Monsieur le Président, je dois d'abord remercier le député de son projet de loi et de sa coopération au comité. Nous avons finalement pu régler une question très importante, une question qui tenait à coeur à tous les membres du comité. Je veux le remercier de sa prodigieuse détermination et de son travail acharné sur cette question. Je suis tellement heureuse de voir que nous en sommes finalement à la troisième lecture aujourd'hui.
L'expérience du Canada en matière de diversité nous distingue de la plupart des autres pays. Nos 30 millions d'habitants font ressortir un caractère culturel, ethnique et linguistique que l'on ne trouve nulle part ailleurs sur la Terre. Chaque année, plus de 200 000 immigrants de toutes les régions du monde continuent de choisir le Canada, attirés par la qualité de vie de notre pays et sa réputation à titre de société ouverte, pacifique et bienveillante qui accueille chaleureusement les nouveaux arrivants et qui apprécie leur diversité.
À partir de la Confédération et tout au long des années fastes de l'immigration avant la Première Guerre mondiale, puis pendant l'entre-deux-guerres et la période actuelle de l'après-guerre, nos lois et notre politique d'immigration ont contribué à faire du Canada le pays qu'il est aujourd'hui. Au fil du temps, les gouvernements canadiens ont reflété la volonté de plus en plus grande de la société d'accepter les différences au sein de la population, notamment les droits légitimes des minorités de préserver leur culture et leurs traditions. Tout au long de notre histoire, il y a toutefois eu des lois qui seraient aujourd'hui considérées comme régressives.
Au cours des années qui ont précédé la Première Guerre mondiale, le Canada a connu une forte immigration en provenance d'Europe de l'Est. Lorsque la guerre a éclaté, notre pays s'est trouvé en présence d'un grave problème: que faire des immigrants de souche récente qui étaient des citoyens des pays avec lesquels le Canada était en guerre?
Ce problème a atteint son paroxysme en 1914, lorsque des ressortissants allemands et austro-hongrois établis au Canada ont été appelés par leurs gouvernements respectifs à rentrer dans leur pays d'origine pour s'acquitter de leur obligation de faire leur service militaire.
L'article 6 de la Loi des mesures de Guerre de 1914 disait ce qui suit:
Le Gouverneur en conseil a le pouvoir de faire et autoriser tels actes et choses et de faire de temps à autre tels ordres et règlements qu'il peut, à raison de l'existence réelle ou appréhendée de la guerre, d'une invasion ou insurrection, juger nécessaire ou à propos pour la sécurité, la défense, la paix, l'ordre et le bien-être du Canada; [...] il est par la présente déclaré que les pouvoirs du Gouverneur en conseil d'étendront à toutes les matières tombant dans la catégorie des sujets ci-après énumérés, savoir [...]
Les pouvoirs en question englobaient notamment « l'arrestation, la détention, l'exclusion et la déportation » ainsi que « la prise de possession, le contrôle, la confiscation et la disposition de biens et de leur usage ».
L'application de la Loi sur les mesures de guerre au cours de la Première Guerre mondiale a entraîné l'internement de 8 579 civils et prisonniers de guerre dans 26 camps répartis au Canada. Les internés appartenaient à toute une palette de nationalités, dont des Turcs, des Bulgares, des Allemands et des Austro-hongrois. Le plus important contingent venait d'Allemagne et de l'Empire austro-hongrois, qui comprenait les Croates, les Tchèques, les Polonais, les Serbes et d'autres Européens. Les chiffres englobent aussi quelque 5 000 Ukrainiens sur une population comptant environ 171 000 personnes d'origine ukrainienne vivant au Canada à cette époque.
D'emblée, les internés ont été traités comme des prisonniers de guerre et, conformément aux dispositions de la Convention de La Haye, ils ont été nourris, vêtus et logés comme s'il s'était agi de soldats canadiens. Selon les estimations, à la fin de la guerre, en 1918, il n'y avait plus que trois camps d'internement qui fonctionnaient encore, et le dernier d'entre eux a officiellement fermé ses portes en février 1920.
Au cours des périodes ayant suivi la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale, le Bureau du séquestre des biens ennemis a établi un mécanisme de réclamation. Le gouvernement avait constaté après la Seconde Guerre mondiale que certaines sommes d'argent n'avaient pas été réclamées par les internés originaires de l'empire austro-hongrois, en dépit des annonces parues dans les principaux journaux et les journaux de la communauté ethnoculturelle.
En 1976, convaincu que la vaste majorité des réclamations possibles avaient été réglées, le gouvernement du Canada a fermé ce bureau. Voici ce que déclarait Sheila Finestone devant la Chambre des communes en 1994:
[...] comme Canadiens, nous sommes fiers que nos concitoyens et concitoyennes viennent de tous les coins du monde. Ensemble, nous avons bâti ce pays sur les principes de l'équité, de la générosité et de la compassion. Notre histoire témoigne du succès remarquable avec lequel nous avons mis ces principes en pratique.
Elle montre aussi que nous nous sommes parfois écartés de nos principes. Des gens ont souffert à certains moments de notre histoire.Dans le climat de crise engendré par la guerre, certaines communautés culturelles canadiennes ont vu leur loyauté contestée, leur liberté restreinte et leur vie bouleversée.Comme Canadiens et Canadiennes, nous voudrions que ces épisodes n'aient jamais eu lieu. Nous voudrions que ces consignes n'aient jamais existé.
Permettez-moi de poursuivre cette citation:
Nous pouvons et, certes, nous devons tirer des enseignements du passé et nous devons faire en sorte que les prochaines générations ne répètent pas les erreurs du passé.
Cette déclaration à la Chambre des communes accompagnait l'adoption par le gouvernement d'une politique de redressement historique dans laquelle, premièrement, il était réaffirmé que l'Entente de redressement à l'égard des Canadiens japonais constituait un cas unique; deuxièmement, il était confirmé qu'aucune indemnisation pécunière ne serait accordée à des personnes ou à des communautés pour des événements historiques; troisièmement, on s'engageait aussi à appliquer un programme d'action tourné vers l'avenir pour s'assurer que de telles injustices ne se reproduisent plus et quatrièmement, il était signalé que des ressources fédérales seraient utilisées afin de parvenir à une société plus équitable.
D'ailleurs, la création de la Fondation canadienne des relations raciales traduisait l'engagement fédéral en vue de l'élimination du racisme et de la discrimination raciale. La fondation a ouvert officiellement ses portes en novembre 1997.
En 2005, le Canada est très différent de ce qu'il était. Il a fait des pas prodigieux qui font de lui un meilleur pays. La publication du rapport de la Commission Massey-Lévesque en 1950 a marqué le début de la prise de conscience qui nous a fait comprendre que la diversité ethnoculturelle était un ingrédient essentiel du caractère différent de l'identité canadienne.
En 1960, on a reconnu et déclaré, au moyen de la Déclaration canadienne des droits, que certains droits et certaines libertés fondamentales existaient indépendamment de la race, de l'origine, de la couleur, de la religion ou du sexe. En 1970, le Canada a ratifié la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. En tant que partie signataire, le Canada s'est engagé à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes.
En 1977, la Loi canadienne sur les droits de la personne a proclamé que tous les individus devaient avoir des chances égales indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.
En 1982, la Charte canadienne des droits et libertés venait d'être adoptée, et son article 15 précisait que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. L'article 15 est entré en vigueur en 1985.
De plus, le caractère multiculturel du Canada a acquis une dimension constitutionnelle avec l'article 27 de la Charte. Il prévoit que les tribunaux doivent donner à ce texte une interprétation qui « doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». En 1988, il a été affirmé dans la Loi sur le multiculturalisme canadien que le multiculturalisme constituait une caractéristique fondamentale de la société canadienne.
Nous collaborons et continuerons de collaborer avec les Canadiens d'origine ukrainienne et avec d'autres communautés ethnoculturelles pour documenter l'histoire et les expériences qu'elles ont vécues. Ce travail se fait dans le cadre de divers projets commémoratifs, notamment des films, des livres et des expositions qui permettent à ces communautés de faire connaître leur histoire aux Canadiens.
Enfin, je voudrais à nouveau remercier le député de ses efforts et de son travail acharné pour veiller à l'adoption de ce projet de loi. Je crois fermement dans la nécessité de reconnaître et de commémorer des événements historiques dont il est question dans le projet de loi C-331 et de sensibiliser les Canadiens à ces expériences. Même si nous aimerions éliminer ces éléments de l'histoire de notre pays, le gouvernement actuel ne peut dédommager les intéressés pour des événements historiques sans faire porter un fardeau indu aux générations actuelles et futures qui ne sont en rien responsables de ces événements.
La communauté ukrainienne a contribué à forger la société multiculturelle vigoureuse dans laquelle nous vivons aujourd'hui. Je tiens à saluer la contribution des Canadiens d'origine ukrainienne à l'édification du Canada et je reconnais que cette contribution s'est faite en dépit de moments sombres et de grandes difficultés.
Il faut trouver une façon acceptable de souligner cette précieuse contribution et d'y sensibiliser les Canadiens. Je suis heureuse que le projet de loi C-331 nous offre un moyen constructif d'y parvenir. J'encourage tous les députés à l'appuyer sous sa forme modifiée.