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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 9 octobre 1996

.1815

[Traduction]

Le président: Le Comité permanent du patrimoine canadien entendra maintenant des témoins concernant le projet de loi C-32,

[Français]

Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.

Ce soir, nous avons le plaisir de faire une table ronde de radiodiffuseurs. Je vais demander àM. Marc-André Lévesque, qui préside la table ronde ce soir, de bien vouloir nous présenter ses collègues.

.1820

M. Marc-André Lévesque (président, Groupe Radio Antenne 6): Monsieur le président, chacun de nous présentera sa station.

Le président: D'accord.

[Traduction]

M. Stu Morton (vice-président, OK Radio Group Ltd.): Je m'appelle Stu Morton. Je suis vice-président et copropriétaire du groupe OK Radio Group, établi à Victoria, en Colombie-Britannique.

M. Dwaine Dietrich (directeur général, CHAT Radio & Television; Monarch Broadcasting Ltd.): Je m'appelle Dwaine Dietrich. Je suis le directeur général de CHAT Radio & Television, de Medicine Hat en Alberta.

M. Paul Osborne (vice-président et directeur général, Cambridge Radio International): Je m'appelle Paul Osborne. Je suis le directeur général et le directeur des ventes de CIAM-AM 96 Radio, de Cambridge, en Ontario.

M. Blair Daggett (directeur général, Newfoundland West, Newcap Broadcasting): Je m'appelle Blair Daggett. Je suis directeur général de Newfoundland West, de Newcap, de CKXX Country, de Corner Brook, de CKXG Radio Network de Grand Falls, et de CKXD, de Gander, à Terre-Neuve.

[Français]

M. Lévesque: Je m'appelle Marc-André Lévesque. Je suis président et copropriétaire du Groupe Radio Antenne 6 qui exploite cinq stations au Lac-Saint-Jean.

[Traduction]

M. Johnny Lombardi (président, Association canadienne des radiodiffuseurs ethniques): Je m'appelle Johnny Lombardi, de CHIN Radio and TV International, de Toronto. Je représente ici l'Association canadienne des radiodiffuseurs ethniques, quicompte des membres dans toutes les régions du Canada. Les stations se trouvent à Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Brampton, Mississauga, Oakville, Toronto et Montréal.

Le président: Bon sang, vous ne manquez pas de travail. Dormez-vous la nuit?

M. Lombardi: J'aime mon métier.

[Français]

Le président: Monsieur Lévesque, est-ce que vous avez un autre collègue qui fait partie de votre panel?

M. Lévesque: Non, il accompagne M. Lombardi.

[Traduction]

M. Lombardi: M. Carl Redhead est notre directeur de l'exploitation. Parce que je n'entends pas bien de l'oreille gauche, il m'aidera si je rate quelque chose. Il me glissera un billet.

Le président: Mais bien sûr, monsieur Lombardi.

Monsieur Lévesque, vous connaissez la façon de procéder. Vous présentez votre exposé - et nous espérons qu'il sera bref et concis afin de donner aux membres la possibilité de vous interroger. Mais à vous de décider. Vous êtes maître du jeu.

[Français]

M. Lévesque: Merci, monsieur le président. Monsieur le président, madame et messieurs les membres du comité,

[Traduction]

Au nom de mes collègues radiodiffuseurs qui sont ici avec moi, j'aimerais d'abord remercier le comité de nous avoir choisis et de nous donner la possibilité d'exprimer les impressions des petits radiodiffuseurs de toutes les régions du Canada sur le projet de loi C-32.

Comme vous l'avez constaté, nous nous sommes rencontrés, mes collègues et moi-même, pour la première fois cet après-midi, mais il ne nous a pas fallu beaucoup de temps pour découvrir que nous avons beaucoup de points en commun, malgré nos différences régionales. Nous pensons tous que le projet de loi C-32 constitue une vraie menace pour l'avenir de nombreuses stations d'un océan à l'autre. Aujourd'hui, nous allons tenter de vous expliquer pourquoi. Si vous le permettez, nous allons commencer par M. Lombardi.

M. Lombardi: Merci beaucoup.

Monsieur le président, mesdames et messieurs du comité, je m'appelle Johnny Lombardi. Je suis président de CHIN Radio-TV International et je suis aussi venu à Ottawa aujourd'hui à titre de président de l'Association canadienne des radiodiffuseurs ethniques, qui regroupe des stations de Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Brampton, Mississauga, Oakville, Toronto et Montréal. Nous sommes onze stations communautaires représentant chacune de 20 à 30 cultures et langues autres que les langues officielles. Je vous assure que nous sommes tous d'abord et avant tout des Canadiens, mais que nous sommes très fiers des communautés que nous servons en oeuvrant jour après jour pour promouvoir la culture, le patrimoine, la langue, en faisant connaître le Canada, en accélérant l'intégration, en informant et en divertissant.

.1825

La radio ethnique communautaire diffère de la radio ordinaire. La radio ordinaire sert surtout un créneau particulier, un marché unilingue et un groupe d'âge précis, chaque station adoptant un style bien à soi et se divisant le public anglophone et francophone. Dans certaines grandes villes canadiennes, plus de 35 stations de radio se partagent le marché. Les stations communautaires allophones, par contre, doivent répondre à l'ensemble des besoins de tous les membres des familles de chaque groupe linguistique. À l'instar des stations communautaires, toutes les stations de radio titulaires d'une licence devraient être exonérées des droits voisins.

J'aimerais parler des droits éphémères. La radio sans le magnétophone est comme un rond-de-cuir sans crayon et sans gomme à effacer. De nos jours, les ordinateurs ont remplacé le magnétophone. Ils sont simplement un outil, comme le crayon et la gomme à effacer. Cet outil sert au traitement, à la transposition, au montage et à la sauvegarde du son. Ce processus est devenu une nécessité dans la radiodiffusion moderne. La transposition représente un coût mais ne rapporte pas financièrement. Chacune de nos stations a besoin de bandothèques bien fournies qui contiennent les enregistrements des festivals de la chanson et des piques-niques parrainés par nos stations communautaires allophones. Nous trouvons cette diffusion en différé de manifestations culturelles particulièrement stimulante pour notre public. Les artistes qui ont participé aux spectacles s'entendent plus tard, à la maison. Ces émissions en différé aident les artistes à s'améliorer en vue de leurs prochains spectacles. C'est notre façon de trouver et de développer un contenu canadien et les talents ethniques.

Nous ne devrions pas être tenus de verser un droit mécanique pour l'utilisation des outils légitimes de notre métier. À titre de musicien professionnel depuis de nombreuses années, je rends hommage au dur travail et au talent des auteurs-compositeurs. Les radiodiffuseurs ethniques paient leur part aux auteurs-compositeurs, par l'entremise de la SOCAN, et ils le font depuis des années. Toute notre musique ethnique est difficile à trouver, ce qui nous oblige à acheter tous nos disques au prix de détail du pays d'origine, que ce soit l'Italie, le Portugal, l'Afghanistan ou l'Extrême-Orient. Nous ne pouvons pas acheter ces disques au Canada, parce que les entreprises américaines et canadiennes sur le marché canadien n'enregistrent pas ou n'importent pas de disques ethniques. Les petits magasins de disques attendent que les stations allophones achètent et fassent tourner les disques à succès et créent un marché avant d'importer eux-mêmes de petites quantités de ces disques qu'ils sont assurés de vendre à profit.

Alors, vous le voyez, nous n'obtenons pas de disques de promotion, et même l'achat au prix de détail dans les pays étrangers oblige chaque producteur à se rendre dans son pays d'origine pour entendre les nouveaux disques et les acheter. Imaginez le coût pour nos producteurs et stations ethniques lorsqu'ils diffusent des émissions contenant de la musique de leur pays d'origine. Les maisons de disques ne font rien pour nous. Pourquoi devrions-nous payer d'autres droits en plus de ceux de la SOCAN?

Une fois de plus, je le répète, plus de onze stations communautaires allophones emploient de nombreux producteurs dans chacune de ces communautés diverses et emballantes dont les membres ne sont parfois arrivés au Canada qu'il y a dix ou quinze ans et qui ont le plus besoin d'une programmation dans la langue et la culture qu'ils comprennent le mieux. Pour continuer à servir les besoins radiophoniques des communautés, les membres de l'Association canadienne des radiodiffuseurs ethniques ne doivent pas être assujettis à des coûts supplémentaires en plus des coûts déjà élevés qu'ils doivent payer pour diffuser leurs émissions. Imaginez la quantité de discothèques, de traducteurs, de producteurs, d'annonceurs, de studios, d'équipement et de personnel administratif dont ont besoin les membres de l'Association canadienne des radiodiffuseurs ethniques, qui sont très dévoués envers leur communauté. Nous nous opposons donc au projet de loi C-32, parce qu'il menace encore plus la survie des radiodiffuseurs ethniques.

Merci beaucoup.

.1830

Le président: Merci, monsieur Lombardi.

[Français]

Y a-t-il d'autres participants?

[Traduction]

M. Daggett: Merci, monsieur le président.

Je vais d'abord vous exposer la situation de mes stations, à Terre-Neuve. Je suis responsable de trois stations, CKXX AM à Corner Brook, CKXG AM à Grand Falls, et CKXD AM à Gander, aussi connue sous le nom de KIXX Country. Je suis radiodiffuseur depuis 1979. Au fil des années, j'ai vu le personnel des petites stations diminuer considérablement. Quand j'ai débuté, nous avions au moins 20 personnes dans une petite station. De nos jours, il y en a onze à Corner Brooks et à Grand Falls, et seulement quatre à Gander. Mais même ces quelques rares emplois à plein temps à Terre-Neuve sont menacés par le projet de loi que vous étudiez.

L'époque où les stations de radio roulaient sur l'or est bien finie. La baisse des revenus de publicité a déclenché une longue lutte pour parvenir à la rentabilité. Deux de mes stations réussissent à réaliser de faibles profits, mais toute hausse des dépenses amputera ces profits peu élevés.

Je comprends que les petites stations ne paieront pas de droits voisins, mais mes stations font partie d'une grande entreprise. Je crains beaucoup que les dispositions du projet de loi C-32 ne poussent notre société mère à perdre intérêt pour les petites sociétés qu'elle subventionne actuellement. En ajoutant nos coûts à ceux des grandes stations, vous les forcerez à réduire les coûts ailleurs. Un choix évident consisterait à abandonner les petites sociétés à la limite de la rentabilité.

Un autre aspect du projet de loi C-32 dont j'aimerais discuter est la disposition relative à la transposition sur un autre support. Toutes mes stations diffusent une quantité importante de musique locale. Cette musique est particulière à Terre-Neuve et certaines pièces se trouvent sur de vieux disques irremplaçables. Si nous sommes forcés de payer des coûts supplémentaires pour doubler ces chansons sur une cassette, sur une cassette à deux bobines ou sur un support numérique, elles disparaîtront probablement des ondes. Une partie importante du patrimoine terre-neuvien et canadien sera perdue.

Les dispositions du projet de loi relatives à la diffusion en différé sont particulièrement désagréables pour les collègues radiodiffuseurs de Terre-Neuve. Imaginez l'impossibilité de faire une chose aussi simple que commencer une émission au début de l'heure, soit une demi-heure plus tôt que sur le continent, parce que cela coûtera plus cher. Les émissions à grand spectacle en provenance de l'Ontario sont captées à Terre-Neuve trop tard pour être diffusées aux heures de grande écoute. Devoir payer des frais supplémentaires pour les sauvegarder en vue d'une diffusion ultérieure aux heures de grande écoute est carrément discriminatoire. KIXX Country Radio de Corner Brooks diffuse une émission de musique terre-neuvienne appelée The Banks of Newfoundland. Cette émission est réalisée en Alberta et nous est envoyée sur bande magnétique. Si nous devons payer des frais supplémentaires pour la diffuser, les artistes locaux auront moins de temps d'antenne et leurs ventes diminueront en conséquence.

Il me semble que le CRTC et Patrimoine canadien se tirent dans les pattes. L'un encourage la diversification, tandis que l'autre crée de nouvelles taxes pour l'entraver. Toute initiative locale comme des concours d'amateurs et d'autres émissions de divertissement musical sera désormais entravée par les coûts supplémentaires. Et les droits supplémentaires prévus par la loi ne seront pas nos seules difficultés. Comment les administrerons-nous? Comment le gouvernement les fera-t-il appliquer? Vous ajouterez des dépenses à chaque étape du traitement de ces frais supplémentaires.

Notre industrie perd de l'argent. Le projet de loi pourrait bien mettre de petites stations, comme celles dont je suis responsable, sur la liste des espèces en voie d'extinction. Je vous prie instamment d'exonérer l'industrie de la radio de ces dispositions du projet de loi C-32.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Daggett. Monsieur Osborne.

M. Osborne: Une fois de plus, je m'appelle Paul Osborne, de CIAM Radio.

Vous noterez que mon mémoire est également signé par Kimberley Thompson, actuellement présidente de la Chambre de commerce de Cambridge. Elle espérait pouvoir venir. Il y avait malheureusement une très importante réunion de la chambre de commerce qu'elle ne pouvait pas rater ce soir, compte tenu du court préavis. Mais elle dirigeait le groupe qui s'est penché avec moi sur les conséquences éventuelles du projet de loi C-32.

Je suis représentatif de nombreuses petites stations de radio au Canada qui sont seules sur leur marché. En fait, nous ne sommes pas si nombreux que cela. Nous sommes en réalité le seul vrai lien avec les nouvelles locales et l'information locale dans nos collectivités. Nous fournissons donc un service de base.

Quand vous vous levez le matin et qu'il fait tempête, vous allumez la radio pour savoir si les autobus circulent. Quand il faut planifier sa journée, nous sommes au service de la ville de Cambridge. Si des routes sont fermées et que vous êtes allés chercher les enfants et rentrez à la maison, nous pouvons vous aider à rentrer chez vous la route la plus rapide et la plus sûre. Nous sommes la seule station qui assiste aux ventes de pâtisseries de l'Église pentecôtiste le jour où cette dernière tient cette activité pour amasser des fonds. Nous sommes la station qu'appellent les Grands Frères lorsqu'ils organisent une partie de balle-molle pour amasser des fonds. Nous sommes ceux qui envoyons un de nos annonceurs dans une nacelle au-dessus d'un centre commercial pour aider la campagne de Centraide.

.1835

Voilà le genre de station que nous sommes dans notre ville, et il y en a bien d'autres comme nous. Nous sommes aussi la seule station qui prend le temps d'aller à la foire d'automne de Cambridge et d'enregistrer le concours d'amateurs - et le mot «amateur» décrit parfois très bien la réalité.

Ce projet de loi m'effraie et il a aussi effrayé Kim Thompson, de la Chambre de commerce. Elle s'inquiétait des conséquences susceptibles d'en découler pour nous.

Nous sommes à Cambridge depuis 1954. Nous appartenons à Diffusion Power, qui possède quelques stations en Ontario et au Québec, mais nous sommes l'une des plus petites stations de cette chaîne. Nous ne paierions pas la taxe, parce que nous n'avons pas 1,25 million de dollars de revenus.

Mais permettez-moi de vous décrire ce que nous payons déjà. Cette année, nous avons payé environ 24 000 $ en droits à la SOCAN. Ces droits sont versés aux auteurs- compositeurs. Mais il faut se rappeler que 80 p. 100 des auteurs-compositeurs jouent leur propre musique, de sorte que, lorsque David Foster écrit une chanson et l'interprète, il est payé grâce aux droits de la SOCAN. Ils sont 80 p. 100. Cela inclut Bryan Adams et Shania Twain. S'ils écrivent leurs chansons et les interprètent, ils reçoivent des droits de la SOCAN.

Nous consacrons aussi 30 p. 100 de notre temps d'antenne à la musique canadienne. Supposons que vous êtes un marchand de téléviseurs et que vous renoncez à 30 p. 100 de votre stock pour vendre un certain type de téléviseurs. C'est ce que nous faisons. À ma station, si nous devions nous faire payer pour cela, comme nous le faisons pour diffuser une annonce publicitaire et exiger un tarif à la minute, cela représenterait environ 720 $ l'heure, et nous serions les moins chers parmi les membres de cette table ronde, je crois.

Nous pensons donc que nous versons des droits élevés à la SOCAN et que nous donnons aussi beaucoup de temps d'antenne. Le temps d'antenne coûte quelque chose. Il coûte très cher et nous sommes heureux de le donner pour promouvoir le patrimoine canadien. Je suis fier des artistes canadiens. J'achète beaucoup de leurs disques. Cela ne nous gêne pas. Ce qui nous dérange, c'est de devoir payer davantage.

Au point de vue financier, tout ce que nous pouvons espérer cette année, c'est réussir à rentrer dans nos frais. Nous ne faisons pas beaucoup d'argent. Nos investisseurs, nos actionnaires, feraient mieux de déposer leur argent à la banque et d'en tirer 5 ou 6 p. 100 d'intérêts. Nous visons le seuil de rentabilité, mais nous pensons avoir un rôle important à jouer dans notre collectivité.

Je serai franc. Si nous n'avons pas fermé nos portes, c'est qu'en tant que groupe, la Corporation financière Power préférerait vendre tout en bloc. Power pourrait offrir, à McDonald's par exemple, une station commerciale à Cambridge, à Guelph, à Barrie, à Oshawa, à Peterborough ou à Kingston. C'est plus facile quand on a une station de plus à vendre et, de ce point de vue, c'est une bonne décision d'affaires.

Nous espérons aussi que l'économie se redressera. Il y a déjà des signes positifs en ce sens. Mais nous avions 26 employés et il n'en reste plus que 14.

Pour survivre, surtout comme station AM indépendante, dans un marché comme celui de Cambridge, envahi par les signaux de Toronto, de Hamilton et des États-Unis, nous devons avoir une plus grande saveur locale et mieux servir notre collectivité que nos concurrents de l'extérieur. Or nous n'avons plus que la peau sur les os.

L'enregistrement du concours d'amateurs dont j'ai parlé représente huit heures d'enregistrement et au moins quatre heures de montage, mais avec le projet de loi C-32, il faudrait commencer à faire toutes sortes de recherches. Qui interprète la musique? L'émission est-elle bien documentée? Devons-nous payer? Cela représente beaucoup de travail administratif et beaucoup de temps. Il est évident que nous n'avons pas d'argent, si nous prévoyons tout au mieux réussir à faire nos frais, mais sans même parler de l'aspect financier, il faut du temps et, vu notre personnel limité, ce serait très difficile.

Nous enregistrons aussi un service religieux local, qui est mis en ondes en soirée. Nous sommes heureux de rendre ce service à la collectivité, mais si cela représente plus de travail administratif et plus de frais, en plus de ceux que nous versons déjà, la pilule devient difficile à avaler.

La radio et les artistes-interprètes se sont toujours bien entendus. C'est agréable de les inviter à nos stations de radio pour qu'ils fassent la promotion de leurs disques. Je pense que Shania Twain a très bien décrit la situation aux Country Music Awards, l'autre soir, lorsqu'elle a remporté le prix de l'artiste de l'année. Elle a remercié sa mère, son père et sa famille, son imprésario et sa maison de disques, puis elle a ajouté: «Enfin et surtout, j'aimerais remercier la radio, parce que sans la radio, je ne serais pas ici ce soir et je ne n'aurais pas remporté autant de succès».

C'est le genre de rapports que nous avons depuis des années. Cela fonctionne. Faire plus serait dur à digérer pour nous.

Merci.

M. Dietrich: Monsieur le président, mesdames et messieurs, je m'appelle Dwaine Dietrich et je viens de Medicine Hat, en Alberta.

À mon avis, les modifications à la Loi sur le droit d'auteur soulèvent trois grands problèmes qui auront des répercussions profondes sur nos activités. Il s'agit des droits voisins, de l'exemption pour la transposition sur un autre support et des droits éphémères.

.1840

Permettez-moi d'abord de parler des droits voisins. La radio privée au Canada verse déjà3,2 p. 100 de tous ses revenus en droits musicaux, comparativement à 2,8 p. 100 seulement pour les Américains. Les stations de télévision canadiennes paient 2,1 p. 100, comparativement à moins de1 p. 100 pour leurs homologues américains.

Si l'objectif de la réforme du droit d'auteur est de moderniser la vieille loi, alors je pense que nous reculons au lieu d'avancer. En créant des droits voisins, vous accroîtrez les coûts pour les radiodiffuseurs canadiens tandis que les coûts pour les radiodiffuseurs américains resteront identiques. Cette inégalité continue pourrait résulter en une production de qualité supérieure par les radiodiffuseurs américains, ce qui nuirait aux radiodiffuseurs canadiens.

On a déjà l'impression que l'exemption pour le premier 1,25 million de dollars sera très avantageuse pour les petites stations; et c'est tout à fait juste. Mais il ne faut pas croire qu'une station, sur un petit ou un grand marché, est rentable parce qu'elle a des revenus de 1,25 million de dollars. Des stations sur de grands marchés, qui ont des revenus de plus de 1,25 million de dollars, ne sont pas rentables de nos jours.

Mais je pense que le vrai problème non réglé est que le CRTC oblige les radiodiffuseurs canadiens à diffuser 30 p. 100 de musique canadienne à la radio et 50 et 60 p. 100 de contenu canadien à la télévision. Nous pensons que nous contribuons actuellement au tissu social du Canada et que nous participons à la promotion des talents canadiens et à toutes les activités connexes.

Patrimoine canadien veut réformer la Loi sur le droit d'auteur et imposer des coûts supplémentaires pour les talents canadiens. Les radiodiffuseurs sont pris entre deux ministères qui essaient tous les deux de réaliser leur mandat et d'atteindre leurs objectifs particuliers. Le CRTC a pris des règlements sur le contenu canadien. La réforme du droit d'auteur prévoit désormais que les radiodiffuseurs devront verser des droits supplémentaires aux artistes et aux maisons de disques.

Je vous en prie, mesdames et messieurs, n'envisagez pas la réforme du droit de façon isolée. Les radiodiffuseurs aident déjà les artistes canadiens et les maisons de disques grâce aux 30 p. 100 de musique canadienne prévus par la loi. Cela veut dire que nous donnons 30 p. 100 de notre répertoire gratuitement aux artistes canadiens.

Pourquoi ne pas essayer plutôt de convaincre le CRTC d'abolir sa règle sur le contenu canadien? Les radiodiffuseurs auraient alors la liberté de changer de fournisseurs. D'ailleurs, le gouvernement canadien n'appuie pas les marchés accordés sans appel d'offres. Pourquoi les radiodiffuseurs devraient-ils diffuser 30 p. 100 de musique canadienne et devoir payer des droits musicaux supplémentaires?

En passant, comme je l'ai indiqué dans une lettre adressée à l'honorable Michel Dupuy en septembre 1994, c'est peut-être à cause de la diffusion à la radio que les producteurs et les artistes sont devenus célèbres et, dans bien des cas, assez riches merci. L'industrie de la radiodiffusion devrait peut-être leur demander une indemnisation financière. Ainsi, lorsque les ventes d'un enregistrement atteignent le niveau de l'or ou du platine, la maison de disques et l'artiste verseraient 2 p. 100 de leurs ventes brutes aux radiodiffuseurs qui les ont aidés à devenir des étoiles.

Deuxièmement, je conviens avec mes collègues qu'il est absolument essentiel que les stations de radio et de télévision puissent effectuer des transpositions sur un autre support. Vu la technologie moderne, qui permet d'emmagasiner de plus en plus d'information sur des disques durs, y compris des disques compacts aux stations de radio, ne semble-t-il pas logique que le droit de transposer des oeuvres sur un autre support soit accordé également aux radiodiffuseurs, comme le projet de loi C-32 le prévoit en informatique? Considérons les deux scénarios suivants. Un consommateur achète un logiciel et le mémorise sur un disque dur et une station de radio achète un disque compact et le mémorise sur un disque dur. N'est-ce pas la même chose? Je vous prie d'accorder aux radiodiffuseurs canadiens l'exemption pour la transposition sur un autre support.

Troisièmement, en ce qui concerne les droits éphémères, comment pouvez-vous décider ce qui sert le mieux les intérêts de tous les Canadiens et comment pouvez-vous décider que les intérêts de la création et de la culture au Canada seront mieux servis si les radiodiffuseurs ne peuvent pas enregistrer une émission pour fins de diffusion ultérieure, à une heure de grande écoute? Il semble presque bizarre que ce droit, qui a été promis à maintes reprises par le gouvernement, n'ait pas encore été accordé. J'aimerais bien savoir qui ne veut pas que les radiodiffuseurs n'aient pas de droits éphémères ou quelles sont les justifications de cette attitude. Ne peut-on pas se demander pourquoi on s'oppose à quelque chose d'aussi fondamental que la diffusion en différé dans un pays où il y a six fuseaux horaires? La seule réponse que je peux trouver est que quelqu'un cherche d'autres façons de s'enrichir.

À notre station de Medicine Hat, nous diffusons des émissions transmises par satellite et enregistrées pour fins de diffusion à une meilleure heure d'écoute, mais ces émissions sont aussi enregistrées plus tôt, parfois quelques jours auparavant, et habituellement par un tiers, afin de promouvoir les talents canadiens et de réduire les coûts. Faudra-t-il verser des droits à chaque étape du processus?

.1845

Même notre émission sur le service religieux local du dimanche matin devrait être repensée. À notre station de télévision, nous devrions nous demander s'il est faisable de payer des droits musicaux supplémentaires pour la diffusion en différé ou s'il faut laisser tomber. Est-ce le genre de réforme du droit d'auteur qui renforce le tissu social au Canada? Je ne le crois pas.

La ministre Sheila Copps a déclaré dans un communiqué du 25 avril 1996 au sujet de la réforme canadienne:

Pourquoi, dans ce cas, 28 autres pays, dont le Royaume-Uni, l'Australie et les États-Unis ont-ils tous accordé un droit de diffusion en différé, tandis que le Canada ne l'a pas fait?

Pour employer la langue des Prairies, monsieur le président, il n'y a plus d'argent. Le gouvernement libéral actuel l'a dit à la radio et à la télévision de CBC. D'ailleurs, le gouvernement libéral a réduit massivement les budgets d'exploitation de la CBC. Nous disons la même chose. Il n'y a plus d'argent. Si ce projet de loi sur la réforme du droit d'auteur est adopté dans sa forme actuelle, il y aura des compressions dans d'autres domaines dans toutes les stations de radio et de télévision du pays. Les initiatives dans le domaine de la télévision canadienne seront réduites. Des émissions pourraient disparaître ou le personnel sera réduit. Servirait-on les meilleurs intérêts du système de radiodiffusion canadien? Je ne le crois pas.

Mesdames et messieurs les membres du Comité permanent du patrimoine canadien, nous vous implorons de considérer avec soin nos demandes dans l'intérêt de la culture canadienne, du contenu canadien et des entreprises canadiennes. Merci.

Le président: Merci, monsieur Dietrich.

Monsieur Morton.

M. Morton: Merci.

Mon entreprise est un radiodiffuseur canadien qui possède des stations AM à Victoria, Edmonton, Fort McMurray et Grande Prairie, en Alberta. Nous avons aussi une participation de50 p. 100 dans une nouvelle licence ethnique FM à Vancouver.

Je suis radiodiffuseur depuis 1963 et j'ai passé toute ma vie d'adulte dans ce métier, en ondes, puis à titre de gestionnaire et de propriétaire. Je crois que la teneur de ce projet de loi témoigne d'une méconnaissance tragique du rôle de la radio canadienne locale dans la protection et la promotion de la musique canadienne.

L'industrie du disque canadienne, peu importe ses déclarations publiques, sait sans l'ombre d'un doute que la radio exerce la plus grande influence sur les acheteurs de disques. À Victoria, nous avons une station rock FM et une station country AM. Toutes les semaines, les représentants des ventes nous téléphonent ou viennent nous voir dans un seul but: faire inscrire leurs nouveautés à notre palmarès. Nos directeurs de programmes passent des heures au téléphone avec les représentants des ventes toutes les semaines. Les représentants ne cessent de souligner à quel point il importe de faire tourner leurs nouveautés à la radio, parce que la radio contribue à faire distribuer leurs disques dans les magasins et à les faire acheter par les consommateurs. Ils demandent du temps d'antenne, de la publicité, des entrevues avec les artistes et nous leur donnons tout cela de plein gré, avec enthousiasme et sans frais pour la maison de disques ou l'artiste.

Lorsqu'une chanson est inscrite à notre palmarès, ils nous rappellent pour nous demander de la faire tourner plus souvent tous les jours, parce que cela contribue à faire grimper cette chanson au palmarès national. La diffusion à la radio est un baromètre de la création d'un succès.

Nous avons assisté récemment à la remise des prix dans le domaine de la musique country canadienne, à Calgary. Au cours d'un atelier, Sam Sniderman, de Sam the Recordman, a demandé aux présidents des quatre grandes maisons de disques s'ils pouvaient l'assurer que les droits voisins perçus de la radio seraient versés aux artistes. Ils ont pris un air consterné et, après bien des tergiversations, ils ont fini par répondre que non.

Le projet de loi C-32 attaque l'un des piliers de l'industrie culturelle canadienne: la radio. Ce moyen de communication ajoute une valeur importante à l'industrie de la musique en créant un environnement sonore qui attire un auditoire. La radio ne fait pas simplement tourner des disques comme dans un juke-box. Elle y ajoute personnalité, publicité, divertissement, enrichissement musical, attitude, rythme, émotion. Elle place la musique canadienne sous le meilleur éclairage possible et accroît la célébrité de nos artistes.

Avant que notre station country AM n'entre en ondes à Victoria l'an dernier, il n'y avait aucun point de rencontre des artistes et des amateurs de musique country au sud de l'île de Vancouver. De nombreux artistes étaient très mal connus. Les stations américaines de Seattle influençaient beaucoup ce que les gens écoutaient. Désormais, Rick Tippe, de Vancouver, Rachel Matkin, de Kelowna, les Cruzeros, de Vancouver, et Sean Hogan, de Victoria sont des noms bien connus des amateurs de musique country de la région de Victoria.

.1850

Nos stations ne sont pas toutes rentables. Nous en subventionnons quelques-unes, notamment la programmation ethnique de notre station ethnique FM d'Edmonton, grâce aux revenus de nos stations country et rock ordinaires. Les droits voisins pourraient nous empêcher de fournir ce service radiophonique bien particulier aux minorités ethniques du Canada.

Comme si la menace que posent les droits voisins ne suffisait pas, le projet de loi C-32 soumet la radio canadienne à d'autres épreuves en attaquant avec arrogance les procédures d'exploitation interne de longue date et qui ont cours dans la plupart des stations de radio de notre industrie. Je ne peux que supposer que quelqu'un, quelque part, s'imagine que les animateurs font encore tourner les disques sur les platines. Je peux vous assurer que les tourne-disques ont disparu il y a vingt ans. La transposition d'un support d'enregistrement à un autre est une activité de base des stations de radio depuis vingt ans.

Je vais vous donner un exemple de la façon dont nous procédons chez nous. Lorsque nous décidons d'ajouter une chanson d'un nouveau disque compact au répertoire musical de notre station, nous la cataloguons dans notre base de données informatisée, puis la copions sur le disque dur pour la mettre à l'antenne. Dans la salle de mise en ondes, l'animateur, qui a habituellement plusieurs fers au feu, peut faire débuter la chanson suivante simplement en appuyant sur le bouton de l'unité de commande du disque dur. Dans nos petites stations du nord de l'Alberta, ce système permet aux annonceurs de déclencher de longues suites musicales afin qu'ils puissent sortir de la salle de mise en ondes pour faire autre chose, notamment écrire et réaliser d'autres émissions. C'est un élément tout à fait vital de notre mode de fonctionnement.

Le projet de loi C-32, tel qu'il se présente actuellement, nous obligerait toutefois à verser des redevances lorsque nous effectuons la transposition mécanique de la musique sur les disques durs. Ces droits iraient aux auteurs-compositeurs, qui reçoivent déjà des redevances sur la mise en ondes de leur musique.

Je ne saurais vous dire à quel point cette éventualité m'inquiète, mais je peux vous assurer que de nombreuses stations qui s'adressent à un petit marché disparaîtront si des changements ne sont pas apportés au projet de loi C-32 à cet égard. Nous devrions probablement embaucher quelqu'un à plein temps pour obtenir les droits mécaniques. Ce genre de structure nous forcerait à affecter à la paperasserie des ressources humaines qui s'occupent actuellement de programmation. Je peux vous assurer que nous devons surveiller les coûts de très près dans nos stations, alors il est difficile d'ajouter du nouveau personnel.

Même si ces problèmes sont réglés, pourquoi devrais-je payer les mêmes personnes deux fois pour obtenir essentiellement la même chose? Cela va à l'encontre de tout grand principe raisonnable.

Le président: Merci, monsieur Morton.

[Français]

Monsieur Lévesque.

M. Lévesque: Lorsque j'ai commencé ma carrière en radio à CHRL à Roberval, au début des années 1980, notre station procurait de l'emploi à une vingtaine de personnes. Elle offrait à notre région un service local de 6 heures à 24 heures et diffusait des bulletins d'information, de sport et de météo réguliers à chaque heure. Nous avions un directeur des émissions, une salle des nouvelles composée de quatre personnes, un journaliste aux sports et une équipe du matin avec des chroniqueurs et plusieurs intervenants. C'était palpitant de faire de la radio! Nous avions à cette époque près de 60 000 auditeurs.

Vers la fin des années 1980, et plus particulièrement au début des années 1990, nous avons été confrontés au phénomène du morcellement du marché publicitaire, à la multiplication des stations de radio et de télévision et à une crise économique d'une ampleur telle que nos chiffres d'affaires ont été amputés de façon catastrophique. Entre 1988 et 1993, les ventes de CHRL ont diminué de plus de50 p. 100. Vous avez bien entendu: 50 p. 100! Aujourd'hui, notre station n'emploie plus que six personnes, dont un seul journaliste, un seul animateur à temps plein et deux à temps partiel. Nous diffusons localement moins de six heures par jour. Nous n'avons plus de bulletin d'informations locales en après-midi et en soirée. Nous n'avons plus de sport local et nous n'avons plus que20 000 auditeurs.

Le tableau que je viens de vous peindre, c'est celui de ma station, CHRL, à Roberval. La même situation a été vécue au même moment à Dolbeau et à Alma, et c'est ce qui a amené la création en 1993 du Groupe Radio Antenne 6, qui regroupe aujourd'hui toutes les stations de radio du Lac-Saint-Jean à Chibougamau. En nous regroupant, nous avons pu rationaliser considérablement nos opérations et obtenir une licence FM pour la région. Ceci nous a permis de redresser la situation financière de nos stations. Notre service local, toutefois, est encore au minimum. Nous aurions beaucoup à y investir, mais les nouveaux profits restent précaires. Pour y arriver, cependant, nous misons beaucoup sur la technologie moderne et sur les possibilités énormes que nous offre l'informatique, dans laquelle nous avons déjà beaucoup investi.

Dans le contexte que je viens de vous tracer, le projet de loi C-32 constitue une menace à deux égards pour mon entreprise.

.1855

D'abord, il y a le droit de transposition. Comme je viens de vous le dire, nous misons beaucoup sur les possibilités que nous offre maintenant l'ordinateur pour accroître notre efficacité et apporter des améliorations plus que nécessaires au service local de nos stations. Ainsi, nous prévoyons transcrire sur les disques durs de nos ordinateurs le répertoire de la musique que nous désirons utiliser dans chacune de nos stations.

De plus, nous devrons régulièrement actualiser notre discothèque informatique pour y transcrire les nouveautés qui arrivent sur le marché et que les compagnies de disques nous supplient de faire tourner. Or, selon le projet de loi C-32, faute d'une exception au droit de reproduction mécanique, nos stations, pour utiliser la technologie informatique, devront payer des droits de reproduction ou risquer une amende. Même la production d'une copie de sauvegarde, essentielle pour la sécurité de la station, est considérée comme de la reproduction et est donc assujettie à ce droit.

Nous ne pouvons nous permettre d'assumer une telle dépense, d'autant plus que les redevances versées à ce titre iront aux auteurs, compositeurs et éditeurs de musique à qui nous payons déjà des sommes considérables pour avoir le droit de diffuser leur musique. La radio doit être exemptée de payer ce droit de transposition. Ce n'est qu'une question de gros bon sens.

Les droits voisins: Le projet de loi prévoit d'exempter du droit voisin la première tranche de 1 250 000 $ de recettes d'une station de radio, comme si chacune des stations de radio au pays vivait dans un vase clos et que les seules aux prises avec des problèmes financiers étaient celles qui perçoivent moins de 1 250 000 $ de revenus annuels.

Le Groupe Radio Antenne 6 exploite cinq petites stations ayant un chiffre d'affaires qui dépasse les 2 millions de dollars. La création de notre entreprise en 1993 nous a permis de mettre fin au déficit accablant qu'enregistrait individuellement chacune des stations de la région d'année en année. Le léger profit que nous dégageons maintenant vient du fait que nos stations les plus performantes appuient à maints égards les stations qui ont le plus de difficulté.

L'une de nos stations franchira probablement d'ici deux ans le seuil du million et quart de revenus établi dans le projet de loi. Évidemment, elle contribuera davantage au redressement des autres stations en assumant une part plus importante de plusieurs dépenses que les autres stations ne peuvent assumer seules, comme les frais de la direction générale et de la comptabilité, ou des dons généreux par exemple.

Le nouveau droit voisin vient amputer la capacité de notre station la plus performante à appuyer les efforts de redressement de nos stations en difficulté et réduira notre capacité d'investir dans la programmation locale et dans les services à notre collectivité. À plus ou moins brève échéance, nous serons obligés de prendre les décisions que nous tentons d'éviter aujourd'hui.

Nous versons actuellement en droits d'auteur plus de 60 000 $ par année. C'est le salaire annuel de deux animateurs à temps plein. Nous trouvons aberrant de devoir payer des sommes supplémentaires à des compagnies de disques parce que nous faisons jouer en ondes de la musique que nous les aidons à vendre.

Le projet de loi reconnaît la valeur de la radio pour l'industrie de la musique puisqu'il détermine un seuil d'exemption et qu'il affranchit même totalement les radios communautaires. Pourtant, toutes les stations, peu importe leur taille, rendent le même service à leurs auditeurs, aux maisons d'enregistrement et aux artistes.

La radio a depuis toujours contribué au succès de l'industrie de la musique, cela spécialement au Québec. Quotidiennement, les compagnies de disques sont en contact avec nos stations pour que nous mettions à l'antenne leurs dernières nouveautés. Elles savent bien que le fait de tourner à la radio est indispensable au succès d'un artiste-interprète. Particulièrement rentable depuis de nombreuses années, l'industrie de la musique fait contraste avec celle de la radio qui vit des heures sombres, alors qu'un nombre sans précédent de stations se sont éteintes depuis une décennie.

Le projet de loi C-32 fait fi de toutes ces considérations. Si le législateur se sent l'âme de Robin des Bois, il ferait bien de relire l'histoire, car celui que j'ai connu prenait aux riches pour donner aux pauvres et non pas l'inverse. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lévesque. J'aimerais demander aux députés s'ils ont des questions. Monsieur Leroux, je vous accorde cinq minutes.

M. Leroux (Richmond - Wolfe): Vous croyez que j'ai des questions?

Le président: Je le pense.

M. Leroux: Je voudrais d'abord vous remercier de votre présentation. Lorsque notre comité a accepté de participer à une table ronde avec les radios en provenance des régions, c'était en vue de s'informer des répercussions du projet de loi C-32 dans leur vie, leur viabilité et leur marché.

D'ailleurs, je dois vous dire que j'entends des choses qui me font sursauter. Je sens que vous êtes très fermes et très énergiques. L'Association canadienne des radiodiffuseurs vous a envoyés au front avec un bon discours.

.1900

Il est très intéressant que vous défendiez avec tant d'énergie tout cet espace que vous occupez et de vous entendre parler de vos inquiétudes majeures quant à la fermeture de vos stations et aux conséquences catastrophiques que vous entrevoyez.

J'aimerais essayer de dédramatiser un petit peu la situation. L'objectif de la Loi sur le droit d'auteur date de 1924; il ne fut révisé pour la première fois qu'en 1985. Nous essayons de déterminer quelle place devraient prendre, dans tout ce marché, les ayants droit, ceux qui font la matière première, les créateurs, ceux que les droits voisins concernent, c'est-à-dire les interprètes et les maisons de production. On ne parle pas de n'importe qui. On parle de ceux qui font la matière première. J'imagine que vous payez vos frais fixes à tout le monde, que vous payez vos frais bancaires, etc. Ici, on parle de personnes qui font la matière première.

Notre objectif doit être de reconnaître des choses fondamentales, et je ne pense pas qu'une démarche nous mettant à l'abri de la reconnaissance du droit d'auteur serait fructueuse. Regardez le projet de loi qui est sur la table. On a déjà réagi. On se trouve devant un projet de loi qui établit des droits d'auteur et dont les quelque 13 premières pages expliquent qu'ils sont pour ainsi dire inexistants. Quand par la suite le projet de loi veut reconnaître des droits voisins, tous viennent s'installer à une table pour nous dire qu'ils doivent en être exemptés. Où allons-nous avec ça?

Sensibilisé à l'impact économique que le projet de loi pourrait avoir, le législateur a prévu une exemption pour certaines petites stations. Combien de stations du Groupe Radio Antenne 6 seront exemptées en vertu du seuil de 1 250 000 $?

M. Lévesque: Si la loi était en vigueur aujourd'hui, aucune de mes stations n'aurait à payer plus de 100 $.

M. Leroux: Puisque vous en avez cinq, ça vous coûterait 500 $ par année.

M. Lévesque: Par contre, d'ici quelques années, dans un avenir très prochain, une de mes stations va franchir ce cap et elle devra contribuer aux droits voisins. Cette station est importante pour nous parce qu'elle contribue actuellement à redresser la situation des autres. Elle nous permet de moderniser nos stations et de maintenir un service local qu'on doit augmenter. Comme je le précisais, si on a eu des problèmes dans nos stations, c'est parce qu'on a dû réduire notre service local. On ne pourra pas regagner notre auditoire et nos revenus dans nos marchés si on ne renverse pas la vapeur et si on ne redonne pas à nos auditeurs ou aux gens de nos milieux davantage de raisons de nous écouter. Cela se fera grâce à une plus grande présence dans nos milieux et non pas en retransmettant les émissions de CKAC Montréal. Cela se fera par la diffusion d'émissions locales.

M. Leroux: Je comprends très bien la réalité régionale. Je vous remercie de la détailler comme vous le faites. Il est important de pouvoir témoigner du milieu de vie dans lequel on est, particulièrement chez vous au Lac-Saint-Jean, et je pense que vous faites ce travail-là. Mais vous dites que votre station dépassera le seuil de 1 250 000 $ dans deux ans. La loi prévoit une progression sur cinq ans à cet égard. Vous vous attendez peut-être à devenir un joueur qui va partager quelque chose. Y a-t-il d'autres stations représentées autour de cette table qui dépassent le seuil de 1 250 000 $? Deux d'entre vous.

[Traduction]

M. Dietrich: Si je peux intervenir; je serai ravi quant à moi de verser les droits voisins, mais ne me demandez pas de faire tourner 30 p. 100 de musique canadienne. Donnez-moi le droit de choisir la musique que j'aime.

[Français]

M. Leroux: Je vais revenir avec ces questions plus tard, après celles que j'adresserai à chacun. J'ai lu les rapports.

Dans votre rapport, vous parlez des profits faramineux qu'enregistrent les grandes compagnies de disques comme MCA, PolyGram et Sony. J'aimerais qu'on replace ces renseignements dans leur contexte, parce que nous ne pourrons avancer qu'en nous basant sur des informations vraies. Le rapport Donner stipule que les grandes maisons de disques ont toujours été rentables. Vous avez raison. Il ajoute toutefois et je cite:

.1905

Est-ce qu'on peut faire une distinction, comme vous l'écriviez dans votre rapport, entre les maisons d'enregistrement sous contrôle étranger et les maisons sous contrôle canadien?

J'ajoute que le rapport Donner stipule que sept disques sur 10 entraînent une perte d'argent et que le salaire moyen d'un musicien au Canada est de 13 700 $. J'ai sursauté plus tôt quand vous avez parlé d'artistes très riches. On se base sur des impressions ici, autour de cette table, tout comme lorsqu'on entendait certains soutenir que les droits voisins étaient appliqués aux États-Unis. Tant qu'on n'a pas signé la convention sur les droits voisins, la Convention de Rome, elle n'est pas applicable. On n'en reçoit pas au Canada; on n'en paie pas parce qu'on n'a pas signé la convention. La même chose prévaut aux États-Unis.

J'aimerais que vous précisiez si vous faites une nuance entre les compagnies étrangères et les compagnies canadiennes quand vous faites allusion à leur grande richesse. Partagez-vous la réalité exprimée dans le rapport Donner?

M. Lévesque: J'ai basé mes commentaires sur les données qu'on a obtenues lorsqu'on a comparé deux industries. Évidemment, dans toute industrie, il y a des entreprises qui sont rentables et d'autres qui ne le sont pas. Cela a toujours été le cas et ce le sera toujours. Dans la radio, il y a des entreprises qui ne sont pas rentables et d'autres qui le sont actuellement. Mais quand on regarde l'ensemble de l'industrie, on voit qu'il y a un monde entre les bénéfices de l'industrie de la musique et les pertes accumulées de la radio.

M. Leroux: J'aimerais poser une question au représentant de Monarch Broadcasting Ltd. Dans votre rapport, on allègue que le rapport Donner stipule que la moitié de l'argent recueilli en droits voisins quitterait le Canada et que les nouveaux artistes n'auraient droit qu'à 1 ou 2 p. 100 des droits voisins. Vous alléguez aussi que les profits de 1993-1994 ont connu une hausse faramineuse.

Le rapport Donner ne dit-il pas que, selon la formule des droits voisins établie, il se pourrait qu'au chapitre des transferts monétaires entre les pays et le Canada, le Canada soit bénéficiaire? C'est une affirmation qui est faite dans le rapport Donner.

Vous dites que dans leur rapport sur l'industrie de la musique, les producteurs disent que les stations qui ne peuvent payer leurs droits voisins devraient fermer. Or, ce n'est pas ce que dit ce rapport. Je vous citerai un extrait, à la page 123, qui affirme le contraire:

N'est-ce pas ce que précise actuellement le projet de loi, soit que toutes les stations de radio dont les revenus sont inférieurs à 1 250 000 $ seront exemptées et ne payeront que 100 $?

Pourquoi tenir des propos qui vont à l'encontre de ceux du rapport Donner?

[Traduction]

M. Dietrich: Il y a trois problèmes. Les droits voisins en sont un, et les stations qui gagnent moins de 1,2 million de dollars n'en verseront pas. Mais qu'arrive-t-il des droits éphémères? Il faudra verser des droits pour pouvoir différer la diffusion. Il y aura des droits pour la transposition à partir de supports spéciaux. Il y aura d'autres coûts.

Je comprends votre argument, que tout le monde profiterait de l'exemption de 1,25 million de dollars, mais il y a d'autres coûts. Il ne s'agit pas simplement de l'exemption pour les stations dont les revenus sont inférieurs à 1,25 million de dollars. Il y a d'autres coûts connexes.

En ce qui concerne les droits éphémères, si une émission réalisée à Toronto est diffusée à20 heures à Toronto et que je la diffuse en direct à 18 heures, je ne paierai pas de droits. Mais pourquoi la mettrais-je en ondes à 18 heures si je peux trouver un plus grand auditoire à 20 heures? Je l'enregistrerais en vue d'une diffusion ultérieure. Si je dois payer pour la diffusion en différé, ce coût ne sera pas couvert par l'exemption de 1,25 million de dollars.

J'aimerais aussi vous poser une question, monsieur, si vous me le permettez. Vous affirmez que nous utilisons la musique de l'industrie du disque et que nous devrions payer pour cela. Je possède une station de télévision, et le câblodistributeur capte mes émissions et utilise des bulletins de nouvelles que j'écris, crée et réalise. Il capte mon signal, le transmet sur son câble et en tire des revenus. Cette activité serait-elle visée par les droits voisins? Pourrais-je exiger des droits du câblodistributeur?

.1910

C'est exactement ce que prévoit le projet de loi sur le droit d'auteur: nous paierions les créateurs, les musiciens, pour l'utilisation de leurs produits. Alors, je pense que les câblodistributeurs devraient me payer. Les radiodiffuseurs seraient-ils visés par les droits voisins? Je pense que oui.

Le président: Monsieur Abbott.

M. Abbott (Kootenay-Est): J'aimerais avoir l'opinion des membres de la table ronde. Vous opposez-vous aux droits voisins par principe ou parce que vous craignez que les coûts augmentent par la suite - autrement dit, vous avez atteint le seuil de 1,25 million de dollars, à 100 $? Qu'est-ce qui vous inquiète le plus?

M. Morton: Je m'inquiète surtout des pénalités financières qui en découlent. Je suppose que les deux m'inquiètent.

M. Abbott: Pardonnez-moi, mais je voudrais m'en tenir aux droits voisins. Nous examinerons l'autre question dans un instant.

M. Morton: Je parle toujours des droits voisins. Je ne pense pas que nous demandions vraiment une exception. Nous demandons que la valeur des services que nous fournissons déjà soit reconnue dans le projet de loi. Ce n'est pas la même chose que demander à ne pas payer les droits. Nous sommes très utiles actuellement.

M. Abbott: Je comprends votre point de vue et je ne cherche pas la confrontation mais, dites-moi monsieur Lombardi, vos stations devraient-elles verser plus que le droit de 100 $?

M. Lombardi: Oui, ma propre station paierait plus que le droit de 100 $, mais j'aimerais donner des explications. À cause des frais énormes que comporte la diffusion d'émissions dans un nombre aussi élevé de langues, certaines de mes stations ethniques affichent peut-être un revenu brut raisonnable, mais quand on tient compte des dépenses pour toutes les langues, il ne reste plus grand-chose.

Une station unilingue qui a des revenus annuels de 5 millions de dollars, par exemple, peut en conserver peut-être de 10 à 20 p. 100. Les stations ethniques, en particulier les miennes, CHIN-AM et CHIN-FM, ont des revenus combinés d'environ 5 millions de dollars, ce qui veut dire 2,5 millions de dollars par station. Mais si nous surveillons nos coûts et continuons de réduire nos effectifs, nous pourrons peut-être en conserver 8 p. 100. C'est ce que révélait la dernière vérification comptable.

Nous devons maintenir nos coûts à des niveaux peu élevés et nous ne cessons de réduire nos effectifs. Ainsi, je travaille à la station sept jours par semaine, croyez-moi, le dimanche aussi, quand je suis à la télévision, et CHIN Radio n'a pas les moyens de payer le président. Je ne touche pas un sou de salaire.

M. Abbott: Mais permettez-moi de me faire l'avocat du diable.

Il y a Bryan Adams et Céline Dion, et le Canada a besoin de beaucoup d'autres de ce calibre, mais il y a aussi des artistes qui meurent de faim, et vous affirmez qu'ils sont assez payés parce que leurs cassettes ou leurs disques passent à l'antenne, ce qui accroît leurs revenus, encore que pas directement.

Pouvez-vous voir la situation par l'autre bout de la lorgnette? Ils disent qu'ils s'en moquent que vous ne soyez pas payé, monsieur Lombardi, c'est votre problème. Mais vous obtenez pour5 millions de dollars de revenus - et je ne parle pas de vous personnellement, je fais une déclaration générale - alors, pourquoi l'artiste affamé ne pourrait-il pas en obtenir une partie?

M. Morton: Si vous vous inquiétez des artistes qui meurent de faim, le projet de loi ne changera rien à leur situation. Premièrement, le public qui achète des disques croit qu'il y a deux genres de musique: la bonne et la mauvaise. Il achète la bonne, mais pas la mauvaise.

.1915

Il est évident que la règle sur le contenu canadien nous oblige à faire jouer 30 p. 100 de musique canadienne. Mais si un disque ne plaît pas, si nous n'obtenons pas une réaction positive du public, il est retiré du palmarès. Il ne tourne plus.

Ce qui est le plus utile pour un artiste, c'est que sa musique tourne, qu'elle reste au palmarès. L'industrie est impitoyable et retire la musique qui n'obtient pas une réaction positive, parce qu'elle en paie les conséquences autrement. On peut perdre un grand nombre de fidèles auditeurs acquis au fil des années.

Je ne connais aucun directeur de programmes qui ne donne pas de place aux artistes canadiens, qui n'aime pas la musique canadienne et qui ne lui donne pas toutes les possibilités de réussir. Mais quand on commence à payer pour faire jouer la musique, la bonne volonté et la fierté nationale en prennent pour leur rhume. Cela devient purement une question de sous.

[Français]

M. Lévesque: Les radiodiffuseurs ne s'opposent pas aux droits voisins. Nous avons tout intérêt à travailler de concert avec l'industrie de la musique. De part et d'autre, nous avons tout à gagner à travailler ensemble. Il faut comprendre ce que nous disons. Nous disons que la rémunération que nous donnons aux artistes est basée sur le fait de les faire jouer et de faire passer leurs pièces sur les ondes.

Nous considérons que c'est une juste rémunération que nous leur versons, et c'est la raison pour laquelle nous demandons à être exemptés du paiement des droits. On les passe quotidiennement sur les ondes et cela nous fait extrêmement plaisir. Plus ils produisent de bonnes choses, meilleurs ils seront et meilleurs nous serons également.

[Traduction]

M. Abbott: Monsieur Daggett, le décalage horaire vous ennuie tout particulièrement.

M. Daggett: Oui. Essentiellement, tous ceux qui sont en dehors du marché ontarien et québécois ont des ennuis.

M. Abbott: Sauf pour votre merveilleuse petite demi-heure.

M. Daggett: Exactement. Le décalage horaire est un grand problème, parce qu'une émission qui débute en Ontario à 19 heures débute à 20 h 30 à Terre-Neuve, c'est évident.

Ce qui arrive, c'est que plus la soirée avance, moins les gens écoutent. Alors, si une émission entre en ondes en Ontario à 21 heures, c'est beaucoup trop tard pour que nous la diffusions. Nous ne nous donnons même pas la peine de le faire. Mais vous trouverez la situation inverse dans d'autres régions du pays. C'est trop tôt. Cela pose donc des difficultés.

Je le répète, les émissions commencent au début de l'heure. Nous ne pouvons pas faire débuter à la même heure une émission qui provient d'ailleurs. C'est simple, mais j'essaie de faire ressortir les effets du projet de loi.

M. Abbott: Mais en tant que radiodiffuseurs - et j'ai posé la question à l'Association canadienne des radiodiffuseurs hier matin...

Je me soucie beaucoup - c'est un peu mon cheval de bataille - du fait que nous sommes en train de perdre les nouvelles locales, les nouvelles sportives locales, les entrevues avec des personnalités locales à la radio locale. On soutient que, s'il y a des coûts d'observation supplémentaires et des besoins de personnel supplémentaire en conséquence, nous allons les perdre encore plus.

C'est probablement un argument fondé, mais je me demande si l'exemption ne contribuerait pas simplement à ce que certains appellent la modernisation ou la rationalisation, à des studios que fait fonctionner une seule personne. Sommes-nous en train de perdre la capacité de fournir des services locaux et de présenter les personnalités locales?

M. Daggett: À Corner Brooks, nous étudions la possibilité... Nous captons le signal satellite du réseau PRN à Mississauga. Nous en diffusons des parties durant la journée, exactement comme vous venez de l'évoquer.

L'acquisition d'un système sur disque dur nous permettra de contrôler la programmation locale. Nous pourrons donner une saveur plus locale à notre station, et toutes les émissions seront réalisées à Corner Brook.

Elles seront préenregistrées dans la journée et diffusées à un autre moment. Si nous devons payer les droits de décalage et de transposition, les coûts de démarrage seront plus élevés tout comme les frais d'exploitation. Il serait plus simple pour nous de continuer à nous alimenter par satellite.

M. Abbott: C'est très important.

Le président: Brièvement, monsieur Abbott, très brièvement.

M. Abbott: Je veux comprendre comment vous fonctionnez à Corner Brooks, en 30 secondes ou moins.

M. Daggett: Nous sommes en direct de 6 heures à 9 h 30. De 9 h 30 à midi, nous captons des émissions diffusées par satellite à partir de Mississauga. Nous revenons en direct de midi à 13 h 30, puis reprenons la diffusion des émissions de réseau par la suite.

.1920

M. Abbott: D'accord. Si vous n'obtenez pas l'exemption, que se passera-t-il?

M. Daggett: Le plus gros problème touche à la transposition. Ainsi, si nous voulons diffuser des émissions locales à partir du disque dur, et que nous devons verser des droits supplémentaires pour mémoriser sur ce disque dur une partie de la musique locale que nous voulons passer en ondes, cela devient beaucoup moins faisable. Il serait beaucoup plus simple de capter les émissions nationales de Mississauga.

M. Abbott: D'accord. Merci.

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney (Hamilton Mountain): Merci, monsieur le président.

Je dois admettre que tout ceci est nouveau pour moi et qu'il s'agit d'un domaine très technique, mais j'ai survécu au projet de loi sur le contrôle des armes à feu, alors je devrais survivre à celui-ci. J'ai étudié le problème. Nous l'avons fait ensemble. Nous avons déjà entendu certains témoins.

Premièrement, pouvez-vous me dire quelles dispositions du projet de loi prévoient de nouvelles exigences concernant les droits éphémères et la transposition sur un autre support? Pouvez-vous me dire où je vais trouver ces nouvelles exigences?

M. Morton: Je crois que le problème découle des non-dits, n'est-ce pas? Il y a eu un arrêt, Bishop contre je ne sais qui. Le tribunal a tranché que... je ne sais pas quelle était la décision exacte, mais... Par son silence, le projet de loi confirme cet arrêt.

Mme Phinney: N'est-il pas juste d'affirmer que le projet de loi renforce les dispositions qui s'y trouvent déjà? Tout ce qui a changé, c'est que les auteurs pourront exercer plus facilement les droits déjà prévus dans la Loi sur le droit d'auteur. N'est-ce pas l'objet du projet de loi? Et n'est-ce pas tout ce que fait le projet de loi à propos de la transposition sur un autre support et des droits éphémères? Il renforce ce qui s'y trouve déjà.

M. Morton: Pas que je sache, non. Les tribunaux ont donné une interprétation, mais il est certain que...

Mme Phinney: Je ne vous interroge pas sur ce procès en particulier.

M. Morton: D'accord.

Mme Phinney: À votre avis, la loi vous oblige-t-elle à verser des droits d'auteur sur tout ce que vous utilisez?

M, Osborne: Oui. À la radio, nous versons à la SOCAN des droits de 3,2 % qui sont remis aux auteurs-compositeurs.

Mme Phinney: Alors vous avez une espèce de contrat, qui vous permet de capter de la musique par satellite et de la mémoriser probablement dans votre ordinateur. Vous la transcrivez d'un support à l'autre, puis elle est prête à passer en ondes. Le formulaire que vous remplissez et signez indique le nombre de semaines et de mois d'utilisation. Vous concluez un marché à ce moment-là. N'est-ce pas suffisant? Prenez-vous tous ce genre de dispositions ou diffusez-vous la musique sans verser de droits d'auteur?

M. Morton: Nous versons tous des droits d'auteur.

Mme Phinney: Vous préféreriez peut-être ne pas répondre à cette question.

M. Morton: Nous versons tous des droits d'auteur.

M. Osborne: Nous en payons tous.

Mme Phinney: Vous payez tous des droits d'auteur.

M. Morton: Oui, mais pas pour la transposition mécanique.

Mme Phinney: Quel est le problème, alors? Le projet de loi renforce simplement ce que vous devriez faire, c'est-à-dire verser des droits d'auteur.

M. Morton: Non. Il va beaucoup plus loin.

Mme Phinney: Pouvez-vous m'indiquer à quel endroit? Je ne vois pas trop où.

M. Morton: Non, je crains de ne pas pouvoir le faire. Je ne suis pas avocat et je n'ai pas le projet de loi sous les yeux, mais...

Mme Phinney: Alors, vous pensez qu'à l'avenir, il pourrait aller plus loin ou...

M. Morton: Non. Tous les renseignements que nous avons obtenus de l'Association canadienne des radiodiffuseurs et de leurs conseillers juridiques, ainsi que de la British Columbia Association of Broadcasters et de leurs conseillers... Je peux vous citer des déclarations de...

Mme Phinney: Non. J'aimerais savoir où cela se trouve exactement dans le projet de loi. J'ai étudié le projet de loi et je ne vois rien de neuf au sujet du droit d'auteur. Je ne vois rien de neuf au sujet des transpositions. Je ne vois rien de neuf au sujet des enregistrements éphémères. Tout ce que fait le projet de loi, c'est vous faire verser des droits sur les oeuvres d'un compositeur.

M. Morton: Non.

M. Dietrich: Nous versons déjà des droits d'auteur, madame. On nous demande d'en verser d'autres pour pouvoir effectuer des transpositions sur un autre support ou pour diffuser des émissions en différé.

M. Morton: Pardonnez-moi. Puis-je simplement donner un exemple? Vous savez que nous...

Mme Phinney: Non. Aucun d'entre vous ne peut trouver les dispositions du projet de loi qui prévoient que vous verserez des droits supplémentaires.

M. Osborne: Je suis désolé, madame, mais nous n'avons pas apporté d'exemplaire du projet de loi.

Mme Phinney: Serait-il possible, monsieur le président, de demander aux attachés de recherche si...

Le président: Pour l'instant, madame Phinney, je pense que nous pouvons nous contenter d'interroger les témoins. Les attachés de recherche pourront nous conseiller à ce sujet. Les témoins répondront du mieux qu'ils peuvent.

Mme Phinney: D'accord.

Pouvez-vous me dire approximativement combien vous paieriez - n'importe lequel d'entre vous peut répondre - en vertu d'un de ces contrats, si votre station recevait une pièce de musique et que vous aviez signé un contrat de ce genre? Vous paieriez approximativement combien?

.1925

M. Osborne: Nous versons 3,2 p. 100 de tous les revenus de la station, pas seulement sur la musique canadienne que nous faisons tourner. Cela n'a rien à voir avec la musique; ce sont les revenus publicitaires, ou l'argent qui entre à la station. Alors, si la station a des ventes brutes ou un revenu brut d'un million de dollars, nous en versons 3,2 p. 100 directement à la SOCAN.

Mme Phinney: Quelle somme cela représente-t-il approximativement, en plus de ce qui est prévu au contrat?

M. Daggett: Nous ne le savons pas.

M. Dietrich: Personne n'a fixé la valeur des droits.

Mme Phinney: Qu'avez-vous versé jusqu'ici?

M. Dietrich: Nous versons 3,2 p. 100 de notre revenu brut.

Mme Phinney: Combien allez-vous payer en plus, pour les deux activités que j'ai indiquées; la transposition sur un autre support et les enregistrements éphémères? Quel montant supplémentaire paierez-vous?

[Français]

M. Lévesque: On ne sait pas combien on va payer. C'est la Commission du droit d'auteur qui va fixer les taux.

[Traduction]

Mme Phinney: Merci.

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Bélanger (Ottawa - Vanier): Merci, monsieur le président.

Ma collègue a soulevé une question intéressante. Je crois moi aussi que le projet de loi ne crée pas de nouveaux droits d'auteur dans le cas d'une transposition sur un autre support, malgré l'arrêt de 1990. Le projet de loi met en place des recours qui effraient peut-être. C'est notre impression collective, et nous pouvons peut-être tous nous entendre là-dessus. Nous pourrions donc peut-être mettre l'accent sur ces recours, mais je voudrais revenir un instant sur la question des droits éphémères ou des exceptions, monsieur le président.

J'ai écouté avec attention les exemples donnés pour invoquer cette exception ou ce droit. Ils se rapportaient à la diffusion en différé. J'ai déjà posé la question et je vais vous la poser à vous aussi. Quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi vous voulez pouvoir différer une émission de six mois plutôt que d'un jour ou deux, comme dans vos exemples. Voilà une première question.

La deuxième est devenue un peu plus claire. Dans certains cas, vous voulez pouvoir invoquer ce droit ou cette exception à la diffusion en différé afin de pouvoir reporter la mise en ondes à une heure qui permet d'atteindre un plus grand auditoire et d'accroître ainsi vos revenus, probablement. Si tel est bien le cas, ne croyez-vous pas qu'il conviendrait de partager une partie de ces revenus supplémentaires avec ceux dont les oeuvres vous permettent d'accroître vos revenus?

Avez-vous discuté de l'idée des exceptions éphémères à une première diffusion? Je suppose que nous entendons par cette expression que votre droit ou votre exception expire à la première diffusion, afin que ce problème du décalage ne se pose pas.

Dernière question: Si vous avez effectivement des difficultés à administrer les droits par suite du projet de loi, comment tenir compte de la tâche administrative consistant à prouver ou à faire en sorte que, même après six mois, tout est effacé comme il se devrait?

M. Dietrich: Monsieur le président, j'aimerais répondre à quelques questions.

Le délai de six mois, tel qu'il s'appliquerait à notre station, est lié au fait que lorsqu'on achète une émission, on achète le droit de la diffuser deux fois. On achète le droit à une première diffusion et le distributeur nous donne le droit de rediffuser l'émission une autre fois. Il faut attendre au moins six mois avant de pouvoir rediffuser la même chose. Voilà pourquoi nous demandons six mois. À la radio, 48 heures suffisent la plupart du temps, mais il arrive souvent que...

Quelqu'un a donné aujourd'hui l'exemple de l'homélie faite par un prêtre un dimanche matin et dans laquelle ce dernier voudrait faire allusion à l'homélie qu'il a faite cinq semaines auparavant ou le fait qu'il part en vacances et...

M. Bélanger: Il n'y a pas de droit d'auteur là-dessus.

M. Dietrich: Et la musique jouée au cours du service religieux?

Je pense qu'il serait possible de nous donner plus de souplesse. Je pense que l'auditoire plus nombreux que permet la diffusion en différé est avantageuse pour les deux parties. Cet auditoire plus nombreux nous rapporte davantage, mais il nous occasionne aussi des frais plus élevés. Il me coûte plus cher d'acheter une émission pour diffusion aux heures de grande écoute que pour diffusion en après-midi.

L'auditoire plus nombreux est aussi un avantage pour l'artiste. Si cette émission était diffusée à 6 heures du matin, elle ne serait pas écoutée par beaucoup de monde. Les artistes ne se produiraient pas devant des foules importantes. Aux heures de grande écoute, ils ont beaucoup plus de chance de déployer leurs talents devant une foule acceptable.

.1930

M. Morton: J'aimerais ajouter quelque chose aux propos de Dwaine. Pour reprendre son exemple, s'il doit remplacer son bulletin de nouvelles de 18 heures par une émission qui vient de Toronto et qu'il faut diffuser à 18 heures, il ne fera pas plus d'argent, il en fera moins, parce que le bulletin de nouvelles ne peut pas être diffusé et que les annonceurs ne seront probablement pas très intéressés à patronner une émission qui change constamment de place sur la grille-horaire.

Le président: Nous avons presque écoulé le temps qui avait été alloué à ces témoins. Mes collègues, M. Peric et M. Solberg, ont demandé à poser une brève question, si les membres sont d'accord.

M. Peric (Cambridge): Monsieur le président, je sais que le temps file. Merci de me donner la parole.

Monsieur Dietrich, j'ai une brève question pour vous. Vous avez déclaré, ou peut- être plutôt prétendu, que quelqu'un cherche une occasion de s'enrichir. Pouvez-vous être un peu plus précis?

M. Dietrich: Pour reprendre ma comparaison avec les logiciels, quelqu'un peut acheter un logiciel et l'installer sur son disque dur sans verser de droits, mais dans notre domaine, si je veux prendre un disque compact et le mémoriser sur le disque dur afin d'y avoir accès dans mon système, je dois verser des droits. Quelle est la différence? Il me semble que si je dois payer pour cela, quelqu'un en tirera un profit quelconque. Pourquoi? Pourquoi une exception dans ces deux cas?

M. Peric: Qui est ce quelqu'un?

M. Dietrich: C'est la question que je pose. Qui est ce quelqu'un? J'aimerais savoir qui est derrière tout cela. Je me pose la question moi aussi.

M. Peric: Monsieur le président, j'ai d'autres questions pour les autres témoins, mais puisque le temps presse...

Le président: Vous êtes gentil, monsieur Peric. Je vous remercie.

Monsieur Solberg, une très brève question, parce que nous prenons du retard.

M. Solberg (Medicine Hat): Merci, monsieur le président, je l'apprécie.

Premièrement, j'ai choisi mon camp. Ayant été moi-même radiodiffuseur, j'ai de la sympathie pour ceux qui sont venus témoigner aujourd'hui.

La question qui intéressait Mme Phinney et sur laquelle les gens se sont un peu butés est celle des droits éphémères, de la diffusion en différé et tout le reste. Si je comprends bien la situation, à cause de l'arrêt Bishop, les radiodiffuseurs pourraient prêter le flanc à des poursuites s'ils transposent, par exemple, des oeuvres d'un support à un autre. Alors le problème que pose le projet de loi C-32 n'est pas ce qui s'y trouve mais ce qui manque. Aucune exception n'est prévue.

Si les témoins veulent bien me dire ce qu'ils en pensent... Je pense avoir bien compris.

J'aimerais conclure en disant que, si le ministère du Patrimoine canadien ne peut proposer des mesures législatives plus intelligentes que celles-ci et tenir compte de ces préoccupations très évidentes et très graves, alors je me demande vraiment ce que font ces gens-là.

Le président: Monsieur Lévesque, messieurs, je vous remercie d'être venus témoigner. Nous vous remercions de votre témoignage et de vos exposés. Les questions vous auront démontré l'intérêt que les gens portent à ce sujet. Merci d'être venus.

.1933

.1936

[Français]

Le président: Je voudrais accueillir les représentants de la SODRAC, la Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada, et en particulier Mme Diane Juster, la présidente. Madame Juster, pourriez-vous nous présenter vos collègues, s'il vous plaît?

Mme Diane Juster (présidente, Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada): Je vous présente M. François Cousineau et M. Stéphane Tremblay, mais, avant tout, je vais vous présenter nos auteurs: Germain Gauthier, compositeur, Frédéric Weber, compositeur, et Pierre Bertrand, auteur-compositeur du groupe Beau Dommage.

J'aimerais aussi vous faire remarquer que M. Cousineau, M. Gauthier et M. Weber sont des compositeurs et non des interprètes et que même les auteurs-compositeurs-interprètes écrivent souvent en collaboration avec d'autres auteurs. Je voulais faire cette remarque avant de commencer. Tous ont été ou sont encore membres du conseil d'administration de la SODRAC.

Je vous présente également Claudette Fortier, directrice de la SODRAC, ainsi queMme Francine Bertrand, conseillère juridique de la SODRAC.

Mesdames, messieurs les députés et membres du comité, je voudrais d'abord dire un mot sur l'organisme que nous représentons. La SODRAC est la Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada. Elle est la seule société d'auteurs au Canada qui appartient à ses membres et dont la mission est de percevoir les droits de reproduction des auteurs et des compositeurs. La Société est titulaire du droit de reproduction par voie de cession consentie par ses membres. Elle rassemble 3 200 auteurs et compositeurs canadiens.

Si nous sommes devant vous aujourd'hui, c'est parce que le projet de loi C-32, dans sa forme actuelle, aurait des conséquences graves pour les auteurs-compositeurs et les créateurs canadiens. Le projet de loi modifiera de façon inacceptable à nos yeux la Loi canadienne sur le droit d'auteur. Il s'attaque au fondement même du droit d'auteur et entraînera une grave érosion des droits des créateurs.

.1940

Nous sommes déçus, et que dire d'autre? Avec toutes les difficultés que les auteurs-compositeurs éprouvent déjà à faire respecter leurs droits, on s'attendait plutôt à ce que le gouvernement renforce leur position. C'est le contraire que nous avons trouvé dans le projet C-32.

Pour nous, la Loi sur le droit d'auteur ne peut être efficace que si la notion de droit d'auteur reste entière et intacte.

Le premier problème, ce sont les exceptions. Introduire des exceptions pour les écoles, les musées, les archives et les bibliothèques, c'est ouvrir la voie à d'autres exceptions, c'est ouvrir une brèche béante dans un droit fondamental, une brèche que ne tarderont pas à exploiter indirectement les utilisateurs commerciaux. Faire une exception, c'est comme suspendre le droit fondamental de l'auteur, son droit patrimonial. Un droit ne peut pas faire l'objet d'exceptions. Un droit est un droit, et le droit de l'auteur doit rester intégral pour lui permettre de négocier librement avec tous les utilisateurs de son oeuvre.

Les créateurs sont parfaitement capables, monsieur le président, et ils l'ont d'ailleurs prouvé, de tenir compte du rôle public de certains utilisateurs. Eux aussi ont intérêt à ce que leurs oeuvres soient diffusées le plus largement possible, il ne faut pas l'oublier. Tout cela est aussi une question de droit de regard de l'auteur sur l'utilisation et la vie économique de son oeuvre. Encore une fois, il lui appartient en toutes circonstances de céder ou de ne pas céder le produit de sa créativité et de son travail à un utilisateur particulier. En ce sens, introduire des exceptions, c'est nier le droit d'auteur lui-même.

Nous demandons au gouvernement de renoncer à l'idée de faire des exceptions dans l'application de la Loi sur le droit d'auteur et de laisser les mécanismes de la libre négociation régir les rapports entre les créateurs et les utilisateurs, quels qu'ils soient.

La Loi sur le droit d'auteur est déjà suffisamment difficile à faire respecter comme cela sans que le législateur, par l'introduction d'exceptions, ne vienne rendre la situation encore plus difficile.

Le deuxième problème important de ce projet de loi est celui de la terminologie employée pour des droits consentis aux artistes-interprètes, aux producteurs et aux signaux de communication des diffuseurs. Le législateur leur accorde un droit voisin en l'appelant un droit d'auteur, et il y a là une grave erreur.

Nous ne sommes pas contre les droits des artistes, des interprètes, des producteurs ou des diffuseurs, mais pour cela, il faut que le droit voisin soit totalement distinct du droit d'auteur. En effet, ce ne sont pas des droits d'auteur, mais des droits voisins, voisins du droit d'auteur, des neighbouring rights que doivent avoir les artistes-interprètes et les producteurs. La loi doit être claire à ce sujet comme elle l'est dans plusieurs autres pays du monde. Ceci, pour nous, est fondamental.

Enfin, le troisième point très important est qu'il faut éviter à tout prix, comme les diffuseurs en font la revendication dans leurs nombreux mémoires, d'introduire une exemption pour les enregistrements dits éphémères.

Le droit d'auteur, tel qu'exprimé dans la loi de 1924, reconnaît deux droits distincts et comporte deux éléments principaux: dans un premier temps, le droit d'exécution publique perçu lors des concerts et des exécutions à la radio ou à la télévision; deuxièmement, le droit de reproduction, un droit rattaché à l'oeuvre lorsqu'elle est reproduite sur un support, quel qu'il soit. C'est de ce deuxième droit que je viens vous parler, et c'est la SODRAC qui s'occupe de gérer ce droit de reproduction.

.1945

L'un et l'autre de ces droits ont été reconnus légitimes et distincts par la Cour suprême en 1990. Or, ce droit de reproduction s'est révélé très difficile à percevoir chez les diffuseurs, qui ont tout fait et continuent de tout faire pour être exemptés de le payer. Les auteurs-compositeurs sont pourtant la matière première de leur commerce. Cette attitude des diffuseurs est révoltante. Quel fournisseur accepterait de donner sa marchandise? Quel animateur accepterait de donner son talent ou d'être forcé par la loi de le donner à son diffuseur? Personne n'est prêt à faire ça. Les créateurs non plus.

C'est justement pour donner aux auteurs-compositeurs le rapport de forces dont ils avaient besoin pour faire respecter leurs droits que la SODRAC a été créée en 1985. Depuis 10 ans, la SODRAC a dû poursuivre l'un après l'autre plusieurs diffuseurs au nom de ses membres pour les contraindre à respecter le jugement de la Cour suprême de 1990. Contraints par les tribunaux, il a bien fallu que les diffuseurs poursuivis concluent des ententes et respectent la loi.

Il est odieux de constater aujourd'hui qu'ils reviennent à la charge pour demander au gouvernement de les soustraire à leur obligation. Nous voyons cela comme un assaut contre les créateurs canadiens et nous croyons qu'il appartient au gouvernement de maintenir le cap contre vents et marées en continuant d'imposer aux diffuseurs le respect intégral des droits des créateurs.

Les diffuseurs sont-ils venus réclamer l'aide du gouvernement pour négocier les conventions collectives avec leurs employés? Non. Alors, laissez les auteurs négocier librement avec les diffuseurs comme des travailleurs indépendants en pleine possession de tous leurs droits, dont celui de recevoir une juste rémunération pour leur travail. Le gouvernement n'a pas à exproprier les droits des auteurs pour le compte des diffuseurs. Les redevances sur la reproduction des oeuvres sont de petits montants. En comparaison avec le chiffre d'affaires des diffuseurs au Canada, ce sont des miettes. La SODRAC est donc scandalisée de voir les diffuseurs réclamer au gouvernement une telle exemption.

Cette revendication est totalement abusive. Non seulement les sommes en jeu sont insignifiantes pour eux, quoi qu'ils en disent, mais l'expérience a aussi démontré qu'il était possible de contourner les difficultés d'application en ayant avec les diffuseurs des ententes forfaitaires, simples, sous forme de licences générales d'utilisation. Faire une exception pour les enregistrements éphémères équivaudrait à priver les auteurs-compositeurs de revenus maigres, mais quand même importants pour eux, et à tuer le seul organisme capable de les représenter efficacement auprès des diffuseurs. Le droit de reproduction pour les enregistrements éphémères supporte de façon déterminante les auteurs-compositeurs en leur permettant d'avoir un organisme commun pour veiller au respect de leurs droits. Plusieurs auteurs-compositeurs sont ici aujourd'hui avec nous pour vous le rappeler.

Voilà en quelques mots, monsieur le président, ce que nous sommes venus dire aux membres du comité aujourd'hui. Pour les créateurs, le projet de loi C-23 n'a que des impacts négatifs. C'est un grave recul par rapport à la loi actuelle, déjà difficile à faire respecter. Il ne faut pas que ce projet de loi soit adopté. Il ne faut pas non plus que le gouvernement cède aux pressions du puissant lobby des diffuseurs qui veulent s'enrichir encore une fois sur le dos des créateurs.

Nous vous remercions de votre attention. Maintenant, nous allons avoir le plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, madame Juster.

.1950

Monsieur Leroux.

M. Leroux: D'abord, je vous remercie de votre présentation et du mémoire que vous avez soumis à la commission. Cela va nous permettre d'avancer dans nos travaux parce qu'en fait, nous avons besoin de comprendre la situation par rapport au projet de loi.

Je vais aborder immédiatement les questions. Je voudrais commencer par la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui stipule que chacun a le droit à la protection de ses intérêts moraux et matériels résultant de toute création scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur. Il me semble assez clair que l'on parle ici de la propriété morale et économique.

Pour ce qui est de l'article 90, votre rapport contient un libellé un peu différent en ce qui concerne les tarifs. Vous faites une comparaison avec les droits d'auteur en France et en Belgique. J'ai une question à vous poser à ce sujet.

Est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'en faisant référence spécifiquement au tarif, vous rétrécissez en quelque sorte la portée de votre libellé, qui pourrait se retrouver, par exemple, dans celui de la France ou de la Belgique qui, à mon sens, inclut davantage les droits moraux et les droits économiques? J'aimerais que vous me parliez de cela.

Deuxièmement, j'aimerais que vous puissiez aussi nous dire si les exceptions, qui semblent être majeures dans ce projet de loi puisqu'on passe 13 pages à vous dire que vous n'avez pas de droits, sont possibles ou non. Si oui et s'il y a des situations dans lesquelles il faut prévoir des exceptions, comment allez-vous gérer cela? Est-ce qu'il n'y a pas déjà de la gestion à ce niveau?

Troisièmement, j'aimerais que vous nous parliez de la SODRAC. Que fait-elle? À quoi sert la SODRAC? Comment fonctionne-t-elle? Il faut que nous sachions comment elle fonctionne pour en avoir une idée plus claire. Je reviendrai aussi probablement sur l'expérience que vous avez déjà dans les négociations avec TVA, la SRC et TV5, et également dans la cause pendante Bishop.

M. François Cousineau (compositeur, Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada): Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais d'abord répondre aux questions deux et trois. Ensuite, Francine Bertrand Venne pourra répondre à la première question technique posée par M. Leroux.

Pour ce qui est de la question deux, il faut comprendre notre position. Pour nous, la définition du droit d'auteur qui se trouve dans la loi de 1924 est parfaite parce qu'elle est complète. Ce droit d'auteur a été établi sur deux bases, à savoir la base de l'exécution publique et la base du droit mécanique.

Ce soir, nous ne parlerons que du droit mécanique. Ce que nous n'aimons pas, et c'est normal, ce sont les exceptions. On ne voit pas pourquoi le gouvernement viendrait nous enlever un droit que nous avons de par la loi et que nous n'avons pas demandé de changer, sous prétexte d'aider les écoles, les musées ou n'importe qui.

Les écoles et les musées payent leur huile à chauffage à Esso et aux autres compagnies. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait négocier nous-mêmes ces exceptions ou ces tarifs spéciaux qu'on voudrait accorder. En principe, la position de la SODRAC est d'être contre les exceptions, quelles qu'elles soient.

Nous avons entendu dire que les diffuseurs étaient venus nombreux, depuis quelques jours, devant votre comité et s'étaient montrés surpris de ne pas voir d'exception pour l'enregistrement éphémère.

Je trouve qu'ils ont bien du culot de venir nous dire ça, et je vais vous dire pourquoi. Les diffuseurs prétendent qu'ils ne peuvent plus fonctionner sans les fameuses exceptions promises depuis 10 ans. Ils disent qu'ils ont des difficultés dues au décalage horaire et à la nécessité de préenregistrer les émissions et de les transmettre ensuite avec un support technologique.

Je ne vois pas où est le problème puisque la SODRAC leur permet de faire tout ça comme ils le veulent et autant qu'ils le veulent. Ils peuvent préenregistrer des émissions. Ils peuvent aussi les diffuser quand ils le veulent puisque la SODRAC leur permet de le faire.

.1955

Alors, ce n'est pas en abrogeant ce que la loi de 1924 leur a donné qu'ils vont réussir à faire leur technologie. Ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent à partir du moment où ils acceptent de négocier une licence avec les ayants droit que sont les auteurs-compositeurs. Il me semble que c'est assez clair.

Les diffuseurs veulent aussi nous parler de 18 pays qui ont permis l'exception de l'enregistrement éphémère. Monsieur le président, je pense que ce sont 18 pays qui ont erré en droit. Je pourrais vous parler de 29 pays qui n'ont pas souscrit à l'exception éphémère et qui fonctionnent très bien, par exemple la France, la Belgique, le Brésil, la Bulgarie, le Canada, Ceylan, l'Espagne, la Grèce, la Hongrie, etc. et, parmi les plus importants, la Syrie, la Tchécoslovaquie, le Portugal, la Suisse, la Pologne, les Pays-Bas, etc. Tous ces pays n'ont pas souscrit à l'enregistrement éphémère.

Je vois que le législateur n'a pas prévu de mettre cette exception dans la loi et je le félicite d'avoir compris qu'il n'était absolument pas nécessaire de nous enlever des droits pour arranger les problèmes économiques des utilisateurs.

En troisième lieu, les diffuseurs ont le culot de prétendre que, sans les exceptions, ils ne pourront pas offrir des émissions différées. C'est absolument faux. Ils vont pouvoir faire ce qu'ils voudront à la seule condition de demander aux auteurs-compositeurs le droit de le faire, comme la loi de 1924 le prévoit.

Je ne sais pas si ça répond à votre deuxième question. Mme Fortier veut ajouter quelque chose. Je reviendrai plus tard pour la troisième question.

Mme Claudette Fortier (directrice, Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada): Je vais compléter en vous disant ce qu'est la SODRAC et ce qu'elle fait.

Comme vous l'a expliqué Mme Juster, il y a principalement deux droits. Il y en a d'autres dans la Loi sur le droit d'auteur, mais il y a surtout un droit de reproduction et un droit d'exécution.

La SODRAC gère le droit de reproduction. Elle a des cessions avec ses membres, qui sont au nombre de 3 200 et plus, au Canada. De plus, elle gère le répertoire d'une trentaine de pays au Canada. Elle gère les oeuvres du répertoire de la France, de la Belgique, de la Suisse, de l'Espagne, de l'Allemagne, des pays sud-américains et des pays africains, mais elle ne gère pas les droits des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.

Les licences que la SODRAC accorde sont des licences générales, des blanket licences, qui permettent aux télédiffuseurs et aux radiodiffuseurs, lorsqu'ils signent, de préenregistrer et de faire toutes les copies. La SODRAC s'occupe de toute l'administration puisqu'il n'y a pas de fardeau supplémentaire pour le diffuseur qui doit déjà fournir à la SOCAN le programme musical de ses émissions. Donc, il n'y a pas de fardeau supplémentaire administratif. Au contraire, ça libère le producteur de devoir demander préalablement les droits.

Lorsqu'ils veulent capter une émission sportive, quelle qu'elle soit, et qu'ils ne connaissent pas l'oeuvre musicale à l'avance, les diffuseurs peuvent se la procurer rapidement si elle se trouve dans notre répertoire. La SODRAC ne peut pas évidemment accorder des droits qu'elle ne détient pas, et elle ne détient pas le répertoire américain.

Nous pouvons dire que, pour toutes les oeuvres que la SODRAC représente, cela évite aux radiodiffuseurs et aux producteurs de devoir aller individuellement demander les droits qu'elle aurait dû demander depuis 1925 et qu'elle n'a jamais demandés.

Le président: Pourriez-vous rendre votre réponse plus concise pour permettre aux autres députés d'avoir le temps de poser des questions?

Je pense que vous avez encore deux réponses à donner à M. Leroux.

M. Stéphane Tremblay (auteur-compositeur, Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada): Je m'appelle Stéphane Tremblay et je suis auteur-compositeur. Pour répondre à la troisième question, je vous donnerai deux exemples.

Par exemple, il y a eu à Québec une exposition sur la chanson québécoise qui a ensuite été présentée par le Musée de la civilisation. Le Musée, pour avoir le droit de reproduire les oeuvres, a signé une entente avec la SODRAC pour un montant de 3 000 $.

.2000

Au Québec également, une entente a été signée entre le ministère de l'Éducation du Québec et la SODRAC pour l'utilisation des oeuvres au préscolaire, au primaire et au secondaire. Le ministère de l'Éducation a donc eu une licence d'exploitation générale qui permet aux institutions de fonctionner librement.

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur Abbott.

M. Abbott: Je dois admettre que c'est vraiment étonnant, parce que je...

[Français]

Mme Françoise Bertrand Venne (conseillère juridique, Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada): Si j'ai bien compris, monsieur Leroux, vous vouliez des explications plus précises sur le libellé de notre amendement, n'est-ce pas?

M. Leroux: Il me semblait que cela réduisait la portée des libellés dans les lois belge et française.

Mme Bertrand Venne: Non, parce qu'ils ne portent pas atteinte aux droits conférés aux titulaires de la première partie pour les droits. Ils n'ont donc pas pour effet de porter atteinte aux droits eux-mêmes ainsi qu'aux tarifs. La raison pour laquelle on mentionne les tarifs, c'est qu'en droit canadien, les oeuvres musicales sont soumises à la Commission du droit d'auteur pour l'exécution publique. Et dans le cas où la SODRAC ne s'entendrait pas avec le contractant, elle pourrait toujours recourir à la Commission du droit d'auteur.

Il était normal qu'on puisse déborder sur la tarification pour bien indiquer... Vous avez entendu tout à l'heure les radiodiffuseurs nous dire à quel point ils sont pauvres parce qu'ils paient déjà la SOCAN. Ils réclament une exception d'enregistrement éphémère, se disant très lésés par tout ça. Il est donc important de comprendre que la progression économique normale des tarifications ne doit pas diminuer et doit rester intacte dans la loi, surtout dans l'introduction du droit voisin. De fait, il faut absolument que ce soit bien précis à cause de la Commission du droit d'auteur.

M. Leroux: Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur Abbott.

M. Abbott: Je voulais dire simplement que cela me paraît très intéressant. Vous affirmez que cette loi ne devrait pas être adoptée parce qu'elle n'a que des répercussions négatives; pourtant de l'autre côté, comme vous l'avez entendu, des témoins sont partis en guerre contre le projet de loi parce que, selon eux, ils subiront ces conséquences négatives. C'est donc très fascinant.

Dans votre organisation, quel pourcentage de vos membres sont aussi des interprètes?

[Français]

Mme Fortier: On n'a jamais fait d'étude à ce sujet-là. On représente des auteurs. Les deux droits ne sont pas interreliés. Lorsqu'un auteur ou un compositeur interprète son oeuvre, il fait deux jobs. Il fait deux choses différentes et il doit être rémunéré pour deux tâches tout à fait différentes.

[Traduction]

M. Abbott: J'en conviens, mais je pose la question puisque vous parlez de droits voisins, qui donneraient un droit supplémentaire à quelqu'un qui interpréterait l'oeuvre d'un autre. Je pense donc qu'il serait utile, si vous ne pouvez pas nous donner ces chiffres tout de suite, de les fournir au comité plus tard.

Mme Fortier: Avec plaisir, monsieur.

M. Abbott: Si un radiodiffuseur a mémorisé 4 000 chansons sur son disque dur et fait une copie de sauvegarde de son répertoire toutes les semaines, vous attendez-vous à être payés chaque fois?

[Français]

M. Cousineau: Nous pensons que toute manipulation d'une oeuvre, d'après la loi qui existe déjà, devrait être autorisée par une licence de l'auteur-compositeur. Quel que soit le support, quelle que soit la façon, la loi interdit de manipuler une oeuvre, de la copier, de la mettre sur un hard disc ou n'importe quoi, d'aucune façon que ce soit. La loi est très claire là-dessus.

Il est très facile, à ce moment-là, de négocier avec les ayants droit et d'obtenir le droit de le faire. On considère que c'est normal. On comprend bien comment se font les technologies, mais on comprend bien aussi que, si permission est donnée à l'utilisateur de manipuler les oeuvres, il va en faire ce qu'il veut. Il va les déchirer, les couper, les rassembler d'une autre façon ou les détruire. Il peut faire ce qu'il veut et on n'a plus aucun contrôle. C'est ce que le législateur a voulu faire en 1924 en indiquant bien, dans le droit d'auteur, que le droit de reproduction ne pouvait être utilisé qu'après qu'on en ait reçu l'autorisation.

[Traduction]

M. Abbott: Comme vous le faites remarquer, la loi remonte à 1924, soit bien avant l'invention des ordinateurs. Nous sommes dans un monde technologique tout à fait différent.

.2005

Je serai franc avec vous. Je trouve un peu présomptueux de penser que, si une entreprise change tout simplement de support et sauvegarde ces 4 000 chansons techniquement, afin de ne pas les perdre - ou pour d'autres raisons, peu importe, je ne suis pas radiodiffuseur, alors je n'en sais rien... Mais je trouve un peu présomptueux que vous vous attendiez à être payés pour ce travail qui se fait en coulisses et qui n'a absolument rien à voir avec l'exécution des oeuvres musicales.

[Français]

M. Cousineau: Il me semble assez évident qu'il serait aberrant de voir le législateur, parce qu'il y a une nouvelle technologie, se mettre à défendre Sony Corporation et non pas François Cousineau. Je vais vous expliquer pourquoi.

Je ne pense pas que Sony, CBS, NBC et ABC, qui sont des utilisateurs d'oeuvres, aient besoin d'avoir le législateur de leur côté pour les défendre. S'ils ont des problèmes avec la loi, ils n'ont qu'à payer les droits et c'est tout. Ils n'ont qu'à payer les droits qu'ils doivent aux auteurs. Nous gagnons, en moyenne, de 6 000 $ à 7 000 $ par année avec les droits d'auteur. Je pense que les compagnies gagnent beaucoup plus d'argent que ça.

Je vous demande donc pourquoi vous voulez exproprier un droit d'auteur à cause d'une technologie. Quant à nous, nous ne demandons pas de changements à la Loi sur le droit d'auteur.

[Traduction]

M. Abbott: D'accord, mais si une entreprise est obligée de faire des copies pour le CRTC - et corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que vous poursuivez actuellement les stations de radio du Québec pour ces droits et que vous percevez des droits de la télévision - alors qu'ils se conforment aux exigences du CRTC, qu'ils font des reproductions sur cette bande gigantesque de mauvaise qualité, enfin, peu importe ce qu'ils font... Est-il vrai que la SODRAC a intenté des poursuites concernant ces reproductions?

[Français]

M. Cousineau: Non, ce n'est pas correct, monsieur, et ce n'est pas la raison. Je vais laisser la directrice de la SODRAC vous répondre à ce sujet-là.

Mme Fortier: Effectivement, il y a une poursuite en cour contre les stations de radio, au Québec. Ce n'est pas pour la copie fabriquée pour le CRTC. Pendant nos négociations préliminaires, qui ont duré un an et demi, la loi n'a pas été passée. Il n'y a pas d'exemption pour les copies du CRTC. Ce qui était offert aux stations de radio, c'était une licence générale couvrant les enregistrements qu'ils feraient, les copies, les montages nécessaires pour leur diffusion différée, incluant la transmission et incluant la copie du CRTC. Actuellement, il n'y a pas d'exemption pour ça. On ne poursuit pas pour cette copie, cependant. On a dit que notre licence allait tout couvrir, tout simplement. Ils font des reproductions et actuellement, selon la loi, c'est une violation du droit d'auteur. Nous leur avons donc offert une licence générale. Nous avons entrepris une action parce qu'il y a une prescription de trois ans dans la loi et que nous voulions protéger notre droit.

M. Cousineau: Vous comprenez bien que ce n'est vraiment pas pour cette particularité que les actions sont prises. C'est simplement pour toutes les oeuvres qui sont vraiment manipulées et donc reproduites.

[Traduction]

Le président: Monsieur O'Brien.

M. O'Brien (London - Middlesex): Je vous remercie, monsieur le président. J'ai une longue liste de questions, alors j'en ai fait une deuxième qui n'en compte que trois et je verrai jusqu'où je me rends.

Les témoins ont indiqué qu'ils sont tout à fait opposés aux exceptions - si j'ai bien compris leur exposé. Vous avez pourtant déclaré que 18 pays accordent un droit éphémère et que 29 ne l'accordent pas. Ces 29 pays qui n'accordent pas le droit éphémère prévoient-ils d'autres types d'exceptions?

[Français]

M. Cousineau: C'est assez difficile parce que je ne connais pas la réponse. Je ne sais pas. Mais je sais qu'ils ne donnent pas cette exception, parce que c'est vraiment errer en droit que de permettre à une technologie d'enlever un droit à quelqu'un. Je ne sais pas exactement s'il y a d'autres exceptions.

[Traduction]

M. O'Brien: D'accord. Il semble clair, cependant, que plusieurs pays prévoient des exceptions. Votre position semble être que vous vous opposez à toute forme d'exception. Ai-je bien compris?

.2010

Mme Juster: Oui, afin de pouvoir négocier nous-mêmes nos droits.

M. O'Brien: Oui, d'accord. Ma réaction est que si ces négociations avaient porté fruit par le passé, je me demande si nous serions ici pour discuter de la question.

Deuxièmement, les radiodiffuseurs nous ont prévenus, si vous voulez, que si nous n'accordons pas le droit éphémère, il en résultera toutes sortes de problèmes, notamment des annulations de défilés et d'autres manifestations communautaires que les gens veulent dans leurs collectivités locales. Ils veulent qu'on diffuse ces événements. Quelle est l'expérience au Québec? Est-ce déjà un problème au Québec?

[Français]

Mme Fortier: Peut-être faudrait-il leur demander combien de parades ils ont annulées jusqu'à maintenant, parce que le droit a toujours été là.

M. Cousineau: Au Québec, il y a eu des négociations de la SODRAC avec Télé-Métropole et Radio-Canada pour des licences générales qui leur donnaient le droit de faire toutes les copies et les reproductions qu'ils voulaient. Il n'y a eu aucun problème et le montant est minime. C'est un montant équitable minimum. Je pense d'ailleurs que ça s'est très bien passé. Ça donne une légitimité à toutes leurs opérations.

[Traduction]

M. O'Brien: On nous a indiqué que c'était déjà un problème au Québec, ou que c'en sera un très bientôt. Vous m'affirmez que ce n'est pas le cas.

Ma dernière question est une réaction à une déclaration que vous avez faite, selon laquelle le statu quo serait préférable au projet de loi C-32. Cette déclaration m'étonne et j'aimerais que vous me donniez quelques explications.

[Français]

Mme Fortier: En fait, les créateurs ont plus de droits avec la loi actuelle qu'avec le projet de loi C-32 qui est proposé.

M. O'Brien: Pourquoi?

Mme Fortier: Dans le projet de loi C-32, il y a 13 pages d'exceptions. Le législateur a repris toutes les exceptions qui étaient prévues dans la loi de Grande-Bretagne, plus les exceptions de la loi américaine. Il les a réunies dans le projet de loi C-32. C'est la raison pour laquelle les créateurs disent qu'ils aimeraient mieux le statu quo parce que, non seulement ils gagnent très peu, mais ils y perdent même énormément.

M. Cousineau: Est-ce que je peux répondre, s'il vous plaît? La loi va parler essentiellement de la copie privée, des droits voisins et des exceptions. Très succinctement, les droits voisins s'appliquent aux interprètes, pas aux auteurs-compositeurs. Nous, nous sommes des auteurs-compositeurs.

Les exceptions concernent nos oeuvres et nous ne voulons pas nous faire exproprier nos droits. On est capables de juger quand il faut les donner ou les laisser pour 1 $ ou quand il faut les négocier.

Le troisième point est que, pour l'instant, la loi interdit la copie privée. C'est un droit que nous avons. On peut négocier. Si la loi légalise la copie privée contre une redevance minime qu'on ne connaît pas, à ce moment-là, nous préférons garder la loi comme elle est présentement, puisqu'on peut toujours négocier avec les utilisateurs.

[Traduction]

M. O'Brien: Une dernière question, très brève. Existe-t-il des ententes entre votre organisation et les écoles et bibliothèques du Québec?

[Français]

Mme Fortier: Oui.

[Traduction]

M. O'Brien: Vraiment? Y en a-t-il beaucoup ou...?

[Français]

Mme Fortier: La SODRAC a une entente avec le ministère de l'Éducation du Québec pour les droits de reproduction de son répertoire au primaire et au secondaire, et ceci pour l'ensemble des écoles du Québec.

M. Arseneault (Restigouche - Chaleur): On parle de quel montant d'argent?

Mme Fortier: Si vous le désirez, nous vous communiquerons les chiffres avec plaisir. Cette entente a été signée il y a deux ans. La SODRAC a aussi des ententes générales avec l'INCA, qui est l'Institut national canadien des aveugles, et avec la Magnétothèque. La SODRAC a des ententes générales avec les compagnies d'aviation qui font des enregistrements pour leurs avions. La SODRAC a des ententes avec la Société Radio-Canada, qui couvrent la télévision, la radio, le réseau français et le réseau anglais.

.2015

L'entente avec Radio-Canada doit être renégociée, mais elle continue de s'appliquer. L'entente avec TVA est arrivée à échéance le 31 août. Elle a été renouvelée pour un mois et nous tentons de la renégocier. L'entente avec Télévision Quatre Saisons est échue le 31 août et je n'ai pas besoin de vous dire qu'ils attendent tous que vous leur accordiez ce qu'ils demandent avant de signer.

M. Cousineau: Fort heureusement, ce n'est pas dans le projet de loi. Alors, ceux qui sont déçus, ce sont eux, pas nous.

Le président: Il nous reste quelques brèves minutes. Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Je voudrais poursuivre un peu sur la question des ententes que vous avez avec certains diffuseurs. Je voudrais prendre le groupe qui était ici avant vous. Supposons le cas deM. Lévesque, qui a cinq stations de radio dans le bout du Lac-Saint-Jean. Pourriez-vous essayer de m'indiquer le coût réel d'une entente générale pour une station radio de ce genre pour le droit de reproduction, puisque c'est ce dont on parle?

Mme Fortier: Oui, oui.

Le président: Monsieur Bélanger, vous parlez d'une entente générale avec la SODRAC, n'est-ce pas?

M. Bélanger: C'est exact.

Mme Fortier: On n'a pas pu s'entendre avec eux, et c'est la raison pour laquelle il y a une action devant les tribunaux.

M. Bélanger: Vous ne voulez pas négocier en public, c'est ça? Je voudrais avoir une idée de l'ampleur des coûts que ça peut représenter pour une station de radio ou de télévision. Est-ce qu'il est possible d'en avoir une idée?

Mme Fortier: Certainement, je pourrais vous dire que...

Le président: Vous n'avez pas besoin de citer des noms. Prenons une station commerciale, par exemple.

Mme Fortier: Mais nous n'avons pas d'entente avec les radios commerciales. C'est pour ça qu'on a entrepris une action.

M. Bélanger: Et avec les télés commerciales?

Mme Fortier: Avec la chaîne de télévision TQS qui nous a payé 329 000 $ l'année dernière.

M. Bélanger: C'est pour tout le réseau?

Mme Fortier: C'est pour tout le répertoire de la SODRAC. Donc, cela concerne le préenregistrement, la copie des émissions produites par le privé pour lesquelles les droits n'avaient pas été libérés, la copie d'archives, en fait pour tout.

M. Bélanger: Si vous me pardonnez mon ignorance, il me semble que TQS...

Mme Fortier: Excusez-moi, c'est la chaîne TVA.

M. Bélanger: TVA, d'accord. TVA a combien de postes émetteurs, combien de stations? Je voudrais une moyenne.

Mme Fortier: Il faudrait le leur demander. Je pense qu'ils ont plusieurs postes affiliés. Ça couvre tous leurs postes affiliés.

M. Bélanger: Vous dites 320 000 $ pour un an?

Mme Fortier: Oui.

M. Bélanger: Et ça couvre tout?

Mme Fortier: Oui.

Le président: Tout le matériel, toutes les oeuvres?

Mme Fortier: Oui.

Le président: C'était clair. Monsieur Leroux.

M. Leroux: Je voudrais revenir sur la question des ententes parce que ça m'apparaît important. La SODRAC a des ententes avec le ministère de l'Éducation, mais il y a aussi l'UNEQ et une série d'ententes avec les ministères et les gouvernements sur différents aspects. Les ministères de l'Éducation du Manitoba et de l'Alberta ont aussi des ententes avec des sociétés de gestion concernant les photocopies. Les gouvernements de l'Alberta et de l'Ontario ont aussi des ententes avec des sociétés de gestion. Est-ce que l'ensemble des ententes, et j'en ai répertorié au moins une bonne douzaine ici, deviendraient caduques du fait des exceptions dans le projet de loi? Pour vous, est-ce que le fondement est là?

M. Cousineau: Il est évident que si cela concernait le droit éphémère, ça rendrait caduques toutes les ententes qui ont été signées avec les diffuseurs tels que TVA, Radio-Canada et les autres. Mais, comme ce n'est pas dans le projet de loi, soyons rassurés.

En ce qui concerne les écoles au Québec, tout le monde est très content de l'entente qui a été faite pour très peu. Pour les aveugles, ça ne coûte rien. On est en train de le faire avec tout le monde. Il est certain que si la loi se mêle de venir nous dire qu'on n'a plus de droits et qu'on ne peut plus disposer de nos droits nous-mêmes, nos ententes pourraient devenir caduques.

.2020

Mme Fortier: J'aimerais apporter une petite précision, monsieur le président, si vous me le permettez. Les écoles, les bibliothèques et les autres organismes avec lesquels il y a des ententes seront fortement tentés de dire qu'ils veulent ôter telle chose de l'entente parce qu'il y a une exception et qu'ils ne veulent plus la payer. Il est certain que toutes les ententes vont être remises en question.

[Traduction]

Le président: Monsieur Abbott, brièvement.

M. Abbott: Je promets d'être très bref.

Je trouve très important que le gouvernement nivelle les règles du jeu, alors je pose la question: Comment pensez-vous que des négociations équitables sont possibles entre vous et les radiodiffuseurs sur des questions comme les droits éphémères ou la diffusion en différé des reproductions quand la plupart des radiodiffuseurs ne peuvent pas éviter d'enregistrer les émissions? C'est l'argument qu'on a invoqué hier soir.

Si ce projet de loi demande que des injonctions soient prises contre eux ou qu'ils versent des amendes pouvant atteindre 20 000 $ pour chaque infraction, n'avez-vous pas le gros bout du bâton? Les règles du jeu ne penchent-elles pas en votre faveur, si la loi prévoit des amendes maximales de 20 000 $? Cela ne vous donne-t-il pas un énorme pouvoir de négociation?

[Français]

Mme Fortier: Les radiodiffuseurs avaient été prévenus que nous entreprendrions une action pour arrêter l'horloge, parce que vous n'êtes pas sans savoir que dans la Loi sur le droit d'auteur, il y a prescription de la violation du droit d'auteur trois ans après la connaissance de la violation.

Tout le temps que nous avons passé en négociation, c'est-à-dire un an et demi où nous ne sommes pas arrivés à une entente, nous voulions arrêter le temps de la prescription. C'est pour cela que nous avons entrepris une action.

Deuxièmement, la négociation peut se faire. Il y a une Commission du droit d'auteur qui existe au Canada, qui est une commission d'arbitrage entre les parties et qui peut très bien fixer le tarif.

M. Tremblay: Et c'est notre propriété. Pourquoi déciderait-on d'exproprier notre propriété? C'est une propriété immatérielle mais c'est une propriété quand même. Je me demande pourquoi on nous demanderait de subventionner directement des gens qui devraient être subventionnés par l'État.

M. Cousineau: Qui plus est, les droits de reproduction auraient dû être payés depuis 1924. Ils ne l'ont pas été. On l'a demandé aux diffuseurs. Je l'ai demandé personnellement plusieurs fois à partir de 1964. Il a fallu que la Cour suprême, dans l'arrêt Bishop, leur dise qu'il était évident qu'ils devaient payer s'ils se mettaient sur le support technologique.

Tout à coup, au lieu de négocier, on s'en prend au gouvernement en lui disant: «Enlevez-leur ce droit et donnez-nous une exception de droit éphémère.» C'est une drôle d'attitude. Je trouve que la loi doit protéger l'auteur-compositeur plutôt que les magnats de l'industrie.

Le président: Madame Juster, je voudrais vous remercier ainsi que les membres de votre groupe pour nous avoir donné un autre point de vue. Comme vous avez pu le constater, notre travail n'est pas facile.

Nous entendons des points de vue tout à fait opposés, mais il est de notre responsabilité de nous frayer un chemin à travers tout ça. Je peux vous assurer que nous le ferons avec beaucoup de conscience et beaucoup d'intérêt. Merci beaucoup d'être venus.

Des voix: Merci, monsieur le président. Merci.

.2024

.2027

[Traduction]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

J'aimerais souhaiter la bienvenue aux représentants de l'Association canadienne des distributeurs de films. Le président est M. Douglas Frith et la vice-présidente, Mme Susan Peacock.

Monsieur Frith, vous avez la parole.

M. Douglas Frith (président, Association canadienne des distributeurs de films): Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.

J'aimerais signaler d'entrée de jeu ce soir que nous avons présenté notre mémoire et que nous avons des exemplaires de notre mémoire supplémentaire. Nous n'avons pas l'intention de lire ces documents. Nous tenons cependant à préciser que, généralement dans le monde entier, l'industrie du cinéma et notre association en particulier appuient les progrès de la législation sur le droit d'auteur. Le projet de loi C-32 ne fait pas exception. En gros, nous sommes d'accord avec l'objectif visé.

Je veux établir le cadre des questions de ce soir, parce que, de toute évidence, les législateurs et les responsables de l'adoption des lois sur le droit d'auteur sont poussés par la nécessité de parvenir à un équilibre entre les droits du créateur et les besoins de l'utilisateur. C'est le premier principe que j'aimerais établir.

Deuxièmement, si vous acceptez le fait que vous accorderez nécessairement des exceptions dans certains domaines, le prochain principe est que toute exception ou exemption constitue essentiellement une expropriation. Cette expropriation peut donner lieu ou non à une indemnisation. Il sera donc très important, au moment d'étudier le projet de loi article par article et d'arriver aux dispositions sur les exceptions ou les exemptions, que vous soyez très précis et que vos définitions soient étroites, sinon les abus s'insinueront peu à peu dans le système.

Ces deux principes sous-tendent plusieurs préoccupations de notre association, mais rappelez-vous qu'il s'agit d'aspects assez techniques dans trois domaines. Il y a d'abord les dispositions relatives aux recours au criminel prévues dans le projet de loi. Deuxièmement, les exercices scolaires, les examens, le contenu pédagogique et la question des exemptions en général. Troisièmement, il y a...

M'accompagne ce soir Susan Peacock qui, pour vous la situer, a été la première et demeure la seule administratrice de la Société de perception du droit d'auteur du Canada depuis sa création. Si vous avez des questions au sujet des conséquences techniques du projet de loi sur la création d'une nouvelle société de gestion, Susan pourra vous répondre.

Je voudrais ajouter une dernière remarque avant d'entrer dans les détails techniques.

En ce qui concerne les recours criminels prévus par le projet de loi, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais le bureau de la sécurité du film et de la vidéo est financé en entier par les huit studios de Hollywood, ici au Canada. Ces gens collaborent avec les associations policières d'un océan à l'autre. Franchement, grâce aux résultats de leur travail depuis dix à douze ans, ils sont devenus un modèle de lutte contre le piratage qui fait envie dans le monde entier.

.2030

À cause de ces nouvelles technologies, la lutte contre le piratage deviendra extrêmement importante pour l'industrie. Je ne parle pas seulement de l'industrie cinématographique, mais aussi de l'informatique par exemple, en raison des nouveaux progrès technologiques.

Je voulais donc établir simplement un cadre général qui nous permettra d'examiner six à huit dispositions pour lesquelles nous voudrions vous faire quelques suggestions en vue de l'étude article par article et qui dissiperaient certaines craintes de notre industrie et de notre association.

Mme Susan Peacock (vice-présidente, Association canadienne des distributeurs de films): Dans la loi actuelle, lorsque des recours criminels sont envisagés à l'égard d'une infraction, le tribunal jouit, en vertu du paragraphe 42(3), de très vastes pouvoirs lui permettant d'ordonner la destruction des planches qui semblent destinées à la contrefaçon. Les planches peuvent être remises au titulaire du droit d'auteur ou détruites, au gré du tribunal.

D'après la définition de la loi, les planches comprennent les exemplaires qui peuvent servir à en fabriquer d'autres. Elles comprennent aussi les pièces - c'est le terme employé dans la loi - soit les accessoires ou les machines servant à la fabrication d'exemplaires. Le projet de loi C-32 prévoit réduire la portée de cette disposition afin qu'elle ne n'applique qu'aux planches conçues ou adaptées précisément pour la fabrication d'exemplaires contrefaits.

Les contrefacteurs dans le domaine du piratage vidéo utilisent rarement, voire jamais, des planches conçues ou adaptées précisément pour la contrefaçon. Ils emploient des copies acquises légitimement. Ils emploient des cassettes vierges faciles à trouver en magasin. Ils se servent de magnétoscopes identiques à ceux des consommateurs. Apporter cette modification à la loi éliminerait complètement l'effet dissuasif de cette disposition. Il ne serait plus possible de saisir des planches destinées à la contrefaçon de vidéocassettes. Nous recommandons donc que les mots «conçue ou adaptée précisément» soient retranchés à l'alinéa 42(2)a) et au paragraphe 42(3).

Le paragraphe 42(1) du projet de loi C-32 dresse une liste d'activités...

Le président: Un instant, madame Peacock.

Connaissez-vous la version française? Peu importe, nous allons la trouver.

[Français]

En anglais, c'est l'alinéa 42(2)a).

Une voix: Oui.

Le président: C'est 42(2)a) et 42(3).

Une voix: Parfait.

[Traduction]

Le président: D'accord. Poursuivez.

Mme Peacock: Merci. De même, dans les actes criminels énoncés au paragraphe 42(1), on prévoit des recours criminels contre quiconque se sert sciemment d'un exemplaire contrefait pour s'adonner à des activités qui comprennent la vente, la location, la distribution et l'importation en vue de la vente. Mais une activité qui ne figure pas sur cette liste est la possession d'exemplaires contrefaits. La loi prévoit des recours civils en cas de possession d'exemplaires contrefaits et nous estimons que la possession devrait être ajoutée à la liste des infractions qui donnent lieu à des recours criminels.

Décidément, c'est la soirée des radiodiffuseurs. Une partie de mon mémoire porte sur quelque chose qui ne se trouve pas dans le projet de loi, mais qui a été proposé par l'Agence des droits des radiodiffuseurs canadiens, qui représente les intérêts des radiodiffuseurs privés. Cette proposition est appuyée par l'Association canadienne des radiodiffuseurs. Elle prévoit un élargissement important des droits relatifs au signal de communication prévus dans le projet de loi C-32. Les radiodiffuseurs soutiennent qu'ils ont besoin de droits plus vastes pour se protéger contre les signaux pirates, afin d'être concurrentiels et d'être indemnisés justement pour l'utilisation de leurs signaux.

.2035

Mme Phinney: Quel est le numéro de cette disposition? De quel article s'agit-il?

Mme Peacock: Ce n'est pas dans le projet de loi C-32. C'est une proposition de l'Agence des droits des radiodiffuseurs canadiens.

Mme Phinney: Ce n'est pas là du tout?

Mme Peacock: Ce n'est pas dans le projet de loi.

Avant le projet de loi C-32, le ministère du Patrimoine canadien a commandé une étude àM. Gerry Wall. Le ministère lui a demandé d'examiner l'incidence économique de la création d'un pouvoir très vaste comme celui que demandaient les radiodiffuseurs. M. Wall est arrivé à la conclusion que le seul aspect de l'utilisation des signaux des radiodiffuseurs qui n'était pas suffisamment protégé était ce qu'il appelait la compilation, c'est-à-dire la sélection et le montage des émissions effectués par le radiodiffuseur et qui ajoutent de la valeur au signal. C'est la seule chose pour laquelle, de l'avis de M. Wall, les radiodiffuseurs n'étaient pas indemnisés correctement.

Depuis la publication de cette étude et depuis le dépôt du projet de loi C-32, la Commission du droit d'auteur a décidé, dans le cadre des audiences sur la retransmission, que les radiodiffuseurs ont un droit d'auteur sur cette compilation. Elle a d'ailleurs déclaré qu'ils ont déjà un droit d'auteur sur le contenu de leur signal, en vertu de la loi existante. Nous soutenons donc qu'ils n'ont pas besoin d'un élargissement de leurs droits afin de les protéger contre le piratage. Ils ont aussi des droits à cet égard en vertu de la Loi sur la radiocommunication.

Ils ont le droit d'intenter des poursuites contre les utilisateurs non autorisés. Ils sont déjà payés par la Commission du droit d'auteur pour les émissions qu'ils créent et pour cette compilation du contenu de l'ensemble de leur signal. Ils reçoivent une partie des redevances tant que leurs signaux sont retransmis en tant que signaux éloignés. C'est une limite imposée à tous les titulaires de droits d'auteur. Elle ne s'applique pas seulement aux radiodiffuseurs, mais aussi aux propriétaires d'émissions, de musique et de couverture sportive en réseau. Cela veut dire toutes les émissions.

Le principal argument des radiodiffuseurs semble être que, eux aussi, puisqu'ils constituent un cas particulier parmi les titulaires de droits d'auteur, devraient être indemnisés pour la retransmission locale de leurs signaux. Ils ont demandé au CRTC l'autorisation de refuser de donner la permission de transmettre leurs signaux. Le CRTC est sensible au problème, il prend des règlements en conséquence et estime que, lorsqu'un signal est retransmis sur un marché différent qu'il ne peut pas atteindre d'ordinaire, le propriétaire du signal exporté n'en souffre pas, le marché du radiodiffuseur est plutôt élargi. Les radiodiffuseurs sur le marché local en souffrent parce que leur marché est fragmenté. Le CRTC régit ces activités, à juste titre. Ce n'est pas une question qui relève du droit d'auteur.

Troisièmement, à ce sujet, si les radiodiffuseurs parviennent à convaincre le gouvernement qu'ils devraient être indemnisés pour la retransmission locale de leurs signaux, nous pensons que les propriétaires du contenu des signaux, tels que les propriétaires des émissions et de la musique, devraient être indemnisés eux aussi pour cette retransmission locale.

En ce qui concerne les exemptions prévues dans la loi, mon observation la plus importante se rapporte au paragraphe proposé 29.4(2), qui permet une utilisation illimitée d'une oeuvre, par un établissement d'enseignement, sans permission ni paiement, à condition que cette oeuvre serve à un exercice scolaire, à un examen ou à un contrôle. Je ne peux pas concevoir d'utilisation ordinaire en classe qui ne serait pas un exercice scolaire - ce terme est très large - un examen ou un contrôle.

Les exemptions plus limitées prévues au paragraphe proposé 29.4(1) et aux articles proposés 29.6 et 29.7 seraient dénuées de sens. Ces exemptions limitées, libellées avec soin, sont inutiles si le paragraphe 29.4(2) ne change pas. Les décisions de politique de ne pas inclure d'autres exemptions, et plus précisément de ne pas prévoir d'exemption pour la présentation en classe de matériel préenregistré, seraient tout à fait dénuées de sens.

.2040

Nous recommandons donc que le terme «exercice scolaire» soit supprimé de cette exception et que le reste de l'exception, qui se rapporte aux examens et aux contrôles, se limite aux types d'oeuvres pertinents que les enseignants auront probablement besoin de copier en vue des examens et des contrôles. Nous estimons qu'il faudrait exclure au moins les oeuvres cinématographiques et les logiciels informatiques.

Les articles proposés 29.6 et 29.7 donnent aux établissements d'enseignement le droit d'enregistrer des émissions et de les présenter en classe. Certaines limites s'appliquent et il faut payer des droits si les exemplaires des oeuvres sont conservés au- delà d'une certaine période et présentés en public.

L'article 29.3 proposé prévoit que sont considérés étudiants les personnes agissant sous l'autorité d'un établissement d'enseignement, aux fins de ces exemptions et d'une autre prévue à l'article proposé 29.4. Cette disposition rend les établissements d'enseignement responsables des activités de contrefaçon d'étudiants qui agissent de leur propre chef. Nous doutons que ce soit l'intention visée. Nous doutons que ce soit ce que veulent les établissements d'enseignement. Ce n'est certainement pas ce que nous voulons, parce qu'il en résulterait plus d'exemplaires contrefaits.

Nous ne disons pas que les étudiants ne devraient pas être autorisés à faire des reproductions. Nous disons seulement que, s'ils sont effectivement autorisés par l'établissement d'enseignement, ils peuvent faire les reproductions, mais que s'ils ne sont pas autorisés, il y a un risque de violation dont les conseils scolaires seraient tenus responsables lorsque les étudiants font des reproductions sans autorisation.

Les établissements d'enseignement ne pourront administrer les nouveaux régimes de redevances établis par le projet de loi C-32 et éviter la responsabilité en cas de reproduction non autorisée par leurs étudiants que si l'article 29.3 est supprimé. Nous recommandons également que les reproductions autorisées par ces articles s'effectuent dans les locaux de l'établissement d'enseignement. Là encore, nous pensons que, du point de vue administratif, cette précaution serait avantageuse pour les titulaires de droits d'auteur et pour les établissements visés par ces exceptions.

Dans le mémoire que nous vous avons remis aujourd'hui, il est question d'une définition de l'expression «commentaires d'actualité». J'ai lu au moins un mémoire d'un représentant du milieu scolaire qui semble indiquer que, selon eux, ce terme inclut tous les documentaires. Je pense que cela fait ressortir la nécessité de définir ce qu'on entend par «commentaires d'actualité», ce qui sera évidemment difficile mais nécessaire, ou encore de préciser que les commentaires d'actualité ne comprennent que ceux qui proviennent des radiodiffuseurs et qui visent à n'être diffusés qu'une fois. Cette mesure protégerait les documentaires et autres émissions d'actualité réalisés expressément à l'intention du milieu de l'enseignement ou qui ne devraient pas être visés par cette exception.

Parce que ces nouvelles exemptions permettent de faire des reproductions aux fins particulières qui sont exemptées, nous recommandons aussi que la définition de la contrefaçon soit modifiée afin qu'un exemplaire utilisé à une autre fin que celle pour laquelle il a été fait soit considéré comme une contrefaçon.

À cause de l'expérience que j'ai acquise lorsque le régime de retransmission a été mis en place, je recommande fortement une disposition transitoire, comme il y en a eu une dans le cas du régime de retransmission. Elle se trouve encore à l'article 149 de la loi.

La situation serait plus claire pour les titulaires de droits et pour les utilisateurs si la loi prévoyait une disposition transitoire précisant la date d'entrée en vigueur des nouveaux régimes et reportant la mise en oeuvre des exceptions jusqu'à cette date. Sinon, il y a un risque de confusion dans le projet de loi C-32, qui mentionne, par exemple, que les reproductions d'émissions ne sont permises que si l'institution a versé les redevances pertinentes dans un délai de 30 jours.

.2045

Il faudra un certain temps pour établir les redevances. Dans le cas de la retransmission, les dispositions transitoires prévoyaient que les redevances entraient en vigueur le 1er janvier 1990, peu importe la date où elles étaient autorisées. En réalité, elles n'ont été autorisées qu'en octobre 1990, mais elles avaient un effet rétroactif, de sorte que les titulaires de droits d'auteur n'ont pas été pénalisés. Les utilisateurs avaient été prévenus, parce que tous les barèmes avaient été proposés quelque temps auparavant, de sorte qu'ils n'ont pas été lésés. Tout s'est déroulé sans trop de heurts. Pour les mêmes raisons que cette disposition était prévue dans le régime de retransmission, il est recommandé de l'inclure dans les nouveaux régimes de redevances qui seront créés par le projet de loi.

Voilà nos observations. Nous serons ravis de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Frith et madame Peacock. Vous avez été extrêmement utiles et avez présenté des recommandations précises, que les membres voudront sans doute examiner avec beaucoup de soin et d'intérêt.

Monsieur Leroux.

[Français]

M. Leroux: Pour renchérir, monsieur le président, je remercie les témoins pour leur mémoire, parce que ce type de mémoire va nous permettre de faire progresser concrètement et clairement les travaux sur ce projet de loi.

La réflexion que vous nous livrez m'amène à dire qu'emprunter le chemin des exceptions est extrêmement complexe et dangereux par rapport au projet de loi. Cela me semble tellement évident à voir la situation que vous décrivez sur un seul aspect du monde du vidéo et de la télévision. Cela peut s'appliquer également à la photocopie et à toutes sortes d'autres domaines touchés par la loi. Les problèmes potentiels de gestion qui peuvent se poser me semblent absolument indescriptibles.

Au sujet de la gestion, je voudrais revenir aux exceptions prévues à l'intention des établissements d'enseignement. Vous dites dans le mémoire que le régime de perception et de redevances qui est proposé soulève, en matière de gestion collective, des problèmes complexes auxquels le projet de loi C-32 n'apporte pas vraiment de solutions satisfaisantes. J'aimerais que vous approfondissiez ce point-là.

[Traduction]

Mme Peacock: Je pense qu'il faut procéder avec soin. Le régime de retransmission a une structure semblable. Le droit de communiquer avec le public par voie de télécommunications a été créé, une exception a été prévue dans le cas de la retransmission des signaux éloignés et un régime de redevances a été mis sur pied. Tout a très bien fonctionné. Je pense que les titulaires de droits d'auteur, y compris mes membres, sont parfois désolés qu'il y ait ces exceptions aux régimes des redevances, parce qu'ils perdent ainsi le contrôle sur leurs oeuvres et qu'ils préféreraient avoir le contrôle. Mais dans le monde moderne, le contrôle est parfois impossible. Souvent, il n'y a qu'une alternative: une espèce de gestion collective du droit d'auteur ou le vol, et entre les deux, la gestion collective est préférable. C'est moins précis -

M. Frith: Certains préfèrent le vol.

Mme Peacock: En effet.

Il y a des avantages pour les titulaires de droits d'auteur et pour les utilisateurs, parce que chaque transaction ne fait pas l'objet d'une licence distincte. C'est un peu expéditif, mais il y a des avantages pour les titulaires de droits d'auteur et pour les utilisateurs parce que l'administration est beaucoup plus simple que s'il fallait une licence pour chaque utilisation. Alors, même si cela paraît coûteux au début - je pense que les coûts d'établissement de ces barèmes seront très élevés au départ - je ne crois pas que ce soit aussi cher que délivrer des licences dans chaque cas.

M. Frith: Je suis d'accord avec Susan.

Je pensais que vous souleviez, à la fin de votre question, le problème de la perception des redevances dans les établissements d'enseignement. Il reviendra à la Commission des droits d'auteur de régler ces détails si le projet de loi est adopté. Comme je l'ai déclaré d'entrée de jeu, il faut évidemment un équilibre dans la loi entre les droits du créateur et les besoins de l'utilisateur. C'est le jugement que vous devez porter à titre de législateurs. Mais que des gens affirment que les utilisateurs n'ont aucun droit... Je ne crois pas que cela fonctionnera dans le monde moderne. Ce que vous devez faire, c'est vous assurer que les exceptions, peu importe lesquelles, seront définies de manière très étroite et très précise et savoir quels sont les intérêts du public.

.2050

Mme Peacock: Nous avons beaucoup de chance, parce que, même si je n'étais pas toujours d'accord avec elle, je dois reconnaître que la Commission du droit d'auteur a fait un excellent travail et a pu établir, dès la première réunion sur la retransmission, un barème qui ne correspondait à aucune de nos propositions, y compris la mienne. Je dois avouer que la proposition de la Commission était meilleure.

[Français]

M. Leroux: Une dernière question, monsieur le président. Que pensez-vous de l'introduction, dans le projet de loi, du principe du no fault?

[Traduction]

Mme Peacock: Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

[Français]

M. Leroux: Dans le projet de loi, par rapport aux exceptions, on introduit le principe du no fault en ce sens que des gens peuvent reproduire des auteurs et se défendre en disant qu'ils étaient dans l'ignorance. Le principe est là; on se défend en disant simplement qu'on ne savait pas qu'il existait un droit d'auteur. C'est à l'article 37, je crois.

[Traduction]

M. Frith: En effet.

[Français]

M. Leroux: Que pensez-vous de ce principe qu'on introduit tout à coup, alors que nul n'est censé ignorer la loi?

[Traduction]

M. Frith: Si je comprends bien - et Susan est l'avocate, pas moi - la loi actuelle prévoit que la personne trouvée en possession d'une copie illégale est visée par une disposition du Code criminel différente de celle qui est proposée dans le projet de loi C-32, puisque la possession d'un exemplaire contrefait donne lieu à des recours civils plutôt que criminels dans le projet de loi C-32. Nous vous recommandons de ne rien changer, parce que si vous ne changez rien, les autorités policières n'auront pas de mal à faire appliquer la loi. Elles fonctionnent dans ce système depuis quinze ans. Il y a évidemment un contrôle judiciaire. Il faut prouver une intention criminelle lorsque la personne a pris possession de l'objet. Cela a donné de très bons résultats.

Voilà pourquoi nous proposons que vous vous assuriez que la possession d'un exemplaire contrefait sera considérée comme un acte criminel, comme elle l'a été jusqu'ici, et de ne pas modifier cette disposition, qui a très bien fonctionné.

Après avoir participé à tant de réunions au nom de l'industrie du cinéma, je peux déclarer en toute franchise que, quand j'affirme que le piratage est un problème mondial et que le Canada est un modèle pour le monde entier, c'est à cause des définitions qui existent depuis toujours dans les lois canadiennes. Ces définitions ont grandement aidé les autorités policières à lutter contre le piratage. Quand on compare l'ampleur du piratage au Canada au piratage qui se fait aux États-Unis, en Europe, en Asie du Sud-Est, croyez- moi, le reste de l'industrie, y compris l'industrie de l'informatique, aimerait bien avoir notre système. Le tripatouillage nuit non seulement à notre industrie mais aussi à l'industrie de la haute technologie.

[Français]

M. Leroux: Merci beaucoup.

[Traduction]

M. Abbott: Je m'intéresse aux aspects financiers. Nous avons parlé de l'exemption pour les établissements d'enseignement. Je sais que nous voudrons étudier vos autres suggestions. De prime abord, elles semblent très raisonnables et très utiles et je tiens à vous en remercier. Mais, dans le cas de l'exemption pour les établissements d'enseignement, si nous essayons effectivement de parvenir à un équilibre entre les droits du créateur et les besoins de l'utilisateur, comme vous l'avez indiqué - et je suis d'accord - quels sont les avantages pour votre industrie? Pour quelle raison votre industrie accepte-t-elle une exception aussi vaste? J'essaie seulement de comprendre le raisonnement. Je ne vous prête pas de mauvaises intentions. J'essaie seulement de comprendre.

Mme Peacock: Vous parlez de l'exception concernant les enregistrements.

M. Abbott: Oui.

Mme Peacock: D'abord, ce serait une autre histoire si le projet de loi prévoyait une exemption pour l'exécution en classe de matériel préenregistré. L'exception prévue est très limitée. Un seul exemplaire est permis par établissement. Il s'agit uniquement d'émissions.

Nous n'avons pas parlé de tout ce qui se trouve dans notre mémoire et j'espère que vous nous en êtes reconnaissants. Nous indiquons entre autres dans notre mémoire que les enregistrements devraient se limiter aux signaux d'antenne classiques et à ceux des chaînes spécialisées, par exemple, mais nous excluons la télévision payante, les transmissions de vidéos sur demande et Internet. Je pense surtout à Internet, parce que c'est un système idéal pour obtenir du matériel pédagogique efficacement et à prix abordable. Les gens ne seraient pas encouragés à mettre ce matériel à la disposition des utilisateurs de cette façon s'il était possible de l'obtenir sans payer.

.2055

Mais à cause des limites, parce qu'il y a un droit à une redevance, et parce que nous sommes sensibles au fait que les enseignants n'apprennent parfois pas avant la semaine de la diffusion qu'une émission de télévision pourrait être utile en classe, nous convenons que, dans la plupart des cas, il leur sera presque impossible de trouver à temps qui peut autoriser cette utilisation, d'obtenir l'autorisation dont ils ont besoin avant d'engager des dépenses, de négocier les droits et d'obtenir une licence pour enregistrer l'émission. Ils achètent le TV Hebdo au supermarché le mercredi et l'émission est diffusée le samedi. Ce n'est pas pratique.

Ils s'en sont plaints et nous convenons qu'ils n'ont pas un accès facile. Lorsque la critique est légitime, nous en tenons compte, dans la mesure où il y a une indemnisation et que tout est prévu dans...

M. Abbott: L'exemption serait-elle demandée surtout pour des oeuvres des gens que vous représentez et qui sont désignés à la première page de votre mémoire de ce soir ou pour des oeuvres d'autres sources? Autrement dit, faites-vous une observation générale, qui ne vaut pas seulement pour les gens que vous représentez?

Mme Peacock: Nous ne pensons pas seulement à eux et nous ne savons pas dans quelle mesure leurs oeuvres seront reproduites en vertu de cette exception. L'exception sur les actualités et les commentaires d'actualité est un peu plus large que pour d'autres types d'émissions. Nous pensons qu'elle est plus large que nécessaire. Ils ont droit à une utilisation illimitée pendant un an. De fait, si l'objectif visé est de mettre l'information sur l'actualité à la disposition de ceux qui étudient l'actualité, 30 jours suffiraient probablement.

Il est probable qu'une grande partie du matériel utilisé en classe se rapportera à l'actualité ou à des documentaires, mais la plupart des écoles secondaires ont des cours de théâtre. De nombreuses universités ont des cours de critique de cinéma. Dans ces cas, ce sont surtout les oeuvres de nos membres qui seraient visées.

M. Abbott: Monsieur le président, je trouve plutôt intéressant que mon collègue du Bloc, qui s'est opposé aux exemptions, ait été moins bruyant dans ce cas-ci, mais c'est simplement une observation.

Le président: À chacun sa marotte, monsieur Abbott.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Mme Phinney et M. Arseneault se partageront leur temps, si j'ai bien compris. Madame Phinney.

Mme Phinney: Je vous remercie tous les deux d'être venus malgré un très court préavis.

Est-il vrai, madame Peacock, que vous êtes avocate spécialisée en droit d'auteur?

Mme Peacock: Oui.

Mme Phinney: J'ai une question à poser. Vous m'avez peut-être entendue la poser à un autre groupe ce soir. Je leur ai demandé s'ils convenaient que le projet de loi C-32 ne crée aucune nouvelle obligation à l'égard des droits éphémères et de la transposition sur un autre support et s'ils convenaient qu'il permet seulement aux auteurs de faire appliquer plus facilement des droits que leur accorde déjà la Loi sur le droit d'auteur.

Mme Peacock: Le projet de loi C-32 ne donne pas de nouveaux droits aux titulaires de droits d'auteur à cet égard. Il ne leur rend pas la vie plus facile non plus. Je pense qu'ils restent dans la situation où ils se trouvent depuis plusieurs années déjà. Si les gens ne le savaient pas avant 1990, ils ont certainement appris depuis qu'ils doivent obtenir la permission chaque fois qu'ils font une copie.

J'ajoute que, parmi nos membres... Je pense en fait pouvoir parler dans un sens encore plus général. Lorsque des émissions sont vendues sous licence aux radiodiffuseurs, le fournisseur de l'émission donne habituellement au radiodiffuseur le droit de faire les copies nécessaires. Ces copies découlent de la diffusion. Le fournisseur n'est pas dans la même situation que les auteurs-compositeurs parce qu'il a négocié un droit, un droit de licence précis, ainsi que le nombre de diffusions. C'est une licence très précise qui se rapporte à ses oeuvres.

.2100

Le débat est intéressant. En un sens, j'hésite toujours à prendre parti lorsque je n'y suis pas obligée, et je ne sais pas personnellement de quel côté je pencherais, en ce qui concerne l'exemption relative aux droits éphémères.

Ceux qui ont des idées bien arrêtées, qui ont des intérêts à défendre, d'un côté comme de l'autre, ont tendance à exagérer, parce que pour la plupart des émissions des radiodiffuseurs le problème ne se posera pas. Ce ne sera pas un problème pour les oeuvres musicales non plus, parce que le producteur a obtenu les droits du compositeur et peut céder au radiodiffuseur le droit de faire des copies.

Le problème des radiodiffuseurs se limite en réalité uniquement aux émissions qu'ils produisent eux-mêmes. Dans le contexte de ces émissions qu'ils produisent, le problème se limite aux oeuvres musicales et aux enregistrements sonores qui contiennent des oeuvres musicales. Les exemptions proposées sont exprimées dans des termes beaucoup plus larges, mais à les entendre parler de leurs difficultés, je pense qu'une exemption portant uniquement sur les oeuvres musicales et les enregistrements sonores contenant des oeuvres musicales suffirait pour régler les problèmes pratiques qu'ils ont vraiment.

Mme Phinney: Merci.

Le président: Monsieur Arseneault.

M. Arseneault: Merci, monsieur le président. J'ai quelques brèves questions.

En ce qui concerne la définition des commentaires d'actualité, vous avez déclaré que nous devrions songer à donner une définition très précise dans la loi et vous avez indiqué la vôtre. Il s'agirait uniquement des commentaires d'actualité des radiodiffuseurs et des commentaires qui ne visent normalement pas à être diffusés plus d'une fois. Ce serait acceptable, à votre avis? Cela ne créerait aucun problème?

Mme Peacock: Ce serait acceptable à mes yeux, mais je ne suis pas radiodiffuseur. Je crois que cela correspondrait mieux à ce qui me paraît être l'intention visée en établissant une distinction entre, d'une part, les actualités et les commentaires d'actualité et, d'autre part, les autres types d'émissions.

M. Frith: C'est une réaction à certains mémoires présentés au comité qui donnent une interprétation assez large incluant même les documentaires, disons, diffusés par les chaînes spécialisées. Si vous ne précisez pas davantage, c'est assez large.

M. Arseneault: Le projet de loi C-32 rend-il la tâche plus difficile ou plus facile à l'enseignant qui veut obtenir une licence pour une représentation publique d'un film?

Mme Peacock: Cela n'a rien à voir.

M. Arseneault: Alors, la situation actuelle ne change pas?

Mme Peacock: Elle ne change pas.

M. Arseneault: D'accord.

Étant enseignant, j'ai un certain point de vue mais, à votre avis, est-ce facile pour un enseignant? La plupart des enseignants croient-ils que c'est très difficile?

Mme Peacock: Je ne crois pas. Il est possible d'obtenir une licence pour les films appartenant aux sociétés membres de notre association. Toutes ces sociétés sont représentées par un des deux distributeurs, alors l'enseignant n'a pas à faire de nombreux appels téléphoniques.

Ces deux distributeurs ont de très vastes répertoires, beaucoup plus vastes que les répertoires de longs métrages des sociétés membres. Je peux probablement affirmer sans risque de me tromper qu'il serait possible d'obtenir une licence pour une représentation publique en classe pour à peu près tout ce qui se trouve dans un club vidéo et qu'il ne faudrait pas beaucoup d'appels téléphoniques ni de longues négociations.

M. Arseneault: Devriez-vous payer le distributeur même s'il n'avait pas ce répertoire de film?

Mme Peacock: En principe, non. Il faudrait payer uniquement le titulaire du droit.

M. Arseneault: D'accord.

Dans votre document, vous affirmez que les étudiants ne sont pas sous l'autorité d'un établissement d'enseignement et ne devraient donc pas avoir le droit de jouir de l'exemption, n'est-ce pas?

Mme Peacock: Non, je suis désolée. Pas du tout.

Le projet de loi C-32 stipule qu'un étudiant est réputé agir sous l'autorité de l'établissement, que ce soit vrai ou non. Supposons par exemple qu'un groupe d'étudiants du secondaire s'intéresse beaucoup à un sujet en particulier et qu'il y ait une émission à la télévision sur le même sujet. Sans demander la permission à qui que ce soit, à leur professeur par exemple, cinq d'entre eux décident d'enregistrer l'émission à la maison et d'apporter la cassette en classe. Il y a alors cinq copies, dont quatre illégales.

.2105

M. Arseneault: Alors, vous êtes contre cette disposition du projet de loi; vous ne voudriez pas que cela se produise.

Mme Peacock: Je crois que personne ne devrait être réputé agir sous l'autorité de l'établissement d'enseignement. Si le professeur dit: «Il y a cette émission que nous devrions enregistrer. Jean, va au département d'audio-visuel, va voir M. Tremblay, remplis les papiers nécessaires et enregistre-la», je suis d'accord. Ce qui m'inquiète c'est qu'un étudiant puisse faire une copie en tout temps, que les étudiants soient réputés agir sous l'autorité de l'établissement d'enseignement et en deviennent donc l'agent, puis que l'institution soit responsable s'il y a un exemplaire contrefait.

M. Frith: Nous faisons cette proposition parce que nous croyons que les établissements d'enseignement qui seraient visés ne se rendent pas compte de toutes les conséquences. Il s'agit simplement de serrer la vis un peu.

M. Arseneault: Mais il y a l'envers de la médaille. Qu'arrive-t-il si l'étudiant oublie d'obtenir l'autorisation de...? Vous parlez d'enregistrement sur place. C'est une autre histoire.

Mme Peacock: C'est l'envers de la médaille, une autre histoire, comme vous dites.

M. Arseneault: Si vous leur permettez de faire les enregistrements le soir à la maison, quand la plupart des émissions d'actualité et la plupart des meilleures émissions sont diffusées, alors, supposons que je sois un étudiant à la maison. Tout à coup, je me rends compte qu'il y a une émission sur un sujet dont nous discutons en classe. C'est exactement ce dont le professeur a parlé dans la journée. Je voudrais bien l'enregistrer, mais je ne suis pas autorisé à le faire. Vous recommandez que l'enregistrement soit interdit, parce qu'il ne se fait pas à l'école et parce que l'étudiant n'a pas été autorisé au préalable par son professeur. Ai-je bien décrit votre raisonnement?

Mme Peacock: Oui, c'est exactement ce que nous disons. Je pense que si j'étais chargée d'administrer le régime au nom d'une école ou d'un conseil scolaire, je serais d'accord avec moi-même, si vous me permettez cette tournure, et je ne voudrais pas être tenue responsable de la déclaration des enregistrements, du paiement des redevances, à moins d'avoir autorisé l'enregistrement. Au mieux, l'étudiant crée des obligations administratives et monétaires pour l'école et au pire, il rend le conseil scolaire - parce qu'il est l'organisme légal - responsable de la contrefaçon, quand personne ne lui a donné la permission de faire ce qu'il a fait.

C'est un peu comme dire que si un étudiant achète une boîte de crayons chez Grand & Toy et les apporte à l'école pour que tout le monde s'en serve, l'école doit les payer, qu'elle le veuille ou non. Je pense que c'est rendre un mauvais service à l'école et au titulaire du droit d'auteur.

M. Arseneault: Mais vous ne concluriez pas d'ententes globales avec les établissements scolaires?

Mme Peacock: L'exemption proposée dans le projet de loi C-32 autorise un exemplaire par établissement.

M, Arseneault: Je le sais.

Mme Peacock: Comment cet établissement s'assurera-t-il que ses agents, ses 5 000 étudiants, ne violent pas le droit d'auteur, à moins de devoir les autoriser et de ne pas considérer qu'ils sont ses agents?

M. Arseneault: De quel ordre de grandeur seraient les droits exigés?

Mme Peacock: Nous ne le saurons pas tant que la Commission du droit d'auteur ne nous l'aura pas dit.

M. Arseneault: Vous deviez bien avoir une idée générale.

Mme Peacock: Pas vraiment.

M. Arseneault: Quels arguments invoqueriez-vous?

Mme Peacock: Je ne le sais pas encore. J'aimerais bien le savoir. Je suis certaine que j'y viendrai un jour.

M. Frith: Susan et moi en avons discuté. Ce pourrait quelques sous multipliés par le nombre d'étudiants. Ou, pour simplifier les choses, un montant fixe pour le conseil scolaire de Peel ou le Conseil scolaire de Hamilton Ouest, ce qui faciliterait vraiment le travail de la Commission du droit d'auteur...

M. Arseneault: Ce serait plus facile à administrer?

M. Frith: Absolument.

Mme Peacock: Je pense que ce sera une espèce de licence globale. Ce pourrait être un montant par étudiant par année, peut-être...

Le président: Excusez-moi. Avant de terminer, puisqu'il nous reste encore deux minutes, avec la permission des membres, j'aimerais vous poser une très brève question, afin de comprendre le mécanisme.

Vous semblez dire que lorsqu'un producteur de musique négocie avec un radiodiffuseur les grandes ententes visant en réalité à contourner les dispositions du jugement de 1990...

Mme Peacock: Non, non, je ne veux pas donner cette impression.

Le président: Pas précisément, mais en pratique.

Mme Peacock: Non. Le jugement de 1990 prévoit que le radiodiffuseur doit obtenir la permission avant de copier une oeuvre.

.2110

Je déclare, tout d'abord, que cela ne concerne le radiodiffuseur que s'il a produit l'émission, parce que si Warner Brothers produit une émission, c'est Warner Brothers qui obtient les droits du compositeur de copier cette musique dans son émission, puis de faire des copies et d'autoriser ses licenciés à en faire eux aussi.

Alors, lorsque Warner Brothers vend sous licence une émission à CTV, son principal intérêt est de s'assurer que les règles sont claires: CTV pourra diffuser l'émission deux fois sur son réseau, au prix convenu, durant la période fixée, et une autorisation spéciale, une licence, pas une renonciation, permet de faire les copies nécessaires à la diffusion.

Le président: Je comprends. Je me suis mal exprimé. Mais une licence est un moyen de contourner...

Mme Peacock: C'est une façon de se conformer à la loi, pas de la contourner.

Le président: D'accord, de s'y conformer.

Prenons l'exemple de la SODRAC, qui a comparu devant nous aujourd'hui. Ils ont signé une entente avec le ministère de l'Éducation, avec TVA, peu importe. En vertu de cette entente, ils donnent presque carte blanche et permettent de faire tout ce qui, normalement, ne serait pas possible. Est-ce le pont entre les deux?

Mme Peacock: C'est compliqué. Une façon de voir les choses est que Warner Brothers, le fournisseur de l'émission, en est aussi le propriétaire. C'est un peu comme un membre de la SODRAC, qui est propriétaire de son oeuvre.

Le président: D'accord.

Mme Peacock: Lorsque Warner Brothers a une licence et est payée pour la diffusion de son émission, elle accorde généralement aussi le droit de faire les copies nécessaires à la diffusion. C'est ce que font les fournisseurs d'émissions; la loi devrait peut-être exiger la même chose des auteurs-compositeurs. Mais je n'en suis pas convaincue et ce n'est pas nécessairement ce que je recommande, à cause de la situation différente.

Le fournisseur d'émissions négocie pour cette représentation en particulier et il a encore le contrôle. Le droit de représentation est un peu comme une exemption; c'est un peu comme une licence obligatoire. Il y a des différences, mais certaines comparaisons et analogies pourraient vous aider dans vos délibérations très ardues.

Le président: Merci. Vous avez été extrêmement utiles et j'apprécie votre présence.

Merci beaucoup, monsieur Frith et madame Peacock.

M. Frith: Merci, monsieur le président. J'aimerais ajouter en terminant que j'ai appris une chose depuis le peu de temps que je travaille avec Mme Peacock. Elle est extrêmement compétente dans ce domaine et si vous voulez que nous revenions pour vous conseiller, nous nous mettons à votre disposition.

Le président: Merci, c'est très gentil.

Nous ferons une pause de deux minutes.

.2113

.2119

Le président: À l'ordre.

[Français]

Je voudrais accueillir les membres de l'ALAI CANADA, l'Association littéraire artistique canadienne, M. Ghislain Roussel, avocat, Mme Claudette Fortier, qui est vice-présidente et directrice générale de la SODRAC (Montréal), et M. Stefan Martin, avocat.

.2120

Monsieur Roussel, c'est à vous.

M. Ghislain Roussel (avocat, Association littéraire et artistique canadienne inc.): Merci, monsieur le président, messieurs et mesdames les membres du comité permanent.

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier de l'invitation que vous avez adressée à l'ALAI CANADA de faire ses représentations. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Je rends hommage à tous les membres du comité permanent du Patrimoine canadien qui s'intéressent à la question du droit d'auteur. Pour nous, membres de l'ALAI, c'est un dossier passionnant mais fort complexe, et votre mérite est d'autant plus grand que le projet de loi C-32 ne vous simplifie pas la tâche.

Les personnes qui m'accompagnent peuvent vous être précieuses ce soir. Tout d'abord, je crois que vous avez déjà entendu la prestation de Mme Claudette Fortier. Mme Fortier a une vaste expérience, pas simplement dans le domaine sonore ou des oeuvres musicales, mais aussi dans le domaine de l'écriture, de la sonorisation et de l'audiovisuel. Elle a déjà été présidente de la Conférence canadienne des arts.

M. Stefan Martin est avocat chez Byers Casgrain. D'origine franco-allemande et connaissant deux régimes de droit différents, il a fait de nombreuses recherches dans le domaine des droits voisins et surtout de la copie privée et il a négocié, pour les universités, une entente sur la reprographie.

Votre interlocuteur est l'un des responsables des négociations pour le ministère québécois de l'Éducation sur la photocopie dans les établissements d'enseignement.

Vous avez devant vous des experts qui pourront vous rassurer en ce qui concerne la gestion collective du droit d'auteur, sans exceptions.

Dans notre mémoire, nous avons insisté sur la défense et la promotion de principes généraux, mais dans une perspective pratique de la gestion du droit d'auteur.

Il y aussi une autre raison pour laquelle nous avons adopté cette orientation. On constate, à la lumière des modifications à la Loi sur le droit d'auteur depuis 1988 - et je trouve cocasse d'appeler cette phase-là la deuxième ou la troisième puisqu'il y a eu plusieurs modifications à la Loi sur le droit d'auteur, ce qui ne simplifie pas votre tâche - qu'on est en train de dénaturer le droit d'auteur au fur et à mesure de ces modifications.

Le droit d'auteur, à l'origine, est un monopole, mais qui est limité dans sa durée, la vie d'auteur étant de 50 ans. Il est aussi limité dans ses droits et au niveau du titre du droit, ce qui fait l'objet de certaines limitations que l'on retrouve dans diverses promotions internationales et lois nationales.

À la lecture du projet de loi C-32, on remarque un glissement dangereux du droit d'auteur. En effet, je crois que, d'une certaine manière, le droit d'auteur est si mal défini qu'on pourrait reconnaître comme auteur un producteur ou un radiodiffuseur qui deviendrait ainsi le premier titulaire du droit d'auteur. On fait même intervenir le distributeur exclusif.

L'autre inquiétude, c'est qu'on ne protège plus les oeuvres. La matière première, au niveau du droit d'auteur, est d'abord l'oeuvre. On étend cette notion-là a fortiori à des prestations, à des enregistrements, à des exemplaires, à des signaux des ondes, ce qui remet en cause la notion même de droit d'auteur, à savoir que l'oeuvre d'un auteur est protégée si elle est originale. En quoi un signal est-il original? Si on me parlait d'une émission de télévision, je comprendrais peut-être quelque chose.

Je vous parlais aussi du titre du droit d'auteur qui se déplace. Un autre principe de droit d'auteur est accordé aux auteurs, aux premiers titulaires de droit d'auteur, et ce sont des droits exclusifs, qui apparaissent à l'article 3 de la loi.

De plus en plus, on reconnaît des droits exclusifs à des prestations et des enregistrements de signaux. Ce ne sont pas des droits qui portent sur des oeuvres, mais qui sont ni plus ni moins des droits dérivés du droit d'auteur sur une oeuvre, ce qu'on appelle les droits voisins du droit d'auteur. C'est ce que les législateurs de la common law peuvent appeler droits voisins, droits sur les enregistrements sonores, droits sur les émissions ou droits sur les prestations d'artistes, ce qui n'est sûrement pas un droit d'auteur de l'artiste.

.2125

Il y a donc cette dénaturation du droit d'auteur qui est dangereuse au niveau de cette loi.

Dans d'autres cas, on ne reconnaît pas de droit exclusif ou, si on reconnaît un droit exclusif, on en fait un droit à rémunération, qui est ni plus ni moins assujetti à une licence non volontaire ou à des rémunérations et des modalités qui ne font pas partie de négociations entre des usagers et des titulaires de droits d'auteur.

Il ne faut cependant pas se montrer entièrement négatif et il faut se réjouir de ce que le projet de loi C-32 fasse des clarifications au niveau des recours, au niveau des droits du licencié exclusif, au niveau de l'importation et au niveau de la reconnaissance des droits dits voisins, l'ALAI Canada ayant demandé la reconnaissance des droits dits voisins, mais dans la perspective mentionnée tout à l'heure.

L'autre difficulté constatée au fil des ans à la lumière des derniers projets de loi, et tout particulièrement du projet de loi C-32, c'est la cohérence au niveau de la rédaction législative. Le projet de loi vise des modes de diffusion, mais ceux-ci sont tellement encadrés par le support de diffusion ou le mode d'exploitation qu'à certains égards, le projet de loi que vous avez à l'étude est déjà caduc, obsolète, parce qu'il existe déjà sur le marché des supports qui vont au-delà de ce qui est prévu dans le projet de loi, notamment au niveau des enregistrements sonores et de la copie privée.

Des notions et des définitions étroites vont également entraîner une révision encore plus rapide de la loi. Vous avez le projet de loi C-32 à l'étude alors qu'une conférence diplomatique est convoquée par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle à Genève, au mois de décembre, sur trois projets de traités: un sur les bases de données, un sur les droits des artistes-interprètes et des producteurs d'enregistrements sonores et un troisième qui modernise le cadre de protection des oeuvres littéraires et artistiques traditionnellement protégées par le droit d'auteur en vertu de la Convention de Berne de 1886 révisée en 1971.

On peut aussi noter un autre aspect au niveau du projet de loi, soit la liste d'exceptions prévues par la loi qui dénaturent le droit d'auteur et qui vident de leur substance des droits exclusifs qui sont accordés aux auteurs, droits qui, dans certains cas, font déjà l'objet de conventions avec les usagers. Beaucoup de ces exceptions se retrouvent dans les accords avec des établissements d'enseignement. Cela crée un précédent dangereux parce que tous les efforts qui ont été faits depuis 1983-1984, notamment au Québec, pour responsabiliser les établissements d'enseignement au respect du droit d'auteur sont quasiment niés par ces exceptions.

Alors que nous sommes dans une décennie de responsabilité et d'imputabilité, on encourage fortement la non-responsabilité et l'utilisation de droits d'auteur sans tenir compte des droits des usagers. On entretient une mentalité voulant que le droit d'auteur soit quelque chose qui paralyse la diffusion, l'accès à l'information et à la communication dans une société où tout le monde a droit à la culture et à l'information, alors qu'il y a des mécanismes comme la gestion collective des droits d'auteur qui sont prévus dans la loi.

Au lieu de faire des droits à rémunération ou des exceptions et de s'en remettre de façon systématique à la Commission du droit d'auteur, on devrait encourager la gestion collective du droit d'auteur et la négociation entre les établissements d'enseignement, notamment entre les usagers et les titulaires de droits. À défaut d'entente, lors de différends, parce qu'il faut quand même prévoir des paramètres et des balises, il faudrait que l'une ou l'autre des parties, l'ayant droit ou l'établissement d'enseignement en l'occurrence, puisse s'adresser à la Commission du droit d'auteur pour fixer soit un projet de barèmes, soit des modalités, soit des licences, ou même demander à la Commission de jouer le rôle d'un arbitre.

.2130

On oublie que la Commission du droit d'auteur a déjà ce pouvoir en vertu de la Loi sur le droit d'auteur. On pourrait étendre les pouvoirs de la Commission et lui donner le rôle d'un véritable tribunal qui rendrait les décisions selon les réclamations qui pourraient être faites de part et d'autre.

Nous préférons cette démarche à celle qui est transparente au niveau du projet de loi, où on judiciarise le droit d'auteur non pas de manière éhontée, mais à une très haute échelle. Le droit d'auteur est d'abord là pour servir des auteurs, soit par des licences, soit par des limitations. Il y a là tellement de nuances et de mots qui prêtent à interprétation que, finalement, l'auteur est souvent en position d'infériorité face à des établissements d'enseignement ou à d'autres catégories d'usagers qui ont les ressources nécessaires par avoir les titulaires de droits à l'usure, si vous me permettez l'expression. Les titulaires seront dans une position intenable au niveau de la défense de leurs droits quand ils feront face à des recours et à des réclamations.

Je terminerai sur une question qui a été posée tout à l'heure. Est-ce que des ententes déjà négociées deviendraient caduques? Compte tenu des exceptions, je n'en donnerai qu'un exemple. Le gouvernement du Québec vient de négocier une entente sur les oeuvres dramatiques pour les écoles primaires et secondaires avec l'Association québécoise des auteurs dramatiques. Avec le projet de loi, cette entente devient caduque et sans effet.

Merci, monsieur le président. Je crois avoir fait le tour de la question. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le président: Monsieur Roussel, il est 21 h 30 et je pense que les députés ont suivi votre présentation avec beaucoup d'intérêt. Nous avons reconnu en vous une personne qui connaît son métier et dont l'exposé nous aidera dans notre recherche. Nous vous en remercions. Je vais maintenant demander à M. Leroux de poser des questions.

M. Leroux: Je pense que cela rejoint une des préoccupations de l'opposition par rapport au projet de loi, à savoir qu'il faudrait aller dans le sens de la responsabilisation dans le projet de loi sur le droit d'auteur et non dans celui de la déresponsabilisation de grands secteurs de la société et de grandes institutions face à leur devoir de rencontrer les représentants des ayants droit pour fixer des paramètres par rapport à l'utilisation des oeuvres. Comme vous le dites, il faut utiliser les outils en place, comme la Commission du droit d'auteur, et reconnaître fondamentalement toute cette question de la négociation.

J'ai été très heureux de recevoir votre mémoire et je voudrais aborder la première question. C'est la première fois qu'on soulève, dans les mémoires qui nous ont été présentés, la question de la judiciarisation. Vous nous dites dans votre mémoire qu'on pourrait vous rétorquer qu'il existe des exceptions dans les lois américaine, canadienne, française, etc., mais qu'aucune loi nationale ne comporte autant d'exceptions à portée aussi vaste et aussi judiciarisée. J'aimerais que vous nous expliquiez cela plus en détails, que vous nous indiquiez de quelle nature sont les exceptions qui existent ailleurs et que vous nous parliez des conséquences de la judiciarisation.

M. Roussel: La judiciarisation peut apparaître dans le libellé de certains textes, à savoir qu'on peut prévoir des limitations. Je crois que M. le député Abbott l'a souligné précédemment. Il peut y avoir un exemplaire pour un élève à telle ou telle fin. Mais il y a beaucoup de nuances au niveau des libellés. Par exemple, pour les musées, les services d'archives ou les bibliothèques, on pourrait en faire un exemplaire sauf si on trouvait l'exemplaire disponible en nombre raisonnable, à des conditions raisonnables, à un prix raisonnable, etc. Dans le projet de loi, il y a plein de qualificatifs ou d'épithètes qui feraient que j'aurais des munitions extraordinaires si je représentais des ayants droit ou des usagers.

.2135

La judiciarisation peut apparaître au niveau du libellé des exceptions, parce qu'il y en a beaucoup et que chacune peut faire l'objet d'une interprétation.

La judiciarisation peut apparaître à un autre niveau, à savoir que les droits exclusifs ne font plus l'objet de négociations en tant que tels, mais qu'il doit y avoir une société de gestion qui peut déposer un projet de barème, à la suite de quoi tout le dossier sera transféré devant la Commission du droit d'auteur.

Mais à beaucoup d'égards, au niveau de la copie privée, à celui des droits des artistes-interprètes et des producteurs d'oeuvres musicales qui font l'objet d'enregistrements sonores, au niveau du droit d'exécution publique et à celui du droit de communication au public, la Commission elle-même, qui est un tribunal administratif avec des pouvoirs judiciaires, a plus ou moins de latitude, parce qu'elle est assujettie à des critères et à des barèmes dans plusieurs dispositions du projet de loi. Elle doit «respecter», «se conformer à», «veiller à», «tenir compte de», etc. Ceci se retrouve dans au moins trois dispositions du projet de loi.

Comme la Commission fonctionne un peu comme dans le système du contre-interrogatoire, elle entend des représentations, des oppositions, et doit tenir compte de la preuve qui est déposée devant elle. Les barèmes vont encore faire l'objet de conflits de part et d'autre et être matière à interprétation. Certains de ces critères et de ces barèmes sont non applicables, irréalisables et irréalistes, parce qu'ils sont déjà obsolètes ou qu'ils vont beaucoup limiter les décisions de la Commission du droit d'auteur dans ses décisions. Il faudrait lui laisser une marge de manoeuvre et en faire un véritable tribunal du droit d'auteur.

M. Leroux: Donnez-nous un exemple.

M. Roussel: Je voudrais d'abord vous signaler que les associations de producteurs de films et l'ADISQ, notamment la CIRPA et la CRIA, vous en parleront sans doute abondamment dans le domaine des enregistrements sonores. Vous savez que la Commission doit tenir compte de certains critères pour fixer les redevances dans le domaine des enregistrements sonores, notamment au niveau de la copie privée. Quels sont les taux qui sont accordés dans d'autres lois ou dans d'autres pays?

Les experts des ministères de l'Industrie et du Patrimoine canadien me pardonneront de ne pas avoir le libellé exact, car je ne peux pas vous dire à quelle page cela se trouve. On doit tenir compte de l'industrie américaine en ce qui concerne l'enregistrement sonore. Je comprends, mais quand on connaît la vitalité de l'industrie du disque au Québec, je pense que cela peut fausser le jeu de la fixation des redevances. C'est à la page 84 du projet de loi. On dit que la Commission a comme ligne directrice de fixer des redevances justes et équitables et que ce critère-là devrait suffire. Je lis, en français, ce qui est dit à la page 84 du projet de loi au sujet de la copie privée:

Cette lecture m'amène à une autre chose. Je n'oublie pas la dimension internationale dont je parlerai tout à l'heure.

Il y a en effet une judiciarisation par ce biais-là, mais il y a aussi un autre aspect du projet de loi qui est dangereux. Dans beaucoup de dispositions du projet de loi, on donne au gouverneur en conseil le pouvoir d'intervenir par voie réglementaire. Par voie réglementaire, on peut étendre le champ des bénéficiaires des droits dits voisins à d'autres pays, dont les membres de l'ALENA, ou à d'autres objets du droit d'auteur.

On a des définitions d'«établissement d'enseignement», mais il pourrait y avoir d'autres définitions. De mémoire, je crois qu'il doit y avoir des dispositions semblables dans le projet de loi à au moins une quinzaine d'endroits, où il y a un élargissement d'une loi par le biais de la voie réglementaire, sans procédure ou consultation quelconque.

Vous avez posé aussi une autre question extrêmement importante, qui a déjà été posée à la SODRAC. Y a-t-il des exceptions ailleurs?

Oui, mais il y a deux approches. Il y a des lois qu'on appelle de droit civil ou romano-germaniques qui ne contiennent pas d'exceptions, ou très, très peu, et qui prévoient des mécanismes de négociation entre les parties. Il y a des exceptions, mais c'est plutôt à des fins de copie privée, à des fins de consultation ou de recherche, comme il y en a déjà dans la loi canadienne concernant l'utilisation équitable, par exemple.

.2140

Vous avez le système des pays nordiques, qui se base sur un système de gentlemen's agreement. Il y a certaines exceptions, mais on force la négociation. À défaut de négociation entre les ayants droit ou les titulaires de droits, des commissions d'arbitrage sont établies. C'est une approche assez particulière des pays nordiques.

Vous avez l'approche américaine où il y a des exceptions, mais qui repose sur une philosophie complètement différente. Il y a des exceptions qui sont prévues ou balisées, mais à côté de la loi, il y a des lignes directrices pour encadrer ces exceptions.

Je vous donne un exemple. Vous avez des exceptions dans la loi américaine concernant l'audiovisuel, l'imprimé et la reprographie. Indépendamment de ces exceptions et des lignes directrices qui apparaissent, il y a quand même des négociations. Il y a même des poursuites qui ont été intentées parce que ce n'était pas conforme aux lignes directrices. Il y a même des ententes qui ont été négociées.

Ce qui concerne davantage le Canada, qui est un pays de common law au niveau du droit d'auteur, le droit d'auteur pour les interprètes et pour nous n'est pas le copyright» mais le author's right.

L'ALAI CANADA se situe dans une perspective internationale, étant le groupe canadien d'une association internationale dont, entre parenthèses, le président est un Canadien.

Les textes de loi de common law renferment des pages et des pages d'exceptions. Je vous invite à demander à vos services de recherche de vous fournir copie de la loi australienne ou de la loi néo-zéalandaise; vous allez vous amuser.

Vous avez beaucoup d'exceptions, mais elles sont davantage limitées. Je donne un exemple: les établissements d'enseignement...

Le président: Monsieur Roussel, est-ce que vous pouvez résumer afin de donner une chance aux autres?

M. Roussel: D'accord. Lorsque vous avez des exceptions, elles sont limitées dans leur champ d'application et beaucoup plus qualifiées. Mais dans ces pays-là, il n'existe pas de mécanismes de gestion collective. La loi britannique prévoit des exceptions, mais beaucoup d'entre elles sont conditionnelles ou applicables lorsqu'il n'y a pas de mécanisme de gestion collective au sein de l'État.

Comme vous le voyez, il y en a beaucoup d'exceptions dans ces lois, mais leur champ d'application va être beaucoup plus nuancé ou assujetti à des mécanismes de gestion collective.

M. Leroux: Merci, monsieur le président, de votre patience, parce que je trouve que c'était important. Ce n'est pas de la philosophie. C'était très détaillé et important pour nous.

M. Roussel: Je m'excuse, monsieur le président, si mon intervention a été si longue.

M. Leroux: Non, il y a parfois des choses qu'il faut dire et qu'on ne peut abréger. Merci, monsieur.

[Traduction]

M. Abbott: Je suis d'accord avec vous quand vous laissez entendre que ce projet de loi donne au gouvernement le pouvoir d'intervenir, mais j'ajoute à l'intention de mes amis libéraux que c'est assez typique des lois libérales.

Vous avez indiqué qu'on «judiciarise» trop le droit d'auteur, que vous vous inquiétez des exemptions et de l'interprétation. Vous avez évoqué la création d'un tribunal du droit d'auteur. Je me demande si vous conviendriez que ce projet de loi ouvre carrément la porte à des poursuites judiciaires et que les honoraires des avocats qui iront défendre leur cause à la Commission du droit d'auteur augmenteront probablement.

[Français]

Mme Claudette Fortier (vice-présidente de l'Association littéraire et artistique canadienne inc.): Non, je ne le pense pas. À titre de représentant collectif, je suis contente de voir les recours qui sont prévus et les minimums qui y figurent. Il est évident que si l'on poursuit pour un répertoire, les sommes semblent énormes. Mais pour un ayant droit individuel, les dommages prévus sont très peu élevés. Ils sont minimes si vous intentez une poursuite pour avoir fabriqué, par exemple, un message publicitaire ou un produit très commercial. La loi actuelle ne change rien. Je le répète, tout ce que les collectifs essaient, c'est de faire respecter la loi telle qu'elle existe. Il n'y aura pas plus de recours devant les tribunaux.

.2145

[Traduction]

M. Abbott: Si je devais résumer les propos de votre collègue, tels que je les ai compris, il a parlé de «judiciarisation» à très haute échelle; il s'inquiète des exemptions et de l'interprétation. Si tel est le cas, il se pourrait que le projet de loi n'aide pas nécessairement la société de gestion.

J'estime que si toutes ces exemptions sont permises et que nous rajoutons un autre palier de détails minuscules par-dessus ceux qui existent déjà, les gens qui tenteront de se protéger par suite de la loi seront plus nombreux qu'avant et que les avocats auront donc plus de travail.

[Français]

Mme Fortier: Dans les faits, voici ce que les exceptions vont faire pour les collectifs. Pour exercer des droits négatifs, ils vont devoir dépenser temps et argent et effectuer un contrôle pour un droit négatif qui ne comporte aucun paiement. C'est de cette façon que s'appliqueront les exceptions telles qu'elles sont rédigées.

Qui va contrôler si une oeuvre dramatique est exécutée devant un public composé majoritairement d'élèves lors d'un concert dans un collège ou une université pour les étudiants en musique ou en art dramatique? On affiche sur le devant de l'école que les parents sont invités et que le prix d'entrée est de 5 $. Qui va aller compter? Est-ce qu'il y a plus d'étudiants que d'adultes? Ce sont des cas pareils qui nous font affirmer que le texte du projet loi tel qu'il est présentement rédigé va compliquer les choses.

M. Stefan Martin (avocat, Association littéraire et artistique canadienne inc.): Permettez-moi d'ajouter quelques détails ou observations quant aux recours. Je parlerai ici de ma perspective et à la lumière de mon expérience d'avocat de pratique privée.

C'est vrai que les possibilités et la diversité des recours ont été élargies puisque la loi prévoit maintenant qu'on pourra procéder par voie d'action ou par voie de requête. Par contre, bien des choses rendent le recours aux tribunaux plus compliqué, et de bonnes initiatives ont été quelque peu dénaturées.

En premier lieu, je vous reporte aux dommages-intérêts préétablis. On a introduit une question de mens rea dans la loi, au paragraphe 38.1(2) proposé, où on dit:

(2) Dans les cas où le défendeur convainc le tribunal qu'il ne savait pas ou n'avait aucun motif raisonnable de croire qu'il avait violé le droit d'auteur, le tribunal peut réduire le montant des dommages-intérêts préétablis jusqu'à 200 $.

Vous conviendrez que dans le cas d'une violation qui a rapporté un certain montant, 200 $, c'est peu. Vous savez que dans les articles précédents, on dit que le tribunal doit tenir compte des profits, mais d'abord établir les dommages-intérêts. Peu de gens vont recourir aux dommages-intérêts préétablis lorsqu'ils savent qu'ils encourent le risque d'être obligés de faire une preuve de mens rea, qui est très complexe à faire. On le sait, puisque si vous vous reportez à la jurisprudence qui avait été rendue en vertu de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur, qui porte sur le recours pénal, vous trouverez très peu de décisions. Prouver une intention telle qu'elle est requise en droit pénal est une chose qui est très difficile.

À mon avis, cette exigence de mens rea et ces montants devraient disparaître. On voit des dommages préétablis variant de 500 $, ce que je juge un peu bas, à 20 000 $. Comment voulez-vous avoir, à un moment donné, une fonction comminatoire, c'est-à-dire essayer de dissuader la contrefaçon avec un risque de 500 $ préétabli?

J'aurais une dernière observation au titre des recours. Je partage les propos de notre président selon lesquels il y a eu un effort de surlégislation. On a voulu vraiment encadrer les pouvoirs des tribunaux tout comme on a voulu encadrer ceux de la Commission. Ici même, on encadre les pouvoirs des tribunaux. Je vous reporte notamment au paragraphe 38(4) proposé où on dit:

(4) Le tribunal doit, lorsqu'il rend une ordonnance visée au paragraphe (2), tenir compte notamment des facteurs suivants:

a) la proportion que représente l'exemplaire contrefait ou la planche par rapport au support dans lequel ils sont incorporés...

b) la mesure dans laquelle cet exemplaire peut être extrait de ce support...

Là, à nouveau, vous serez obligé de faire une preuve. Vous allez obliger le titulaire des droits ou l'auteur à faire une preuve et, de plus, vous encadrez les pouvoirs du juge qui jusqu'alors avait une discrétion très large à cet égard au niveau de la fixation des dommages-intérêts.

.2150

Donc, je pense que tout ce chapitre, à la fois au niveau de la judiciarisation et de cet encadrement des recours qu'on estime excessif, est certainement néfaste quant à la défense des droits d'auteur.

Le président: Thank you.

Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Je trouve la discussion très intéressante. Je dois avouer que nous devrons étudier davantage certaines des notions soulevées. Vous avez entre autres soulevé le fait que le projet de loi est déjà périmé dans certains domaines, notamment en matière de redevances ou de tarifs quelconques sur des cassettes audio.

Je crois comprendre que vous demandez pourquoi on n'exigerait pas un tarif semblable sur les cassettes vidéo et, j'irai plus loin, sur les disquettes d'ordinateur. Est-ce vraiment ce que vous voudriez voir? Si on doit aller dans cette voie, doit-on couvrir toutes les technologies?

M. Roussel: La copie privée devrait couvrir toutes les technologies, y compris l'audio et le vidéo ainsi que les équipements servant à la reproduction sonore ou audiovisuelle.

M. Bélanger: Et aussi les disquettes d'ordinateur?

M. Roussel: Je vais être très honnête avec vous. En toute logique, on devrait dire oui. Nous ne nous sommes toutefois pas interrogés sur cette question, mais logiquement, pour les nouveaux supports de reproduction par voie informatique et sur CD-ROM, etc., la réponse devrait être affirmative.

M. Bélanger: Est-ce que vous savez si dans d'autres pays où votre organisme oeuvre, c'est bel et bien le cas?

M. Roussel: Dans certains pays, on couvre le vidéo et l'audio en plus des équipements. Je sais qu'en Allemagne, on va beaucoup plus loin et que l'on exige une redevance sur les photocopieurs.

M. Martin: Je peux vous donner la référence exacte. C'est l'article 54 de la loi allemande telle qu'elle est en vigueur. Elle s'applique aussi aux appareils. Cela s'explique historiquement parce que l'Allemagne a été le premier pays à instaurer une redevance de copie privée. À l'époque, les bandes magnétiques étaient tellement chères que les gens en possédaient peut-être deux ou trois; ce n'était pas comme les cassettes de nos jours. C'est pourquoi ils ont instauré un droit sur les appareils en 1965.

M. Bélanger: Permettez-moi de revenir sur la photocopie. Comment fonctionne cette redevance?

M. Roussel: Il faudrait nous reporter aux dispositions de la loi allemande. Je vous répondrai de mémoire. Nous pourrions mettre à votre disposition les extraits de la loi, bien que vos conseillers ou recherchistes en aient probablement copie.

Il y a deux exemples sur les appareils photocopieurs. L'exemple français est ni plus ni moins qu'une taxe et non pas une redevance dirigée aux ayants droit. Je crois me souvenir que c'est une taxe qui, à l'origine, allait au Centre national de l'édition; Stefan Martin pourrait me corriger.

Quant à l'Allemagne, je n'entrerai pas dans les détails parce qu'il y a un protocole à cet égard. Je pourrais vous en transmettre un exemplaire si vous le désirez. La loi prévoit un mécanisme de perception et de distribution, régit les équipements et prévoit une négociation par la suite. Vous payez tant de pfennigen par capacité de photocopies, de distribution de pages par photocopieur - ce qu'ils appellent le format métrique A-4 - et selon qu'il s'agisse de pages en noir et blanc ou en couleur ou d'autres détails de sophistication.

M. Martin: Pour vous préciser les méthodes qui ont été mises en place, je puis vous dire qu'il y a évidemment une taxe qui est perçue directement sur l'appareil, mais il y a également une taxe qui est perçue au volume, notamment dans les établissements d'enseignement grâce à des compteurs qui sont installés par les sociétés de gestion.

.2155

À un moment donné, on a fait des études statistiques et estimé que sur 10 millions de photocopies, il y en avait peut-être 25 p. 100 qui étaient faites en reproduisant des oeuvres couvertes par le droit d'auteur.

M. Bélanger: Vous nous parlez ici de la phase 3!

M. Martin: Pour continuer un peu sur le dépassement technologique de la loi, je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler de la notion de photocopieur intelligent.

Je ne sais pas si ça vous dit quelque chose, mais de nos jours, on peut scanner des documents, les mettre sur une disquette, insérer la disquette dans un photocopieur et débiter à une quantité très, très impressionnante les oeuvres qu'on a scannées.

À partir de là, quand on parle de support, il est certain que très rapidement, la loi ne sera pas seulement obsolète, mais un peu démodée. Voilà!

M. Bélanger: Merci, madame la présidente.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Phinney): D'autres questions?

Merci beaucoup. Nous sommes désolés qu'il soit si tard et nous vous remercions d'être restés et de nous avoir permis de vous entendre ce soir.

Je demanderais aux membres de rester encore quelques minutes.

M. Lincoln m'a demandé de dire quelques mots en son nom. Il a dû prendre l'avion pour Montréal et sera de retour vers 11 h 30 demain matin. Il a des renseignements sur des modifications d'horaire, mais surtout sur le sujet que M. Abbott a soulevé et dont ce dernier veut discuter demain. Il n'a reçu cette information que cet après-midi. Il demande - et je le demande moi aussi - si nous pourrions reporter cette séance, parce qu'il ne peut être là demain matin, et si la greffière pourrait trouver un moment le plus tôt possible après le congé. Êtes-vous d'accord? Des remarques, monsieur Abbott?

M. Abbott: Est-il possible de se réunir demain? Est-ce faisable?

La vice-présidente: (Mme Phinney): Tout dépend si les gens seront là demain après-midi.

M. Arseneault: Quel est le programme pour demain matin?

M. Abbott: Je suis de bonne foi, ce n'est pas un jeu. Je dis simplement que, tout compte fait, il serait très sain de pouvoir régler la question et de ne pas la laisser s'éterniser jusqu'après le congé.

La vice-présidente (Mme Phinney): Des observations de ce côté? Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Je peux être là vendredi, mais pas demain.

La vice-présidente (Mme Phinney): Je ne suis pas libre vendredi.

.2200

M. Peric: Je respecte votre point de vue et je suis d'accord que nous devrions nous réunir le plus tôt possible, mais je ne pense pas que nous devrions tout bâcler en deux minutes.

M. Abbott: Je suis d'accord.

M. Peric: Il vaut mieux régler le problème à notre retour et prendre le temps qu'il faut.

La vice-présidente (Mme Phinney): M. Lincoln a déclaré que le sujet dont vous vouliez discuter prendra un certain temps, mais qu'il a d'autres...

M. Peric: Alors, faisons diligence.

M. Arseneault: Si nous prenons la peine d'en discuter, faisons-le comme il faut.

M. Abbott: Ce sera une séance à huis clos?

La vice-présidente (Mme Phinney): Nous n'en parlerons pas maintenant. Les conditions seront identiques, sauf que nous nous réunirons après le congé. D'accord?

Une voix: Dès que possible après le congé.

La vice-présidente (Mme Phinney): M. Leroux n'a pas encore ouvert la bouche.

[Français]

M. Leroux: Nous avions prévu de nous rencontrer demain avant la réunion. J'avais ajusté mon horaire en conséquence. Je pense qu'il faut arrêter de laisser traîner les choses. Y a-t-il un empêchement de dernière minute? Est-ce parce que le président ne peut être présent?

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Phinney): Oui. Il ne peut pas être ici avant...

[Français]

M. Leroux: N'est-il pas possible d'aborder la discussion en l'absence du président?

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Phinney): Nous ne connaissons pas la nature des renseignements qu'il veut nous communiquer.

[Français]

M. Leroux: Nous traînons et reportons sans cesse.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Phinney): Nous devons d'abord répondre à cette question.

[Français]

M. Leroux: Est-il possible de traiter de cette question en l'absence du président? M. Abbott l'a soulevée; il a quand même suivi les procédures, etc. Je voulais savoir si c'était possible. Je soulève tout simplement la question.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Phinney): Non.

[Français]

M. Arseneault: Pourquoi reporter la réunion?

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Phinney): Excusez-moi, laissez-moi d'abord répondre à cette question.

M. Lincoln a d'autres renseignements dont nous ne connaissons pas la teneur. Il les a reçus cet après-midi et il aimerait assister à la réunion. Je pense qu'il y aura de longues discussions et de longues explications, alors il aimerait en parler.

[Français]

M. Leroux: D'accord, je comprends.

[Traduction]

M. Peric: Avant de proposer que la séance soit levée, je suggère que M. Leroux, qui a parlé le plus ce soir et qui a une faim de loup, nous invite tous à manger.

La vice-présidente (Mme Phinney): Quelqu'un veut-il faire une proposition?

M. Arseneault: Je voudrais d'abord invoquer le Règlement. Je croyais que la réunion prévue demain visait à déterminer si nous allons nous réunir ou non pour discuter de ce dont a parléM. Abbott. Il nous a demandé de convoquer une réunion demain, 48 heures plus tard. Nous déciderons alors si le comité veut se réunir pour discuter de la question ou non.

Nous n'avons pas encore décidé de nous réunir pour discuter de la question, que je sache. Nous avons décidé d'entendre la demande visant à nous réunir à nouveau pour discuter de la question. Nous n'avons pas décidé de discuter de la question. Nous prendrons peut-être cette décision demain. Nous déciderons peut-être qu'il n'y a pas lieu de nous réunir à nouveau.

M. Peric: Alors cette discussion devrait se dérouler à huis clos.

M. Arseneault: C'était mon impression.

M. Abbott: Je suis d'accord.

La vice-présidente (Mme Phinney): Monsieur Arseneault, nous dites-vous que vous voulez encore une réunion demain matin?

Quelqu'un peut-il présenter une motion sur ce que nous voulons ou ne voulons pas, sur quelque chose, enfin?

Une voix: Je propose que la séance soit levée.

La vice-présidente (Mme Phinney): Je vous en prie, faites une proposition. J'ai faim et je suis fatiguée.

M. Peric: J'avais une proposition, mais vous n'en avez pas tenu compte.

La vice-présidente (Mme Phinney): Non, ce n'était pas une proposition.

Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Par respect pour le président, même s'il a des ennuis pour un troisième jeudi d'affilée, je propose que nous nous réunissions pour discuter de la motion de M. Abbott le plus tôt possible après le congé.

La motion est adoptée.

La vice-présidente (Mme Phinney): Merci. La séance est levée.

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