Sammon et le chef R. Donald Maracle, des Mohawks de la baie de Quinte. Il faut en effet rappeler que les Mohawks se sont beaucoup impliqués dans ce combat.
Nous avons également eu la chance de pouvoir compter sur une remarquable équipe professionnelle, qui rassemblait Me Richard Lindgren, de l'Association canadienne du droit de l'environnement; Wilf Ruland, hydrogéologue; et Poh-Gek Forkert, toxicologue et auteure d'un livre à propos de ce combat, intitulé Fighting Dirty.
Nous avons organisé des collectes de fonds colossales, des activités de création d'affiches, des campagnes de sensibilisation et des manifestations. Au cours des huit années suivantes, nous avons soumis plus de 6 000 pétitions et documents pour nous opposer à l’agrandissement de ce site d’enfouissement. L’ancien commissaire à l’environnement de l’Ontario, Gord Miller, a dit du dépotoir de Richmond qu’il s’agissait sans doute de l’un des pires endroits en Ontario où installer un dépotoir. Il a ajouté qu’il était extrêmement difficile, voire impossible, de faire un suivi de l’état du site.
En 2006, après huit années de lutte, le gouvernement de l’Ontario a décidé, contre toute attente, de rejeter le projet d’agrandissement du dépotoir, déclarant que des risques environnementaux considérables y étaient associés. Évidemment, tout le monde a célébré cette victoire en pensant que nous avions gagné la bataille, mais non, ce n’était pas terminé: juste à côté de l’endroit où Waste Management Inc. avait voulu construire le site d’enfouissement original, une décharge vieille de 50 ans était toujours ouverte. Comme elle était source de fuites, nous avons soupçonné qu’un lessivage toxique polluait le milieu environnant et les puits locaux.
En 2007, je suis devenu président du comité. Il faut comprendre que nous nous battions alors depuis huit ou neuf ans et que les bénévoles commençaient à s’épuiser. C’était un dur combat pour une petite collectivité rurale, mais, heureusement, il restait un noyau d’irréductibles, dont faisaient partie Mike Whalen, l’actuel président du comité, ainsi que Ian Munro, Marilyn Kendall, Jeff Whan, Steve Medd, Marilyn Carey, Janelle et Ken Tulloch, Carolyn Butts, Fred Whelan et Howard O’Connor. Ces personnes étaient tout simplement des citoyens qui se souciaient profondément du sort de notre région et qui étaient prêts à faire tous les sacrifices nécessaires pour la protéger contre les ravages de ce site d’enfouissement.
Et voilà qu'en 2010, la province a annoncé la fermeture forcée du site d'enfouissement. Malheureusement, le jour même, Waste Management est revenue et a annoncé un autre mandat d'évaluation environnementale. C'était la première fois dans l'histoire de l'Ontario qu'une entreprise était déboutée à la suite d'une évaluation environnementale et en demandait une autre exactement au même endroit avec pratiquement la même proposition.
Nous étions consternés. Nous étions en colère. Nous étions déterminés à ne pas laisser ce projet se poursuivre. Nous avons redoublé d'efforts pour vaincre ce que Waste Management appelait le Beechwood Road Environmental Centre. À mon avis, c'était une contradiction totale.
Au début de 2012, la province est finalement revenue et a approuvé un plan de surveillance environnementale qui comportait de graves lacunes. Nous en avions assez. Nous nous sommes dit que nous avions enfin l'occasion de demander l'autorisation d'interjeter appel auprès d'un tribunal de l'environnement pour enfin lancer un processus semi-judiciaire d'examen par des experts environnementaux et des juristes.
Nous avons ensuite entamé une période de trois ans de négociations avec Waste Management pour tenter de s'attaquer aux 36 recommandations. Après cela, en 2015, enfin, un procès a eu lieu et une décision a été rendue, et, bien sûr, elle a été en notre faveur et nous avons finalement forcé Waste Management à faire des tests de dépistage d'un produit chimique appelé le 1,4-dioxane, qui n'existe que dans le lixiviat. N'oublions pas que le lixiviat contient jusqu'à 10 000 produits chimiques.
L'entreprise effectuait toujours des tests de dépistage pour les produits chimiques qui existent dans le milieu naturel environnant. Ainsi, lorsqu'il y avait des hausses marquées, elle disait que c'était simplement Mère Nature, et non le lixiviat. Or, surprise, lorsqu'elle a enfin commencé à faire des tests pour dépister le 1,4-dioxane, elle a découvert que bon nombre des puits étaient contaminés, dont six puits résidentiels. Il est absolument épouvantable que l'entreprise ait pu dissimuler cette contamination pendant des décennies à l'insu de tous.
Nous voilà en 2019, et nous tentons toujours de définir la zone tampon. Des quantités massives de ce contaminant se retrouvent maintenant à l'extérieur de la décharge. On en trouve à un kilomètre au sud de la décharge, donc bien loin de la circonférence de la décharge, et il continue de se déplacer.
Pourquoi est-ce que je raconte cette histoire? Quel est le rapport avec une charte des droits environnementaux?
Les décharges sont le point vulnérable d'une société post-consommation. Comme je l'ai mentionné, une décharge peut contenir jusqu'à 10 000 produits chimiques. Tout le monde pense: « Loin des yeux, loin du coeur; c'est dans une décharge, alors plus besoin de s'en préoccuper. » Non. Ces produits chimiques existent dans notre environnement. Ils existent dans nos maisons et nos lieux de travail. Ils sont omniprésents dans la société et nous devons avoir un mécanisme en place pour les gérer véritablement.
L'Ontario a adopté une charte des droits environnementaux et créé le tribunal en matière d'évaluations environnementales qui y était prévu. Ce tribunal permet à des regroupements de citoyens, comme le nôtre, d'obliger le gouvernement à rendre des comptes et d'imposer des décisions ayant pour effet d'annuler de mauvaises mesures prises par le gouvernement. Voilà pourquoi il est essentiel, pour nous, que le Canada se dote d'une charte des droits environnementaux.
Pour conclure, j'aimerais rendre hommage à plusieurs personnes qui ont participé activement à ce combat et qui, malheureusement, ne sont plus de ce monde. Margaret Walsh, Steve Geneja, Al Gardiner, Mary Lynn Sammon et Howard O'Connor nous ont tous quittés. Ces gens ont perdu les plus belles années de leur vie à se battre sans relâche contre ce site d'enfouissement. C'est une tâche extrêmement difficile, pour une petite localité, que de s'opposer à la plus grande société de traitement des déchets du monde.
Nos efforts n'auront toutefois pas été vains. Si nous n'avions pas livré ce combat, aujourd'hui, 21 ans plus tard, de 21 à 25 millions de tonnes de déchets s'infiltreraient dans notre environnement et contamineraient les puits et les nappes et, par le fait même, les prochaines générations. Ce combat n'a pas été vain.
Nous continuerons à défendre cette bonne cause. Nous serons du côté des anges gardiens qui se battent avec nous pour protéger la nature magnifique des régions rurales du Canada.
Tant que je serai député, je ne cesserai jamais de me battre pour l'adoption de la Charte canadienne des droits environnementaux.