Madame la Présidente, je suis heureux de prendre la parole ce soir au sujet d'un rapport présenté par le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes, dont je suis fièrement membre. Nous sommes saisis d'une motion du Parti conservateur sur l'adoption du sixième rapport du comité du commerce international, intitulé « L'application ArriveCAN: Répercussions sur certains secteurs canadiens ». Je dirai d'entrée de jeu que je suis devenu membre du comité alors que l'étude avait déjà été lancée, il y a environ un an. Je n'étais pas présent pour entendre certains témoignages, mais j'ai participé aux réunions de rédaction du rapport au début du printemps.
Ce rapport, comme son titre le laisse entendre, porte sur les répercussions de l'application ArriveCAN sur les échanges commerciaux. Il traite de l'incidence de cette application sur les voyages et les passages à la frontière canadienne pendant la pandémie de COVID. Comme nous le savons tous, la pandémie de COVID a frappé l'Amérique du Nord en mars 2020, ce qui a entraîné la fermeture de la Chambre des communes le 13 mars. Une semaine plus tard, le 20 mars, les gouvernements du Canada et des États‑Unis se sont entendus pour limiter temporairement tous les voyages non essentiels à la frontière canado-américaine. La pandémie a eu d'énormes répercussions sur l'économie canadienne. Bon nombre d'entre elles ont découlé des restrictions mises en place à la frontière canado-américaine.
Le rapport dont nous débattons aujourd'hui résume les témoignages reçus par le Comité au sujet de l'application ArriveCAN dans le cadre de son étude. Il a été scindé en trois parties. La première fournit de l'information à propos des répercussions d'ArriveCAN sur les postes frontaliers du Canada. La deuxième concerne les répercussions de l'utilisation d'ArriveCAN sur certains secteurs, en particulier le tourisme. La troisième présente le point de vue des témoins sur des mesures proposées par le gouvernement qui pourraient favoriser le rétablissement de secteurs pénalisés par l'utilisation obligatoire d'ArriveCAN.
L'application ArriveCAN a été lancée en avril 2020. Elle permettait aux voyageurs qui entraient au Canada de saisir leurs plans de quarantaine et, plus tard, des renseignements sur leur statut vaccinal, numérisant ainsi les renseignements recueillis au moyen des formulaires papier que les voyageurs devaient remplir avant cette date. Le 21 novembre 2020, l'utilisation de l'application ArriveCAN est devenue obligatoire pour les voyageurs entrant au Canada, les empêchant ainsi d'utiliser les formulaires papier comme ils le faisaient auparavant.
Je dois souligner que ce n'est pas tellement l'utilisation de l'application ArriveCAN qui a causé des problèmes aux voyageurs, mais le fait que, du 21 novembre 2020 au 30 septembre 2022, l'utilisation de l'application était obligatoire pour traverser la frontière. Il était impossible d'utiliser les formulaires papier qui étaient employés au début de la pandémie. Je souligne également que l'étude portait uniquement sur les répercussions de l'utilisation obligatoire de l'application.
De nombreuses autres mesures liées à la pandémie ont eu des répercussions néfastes sur les secteurs économiques et les industries du pays. Les exigences relatives à la vaccination et le dépistage de la COVID ont aussi eu des répercussions sur la capacité des gens à traverser la frontière et sur les délais pour ce faire. En outre, l'étude ne couvrait pas le développement de l'application ArriveCAN, dont nous avons longuement entendu parler pendant le présent débat. Cette affaire est étudiée par d'autres comités de la Chambre des communes. J'y reviendrai plus tard.
L'étude du comité du commerce international dont la Chambre est saisie ce soir portait sur les répercussions que l'application ArriveCAN a eues sur certains secteurs, plus particulièrement sur le tourisme, devrais-je dire. Voyons quelques-unes de ces répercussions.
La répercussion la plus évidente du recours à une application ne pouvant être utilisée qu'avec des téléphones intelligents concerne les gens qui ne possèdent pas de téléphone intelligent ou de tablette, ou même ceux qui ont de la difficulté à utiliser leur téléphone intelligent pour autre chose que simplement répondre à un appel, consulter un courriel ou s'en servir un peu de cette manière. Par conséquent, je suis quelque peu surpris de voir que, lorsque le gouvernement a décidé de rendre l'application ArriveCan obligatoire, personne ne s'est posé la question évidente: que va-t-il arriver à ceux qui ne possèdent pas de téléphone intelligent? De toute évidence, beaucoup de personnes âgées entrent dans cette catégorie.
Ce problème a causé beaucoup de retards aux postes frontaliers, surtout aux postes frontaliers terrestres. Je tiens à répéter que l'application a été créée pour gagner du temps, mais que, dans l'ensemble, elle a causé bien des retards, surtout du point de vue des voyageurs.
Les résidants de ma circonscription m'en ont beaucoup parlé. On trouve six postes frontaliers terrestres dans ma circonscription, soit probablement le plus grand nombre dans une même circonscription. Les résidants de ma circonscription ont l'habitude de traverser la frontière dans les deux sens pour faire des affaires, aller magasiner ou faire du tourisme. Ma circonscription dépend d'ailleurs beaucoup de l'industrie touristique. Bon nombre de mes concitoyens ont donc été touchés par l'obligation d'utiliser l'application ArriveCAN.
Un autre problème dans ma circonscription, c'est que plusieurs postes frontaliers se trouvent dans des régions où il n'y a pas de couverture cellulaire. Les gens ne pouvaient donc pas y utiliser l'application. Ils ne pouvaient pas charger leurs données à la frontière, puisqu'ils n'avaient aucun moyen d'utiliser leur téléphone. Il n'y avait pas de couverture cellulaire. À certains endroits, il y a une couverture cellulaire, mais elle provient des tours de l'État de Washington, ce qui entraîne des frais d'itinérance.
Tout cela a donné du travail supplémentaire aux voyageurs et aux agents des services frontaliers. Le président du Syndicat des douanes et de l'immigration, Mark Weber, qui représente les employés des postes frontaliers, a déclaré ceci lors de son témoignage:
Mais je peux vous dire que les chiffres que vous a fournis tout à l'heure le représentant de l'ASFC [...]
— c'était l'agence responsable d'organiser l'utilisation de l'application —
[...] selon lesquels 99 % des voyageurs arrivant par avion et 94 % des voyageurs arrivant par la route ont rempli l'application, sont absolument faux. Ces pourcentages représentent le nombre de voyageurs ayant rempli l'application après que nous les y avons aidés. Dans les succursales des Cantons‑de‑l'Est, par exemple, c'était plus près de 60 %.
Le pourcentage de voyageurs qui parvenaient à le faire seuls était nettement inférieur aux 95 % déclarés par l'Agence des services frontaliers du Canada dans son rapport. M. Weber a poursuivi en disant:
Dans l'ensemble, les proportions probables seraient de 75 à 80 %.
En fait, nos agents font actuellement office de consultants en TI. Certains postes frontières sont devenus des espaces de stationnement, où nous aidons les gens à remplir l'application.
Bref, M. Weber soutenait que pour ceux qui ne pouvaient pas utiliser l'application, il aurait été plus rapide et plus efficace de simplement continuer de fournir sur papier les renseignements concernant leurs plans de quarantaine et de présenter leurs preuves de vaccination aux agents des services frontaliers, plutôt que de devoir obtenir de l'aide pour consigner l'information au moyen d'un téléphone qu'ils n'avaient pas ou qu'ils ne savaient pas comment utiliser. Les employés des boutiques hors taxes ont également dû aider des voyageurs à utiliser l'application.
Je tiens à rappeler que cette application n'est pas des plus faciles à utiliser. Je me sers quotidiennement de deux téléphones intelligents et je me considère comme relativement habile avec la technologie. Je me souviens que lorsque j'ai dû utiliser ArriveCAN pour la première fois, ce n'était pas si facile. J'ai dû trouver comment sauvegarder mes certificats de vaccination sous forme d'images, trouver ces images dans mon téléphone, puis les verser dans l'application. Je comprends donc aisément que quelqu'un qui n'a pas l'habitude de se servir d'un téléphone intelligent puisse rencontrer des difficultés.
Les aînés et les personnes qui n'ont pas l'habitude d'utiliser leur téléphone en ont subi les conséquences, qu'il s'agisse d'aînés canadiens revenant des États‑Unis ou d'aînés américains souhaitant venir au Canada.
La levée des restrictions pour traverser la frontière et l'augmentation du nombre de voyageurs souhaitant la traverser pour la journée n'ont fait qu'exacerber les problèmes. En effet, l'application demandait aux voyageurs d'indiquer une adresse au Canada où ils pourraient demeurer en quarantaine au besoin. Cette exigence obligeait les voyageurs en provenance des États‑Unis en visite au Canada pour la journée à mentir, car ils n'avaient pas d'adresse canadienne valide à fournir dans l'application.
Nous connaissons l'histoire d'un autobus rempli d'Américains âgés qui avaient prévu de passer la journée du côté le plus pittoresque des chutes Niagara — le côté canadien — et qui ont dû faire demi-tour à la frontière en raison de l'obligation d'utiliser ArriveCAN.
L'obligation d'utiliser l'application ArriveCAN a eu des répercussions sur les déplacements tout le long de la frontière, mais surtout sur le tourisme. Bien qu'il soit difficile de mesurer avec précision l'impact économique de l'application ArriveCAN en particulier, les données qui montrent l'incidence de la pandémie sur le tourisme en général ne manquent pas.
Je suis à la fois le porte-parole en matière de commerce international et le porte-parole en matière de petites entreprises et de tourisme pour le NPD. Ce rapport contient d'importantes recommandations au sujet de l'application en général, ainsi que sur la manière dont le gouvernement pourrait soutenir le secteur touristique, qui se relève toujours de la pandémie de COVID.
Je vais lire certaines des recommandations afin que les députés puissent avoir une idée de leur teneur. La recommandation 1 est la suivante:
Que le gouvernement du Canada veille à la sécurité de la population canadienne en poursuivant les efforts en cours pour moderniser les frontières du Canada, notamment par l’utilisation d’outils appropriés, numériques et autres et par l’affectation de ressources adéquates, humaines et autres. Ces efforts doivent reposer sur des consultations avec les intervenants pertinents dans le cadre desquelles il faudrait accorder une attention particulière aux risques d’engendrer des perturbations, de la confusion ou des retards aux points d’entrée au Canada. Il conviendrait de mettre l’accent sur les aéroports et les postes frontaliers terrestres, y compris les ponts internationaux.
À ce sujet, je dirais que nous devrions inciter les voyageurs à utiliser des outils électroniques lorsqu'ils traversent la frontière en faisant en sorte que ces outils soient faciles à utiliser, rendant ainsi leur entrée au Canada plus facile, rapide et efficace. Ainsi, davantage de personnes utiliseraient ces outils. La leçon tirée d'ArriveCAN est que le fait de rendre des outils numériques obligatoires occasionne presque immanquablement des effets négatifs inattendus.
Voici ce qu'on peut lire à la recommandation 2:
Que le gouvernement du Canada accentue ses efforts visant à sensibiliser davantage le pays et la communauté internationale au fait que le Canada a supprimé les mesures de santé publique liées à la COVID-19, y compris l’utilisation obligatoire d’ArriveCAN. Ces efforts doivent être déployés en collaboration avec les autres gouvernements et les intervenants pertinents au Canada et doivent aussi être axés sur le marché américain.
En guise de commentaire à ce sujet, je dirais que nous avons largement dépassé l'ère des restrictions liées à la COVID, et ce, depuis assez longtemps pour dire que cette recommandation n'est désormais plus vraiment pertinente. Elle était cependant importante à l'époque, il y a un an, lorsque nous avons rédigé ces recommandations.
La recommandation 3 se lit comme suit:
Que le gouvernement du Canada veille à ce que les administrations et commissions des ponts internationaux, de même que les boutiques hors taxes au Canada, soient admissibles à un soutien financier fédéral s’il décide de fermer la frontière canado-américaine durant une période plus ou moins longue.
En ce qui concerne cette recommandation, je tiens à parler des répercussions considérables que la pandémie de COVID‑19 a eues sur un secteur en particulier de l'industrie touristique, à savoir les boutiques hors taxes aux frontières terrestres. Cam Bissonnette, un habitant de ma circonscription, possède deux boutiques hors taxes, qui se sont retrouvées dans une position pratiquement intenable quand les frontières ont été fermées à cause de la COVID‑19. Je dirais que c'est le secteur qui a été le plus durement touché au Canada. Pendant des mois, son entreprise a subi une baisse de revenus de plus de 95 %. Lui et d'autres entrepreneurs de son secteur se sont retrouvés avec des marchandises périssables qu'ils ne pouvaient pas vendre légalement à qui que ce soit. Même si les choses se sont lentement améliorées depuis l'ouverture des frontières, les effets dévastateurs de la fermeture des frontières empêchent presque cet entrepreneur et d'autres entrepreneurs de ce secteur de survivre.
J'ajouterai seulement que le secteur des boutiques hors taxes est généralement mal compris par le gouvernement fédéral à plusieurs égards, et je demande au gouvernement d'écouter très attentivement les préoccupations de ces propriétaires d'entreprise.
La recommandation 4 se lit comme suit:
Que le gouvernement du Canada améliore la sécurité, réduise les délais et les arriérés et accélère les délais de traitement aux points d’entrée au Canada en envisageant de recruter un nombre accru d’agents des services frontaliers à déployer aux ponts internationaux, dans les ports maritimes, aux aéroports et aux autres points d’entrée.
C'est une mesure que le NPD réclame depuis des années.
La recommandation 5 indique ceci:
Que le gouvernement du Canada nomme des administrateurs aux postes vacants au sein du conseil d’administration de Destination Canada. Étant donné que la saison touristique de l’été 2023 sera la première depuis l’été 2019 sans mesures sanitaires liées à la COVID‑19, il convient de procéder le plus rapidement possible à ces nominations.
C'est la dernière recommandation du rapport qu'on nous demande d'adopter ou d'approuver ce soir.
Je dois mentionner l'amendement que les conservateurs ont apporté à leur propre motion. Selon cet amendement, on renverrait la question au comité du commerce international pour qu'il fasse une autre étude sur le scandale entourant la création de l'application ArriveCAN, la façon dont elle a été conçue et les contrats qui ont été accordés, comme ma collègue, la députée de Terrebonne, l'a mentionné dans le discours précédent.
Ce scandale est une affaire très grave. Il mérite d'être étudié en profondeur à la Chambre des communes. Il fait l'objet d'une étude au comité des opérations gouvernementales, et, comme nous l'avons entendu, on se penche aussi là-dessus au comité des comptes publics. D'ailleurs, ce comité a étudié la question il y a un an, et on a repris l'étude pour tenir compte des plus récentes allégations. C'est ce comité, ou le comité de l'éthique, qui devrait étudier ce scandale, car ce fiasco incroyable semble être un cas flagrant de corruption.
Tout cela pour dire que le NPD est tout à fait favorable à ce que la Chambre des communes fasse toute la lumière sur ce scandale, et je me fie aux membres du comité des opérations gouvernementales, du comité des comptes publics ou du comité de l'éthique pour faire précisément cela. Cependant, je crois que nous ne devrions surtout pas lancer une autre étude sur la question au comité du commerce international et faire comparaître les mêmes témoins pour arriver à des conclusions qui seront probablement les mêmes que dans les autres comités. Le comité du commerce international a déjà du travail important à faire, y compris se pencher sur le nouvel accord de libre-échange entre le Canada et l'Ukraine. Ajouter à cela la question dont nous sommes saisis, alors qu'elle n'a aucun lien avec le commerce international et qu'elle est déjà étudiée au comité des opérations gouvernementales et au comité des comptes publics, serait une pure perte de temps.
Je terminerai en disant simplement que je suis tout à fait en faveur de la motion principale d'adoption de ce rapport, mais que je ne suis pas en faveur de l'amendement.