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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 8 juin 1995

.0910

[Traduction]

Le vice-président (M. Assad): Bonjour, messieurs.

Chers collègues, nous avons le plaisir ce matin d'accueillir M. John Core de l'Ontario Milk Marketing Board;

[Français]

M. Claude Rivard, de la Fédération des producteurs de lait du Québec;

[Traduction]

et M. Richard Doyle de la Fédération canadienne des producteurs de lait.

Messieurs, vous avez la parole.

M. Richard Doyle (directeur administratif, Fédération canadienne des producteurs de lait): Merci, monsieur le président. C'est moi qui vais commencer.

Nous vous avons remis un certain nombre de documents. Nous n'en ferons pas la lecture. Nous savons que le temps est limité puisqu'il doit y avoir un vote à la Chambre à 10 heures. Nous essaierons d'être très brefs pour laisser le plus de temps possible à la période des questions.

Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant votre comité à propos du projet de loi C-86 .

En quelques mots, au nom des 26 000 producteurs de lait que nous représentons, nous tenons à exprimer le plein appui de tous les producteurs de lait du pays à ce projet de loi.

Comme vous le savez maintenant, suite aux négociations du GATT, les prélèvements aux producteurs ne peuvent plus servir à financer les programmes d'exportation, même si dans notre système il s'agissait davantage d'une question d'équité que de subventions, puisque tout sortait de la poche des producteurs. Toutefois, l'industrie a dû progressivement modifier le système et je crois pouvoir dire qu'elle a oeuvré avec diligence pour arriver à un consensus sur la manière de maintenir le système et de répartir les marchés entre les producteurs, surtout certains marchés d'exportation; mais aussi, pour voir comment répartir entre les producteurs de toutes les provinces le risque que présente un marché, quel qu'il soit. Bien entendu, comme vous le savez également, ces discussions sont en cours.

L'essentiel, c'est que le projet de loi habilitera la Commission canadienne du lait, qui actuellement n'est pas habilitée à administrer un pool national quelconque, à permettre à l'industrie de mettre en commun les revenus. Nous avons actuellement une entente nationale sur la mise en commun des revenus de certaines catégories spéciales, les ingrédients spéciaux, et il s'agit là d'une entente à l'échelle nationale. Grâce à ce projet de loi, la Commission canadienne du lait pourra permettre cette mise en commun. C'est le minimum prévu en vertu des négociations du GATT et de l'ALENA, si nous voulons maintenir ces marchés. C'est donc là un changement fondamental dans le système.

Bien entendu, certaines provinces ont accepté d'aller plus loin, jusqu'à un pool laitier global; c'est là une étape supplémentaire. Qu'elle concerne six ou sept provinces ou plus, le fait est que la Commission canadienne du lait pourra dorénavant autoriser ces mises en commun. Mais nous devons d'abord, à compter du 1er août 1995, avoir un pool national pour les catégories spéciales, et c'est ce que permet ce projet de loi.

J'insiste sur l'importance des délais, car il est essentiel que l'industrie garde ces marchés. Il est essentiel que le projet de loi entre en vigueur le 1er août 1995, date à laquelle le GATT appliquera ses règles à l'industrie laitière du Canada.

Je voudrais dire encore une chose, puisque nous parlons de mise en commun. J'ai vu des comptes rendus et je sais que c'est une question controversée, mais il faut dire qu'il ne s'agit pas seulement d'exportations vers les États-Unis. Oui, l'ALENA et le GATT nous interdisent d'utiliser quelque subvention que ce soit - et les subventions seront désormais qualifiées de prélèvements, surtout dans l'ALENA - et il est donc vrai qu'il y a une conséquence plus particulièrement en ce qui concerne le marché américain.

Mais, il y a un lien entre le marché national et le marché américain. Autrement dit, si vous cessez de produire pour le marché américain, en petits volumes, pour certains aspects et certains ingrédients destinés à la transformation ultérieure, automatiquement cela aura des répercussions sur votre capacité de fournir le marché intérieur canadien puisque certains de ces transformateurs de second cycle iront s'approvisionner à l'étranger. Il ne s'agit donc pas simplement d'ajouter au marché national. Il y aura des conséquences sur l'approvisionnement de nos marchés intérieurs également. C'était la deuxième chose que je tenais à souligner.

.0915

J'en resterai là pour ce qui est de ma déclaration liminaire.

Je vais maintenant demander à M. Rivard, président de la Fédération des producteurs de lait du Québec, de nous donner son point de vue, et il sera suivi de M. John Core, président du Ontario Milk Marketing Board.

Merci.

[Français]

M. Claude Rivard (président, Fédération des producteurs de lait du Québec): Bonjour, mesdames et messieurs. Un peu comme Richard vient de le dire, ce projet de loi est très important pour l'industrie laitière canadienne. Il nous permettra de nous adapter aux changements que le GATT nous a imposés.

Il est intéressant de voir, à travers ce processus, que les producteurs, les transformateurs et les gouvernements des différentes provinces, depuis la signature de l'entente du GATT, se sont engagés à faire une analyse en profondeur des façons de faire dont le Canada pourrait bénéficier pour faire face à l'avenir au niveau de l'industrie laitière canadienne. On a réussi à trouver un consensus au niveau canadien et dans l'ensemble des provinces au sujet du pooling des classes spéciales.

Comme Richard nous l'a mentionné, à compter du 1er août, si le projet de loi est adopté, on aura l'ensemble des outils pour faire face à cet avenir et cela nous permettra aussi d'être évolutifs dans le temps.

L'importance de l'industrie laitière est très grande. C'est une industrie d'au-delà de 3,6 milliards de dollars au niveau canadien. C'est donc très important puisqu'au-delà de 100 000 emplois, directs ou indirects, en dépendent.

Pour ce qui est du Québec, depuis le mois d'avril, les producteurs nous ont donné le mandat d'opérationnaliser cette entente. Le gouvernement du Québec devrait donner, la semaine prochaine, le mandat à ses représentants de signer l'entente. C'est très important et le comité de gestion a accepté unanimement, la semaine dernière, d'opérationnaliser les classes spéciales et l'ensemble des programmes de pooling le 1er août.

Le seul élément qui nous manque est la concordance au niveau de nos lois afin que la CCL puisse fonctionner dans un cadre juridique valable. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que ce projet de loi est très important pour l'ensemble de l'industrie canadienne et qu'il est porteur d'avenir. Donc, les producteurs laitiers québécois et canadiens appuient entièrement ce projet de loi.

Je cède la parole à John.

[Traduction]

M. John Core (président, Ontario Milk Marketing Board): Merci.

C'est un plaisir que d'être devant votre comité ce matin. C'est véritablement un plaisir, puisque c'est un des résultats de nombreux mois de travail et de négociations à travers le Canada. Je dis bien l'un des résultats, car il y en aura bien d'autres. Au nom de l'industrie laitière en Ontario, avec deux autres collègues - un représentant du gouvernement et un représentant des transformateurs de la province - j'ai participé activement aux négociations qui ont permis de trouver une solution au défi qu'a représenté pour nous la signature par le Canada du GATT et de l'ALENA.

Il est évident que l'entrée en vigueur de l'accord du GATT transforme l'avenir de l'industrie laitière canadienne et oblige celle-ci à trouver, dans le cadre du régime de gestion de l'offre, des solutions qui nous permettent de maintenir le système pour le bien des producteurs, des consommateurs et des transformateurs canadiens.

Je crois pouvoir dire que nous avons été à la hauteur et que nous avons trouvé une solution pour remplacer les prélèvements par un mécanisme d'établissement des prix et de mise en commun touchant les catégories spéciales; de fait, certaines provinces sont même prêtes à aller plus loin et à mettre en commun l'ensemble de la production laitière, ce qui est l'objectif ultime, dirais-je, de l'industrie laitière canadienne. Nous espérons que les autres provinces se joindront progressivement à nous dans ce système de mise en commun de l'ensemble de la production laitière.

Je suis donc très heureux d'être ici ce matin pour vous exprimer le soutien de l'Ontario au projet de loi C-86.

Ce projet de loi nous donne les moyens nécessaires pour continuer d'assurer les exportations aux États-Unis et de répondre aux besoins ultérieurs de l'industrie de transformation au Canada. Il nous permet de maintenir les niveaux de contingent et, par conséquent, de préserver le potentiel de revenu brut des producteurs laitiers. Il nous permet aussi d'assurer l'approvisionnement des usines de transformation et de maintenir les emplois dans ces usines et les revenus dans ce secteur.

Encore une fois, au nom de l'Ontario, nous vous exprimons notre appui à ce projet de loi et nous vous exhortons à l'appuyer également.

.0920

Je tiens aussi à vous dire que ce n'est là que la première des nombreuses étapes que devra franchir notre industrie. Le changement est toujours difficile. Je sais qu'il en va de même au niveau fédéral que dans les régimes de commercialisation du lait des provinces: le changement est difficile. Nous devons recevoir l'appui du gouvernement fédéral pour introduire ces changements.

Nous vous demanderons aussi votre appui sur d'autres questions, au fur et à mesure de l'évolution. C'est pourquoi j'insiste sur le fait que ce n'est qu'une première étape.

Nous avons besoin de votre appui en cas de contestation par les Américains dans le cadre de l'ALENA. Nous avons besoin d'un appui clair et ferme, comme on nous l'a manifesté récemment. Il faut que le Canada dise qu'il entend défendre les droits que lui confère l'ALENA et qu'il a la ferme intention de maintenir les tarifs et de ne les réduire que lentement et progressivement, sans accroc, pour permettre à l'industrie de s'adapter. Nous espérons donc pouvoir compter sur l'appui continu du gouvernement du Canada.

Il y a les questions de l'établissement des prix, des programmes acceptables pour le GATT, etc. Pour que ces changements s'opèrent, il faudra s'assurer que les Américains respectent leurs engagements de réduction des subventions, par exemple. Nous devons faire en sorte qu'aux prochaines négociations du GATT, la question des subsides soit clairement définie afin que tous les pays respectent les réductions prévues.

En tant que producteur de lait en Ontario, je suis tout à fait prêt à soutenir la concurrence des autres producteurs laitiers. Mais je ne suis pas prêt à avoir pour concurrents des gouvernements. C'est là un des éléments essentiels qu'il faudra bien définir et bien comprendre dans les négociations commerciales.

Encore une fois, nous sommes heureux d'être ici et d'appuyer le projet de loi. C'est une première étape qui représente un changement fondamental. Il y en aura beaucoup d'autres et il faut que vous compreniez tous que le changement ne se fait pas sans peine, et que notre industrie entend bien relever les défis et assurer aux producteurs qu'elle représente la stabilité et la sécurité.

Merci.

Le vice-président (M. Assad): Chers collègues, avant de passer aux questions, j'ai déjà sur ma liste M. Vanclief, suivi de M. Chrétien et d'autres encore, mais peut-être me permettrez-vous de poser d'abord une question.

[Français]

Monsieur Rivard, je vous ai entendu dire que ce consensus était très important pour l'avenir des producteurs laitiers du Québec. J'ai aussi écouté les commentaires de M. Core rappelant que des changements s'imposaient, mais qu'il ne fallait pas que les gouvernements se retrouvent en concurrence. Il a dit qu'il était prêt à concurrencer les autres producteurs laitiers. Cependant, les expériences que nous avons connues avec les États-Unis dans le passé laissaient à désirer, pour ne pas dire plus.

Je suis du Québec et je connais le secteur laitier, mais je ne suis tout de même pas un expert comme M. Chrétien, M. Easter ou d'autres. Comment entrevoyez-vous ce consensus qui pourrait sauvegarder notre industrie laitière?

M. Rivard: Je vais commencer par vous donner un exemple. Il y a trois semaines, j'assistais à une conférence internationale à Washington où étaient représentés les pays du secteur agricole. Le porte-parole des producteurs américains nous a dit, à cette occasion, et je vous résume son discours: «Nous, les Américains, n'avons pas nécessairement demandé de négocier au GATT l'entente qui a, en fin de compte, été adoptée. Nous voulions garder l'article XXII et les dérogations qu'il nous permettait lorsque certains secteurs étaient en danger ou à risque.»

Son discours contenait beaucoup d'autres affirmations dans ce sens. Le signal que les Américains nous ont donné et auquel faisait allusion John était que le Congrès américain devrait tenir compte du changement apporté à l'article XXII, et donc des règles du GATT dans la révision du Farm Bill américain. Il a dit qu'ils voudraient dorénavant utiliser le programme DIPP de façon beaucoup plus énergique que dans le passé. Ils voudraient aller encore plus loin et faire la promotion de leurs exportations en Amérique du Nord. Vous savez où cela se trouve: c'est ici. Nous sommes voisins. Ils voudraient faire de même en Asie, comme d'autres pays le font, comme la Nouvelle-Zélande et l'Australie.

C'est là qu'on aperçoit le danger. Le rôle du gouvernement canadien est donc important dans le défi qui nous est lancé.

.0925

Il y a actuellement une contestation entre les trois pays de l'ALENA. Nos représentants se sont réunis hier et aujourd'hui. Les Américains nous ont avisés qu'ils allaient remettre en question notre pouvoir de tarification en vertu de l'Accord du libre-échange. Donc, ils nous mettent au défi et, si jamais notre point de vue ne l'emportait pas, la sécurité de notre industrie laitière serait compromise. Si, juridiquement, on ne s'appuie pas sur les bons arguments pour faire obstacle à leur mise en demeure, notre industrie sera probablement en péril. C'est le premier élément important.

À cause de l'intervention des États, et même si le GATT devait les mettre au même niveau, nous sommes forcés de constater que ce n'est pas la réalité d'aujourd'hui et que ce ne sera pas la réalité de l'an prochain non plus. Aux États-Unis, entre autres, l'intervention de l'État pour supporter l'industrie laitière est trois fois et demie plus importante qu'ici.

Je vais vous expliquer l'autre élément dans le cadre canadien. Ce que les producteurs laitiers canadiens ont fait est un peu ce que les Américains et la CEE ont cherché à faire avant l'entente du GATT. Il s'agissait, d'une certaine façon, d'une clause de non-agression.

Les producteurs laitiers canadiens ont convenu d'un certain nivellement et d'une clause de non-agression, grâce aux pouvoirs que les provinces nous donnent et au plan canadien. Cela veut dire que nous nous sommes donné des mécanismes par le biais d'ententes de pooling et de classes spéciales. Nous avons tenté de prévoir certains impacts quant à la compétitivité. Par exemple, certains ingrédients laitiers circulent maintenant librement. On a examiné chacun des problèmes et on s'est dit qu'avec les mécanismes mis en place, nous saurions faire face à certaines éventualités.

Dans ce sens, il est important qu'entre producteurs laitiers canadiens, on travaille ensemble. Je crois que nous avons démontré par le passé que nous étions capables de le faire. La négociation qui a eu lieu a donné des résultats très positifs et peut servir d'exemple à plusieurs autres secteurs en démontrant qu'on peut s'associer fortement sur le plan économique et même bâtir en vue de l'avenir. C'est ainsi que je vois l'entente que nous avons conclue, nous, producteurs laitiers canadiens, et à laquelle participent également les transformateurs. La sauvegarde de nos deux secteurs est liée. Si les choses ne vont pas pour les producteurs, elles n'iront pas bien non plus pour les transformateurs, et réciproquement. Si on ne conserve pas une industrie forte au Canada, les producteurs disparaîtront dans les régions du Canada. C'est donc important.

Le vice-président (M. Assad): Merci, monsieur Rivard. Évidemment, comme M. Core l'a dit, c'est une première étape. Cela reste à voir, d'une certaine façon.

[Traduction]

M. Vanclief (Prince Edward - Hastings): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je tiens à remercier ces messieurs d'être venus ce matin souligner, comme ils l'ont fait, que c'est là une nouvelle étape... On peut sans doute dire que l'évolution de l'industrie laitière, conséquence des nouvelles règles commerciales qui nous ont été imposées à tous, a aussi été façonnée par l'industrie.

J'aimerais que nous abordions un certain nombre de questions, pour m'aider à comprendre certaines choses. Comme nous le savons, nous permettrons à l'industrie de participer à certains marchés d'exportation. Quel pourcentage de nos marchés d'exportation actuels se trouve-t-il aux États-Unis, et quel pourcentage y a-t-il en dehors du continent nord-américain? Quel est le pourcentage de l'approvisionnement total qui est exporté? Quel est d'après vous le potentiel de croissance des exportations, sachant que nous devons maintenir un revenu suffisant pour les producteurs efficaces, comme par le passé?

M. Doyle: Statistiquement parlant, les exportations vers les États-Unis - je vous donne ici les chiffres de l'année 1993-1994, 0,4 p. 100 de notre part du marché a été exporté aux États-Unis sous forme de produits laitiers.

M. Vanclief: Vous avez dit 0,4 p. 100?

M. Doyle: C'est cela. Mais nous avons aussi exporté aux États-Unis, sous forme de produits de transformation ultérieurs 1,3 p. 100 de plus. Donc, le total des exportations aux États-Unis représente 1,7 p. 100 de notre production.

M. Vanclief: Une précision: vous parlez de la production de lait industriel, n'est-ce pas?

M. Doyle: La production de lait industriel.

M. Vanclief: Bon.

M. Doyle: Mais, d'après nos estimations, nous pensons qu'au moins 4 p. 100 du marché, comme je le disais plus tôt... Si on cesse l'approvisionnement des transformateurs ultérieurs américains, on met en péril aussi l'approvisionnement de leurs homologues canadiens. Si l'on commence à intervenir sur ce marché, qui est peut-être un peu plus harmonieux actuellement en ce qui concerne la transformation ultérieure, on met en péril 4 p. 100 du volume, et peut-être même plus. Voilà pourquoi cela m'inquiète. Il ne s'agit pas seulement du 0,4 p. 100, mais de l'ensemble.

.0930

En outre, nous mentionnons sans cesse les États-Unis parce que nous parlons avant tout de l'ALENA. Mais le GATT fait mention des prélèvements et des subventions aux exportations et interdit toute forme de subvention aux exportations. Nous ne pouvons donc pas utiliser les prélèvements.

Mais le GATT se prononce aussi sur le reste de nos exportations, et cela dépasse le cadre de ce que je disais. Le GATT insiste beaucoup sur la réduction du pouvoir de prélèvement et sur la réduction des volumes sur lesquels les prélèvements sont appliqués. Comme nous le savons, les subventions ont été réduites tant sur le volume que sur le montant réel.

Il y a dans le document que j'ai déposé un tableau où l'on peut voir comment avec les années, même avec cette entente, il ne sera plus possible dans cinq ans de maintenir ce que nous avons actuellement pour le beurre et la poudre de lait, par exemple. Au-delà de l'ALENA, c'est toute la capacité pour le Canada de maintenir ses marchés d'exportation qui est en péril, et cela comprend les exportations de cheddar au Royaume-Uni et autres exportations visant l'éliminiation des excédents, c'est-à-dire la capacité pour la commission d'exporter le beurre et la poudre de lait écrémé.

M. Vanclief: Mais pour ce qui est du GATT, à propos de ces dernières observations, monsieur Doyle, la mise en commun et le C-86 nous permettront de faire tout cela. Ce ne sera cependant pas possible si nous maintenons le système actuel.

M. Doyle: C'est exact. Non seulement la mise en commun nous permet tout cela, encore nous permettra-t-elle aussi de continuer, si l'industrie arrive à une entente, de rechercher des débouchés à l'étranger. Autrement dit, la mise en commun élimine les contraintes qu'avait créées le GATT.

M. Vanclief: Merci.

[Français]

M. Chrétien (Frontenac): Je tiens à souhaiter la plus cordiale bienvenue à nos trois représentants de l'industrie laitière. Comme vous le savez, le Québec et l'Ontario représentent près de 80 p.100 de l'industrie laitière, et lorsqu'à nos comités on discute de lait, je me sens un petit peu chez nous, tout comme nos collègues du Manitoba, de l'Alberta ou de la Saskatchewan sont très à l'aise lorsqu'on discute de la production céréalière.

Mon beau-père a connu toutes les évolutions dans l'industrie laitière, à partir de la vente de la crème uniquement jusqu'au lait vendu en bidons au bord du chemin. Le lait laissait alors à désirer. Je vois MM. Rivard et Doyle qui sourient, mais cela ne fait pas des siècles. Cela fait tout au plus 30 ou 35 ans.

Par la suite, on a connu les refroidisseurs à lait, les boiling tanks, les pipelines, et les ministères de l'Agriculture, tant à Québec qu'à Ottawa, demandaient à nos producteurs laitiers d'être concurrentiels. Vous deviez faire la parade une fois l'an pour obtenir votre quittance d'augmentation. On vous donnait cela à la graine.

Aujourd'hui, les distributeurs donnent jusqu'à 0,17$ le litre pour avoir l'autorisation d'exposer leur lait dans les supermarchés.

Le vice-président (M. Assad): Dix-sept cents le litre?

M. Chrétien: Dix-sept cents le litre.

Le vice-président (M. Assad): À ce point-là?

M. Chrétien: À ce point-là. Le producteur agricole fait sûrement beaucoup moins que 0,17$ le litre net, et il doit «taponner» la vache plus d'une fois pour obtenir son 0,17$.

On a demandé à nos producteurs agricoles laitiers d'être très concurrentiels, et vous l'avez fait. Jusqu'à tout récemment, on voyait même trois camions refroidisseurs circuler dans le même rang, un pour le lait nature, un pour le lait industriel, et souvent, pour le lait industriel, il y avait des concurrents. Donc, il pouvait y avoir deux, voire même trois camions de compagnies différentes qui circulaient dans le même rang.

J'ai vu passer trois camions différents, dans le rang chez nous, pour trois agriculteurs. Maintenant, c'est réglé: on transporte le lait industriel et le lait nature dans le même camion. Or, aujourd'hui, avec le projet de loi C-86, on a un autre bouleversement énorme.

.0935

Mon beau-père doit se demander ce qui se passe dans l'industrie du lait, lui qui a connu à peu près toutes les étapes de la production laitière.

Le Bloc québécois va accélérer le processus pour que le projet de loi C-86 soit adopté dans les plus brefs délais. Il ne nous reste que deux semaines de séance. Donc, vous pouvez être assurés de notre appui.

Cela m'amème à parler de la gestion de l'offre. Mon collègue et ami, Wayne Easter, qui est producteur laitier lui aussi, a posé hier une très belle question au ministre de l'Agriculture. On a eu la confirmation que l'actuel gouvernement défendra la gestion de l'offre.

Je connais bien le projet de loi C-86, mais, pour le bénéfice de mes collègues, pourriez-vous revenir sur l'état des négociations avec les provinces? Je sais très bien qu'il y a six provinces qui ont accepté, jusqu'à présent, de faire partie d'un pool qui entrera en vigueur le 1er août 1995 si la loi est adoptée. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, messieurs les représentants des producteurs laitiers.

Dans ma région, il y a eu des assemblées de producteurs laitiers très vives. Il est passé des poings sous les menton plus d'une fois. Je pense bien que Claude Rivard a participé à ce genre de réunion où les producteurs laitiers industriels réclamaient, il y a six ou sept ans, «un lait, un prix».

On produit du lait de même qualité. Pourquoi obtiendrions-nous 10, 12 ou 15 p. 100 moins cher parce qu'on a, sur un bout de papier, l'autorisation de produire du lait, mais de classe industrielle? J'abondais dans le même sens; à qualité égale, on devait payer le même prix pour le lait.

Je me rappelle très bien ces assemblées - j'ai participé à quelques-unes d'elles - où ça brassait le poing en-dessous du menton, et même qu'il y a eu des coups de pied au derrière. On peut se le dire entre nous. Certains trouvaient cela farfelu, et aujourd'hui, on est à quelques jours, quelques années ou quelques mois de ce principe si cher à la majorité.

Je lance la question à tous. J'aimerais que vous nous fassiez état des négociations actuelles et que vous nous parliez d'«un lait, un prix.» J'aimerais également que vous nous disiez si, à l'heure actuelle, les producteurs laitiers canadiens sont capables de rivaliser avec les producteurs laitiers de la CEE ou, encore, avec nos voisins du Sud.

M. Rivard: Quant à la première partie de votre question, vous avez raison, monsieur Chrétien. On a enclenché un processus, il y a plusieurs années, et notre industrie, comme d'autres secteurs, est en évolution.

L'exemple du transport du lait que vous donniez est vrai. Tant qu'on ne fait pas une mise en marché ordonnée, cela s'implante de façon disparate. Le transport est un bel exemple de ceci.

Il y a quelques années, les producteurs au Québec se sont assis et ont rationalisé les opérations. C'est une opération qui est maintenant terminée.

Au cours des deux dernières années, on a réduit le coût moyen du transport au Québec à 1,70$ alors qu'il était, à ce moment-là, de 1,84$, ce qui représente une réduction de 0,14$. Cela représente 5 millions de dollars d'économie. Donc, la compétitivité s'en est trouvée accrue. Les coûts aux consommateurs ont augmenté moins rapidement à cause de scénarios comme celui-là.

Beaucoup d'autres leviers ont été rendus possibles à la même occasion. On a fait de l'approvisionnement aux usines une priorité. Le consommateur ne consomme pas de la même façon 365 jours par année. Durant la période d'été, par exemple, on consomme moins certains produits. Donc, on s'est dotés de mécanismes un peu comme celui qu'on a ici, au niveau canadien, mais on est allés un peu plus loin. Au Canada, on est une étape plus loin.

Il y a un autre élément. En termes de compétitivité, notre secteur de l'industrie a subi des bouleversements assez importants.

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Au Québec, en 1967, on était au-delà de 70 000 producteurs laitiers. Actuellement, il n'y en a plus qu'environ 11 000 à 11 200. Il y a un transfert, un renouvellement de la profession. Avec le même volume de lait produit, bon an, mal an, environ 7 p. 100 des producteurs quittent la profession. La restructuration se fait depuis plusieurs années et la tendance se poursuit bon an, mal an.

En ce qui a trait à l'échéancier prévu, et c'est un élément important et intéressant au niveau de l'entente sur les classes spéciales, ces dispositions du projet de loi C-86 seront opérationnelles à compter du 1er août. Ces dispositions s'appliqueront uniquement aux classes qui sont à risque avec l'avènement du GATT et l'ouverture des marchés.

John et moi avons mentionné que six provinces allaient un peu plus loin dans cette recherche d'une équité entre les producteurs laitiers canadiens, c'est-à-dire un pooling pour tout le lait. À ce jour, six provinces ont adhéré à ce pool. On est dans la phase d'implantation des mécanismes. Une province, à l'autre bout du Canada, n'a pas encore donné son assentiment, mais elle devrait le faire aujourd'hui, je crois, selon le délai qu'elle nous avait demandé pour prendre une position officielle. Les choses augurent bien à ce niveau-là. Si cette province adhère à l'entente, j'espère que nous aurons, dans ce marché commun, au-delà de 90 p. 100 du lait canadien.

Il est intéressant de constater qu'à ce jour, jamais le lait de consommation, le lait que l'on boit, n'avait été lié à des ententes nationales. Maintenant, on dépasse les frontières provinciales, alors que ce lait-là était de juridiction provinciale dans l'ensemble des provinces au Canada.

Quant à l'échéancier, il avait été entendu qu'à compter du 1er août 1995, on allait prendre une photo de l'état de la production laitière ou de la consommation dans chacune de nos provinces et que, dès la première année, c'est-à-dire durant l'année 1995-1996, toute variation des marchés, tant à la hausse qu'à la baisse, serait partagée par l'ensemble des producteurs des provinces qui participeraient à cette entente-là. De plus, on a convenu qu'il y aurait, à compter du 1er août 1996, un mécanisme de compensation pour certains écarts qui existaient entre nos provinces. Par exemple, pour le Québec, les producteurs devront verser aux autres producteurs 14 millions de dollars en guise de compensation, tel que prévu dans l'entente. Éventuellement, ils vont partager leurs revenus. Dès le 1er août 1996, les revenus devront être partagés globalement. C'est-à-dire qu'un producteur, qu'il soit au Manitoba, à Halifax, au Québec ou en Ontario, recevra le même prix pour l'ensemble de ses livraisons de lait.

M. Doyle: Merci beaucoup, monsieur Chrétien, pour l'appui que vous avez exprimé au nom de votre parti en ce qui a trait au projet de loi. Je vais parler de la question de la compétitivité que vous avez soulevée, à savoir si le Canada ou les producteurs laitiers sont compétitifs face à d'autres.

À l'heure actuelle, si on compare le prix que les producteurs canadiens reçoivent et celui que reçoivent les producteurs d'autres pays, on voit que le Canada est très compétitif avec l'Europe et la plupart des pays de l'hémisphère nord. Essayez de vous imaginer une carte et supposez qu'on ait à compétitionner sur une base horizontale. Dans l'hémisphère nord, on est très compétitifs.

Malheureusement, la plupart des discussions, lorsqu'on parle de globalisation, portent sur la compétition Nord-Sud. Le Canada, sur une base Nord-Sud, n'est pas compétitif. On ne l'est pas avec les États-Unis à l'heure actuelle.

On pourra vous remettre un document que, malheureusement, je n'ai pas apporté. Il s'agit d'une étude sur la façon dont le Canada se présentait face à 15 autres pays quant au coût de ses aliments, y compris le coût des produits laitiers. Cette étude portait sur le temps que le consommateur devait travailler afin de payer son panier de provisions alimentaires. Parmi les 15 capitales de pays comparées dans l'étude, Ottawa était, du point de vue du consommateur, celle où il fallait travailler le moins longtemps. Elle était la plus basse des 15. Par contre, si on tenait compte du taux de change, on se retrouvait en septième ou huitième place.

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Donc, quand on parle de compétitivité, les gens ont tendance à convertir simplement le prix et rien d'autre. C'est cela, le problème. On est compétitifs en Europe, mais on n'a pas d'accès aux marchés européens. L'Europe est très protégée et n'est pas elle-même compétitive, même si elle est une très grande exportatrice de produits laitiers. Par exemple, elle n'est pas compétitive avec les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Argentine, etc. Nous ne sommes pas les seuls.

Lorsqu'on parle de globalisation commerciale, on veut dire: «Bon, tout le monde va ouvrir». Quand les Européens, qui forment le plus grand marché au monde, vont ouvrir leurs marchés, les prix augmenteront probablement parce qu'il y a une question de capacité de production dans l'hémisphère sud.

Si le Canada est le seul à ouvrir le marché dans l'ensemble de l'hémisphère sud, on subira ce qui se passe aux États-Unis. Aux États-Unis, les producteurs quittent le Nord pour aller vers le Sud du pays et les transformateurs achètent d'autres manufactures dans les états de l'Ouest ou du Sud. C'est cela qui se passe aux États-Unis, sans parler de la compétition à l'intérieur même d'un pays.

Donc, vous devez être réalistes quand vous demandez aux producteurs - on parle d'environ 25$ de différence à l'heure actuelle - qui reçoivent de moins en moins de subventions au niveau canadien de compétitionner avec un producteur américain qui en reçoit de plus en plus. C'est facile de parler des programmes verts dans le GATT. Qui a défini ce qu'était un programme vert? Ce sont les États-Unis et l'Europe. On n'a pas eu grand-chose à dire à cet égard. Ils ont protégé leurs programmes et ils reçoivent trois fois et demie plus que nous par litre de lait, pas par volume. Au volume, ils sont dix fois plus gros que nous. Cela a été prouvé.

Il faut faire attention de ne pas se lancer dans un libre-échange avec les Américains en pensant qu'on va miraculeusement devenir compétitifs et qu'on pourra tout simplement réduire le prix de 25$. Cela ne se fera pas.

La réalité est que, pour les six prochaines années, on a des tarifs pour essayer d'atteindre une certaine équité dans l'ensemble des pays. Ce ne sont pas les États-Unis et le Canada qui vont déterminer le genre de coupures qu'on aura dans six ans. Personnellement, je crois que ce sera l'Europe.

Les Européens ont clairement dit qu'ils n'avaient pas l'intention de discuter à l'heure actuelle. On a vu aux discussions des quatre ministres du Commerce international que les Européens n'avaient aucunement l'intention de parler des ententes zéro pour zéro, non plus que le Japon.

Les Européens sont en train de faire de l'expansion vers les pays nordiques. Ces pays-là ont des prix de 70$ l'hectolitre et plus. Là on ne parle pas des prix américains et australiens, mais des prix européens.

Donc, il y a déjà un conflit. Si l'Europe resoud ce problème d'ici cinq ans, lors des prochaines négociations au GATT, les réductions des tarifs seront encore échelonnées sur une base de 15 à 20 p. 100 sur les cinq prochaines années qui suivront. Donc, les tarifs ne disparaîtront pas dans cinq ans.

Je pense que l'industrie est prête à faire face au défi, comme en font foi les ententes des derniers mois et le projet de loi C-86.

Par contre, il ne faudrait pas mettre les producteurs canadiens dans des situations de compétitivité un peu injustes face aux pays avec lesquels on est compétitifs et auxquels on n'a pas accès, pour aller compétitionner avec ceux où on l'est moins. Si l'on veut parler de globalisation, globalisons, mais ne globalisons pas strictement sur une base nord-américaine.

[Traduction]

M. Core: J'ai un bref commentaire à faire pour ajouter à ce que Claude et Richard ont dit.

Comme je l'ai souligné dans ma déclaration liminaire à ce sujet, en tant que producteurs laitiers, nous sommes prêts à faire face à la compétition au fur et à mesure que les tarifs sont réduits. Nous demandons cependant au gouvernement du Canada de s'assurer que ces réductions tarifaires sont lentes et graduelles. Cela nous donne l'occasion de nous adapter, mais cela permet également au gouvernement d'amener au même niveau les subventions des autres pays. Voilà l'élément clé.

.0950

Si l'on réduit rapidement et de façon expéditive ces tarifs, nous nous retrouverons tout simplement face à un concurrent qui jouit d'un avantage abusif en ce qui a trait aux subventions et aux programmes gouvernementaux.

Permettez-moi de vous donner quelques exemples très simples de ce qui se passe aux États-Unis. Par le biais du système mis en place par le gouvernement fédéral, l'eau sans laquelle l'industrie laitière du Sud des États-Unis n'existerait pas est subventionnée. Il y a, dans les régions rurales du Sud des États-Unis, des comtés où l'on fait grâce des taxes locales et où l'on accorde d'autres subventions aux producteurs laitiers pour les encourager à s'établir dans ces régions. Voilà un exemple.

Les programmes d'alimentation des nouveaux-nés et les banques alimentaires des États-Unis permettent de subventionner de façon indirecte les producteurs laitiers et tous les exploitants agricoles américains. Il va falloir envisager une réduction de ce genre de programmes lorsqu'on parlera des subventions au cours de la prochaine ronde des négociations du GATT.

Si le gouvernement canadien soulève ce genre de questions à la table des négociations et que l'on en reconnaisse le bien-fondé, et si, d'autre part, nous insistons pour que les autres pays acceptent de faire ce genre de réductions, alors, au fur et à mesure que les tarifs baisseront, nous deviendrons compétitifs car mes voisins et moi nous trouverons en concurrence, non avec le gouvernement américain, mais avec le producteur laitier américain. C'est fondamentalement ce à quoi doit aboutir ce processus.

En tant que producteurs laitiers, nous relèverons le défi mais encore une fois, il s'agit d'être en mesure de relever le défi dans le cadre du système.

Les accords commerciaux servent à gérer le commerce. Ils n'ont rien à voir avec le libre-échange. Ils servent à gérer le commerce en vertu de certaines règles spécifiques et nous nous attendons à ce que ces règles soient appliquées de façon équitable à tous. Nous nous plierons à toute condition qui pourra découler à l'avenir de ces accords commerciaux, mais nous avons besoin des outils nécessaires pour être en mesure de le faire.

Le vice-président (M. Assad): Merci.

En vous écoutant tous les trois, messieurs, j'ai noté que, d'après vous, la réduction des tarifs doit absolument se faire lentement et graduellement si nous voulons relever les défis auxquels nous faisons face. M. Doyle a souligné le risque de ne pas procéder ainsi. Nous savons que les Américains ont d'autres moyens. Je ne savais pas qu'ils subventionnaient l'eau. Je ne suis pas surpris. Ils ont plus d'un tour dans leur sac.

Quoi qu'il en soit,

[Français]

le gros bon sens dont vous avez fait preuve dans vos explications nous démontre que le gouvernement canadien dans le passé, avec le libre-échange, n'y est pas allé lentement et graduellement. C'est pour cette raison qu'on se ramasse aujourd'hui avec un pays en voie d'être dénué de ses industries. J'espère que cela n'arrivera pas dans l'industrie laitière. On a vu, surtout en Ontario, des industries dévastées par cet accord.

Avant que je n'accorde la parole à M. Collins, j'aimerais demander à M. Chrétien de nous donner le nom de son beau-père et de nous dire dans quel secteur du Québec il a oeuvré.

M. Chrétien: Gustave Thibault, dans le rang 4, à Halifax-Sud, qu'on appelait Saint-Ferdinand d'Halifax.

Le vice-président (M. Assad): Est-il à la retraite?

M. Chrétien: Oui. Dans le temps, on ne vendait que le lait écrémé. Il ne vendait que la graine. Dans presque chaque village, vous vous en souviendrez, il y avait ce qu'on appelait la beurrerie parce que les moyens de transport n'étaient pas ceux qu'on connaît aujourd'hui. Souvent, la crème laissait à désirer, ainsi que le beurre et le fromage. Il faut dire également que, durant la guerre 1939-1945, le Canada a fourni du fromage en très grande quantité aux soldats alliés. Je ne sais pas si vous avez vu les grosses choses rondes avec lesquelles on faisait les meules de fromage. Chaque petite fromagerie s'appelait communément la beurrerie ou encore la fabrique du village. Il n'y avait pas un village qui n'avait pas sa fabrique.

Le vice-président (M. Assad): On en avait une, nous aussi.

M. Chrétien: Cela doit vous rappeler des souvenirs.

[Traduction]

M. Collins (Souris - Moose Mountain): Tout d'abord, je tiens à vous dire à tous les trois que, de tous ceux que j'ai entendus au cours des 18 mois que j'ai passés ici, c'est vous qui arrivez en tête de liste pour l'exposé le plus concis, le plus complet, le plus exact et le plus pertinent.

Le vice-président (M. Assad): Bravo.

M. Collins: Je vous félicite car bien des gens qui comparaissent devant le comité se lancent soit dans une diatribe soit dans une manoeuvre politique pour se faufiler dans le système. Je ne dis pas cela parce que vous êtes d'accord avec le plan que nous examinons mais parce que vous nous avez donné une stratégie à suivre.

Je suis sûr que mon collègue, le secrétaire parlementaire, a discrètement joué un rôle important là-dedans, lorsqu'il a travaillé avec vous, ainsi d'ailleurs que le ministre de l'Agriculture, et qu'il a réussi.

Je tiens à être très bref car je sais que mes collègues aimeraient vous parler.

.0955

Je tiens à dire que j'espère que ce processus continuera. Si le gouvernement doit intervenir, il faut partir du principe que c'est pour collaborer avec vous, et non pas agir contre vous. Nous comprenons ce qui vous préoccupe. Je peux vous assurer que le ministre de l'Agriculture et nous tous prenons très au sérieux les défis posés par les autres pays. Comme l'a dit votre collègue de l'Ontario, vous êtes prêts à faire face à la concurrence si vous êtes avec elle sur un pied d'égalité, mais ne faisons pas intervenir des facteurs externes.

Bref, merci d'avoir été aussi concis. J'espère que nous continuerons à répondre aux défis que vous nous signalerez. Pour moi, il est très important que vous nous teniez au courant des problèmes que vous voyez se dessiner mais qui, pour nous, peuvent ne pas être évidents. Mais je crois que l'on peut vous assurer sans réserve - et je suis heureux d'entendre M. Chrétien et les autres le dire - que nous prenons tous très au sérieux votre point de vue et que nous continuerons de travailler pour vous.

Merci.

M. Easter (Malpeque): Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Pour être franc, je ne suis pas toujours aussi ravi de voir des producteurs de l'Ontario et du Québec, car je ne veux pas que l'on oublie la petite Île-du-Prince-Édouard.

Une voix: C'est vous qui dites qu'elle est petite, pas nous.

M. Easter: Oui, c'est vrai.

Quoi qu'il en soit, nous prendrons volontiers n'importe quand les dollars que vous dépenserez en tant que touristes.

Des voix: Oh, oh!

M. Easter: Soyons sérieux. En vertu des lois de mise en vigueur des États-Unis - et ce sont essentiellement les points soulevés par John Core que je poursuis ici - le président doit faire rapport, dans les six mois suivant l'entrée en vigueur des dispositions du GATT, sur la façon dont nous nous acquittons de nos obligations concernant les industries visées par la gestion de l'offre, et c'est une échéance qui approche à grands pas. Je crois que nous pouvons nous attendre à ce que les États-Unis fassent une analyse assez poussée du Canada et qu'ils examinent tout ce qui se fait dans ce pays dans les moindres détails.

Certains d'entre nous ont essayé d'énoncer notre législation de mise en vigueur dans les mêmes termes et nous n'avons pas réussi à manier comme il faut la langue utilisée par l'OMC. Je me demande si vous auriez des recommandations à proposer sur ce que nous devrions faire en tant que gouvernement afin de relever le défi que vont nous poser les Américains, nous le savons fort bien, et peut-être de contre-attaquer.

Le président a mentionné qu'il n'était pas au courant que l'eau était subventionnée. Certains d'entre nous le savaient. Mais il y a toutes sortes de choses de ce genre, par exemple, les travaux d'entretien du Mississipi et le tout à l'avenant. Avons-nous des arguments à opposer aux Américains au cours de cette prochaine bagarre? Cela ne sert à rien de dire qu'il n'y en aura pas; on va bel et bien se bagarrer. Avez-vous des recommandations à faire là-dessus?

M. Core: La première est qu'il va nous falloir relever le défi lancé par les Américains dans le cadre d'un panel de l'ALENA s'ils procèdent comme ils ont l'intention de le faire, d'après ce que nous savons. C'est la première chose. Je pense que le Canada ne doit faire aucune concession en ce qui concerne son interprétation des dispositions de l'ALENA. Selon moi, c'est la chose la plus importante.

Nous estimons que nous avons des arguments légaux solides sur ce point. Le Canada a négocié ces droits en notre nom dans le cadre de l'ALENA, et ces droits nous ont été conférés en vertu du GATT. Je pense, monsieur Easter, que c'est la première chose sur laquelle le gouvernement du Canada doit clairement prendre position, comme c'est d'ailleurs son intention, à ce que je sache. C'est dans cette direction qu'il faut aller.

En ce qui concerne toute la question des subventions aux États-Unis, étant donné qu'au cours de cette première ronde de négociations du GATT, seule une réduction minime des subventions est requise, il va falloir que nous contrôlions la situation de façon continue. Mais ce qui me préoccupe davantage personnellement, c'est de s'assurer qu'au cours de la prochaine ronde, on intègre au programme de réductions les subventions indirectes.

Il faudra que le Canada défende fermement ce point de vue lorsque nous participerons à la prochaine ronde de négociations de l'OMC. Il faudra que la réduction des subventions se fasse sur une base beaucoup plus large que ne l'ont concocté les Américains et les Européens. Voilà ce que j'avais à dire là-dessus.

.1000

M. Easter: Sur ce point, John, est-ce que l'on analyse d'assez près les mesures prises par les Américains? Avant de remettre en question tel ou tel de leurs programmes, il faut savoir en quoi ils consistent. Fait-on ce genre d'étude? Sinon, il faudrait le faire.

M. Doyle: Nous en avons fait une étude il y a environ deux ans et je crois qu'il y en a une autre qui a été effectuée il y a trois ans. Il y en a eu deux très détaillées. Nous en avons nous-mêmes fait une qui portait précisément sur l'industrie laitière, il y a environ trois ans.

M. Easter: Oui, celle-là, je la connais.

M. Doyle: Il y en a eu une autre un an plus tard effectuée au nom du ministère. Elle était plus générale car elle couvrait tout le secteur de l'agriculture.

Je crois que ce qu'il faut faire, soit en collaboration avec d'autres producteurs de denrées alimentaires, soit en nous associant au gouvernement, c'est de s'assurer que nous avons le mécanisme nécessaire pour tenir ces études à jour. Nous suivons tous de très près le débat sur le projet de loi américain portant sur l'agriculture et nous nous intéressons à la façon dont les États-Unis vont traiter la question, comme, je n'en doute pas, ils s'intéressent à ce que nous faisons pour nous adapter aux dispositions du GATT.

Je suis d'accord avec vous. Je pense qu'il faut tenir ces études à jour.

Le vice-président (M. Assad): Je veux simplement informer mes collègues que cette sonnerie nous avertit qu'il y aura un vote dans une demi-heure. Il nous reste une bonne vingtaine de minutes.

M. Vanclief: C'est juste la sonnerie qui rappelle les députés en Chambre, monsieur le président. On n'a pas encore sonné pour le vote. On va le faire d'un moment à l'autre.

Le vice-président (M. Assad): Oh, excusez-moi

M. Easter: Monsieur Core, j'ai trouvé très important ce que vous avez dit sur la mise en commun de tout le lait produit. Comme vous le savez fort bien, je me préoccupe toujours de la base. Mais lorsque vous avez dit que cela nous permet de maintenir notre revenu brut potentiel, j'ai trouvé cela important. Je suis tout à fait en faveur du projet de loi C-86 et je comprends pourquoi nous devons procéder de cette façon, mais en même temps, mettons les cartes sur la table.

Cela fait quelque temps que nous jouons à ce jeu. Nous étions là au temps des redevances. En réalité, ce sont des produits d'exportation que nous avons vendus, particulièrement sur le marché américain, sans que cela soit vraiment lié au coût de production. Au sud, ils s'en sortent.

Est-ce que les prix du lait destiné à l'exportation ont un rapport quelconque avec le coût de production? Si je soulève cette question, c'est parce que je m'inquiète de l'importance que l'on accorde constamment aux produits d'exportation sans se préoccuper de ce que cela signifie pour le producteur agricole de base. Donc, y a-t-il un rapport avec le coût de production?

Je ne le pense pas mais alors, deuxièmement, comment peut-on faire pour empêcher l'industrie de transformation canadienne d'utiliser cette manoeuvre pour faire baisser les prix au Canada?

M. Core: Bonne question.

Tout d'abord, je tiens à dire que je suis d'accord avec vous, monsieur Easter; il n'y a aucun rapport entre les prix qui s'appliquent à cette catégorie spéciale et les coûts de production. Les prix de la catégorie spéciale seront fixés. L'on se fondera en grande partie sur le prix du lait industriel américain.

En tant que producteurs, nous nous déclarons prêts à pratiquer des prix équivalents à ceux du lait industriel américain pour ce qui est des produits dont la vente est plus risquée à cause des États-Unis. Certains de ces prix seront établis par contrat sur les marchés mondiaux dans le cadre de ces programmes, et il n'y a donc pas de rapport.

L'élément clé c'est que pour les autres 95 p. 100 restants de nos ventes, c'est-à-dire les ventes de lait de consommation et de lait industriel au Canada, le prix est fondé sur les coûts de production, et c'est très important. Nous sommes prêts à prendre des risques en ce qui concerne ces 5 p. 100, mais pour ce qui est des 95 p. 100 restants de notre production totale, nous nous attendons à ce qu'on pratique des prix équitables à l'échelle nationale.

Nos producteurs sont prêts à faire face à la concurrence en ce qui a trait à la production par bête, à la production par personne, à la taille des exploitations agricoles et ce genre de choses. Nous reconnaissons que ce genre de concurrence existe toujours, mais nous nous attendons à recevoir un juste prix pour les produits vendus sur le marché national, comme le permet le système actuel.

Toutefois, nous sommes prêts à relever le défi en ce qui concerne ces 5 p. 100. Pour que les choses soient bien claires, lorsque je dis 5 p. 100, cela corrrespond à 10 p. 100 de notre lait industriel. Donc, nous nous attendons à ce que tous les intéressés continuent de collaborer afin que nous obtenions un prix juste pour 95 p. 100 de notre production totale.

M. Easter: Merci.

Le vice-président (M. Assad): Quelqu'un voudrait-il faire des commentaires?

[Français]

M. Landry (Lotbinière): Il me fait plaisir d'être avec vous ce matin. J'aimerais poser deux petites questions.

.1005

Au moment où on se parle, le consommateur paie 1,06$ le litre de lait. J'aimerais savoir combien d'argent va au producteur, au transporteur, au transformateur, à l'épicier, etc. Peut-on me donner des chiffres?

M. Rivard: Sur le lait par consommation, vous avez raison. Au Québec, le prix du litre de lait est environ 1,06$ pour le consommateur. Le producteur reçoit 0,56$. Je vous fais grâce des décimales. Avec ces 0,56$, les producteurs doivent assumer des coûts de transport qui sont d'environ 0,18 $ le litre. Le reste est partagé entre les transformateurs et les détaillants.

Quant au lait de transformation, je me réfère à une étude d'il y a un an et demi, qui disait qu'à ce moment-là, dans le lait de transformation, c'est-à-dire dans les fromages, le beurre, la crème glacée et le yogourt, pour chaque dollar que le consommateur dépensait en produits laitiers, le producteur recevait environ 0,33$. Le reste était partagé par l'ensemble du réseau de distribution et de transformation.

Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Landry: Plus tôt, on disait qu'à l'avenir, les marchés seraient Nord-Sud.

Comment fera-t-on pour concurrencer les Américains si, ce matin, on dit très clairement qu'il sera impossible de compétitionner avec eux? On parle de la mondialisation des marchés et je pense que cela crée une certaine inquiétude au niveau des producteurs laitiers du Québec et du Canada.

M. Doyle: M. Core a expliqué certains points sur la globalisation. La plupart des gens font l'erreur de regarder le prix américain actuel et de se dire: «Nous sommes là et eux sont là; donc, c'est là qu'on s'en va.» Ce n'est pas comme cela que les choses vont fonctionner.

M. Core disait que le prix américain était censé augmenter. Si vous retirez l'appui que le gouvernement américain donne à ses producteurs à l'heure actuelle, le prix ne restera pas au niveau d'aujourd'hui. Si vous ouvrez l'Europe comme marché, le prix mondial va augmenter. Le prix européen va baisser aussi.

N'essayez pas d'ouvrir notre marché plus vite que les autres. La globalisation se fait globalement. Faites-le tout le monde ensemble. C'est sur cela qu'on essaie de faire le point. À ce moment-là, on sera capables de compétitionner parce que les prix mondiaux devraient augmenter. Si vous nous mettez tous sur une même base, les producteurs diront: «On va relever le défi; on est capables de le faire.» Donc, on s'attend à ce que le prix mondial ne reste pas au niveau actuel.

M. Landry: J'aimerais vous dire que ma circonscription de Lotbinière, au Québec, compte le plus gros producteur laitier du Canada, M. Jean-Marie Landry, le seul à avoir des camions réfrigérés pour transporter son lait.

Le vice-président (M. Assad): Il fait de l'argent avec le transport, pas avec le lait.

Compte tenu des chiffres que vous avez donnés, monsieur Rivard, il n'y a pas de doute que les Américains ont trouvé d'autres façons de subventionner cette industrie-là, par les taxes sur l'eau, etc.

A-t-on des études qui traitent des profits que réalisent les transformateurs et les détaillants? Une étude avait été faite par l'un de nos anciens collègues, M. Ferguson, laquelle avait démontré que les détaillants canadiens avaient une plus grande marge de profit que les détaillants américains. Est-ce vrai?

M. Doyle: La compétitivité et les lois sur la confidentialité font qu'il est très difficile de connaître exactement les marges de profit des détaillants. On connaît le prix au détail et le prix du producteur parce que ce dernier est transparent, annoncé et réglementé. Entre cela, on n'a aucune idée de ce que se partagent le transformateur et le détaillant, de ce que le transformateur paie le détaillant pour exposer ses produits, etc.

Il est très difficile de connaître comment le partage se fait entre le 0,56$ et le 1,07$.

.1010

Dans l'ensemble du Canada, il y a quatre ou cinq grands détaillants, des supermarchés, qui couvrent plus de 80 p. 100 du marché des aliments. Il y a une très grande concentration, ce qui leur donne un pouvoir d'achat énorme et qui fait que les achats de tablettes sont beaucoup plus chers parce qu'il y a beaucoup trop de compétitivité.

J'ouvre peut-être une parenthèse, mais toute l'idée du système de gestion et du mécanisme de prix qui a été établi est relié à la compétitivité. Vous avez quatre détaillants, 250 transformateurs, 26 000 producteurs, mais il n'y a pas 56 000 vendeurs de tracteurs. Donc, cela fait une pyramide, et celui qui paye est toujours le plus gros.

Vous passez les risques du consommateur au détaillant. Les détaillants, parce qu'ils sont très concentrés, les repassent aux transformateurs en les obligeant à concurrencer, et les transformateurs les repassent aux producteurs en les obligeant à concurrencer. Ils n'ont pas le choix. De toute façon, dans les produits comme le lait, ce n'est pas comme si on l'entreposait cinq ou six jours, mais le producteur n'avait plus personne à qui passer le risque. Il n'achète pas de tracteur, point final.

Le système de gestion fait qu'il dit: «Pour vous, les 26 000 ou les 50 000 producteurs, on va établir un prix minimum de façon à ce que vous ayez une certaine marge de négociation dans tout ce processus compétitif du transfert de lait.» C'est cela, le système de gestion. On a une discipline, mais c'est cela.

Ce que vous demandez se relie à tout cela. La concentration du détail au Canada est beaucoup plus grande qu'aux États-Unis. C'est à peu près le seul fait qu'on connaisse à part ce qu'il y a dans les études qui ont été faites par M. Ferguson, il y a quelques années; il essayait d'identifier la portion qui allait aux transformateurs et celle qui allait aux détaillants.

Le vice-président (M. Assad): Ce fut un travail très intéressant, et je trouve qu'on devrait avoir plus de recherche dans ce domaine. Il faudrait que ce soit beaucoup plus transparent qu'auparavant. Cela pourrait nous éclairer.

Comme mes collègues n'ont plus de questions, j'en aurai une dernière.

[Traduction]

Monsieur Core, vous avez dit qu'il faut faire une distinction entre le libre-échange et la gestion du commerce. Pourriez-vous prendre quelques minutes pour nous dire en quoi consiste cette distinction? À mon avis, c'est un point très important que nous avons laissé de côté dans nos discussions. Bien entendu, tout le monde est partisan du libre-échange, c'est un principe incontestable, mais le libre-échange et la gestion du commerce sont deux choses tout à fait différentes.

M. Core: Depuis que nous avons signé l'ALENA et le GATT, je suis vraiment préoccupé par le fait que les Canadiens se font vraiment une fausse idée des véritables engagements pris par le Canada et par les autres pays.

On a donné l'impression - je ne sais pas qui en est responsable, mais elle existe - que tout d'un coup, il n'y avait plus de frontières entre les pays du monde, notamment entre le Canada et les États-Unis. La réalité était tout autre. Ce que les négociations ont permis de faire, c'est d'établir de nouvelles règles de commerce, étant donné que depuis de nombreuses années, le commerce avait suivi certaines règles.

Le vice-président (M. Assad): Et qui a établi ces règles?

M. Core: Ces règles ont été négociées par toutes les autorités représentant les pays du monde. Les États-Unis étaient présents à la table; tous les pays du monde étaient présents à la table.

Ensuite, je crois que les représentants de bien des pays sont rentrés chez eux et ont fait naître des attentes parmi leur population. Je sais que c'est le cas de l'industrie laitière américaine. Les gens qui font partie de cette industrie pensent que leur pays a négocié l'ouverture des frontières avec le Canada. C'est là-dessus que se fondent les défis qu'ils lancent dans le cadre de l'ALENA.

En réalité, ce n'est pas ce qui s'est passé. L'on a négocié un accord qui établissait de nouvelles règles. Cet accord fixait des tarifs douaniers, ainsi qu'une série de règles permettant de les réduire graduellement. On a institué des règles précises sur la réduction des subventions.

Tout le problème est là. Les gens doivent reconnaître qu'il y a maintenant des règles et que nous nous attendons à ce que les gouvernements les suivent. Si c'est le cas, cela nous donnera à tous le temps de nous adapter aux changements qui définissent l'orientation à long terme que nous allons suivre avec les autres pays.

Il faut aussi reconnaître que si ces règles ne sont pas respectées par certains pays, le système qui a été institué ne fonctionnera pas. Cela aboutira à avantager les pays qui choisissent d'ignorer les règles.

.1015

Nous devons tous reconnaître, lorsque nous signons ces accords commerciaux, qu'il convient d'en contrôler l'application et d'assurer un suivi. Tout le monde doit bien comprendre qu'il faut planifier et gérer cette opération. Les choses n'arrivent pas comme par magie lorsqu'on signe un accord commercial. Je crois qu'il est extrêmement important que tout le monde le comprenne; sinon, les attentes sont trop grandes et on se berce d'illusions au lieu d'affronter la réalité des barrières commerciales.

Le vice-président (M. Assad): Messieurs, je vous remercie de cet exposé particulièrement intéressant. Je suis sûr que nous aurons l'occasion à l'avenir de rediscuter d'un certain nombre de ces questions.

.1016

PAUSE

.1021

Le vice-président (M. Assad): Bonjour, messieurs, je vous souhaite la bienvenue devant le comité. Représentant l'Office canadien de commercialisation des poulets....

Bien évidemment, mes collègues ont hâte d'entendre ce que vous avez à dire sur la question. Je crois que M. Sandercock est votre président.

M. Lloyd Sandercock (président, Office canadien de commercialisation du poulet): Bonjour, monsieur le président.

Le vice-président (M. Assad): Voulez-vous nous présenter vos collègues?

M. Sandercock: Avec plaisir.

Je suis Lloyd Sandercock et je viens de la Saskatchewan. Je suis un producteur de céréales et je possède ma propre entreprise familiale de production d'engrais agricoles. Nous élevons des poulets. Voilà en ce qui me concerne.

Ed Benjamins est le vice-président de notre organisme. C'est un producteur de poulet et un agriculteur de l'Ontario qui produit des cultures commerciales. Marcel Michaud, de Fredericton au Nouveau Brunswick, est un producteur de volaille.

Nous avons avec nous aujourd'hui un invité spécial. Il s'agit de John Morrison. John habite la Louisiane; il est directeur général de la National Contract Poultry Growers Association aux États-Unis. À la suite de mon exposé, il vous présentera brièvement l'industrie de la volaille aux États-Unis. Son intervention pourrait vous apprendre que le système canadien est finalement bien meilleur.

Enfin, il ne faudrait pas oublier Cynthia Currie, la gérante générale particulièrement compétente qui travaille dans nos bureaux, ici, à Ottawa. Voilà, les présentations sont faites, monsieur le président.

Le vice-président (M. Assad): Monsieur Morrison, je vous souhaite la bienvenue. Ce n'est évidemment pas la première fois que vous séjournez dans la capitale nationale, n'est-ce pas?

M. John Morrison (directeur général, National Contract Poultry Growers Association (États-Unis)): Non, ce n'est pas la première fois.

Le vice-président (M. Assad): Soyez le bienvenu.

M. Morrison: Je vous remercie.

Le vice-président (M. Assad): Nous devons voter dans une trentaine de minutes, mais je crois.... Combien de temps va durer votre exposé?

M. Sandercock: Le mien, une quinzaine de minutes, et nous pouvons donc commencer.

Le vice-président (M. Assad): Allez-y.

M. Sandercock: Je vous remercie à nouveau de nous avoir donné l'occasion de vous rencontrer. Nous sommes des producteurs de poulet et nos fermes produisent entre 190 000 kilogrammes environ par an jusqu'à un maximum de 1,2 million de kilogrammes environ. Comme vous pouvez le voir, nous représentons à peu près tout l'éventail de l'industrie du poulet.

Aujourdui, j'aimerais atteindre quatre objectifs: d'abord, vous faire connaître rapidement l'Office; en deuxième lieu, vous présenter une image claire de l'industrie canadienne de la production de poulet dans son état actuel; troisièmement, vous présenter une mise à jour sur les progrès qui ont marqué notre système national; enfin, nous aimerions faire valoir notre opinion sur le commerce international, particulièrement sur les questions bilatérales.

L'Office canadien de commercialisation des poulets est un office national dirigé par les producteurs, qui fut créé en 1978 conformément à la Loi sur les offices de produits agricoles, et qui a été investi par le gouvernement fédéral et les provinces du pouvoir de régir la production de poulet au Canada. Les raisons qui ont justifié la création de l'Office sont simples. Nous voulions assurer l'avenir d'une industrie forte de production de poulet au Canada, rétablir la stabilité des prix et de la production, maintenir l'indépendance de nos entreprises agricoles familiales, et obtenir des revenus raisonnables compte tenu des efforts déployés et des investissements consentis.

.1025

Aujourd'hui, neuf provinces sont signataires de l'accord fédéral-provincial. L'automne dernier, les producteurs de poulet de la Colombie-Britannique votaient majoritairement pour devenir membres de l'Office. Nous prévoyons que la chose se concrétisera sous peu. Entre temps, un producteur de la C.-B. siège au conseil mais sans droit de vote.

Le rôle premier de l'OCCP est de veiller à ce que la production canadienne de poulet réponde à la demande nationale. Mais en plus d'établir la production, l'Office surveille la conformité provinciale; administre un système de pénalité en cas de surproduction; octroie des licences à ceux qui se livrent au commerce interprovincial ou à l'exportation de poulets vivants; exploite, dans le cadre du programme de licence supplémentaire d'importation du gouvernement fédéral, un service de recherche de produits dans le but d'obtenir un produit canadien au nom des transformateurs et transformateurs ultérieurs lorsque des pénuries se produisent sur le marché; fait la promotion de la consommation de poulet au Canada; procède à des analyses de marché et recueille des données pertinentes; communique avec les producteurs, les intervenants de l'industrie et d'autres groupes intéressés et ce, de multiples façons; enfin, ce qui est peut-être encore plus important, l'OCCP représente les 2 700 producteurs canadiens de poulet pour toutes les questions de politique nationale et internationale.

L'Office a un conseil d'administration formé de 11 membres. Neuf sont des producteurs nommés chaque année par les offices provinciaux et deux administrateurs, qui représentent le secteur de la transformation, sont nommés par le gouvernement fédéral.

L'OCCP est entièrement financé par une redevance administrative que versent les producteurs - je tiens à souligner qu'il est entièrement financé par les producteurs - en fonction de la quantité de poulet mise en marché. En 1994, les revenus de l'Office étaient d'environ 3,7 millions de dollars.

J'espère que ce bref aperçu vous a donné une bonne idée de ce que fait l'Office. Je passerai maintenant à la deuxième partie de notre exposé et je demanderais à Ed Benjamins, notre premier vice-président, de prendre la suite.

M. Ed Benjamins (premier vice-président, Office canadien de commercialisation du poulet): Merci, Lloyd.

L'industrie canadienne de la production de poulet est des plus dynamique et connaît un succès retentissant. Notre avenir est plein de défis et de nombreuses occasions s'offrent à nous. Pour illustrer ce qui précède, j'aimerais rapidement décrire ce qui se passe dans notre secteur. En 1994, la valeur de notre industrie s'élevait à un peu plus d'un million de dollars à la ferme, soit près de 1,6 milliard de dollars de ventes en gros et 2,6 milliards de dollars de ventes au détail. Ces chiffres ont plus que doublé depuis 1979. L'industrie du poulet, comme vous le remarquez, est en pleine croissance.

De nos jours, il y a environ 2 700 producteurs de poulet répartis dans les dix provinces. Les dix dernières années, le nombre de producteurs s'est accru de près de 22 p. 100. Durant cette même période, le nombre global de fermes canadiennes a chuté de 13 p. 100.

La production canadienne totale de poulet est passée de 400 millions de kilogrammes en 1979 à plus de 685 millions de kilogrammes en 1994, soit une augmentation de 74 p. 100. Nous produisons plus de poulets pour deux raisons. La population canadienne a augmenté d'environ 22 p. 100 et, de plus, la consommation per capita s'est accrue de façon importante. En 1978, chaque Canadien consommait 15,6 kilos de poulets. L'an dernier, cette quantité passait à 25,1 kilos. Il s'agit là d'une hausse de 61 p. 100.

Par comparaison, durant cette période, la consommation de viande, à l'exclusion du poulet, a chuté de 14 p. 100. La demande de viande rouge, boeuf, veau et porc, a chuté ou s'est stabilisée alors que celle du poulet a monté en flèche. Le poulet est une viande de choix pour de nombreux Canadiens. Les commerçants ont réagi en introduisant des centaines de nouveaux produits à la fois pour les services alimentaires et les marchés du détail. Toutefois, les autres viandes sont aussi en lice pour se partager les dollars du consommateur. En tant que producteurs, nous ne sommes pas sans savoir que la concurrence sera forte.

Nous savons aussi que les transformateurs jouent un rôle clé dans notre succès à l'avenir. C'est pourquoi nous travaillons en collaboration avec eux. Le secteur de la transformation de notre industrie est en constante évolution. Rationalisation et concentration sont les deux tendances actuelles. Le nombre de transformateurs primaires a baissé dans presque toutes les provinces.

L'importance de ces entreprises est aussi un facteur crucial pour l'avenir de notre industrie, surtout si nous prenons un moment pour comparer notre industrie à celle des États-Unis. Chaque semaine, les transformateurs américains produisent environ 208 millions de kilogrammes de poulet.

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L'entreprise de transformation la plus importante, la Tyson Foods, produit 40 millions de kilogrammes. Tyson produit en moins de deux jours ce que l'ensemble du Canada produit et transforme en une semaine. Cette différence d'échelle, et les écarts dans les coûts de main-d'oeuvre, exercent de fortes pressions sur les transformateurs canadiens, qui doivent s'adapter à un contexte plus concurrentiel.

Les producteurs aussi répondent aux pressions reliées au coût et au défi de la concurrence. Cela signifie de meilleurs prix pour les consommateurs. L'IPC pour le poulet a chuté depuis le dernier trimestre de 1993 et pour le mois le plus récent, soit mars 1995, il a diminué de 6 p. 100. Vous conviendrez qu'il y a d'excellentes occasions de croissance.

Toutefois, comme producteurs, nous savons depuis un certain temps que pour profiter des occasions, nous devons apporter des changements à notre façon de commercer. C'est pourquoi l'an dernier notre office et les offices provinciaux ont amorcé une vaste restructuration du système national d'allocation. Le système que nous mettons en place est orienté vers le marché et est fort dynamique. Lorsque celui-ci sera pleinement fonctionnel, il permettra à notre industrie d'amorcer le nouveau siècle sur une bonne note.

Avant de parler de notre nouveau système, nous aimerions profiter de cette occasion pour remercier le ministre de l'Agriculture et de l'Agro-alimentaire et son secrétaire parlementaire de l'appui accordé dans le cadre de ce travail.

Maintenant, parlons un peu des principales caractéristiques de notre nouvelle entente nationale sur l'allocation et les prix. Pour chaque période de production - soit environ six fois l'an - les producteurs et les transformateurs de chaque province se rencontreront pour négocier le volume de poulet devant être produit, ainsi qu'un prix acceptable pour les producteurs. Nous avons établi un plafond de croissance de 8 p. 100. Cependant, ce montant peut être révisé si le marché peut justifier une demande plus importante. Nous avons élaboré un système d'application pour nous assurer qu'une province sera pénalisée si elle surproduit.

Étant donné que le nouveau système est totalement différent de l'ancien, il n'est pas surprenant qu'il ait fallu du temps pour le finaliser et le mettre en place. Durant cette période de transition, les stocks en entrepôt ont malheureusement grimpé et les prix aux producteurs et aux transformateurs ont chuté. Cependant, des progrès sont faits présentement, comme ils l'ont toujours été, pour contrebalancer le marché et réinstaurer la stabilité et la rentabilité au sein de l'industrie. Nous avons besoin de l'appui du gouvernement et de ce comité pour terminer notre travail.

Je vais aborder les questions bilatérales avant de demander à John Morrison, notre collègue américain, de vous parler de l'industrie du poulet aux États-Unis.

Notre industrie est en train de s'adapter à un nouvel ensemble de règles commerciales internationales, l'OMC, l'ALENA et la possibilité de nouveaux blocs commerciaux au palier régional. L'OCCP a collaboré avec le gouvernement fédéral pour s'assurer que le nouveau tarif touchant le poulet et les produits du poulet offrira une protection équivalente aux restrictions quantitatives de l'article XI que nous avons respecté pendant 15 ans. Les tarifs canadiens pour les importations au-delà du niveau d'accès minimum sont présentement de 280 p. 100 et seront sujets à une réduction de 15 p. 100 au cours des six prochaines années.

Vous n'ignorez pas que l'accès minimum aux importations de poulet a été établi à 7,5 p. 100, soit à environ 52 millions de kilogrammes pour 1995. Ces contingents à l'importation sont actuellement détenus par une variété de transformateurs canadiens et de transformateurs ultérieurs, distributeurs, détaillants et courtiers. Les producteurs de poulet n'ont pas de contingent à l'importation.

L'OCCP et les divers intervenants de l'industrie travaillent maintenant en collaboration avec le gouvernement fédéral pour établir un nouveau règlement régissant la distribution et l'administration de ce contingent suite au GATT. Notre objectif premier est d'assurer que l'administration des contingents à l'importation appuie efficacement notre système de commercialisation ordonné.

Par exemple, c'est pourquoi nous avons appuyé l'allocation de la portion de l'ALE aux transformateurs ultérieurs qui fabriquent des produits qui livrent directement concurrence aux importations de produits américains qui ne sont pas contrôlés comme les repas congelés, (les pâtés de poulet, etc.). Le système qui est en place en 1995 et les changements qui sont actuellement à l'étude pour les années à venir rehausseront leur accès et assureront l'aspect concurrentiel des secteurs de la transformation et de la transformation ultérieure.

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Avant d'aller plus loin, j'aimerais prendre quelques instants pour expliquer comment nous sommes arrivés à 7,5 p. 100 pour le niveau d'accès minimum et ce que cela signifie en termes d'importations réelles.

Lorsque le Canada a appliqué le programme de gestion des approvisionnements pour le poulet en 1978, il a participé à des négociations avec les États-Unis et a convenu de fixer les contingents globaux d'importation à un niveau qui, à l'époque, reflétait un pourcentage de la production intérieure qui n'était pas établi comme un volume fixe. Ce critère garantissait que les importations augmenteraient en fonction de notre croissance.

À l'origine, le contingent d'importation de poulet représentait 6,3 p. 100 de la production, soit environ 22 millions de kilogrammes. Entre 1980 et 1988, les importations sont passées à 32 millions de kilogrammes.

En 1989, à la suite de l'Accord de libre-échange canado-américain, le Canada a augmenté la possibilité d'accès à son marché, la portant à 7,5 p. 100, et les importations sont passées de 39 millions de kilogrammes en 1989 à 52 millions de kilogrammes en 1995. Il s'agit d'une hausse de 140 p. 100 par rapport au niveau de 1980, soit une quantité très généreuse.

Toutefois, ce niveau d'accès ne répond pas aux attentes des Américains. Comme vous le savez, le 2 février, ils amorçaient des consultations conformément au chapitre 20 de l'ALENA en soutenant que la conversion en tarif par le Canada des restrictions frontalières prévues à l'article XI du GATT pour le poulet et autres produits sujets à la gestion des approvisionnements n'était pas conforme aux conditions de l'ALENA.

Le gouvernement canadien a répondu clairement et fermement qu'il était autorisé, selon l'ALENA, à appliquer les tarifs de l'OMC à toute forme de commerce avec les États-Unis. Notre gouvernement est convaincu que sa cause repose sur des assises juridiques solides. Notre office appuie sans équivoque cette conclusion et la position du Canada.

Qui plus est, vous devez savoir que le premier ministre, le ministre de l'Agriculture et le ministre du Commerce international, ainsi que les autorités ministérielles, ont choisi de prendre l'initiative en consultation avec les producteurs. Les producteurs de poulet du Canada apprécient les discussions franches et ouvertes qu'ils ont eues et qu'ils auront sur cette question des plus importantes.

Il est clair que l'industrie américaine du poulet et ceux qui l'appuient au Congrès et dans l'administration veulent que le marché canadien du poulet soit entièrement libéralisé. Ils veulent obtenir la plus grande partie possible de notre marché de 2,6 milliards de dollars et semblent disposés à prendre toutes les mesures possibles pour y arriver.

En tant que producteurs, nous reconnaissons les risques inhérents au processus de règlement des différends de l'ALENA. Les Américains pourraient faire appel devant une commission et nous savons qu'il est impossible de prévoir les résultats d'une telle commission. Cependant, la position du Canada en droit est solide. Nous devrions connaître le succès, même devant une commission.

Ce litige, qui pourrait durer jusqu'en 1996, est malheureux et nous fait perdre beaucoup de temps. En dépit de ce qui précède, les producteurs en sortiront vainqueurs, comme ce fut le cas dans le passé.

Avant de conclure et de demander à John d'exposer la situation de l'industrie américaine du poulet, j'aimerais insister sur les cinq points suivants:

Un, l'industrie avicole est une partie dynamique du secteur agroalimentaire canadien.

Deux, notre système de commercialisation ordonné qui se veut souple et sensible au marché a le potentiel voulu pour répondre aux besoins des producteurs ainsi qu'aux besoins de l'ensemble de l'industrie.

Trois, l'appui du gouvernement est essentiel si nous voulons maintenir une industrie avicole viable au Canada.

Quatre, nous comptons sur les représentants élus au gouvernement fédéral et au gouvernement des provinces pour garder en vigueur les lois et les règlements qui s'imposent. Cela est essentiel au maintien de notre système de commercialisation ordonné.

Cinq, il faut enfin que le gouvernement continue à s'assurer que les ententes sur le commerce international, une fois convenues, seront pleinement respectées et administrées dans les meilleurs intérêts de l'industrie canadienne.

Je vous remercie, monsieur le président. Je suis maintenant tout disposé à répondre à vos questions après le bref exposé de John Morrison.

M. Morrison: Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui pour vous faire part du point de vue des producteurs de l'industrie américaine de la volaille.

La National Contract Poultry Growers Association que je représente a été constituée en association en 1992 dans l'État de l'Arkansas en tant que coopérative agricole. Les producteurs avicoles, qu'ils produisent des dindes, du poulet ou des oeufs sous contrat, ont jugé nécessaire de se regrouper en raison des nombreuses pratiques commerciales trompeuses et déloyales qui ont lieu dans notre industrie et du contrôle absolu qu'exercent sur celle-ci de grosses entreprises à intégration verticale.

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Laissez-moi vous décrire la véritable situation qui règne dans notre système de production. Ces entreprises intégrées fournissent des animaux, des aliments et des médicaments aux producteurs de volaille, qui se chargent de fournir les locaux, la main-d'oeuvre et les services nécessaires à l'élevage de la volaille.

Grâce au contrôle qu'ils exercent, ces transformateurs ou ces entreprises ont de nombreuses possibilités de manipuler les revenus des producteurs, comme le montre le fait qu'ils bénéficient constamment d'un rendement élevé alors que les producteurs arrivent à peine à gagner leur vie.

Leur rendement de 20 p. 100 sur le capital investi se compare au rendement de 3 p. 100 qu'obtiennent les producteurs, lorsque tout va bien. Les producteurs ne touchent qu'un simple revenu de subsistance alors même qu'ils ont peut-être investi entre un quart et un demi million de dollars dans leur ferme.

La baisse de revenus subie par les producteurs au cours des dernières années peut être attribuée à différents facteurs. Je n'en nommerai que quelques-uns. Il y a l'offre de contrats à très court terme, à prendre ou à laisser; les demandes arbitraires présentées par les entreprises afin de faire modifier l'équipement de nos fermes avicoles ou de changer nos méthodes d'exploitation en augmentant nos coûts; enfin, le manque d'uniformité de la qualité des poulets et des aliments fournis par les entreprises, qui ont eux aussi des incidences directes sur les revenus des producteurs. Surtout, il y a la quantité considérable de fraude que l'on constate lors de l'enregistrement des produits livrés aux usines de transformation et même lors du pesage. Ces pratiques sont attestées par le nombre constant de poursuites intentées par les producteurs dans l'ensemble du pays.

L'intégration de la production, qui a isolé les producteurs sous contrat et a favorisé les manipulations ainsi que les abus à leur détriment nous a incités à nous organiser en coopérative pour essayer de remédier non seulement aux injustices sociales qui se produisent, mais aussi aux inégalités économiques à l'intérieur de notre système.

Notre organisation oeuvre dans un certain nombre de domaines différents pour contribuer à réduire les coûts de production des éleveurs, à augmenter leurs revenus et à remédier à un certain nombre des injustices sociales qui se produisent. Nous nous efforçons de surmonter nombre de ces problèmes en procédant par la voie législative, au niveau national et à celui des États.

Même si notre investissement dans l'industrie est parfois de 50 p. 100, nous ne sommes pas des partenaires à part égale et nous n'avons pas notre mot à dire au sujet de nos contrats de production. Nous espérons que la loi, surtout en ce moment où l'on débat du projet de loi agricole aux États-Unis, nous permettra de donner aux producteurs le pouvoir de négocier leurs contrats de production.

On dépeint généralement l'industrie de la volaille aux États-Unis sous des dehors resplendissants, mais je tiens à vous signaler aujourd'hui que la médaille a son revers. J'espère que vous tiendrez compte de cette information lorsque vous débattrez de l'avenir de votre secteur agricole au Canada.

Je vous remercie de m'avoir entendu.

Le vice-président (M. Assad): Merci, monsieur Morrison.

Nos collègues sont nombreux à vouloir poser des questions. Je demanderais à M. Calder de prendre la parole pour commencer.

M. Calder (Wellington - Grey - Dufferin - Simcoe): Merci, monsieur le président. Je me contenterai de poser deux questions, parce que je me rends compte que nous n'avons pas beaucoup de temps.

Au cours de l'année qui vient de s'écouler, de nombreux bouleversements et de multiples reclassements ont eu lieu dans l'industrie du poulet au Canada. Nous avons vu l'Ontario essayer de trouver quel était le plafond de la consommation dans cette province. Nous avons vu évoluer toute la question des quotas provinciaux. Je me demande ce qu'en pensent Ed et Lloyd.

.1045

John, vous venez là de soulever un point très intéressant. Vous pourriez peut-être nous commenter la chose, vous ou Cynthia, notamment ce que fait notre adversaire mutuel à Little Rock, en Arkansas, qui a un ami très haut placé aux États-Unis à l'heure actuelle - je le vois en coulisses tirer en ce moment les ficelles de M. Cantor - surtout compte tenu du fait que l'on va évidemment contester la régulation de l'offre au titre de l'ALÉNA. Vous pourriez peut-être tous deux faire un commentaire à ce sujet.

M. Benjamins: Sur le premier point, Murray, vous dites que nous nous démenons pour essayer de trouver le plafond de la production de poulet au Canada. Je crois pouvoir dire en toute connaissance de cause que nous avons atteint le plafond.

M. Calder: Nous l'avons trouvé.

M. Benjamins: Nous l'avons trouvé, c'est certain. Nous avons testé le marché, nous l'avons poussé au maximum et, effectivement, nous avons trouvé un niveau de résistance. Il en a résulté certaines difficultés pour les producteurs et pour les transformateurs. Je dirais que c'est probablement le consommateur qui en a été le bénéficiaire, mais nous avons trouvé le seuil au-delà duquel nous ne pouvons plus en fait commercialiser des poulets à des prix acceptables pour maintenir la rentabilité de l'industrie.

Cela dit, il est juste d'ajouter qu'un certain nombre de rencontres ont eu lieu au niveau national ces dernières semaines, surtout la semaine dernière, et que la situation continue à évoluer. Elle change comme vous pouvez le voir, en s'accélérant parfois, et je dois dire que, la semaine dernière, on se serait cru aux 500 milles d'Indianapolis. Avant ça, nous en étions loin.

Les choses évoluent et, à mesure que nous avançons, je crois que nous nous approchons de plus en plus d'un accord. Je crois que nous en sommes d'ailleurs arrivés la semaine dernière à un bon niveau d'entente. Cela ne va pas se traduire immédiatement par une augmentation des prix pour les producteurs, mais on se retrouvera avec une entente à long terme qui permettra aux producteurs de travailler ensemble. Je considère que c'est pour nous une situation positive.

M. Calder: Il reste la question de M. Cantor et de ce qui va se passer dans le cadre de l'ALÉNA.

Mme Cynthia Currie (gérante générale, Office canadien de commercialisation du poulet): Permettez-moi de faire quelques observations au sujet de la partie canadienne, je laisserai la partie américaine à John. Vous savez que notre niveau d'accès est de 7,5 p. 100, ce qui est plus que généreux en l'état actuel des choses.

Les tarifs canadiens s'appliquant au poulet sont tout à fait conformes aux règles du GATT et de l'OMC. Nous sommes convaincus que le gouvernement canadien appuyera notre position et que, si la question passe devant une commission, le Canada réitérera la position qu'il a toujours défendue jusqu'à présent.

Les Américains nous contestent systématiquement, ce n'est pas nouveau. Étant donné que nous avons remplacé l'article XI par un régime d'imposition de tarifs, nous sommes convaincus que, comme je vous l'ai dit, le Canada continuera à appuyer cette position et que nous aurons gain de cause devant la commission.

M. Morrison: Au sujet de l'observation que vous avez faite concernant l'influence qui s'exerce aux plus hauts niveaux dans ces secteurs commerciaux, notamment en ce qui a trait au poulet, je dirais que cette influence est bien là et qu'elle est très forte. D'autres indices, comme le départ récent de notre secrétaire de l'Agriculture, nous montrent aussi à mon avis toute l'influence qu'exercent les grands conglomérats aux États-Unis.

Au nom des producteurs des États-Unis, je tiens à vous dire que nous ne cherchons pas à prendre votre marché. En tant que producteurs, nous voulons aussi veiller à nos propres intérêts et le fait de prendre votre marché ne nous procure aucun avantage. Cette initiative est celle du secteur agro-alimentaire qui veut prendre le contrôle, je cite «d'un grand nombre d'industries de la volaille dans le monde entier».

M. Calder: Très bien. Je vous remercie, John.

.1050

[Français]

M. Chrétien: Merci, monsieur le président, de m'autoriser à intervenir immédiatement parce que j'ai un discours à faire sur le projet de loi C-92 immédiatement après le vote.

Messieurs, merci d'être venus. La production avicole est contingentée au Canada et c'est heureux pour les producteurs, les transformateurs et les consommateurs. J'ai trois questions. J'en avais une quatrième, mais vous venez de répondre à mes interrogations en ce qui a trait au 2 février et aux États-Unis qui contestent une fois de plus notre façon de faire.

Avant de poser ma première question, je voudrais vous faire un aveu. Hier, pour la première fois de ma vie, j'ai mangé rapidement dans mon bureau et c'est ma fille qui est allée chercher la bouffe à la cafétéria de l'Édifice du Centre. J'ai mangé ce qui ressemble à un hamburger, mais il y avait du poulet à l'intérieur. C'était la première fois que je goûtais à cela et je dois vous avouer que c'était excellent.

C'est probablement une des raisons pour lesquelles vous augmentez constamment votre part du marché alors que la part des viandes rouges chute constamment. Il faut dire aussi que vous êtes très agressifs dans la publicité que vous faites presque quotidiennement à la télévision et dans les journaux.

Ma première question porte sur le secteur de la transformation, où je vois un danger. Dans votre présentation, vous avez dit que dans trois provinces, il n'y avait maintenant qu'un seul acheteur important de poulets vivants, que dans trois autres provinces, on n'en comptait que deux et qu'au Québec et en Ontario, on n'en retrouvait plus que trois.

Pourriez-vous prendre une minute ou deux pour me dire quels sont les dangers que courent les producteurs avicoles du fait qu'on se retrouve avec une poignée de transformateurs importants?

M. Marcel Michaud (deuxième vice-président, Office canadien de commercialisation du poulet): Je suis un producteur du Nouveau-Brunswick et je n'ai qu'un seul abattoir. Vraiment, je ne vois pas pourquoi notre abattoir déciderait de fermer ses portes tant qu'on pourra le rendre compétitif avec les autres. Je ne vois pas le danger, pour une province, de n'avoir qu'un seul abattoir si cet abattoir est compétitif avec ceux du reste du pays.

M. Chrétien: Cela ne crée-t-il pas une situation de monopole si les dirigeants de cet abattoir prétendent ne pas pouvoir payer plus cher lorsque vient la négociation des prix?

M. Michaud: Cela met certainement de la pression sur les prix.

M. Chrétien: Je le crois. Ma deuxième question a trait au tableau 3 sur le pourcentage de croissance de la production, par province, entre 1979 et 1994.

Je dois vous avouer que je suis amèrement déçu de voir que ma province, le Québec, est la province qui a le moins bien performé quant à sa part du marché. Pourquoi la croissance du Québec n'a-t-elle été que de 59 p. 100 alors qu'on pourrait facilement fixer la moyenne du pays à 75 p. 100 ou 80 p. 100?

Y a-t-il un représentant du Québec parmi les cinq?

Mme Currie: Malheureusement non.

M. Chrétien: Quelqu'un pourrait-il m'expliquer cela?

.1055

[Traduction]

M. Sandercock: Si vous regardez le tableau 4, vous verrez que la part du Québec représente encore environ 29 p. 100 du marché canadien et sa production se situait, l'année dernière autour de 200 millions de kilogrammes.

Ce tableau me paraît un peu trompeur en ce sens que la production augmente effectivement au Québec. Le Québec a une industrie viable et qui maintient sa part du marché canadien.

[Français]

Mme Currie: Je peux répondre à la question, monsieur Chrétien.

Que veulent vraiment dire les pourcentages? Les producteurs produisent des kilogrammes de poulet. Pour le Québec, le marché est peut-être resté plus ou moins ce qu'il était ces dernières années, mais en termes de kilogrammes produits par les producteurs de poulet du Canada, la production a beaucoup augmenté.

De 1979 jusqu'à maintenant, la production exacte a été 200 millions de kilogrammes. C'est toute une différence. Je crois qu'il faut regarder les chiffres, les volumes, et non les pourcentages.

M. Chrétien: J'ai bien écouté votre réponse. Je vais relire les tableaux. Cependant, je dois vous avouer que cela ne me satisfait pas tellement.

Il y a 18 mois, il y a eu une guerre du poulet entre le Québec et l'Ontario. Cette guerre semble maintenant réglée. Pourriez-vous nous faire un bref historique de cette guerre et de la façon dont elle s'est réglée?

[Traduction]

M. Benjamins: Parler de guerre est peut-être exagéré. Le mot suscite pour moi des images de camps armés, de mitraillettes, de prises d'otages, de tirs, des actes violents. Je pense que rien...

[Français]

M. Chrétien: C'est ce qu'on titrait dans les journaux.

[Traduction]

M. Benjamins: Il n'y a rien eu de tout cela, que je sache. Mais il est certain qu'il y a eu une résistance face aux mesures qui nous paraissent nécessaires pour faire face aux nouvelles conditions du marché. Certains intervenants clés, au nombre desquels le Québec, ont certainement opposé une résistance.

Cela dit, l'Ontario et le Québec sont les deux plus importants acteurs dans l'industrie, du point de vue du volume de production, et je crois que nous sommes maintenant d'accord pour dire qu'il vaut mieux négocier. Il reste à voir si nous pourrons conclure une entente, mais nous sommes prêts à entamer des discussions pour essayer de définir ensemble notre avenir.

C'est tout ce que je peux vous dire. Nous sommes prêts à discuter, et le Québec aussi; il faudra attendre de voir si nous arrivons à une entente. J'espère que nous trouverons la structure et le climat qui permettront une résolution du problème.

[Français]

M. Chrétien: En terminant, je tiens à dire, pour que ce soit inscrit dans le compte rendu, ma vive déception de voir qu'il n'y a aucun représentant du Québec avec l'Office canadien de commercialisation des poulets ce matin.

Vous pourriez peut-être transmettre ma déception aux producteurs québécois. Il aurait été important d'avoir la version d'un Québécois.

Mme Currie: On est tous d'accord, monsieur Chrétien. On avait invité un représentant de la province de Québec, mais malheureusement, il n'était pas disponible.

M. Chrétien: Est-ce un monsieur qui demeure entre Saint-Hyacinthe et Drummondville?

Mme Currie: Non, c'est M. Turcotte. Il demeure à l'île d'Orléans.

M. Chrétien: Je vous remercie beaucoup. Vous allez m'excuser, mais je dois quitter immédiatement.

Mme Currie: Merci.

Le vice-président (M. Assad): Monsieur Easter, n'aviez-vous pas une question?

[Traduction]

M. Easter: Je vous remercie, monsieur le président; messieurs, soyez les bienvenus. Ma question est un peu difficile à formuler. Nous apprécions votre exposé et les remerciements que vous adressez au ministre, au secrétaire parlementaire et même au gouvernement pour leur excellente coopération. Du point de vue politique, c'est certainement vrai.

.1100

La semaine dernière, ce comité a entendu un SMA à propos de notes de service internes du ministère qui, comme producteur et comme élu, m'ont donné le sentiment qu'il y avait au sein d'Agriculture et Agroalimentaire Canada des gens qui ne sont pas exactement des tenants de la gestion de l'offre, quelle que soit la position du gouvernement en la matière. Autrement dit, ils donnent certains types de conseils, et le ministère profite peut-être de la pression externe du GATT pour forcer un changement au Canada, changement qui est dans l'intérêt de l'industrie agroalimentaire ou des consommateurs, mais qui se fait certainement au détriment des producteurs.

En tant que membre de ce comité et député du gouvernement, je vous dirai que, si ces gens sont des employés du ministère, ils n'ont qu'à se mettre à l'ouvrage pour défendre les intérêts des producteurs agricoles, sinon je demande, pour ma part, qu'on s'en débarrasse.

En ma qualité de leader dans le secteur agricole, je sais que, quand on venait à Ottawa pour des réunions, si on n'était pas de leur avis, on trouvait porte close. Soit vous acceptiez leurs conditions, ou alors la porte vous était fermée et vous étiez exclus.

J'aimerais avoir votre avis là-dessus. Pensez-vous que, dans l'administration publique ce que je dis... vous avez l'appui des élus, mais avez-vous des difficultés avec les fonctionnaires du point de vue de l'appui à la gestion de l'offre ou non? Si la question est injuste, dites-le et j'en poserai une autre.

M. Sandercock: Non, monsieur Easter, ce n'est pas une question injuste. Mais je n'ai pas eu connaissance de l'incident que vous mentionnez.

J'ai sous les yeux une lettre que m'a adressée M. Vanclief à propos d'une lettre parue récemment dans The Western Producer qui nous a inquiétés et où on disait que certains fonctionnaires ne nous appuient peut-être pas.

Permettez-moi de vous dire, ainsi qu'à votre comité, que le maintien du système a toujours présenté, pour les producteurs canadiens, une tâche difficile. Nous sommes toujours très conscients du fait qu'il peut y avoir dans l'administration des gens qui ne partagent pas notre point de vue, et le vôtre, de toute évidence, quant au système. Je ne veux pas faire d'hypothèse sur ce que d'autres peuvent dire. Nous faisons tout notre possible pour protéger les producteurs canadiens et nous exhortons tous les députés à nous appuyer.

M. Easter: Permettez-moi de préciser que je n'ai rien contre les différences d'opinion, mais le gouvernement appuie fortement le principe de la gestion de l'offre et je m'attends donc à ce que le ministère en fasse autant.

M. Benjamins: Je partage l'avis de Lloyd même si j'hésiterais quelque peu à vous donner une réponse franche et honnête ici, Wayne.

M. Easter: Merci Ed. C'est révélateur, car je sais combien la position des leaders agricoles est délicate dans leurs tractations avec les gouvernements.

Deuxième et dernière question, monsieur le président. C'est en fait une double question. Je l'ai déjà posée aux producteurs laitiers que nous avons entendus plus tôt. Nous devons faire face à des contestations de la part de l'administration américaine, pas nécessairement des producteurs américains. Etes-vous satisfaits de l'action du gouvernement canadien sur le plan stratégique?

Les Américains ont précisé dans leur texte de loi que, dans les six mois suivant la mise en place de l'OMC, le président doit recevoir un rapport sur les progrès qu'a réalisés le Canada quant au respect de ses obligations en vertu du GATT. J'en conclus qu'ils préparent leur arsenal pour monter encore une fois à l'assaut du système canadien de gestion des approvisionnements. Pour notre part, faisons-nous tout ce qu'il faut pour monter un dossier sur ce qui se passe aux Etats-Unis, pour préparer notre stratégie?

Deuxièmement, je voulais simplement dire à M. Morrison que j'ai passé pas mal de temps aux Etats-Unis au cours des 15 dernières années. Je suis tout à fait de son avis sur un certain nombre de points qu'il a mentionnés - la puissance dominatrice, l'industrie agroalimentaire qui a dans une certaine mesure, dans certains secteurs, presque transformé les agriculteurs américains en esclaves sur leur propre terre, et ce n'est pas ce que nous recherchons.

.1105

Vous êtes certainement disposés à travailler avec les producteurs américains pour vous aider à obtenir des programmes comme ceux que nous avons ici et qui sont, selon moi, respectent davantage les producteurs. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai posé la question à propos du ministère tout à l'heure, car je pense qu'on a le sentiment que le système règlera tout cela. De nos jours, efficience et compétitivité sont les mots d'ordre et on perd tout sens de la réalité quant à ce vers quoi cela pourrait nous entraîner, c'est-à-dire à un système, comme le vôtre, ce à quoi je m'oppose.

Y a-t-il quelque chose que vous souhaiteriez, sur le plan de la préparation stratégique, ou un commentaire que vous pourriez ajouter à propos du système américain?

M. Benjamins: La question, Wayne, est de savoir si le gouvernement canadien en fait assez sur le plan stratégique? En quelques mots, je ne le crois pas. Je vais essayer de préciser ma pensée.

Vous avez dépeint ce que nous réserve l'avenir et vous avez soulevé des questions sur ce qui pourrait se passer dans le prochain cycle de négociations du GATT, notamment. Je partage un certain nombre de vos inquiétudes et de vos incertitudes. Stratégiquement, je ne suis pas sûr que le gouvernement canadien ait les réponses, et je ne suis même pas sûr qu'il essaie de les trouver.

En ce qui concerne les accords commerciaux, j'ai une opinion assez bien arrêtée sur ce qui se passe. Le commerce, c'est avant tout une question de pouvoir. Il ne s'agit pas de libre-échange, de marchés mondiaux, de belles promesses, de mieux payer les pauvres agriculteurs du Tiers monde et tout le reste. Il ne s'agit de rien de tout cela.

Il nous appartient peut-être, en tant que producteurs, de veiller à ce que votre gouvernement comprenne notre point de vue et, sur ce plan-là, nous pouvons peut-être faire mieux. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, je crois.

Nous essayons de faire comprendre que nous avons des idées sur la question et nous serions enchantés d'en faire part au gouvernement. Je partage vos inquiétudes quant aux risques de domination des producteurs par les grandes sociétés et ce qui se cache derrière tout cela. C'est certainement pour cela que nous sommes ici.

Ce que nous recherchons, c'est l'appui du gouvernement. Ce n'est que mon avis personnel, mais je ne crois pas que le prochain cycle de négociations du GATT aboutisse à une plus grande ouverture des marchés, à une réduction des tarifs et tout le reste. Je ne le crois pas.

Ce que j'aimerais dire au gouvernement canadien et aux négociateurs commerciaux, c'est de ne pas essayer de nous faire croire des choses qui ne se réaliseront pas. J'espère que ce commentaire vous sera utile pour atteindre vos objectifs.

Je crois que comme moi, tous mes collègues de l'OCCP seront ravis de venir n'importe quand rencontrer n'importe qui pour faire connaître notre point de vue. Je ne sais quel contexte serait le plus approprié, Wayne.

M. Easter: Très bien, merci.

M. Sandercock: Monsieur le président, permettez-moi de faire remarquer également que, depuis l'abolition de l'article XI, nous sommes régis par un système tarifaire, comme vous le savez. Dans le cas du poulet, le tarif est de 280 p. 100.

Nous nous concentrons toujours sur notre rôle qui, pour l'OCCP, est de représenter les producteurs. Mais je voudrais faire remarquer que ce tarif de 280 p. 100 est aussi en place pour protéger les transformateurs canadiens. Le programme de conception canadienne de réglementation de la commercialisation représente pour le Canada un chiffre d'affaires d'environ 2,6 milliards de dollars et quelque 100 000 emplois dans notre secteur.

Les producteurs canadiens ne sont pas les seuls à tirer profit du tarif de 280 p. 100, qui va diminuer de 15 p. 100 au cours des six prochaines années; les autres intervenants dans le secteur en profitent tout autant. Nous sommes tous logés à la même enseigne.

Merci.

M. Benjamins: John voudrait peut-être répondre.

M. Morrison: Oui, j'aimerais dire une chose à propos de la structure du système qui se met en place dans un certain nombre de secteurs de la production des denrées aux États-Unis.

Si nous prenons l'industrie du poulet, nous constatons que le système de production à intégration verticale avec ses producteurs sous contrat cause de très nombreux problèmes. Je dirais qu'actuellement 25 p. 100 du porc produit aux États-Unis s'inscrit dans le même système et, d'ici cinq à dix ans, les producteurs de porc seront dans la même situation que les aviculteurs.

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Dans le cas des producteurs laitiers à contrat dans le Wisconsin, actuellement, les transformateurs de lait amènent leurs vaches à la ferme, ils apportent le fourrage et ils paient l'agriculteur en fonction du nombre de livres de lait produit. C'est le même système, la même rengaine et, à long terme, les mêmes problèmes.

Le problème ne se posent pas seulement pour la viande. C'est sur la question de la production agricole dans son ensemble que nous devons nous pencher. Il ne faut pas oublier que le producteur contribue à la production alimentaire au même titre que les transformateurs de l'agroalimentaire. Les deux rôles sont également importants.

Le vice-président (M. Assad): Merci beaucoup.

Monsieur Benjamins, vos observations sont fort intéressantes et je dirais, comme M. Easter, qu'il vaut mieux ne pas se lancer dans les hypothèses. Néanmoins, si les membres de ce comité, ou vous-mêmes messieurs, avez des raisons de croire que les fonctionnaires essaient de vous tromper, n'ont pas l'intention de tenir leurs promesses, ou n'ont peut-être pas à coeur les mêmes objectifs que vous, il conviendrait de le signaler à ce comité.

En tant que députés, il nous appartient de veiller à ce que les politiques du gouvernement protègent les producteurs du pays qui travaillent dans ce système depuis des années.

Si vous avez des raisons de croire qu'il y a des divergences entre le ministère et le système actuel, je recommanderais qu'elles soient dévoilées. Je ne crois pas que ce soit excessif puisque, après tout, c'est notre rôle.

M. Benjamins: J'hésite un peu à vous donner ma réponse comme ça, en public. Toutefois, je serais ravi de vous la donner en deux mots sur ce qu'il conviendrait de faire d'après moi dans les cas comme celui que Wayne a mentionnés, devant ce type de comportement ou ce type d'individu. Je vous mettrai cela par écrit dès que la réunion sera terminée.

Je parle très sérieusement. J'estime qu'il faut prendre des mesures énergiques. Si cela se passe effectivement, c'est inacceptable. Il est inacceptable, d'après moi, qu'un fonctionnaire prenne des décisions qui vont à l'encontre de la position officielle du gouvernement. Selon moi, c'est tout à fait inacceptable.

Je sais ce qu'il conviendrait de faire à cette personne, et peut-être cela servirait-il d'avertissement aux autres fonctionnaires qui agissent de cette façon. Je vous mettrai deux mots sur un bout de papier. Ils sont clairs et nets. Vous comprendrez exactement ce que je veux dire.

M. Easter: Je vais probablement être renvoyé, mais je suis d'accord avec vous. Je vous en reparlerai plus tard.

Monsieur le président, je tiens simplement à dire que je comprends l'hésitation du témoin à se prononcer publiquement sur des questions concernant le ministère. J'ai connu le même genre de situation en ma qualité de porte-parole des milieux agricoles.

Le fait est que les portes vous sont fermées. Vous ne pouvez pas représenter vos membres et c'est là une réalité pour les leaders des milieux agricoles. Il faut en tenir compte. J'ai fait ce genre de travail autrefois et je peux vous dire que les portes se sont fermées et bien fermées devant moi alors que je n'avais pourtant rien dit publiquement.

Je comprends la position du comité et j'apprécie sa présentation.

De plus, monsieur le président, il me semble que nous devrions présenter des excuses au nom de nos collègues qui ont dû aller voter. Certains d'entre nous ont pu négocier avec le bureau du whip et obtenir l'autorisation de rester.

Le vice-président (M. Assad): M. Morrison, un des attachés de recherche a dit une chose intéressante. Il me semble que, comme producteurs, nous avons bien des points communs. Bien entendu, si vous êtes venus ici c'est pour une raison bien précise, et nous sommes certainement ravis de votre visite. Serait-il envisageable que les producteurs américains comme vous, monsieur, unissent leurs efforts à ceux des producteurs canadiens et essayent de défendre votre position?

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Je sais qu'aux Etats-Unis ce sont les grandes entreprises qui régissent tout, et on essaie d'en faire autant ici contre la volonté du peuple. Cela va à l'encontre même du bon sens, mais nous y sommes tout de même confrontés.

Y a-t-il la moindre possibilité que les producteurs américains s'unissent à un office comme le nôtre, ici au Canada?

M. Morrison: Oui, monsieur. Il est intéressant que vous souleviez la question parce qu'en janvier dernier, à Atlanta, en Géorgie, un bon nombre de producteurs canadiens sont venus rencontrer d'autres éleveurs du monde entier pour former une association internationale des producteurs de viande de volaille. Il nous paraît très important de pouvoir discuter, échanger des informations et des idées.

L'OCCP joue un rôle de chef de file dans l'organisation de cette tribune internationale pour les aviculteurs, et la mise sur pied de cette organisation est déjà bien en route.

Le vice-président (M. Assad): J'en suis très heureux.

M. Sandercock: Monsieur le président, John et moi-même sommes membres du comité de direction de ce nouvel organisme que nous mettons sur pied. Votre déclaration est très encourageante.

Nous tenons effectivement à mettre en relief les aspects internationaux du secteur. Nous passons de nombreuses heures en avion à sillonner le continent nord-américain pour voir ce qui se fait ailleurs. Croyez-moi, nous ne restons pas assis chez-nous avec des oeillères.

Le vice-président (M. Assad): Nous le constatons.

M. Benjamins: J'aimerais ajouter quelques mots. Notre office s'efforce vraiment de s'informer, pas seulement au Canada, pas seulement chez le voisin, mais dans le monde entier. Cela demande beaucoup de travail, mais nous jugeons que c'est important.

La seule manière pour un producteur d'arriver à prendre des décisions éclairées et de donner de bons conseils, c'est d'avoir de bonnes informations. Pour les obtenir, il faut parler à des gens, pas seulement ici au Canada ou aux Etats-Unis, mais aussi en Europe. Nous le faisons fréquemment. J'espère que les points de vue que nous présentons reflètent aussi dans une certaine mesure les idées et les opinions de ces gens-là. Cela nous paraît très important et nous sommes heureux de pouvoir vous faire part de leurs points de vue.

Le vice-président (M. Assad): Je vous remercie.

En conclusion, madame et messieurs, je tiens à vous remercier d'être venus devant notre comité. Quant aux questions qui ont été discutées ici, nous aimerions être tenus au courant. Si nous sommes bons à quelque chose, nous devrions pouvoir convaincre le ministre que c'est inacceptable.

La séance est levée. Merci.

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