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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 9 mai 1996

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[Traduction]

La présidente: Bonjour. Ce matin, nous avons avec nous M. Nicholas Bala, professeur à l'Université Queen's. J'ai l'impression que c'est la seule université dont nous entendons parler ces jours-ci. Peu importe; nous allons remédier à cela à Windsor.

Monsieur Bala, nous avons jusqu'à 11 heures à peu près. Allez-y, après quoi nous vous poserons nos questions. Prenez le temps qu'il vous faudra.

M. Nicholas Bala (vice-doyen, Faculté de droit, Université Queen's): Merci beaucoup. C'est pour moi un privilège d'être ici. Je vous ai envoyé une très courte lettre le 14 juillet 1995. Je présume que vous en avez une copie. Elle résume certaines de mes conclusions sur le sujet.

Je suis professeur de droit à l'Université Queen's. Mes cours et mes recherches sont surtout concentrés sur le droit de la famille et des enfants, quoique j'enseigne aussi d'autres matières.

J'ai fait ma cléricature à Ottawa et j'ai travaillé dans une clinique d'aide juridique avant d'entrer à la Faculté de droit de Queen's en 1980. J'ai aussi été professeur invité à McGill, à l'Université de Calgary et à l'Université Duke.

Même si ma tâche consiste principalement à enseigner à des étudiants en droit, j'ai aussi participé à des programmes de formation à l'intention d'avocats, de juges, d'agents de police, de travailleurs sociaux et de médecins sur différentes questions intéressant les enfants, dont celles concernant les jeunes contrevenants, l'exploitation des enfants, le divorce, la garde et l'accès.

J'ai travaillé comme consultant en la matière pour le ministère fédéral de la Justice de même que pour des gouvernements provinciaux, ainsi que pour des organisations autochtones.

J'ai rédigé un bon nombre d'articles sur des questions intéressant les jeunes contrevenants. Certains de mes articles les plus récents ont porté sur le renvoi, l'âge minimum et le système de justice pour les jeunes au Canada par comparaison aux États-Unis. J'ai récemment publié un article dans l'Ottawa Law Review sur les modifications proposées par le Parlement actuel en 1995.

Il m'est arrivé aussi de représenter des jeunes contrevenants, mais j'accepterais volontiers de m'en remettre aux connaissances de gens qui ont plus d'expérience que moi auprès d'eux. Je suis actuellement bénévole pour le programme de déjudiciarisation de Frontenac qui s'adresse aux jeunes contrevenants, mais là encore mes fonctions sont très limitées.

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Et je suis aussi père de quatre enfants, même si cela ne me qualifie probablement pas pour grand-chose.

La présidente: Des médicaments peut-être.

M. Bala: Je sais que le mandat du comité est très vaste et j'ai donc fait en sorte que mon exposé soit lui aussi très vaste et général. Mes observations, que je limiterai à 10 ou 15 minutes environ, vont consister simplement à résumer et à aborder quelques sujets. Je répondrai ensuite à toutes les questions que vous pourriez avoir à poser à propos de tout ce qui touche aux jeunes contrevenants.

Quand on parle de la criminalité chez les jeunes, de sa nature et de son étendue, je pense qu'il est important de bien savoir que tous les jeunes commettent des infractions. Il est normal, à l'adolescence, de faire des erreurs et d'essayer de voir jusqu'où on peut aller. Si vous alliez dans une classe du secondaire et demandiez, à titre confidentiel, qui a commis une infraction au cours de l'année précédente, qu'il s'agisse de voies de fait, de méfaits ou d'infractions en matière de drogue et d'alcool, vous verriez que la presque totalité, sinon la totalité des jeunes ont commis une infraction quelconque.

Une minorité de jeunes commettent des infractions plus graves et ont tendance à récidiver. Les récidivistes qui commettent des infractions plus graves sont habituellement ceux qui éprouvent des difficultés à l'école, qui ont des troubles d'apprentissage ou qui éprouvent des problèmes à la maison, qu'ils aient été victimes d'exploitation ou de négligence, que leurs parents n'aient pas su s'occuper d'eux ou qu'ils soient allés de famille d'accueil en famille d'accueil et ainsi de suite. Ils font souvent abus de drogue et d'alcool.

Je vous parle là du contrevenant type, mais il y en a d'autres. Évidemment, il y en a qui ont eu une vie apparemment très normale. Il faut donc se garder de généraliser lorsqu'on parle des contrevenants.

Lorsqu'on se demande comment réagir face aux jeunes contrevenants, il faut se rappeler qu'il y a toutes sortes d'infractions et que la gravité de celles-ci varie énormément. Il faut donc faire des distinctions et réagir comme il se doit dans chaque cas.

En ce qui concerne le système juridique - étant professeur de droit et avocat, j'ai bien sûr tendance à insister là-dessus - je pense qu'il est important de reconnaître les limites de la loi, du système judiciaire et du régime correctionnel lorsqu'on traite avec des contrevenants.

Si nous voulons vivre dans une société plus sûre, une société où il se commet moins d'infractions, alors nous devons examiner une gamme plus vaste de questions sociales. Le système juridique et la loi n'ont qu'un impact relativement limité.

C'est ce qu'a reconnu et très bien su dire le comité Horner qui a fait rapport au Parlement en 1993. C'est un excellent point de départ pour toute discussion et étude portant sur le crime et la prévention du crime et l'avènement d'une société plus sûre.

Ce rapport a fait ressortir à juste titre que les services sociaux, la santé, l'éducation, le soutien à la famille, l'éducation préscolaire et l'emploi des jeunes sont des questions qui ont toutes un rôle très important à jouer relativement à la délinquance juvénile et à la réduction des taux de criminalité juvénile dans une société.

À cet égard, je dois vous avouer que j'ai bien peur que les compressions au chapitre des services sociaux, de l'éducation, des services de santé et de l'aide sociale envisagées dans certaines provinces, notamment la mienne, entraînent à long terme une augmentation du taux de criminalité chez les jeunes. Ce sont là d'importants facteurs de base qu'il faut garder à l'esprit.

Le système juridique est une question importante et, bien entendu, les jeunes contrevenants préoccupent énormément le public. Sociologiquement parlant, il est intéressant de signaler que les préoccupations du public à propos des jeunes contrevenants et l'attention que les médias leur accordent ont augmenté considérablement alors même que les taux de criminalité chez les jeunes sont apparemment demeurés assez constants et auraient peut-être même diminué légèrement. Il va de soi cependant que ce soit une source de préoccupations sociales et politiques.

On s'interroge énormément sur l'utilité de la peine comme moyen de dissuasion, dans le cas surtout des jeunes contrevenants qui commettent des infractions graves. Des peines plus sévères ou plus longues ou de plus nombreux renvois devant un tribunal pour adultes n'ont aucun impact sur la criminalité chez les jeunes. Cela ne veut pas dire que de longues peines n'ont pas leur place, mais nous ne protégerons pas la société par la voie de la dissuasion.

Le problème, c'est que la plupart de ceux qui commettent ce genre d'infractions, surtout les adolescents, ne pensent pas aux conséquences de leurs actes. Même si on prolonge la peine de trois à cinq ans, de cinq à dix ans ou de dix ans à perpétuité, la société ne sera pas plus sûre.

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Fait intéressant à signaler, cela a été mis à l'essai aux États-Unis. Comme je l'ai dit, j'ai écrit un article sur les États-Unis. Bien des États américains ont opté pour une ligne beaucoup plus dure, c'est-à-dire de plus nombreux renvois à un tribunal pour adultes, l'incarcération de jeunes dans des prisons pour adultes. Dans certains États, cela englobe la peine de mort.

Cela n'a pas fait diminuer la criminalité chez les jeunes aux États-Unis. Les États qui ont réussi à faire face à la criminalité chez les jeunes sont ceux qui ont tenu compte de certains des facteurs et des programmes que j'ai mentionnés tout à l'heure.

Il y a des choses que nous pouvons faire à l'intérieur du système judiciaire, en ayant notamment recours à la police, pour influer sur la criminalité chez les jeunes. Si les jeunes ont davantage l'impression qu'ils vont se faire prendre, cela pourra avoir un effet sur eux, et je dirais donc que la surveillance policière a certainement une incidence.

Il y a d'autres stratégies qu'on peut utiliser pour réduire la délinquance juvénile. Les longues peines ont leur place; elles ont en partie à voir avec la responsabilité. L'obligation de faire face à ses responsabilités fait partie des sentences imposées aux jeunes.

Dans certains cas, cela a à voir avec la réadaptation. Certains jeunes, une petite minorité, ont besoin d'une longue période de détention pour se réadapter.

Pour une très petite minorité, cela a à voir avec la neutralisation. Si un adolescent - ou une adolescente à l'occasion - a démontré une forte propension à la violence, il pourrait s'avérer nécessaire de l'incarcérer pendant une longue période.

Mais nous devons toujours nous demander pourquoi nous imposons ce genre de sentence au lieu de nous imaginer pouvoir protéger la société par des moyens de discussion.

En ce qui concerne la déjudiciarisation et les mesures de rechange, il faut bien reconnaître que le Canada a l'un des taux d'intervention officielle par la voie des tribunaux de la jeunesse et de détention les plus élevés au monde. En réalité, je ne connais aucun pays qui ait un taux plus élevé que le Canada. Il est certainement beaucoup plus élevé que le taux aux États-Unis, en Angleterre, en Australie ou en Nouvelle-Zélande.

Le système judiciaire pour les jeunes a un rôle important à jouer, mais nous devrions essayer de faire intervenir plus souvent les familles, les parents, la collectivité, les victimes de même que les délinquants au lieu de nous en remettre aux tribunaux.

Soit dit en passant, certaines provinces - et le Québec en est un bon exemple - s'en tirent beaucoup mieux à cet égard que d'autres. Certaines collectivités autochtones ont fait quant à elles l'expérience des cercles de consultation.

Il existe en Australie, en Angleterre et en Nouvelle-Zélande des modèles dont nous pourrions vouloir nous inspirer pour ce qui est de la déjudiciarisation et des mesures de rechange de manière à répondre aux besoins des collectivités, des victimes ainsi que des délinquants et de leur famille, et à faire davantage appel à la communauté.

Cela ne veut pas dire que tous les jeunes délinquants peuvent demeurer au sein de la collectivité, mais bon nombre d'entre eux le peuvent certainement.

J'aimerais parler pendant une minute des dispositions en matière de détention. Comme je l'ai indiqué, le Canada a l'un des taux les plus élevés de détention des adolescents dans le monde, sinon le plus élevé. Il est intéressant de faire une comparaison avec les contrevenants adultes.

Les États-Unis ont beaucoup plus recours à l'incarcération pour les adultes que le Canada, par habitant. Mais si on prend les jeunes contrevenants, on s'aperçoit que nous avons des taux aussi élevés sinon plus élevés que les États-Unis dans la plupart des cas. En fait, il semble que les adolescents ayant commis ce que l'on considère comme les infractions les moins graves soient plus susceptibles de faire l'objet de mesures de détention que des adultes ayant commis les mêmes infractions. C'est ce que semblent indiquer certaines recherches, quoique nous ne disposions pas, je pense, de données concluantes à ce sujet. C'est du moins ce que je crois.

Nous devrions avoir plus souvent recours à des mesures communautaires, pas pour tous les jeunes contrevenants, mais certainement pour un grand nombre d'entre eux, ce qui nécessitera une réaffectation des ressources. Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer ici pour ce qui est de la manière dont il finance et appuie les provinces et des moyens qu'il pourrait prendre pour encourager les provinces à dépenser leur argent.

Quant à l'application de la loi, les juges devraient pouvoir à leur discrétion prendre des décisions ne comportant pas de mesure de garde et penser avant tout au bien-être de l'enfant lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants le permet.

En ce qui concerne le système judiciaire pour les jeunes, j'aimerais aussi brièvement parler de la question de la garantie d'une procédure régulière, du recours aux services juridiques. En raison peut-être du taux très élevé de recours à la garde par les tribunaux, le Canada a tendance à avoir l'un des systèmes les plus traditionnels pour les jeunes délinquants. À certains égards, il est probablement plus traditionnel qu'il devrait l'être.

Les services juridiques devraient occuper une place importante, surtout si un adolescent est menacé d'être retiré de la collectivité.

Je ne voudrais pas généraliser. Certains avocats qui travaillent dans ce secteur sont extrêmement dévoués, sensibles, compétents et bien formés. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas.

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À l'heure actuelle, les gouvernements fédéral et provinciaux consacrent énormément d'argent aux services juridiques. Une partie de cet argent pourrait servir à assurer que les avocats qui s'occupent des causes juvéniles ont la formation et les qualifications voulues. Dans certains cas, les parents devraient peut-être être appelés à fournir une certaine aide pour ce qui est de la prestation de services juridiques.

Quant au renvoi devant un tribunal pour adultes, je sais que le Parlement en a traité abondamment dans le projet de loi C-37. Je dirais qu'il faudrait peut-être éliminer l'audience de renvoi, ce qui ne veut pas dire qu'une très petite minorité d'adolescents qui commettent les infractions les plus graves ne devraient pas se voir imposer la sentence habituellement imposée aux adultes et servir une partie de leur peine dans un établissement de détention pour adultes. Mais les audiences de renvoi préalables que nous avons sont souvent coûteuses, entraînent des retards et sont en théorie et en pratique difficiles pour les juges et les avocats.

Souvent, la décision à prendre n'est pas vraiment claire, lorsqu'il s'agit notamment de savoir comment traiter l'infraction. Un argument puissant milite en faveur de l'examen du renvoi une fois une décision rendue dans une petite minorité de cas. Si cela vous intéresse, je pourrais vous donner plus de détails.

Enfin, j'en viens à l'âge. L'âge que devraient avoir les enfants et les adolescents visés par la Loi sur les jeunes contrevenants a bien sûr fait l'objet d'une controverse. L'âge maximum devrait, à mon avis, être maintenu à 18 ans, surtout s'il est possible de renvoyer devant un tribunal pour adultes les jeunes contrevenants ayant commis les infractions les plus graves. L'âge de 18 ans représente le début de la vie adulte dans notre société et correspond habituellement à la fin des études secondaires. Il concorde également avec les normes internationales. J'hésiterais donc beaucoup à modifier l'âge maximum.

Quant à l'âge minimum - j'ai écrit à ce sujet un article pour le ministère de la Justice que j'ai mentionné dans ma lettre, et je crois que vous en avez eu une copie - 12 ans se défend bien. Pour la plupart des enfants, c'est vraiment le début de la puberté, le début d'un stade physique, psychologique et sexuel de développement.

Je ne pense pas qu'il faille sérieusement envisager d'abaisser l'âge minimum à 10 ans. Nous savons que des adolescents de 10 et 11 ans commettent un nombre important d'infractions, certainement moins que les adolescents plus âgés, mais quand même un nombre important.

Dans la plupart des pays, l'âge minimum n'est pas aussi élevé que 12 ans. Douze ans, c'est relativement vieux; il est plus habituel que l'âge se situe entre 6 et 10 ans.

En théorie, nous avons actuellement recours au Canada dans le cas des enfants de moins de12 ans au système de protection de l'enfance, et il s'agit certes d'une solution convenable et efficace pour certains enfants. Dans bien des cas, cela ne fonctionne pas très bien et il est facile de comprendre que la police et les victimes commencent à se sentir très insatisfaites du système.

Nous sommes très chanceux qu'aucun enfant de 10 ou 11 ans n'ait encore commis une infraction très grave au Canada - je veux parler de meurtre ou d'homicide involontaire. Je veux dire pas encore, pas récemment.

Si cela arrive un jour, nous allons constater que ni notre système de protection de l'enfance ni la législation d'aucune province ne nous permettra de faire face adéquatement à ce genre de situation; les gens pousseront les hauts cris et cela n'aura rien de surprenant.

La grande majorité des enfants de 10 ans peuvent distinguer le bien du mal. Même s'ils ont des démêlés avec le système judiciaire, cela n'a aucune conséquence pour eux. Le message qu'ils reçoivent, c'est que jusqu'à l'âge de 12 ans, il ne peut rien leur arriver. Il y a eu une émission plutôt dramatique, mais quand même révélatrice, de la CBC que certains d'entre vous ont peut-être vue l'année dernière et qui soulevait cette question, et avec à-propos d'ailleurs.

Si l'âge est abaissé à 10 ans, il serait important que la plupart des enfants de cet âge fassent l'objet de mesures de déjudiciarisation. L'accent devrait continuer à porter sur l'aide à l'enfance et des efforts devraient être faits, dans presque tous les cas, pour utiliser le système juridique comme levier pour procurer à l'enfant et à ses parents l'aide dont ils ont besoin.

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C'étaient là mes observations. Je suis maintenant prêt à répondre à toutes vos questions.

La présidente: Merci beaucoup.

Madame Venne, vous avez dix minutes.

[Français]

Mme Venne (Saint-Hubert): N'ayant malheureusement pu assister au début de votre présentation parce que j'avais d'autres obligations parlementaires, je ne vous poserai qu'une seule question par rapport à ce qui m'a le plus frappée dans votre exposé. Si j'ai bien compris, vous avez dit que le Canada avait le plus haut taux d'incarcération chez les jeunes adolescents, même par rapport à celui des États-Unis. Est-ce bien ce que vous avez dit?

[Traduction]

M. Bala: Oui, c'est correct. J'ai écrit un article, en collaboration avec Joe Hornick de l'Université de Calgary, et Joe Hudson, avec l'aide financière du ministère de la Justice, qui avait pour titre The Response to Juvenile Crime in the United States: A Canadian Perspective. Dans cet article, nous comparons les données canadiennes et américaines sur les infractions, les arrestations par la police et la fréquence du recours à la détention. Le taux de criminalité chez les jeunes, notamment des crimes de violence, est beaucoup plus élevé aux États-Unis.

Lorsqu'on voit au Canada, surtout au Canada anglais où on regarde beaucoup la télévision américaine, les infractions qui sont commises à Détroit ou ailleurs, on constate que le taux des homicides chez les jeunes aux États-Unis est de huit à dix fois ce qu'il est au Canada, mais les taux d'incarcération juvénile sont légèrement plus élevés ici qu'aux États-Unis.

C'est ce que dit ce rapport, et je serais heureux de vous en fournir une copie.

[Français]

Mme Venne: Cela dit, je me demande, par conséquent, comment vous en venez à proposer que l'âge minimum pour l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants passe de 12 ans à 10 ans. Vous comprendrez comme moi qu'à ce moment-là, ils seront encore plus nombreux à être incarcérés.

[Traduction]

M. Bala: Votre question va droit au but. Je pense toutefois qu'il s'agit de choses distinctes.

J'aimerais que le système actuel soit modifié pour que nous ayons moins souvent recours à la détention. Je dois mentionner bien sûr, comme vous le savez probablement ou l'apprendrez, qu'il y a en réalité des écarts énormes d'une province à l'autre dans les taux d'incarcération.

Au Québec, où la législation et la philosophie sont différentes, où le financement ne se fait pas de la même manière et où on a davantage recours à la déjudiciarisation et moins recours à la garde, la situation est quelque peu différente de celle des autres provinces.

Je n'aimerais pas voir, et je ne m'attendrais pas à voir non plus, un grand nombre d'enfants de 10 ou 11 ans incarcérés. En fait, dans l'article que j'ai écrit, je recommande que des limites très strictes soient imposées au recours à la détention pour les enfants de 10 et 11 ans et on pourrait même invoquer des arguments en faveur de l'application de ces limites à des enfants de 12 et 13 ans.

Par ailleurs, je crois qu'on est en droit de s'inquiéter de l'absence totale de sanctions pénales pour les jeunes de 10 et 11 ans.

La législation sur l'aide à l'enfance, qui met entièrement l'accent sur l'intérêt de l'enfant, n'est pas le seul facteur dont il faudrait tenir compte dans le cas d'un enfant de 10 ou 11 ans.

À l'échelle internationale, nous avons vu de tragiques crimes entraînant la mort commis dans un certain nombre de pays - les États-Unis et l'Angleterre, bien sûr - par des enfants de 10 et 11 ans.

Je ne pense pas que le recours au système d'aide à l'enfance soit la solution qui convienne dans tous les cas, et il pourrait en réalité arriver dans certaines provinces, étant donné la façon dont leurs lois sont libellées, qu'aucune intervention juridique ne soit possible si un enfant de 10 ans commettait un meurtre ou un homicide involontaire et que ses parents disent: «Tout va bien, nous pouvons faire face à la situation. Nous venons d'embaucher un très bon psychiatre et nous allons envoyer notre enfant dans un centre de traitement de notre choix aux États-Unis.» Ce pourrait aussi être ailleurs.

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Naturellement, de la façon dont les lois sur la protection de l'enfance sont rédigées et appliquées, elles ont une portée limitée et mettent entièrement l'accent sur le bien-être de l'enfant.

Je crois que si un enfant a commis un crime très grave, ce ne sont pas les seuls facteurs dont il faut tenir compte.

Je pense également que la loi a aussi à voir avec le symbolisme, avec les victimes. Je ne sais pas comment il faudrait réagir si un parent disait: «Eh bien, mon enfant de huit ans vient de se faire poignarder par un enfant de onze ans et la police dit qu'elle ne peut rien faire, mais j'espère qu'il va avoir de l'aide de ses parents.» Je ne pense pas que ce soit là une solution entièrement satisfaisante.

L'article que j'ai rédigé passe en revue certaines des données sur les infractions commises par des enfants de 10 et 11 ans au Canada. Ils en commettent moins, c'est sûr, que les adolescents plus âgés et moins que les adultes. Les médias déforment souvent la réalité, mais il reste qu'il y a eu des infractions très graves commises au Canada par des enfants de 10 et 11 ans.

Mme Venne: Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay, vous avez 10 minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

Je tiens à vous remercier de votre exposé ici ce matin, monsieur Bala. J'y ai été très sensible.

Bien sûr, je suis d'accord pour dire qu'il faut prévoir une sanction pénale quelconque à l'égard des infractions commises par des enfants de 10 et 11 ans, mais cela ne veut pas nécessairement dire que si l'âge est abaissé à 10 ans, ces enfants seront plus nombreux à être incarcérés. Le seul fait d'abaisser l'âge à 10 ans n'entraînera pas automatiquement l'incarcération d'enfants de 10 ou 11 ans.

Il y a un autre sujet sur lequel j'aimerais vous interroger, parce que vous en avez parlé dans vos articles, mais nous n'en avons pas encore discuté jusqu'à maintenant en comité. Je veux parler de l'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Dans votre article intitulé The 1995 Young Offenders Act Amendments: Compromise and Confusion? publié en 1994 par l'Ottawa Law Review, vous dites que l'article 3 ne donne pas aux décisionnaires les directives dont ils auraient besoin, parce que le Parlement n'a pas déterminé l'ordre de priorité des principes énumérés. Vous dites que chacun de ces principes est vague et ne donne pas une idée claire de la conduite à adopter, d'où des écarts importants ou un certain pouvoir discrétionnaire quant à la façon dont la LJC est appliquée ainsi que des différences très grandes en ce qui concerne les sentences et les taux d'incarcération d'une province à l'autre, de même que dans le recours à des programmes comme les mesures de rechange.

Nous avons examiné la situation depuis 1994 et nous en sommes arrivés à la conclusion qu'en raison de l'article 3, certains juges se montrent indulgents, en s'en tenant au principe que les jeunes contrevenants ou les adolescents ne devraient pas, dans tous les cas, être tenus responsables de leurs actes de la même manière que les adultes ni ne devraient avoir à assumer autant les conséquences de leurs actes.

Par ailleurs, des membres du corps judiciaire continuent à imposer des peines plus sévères compte tenu du principe voulant que les adolescents qui commettent des infractions assument la responsabilité de leurs délits.

Vous et nous semblons avoir décelé une certaine ambivalence à l'article 3 et dans la déclaration de principe qui y est énoncée.

Vous n'en avez pas parlé durant votre exposé. Auriez-vous des observations à faire?

M. Bala: Vous avez soulevé un tas de questions intéressantes et importantes. Tant dans le cas des adultes que dans celui des jeunes contrevenants, mais peut-être plus encore dans celui des jeunes contrevenants, il y a des écarts importants dans la façon d'aborder le problème. Mais dès qu'il s'agit d'une question de justice pénale, il y a des écarts.

Dans le cas des jeunes contrevenants, ces écarts s'expliquent en partie par les différences au niveau des établissements, des dépenses et des programmes provinciaux. Il s'explique aussi en partie par des différences d'attitude de la part des juges, soit d'un juge à l'autre - et il peut même y avoir des différences à l'intérieur d'une même ville où deux juges ou plus peuvent avoir une attitude très différente...

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Il y a toujours la question du pouvoir discrétionnaire qui est accordé aux différents juges et de la façon dont ce pouvoir est structuré. Je pense que le projet de loi C-37 - et je suis content que vous ayez fait allusion à mon article qui avait pour titre «Compromise or Confusion» et non pas «Compromise and Confusion»...

M. Ramsay: C'est exact, c'est bien «or Confusion»; je suis désolé.

M. Bala: Je m'en suis aperçu, parce que vous avez raison de vous demander d'où vient cette ambivalence. J'ai l'impression que l'ambivalence à l'article 3 reflète l'ambivalence de notre société, des parents et des politiciens, soit dit sans vouloir vous offenser.

À différents moments, j'ai entendu les politiciens parler de différentes façons des jeunes contrevenants, et à raison en ce sens qu'à certains moments nous parlons de responsabilité, de la protection du public, de la nécessité d'adopter une ligne plus dure et de l'inefficacité de notre système de justice pénale. À d'autres moments, nous parlons de la nécessité de reconnaître que l'adolescence est une période de la vie où l'on commet des erreurs.

Pour les parents, c'est le moment où... J'ai dit que je suis père de quatre enfants. Aucun d'eux n'a encore 12 ans, ce qui m'autorise à parler des adolescents.

Des parents nous disent: «C'est le plus beau temps quand ils sont jeunes.» Bien sûr, ma femme et moi sommes complètement épuisés. «Attendez qu'ils soient adolescents; vous verrez que c'est vraiment là que les problèmes commencent.»

Il est vrai que sur le plan social et sur le plan individuel, être adolescent, surtout dans le monde d'aujourd'hui, c'est traverser une période très difficile. C'est exigeant pour les enseignants, pour la société et pour les parents. Je ne pense pas que nous puissions avoir une philosophie ou un principe unique qui nous permette de réagir adéquatement à toutes les situations.

Certains États américains se sont dotés de grilles pour l'imposition de sanctions et c'est là une solution puisque si on commet telle ou telle infraction, étant donné ses antécédents, on se voit imposer telle ou telle peine. Si nous options pour ce genre de modèle, les écarts au niveau des sentences seraient beaucoup moins grands.

Dans un pays aussi vaste que le Canada où la justice pour les jeunes relève en bonne partie de la compétence des provinces, il pourrait s'avérer très difficile d'avoir une grille qui soit juste, contrairement aux États américains qui sont relativement petits et où il n'existe qu'un secteur de responsabilité.

On a cherché dans le projet de loi C-37 à préciser certains des principes. Les modifications de 1995 donnent une meilleure idée de l'ordre de priorité de ces principes.

Si vous voulez régler les questions liées à la détermination de la peine, c'est l'endroit où le faire. En 1995, on a cherché à s'assurer jusqu'à un certain point que la détention ne serait utilisée que comme dernier recours.

L'une des choses qui va être difficile pour vous et vos témoins, c'est qu'il vous faudra plus de temps que celui qui vous sera alloué pour les audiences pour évaluer pleinement l'incidence des modifications de 1995. Je voudrais être persuadé qu'elles n'ont rien donné avant d'essayer de préciser les principes encore davantage.

Mais c'est une décision politique. Si vous en arrivez à la conclusion que le principe premier doit être la responsabilité et que vous décidez de laisser de côté les besoins spéciaux et le statut spécial des adolescents, alors ce sera votre choix.

Je ne pense pas, cependant, que c'est ce que souhaitent la plupart des Canadiens. Si vous leur posez la question, si vous leur demandez s'ils veulent pour les jeunes un système judiciaire rigide qui les oblige à assumer leurs responsabilités, ils vous diront que oui. Si vous leur demandez s'ils veulent un système de justice pour les jeunes qui reconnaisse leurs besoins spéciaux et y réponde, ils vous diront que oui, c'est ce qu'ils veulent aussi. Cela vous donne une idée de la complexité du problème.

M. Ramsay: Bien sûr, d'après ce que j'ai lu à ce sujet et à propos plus précisément de l'ambivalence de l'article 3, j'ai l'impression que certains criminologues et avocats sont d'accord avec vous là-dessus.

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Je dis, dans le rapport que j'ai préparé pour cet examen de 12 ans, qu'il semble que la seule façon de répondre aux attentes du public et de s'attaquer au problème complexe de la criminalité juvénile, soit d'arriver à trouver le juste équilibre entre le principe de la protection de la Loi sur les jeunes délinquants et le principe légaliste de la Loi sur les jeunes contrevenants. Pourriez-vous commenter cette observation?

M. Bala: Je pense certainement que la Loi sur les jeunes délinquants... Je trouve qu'il est ironique que certaines personnes qui critiquent aujourd'hui la Loi sur les jeunes contrevenants se disent que nous avons fait une erreur, que cette loi n'aurait jamais dû être adoptée, qu'il faudrait revenir en arrière. Elles ne se rendent pas compte que si elles lisaient la Loi sur les jeunes délinquants, elles s'apercevraient, comme vous le dites si bien, que le seul principe, le thème qui revient constamment, est celui de l'intérêt de l'enfant, du bien-être de l'enfant.

À mon avis, il ne devrait pas s'agir de la seule considération, ce qui nous amène à parler de nouveau des contrevenants de 10 ou 11 ans. Je ne pense pas que ce soit la seule question qui doive retenir notre attention lorsqu'il s'agit de ces jeunes contrevenants.

Je ne pense pas que ce soit la seule question dont il faille tenir compte lorsqu'il y va des adolescents. Il convient très bien de dire: «Nous allons vous demander d'assumer vos responsabilités, mais pas nécessairement autant que les adultes.» Nous leur disons: «Vous avez15 ans, vous ne pouvez pas voter, vous ne pouvez pas consommer d'alcool, vous ne pouvez pas conduire une automobile; nous pensons que vous n'êtes pas assez compétents pour cela.» L'envers de la médaille, c'est ceci: «Parce que nous reconnaissons que vous n'êtes pas des adultes, nous n'allons pas vous demander d'assumer les mêmes responsabilités - nous n'allons pas toujours vous demander de vous montrer aussi responsables que des adultes de qui nous nous attendons à ce qu'ils fassent preuve d'un meilleur jugement.»

Au bout du compte, nous reviendrons toujours à la nécessité de trouver un juste équilibre et d'accorder aux juges un pouvoir discrétionnaire suffisant pour qu'ils puissent s'occuper des jeunes qui sont traduits devant eux, d'où des écarts considérables.

Il y a des choses qu'on peut faire, et vous avez fait certaines d'entre elles dans le projet de loi C-37, pour essayer d'atténuer ces écarts.

La présidente: Merci.

Monsieur Gallaway.

M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Monsieur, j'ai une question à vous poser au sujet de vos recommandations concernant l'âge minimum.

Vous dites croire qu'il pourrait être nécessaire de l'abaisser à 10 ou 11 ans. C'est ce que nous ont dit aussi d'autres témoins.

Je crois que vous avez indiqué également qu'un nombre important d'infractions sont commises par des enfants de 10 et 11 ans. Par comparaison aux enfants de 12 ans, combien d'infractions sont commises par des enfants de 11 ans? Commettent-ils 50 p. 100 des infractions commises par des enfants de 12 ans, 75 p. 100, 80 p. 100?

M. Bala: Je vous ai renvoyé à un article. Je ne sais pas si chacun d'entre vous en a reçu une copie. J'ai rédigé un article avec un étudiant, Le comportement criminel des enfants de moins de12 ans - Une analyse du droit et de la pratique au Canada. Cet article m'a été commandé par le ministère de la Justice, mais les vues qui y sont exprimées sont les miennes et ne représentent pas nécessairement celles du ministère.

Je ne dirais pas que cet article dit tout ce qu'il y a à dire sur le sujet - je ne pense pas que ce soit possible - mais c'est probablement l'un des plus exhaustifs publiés récemment sur la question par un universitaire canadien. Il fait état des écarts dans les taux provinciaux d'infraction et les peines imposées et de certains des problèmes qui existent, et nous y tirons des conclusions.

Si ce sujet vous intéresse, je vais certainement essayer de répondre à vos questions. Je vous invite cependant à lire ce document; il vous en apprendra beaucoup plus.

Lorsqu'on pense aux infractions, en réalité, tout commence... Le problème est en fait au départ un problème de définitions.

J'admets que j'ai une fillette de 10 ans qui est de loin la plus sage de mes quatre enfants, mais si nous appelions la police chaque fois qu'elle se livre à des voies de fait, un agent vivrait en permanence chez nous.

Les enfants - et j'englobe les adolescents - commettent des infractions tout le temps, surtout à cet âge. Donc, comment définir une infraction? Y a-t-il lieu d'appeler la police? La police considère-t-elle qu'il s'agit d'une infraction, et est-ce techniquement une infraction au Code criminel?

.1015

Si vous examinez les tendances en ce qui concerne les infractions et la réaction de la police, vous verrez qu'elle a été appelée dans le cas d'enfants de six et sept ans au Canada, de huit ans et de neuf ans. Cela suit presque une courbe exponentielle. Bien sûr, l'une des réalités à l'heure actuelle, c'est qu'on a tendance à ne pas appeler la police si l'enfant a dix ou onze ans. Les gens qui savent à quoi s'attendre - du moins ceux qui sont concernés - se demandent pourquoi il faudrait appeler la police. Ils croient qu'elle ne peut rien faire parce que ce n'est pas une infraction criminelle.

La meilleure étude qui a été faite - et elle est loin d'être concluante - revient à Statistique Canada. On y examine les rapports de police de toutes les régions du Canada. Pour moi, le seuil se situe probablement autour de l'âge de 10 ans. En dessous de cet âge, le nombre des infractions diminue considérablement.

Quoiqu'on dise, tout âge maximum ou minimum sera arbitraire. Quelqu'un devra toujours choisir. On dira d'un adolescent qu'il a 18 ans, d'un autre qu'il a 19 ans mais qu'il est très immature et qu'il n'a pas commis une infraction très grave ou d'un autre encore qu'il a 17 ans, mais qu'il a commis une infraction très grave.

À la limite supérieure, je pense qu'il convient d'avoir une certaine souplesse lorsqu'il est question de renvoi devant un tribunal pour adultes. À la limite inférieure, un problème va toujours se poser. Dans certains États américains, des enfants de six ans sont traduits devant les tribunaux et traités comme des criminels. Je pense qu'il y a un point où on pourrait dire que l'enfant comprend tellement peu ce qu'il a fait et qu'il comprend tellement peu ce qui se passe au tribunal qu'il est tout à fait inutile et inconcevable de recourir à la justice pénale.

Pour ce qui est des enfants de 10 et 11 ans - et je passe en revue dans l'article certains traités psychologiques - à l'âge de 10 ans, et bien sûr chaque enfant est différent et évolue à un rythme différent, la plupart des enfants ont une bonne idée de ce qui est mal ou bien. Ils savent qu'ils enfreignent la loi. Heureusement, bon nombre d'entre eux ne savent pas qu'ils ne seront pas punis pour autant.

L'une des difficultés, c'est que ce sont les enfants qui sont les plus enclins à commettre des infractions, à récidiver, à avoir des démêlés avec la police, à se laisser influencer par des plus vieux qui savent mieux que tout autre que la loi ne peut pas grand-chose contre eux. Autrement dit, un enfant de 11 ans qui a déjà commis un vol à l'étalage sait que la police ne peut rien faire contre lui. On se contente de le ramener à la maison.

Ce sont là les enfants qui sont le plus au courant des lacunes du système juridique. Je pense que la loi aurait un rôle important à jouer en matière d'éducation si un enfant de 10 ou 11 ans pouvait être arrêté et amené devant un juge et devoir assumer les conséquences de ses actes. Nous voulons lui envoyer un message.

M. Gallaway: Je vous ai demandé quelle était la proportion d'infractions commises respectivement par les enfants de 11 ans et par ceux de 12 ans. Y a-t-il des données empiriques à ce sujet-là? C'est ce que je voudrais savoir.

M. Bala: Dans l'article dont je vous ai parlé, j'ai résumé les résultats d'une enquête effectuée par Statistique Canada en 1992 auprès de 27 corps policiers canadiens. Ces données indiquent que la délinquance chez les enfants de moins de 12 ans est un problème important, même si elle ne compte que pour une fraction relativement minime de la criminalité globale au Canada.

L'enquête a révélé que les enfants de moins de 12 ans avaient commis environ 1,2 p. 100 de l'ensemble des infractions, comparativement à 20,8 p. 100 pour les jeunes contrevenants et à78 p. 100 pour les adultes. Autrement dit, environ 5 p. 100 de la délinquance juvénile, c'est-à-dire1 p. 100 de la criminalité globale, est imputable à des enfants de moins de 12 ans.

M. Gallaway: Si l'âge devait être abaissé à 10 ou 11 ans, recommanderiez-vous que ce soit seulement pour certaines infractions?

M. Bala: Je voudrais certainement qu'il y ait des restrictions. Il y aurait différentes façons de procéder. La mesure pourrait s'appliquer seulement aux infractions les plus graves. Mais il pourrait - et il devrait - y avoir des balises au sujet des recours à la disposition des juges. Il faudrait insister nettement sur le traitement de ces enfants. La plupart des cas de ce genre peuvent, doivent et vont continuer d'être réglés de façon officieuse par les parents, et par des avertissements des policiers aux enfants et aux parents eux-mêmes - c'est de ce genre de réponse que je veux parler.

M. Gallaway: Vous avez dit aussi que le taux de délinquance juvénile était huit fois plus élevé aux États-Unis qu'au Canada. J'habite pas loin de Detroit. Je suis à 50 minutes du centre-ville de Detroit et je suis très conscient de la situation là-bas en ce qui concerne les infractions commises par des jeunes. Il y en a tous les jours.

.1020

J'ai l'impression que la délinquance juvénile est un problème de société dans certaines régions des États-Unis. Seriez-vous d'accord pour dire qu'on retrouve le même genre de situation - quoique dans une moindre mesure - au Canada, dans les endroits où il y a une extrême pauvreté, où il y a de terribles problèmes sociaux? En fait, nous pourrions avoir le même genre de problèmes au Canada - dans des proportions plus restreintes, parce que nous sommes dix fois plus petits - c'est-à-dire des enfants de huit, sept ou même six ans qui commettent des infractions.

M. Bala: Il est intéressant de comparer les taux canadiens et américains de délinquance juvénile. En fait, j'ai dit que le taux d'homicides commis par des jeunes était de 8 à 10 fois plus élevé aux États-Unis qu'au Canada. Quand on regarde les autres types d'infractions, on constate que l'écart est beaucoup moins grand; en fait, pour certains types d'infractions, les chiffres sont assez semblables.

Comme vous le soulignez, avec raison d'ailleurs, il y a beaucoup de différences entre le Canada et les États-Unis. L'accès aux armes à feu est un élément important, en qui concerne en particulier les homicides commis par des adolescents.

Quand des jeunes, surtout ceux qui ont des tendances violentes, se fâchent contre un de leurs camarades, ils ne comprennent pas toujours les conséquences de leurs actes. S'ils ont une arme, ils la ramassent tout simplement et se mettent à tirer. Pour le meilleur ou pour le pire, les adultes réfléchissent au moins un peu plus à ce qu'ils font et comprennent mieux les conséquences de leurs gestes.

Mais vous avez aussi tout à fait raison de dire qu'il faut replacer la question dans son contexte global, celui des programmes sociaux, de l'éducation et des programmes de santé. Les comparaisons entre l'Ontario et le Michigan, par exemple - la pauvreté, l'absence de programmes sociaux, les réductions dans les programmes d'aide sociale, l'insuffisance des fonds consacrés à l'éducation - montrent que tout cela est lié à la délinquance juvénile là-bas; je pense qu'il y a un lien de cause à effet.

C'est pourquoi j'ai mentionné dans mes remarques préliminaires que je trouve très inquiétante la tendance, dans notre pays, à réduire les services sociaux, surtout pour les familles pauvres, et à supprimer ou à diminuer les programmes préscolaires. Je parle dans mon article d'une étude très importante sur le centre préscolaire Perry. On a choisi une collectivité à haut risque, où il y a beaucoup de parents célibataires, beaucoup de clients de l'aide sociale, beaucoup de criminalité, et on y a consacré des ressources importantes aux enfants d'âge préscolaire.

Autrement dit, on a décidé d'investir dans les enfants de deux à six ans. Évidemment, il s'agit d'un milieu de jeu, et non d'un cadre officiel - on y a offert des services d'éducation et de nutrition, des conseils aux parents, et ainsi de suite. Et on a ensuite suivi ces enfants sur 10 ou 15 ans, dans le cadre d'une étude longitudinale. Il y a bien sûr certains de ces enfants qui ont commis des infractions, mais le taux de délinquance juvénile est beaucoup plus faible dans ce groupe, le décrochage scolaire y est nettement moins fréquent, et le recours à l'aide sociale également. Ce genre d'étude montre qu'il est très avantageux à long terme, du point de vue économique tout autant que social, d'accorder une attention particulière aux enfants à haut risque dès l'âge préscolaire.

Un des problèmes auxquels vous devez faire face, en tant qu'élus, c'est évidemment que ces avantages ne se feront pas sentir avant 10 ou 12 ans. Mais je suis convaincu que vous allez, comme il se doit, examiner ces questions dans une perspective à long terme.

Nous avons fait des recherches intéressantes. En fait, il en a été question à l'Université Queen's, qui est un des sites d'étude sur le programme «Partir d'un bon pas». Le gouvernement de l'Ontario a mis sur pied un programme à long terme et consacre des ressources aux enfants d'âge préscolaire. Je pense que c'est un élément important - pas une panacée, mais un élément important - de la lutte contre la délinquance juvénile. Comme je l'ai dit, nous semblons malheureusement nous engager, sur le plan social, dans une expérience qui pourrait être très coûteuse à long terme quand nous nous rendrons compte des conséquences de la réduction de 20 p. 100 dans les prestations d'aide sociale.

Soit dit en passant, d'après ce qu'en disent les policiers, les juges et les avocats de la défense, je pense que nous pourrions très bien assister en Ontario à une augmentation de certains types de crimes, contre la propriété par exemple, commis par des adolescents qui disent qu'ils n'ont pas assez à manger.

J'entends parler de jeunes qui vont dans les magasins et qui prennent tout simplement de la nourriture. Et pas des tablettes de chocolat! Ces jeunes ouvrent un sac de croustilles ou un pain, et commencent à le manger sur place. Quand les policiers arrivent et leur demandent ce qu'ils font, ils répondent qu'ils n'ont pas mangé de la journée et qu'ils ont faim. Et si les policiers leur suggèrent de se rendre à la banque d'alimentation, ils leur disent qu'ils ne peuvent pas prendre l'autobus pour s'y rendre parce qu'ils n'ont pas d'argent pour payer le trajet.

C'est le genre de choses que nous allons malheureusement voir de plus en plus au Canada. Les répercussions sociales et criminelles de ce genre de changements pourraient être très négatives à long terme.

La présidente: Merci. Madame Venne, cinq minutes.

.1025

[Français]

Mme Venne: Vous dites dans le résumé de votre présentation qu'on devrait revoir le rôle joué par la police dans la collectivité. Si on considère les réactions de la police au cours des dernières années dans les cas impliquant de jeunes délinquants, on remarque une augmentation des inculpations chez les jeunes, comme on le mentionne depuis tout à l'heure. On dit que c'est peut-être dû au fait que les policiers sont moins susceptibles de réagir de façon informelle devant une infraction commise par un jeune contrevenant.

Je vous demande donc s'il y a un rapport entre l'usage restreint que fait la police de son pouvoir de déjudiciariser les infractions impliquant de jeunes contrevenants et le nombre d'infractions mineures - vraiment très mineures - portées devant les tribunaux pour adolescents.

J'aurais une question subsidiaire par rapport au comportement de la police qui pourrait varier d'une province à l'autre. Selon vous, est-ce que ça expliquerait les écarts interprovinciaux dans le nombre de cas renvoyés aux tribunaux? Je vous cite un chiffre vraiment éloquent: on dit qu'au Québec, 1,74 sur 100 cas impliquant des adolescents de 12 à 17 ans ont été portés devant les tribunaux, tandis qu'en Saskatchewan, ce taux est de 8,71.

Est-ce vraiment dû à l'application différente que fait la police de la Loi sur les jeunes contrevenants dans chacune des provinces?

[Traduction]

M. Bala: Vous soulevez là plusieurs questions intéressantes et importantes. Il y a notamment la façon dont on mesure la criminalité, tant chez les adultes que chez les jeunes, où que ce soit dans le monde. La réponse, c'est qu'il est impossible de la mesurer avec exactitude. Il est très difficile d'en obtenir une image vraiment précise, que ce soit à un moment donné ou sur une plus longue période.

À mes yeux, le taux d'homicides commis par des jeunes donne une année assez claire de la délinquance juvénile parce que le fait qu'il y ait inculpation ou non n'y change rien. Quand on a un cadavre, on sait qu'il y a eu un homicide. Dans le cas des homicides commis par des jeunes, on a enregistré un taux stable ou légèrement à la baisse depuis un bon nombre d'années.

Je ne pense pas que le taux de délinquance juvénile soit le même partout au Canada. Il est clair qu'il existe de réelles différences, et que la réaction de la police diffère également. Quand on examine les chiffres relatifs aux homicides commis par des jeunes, on se rend compte que, sur une longue période, certaines provinces ont des taux nettement plus élevés que d'autres.

Le Québec est une des provinces où le taux de criminalité pourrait en réalité être plus bas que dans certaines autres. Les homicides commis par les jeunes en sont un assez bon exemple. Sans vouloir employer un terme aussi controversé que «société distincte», je dois dire que les enfants ne sont absolument pas traités de la même façon au Québec et dans les autres provinces, sur les plan social, éducatif et juridique. Des criminologues, notamment, en ont d'ailleurs déjà parlé.

Prenons par exemple les paiements versés aux parents à la naissance des enfants. Cela peut évidemment avoir un effet indirect sur la délinquance juvénile, mais c'est aussi une façon de dire qu'on s'intéresse aux enfants et qu'on veut soutenir ceux qui naissent. Il y a un intérêt. Évidemment, le taux de fécondité est relativement bas, mais à bien des égards, les liens très étroits entre le système judiciaire pour les jeunes et le système de protection de la jeunesse au Québec représentent à mon avis un modèle dont les autres provinces pourraient et devraient s'inspirer.

Quant au taux relativement élevé de déjudiciarisation, pour en venir aux détails de votre question, nous ne savons pas très bien, d'une part, jusqu'à quel point les policiers ont recours à cette option.

.1030

J'ai déjà dit, dans un des rapports que j'ai rédigés, que Statistique Canada et la police devraient essayer de tenir des registres plus précis sur le nombre d'enfants qui reçoivent des avertissements et qui font l'objet de mesures officieuses. Nous ne le savons pas vraiment, mais les données dont nous disposons - les résultats de petites études et les autres types d'indicateurs - montrent clairement que les pratiques des policiers au sujet des mises en accusation varient beaucoup.

Ce qui s'est passé dans les années 1980, probablement dans tout le Canada, mais en tout cas en Ontario et dans certaines autres provinces, c'est que la police a commencé à inculper des jeunes pour des infractions auxquelles elle aurait répondu officieusement auparavant. Pour les batailles dans les cours d'école... en Ontario, il y a maintenant ce qu'on appelle une politique de tolérance zéro. Dès qu'un enseignant ou un directeur d'école voit quelque chose qu'il considère comme une agression, il appelle la police.

Si vous demandez à un groupe d'enfants, d'adolescents, de jeunes adolescents s'il y en a parmi eux qui ont frappé des camarades au cours des 24 dernières heures, ou pendant la journée, vous vous rendrez compte que cela se produit très souvent. Si vous commencez à appeler la police à chaque fois et qu'elle décide de porter des accusations, vous verrez que les statistiques sur les taux de délinquance juvénile changeront du tout au tout. Je suis sûr qu'il y a des différences substantielles entre les provinces, et à l'intérieur d'une même province, quant aux critères d'inculpation des jeunes. Je pense que c'est une variable importante.

Je ne suis pas certain que le Parlement du Canada puisse y faire grand-chose directement, mais il serait approprié à mon avis de voir ce qui se fait ailleurs, par exemple en Grande-Bretagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En fait, même aux États-Unis, on se sert beaucoup plus qu'ici de ce que nous appelons les mesures de rechange, par exemple les avertissements officieux et la déjudiciarisation. Je pense que c'est une réponse appropriée et efficace, sans être trop coûteuse, à beaucoup d'infractions.

La présidente: Merci.

Monsieur Maloney.

M. Maloney (Erie): Pour en revenir à l'âge minimum, j'aimerais savoir premièrement si l'incidence des infractions commises par des enfants de 10 et 11 ans est telle que nous devrions envisager sérieusement d'abaisser l'âge minimum, ou s'il ne serait pas plus approprié de prévoir le renvoi des jeunes pour des infractions mineures, comme cela se fait déjà pour certains types de crimes graves, ou pour des infractions commises dans certaines circonstances particulières. Si cette dernière solution était la bonne, quels seraient les critères applicables à ce renvoi?

M. Bala: Votre question est intéressante. On peut probablement parler de renvoi, en effet. Je n'y ai pas beaucoup réfléchi, mais je pense qu'il est tout à fait approprié de se poser la question pour savoir exactement comment nous voulons nous y prendre - si c'est bien ce que nous voulons faire - parce que, si nous le faisons, nous ne voulons pas faire augmenter considérablement le nombre d'enfants amenés devant les tribunaux; nous ne voulons pas avoir une multitude d'enfants dans les établissements de détention.

À cette étape-ci du processus, il me semble approprié de dire que, si nous décidons que le problème est suffisamment grave pour que nous nous y attaquions, la meilleure chose serait d'abaisser l'âge. Mais il faut établir des limites claires au sujet, par exemple, de la nature des infractions ou du recours fréquent à divers mécanismes de déjudiciarisation par la police et même par les tribunaux; il faut aussi prévoir des restrictions sur le recours à la détention. Il est certain que, sauf pour les cas les plus graves, je ne voudrais pas envisager la détention d'enfants de 10 ou 11 ans, même s'il y a des situations où ces enfants devraient être retirés de leur famille.

Encore une fois, j'aimerais qu'il y ait des liens plus serrés avec les organismes d'aide à l'enfance. Si le problème réside véritablement dans l'environnement familial, il faudrait d'abord essayer d'aider les enfants dans cet environnement; la grande majorité des enfants, surtout avant l'âge de 12 ans, peuvent être aidés. Le soutien aux familles et le travail auprès des parents, pour les aider par exemple à gérer leur colère, à se maîtriser et à modifier leurs comportements, doivent venir en premier.

Mais pour un très petit nombre d'enfants de moins de 10 ou 11 ans qui commettent des infractions, le comportement criminel dénote des problèmes affectifs, des sévices à la maison ou des problèmes de santé mentale, qui doivent être traités par des spécialistes. Donc, je pense que la meilleure façon de structurer cela, ce serait d'établir des liens appropriés avec les divers organismes, tant sur le plan législatif qu'en ce qui concerne les installations et les programmes.

.1035

M. Maloney: Vous avez parlé de la nature des infractions. Pouvez-vous nous donner une idée du genre d'infractions qui exigeraient un renvoi devant un tribunal pour la jeunesse?

M. Bala: Je dirais qu'à l'heure actuelle, en théorie, lorsqu'un enfant de moins de 12 ans commet une infraction, la police a le pouvoir dans la plupart des provinces - et je présente la situation province par province dans mon article - elle a le pouvoir, donc, d'arrêter l'enfant et de le ramener à ses parents s'il a commis une infraction, mais dans certaines provinces, il n'est pas clair que la police ait aussi le pouvoir de retirer l'enfant délinquant du foyer familial. Dans ces cas-là, toujours en théorie, lorsqu'il se fait quelque chose, ce sont les lois sur la protection de la jeunesse qui s'appliquent.

Un des problèmes à cet égard, c'est qu'on a beau appliquer les lois sur la protection de la jeunesse, on se fait inévitablement répondre, quand on téléphone aux services d'aide à l'enfance, qu'ils doivent déjà s'occuper de 50 enfants, dont 10 qui ont été agressés sexuellement ou qui disent l'avoir été, un certain nombre qui ont été agressés physiquement, un certain nombre encore qui courent des risques graves à la maison, et voilà qu'un policier vient dire qu'un enfant en a battu un autre ou qu'il s'est fait prendre une quatrième fois à voler à l'étalage; ce n'est jamais une priorité.

Donc, même si les services d'aide à l'enfance obtiennent parfois de bons résultats à l'heure actuelle, il y a d'autres cas où, pour des raisons pratiques, à cause de la nature de ces organismes, cette solution ne fonctionne pas.

Deuxièmement, les lois sur la protection de la jeunesse ne sont tout simplement pas appropriées pour certaines infractions. Par exemple, si un enfant se fait prendre une première fois pour avoir commis un crime contre la propriété en Ontario, les services d'aide à l'enfance n'ont tout simplement pas le droit de s'en occuper; ce n'est même pas une question de priorités. Donc, les lois provinciales représentent une partie du problème, et le financement provincial également, mais il y a aussi que le mandat des institutions en place est carrément insuffisant.

Les policiers et les juges des tribunaux pour la jeunesse considèrent qu'ils ont un rôle à jouer pour protéger la société, et c'est tout à fait vrai. Les travailleurs de l'aide à l'enfance disent quant à eux qu'ils songent seulement aux meilleurs intérêts de l'enfant. Ils n'ont aucun lien avec les tribunaux, ni avec la police; ils n'ont aucune responsabilité vis-à-vis de ces autorités. Leurs seules responsabilités sont vis-à-vis des enfants et de leurs parents. Donc, ces cas n'ont absolument pas la priorité pour eux.

J'hésiterais à parler de «renvoi»; je pense plutôt qu'il faudrait premièrement faire comprendre aux policiers et aux procureurs de la Couronne que les mises en accusation et les procédures judiciaires devraient être une solution de dernier recours et, deuxièmement, demander aux juges de ne retirer les enfants de chez qu'en tout dernier ressort.

Je vais vous donner un exemple. Il y a à Toronto un excellent programme pour les enfants de moins de 12 ans qui commettent des infractions. J'espère bien que vous en entendrez parler. Il s'agit du projet Earlscourt. Ce programme est destiné expressément aux jeunes délinquants de moins de12 ans, qui y sont envoyés par la police et par les organismes d'aide à l'enfance.

Un des problèmes de ce programme, à mon avis, c'est qu'une minorité de parents affirment qu'il est strictement volontaire. Ils ne veulent pas y envoyer leurs enfants; ils ne veulent pas que des travailleurs sociaux se mêlent de leurs affaires. Parfois, les parents eux-mêmes ont un casier judiciaire. Parfois, ils ont déjà eu affaire aux organismes d'aide à l'enfance; ils se méfient des travailleurs sociaux et disent qu'ils ne feront rien. C'est précisément pour ces enfants-là qu'un programme obligatoire serait le plus nécessaire.

L'intérêt du recours aux tribunaux, c'est qu'un juge décrète alors que l'enfant et ses parents doivent d'abord recevoir du counselling. Ce n'est pas une offre; ce n'est pas laissé à leur bon vouloir. C'est un ordre de la cour. C'est pour cela qu'il faut un système judiciaire, dans lequel des juges obligent les gens à faire ce genre de chose.

Deuxièmement, dans quelques cas relativement rares, la situation est tellement détériorée que l'enfant doit être retiré de chez lui parce qu'il constitue une menace pour la sécurité publique ou qu'il a des besoins trop grands. Le projet Earlscourt a quelques places d'hébergement, mais il offre aussi un programme communautaire beaucoup plus important. Donc, de préférence, la première réponse pourrait être d'envoyer certains de ces enfants là-bas, mais pas sur une base volontaire parce que leurs parents ne veulent pas.

Je ne suis pas ici pour vous faire des menaces, mais s'il y a un jour un enfant de 10 ou 11 ans qui commet un homicide au Canada, les gens vont vous dire: «Vous étiez au courant du problème depuis des années, et vous n'avez aucune loi pour y répondre.»

.1040

Comme je l'explique dans mon article, ce qui se passe, surtout en Ontario - mais je pense que c'est vrai aussi dans toutes les autres provinces - c'est que les parents peuvent dire: «Oui, notre enfant de 10 ans vient de commettre un homicide. Mais vos lois portent uniquement sur les meilleurs intérêts de l'enfant. Nous avons une meilleure idée. Nous n'avons pas besoin de l'aide de l'État. Nous avons envoyé notre enfant suivre un programme de traitement» - que ce soit ici ou dans un autre pays - «et il y restera aussi longtemps que ce sera nécessaire dans ses meilleurs intérêts.» Et la loi ne permet même pas de s'en mêler. Il n'est pas question de renvoyer l'enfant devant un tribunal pour la jeunesse. Il n'est même pas question de tribunal. À mon avis, cet exemple illustre très clairement les limites de notre régime actuel.

M. Ramsay: Vous soulevez là une question fondamentale, celle de la nature même du système de justice. Pourquoi ne pas permettre aux parents de choisir cette solution pour leur enfant de 10 ou 11 ans qui vient de commettre un homicide? En fait, pourquoi ne pas le faire pour les jeunes de 12, 13, 14 ou 15 ans? Pourquoi pas? Il me semble que c'est la voie que nous avons choisie depuis que nous avons abrogé la Loi sur les jeunes délinquants. Dans cette loi, nous pouvions nous occuper des jeunes de façon officieuse et nous avions le pouvoir en tant qu'agents de la paix - puisque j'en étais un - d'en garder un plus grand nombre en dehors du système officiel. Nous voyions que ce n'était pas nécessairement bon pour l'enfant, mais nous avions toujours cette possibilité.

Nous leur faisions une offre qu'ils ne pouvaient évidemment pas refuser, ou du moins c'est ce qu'ils pensaient; nous leur expliquions les conséquences de leurs gestes et nous leur disions ce qui risquait de leur arriver. Ils pouvaient se retrouver devant un tribunal pour jeunes, ou nous pouvions régler l'affaire entre nous. Nous pouvions aller voir leurs parents pour régler cela de façon officieuse.

Mais la police n'a plus ce droit. J'ai l'impression aussi que si on applique maintenant une politique de tolérance zéro - et, comme vous l'avez mentionné, cela a commencé dans les années 1980, en tout cas après la disparition de la Loi sur les jeunes délinquants et l'entrée en vigueur de cette nouvelle loi - c'est parce que les directeurs d'école et les enseignants n'ont plus l'autorité nécessaire pour se faire écouter et pour insister sur le respect des règlements dans les écoles et dans les classes.

Dans mon temps, jamais un directeur d'école n'appelait la police. S'il y avait des bagarres - et il y en avait à l'occasion - on amenait les coupables à son bureau la main au collet, et la chose se réglait officieusement. Si la situation était grave ou si les problèmes se répétaient, les parents étaient avertis.

Quand vous dites que le système d'aide à l'enfance ne répond pas, vous voulez dire que les parents ne répondent pas, que la famille ne répond pas.

Nous avons toujours tellement de questions à poser, et pas assez de temps. Je voudrais vous parler de ce que le professeur Owen Carrigan, du département d'histoire de l'Université St. Mary's, en Nouvelle-Écosse, a dit au comité. Il a souligné un certain nombre de choses.

Il a dit que c'étaient les parents qui étaient au coeur du problème des jeunes contrevenants. Il a dit qu'il n'y avait pas assez d'amour et de discipline à la maison, et qu'on n'y insistait pas suffisamment sur les valeurs et les principes moraux. Il a dit aussi que les manuels scolaires, et les écoles également, accordaient autrefois beaucoup d'importance aux valeurs, mais qu'il n'y est plus question de cela depuis 1944, il y a déjà longtemps. D'après lui, les jeunes contrevenants sont le produit de foyers où on n'enseigne pas les valeurs et les principes moraux.

Si ce qu'il dit est vrai - et certaines de ses affirmations, en tout cas, m'ont semblé tout à fait justes - et quand on regarde le programme américain dont vous avez parlé, celui qui a permis d'améliorer les choses dans un secteur à haut risque... En fait, selon M. Carrigan, ce programme remplace, ou du moins renforce considérablement, l'enseignement du foyer familial et donne une structure à ces enfants; il leur enseigne certaines valeurs et certains principes moraux qui leur permettent d'avoir une structure et de fonder leur vie adulte sur des valeurs solides, pour mieux réussir plus tard.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de ces commentaires.

.1045

M. Bala: Je trouve vos observations très intéressantes et très importantes; elles montrent que vous comprenez bien la nature du problème de la délinquance juvénile. Notre société a changé très profondément depuis 50 ans. Notre vie familiale a changé. Nos valeurs aussi. L'influence des médias... Par exemple, je ne suis pas convaincu que la délinquance juvénile ait nécessairement augmenté. Je n'y crois pas tellement, en fait. Mais il est fort possible, par exemple, que le problème des armes dans les écoles soit plus sérieux que dans le passé. Ce n'est pas seulement une impression, c'est une réalité; les armes sont plus accessibles, et c'est pourquoi les enseignants et les directeurs d'école doivent faire face à des situations nouvelles.

Notre vie familiale a certainement beaucoup changé, et je ne crois pas qu'il soit réaliste - ni approprié, à mon avis - de vouloir retourner à la vie que nous menions dans les années 1930 et 1940. En fait, il est facile d'idéaliser le passé. J'ai mentionné un article au sujet de la Loi sur les jeunes délinquants. Je pense que nous souffrons parfois d'amnésie. Nous ne savons pas ce qui se passait vraiment. Quand vous étiez policier... Nous avons souvent tendance à dire que tout allait beaucoup mieux dans les années 1960 et 1970. Peut-être que oui, sur certains points, mais la délinquance juvénile était certainement un problème sérieux.

M. Ramsay: Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je dis que nous avions les outils nécessaires pour y faire face. Le policier, l'enseignant et le directeur d'école n'ont plus ces outils, et il semble y avoir une augmentation de la délinquance juvénile parce que nous envoyons les jeunes devant le système officiel, contrairement à ce que nous faisions auparavant.

M. Bala: Eh bien, je suis tout à fait d'accord pour qu'on donne à la police plus de latitude, plus de directives pour qu'elle applique des moyens officieux. La police pourrait donner plus d'avertissements, faire plus de dépistage. Je pense que, dans la plupart des autres pays, les policiers peuvent se guider sur des directives législatives plus claires; ils sont peut-être aussi mieux formés.

Notre société tout entière en est arrivée à trop compter sur les procédures judiciaires officielles, dans toutes sortes de contextes. S'il y a un problème, une des choses qui inquiètent les directeurs d'école et les policiers, c'est la possibilité que les parents ou la victime se plaignent. Ils craignent qu'on dise qu'ils n'ont pas bien fait leur travail; donc, il est plus facile pour eux de porter des accusations et de pouvoir prouver, document à l'appui, qu'ils ont fait ce qu'ils avaient à faire et que ce n'est plus leur problème. Il faut reconnaître les limites de la loi et des mécanismes officiels. Les mesures officieuses sont souvent préférables. Il est certain qu'il serait plus rentable de donner plus de latitude aux policiers et de faire participer les parents davantage.

M. Ramsay: Qu'est-il advenu de cette latitude? Elle existait à une certaine époque. Que s'est-il passé?

M. Bala: C'est une question très intéressante, parce que je ne crois pas que la Loi sur les jeunes contrevenants ait supprimé cette latitude. Un des aspects complexes de toute cette histoire, c'est qu'il y a non seulement la loi elle-même, mais aussi les dépenses fédérales. Il y a aussi toute la question de la mise en oeuvre par les provinces, de la politique de chaque province, de l'attitude des corps policiers des différentes provinces. Pourquoi les policiers n'ont-ils plus cette latitude? En fait, la Loi sur les jeunes contrevenants leur en laisse tout autant que la Loi sur les jeunes délinquants, et d'ailleurs, dans certaines provinces et dans certains corps policiers, on continue...

M. Ramsay: Je ne suis pas d'accord. Quand on enregistre une déclaration...

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Oui, je comprends.

La présidente: Nous en sommes rendus à environ huit minutes, alors que je vous en avais donné cinq.

M. Ramsay: J'aimerais avoir un autre tour, parce que cette discussion est très intéressante.

La présidente: Eh bien, prenez votre mal en patience. Aviez-vous autre chose à dire sur ce point?

M. Bala: C'est une question intéressante. Il est clair à mon avis que l'alinéa 3(1)d), qui porte sur les principes, et l'article 4, qui prévoit des mesures de rechange, permettent aux policiers de ne pas porter d'accusations. Ils y sont même encouragés, du moins à prime abord.

Quand la Loi sur les jeunes contrevenants est entrée en vigueur... Il n'y a pas seulement un facteur. Le pays - et même le monde - dans lesquels nous vivons sont tels que nous ne pouvons pas dire que la seule chose qui ait changé entre 1984 et 1996, c'est que la Loi sur les jeunes contrevenants a été adoptée. Il y a tellement de choses qui ont changé, comme vous l'avez fait remarquer: notre système scolaire, notre rôle de parents, les médias... La façon dont les jeunes s'habillent a changé, et leurs comportements aussi. Toutes ces choses se sont produites en même temps, et il est impossible d'en isoler une ou d'en modifier seulement une.

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À mon avis, la solution au problème de la délinquance juvénile ne passe pas seulement par une loi fédérale. Il faut beaucoup d'autres choses. La loi est un élément d'un changement plus global.

Ce que vous devez vous dire, c'est que le contenu de la loi représente une partie seulement du problème. Il y a aussi les dépenses du gouvernement fédéral, la politique des diverses provinces et la formation des policiers.

J'encourage en tous cas les gouvernements fédéral et provinciaux, et les administrations municipales aussi d'ailleurs, à adopter une politique qui incite les policiers à s'occuper des cas de délinquance par des moyens officieux. À mon avis, c'est une des choses à faire, une des solutions à adopter... En Angleterre, par exemple, la police donne des avertissements officiels et est encouragée à tenir des registres de ce genre de choses. Je pense que cela fonctionne mieux que bon nombre des mesures que nous appliquons actuellement ici.

Donc, en ce sens, je pense que nous pouvons effectivement tirer des leçons du passé, et aussi de l'expérience des autres pays.

La présidente: Merci.

Madame Torsney, vous avez cinq «minutes Ramsay».

Mme Torsney (Burlington): Ce que j'ai trouvé intéressant dans votre témoignage, ce matin, c'est qu'il comportait plusieurs éléments. Tout le monde semble s'être concentré sur la question de l'âge minimum, à savoir s'il devrait être de 10 ou 12 ans. Et je vais moi aussi tomber tout droit dans le piège.

Vous avez reconnu que nos ressources financières sont limitées, qu'il y a des conflits entre les dépenses consacrées aux programmes sociaux et les coûts de l'incarcération - même si vous ne nous avez pas vraiment présenté d'analyse approfondie des coûts et des avantages - et vous préconisez la mise en place d'un système pour les 10 et 11 ans, les choses étant ce qu'elles sont en 1996. Pourtant, vous semblez savoir, d'après certaines de vos études, que la réponse sera la suivante: «Attendons qu'ils aient commis des crimes graves, et nous nous en occuperons après; nous les placerons dans un établissement quelconque et nous travaillerons intensivement auprès d'eux.»

Si le problème des enfants de 10 et 11 ans est tellement grave, pourquoi ne pas nous avoir dit ce matin que nous devrions envisager des lois qui obligeraient les gens à travailler avec les enfants de trois, quatre ou cinq ans qui sont clairement à risque et que nous devrions améliorer le système de protection de la jeunesse de telle sorte que, quand un parent dit non, c'est son entière responsabilité et qu'il devra en subir les conséquences; ce qui va se passer, c'est qu'il va amener son enfant aux États-Unis... Nous devrions avoir la responsabilité d'intervenir auprès de ces familles et de ces enfants à risque. Pourquoi devrions-nous attendre qu'il y ait un problème?

Je vous assure qu'actuellement, si des parents en Ontario disent que leur famille est à risque, qu'ils ont un problème, qu'ils ont de la difficulté avec un enfant et qu'ils ont besoin d'aide, ils vont se faire répondre: «Désolés, puisque votre enfant n'a pas commis d'infraction, nous allons attendre; nous lui offrirons des services quand il en aura commis une, parce que nos ressources sont très limitées en ce moment.»

Vous savez bien que dans certaines provinces, où on parle de camps de style militaire et de toutes sortes d'autres possibilités de ce genre, les enfants de 10 et 11 ans vont être empilés dans des établissements plutôt que de recevoir de l'aide.

M. Bala: Votre intervention est très intéressante. Il n'est peut-être pas tellement surprenant que les questions aient porté surtout sur l'âge minimum, même ci cela ne représente qu'une petite partie de mes vues générales sur le sujet. C'est probablement l'élément qui ressort, en ce sens que beaucoup d'autres spécialistes du domaine ont déjà dit ce que j'aurais dit moi-même quant au reste.

J'ai été très prudent au sujet de l'âge minimum dans mon article, en ce sens qu'il y a des avantages et des inconvénients; vous avez raison. Il n'y aura jamais de réponse parfaite, ni facile. Mais une des réalités, de nos jours, c'est que quand l'argent est rare, on a en fait plus de chances d'en obtenir pour des programmes qu'on présente comme étant de nature correctionnelle que pour des services sociaux. Il est plus facile d'avoir accès à cet argent quand on désigne les programmes de cette façon; c'est du moins l'avis de certaines personnes à qui j'ai parlé et qui travaillent auprès des moins de 12 ans. Ces gens-là m'ont dit - et vous avez parlé de la situation en Ontario - que les organismes préfèrent souvent dire qu'ils s'occupent des jeunes contrevenants de 10 ou 11 ans plutôt que de services préventifs d'aide à l'enfance, parce qu'ils ont plus de chances d'avoir de l'argent de cette façon.

Les organismes nécessaires sont là, et les ressources aussi. Jusqu'à un certain point, le genre de système que je préconise ne devrait pas coûter plus cher dans l'ensemble. Par exemple, la détention est à peu près la solution la plus coûteuse qui soit. Ce que j'aimerais - et j'espère l'avoir dit assez clairement - c'est qu'il y ait beaucoup moins de jeunes contrevenants dans les centres de détention.

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Certains jeunes ont peut-être besoin de peines aussi longues que celles qui sont imposées actuellement, et peut-être même de peines plus longues avec des services appropriés. Pour une petite minorité d'enfants de 10 et 11 ans, j'envisagerais la possibilité d'un placement à l'extérieur de leur famille. Mais pour la grande majorité d'entre eux, je préférerais un système simple et officieux: celui des avertissements donnés par la police, auxquels nous avons d'ailleurs déjà recours.

Un des problèmes auxquels les policiers doivent faire face quand ils ont affaire à des enfants de 10 ou 11 ans, surtout si ces enfants ont un peu d'expérience, c'est qu'ils peuvent seulement avertir les parents que leur enfant a commis une infraction et... Ils ne peuvent pas leur dire que, la prochaine fois, ce sera le tribunal pour la jeunesse, puisque la prochaine fois ce sera la même chose; ils ne peuvent rien faire à part appeler un travailleur social, qui décidera s'il y a lieu ou non de prendre des mesures.

J'aimerais bien que les policiers aient un peu plus de moyens de persuasion, qu'ils puissent dire: «Votre enfant a fait quelque chose de mal, vous le savez. J'espère que vous allez régler le problème efficacement, parce qu'autrement, il pourrait y avoir d'autres répercussions.» Ce serait mieux que de leur dire: «Votre enfant commet des infractions, et personne ne peut rien y faire.»

Mme Torsney: Alors, pourquoi vous êtes-vous concentré...? Je sais bien que vous êtes avocat et que vos travaux portent sur la délinquance juvénile, mais puisque tous les autres aspects vous intéressent aussi de toute évidence et que vous avez commenté les programmes sociaux, par exemple, pourquoi ne pas nous avoir dit: «Il faut un meilleur outil, un outil plus efficace. Je suis avocat. J'ai étudié la question. Je connais les conventions internationales.» Pourquoi ne pas avoir dit - je me mets à votre place, parce que je ne suis pas avocate - qu'il faut renforcer les lois sur la protection de la jeunesse? Pourquoi ne pas avoir dit qu'il faut obliger le gouvernement et les gens qui appliquent les lois fédérales à dire qu'il faut faire autre chose pour les jeunes, et qu'il faut le faire avant qu'ils aient 11 ans et qu'ils aient des démêlés avec la police parce qu'ils en sont à leur quatrième vol à l'étalage? Pourquoi ne pas avoir dit qu'il faut intervenir plus tôt et qu'il faut un autre outil que la Loi sur les jeunes contrevenants, puisque nous savons que nous ne l'appliquons pas...? Nous avons peut-être les meilleures intentions du monde, mais les Réformistes, eux, demandent qu'on traite ces jeunes avec sévérité.

M. Ramsay: Attention!

M. Bala: Vous soulevez une question très intéressante, celle de la nature et de la raison d'être de notre système de justice pénale, et du système judiciaire pour les jeunes en particulier. Les réponses, sur bien des points et au moins en partie sur la raison pour laquelle nous appliquons des solutions judiciaires - et je ne parle pas seulement du domaine pénal... Un des signaux que nous envoyons aux contrevenants, aux enfants qui commettent des infractions, à leurs parents, à leurs victimes et à leur entourage, c'est que, oui, nous jugeons ces actes répréhensibles, sur le plan moral et aussi sur le plan juridique, et que ces actes peuvent entraîner des conséquences et des sanctions, en partie du moins au nom du principe de la responsabilité. Je ne vois rien de mal à cela.

La grande question, c'est de savoir à quel âge. Je ne vois rien de mal à dire à un enfant de11 ans - et j'ai déjà dit dans mon article qu'il n'y en a pas beaucoup qui commettent des crimes graves; il y en a cependant qui commettent des infractions avec des armes, et même des agressions sexuelles à l'occasion - donc, il n'y a rien de mal à leur dire qu'ils ont fait quelque chose qui est tout à fait inacceptable; ce n'est pas seulement dans les meilleurs intérêts de l'enfant, même si c'est très important, mais c'est aussi une question de responsabilité et de protection de la société.

La solution que vous proposez est à l'essai au Canada depuis 12 ans, et cela n'a pas fonctionné. Autrement dit, une partie du problème, c'est que les provinces vont vous dire que c'est vous, le gouvernement fédéral - non seulement cela, mais que c'est vous, le comité de la justice et des questions juridiques - et que c'est à vous de leur dire quelles sont les dispositions du droit pénal, après quoi elles pourront décider du contenu de leurs programmes sociaux.

Je tiens à dire que, si je pouvais refaire le Canada, je ne sais pas si j'y prévoirais tous ces niveaux de responsabilité. En fait, notre système ne pourrait à peu près pas être pire. Un palier de gouvernement fait...

Je dois dire que j'adore mon pays. Personnellement, je souhaite qu'il reste uni, mais je ne diviserais pas les choses exactement comme maintenant. Ce n'est pas un système très rationnel, mais c'est celui que nous avons, et je ne pense pas qu'il soit facile de nous en défaire. Il y a sans doute de bonnes raisons, symboliques autant que pratiques, pour avoir un droit pénal uniforme dans tout le pays.

Le système américain, dans lequel le droit pénal relève des États, ne fonctionne pas très bien non plus.

Mme Torsney: Professeur Bala, pourquoi ne pas nous avoir dit ce matin que quelqu'un doit être tenu responsable du fait que les gouvernements fédéral et provinciaux ne s'intéressent pas aux enfants à risque et qu'ils se contentent plutôt de travailler auprès des enfants de 12 ans et plus qui contreviennent à la loi? Pourquoi ne pas avoir dit que nous avons la responsabilité juridique et financière de travailler avec les enfants à risque parce que, bien franchement, cela coûte moins cher que d'attendre qu'ils aient commis une infraction?

Pourquoi ne pas nous avoir parlé des outils et des lois que vous connaissez, en tant que professeur et avocat, et qui nous mettraient en face de nos responsabilités ou qu'il faudrait renforcer plutôt que d'attendre que les enfants soient dans le pétrin?

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M. Bala: Il me semble que je vous l'ai dit, à la fois oralement et dans mes commentaires écrits. Je suis d'accord avec vous. La seule question controversée, c'est si nous devrions prévoir aussi des sanctions pénales pour les enfants de 10 et 11 ans.

Mme Torsney: Nous en avons déjà.

M. Bala: L'un n'exclut pas l'autre. La première chose à faire à mon avis, c'est certainement de mettre l'accent sur la prévention, les services sociaux et l'éducation. J'aimerais bien que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, et toute notre société, s'y engagent. D'ailleurs, je pense que cela fait partie de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Ce devrait être notre priorité.

Mais d'un autre côté - probablement parce que je suis avocat et aussi parce que je suis réaliste, si vous voulez - j'ai dit que nous ne pouvions pas mettre en place un cadre juridique qui tiendrait les gouvernements responsables de ce genre de choses. Certaines personnes ont mentionné une éventualité intéressante - même si c'est un avis que je ne partage pas; c'est celle de la possibilité de tenir les parents responsables des infractions commises par leurs enfants. Je crois que le Citizen va publier quelque chose à ce sujet-là au cours des prochains jours.

Je ne suis pas d'accord du point de vue juridique. À mon avis, si des jeunes commettent des infractions, c'est peut-être l'État qui devrait être tenu responsable, vis-à-vis des victimes par exemple. Je ne pense pas qu'un régime juridique de ce genre soit applicable. Je crois plutôt qu'il serait utile de donner aux policiers, aux juges et aux travailleurs sociaux un outil de plus, à savoir la possibilité d'imposer des sanctions pénales à des enfants de 10 ou 11 ans, étant donné tout particulièrement ce qui se passe depuis 12 ans.

Il y a 12 ans, j'en étais au même point que vous, en ce sens que tout le monde disait que la solution passait par les mesures de protection de la jeunesse, que c'était la meilleure solution, la plus humaine, la plus efficace. Eh bien, malheureusement, cela n'a tout simplement pas marché. La réalité politique et financière, dans notre pays, c'est que cela n'a pas marché.

Mme Torsney: Nous n'avons pas essayé.

M. Bala: Peut-être pas. Si nous n'avons pas essayé en 12 ans, il me semble que nous avons peu de chances de nous y mettre un jour, du moins avec autant d'énergie qu'il le faudrait. Il est vrai que certaines provinces ont essayé, et qu'elles ont relativement bien réussi. Mais dans d'autres provinces, la plupart je pense, on n'a pas assez fait d'efforts de ce côté-là. Je pense qu'il y aura toujours des problèmes juridiques et institutionnels qui feront que ce ne sera jamais une réponse absolument idéale.

Mme Torsney: Merci beaucoup.

La présidente: Vous avez vraiment la même notion du temps que M. Ramsay.

Professeur Bala, je vous remercie de nous avoir fait bénéficier de votre expérience. Nous vous sommes reconnaissants d'être venu. Mme Clancy vous fait dire bonjour. Elle vient de téléphoner.

M. Bala: Merci. C'était un privilège d'être ici.

La présidente: Merci.

La séance est levée.

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