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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 24 octobre 1995

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[Traduction]

Le président: Nous allons ouvrir la séance. Je souhaite la bienvenue à tous les témoins et je vous présente mes excuses pour mon léger retard. Je viens d'un colloque de la Fédération canadienne de démographie. J'ai appris certaines choses au sujet des définitions des handicaps.

Aujourd'hui, nos témoins sont Mme Marcia Rioux, Mme Sherri Torjman et M. Mario Bolduc. D'un commun accord, nous allons d'abord donner la parole à Mme Torjman. Elle est vice-présidente du Caledon Institute.

Mme Sherri Torjman (vice-présidente, Caledon Institute of Social Policy): Merci beaucoup de m'avoir invitée à me présenter aujourd'hui devant votre comité pour échanger quelques idées avec vous.

Le Caledon Institute a effectué de nombreuses recherches sur le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et c'est ce dont je voudrais vous parler aujourd'hui, surtout en ce qui concerne ses répercussions potentielles sur les personnes handicapées. Mais auparavant, je voudrais aborder brièvement deux questions, dont l'une est le rôle du gouvernement fédéral et l'autre simplement un commentaire au sujet de la stratégie nationale.

Je travaille à l'heure actuelle pour le Caledon Institute, mais je me suis occupée des personnes handicapées...

Le président: Nous allons interrompre la séance pendant quelques minutes. On me signale que l'interprétation ne fonctionne pas.

M. McClelland (Edmonton-Sud-Ouest): Monsieur le président, pendant qu'on règle ce problème, pourrions-nous continuer en utilisant une seule langue, l'anglais? Les députés du Bloc ne sont pas ici et je pense que nous parlons tous couramment l'anglais, tout au moins pour le moment, à l'exception de M. Bolduc, qui se débrouille néanmoins très bien.

M. Mario Bolduc (présentation individuelle): Cela va très bien pour le moment, mais...

Le président: Attendons deux ou trois minutes et, si cela prend plus longtemps, nous suivrons votre suggestion, si tout le monde est d'accord.

M. McClelland: Mais, monsieur Bolduc...

M. Bolduc: Ça va pour le moment, mais quand je parlerai, vous aurez un problème.

M. McClelland: Non, c'est très bien en fait. C'est quand je m'adresserai à vous en français que nous aurons tous un problème.

Le président: Tout le monde est-il d'accord pour que nous continuions notre discussion...? Pouvons-nous procéder ainsi?

Une voix: Oui.

Le président: Si nous avons le consentement unanime des députés, des témoins et, je suppose, du public, nous allons continuer en anglais pour ne pas perdre de temps. Bien sûr, cela sera de toute façon traduit en fin de compte.

Vous avez la parole, Mme Torjman.

Mme Torjman: Merci beaucoup. Comme je vous l'ai signalé, je parlerai des implications du TCSPS en ce qui concerne plus particulièrement les personnes handicapées. Auparavant, je voudrais parler brièvement de deux questions, dont l'une porte de façon générale sur le rôle fédéral vis-à-vis de la condition des personnes handicapées, et la deuxième se limite à quelques commentaires sur la stratégie nationale.

Comme vous le savez, je travaille pour le Caledon Institute of Social Policy, mais j'ai auparavant travaillé pendant 15 ans dans le domaine des handicaps. J'ai occupé un poste de recherchiste auprès du comité parlementaire sur les invalides et les handicapés en 1981. Comme vous le savez, nous avons publié le rapport Obstacles, que la plupart d'entre vous connaissent certainement.

Je mentionne cela parce que j'aimerais que vous sachiez à quel point le fait de travailler pour ce comité parlementaire fédéral a été une expérience enrichissante. Il considérait que son rôle était de défendre les droits des personnes handicapées et de faire en sorte qu'elles soient considérées comme des êtres humains possédant des droits et comme des citoyens du Canada.

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Chacun faisait abstraction de ses a priori idéologiques et politiques. Il y avait bien sûr des discussions sur les mécanismes et les différentes initiatives possibles, mais les membres du comité étaient animés par le sentiment que, en tant que parlementaires, ils pouvaient réellement faire quelque chose pour permettre aux personnes handicapées de devenir des citoyens à part entière de notre pays. Ils considéraient que le gouvernement fédéral avait un rôle très important à jouer à cet égard pour ce qui a trait aux objectifs à atteindre, à l'exemple à donner, aux critères en matière de droits de la personne en fonction desquels est structuré l'ensemble des dépenses et à la nécessité de partager les coûts de certains programmes pour faire en sorte que l'on dispose des moyens financiers nécessaires pour fournir les services requis dans l'ensemble du pays. Ils étaient convaincus que le gouvernement fédéral et eux-mêmes avaient vraiment un rôle très important à jouer à cet égard.

Je veux aborder cette question parce que je pense que la situation financière actuelle est certainement différente. Je m'en rends compte, mais je crois sincèrement que le gouvernement fédéral continue d'avoir un rôle important à jouer pour assurer la protection des droits de la personne et pour définir les objectifs à atteindre. La nature même des mécanismes est probablement différente - et nous pourrons peut-être en parler - mais le rôle du gouvernement fédéral est essentiel dans ce domaine.

Le deuxième commentaire que je voulais faire avant de passer à la question du TCSPS concerne la stratégie nationale. Dans le cadre de celle-ci, un certain nombre de ministères fédéraux devaient prendre certaines mesures pour améliorer la situation des personnes handicapées. Ces initiatives sont importantes.

Ce qui faisait défaut dans cette stratégie nationale était une définition des objectifs à atteindre ou l'affirmation par les niveaux les plus élevés du gouvernement de leur détermination à appliquer cette stratégie nationale pour faire savoir à l'ensemble de la population canadienne ce que le gouvernement fédéral souhaitait faire pour ces citoyens de notre pays que sont les personnes handicapées. C'est actuellement réellement une lacune. Les gens souhaitent que le gouvernement énonce ses objectifs et dise quelles sont les valeurs qui l'inspirent. Il aurait fallu que les autorités les plus élevées, le bureau du premier ministre, le bureau du Conseil privé et les ministres nous disent en quoi consiste cette stratégie nationale et dans quelle mesure le gouvernement fédéral est déterminé à faire en sorte que les personnes handicapées puissent être des citoyens à part entière. Cela faisait cruellement défaut dans la stratégie telle que nous l'avons connue.

Je voudrais maintenant axer mon intervention sur le TCSPS, car c'est un secteur de la politique fédérale qui aura de très graves répercussions sur les personnes handicapées. Je crois sincèrement que l'on ne se rendait pas compte de l'ampleur des répercussions de ce projet de loi au moment où il a été présenté. On ne se rend toujours pas compte de l'effet qu'il aura sur ces citoyens de notre pays.

Je voudrais parler très brièvement de l'aide sociale, des services sociaux et de l'aide personnelle. Je vous exposerai peut-être ensuite nos préoccupations et, si vous le voulez, nous pourrons alors revenir sur certains points précis.

Les préoccupations que nous avons exprimées au sujet du TCSPS sont le fait que l'on regroupe l'aide sociale et les services sociaux avec la santé et l'éducation postsecondaire dans un seul vaste financement global. Nous pensons que deux de ces éléments - l'aide sociale et les services sociaux - passeront après les autres. Ils sont certainement peu populaires et mal connus, mais ils sont très importants pour bien des Canadiennes et des Canadiens, en particulier pour les personnes handicapées. Nous craignons que le financement accordé à ces secteurs ne soit menacé.

J'aborderai maintenant plus particulièrement l'aide sociale. Comme vous le savez, elle est attaquée actuellement dans tout le pays. Beaucoup craignent qu'elle ne redevienne un programme spécifique dont ne pourraient bénéficier que les personnes répondant à des critères déterminés en matière d'incapacité ou de situation familiale. Il faudrait par exemple être chef de famille monoparentale et avoir un enfant ne dépassant pas un certain âge.

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Le problème est que nous avons l'impression que les critères vont devenir très stricts. Nous avons déjà entendu dire que certaines provinces envisagent de cesser de reconnaître certaines personnes comme handicapées. Ce qui nous inquiète beaucoup est que, même si on dit que les personnes handicapées seront protégées en tant que «pauvres méritants», la législation actuelle n'assure absolument aucune protection, aucune. Et certaines provinces vont modifier la définition de ce qu'est une incapacité pour en rétrécir progressivement le champ d'application. Cela nous inquiète énormément.

Le problème est que l'aide sociale ne représente pas la meilleure façon de répondre aux besoins des gens en matière de sécurité du revenu. Ce qui est paradoxal, c'est que nous défendons un système d'aide sociale tout en reconnaissant qu'il y a de bien meilleures façons de répondre aux besoins des gens en matière de sécurité économique. Nous pourrons peut-être revenir là-dessus lors de la discussion.

Le fait est que ce système est le seul dont nous disposons actuellement et, dans ces conditions, nous ferons de notre mieux pour le défendre. Nous craignons que les gens ne se retrouvent sans protection, qu'il n'y ait plus de filet de sécurité dans notre pays et aucune garantie à cet égard. C'est très grave, vu la situation sur le marché du travail.

Les critères de résidence nous inquiètent également. Comme vous le savez, le TCSPS prévoit une protection. Il stipule que les provinces ne peuvent pas imposer d'exigences ou d'interdictions en matière de résidence. Elles ne peuvent pas exiger que quelqu'un vive pendant un certain temps dans une province avant d'avoir droit à l'aide sociale. Nous avons toutefois appris officieusement que certaines provinces ont l'intention de passer outre à cette disposition. Pour cela, elles diront au gouvernement fédéral qu'elles ont consacré la totalité de ses versements de transfert à la santé, à l'éducation postsecondaire et aux services sociaux et qu'il ne reste plus de crédits fédéraux à affecter à cette partie de leurs programmes; elles se sentiront alors libres de faire ce que bon leur semble. Donc, même si on nous a affirmé qu'il n'y a pas à s'inquiéter au sujet des critères de résidence, nous savons que cette disposition sera difficile à faire respecter.

En outre, dans diverses provinces, le système d'appel va disparaître, situation particulièrement inquiétante pour un programme comme l'aide sociale qui est éminemment discrétionnaire. Cela nous préoccupe vivement.

L'un des domaines dont je m'occupe est le calcul des taux de prestations d'aide sociale dans l'ensemble du pays pour le Conseil national du bien-être. On fait chaque année le bilan de la situation dans toutes les provinces. C'est un système tellement compliqué que cela prend beaucoup de temps et que j'appelle cela mon voyage annuel en enfer. Je sais néanmoins que cet enfer est bien anodin à côté de celui des gens qui n'ont rien d'autre pour vivre. Si nous perdons la procédure d'appel que fournissait le Régime d'assistance publique du Canada, je pense que les gens n'auront plus aucune protection.

Il y a un autre domaine qui touchera plus particulièrement les personnes handicapées. En vertu du Régime d'assistance publique du Canada, les provinces devaient établir ce que l'on appelait des directives concernant les exemptions sur les avoirs liquides. En d'autres termes, les gens pouvaient avoir droit à l'aide sociale même s'ils possédaient une certaine somme d'argent, une somme très limitée. Ces directives étaient toujours beaucoup plus libérales pour les personnes handicapées que pour les autres parce qu'on tenait compte du fait qu'un handicap entraîne des dépenses supplémentaires.

Nous ne savons pas ce qu'il va advenir maintenant de ces directives, parce qu'elles vont disparaître en même temps que le Régime d'assistance publique. Les provinces établiront peut-être certains critères sans augmenter le montant de cette exemption. Cela peut sembler n'être qu'un petit détail, mais c'est certainement un moyen pour les provinces de limiter le nombre de prestataires d'une façon qui se remarque difficilement.

Le secteur des services sociaux sera lui aussi durement touché lorsque tout le financement sera regroupé. Bien sûr, les gens qui ont les moyens de se payer un service d'aide ménagère ou de payer quelqu'un pour s'occuper d'eux ou de leurs enfants continueront de le faire. Mais c'est ceux qui n'ont pas des ressources financières suffisantes qui en souffriront.

Je vais vous remettre un document sur le TCSPS que nous venons juste de publier; il s'intitule «The Let-Them-Eat-Cake Law». Nous pensons que ce sont les gens à faible revenu qui vont en souffrir. Il y a de nombreux services fournis aux personnes handicapées qui étaient financés par le Régime d'assistance publique du Canada.

Pour finir, je dirai, au sujet du nouveau système de financement qui va être mis en place, que la plupart des gens ne se rendent pas compte que l'aide sociale ne se limite pas à un chèque couvrant les besoins fondamentaux des gens. Une partie très importante de l'aide sociale sert à venir en aide aux personnes qui ont des besoins particuliers reliés à un handicap en leur fournissant des aides technologiques et de l'équipement ou toute autre forme d'assistance éventuellement nécessaire.

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Nous craignons que, vu les attaques dont l'aide sociale va faire l'objet dans tout le pays, ce type d'assistance spéciale ne soit fortement limité ou ne soit même plus disponible. Nous n'en sommes pas sûrs, mais cela nous inquiète beaucoup. Cette assistance spéciale, dont personne ne semble parler et que l'on perd de vue chaque fois que l'on parle de l'aide sociale, est gravement compromise.

Je vais vous remettre également un rapport que nous avons rédigé et qui s'intitule «CHST Spells «Cost for Disabled». Il y est question de façon très explicite des problèmes concernant cette assistance spéciale.

Je vais m'arrêter ici. Peut-être, lors de la période de questions, pourrons-nous parler de ce que nous allons faire maintenant ou essayer d'imaginer un meilleur système en tenant compte du fait que le TCSPS est maintenant une réalité. Je voulais simplement vous dire que j'espère que, en tant que députés fédéraux, vous avez une idée claire du rôle que vous pouvez jouer. J'espère que, d'une façon ou d'une autre, nous pourrons prendre des mesures pour compenser les problèmes très graves que va, je crois, entraîner l'initiative fédérale.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, Mme Torjman.

Je voudrais simplement verser au procès-verbal quelques renseignements au sujet du Caledon Institute of Social Policy. C'est:

J'ajouterai que Mme Torjman a écrit sur divers sujets dont les dépenses consacrées aux programmes sociaux, l'interaction entre l'aide sociale et le système fiscal, la réforme des programmes sociaux et les arrangements fiscaux. Elle est l'auteur d'une série de rapports sur l'aide sociale produits pour le Conseil national du bien-être et de quatre ouvrages sur la politique touchant les personnes handicapées: Income Insecurity: The Disability Income System in Canada, Poor Places: Disability-Related Housing and Support Services, Nothing Personal: The Need for Personal Supports et Direct Dollars: A Study of Individualized Funding.

Comme Mme Torjman l'a signalé, elle a également contribué aux travaux du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées, du Comité spécial sur la garde d'enfants et de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction.

J'ai pensé qu'il serait important de verser cela au procès-verbal pour indiquer à quel titre vous intervenez devant le comité.

Je voudrais maintenant donner la parole à Mme Marcia Rioux, directrice du Roeher Institute, un institut national canadien d'études sur la politique gouvernementale touchant les personnes handicapées. Elle est également professeur adjoint de politique sociale à la Faculté des études environnementales de l'Université York de Toronto. Elle fait actuellement partie du comité de rédaction de certains journaux dont le magazine Abilities, l'European Journal on Mental Disability et le Tizard Learning Disability Review Journal.

Elle siège en outre au conseil d'administration de l'Association internationale pour l'étude scientifique de l'arriération mentale. Dans le livre intitulé The Equality-Disability Nexus qu'elle publiera prochainement, Mme Rioux examine les facteurs politiques, économiques, sociaux et scientifiques qui ont façonné la politique, la législation et la jurisprudence actuelles qui, à leur tour, déterminent la forme que prennent l'égalité et les droits de la personne dans la société.

Après cette présentation, j'invite Mme Rioux à bien vouloir prononcer sa déclaration liminaire.

Mme Marcia Rioux (directrice, Roeher Institute): Merci beaucoup. Je vous suis reconnaissante de m'avoir invitée ici aujourd'hui et je sais combien votre comité s'intéresse aux questions touchant les personnes handicapées au Canada.

Il est important de se rendre compte que le Canada est considéré comme donnant l'exemple au reste du monde dans le domaine des incapacités aussi bien physiques que mentales à cause de diverses protections que nous avons instaurées, y compris la protection accordée aux personnes handicapées dans la Charte canadienne des droits et libertés. Cette réputation est également due à notre noble et louable tradition en matière de droits de la personne, aussi bien au niveau fédéral que provincial. Elle vient aussi du fait que, au cours des 30 dernières années, nous nous sommes très activement efforcés de prendre très au sérieux nos engagements envers nos concitoyennes et concitoyens handicapés.

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Comme Sherri, j'ai tendance à penser que nous nous trouvons actuellement à un tournant particulièrement important de notre histoire. Les opinions et le rapport de votre comité auront une influence déterminante sur ce qui va se passer au cours des 20 prochaines années et sur la possibilité de préserver des normes et des modèles tels que ceux que nous avons eus jusqu'à présent.

Je vais passer maintenant au travail que nous faisons. Au cours des 10 dernières années, nous avons effectué un grand nombre d'études sur les programmes de ce secteur: le soutien du revenu et l'assistance individuelle, l'éducation, l'alphabétisation, l'emploi, les services en établissement, la violence et les mauvais traitements ainsi que les services sociaux - toujours en ce qui concerne les personnes handicapées. L'impression générale que l'on peut retirer de ces études est peut-être qu'aucun domaine n'est isolé. Il s'agit d'un ensemble de programmes très coordonné permettant aux personnes handicapées de ne plus être à la charge du système et de contribuer pleinement à la vie de la société.

Il est important de nous rendre compte maintenant que, si l'on dissocie d'une façon quelconque ces différents secteurs, cela augmentera la dépendance des personnes handicapées. Dans la situation actuelle, diviser ce financement de telle façon que certains secteurs soient financés par le gouvernement fédéral et d'autres par les provinces aura des conséquences sociales et économiques extrêmement graves.

Comme Sherri, je pense que le TCSPS risque d'avoir pour conséquence qu'en fait, le gouvernement fédéral pourrait fort bien remettre aux provinces de l'argent à consacrer aux personnes handicapées. Même si cet argent est bien dépensé ainsi, il le sera peut-être d'une façon qui ne créera pas des conditions plus favorables à l'indépendance sociale et économique à laquelle aspirent depuis si longtemps les personnes handicapées et qui est aussi tout simplement un objectif logique vers lequel devraient normalement tendre tous les gouvernements.

Il est important de prendre conscience de certains facteurs fondamentaux concernant les personnes handicapées. Il y a notamment le fait que 50 p. 100 d'entre elles ne font pas partie de la main-d'oeuvre active de notre pays. Cela coûte très cher. Les emplois disponibles ne rapportent généralement pas assez pour couvrir les frais supplémentaires qu'entraînent les handicaps. Par conséquent, il serait trop difficile pour ces personnes de devenir concurrentielles sur le marché du travail et elles ne peuvent pas le faire. Il ne s'agit pas simplement de pouvoir occuper de tels emplois.

Comme Sherri l'a signalé, le Régime d'assistance publique du Canada, le programme d'aide sociale de notre pays, ne se limite pas à accorder un revenu de subsistance aux personnes handicapées comme c'est le cas pour d'autres bénéficiaires, mais il paie également de nombreux services de soutien dont les gens ont besoin pour pouvoir faire des études ou trouver du travail et vivre dans leur propre maison au lieu de devoir compter sur l'État pour couvrir toutes leurs dépenses.

Vu la concurrence accrue sur le marché du travail, il y a de fortes chances que, si certains des programmes qui servaient jusqu'à maintenant à apporter un soutien professionnel aux personnes handicapées ne sont pas maintenus, l'accès au marché du travail leur soit encore plus difficile qu'à l'heure actuelle.

Il est clair que les gouvernements provinciaux pratiquent des coupes sombres dans les programmes de soutien du revenu. Nous le constatons actuellement dans trois ou quatre provinces qui modifient la définition de ce qu'est un handicap pour diminuer le nombre de personnes pouvant commencer ou continuer à recevoir une assistance. On va tout simplement redéfinir ce qu'est un handicap si bien que, d'un jour à l'autre, des personnes handicapées ne seront plus considérées comme telles. C'est une duperie. Mais il est vraiment important de comprendre que, pour les personnes handicapées, c'est plus grave que cela. Elles sont véritablement handicapées; ce n'est pas quelque chose de théorique.

Si ces gens se retrouvent sans assistance, ils devront de plus en plus en plus compter sur le système, d'une façon ou d'une autre. De fortes pressions s'exerceront sur le gouvernement fédéral pour qu'il se penche à nouveau sur le fait qu'il y aura, dans les rues de notre pays, des personnes handicapées alors que l'on considérait traditionnellement que la société devait assumer la responsabilité de leur sort.

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Si les personnes handicapées ne peuvent plus bénéficier des programmes de soutien du revenu et ont du mal à trouver du travail, il deviendra de plus en plus important qu'un palier de gouvernement ou un autre augmente l'aide qu'il leur accorde. Je m'attends à ce que les pressions dans ce sens s'exercent plutôt auprès du gouvernement fédéral que des provinces.

Malheureusement, avec le TCSPS, si les provinces peuvent disposer de cet argent sans aucune obligation particulière, il sera très difficile d'assurer une coordination de l'ensemble du système permettant d'aboutir à l'indépendance économique et sociale dont nous voudrions que la plupart des gens puissent se prévaloir.

Par ailleurs, pour ce qui est des services professionnels, on s'est fort peu soucié des conséquences de l'élimination du PRPPH et des programmes de soutien faisant partie du régime d'aide sociale qui permettaient aux gens de recevoir les services dont ils avaient besoin pour pouvoir trouver un emploi.

Les dépenses fédérales et provinciales consacrées aux services de soutien en établissement qui constituent à l'heure actuelle une importante partie du programme d'aide sociale du RAPC et du financement des programmes établis sont sans doute directement menacées du fait du transfert du partage des coûts dans ce domaine. Il y a probablement plus de 50 000 personnes vivant dans des établissements qui ne bénéficieront plus des principaux programmes d'assistance lorsque le financement fourni actuellement dans le cadre de l'assistance sociale et les dispositions du RAPC relatives à l'aide sociale auront disparu. Cela créera des difficultés aux familles des personnes handicapées.

Je reviens en arrière un instant pour vous rappeler que, lors du premier recensement canadien incluant les personnes handicapées, leur pourcentage était de 10 p. 100. Il est maintenant passé à 13,5 p. 100, ce qui veut donc dire que leur nombre augmente. Ce chiffre inclut toutes les personnes handicapées, y compris les personnes âgées. Mais si elles ne peuvent pas recevoir d'aide pour travailler ou pour séjourner dans des établissements spécialisés, cela imposera de lourdes obligations à leurs familles et aux membres des groupes d'aide non officiels qui devront peut-être se retirer du marché du travail pour s'occuper d'elles; c'est vraiment un gros problème.

La situation démographique des personnes handicapées a changé. Elles sont plus nombreuses, mais il y a également parmi elles plus de jeunes, qui ont suivi une scolarité normale au cours des 15 dernières années et s'orientent donc vers la main-d'oeuvre normale. En d'autres termes, au cours des 20 dernières années, nous en sommes arrivés à un point où ces gens commencent à se joindre au reste de la société; ils commencent à acquérir leur indépendance sociale et économique. C'est une évolution importante. Or, en l'absence d'emplois, on perdra progressivement les acquis actuels, ce qui est plutôt absurde par rapport à nos objectifs d'ensemble.

Les gouvernements ont, de façon générale, fait beaucoup d'efforts pour les personnes handicapées, ce qui a permis à celles-ci de faire à leur tour beaucoup d'efforts pour s'intégrer à la société. Si elles ne sont pas encouragées à cesser de dépendre des programmes d'aide sociale ou de soutien du revenu pour s'intégrer au reste de la société, cela entraînera des coûts supplémentaires.

Un fauteuil roulant coûte plus cher cette année que l'année dernière. De tels coûts finissent par devenir incontrôlables. De toute évidence, pour sortir de ce cercle vicieux, il faut assurer le maintien de ces programmes et oeuvrer pour que l'on en crée d'autres afin de fournir aux gens l'aide dont ils ont besoin pour pouvoir participer pleinement à la vie de la société canadienne.

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La coordination des différents secteurs est un facteur essentiel. À lui seul, un programme d'emploi ne permettra pas aux personnes handicapées de trouver du travail. Il est absolument nécessaire de veiller à ce que les gens reçoivent l'assistance dont ils ont besoin pour pouvoir faire des études, recevoir une formation appropriée et rester sur le marché du travail. Si occuper un emploi leur revient plus cher que de ne pas en avoir, ces gens vont être forcés de se prévaloir de l'assistance sociale et de se détourner du marché du travail.

La violence et les mauvais traitements augmentent lorsque les familles connaissent des difficultés, qu'elles ne peuvent plus faire face à leurs problèmes et qu'elles ne reçoivent pas d'aide de l'État. On voit souvent des personnes handicapées ne recevant aucune forme d'assistance échouer dans les prisons. Cela entraîne des coûts supplémentaires pour le système judiciaire. Le coût des programmes d'éducation augmente également lorsqu'on ne fournit pas à ces gens l'aide nécessaire pour qu'ils puissent suivre une scolarité normale et qu'il faut créer des systèmes parallèles.

Dans pratiquement tous les domaines, on peut constater que l'abandon d'un système permettant de continuer à aider des gens à améliorer leur sort entraîne des coûts sur le plan humain en ce qui concerne la nature de notre société et notre capacité à respecter les garanties contenues dans la Charte des droits et libertés et dans les lois sur les droits de la personne, ainsi que des coûts purement économiques.

Il est absolument impératif de coordonner ce système, ce qui est impossible si l'on remet de l'argent aux gouvernements des provinces de notre pays sans leur imposer des normes fondamentales. C'est impossible. En fait, les dépenses fédérales vont augmenter et des pressions de plus en plus fortes seront exercées auprès du gouvernement fédéral pour qu'il intervienne à nouveau dans ce secteur, à moins que nous ne souhaitions simplement laisser ces gens-là mourir de faim.

Je suis sûre que nous allons nous étendre un peu plus sur certaines des solutions envisageables. Je crois certainement qu'il est bon d'envisager la possibilité de créer un nouveau programme en supprimant toutes les formes de soutien du revenu, aussi bien pour les revenus en espèces que ceux en nature. En d'autres termes, on pourrait cesser d'inclure dans l'aide sociale les frais de main d'oeuvre et de matériel des programmes de soutien et des services, et les considérer comme des coûts déterminés que peuvent assumer les personnes concernées. Elles pourraient alors choisir la voie qui leur convient, chercher un emploi, faire des études ou s'insérer dans la société de la façon qui les intéresse.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Rioux.

Nous allons entendre M. Mario Bolduc, qui milite depuis 25 ans pour l'égalité des chances et la participation sociale des personnes ayant des incapacités, tant par l'action bénévole dans divers organismes que dans le cadre des diverses étapes de sa carrière. Il oeuvre maintenant comme militant et consultant bénévole.

M. Bolduc a travaillé d'abord en planification au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, entre autres à la préparation de la loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées. Il a alors terminé, à temps partiel, une maîtrise en « Mesure et évaluation de programmes».

Il a aussi participé à la réalisation d'un programme d'évaluation d'envergure portant sur la réponse aux besoins des personnes âgées ayant des limitations fonctionnelles, à une recherche longitudinale sur les déterminants de l'intégration sociale et de la qualité de vie des personnes ayant des incapacités intellectuelles et à de multiples travaux au sujet du soutien à domicile.

Parallèlement à cette carrière professionnelle, il a travaillé au sein de plusieurs groupes offrant aide et coopération aux personnes handicapées. Il a été responsable de la programmation du Congrès canadien de réadaptation en 1987. Il est membre fondateur de la société canadienne de la Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps et intervient donc ainsi au niveau international. Il a été vice-président de la Commission consultative sur la situation des personnes handicapées au Québec en 1992.

M. Bolduc, vous pouvez nous présenter votre déclaration liminaire, je vous en prie.

[Français]

M. Bolduc: Bonjour à toutes et à tous. Je tiens d'abord à remercier M. Cole de m'avoir invité à venir vous rencontrer aujourd'hui.

Dans un premier temps, je ferai un certain nombre de remarques.

Depuis 15 ans, de multiples groupes d'experts ont examiné la situation des personnes qui vivent avec des limitations fonctionnelles à cause d'une maladie ou d'un traumatisme. En fait, les classeurs sont remplis d'études d'orientation, de plans d'action, de stratégies, etc.

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Au niveau de la réalité, il y a eu des progrès évidents même si les défis demeurent énormes, cela dans un contexte plus difficile, où on observe actuellement des reculs à certains niveaux.

Il n'y a pas lieu, à ce moment-ci, de reprendre de grandes démarches d'orientation. Il faut plutôt poursuivre le travail en ciblant encore mieux les actions les plus concrètes pour atteindre nos objectifs.

Je tiens pour acquis qu'il existe un assez large consensus sur les objectifs que nos sociétés doivent poursuivre relativement aux personnes ayant des incapacités. Cela se résume assez simplement. Il faut voir au respect de leurs droits, leur assurer l'égalité des chances, favoriser leur pleine participation à la vie sociale, économique et culturelle, répondre avec efficacité et efficience à leurs besoins spécifiques variés et favoriser la meilleure qualité de vie possible.

L'atteinte de ces objectifs dépend d'abord et avant tout de l'existence de toute une gamme de mesures juridiques et sociales, de politiques, de programmes et de services qui s'adressent directement à ces personnes ou qui ont trait à leur environnement physique ou social.

La mise en oeuvre plus ou moins efficace de ces mesures est elle-même conditionnée par la situation socio-économique et par d'autres facteurs comme les attitudes dans la communauté ou encore le degré de mobilisation des consommateurs.

Personnellement, je distingue trois grandes problématiques reliées à ces personnes. La première a trait à la sécurité du revenu, rien de plus, soit la garantie du remplacement d'un revenu d'une personne qui en avait un ou la garantie d'un revenu minimum à tous. C'est un secteur d'une importance cruciale. Par contre, c'est une problématique qui n'est pas spécifique aux personnes ayant des incapacités. C'est une problématique plus globale de la sécurité du revenu.

Il y a beaucoup de dilemmes dans ce secteur. Faut-il lutter pour accorder la sécurité du revenu à tous ceux qui en ont besoin ou s'il faut plutôt s'attacher à augmenter la sécurité du revenu des personnes ayant des incapacités? Il est déjà admis pratiquement partout que ces personnes ont droit à des montants plus élevés. Leur revenu pourrait à tout le moins atteindre le montant des pensions des personnes âgées, mais il reste que cela soulève plusieurs questions.

Deuxièmement, il faut agir sur les différents facteurs de l'environnement physique et social afin que ces facteurs soient des facilitateurs plutôt que des obstacles. Cela comprend toute une série d'actions dans tous les secteurs de la société tels que l'architecture, les lois, les transports, les communications, le travail, les loisirs, les attitudes, etc.

On peut dire que beaucoup d'initiatives ont été réalisées dans ces domaines au cours des dernières années même s'il reste encore beaucoup à faire.

Troisièmement, il s'agit d'intervenir directement auprès de la personne et dans son environnement immédiat. Dans ce secteur, il y a d'abord la réadaptation spécialisée qui dure un temps limité lorsqu'elle est nécessaire.

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À plus long terme, il s'agit surtout de compenser les déficiences et les incapacités par divers moyens tels que les aides technologiques, l'adaptation du milieu de vie de la personne, que ce soit sa résidence, son véhicule, son lieu de travail ou son lieu d'étude, et surtout l'aide humaine pour la vie à domicile, aux études et au travail.

Tout ce secteur est, à mon avis, celui qui est couvert de la façon la moins efficace et qui crée le plus d'inégalité entre les groupes. Cela est très bien documenté. Il y a eu un nombre incalculable d'études et de rapports sur cette situation depuis au moins 15 ans. On est dans une situation complètement anarchique, non coordonnée. On a une multitude de systèmes qui sont peu efficaces, qui sont inéquitables et qui coûtent très cher, comme cela est bien démontré.

Donc, selon moi, la grande priorité des prochaines années consiste à réaliser concrètement l'égalité des chances par la compensation des coûts liés aux incapacités. En fait, il s'agit de trouver un ou des moyens efficaces de compenser les coûts liés aux incapacités, cela indépendamment de la cause, du type de déficience, de l'âge et du revenu de la personne.

À mon avis, un tel système doit couvrir toute une gamme de soutiens tels que l'aide à domicile, les aides techniques, l'adaptation du milieu de vie et les aides spéciales au niveau de l'éducation et du travail. Je crois que ce système pourrait être complètement séparé du système de sécurité du revenu. J'insiste là-dessus, parce que le fait d'avoir des montants spéciaux associés à la sécurité du revenu crée des situations complètement ridicules.

D'une part, cela décourage les gens de travailler. D'autre part, cela fait en sorte que, d'une main, on investit socialement des sommes énormes pour favoriser l'intégration sociale des personnes et que, de l'autre, au moment où elles commencent à réussir, on les pénalise et on fait en sorte que cela leur coûte plus cher. On les pénalise financièrement en plus de leur faire subir les autres inconvénients.

C'est tellement ridicule qu'on se demande s'il faut en rire ou en pleurer.

La réalisation concrète de cette priorité peut prendre diverses formes. D'ailleurs, depuis longtemps, plusieurs propositions sont sur la table. Il y a diverses possibilités. Certains parlent d'un système unique qui regrouperait tous les systèmes, c'est-à-dire ceux des accidents du travail, des accidents de la route, des régimes de retraite privés, des anciens combattants, etc., pour en faire un système unique.

C'est peut-être l'idéal, mais est-ce vraiment réaliste? J'en doute. Cela serait très compliqué et cela exigerait un courage politique auquel on est peu habitués.

D'autres parlent d'un système complémentaire qui boucherait les principaux trous pour les groupes les plus défavorisés. C'est plus facile, plus réaliste, mais cela risque, d'autre part, de perpétuer l'inégalité.

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Il existe une troisième voie. C'est de tenter de coordonner et d'harmoniser des systèmes existants. C'est une voie intéressante, mais quand même difficile.

Je crois qu'il reste à trouver la posologie exacte pour ces différentes possibilités. L'essentiel est de s'assurer qu'on respecte le principe de l'égalité des chances. Cependant, pour qu'il y ait égalité des chances, il ne faut pas qu'il en coûte plus cher de fonctionner quand on a des incapacités, cela va de soi.

L'un des domaines les plus négligés est celui du soutien à domicile. On est encore très, très loin d'un système moderne et efficace qui permettrait aux gens de vivre dans des conditions acceptables.

La formule de l'allocation directe est très importante dans ce domaine, et il faut faire en sorte que cela se réalise dans un contexte de libre choix, avec des allocations raisonnables qui se rapprochent de ce qui est offert dans le secteur public.

Voilà les principaux éléments que je voulais soulever. Il y a un dernier point. Je ne voudrais pas engendrer un débat et je n'ai pas de préjugé quant au niveau ou aux niveaux de gouvernements qui doivent réaliser les actions dont je viens de parler. Vous comprendrez que, dans le contexte actuel, je ne veuille pas m'embarquer dans ce débat. Mais je dois quand même vous rappeler qu'au Québec, même les plus fidèles fédéralistes considèrent que l'essentiel de ces questions devrait relever des provinces, du moins dans le cas du Québec. Merci beaucoup.

[Traduction]

M. McClelland: Je vous remercie collectivement et individuellement pour vos exposés.

M. Bolduc a proposé une chose que nous pourrions faire si notre comité souhaite réaliser quelque chose de concret à la fin de ses travaux. Nous pourrions assurer un soutien du revenu ou tenir compte du cas particulier des personnes handicapées qui font un effort spécial pour gagner un revenu parce qu'elles veulent participer à la main-d'oeuvre pour des raisons aussi bien sociales que physiques et qui se trouvent considérablement défavorisées parce qu'elles cessent alors de bénéficier précisément du système d'assistance grâce auquel elles ont pu trouver du travail. Si, pour une raison quelconque, elles perdent leur emploi, récupérer cette assistance est un cauchemar. Cela décourage fortement la recherche de travail. Ceux qui en trouvent deviennent encore plus vulnérables qu'auparavant.

Soyons clairs, si vous me le permettez: si, avant de mourir et d'aller au paradis, nous pouvions réaliser quelque chose, pensez-vous que la principale priorité de notre comité devrait être de chercher à régler ce problème par la voie fiscale, grâce à des systèmes de soutien du revenu ou par n'importe quel autre moyen?

[Français]

M. Bolduc: Je répète que vous pourriez combler les besoins les plus fondamentaux des personnes souffrant d'incapacités par des aides techniques et par de l'aide humaine. Vous pourriez assurer cela indépendamment du type de déficience et indépendamment du revenu des personnes. Donc, cela devrait être séparé de la sécurité du revenu.

.1200

[Traduction]

M. McClelland: Je voudrais poser à tous les témoins une question plus générale. Si on met de côté toutes les subtilités concernant l'aide sociale, les handicaps et toutes les choses de ce genre, je pense parler au nom de la plupart des Canadiennes et Canadiens qui ne sont pas impliqués dans le système d'aide sociale. La plupart acceptent volontiers de payer des impôts et de voir cet argent mis à la disposition des personnes qui en ont besoin mais acceptent difficilement que cet argent soit versé à des gens qui ne le méritent pas, d'autant plus que l'on fait de moins en moins facilement la différence entre les travailleurs à faible revenu, qui sont de plus en plus nombreux, et les gens qui ne participent pas à la vie de la société et vivent exclusivement de l'aide sociale, et qu'il n'y a pas une nette distinction entre les gens qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas même si des emplois sont disponibles.

Dans le même ordre d'idée, la confusion s'accroît si l'on met dans le même sac les personnes handicapées qui ont, de ce fait, des besoins à long terme, et les assistés sociaux, qui ne devraient recevoir qu'une aide temporaire. On crée alors une confusion, tout au moins à mes yeux, entre les personnes qui ont une incapacité chronique, systémique et celles qui ont un problème auquel elles pourraient remédier elles-mêmes.

Par exemple, une personne qui perd un bras n'est pas handicapée pour autant. C'est une situation terriblement gênante, mais elle peut encore utiliser l'autre bras. Bon, je ne sais pas si les personnes handicapées trouveraient cela juste ou non et si c'est une attitude insultante de la part des gens qui ne sont pas handicapés. Il y a donc une distinction entre les personnes handicapées...

Je crois que j'en ai assez dit maintenant. C'est ma dernière question.

Le président: Est-ce que quelqu'un a un commentaire à faire à ce sujet?

Mme Torjman: Vous soulevez un certain nombre de questions importantes, notamment celle du système actuel de sécurité du revenu pour les personnes handicapées. Vous avez tout à fait raison - elles ne devraient pas avoir à dépendre des systèmes provinciaux d'aide sociale. C'est absurde. Ce n'est pas pour cela qu'on a créé l'aide sociale. Vous avez raison. Ce devait être un programme résiduel de dernier recours lorsque rien d'autre n'existait. Le problème est qu'il n'existe rien d'autre pour bien des gens et c'est devenu la première sorte d'assistance.

Selon notre institut, il faudrait trouver une façon bien meilleure de satisfaire les besoins des personnes handicapées en matière de sécurité du revenu. Pour nous, le mieux serait un programme fédéral du type du programme de sécurité de la vieillesse. Je sais que, dans la situation financière actuelle, c'est une question très délicate. Pour le moins, nous aimerions que le gouvernement fédéral ajoute un complément à l'aide sociale provinciale parce que celle-ci est tout à fait insuffisante pour assurer un soutien du revenu.

Par ailleurs, en ce qui concerne la question de l'aide personnelle et de la meilleure façon de répondre aux besoins de ce type, là encore, il ne faudrait pas fournir ce genre d'aide par le biais de l'aide sociale. Nous devrions faire beaucoup mieux dans ce domaine.

Lors de la réforme des programmes sociaux, nous avons notamment proposé de retirer le système d'aide personnelle du bien-être. Nous proposions en fait des dispositions financières distinctes pour l'aide personnelle. Nous nous intéressons beaucoup à ce secteur, non seulement pour ce qui a trait aux personnes handicapées vivant actuellement mais également à cause de l'évolution démographique de notre pays et de ce que nous réserve l'avenir. Nous disions alors qu'il faudrait planifier les choses beaucoup mieux pour tout ce qui touche les personnes handicapées.

On pourrait recourir à un système de partage des coûts en donnant de l'argent aux provinces pour qu'elles mettent sur pied toute une gamme de soutiens qui pourraient prendre différentes formes. On pourrait également le faire par le biais de la fiscalité, comme vous l'avez suggéré, et c'est d'ailleurs ce qui se fait. Il existe actuellement un crédit d'impôt fédéral pour les dépenses médicales qui couvre certaines choses. Le problème avec ce crédit pour le moment est qu'il n'est pas remboursable, c'est-à-dire qu'il n'aide en rien les gens dont le revenu est si faible qu'ils ne sont pas imposables. On ne vient donc en aide qu'aux gens qui sont dans une certaine tranche de revenus.

.1205

Le gouvernement fédéral a dépensé 232 millions de dollars l'année dernière - au niveau fédéral-provincial, le chiffre était de 360 millions de dollars - rien que pour le crédit des dépenses médicales. Je ne dis pas que les gens qui en ont bénéficié n'ont pas besoin d'aide, mais on exclut ainsi un grand nombre de gens qui pourraient bénéficier d'une assistance de ce genre.

Il y a alors plusieurs possibilités. Par exemple un crédit d'impôt dont le mieux serait qu'il tende à être remboursable ou un système de partage des coûts où les programmes d'aide personnelle seraient retirés de l'aide sociale, ou même une sorte d'allocation théorique dans le TCSPS qui serait expressément destinée à l'aide personnelle. Les provinces pourraient faire ce qu'elles veulent de cet argent.

Nous sommes personnellement en faveur de l'établissement d'une série de normes et vous nous avez déjà entendus en parler. Toutefois, la conjoncture étant délicate, si nous ne parvenons pas à obtenir cela par la négociation, nous aimerions au moins qu'il y ait une allocation théorique permettant de faire en sorte qu'il y ait des fonds utilisés à cette fin. À l'heure actuelle, nous n'avons aucune garantie dans ce sens.

M. McClelland: Si ce revenu était accordé à une personne déterminée par l'intermédiaire du Régime de pensions du Canada - beaucoup de personnes utilisent ce système à l'heure actuelle - et si ce régime était le principal moyen pour les gens d'obtenir ce soutien, serait-ce une façon appropriée de procéder? L'argent n'irait pas du tout aux provinces. Cela pourrait revenir un petit peu plus cher avec le Régime de pensions du Canada parce que c'est un système de soutien du revenu pour les gens et il faudrait peut-être payer 8,3 p. 100 au lieu de 7,3 p. 100. Il ne faut pas du tout passer par les provinces.

Mme Torjman: C'est une idée intéressante dans le sens où il faut avoir du travail pour pouvoir participer au Régime de pensions du Canada et y cotiser. L'un des problèmes pour les personnes handicapées est qu'elles ne peuvent de toute façon pas trouver du travail, il est donc important d'en tenir compte.

Le deuxième problème concerne le fait que le Régime de pensions du Canada est financé par les cotisations des employeurs et des employés. Si l'on pouvait convaincre les employeurs d'affecter expressément une partie de leurs primes à cette fin, ce serait merveilleux. Le problème à l'heure actuelle est que les employeurs se méfient d'avoir à verser de l'argent pour des coûts sociaux qui ne leur semblent pas devoir être à leur charge.

Je ne vois donc pas de problème au plan théorique, mais je pense qu'il y en aurait dans la pratique. J'aimerais mieux que ce genre de système soit financé par le Trésor.

Mme Rioux: Vous avez absolument raison. La situation actuelle privilégie un statut de dépendance pour les personnes handicapées. Vu les médicaments qu'elles prennent et l'aide personnelle et technique dont elles ont besoin - tout cela étant fourni dans la plupart des cas par l'intermédiaire de l'aide sociale - , elles sont contraintes de dépendre du système d'aide sociale actuel. Pour les en faire sortir et assurer leur sécurité économique par le travail, il faudrait un mécanisme de financement de nature différente.

Je vais déposer un rapport que nous avons rédigé portant sur ce que nous appelons un programme canadien de ressources en cas d'incapacité. Nous avons cherché à mettre au point une façon concrète d'établir un mécanisme autonome, indépendant de l'aide sociale, pour fournir aux gens l'aide personnelle et technique dont ils ont besoin pour accéder à différents types de milieux de vie.

Dans la situation actuelle, l'aide technique et personnelle que les gens reçoivent a tendance à être rattachée au milieu dans lequel ils se trouvent. Ils ne peuvent pas nécessairement utiliser pour aller travailler le fauteuil roulant qu'ils reçoivent dans le cadre d'un programme de formation à l'emploi ou conserver l'accompagnateur qui s'occupe d'eux dans un établissement. Cela les décourage et les replace constamment dans une situation de dépendance.

Je pense qu'il existe des façons réalistes d'aborder cette question et je crois que cela réglerait un important problème. À mon avis, pour une chose de ce genre, il faudrait un programme fédéral.

.1210

Le président: Monsieur Scott.

M. Scott (Fredericton-York-Sunbury): Merci beaucoup, monsieur le président.

J'espère aussi me rendre au paradis et je vais peut-être mériter le droit d'y aller.

Je vais me situer sur deux plans différents. Il y a d'abord le but final que nous nous sommes donné. À mon avis, les paramètres financiers pourraient avoir une incidence sur les systèmes de prestation d'aide, tout comme la mesure dans laquelle nous sommes prêts à tenir compte de la réalité, mais cela ne devrait pas modifier notre but. Je pense que nous devrions toujours aspirer à quelque chose. Au point où nous sommes rendus, il ne faut certainement pas que, ce faisant, nous revenions en arrière. Même si nous sommes prêts à reconnaître que nous ne faisons pas ce que nous aimerions faire, cela ne devrait pas changer ce que nous aimerions faire. Maintenant, j'essaie de déterminer ce que nous aimerions faire et de susciter des réactions.

Je constate que ce à quoi nous sommes parvenus correspond plutôt à des notions comme l'inclusion, l'intégration, la participation et l'épanouissement individuel. C'est peut-être mal formulé, mais je pense que vous comprenez ce que je veux dire. Je ne veux pas non plus dire des banalités, car je pense que nous avons parfois tendance à penser à des choses très éthérées et, en réalité, à en être si loin que l'on ne répond pas du tout aux attentes. Je chercherai l'absolution pour le moment.

Il me semble que le problème vient du marché du travail et de son incapacité à tenir compte du fait que c'est en fonction de lui qu'on décide si quelqu'un participe ou non activement à la société. Malheureusement, vu l'autre façon traditionnelle d'envisager la politique sociale, une conception moins limitée pourrait soit être profitable aux personnes handicapées soit, en fait, leur porter un préjudice considérable, si vous voulez, parce qu'on envisage moins l'emploi dans le contexte des besoins des personnes handicapées et de la politique sociale.

Il existe un modèle; je ne sais pas comment l'appeler. C'est un modèle de charité ou quelque chose comme cela. Je ne sais pas très bien. Mais si vous suivez ma pensée... En essayant de mettre au point des programmes permettant de régler le problème du marché du travail, il me paraît très important de ne jamais oublier la difficulté que certains membres de notre société ont à y accéder.

Il me paraît également important - et je reviens maintenant sur le commentaire qu'a fait mon collègue Ian - d'essayer d'utiliser les possibilités d'emploi et les programmes sont donc conçus de telle façon que les Canadiennes et Canadiens qui ont du travail y contribuent, ce qui, à toutes fins pratiques, est la situation actuelle. On peut être sans travail parce qu'on est en chômage ou parce qu'on a dépassé un certain âge ou que l'on a une incapacité physique empêchant d'occuper un emploi. Mais en fin de compte, c'est ce qui semble être la différence entre ceux qui contribuent et les autres.

Pour essayer de régler ce problème, pouvez-vous imaginer quelle relation on pourrait établir entre ceux qui tirent leur épingle du jeu du système et ceux qui ont plus de difficulté à le faire en suivant un modèle de ce genre, le gouvernement prenant les choses en main? Ou, dans la situation financière actuelle, un tel modèle est-il peut-être plus nuisible que bénéfique? Je demande conseil à ce sujet, parce qu'il me semble que c'est là le problème fondamental - le fait que quelqu'un ait ou non du travail.

.1215

L'autre élément est de savoir ce qui fait que des gens n'ont pas de travail. On peut dresser une liste. Personnellement, mon instinct me dit qu'il faut s'orienter dans ce sens.

Je pense que le public en est peut-être venu à croire que les gens qui ne travaillent pas portent la responsabilité de cette situation, et je crois que c'est le problème. Le système n'est pas conçu pour que tout le monde ait du travail. En conséquence, le problème est que cette fonction du système échappe maintenant à tout contrôle. Il y a trop de gens. Ceux qui financent le système sont de plus en plus mécontents de tout ce qu'ils doivent faire et ceux qui sont à l'extérieur du système reçoivent par conséquent de moins en moins. Le nombre des «nantis» diminue et celui des «démunis» augmente et, d'un côté comme de l'autre, tout le monde y perd.

Si nous concentrons nos efforts sur cette notion, ce modèle, qu'advient-il des personnes handicapées?

Mme Rioux: Je dirais à ce sujet que cela me paraît être un grave problème. Je pense qu'en ce qui concerne les personnes handicapées, le problème n'est pas l'emploi, et je ne crois pas que Mario ou Sherri aient employé ce mot. Je pense que nous avons tous parlé de sécurité économique ou de sécurité du revenu. Nous n'avons pas dit que l'emploi serait nécessairement la seule façon d'assurer la sécurité du revenu.

La particularité des personnes handicapées est qu'elles ont des besoins supplémentaires. Même si l'on examine l'aide sociale qu'elles reçoivent dans le cadre du système actuel - et l'aide sociale leur verse généralement plus que nécessaire pour couvrir leurs besoins fondamentaux et elle inclut une partie des mesures de soutien dont elles bénéficient - , on continue de partir du principe qu'elles ont droit seulement à la prestation d'aide sociale même si elles ont des besoins plus importants que les autres gens. Elles sont donc en réalité pénalisées d'une certaine façon pour leur handicap puisque leurs besoins réels ne sont pas satisfaits.

Si la satisfaction des besoins reliés à un handicap et les mesures de soutien ne relevaient plus de l'aide sociale, ces gens seraient en mesure d'être actifs dans tout domaine les intéressant, comme le font les autres.

Il est vrai que, au Canada, tout le monde n'a pas du travail et le chômage est plus élevé dans certains endroits que dans d'autres. À Terre-Neuve, le taux de chômage est très élevé; nous le savons. Mais si nous avions un système moins irrationnel, fonctionnant moins au petit bonheur et mieux coordonné, de façon à pouvoir déterminer véritablement les besoins des gens et leur donner ce qu'ils méritent pour pouvoir satisfaire leurs besoins, ils pourraient pénétrer sur le marché du travail là où des emplois seraient disponibles. Ils pourraient bénéficier de l'aide sociale s'ils avaient besoin de certains services fondamentaux de soutien. Ils pourraient faire des études ou suivre des cours de formation s'ils en avaient besoin. Ils pourraient décider de s'occuper de leurs parents âgés ou de leurs enfants, le cas échéant, comme le fait maintenant une grande partie de notre population. Ils pourraient jouer tous ces rôles-là, alors qu'ils ne peuvent pas le faire maintenant parce qu'ils ne reçoivent pas le soutien fondamental qui satisferait leurs besoins.

Dans ce cas-ci, le problème ne se limite pas au marché du travail. Il concerne l'ensemble de ces domaines.

Je veux simplement indiquer maintenant - et je vous remettrai également un rapport sur ce sujet - que nous avons examiné certains programmes d'aide destinés aux personnes handicapées et le coût de la prestation de ces services dans environ sept provinces. Nous essayions de voir ce qu'un système irrationnel de ce genre coûtait au Canada. Les dépenses, compte non tenu des soins hospitaliers primaires et du soutien du revenu - il s'agit donc seulement de l'aide reliée à une incapacité - se montaient à environ 317 $ par personne, soit environ 8,5 milliards de dollars par an. Si l'on en retire également les établissements de soins, ce chiffre descend à environ 5,6 milliards de dollars.

Il est certainement possible, sans dépenser plus, de mettre en place un système rationnel permettant de donner aux gens quelque chose qui compense leurs dépenses. Nous pourrions certainement réduire les frais d'administration des différents systèmes complémentaires que nous avons mis en place dans notre pays et fournir aux personnes handicapées les moyens d'aide dont elles ont besoin pour qu'elles puissent ensuite bénéficier des autres systèmes.

Mais la réponse à votre question est que, si on se soucie seulement de l'emploi, on ne réglera pas plus le problème des handicaps que nombre des autres problèmes que nous avons.

Mme Torjman: Je voulais répondre à cette question parce que me demandais si nous devrions, d'après vous, adopter un modèle d'assurance sociale couvrant le coût de l'aide personnelle.

.1220

Comme vous le savez, nous avons deux programmes principaux d'assurance sociale dans notre pays: l'assurance-chômage et les régimes de pensions du Canada et du Québec. Nous sommes tout à fait en faveur de l'existence des programmes d'assurance, car nous pensons qu'ils sont fondamentaux et indispensables. Un programme d'assurance financé par des cotisations devrait avoir la préséance sur d'autres sortes de programmes dont les gens peuvent bénéficier en fonction de leurs revenus ou de leurs besoins ou qui sont versés sous forme de semi-subventions.

L'application de ce modèle aux services d'aide personnelle soulève deux problèmes. Le premier est que la situation sur le marché du travail est de plus en plus difficile, aussi bien du point de vue de la nature des emplois qui sont créés que de l'insuffisance de leur nombre. S'il faut avoir un emploi pour pouvoir se prévaloir de ce programme, cela posera des problèmes parce que quantité de gens ne pourront pas en bénéficier.

Il y a également beaucoup d'emplois qui n'offrent pas les avantages sociaux habituels. Il y a aussi les gens qui travaillent pour leur propre compte et ne contribuent pas à certains programmes d'assurance sociale comme l'assurance-chômage, ou des employés à temps partiel qui n'ont pas droit aux assurances sociales. Il y a donc toute une série de problèmes à régler.

Par ailleurs, si l'on envisage d'offrir une aide aux gens qui ne sont pas sur le marché du travail, qu'il s'agisse d'enfants, d'adolescents ou de personnes âgées, leurs besoins seront plus importants parce qu'ils n'ont peut-être pas de liens avec la main-d'oeuvre à ce moment-là mais ils ont néanmoins besoin d'une aide personnelle. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons examiné les possibilités d'aide personnelle sans prendre en considération le modèle d'assurance ou la façon dont cette aide serait fournie. Il y a des gens qui ne font pas partie de la main-d'oeuvre active à cause de la situation sur le marché du travail ou pour des raisons démographiques, comme les enfants ou les personnes âgées. Votre proposition est intéressante mais je pense que nous préférons dans ce domaine un système fondé sur la fiscalité.

M. Scott: Pour préciser le mieux possible le sens de ma question, je pensais plus aux contributions qu'aux dépenses. En d'autres termes, j'ai essayé plutôt d'imaginer les critères sur lesquels seraient fondées les contributions plutôt que ceux qui permettraient de recevoir des prestations. Je m'appuie donc sur l'idée très générale selon laquelle les gens qui ont du travail dans notre pays s'en tirent raisonnablement bien. C'est une généralisation, je le reconnais. Il y a toutes sortes de personnes qui travaillent et qui sont pauvres et ce modèle pourrait également améliorer leur situation.

Voilà à quoi je pensais, mais je craignais que, précisément pour les raisons que vous avez mentionnées, il ne soit en quelque sorte bien difficile d'imaginer comment ce modèle pourrait inclure ces gens qui, dans l'esprit de la plupart des Canadiennes et Canadiens, n'ont aucun lien avec la main-d'oeuvre active. Cela ne veut pas dire qu'il faudrait contribuer à ce modèle pour pouvoir en bénéficier. Ce serait plutôt un système collectif.

Mme Torjman: Je comprends ce que vous voulez dire. D'accord.

Il y a une question qui se rattache à cela, celle de savoir si, en fait, il y aurait un impôt spécialement prévu pour cela. Nous n'avons jamais été en faveur du principe de prélever un impôt destiné à une utilisation particulière. Je veux que cela soit bien clair et figure au procès-verbal. Nous pensons que le fait d'affecter des impôts à certaines fins pose de graves problèmes parce qu'ils peuvent servir à des choses utiles mais également à d'autres qui ne le sont pas. C'est juste un prolongement de ce dont vous parliez, mais je voulais le dire.

M. Grose (Oshawa): Ma question est peut-être simpliste. Il me semble que ce que j'ai entendu dire ici ce matin est que, en ce qui concerne les services aux personnes handicapées, les gouvernements ont des compétences qui se chevauchent. Il reste des lacunes à combler en ce qui concerne notamment le fait de savoir qui paie quoi et auprès de qui on doit présenter une demande. Je sais que les gens s'adressent à nous dans mon bureau et nous avons du mal à déterminer s'il faut se tourner vers l'administration provinciale, municipale ou fédérale.

Étant ici depuis deux ans, je me rends bien compte que ce qui paraît évident n'est pas toujours facile. Je suis également frappé par le fait que vous représentez ici trois organisations différentes qui semblent toutes oeuvrer à peu près dans le même but et chercher à servir les mêmes gens. Une intégration plus poussée des groupes défendant des intérêts similaires serait-elle souhaitable ou possible?

Le président: Voulez-vous donner votre avis là-dessus?

.1225

Mme Rioux: L'une des choses dont j'aimerais parler est votre première observation. Vous avez tout à fait raison de dire que certaines compétences se chevauchent. Je crois que l'un des problèmes qui se posent au sujet de la politique vis-à-vis des personnes handicapées au Canada est que, traditionnellement, elle a toujours été conçue comme une série de compléments au système normal. Il y a 50 ans, on partait du principe qu'on allait envoyer les personnes handicapées quelque part, qu'on ne se soucierait pas trop d'elles, qu'on leur donnerait assez d'argent pour vivre et que, avec un peu de chance, elles ne vivraient pas trop longtemps. Je pense que c'est vraiment ce qui se passait.

Alors, quand il a soudain fallu ajouter les personnes handicapées au système d'aide sociale, cela n'a pas très bien marché. Il en est allé de même pour ce qui est de l'assurance-chômage et de la fiscalité. On se retrouve constamment avec ces éléments bizarres qui ne sont à leur place nulle part et qu'on greffe sur tous ces systèmes.

Ce que nombre de personnes ont essayé de faire - et je crois que les témoins que vous avez sans doute entendus aujourd'hui étaient tous des gens qui s'intéressaient à la politique sociale - est de savoir en quoi consistent tous ces éléments. Nous avons essayé d'examiner le système de soutien du revenu ou celui de l'assurance-chômage pour voir ce qu'ils représentaient globalement pour les personnes handicapées. Nous avons essayé de voir comment on pourrait, en essayant de les regrouper, créer un système rationnel répondant aux besoins des personnes handicapées tels qu'elles les définissent elles-mêmes. Elles ont exprimé leurs désirs de façon très éloquente dans le cadre de Pleine participation 92 et nous connaissons donc leurs exigences. Nous avons essayé de partir de là pour mettre au point un système de soutien du revenu et d'assistance sociale qui réponde en fait à ces besoins mais tienne compte également de façon responsable des possibilités financières.

On pourrait donc proposer, je pense, diverses choses, mais, de façon générale, quand on a examiné assez des éléments rajoutés au système et constaté que les rafistolages effectués depuis 20 ans ne riment à rien, on se rend finalement compte qu'il est probablement temps de repartir à zéro.

L'une des réalités politiques actuelles est que, si le gouvernement fédéral, si on se réfère à certaines normes, n'est pas à la hauteur, nous pourrions très facilement nous retrouver avec 10 ou 12 systèmes répondant moins bien aux besoins que ne le ferait une approche globale.

Nous ne savons pas exactement ce qu'il en est, mais nous avons maintenant certainement des chiffres à notre disposition. À notre avis, cela peut se faire sans grande dépense supplémentaire. En fait, on gaspille beaucoup plus d'argent en rajoutant diverses choses comme nous l'avons fait qu'en envisageant sérieusement une approche globale.

Je pense que le gouvernement fédéral a apporté une énorme contribution au cours des 15 dernières années en se posant en chef de file, en présentant des idées nouvelles et en mettant en place certains programmes, lorsque c'était possible, pour vérifier la validité de certaines des conceptions plus rationnelles. Je pense qu'il faudrait continuer sur cette voie.

Mme Torjman: Je veux préciser que le Caledon Institute n'est pas un organisme qui défend les intérêts des personnes handicapées. Nous nous occupons de recherche et de développement en matière de politique sociale; nos travaux sont donc d'ordre plus général et, pour répondre à la deuxième partie de votre question, ils ont parfois été axés plus particulièrement sur les personnes handicapées.

Je veux cependant aborder la question de la coordination, car l'une des questions que nous avons examinées est la possibilité de séparer le rôle du gouvernement fédéral et celui des provinces. Pourquoi le gouvernement fédéral ne s'occuperait-il pas de la sécurité du revenu dans l'ensemble du pays, par exemple, et n'en assumerait-il pas la responsabilité de telle façon que l'adaptation du revenu aux besoins soit uniforme dans tout le pays et qu'on n'ait plus à compter sur l'aide sociale pour cela, les provinces se chargeant alors des services sociaux? Un tel système fonctionnerait-il?

Je pense que oui. Je suppose que ce dont nous doutons à cet égard est la capacité financière de nombreuses provinces à fournir les mesures d'aide personnelle dont les gens ont besoin et qui seront nécessaires à l'avenir. Nous avons donc toujours compté sur le gouvernement fédéral pour assurer cette capacité financière et cela nous paraît important.

Nous attendions traditionnellement du gouvernement fédéral qu'il établisse des normes et s'assure qu'elles étaient respectées. Nous ne pensons pas que cela sera possible avec les dispositions du TCSPS et cela nous inquiète.

.1230

Je pense donc qu'il pourrait être intéressant de dissocier la sécurité du revenu et l'aide personnelle, mais je pense que le gouvernement fédéral continue d'avoir un important rôle à jouer en ce qui concerne la capacité financière. Voilà pourquoi nous attendons de lui qu'il s'implique dans ce domaine, malgré les chevauchements qui pourraient en résulter.

Le président: Je voudrais poser quelques questions dans la même veine. La première porte sur la capacité financière. Un mécanisme de péréquation des paiements ne règle-t-il pas ce problème?

Mme Torjman: Dans une certaine mesure, oui, mais, à ma connaissance, la péréquation ne s'accompagne d'aucune obligation et concerne en fait les infrastructures - les égouts, les routes et un niveau minimal pour les services publics. Elle n'a pas une portée générale et n'a jamais été censée s'appliquer à la santé, aux services sociaux ni à l'éducation postsecondaire. Voilà pourquoi nous avons d'autres dispositions de financement reposant sur des critères différents tels que la population et le PNB. Le RAPC prévoyait autrefois des dispositions anticycliques pour tenir compte des variations conjoncturelles. La péréquation s'applique donc plutôt aux infrastructures telles que les routes et les égouts qu'à celle des services sociaux.

Le président: Pour préciser les choses, M. Bolduc a indiqué qu'il faudrait accorder une indemnisation pour les frais entraînés par les handicaps sans tenir compte du revenu. S'agit-il du revenu individuel ou de la sécurité du revenu?

Je pose cette question pour la raison suivante: on doit vous indemniser pour une perte ou un handicap parce que vous ne disposez pas des moyens suffisants, mais si l'on a affaire à un millionnaire... Je veux que cela soit clair: l'aide doit-elle être totalement indépendante du revenu?

[Français]

M. Bolduc: La réponse est oui. Évidemment, lorsque quelqu'un est millionnaire, cela peut paraître exagéré, mais ce sont des exceptions.

[Traduction]

Le président: Je veux seulement préciser cette notion. Si on ne tient pas compte du revenu, y aura-t-il des exemptions dans le cas des rares personnes ayant un revenu extrêmement élevé? Cela serait totalement contraire au principe en jeu. En d'autres termes, il faut savoir exactement ce que l'on veut indemniser. Vous nous dites donc qu'il y a un prix à payer pour les incapacités, quelles qu'elles soient. Si c'est votre avis, le comité devra en tenir compte. Est-ce votre avis?

[Français]

M. Bolduc: Personnellement, je suis convaincu qu'il est préférable de combler les besoins les plus essentiels indépendamment du revenu de la personne. Les personnes paient des impôts en fonction de leur revenu. Si une personne a des incapacités et gagne un excellent revenu, elle va payer plus d'impôt qu'une personne qui a peu de revenu, cela va de soi. Ne taxons pas les incapacités. Ne pénalisons pas financièrement une personne qui a des incapacités entraînant des coûts supplémentaires. Partageons ces coûts de façon solidaire, de façon globale, comme on le fait pour la santé. Quand quelqu'un va chez un médecin, on ne lui demande pas son revenu.

Si, un jour, il fallait tenir compte du revenu, il serait beaucoup plus logique qu'on commence à en tenir compte pour des besoins occasionnels et non pas pour des besoins à long terme. C'est la logique même.

Je suis convaincu qu'il est préférable de ne pas tenir compte du revenu quand il s'agit de combler les besoins spéciaux. Cependant, on doit tenir compte des revenus des personnes ayant des incapacités aux fins de l'impôt, comme pour les autres.

[Traduction]

Le président: J'ai une dernière question. Êtes-vous toutes les deux d'accord avec lui?

Mme Torjman: En théorie seulement, parce que je ne pense pas que nous aurons dans notre pays un programme offrant dans la pratique une indemnisation pour les frais reliés aux incapacités sans tenir aucun compte du revenu des personnes concernées.

.1235

En l'absence d'un programme universel de ce type, j'aimerais mieux à court terme que nous ayons un système plus rationnel que celui que nous avons actuellement. Mais si, pour y parvenir, il fallait établir des critères de revenu, je serais d'accord.

En d'autres termes, n'ayons plus recours à l'aide sociale ni aux programmes de soutien du revenu lorsqu'ils ne sont pas adaptés et adoptons des modalités différentes. S'il faut satisfaire à certains critères de revenu pour pouvoir en bénéficier, je pourrais appuyer cette idée si cela veut dire que l'on s'oriente vers un système mieux adapté et plus rationnel.

Mme Rioux: Je suis d'accord en théorie avec le point de vue de M. Bolduc, mais je pense qu'il est important de comprendre un certain nombre de choses. L'une d'elles est que les frais reliés à un handicap sont les mêmes que l'on soit riche ou non. Le problème est qu'une personne handicapée gagnant 100 000 $ par an dispose seulement de 80 000 $ parce qu'elle a 20 000 $ de dépenses supplémentaires. Il faut décider si nous voulons continuer à défavoriser les personnes qui ont un revenu très élevé. Par rapport à quelqu'un d'autre placé dans la même situation, leur revenu sera plus faible parce qu'elles doivent débourser de l'argent pour leur fauteuil roulant et toutes les autres choses de ce genre.

Je pense néanmoins que l'on pourrait certainement utiliser la fiscalité pour atténuer les appréhensions que les gens auraient vis-à-vis d'un système de ce genre. Je pense que c'est une question de point de vue.

Je crois qu'on nous a posé cette question lorsque nous avons présenté le programme canadien de ressources pour les personnes handicapées. Nous avons appris combien il y avait de personnes handicapées riches dans notre pays, mais je n'ai malheureusement pas ce chiffre ici. Environ 6 p. 100 gagnaient plus de 100 000 $ - je parle des personnes handicapées ayant un emploi - , c'est donc un nombre très limité de gens. Ils étaient moins de quelques centaines dans l'ensemble du pays.

M. McClelland: Ces commentaires et ces questions étaient tous intéressants. Pour continuer dans la même veine que M. Bolduc, ce n'est pas parce que cela va être difficile qu'il ne faut pas même essayer. Comme vous le dites, c'est un gâchis. Comment faire table rase? Reconstruisons ce système de fond en comble.

L'une des questions soumises actuellement aux parlementaires est la notion de ce qu'on peut appeler un impôt unique ou forfaitaire ou je ne sais quoi. Cela va redevenir un sujet d'actualité et ce serait peut-être l'occasion de combiner un impôt forfaitaire... Il existe plusieurs propositions différentes.

Si, en tant que Canadiens, nous convenons que nous n'allons pas laisser quelqu'un mourir de faim dans la rue à moins que ce ne soit un choix délibéré de sa part et si, en vertu de nos valeurs sociales, nous sommes prêts à fournir l'aide nécessaire pour qu'il n'y ait pas de gens condamnés à vivre dans la rue pour quelque raison que ce soit, cela soulève tout le problème d'un impôt négatif sur le revenu ou d'un niveau minimal de soutien du revenu. Si cela se faisait et si les gens ne dépassant pas un certain niveau de revenu n'avaient pas d'impôt à payer et recevaient un complément du revenu pour atteindre le seuil correspondant - ce serait cet impôt négatif - , est-ce que l'on pourrait encore rajouter quelque chose de plus pour les handicaps?

Bien sûr, toutes les personnes handicapées n'ont pas les mêmes frais. Il y a par exemple des gens qui ont besoin de quelqu'un pour s'occuper d'eux. En outre, occuper un emploi peut être nécessaire notamment du point de vue spirituel, social et humain.

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Pensez-vous donc que l'on pourrait commencer ainsi en instituant un impôt forfaitaire ou unique avec un impôt négatif sur le revenu pour les gens de la tranche inférieure et un complément pour les handicaps? Je m'adresse à M. Bolduc ainsi qu'à vous, Sherri.

[Français]

M. Bolduc: Oui, pourvu qu'on tienne compte des coûts réels de chaque individu. Les coûts reliés aux incapacités sont individuels.

J'en profite pour ajouter qu'on entend souvent le raisonnement voulant qu'on n'ait plus, collectivement, les moyens d'avoir une telle approche et qu'il faut donc être plus sélectif.

J'ai beaucoup de difficulté à comprendre ce raisonnement. On dit: Collectivement, on n'a plus les moyens de couvrir un coût; donc on va demander à une petite partie de ces gens-là de le couvrir. Mathématiquement, cela ne fonctionne pas. Ce n'est pas une question d'en avoir les moyens, mais de savoir si on veut fonctionner dans une société où on assume collectivement des besoins ou si on va de plus en plus vers un système à l'américaine, où c'est chacun pour soi. C'est cela, la vraie question.

[Traduction]

Mme Torjman: J'ai quelques commentaires à propos de cette proposition ou de cette idée. D'abord, notre institut n'a jamais été en faveur d'un impôt forfaitaire qui nous paraît être de nature régressive. Je voulais donc simplement dire cela à propos du mode de financement. Nous pensons que l'impôt sur le revenu devrait être progressif et qu'un impôt forfaitaire constituerait un mode d'imposition régressif.

Cela dit, la notion d'impôt négatif sur le revenu est évidemment intéressante. À diverses reprises dans le passé, nous avons parlé de revenu garanti et un impôt négatif sur le revenu est manifestement une des façons de le faire.

Là encore, nous pourrions être théoriquement en faveur de cela. C'est quelque chose que le gouvernement fédéral pourrait fournir comme une sorte de soutien du revenu en veillant à ce qu'il soit suffisant et uniforme dans l'ensemble du pays.

Comme je suis sûre que vous pouvez l'imaginer, le problème que pose une proposition de ce genre est celui du coût. Voilà pourquoi notre institut a toujours mis de l'avant le concept de prestations pour enfants, parce que nous pensons que c'est une des façons d'avoir une sorte de revenu garanti tout en limitant un peu plus les coûts. Néanmoins, nous serions théoriquement tout à fait en faveur de l'idée d'un impôt négatif sur le revenu.

Le problème est de savoir si l'on peut intégrer les mesures d'aide personnelle à l'intérieur de cela comme complément. Je conviens avec Mario que le problème est que c'est très individualisé ou que cela doit l'être. Dans un tel système, il faut que quelqu'un approuve ou rejette les dépenses, ce qui impose une lourde machine administrative, ou, comme on le fait dans le régime fiscal actuel, on peut avoir une liste indiquant les choses qui sont acceptées. Il y a des limitations dans les deux cas.

Quant au fait de savoir si l'on pourrait inclure complètement l'aide personnelle dans un système d'impôt négatif sur le revenu, je pense qu'il faudrait alors avoir une liste beaucoup plus complète et beaucoup moins limitative que les listes actuelles, trop contraignantes.

Mme Rioux: Je pense également que c'est une idée intéressante. Compte tenu des mises en garde mentionnées aussi bien par Sherri que par Mario, il est important de pouvoir alors individualiser le type d'aide fournie.

À mon avis, c'est possible. Nous faisons nous-mêmes des recherches à ce sujet. Nous sommes en train de mettre au point, de concert avec le gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard, un système tel que le revenu d'un groupe déterminé de personnes handicapées ne relèverait plus de l'aide sociale. Nous essayons donc d'élaborer un modèle de ce genre.

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Nous cherchons comment mettre au point ce que nous appelons une liste des mesures d'aide, mais on pourrait désigner cela comme on veut... Il faudrait pouvoir y inclure - puisque nous avons maintenant des ordinateurs et des technologies qui permettent de le faire - un certain nombre de facteurs de pondération. Il ne s'agit donc plus d'une liste comme on en avait autrefois aux Affaires des anciens combattants indiquant que la perte d'un doigt vous donnait droit à 5 $ pour le reste de votre vie. On peut maintenant faire cela de façon bien plus moderne. On peut même calculer pendant combien de temps les gens ont besoin de certains services et le type d'aide personnelle nécessaire et répartir cela sur l'ensemble d'un système.

À mon avis, il est possible de mettre au point un système de ce genre. Ce n'est pas facile à faire, mais nous commençons à y travailler maintenant pour voir ce que cela pourra donner.

M. Scott: J'ai un commentaire à faire au sujet de la péréquation. Étant originaire des Maritimes, je me dois d'intervenir. Je pose cette question pour que cela soit porté au procès-verbal.

La péréquation a été conçue avant la création de certains programmes que les provinces ont été, depuis lors, chargées de mettre en oeuvre. Par conséquent, du point de vue historique, il me paraît juste de mentionner les routes et les choses de ce genre. Je pense que cela a même précédé les égouts.

Quoi qu'il en soit, le fait est que, lorsque le gouvernement fédéral a commencé à s'impliquer dans les dépenses sociales, c'était parce que de nombreuses provinces n'avaient pas les moyens nécessaires pour mettre en oeuvre les programmes qui leur étaient confiés. En même temps, cela permettait d'introduire le pouvoir de dépenser. Il y avait donc côte à côte ces deux objectifs, dont l'un était une péréquation d'un niveau plus élevé qu'auparavant et l'autre une vision nationale.

Dans le contexte du débat sur le TCSPS, il est très important de garder ces deux éléments présents à l'esprit afin que personne ne croie que, s'il n'y avait pas le gouvernement fédéral, cette péréquation permettrait d'une façon ou d'une autre le type de redistribution de la richesse nécessaire pour la mise en oeuvre de programmes équitables dans l'ensemble du pays.

Cela dit, le comité des finances a précisé expressément, dans son rapport sur le projet de loi C-76 au printemps dernier, que le gouvernement fédéral ne devait pas abandonner les domaines dans lesquels s'effectuaient des transferts avant le TCSPS et que, en fait, les sommes relevant du pouvoir de dépenser seraient nécessaires à la concrétisation de cette vision, quelle que soit la nature exacte de celle-ci. Vu les circonstances, j'emploierai les termes les plus neutres possible. J'aimerais savoir ce que vous en pensez et je me demande si, à votre avis, il faut garder espoir en ce qui concerne cet engagement ou cette suggestion?

Deuxièmement, je veux revenir - sans imposer à nouveau à tout le monde des explications laborieuses à ce sujet - sur le modèle auquel a fait allusion Sherri et qui portait sur le soutien du revenu et sa mise en oeuvre par les provinces. Il y a des gens qui parlent d'un modèle de ce genre. Nous sommes peut-être déjà bien engagés sur cette voie, si l'on voit les sommes qui sont transférées dans le cadre de la redistribution du revenu. Étant donné que la partie correspondant à la redistribution du revenu reste relativement inchangée et que le gouvernement fédéral diminue sa participation aux programmes aussi bien directement qu'indirectement par le biais du TCSPS, nous commençons de toute façon à nous en approcher, que ce soit à cause des nécessités financières ou de la planification en matière de politique sociale.

Pour en revenir à ce modèle du marché du travail, pourquoi le gouvernement fédéral ne serait-il pas prêt à se montrer responsable en supprimant les obstacles qui tiennent les gens à l'écart de celui-ci - en favorisant la formation, ce à quoi nous avons l'habitude de penser, et j'imagine que cela s'appliquerait également aux personnes handicapées - et en se demandant ce dont une personne handicapée a besoin pour compenser les effets de son handicap par rapport à cela...?

Je ne veux pas m'en tenir à une définition limitée de ce qu'est le marché du travail. Je préférerais la définition la plus générale possible incluant les notions d'accessibilité, d'intégration, de participation et toutes les choses de ce genre. Si le gouvernement fédéral assumait la responsabilité de cela, par exemple en assurant un financement à partir des fonds du Trésor au lieu d'avoir recours à un système de cotisations comme pour l'assurance-chômage, est-ce que cela aurait des chances de marcher? Est-ce que cela ferait disparaître les craintes que vous inspire ce modèle qui aurait pour conséquence d'imposer aux provinces des responsabilités dont elles n'ont pas les moyens de s'acquitter.

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Mme Torjman: Le problème est que les provinces, si elles n'en ont pas les moyens, n'assumeront pas ces responsabilités. Elles n'offriront tout simplement pas ces mesures de soutien.

Je ne pense pas qu'en effectuant ces transferts, le gouvernement fédéral leur imposerait nécessairement des obligations irréalistes. Cela leur permettrait d'accorder des mesures de soutien aux gens pour qui elles sont nécessaires afin de satisfaire leurs besoins. Je ne vois donc pas cela comme une façon de les forcer à faire quelque chose qu'elles ne peuvent pas faire. Je crois plutôt que cela les mettrait en mesure de le faire.

Comme je l'ai déjà dit, nous avons présenté une proposition de financement global - nous avons dû conclure une sorte de compromis à ce sujet - mais c'était pour faire en sorte que de l'argent soit consacré à l'aide personnelle.

Ce que vous avez dit au sujet du TCSPS dans le rapport du comité des finances est intéressant. Nous avons été ravis que ce comité dise carrément que cette formule devrait inclure une participation financière fédérale. C'était, à ma connaissance, le rapport le plus court qu'ait jamais présenté un comité parlementaire, mais il était néanmoins très important. Il disait que si cette formule n'inclut pas d'argent du gouvernement fédéral, il n'y a plus moyen de faire pression pour imposer certaines conditions.

Le problème qui se pose concerne en partie l'argent et le fait que cette somme est retirée. Le montant total diminue, comme vous le savez. Au cours des deux premières années, les retraits atteindront 7 milliards de dollars. Mais le problème principal est la formule d'indexation selon laquelle le système de financement actuel est indexé sur le PNB moins 3 p. 100. Au fil du temps, il en résulte que la valeur de cet argent diminue par rapport au coût de la vie et que l'influence du gouvernement fédéral diminue également en conséquence. Vous connaissez le problème: il faut payer pour se faire respecter et c'est précisément ce qui se passe.

Nous étions donc vraiment ravis de voir le comité des finances présenter une telle recommandation. Néanmoins, le problème est que nous ne pensons pas que cela aura le moindre effet en matière d'aide sociale et de services sociaux. Nous pensons que cela pourrait avoir des répercussions sur l'application des conditions prévues actuellement par la Loi canadienne sur la santé, mais pour ce qui est d'imposer de nouvelles conditions concernant l'aide sociale et les services dans le cadre du TCSPS, nous ne voyons aucune possibilité pour le gouvernement fédéral d'avoir un mot à dire là-dessus. En fait, vu la teneur actuelle de la loi, les conditions prévues dans le Régime d'assistance publique du Canada sont désormais sans effet et, comme je vous l'ai déjà signalé, les provinces ont dit qu'elles n'allaient même pas respecter la seule condition encore maintenue.

Je trouve très bien que nous gardions de l'argent pour assurer l'application de la Loi canadienne sur la santé mais, malheureusement, je ne pense pas que nous aurons encore une influence en ce qui concerne les autres parties. C'est en fait la raison pour laquelle nous voulions séparer l'aide sociale et les programmes sociaux de l'ensemble. Nous ne voulions pas que tout soit regroupé parce que nous savions que, dans cette affaire, ces deux éléments en sortiraient perdants.

Le président: Il nous reste cinq minutes, notre tâche principale étant...

Mme Rioux: Puis-je répondre très brièvement?

Je n'ai peut-être pas compris correctement votre question, monsieur Scott, mais si elle portait sur les implications du fait que le gouvernement fédéral continuerait de jouer le même rôle en matière d'emploi alors que les provinces s'occuperaient des services sociaux et du revenu - je ne sais pas si c'est bien ce que vous demandiez - , cela entraînerait une fragmentation du système. En conséquence, il deviendrait absolument impossible de disposer de quelque moyen que ce soit pour permettre aux gens de se faire une place sur le marché du travail.

M. Scott: Non, ce n'était pas cela. Je reviendrai là-dessus plus tard.

Le président: Une partie de notre mandat principal dans ce domaine concerne l'étude de la stratégie nationale. Si le comité me le permet, j'aimerais poser une question à ce sujet.

La stratégie a-t-elle donné de bons résultats? Si certains de ses éléments ont échoué, lesquels? Quels éléments peut-on maintenir?

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Mme Rioux: C'est une question que je n'aime pas me voir poser. Je ne crois pas qu'il y ait eu une stratégie nationale. Je crois qu'il y a eu...

Le président: Alors, vous devriez répondre à toutes les questions.

Mme Rioux: Je crois en fait qu'une partie de l'argent mis de côté pour une stratégie nationale a été utilisé de façon stratégique. Il y en a deux ou trois exemples et je crois qu'ils sont importants. Il y a eu notamment l'argent alloué à la fermeture de certains établissements. Le gouvernement a prévu pour cela 15 millions de dollars qui devaient être utilisés comme un financement global, principalement à Terre-Neuve. Je pense que cela a permis d'obtenir de nombreux résultats positifs et mesurables. C'était une partie particulièrement importante de la stratégie.

Dans certains cas, je pense que l'argent a été utilisé pour des projets qui auront besoin d'être financés de façon permanente, ce qui ne les rend pas stratégiques. Un fonds stratégique aurait dû servir à entreprendre des sortes d'initiatives qui, à longue échéance, auraient pu s'autofinancer dans le cadre des services sociaux actuels ou futurs.

L'autre initiative stratégique qui ne fait pas partie de celle dont vous parlez a été annoncée par le gouvernement fédéral il y a deux ans à l'Île-du-Prince-Édouard - il s'agissait d'un nouveau mécanisme de financement indépendant de l'aide sociale destiné aux personnes handicapées. Je pense que cela constitue en fait une utilisation stratégique des ressources du gouvernement fédéral.

Mme Torjman: Je pense qu'un certain nombre d'initiatives intéressantes ont été entreprises dans le cadre de cette stratégie. L'important était que les ministères communiquaient entre eux au lieu d'agir chacun de leur côté.

Mais, comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, je pense que l'on peut parler de stratégie si le tout représente plus que la somme de l'ensemble des éléments dont il est composé. Une stratégie doit comporter une orientation générale ou une vision émanant directement des hautes sphères du gouvernement. Nous aurions dû entendre parler de cette stratégie nationale dans tous les discours des ministres. Nous aurions dû entendre le premier ministre, le bureau du Conseil privé et les députés en parler avec conviction. Cela n'a pas été le cas. Les groupes représentant les personnes handicapées étaient peut-être au courant de l'existence de cette stratégie nationale, mais pas la plupart des Canadiennes et des Canadiens.

Nous sommes en train d'élaborer un projet de partenariats sociaux dans le cadre duquel nous examinons les rapports entre le monde des affaires et les groupes communautaires pour ce qui a trait au bien-être social et économique. Chaque fois que nous en avons l'occasion, chaque fois que nous parlons à une tribune, lors d'une conférence ou devant un comité parlementaire, nous signalons que nous faisons cela, parce que c'est important. Je pense que le gouvernement fédéral aurait dû agir de même. S'il a véritablement une stratégie nationale qu'il est décidé à appliquer, il devrait saisir toutes les occasions pour expliquer ce qu'il fait, pour que toute la population canadienne sache ce qu'il a fait. C'est ce qui, à mon avis, faisait défaut dans la stratégie nationale.

Le président: Vous avez parlé de la stratégie et d'une vision. L'expression «stratégie nationale» inclut le mot «nation» et il me semble que l'on définit une «nation» en fonction des éléments sociaux, économiques et politiques existant à l'intérieur d'un territoire. Pourrait-on fonder là-dessus la définition d'une vision s'appliquant, dans ce cas-ci, aux personnes handicapées?

Mme Torjman: Certainement, si l'on inclut l'intégration et la reconnaissance du principe du bien-être social et économique.

Le président: Toutes les choses de ce genre.

Mme Torjman: Absolument, ainsi que la citoyenneté. Je pense que les éléments clés devraient être la citoyenneté et les droits de la personne, ce qui engloberait le bien-être social et économique comme composantes d'une citoyenneté à part entière au sein de la nation.

Le président: Les membres du comité veulent-ils faire d'autres commentaires?

M. McClelland: Monsieur le président, j'aimerais apporter mon grain de sel à propos de toute cette question de valeurs.

Je pense que notre société est fragmentée et déchirée par la notion de droits fondés sur le sexe, la race et les choses de ce genre. Il vaudrait beaucoup mieux que nous disions que, en tant que citoyennes et citoyens canadiens, nous partageons des valeurs communes, notamment la façon dont nous nous occupons des personnes qui ont moins de chance que nous - les Canadiennes et les Canadiens handicapés. Si nous nous mettions à parler de valeurs plutôt que de droits, je pense que cela aurait une portée beaucoup plus vaste et diviserait beaucoup moins notre société. Je veux que cela soit dit parce que je vais insister là-dessus.

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Le président: En tant que président, je voudrais me prévaloir d'un petit privilège et dire qu'un droit est, en soi, une valeur.

M. McClelland: Bon, d'accord.

Le président: Mais cela pourra faire l'objet d'un débat au comité à l'avenir.

Mme Rioux: Je pense que la suggestion ou la proposition avancée par Sherry selon laquelle nous devrions commencer à nous pencher sur le bien-être des citoyens de notre pays, représente une façon particulièrement importante de réfléchir à ce que nous devrions faire.

Pour ce qui est, plus précisément, du bien-être des personnes handicapées dans la société, les consultations réalisées par le gouvernement fédéral dans le cadre de Pleine participation 1992 ont permis d'établir très clairement comment les personnes handicapées conçoivent cette notion. Il s'agissait d'une consultation nationale organisée par les ministres des services sociaux du gouvernement fédéral et des provinces. Cela a représenté, je crois, une contribution importante à la définition des sortes de valeurs qui pourraient sous-tendre une véritable initiative stratégique couvrant tous les grands aspects, aussi bien économiques que sociaux, de la vie au Canada.

Mme Torjman: Pour répondre brièvement à votre commentaire, je pense que les droits de la personne sont très importants, essentiels, et que le gouvernement fédéral a un rôle clé à jouer pour les définir et les protéger. Mais vous avez absolument raison de dire que nous devons également énoncer quelles sont nos valeurs. Les députés fédéraux peuvent jouer un rôle très important, surtout à ce moment-ci de notre histoire, en énonçant et définissant clairement ces valeurs. J'apprécie donc beaucoup votre commentaire.

Le président: Ce que vous nous dites est que les deux ne s'excluent pas mutuellement.

Mme Torjman: Exactement.

Le président: Si les membres du comité sont d'accord et si vous êtes prêts à le faire, je vous imposerai à tous les trois un court devoir, court seulement à cause du manque de temps: pourriez-vous faire part au comité, peut-être sous forme d'un résumé, de vos opinions personnelles au sujet de la stratégie nationale en vous basant sur votre propre expérience? Avons-nous besoin d'en avoir une? Que devrait comporter une stratégie globale pour servir efficacement les intérêts de la nation? Êtes-vous prêts à relever ce défi, gratuitement?

Mme Torjman: Gratuitement? Absolument. Merci de nous le demander.

Mme Rioux: Avec plaisir. Merci de nous donner cette possibilité.

Le président: Merci.

La séance est levée.

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