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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 8 avril 1997

.0947

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor - Sainte-Claire, Lib.)): Steve Sulllivan est en chemin, et il devrait être ici dans quelques minutes, et je pense que Debbie doit témoigner à 10 h 30. Est-ce exact?

Le greffier du comité: Elle doit témoigner à 9 h 30.

La présidente: D'accord. Nous attendons Steve.

Le comité de direction n'a pas siégé hier comme il était censé le faire. Mais nous avons l'ordre du jour de cette séance, et j'ai pensé que le comité plénier serait en mesure d'adopter les résolutions voulues pour expédier tout cela étant donné que nous avons quelques instants pour ce faire.

Vous devriez avoir un ordre du jour. L'avez-vous?

Le greffier: Oui.

La présidente: D'accord. Vous avez devant vous la liste des choses qui nous restent à faire au cours des quelques jours à venir.

Le projet de loi C-46 a été adopté en deuxième lecture hier soir et il nous a été renvoyé; il nous faut donc passer à l'étude article par article. D'après cet ordre du jour, ce sera fait bientôt, mais en fait, le projet de loi nous a été renvoyé hier soir. Nous devrons procéder bientôt à l'étude article par article, et c'est prévu, à titre provisoire, pour demain.

Avez-vous des objections?

D'accord. Nous allons donc procéder à l'étude article par article du projet de loi C-46 demain après-midi...

Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Cela ne me pose pas de problème.

La présidente: D'accord. Pour ce qui est de la Loi sur les jeunes contrevenants, partie deux, nous devons étudier le rapport jeudi matin et c'est prévu à titre provisoire de 10 h 15 à midi et demi.

Le projet de loi C-205 est au programme pour aujourd'hui. Étant donné que nous avons fait venir Debbie ici le jour où nous avons dû annuler notre séance parce qu'il y avait des votes en Chambre, je propose qu'on étudie dès cet après-midi la motion 168, à savoir la motion de M. White sur les droits des victimes, pour que nous puissions entendre tous ces témoins le même jour. On s'écarte ainsi quelque peu de la procédure, mais je ne pense pas que cela pose de problème pour qui que ce soit.

.0950

Des objections? D'accord. Il nous reste donc le projet de loi C-53, le projet de loi d'initiative parlementaire de M. Mills sur les loteries à l'Internet, et le projet de loi C-217, de Mme Venne, sur la protection des témoins, ainsi que le Budget des dépenses principal.

Et à moins que quelqu'un n'ait de vives réserves, je ne crois pas que nous soyons en mesure de planifier autrement que semaine par semaine à compter de maintenant.

Vous aviez une observation à faire. On me dit qu'il s'agit de l'annexe C...

M. George Rideout (Moncton, Lib.): Pourquoi?

La présidente: Parce que... je ne sais pas. Pour ma part, je serais heureuse de planifier jusqu'en juin.

À la page 10 du Budget des dépenses principal... et je le mentionne pour les personnes qui n'assistent pas habituellement aux réunions du comité de direction, ce qu'on fait normalement, c'est qu'on prend les listes de personnes que les partis veulent entendre et nous tâchons ensuite de leur trouver une place. Si les partis de l'opposition et les députés du gouvernement peuvent faire savoir à Richard qui ils veulent entendre lorsque nous nous pencherons sur le Budget des dépenses principal, nous allons commencer à établir un ordre.

Si vous regardez à la page 10, vous allez voir que le 22 avril, nous pensions entendre - sous réserve de votre approbation - la Commission nationale des libérations conditionnelles et la Gendarmerie royale du Canada. Le 29 avril, nous pensions recevoir le Service correctionnel et l'enquêteur correctionnel. Le solliciteur général suivrait ensuite. Il témoigne habituellement à la fin du processus.

Je propose qu'on demande comme d'habitude au Sous-comité sur la sécurité nationale de se pencher sur les crédits du SCRS et du CSARS.

Sous la rubrique «Justice», nous avons une liste aux pages 11, 12 et 13 des crédits sur lesquels nous devons nous pencher. Si les partis peuvent nous faire savoir qui ils veulent entendre, nous allons tâcher de coopérer et d'établir une liste.

Si vous n'avez pas d'objections, je vais continuer.

Nous avons aussi des propositions budgétaires. Richard, il y a deux choses ici. Il y a la proposition budgétaire pour la période du 1er au 30 avril.

Voici le document, afin que nous sachions tous de quoi il s'agit, et il me faut une motion pour l'adopter. Encore là, vous devez savoir qu'il ne s'agit que d'estimations, et nous prévoyons normalement plus d'argent qu'il n'en faut.

Art.

M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, Réf.): J'ai devant moi quelques dates pour la fin du mois, le 29 avril par exemple. Est-ce que ce n'est pas le jour où vous allez déclencher des élections?

La présidente: Ça, nous l'ignorons. Parole d'honneur, nous ne savons rien.

Des voix: Ah, ah!

La présidente: Vous parlez du budget? Ou parlez-vous... on parle du budget maintenant, mais si vous voulez revenir à l'autre sujet, nous le pouvons.

M. Randy White (Fraser Valley-Ouest, Réf.): On demandait, comme ça.

Des voix: Ah, ah!

La présidente: Il s'est peut-être confié à M. Wappel, mais je ne crois pas que les autres savent quand il y aura des élections.

M. Tom Wappel (Scarborough-Ouest, Lib.): Et moi je ne dis rien.

Des voix: Ah, ah!

La présidente: Sue Barnes sait.

M. Tom Wappel: C'est vrai.

La présidente: Ça va?

M. Tom Wappel: Ça va. Les élections m'énervent...

La présidente: Il est tellement nerveux à l'idée de notre contre-interrogatoire qu'il vient de tomber de sa chaise.

Mais qu'allons-nous faire? Nous devons simplement continuer. Il y a un élément d'incertitude, mais reprenons la liste et voyons où nous en sommes.

Me permettez-vous de parler de la proposition budgétaire pendant un instant? Ce budget couvre la période du 1er au 30 avril. Encore là, nous y allons graduellement, et il s'agit d'une estimation. Nous ne savons pas si nous allons tout dépenser, et nous ne ferons rien pour tout dépenser.

Y a-t-il des objections à ce budget? Pouvez-vous alors en faire une motion.

M. George Rideout: J'en fais la proposition.

La présidente: J'ai une motion de George Rideout. Des objections?

.0955

La motion est adoptée [voir Procès-verbaux]

La présidente: Nous avons un autre document - j'y vais lentement ici parce que Richard me fournit mes informations au fur et à mesure - qui fait état de certaines dépenses que nous avons dû faire au cours de l'exercice financier 1996-1997, qui s'est terminé le 31 mars. Nous avons eu des dépenses supplémentaires pour le sous-comité chargé d'étudier le règlement sur les armes à feu, qui ne s'attendait pas à entendre autant de témoins. Cela comprenait les dépenses pour les téléconférences, qui ont dépassé ce que nous avions prévu. Comme Richard le dit, nous avons tout de même fait des économies parce que nous n'avons pas eu à faire venir ces témoins à Ottawa.

Il nous faut donc plus d'argent, soit 39 846,63 $. Il me faut une motion pour approuver cette dépense.

Et le silence lui répondit.

M. George Rideout: J'en fais la proposition.

La présidente: Merci, George.

D'autres veulent intervenir à ce sujet? Y a-t-il des objections à l'approbation de ce montant?

M. Art Hanger: Au sujet de ces dépenses, pourquoi ne les a-t-on pas prévues lorsqu'on nous a proposé le budget initial?

La présidente: Je vais vérifier, mais je crois savoir que nous n'attendions pas autant de témoins ou que nous ne savions pas combien de téléconférences il nous faudrait pour que le sous-comité puisse faire son travail. De même, je crois que le sous-comité pensait qu'il pourrait aller plus vite. Mais le sous-comité a compris avec raison qu'il devait entendre le plus de témoins possible.

Autres interventions?

[Français]

Mme Christiane Gagnon: Donc, la somme de 39 000 $ est un excédent budgétaire. C'est un excédent qu'on a à dépenser.

[Traduction]

La présidente: Ils ont dépensé plus qu'on pensait.

[Français]

Mme Christiane Gagnon: Donc, 39 000 $ de plus, plus 20 000 $.

[Traduction]

La présidente: Les membres adoptent-ils la motion portant l'approbation de cette dépense.

La motion et adoptée [voir Procès-verbaux]

La présidente: Pour ce qui est de la séance de cet après-midi - Randy, vous pouvez peut-être m'aider ici - , il me semble que c'est un peu différent de ce que nous faisons normalement. Nous n'aurons pas de loi devant nous pour suivre le débat. J'ai la certitude que les témoins auront des mémoires ou des observations à nous présenter, mais il me semble que ce qui compte ici, c'est que le comité ait une bonne idée des problèmes qui se posent aux victimes, et de là nous verrons dans quelle mesure nous pouvons utiliser le Code criminel ou une autre loi pour régler ces problèmes, et nous verrons quels sont les problèmes qui relèvent strictement de l'administration provinciale de la justice.

D'après ce que j'en sais, des bureaux du procureur de la Couronne font mieux les choses que d'autres, et certains bureaux provinciaux font mieux les choses que d'autres, mais ce n'est qu'une observation personnelle, j'ignore si c'est toujours le cas. J'aimerais que vous me disiez comment on peut commencer, parce que nous nous écartons un peu de la procédure. Je ne veux pas faire revenir sans cesse ces témoins.

M. Randy White: Je vais vous donner un aperçu des problèmes. Je pense que je peux expliquer assez bien au comité les problèmes que vivent les victimes, et où l'on peut le mieux intervenir. Je ne crois pas qu'il s'agisse de modifier le Code criminel, il s'agit plutôt d'une question parapluie. Je pense qu'ils seront d'accord eux aussi.

La présidente: Seriez-vous alors disposé à faire une déclaration cet après-midi?

.1000

M. Randy White: Ah, oui, je suis prêt. Je pensais que j'étais censé faire ça de toute façon. Ce sont les instructions que j'ai reçues.

La présidente: D'accord. Je voulais seulement m'en assurer.

M. Randy White: Je serai gentil, calme et poli.

La présidente: Vous êtes celui qui a fait tout le travail là-dessus ici, nous allons donc vous entendre. Je pense que le ministère de la Justice a fait du travail lui-aussi. Nous voulons l'entendre lui aussi.

M. Randy White: Je pense que lorsque nous aurons terminé, nous pourrons avoir une bonne discussion à ce sujet.

La présidente: Oui. Je pense que tout le monde veut ça.

On nous propose aussi d'inviter le Conseil national de la prévention du crime, la Commission nationale des libérations conditionnelles et Irvin Waller.

M. Randy White: C'est... [Inaudible]... mais vous êtes la patronne.

La présidente: Eh bien, ce n'est pas le cas. Vous les connaissez?

M. Randy White: Non.

La présidente: Nous pouvons alors vous donner des informations sur...

M. Randy White: Non, ça va s'ils veulent s'adresser au comité; j'ai soumis au comité des noms autres que ceux qui figurent ici.

La présidente: Nous avons ces noms. Nous avons d'autres témoins aussi.

Quoi qu'il en soit, nous les entendrons aujourd'hui.

Randy, combien de temps vous faut-il pour votre exposé, une demi-heure?

M. Randy White: Pas plus d'une demi-heure.

La présidente: Formidable! Nous allons pouvoir faire quelque chose cet après-midi.

M. Randy White: J'ai la certitude que vous aurez des questions. Il faudra ensuite entendre leur point de vue, et j'ignore combien de temps il leur faudra.

La présidente: Faisons une petite pause en attendant que les témoins arrivent.

.1001

.1011

La présidente: Dans notre étude du projet de loi C-205, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le droit d'auteur (fruits d'une oeuvre liée à la perpétration d'un acte criminel), nous avons le plaisir de recevoir de nouveau Gemma Harmison de Victims of Violence; Steve Sullivan, directeur général du Victims Resource Centre; et Debbie Mahaffy d'ACTION. Je vous souhaite à nouveau la bienvenue pour deux raisons. Nous vous voyons souvent, mais il y a aussi le fait que nous avons eu malheureusement un pépin la dernière fois que vous êtes venus témoigner.

J'aimerais maintenant prendre un instant pour faire une petite réclame pour tout le Comité de la justice. L'exercice d'aujourd'hui s'inscrit dans l'engagement que nous avons pris d'accorder l'attention voulue aux projets de loi d'initiative parlementaire. De tous les comités de la Chambre, c'est le nôtre qui a la plus grande charge de mesures législatives, du moins pour cette session-ci. Mais c'est aussi le comité qui reçoit le plus de projets de loi d'initiative parlementaire. Nous nous sommes donc engagés à procéder rapidement et à ne pas les oublier. D'où la séance d'aujourd'hui.

J'ai sondé mes collègues, et je m'attends à ce que vous receviez un accueil des plus favorable aujourd'hui. Voulez-vous commencer Steve?

M. Steve Sullivan (directeur général, Victims Resource Centre): Merci, madame la présidente. Je pense exprimer l'opinion unanime de mes collègues aujourd'hui en vous disant que nous sommes favorables au projet de loi C-205. Il est un principe dans notre système de justice et dans nos valeurs canadiennes qui interdit aux criminels de profiter de leurs crimes. Ce principe est enchâssé dans la common law, et je le répète, dans les valeurs canadiennes depuis plusieurs années. À l'heure actuelle, cependant, rien n'empêche les criminels de profiter de leurs crimes en vendant le récit de leurs exploits à des éditeurs, à des cinéastes, de donner des entrevues et ce genre de choses. Le projet de loi C-205 comble cette lacune dans la loi et rehausse la protection des victimes du crime.

Avant de commencer, j'aimerais remercier M. Wappel, au nom des victimes et de groupes de victimes du pays, pour ses efforts soutenus en faveur des victimes du crime et pour ce projet de loi. Encore une fois, je tiens à remercier le comité d'avoir accepté aussi rapidement d'étudier ce projet de loi, car nous savons qu'il est assez récent.

Je pense que l'aspect le plus positif de ce projet de loi tient au fait qu'il est exécutoire à l'extérieur du Canada. Ce n'est un secret pour personne que le risque le plus grand que nous avons de voir des criminels de l'acabit de Clifford Olson ou Paul Bernardo vendre le récit de leurs exploits vient vraiment des États-Unis et non du Canada. La beauté de ce projet de loi, c'est qu'il sera exécutoire hors de nos frontières. Le droit d'auteur deviendra la propriété de la Couronne, c'est ce que dira la sentence, et je pense que c'est vraiment la beauté de ce projet de loi.

La seule préoccupation que nous avons à propos de ce projet de loi, et je la mentionne avant les autres préoccupations qui ont été soulevées par d'autres, c'est que le sous-alinéa 462.3c)(ii) pourrait empêcher les familles des délinquants de profiter du crime. On comprend qu'on ne veut pas voir les délinquants collaborer avec leurs familles pour profiter de leur crime. Cependant, nous ne voulons pas qu'on empêche des rescapés de l'inceste ou des femmes qui ont été battues par leurs maris de raconter ce qui leur est arrivé et de réaliser des gains ainsi, si telle chose est possible. C'est la seule préoccupation que nous avons à l'égard du projet de loi. Je pense que c'est assez facile à arranger.

D'autres ont exprimé des préoccupations à l'égard du projet de loi relativement aux livres qui ont une véritable valeur esthétique, comme ceux de Roger Caron ou de Julius Melnitzer. Ces livres peuvent apporter quelque chose à la société parce qu'ils ont un contenu important et parce qu'ils ne glorifient pas la violence ou les crimes que ces personnes ont commis.

.1015

Si le livre ou le contrat ne porte pas expressément sur le crime lui-même et si le crime ne fait que partie du récit et est mentionné dans le récit, je ne crois pas que ce projet de loi s'y applique. Et même si c'est le cas, il faudra que le tribunal tranche la question. Je pense que si on en donne l'interprétation appropriée, on permettra à ces livres de se vendre.

Le ministère de la Justice a soulevé quelques préoccupations, et nous allons tâcher de répondre à certaines d'entre elles aujourd'hui. Ce qui le préoccupe le plus, c'est l'article 2(b) de la Charte - à savoir que ce projet de loi pourrait entraver la liberté de pensée, d'opinion ou d'expression d'un citoyen. Je ne crois pas que ce projet de loi ait cet effet. Il n'y a rien dans ce projet de loi qui empêche quiconque de vendre le récit de ses exploits à quiconque. Clifford Olson a écrit des manuscrits, et il pourrait les publier en théorie s'il le voulait. Ce projet de loi l'empêche seulement d'en profiter.

J'ignore si les préoccupations relatives à la Charte à cet égard sont si sérieuses que cela parce qu'on n'empêche ici personne d'exprimer sa pensée ou son opinion. Mais imaginons que ce soit le cas. Il est normal de limiter les droits des gens dans notre pays. Service correctionnel Canada a interdit à Clifford Olson de s'adresser aux médias. Cela constitue en soi une entrave à la liberté de pensée ou d'expression. Cependant, les tribunaux ont maintenu cette interdiction pour le plus grand bien de la société, des victimes et même de Clifford Olson.

On entrave donc tous les jours les droits des gens, et même si ce projet de loi devait constituer une entrave à ces droits garantis par la Charte, cette atteinte pourrait être justifiée en vertu de l'article 1.

Deuxièmement, le ministère de la Justice semble se préoccuper du fait que les articles du code ne mentionnent aujourd'hui que les crimes directs, ainsi que les gains réalisés directement ou indirectement de la perpétration d'un délit. On fait valoir que ce projet de loi ne s'appliquerait pas à ces cas parce que rien n'émane directement du délit lui-même, et parce que le fait d'écrire un livre n'est pas illégal.

Nous répondons à cela que s'il n'y a pas de délit, il n'y a pas de livre. Si le contrevenant ne commet pas de crime, il n'écrira pas de livre à ce sujet. Il y a donc une relation indirecte ici, sinon directe. Là encore, nous pensons que cette préoccupation n'est pas sérieuse.

Lorsque M. Wappel a témoigné devant votre comité au sujet de ce projet de loi, on a proposé d'amender le projet de loi pour les personnes qui ont été pardonnées, ou d'en limiter la portée temporelle [Inaudible]. Nous recommandons au comité de rejeter cet amendement parce que, ou bien on accepte le principe que les criminels n'ont pas le droit de profiter de leur crime, ou bien on ne l'accepte pas. Si l'on dit que les criminels ne doivent pas profiter de leur crime, ils ne doivent pas en profiter 10, 15 ou 20 ans après la perpétration du délit.

Cela rehausserait aussi la protection des victimes du crime. L'un des avantages de ce projet de loi, c'est qu'on protège la famille des victimes et les victimes elles-mêmes. Si ce projet de loi ne devait s'appliquer que pour un certain temps, je pense qu'on risque de victimiser davantage ces personnes et d'oublier le principe qui anime ce projet de loi, à savoir que les contrevenants ne doivent pas profiter de leur crime. Nous recommandons le rejet de tout amendement en ce sens au projet de loi.

Je vais laisser à mes collègues le soin de répondre aux autres préoccupations, mais en dernier lieu, j'aimerais reprendre une objection que Mme la présidente a soulevée lorsque M. Wappel a témoigné, à savoir ce qu'il faut faire des fonds qu'on saisira en vertu de ce projet de loi. Chose certaine, nous sommes de tout coeur favorables à la création d'un fonds réservé aux victimes. De plus amples recherches sur les problèmes relatifs aux victimes, la sensibilisation des jeunes, et l'initiation des victimes à leurs droits au sein du système sont toutes des initiatives que nous jugeons très utiles, et nous en discuterons plus avant cet après-midi. Je pense que c'est une bonne idée et nous y sommes favorables.

En conclusion, je me contenterai de souligner le fait que ce projet de loi a été chaleureusement accueilli à la Chambre des communes. Je pense que tous les partis y sont favorables, et nous espérons que vous allez donner à la Chambre une occasion de plus de soutenir ce projet de loi en l'adoptant rapidement en troisième lecture.

Merci. Je cède maintenant la parole à Mme Harmison de Victims of Violence.

Mme Gemma Harmison (directrice de la recherche, Victims of Violence): Merci.

Je suis directrice de la recherche à Victims of Violence, et lorsque ce sujet a été soulevé, notre directeur général, Gary Rosenfeldt, m'a proposé de rédiger mon propre mémoire ou d'inclure des extraits de textes qu'il avait écrits. Malheureusement, les Rosenfeldt ne pouvaient être ici aujourd'hui à cause d'un deuil dans la famille, et ils assistent aux obsèques dans l'Ouest, mais j'aimerais lire un extrait du texte que M. Rosenfeldt a rédigé. À mon avis, personne n'est mieux placé que lui pour dire ce que ressent une famille ou le membre d'une famille lorsqu'on offre à un criminel la possibilité de profiter de son crime.

.1020

Voici ce que dit M. Rosenfeldt:

Clifford Robert Olson sait parfaitement bien qu'il ne sortira jamais de prison. Il le savait déjà à l'été de 1981 lorsqu'il a avoué avoir assassiné 11 enfants innocents. Cependant, la prison n'est pas une si mauvaise chose pour lui. Il a passé presque toute sa vie adulte en prison, et ce n'est pour lui qu'un endroit où vivre comme n'importe quel autre. Mais pour y séjourner plus confortablement, il a besoin d'argent. Sans argent, il n'est qu'un détenu comme les autres, incapable de goûter aux douceurs que l'on peut dénicher en milieu carcéral.

Voilà pourquoi il a accepté de vendre des cadavres en échange d'espèces sonnantes et trébuchantes lorsqu'il a été accusé du meurtre de ces enfants. Sachant qu'il allait finir en prison de toute façon, il a conclu un marché qui lui permettrait de toucher de l'argent en prison, croyait-il, ou de constituer un fonds de retraite pour le jour où il en sortirait. Ses plans ont été gâchés lorsque les familles des victimes lui ont intenté à lui et à ses avocats un procès pour récupérer ces billets tachés de sang. Il avait placé l'argent au nom de sa femme, mais il a continué, pendant sa première année de prison, à dépenser de l'argent. Il a dépensé de l'argent par l'entremise de son avocat, il s'est offert diverses choses et il a même offert de l'argent à des amis pour qu'ils lui rendent visite à Kingston. Moins d'une année après avoir touché ces 100 000 $ pour révéler où se trouvaient ses victimes, il n'avait plus que 55 000 $. La poursuite que lui ont intentée les parents de ses victimes a mis un terme à ces dépenses folles, et le reste de l'argent a été versé à sa femme. Le fait de savoir que ce tueur a profité du meurtre de ces enfants a laissé des cicatrices qui sont encore visibles aujourd'hui dans les familles de ses victimes. Ces gens ne peuvent penser à leurs absents bien-aimés sans se rappeler que le tueur a profité du meurtre de leurs enfants. À l'époque, on avait répondu simplement à ces parents que «même si l'État interdit à un criminel de profiter de ses crimes», on ne pouvait rien faire pour récupérer cet argent.

Le cauchemar de voir ce tueur profiter de ses crimes ne s'est pas terminé pour les familles des victimes d'Olson. Depuis les 15 années qu'il est en prison, il a continué de torturer les familles de ses victimes en essayant de profiter de sa sinistre célébrité, lui le pire monstre du Canada. D'ailleurs, il met lui-même cette image en valeur en signant «Clifford Olson, le monstre de la Colombie-Britannique», les lettres qu'il adresse aux médias, aux députés et aux gens de l'extérieur. Cette image encourage la vente de ses cartes de tueurs sériels qu'il offre pour «8 $ US ou 10 $ canadiens». Avec l'aide de Service correctionnel Canada, il a également produit une série de 12 vidéos, dont chacun dure deux heures, où il décrit ses «actes sexuels et meurtres». Ces vidéos sont protégés par son droit d'auteur, et il en offre cinq actuellement au public pour la somme de 300 $ pièce. Le jour viendra sûrement où une émission d'actualités achètera les vidéos pour régaler son auditoire des détails sordides des viols et des meurtres de 11 enfants innocents. Il y a à peine quelques mois, l'une des chaînes a montré un vidéo de Richard Speck en prison qui disait de ses victimes qu'elles avaient tout simplement «joué de malchance».

Olson a également écrit deux livres, où l'on imagine aisément qu'il décrit les détails de ses «actes sexuels et meurtres». On l'imagine parce que toute sa célébrité tient au fait qu'il a assassiné 11 enfants innocents. Ses mémoires, sur vidéo ou sous forme de livre, n'auraient aucune valeur s'il n'avait pas commis les crimes les plus odieux qui soient.

La seule chose qui empêche Olson de stimuler la vente de ses livres, vidéos et cartes de tueurs sériels est le bâillon que lui a mis le solliciteur général du Canada. Ces dernières années, on lui a interdit l'accès aux médias à cause du mal qu'il continue d'infliger aux familles de ses victimes à partir de sa cellule de prison. Les familles de ses victimes sont reconnaissantes de ce «bâillon», mais celui-ci pourrait être bientôt retiré. Olson a contesté ce bâillon devant un tribunal à Saskatoon le 9 avril dernier. S'il réussit à le faire retirer, on s'attend à ce qu'il commence immédiatement à donner des entrevues moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, ce qui lui permettra encore une fois de profiter du meurtre de ces enfants aux dépens des victimes qui restent. Non seulement il pourra toucher de l'argent pour ces entrevues, mais cela pourrait l'aider à stimuler la vente de ses livres, vidéos et cartes.

Les souvenirs que les parents et les familles des victimes ont de leurs bien-aimés demeurent embrouillés par l'homme qui leur a arraché leurs enfants. Pour conserver sa notoriété et toucher de l'argent, Olson doit demeurer visible. Voilà pourquoi il s'empare de toutes les occasions qui s'offrent à lui pour s'adresser au public. Il sait parfaitement bien qu'il n'a aucune chance d'être libéré conditionnellement, mais encore là, il saisit toutes les occasions qui s'offrent à lui pour se faire connaître aux dépens de ses victimes. Voilà pourquoi il a sollicité une audience en vertu de l'article 745 pour le jour où il sera admissible à la libération conditionnelle, audience qui doit avoir lieu à Surrey, en Colombie-Britannique, à compter du 18 août 1997. Les familles de ses victimes n'ont pas le choix, elles doivent être là pour représenter leurs bien-aimés et dire l'effet que ces crimes ont eu sur elles; Olson sera là pour se faire connaître comme le «monstre de la Colombie-Britannique», et ce, afin de se vendre davantage.

Les familles des victimes d'Olson, comme la plupart des autres familles des victimes de meurtre, veulent simplement qu'il reste dans sa cellule pour y purger la peine que lui ont imposée les tribunaux. Ce n'est pas ce qui se passe parce que nos lois permettent à ce monstre et à d'autres comme lui de continuer de profiter de leurs crimes. Chaque dollar qu'ils gagnent ajoute à la souffrance des victimes de leurs crimes.

Je saisis également l'occasion de remercier M. Wappel d'avoir présenté ce projet de loi que nous appuyons sans réserve.

.1025

Je répondrais volontiers aux questions au sujet de la déclaration au cours de la période des questions.

Merci.

La présidente: Madame Priscilla de Villiers, de CAVEAT.

Mme Priscilla de Villiers (présidente, CAVEAT - Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation): Merci beaucoup.

L'une des vérités les plus dévastatrices qui vous est assenée lorsque vous avez le malheur d'être victime d'un crime violent, c'est que ces événements horribles qui ont détruit votre vie et en ont changé le cours deviennent un divertissement pour autrui. Je pense que c'est sans doute l'une des réalités les plus accablantes, après le crime proprement dit. Plus le sujet est émoustillant, plus les événements se rapprochent de la pornographie explicite, plus on peut faire de profit.

L'une des réunions les plus pénibles à laquelle j'ai assisté a été organisée par le Comité de la justice. Une trentaine de personnes représentant des auteurs, des comédiens, des producteurs de télévision, des compagnies de câblodistribution, etc., étaient assises autour d'une table avec moi et tous réclamaient le droit d'exploiter ces expériences parmi les plus terribles, personnelles et incroyablement douloureuses à des fins de divertissement et de gains financiers et strictement pour cette raison.

Au tribunal, au moment de l'enquête du coroner, il y avait cinq ou six auteurs en puissance et de nombreux journalistes affiliés à des magazines. Un homme s'est approché de moi pour me dire qu'il voulait écrire un livre. Je lui ai dit que je n'étais pas prête pour cela, que notre famille ne souhaitait pas être ainsi mise à nu. Je l'ai supplié de respecter notre vie privée. Il m'a dit de faire face à la musique, que de toute façon ce livre allait être écrit. J'ai donc confronté le problème et j'ai choisi mon propre auteur. J'ai essayé de contrôler la situation le plus possible.

Je pense que les bandes de Clifford Olson et, bien entendu, les assassinats de Leslie et de Kristen ainsi que la lutte qui a été ultérieurement menée devant les tribunaux depuis près de cinq ans maintenant pour l'accès aux bandes vidéo à des fins de divertissement et de gains financiers, ont mis cela en évidence. Je ne saurais trop insister sur l'influence profonde que les bandes audio et le compte rendu détaillé, étape par étape, des épreuves subies par Leslie et Kristen ont eue sur les femmes et les enfants, les parents et les grands-parents dans notre pays. Cela n'a été avantageux pour personne, si ce n'est pour ceux qui ont essayé d'en tirer profit. C'est dans cette perspective que j'accueille favorablement ce projet de loi.

Je ne souhaite pas répéter ce qui a déjà été dit ici. Cependant, j'ai consulté mon conseiller juridique, le professeur Alan Young, d'Osgoode Hall, pour savoir ce qu'il pensait de la constitutionnalité de la mesure, des éventuelles contestations aux termes de la Charte et ainsi de suite. Il avait écrit, en 1988, un article dans l'Intellectual Property Journal sur les projets de loi découlant de l'affaire Son of Sam, dans lequel il examinait quel genre de mesure concernant les criminels voulant tirer profit de leur crime serait acceptable dans le contexte canadien.

Ultérieurement, lorsque je lui ai fait parvenir ce projet de loi, il m'a fait savoir qu'un certain nombre de questions devaient être examinées avant qu'une mesure comme celle-là devienne loi au Canada. J'aimerais attirer votre attention sur ces questions, car je sais que vous allez passer directement à l'étude article par article. C'est d'ailleurs tout ce que je ferai.

On craint que cette mesure ne soit pas avalisée par les tribunaux et ne réalise pas son objectif premier car, entre autres choses, elle est inefficace.

.1030

Aux États-Unis, à la suite de lois découlant de l'affaire Son of Sam, adoptées par une vingtaine d'États, les maisons d'édition sont tenues de verser tout droit d'auteur dans un compte fiduciaire bloqué dont le contenu est ultérieurement versé dans un fonds d'aide aux victimes. Au Canada, les agents d'exécution de la loi seraient tenus de faire enquête et de saisir les éléments d'actif à titre de produit de la criminalité. C'est un système fastidieux, long et coûteux. Il est beaucoup plus facile d'imposer aux maisons d'édition de réserver les droits dont elles savent qu'ils tombent sous le coup de la loi. Le régime proposé permettrait le blanchissage d'argent et d'autres formes de camouflage d'éléments d'actif. En outre, il nous faudra espérer également que la police mène une enquête approfondie pour remonter la filière financière.

Le fait d'assimiler les profits tirés de la vente d'un livre aux produits de la criminalité signifie que l'argent sera confisqué et remis à Sa Majesté, sans pour autant être réservé aux victimes elles-mêmes. Par conséquent, cette proposition n'avantagerait pas nécessairement les personnes qu'elle souhaitait avantager et ce mécanisme serait punitif sans pour autant atteindre son objectif d'indemnisation des victimes. Ces observations découlent des situations vécues aux États-Unis.

Deuxièmement, la mesure est exposée aux contestations d'ordre constitutionnel. La Cour suprême des États-Unis a abrogé la loi de l'État de New York, surtout parce qu'elle était «d'application restreinte». Autrement dit, elle visait uniquement la liberté d'expression, qui est une liberté protégée. Elle ne visait pas d'autres types d'actifs qu'un contrevenant peut avoir en sa possession maintenant ou à l'avenir. Le tribunal a conclu que le fait de singulariser la liberté d'expression contrevenait au premier amendement, et je peux imaginer que notre propre Cour suprême puisse en arriver à la même conclusion. Cet article renferme des exemples qui viennent étayer cette affirmation, si cela vous intéresse. Pour faire en sorte que la mesure ne contrevienne pas à la Charte, il serait préférable que ce mécanisme déni de profit fasse partie d'un cadre législatif plus vaste visant à contrôler et à saisir les éléments d'actif d'un contrevenant afin de faciliter l'indemnisation des victimes.

L'autre grande lacune constitutionnelle en l'occurrence tient au fait que les profits saisis ne sont pas réservés expressément pour l'aide aux victimes. À défaut de faire cela, la Couronne n'aurait peut-être pas les arguments convaincants dont elle a besoin pour faire valoir que la privation de profit est une limite raisonnable aux termes de l'article 1 de la Charte. D'ailleurs, il y a quatre ou cinq sujets de préoccupation relativement à l'article 1.

Enfin, on craint que la mesure revienne à conférer un droit d'auteur à la Couronne, ce qui va trop loin. L'État devrait s'inquiéter de ce que les criminels puissent tirer un gain financier d'un contrat de rédaction de livre, mais non pas de la rédaction même de ce livre, car à ce moment-là on se heurte aux problèmes de la liberté intellectuelle. Le fait de conférer un droit d'auteur à la Couronne pourrait permettre à cette dernière d'empêcher la publication d'un ouvrage, sans égard à la question des profits. Nos tribunaux risquent de considérer cela comme une atteinte indue à la liberté d'expression. Il est beaucoup moins radical et moins coercitif de priver le criminel d'un profit que d'empêcher la diffusion de documents protégés par la liberté d'expression. Voilà les observations qu'il avait à faire au sujet de la mesure proposée.

Je m'excuse de ne pas les avoir photocopiées et je les inclurai dans votre trousse. Je suis également tout à fait disposé à répondre aux questions à ce sujet.

La présidente: Merci beaucoup.

Je signale que la sonnerie retentit, ce qui signifie normalement qu'il y a un vote. D'après le bureau de notre whip, même si la sonnerie continue de retentir, le vote en question sera en fait reporté à 17 h 30. Si certains parmi vous sont nerveux à ce sujet et veulent appeler leur propre whip, allez-y.

Madame Mahaffy.

Mme Debbie Mahaffy (ACTION pour les victimes): Je vais maintenant vous lancer le défi de suivre le cheminement illogique de ma pensée.

La présidente: Vous avez déjà comparu, de sorte que vous savez comment fonctionnent nos cerveaux.

Mme Debbie Mahaffy: Dans ce cas, tout ira sans doute très bien.

La présidente: C'est exact.

Mme Debbie Mahaffy: Au nom d'ACTION pour les victimes, c'est-à-dire toutes les familles des victimes de violence que j'ai rencontrées personnellement et les autres, je suis heureuse de comparaître encore une fois devant vous pour conférer une perspective personnelle à cette nécessité d'adopter au Canada cette mesure de compassion, le projet de loi C-205. Seule une victime de la violence ou une famille qui a souffert de la perte de l'un de ses membres à la suite d'un meurtre, ou d'un autre type de crime, même d'une agression sexuelle... A mon avis, il faut que la présente mesure englobe tout gain tiré d'un crime, qu'il s'agisse d'un meurtre ou d'un crime moins grave, comme un vol de banque, une agression sexuelle, un vol de voiture, etc. Elle ne doit pas uniquement viser les meurtriers.

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Personne n'apprécie mieux le caractère précieux de la vie que ceux et celles à qui on leur a arraché un membre de leur famille. Le meurtre n'est pas un divertissement pour les familles des victimes, mais nous savons tous qu'il l'est pour de tierces parties qui publient des livres sans le consentement des familles en question, sans leur contribution. Ces tierces parties inventent ce qui leur plaît et, malheureusement, la population pense que si c'est imprimé, c'est nécessairement vrai. Je parle d'expérience puisque je sais pertinemment que les cinq ouvrages en librairie à l'heure actuelle ne sont pas véridiques. En tout cas, ils ne décrivent pas la famille dans laquelle je vis.

Si, encore une fois, nous considérons que ces livres sont un divertissement - et je m'éloigne quelque peu de la teneur du projet de loi de Tom Wappel - , je vous demanderais d'envisager l'application de la taxe de 9 p. 100 sur les spectacles. Quiconque voit un film au sujet d'un meurtre ou au sujet d'un vol de banque paie une taxe de 9 p. 100 sur les spectacles à la porte. Peut-être ces sommes pourraient-elles, elles aussi, servir à la réadaptation des familles des victimes. Encore une fois, tout argent tiré de la vente des livres en question devrait être considéré comme un produit de la criminalité et être versé aux victimes.

J'estime aussi que le gouvernement fédéral devrait assumer le contrôle de cet argent, peut-être sous les auspices du Régime de pensions du Canada, volet assurance-invalidité, en particulier pour les personnes non salariées qui ne peuvent avoir recours à la Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels. Je ne sais pas trop comment, dans d'autres provinces, on traite ces non-salariés. Je songe par exemple aux frères et soeurs qui sont trop jeunes pour toucher un salaire ou aux grands-parents qui éprouvent une grande douleur et beaucoup de stress et qui ne reçoivent aucune indemnisation. Souvent, il leur en coûte très cher de suivre une thérapie.

Je me suis entretenue avec les membres d'une famille du nord de l'Ontario. Le mari, dans cette famille, a été l'un des derniers hommes pendus par le gouvernement - désolée, ce sont ces deux meurtriers qui ont été pendus par le gouvernement. Cette famille a communiqué avec moi parce qu'elle était très affligée, 40 ans plus tard, par le fait qu'elle avait entendu dire qu'un film inspiré de ce meurtre allait être tourné dans sa région. Le mari n'était pas présenté sous un jour très favorable, et cela contrevenait à la vérité. Sa femme m'a demandé ce qu'elle pouvait faire à ce sujet.

Que peut-elle faire à ce sujet? C'est la liberté intellectuelle. Elle n'a que deux choix: exprimer publiquement son désaccord ou endurer en silence toutes les allégations.

Le projet de loi C-205 ne fera pas échec à la catastrophe nationale qui surviendra si nous continuons à fermer les yeux sur la perpétuation de la violence. En mettant un frein à cette catastrophe nationale, le gouvernement peut faire la preuve qu'il se soucie vraiment des droits des victimes. D'ailleurs, ce sera vraiment une catastrophe puisque le nombre des victimes s'accroît tous les mois, tous les ans.

À mon avis, il serait honteux que le projet de loi puisse se rendre à l'étape de la troisième lecture. Il y a des analogies frappantes entre ce projet de loi et la vente des cartes de grands criminels.

Au sujet de ces cartes, le ministre de la Justice, M. Allan Rock, a déclaré le 20 avril dernier que ces cartes - tout comme les produits du crime mentionnés dans le projet de loi C-205 - valorisent, banalisent et commercialisent les plus odieux des comportements humains. Cette observation vaut pour quiconque essaie de tirer un gain financier de son crime. Le fait d'autoriser des gens à gagner de l'argent à la suite d'une telle entreprise ne reflète tout simplement pas les valeurs qui sont les nôtres et que nous voulons inculquer à nos enfants.

Je pense que le ministre a tout à fait raison et que nous pouvons en dire autant au sujet du fruit de la criminalité.

Ce qui m'inquiète, c'est qu'un détenu, depuis sa prison, qui a besoin d'embaucher un avocat pour interjeter appel, n'aura qu'à collaborer à un livre pour se procurer l'argent nécessaire pour financer cet appel. Je crains qu'une personne en mal d'argent puisse vendre son histoire en contrepartie d'une somme considérable, que ce soit par exemple pour les droits d'un film, ici au Canada ou à l'étranger. Je crains que cela ne place les gardes dans une situation très précaire.

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À mon avis, nous ne devrions pas modifier la situation qui règne actuellement dans les prisons. Nos prisons risquent de tomber sous le contrôle d'un détenu extrêmement riche. Ce seront les détenus les plus nantis qui auront également le plus de contrôle.

Nous ne pouvons permettre la prolifération de souvenirs de pacotille - et c'est uniquement ce qu'ils sont - , de livres, de films, de peintures ou de cartes à échanger. Qui sait ce que peuvent imaginer les meurtriers pendant qu'ils purgent leur peine, de 25 ans ou autrement? Nous ne pouvons permettre que ces souvenirs - et c'est ce qu'ils seront - nous insensibilisent à l'horreur et aux répercussions à long terme d'un meurtre, d'un vol de banque ou d'un vol à main armée.

Rien de ce qui émane d'un criminel qui se trouve dans notre système pénitentiaire n'est innocent, car cela peut conduire à d'autres actes de violence, à des meurtres par imitation, à des vols de banque par imitation, cela peut insensibiliser les gens et banaliser les crimes les plus abominables, ce qui a des ramifications inimaginables.

Si nous fermons les yeux, si nous négligeons ce projet de loi, alors le gouvernement aura failli à sa tâche. Les divers niveaux de gouvernement dépensent des millions de dollars et des millions de vies sont ruinées par la violence. Le gouvernement le sait. Cette mesure est un élément de solution; ce projet de loi fera économiser quelques millions et empêchera que des vies soient ruinées. Mais il ne faut pas s'en tenir là.

On parle de liberté d'expression et je voudrais vous rappeler que le meurtrier et assurément le voleur de banque ont peut-être exprimé leur liberté d'expression par leurs actes. Ils ont profité de leur liberté d'expression pour commettre les actes qui les ont conduits dans un établissement pénitentiaire. Leur liberté d'expression est garantie par la Charte des droits et liberté mais la liberté de ma fille, le droit de ma fille à la vie, à la liberté et à la sécurité, qui est également garanti par la Charte des droits et liberté, ont été foulés aux pieds. Et cela ne s'arrête jamais, les victimes sont constamment bafouées. Je vous supplie de ne pas permettre que cela puisse se poursuivre.

Comment le pourriez-vous, si nous sommes tous humains...? Nous sommes tous, certains peut-être plus que d'autres, attirés par le macabre. Mais il n'est pas nécessaire de l'exploiter et c'est de l'exploitation que de laisser notre pays tomber dans le ridicule, car permettre une telle chose, c'est tourner en ridicule tous les efforts que nous faisons et l'argent que nous dépensons pour les enquêtes publiques, des examens judiciaires et tout l'appareil de la justice.

Vous mettez en place le contrôle des armes à feu, après quoi vous laissez ceux qui ont brandi et utilisé des armes à feu raconter leur histoire. C'est une contradiction épouvantable. Qu'est-il advenu de la promesse de ce gouvernement d'instaurer la tolérance zéro face à la violence? Permettre que l'on profite du crime, c'est régurgiter toute la violence faite à l'homme par l'homme pour en tirer profit.

C'est faire passer l'argent avant la moralité. En sommes-nous rendus là? C'est précisément ce que vise ce projet de loi, d'empêcher que l'on fasse passer l'argent avant la moralité. Il faut changer la législation sur le droit d'auteur, et c'est possible. Quand on veut, on peut.

Je vais m'arrêter là et terminer en disant qu'il y a encore une foule d'autres raisons d'examiner cela très sérieusement. Nous avons à peine effleuré la question, mais j'espère que vous adopterez ce projet de loi en troisième lecture, afin qu'il puisse faire l'objet de la discussion approfondie et réfléchie qu'il mérite. Merci.

La présidente: Merci.

Madame Gagnon, avez-vous des questions?

.1045

[Français]

Mme Christiane Gagnon: C'est la première fois que j'ai ce projet de loi sous les yeux, et je veux apporter des commentaires. Je pense que tous les gains venant de productions non souhaitables devraient servir à alimenter un fonds pour les victimes qui ont été pénalisées et qui vivent des situations difficiles.

Cependant, je pense que le projet de loi ne va pas assez loin. Ce qu'on veut, c'est dissuader le criminel de produire de telles choses et d'en vivre, mais cela atteint seulement le produit de son film. Cela ne va pas assez loin quant à la liberté d'expression. Comme le disait Mme Debbie Mahaffy, la liberté d'expression des victimes a été hypothéquée et durement touchée.

Vos interventions de ce matin ont jeté un peu plus d'éclairage sur la portée du projet de loi. Ce que j'en ai compris, c'est qu'il s'agit d'un bon projet de loi, mais qu'il n'atteindra pas tous les objectifs qu'on pourrait souhaiter d'un tel projet de loi. Notamment, il n'empêchera pas la diffusion et la production de vidéos ou de livres. Il pourrait y avoir des façons autres de produire du matériel sans nécessairement être celui qui va en vivre.

Je trouve bizarre que la Couronne dise: On va recevoir l'argent d'une main, mais, d'autre part, on va quand même permettre ces choses. C'est comme si on se fermait les yeux sur ce qui pourrait être produit. Merci.

Ai-je bien compris le message que vous nous apportez ce matin?

[Traduction]

M. Sullivan: Je crois bien que nos arguments étaient directement liés à ce projet de loi. Vous avez raison de dire que ce projet de loi ne fait qu'une chose précise. Il empêchera les criminels de faire des profits en vendant leurs histoires pour qu'on en fasse des livres, des vidéos ou des films. Ce faisant, je crois que le projet de loi établit un juste équilibre entre les droits des victimes, si l'on peut dire, et les droits des contrevenants. D'après notre Charte, chacun a droit à la liberté d'expression et à la liberté de pensée. Ce projet de loi n'empêche personne de s'exprimer ou de penser. Il dit simplement que l'on ne peut pas en tirer profit.

Rien ne me plairait davantage que de voir un projet de loi stipulant que Clifford Olson ne peut pas vendre ses manuscrits ou ne peut même pas écrire ou publier son histoire; la même chose pour Paul Bernardo et tous les autres. Personnellement, rien ne me plairait plus que de voir une telle loi. Mais je ne crois pas qu'elle résisterait à une contestation invoquant la Charte des droits, laquelle stipule que chacun a droit à la liberté de pensée et d'expression. S'il était possible de rédiger une pareille loi, je l'appuierais sans réserve.

Par ailleurs, Mme Mahaffy a évoqué la possibilité que d'autres personnes écrivent des livres sur des crimes, que d'autres personnes profitent de certaines affaires qui ont fait les manchettes et qu'elles tirent profit de la violence. Chose certaine, ce projet de loi ne répond pas à ces préoccupations et je ne pense pas qu'il soit possible de mettre fin à ces pratiques. Peut-être pourrions-nous mieux encadrer cela, veiller à ce que, si des livres sont écrits, ils soient au moins exacts et que l'auteur reçoive le consentement des familles en cause.

Chose certaine, ce projet de loi ne traite pas de cette question et je ne pense pas que c'était son but. Je pense qu'il respecte scrupuleusement les droits établis par la Charte.

Mme de Villiers: Oui, vous avez raison. Nous avons eu affaire avec les tribunaux à propos des dispositions du Code criminel relatives à l'obscénité et cela permettrait de répondre à vos préoccupations relativement aux enfants, etc., mais il faudrait un projet de loi différent qui aborde d'autres thèmes.

Si je comprends bien, le projet de loi à l'étude a un champ d'application très restreint, il ne viserait que le fruit d'une oeuvre. Sauf erreur, c'est l'argent que l'on peut le plus facilement attaquer. M. Wappel pourrait probablement nous en dire plus long là-dessus. Je pense que c'est pour cela qu'en 1977, quand David Berkowitz, le fils de Sam, a vendu son histoire pour une somme énorme, le sénateur Gold a pris l'initiative du tout premier projet de loi à cet égard, car c'est en s'attaquant aux fruits d'une oeuvre que l'on pouvait mettre fin à cette pratique, autrement dit en supprimant la possibilité de gains pour l'accusé.

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Il n'aborde aucunement les questions d'ordre moral. Je conviens sans hésiter qu'il nous faut quelque chose à ce sujet, mais si je comprends bien, ce serait un projet de loi entièrement différent qui poserait des problèmes tout à fait différents. C'est pourquoi j'ai soulevé ces préoccupations aujourd'hui, pour que nous puissions nous attacher étroitement aux problèmes qui nous occupent et éviter de se heurter aux problèmes de la Charte en matière de liberté d'expression, etc.

Je vous suis reconnaissante de dire que vous seriez en faveur d'aller plus loin pour lutter contre l'exploitation de véritables tragédies qui n'apporte pas le moindre avantage discernable à quiconque sauf les personnes qui en tirent directement profit.

La présidente: Avant de passer au témoin suivant, je voudrais signaler ce qui se passe à la Chambre. Je crois que la séance a été suspendue quelques minutes. Apparemment, les whips négocient pour que le vote ait lieu ce soir, et je vous tiendrai au courant au fur et à mesure. S'il y en a parmi vous que cela inquiète, téléphonez à votre whip, mais c'est ce que nous ont dit les collaborateurs du whip libéral.

La parole est à M. White.

M. Randy White: Merci, madame la présidente. J'ai plusieurs questions à poser.

Premièrement, je m'adresse à M. Sullivan. À votre avis, Steve, pourquoi a-t-il fallu attendre à avril 1997 pour commencer à discuter de cette question?

M. Sullivan: Je suppose que c'est pour une foule de raisons. Je pense que depuis toujours, on n'accorde pas beaucoup de priorité aux projets de loi émanant des députés. J'aime à croire que cela commence à changer. Chose certaine, si l'on compare le cheminement rapide de ce projet de loi-ci à d'autres que nous attendions, par exemple ceux qui avaient été présentés par M. Nunziata ou Mme Meredith, celui-ci a été étudié relativement rapidement. Mais je pense que c'est un projet de loi relativement simple que tous les partis appuient. J'espère qu'il pourra être adopté assez vite afin que tout soit fini avant le déclenchement des élections, si tel est bien ce qui nous attend.

M. Randy White: Madame de Villiers, c'est le juge Howard I. Wetston - je crois que cela se passait au Manitoba - qui a dit l'année dernière que c'était limiter trop sévèrement la liberté que de refuser le droit de vote aux prisonniers dans notre pays. Apparemment, cette décision n'a pas été contestée par le gouvernement actuel, même si la question demeure plutôt controversée dans la société d'aujourd'hui. Dans une certaine mesure, nous avons affaire ici à quelque chose d'assez semblable, un empiétement sur la Charte, pour ainsi dire, alors que de nos jours, les gens de loi envisagent très favorablement les défenses invoquant la Charte pour les prisonniers, les criminels. Comment, d'après vous, allons-nous nous en tirer dans ce dossier? Je sais bien que le projet de loi est appuyé par le gouvernement en place, mais je ne doute pas que les avocats vont s'en donner à coeur joie.

Mme de Villiers: C'est justement la question à laquelle je voulais répondre par les deux brèves suggestions que j'ai présentées et que m'a expliqué mon avocat qui, je le répète, a examiné cette question à fond. Permettez que je revienne en arrière. D'après ce que je comprends de la question, il me semble que l'une des préoccupations qui a surgi quand on a proposé une interdiction générale s'appliquant à l'ensemble des contrevenants, c'est la crainte de perdre une sorte de compréhension intellectuelle du crime. À coup sûr, on fait aux États-Unis beaucoup de recherches fort valables sur l'expérience vécue par les criminels. Je crois que c'est pour cette raison, plutôt malavisée, que l'on a produit les bandes vidéo. Tout cela concorde. Je ne vais pas me prononcer sur les mérites de la chose, je dis seulement que c'était l'un des arguments invoqués.

Par ailleurs, la liberté d'expression est garantie avec force autant dans notre Constitution que dans celle des États-Unis. Les États-Unis ont plus de 20 ans d'expérience en la matière. C'est pourquoi mon avocat a proposé, après avoir examiné la question, de faire en sorte que l'on ne se contente pas d'empêcher les criminels de profiter de leur crime, mais que l'on introduise un élément de réparation, c'est-à-dire que l'argent va aux victimes au lieu d'être versé dans le Trésor. Cela nous donne un argument de plus. Il y a un certain nombre d'arguments fondés sur la Charte et je peux vous les énumérer.

.1055

Je pense donc que nous pouvons contourner la difficulté, mais il ne faut pas perdre de vue que cela ne résistera peut-être pas aux contestations.

M. Randy White: Je pense que Steve et vous avez abordé cette question. Est-il moyen d'empêcher que se produise le scénario suivant? Prenons le cas d'un donateur bénévole qui est enfermé entre les murs d'une prison et qui dit: je vais enregistrer tout cela, je veux seulement en faire don à la société afin de vous aider, pour ainsi dire. Vous savez comment fonctionne le cerveau de ces grands criminels. Si vous ne me permettez pas de faire de l'argent avec cela, au moins je deviendrai célèbre. Je vais distribuer tout cela et le pays...

Mme de Villiers: Vous avez raison, mais je ne crois pas que cette question soit prévue dans ce projet de loi-ci. Je pense que cela figurerait plutôt dans le projet de loi sur la liberté d'expression que l'on évoque.

Faites-moi confiance, c'est prioritaire pour nous. Nous, de CAVEAT, avons consacré les cinq dernières années à amasser des fonds pour essayer de défendre notre point de vue devant les tribunaux au sujet de cette histoire épouvantable des bandes vidéo. C'est tout à fait nécessaire.

Mais je crois que l'effet net de cette mesure, c'est de supprimer l'élément profit, dans la même veine que le projet de loi adopté aux États-Unis dans l'affaire du fils de Sam, parce que David Berkowitz aurait pu faire énormément d'argent en vendant son histoire. J'ignore si vous vous rappelez cette affaire, mais il avait commis des meurtres vraiment atroces. Il était poussé par l'appât du gain et c'est ce qui a incité le sénateur Gold, comme on peut le voir dans la feuille d'information, à présenter le premier projet de loi.

Pour autant que je puisse voir, c'est le seul et unique but de ce projet de loi. C'est minime, mais c'est important. C'est un premier pas. Ensuite, on peut franchir le pas suivant, la liberté d'expression, et ce sera difficile. Voilà comment je vois les choses. J'ignore si tous les autres sont d'accord. Il est important de supprimer l'élément profit. Ensuite on peut passer à l'étape suivante, où l'on veut étouffer dans l'oeuf le désir de célébrité, mais ce sera difficile.

M. Randy White: Ai-je le temps de poser une autre question?

La présidente: Il vous reste quatre minutes. Je sais que M. Hanger a des questions à poser lui aussi.

M. Randy White: M. Olson s'est adressé à un cabinet de comptables pour déclarer faillite, mais les comptables ont dit que sa situation ne le justifiait pas vraiment. Steve, je me demande si vous pourriez me dire qu'est-ce qui peut bien pousser un criminel à déclarer faillite, sauf le désir de célébrité.

M. Sullivan: C'est dommage que M. et Mme Rosenfeldt ne soient pas ici pour en discuter, mais je crois que des familles ont intenté des poursuites au civil contre lui. Par conséquent, s'il avait de l'argent, cet argent pourrait être versé aux familles. Je suppose que s'il a de l'argent, il essaie simplement de s'en débarrasser afin de ne pas être obligé de le leur donner.

M. Randy White: Merci.

La présidente: Monsieur Hanger, il reste à peu près trois minutes.

M. Art Hanger: Madame Mahaffy, je voudrais revenir à certains propos que vous avez tenus au sujet des bandes vidéo qui ont été produites à l'époque où votre fille a été assassinée par Homolka et Bernardo. Ce qui est en cause, c'est la propriété: qui devrait en être propriétaire? Je remarque que dans le projet de loi, il est question des fruits du crime. Mais on y traite aussi du droit d'auteur. On dit bien dans ce projet de loi que c'est l'État qui est le seul et unique détenteur des droits d'auteur sur les biens ainsi produits.

.1100

Vous avez déclaré officiellement devant les tribunaux, le comité parlementaire et le grand public que vous avez droit de regard sur tout le matériel produit, surtout en ce qui a trait aux éléments de preuve des procès contre Bernardo et Homolka. Vous dites que c'est vous qui avez un droit prioritaire de propriété et d'auteur.

Mme Mahaffy: Nous en saurons davantage à ce sujet lorsque notre cause sera entendue par la Cour suprême. Nous estimons avoir le droit de propriété. C'est de nos filles qu'il s'agissait, de leur dernier témoignage. La bande elle-même appartient à Bernardo, mais ce qui s'y trouve nous appartient à nous. Ce sont nos filles. C'est leur âme et leur personnalité qui sont enregistrées sur la bande. Cela va au-delà de la portée de ce projet de loi. Ces bandes ont été saisies comme pièces à conviction, pour son procès, et elles ne seront jamais rendues publiques, puisqu'elles sont détenues par le tribunal.

Pour ce qui est des autres enregistrements réalisés à contrat, l'éditeur et l'entrepreneur qui signent un contrat avec de tels criminels ont peut-être une responsabilité à assumer à l'égard du public quant à ce qu'ils acceptent de produire. C'est au gouvernement, à mon avis, que devraient revenir les droits d'auteur. Si les éditeurs et les producteurs en étaient informés, ils hésiteraient peut-être à signer d'aussi gros contrats.

M. Art Hanger: J'estime que tout cela n'est pas défini clairement dans ce projet de loi, dont, par ailleurs, la portée est très étroite.

Lorsque des entrevues avec Clifford Olson ont été enregistrées, le directeur de la prison avait joué un rôle important dans l'entreprise. Bien des gens s'inquiètent de savoir qui devrait avoir le droit de connaître cette information. Il n'y a rien de définitif dans ce cas là non plus.

Je ne sais pas s'il a été décidé que vous pouvez avoir une influence réelle sur...

Mme Mahaffy: Ces enregistrements sont scellés et à l'heure actuelle, ils appartiennent au tribunal. Pour contester cela, Bernardo devra avoir recours à un avocat. Il pourrait signer un gros contrat pour vendre son histoire et demander à un avocat de le représenter. M. Bernardo n'aurait plus le droit à l'aide juridique. Ce projet de loi l'empêchera d'avoir accès à tout cet argent. À l'heure actuelle, il pourrait profiter de son crime de cette façon, mais si ce projet de loi est adopté, les criminels ne pourront plus le faire.

M. Art Hanger: Cela s'applique donc après coup.

La présidente: Merci, monsieur Hanger.

Il faudrait peut-être éviter de poser des questions sur une affaire qui se trouve devant les tribunaux. Il ne faudrait pas amener Mme Mahaffy à faire des déclarations dont son avocat ne serait pas au courant.

Mme Mahaffy: Il saurait me tirer de nouveau d'affaire.

La présidente: D'accord.

Monsieur Telegdi, puis M. Wappel.

M. Andrew Telegdi (Waterloo, Lib.): Merci, madame la présidente.

Le projet de loi de M. Wappel est fort à propos, et les députés libéraux sont très nombreux à l'appuyer.

J'ai trouvé la couverture des procès très choquante, surtout dans certains journaux tabloïdes. Il me semble que le crime fait l'objet d'une commercialisation toujours plus grande. Plus l'affaire est tragique, plus grande est sa valeur commerciale. Avez-vous examiné la possibilité, sous le régime du droit d'auteur... de limiter le sensationnalisme de la couverture médiatique, ou à tout le moins d'en obtenir des redevances à l'intention des organismes de défense des victimes et des victimes elles-mêmes.

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Mme Mahaffy: Je ne crois pas qu'il soit possible de contrôler la presse et les médias, ou la liberté d'expression et de publication. Nous connaissons tous la devise des médias: «Plus il y a du sang, plus ça se vend». Plus la nouvelle est macabre, plus elle comporte de sexe et de violence... Si deux hommes avaient été abattus dans cette maison, cela n'aurait même pas été publié en première page. C'est triste, très triste, mais c'est comme cela.

Mais revenons au projet de loi, puisque le projet de loi vise les criminels, une fois qu'ils sont condamnés, une fois qu'ils sont incarcérés. Commençons d'abord par ceux-là, puis nous réglerons le cas des autres.

M. Andrew Telegdi: En matière de droit d'auteur, je sais qu'il existe des lois sur ce que les auteurs peuvent protéger. Mais il faut qu'il y ait un équilibre et que les victimes et leurs familles aient des droits quant à ce qui doit être protégé. Il faudrait que cette protection soit au moins aussi importante que celle consentie aux auteurs.

Mme Mahaffy: Oui.

La présidente: Merci, monsieur Telegdi. Monsieur Wappel.

M. Tom Wappel: Je remercie nos témoins d'être venus nous rencontrer, d'avoir présenté leurs exposés et d'avoir manifesté leur appui.

Monsieur Sullivan, j'ai lu attentivement votre mémoire. Ce qui m'intéresse surtout, c'est le second paragraphe, à la page 2. Vous vous dites inquiet de ce qu'un article du projet de loi pourrait empêcher les familles des contrevenants de toucher des droits d'auteur. Vous dites qu'en raison de cette disposition, une victime d'inceste, par exemple, pourrait être empêchée de raconter ce qui lui est arrivé, ou qu'un femme battue ne pourrait raconter la violence dont elle a été victime.

Vous dites:

Je sais que l'article dont vous parlez vise à éviter que l'on puisse contourner les dispositions de la loi par le recours à un membre de la famille. L'élément clé est donc la collaboration.

Je croyais avoir rédigé cette mesure de façon claire. De toute évidence, ce n'est pas le cas. Si une victime d'inceste décide d'écrire un livre sur le crime dont elle a été victime, et ce, sans collaborer avec l'auteur du crime, les dispositions du projet de loi ne peuvent s'appliquer d'aucune façon. Le projet de loi vise un objectif très précis, c'est-à-dire que le criminel ne tire aucun profit de son crime.

Avez-vous copie de cet article? Si je proposais la modification suivante, je me demande si cela répondrait à votre préoccupation. Je sais que je vous mets sur la sellette, mais j'ai pensé à cette modification pendant que vous expliquiez votre argument.

Pour dire encore plus clairement que ce qui nous intéresse, c'est la collaboration entre les membres de la famille ou un dépendant et le criminel, nous pourrions ajouter, à la ligne 5, après le mot dépendants, «en collaboration avec la personne déclarée coupable de l'infraction».

La disposition serait formulée comme suit:

Croyez-vous qu'une telle modification résoudrait votre objection? Je sais que je vous mets sur la sellette en faisant de la rédaction législative au fur et à mesure. J'aimerais d'abord savoir si j'ai bien compris votre objection et, deuxièmement, si vous croyez que cet amendement pourrait résoudre le problème?

M. Sullivan: Vous avez bien compris notre objection et la modification que vous proposez résoudrait notre préoccupation en insistant sur le fait que c'est la collaboration avec le criminel... et cela ne nuirait pas à une victime d'inceste, par exemple, ou à une femme battue.

.1110

Mme de Villiers: Je ne suis pas avocate, mais je suis très inquiète car j'imagine d'ici à quel point il sera difficile de prouver la collaboration. D'après ce que je lis, la victime de l'inceste est bien la victime, et non l'auteur du crime.

M. Tom Wappel: C'est exact.

Mme de Villiers: Je trouverais vraiment très difficile d'avoir à démontrer la collaboration.

M. Tom Wappel: Non. C'est à la Couronne qu'il incomberait de démontrer que l'auteur d'un ouvrage a essayé de contourner l'objectif de cette loi, ou son esprit, en collaborant avec le criminel et en ne révélant pas cette collaboration. Ce n'est pas à l'auteur de l'ouvrage qu'il reviendrait de le démontrer.

Mme de Villiers: c'est exactement ce qui m'inquiète.

M. Tom Wappel: Pourquoi?

Mme de Villiers: Parce que c'est encore un autre piège dans lequel la Couronne tombera, ou qu'elle devra traverser, pour prouver qu'il y a eu collaboration.

M. Tom Wappel: Et pourtant, même sans cette disposition, il y aurait toujours les inquiétudes exprimées par le professeur. Des inquiétudes, il y en aura, cela ne fait aucun doute.

Mme de Villiers: Oh, nous en avons nous aussi.

M. Tom Wappel: Il est également certain qu'on essayera d'opposer la Charte au projet de loi. Quelle que soit la formulation de la mesure législative - et cela s'applique bien sûr à toute mesure législative qu'adopte ce comité - quelqu'un essayera d'y opposer la Charte. Vous avez parlé des cas aux États-Unis. Ce qui est essentiel, dans l'examen de ces cas, c'est qu'on a estimé que la loi était trop générale.

Donc, plus on limite ce qui est visé par la mesure législative, plus celle-ci a de chances de survivre à une contestation en vertu de la Charte. Si la mesure est rédigée de cette façon, c'est pour que n'importe qui au monde - et cela revient à votre deuxième problème, qui n'a rien à voir avec ce projet de loi - n'importe qui puisse rédiger des ouvrages sur ces crimes terribles et toucher des droits d'auteur à l'exception, à tout le moins, de la personne qui a commis le crime. C'est ce que vise ce projet de loi.

C'est M. Sullivan, je crois, qui s'objectait à cette disposition, disant qu'elle était peut-être trop générale et empêcherait les victimes de pouvoir raconter les actes qu'elles ont subis. En tout cas, ce n'est pas du tout mon intention. Si la victime souhaite écrire un ouvrage sur le crime dont elle a souffert, elle peut déjà le faire en vertu des lois actuelles, sans égard aux commentaires sur la prochaine étape, comme vous l'avez dit. C'était là l'objectif de cette précision. La disposition se limiterait à éviter que le criminel profite de son crime.

M. Sullivan: Lorsqu'elle a entendu cette discussion, Mme Mahaffy a fait valoir qu'un criminel pourrait collaborer, par exemple, avec un codétenu, et que ce dernier pourrait écrire l'ouvrage. C'est peut-être une autre façon de contourner la loi. Je ne sais pas si vous pouvez régler ce problème dans la mesure législative, mais Mme Mahaffy a mentionné cet argument que j'estime valable.

M. Tom Wappel: Ce problème se trouve réglé aux deux dernières lignes de cet article. S'il y a eu collaboration, il n'est pas possible de toucher les droits d'auteur, ou du moins la partie de ces droits qui irait au criminel. Le codétenu n'a pas commis le crime en cause. Cela pourrait poser un problème, mais il est très délicat d'établir où se termine la liberté d'expression et où commencent les limites imposées aux profits que peuvent réaliser les criminels. C'est une question d'équilibre entre les intérêts, comme vous l'avez dit vous-même. C'est très difficile.

La présidente: Merci, monsieur Wappel.

Permettez-moi de prendre un instant pour demander ce qui arrive aux produits de la criminalité. Comme nous l'avons dit précédemment, lors de notre première réunion au sujet de ce projet de loi, en supposant que le projet de loi soit adopté et que les droits d'auteur reviennent à la Couronne, nous pourrions établir un fonds dont l'argent serait versé directement aux victimes ou aux programmes d'aide aux victimes de la violence.

Je suppose, monsieur Sullivan, que vous appuyez une telle mesure.

Cela peut sembler vétilleux, mais ce que dit souvent notre comité, dans des discussions moins structurées que celle-ci, c'est que le but du système de justice devrait être en partie d'aider à ce qu'il y ait moins de victimes - autrement dit, de prévenir le crime. Selon les principes appliqués par votre groupe, cet argent pourrait-il servir à la prévention du crime, à des programmes de prévention du crime, ou...

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M. Sullivan: J'approuve entièrement l'idée de programmes, surtout à l'intention des jeunes, pour les aider à rester dans le droit chemin.

La présidente: Oui, c'est bien ce que je pense.

M. Sullivan: Toutefois, je ne sais pas si cette mesure rapportera beaucoup d'argent. Il y a, à l'heure actuelle, beaucoup de victimes dont les besoins ne sont pas satisfaits. Il faudrait régler ce problème en priorité au moyen de programmes d'aide aux victimes et en informant les victimes de leurs droits.

J'invite les autres membres du groupe - qui sont eux-mêmes des victimes - à nous dire aussi ce qu'ils en pensent. Mais je pense qu'il faudrait d'abord aider les victimes qui existent déjà avec cet argent. Toutefois, je ne m'oppose pas à ce que l'argent soit versé à un programme de prévention du crime.

La présidente: J'ai tout d'abord pensé que cet argent pourrait servir à aider directement les victimes. Je ne pensais pas particulièrement à des programmes généraux, mais plutôt à un fonds servant à payer les frais de counselling, par exemple, ou à payer ce qu'essaie de faire la Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels en Ontario.

M. Sullivan: Bien sûr.

Mme de Villiers: Puis-je faire une observation à ce sujet?

La présidente: Je vous en prix.

Mme de Villiers: Cela revient en fait à ce que je voulais discuter cet après-midi, c'est-à-dire les droits des victimes. Au Canada, lorsqu'il s'agit des victimes, de la victimologie, de la prévention de la victimisation, etc., nous accusons un retard énorme par rapport à ce qui se fait déjà dans d'autres pays. Ce serait un bienheureux changement que l'on déclare que les sommes saisies - même si cela représente très peu d'argent - servent directement à aider les victimes.

Mais puisque cet argent sera saisi par la Couronne, qui est administrée au niveau provincial... La plupart des provinces ont maintenant une forme d'indemnisation des victimes. Plutôt que de créer toute une nouvelle structure pour utiliser cet argent, il me semble plus logique de verser cet argent aux fonds qui existent déjà. Cet argent pourrait être réservé à cette fin-là. Ce serait à vous d'en décider.

Ce qui est important, c'est qu'un comité législatif réserverait ces fonds à l'aide aux victimes. C'est un principe qui est très peu appliqué et qui ouvrirait la voie à bien d'autres mesures de ce genre.

À mon avis, il faudrait éviter que cet argent soit versé à des programmes généraux comme ceux de prévention du crime, car cela deviendrait presque comme une autre taxe sur les pneus. On m'a expliqué très clairement, entre autres, que la justice doit avoir le bras long lorsqu'il s'agit de punir mais qu'elle doit l'avoir tout autant lorsqu'il s'agit de réparer... et ce serait donc la façon de procéder.

La présidente: C'est un peu comme certaines provinces qui pensent que la réfection des routes fait partie de l'enseignement postsecondaire.

Mme de Villiers: Tout à fait. Cela s'est déjà produit.

La présidente: Merci beaucoup.

Nous allons faire une petite pause.

M. Randy White: Puis-je poser une brève question à M. Wappel, s'il vous plaît.

La présidente: Bien sûr. Puis-je auparavant libérer nos témoins? Vous pouvez rester, si vous le voulez, et je sais...

M. Randy White: Ma question pourrait les intéresser.

La présidente: Je les autorise simplement à partir au cas où ils devraient aller aux toilettes ou ailleurs. Allez-y, monsieur White.

M. Randy White: D'après les rumeurs, des élections pourraient être déclenchées. Si cela se produisait, si un bref d'élection était émis d'ici le 30 juin, quelles seraient les probabilités que cette mesure soit adoptée?

La présidente: Pouvez-vous répondre à cette question, monsieur Wappel?

M. Tom Wappel: Madame la présidente, il est 11 h 19 et je ne peux même pas vous dire ce qui se produira à 11 h 20. Il faudra voir ce qui se passe d'abord dans notre comité et prendre les choses une à la fois. Au hockey, ne dit-on pas qu'il faut prendre la partie une période à la fois?

M. Randy White: Eh bien...

La présidente: Monsieur Wappel, allez-vous harceler tout le monde pour faire adopter ce projet de loi, s'il franchit l'étape de l'examen en comité?

M. Tom Wappel: Oui.

La présidente: Il est expert en cela.

Des voix: Oh, oh!

[Français]

Mme Christiane Gagnon: Le projet de loi sur l'ADN avait été adopté en trois ou quatre jours, je pense.

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[Traduction]

La présidente: C'est un bon argument. Merci.

Nous allons faire une pause pour nous dégourdir les jambes, pendant que nos témoins suivants prennent place.

Comme je l'ai dit, mesdames et messieurs les témoins, vous pouvez rester avec nous si vous le souhaitez.

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