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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 13 décembre 1995

.1532

[Français]

Le président: Bon après-midi, mesdames et messieurs. Bienvenue à cette troisième séance de la table ronde sur l'accès humanitaire aux médicaments de recherche. Le thème que nous allons développer aujourd'hui concerne l'éthique et le droit.

J'ai le plaisir, à titre de président du Sous-comité sur le VIH/sida et au nom de tous les membres du sous-comité, de vous accueillir dans le cadre de notre table ronde nationale sur l'accès humanitaire aux médicaments de recherche.

[Traduction]

La table ronde a commencé la semaine dernière. Lors de la première séance, tenue le mercredi6 décembre, nous avons parlé des besoins particuliers des personnes atteintes de maladie catastrophique sur le plan de l'accès humanitaire à des médicaments expérimentaux.

La deuxième séance a eu lieu le 7 décembre et traitait des répercussions que pourrait avoir l'accès humanitaire sur le processus d'évaluation et d'agrément des médicaments, ainsi que des résultats des essais cliniques.

[Français]

Nous entreprenons aujourd'hui la troisième séance de la table ronde dont le thème porte sur les considérations liées à l'éthique et à la loi. Nous nous intéressons à plusieurs questions. Par exemple, quelles seraient les conséquences, sur le plan de la responsabilité juridique, si le gouvernement établissait par loi une certaine forme d'accès humanitaire? Les compagnies pharmaceutiques sont-elles moralement obligées d'accorder aux malades l'accès humanitaire à leurs produits? Le consentement écrit des malades est-il suffisant pour protéger l'État des médecins, des cliniciens, et les compagnies pharmaceutiques d'une poursuite?

Les malades informés ayant rempli une formule de consentement ont-ils des obligations juridiques?

[Traduction]

Nous procéderons aujourd'hui de la manière suivante. Premièrement, les représentants de tous les groupes disposeront de cinq à dix minutes, maximum, pour présenter leurs points de vue sur la question, selon le groupe. Puis les membres du sous-comité pourront poser leurs questions. Enfin, il y aura une période de discussion libre entre les membres et les participants.

[Français]

Avant de commencer, je tiens à vous remercier d'être venus ici cet après-midi. Je tiens à vous dire qu'à 17 h, cet après-midi, les cloches vont sonner. Nous avons un vote à la Chambre des communes à 17 h 15 et nous allons donc devoir partir vers 17 h 05. Mais nous allons revenir après le vote.

Avant que notre premier témoin ne prenne la parole, M. Ménard a une proposition à nous faire.

M. Ménard (Hochelaga - Maisonneuve): J'ai deux propositions, monsieur le président, dont une concernant un sommet sur la recherche que j'ai remise à la greffière et que je souhaiterais voir traduire afin qu'elle puisse être étudiée demain. J'ai ensuite une deuxième proposition que je souhaite lire et faire adopter maintenant.

.1535

Je propose que le Sous-comité sur le VIH/sida adresse ses plus sincères félicitations aux sociétés Glaxo Wellcome et Biochem Pharma pour la découverte et la commercialisation du 3TC. Je propose que le comité félicite ces sociétés qui, en toutes circonstances, ont affiché de l'intérêt pour les personnes atteintes et vivant avec le VIH/sida.

Vous comprenez que cela renvoie à l'actualité, monsieur le président.

Le président: Merci.

Notre premier témoin cet après-midi va nous parler de responsabilité juridique. Il s'agit deM. Mario Simard, de Justice Canada, conseiller législatif senior aux Services juridiques de Santé Canada.

Monsieur Simard, s'il vous plaît.

M. Mario Simard (Justice Canada, conseiller législatif senior, Services juridiques, Santé Canada): Merci. J'ai préparé un document de deux pages qui résume à peu près ce que je vais dire aujourd'hui.

[Traduction]

Mon exposé sera très bref. On m'a demandé de me limiter à cinq minutes. Je l'ai divisé en deux parties. Dans la première, je vous donnerai un aperçu des principes généraux applicables en matière de responsabilité de l'État. Dans la deuxième, je me pencherai sur les dispositions actuelles de la Loi sur les aliments et drogues dans le but de déterminer quelle est l'obligation de diligence imposée au gouvernement.

[Français]

En ce qui concerne les principes généraux de la responsabilité de l'État, le principe reconnu par la Loi sur la responsabilité civile de l'État est que le gouvernement est responsable des fautes commises par ses agents. Dans le contexte qui nous concerne présentement, les éléments du délit de négligence qui devraient être démontrés pour que le gouvernement soit tenu responsable sont de deux ordres.

Il faut d'abord établir qu'il y a une obligation de diligence qui est imposée au gouvernement par la réglementation, ce que les anglophones appellent le duty of care. Donc, pour déterminer s'il y a une obligation de diligence, il faut lire la loi ou le règlement applicable et voir quel est le devoir qui est imposé au gouvernement. Il faut aussi se demander s'il y a un lien suffisamment étroit entre le gouvernement et la victime pour qu'il soit raisonnablement prévisible que, si le gouvernement ne s'acquitte pas de ses fonctions, une personne pourra subir un préjudice. Ceci permettra d'établir quelle est l'obligation de diligence qui repose sur les épaules du gouvernement, quel est le duty of care. Je vais y revenir dans la deuxième partie de la présentation.

L'autre élément du délit de négligence est de démontrer que le gouvernement a manqué de faire preuve de diligence raisonnable dans ses opérations. Je dois dire que le gouvernement n'est pas un assureur public. Le gouvernement n'assure pas le public contre un quelconque préjudice qu'un de ses membres pourrait subir, mais le gouvernement a la responsabilité de prendre des mesures raisonnables pour protéger le public lorsqu'un devoir lui a été imposé par la loi.

Les commentaires suivants sont des commentaires d'incidence mais qui, je pense, aideront à répondre à certaines des questions qui ont été soulevées dans la lettre d'invitation qui avait été envoyée au ministre de la Justice. D'abord, il faut dire que le gouvernement ne peut pas être tenu responsable de l'exercice d'un pouvoir législatif ou d'un pouvoir d'adjudication.

Par exemple, le fait d'adopter un règlement ne peut pas entraîner la responsabilité du gouvernement. De la même façon, les décisions de politique, c'est-à-dire la façon dont on va allouer les ressources en fonction des besoins sociaux, des questions de politique et des moyens économiques à notre disposition, ne seront pas non plus revues par les tribunaux.

Dans la lettre d'invitation, on demandait s'il était possible d'immuniser le gouvernement contre la responsabilité. Oui, c'est possible. Étant donné que la responsabilité de la Couronne repose sur la Loi sur la responsabilité civile de l'État, le Parlement pourrait, par une loi, décréter que dans un domaine donné, le gouvernement ne peut pas être tenu responsable.

Je dois dire cependant que la tendance des tribunaux est d'interpréter ces dispositions de façon très restrictive et de chercher en quelque sorte des échappatoires pour réussir à tenir le gouvernement responsable. Je dois dire aussi que la tendance actuelle est plutôt de tenir le gouvernement de plus en plus responsable de ses gestes plutôt que l'inverse.

Il faut cependant qu'un loi soit décrétée par le Parlement pour permettre d'immuniser le gouvernement de cette façon-là. Cela ne peut pas se faire par un règlement. On a demandé si le consentement de la victime pouvait contribuer à indemniser le gouvernement. En principe, la réponse est oui.

Mais le problème qui se pose à Santé Canada à ce niveau-là est que, pour qu'un consentement puisse avoir quelque fonction que ce soit, il faut qu'il ait été validement donné et, pour qu'un consentement ait été validement donné, il faut que la personne qui l'a signé ait obtenu l'information dont elle avait besoin pour évaluer le risque. Il faut la preuve que cette personne était dans un état intellectuel et émotif tel qu'elle était capable de donner un consentement valide.

.1540

Or, Santé Canada n'est pas là quand le consentement est donné, car le médecin est seul avec le patient à ce moment-là. Donc, Santé Canada n'a aucun moyen de vérifier la validité du consentement en question.

[Traduction]

Une fois établis les principes généraux, lesquels sont très simples et faciles à comprendre, comme vous pouvez le voir, voyons ce que dit la réglementation des aliments et drogues du point de vue de l'obligation de diligence que possède l'État. J'ai divisé ce volet en trois parties.

Premièrement, j'ai examiné l'obligation de diligence dans le cas où un avis de conformité a été demandé pour un nouveau médicament. Dans un tel cas, le gouvernement est responsable de tout ce qui touche à l'innocuité et l'efficacité du produit. En d'autres termes, le ministre doit s'assurer que le produit est sûr, ou du moins entreprendre des démarches raisonnables pour s'en assurer.

Dans le cas des présentations pré-cliniques, il est évident que l'obligation de diligence est beaucoup plus limitée. J'ai dressé ici la liste sommaire des éléments sur lesquels le ministère doit se pencher.

Nulle part le ministre n'est-il tenu de s'assurer de l'innocuité du médicament. Le ministère doit examiner la composition du médicament, les protocoles de recherche et les procédés de fabrication et s'assurer que le médicament servira uniquement à des essais cliniques, mais la portée de l'obligation de diligence est beaucoup plus restreinte que dans le cas d'un avis de conformité ordinaire.

S'agissant de la délivrance d'urgence d'un médicament, c'est-à-dire lorsqu'on demande au gouvernement d'autoriser l'usage d'un médicament pour un traitement d'urgence, vous imaginez bien que la responsabilité de l'État, l'obligation de diligence, est encore plus limitée. Il s'agit alors de déterminer qu'il y a une relation patient-médecin, qu'il y a urgence médicale et, sur la base des données fournies par le praticien, que le produit est sûr et efficace-et je souligne que cette détermination est fondée sur les données fournies par le médecin. Nous devons déterminer également quels établissements vont utiliser le produit et nous assurer que les réactions indésirables etc. seront dûment répertoriées.

En conclusion, je dirais que c'est essentiellement la législation qui détermine l'obligation de diligence de l'État et donc sa responsabilité civile potentielle. Dans le cas d'une délivrance de médicament pour traitement d'urgence, en l'état actuel des choses, la responsabilité potentielle est relativement limitée comparée à d'autres fonctions exercées par l'État.

Je terminerai mon exposé là-dessus. Si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d'y répondre.

[Français]

Le président: Les questions seront posées à la fin de cette première tranche.

[Traduction]

Nous entendrons maintenant le Dr Sophia Fourie, vice-présidente chargée des affaires médicales et réglementaires de Pharmacea et Upjohn, et Dr Michael Levy, vice-président responsable des sciences médicales chez Glaxo Wellcome.

Dr Sophia Fourie (vice-présidente chargée des affaires médicales et réglementaires de Pharmacea et Upjohn Inc., Association canadienne de l'industrie du médicament): Bon après-midi, monsieur le président. Je vous remercie de votre invitation. Nous avons scindé notre exposé. Je dirai quelques mots de la responsabilité juridique et puis Dr Levy traitera de certains des aspects déontologiques.

Il faut d'abord se pencher sur la responsabilité civile de trois parties-l'État, le médecin et le fabricant-puis sur la responsabilité du patient. Le but de l'agrément de la DGPS dans le cadre de la procédure remaniée de délivrance de médicaments pour traitement d'urgence, le nouveau programme d'accès spécial, se limite strictement à fournir un instrument juridique pour la délivrance de médicaments expérimentaux avant agrément.

L'agrément de la DGPS dans le cadre du PAS n'est pas fondé sur l'évaluation de l'innocuité, du risque ou des avantages cliniques éventuels et le gouvernement ne prend aucune position à cet égard. Les fabricants ne peuvent donc déléguer ou se distancer eux-mêmes de la responsabilité civile à l'égard de leurs produits. Dans le système actuel, le patient a toujours le droit de poursuivre le médecin, l'établissement ou le fabricant.

S'agissant plus particulièrement de l'accès à des médicaments expérimentaux, il incombe au fabricant d'évaluer tous les renseignements disponibles sur le médicament dans le but de parvenir à un certain degré d'assurance que le médicament n'est pas nocif et que l'on peut raisonnablement en attendre un avantage net pour le patient. Le problème est que les patients et les médecins peuvent vouloir accéder à un médicament avant que ces renseignements ne soient disponibles et même avant que des interrogations scientifiques fondamentales n'aient reçu réponse, telles que la posologie.

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Il devrait être possible de formuler des options juridiques délimitant la responsabilité des fabricants dans le cas de la délivrance précoce de médicaments expérimentaux. Ces options n'existent pas actuellement et il conviendrait de les explorer avant de mettre en place un nouveau système.

La recherche sur les sujets humains est guidée par des règles d'éthique internationales et nationales, telles que le Code d'Helsinki, les lignes directrices de la FDA, de la DGPS et du CRM. Elles exigent la pleine divulgation des risques et avantages connus et potentiels au patient afin que celui-ci puisse décider en connaissance de cause de prendre ou non le médicament. Cela protège tant les patients que les médecins et fabricants. L'obligation de divulgation est même plus forte dans le cas de recherches que dans celui d'un traitement expérimental.

Le système actuel est basé sur le consentement éclairé et la signature de formulaires de consentement éclairé. Les problèmes que cela pose peuvent se résumer ainsi. Premièrement, les données peuvent être insuffisantes pour que le patient puisse effectivement donner un consentement éclairé. Le consentement éclairé, même dans les conditions optimales, ne protège pas le médecin ou le fabricant de poursuites en justice.

En résumé, le gouvernement doit se pencher sur le cadre juridique sous-jacent, en particulier les questions de responsabilité civile, avant de déléguer des responsabilités aux médecins et aux fabricants.

Le président: Je vous remercie, docteur Fourie.

Docteur Michael Levy, je vous prie.

Dr Michael Levy (vice-président, sciences médicales, Glaxo Wellcome, Association canadienne de l'industrie du médicament): Je souscris aux propos du Dr Fourie. Je me réserve d'intervenir plus tard, lorsque nous parlerons de l'éthique.

Le président: Je vous remercie.

Nous allons passer à notre prochain témoin, M. Trudo Lemmens, du Centre McGill pour la médecine, l'éthique et la loi.

M. Trudo Lemmens (membre, Centre McGill pour la médecine, l'éthique et la loi): Je suis chercheur en droit et bioéthique à l'Université McGill et aussi à l'Université de Montréal. Je suis membre du Comité d'éthique pour la recherche de l'Hôpital général de Montréal.

J'ai été invité à intervenir au sujet de la politique proposée en tant que membre du Canadian HIV-AIDS Legal Network. Cependant, je dois dire que les membres du réseau n'ont pas discuté de la politique de délivrance de médicaments et n'ont pas pris de position officielle sur la question. Je suis donc seul responsable des propos que je vais tenir.

C'est une tâche très délicate que de débattre de la politique de délivrance de médicaments. Cela exige d'examiner de près différents intérêts et valeurs.

Premièrement, il faut veiller à ce que les patients atteints de maladie catastrophique bénéficient du meilleur traitement disponible. Cela peut supposer parfois leur donner accès à des médicaments non agréés prometteurs.

Deuxièmement, des personnes vulnérables, comme celles qui souffrent d'une maladie catastrophique, méritent au moins autant de protection contre les dommages potentiels que d'autres. La notion de consentement n'est pas une excuse pour les exposer à des dommages physiques et pécuniaires. De dire que les personnes atteintes du VIH et du SIDA n'ont rien à perdre est manifestement erroné.

Troisièmement, les mécanismes d'agrément de médicaments n'ont pas pour seule fonction de protéger les malades. Ils servent non seulement à garantir l'efficacité et l'innocuité d'un médicament, mais aussi un rapport risques-avantages positif. C'est d'une importance majeure pour les patients futurs qui peuvent avoir besoin d'un médicament et pour toute la population, qui paye les médicaments. Dépenser pour des médicaments inutiles ou même nocifs revient à priver des patients d'autres soins du fait, que nos ressources sont clairement limitées.

On a demandé mon avis sur les répercussions de la politique proposée sur la responsabilité civile de la DGPS, des compagnies pharmaceutiques et des médecins qui prescrivent un médicament non agréé. Bien que davantage de recherches sur ce sujet soient requises, il me semble que la responsabilité juridique n'est pas le problème essentiel. Il ne suffit manifestement pas de résoudre le problème de la responsabilité civile pour créer un système éthiquement fondé.

Le droit de la responsabilité délictuelle vise à indemniser les personnes des préjudices résultant d'un manquement à l'obligation de diligence. Il faut plus que cela. En créant un système de dédommagement financier... on incite les gens à agir avec prudence vis-à-vis d'autrui. Le devoir d'informer les patients des dommages potentiels oblige en outre les médecins et compagnies pharmaceutiques à respecter le droit à l'autodétermination des malades.

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Dans le cadre de la politique proposée, le devoir des médecins d'informer les patients devrait être analogue à l'obligation des chercheurs envers leurs sujets. Les avertir qu'un médicament n'est pas agréé, mentionner explicitement que la DGPS ne garantit pas l'efficacité et l'innocuité du médicament, mentionner tous les risques potentiels etc. peut suffire à prévenir des poursuites en justice. Cependant, le droit en matière de responsabilité civile n'est pas considéré comme suffisant à protéger les intérêts des patients et du public en général.

C'est pourquoi on a instauré un système d'agrément des médicaments, mais nous pensons que les pressions économiques en vue de commercialiser rapidement des médicaments à cause du désespoir de malades en phase terminale, la croyance parfois naïve des chercheurs et fabricants en un médicament nouveau etc. peuvent parfois mettre en danger la santé de personnes.

Si le côté dissuasif de poursuites en justice peut prévenir certains dommages, une protection appropriée exige une démarche plus activiste, particulièrement lorsque la santé est en jeu. C'est particulièrement vrai, à mon sens, lorsqu'on a affaire à des personnes vulnérables que l'on peut facilement convaincre de prendre un médicament quels qu'en soient les effets secondaires et les risques. Les malades ont le droit au meilleur traitement disponible, mais ils ont également celui d'être protégés contre le danger.

En outre, l'agrément des médicaments garantit également que des études scientifiquement valides soient menées sur l'efficacité et l'innocuité d'un médicament. La conduite de ces essais scientifiques est d'importance majeure pour les malades du VIH et du SIDA. Il faut prendre garde à ce qu'une politique, tout en n'offrant qu'une apparence d'avantage immédiat, ne nuise à long terme à toute la population des sidéens.

Par conséquent, je dirais simplement que les questions suivantes requièrent un examen plus poussé. Il y a d'abord celle du paiement des médicaments non agréés. Les compagnies pharmaceutiques ne devraient pas utiliser le système pour introduire des médicaments avant agrément dans le but, par exemple, de recouvrer une partie des coûts de production.

Il faudra peut-être interdire le paiement par les patients des médicaments non agréés. Cette question est aussi essentielle dans le contexte du VIH et du SIDA, pour éviter d'avoir un système de soins à deux vitesses. Nous avons toujours rejeté cela au Canada, pour des raisons de justice évidentes. Un tel système pénaliserait des malades qui sont déjà stigmatisés dans notre société, tels que les toxicomanes séropositifs et malades du SIDA qui n'auraient guère les moyens de payer ces traitements nouveaux. Soit un médicament est utile et doit, dans ce cas, être offert gratuitement à tous, soit il ne l'est pas.

Un deuxième aspect qu'il conviendra d'étudier de plus près est la procédure de délivrance d'urgence. La protection des malades en phase terminale et les intérêts de la société exigent davantage de garde-fous encadrant la recherche médicale, et de possibilités pour la DGPS et les conseils d'éthique locaux de contrôler la valeur déontologique et scientifique des recherches. Ces conseils d'éthique pour la recherche sont composés de représentants de la collectivité, tels que médecins, infirmiers, avocats, anesthésistes, etc.

On pourrait mettre au point un système d'autorisation similaire pour la délivrance d'urgence de médicaments. Les groupes d'action sur le VIH et le SIDA devraient être appelés à y participer. Les malades individuels, qui sont parfois au désespoir, ne doivent pas être réduits à prendre seuls la décision. Ils doivent plutôt être représentés et assistés par des personnes qui connaissent leurs intérêts. Les moyens de communication d'aujourd'hui permettent à un médecin dans les régions isolées, par exemple, de trouver cette assistance dans les centres urbains.

Ce ne sont là que quelques-unes des questions sur lesquelles il convient de se pencher si l'on veut trouver un équilibre raisonnable entre les intérêts des patients atteints de maladie catastrophique et la société dans son ensemble. Il faut souligner que ces intérêts ne sont pas nécessairement contradictoires. Un contrôle élémentaire de la délivrance de médicaments est dans l'intérêt tant des malades du VIH et du SIDA que de la collectivité dans son ensemble.

Je vous remercie.

[Français]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lemmens. Comme les personnes dont le témoignage portait sur la responsabilité juridique ont été entendues, nous allons procéder à une période de questions d'environ 15 minutes, qui seront posées par les membres du sous-comité. Monsieur Ménard, s'il vous plaît.

M. Ménard: Concrètement, si un projet de loi est présenté au Parlement pour rendre obligatoire l'accès humanitaire à des fins cliniques, que voudrait dire dans ce cas précis, selon vous, l'obligation de faire diligence, et pour le gouvernement et pour le fabricant? Est-ce à dire que chaque fois qu'un protocole de recherche du Réseau canadien d'essais cliniques passerait entre les mains du gouvernement, celui-ci ne pourrait pas, dans le cadre de la Stratégie nationale sur le sida ou dans le cadre d'un autre véhicule, approuver ce protocole à moins qu'il ne comporte un accès humanitaire? C'est la position idéale vers laquelle nous tendons.

Pour le cas où cela deviendrait une réalité législative, pouvez-vous nous dire comment vous comprenez l'obligation de diligence pour chacune des parties concernées? Je fais nommément allusion aux fabricants et au gouvernement.

M. Simard: Il est difficile de répondre à cette question dans l'abstrait. Essentiellement, l'obligation de diligence, le duty of care, sera déterminée par les obligations imposées par la loi. Cela soulève, à mon avis, un problème, celui de l'obligation des compagnies de distribuer le produit.

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Cette hypothèse soulève deux questions dans mon esprit. La première se situe au niveau de la responsabilité. Si une compagnie ne veut pas distribuer un produit et que le gouvernement l'oblige à le faire, si éventuellement le produit présente un danger et que des personnes subissent un préjudice, il va falloir que quelqu'un paie les pots cassés et on ne pourra pas tenir la compagnie responsable si elle n'a pas voulu, au départ, distribuer le produit. À ce moment-là, la responsabilité du gouvernement sera vraisemblablement potentiellement accrue. Mais cela dépendra toujours de la façon dont la loi aura été rédigée et de la fonction exacte qui aura été imposée au gouvernement.

M. Ménard: Mais vous comprenez que c'est de cela qu'on discute. Pour notre part, notre réflexion est née de la visite d'un de nos premiers témoins, un représentant d'AIDS Action Now!, qui avait à ce moment-là tenu un discours en apparence très radical. Il disait que le gouvernement ne devait pas autoriser de protocoles d'essais cliniques s'il n'y avait pas un accès humanitaire.

Un accès humanitaire, cela veut dire qu'un médecin qui en fera la demande - puisque c'est comme cela présentement dans le cadre du programme des médicaments d'urgence - en ayant des raisons de croire que cela peut prolonger la vie d'un patient, aura la possibilité d'obtenir cette drogue de recherche qui n'est pas encore considérée comme un médicament.

La décision que nous avons à prendre au comité est de savoir si nous allons faire une recommandation au gouvernement pour faire en sorte que l'accès humanitaire soit obligatoire dans le cadre des protocoles de recherche qui seront approuvés.

Or, vous nous dites qu'il faut toujours avoir présent à l'esprit que le caractère facultatif ou contraignant de la distribution d'un éventuel médicament par le fabricant change le niveau de responsabilité. Mais vous n'êtes pas en mesure de nous dire précisément où se situerait le niveau de responsabilité si c'était contraignant.

M. Simard: Effectivement, parce que je n'ai pas le texte devant moi. C'est cependant ce que j'ai essayé de faire dans ma présentation. J'ai essayé de faire comprendre aux gens que c'est exactement ce qui est requis de la part du gouvernement pour déterminer le niveau de responsabilité.

M. Ménard: D'accord.

M. Simard: Cela soulève donc une première question au niveau de la responsabilité. Je vais en soulever une autre pour laquelle je n'ai pas de réponse. En effet, le fait de forcer un manufacturier à distribuer une drogue requerrait d'abord nécessairement un amendement à la Loi sur les aliments et drogues. Il faut bien dire que cet amendement changerait complètement la philosophie de la loi. La Loi sur les aliments et drogues est une loi qui relève du pouvoir criminel du Parlement fédéral, car elle vise à prohiber la mise en marché - je simplifie - de produits considérés dangereux et établit un régime réglementaire pour contrôler la distribution de ces produits-là. C'est donc du droit criminel.

Si on commence à exiger que les compagnies distribuent des documents d'information, est-ce qu'on est encore dans le domaine du droit criminel? Est-ce qu'on est toujours dans la juridiction fédérale ou si on n'est pas en train d'entrer dans le domaine de la pratique de la pharmacie et de la médecine? Je ne peux pas répondre à cette question. Il va falloir examiner cela de façon très précise avant de faire adopter un amendement.

M. Ménard: Effectivement, il faudra établir le niveau de responsabilité. Vous me faites prendre conscience de la différence entre le droit civil et le droit criminel. Évidemment, il y a une différence entre la prépondérance de la preuve et l'administration de la preuve.

Au Centre McGill pour la médecine, l'éthique et la loi, dont j'entends parler depuis plusieurs mois et que je me propose d'aller voir un jour, que pensez-vous, de façon générale, du fonctionnement du programme d'accès aux médicaments d'urgence?

Vous savez peut-être qu'une révision va être enclenchée, avec le Rapport Gagnon, afin de faciliter des liens plus directs entre les médecins et le fabricant tout en essayant de faire jouer un rôle un peu moins important au gouvernement. Qu'est-ce que vous pensez du programme à l'heure actuelle? Si vous aviez la possibilité d'influencer sa révision, qu'est-ce que vous souhaiteriez nous dire?

M. Lemmens: Je vais le dire en anglais, car je me sens un peu plus à l'aise dans cette langue.

[Traduction]

De façon générale, j'ai lu le projet du nouveau programme de médicaments d'urgence. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise idée que de donner davantage de latitude aux médecins de décider les traitements appropriés et dans quelle mesure un nouveau médicament prometteur pourrait aider les malades du VIH et du SIDA.

.1600

Parallèlement, je pense qu'il pourrait être dangereux de ne pas faire participer d'autres personnes des milieux scientifiques et du grand public à ces décisions. Comme je l'ai dit dans ma proposition, peut-être les comités d'éthique pour la recherche et un système d'agrément par le biais de tels comités seraient-ils une bonne idée.

Je crains un peu que le système tel qu'il est actuellement proposé impose un très lourd fardeau aux médecins individuels obligés d'évaluer la validité scientifique de médicaments nouveaux et leur efficacité et risques.

[Français]

M. Ménard: Est-ce que vous avez vu, monsieur le président, le film Médecins de coeur avec Réjean Thomas? Il y a dans ce film un médecin préoccupé par l'éthique qui se pose évidemment beaucoup de questions sur les relations entre la science et la médecine. Est-ce que vous avez une courte définition de l'éthique à nous proposer?

[Traduction]

M. Lemmens: Je dirais que c'est un ensemble de règles morales sur lesquelles la collectivité peut s'entendre et qui détermine nos relations les uns avec les autres et régit la façon dont nous agissons éthiquement l'un envers l'autre.

[Français]

M. Ménard: Je vais la retenir.

[Traduction]

Le président: Vous pourrez poser votre question suivante à notre paneliste ultérieurement.

[Français]

M. Ménard: Oui, je crois qu'il avait une définition intéressante, monsieur le président, mais je vais revenir à cette question.

[Traduction]

Le président: Madame Hayes, s'il vous plaît.

Mme Hayes (Port Moody-Coquitlam): Je vous remercie, monsieur le président.

Puisque nous en sommes à notre témoin de McGill et du réseau SIDA-vous représentez les deux, d'une certaine façon. Vous avez dit que ces médicaments devraient être offerts gratuitement à tous, pour des raisons d'équité et pour mettre tout le monde sur un pied d'égalité.

Qui, dans ces conditions, devrait en assumer le coût, sur la base des principes moraux? Selon la partie qui sera appelée à payer, est-ce que cela n'entraverait pas l'emploi de ces médicaments si l'on s'apercevait que le coût du programme augmente sans cesse au fil du temps? Est-ce que cela n'inciterait pas les participants-médecins, compagnies pharmaceutiques, etc.-à se retirer d'un tel programme si le coût pesait sur eux?

M. Lemmens: Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question. Je n'ai jamais dit qu'il faut distribuer n'importe quel médicament à tout le monde. J'ai souligné au contraire qu'il ne faut pas laisser distribuer sur le marché n'importe quel médicament sans un contrôle de la communauté scientifique, de la collectivité dans son ensemble.

J'ai dit que si un médicament est réellement prometteur et que l'on s'accorde à reconnaître qu'il pourrait aider des malades du VIH et du SIDA, il ne faut pas seulement l'offrir à ceux qui peuvent le payer. Si nous prenons une telle décision, il faut mettre le médicament à la disposition de tous. Dès lors, c'est le système d'assurance-maladie qui prendrait en charge le coût.

Il ne serait pas juste de créer un système où quelque nouveau médicament prometteur ne serait accessible qu'à ceux qui ont les moyens de payer et non aux autres. Il faut être très prudent. Je ne dis pas qu'il faut rapidement libérer des médicaments dès le moindre signe qu'ils pourraient apporter quelque chose. Je pense qu'il nous faut vraiment protéger ces populations vulnérables qui sont exposées au risque et prêtes, dans leur désespoir, à essayer toutes sortes de médicaments.

Mme Hayes: Mais est-ce que ce n'est pas, d'une certaine façon, revenir à tout le mécanisme de la Direction générale de la protection de la santé, au processus suivi pour s'assurer qu'un médicament est efficace et sans danger pour ceux à qui il est administré? En un sens, c'est là le processus que nous avons déjà, c'est-à-dire qu'un médicament devra être agréé par le ministère de la Santé. Est-ce que cela n'exclut pas les médicaments expérimentaux, précliniques et autres?

M. Lemmens: Je dirais que la nécessité de ce programme de délivrance d'urgence de médicaments signifie que certains médicaments-des médicaments expérimentaux, par exemple, qui apparaissent très prometteurs-devraient être offerts plus rapidement qu'ils ne le sont maintenant.

.1605

J'ai dit que si un tel système est réellement nécessaire, peut-être les décisions touchant l'administration de ces médicaments pourraient être prises localement-par exemple, par les hôpitaux. J'entends par là les comités d'éthique des hôpitaux.

Mme Hayes: Dans ce cas, seraient-ils pris en charge par le système public? Ils ne seraient pas admissibles à la prise en charge s'ils sont administrés dans les conditions que vous dites.

M. Lemmens: Ils ne seraient pas nécessairement pris en charge par la collectivité dans son ensemble. Si les compagnies pharmaceutiques étaient disposées à payer et à offrir ces médicaments gratuitement, ce serait évidemment très bien. Si les compagnies pharmaceutiques qui ont mis au point un médicament prometteur étaient disposées à l'offrir gratuitement à tous ceux qui le demandent, avant l'agrément final, ce serait encore mieux.

Mme Hayes: Je devrais demander un éclaircissement-je devrais sans doute le savoir, mais je l'ignore. Est-ce que le plein coût des médicaments actuellement agréés par la direction générale de la protection de la santé est automatiquement couvert par l'assurance-maladie?

M. Lemmens: Je ne suis pas sûr que tous les médicaments soient couverts. Je ne suis pas très informé des modalités du recouvrement des coûts de bon nombre des médicaments sur ordonnance.

Mme Hayes: Un nouveau médicament, le 3TC, a été agréé aujourd'hui par la Direction générale de la protection de la santé. Est-ce que cela signifie que le coût en est pris en charge par le système public, en sus de l'AZT? Savez-vous si ces deux médicaments sont couverts par le régime public d'assurance-maladie?

M. Lemmens: Je ne suis pas sûr. Peut-être pas. Je dirais que les malades du VIH et du SIDA devraient avoir accès à ces médicaments s'ils sont réellement prometteurs.

Mme Hayes: J'ai une question rapide pour notre conseiller juridique, Mario Simard.

Chez qui réside la plus grande responsabilité civile potentielle? Nous avons vu les nouvelles propositions d'accès spécial et d'accès d'urgence aux médicaments expérimentaux. Les répercussions seront-elles les plus grandes sur le médecin, la compagnie pharmaceutique ou le gouvernement, si ces propositions sont acceptées? Je suppose que vous avez étudié cela.

M. Simard: De quelle proposition parlez-vous? La proposition de la Direction des médicaments ou celle...

Mme Hayes: Je veux parler des nouvelles propositions de la Direction des médicaments touchant l'accès spécial et l'accès d'urgence. Est-ce que l'on y a réfléchi?

M. Simard: Très franchement, avant de venir ici j'ai examiné ce projet pour voir si je pourrais faire le même type d'évaluation. Mais le projet n'est pas suffisamment détaillé pour que je puisse déterminer dans quelle mesure il augmenterait ou réduirait l'obligation de diligence.

Mon impression est que cela ne changerait pas grand-chose. Il imposera peut-être quelques responsabilités supplémentaires aux fabricants, mais cela reste à voir. Je ne pense pas que cela introduise de changement fondamental du point de vue de la responsabilité potentielle.

Mme Hayes: Donc, la responsabilité aux trois paliers pourrait rester à peu près le même, avec une possibilité qu'il y en ait davantage pour le fabricant. Mais cela n'a pas encore été déterminé.

M. Simard: La responsabilité civile pourrait être accrue en ce sens que le fabricant fournira les médicaments au cas par cas contrairement à ce que fait la DGPS. Tout cela dépendra du libellé du règlement.

Mme Hayes: Bien. Je vous remercie.

Le président: Monsieur Jackson.

M. Jackson (Bruce-Grey): J'ai deux questions pour nos invités. Premièrement, dans l'éventualité où le gouvernement imposait par une loi quelque forme d'accès humanitaire comme condition préalable à l'évaluation de médicament ou à la procédure accélérée, en quoi cela modifierait-il la responsabilité civile? Deuxièmement, que pourrait faire le gouvernement pour se protéger?

M. Simard: Comme je l'ai dit, tout dépend de la législation que vous adoptez. Si vous décidez de modifier la Loi sur les aliments et drogues pour y insérer quelque chose de ce genre, et ajoutez en même temps une disposition absolvant l'État de la responsabilité civile, l'État sera sans doute protégé. Comme je l'ai dit, ces dispositions sont toujours interprétées de façon très restrictive.

.1610

Dans une certaine mesure, il appartient aux députés de décider du niveau de responsabilité civile que possédera l'État.

Cela dit, il se pose un problème de logique à un moment donné. Si le fabricant vous dit qu'il n'est pas prêt à mettre à disposition un certain médicament, non pas au grand public mais en dehors d'essais strictement cliniques, et que vous le contraigniez à le faire, vous ne pouvez manifestement pas le tenir responsable des suites. Quelqu'un d'autre va devoir assumer la responsabilité et il est probable que ce soit le gouvernement, dans un cas comme celui-ci.

Encore une fois, je suis désolé de me répéter, mais tout dépend de ce que vous, les parlementaires, inscrirez dans la loi.

M. Jackson: Notre dilemme est que les gens se tournent vers nous, l'État, et nous demandent d'intervenir, et nous savons qu'ils sont extrêmement malades. On nous a déjà dit que ces essais sont très exigeants et qu'il y a des procédures très rigoureuses à suivre pour obtenir l'agrément d'un médicament. On nous dit que si ces médicaments sont utilisés à mauvais escient ou prématurément, ils pourraient provoquer des mutations plus rapides du virus ou engendrer d'autres types de problèmes.

J'ai suivi avec intérêt la Commission Krever sur le sang. Je sais que cela concerne surtout la Croix Rouge, mais le gouvernement dépense des millions de dollars et cette commission d'enquête semble être un monstre à la Frankenstein qui prolifère. En dépit de tout notre désir d'aider les malades, nous ne voulons certainement pas consacrer notre argent à ce genre de choses.

Nous essayons de trouver un cadre juridique tel que, si nous faisons cela par compassion et bonté de coeur, cela ne se retourne pas contre nous et ne nous entraîne pas dans un tel marécage.

M. Simard: Comme je l'ai dit tout à l'heure, la question est de savoir si le Parlement fédéral a le pouvoir constitutionnel d'adopter une disposition comme celle-ci.

Le président: Merci, monsieur Simard. Monsieur Robinson, s'il vous plaît.

M. Robinson (Burnaby-Kingsway): Je vous remercie, monsieur le président. J'ai deux brèves questions.

La première s'adresse à M. Simard et concerne le consentement éclairé. M. Simard connaît-il des précédents juridiques canadiens touchant la question du consentement éclairé, particulièrement dans le cas où un patient qui aurait signé un formulaire de consentement éclairé intenterait ultérieurement une poursuite en justice, disant qu'il ou elle a été mal renseigné ou avait des capacités de jugement amoindries ou quelque chose de cette sorte?

Je connais des séropositifs, et particulièrement des sidéens, qui sont très malades. Ils disent: «Si je veux signer un formulaire de consentement, et si mon médecin a quelque chose qui pourrait faire une différence-on ne sait pas, mais c'est possible-pour l'amour de Dieu, laissez-moi en assumer la responsabilité, de concert avec mon médecin». Quelles en sont les implications juridiques?

Pour économiser du temps, je vais poser tout de suite ma deuxième question aux représentants de l'ACIM, Dr Fourie ou Dr Levy. Est-ce que l'Association procède à l'heure actuelle à quelque concertation institutionnalisée avec les malades du VIH et du SIDA? Quelle sorte de communication y a-t-il? Y a-t-il une sorte de groupe consultatif?

De toute évidence, votre secteur est en mesure d'influer profondément sur la vie des malades du VIH et du SIDA. Quelle sorte de communication et de coopération y a-t-il à l'heure actuelle entre votre secteur et les malades et les groupes représentant ces derniers?

[Français]

Le président: Voulez-vous nous dire la première partie de la question, s'il vous plaît, monsieur Simard?

[Traduction]

M. Simard: Pour ce qui est des poursuites qui ont pu être intentées contre l'État touchant un médicament d'urgence, je dois dire que je ne connais aucun précédent. Je me suis renseigné auprès de mes collègues avant de venir. J'ai procédé à une vérification rapide et je ne pense pas qu'il y ait jamais eu de poursuite par suite du programme de médicaments d'urgence. Nous recevons quotidiennement des assignations, mais aucune sur ce point particulier. Donc, dans ce contexte, le problème du consentement éclairé ne s'est jamais posé.

Je ne veux pas me prononcer pour autrui, mais je pense que, jusqu'à présent, le problème s'est posé principalement entre le médecin et le patient et peut-être entre le fabricant et le patient, plutôt qu'entre l'État et le patient.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, la signature par le malade d'un consentement à l'administration d'un médicament peut être une bonne chose, mais ce consentement ne résout pas tous les problèmes du point de vue du gouvernement car nous n'avons aucun moyen de vérifier si le patient était bien informé et psychologiquement et intellectuellement capable de prendre cette décision. Seule la personne qui se trouvait avec le patient au moment de la signature pourrait le savoir.

M. Robinson: Mais il n'y a jamais eu de poursuite en justice, à votre connaissance?

M. Simard: Pas contre le gouvernement, à ma connaissance.

Le président: Voudriez-vous répondre à la question posée à l'ACIM, Dr Levy?

.1615

Dr Levy: L'ACIM vient de mettre en place un nouveau comité VIH/SIDA. Son mandat est de formuler une stratégie pour le compte de tout le secteur pharmaceutique pour tenter de répondre aux besoins de toutes les parties concernées par le VIH/SIDA. Jusqu'à présent, les compagnies membres de l'ACIM passaient par leur propre conseil consultatif.

Je peux vous parler surtout de ma propre société, Glaxo Wellcome. Nous avons un conseil consultatif depuis plusieurs années maintenant, et nous rencontrons ses membres, qui comprennent des représentants de la collectivité, afin d'obtenir leurs avis sur nos programmes de mise au point de médicaments.

M. Robinson: Est-ce la première fois depuis le début de l'épidémie que l'industrie pharmaceutique elle-même met sur pied ce genre de comité de coordination?

Dr Levy: Elle avait un comité sectoriel il y un certain nombre d'années mais qui ne se réunissait pas aussi souvent que nous l'aurions voulu. Il a été réactivé récemment sous la direction du docteur Fourie et nous avons tous bon espoir qu'il deviendra beaucoup plus actif et jouera un rôle beaucoup plus grand.

M. Robinson: Il travaillera avec les malades du VIH et du SIDA?

Dr Levy: Oui, c'est le but.

Le président: Madame Ur.

Mme Ur (Lambton-Middlesex): Est-ce que l'assurance responsabilité des médecins qui soignent exclusivement des malades du VIH/SIDA est plus chère? Ce n'est qu'une question générale. À partir de quel moment un malade du VIH/SIDA a-t-il droit à l'accès humanitaire aux médicaments? Y a-t-il quelque critère qui s'applique? Y a-t-il jamais eu un consentement signé par un patient qui suffise à protéger l'État ou les médecins soignants de toute suite juridique si le traitement tourne mal?

Il semble, d'après votre exposé cet après-midi, que nous avons le gouvernement au milieu, qui cherche à aider les malades du VIH/SIDA et les compagnies pharmaceutiques de l'autre côté. Le gouvernement a le mauvais rôle de quelque côté qu'il se tourne. Comment peut-on créer une situation plus positive pour le patient comme pour les compagnies pharmaceutiques, afin de pouvoir progresser dans ce qui est manifestement une situation très grave?

M. Simard: Si je puis commencer par votre deuxième question, à savoir à quel moment le patient obtient accès aux médicaments, si vous regardez le texte actuel des dispositions relatives aux traitements d'urgence, c'est une décision qui appartient largement aux médecins. Santé Canada s'en remet essentiellement aux renseignements fournis par le médecin pour déterminer l'existence d'une situation d'urgence etc. C'est donc à ce niveau que la décision est prise.

Pour ce qui est de l'assurance responsabilité du médecin, je ne suis pas le mieux placé pour y répondre car je ne représente pas les médecins. Je doute beaucoup que le médecin soignant administrerait des médicaments sans être assuré. Je suppose qu'il est couvert, mais je n'en ai pas la certitude.

Mme Ur: Vous avez peut-être mal compris ma question. Je demandais s'il en coûte plus cher pour un médecin, à cause de l'assurance responsabilité, de soigner exclusivement des sidéens en raison des nombreuses différences touchant l'accès humanitaire aux médicaments, les médicaments d'urgence etc. Est-ce que les médecins dans cette situation sont exposés à davantage d'obligations juridiques ou de formalités?

M. Simard: Je ne puis répondre à cette question. Il y a des médecins ici, ils le savent peut-être mieux que moi.

Le président: Je pense que nous aurons quelqu'un du secteur de l'assurance comme témoin demain. Personnellement, je ne pense pas que cela fasse de différence.

Mme Ur: Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Nous allons passer à la deuxième partie de la table ronde, pour parler d'éthique. Notre premier invité cet après-midi est M. Arn Schilder, de B. C. People with AIDS.

Monsieur Schilder, vous avez la parole.

M. Arn Schilder (vice-président, B. C. People with AIDS): Nous n'avons été prévenus qu'assez tard et il faut du temps pour dégager un consensus. Cependant, nous avons rédigé une réponse aux questions que vous avez posées. Je les passerai en revue dans l'ordre des questions du fax initial.

À la question de savoir si les compagnies pharmaceutiques sont moralement obligées de donner l'accès humanitaire, nous répondons oui. Fournir un médicament à une personne catastrophiquement malade est une affaire de droits humains. L'industrie pharmaceutique a l'obligation morale, pour des raisons humanitaires, de réagir en donnant accès à un médicament expérimental. La fourniture d'une substance pour motifs humanitaires signifie que seule une petite quantité du médicament sera requise, pour un petit nombre de gens. Si le produit existe, il n'y a aucune raison justifiable de ne pas offrir le médicament aux patients atteints de maladie catastrophique.

.1620

Ma réponse à la deuxième question, soit les critères que les compagnies pharmaceutiques devraient utiliser pour décider de facturer ou non un traitement expérimental, est qu'il incombe au gouvernement, en concertation étroite avec les populations de consommateurs concernés, de formuler des critères universels que l'industrie pharmaceutique devra respecter. Sinon, le seul intérêt financier de l'entreprise individuelle déterminera la décision de facturer ou non et le montant.

Notre position est que les malades du VIH et du SIDA font déjà un apport très grand à l'industrie pharmaceutique de par leur participation. Sans la collaboration des consommateurs, la compagnie pharmaceutique ne pourrait pas mener à bien ses recherches. Si quelqu'un est atteint d'une maladie catastrophique, cette personne devrait avoir accès à toute thérapie susceptible de l'aider, et ce gratuitement. Nous pensons qu'il est toujours immoral de facturer un traitement expérimental.

Troisièmement, les droits des personnes atteintes de maladie catastrophique ont-ils des limites définies? Oui. Un malade dans cette situation est confronté à la mort imminente. Une définition plus précise dans le cas du SIDA est une personne ayant moins de 50 cellules CD4, plus une maladie caractéristique du SIDA, selon la définition du CDC ou du LLCM. Ce patient a le droit, pour des raisons humanitaires, d'essayer tout ce qui peut prolonger sa vie ou soulager sa souffrance.

Quatrièmement, quels sont les droits des patients atteints de maladie catastrophique volontairement enrôlés dans des études à double insu? Comme tous les autres volontaires participant à des essais cliniques, ils devraient avoir le droit de se retirer à tout moment sans que le niveau des soins qui leur sont prodigués soit compromis. Si leur état empire, ils devraient avoir le droit d'essayer le médicament expérimental.

Ces malades ne choisissent habituellement pas de participer à une étude à double insu. Ce qu'ils choisissent, ce sont des options thérapeutiques et un meilleur niveau de soins que ceux qu'ils recevraient autrement. Si l'accès humanitaire était plus régulièrement offert, ces malades pourraient exercer leur droit à une substance expérimentale gratuite sans compromettre en rien la qualité de l'étude ou exposer à un plus grand risque leur santé déjà fragile.

Cinquièmement, dans l'éventualité d'un résultat positif, à partir de quel moment faut-il administrer l'agent d'essai au patient recevant le placebo? Dans un essai croisé, il y a des limites de temps standard de telle façon que tous les sujets reçoivent le traitement expérimental. Dans un essai clinique non croisé, une personne devrait recevoir le traitement expérimental à partir du délai standard auquel des améliorations devraient être apparentes. Si un malade ne réagit pas au placebo, il devrait automatiquement recevoir le médicament expérimental.

Sixièmement, est-il moral d'étendre l'accès humanitaire à un séropositif asymptomatique lorsque le médicament de recherche risque de diminuer sa qualité de vie et de hâter sa mort? Non, ce n'est pas moral. La notion d'accès humanitaire vise expressément les personnes qui n'ont que des options très limitées ou pas d'option du tout, et l'accès devrait donc être réservé aux patients qui présentent les symptômes ou dans une situation de santé catastrophique.

La septième question est de savoir à partir de quel moment, pendant l'essai clinique, un agent prometteur devrait être considéré comme candidat à l'accès humanitaire? La réponse est une fois que l'on a amassé suffisamment de données pendant l'étude d'efficacité de l'essai, soit la phase 1, 2 ou 3 selon la structure de l'essai, et selon que l'analyse établit un équilibre acceptable entre l'efficacité et la toxicité.

La huitième question est de savoir à quel moment les cliniciens et les médias peuvent moralement qualifier un médicament de recherche de prometteur? C'est une question d'actualité, étant donné les annonces récentes qui ont été faites. La réponse est le moment où, après ou pendant l'étude d'efficacité, c'est-à-dire la phase 2 ou 3, il apparaît que le médicament ne cause pas d'effet physique néfaste et où l'on observe des résultats positifs cliniquement significatifs. On pourrait également définir ce moment comme celui où les chercheurs ont suffisamment confiance dans le produit pour être prêts à entreprendre des essais comparant le traitement expérimental à un traitement déjà approuvé.

Il incombe au gouvernement de fixer à l'industrie pharmaceutique des critères concernant le moment où des résultats de recherche peuvent être publiés. Dans le domaine minier, il est illégal d'annoncer de faux dosages. Il devrait y avoir une interdiction parallèle dans le domaine de la recherche pharmaceutique.

Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie, monsieur Schilder. Nous allons maintenant passer à...

[Français]

Conseil de recherches médicales du Canada, nous recevons le Dr Michel Denis. Docteur Denis, s'il vous plaît.

.1625

[Traduction]

Dr Michel Denis (agent scientifique, Conseil de recherches médicales du Canada): Je suis agent scientifique au Conseil de recherches médicales. Le CRM est financé par le gouvernement fédéral et a pour mission de promouvoir, faciliter et mener des recherches fondamentales, appliquées et cliniques dans le domaine des sciences de la santé.

Le CRM remplit son mandat en finançant la recherche médicale et la formation à la recherche dans les universités canadiennes. Déterminé à faire en sorte que toutes les recherches menées au Canada respectent des normes morales et éthiques rigoureuses, le Conseil a contribué à élaborer et disséminer des lignes directrices sur la recherche portant sur des sujets humains.

Le Conseil exige que toutes les recherches financées par lui respectent ces lignes directrices et encourage fortement les chercheurs non financés par lui à respecter le même protocole, par le biais de leur conseil local d'éthique pour la recherche. Dans l'optique du CRM, il est difficile de séparer les impératifs moraux des impératifs scientifiques, s'agissant de l'accès humanitaire.

Par exemple, l'accès humanitaire à un médicament pourrait impliquer que ce dernier soit distribué aux patients avant que les chercheurs n'aient prouvé son efficacité et son innocuité. Il ne faut jamais sous-estimer les dangers ni le risque moral que l'on court en administrant des médicaments en l'absence de preuves scientifiques rigoureuses concernant leurs effets sur les humains.

Une conséquence possible de l'accès humanitaire pourrait être un recul de la participation des patients aux essais cliniques. Les essais cliniques sont l'un des piliers de notre connaissance de traitements sûrs et efficaces de toute une gamme de maladies. À l'inverse, l'accès à des traitements potentiellement prometteurs pour les patients atteints de maladie mettant en danger leur vie doit être poursuivi très vigoureusement.

Parmi les choix possibles figure une déclaration d'intention sur l'accès humanitaire accompagnant tous les protocoles des essais de phase 1, phase 2 et 3. La déclaration pourrait expliquer la raison de la présence ou de l'absence d'un volet compassionnel, avec une justification éthique et scientifique appropriée.

Ou encore, les essais pourraient être conçus de manière à prévoir un roulement des patients entre le placebo et l'agent actif. En outre, les compagnies pharmaceutiques et(ou) les chercheurs pourraient prévoir des essais avec un volet ouvert, permettant à des malades qui ne veulent pas ou ne peuvent pas prendre part aux essais de recevoir le traitement expérimental.

La question de l'accès humanitaire aux médicaments souligne la nécessité de délimiter clairement les responsabilités respectives des compagnies pharmaceutiques et des pouvoirs publics, de même que des patients. C'est une question complexe et problématique.

Le Conseil s'est engagé à veiller à ce que nos lignes directrices sur la moralité et l'éthique de la recherche reflètent l'évolution des mentalités. En tant que représentant du CRM, je salue cette occasion de nous familiariser avec vos préoccupations touchant ce sujet important.

Le président: Merci beaucoup, docteur Denis.

Je donne maintenant la parole à M. Derek Jones, du Conseil national de la bioéthique en recherche chez les sujets humains. Monsieur Jones, c'est à vous.

M. Derek Jones (directeur, Conseil national de la bioéthique en recherche chez les sujets humains): Monsieur le président, membres du sous-comité, je tiens à vous remercier de votre invitation à participer à vos délibérations, au nom du Conseil national de la bioéthique en recherche chez les sujets humains.

Après quelques mots sur le rôle national du CNBRH et l'historique de notre action dans ce domaine, je vous lirai l'exposé du président du groupe de travail sur les essais cliniques du CNBRH, qui est absent. En effet, le professeur Benjamin Freedman, de l'Université McGill, est tombé malade hier soir et n'a pu venir.

Le Conseil national de la bioéthique en recherche chez les sujets humains a été fondé à la fin des années 1980, en partie suite aux recommandations d'un sommet international sur la bioéthique tenu à Ottawa en 1987. Le sommet avait été réuni sur le thème «Vers une éthique internationale de la recherche sur les sujets humains».

Le CNBRH a été fondé peu de temps après, en 1989, dans le but de travailler sur l'interprétation et la mise en oeuvre de lignes directrices éthiques touchant la recherche chez les sujets humains. Nous bénéficions du soutien financier de Santé Canada, du Conseil de recherches médicales du Canada, du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie, du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et du Conseil de recherche en sciences humaines.

.1630

Le CNBRH se compose d'un groupe interdisciplinaire d'une vingtaine d'experts appartenant aux professions médicales et de spécialistes de la morale, de la philosophie, du droit, des sciences humaines, de même que de non-spécialistes. Au fil des ans, le CNBRH a organisé des ateliers de travail nationaux, publié des documents de discussion et entrepris diverses activités visant à aider les chercheurs, les organismes de financement et le gouvernement à remplir leurs obligations morales sur le plan des recherches chez les sujets humains. Ces activités favorisent le dialogue et l'éducation au sein de la communauté canadienne de l'éthique de recherche.

Pour ce dialogue dynamique, les relations de travail avec les comités d'éthique pour la recherche, les entités chargées de se prononcer sur l'éthique des projets de recherche dans tout le Canada, sont d'une importance vitale. Depuis plusieurs années, le CNBRH fournit un service de renseignement, c'est-à-dire de réponse à des demandes écrites émanant des CER et d'autres demandant des renseignements ou des avis sur des questions nationales d'éthique de la recherche. Ce service vise à aider les CER à assurer la protection des sujets humains et la conduite éthique des recherches.

C'est dans ce contexte que le CNBRH s'est penché sur les questions morales entourant l'accès humanitaire aux médicaments expérimentaux.

Le Conseil s'est penché pour la première fois sur l'accès humanitaire en 1989, lors d'un atelier national sur les aspects éthiques des enquêtes cliniques des compagnies pharmaceutiques. Trois obligations morales potentiellement conflictuelles y ont été isolées: premièrement, la protection des patients gravement malades; deuxièmement, le respect de l'autonomie de ces patients; troisièmement, la conduite de recherches scientifiquement fondées dans l'intérêt des patients futurs.

Un consensus est apparu sur les points suivants:

Plus récemment, dans le cadre de son service de réponse, le CNBRH a reçu une demande officielle de renseignements et d'avis sur cette question. L'un des quelque 125 CER biomédicaux du Canada a demandé s'il existait des politiques nationales sur l'accès humanitaire pendant les essais cliniques et demandé un avis moral sur l'imposition par un CER d'un tel accès. Nos délibérations nous ont menés à la conclusion que les CER doivent peser soigneusement, au cas par cas, les principes ci-dessus et se demander comment allouer équitablement les avantages et fardeaux des interventions de recherche médicale et peser la question de l'équité intergénérationnelle entre patients et les questions similaires dans leurs réflexions sur l'obligation d'accès humanitaire.

Pour votre information, nous avons annexé à notre mémoire le texte de cette réponse. Celle-ci est le fait de notre groupe de travail sur les essais cliniques que préside Benjamin Freedman, de l'Université McGill. Je vous transmets encore une fois ses excuses.

Il m'a demandé également de vous faire part de certains de ses avis. Je commencerai par souligner quatre points. Premièrement, la question de l'accès des patients aux médicaments expérimentaux est couramment perçue comme axée sur les médicaments nouveaux et prometteurs en cours de mise au point, pour des maladies telles que le VIH/SIDA. Mais le problème est plus large que cela. Il faut réfléchir également aux répercussions de toute réforme sur les médicaments au sujet desquels on ne possède aucune indication ou les médicaments qui ont été scientifiquement et cliniquement discrédités. Il faut réfléchir également aux nouveaux dosages ou schémas de traitement ou combinaisons de médicaments, en tenant compte des nombreux facteurs qui influencent l'innocuité et l'efficacité des médicaments.

Deuxièmement, étant donné que l'élargissement de l'accès aux médicaments expérimentaux ne concerne pas que le VIH/SIDA, il est bon de considérer d'autres maladies pour tirer les leçons de l'histoire. Le cancer est un bon modèle, tant à cause de ses conséquences souvent catastrophiques qu'en raison de nos connaissances et de notre longue expérience de cette maladie. La grande majorité des agents anticancéreux prometteurs introduits en essai de phase 1 ne vont pas jusqu'à la phase 3, et la grande majorité des cancéreux participant aux essais de phase 1 ne retirent jamais d'avantage clinique du traitement expérimental. Les leçons de la recherche sur le cancer tendent à démentir les affirmations génériques voulant qu'il y ait des remèdes puissants et secrets que des restrictions mettraient hors d'atteinte des malades.

Troisièmement, les patients gravement malades consentent parfois à devenir des sujets de recherche, pensant n'avoir rien à perdre. Ce peut être une croyance erronée, car même la maladie la plus terrible peut être rendue pire par l'application inepte d'un traitement expérimental.

.1635

Quatrièmement, l'accès humanitaire aux médicaments expérimentaux est une question qui s'intercale entre le traitement médical et la recherche. Bien que la nature de l'intervention soit la recherche, le patient demandant un médicament expérimental et le médecin qui y donne suite partagent un but thérapeutique.

Cela soulève un certain nombre de considérations morales. On nous a déjà parlé cet après-midi du consentement éclairé et de l'autonomie, qui découlent du principe éthique fondamental du respect de la personne. Le principe de la bienfaisance exige que l'on aide les patients et sujets ayant besoin de soins médicaux, ou du moins qu'on ne leur porte pas préjudice. On a également parlé de justice.

Cependant, ces principes s'appliquent de manière différente à la recherche et au traitement. Avant de traiter un patient, un médecin demande son consentement éclairé, sur la base de la divulgation des risques, des avantages, des options, des effets secondaires, etc. L'information n'est certainement pas disponible de la même façon dans le contexte de la recherche, et la recherche ne comporte pas la même garantie de résultat que le traitement. Les questions de justice en matière de recherche sont souvent centrées sur la situation relative des patients cobayes et des autres.

Il y a également une différence importante sur le plan des conflits d'intérêt potentiels. Un médecin traitant un patient est censé avoir pour objet principal l'intérêt de celui-ci. Un chercheur clinique enrôlant un sujet connaît, nécessairement, un mélange, sinon un conflit d'intérêt, avec d'une part l'intégrité scientifique de l'essai et, d'autre part, l'intégrité physique du sujet. Lorsqu'une étude est conçue par une compagnie pharmaceutique, la capacité du chercheur à privilégier l'intérêt du patient peut être encore plus compromise.

Pour ces raisons, les procédures suivies pour assurer le respect de l'éthique ne peuvent être les mêmes s'agissant de recherche que s'agissant de traitement. Dans le traitement, l'autonomie du couple médecin-patient prime. Un contrôle a posteriori est exercé par des comités médicaux qui examinent les mésaventures médicales ou d'éventuelles poursuites en justice. En matière de recherche, un examen a priori est nécessaire, tant de la part du commanditaire que d'un CER mettant en oeuvre une expertise médicale, scientifique et éthique indépendante pour assurer la protection des droits du sujet.

Lorsqu'on définit le droit d'un patient atteint de maladie catastrophique comme celui de choisir, en consultation avec un médecin, tout traitement quel qu'il soit ne causant pas de préjudice direct à autrui, on opte pour la procédure éthique applicable au traitement plutôt qu'à celle applicable à la recherche. La même chose est vraie du programme de médicaments d'urgence décrit dans le document de discussion de la Direction des médicaments.

Le modèle du traitement suppose qu'un médecin fasse au patient une recommandation de traitement bien fondée, sur la base du seul intérêt du patient, lequel peut choisir de l'accepter ou non une fois informé. Les garanties d'expertise requises pour un consentement informé sont moins disponibles dans le contexte de traitements non validés. Si le fabricant du médicament peut imposer des conditions à l'accès, telles que des tests et des examens de suivi spéciaux, alors un conflit d'intérêt latent peut exister.

Le rôle du fabricant du médicament est influencé, ou devrait l'être, par ses obligations morales et juridiques. La notion de partenariat signifie en outre que le rôle du fabricant est prépondérant car il le joue dans un contexte relationnel, car tant l'éthique que le droit reconnaissent que les devoirs sont liés à des droits correspondants.

Si l'on devait reconnaître, par exemple, l'existence d'un droit des malades catastrophés à des médicaments, cette reconnaissance imposerait des devoirs correspondant à ceux qui ont les médicaments ou qui les fabriquent. La réponse reproduite à l'annexe A explore la teneur de tels droits et obligations et les limites valides dont on peut les assortir. Cette analyse met en lumière certaines des considérations éthiques et pratiques qui font que la politique gouvernementale et le droit canadien jusqu'à présent ont choisi de faciliter l'accès aux nouveaux médicaments expérimentaux plutôt que d'imposer des obligations complètes.

Sans chercher à me prononcer sur la validité ou le contenu de tels droits et devoirs, j'ajouterais deux considérations apparentées.

Premièrement, un postulat implicite de l'analyse contenue dans notre lettre est la tendance tant de la morale que du droit à reconnaître plus pleinement des droits négatifs que des droits positifs. Un droit positif signifie le droit à un bien. Un droit négatif est le droit d'être exempt de préjudice.

Deuxièmement, même si le contrat social moderne entre citoyens comprend le droit à un traitement, il est clair que ce droit n'est pas absolu. Le droit d'un patient aux soins de santé ne signifie pas qu'il ou elle a droit à tous les traitements.

.1640

La justice exige que toute réforme de la politique soit conçue et mise en oeuvre de manière équitable. La justice a été violée par le passé lorsque certaines populations de patients et maladies ont fait l'objet d'efforts de recherche excessivement réduits ou excessivement poussés. Les considérations de justice sont particulièrement importantes s'agissant de maladies frappant davantage certaines catégories de population historiquement défavorisées ou actuellement peu desservies. C'est le cas du VIH/SIDA.

Les réformes doivent tenir compte aussi, cependant, de l'hétérogénéité de la population de patients. Par exemple, les personnes atteintes de SIDA contracté par l'usage intraveineux de drogues sont doublement désavantagées et n'ont pas le même accès à l'information et à l'attention médicale que d'autres sidéens, et particulièrement les porte-parole des groupes d'action sur le SIDA. Pour être équitables, les réformes ne doivent pas être conçues pour la seule satisfaction de cette partie de la population qui est hautement motivée et instruite.

Cela nous amène à un certain nombre de conclusions. Permettez-moi d'attirer votre attention sur deux d'entre elles.

Le président: Serait-il possible d'accélérer un peu, monsieur Jones? Je suis tout à fait désolé, mais nous avons d'autres témoins.

M. Jones: La recherche pharmaceutique au Canada suppose un partenariat entre les fabricants et les participants. De nombreux comités d'éthique pour la recherche ont pris pour position que ce partenariat exige que les compagnies fournissent aux sujets ayant reçu le placebo le médicament expérimental si les résultats de l'essai sont positifs.

La recherche pharmaceutique suppose en outre un partenariat avec le gouvernement canadien et le public. Les compagnies pharmaceutiques bénéficient d'un environnement fiscal et financier favorable aux frais du contribuable.

La réciprocité et l'équité supposent que l'on fasse comprendre aux compagnies que la fourniture gratuite des médicaments expérimentaux, dans le respect de la politique et de l'éthique, est une condition de leur activité commerciale au Canada.

Enfin, votre comité se penche sur des questions comme celle de savoir à quel moment les patients recevant le placebo doivent recevoir l'agent actif et s'il est moral de donner l'accès aux personnes asymptômatiques dont la vie pourrait être abrégée? Toutes ces questions et d'autres sont actuellement étudiées par les conseils d'éthique pour la recherche canadiens, mais ces groupes ne sont pas mentionnés dans les documents de consultation. C'est une erreur qu'il conviendrait de rectifier.

Nous avons expliqué pourquoi il peut être dangereux de confiner la question de l'accès aux traitements non validés dans les limites de la relation médecin-patient. Nous disposons au Canada, sous la forme de comités d'éthique pour la recherche, d'entités possédant les connaissances et l'ouverture d'esprit voulues pour effectuer une évaluation objective, raisonnable et prospective de ces interactions.

Il faut faire preuve d'imagination pour explorer comment ces ressources canadiennes peuvent être mobilisées en faveur d'un accès sûr et précoce aux traitements expérimentaux. Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie, monsieur Jones. Nous allons maintenant passer à la Société canadienne du cancer et à son président, Dr Neill Iscoe.

Dr Neill Iscoe (membre, conseil national; président, section Ontario, Société canadienne du cancer): Je vous remercie, monsieur le président. Je ne suis pas le président de la Société canadienne du cancer. Je suis le président de l'une des sections provinciales et membre du conseil national. Je suis sûr que M. Potter aimerait bien me voir à sa place de temps en temps.

Monsieur le président, je veux vous remercier, ainsi que les membres de votre comité, de nous avoir invités à intervenir sur ce sujet très important et d'avoir reconnu que ces questions ne concernent pas que les malades du VIH et du SIDA, mais aussi beaucoup d'autres patients.

Vous aurez relevé dans le mémoire que nous vous avons transmis à la fin de la semaine dernière les valeurs défendues par la Société-je précise que le mémoire a été soumis à un certain nombre d'éminents bénévoles mais ne traduit pas la politique générale de la Société-et le rôle que la Société a joué et continue de jouer dans la lutte contre le cancer au Canada. Pour économiser du temps, je me contenterai ici de répondre aux sept questions posées par le comité.

La première question est de savoir si les compagnies pharmaceutiques sont moralement obligées de donner l'accès humanitaire à leurs produits aux patients souffrant d'une maladie catastrophique?

Conformément au principe voulant que des traitements à l'efficacité avérée soient mis à la disposition des patients qui les souhaitent, et compte tenu de la priorité qu'il convient d'accorder à des essais cliniques éthiquement et scientifiquement valides aux fins de l'amélioration des soins et de l'acquisition de connaissances, la Société considère que les compagnies pharmaceutiques devraient mettre les médicaments à la disposition de ceux qui peuvent en bénéficier en dehors du cadre d'essais cliniques. Cependant, pour faire progresser les connaissances de telle manière que les générations futures de patients ne soient pas en butte à la même incertitude, la Société estime que cette utilisation ne doit pas saper d'autres essais importants requis pour déterminer le rôle des médicaments dans la même situation, et que, indépendamment du contexte dans lequel le médicament d'urgence est utilisé, son emploi doit être suffisamment documenté pour que les effets du traitement en question puissent être déterminés.

La deuxième question est de savoir quels critères les compagnies pharmaceutiques devraient appliquer pour décider de facturer ou non un traitement expérimental.

Tout d'abord, et c'est la considération première, la Société estime que la capacité d'un malade à payer ne devrait jamais entrer en ligne de compte. Nous posons le principe qu'un médicament n'ayant pas reçu l'avis de conformité devrait toujours être gratuit. Un doute surgit dans le cas où un médicament a reçu l'agrément pour une indication donnée et que l'accès humanitaire est demandé pour une autre indication. Vu que le médicament est déjà commercialisé, il n'y a aucune raison majeure que la compagnie le fournisse gratuitement. Cependant, nous considérons que les compagnies ne devraient pas faire payer un médicament lorsqu'il n'est pas établi que celui-ci a un rôle à jouer dans le traitement de la maladie concernée, comparé au traitement habituel.

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Les droits des personnes atteintes de maladie catastrophique ont-ils des limites définies?

La réponse est oui. La Société adhère au droit à l'autodétermination, mais considère que ce droit ne doit pas être exercé au détriment d'une autre personne. Sachant que les ressources ne sont assurément pas infinies, il convient de faire le plus grand bien pour le plus grand nombre. Surtout, les décisions aujourd'hui et à l'avenir devront être prises de manière transparente et en concertation avec ceux qu'elles touchent directement et indirectement.

Quatrièmement, quels sont les droits des patients atteints de maladie catastrophique participant à des essais à double insu? Autrement dit, dans l'éventualité d'un résultat positif, à quel moment les patients recevant le placebo doivent-ils recevoir l'agent actif?

Les patients qui participent à des essais cliniques ont de nombreux droits qui sont énoncés dans le formulaire de consentement. À ma connaissance, une copie du formulaire est généralement remise au patient, pour son dossier personnel.

Le comité se préoccupe à juste titre de la manière dont les participants aux essais sont traités au fur et à mesure que des connaissances nouvelles sont acquises. Dans le cas de nombreux essais cliniques, un comité de surveillance est mis sur pied. Il appartient à ce comité de décider d'arrêter ou de démasquer un essai si les différences dans le traitement, les résultats ou des conséquences négatives excèdent des critères prédéterminés.

Des difficultés peuvent surgir lorsqu'il n'y a pas de définition préalable des avantages ou dommages, lorsque les résultats contredisent d'autres données ou lorsque les avantages cliniques apparaissent très réduits. Nous pensons que ces difficultés devraient être tranchées par concertation avec les professionnels et la participation des personnes touchées par la décision.

La Société estime que, si un essai établit qu'un traitement nouveau est efficace ou, à l'inverse, inefficace, les premiers à en être informés devraient être les cobayes volontaires. Nous pensons que la compagnie ou l'organisme commanditaire devrait être obligé d'offrir, le cas échéant, le nouveau traitement aux participants à l'essai qui ne l'ont pas encore reçu, avant de le mettre à la disposition, même sur une base humanitaire, des non-participants.

La cinquième question est de savoir s'il est moral d'étendre l'accès humanitaire à un séropositif asymptomatique quand le médicament de recherche pourrait diminuer sa qualité de vie et hâter sa mort.

Je répondrai en élargissant la question aux cancéreux présentant ou non des symptômes, mais la question vaut aussi bien pour un patient qui présente une sclérose en plaques relativement asymptomatique, une sclérose latérale amyotrophique ou qui possède un marqueur génétique d'une maladie catastrophique qui peut attendre de nombreuses années avant d'apparaître. La Société considère qu'il est toujours éthique d'envisager une thérapie dès lors qu'il y a une possibilité réelle que celle-ci fasse plus de bien que de mal.

Prenons une situation courante: le traitement d'une personne asymptomatique atteinte d'un cancer en progression et incurable présentant soit une radiographie anormale ou un test sanguin anormal. Les personnes dans cette situation, à tort ou à raison mais de façon certainement compréhensible, sont souvent préoccupées par les résultats de leurs tests.

Aux fins de la discussion, précisons que le traitement dans cette situation comporte des effets secondaires qui ne mettent pas en danger la vie, mais qui entraîne quelque baisse de la performance physique, et aussi que le traitement par avance des symptômes ne prolonge pas la vie. Les malades dans cette situation savent qu'ils ne présentent pas de symptômes physiques de la maladie, mais ils pourraient profiter émotivement du traitement s'ils préfèrent une démarche active par opposition à une attente passive face à ce que beaucoup considèrent comme une bombe à retardement. Pour ces personnes, les avantages d'un traitement rapide peuvent l'emporter sur les effets secondaires. Ainsi, pour un certain nombre de patients atteints de maladie catastrophique, tout traitement peut en soi apporter un réconfort psychologique, même si les inconvénients physiques du traitement sont réels.

La sixième question est de savoir à partir de quel moment, dans les essais cliniques, un agent prometteur doit être considéré comme candidat à l'accès humanitaire?

On peut envisager au moins deux situations: premièrement, le cas où l'accès est demandé pour la même maladie que celle visée par l'essai; deuxièmement, le cas où l'accès est demandé pour une maladie similaire à celle visée par l'essai.

Dans le premier cas, c'est au comité de supervision de l'essai qu'il incombe de se prononcer, en connaissance des données. Il y a eu un certain nombre de cas ces dernières années, dans le domaine de la recherche sur le cancer, où des alertes cliniques ont été lancées. C'était dans le contexte de traitements commercialisés. Cependant, je ne vois aucune raison pour laquelle des activités similaires, accompagnées d'un examen rapide des données par les organismes réglementaires, ne pourraient être faites. Dans l'attente de l'examen réglementaire rapide, j'espère et je m'attends à ce que la compagnie commanditaire mette le médicament à disposition sur une base humanitaire.

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Dans le deuxième cas, tout agent prometteur faisant l'objet d'essais cliniques devrait être considéré pour l'accès humanitaire si la maladie pour laquelle l'accès est demandé est similaire à celle pour laquelle l'essai a reçu l'agrément scientifique et éthique.

La Société considère que les compagnies devraient fournir l'agent en question à des patients appropriés jusqu'à ce qu'il soit établi qu'il est bénéfique ou non dans ce genre de situation. Par ailleurs, la Société considère que l'accès humanitaire ne doit pas être rendu libre au point de nuire à la capacité de répondre à des questions cliniques critiques au moyen d'essais cliniques agréés.

La septième question: à partir de quel moment les cliniciens et(ou) les médias peuvent-ils qualifier un médicament expérimental de «prometteur»?

Monsieur le président, la Société est très consciente des critiques adressés à la guerre contre le cancer et l'opinion répandue voulant qu'il y ait une conspiration au sein des milieux médicaux. Le public peut en effet se demander, s'il y a tant de percées, pourquoi il y a si peu de progrès dans le traitement des tumeurs courantes, soit le cancer du sein chez la femme, le cancer du poumon et du colorectum chez les hommes et les femmes et de la prostate chez les hommes?

La Société considère qu'une bonne partie du mécontentement est due à un malentendu sur ce que signifient ces progrès et que les mots «prometteur» et «percée» employés par les médias sont une exagération par rapport à ce que maints cliniciens et chercheurs jugent être le résultat de leur travail.

Dans la plupart des cas, j'ai l'impression que les cliniciens et chercheurs veulent dire par là que l'étude a donné des résultats qui justifient des recherches plus poussées et qu'à un certain moment futur, la méthode pourrait jouer un rôle dans le traitement du cancer pourvu que le rapport avantage-risque soit meilleur que celui du traitement standard.

Monsieur le président, il y a eu trop de traitements «prometteurs» par le passé. Ces promesses n'ont pas été tenues. Tant les médias que les milieux médicaux et scientifiques doivent assumer leur part de responsabilité dans ces espoirs excessifs qui ont été suscités.

Voici une dernière considération à garder à l'esprit. Peut-être ces milieux apprendront-ils une plus grande réserve et à ne pas susciter d'attentes excessives, mais comment peut-on faire comprendre au public que les promesses faites sur l'autoroute de l'information n'ont pas la même valeur que les promesses faites dans un autre cadre? Ces questions et d'autres continueront à occuper les médias et les soignants dans les années à venir.

Je vous remercie de votre invitation, monsieur le président, au nom de la Société canadienne du cancer.

Le président: Je vous remercie, docteur Iscoe.

Je donne la parole au docteur John Ruedy, de la faculté de médecine de l'Université Dalhousie.

Dr John Ruedy (témoignage à titre personnel): Je suis le doyen de la faculté de médecine de l'Université Dalhousie, mais je comparais à titre personnel.

Mes titres sont que je conduis des essais cliniques au Canada depuis 30 ans. Pendant une dizaine d'années, j'ai mené des essais cliniques sur le VIH à l'Université de Colombie-Britannique.

Je vais limiter mon propos à certaines questions éthiques touchant les médicaments de recherche et la question de savoir qui devrait assumer le coût. J'ai répondu aux autres questions dans mon mémoire.

L'accès aux médicaments expérimentaux a traditionnellement été limité. Le dilemme moral, à mon sens, est de savoir s'il est acceptable de restreindre l'accès aux médicaments expérimentaux à ces patients qui présentent une forme aiguë de la maladie, ou même une forme encore plus aiguë et qui ne sont pas enrôlés dans un essai clinique.

La question de l'accès humanitaire devient très complexe. Je peux isoler immédiatement pour vous cinq catégories de personnes souffrant de la maladie et qui n'auront pas un accès précoce au médicament expérimental.

Premièrement, dans les essais cliniques sur le SIDA, une partie des participants reçoivent le placebo ou forment le groupe de comparaison avec un traitement existant. Il n'y a pas permutation. Donc, habituellement, la moitié des patients reçoivent le placebo. Par conséquent, même chez les participants à des essais cliniques, il y a une restriction à l'accès à ces nouveaux médicaments expérimentaux par des personnes tout aussi atteintes.

Il y a des personnes qui sont dans l'incapacité de participer à un essai clinique, bien que disposées, pour des raisons de distance ou de frais de voyage. Cela semble inéquitable.

Il y a un groupe de malades qui refusent de se porter volontaires pour les essais cliniques à cause du risque de recevoir le placebo ou le médicament traditionnel; ce qu'ils veulent, c'est le médicament expérimental.

Il y a des personnes qui présentent une forme tout aussi aiguë de la maladie mais qui présentent des critères qui les excluent d'un essai. Elles peuvent avoir une maladie rénale ou quelque autre maladie parallèle. Elles sont donc exclues d'office de l'essai car leur présence pourrait nuire à l'interprétation des résultats.

.1655

Il y en a d'autres qui ne répondent pas aux critères de participation. Ce peut être parce qu'ils présentent une forme plus aiguë de la maladie que ceux du groupe choisi pour l'essai clinique.

Pourquoi a-t-on imposé ces restrictions aux médicaments expérimentaux? Je pense qu'il y a deux raisons. La première est le souci de protéger l'individu. Il s'agit, par définition, de traitements non avérés qui peuvent être dommageables pour le malade. D'autre part, le traitement peut être inefficace. On espère seulement qu'il ne l'est pas.

Nous avons décidé, au Canada, comme dans beaucoup d'autres pays occidentaux, de choisir un certain moment dans le développement d'un médicament où l'efficacité et l'innocuité sont considérées comme suffisamment prouvées pour donner un avis de conformité. Le médicament devient alors disponible sur ordonnance d'un médecin.

Permettez-moi de dire que ce moment du développement d'un médicament est arbitraire. C'est un niveau pratique, mais ce n'est pas la fin du développement du médicament. L'efficacité signifie que l'on a établi que le médicament a un effet biologique pertinent sur la maladie traitée. L'innocuité signifie que, pendant cette période de temps, il n'a pas causé de dommage aux malades sur lesquels il a été essayé.

Mais cela ne répond pas à la question de l'utilité, ce qui est l'objet d'une autre phase. Je peux peut-être vous donner un exemple. Dans les cas d'hypertension légère, il n'est pas difficile de montrer que quantité de médicaments font baisser la tension sanguine. C'est là une activité biologique pertinente d'un médicament, mais il nous a fallu deux décennies pour prouver que ces médicaments sont efficaces pour prévenir les attaques cérébrales dans les cas d'hypertension légère.

Ce que je veux faire ressortir c'est que le moment où intervient l'agrément dans toute la séquence de développement d'un médicament est arbitraire et artificiel.

Une des raisons d'être des restrictions est donc de protéger l'individu; l'autre raison est le bien public. Les essais cliniques sont un impératif moral. Ils sont nécessaires pour établir les avantages et risques potentiels de traitements qui n'ont pas fait leurs preuves. Plus les essais cliniques sont efficients, et plus grand est le bien public car la réponse est obtenue dans les meilleurs délais possible.

Cela soulève le problème du détournement des volontaires au détriment des essais cliniques, si l'accès humanitaire devient largement ouvert. Nous avons déjà des indications de cette distraction lorsque des patients peuvent avoir accès au médicament expérimental sans être enrôlés dans l'essai clinique.

Au Canada, nous courons également le risque qu'un médicament ne soit pas disponible du tout à nos patients si notre accès est tellement disproportionné par rapport à ce qui se pratique aux États-Unis ou au Royaume-Uni ou d'autres pays ayant un marché pharmaceutique beaucoup plus important et un enjeu beaucoup plus grand à l'égard du développement de médicaments.

Le dilemme est que la personne atteinte d'une maladie grave pouvant entraîner la mort ou une lourde incapacité risque d'être privée des avantages d'un traitement potentiellement bénéfique en l'absence d'accès humanitaire. Cela soulève la question de l'autonomie et de l'autodétermination et du droit de la personne à choisir de prendre un médicament n'ayant pas fait ses preuves.

À mon sens, l'accès humanitaire est un impératif moral, mais il doit être assorti de limites. Je pense que l'accès humanitaire devrait être offert aux personnes souffrant d'une forme plus grave de la maladie que celles participant aux essais cliniques, particulièrement si l'invalidité ou le décès vont survenir avant que les résultats de l'essai ne soient connus.

Je pense que l'accès humanitaire devrait être offert à ceux qui seraient volontaires pour l'essai mais ne peuvent y participer pour des raisons de distance ou du fait d'autres contraintes. Je pense que cela correspond au principe de la Loi canadienne sur la santé de l'accès équivalent à des services médicaux nécessaires.

.1700

Je pense qu'il convient de respecter les personnes qui refusent de participer à un essai clinique, mais qu'il faut une forme de contrôle pour empêcher un détournement tel que le bien public ne puisse être accompli parce que l'essai clinique ne peut être effectué. Je pense que l'on pourrait établir un quota d'accès humanitaire en rapport avec l'enrôlement, de façon à limiter le nombre des bénéficiaires de l'accès humanitaire jusqu'à ce que l'enrôlement dans l'essai soit complet. Je pense que ce serait une solution pour trouver un équilibre.

Parlons brièvement du coût. Il faut bien voir que le coût d'un médicament expérimental n'est pas seulement celui du produit. Il y a le coût de la surveillance de l'utilisation de ce médicament par le malade. Cela peut supposer des tests de laboratoire pour la protection de cette personne. Il y a également le coût des conséquences d'effets secondaires dommageables.

Je pense que ces derniers ne sont pas réellement un problème. Nous n'exerçons pas de discrimination à l'encontre des fumeurs ou buveurs qui continuent de s'empoisonner bien qu'ils en connaissent les risques, mais le coût du produit et le coût de la surveillance restent une difficulté.

La plupart des programmes d'assurance-maladie provinciaux ne remboursent pas les médicaments, si bien qu'il est difficile de leur infliger le coût des médicaments expérimentaux. L'industrie n'a rien à gagner à l'accès humanitaire, et peut-être quelque chose à perdre, car il peut y avoir une fausse alerte de réaction négative susceptible d'entraîner de grandes complications. Il me semble que, s'agissant de considérations humanitaires, le public doit en assumer le coût. J'entends par là tant le coût du médicament que le coût de la surveillance de l'utilisation de celui-ci.

Les réponses aux autres questions figurent dans mon mémoire.

Le président: Je vous remercie, docteur.

Dr Don Zarowny, du Réseau canadien pour les essais VIH.

Dr Donald Zarowny (chef de programme, liaison scientifique et industrielle, Réseau canadien pour les essais VIH): Monsieur le président, membres du comité, je suis heureux de l'invitation à comparaître devant le sous-comité sur le VIH/SIDA de la Chambre des communes.

Mes propos ne s'inscrivent pas seulement dans la perspective du réseau mais découlent aussi de mon expérience personnelle. Celle-ci a été accumulée dans trois domaines: premièrement, comme médecin généraliste dans une petite ville; deuxièmement, en ma capacité de directeur médical dans l'industrie pharmaceutique canadienne; troisièmement, en ma capacité actuelle d'administrateur de la recherche au sein du Réseau canadien pour les essais VIH.

Il n'est pas de sujet prêtant davantage à controverse que l'accès humanitaire aux médicaments expérimentaux de personnes atteintes de maladie catastrophique. C'est une question complexe et souvent source de confusion. Je pense que la confusion est due à l'emploi de termes qui revêtent des sens différents selon la personne qui les emploie. Il importe donc que je vous donne au départ mes propres définitions afin que nous puissions nous comprendre.

Premièrement, les questions d'éthique, en médecine, et plus particulièrement sur le plan de l'expérimentation humaine, tournent autour de trois choses: premièrement, les droits des individus et leur capacité à prendre des décisions pour eux-mêmes; deuxièmement, le souci de concilier l'équité envers l'individu et la responsabilité envers la société tout entière; troisièmement, notre obligation de ne pas nuire.

Vient ensuite la maladie catastrophique. C'est une maladie relativement inattendue, gravement débilitante, éventuellement fatale et que la médecine traditionnelle ne semble pouvoir traiter efficacement. Dans le cas d'une maladie comme le VIH/SIDA, le mal frappe dans la tranche d'âge où l'énergie physique et intellectuelle est habituellement à son maximum. Aussi, le diagnostic semble encore plus incroyable au patient et entraîne des sentiments de colère, d'urgence et de frustration.

La définition suivante que je veux vous faire saisir est celle de «médicament expérimental». À mes yeux, il s'agit de toute forme de traitement qui n'a pas été validé par des expériences appropriées. La validation comprend, entre autres, l'évaluation des avantages du nouveau traitement comparés à ses risques. Dans ce contexte, le risque est double. Ce peut être un effet désiré accompagné de toxicité, ou bien l'absence d'effet thérapeutique accompagnée d'une aggravation de la maladie.

.1705

Je traiterai de trois des questions que vous avez posées dans votre lettre de couverture.

Agent prometteur. J'ai un problème avec l'emploi de cette expression. Un traitement médicamenteux non validé peut être décrit par référence à ce que l'on sait de lui, c'est-à-dire sa composition chimique et sa pharmacologie, son comportement dans les études animales précliniques et les connaissances des expériences sur l'homme. On peut ainsi suivre son cheminement tout au long du processus de développement en utilisant des termes assez précis. Or, le qualificatif «prometteur» est non scientifique et son emploi est, à mon sens, contraire à l'éthique. En effet, ce terme se prête à maintes interprétations et est susceptible d'exploiter le sentiment d'urgence dont j'ai parlé, associé à une maladie mortelle, catastrophique.

Accès à un traitement non validé. Je pense qu'il est possible de définir les conditions dans lesquelles il est moral d'administrer un traitement non validé à un patient atteint d'une maladie catastrophique. Si l'on part du point de vue que l'on offre des soins de soutien dans une situation où il n'y a guère d'autre traitement et que la science nous dit que le risque de dommage est faible ou à tout le moins acceptable, alors on peut définir les circonstances de la distribution.

Dans les cas où le médicament suit le cycle de développement complet, il sera administré à certains membres de la population concernée lors d'essais cliniques. Nous avons le devoir moral de veiller à ce que les tests voulus soient menés pour effectuer l'évaluation. La priorité doit être accordée aux essais cliniques, afin que l'on puisse effectuer cette évaluation.

Cependant, la disponibilité du médicament dans le contexte d'un essai clinique ne semble pas répondre au principe moral du libre arbitre de l'individu. C'est pourquoi nous avons commencé à reconnaître la possibilité de distribuer un médicament non validé encore au stade du développement. Notre expérience de la définition des conditions de distribution va en augmentant et nous savons que ces conditions ne sont pas uniformes et varient selon la maladie et l'agent..

Par exemple, jusqu'à présent, le Réseau canadien pour les essais VIH a participé à la distribution de cinq agents non validés. Bien que le Réseau n'ait pas pour mission de distribuer des médicaments, l'industrie pharmaceutique, la Direction générale de la protection de la santé et la collectivité reconnaissent tous que nous avons un rôle particulier et précieux à jouer sur le plan de l'accès humanitaire. Le comité national d'éthique du Réseau assure l'examen éthique des protocoles d'accès humanitaire sur demande de l'industrie.

D'importantes questions éthiques sur l'accès restent encore sans réponse. Quels malades devraient recevoir l'agent dans un programme d'accès humanitaire? Les patients qui pourraient tirer avantage si l'agent s'avère efficace, ou bien ceux parvenus au stade terminal de la maladie? Comment décider et qui doit décider? Par exemple, la sélection par tirage au sort est-elle une méthode morale?

Les obligations de l'industrie pharmaceutique. Cette dernière est un partenaire essentiel du processus de soins. Son rôle est de mettre au point de nouveaux médicaments et de les distribuer. Les fabricants gagnent de l'argent ce faisant et en réinjectent une partie dans le processus d'invention et de mise au point de médicaments. Nous reconnaissons leur rôle dans la société en accordant à l'inventeur du produit une période de protection, par le biais de brevets. Puisque nous leur attribuons un rôle et des avantages définis, je pense qu'il est moral d'attendre d'eux qu'ils participent à la solution des problèmes posés par l'accès humanitaire.

Par conséquent, selon ma conception des choses, les compagnies pharmaceutiques ont l'obligation de fournir des médicaments non validés dans certaines circonstances. Ces circonstances comprennent l'exécution d'un programme de mise au point propre à apporter les données nécessaires à l'évaluation de l'agent, ce qui suppose des quantités suffisantes pour parachever le développement et déterminer la toxicité. Puisque le rapport risques-avantages du médicament est indéterminé, les compagnies ne devraient ni faire payer le produit ni être tenues responsables de l'absence de résultats bénéfiques ou d'une éventuelle toxicité.

Je m'en tiendrai là.

[Français]

Le président: Merci beaucoup, docteur. Nous allons maintenant ajourner d'ici la fin du vote. Comme je l'avais mentionné au début, nous avons à voter à 17 h 15 et nous devons vous quitter. Nous reviendrons après. Merci.

.1710

.1800

Le vice-président (M. Ménard): Comme nous avons le quorum, nous allons reprendre nos travaux. Notre président, Bernard Patry, a dû s'absenter et c'est donc moi, en ma qualité de vice-président, qui vais assumer la conduite des travaux pour l'heure qui reste. Il nous reste deux témoins à entendre ainsi que l'ACIM qui a manifesté le désir d'intervenir. Nous allons leur accorder la parole avec plaisir, après quoi nous allons procéder à un échange avec les partis politiques qui sont représentés.

Avec votre permission, je donne la parole au Dr Sharon Walmsley pour cinq minutes.

[Traduction]

Dr Sharon Walmsley (témoignage à titre personnel): Je vous remercie, monsieur le vice-président. J'apprécie votre invitation à comparaître devant votre comité.

Ce que je vais dire est inspiré par mon expérience. Je suis un médecin qui traite le VIH. Je suis spécialiste des maladies infectieuses et de la microbiologie. Bon nombre de mes patients, au fil des ans, ont pris part à des programmes d'accès humanitaire.

La plupart de ces programmes concernaient des médicaments antirétroviraux. Mais il faut aussi les envisager dans le contexte de médicaments utilisés pour le traitement de certaines des complications qui apparaissent chez ces patients.

Comme beaucoup d'autres membres de la table ronde, je constate, moi aussi, quelques conflits entre mes différents rôles. Premièrement, je suis médecin et j'ai donc le devoir envers mon patient de faire le maximum pour préserver sa santé.

Il est très difficile, en tant que médecin, de prononcer les mots: «Il n'y a rien de plus à faire» et pour un patient de les entendre. C'est particulièrement le cas lorsqu'un médicament est utilisé dans un autre pays ou lorsqu'on possède quelques données préliminaires indiquant qu'un médicament pourrait être utile à ce patient.

En revanche, si le médicament n'est pas complètement évalué, je suis en conflit car je cours le risque de nuire au patient. La moralité de l'usage humanitaire et la responsabilité juridique deviennent alors entremêlées.

.1805

Mon autre rôle, dans ma pratique, est celui de chercheur clinicien. Encore une fois, il y a un conflit entre mon rôle de faire en sorte que nous comprenions bien comment utiliser ces médicaments avec nos patients futurs, et mon rôle envers la personne dans mon cabinet.

Je pense que l'accès humanitaire doit être considéré comme une extension ou un volet de l'essai clinique contrôlé. Ainsi que cela est déjà ressorti dans vos discussions, dans le cas du VIH, la plupart des essais cliniques sont effectués sur des patients à un stade relativement précoce de la maladie. Nous vérifions les effets de ces molécules sur certains marqueurs virologiques et immunologiques. C'est généralement sur la base de tels effets que ces médicaments sont agréés et vendus. Nous attendons ensuite l'essai clinique pour déterminer si ces médicaments améliorent effectivement la durée de survie et la qualité de vie de ces malades.

Même si ces essais cliniques donnent des résultats positifs, nous ne pouvons nécessairement en conclure qu'ils auront le même effet sur un patient à un stade très avancé de la maladie. En effet, très peu d'essais cliniques sont effectués sur des patients au stade terminal du SIDA. Premièrement, il est très risqué pour les compagnies pharmaceutiques de faire des essais sur ces patients car les chances de succès sont beaucoup plus réduites. Du fait de l'emploi d'autres médicaments et d'autres problèmes que connaissent ces patients, il y a un risque beaucoup plus grand d'échec ou de réaction néfaste. Il se peut que ces patients soient parvenus à un seuil de défaillance immunologique où même le médicament antiviral optimal ne fera rien pour eux.

Lorsqu'on regarde l'effet de ces médicaments dans les programmes d'accès humanitaire, il est très difficile de l'évaluer. Souvent, nous ne constatons aucun changement dans les marqueurs immunologiques des patients. Souvent, nous ne constatons aucun changement dans leur qualité de vie. Mais nous donnons de l'espoir, et il est très difficile de mesurer quantitativement ou qualitativement l'effet de cet espoir.

Je pense que si l'on va élargir les programmes d'accès humanitaire, il faut des lignes directrices claires sur l'utilisation de ces médicaments, l'évaluation de leurs avantages et celle de leurs inconvénients.

Un autre aspect que j'aimerais porter à l'attention du comité est que les patients atteints du VIH sont un groupe hétérogène. Ils ont des niveaux d'instruction différents, appartiennent à des cultures différentes et parlent différentes langues.

Bon nombre de ces patients jouent un rôle très actif dans leur propre traitement et contribuent aux décisions, mais j'en ai aussi beaucoup d'autres qui veulent faire ce que le médecin juge bon. Est-ce que ces derniers patients sont réellement capables de comprendre les risques et avantages, confrontés à la décision de prendre ou non un médicament expérimental?

Dans le même ordre d'idées, ils sont souvent exposés à quantité de pressions. Ils subissent les pressions d'activistes qui disent qu'ils devraient prendre ces médicaments. Ils subissent les pressions d'articles dans les journaux, qui parlent des avantages de ces médicaments mais n'insistent peut-être pas assez sur leurs risques. Ils subissent les pressions de leur famille et de leurs amis qui ne veulent pas les perdre et veulent les faire bénéficier de tout ce qui pourrait les aider. Enfin, ils peuvent être aussi sous l'influence des médecins. Même les spécialistes du VIH ont bien du mal à déterminer la meilleure utilisation de ces médicaments, et nombre de médecins n'en savent guère plus que le public.

Il faut également réfléchir au moment où ces programmes d'accès humanitaire seront mis en place. Je pense qu'il est essentiel de disposer au préalable de données adéquates sur les risques pour éviter de causer des dommages sérieux à ces patients. Il faut avoir l'assurance d'un minimum d'efficacité.

Je veux souligner, comme d'autres l'ont fait avant moi, que ces programmes d'accès humanitaire ne doivent pas nuire à notre capacité de mener les essais cliniques contrôlés qui nous permettront réellement de comprendre la place de ces médicaments dans le traitement des patients.

L'expérience montre que les patients, s'ils ont le choix, préfèrent souvent prendre le médicament plutôt que de participer à un essai clinique. Ainsi, même si l'on aide les patients d'aujourd'hui, cela peut nous empêcher de comprendre comment utiliser au mieux ces médicaments à l'avenir.

Je vais m'arrêter là, et résumerai en disant que l'accès humanitaire a un rôle, qu'il peut nous apprendre beaucoup, mais que nous avons besoin de lignes directrices sur la meilleure façon d'utiliser les médicaments dans ce contexte.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Merci, docteur. Nous allons maintenant passer la parole àM. John Dixon.

.1810

[Traduction]

M. John Dixon (témoignage à titre personnel): Je vous remercie. Je suis un ancien président de la B.C. Civil Liberties Association, auteur du livre Catastrophic Rights, Experimental Drugs and AIDS, et, pour situer mon expérience, j'ai travaillé pendant deux ans, ici à Ottawa, comme conseiller politique principal au cabinet du sous-ministre de la Justice.

Soit dit en passant, je n'ai pas reçu vos questions à temps. Comme Arn, j'ai été prévenu à la dernière minute. Mon intervention sera très pragmatique et, je l'espère, assez brève.

J'ai eu à connaître de cette question la première fois lorsque Kevin Brown et Greig Layne, deux de nos activistes initiaux, sont venus voir la Civil Liberties Association, en Colombie-Britannique. Ils se sont plaints à notre conseil de l'inflexibilité de la Direction générale de la protection de la santé sur le plan des traitements, de la délivrance de médicaments.

Je dois dire que nous étions au début plutôt sceptiques. Nous avons quantité de scientifiques au sein de notre conseil; nous savions la très haute importance qu'il y a à préserver la capacité du pays à réaliser des avancées scientifiques. Si on laisse anarchiquement tout un chacun prendre ce qu'il veut, on ne peut jamais déterminer ce qui marche. Nous savions tout cela, et nous pensions découvrir, dans nos contacts avec l'administration, qu'elle était sans reproche et que les doléances n'étaient pas fondées.

Nous avions déjà par le passé travaillé avec les fonctionnaires fédéraux et nous avons découvert, en l'occurrence, que les fonctionnaires de la Direction générale de la protection de la santé faisaient preuve d'un obstructionnisme aveugle, se montraient pompeux et fermés à toute collaboration-non seulement avec les activistes du SIDA, non seulement avec ceux souffrant de cette maladie, mais avec l'Association des libertés civiles. Le problème semblait être que, contrairement aux États-Unis, le Canada avait, à sa grande honte, donné l'agrément à la thalidomide.

Par voie de conséquence, un conservatisme rigide, presque pathologique, s'est emparé de la bureaucratie, à tel point que même lorsque des malades étaient proches de la mort et que leur médecin convenait qu'ils n'avaient absolument rien à perdre à essayer un médicament, le gouvernement usait de son pouvoir réglementaire pour en interdire l'usage.

Le «droit catastrophique» dont je parle dans mon livre est le droit des patients-atteints d'une maladie catastrophique-à être exempts des obstructions réglementaires du gouvernement lorsqu'il est clair qu'ils n'ont plus d'autre choix et que les besoins scientifiques du pays sont préservés. C'est la réponse à l'une de vos questions: y a-t-il une limite au droit des catastrophés?

L'Association des libertés civiles, et certainement les groupes militants tels que la Persons with AIDS Society of British Columbia, à Vancouver, conviennent qu'il y aura d'autres générations de ces malades; on ne peut simplement laisser n'importe qui prendre n'importe quoi. Mais il est un domaine important où, si je puis exprimer les choses ainsi, la science peut gaspiller certaines choses dans la poursuite de ses objectifs. Elle peut gaspiller de l'argent, elle peut gaspiller des talents, elle peut gaspiller aussi les droits à l'autonomie des patients.

Dans le cas du SIDA, au début-1989, 1990, 1991-je travaillais avec Greig Layne et Kevin Brown jusque tard dans la nuit, je discutais de cette question avec des gens du ministère de la Santé et d'autres ministères, jusqu'à l'évanouissement. Il a finalement été admis que le gouvernement ne devait pas, pour des considérations purement paternalistes, empêcher des patients atteints de maladie catastrophique d'avoir accès à des médicaments.

D'une certaine façon, c'est le sujet le plus facile. Mais j'ai parfois l'impression que c'est comme tondre le gazon. Il faut recommencer, encore et encore. Il y a un profond conservatisme-légitime, en un certain sens-au sein des organismes réglementaires et de la profession médicale elle-même.

Nous savions déjà alors que la question difficile et plutôt dérisoire, du moins d'un point de vue intellectuel et juridique, n'était pas celle des droits civils, mais la question concrète et morale de savoir qui paye.

Avant de venir ici je me trouvais à San Francisco, où l'on parle beaucoup dans la presse des nouveaux médicaments. À une certaine distance, on aurait juré que c'étaient des articles du cahier Affaires. Il n'y avait que des chiffres: est-ce que les États ont les moyens de payer? Est-ce que les assureurs peuvent payer? Est-ce que l'assurance-maladie peut payer?

C'est une question très difficile car, dans nos sociétés, ceux qui mettent au point les médicaments, les compagnies pharmaceutiques, ne le font pas par compassion mais pour gagner de l'argent.

Nous vivons une situation, au Canada, où nous avons un programme d'assurance-maladie socialisé dans lequel flottent ces icebergs de libre entreprise, et il y a beaucoup de frictions.

.1815

Pour ce qui est de savoir si le gouvernement a l'obligation morale de payer lorsque des médicaments très prometteurs arrivent... je vais laisser de côté toutes les considérations intéressant le stade d'avancement de l'essai etc. Le gouvernement a-t-il l'obligation morale, par opposition à une obligation légale-je ne pense qu'il en ait une légale-de financer les traitements humanitaires? La réponse est oui, mais cela dépend.

Je vais donner un exemple qui devrait mettre en mouvement nos intuitions morales. Imaginons qu'un petit groupe de chercheurs universitaires aient mis au point un médicament très prometteur. Les résultats médicaux sont extraordinaires et les premiers résultats cliniques, sur les quatre à six premiers mois d'essais sur des sujets humains, sont merveilleux; tout donne à penser que ce pourrait être l'insuline du SIDA. Si ce groupe n'a pas suffisamment de ressources pour fournir le médicament gratuitement, sur une base humanitaire, à tous ceux qui le veulent, et qu'il en coûte 5 000 dollars par an et par patient, le gouvernement a-t-il l'obligation morale de payer...? Sachant que nous voulons non seulement exclure l'État de la chambre à coucher mais aussi exclure la main invisible du marché de la chambre d'hôpital, je dirais oui.

Si l'on considère une situation plus problématique et plus en demi-teinte, par exemple le cas où un médicament, utilisé en combinaison avec d'autres, ajoute 5, 10, 15 ans-on ne sait pas encore-à l'espérance de vie de sidéens et qu'il coûte 50 000 à 75 000 dollars, le gouvernement du Canada ou les gouvernements provinciaux ont-ils une obligation? Je ne pense pas. Je pense qu'une fois que l'on sort de la sphère des droits pour entrer dans celle de la responsabilité morale des Canadiens, vu nos convictions et nos choix en faveur de l'assurance-maladie et de l'exclusion de la main invisible du marché de la chambre d'hôpital, cela dépend réellement.

Je dirai un dernier mot des compagnies pharmaceutiques. Un PDG d'une des plus grosses compagnies pharmaceutiques canadiennes m'a dit un jour, lorsque je travaillais sur les droits des malades catastrophés, «lorsque des intérêts deviennent aussi gros que les nôtres, ils deviennent des droits». L'un des choix très difficiles que les gouvernements ont à prendre devant une question comme celle-ci est entre légiférer et dépenser davantage.

La tentation est très grande de dire que ceci est un problème que l'on peut régler en légiférant. Si les compagnies pharmaceutiques vont faire des expériences chez nous, on va les obliger à offrir les médicaments à titre humanitaire.

Les compagnies pharmaceutiques ont des choix. Le Canada n'est pas le plus gros pays du monde où se pose ce problème. Elles peuvent faire leurs expériences aux États-Unis, leur grand marché. Elles peuvent faire leurs expériences au Brésil. Nous risquons de faire fuir des capitaux de recherche dont nous avons grandement besoin en imposant des lois qui ne satisfont pas l'industrie.

C'est en substance ce que vous disent aussi les gens de McGill etc. Je pense qu'il importe que le gouvernement admette que ce n'est pas un problème que l'on peut régler facilement par une nouvelle loi. C'est peut-être l'un de ces problèmes où il faut se résoudre à dépenser davantage.

Je pense que le gouvernement a une obligation morale, par opposition à une obligation légale, d'aider les malades du SIDA à se procurer des médicaments expérimentaux très prometteurs, et je ne pense pas qu'il soit possible de créer quelque algorithme moral ou machine à décider pour dire précisément à quel point cela doit intervenir.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Merci, monsieur Dixon. Nous allons céder la parole au représentant de l'ACIM. Je crois que Dr Levy voudrait intervenir d'abord.

[Traduction]

Dr Levy: Je vous remercie, monsieur le vice-président, de cette occasion d'intervenir aujourd'hui au nom de l'Association canadienne de l'industrie du médicament sur les considérations éthiques de l'accès humanitaire. L'ACIM n'a pas reçu non plus les sept questions qui intéressent tout particulièrement le comité. Mes remarques seront donc de nature plus générale.

Je commencerai par dire que l'ACIM reconnaît la nécessité de donner aux patients canadiens accès aux thérapies nouvelles. Par exemple, la plupart des fabricants actifs dans le domaine du VIH/SIDA ont déjà des programmes d'accès humanitaire. Ma propre société, Glaxo Wellcome, a fourni le 3TC à près de 2 900 sidéens avant son agrément au Canada. C'est là un nombre considérable si l'on songe que seuls 7 500 patients reçoivent aujourd'hui un traitement pour le VIH/SIDA au Canada.

.1820

Pour répondre à la question que Mme Hayes a posée tout à l'heure, la compagnie a fourni le médicament à ses propres frais. Rien que le coût de distribution s'est chiffré à plusieurs millions de dollars.

La conduite éthique des recherches cliniques au Canada est guidée par la conscience du chercheur et par le jugement du comité d'éthique pour la recherche. Bien entendu, nous partons du principe que le chercheur agit toujours de bonne foi, mais ce sont les comités d'éthique pour la recherche qui exercent le contrôle.

Ces comités sont guidés par deux principes fondamentaux. Le premier est l'évaluation du rapport risques-avantages. Il doit y avoir une perspective d'avantages pour le patient, soit directement par le biais du traitement soit indirectement sous forme de l'espoir d'un traitement futur, ou bien pour la société dans son ensemble par le biais de l'accroissement des connaissances. Les risques doivent être en rapport avec les avantages potentiels, bien qu'il y ait certains risques, tels que la mort du patient qui sont manifestement inacceptables et doivent primer sur l'acquisition de connaissances.

Le deuxième principe est l'impératif d'un consentement véritablement éclairé. Dr Fourie et d'autres nous ont déjà parlé tout à l'heure de la difficulté à obtenir un consentement éclairé dans les premiers stades de la mise au point d'un médicament, lorsque les données clés manquent encore.

Le système que j'ai décrit et les principes que j'ai énoncés régissent déjà la conduite des recherches cliniques au Canada. Cependant, le système de l'accès humanitaire est beaucoup moins avancé. Par exemple, les comités d'éthique pour la recherche sont souvent réticents à se prononcer sur l'éthique d'essais sans insu ou sur l'accès humanitaire et ils considèrent habituellement la distribution de médicaments d'urgence comme totalement extérieure à leur domaine de compétence. Tout nouveau système qui sera mis en place touchant l'accès spécial devra prendre en compte ces déficiences.

Permettez-moi de mettre en lumière certains des problèmes qui se posent sur le plan de l'examen des programmes d'accès humanitaire par les comités d'éthique pour la recherche.

Premièrement, j'ai déjà mentionné qu'il est souvent difficile d'évaluer les risques à un stade précoce et qu'il incombe aux chercheurs et aux comités de privilégier la sécurité, quitte à surévaluer tous les risques possibles.

Deuxièmement, il convient de signaler que la composition des comités d'éthique aux États-Unis, par exemple, est dictée par une loi fédérale et contrôlée par la FDA. Par exemple, il doit y avoir une représentation des collectivités locales, il doit y avoir des non-spécialistes parmi les membres etc. Au Canada, la composition n'est pas régie par une loi, même s'il existe des lignes directrices du CRM. Mais il en résulte que les comités d'éthique présentent chez nous des structures très diverses.

Troisièmement, les comités d'éthique habituellement régissent la pratique des médecins affiliés à des hôpitaux d'enseignement. Il est souvent difficile de trouver des comités qui régissent les omnipraticiens, lesquels peuvent également avoir des besoins très réels d'accès humanitaire pour leurs patients.

Une considération supplémentaire qui intéresse tout spécialement votre comité est l'accès humanitaire des patients atteints de maladie catastrophique. En particulier, comment évaluer le rapport risques-avantages pour les patients dans cette situation?

On a fait valoir ici la semaine dernière que les malades condamnés devraient avoir accès à tout médicament, puisque même une possibilité lointaine qu'il soit bénéfique l'emporte sur tout risque potentiel, même si ce risque englobe la mort. Mais il serait inapproprié de laisser ce jugement au seul soin des fabricants et médecins, sans aucune ligne directrice. Nous pensons qu'il y a là un rôle réel à jouer par le gouvernement, celui de nous guider conformément aux valeurs de la société.

Enfin, il se pose la question de la moralité relative des programmes d'accès sans insu, par opposition aux essais cliniques aléatoires dont on a beaucoup parlé la semaine dernière. On a fait valoir la semaine dernière que les programmes d'accès libres sont, par essence, plus conformes à l'éthique que les essais aléatoires. Je ne suis pas certain que tous les éthiciens seraient d'accord. Il y a plusieurs facteurs à considérer.

Les programmes ouverts, de par leur nature même, mettent une thérapie qui n'a pas fait ses preuves à la disposition d'une large population cible de manière incontrôlée. Nous tenons pour acquis que c'est une bonne chose, mais il peut arriver que l'on expose les patients à davantage de risques. On en a vu des exemples très concrets. Par exemple, des essais effectués en 1989 au Canada ont fait apparaître une détérioration de l'état de santé des sidéens auxquels certains traitements étaient administrés.

Les programmes sans insu entraînent des retards dans la conduite d'essais cliniques. Il en résulte que des questions médicales importantes reçoivent une réponse plus tard que ce ne serait le cas autrement, ce qui peut être néfaste à la santé de la population d'ensemble. Je vous signale à ce sujet un essai mené au Canada par Montaner et ses collègues qui a établi que lorsque les patients ont le choix, 18 p. 100 optent pour la participation à des essais cliniques et 72 p. 100 optent pour l'étude sans insu.

.1825

En résumé, l'Association de l'industrie pharmaceutique reconnaît la nécessité d'assurer l'accès des patients canadiens aux thérapies nouvelles. Cependant, avant que nous puissions donner notre soutien à un nouveau programme, un certain nombre de questions doivent recevoir réponse, par exemple, le programme d'accès spécial proposé par la DGSP.

Je vous remercie.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Merci, docteur Levy.

J'ai personnellement deux questions et peut-être pourrez-vous y répondre directement ou indirectement. Pour moi, la question à laquelle il faudra répondre de manière très précise, dans la ou les recommandations que nous ferons au gouvernement, est une question qui a été un peu éludée, peut-être en raison de sa complexité ou de son caractère un peu névralgique. Est-ce que nous devons obliger les fabricants, dans des conditions très précises qui seront balisées par le législateurs, par voie législative et à certaines conditions, à rendre accessible un produit qui n'est pas encore un médicament mais une drogue de recherche? Cela m'apparaît absolument central par rapport aux questions.

Je crois anticiper la réponse de l'ACIM, mais c'est plutôt la réponse des autres panélistes qui m'intéresse.

J'adresse ma deuxième question plus particulièrement au Dr Levy qui a souligné qu'aux États-Unis, la composition du comité d'éthique est déterminée dans la loi. Il y a donc une prescription et cela obéit à certaines conditions qui ont été fixées par le législateur. Il m'apparaît donc extrêmement important que nous puissions avoir le maximum d'information là-dessus. Nous devrions peut-être demander à nos services de recherche de nous renseigner sur les avantages et les désavantages de cette formule.

J'aimerais, docteur Levy, connaître votre point de vue sur les avantages et les désavantages de cette formule, puisque c'est peut-être une formule que l'on va retenir pour l'ensemble canadien.

Ce sont mes deux questions. Je ne sais pas si quelqu'un souhaite intervenir sur le caractère contraignant ou facultatif pour les fabricants. Je vais donner la parole au Dr Levy et ensuite aux réformistes. On vous écoute.

[Traduction]

Dr Ruedy: Encore une fois, la difficulté est que l'on ne peut répondre par oui ou non.

Le risque qu'il y a à rendre obligatoire la délivrance obligatoire de tous les médicaments expérimentaux est que ce pourrait ne pas être dans l'intérêt public. Cela pourrait réduire le taux de recrutement dans les essais cliniques. Si la compagnie choisit, en raison de cet obstacle, de ne pas faire les essais au Canada, le médicament ne sera à la disposition d'aucun Canadien. Troisièmement, l'intérêt public n'est manifestement pas servi si la quantité disponible de ce médicament est trop limitée pour autoriser à la fois l'usage humanitaire et les essais cliniques.

Je ne peux vous donner de réponse catégorique par oui ou non. Oui, l'industrie pharmaceutique devrait être obligée de donner l'accès humanitaire, à condition que le bien public n'en souffre d'aucune façon.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Vous êtes doyen de la Faculté de médecine, mais vous avez aussi été, un peu plus tôt dans votre carrière, un clinicien.

AIDS Action Now! a été très catégorique sur le fait qu'on ne doit pas établir de corrélation entre le fait de permettre à des patients d'avoir accès à un bras humanitaire et le succès des essais cliniques qui sont conduits sur le Réseau ou ailleurs.

À partir de la connaissance que vous avez de cet univers-là, est-ce que vous faites une corrélation?

.1830

[Traduction]

Dr Ruedy: À ma connaissance, cela ne s'est jamais produit au Canada. Dr Zarowny pourrait peut-être mieux répondre à la question que moi car il est mieux au courant de tous les essais cliniques qui ont été réalisés.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): On va donner au Dr Zarowny le temps d'intervenir.

Dr Zarowny: Merci, monsieur.

[Traduction]

Je pense que c'est ce que l'on appelle une passe vers l'avant.

D'après ce que je sais, dans les cas où il y a eu une demande importante d'accès humanitaire aux médicaments, il a été possible d'organiser une concertation entre les intéressés-c'est-à-dire, les représentants de la collectivité et les compagnies-et de régler le problème.

Je me demande si les lacunes dont on a parlé tout à l'heure-et je me tourne vers Arn pour voir s'il est d'accord avec moi ou non-ne sont pas une chose du passé, lorsque nous avions encore du mal à différencier entre le traitement et la recherche au Canada. Nous avons peut-être progressé depuis cinq ans.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Merci.

Dr Levy, avant que je passe la parole aux réformistes, souhaitez-vous vous exprimer sur la question de ce qui se passe véritablement aux États-Unis dans la détermination des comités d'éthique prévus par la loi?

[Traduction]

Dr Levy: Oui. Je pense que si nous allons demander aux comités d'éthique pour la recherche d'exercer un certain contrôle sur le système, il importera d'assurer une certaine uniformité dans le pays. Par exemple, il ne faudrait pas qu'un comité d'une région juge acceptable un essai ou un programme d'accès libre particulier et qu'un autre comité, dans une région, se prononce en sens inverse. Pour parvenir à une certaine cohérence et veiller à ce que les valeurs de la société soient pleinement représentées, il pourrait être utile que le gouvernement réglemente la composition des comités d'éthique pour la recherche.

Ce sera particulièrement vrai si le gouvernement, et j'entends par là la Direction générale de la protection de la santé, délègue ses responsabilités à ces comités, comme elle envisage dans sa nouvelle proposition. Je pense que ce serait dans l'intérêt des patients, des autres parties prenantes, telles que les médecins qui travaillent à ces programmes, de même que de l'industrie qui attend des comités qu'ils prennent ces décisions.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Merci, docteur Levy. Sharon, vous avez la parole.

[Traduction]

Mme Hayes: Je vous remercie, monsieur le président. J'ai plusieurs questions, et je commencerai par la première. Ai-je cinq minutes?

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Je vais être souple avec vous.

[Traduction]

Mme Hayes: Le titre de cette tribune est «Table ronde nationale sur l'accès humanitaire aux médicaments expérimentaux». Le sujet paraît donc très ouvert et non limitatif-ou du moins c'est ce qu'il devrait être.

Je me demande, sur la base des discussions que nous avons entendues, quelle proportion de la demande totale d'accès humanitaire est couverte par le programme d'accès actuel et dans quelle mesure un ordre de priorité est établi. Plusieurs personnes ont dit que les besoins sont évalués. Les critères pour l'octroi de l'accès humanitaire sont le risque comparé au bénéfice pour le bien public, ou quelque chose du genre. Ce sont les paramètres qui déterminent le choix des candidats, des programmes etc.

Je regardais certains chiffres touchant la fréquence des différentes maladies, et nous avons ici des représentants de groupes qui travaillent sur le VIH et le cancer. Je crois savoir que l'on a recensé jusqu'à présent un chiffre total de 16 000 cas de VIH, depuis que ces cas doivent être déclarés, et l'on s'attend à 2 000 à 3 000 cas nouveaux par an jusqu'en l'an 2 000. Si l'on compare cela aux chiffres du cancer, il y eu 125 000 cas nouveaux rien qu'en 1995. Il y a eu en 1995 61 000 décès dus au cancer. On s'attend à ce que ces chiffres augmentent en raison du vieillissement de la population, puisque le cancer touche les personnes plus âgées ou semble croître en fréquence chez les personnes âgées. On peut donc s'attendre à ce que cette maladie gagne en ampleur au fil du temps.

.1835

J'ai plusieurs questions-et vous voyez probablement déjà où je veux en venir. J'aimerais demander plus particulièrement au Conseil de recherches médicales quel pourcentage de ses fonds sont canalisés vers la recherche sur le VIH/SIDA.

Dr Denis: À l'heure actuelle, sur notre budget global de 240 millions de dollars, près de 2,5 millions de dollars sont consacrés à la recherche sur le SIDA, soit environ 1 p. 100.

Cela dit, il faut souligner que certaines des recherches entreprises sont difficiles à classer. Une partie des recherches que nous finançons sont des recherches très fondamentales, qui peuvent avoir un effet sur le SIDA bien que n'étant pas spécifiquement étiquetées comme recherches sur le SIDA.

La difficulté est d'ailleurs la même s'agissant des montants consacrés au cancer et à l'arthrite. Mais, en particulier, nous dépensons cette année 2,5 millions de dollars pour la recherche sur le SIDA.

Mme Hayes: Avez-vous le chiffre correspondant pour le cancer?

Dr Denis: Je ne connais pas le chiffre exact pour la recherche sur le cancer. Comme vous le savez, nous avons une initiative spéciale intéressant le cancer du sein, qui est coadministrée avec le PNRDS et l'Institut national du cancer. Le montant provenant du budget de base du CRM est de 2 millions de dollars par an. Mais notre budget de base contient certainement d'autres dépenses encore pour la recherche sur le cancer en général. Mais je ne sais pas quel est le chiffre exact.

Mme Hayes: Pour en revenir plus précisément à l'accès humanitaire, je crois savoir que le programme d'essais cliniques, et plus particulièrement les essais cliniques canadiens sur le VIH, vise spécifiquement le VIH. Il est financé par des fonds publics, qui couvrent notamment les frais administratifs. Je ne me souviens plus du budget, mais je crois qu'il y a plusieurs millions de dollars réservés pour cela.

Je pourrais peut-être demander à nos invités, sur le plan de l'éthique... Je n'adresse ma question à personne en particulier, mais si l'on compare les deux maladies, nous avons des essais cliniques sur le VIH financés par le ministère de la Santé et des essais cliniques sur le cancer financés par des dons publics, sans participation gouvernementale, à ma connaissance. Peut-être quelqu'un voudrait-il comparer le financement des essais sur le VIH et le cancer et peut-être également les crédits généraux de Santé Canada pour l'accès humanitaire intéressant les deux maladies.

M. Dixon: J'aimerais souligner plusieurs différences entre le cancer et le SIDA. Premièrement, le cancer ne nous est pas tombé dessus par surprise. C'est une maladie que les Canadiens connaissent de longue date. Il y a un réseau très étendu d'organismes privés qui financent la recherche sur le cancer, indépendamment des pouvoirs publics.

Le SIDA nous a pris par surprise et il ne s'est pas encore constitué autour de lui un réseau privé similaire. Il me paraît donc des plus nécessaires que le gouvernement intervienne.

.1840

J'ai remarqué dans un article de presse, hier, que l'on établit une correspondance entre la fréquence du SIDA comparée à celle du cancer et d'autres maladies fatales.

Le SIDA est presque unique-j'imagine que «presque unique» est une impossibilité sémantique-dans la tranche d'âge qu'il frappe et de par le nombre d'années productives dont il prive les Canadiens. Il y a donc des différences. Je pense que la plus frappante est que le cancer ne nous a pas pris par surprise comme le SIDA. Il ne s'est pas encore constitué de réseau privé autour du SIDA.

Mme Hayes: Pourrais-je juste répondre à cela?

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Comme nous sommes rendus à 8 minutes, nous pourrions donner la parole à Mme Fry et permettre une rapide intervention au Dr Zarowny avant de revenir à l'échange plénier. Êtes-vous d'accord, madame Fry?

Vous aviez manifesté le désir d'intervenir rapidement sur la question du...

[Traduction]

Dr Zarowny: Pour ce qui est du financement du Réseau canadien pour les essais VIH, ce dernier fait partie de la stratégie nationale sur le SIDA. Il reçoit 2,9 millions de dollars étalés sur trois ans, soit jusqu'en mars 1998. Il n'y a qu'un seul organisme au Canada, à ma connaissance, qui lève des fonds pour la recherche, et c'est la Fondation canadienne pour la recherche sur le SIDA. Elle lève des sommes modestes.

Si vous commencez à jouer ce jeu, qui est un jeu que moi-même, la plupart des chercheurs et la plupart des gens avec lesquels nous sommes en contact régulièrement refusent de jouer-c'est-à- dire, comparer une maladie à une autre du point de vue de sa fréquence et des crédits disponibles-cela est totalement inapproprié. L'une des caractéristiques communes au VIH et au cancer est un dérèglement du système immunitaire. À bien des égards, tout effort de recherche dans l'un des deux domaines apportera des connaissances scientifiques fondamentales utiles, en partie ou en totalité, dans l'autre.

Mme Hayes: Puis-je répondre là-dessus? Je le ferai très brièvement, en réponse aux deux interventions.

Un de mes amis très chers est âgé de 48 ans et on vient de lui diagnostiquer un cancer. De lui dire que l'argent qui aurait pu l'aider a été dépensé pour autre chose, ou bien que nous nous en remettons à l'initiative privée pour l'aider pendant que le gouvernement se concentre sur autre chose, me paraît insensé. Je pense que le gouvernement a l'obligation, dans l'intérêt public, de considérer l'état des besoins.

Sur le plan du coût de l'accès humanitaire, je pense qu'il faudrait considérer l'accès humanitaire à l'échelle de la population totale et répartir l'effort en fonction des besoins qui existent, sans privilégier aucune catégorie particulière, ni à l'intérieur des groupes VIH ni au sein de la population d'ensemble. La question qui se pose à l'intérieur des groupes VIH a été mise en lumière dans cette discussion. Si c'est vrai à l'intérieur de ce groupe, alors ce devrait s'appliquer aussi à l'univers de ceux qui ont besoin de l'accès humanitaire.

Voilà ce que je voulais faire ressortir.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Permettez-vous que nous donnions rapidement la parole à des gens de la Colombie-Britannique, M. Schilder et ensuite M. Iscoe?

[Traduction]

M. Schilder: Je veux réagir, très rapidement. J'aimerais faire remarquer à la députée réformiste... Cela sonne comme une position réformiste. Votre nom est Hayes, n'est-ce pas?

Je trouve plutôt odieux d'établir des comparaisons entre les maladies. Malheureusement, c'est là une tactique de votre parti. Puisque vous parlez de l'intérêt public, je vous rappelle qu'il s'agit là d'un agent infectieux, en plus d'être une maladie chronique.

Dr Iscoe: Il faut éviter d'opposer les groupes les uns aux autres. Je suis d'accord avecDr Zarowny là-dessus.

Ces questions sont beaucoup trop complexes. La réalité est que nous ne pourrons faire pour tout le monde ce que nous aimerions faire. Mon estimation personnelle, en tant que quelqu'un qui observe les résultats des recherches génétiques, est que les dix prochaines années seront encore plus difficiles. Il se posera toute la question du contrôle des maladies génétiques par des agents pharmacologiques. Vous aurez des cas de conscience encore plus difficiles et qui vont toucher une portion encore plus large de la population.

Les remarques de mon collègue du Conseil de recherches médicales sont tout à fait justes. La recherche ne se laisse pas facilement classifier. Les recherches faites sur l'origine génétique du cancer sont celles qui ont permis de découvrir le gène de la fibrose cystique. On ne sait jamais sur quoi va déboucher une recherche et c'est pourquoi il ne sert à rien de vouloir ranger les choses dans des petits compartiments bien nets.

Si je puis, monsieur le président, j'aimerais formuler quelques observations sur des choses qui ont été dites.

.1845

J'ai siégé au comité d'éthique pour la recherche de mon établissement. J'ai quelques réserves concernant l'idée de soumettre l'accès humanitaire aux comités d'éthique, mais non parce que c'est une impossibilité. J'espère que les comités d'éthique pour la recherche sont bien équipés pour faire leur travail, qui est de se pencher sur des questions de nature générale, mais l'accès humanitaire suppose un examen au cas par cas. L'accès humanitaire, c'est cela.

En matière d'accès humanitaire, il s'agit d'examiner la demande individuelle qui vous est présentée. Est-elle appropriée? Est-ce que le rapport risques-avantages est favorable dans le cas de cette personne? Est-on certain qu'elle sait ce qu'elle fait? J'estime que l'on ne peut faire cela à l'intérieur du cadre dans lequel les comités d'éthique travaillent actuellement. Il faudra trouver un autre mécanisme, et toute la difficulté est là.

Deuxièmement, je n'ai malheureusement pas suivi toutes les audiences, mais d'aucuns ont dit que les essais cliniques aléatoires sont contraires à l'éthique. Je m'oppose avec véhémence à cette affirmation, en tant que clinicien et que membre d'un comité d'éthique. Il y a des myriades d'exemples où une thérapie nouvelle fait plus de mal que de bien. C'est une illusion pour les gens de croire qu'ils vont se porter mieux s'ils cessent de prendre un placebo pour recevoir l'agent actif.

Le dernier élément concerne la question sur laquelle se penche votre groupe de travail, votre comité: les médicaments. Or, le problème dépasse de loin le champ des seuls médicaments et s'étend à d'autres types de technologies sanitaires. La greffe de moelle osseuse est un exemple classique. Les patients pourraient revendiquer l'accès humanitaire à une technologie dont ils pensent qu'elle pourrait sauver leur vie. Il est impossible d'accorder satisfaction à tous car les ressources sont limitées, mais où va-t-on tirer la ligne? Il faut espérer que les essais aléatoires permettront de se prononcer sur l'utilité de cette procédure, mais s'ils démontrent l'efficacité de la greffe de moelle osseuse, il y aura des problèmes très réels.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Vous avez la parole, madame Fry. Nous vous remercions de votre patience.

[Traduction]

Mme Fry (Vancouver-Centre): Merci beaucoup.

Je voudrais simplement réagir à un certain nombre de choses que Mme Hayes a dites concernant le financement public.

Le financement du gouvernement ne passe pas seulement par Santé Canada. Comme vous le savez, Santé Canada consacre environ 42,5 millions de dollars par an à la stratégie nationale sur le SIDA. Une partie de ces fonds vont à la recherche et le reste à divers éléments tels que le soutien etc. Les conseils de recherche sont eux aussi financés par des crédits publics. Donc, le financement ne provient pas d'une seule enveloppe; il y a une multitude de sources.

Je suis déçue car il y a là un risque de déraper sur une pente glissante. Si vous commencez à comparer les maladies entre elles, cela devient dangereux et les groupes militants commencent à se battre entre eux. Je pense que cela a été bien exprimé par le dernier intervenant, lorsqu'il a dit que lorsqu'on fait des recherches sur une maladie, on obtient souvent des résultats utiles pour une autre et un effet boule de neige.

Santé Canada distribue des crédits de recherche sur le cancer du sein et beaucoup d'autres maladies. La question que vous avez posée a déjà été soulevée par d'autres membres de votre parti au sein du Comité de la santé. Il faudrait peut-être répondre à la question, qui est, en substance, «pourquoi?» Cela a toujours été la question qui a été posée particulièrement à l'égard des crédits pour le VIH: pourquoi le gouvernement dépense-t-il de telles sommes pour le VIH? Je pense que la réponse est claire.

Je pense que l'on a dit tout à l'heure que le SIDA est la première cause de décès chez les hommes entre 25 et 44 ans, dans chacune des grandes agglomérations du pays. Deuxièmement, c'est une maladie infectieuse hautement contagieuse. Il y a une épidémie de SIDA, et elle n'est pas limitée aux hommes. Le taux d'infection chez les personnes hétérosexuelles et les femmes est beaucoup plus rapide que dans la population gaie et chez ceux qui se droguent par voie intraveineuse. C'est une maladie que l'on peut prévenir. C'est la troisième raison pour laquelle il faut y consacrer beaucoup de temps et de ressources.

Le quatrième élément est que son coût est manifestement exorbitant, lorsqu'on songe qu'il faut commencer à soigner les personnes lorsqu'elles deviennent séropositives, lesquelles finissent par contracter le SIDA et passent plusieurs années en étant malades. Cela coûte des milliards de dollars et il est donc impératif d'entreprendre des recherches, et de trouver des façons de combattre cette maladie particulière.

Je tiens à répéter très clairement qu'il faut éviter de comparer les maladies entre elles. Cela débouche sur des comportements égoïstes qu'il faudrait éviter.

Je vous remercie.

.1850

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Vous avez été très claire, docteur Fry, et nous vous en remercions.

Nous en sommes maintenant à la période d'échanges libres entre chacun et chacune des panélistes ici présents. Donc, c'est le moment de se sentir très libre sur le plan des interactions à établir. S'il y a des questions, nous vous écoutons.

[Traduction]

M. Lemmens: Je trouve moi aussi regrettable que nous soyons lancés dans cette discussion sur la répartition des crédits, car il me semblait que nous traitions ici d'un programme de médicaments d'urgence applicable non seulement aux malades du VIH et du SIDA mais à toutes sortes de situations. Je ne voulais pas réellement limiter mes propos au programme d'accès humanitaire pour les personnes atteintes du VIH et du SIDA.

Deuxièmement, Dr Iscoe a parlé du recours aux comités d'éthique pour la recherche concernant le programme de médicaments d'urgence. J'ai déduit de ses propos pendant la pause que son objection principale tient à des considérations de temps, et qu'il s'agit pour lui de limiter les comités d'éthique à leur raison d'être véritable. Il est peut-être vrai que, tels qu'ils fonctionnent actuellement, ils ne pourraient pas efficacement faire ce travail, mais ils ont peut-être simplement été cités comme un exemple de structure que l'on pourrait reprendre, avec une coopération entre médecins et représentants de la collectivité, bioéthiciens et juristes.

Le vice-président (M. Ménard): Merci, monsieur Lemmens.

Docteur Ruedy.

Dr Ruedy: J'aimerais moi aussi inscrire mes remarques dans un contexte plus large. Je pense que les principes applicables aux maladies catastrophiques et à l'accès humanitaire sont d'application générale, et je ne pense pas qu'il faille accepter des principes différents pour les maladies différentes. Je pense que les mêmes principes devraient être appliqués à toutes les maladies fatales ou rapidement débilitantes.

Je ne pense pas que nous ayons le luxe de pouvoir séparer les considérations financières des autres dans aucune question éthique. Je pense que les coûts financiers sont d'importance fondamentale dans nos décisions éthiques. Je ne pense pas que nous ayons le luxe de pouvoir séparer les coûts monétaires, qui ne sont qu'une partie de l'ensemble des coûts, dans nos délibérations.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Monsieur Iscoe, vous êtes le prochain.

[Traduction]

Dr Iscoe: Je vous remercie, monsieur le président.

Je conviens avec Dr Ruedy que l'on ne peut ignorer les aspects pécuniaires. L'une des questions qui n'a pas encore été mise en lumière à cette table est le coût pécuniaire indirect. On a parlé du coût du médicament lui-même. Dr Levy a parlé de coûts de distribution dépassant1 million de dollars, si ma mémoire est bonne. Même si le médicament est offert gratuitement, il y a des coûts financiers infligés au système de santé que l'on ne peut ignorer.

Il y a des pharmaciens qui devront intervenir. Il faut du temps, il y a des formalités administratives, toute cette sorte de choses. Quiconque a jamais mené des essais cliniques sait que le plus gros facteur de coût est le soutien infrastructurel et si la distribution humanitaire va être assortie du même genre de collecte d'information afin que l'on puisse connaître les résultats, c'est un autre élément de coût qui va s'ajouter. La question est de savoir si le système peut absorber un tel coût.

Il y a également d'autres facteurs en jeu, qui concernent les ressources simplement physiques, en sus du travail administratif. Je vous remercie.

Le vice-président (M. Ménard): Merci.

Monsieur Schilder.

M. Schilder: Cette discussion est quelque peu ésotérique comparée à la réalité que je constate dans mes voyages à travers le pays. Travaillant au niveau national, je suis amené à me déplacer beaucoup de ville en ville pour mes consultations. La pauvreté et la marginalisation croissantes de la vaste majorité des sidéens, quelle que soit leur condition sociale antérieure, deviennent extrêmement préoccupantes, d'autant que le test de séroposivité en empêche beaucoup d'acquérir quelque forme que ce soit d'assurance invalidité.

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Le résultat de cette situation est que les personnes atteintes du VIH doivent se battre chaque jour pour trouver logement, nourriture, soins et soutien. Dans ces conditions, toute la question de l'existence d'un nouveau médicament ou de l'accès humanitaire est reléguée loin dans la liste de leurs priorités. Lorsqu'on en est rendu à ce stade, vous n'avez plus le luxe de songer à toutes ces choses.

L'un des problèmes est que, même pour les malades qui peuvent l'envisager, ils n'auront jamais les moyens, car la majorité des malades du VIH dans ce pays n'ont tout simplement pas les moyens de payer aucun de ces médicaments, même s'ils devenaient disponibles. Ceux atteints d'autres types de maladies, comme le cancer, ont souvent quelques ressources ou quelque assurance invalidité, mais la vaste majorité des personnes malades du VIH aujourd'hui et à l'avenir tentent de survivre avec quelque chose comme 771 dollars par mois, au centre-ville de Vancouver.

La question de la disponibilité d'un médicament nouveau n'est donc pas une réalité, même s'ils savent que le médicament existe ou comment y obtenir accès par le biais du processus actuel des essais cliniques.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): La parole est maintenant à M. Derek Jones.

[Traduction]

M. Jones: Je vous remercie, monsieur le vice-président. Je voudrais dire quelques mots sur le fonctionnement et le mandat des comités d'éthique pour la recherche, puisque quelques intervenants et vous-même avez abordé le sujet, dans votre réponse aux suggestions du docteur Levy.

Premièrement, pour ce qui est de l'idée de régir par la loi et par des lignes directrices le fonctionnement des comités d'éthique pour la recherche au Canada, je ferai remarquer un certain nombre de chose. Dr Levy a raison lorsqu'il indique que la composition et le fonctionnement des CER aux États-Unis sont régis par une loi fédérale. C'est un modèle possible. J'attire également l'attention du comité sur une initiative en cours et à laquelle participent le Conseil de recherches médicales et divers autres conseils de financement canadiens, consistant à réécrire la troisième édition des lignes directrices concernant la recherche sur des sujets humains.

Il y a deux semaines, un document de discussion sur le fonctionnement et la composition des CER a été déposé à la Société canadienne de bioéthique. Une période de six mois est prévue pour enregistrer les réactions etc. Tout cela pour dire que la composition, le fonctionnement et le mandat des CER est une question d'actualité au Canada, qui fait l'objet de discussions en profondeur.

Cela ne veut pas dire qu'il faille exclure l'idée de fixer par une loi fédérale la composition de ces comités. D'ailleurs, on voit déjà un peu partout dans le pays que la législation commence à jouer un rôle croissant. Je donnerai comme exemple le Québec, qui impose certains examens d'éthique prospectifs concernant les protocoles de recherche.

Je conclurai en revenant à cette distinction entre le traitement et la recherche, ce qui nous ramène encore une fois au mandat des CER, lequel est d'examiner les protocoles de recherche de manière prospective. La proposition de la DGPS tend à considérer l'accès humanitaire sous l'angle thérapeutique, ce qui pourrait signifier que les CER n'auraient pas leur mot à dire.

Je recommande au comité et à Santé Canada de donner une définition absolument claire car il pourrait, sinon, en résulter un conflit au niveau des mandats et des définitions. À cet égard, je signale que la définition de recherche du Conseil de recherches médicales est extrêmement large et que les comités d'éthique pour la recherche travaillent sous le régime de cette définition large. C'est pourquoi la définition de traitement ou de l'accès humanitaire et les diverses catégories que la DGPS propose doivent être absolument claires et explicites afin que ces comités puissent fonctionner et sachent ce qu'ils doivent faire.

[Français]

Le vice-président (M. Ménard): Nous avons épuisé les intervenants qui figuraient sur ma liste. À moins que d'autres personnes parmi vous souhaitent s'exprimer, la séance de consultation de ce sous-comité est terminée.

Je me permettrai de formuler deux voeux. Peut-être accepteriez-vous, monsieur Denis, de faire parvenir aux membres du sous-comité, en vous mettant en relation avec notre greffière, les directives s'appliquant aux essais sur les humains auxquels votre collègue a fait référence afin que nous puissions en prendre officiellement connaissance.

Dr Denis: J'en ai une copie ici.

Le vice-président (M. Ménard): Vous en avez une copie. La greffière pourrait peut-être se charger de nous faire parvenir l'ensemble de la documentation. On pourrait peut-être aussi demander à notre service de recherche d'obtenir un peu plus d'information sur le rôle des comités d'éthique aux États-Unis. Nous pouvons peut-être aussi prendre l'engagement de vous faire parvenir le fruit de la recherche de notre service.

.1900

Quant à nous, nous continuerons nos travaux demain matin, à compter de 9 h, dans la salle 237-C de l'Édifice du Centre. Nous nous pencherons alors sur l'aspect financier de l'accès humanitaire aux médicaments de recherche.

J'aimerais tous vous remercier pour l'effort et l'énergie que vous avez déployés à être des nôtres. Sachez que tout cela ne sera pas vain et que cela nous sera plutôt profitable. Cela nous aidera beaucoup dans la formulation des recommandations que nous aurons à faire au gouvernement. Merci encore une fois à vous tous. Cela met fin à nos travaux.

La séance est levée.

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