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CHAPITRE 8 - SOUTENIR LA COOPÉRATION SCIENTIFIQUE, PÉDAGOGIQUE ET CULTURELLE DANS L'ARCTIQUE


À mon avis, aucune politique étrangère nordique ou circumpolaire pour le Canada n'obtiendra de succès concret si elle ne repose pas sur une continuité de la recherche canadienne dans le Nord. Mais cette recherche doit dorénavant offrir également des débouchés et des occasions de développement : développement en formation, développement en éducation, développement économique et occasions d'affaires pour nos populations nordiques. Cette double optique visant à continuer notre recherche et à créer des conditions favorables pour les populations nordiques nous impose donc de continuer à encourager la recherche et la formation dans le Nord afin de conserver au Canada sa place importante. Nous devons également, dans le même temps, renouveler nos façons de faire pour nous adapter à ces nouvelles réalités internes [47:2].

Michel Allard, directeur du Centre d'études nordiques,
Université Laval

Vu les rapides changements de la situation dans l'Arctique décrits dans les chapitres précédents, la collecte et l'utilisation des connaissances au profit des peuples arctiques et du reste de la communauté internationale posent de gros problèmes. Une des questions clés concerne les futures tendances, dans l'Arctique, pour la recherche et l'éducation scientifique financées par les pouvoirs publics qui deviennent plus nécessaires que jamais du fait des changements en cours et de l'intégration croissante de la région dans la communauté internationale. En outre, les importants engagements contractés dans le cadre de leur politique étrangère par le Canada et les autres États arctiques, comme le Conseil de l'Arctique et la SPEA, exigent un niveau scientifique très élevé. Il ne s'agit toutefois pas simplement de poursuivre les activités scientifiques ambitieuses et coûtant des millions de dollars de ces dernières décennies, mais de mettre l'accent sur les besoins changeants de la région tels que définis par ses résidents, en permettant à ces derniers d'effectuer de telles recherches et de combiner le savoir traditionnel des Autochtones et les connaissances scientifiques modernes. Ces dernières années, la plupart des États arctiques ont réduit les sommes qu'ils consacrent à la science, ce qui rend la coopération internationale encore plus précieuse pour améliorer la productivité et réduire les coûts. Comme l'affirmait Gérard Duhaime, professeur à l'Université Laval, lors d'un séminaire parrainé par l'OTAN en 1995, les États qui s'intéressent à la recherche arctique, ayant les mêmes objectifs et faisant face aux mêmes difficultés, doivent envisager plusieurs types de solutions à leurs problèmes, c'est-à-dire s'assurer que leurs arrangements nationaux soient satisfaisants, examiner les ententes de coopération internationale existantes et en conclure de nouvelles si nécessaire210.

La capacité du Canada à contribuer efficacement à la coopération scientifique internationale dans l'Arctique dépend en premier lieu de son engagement pour la science polaire, mais au sujet duquel il a eu du mal à définir ses intentions. Dans le même ordre d'idées, le Comité accorde un grand poids au conseil donné par Paul Painchaud selon lequel il faudrait mettre l'accent sur les aspects de politique internationale concernant ces questions :

Vous n'avez pas à vous pencher sur toute la question de la recherche polaire. En tant que spécialistes de politique étrangère, vous devriez tout simplement chercher à déterminer les instruments nécessaires à la mise en oeuvre de cette politique, et non pas essayer de régler les problèmes du Nord. C'est cela que vous devez identifier. Si la science - et c'est certainement le cas - est un instrument de politique étrangère, vous devez l'inclure dans vos recommandations [47:21].

L'éducation de base est une responsabilité nationale, mais on peut l'améliorer dans l'ensemble de la région grâce aux modèles prometteurs en cours d'élaboration au Canada et dans d'autres pays. La coopération internationale sera également essentielle pour la formation d'une nouvelle génération de chercheurs pour les pays arctiques, capables d'effectuer une recherche de pointe en physique et en sciences sociales. Un facteur important est la prolifération des communications par satellite et des nouvelles technologies d'information qui favoriseront le développement dans le monde circumpolaire de ce que Maurice Strong et ses collègues ont appelé des «réseaux fondés sur la connaissance». Ces nouvelles technologies ne constituent pas une panacée et elles ne peuvent pas remplacer le financement national des activités de base, mais elles ont déjà eu des répercussions concrètes dans l'Arctique canadien et elles peuvent favoriser aussi bien l'éducation que le renforcement des cultures des Autochtones du Nord au Canada et dans toute la région circumpolaire.

La nature changeante de la science de l'Arctique : vers une conception holistique de la connaissance

La science du Nord est une science reliée à un territoire et au peuple qui y vit.
Gilles Breton211
Agent de liaison, Division des affaires circumpolaires
Ministère des Affaires indiennes et du Nord

Comme John Heap, de l'Institut Scott de recherche polaire, l'a dit aux membres du Comité à l'Université de Cambridge, l'accès à l'Arctique s'étant amélioré depuis un siècle, les gens du Sud, qui le connaissent mieux, ne le considèrent plus comme une région éloignée à explorer mais comme un sujet d'étude scientifique. Pendant la guerre froide, les activités scientifiques réalisées dans la région étaient souvent dictées par des considérations de stratégie militaire, et leur valeur était liée à un intérêt militaire et commercial ainsi qu'à l'application pratique des nouvelles connaissances. Du fait de la présence d'Autochtones dans le Nord, on ne doit toutefois pas y pratiquer la «science pour la science» comme on le fait dans l'Antarctique, mais plutôt ce que, dans un mémoire remis au Comité, Milton Freeman appelait une «science possédant une conscience sociale212».

Comme Fred Roots le signalait en 1995, les principaux développements discutés dans ce rapport - le fait que le Nord trouve son identité psychologique, physique et économique et qu'il est de plus en plus intégré au reste du monde - ont déjà eu et continueront d'avoir d'importantes répercussions sur la science de l'Arctique. Cela entraînera des changements quant au choix des sujets étudiés dans l'Arctique, à la composition des équipes de recherche et aux sources de financement. Comme il l'a déclaré, cela veut dire «qu'au cours des prochaines années, la recherche scientifique dans les hautes latitudes sera encore plus importante que dans le passé. Mais, pour être efficaces, ses résultats doivent être souhaités, compris et utilisés par un nouveau groupe de décideurs dans le Nord, dans les autres régions et dans le monde entier213

Au plan national, les États arctiques ont adopté des attitudes différentes vis-à-vis de la science polaire, les pays scandinaves faisant preuve de plus de constance en matière de politiques et de budgets. Fred Roots disait à ce sujet en 1995 :

Tous les pays nordiques ont de graves problèmes économiques. La plupart ont fait face aux contraintes financières en réduisant leur budget national pour la recherche scientifique et en adoptant de rigoureux critères de justification des dépenses pour cette recherche. Certains pays ont maintenu ou accru leur budget pour des travaux scientifiques dans l'Arctique, même en période de réduction du budget national des sciences, parce qu'ils ont reconnu l'importance des connaissances sur l'Arctique pour l'ensemble des priorités nationales du pays. D'autres pays nordiques ont considérablement réduit leurs travaux scientifiques dans l'Arctique, considérant qu'ils n'étaient pas indispensables ou qu'ils constituaient une partie moins importante de leur effort national dans le domaine des sciences. [. . .] Ainsi, certains pays dépendront davantage des pays voisins pour obtenir des renseignements scientifiques propres aux régions nordiques et pour acquérir un savoir-faire en la matière. Malheureusement, le Canada fait partie des pays qui ont réduit leur budget pour les travaux scientifiques dans l'Arctique et le Nord. Sa dépendance à l'égard des connaissances obtenues par les autres pays sera donc accrue214.
L'ampleur des problèmes financiers pour la recherche dans l'Arctique est peut-être nouvelle, mais le manque de fonds pour la science ne l'est pas. Devant les membres du Comité à l'Université de Cambridge, David MacDonald, du Programme de recherche sur le plateau continental arctique de Cambridge, a cité Lord Rutherford qui comparait l'attitude européenne et américaine vis-à-vis de la physique : «Comme nous n'avons pas d'argent, nous sommes obligés de réfléchir.» Vu l'importance croissante de cette région, les États arctiques (et les autres États intéressés) doivent maintenir leur engagement envers la recherche fondamentale dans le Nord en tenant compte de l'évolution de celle-ci pour mieux répondre aux besoins et aux réalités modernes.

La recherche dans l'Arctique consiste toujours à approfondir systématiquement la connaissance, mais d'importants changements d'orientation sont en cours. Il existe depuis longtemps une tension naturelle entre la science et la politique; la politique exige des retombées positives pour le pays et une certitude que la science peut rarement fournir, alors que cette dernière semble souvent ne faire aucun cas des considérations politiques générales. M. Chaturvedi en a conclu qu'«il faut trouver un moyen terme entre l'intérêt national éclairé et l'obligation de promouvoir la science au mieux des intérêts de l'humanité à l'intérieur de cadres, qu'ils soient novateurs, nationaux, régionaux ou mondiaux215». En fait, la création du Conseil de l'Arctique offre une occasion de relier la science et la politique dans l'Arctique, ce qui profitera à tous. Comme Oran Young l'a dit au Comité :

Permettez-moi aussi de dire qu'en ce qui concerne les possibilités, je crois qu'il nous faut songer sérieusement à encourager le dialogue entre le milieu de la recherche et celui de la politique de même qu'entre les scientifiques et les praticiens. Je crois qu'il faut réfléchir sérieusement, dans le contexte du Conseil de l'Arctique, à la façon d'établir des liens qui sauront profiter tant à la communauté scientifique ou aux milieux de la recherche, y compris ceux qui s'intéressent au savoir écologique traditionnel, qu'au monde de la politique. Je crois qu'il s'agit-là de possibilités très intéressantes. Le temps est venu, à bien des égards, de s'atteler à cette tâche [40:6].
La recherche à long terme doit continuer, mais la science de l'Arctique se tourne davantage vers des sujets plus pratiques. Cela est partiellement dû à la réduction des crédits, car, comme Fred Roots l'a signalé, toute réduction des budgets a aussitôt pour effet que les études qu'on entreprend sont orientées plutôt vers les résultats immédiats que vers le long terme. La réduction du financement gouvernemental a une autre conséquence : les partenariats chercheurs-secteur privé deviennent de plus en plus fréquents. Comme Mark Nuttall, de l'Université d'Aberdeen, l'a dit aux membres du Comité à l'Université de Cambridge, un autre progrès important est l'établissement de liens plus étroits entre les recherches consacrées à la physique et aux sciences sociales dans l'Arctique.

On peut tout particulièrement se réjouir du fait que le savoir traditionnel autochtone soit de plus en plus considéré comme un complément de la science arctique officielle. Comme Gerald Lock le disait au Comité :

Je ne veux pas faire trop de philosophie, mais comment avons-nous appris ce que nous savons? Comment l'humanité sait-elle ce qu'elle sait? Il n'existe que trois façons de savoir : les connaissances rationnelles, les connaissances empiriques et les connaissances métaphoriques. Les sciences se limitent presque exclusivement aux connaissances rationnelles - pas entièrement, mais elles sont centrées sur les connaissances rationnelles - tandis que le savoir traditionnel provient en partie du savoir empirique et en partie du savoir métaphorique. Donc, si on prend les deux, on a un tableau complet des connaissances humaines, et c'est vers cela que nous devons tendre. Si on laisse les sciences dominer et qu'on relègue le savoir traditionnel à un plan inférieur, je pense qu'on a tort sur le plan philosophique et que c'est socialement inacceptable [20:4-5].
Comme nous l'avons vu au chapitre cinq, le Canada a été un des premiers États arctiques à reconnaître la valeur des connaissances des Autochtones et il est un chef de file mondial en matière de cogestion. L'établissement de liens entre les points de vue des gens du Nord et du Sud fournit non seulement des renseignements extrêmement précieux sur le Nord, mais contribue également à combler le fossé qui sépare les peuples du Nord et la recherche sur l'Arctique. Lors de ses déplacements dans l'Arctique canadien, le Comité a appris que beaucoup d'Autochtones continuent de se méfier des chercheurs du Sud. Il y a des progrès à cet égard, comme nous l'avons vu dans l'analyse du chapitre cinq sur les contaminants dans la chaîne alimentaire du Nord, mais il faut se soucier de développer davantage la recherche en coopération avec la population du Nord et lui communiquer les résultats obtenus. Comme l'indiquait David Malcolm, de l'Institut de recherche Aurora, dans un mémoire au Comité : «Il faut préparer des rapports faciles à comprendre; c'est une composante nécessaire de toute recherche effectuée dans le Nord [. . .]216».

Le Canada a montré comment incorporer des connaissances écologiques traditionnelles aux études scientifiques avec l'Étude d'impact sur le bassin du Mackenzie, ou comment tenir compte de points de vue sociaux ou humains avec sa participation à des programmes scientifiques internationaux comme le Programme international concernant la géosphère et la biosphère. Whit Fraser, président de la Commission canadienne des affaires polaires, concluait, il y a quelques années, de la façon suivante : «Il reste beaucoup à faire à cet égard; certains signes encourageants montrent toutefois que le savoir traditionnel obtient enfin le respect qu'il mérite en tant qu'instrument d'apprentissage. La possibilité pour le Canada de parvenir à promouvoir le savoir traditionnel au-delà de ses propres frontières dépendra dans une large mesure de la réaction des organisations internationales217.» Comme l'explique Oran Young, le Conseil de l'Arctique pourrait favoriser cette tendance :

Il convient également de noter que les résidents permanents de l'Arctique ont clairement établi qu'ils étaient non seulement des sources potentielles de connaissances écologiques traditionnelles, mais qu'ils s'intéressaient aussi au plus haut point à la recherche scientifique occidentale. La création d'organismes comme l'Alaska Native Science Commission constitue, à cet égard, un exemple particulièrement frappant. Tout cela montre bien que le Conseil de l'Arctique devrait se donner pour priorité d'appuyer et, au besoin, de créer des programmes ciblés de recherche consacrés à des questions liées au développement durable de l'Arctique. De tels programmes devraient intégrer les efforts des scientifiques occidentaux et des résidents permanents de la région de même que ceux des naturalistes et des spécialistes des sciences sociales intéressés aux systèmes hybrides de l'Arctique218.
Dans l'ensemble, le Comité convient avec Gérard Duhaime que, puisqu'on exige une augmentation du volume de la recherche dans l'Arctique et une amélioration de sa qualité, chaque État doit veiller à la bonne marche de son appareil scientifique national et coordonner les différentes activités autant que faire se peut. La conclusion des experts en science de l'Arctique ayant participé en 1994 à la conférence «Une politique du Nord pour le Canada», était la suivante :

Le consensus de l'atelier était que le manque de leadership et d'orientation précise au niveau international reflète la situation qui prévaut dans notre pays. L'engagement du Canada envers la science manque, à tout le moins, de clarté. Le Canada doit préciser son engagement en faveur du Nord et promouvoir son intérêt pour les affaires arctiques au niveau international. C'est seulement quand il aura déterminé spécifiquement ses propres priorités que le Canada pourra apporter une contribution effective à la communauté internationale219.
Le Comité ne prétend pas déterminer les priorités scientifiques nationales pour l'Arctique canadien, mais convient que le Canada doit prendre des mesures pour apporter une contribution effective à la coopération circumpolaire, domaine en pleine expansion. Heureusement, les États arctiques se rendent de mieux en mieux compte de l'impossibilité de dissocier la science de la politique, et c'est ce sur quoi le Conseil de l'Arctique peut mettre l'accent. Étant le premier pays à assumer la présidence du conseil, le Canada doit veiller à préconiser un programme de recherche dans l'Arctique privilégiant le développement durable et les besoins des résidents du Nord. Comme Gerald Lock l'expliquait au Comité,

«. . . le Canada devrait insister pour que le savoir traditionnel complète les connaissances scientifiques dans tout ce qui touche les habitants de l'Arctique. Cela semble assez évident dans le contexte canadien, mais ce point de vue n'est pas partagé par tous les pays de l'Arctique, et encore moins par les autres pays non arctiques qui, comme je l'ai dit, peuvent avoir leur mot à dire sur les priorités d'intervention [20:5].» «[. . .] le Canada devrait insister pour que les sciences de l'Arctique soient surtout axées sur les avantages dont les habitants de l'Arctique pourraient bénéficier. Encore une fois, cela semble évident dans le contexte de l'Arctique, mais je répète que c'est un point de vue que ne partagent pas tous les pays de l'Arctique, et certainement pas les pays non arctiques [20:5].»
Par conséquent :

Le Canada, la science de l'Arctique et le rôle de la Commission canadienne des affaires polaires

Ce que le ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources a désigné comme la «nouvelle politique d'exploration scientifique du Canada dans l'Arctique» a pris forme à la fin des années 1950 sous l'impulsion de différents événements d'ordre militaire (le lancement du satellite Spoutnik par l'URSS en 1957), mettant en jeu notre souveraineté (la première traversée de l'Océan arctique sous la banquise par le sous-marin nucléaire américain Nautilus), ou international (la première Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer). Le Canada n'a jamais consacré autant d'argent à la recherche que les autres États arctiques, mais il a obtenu des résultats significatifs. Comme Michel Allard, professeur à l'Université Laval, l'a dit au Comité : «Menée par les ministères et par les universitaires, la recherche scientifique canadienne dans le Nord a produit, surtout de 1950 à 1989, c'est-à-dire durant la guerre froide, des résultats spectaculaires avec des investissements qui étaient vraiment inférieurs à ceux des grandes puissances [47:2].» Les priorités établies dans le Sud canadien allaient dominer la recherche sur le Nord au cours des 20 années suivantes, mais le Programme de formation scientifique du Nord, financé par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour encourager la recherche sur le Nord dans les universités canadiennes, avait commencé, à la fin des années 1970, à axer davantage la politique gouvernementale sur des activités de recherche en sciences sociales, humaines et environnementales réalisées avec la participation des peuples autochtones du Nord.

Le Canada est encore en mesure d'effectuer d'importantes recherches scientifiques dans l'Arctique et, comme nous l'avons vu au chapitre cinq, sa stratégie de protection de l'environnement arctique a fait de lui un chef de file mondial dans des domaines tels que la recherche sur les contaminants. Fred Roots a toutefois déclaré lors d'une conférence en 1994 que, du fait des réductions en matière de financement, «le nombre de recherches scientifiques sur les régions polaires au Canada est cependant indubitablement inférieur à ce qu'il était il y a 10 ans220.» Il est difficile de quantifier ces réductions puisque, pour reprendre les propos de Whit Fraser, «Aujourd'hui, comme au cours des années précédentes, nous ne savons pas quels montants d'argent notre pays consacre à la recherche sur le Nord. C'est pourquoi nous ne pouvons pas encore déterminer la valeur réelle de notre investissement221.» En fait, d'après des sources bien informées, ces réductions ont probablement atteint environ 30 p. 100 au cours des dix dernières années.

Il n'y a pas de chiffre magique quant aux sommes que le Canada doit consacrer au financement de la science de l'Arctique, mais il est évident que de telles réductions diminuent sa capacité de faire de la recherche et de contribuer ainsi à la coopération scientifique internationale dans la région. À part fournir un financement de base pour la science de l'Arctique, la chose la plus importante que le Canada puisse faire au plan national est de renouveler son personnel scientifique oeuvrant dans le Nord et d'encourager l'apparition d'une nouvelle génération de chercheurs. Comme cela devient de plus en plus difficile, les recherches en cours sont de plus en plus souvent confiées aux mêmes personnes. C'est ce que Nigel Bankes, professeur à l'Université de Calgary, a expliqué dans un mémoire au Comité :

Il est effrayant de constater que la position et la réputation internationale du Canada en ce qui concerne la politique et la science de l'Arctique, tout comme les questions touchant l'Antarctique, reposent dans une large mesure sur les épaules d'un seul individu : Fred Roots, conseiller émérite auprès du ministre de l'Environnement. Cela reflète-t-il vraiment l'engagement du Canada vis-à-vis de ces questions? Si ce n'est pas le cas, nous devons élaborer une stratégie pour prêter assistance à M. Roots et pour assurer des transitions harmonieuses à l'avenir222.
La coordination des activités scientifiques polaires au Canada continue d'être un problème, mais cela ne veut pas dire qu'on gaspille les deniers publics. Comme Fred Roots l'a dit au Comité :

. . . Je ne pense pas qu'on puisse parler d'incohérence grossière tant sur le plan scientifique que sur celui de la collecte de renseignements dans le Nord. Il est vrai qu'il y a peu de coordination, mais il y a très peu d'argent gaspillé. On ne pourrait pas faire ce travail d'une manière beaucoup plus efficace qu'il n'est fait actuellement. Mais ce qui se fait ne procède pas d'un plan ou d'un projet global. C'est comme si des artisans, au lieu de construire une maison, installaient les portes, les fenêtres, les planchers et l'électricité sans avoir de plan de la maison [10:23].
Le symbole de la recherche scientifique canadienne dans l'Arctique est l'Étude du plateau continental polaire (EPCP), mise en oeuvre en 1958 pour soutenir (mais pas financer) les activités de recherche effectuées dans le Nord et pour aider le Canada à exercer sa souveraineté sur le plateau continental, les îles de l'Arctique et le nord du continent. D'après Michel Allard :

L'Étude du plateau continental polaire, projet en cours depuis les années 1950, demeure à l'origine même de la haute réputation scientifique du Canada en études nordiques et arctiques. Le modèle qu'elle constitue fait vraiment l'envie d'organismes de recherche de tous les pays circumpolaires. On peut se rendre en ex-Union soviétique, aux États-Unis, en Alaska, en Chine ou dans les pays scandinaves : nulle part on ne trouvera un programme qui fonctionne aussi bien, qui fournisse une logistique aussi intégrée à sa recherche nationale que l'Étude du plateau continental polaire [47:4].
George Newton, de l'U.S. Arctic Research Commission, était du même avis quand il disait aux membres du Comité que :

L'Étude du plateau continental polaire est énormément appréciée du fait que l'argent consacré à la recherche au Canada va directement à la recherche, et non à l'attelage de chiens, à la motoneige ou à l'aéronef qui amène le chercheur sur la glace. Cela rend les fonds de recherche beaucoup plus efficaces. [. . .] Je tiens à ce que vous sachiez que nous admirons cet aspect de la recherche canadienne dans l'Arctique [62:11-12].
Les membres du Comité ont eu la chance de pouvoir visiter le camp de base de l'Étude à Resolute. On nous a expliqué que cette étude avait une structure tout à fait horizontale avec très peu de bureaucratie et qu'elle se penchait de plus en plus sur des domaines de recherche importants comme les contaminants et le changement du climat mondial. Les crédits fédéraux ont été fortement réduits, de quelque 48 p. 100 en trois ans (passant de 7,5 millions de dollars à 3,5 millions de dollars), et le Comité a également appris près de là, à Baie Resolute, que le manque de fonds limitait l'embauche de chasseurs inuit pour accompagner les équipes de recherche scientifique, ce qui réduisait la coopération entre les chercheurs du Sud et les résidents du Nord. Néanmoins, quelque 600 scientifiques et chercheurs utilisent encore ces installations chaque année. Les membres du Comité ont également pu se rendre compte que les activités de recherche fondamentale et de recherche appliquée qu'on y réalise sont axées sur le long terme;Olga Kukal a expliqué qu'au bout de 15 ans, ses recherches avaient finalement porté fruit et qu'elles avaient trouvé une application commerciale en biotechnologie en Nouvelle-Écosse.

Une entreprise comme l'Étude du plateau continental polaire a besoin d'un financement gouvernemental de base, mais, vu les changements que connaît la science de l'Arctique, il lui faut chercher à recouvrer ses frais et à trouver, si possible, d'autres sources de revenus. Elle le fait déjà dans une certaine mesure puisqu'elle a recouvré plus de 30 p. 100 de ses dépenses de soutien logistique en 1995. Les Japonais, qui se rendent compte de l'intérêt que présente la recherche fondamentale effectuée dans le cadre de l'Étude, y ont investi un million de dollars. Il est aussi possible que le Stanford Research Institute y investisse une somme importante. Un autre exemple des façons de se procurer un revenu par d'autres moyens est fourni par l'Institut de l'Arctique de l'Amérique du Nord de l'Université de Calgary dont le directeur général, Michael Robinson, a dit au Comité que, comme son financement de base avait diminué de 20 p. 100 depuis cinq ans, l'Institut mettait l'accent beaucoup plus qu'auparavant sur la commercialisation de ses services professionnels. Lors des discussions qui ont eu lieu dans les installations de l'Étude du plateau continental polaire, les membres du Comité ont également proposé d'envisager la possibilité d'investir à l'avenir une partie des fonds provenant du règlement des revendications territoriales du Nunavut dans les travaux de cette Étude. Cela constituerait une sorte de participation au capital par les Inuit du Nunavut et, avec le temps, pourrait compenser partiellement la diminution du financement fédéral. Une autre suggestion concernait la mise au point d'un mécanisme grâce auquel ceux dont les recherches permettaient des applications commerciales intéressantes contribueraient à la poursuite de cette étude.

Michel Allard, en insistant sur la nécessité des partenariats pour toutes les activités scientifiques dans l'Arctique, a présenté deux recommandations au Comité. La première concernait un nouveau programme dont le budget modeste pourrait être administré par les ministères fédéraux et les organismes accordant des subventions, et qui encouragerait les partenariats entre les universitaires canadiens et étrangers, les entreprises privées et la population locale. La deuxième portait sur le renforcement et l'expansion de deux programmes existants qui appuient la logistique et la formation dans le Nord canadien - l'Étude du plateau continental polaire et le Programme de formation scientifique dans le Nord. D'après Michel Allard, ce dernier fournit environ 2 500 $ par an à des étudiants canadiens qui vont faire des recherches dans le Nord, principalement dans le cadre d'une maîtrise ou d'un doctorat. Il disait qu'à son avis, il faudrait rétablir le budget de cette Étude, mais aussi que celle-ci devrait élargir son mandat et coopérer davantage avec des partenaires au Québec et ailleurs au lieu de se concentrer sur les îles de l'Arctique et la région située autour de la mer de Beaufort.

Lors de sa déposition devant le Comité, Branko Ladanyi, de l'Université de Montréal, a opposé au manque de coordination du Canada, en matière de science de l'Arctique, la situation bien meilleure qui existe aux États-Unis. Comme George Newton, de l'U.S. Arctic Research Commission, l'a expliqué au Comité, on observait autrefois dans ce pays «le manque de coordination, la fragmentation et les chevauchements qui caractérisaient généralement les travaux de recherche relatifs à l'Arctique [62:2]», mais l'adoption de l'Arctic Research and Policy Act, en 1984, avait permis de redresser la barre. Cette loi est principalement axée sur les communications, les échanges et la coopération; outre la coordination des activités gouvernementales, elle prévoit une étroite collaboration entre les divers organismes gouvernementaux concernés et l'Académie nationale des sciences des États-Unis. D'après George Newton, même si le système américain n'est pas parfait, c'est un modèle : «Il donne de bons résultats, j'en suis certain [62:23]». Son collègue, Garrett Brass, était du même avis, mais il ajoutait que le Canada ne pourrait probablement pas se contenter de copier ce modèle sans le modifier, puisqu'il avait été conçu pour le gouvernement américain.

La coordination des activités canadiennes en matière de science arctique est enfin en train de s'améliorer, et un comité interministériel fédéral, créé en mai 1996, s'occupe maintenant de cette question. La Commission canadienne des affaires polaires participe à ce travail qui, à son avis, «est un bon début, mais cela doit faire l'objet d'une importante initiative politique dirigée et soutenue par l'ensemble du gouvernement et placée sous sa responsabilité223.» Le Comité convient que, pour contribuer à la coopération internationale dans l'Arctique, le Canada doit améliorer sa politique nationale en matière de science polaire, notamment en ce qui concerne les activités de la Commission canadienne des affaires polaires.

La Commission canadienne des affaires polaires (CCAP) a été créée par une loi adoptée par le Parlement en 1991 (voir l'encadré 12 sur la Commission canadienne des affaires polaires) pour «contrôler et évaluer l'état des connaissances en matière de science polaire au Canada et dans les régions circumpolaires, et pour promouvoir le développement des connaissances au sujet des régions polaires au Canada». Durant les réunions qu'il a tenues dans l'Arctique canadien et ailleurs, le Comité a entendu diverses critiques au sujet de cette commission, notamment à propos du fait que, son siège étant à Ottawa, elle consacre une très grande partie de son budget aux déplacements et au logement alors que, dans le Nord, les organisations locales manquent d'argent. David Malcolm, de l'Institut de recherche Aurora, a affirmé :

Nous constatons que le bureau de Yellowknife de la CCAP fait de sérieux efforts pour améliorer les relations entre les intervenants et la Commission dans l'ouest de l'Arctique, mais ses initiatives sont parfois contrariées quand les activités clés de la CCAP sont coordonnées depuis son siège à Ottawa. Il nous paraît nécessaire d'améliorer l'efficacité des partenariats de la CCAP avec les entreprises de l'Arctique, avec les établissements de recherche et avec les secrétariats mixtes autochtones responsables de l'exploitation durable des ressources renouvelables. Notre institut espère tirer profit d'une relation plus étroite avec la CCAP pour entreprendre des activités conjointes permettant de promouvoir au mieux la science de l'Arctique et le savoir traditionnel224.
Nellie Cournoyea, présidente de l'Inuvialuit Regional Corporation, a été plus directe en disant que «les organisations existantes du Nord auraient pu utiliser cet argent de façon beaucoup plus efficace» et en recommandant «que le Conseil de l'Arctique, au lieu de verser des fonds à la Commission canadienne des affaires polaires, les consacre à la recherche dans le Nord225». Lors de son intervention devant le Comité en octobre 1996, le Dr Jacques Grondin, du Centre de santé publique du Québec, a ajouté :

. . . jusqu'à maintenant, la Commission canadienne des affaires polaires semble avoir des difficultés à définir son mandat. [. . .] Il y a là un manque apparent de coordination, et on observe des dédoublements malheureux dans les activités qui sont entreprises en toute bonne foi par la Commission des affaires polaires. Des entreprises analogues sont déjà mises en oeuvre par d'autres organismes. L'éthique en est un exemple. [. . .]
Les bilans de santé sur les contaminants en sont un autre. Des gens qui n'ont pas reçu une formation adéquate perdent leur temps à faire des bilans de santé, alors que ces bilans sont déjà disponibles. Ce ne sont là que deux exemples.
Sa dernière conférence sur la contamination de l'environnement, tenue à Iqaluit au début du mois, est un cas patent. Les gens des différentes régions ont été avertis au moment où on mettait la dernière touche aux préparatifs de la conférence, et ils n'ont donc pas pu participer à l'élaboration du contenu de la conférence ni donner leur opinion sur son utilité. Qui plus est, cette réunion éminemment politique a causé du tort aux efforts entrepris dans les régions pour gérer les risques environnementaux. [. . .] On a donc décidé d'organiser une conférence, soi-disant à l'intention des régions, en ne tenant pratiquement pas compte de ce qui s'y fait actuellement [47:17-18].
La Commission semble avoir également perdu une bonne part de sa crédibilité auprès des milieux scientifiques canadiens à la suite de l'annulation, en 1995, du Répertoire canadien d'information sur les régions polaires (RCIRP) dont il était question depuis longtemps et dont elle recommandait la création depuis 1991. La Commission a reproché au gouvernement fédéral de n'avoir pas soutenu ni financé ce projet qu'elle avait alors dû abandonner, et remplacer en mettant au point ses pages Web et ses ressources de communication en direct. Selon elle, «l'absence d'un répertoire central d'information polaire au Canada est gênante. Le Conseil de la Commission estime que les objectifs établis au départ demeurent importants. À un moment donné, il deviendra évident que la valeur à long terme d'un tel répertoire, pour les chercheurs du Canada, l'emporte largement sur les économies à court terme226.» En fait, de nombreux chercheurs semblent penser que la Commission elle-même n'a pas coordonné correctement l'élaboration du RCIRP, alors qu'un tel système reste nécessaire. À Calgary, l'Institut de l'Arctique de l'Amérique du Nord a parlé au Comité d'une solution de rechange peu coûteuse basée sur un système que possède déjà cet institut, et qui est l'Arctic Science and Technology Information System (ASTIS); son coût se monterait peut-être à 100 000 $ par an, somme qui pourrait être fournie par le Canada en guise de contribution aux activités de recherche circumpolaires.

Lors de ses déplacements à l'étranger, le Comité a également constaté que la Commission des affaires polaires n'a guère encore réussi à se faire une réputation dans les milieux internationaux de la science de l'Arctique. Son président, Whit Fraser, s'est présenté à deux reprises devant le Comité. La deuxième fois, il a énergiquement défendu le travail de la Commission et a signalé qu'il était inévitable que les frais de voyage soient élevés puisque, en vertu de son mandat, son siège est à Ottawa alors qu'une grande partie de ses activités doivent être réalisées dans le Nord; et même si elle était installée dans le Nord canadien, de nombreux déplacements à Ottawa resteraient nécessaires, si bien que les coûts ne diminueraient pas.


Encadré 12 - «La Commission canadienne des affaires polaires»

En 1985, un groupe d'étude a été nommé par le ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord afin d'étudier l'état de la science polaire au Canada. Deux années plus tard, soit en 1987, dans un rapport intitulé Le Canada et la science polaire, ce groupe d'étude recommandait la création d'un organisme national qui serait chargé de maintenir des rapports permanents, à un niveau élevé, entre le gouvernement fédéral et les organisations s'occupant des sciences et de la recherche sur les affaires polaires canadiennes. Une étude de faisabilité commandée en 1988 a permis d'énoncer une ébauche de programme de travail et de mandat pour une commission nationale des affaires polaires dont la création a été annoncée par le premier ministre Mulroney à Leningrad en novembre 1989, durant la visite où il avait également proposé officiellement la création du Conseil de l'Arctique. La Commission canadienne des affaires polaires a été officiellement établie par une loi du Parlement en 1991. Selon la Loi sur la Commission canadienne des affaires polaires, la Commission a pour mission de favoriser le développement et la connaissance relative aux régions polaires grâce aux actions suivantes :

Le président Whit Fraser a d'ailleurs résumé le mandat de la Commission lorsqu'il a comparu devant le Comité en février 1997 : «Vous savez certainement que la Commission est l'organisme consultatif canadien sur les questions relatives aux régions polaires. La Commission n'a pas été créée pour jouer le rôle d'institution de recherche ou d'organisme de financement. Elle a pour rôle de surveiller l'état de la recherche et des connaissances dans notre pays, de favoriser le développement de la recherche relative aux régions polaires et de contribuer à établir nos priorités scientifiques et autres [66:1]».

Dans les années qui ont suivi sa création, la Commission canadienne des affaires polaires s'est efforcée de remplir son mandat de diverses façons, que ce soit par des rencontres personnelles régulières avec des habitants du Nord et par l'établissement d'un dialogue avec les collectivités nordiques afin de discuter de la science polaire et des questions connexes, par des ateliers et des conférences (et la publication d'actes) ou par la représentation du Canada au sein d'organismes internationaux comme le Comité international pour les sciences arctiques. La Commission a organisé ou coparrainé des conférences importantes sur un certain nombre de questions, notamment sur les sciences («Le Canada et la science polaire» en mai 1994), sur la politique étrangère («Une politique extérieure nordique pour le Canada» en avril 1994), sur l'environnement et la santé («Pour les générations à venir» en octobre 1996) et sur le commerce circumpolaire («Le commerce circumpolaire : le programme du Canada» en mars 1993). Comme on l'a déjà signalé, l'élaboration d'un Système canadien d'information sur les régions polaires a constitué une des «premières priorités» de la Commission, mais une fois qu'on eût établi que cela ne pourrait être fait sans des fonds fédéraux, la Commission s'est concentrée sur l'élaboration de son site Web (http://www.polarcom.gc.ca) et de ses ressources en ligne.

La Commission compte actuellement des employés à Ottawa et à Yellowknife puisqu'elle a décidé de fermer son bureau de Kuujjuaq, au Québec, à l'automne de 1996 à la suite de la hausse des coûts de l'espace à bureau et du logement; idéalement, la Commission aimerait ouvrir des bureaux dans le Nunavut et au Yukon. Le budget de la Commission est demeuré à peu près le même depuis sa création (de 1 à 1,1 million de dollars par année), mais il a été réduit à 900 000 $ par année à compter de l'exercice 1997-1998. En 1996, la Commission a consacré quelques 202 381 $ aux «déplacements et réinstallations», soit environ 19 p. 100 de son budget total de 1,053 million.


La création du Conseil de l'Arctique devrait contribuer à inciter le Canada à établir ses bases de recherche dans le Nord, ce qui permettrait de faciliter les travaux de la CCAP. Mais puisqu'on ne peut guère s'attendre à des changements en ce qui concerne notamment son siège ou le volume de ses frais, elle doit en priorité établir de bonnes relations avec les groupes qu'elle représente et les convaincre qu'elle fournit un service utile et nécessaire sans pour autant gaspiller d'argent.

En fin de compte, l'intérêt que peuvent présenter les travaux de la CCAP dépend de la façon dont le gouvernement du Canada les juge utiles et les accepte. Comme Whit Fraser l'a déclaré au Comité en février 1997 :

Vous avez parlé à des représentants de l'Institut des affaires polaires de Norvège et d'autres organismes. Ces gens-là disent à leur pays que leur avenir réside dans les ressources et les possibilités de l'Arctique, et leur pays les écoute. Ils reconnaissent également que cet avenir doit être protégé au moyen de programmes scientifiques à long terme clairement définis et visant à protéger l'environnement et la population ainsi qu'à mettre en valeur les ressources. Ce sont les mêmes arguments que la Commission des affaires polaires a essayé de défendre auprès du gouvernement fédéral. Soyons francs : si le gouvernement et les ministères canadiens ne sont pas prêts à écouter les propositions et recommandations d'organismes de ce genre, eh bien, abolissons la Commission. C'est toute la question [66:11].
Le Comité convient que si le gouvernement juge que la Commission canadienne des affaires polaires a encore un rôle à jouer, il doit mettre ses travaux à profit. Il faudrait d'abord pour cela que la Commission soit considérée comme le porte-parole légitime de ceux qui s'intéressent à la recherche nordique.

Par conséquent :

La coopération internationale dans la recherche sur l'Arctique

Il serait difficile de surestimer l'importance de la coopération et de la coordination internationales de la recherche scientifique dans l'Arctique.
Sanjay Chaturvedi227

La coopération internationale en matière de recherche scientifique dans l'Arctique a commencé il y a plus d'un siècle lors de l'Année polaire internationale de 1882-1883. Celle-ci a été suivie 50 ans plus tard par la deuxième Année polaire internationale (1932-1933) et, 25 ans après, par l'Année géophysique internationale (1957-1958), qui a mis spécialement l'accent sur les régions polaires. La coopération scientifique internationale dans l'Arctique a stagné pendant toute la guerre froide, et les États ont alors conclu des accords bilatéraux lorsque cela était possible. Suite à la Conférence de la biosphère de 1968, l'ONU a lancé un Programme sur l'homme et la biosphère sous l'égide de l'UNESCO, mais il a fallu attendre les années 1980 pour la création officielle du Réseau des sciences du Nord, initiative apparentée aux précédentes. Quand la guerre froide a pris fin, la coopération scientifique internationale dans l'Arctique a connu un nouveau départ sous la forme, cette fois-ci, du Comité international pour les sciences de l'Arctique (CISA), composé des organisations scientifiques nationales des huit États arctiques et d'autres pays qui s'intéressent à la recherche dans l'Arctique. (voir l'encadré 13 sur le Comité international pour les sciences arctiques). Vu que l'on comprend de mieux en mieux l'importance globale des questions touchant l'Arctique et que l'on souhaite réduire les coûts, il faudra, à l'avenir, que la recherche sur l'Arctique soit de plus en plus internationale pour pouvoir être pertinente et efficace.


Encadré 13 - «Le Comité international pour les sciences arctiques (CISA)»

Dans la première moitié des années 1980, des discussions non officielles ont été entreprises afin de raviver la coopération scientifique internationale dans l'Arctique. Dans un discours prononcé en 1987 à Mourmansk, M. Gorbatchev a signalé que l'Union soviétique était désireuse de participer à ce type de coopération; pourtant, les négociations qui ont suivi ont été difficiles parce que les États-Unis hésitaient à répondre favorablement à une initiative soviétique et que l'URSS hésitait à ouvrir cette coopération à d'autres États que les États arctiques. On est par la suite parvenu à trouver un compromis, et le Comité international pour les sciences arctiques (CISA) était fondé en août 1990 par les organisations scientifiques nationales des huit États de l'Arctique. D'autres États menant d'importants travaux de recherche sur l'Arctique s'y sont joints peu de temps après. En 1996, le CISA comptait 16 membres : les huit États de l'Arctique et la Chine, la France, l'Allemagne, le Japon, les Pays-Bas, la Pologne, la Suisse et le Royaume-Uni.

Selon le CISA, sa mission est d'encourager, de faciliter et de promouvoir la recherche fondamentale et appliquée sur l'Arctique à l'échelle circumarctique ou internationale, de même que de fournir des conseils scientifiques sur les questions liées à l'Arctique1. Le CISA travaille surtout au développement de projets de recherche - en particulier de projets interdisciplinaires - pour lesquels une coopération circumarctique ou internationale est requise. Une fois qu'une majorité des membres du CISA ont convenu de retenir un projet ou une proposition, le processus de planification se poursuit par la préparation d'un plan de travail, d'un plan scientifique et d'un plan de réalisation. Les projets prioritaires que le CISA s'attend de réaliser au cours d'une période donnée forment le programme scientifique du CISA. En 1996, ce programme comprenait quatre projets : les répercussions des changements mondiaux dans l'Arctique, les processus arctiques importants pour les systèmes mondiaux, les processus au sein de l'Arctique, et le développement durable dans l'Arctique.

Mis à part ces projets prioritaires, le CISA s'occupe d'autres activités dont les suivantes : l'initiative scientifique internationale dans l'Arctique russe (ISIAR), l'établissement d'un répertoire international de données environnementales sur l'Arctique facile à utiliser, le projet de coopération sismologique dans l'Arctique, le groupe de travail sur la compilation et la cartographie géophysiques, de même que des conférences comme la conférence internationale sur la planification de la recherche arctique, qui a permis à environ 300 chercheurs et autres intervenants de développer des projets pouvant être inclus dans le programme scientifique du CISA.

Le CISA se compose d'un conseil, qui compte un représentant de chaque pays membre et est l'organisme décisionnel pour toutes les activités du CISA (un comité exécutif du conseil est chargé de s'occuper des divers dossiers de l'organisation entre les réunions), d'un conseil régional, qui compte un représentant de chacun des pays arctiques et qui étudie les problèmes régionaux généraux et d'autres questions qui pourraient avoir une incidence sur les pays arctiques, de groupes de travail qui sont établis par le conseil et qui sont les principaux responsables de l'élaboration des projets et programmes scientifiques du CISA, et d'un secrétariat qui est situé à Oslo et qui est financé par la Norvège. (Le CISA organise aussi périodiquement une conférence scientifique interdisciplinaire sur l'Arctique afin d'examiner d'importantes questions et dossiers scientifiques). D'autres secrétariats peuvent être établis afin de combler des besoins spéciaux, et un bureau financé par la Finlande a d'ailleurs été mis sur pied à Rovaniemi en 1994 pour s'occuper du programme sur les changements mondiaux du CISA. Les activités de l'organisation sont habituellement financées par les divers pays membres même si un fonds général a été créé grâce aux contributions annuelles afin d'assumer les dépenses courantes.

Comme le CISA met l'accent sur la recherche interdisciplinaire, il favorise la coopération avec des organisations s'occupant principalement d'une discipline scientifique. Ainsi, l'Association internationale pour les sciences sociales arctiques (AISSA) et l'Union pour la santé des populations circumpolaires (USPC) sont des organismes consultatifs permanents du CISA. D'autres organisations maintiennent des rapports avec le CISA : le Comité scientifique pour les recherches antarctiques (CSRA), le Système d'analyse, de recherche et de formation concernant le changement au niveau mondial (START), l'Association internationale permafrost (AIP), ainsi que le Programme sur l'homme et la biosphère des Nations Unies et le réseau des sciences nordiques (PHB/NSN).


La guerre froide touchait à son terme quand trois éminents spécialistes de l'Arctique ont préparé un document sur la coopération arctique qui, à bien des égards selon David Scrivener, «a donné le coup d'envoi à la coopération arctique» non seulement du point de vue de la science, mais également de l'environnement (SPEA) et de la politique (Conseil de l'Arctique)228. En fait, il y a de bonnes raisons de penser que cette initiative a influencé M. Gorbatchev qui, dans son discours de Mourmansk, a proposé d'inviter les pays arctiques à une conférence sur la coordination de la recherche scientifique dans l'Arctique. Des négociations difficiles s'ensuivirent au cours desquelles les États-Unis soulevèrentde nombreuses objections, les mêmes que celles soulevées plus tard au sujet duConseil de l'Arctique. Comme Fred Roots l'a déclaré ultérieurement, il s'agissait avant tout de mettre au point un mécanisme international qui ne devrait ni supplanter ni discréditer les différents arrangements bilatéraux spécialisés existants en matière de coopération dans l'Arctique, mais qui devrait représenter véritablement la diversité des intérêts nationaux et internationaux tout en soutenant les politiques nationales, et qui devrait assurer efficacement la nécessaire coordination des activités scientifiques importantes en évitant toute ingérence politique229.

Il fallait surtout savoir si le CISA devait être un forum non gouvernemental ouvert àtous les États s'intéressant à la recherche dans l'Arctique ou un organisme intergouvernemental ne regroupant que les huit États arctiques. On a finalement décidé de créer une organisation hybride en permettant à des États non arctiques d'adhérer au CISA tout en créant, pour compenser cela, un conseil d'administration régional composé des huit États arctiques. Les États-Unis et l'URSS ne pouvaient même pas s'entendre sur le choix du lieu de la conférence sur la création du CISA, mais ils sont arrivés à un compromis pour établir officiellement, le 28 août 1990, le CISA à Resolute, dans les Territoires du Nord-Ouest. Le CISA a pour mandat d'«encourager, faciliter et promouvoir» la planification et l'évaluation ultérieure des activités scientifiques dans l'Arctique, mais il n'effectue aucune recherche scientifique lui-même et ses ressources sont limitées aux contributions de ses États membres.

Depuis sa fondation, le CISA a largement contribué à promouvoir une compréhension homogène des questions scientifiques circumpolaires. Il a également, comme Oran Young l'a signalé, «considéré le développement durable de l'Arctique comme une priorité et a entrepris d'avoir des contacts réguliers avec des organismes comme la Stratégie de protection de l'environnement arctique afin de s'assurer que la recherche scientifique dans ce domaine produise des résultats utiles aux responsables de l'administration d'un régime pour l'Arctique230.» Voici ce que dit à cet égard, Garrett Brass, de l'U.S. Arctic Research Commission : «J'estime - et je crois, que dans l'ensemble, la Commission est du même avis - que le grand avantage du CISA est qu'il offre un forum pour débattre de nos projets communs et pour tenter d'accomplir le plus de choses possible avec les sommes dont nous disposons [62:9]».

Toutefois, si le travail du CISA s'avère précieux, son fonctionnement ne va pas sans quelques heurts. Une évaluation qui donne à réfléchir en a été faite devant le Comité par Gerald Lock, qui a présidé le conseil régional du CISA avant de démissionner fin 1996, pour mettre en évidence les problèmes qui s'y posent : «Tout d'abord, à mon avis, la coopération circum-Arctique est fondamentalement compromise par l'eurocentrisme; c'est la conclusion à laquelle je suis arrivé après avoir travaillé avec le CISA» [20:4]. Il ajoutait :

Vous direz peut-être : «Eh bien, c'est la science. Qu'est-ce que cela a à voir avec nous?» En fait, la science ne peut se faire dans le vide. Les applications des recherches scientifiques doivent, je suppose, profiter à ceux qui les parrainent, et, par conséquent, elles devraient tenir compte des objectifs socioéconomiques de cette société. Il est clair que les objectifs socioéconomiques de l'Europe ne correspondent pas toujours aux nôtres, mais s'ils dominent le programme, nous avons, de toute évidence, un problème [20:4].
D'après lui, la difficulté fondamentale concernant le CISA tient à la présence au sein de son conseil d'un grand nombre d'États européens et autres qui ne sont pas toujours d'accord avec le Canada pour incorporer le savoir traditionnel et concevoir les projets de recherche pour l'Arctique au profit des habitants du Nord. Les cinq pays scandinaves ont également des liens étroits avec l'Europe et ils ont tendance à voter en bloc, si bien que le conseil régional lui-même passe souvent outre aux préoccupations du Canada. Comme Gerald Lock l'a expliqué aux membres du Comité :

[. . .] il y a un conseil d'administration régional auquel siègent uniquement les représentants des huit pays de l'Arctique. Je représente le Canada, et il se trouve que je préside ce conseil d'administration, dont la fonction est très différente de celle du Conseil. C'est un point important. Sa fonction consiste à s'assurer que les activités du CISA sont conformes aux intérêts des huits pays de l'Arctique. Pour moi, c'est une fonction très importante. J'aimerais pouvoir dire qu'il s'en acquitte très bien, mais je ne peux pas le faire, et je ne pense pas que cela soit particulièrement de bon augure pour le Canada [20:4].
Selon Gerald Lock, le Canada doit insister sur les priorités mentionnées ci-dessus et, comme nous l'avons indiqué précédemment, le Conseil de l'Arctique doit traiter les trois secteurs de l'Arctique sur un pied d'égalité. La situation s'est quelque peu améliorée récemment à cet égard. Le CISA a créé en décembre 1995 un groupe chargé d'examiner ses activités et, suite aux critiques persistantes émises notamment par le Canada, il a décidé de changer la composition du conseil d'administration régional pour qu'il représente mieux les populations nordiques des huit États arctiques.

Une question plus générale se pose en ce qui concerne les répercussions éventuelles de la création du Conseil de l'Arctique sur le CISA, étant donné que, comme Olav Orheim, de l'Institut polaire norvégien, l'a dit aux membres du Comité à Oslo en novembre 1996, celles-ci ne sont pas encore très claires. Aux dires de certains, grâce à l'amélioration des relations entre les États arctiques, qui a permis la création du Conseil de l'Arctique, «l'échange des connaissances et la détermination des possibilités de coopération dont il est question dans les articles de la déclaration sur la création de cette organisation peuvent souvent être réalisés par d'autres moyens231.» Le ministre des Affaires étrangères de l'Islande a néanmoins défendu un point de vue contraire lors de la séance inaugurale du Conseil de l'Arctique, en insistant sur l'importance de la science pour l'avenir de cette région et en recommandant l'établissement d'un lien officiel entre le Conseil de l'Arctique et le CISA. Il a déclaré :

Pour assurer un développement favorable des régions arctiques, nous devons promouvoir la recherche scientifique effectuée non seulement par les spécialistes de nos propres pays, mais également dans un cadre international plus vaste. La science à elle seule ne résoudra toutefois pas les problèmes auxquels nous faisons face dans l'Arctique. Une solide coopération politique est absolument nécessaire pour qu'on utilise au mieux les connaissances scientifiques. À cette fin, l'Islande aurait souhaité qu'il soit fait mention du Comité international pour les sciences arctiques dans la Déclaration232.
Étant donné l'important travail effectué par le CISA, le maintien de son existence, éventuellement sous une forme différente, est dans l'intérêt de tous. Selon certains, la création du Conseil de l'Arctique comme forum politique de haut niveau pour les États arctiques a rendu le conseil d'administration régional du CISA inutile, de sorte qu'on pourrait le supprimer pour en faire un organisme purement scientifique. Certains ne sont pas de cet avis, comme Olav Orheim qui disait à Oslo que le CISA pourrait, en fait, constituer la branche scientifique du Conseil de l'Arctique. Cette idée présente un intérêt certain puisqu'un élément clé des activités du Conseil de l'Arctique consiste à voir ce que peuvent apporter les structures actuelles et à s'appuyer sur elles dans la mesure du possible pour réduire les coûts et les chevauchements. Puisque le rôle du CISA est actuellement de renforcer la coopération scientifique dans l'Arctique, il est dans l'intérêt du Canada et de tous les autres États d'essayer d'améliorer son fonctionnement et d'assurer sa compatibilité avec les objectifs politiques du Conseil de l'Arctique. Certains experts canadiens, lors de la conférence de 1994 mentionnée plus haut, ont conclu que :

La communauté internationale souffre essentiellement de l'absence d'orientation et de leadership dans le domaine de la science et de la recherche arctiques. On a comparé le CISA à un orphelin. C'est une organisation qui n'a de liens avec aucun gouvernement ni aucun organisme international. Le CISA n'est responsable devant aucun organe politique extérieur à lui-même et il fait l'objet de peu d'engagements internationaux. Il faudrait pouvoir disposer d'une conscience internationale sensible aux questions touchant le Nord et à leur importance. Le Canada devrait se poser comme chef de file et promouvoir le CISA afin d'essayer de créer cette conscience internationale233.
Indépendamment de ses activités générales, un programme clé du CISA est l'Initiative scientifique internationale dans l'Arctique russe (ISIAR). Comme on peut le lire dans un document publié par le CISA :

La réorganisation politique de l'ex-Union soviétique et les problèmes politiques qui en ont découlé ont créé de sérieux handicaps pour les chercheurs et les institutions scientifiques russes de l'Arctique qui pourraient contribuer dans une large mesure à résoudre certains des vastes problèmes environnementaux et autres qui se posent dans l'Arctique russe. La communauté scientifique qui s'intéresse à l'Arctique en Russie est importante (chercheurs, institutions), et il y a eu, au fil des ans, une accumulation impressionnante de connaissances et de publications scientifiques. Les scientifiques étrangers pourraient y trouver de nombreux partenaires fiables en vue d'une éventuelle coopération234.
Après sa création en 1993, l'ISIAR a connu des débuts prometteurs en organisant des conférences et en permettant aux scientifiques occidentaux d'utiliser des recherches russes existantes et disponibles. Les choses marchent toutefois moins bien depuis deux ans, les scientifiques russes cherchant plus à assurer le financement de leurs propres projets que celui des projets conjoints, et les États membres du CISA hésitant à continuer de subventionner ce programme. À l'automne 1996, le CISA a décidé de le mettre tout simplement en attente. Comme nous l'avons vu dans les chapitres précédents, un grand nombre des plus graves problèmes environnementaux et autres de l'Arctique se posent dans le nord de la Russie, et la mobilisation des compétences russes pour les régler doit être l'un des plus importants objectifs de la coopération scientifique dans cette région. Puisque le programme ISIAR possède déjà la structure nécessaire pour le faire, le Comité est d'avis que la relance de ce programme doit être une priorité du CISA et de la communauté internationale.

Par conséquent :

Le CISA ne représente pas la seule possibilité de promouvoir la coopération scientifique dans l'Arctique au niveau bilatéral et multilatéral. Lars Walloe, président du Conseil de recherches norvégien a annoncé aux membres du Comité à Oslo que la coopération scientifique dans l'Arctique était satisfaisante, mais qu'elle pourrait donner des résultats encore meilleurs s'il y avait une collaboration plus poussée entre les scientifiques travaillant sur le terrain plutôt qu'au niveau de la bureaucratie. Comme nous l'avons indiqué au chapitre quatre, George Newton a expliqué que, dans le cadre de son programme quinquennal relatif à la science sous-marine dans l'Arctique, la marine américaine mettait, depuis deux ans, un sous-marin nucléaire à la disposition des scientifiques qui effectuent des recherches civiles dans l'Arctique. Les Canadiens ont été associés à tous les voyages effectués jusqu'à présent, et John Smith, de l'Institut océanographique de Bedford en Nouvelle-Écosse, participe actuellement à la planification du troisième d'une série de cinq voyages qui auront lieu entre août et octobre 1997 et qui utiliseront la technologie canadienne pour repérer les contaminants radioactifs235.

À Stockholm, Anders Karlqvist, professeur à l'Institut suédois de recherche polaire, a expliqué que les récents travaux scientifiques de son pays, dans l'Arctique, ont été menés en utilisant principalement des brise-glaces (en particulier l'Oden) comme plates-formes pour des voyages dans l'Arctique, notamment en 1994 dans l'est de l'Arctique russe. La Suède prépare actuellement une expédition dans l'Arctique nord-américain, en 1999, pour y étudier l'écologie de la toundra, et utilisera l'Oden; le mieux serait que des scientifiques du Canada et d'autres pays y participent et que l'équipe de chercheurs fasse escale à des stations d'importance stratégique au Groenland, au Canada et aux États-Unis. Cette entreprise aura assurément d'importantes répercussions scientifiques et, comme son financement est déjà assuré, elle ne drainera pas abusivement des budgets déjà fortement limités. À Copenhague, des représentants du Centre polaire danois ont dit aux membres du Comité qu'il existait aussi des possibilités très intéressantes d'accroître la coopération scientifique entre le Groenland et le Canada.

Là encore, au lieu de multiplier simplement le nombre d'initiatives, il faut surtout les coordonner au niveau circumpolaire. À l'Institut Scott de recherche polaire, le bibliothécaire William Mills a expliqué qu'il était nécessaire de disposer d'une base de données sur l'Arctique circumpolaire, étant donné que les bases de données sur l'Arctique comme ASTIS à Calgary deviennent de plus en plus spécialisées et ne couvrent pas suffisamment les publications paraissant dans les revues scientifiques. On constate encore que, s'il est nécessaire de répertorier les recherches dans un premier temps, c'est dans une large mesure le manque de coordination qui pose un problème. Lorsque les membres du Comité lui ont demandé s'il n'y avait pas assez de bases de données sur l'Arctique, Garrett Brass, de l'U.S. Arctic Research Commission, a répondu qu'en fait :

Il y a plus de bases de données qu'il n'y avait de «tribbles» sur le vaisseau spatial Enterprise, pour ceux qui se rappellent cet épisode, et il y en a de nouvelles chaque jour. La coordination de ces bases de données est le grand problème qu'il nous faut régler. [. . .] Au fur et à mesure que se développe l'Internet, il est plus facile d'accéder à ces données et de les consulter. [. . .] La question n'est pas de disposer ou non d'une seule et unique base de données internationale sur l'Arctique, mais de pouvoir disposer de toutes les liaisons nécessaires pour avoir accès à toutes les bases de données utiles; et je pense que ce système est, en fait, en train de se développer [62:18-19].

La promotion de l'éducation et des échanges culturels par la communication circumpolaire

Les problèmes se posent avec moins d'acuité dans les petits pays nordiques du fait qu'ils sont relativement inaccessibles et que leurs faibles populations sont dispersées dans des localités isolées, mais tous les États arctiques ont un problème commun qui est celui de fournir à leurs populations du Nord un enseignement de base répondant à leurs besoins et permettant de réduire leur isolement par rapport au reste du pays. Chaque État arctique a mis au point ses propres méthodes, et on assiste maintenant aux premiers pas d'une coopération internationale en matière d'«éducation à distance» ainsi que dans d'autres domaines. Le nord du Canada est une source d'enseignements utiles aussi bien pour l'éducation dans les régions septentrionales de notre pays que pour les initiatives circumpolaires. D'après un spécialiste connaissant le travail d'éducation dans le Nord effectué par l'Université McGill, «l'élément crucial dans l'expérience de McGill est que tout repose sur des partenariats réunissant les universités et les établissements et populations du Nord auxquels on a prêté une grande attention spécialement en ce qui concerne leur composante autochtone236

Le Comité a eu la chance de pouvoir entendre parler de ces problèmes à tous les niveaux : il a pris connaissance des besoins en matière d'éducation de base et a visité des instituts de recherche dans tout l'Arctique canadien; il a été informé des programmes impressionnants réalisés en saami et des autres études en cours à l'Université de Tromsø, l'université la plus septentrionale du monde, créée à la fin des années 1960 pour offrir une éducation de première qualité aux résidents locaux et faire cesser l'exode des cerveaux qui se produisait dans cette région; il a aussi rencontré le directeur intérimaire de l'Académie du Forum nordique à Helsinki. Le message reçu était chaque fois très clair : il existe encore d'importants problèmes, mais, grâce aux effets conjugués des nouvelles technologies et de la coopération circumpolaire, les perspectives en matière d'éducation dans le Nord sont bien meilleures qu'il y a dix ans.

Dans le Nord circumpolaire, l'éducation était traditionnellement assurée par les parents dans un cadre familial. Quand les gouvernements et des groupes extérieurs à la région ont créé des écoles dans le Nord, les parents ont perdu le contrôle de l'éducation de leurs enfants, qui, par le passé, reposait souvent sur des valeurs différentes et était dispensée dans leur propre langue, et cela a créé un fossé entre les générations. Les enseignants stagiaires du Nord ont fait face aux mêmes problèmes puisqu'ils devaient quitter leur région et aller dans le Sud pour y recevoir leur formation. Comme Peter Burpee et Brenda Wilson, professeurs à l'Université McGill, l'ont dit au Comité à Montréal, il est important de se rendre compte que les méthodes d'éducation du Sud ne sont pas souvent adaptées au Nord; il faudrait employer des méthodes d'éducation reflétant les conditions de vie et les besoins des Autochtones de l'Arctique, comme l'apprentissage en commun basé sur les acquis fondés sur l'expérience ou les pratiques traditionnelles fondées sur le consensus. Il faut essentiellement donner aux habitants du Nord les moyens d'assurer eux-mêmes leur éducation et leur formation.

Au cours des années 1970, quelques universités canadiennes ont commencé à élaborer des programmes d'études en collaboration avec des résidents du Nord. Il y a eu ensuite des partenariats entre des établissements du Nord et du Sud, ce qui a permis aux premiers de signaler dans quel domaine ils avaient besoin de conseils spécialisés. Aujourd'hui, beaucoup de gens du Nord jouent un rôle important dans les activités des écoles où on respecte la culture locale et où on utilise souvent aussi bien la langue de la région que celle de l'État. Le manuel The Northern Circumpolar World constitue un exemple de l'excellent matériel pédagogique circumpolaire qui commence à être disponible; des illustrations extraites de cet ouvrage figuraient dans les documents diffusés à l'occasion de la cérémonie marquant la création du Conseil de l'Arctique. Ce manuel a été réalisé en collaboration avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et publié à Edmonton en 1996 par Reidmore Books237. Ce sont là des éléments positifs, mais il reste encore des lacunes à combler en ce qui concerne le financement, l'accès au matériel pédagogique et la pénurie de personnel spécialisé.

Le Canada a également montré la voie pour l'utilisation des technologies de télécommunication comme les satellites, la télévision et, maintenant, Internet. Ces technologies ne constituent cependant pas une solution magique pour régler ces problèmes complexes, mais elles jouent un rôle important dans le nord du Canada, et ce modèle peut être appliqué ailleurs. Comme Oran Young l'a dit au Comité, «J'entrevois beaucoup de possibilités à propos des technologies de pointe qui permettront d'atteindre des objectifs assez simples en matière d'acquisition de capacités [40:17]». Un expert canadien écrivait à ce sujet en 1994 :

Les récentes innovations technologiques ont créé des possibilités nouvelles pour les partenariats entre le Nord et le Sud. En utilisant diverses technologies mieux adaptées à la situation dans le Nord que l'ancien matériel imprimé, l'éducation à distance permet aux élèves du Nord d'avoir accès à l'ensemble des ressources pédagogiques du Sud. Actuellement, il manque toutefois des structures leur permettant de faire cela tout en respectant les modes d'apprentissage propres à leur culture, surtout en matière d'apprentissage coopératif. L'informatique peut fournir cet élément critique en permettant à des élèves du Nord éloignés les uns des autres de communiquer entre eux ou avec un enseignant du Sud, de consulter des bases de données quel que soit l'endroit où elles sont installées et la forme sous laquelle elles sont accessibles, et d'utiliser des modes d'expression plus compatibles avec leur culture que ceux qui sont acceptables dans les programmes en place dans le Sud238.
C'est également l'avis de David Malcolm, de l'Institut de recherche Aurora, qui explique, dans un mémoire au Comité, qu'«il faut mettre davantage l'accent sur l'utilisation des satellites dans l'éducation à distance afin que les élèves puissent utiliser des méthodes d'apprentissage interactives sans partir de chez eux. L'éducation à distance peut paraître coûteuse, mais elle ne l'est guère par rapport au prix que coûtent les longs déplacements nécessaires dans l'Arctique239».

On trouve un exemple de la popularité de ces nouvelles technologies dans l'Arctique canadien à Rankin Inlet, dans les Territoires du Nord-Ouest où un sur cinq de ses 2 000 résidents a maintenant une adresse électronique et où un centre informatique muni de 17 ordinateurs, baptisé Igalaaq («fenêtre»), permet aux élèves et aux autres habitants de naviguer sur Internet. Ces élèves ont récemment pu s'entretenir en direct avec des élèves d'Australie et de Hawaï et ils ont pu ainsi donner, à des jeunes habitants d'autres continents, des explications au sujet de questions présentant un grand intérêt culturel comme l'importance de la chasse à la baleine pour leur subsistance. Ce type d'éducation n'est pas censé remplacer les éléments plus traditionnels, et comme l'a déclaré le directeur de l'école locale : «L'ordinateur ne vous tiendra pas chaud en pleine nature240.» C'est néanmoins une façon prometteuse de compenser l'éloignement de l'Arctique par rapport aux centres d'information du Sud et d'aider les jeunes résidents de l'Arctique à avoir plus confiance en eux. Cette initiative a réussi grâce aux efforts extraordinaires de Bill Belsey, professeur d'informatique, et à la coopération de Sakku Investments, la société s'occupant du développement des activités commerciales pour l'Association régionale inuit, avec le ministère de l'Industrie du gouvernement fédéral. Ce qui se passe à Rankin Inlet est encore peu répandu, mais sera vraisemblablement imité dans d'autres régions.

Le Canada est à l'avant-garde pour ce qui est de l'utilisation des technologies de télécommunication dans le Nord, mais Peter Burpee et Brenda Wilson ont rappelé au Comité, en audience et dans leur mémoire, que plusieurs autres pays arctiques ont également acquis des compétences spécialisées qui peuvent être utilisées ailleurs pour améliorer l'éducation circumpolaire au profit de tous. C'est ainsi que l'Alaska a un système d'éducation librement accessible reposant sur la télévision et d'autres technologies, que le Groenland offre d'excellents matériels pédagogiques et un service éducatif par l'entremise de la radio depuis plusieurs décennies, et que les quatre pays scandinaves, en particulier la Norvège, disposent d'amples programmes d'éducation à distance pour tous les niveaux d'études241. Comme Oran Young l'a déclaré au Comité :

Je ne pense pas qu'il existe de modèles complets qu'il suffirait d'adopter en bloc. Je crois que des expériences ont été réalisées et qu'on pourrait s'en inspirer. [. . .] Je pense qu'il serait très intéressant, dans un sens, de faire l'inventaire, l'examen ou l'évaluation de ce qui se passe dans le domaine de l'éducation dans l'Arctique afin d'identifier les initiatives les plus fructueuses qu'on pourrait ensuite adopter ailleurs [40:16-17].
Il est en outre fortement nécessaire d'appuyer la recherche au niveau universitaire dans le Nord et d'encourager, dans cette région, le développement de compétences en matière de recherche chez les Autochtones. Dans notre pays, comme Michel Allard et d'autres l'ont signalé au Comité, la réduction des crédits consacrés à des programmes importants comme le Programme de formation scientifique dans le Nord (PFSN) fait qu'il est très difficile d'encourager une nouvelle génération de chercheurs à travailler dans le Nord. En fait, d'après lui, le PFSN est aussi important que l'Étude du plateau continental polaire (EPCP) pour favoriser la capacité du Canada d'effectuer des recherches dans le Nord. Comme il l'a expliqué, «L'importance de ces deux programmes pour assurer une présence universitaire dans le Nord du Canada peut être résumée comme suit : sans l'EPCP et le PFSN, la recherche et la formation universitaire dans le Nord cesseraient, à toutes fins pratiques, d'exister au Canada242

La réduction des sommes consacrées à la science a entraîné une diminution du nombre de scientifiques travaillant dans le Nord canadien, et le Canada doit donc veiller à utiliser au mieux les centres d'excellence arctiques comme l'Université Laval, l'Institut de l'Arctique de l'Amérique du Nord et l'Institut circumpolaire canadien, qui ont tous contribué aux travaux du Comité et sont membres de l'Association universitaire canadienne d'études nordiques (AUCEN). Celle-ci regroupe une trentaine d'universités et de collèges nordiques du Canada qui s'intéressent au Nord et participent à des programmes concernant cette région, qu'il s'agisse d'instituts à part entière ou de groupes non officiels de chercheurs ayant des intérêts communs. Elle a été créée en 1977 pour permettre à ces chercheurs d'établir des relations avec leurs confrères, avec les localités nordiques, avec l'administration locale et avec d'autres organismes cherchant à favoriser l'essor de la science et le développement dans le Nord au moyen de l'éducation, de la formation et de la recherche. L'AUCEN disait, dans un mémoire présenté au Comité, que la politique étrangère du Canada devrait, dans ce domaine, accorder la priorité aux programmes visant à soutenir et promouvoir la coopération internationale pour la recherche et l'éducation dans la région circumpolaire et à permettre aux résidents du Nord, en particulier aux Autochtones du Nord, de devenir des chefs de file dans ces domaines243.

Il faut que la prochaine génération de chercheurs pour l'Arctique comprenne des résidents de la région, et le Conseil de l'Arctique peut contribuer à l'atteinte de cet objectif en favorisant la création et le développement des réseaux basés sur la connaissance en cours de création dans le monde circumpolaire. Comme Maurice Strong l'a déclaré au Comité en février 1996, «l'expérience que nous avons acquise en développant et en protégeant nos régions arctiques représente une partie très importante des connaissances accumulées par le Canada, et je pense que la création d'un réseau basé sur ces connaissances pour établir des liens avec d'autres puissances arctiques constituerait une utilisation extrêmement profitable de l'expérience canadienne. . .» Janice Stein, professeure à l'Université de Toronto, ajoutait de la même façon :

Je pense qu'il est également important de réfléchir à la façon dont les nouvelles connaissances sont produites, transmises et communiquées. Je pense que la contribution du Canada à cet égard - et c'est ce qui me rend optimiste à propos du leadership qu'il peut exercer - est sa détermination à favoriser un échange des connaissances, à élargir le champ de la recherche et à utiliser ces connaissances à certaines fins déterminées. Dans la mesure où nous intervenons sans tarder, élaborons les normes qui régissent le système et y participons activement, nous pouvons alors avoir une influence sans commune mesure . . .[65:11].
Dans l'Arctique canadien, le Comité a rencontré Aaron Senkpiel, du Collège du Yukon, qui a expliqué que le collège cherche à former une main-d'oeuvre stable et décidée à oeuvrer pour le développement du Nord. Comme David Malcolm, de l'Institut de recherche Aurora d'Inuvik, Bruce Rigby, de l'Institut de recherche Nunavut d'Iqaluit, a lui aussi expliqué qu'il fallait transformer la dynamique de la recherche pour inclure le savoir autochtone et mettre au point des applications profitant aux populations locales. Le Collège arctique du Nunavut, apparenté à cet institut, a maintenant élargi son offre en matière de formation professionnelle puisque les Autochtones doivent représenter au moins 50 p. 100 du personnel du nouveau gouvernement du Nunavut. Dans un mémoire présenté au Comité, le Collège de l'arctique du Nunavut a insisté sur l'importance des partenariats et a expliqué qu'il travaillait en liaison avec les collèges de l'Alaska et participait à un consortium de quatre établissements canadiens et quatre établissements européens, constitué dans le cadre du programme Canada-Communauté européenne de coopération, pour la formation et l'enseignement supérieur244. Gérard Duhaime, professeur à l'Université Laval, a cependant affirmé qu'un mécanisme comme le programme ERASMUS de l'Union européenne fait malheureusement défaut dans le monde circumpolaire. Il a expliqué ce qui suit au Comité :

Du point de vue des sciences sociales également, il existe un problème énorme qui est inversement proportionnel à nos budgets de recherche. C'est le problème des échanges d'étudiants que j'ai déjà souligné lors d'une réunion précédente du Comité au printemps dernier. Dans les pays francophones, il existe des programmes grâce auxquels les étudiants universitaires peuvent participer à des échanges. L'Union européenne a créé le programme Erasmus qui permet aux étudiants d'un pays d'aller poursuivre leurs études ailleurs. Dans les pays circumpolaires, il n'existe aucune institution de ce genre, et on en subit les répercussions presque quotidiennement dans nos centres de recherche. [. . .] Si j'ai une proposition concrète à faire, [. . .] c'est que le Conseil de l'Arctique, ou au moins la politique étrangère du Canada, favorise la création d'un programme de mobilité des chercheurs, des professeurs et des étudiants dans les régions circumpolaires [47:14-15].
Le Comité convient que cela constituerait une façon utile et rentable d'encourager le développement de compétences en matière de recherche circumpolaire dans l'Arctique. Par conséquent :

L'établissement de réseaux d'information et de systèmes de communication dans la région circumpolaire pourraient aider les habitants en renforçant les cultures autochtones et en les faisant mieux connaître. Comme nous l'avons déjà vu, les peuples autochtones du Nord canadien ont connu de grands succès dans un domaine lié à leur culture, celui de l'art, ce qui a contribué à renforcer leur culture et à la faire connaître à d'autres. Les sculptures inuit sont maintenant célèbres dans le monde entier. Les membres du Comité ont eu l'occasion de discuter du développement des arts et de la culture à Cap Dorset et avec des représentants du Great Northern Arts Festival, à Inuvik. En juin 1997, le Canada accueillera à Toronto le festival Rencontres nordiques, au cours duquel les huit pays arctiques présenteront des oeuvres d'art, des films et différents spectacles, notamment de danse. Depuis près de 20 ans, la Conférence circumpolaire inuit et le Conseil saami ont établi des liens certains entre les cultures autochtones du Nord circumpolaire, et les peuples autochtones ont créé des liens culturels à caractère non officiel, comme les Jeux d'hiver de l'Arctique ou les tournées de la Compagnie nationale de théâtre du Groenland dans les grandes villes de la région. La création du Secrétariat des peuples autochtones à Copenhague a maintenant donné un caractère plus formel à cette coopération, et les travaux du Conseil de l'Arctique incluent désormais les éléments culturels communs.

D'après Marianne Stenbaek, professeure à l'Université McGill, «Une des meilleures façons de protéger les valeurs culturelles est d'utiliser, autant que faire se peut, l'inforoute et la télévision245». Au début des années 1970, le Canada a été le premier pays à utiliser des satellites pour les communications nationales; il a aussi donné un nom inuktitut à la série Anik de satellites et a encouragé ce genre d'investissements particulièrement pour améliorer les communications dans le Nord. À Iqaluit, le Comité a visité les bureaux de l'Inuit Broadcasting Corporation (IBC), société à but non lucratif constituée en 1982. Les employés d'IBC ont parlé de la spécificité et du succès international de leurs émissions culturelles, en particulier celles destinées aux enfants. Par le passé, Ottawa fournissait 65 p. 100 du financement d'IBC, mais, du fait des compressions budgétaires, la subvention fédérale a déjà diminué, passant de 2,5 millions de dollars en 1990 à 1,6 million de dollars en 1995. IBC a déjà rencontré des diffuseurs européens pour étudier la possibilité d'exporter ses émissions, mais il reste à voir quel est le potentiel des ventes internationales. Une autre réussite de la télévison nordique est Nunavut, un feuilleton populaire à grand spectacle comportant 13 épisodes et réalisé par Zacharias Kunuk qui emploie des résidents locaux comme acteurs et met l'accent sur les paysages plutôt que sur le dialogue; Nunavut a été diffusé au Japon, à Taïwan et en Turquie.

Grâce au succès que connaissent les technologies de télécommunication dans le Nord, les résidents autochtones peuvent plus facilement enregistrer et préserver leurs cultures et communiquer directement entre eux. Comme l'expliquait Zacharias Kunuk, «On peut filmer des anciens sur vidéo et, cinq ans plus tard, quand ils sont morts, on peut encore les entendre parler. C'est ce qui m'a décidé. Il est très important de les filmer maintenant, parce que ce qu'ils disent deviendra très important plus tard246.» Encore une fois, les nouvelles technologies ne sont pas une panacée à cet égard, mais le débat traditionnel concernant le choix de dépenser les deniers publics pour la culture ou d'autres activités, qui avait accompagné l'ouverture du Centre culturel du Groenland à Nuuk en février 1997, peut être résolu, à la satisfaction de tous, grâce à ces technologies qui permettent à un même investissement de promouvoir aussi bien l'éducation que la culture. Comme Marianne Stenbaek l'a dit, la première transmission en direct d'une émission télévisée de l'Alaska au Groenland en passant par le Canada a eu lieu seulement au début des années 1980, et «maintenant, avec les nouvelles technologies - pas seulement les ordinateurs, mais l'interconnection infinie de satellites, de systèmes de transmission d'images ou de sons, de lignes téléphoniques et d'ordinateurs - de nombreuses nouvelles combinaisons très prometteuses sont possibles247.» Dans ce domaine aussi, c'est la Russie qui aura le plus de mal à tirer immédiatement profit de ces technologies. Comme le signalait Marianne Stenbaek :

Presque partout, sauf dans de nombreux villages autochtones et nordiques de la Russie et de la Sibérie, l'infrastructure terrestre est en place (c.-à-d. des installations permettant de réaliser localement des émissions de télévision et de radio, des ordinateurs, etc.). Si on peut mettre en place ce «maillon» russe, nous disposerons alors de toutes les installations nécessaires pour un réseau circumpolaire d'informatique et de télévision.
Si on utilise le modèle canadien de radiodiffusion autochtone avec son énorme influence sur le changement politique et social dans le Nord, [. . .] on peut en arriver à la conclusion qu'un réseau de télévision circumpolaire et un réseau informatique circumpolaire auraient une influence et une importance énormes. De tels réseaux permettraient à tous les peuples des régions circumpolaires de se faire entendre et ils mettraient en relief leurs nombreuses préoccupations communes relativement à des questions telles que l'environnement, les contaminants, le développement économique, etc. On pourrait ainsi voir se constituer un forum commun qui contribuerait à déterminer l'orientation de la politique étrangère et permettrait de faire connaître les questions circumpolaires au monde entier248.
Le Comité partage cet avis. Par conséquent :


210
Gérard Duhaime, «Don't Steer Without a Map: Ideas Toward International Scientific Cooperation in the Arctic», Management, Technology and Human Resources Policy in the Arctic (the North), publié sous la direction de L. Lyck et V.I. Boyko, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1996, p. 61-71.

211
Gilles Breton, «The International Arctic Science Committee», Une politique extérieure nordique pour le Canada, Lamb, éd., 1994, p. 127.

212
Milton Freeman, mémoire du 3 juin 1996, p. 6.

213
Fred Roots, La recherche scientifique sur le Nord : situation actuelle et orientation, Prix de la recherche scientifique dans le Nord - Commentaires (1995).

214
Ibid., p. 7-8.

215
Sanjay Chaturvedi, The Polar Regions (1996), p. 176.

216
David Malcolm, Western Arctic Circumpolar Cooperation, Note d'information, 28 mai 1996, p. 4.

217
Whit Fraser, «Arctic Science, Technology and Traditional Knowledge: Enhancing Cooperation in the Circumpolar North», dans Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 122.

218
Oran Young, Le Conseil de l'Arctique : Marquer l'avènement d'une ère nouvelle dans le domaine des relations internationales (1996), p. 84. Pour des précisions sur l'approche adoptée par les États-Unis et l'Alaska, voir l'exposé présenté au Comité par l'hon. George B. Newton Jr., président de la United States Arctic Research Commission, le 12 décembre 1996.

219
Douglas Heyland, «Report of the Workshop on Arctic Science and Technology», dans Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 129.

220
Fred Roots, «Se tourner vers l'avenir», Le Canada et la science polaire, John Stager, éd., Commission canadienne des affaires polaires, Ottawa, décembre 1994, p. 90.

221
Whit Fraser «Message du président», Rapport annuel 1995-1996, Commission canadienne des affaires polaires, Ottawa, 1996, p. 12.

222
Nigel Bankes, mémoire du 31 mai 1996, p. 2.

223
Whit Fraser «Message du président», Rapport annuel 1995-1996, Ottawa, 1996, p. 13.

224
David Malcolm, mémoire du 28 mai 1996, p. 3.

225
Nellie Cournoyea, mémoire du 28 mai 1996.

226
«Une réorientation relative à l'information polaire», Méridien, Commission canadienne des affaires polaires, vol. 1, no 2, printemps 1996, p. 12.

227
Sanjay Chaturvedi, The Polar Regions (1996), p. 174.

228
David Scrivener, Environmental Cooperation in the Arctic (1996), p. 26.

229
Cité dans Sanjay Chaturvedi, The Polar Regions (1996), p. 175.

230
Oran Young, Le Conseil de l'Arctique : Marquer l'avènement d'une nouvelle ère dans le domaine des relations internationales (1996), p. 84.

231
Whit Fraser, «Arctic Science, Technology and Traditional Knowledge: Enhancing Cooperation in the Circumpolar North», dans Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 122.

232
Son Excellence M. Halldór Ásgrímsson, Arctic Council Inauguration Statement, Ottawa, 19 septembre 1996.

233
Douglas Heyland, «Report of the Workshop on Arctic Science and Technology», dans Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 129.

234
Initiative scientifique internationale dans l'Arctique russe (ISIAR), brochure du CISA, p. 1.

235
Stephen Thorne, «Canadians Help U.S. Track Environmental Contamination in Arctic», The Globe and Mail, Toronto, 6 février 1997, A11B.

236
John Wolforth, «A Policy for Circumpolar Education», dans Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 143.

237
Bob MacQuarrie, The Northern Circumpolar World, Reidmore Books, Edmonton, 1996.

238
Wolforth dans Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 144.

239
David Malcolm, mémoire du 28 mai 1996, p. 4.

240
Ken MacQueen, «Surfing the World From the Frozen North», The Ottawa Citizen, 23 février 1997, p. A1.

241
Peter Burpee et Brenda Wilson, «L'éducation dans les pays nordiques», mémoire du 31 mai 1996.

242
Michel Allard, «La recherche scientifique et la formation des personnes : principale force canadienne face à l'extérieur», mémoire du 24 octobre 1996.

243
Association universitaire canadienne d'études nordiques, mémoire du 10 mai 1996.

244
Collège de l'arctique du Nunavut, Coopération entre les collèges et les universités du Nord, mémoire du 28 mai 1996.

245
Marianne Stenbaek «The Protection of Cultural Values», dans Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 146.

246
Jane George, «Inuit-Made TV Docudramas as Popular as Soaps in North», The Ottawa Citizen, 26 février 1997.

247
Marianne Stenbaek, dans Lamb, éd., Une politique extérieure nordique pour le Canada (1994), p. 147.

248
Ibid., p. 147.


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