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TÉMOIGNAGE

[Enregistrement électronique]

Le vendredi 1er novembre 1996

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[Traduction]

La présidente: Nous reprenons nos travaux après avoir changé de rôle. Nous allons en effet nous pencher maintenant sur le projet de loi C-27, Loi modifiant le Code criminel (prostitution chez les enfants, tourisme sexuel impliquant des enfants, harcèlement criminel et mutilation d'organes génitaux féminins).

Nous avons le plaisir d'accueillir Noreen Waters, de l'unité d'application coordonnée de la loi, où elle exerce les fonctions de détective.

Je crois comprendre que vous êtes malheureusement une experte sur ces questions.

La détective Noreen Waters (Coordinated Law Enforcement Unit, Vancouver Police Department): Ce n'est pas un domaine dans lequel j'ai voulu devenir experte, je puis vous le dire.

La présidente: «Qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grande, ma petite fille?»

Détective Waters: C'est ça.

La présidente: Merci d'être venue devant notre comité. Nous avons reçu votre mémoire. Je vous donne donc la parole, après quoi nous vous poserons des questions.

Détective Waters: Merci, madame la présidente. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer au sujet du projet de loi C-27.

Pour que vous compreniez ma position sur ce projet de loi, je précise que je fais partie de la police de Vancouver depuis une vingtaine d'années et que je suis détective depuis quatre ans et demi. Je travaille maintenant pour l'unité d'application coordonnée de la loi.

Depuis juillet 1992, je m'occupe d'enquêtes reliées à la pornographie, c'est-à-dire d'enquêtes sur la pornographie infantile, les sévices sexuels infligés aux enfants et l'exploitation sexuelle des enfants. J'ai donné de nombreuses entrevues à la presse locale et nationale sur ces questions, j'ai fait des exposés devant de nombreux groupes communautaires et j'ai participé à plus d'une trentaine de sessions de formation sur la pornographie infantile, la pornographie prohibée et la pédophilie.

En 1993, j'ai participé aux audiences du Comité permanent sur la justice de la Chambre des communes, à Vancouver et à Ottawa, au sujet des modifications envisagées à la législation sur la pornographie infantile. Le projet de loi C-128 est entré en vigueur le 1er août 1993 pour modifier la législation sur la pornographie infantile afin d'y inclure les nouvelles infractions de possession, d'importation et de transmission électronique de pornographie infantile, et afin de modifier la définition de la pornographie infantile pour y inclure les publications encourageant ou conseillant des activités sexuelles avec des personnes de moins de dix-huit ans.

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J'ai reçu des tonnes d'informations de services de police et de citoyens sur la pédophilie. Cela m'a aidée à découvrir des groupes internationaux de pédophiles qui utilisent tout l'éventail des moyens de communication, comme les ordinateurs, les transmissions par satellite, les livres, les revues photographiques et les communications postales.

Je suis également parvenue à élargir mes connaissances en la matière au cours de discussions avec d'autres experts du Canada et des États-Unis, notamment des enquêteurs policiers au palier provincial et au palier fédéral, des enquêteurs des douanes et des postes, des enquêteurs des bureaux du procureur général, des psychologues et des thérapeutes. J'ai lu de nombreux rapports et articles sur les sévices sexuels infligés aux enfants et sur la pédophilie, et j'ai interviewé des personnes qui exploitent sexuellement les enfants. J'ai aussi participé à des ateliers sur des questions connexes reliées à la pédophilie et à la pornographie, organisés par le docteur Peter Collins de l'Institut Clarke, en Ontario. C'est un expert sur les comportements paraphiliaques, c'est-à-dire sur la déviance sexuelle.

Afin de contribuer à l'élaboration du projet de loi C-27, j'ai adressé de nombreux rapports de recherche et des documents opérationnels au ministère de la Justice, à Ottawa.

L'adoption de ce projet de loi aura une incidence sur la législation actuelle concernant la pornographie infantile diffusée sous forme écrite. Selon la définition actuelle, il s'agit des publications écrites qui recommandent ou conseillent des activités sexuelles avec une personne de moins de dix-huit ans. Autrement dit, ces publications seraient interdites. L'un des moyens de défense que l'on a utilisés à ce sujet est que les infractions de cette nature commises en dehors du Canada ne peuvent être considérées comme des infractions en vertu de cette Loi, laquelle fait partie du Code criminel. Il s'agit donc là d'une échappatoire qui existe dans la Loi actuelle en ce qui concerne les publications écrites.

De fait, cette défense a été utilisée dans une affaire au sujet de laquelle j'ai fait enquête en 1994. C'était une enquête qui a duré une année et qui concernait un homme qui produisait à Vancouver un bulletin sur le sexe en Asie du Sud-Est. Il diffusait son bulletin à l'échelle mondiale. La poursuite a échoué lorsqu'elle a voulu invoquer la législation sur la pornographie infantile. En effet, l'avocat a déclaré que cet homme écrivait des textes sur le sexe avec des jeunes filles de l'étranger, ce qui ne pouvait être considéré comme une infraction à une Loi du Canada.

Cette publication masculine, Asia File, est maintenant distribuée à partir des États-Unis. Après notre enquête, le responsable a déménagé en Californie. Il continue donc de diffuser son bulletin à partir de là-bas, notamment au Canada. En janvier 1996, les douanes ont saisi plusieurs exemplaires de Asia File. Voici à quoi ressemble cette publication. Je vous en ai communiqué des extraits.

Les numéros 3 et 8 étaient destinés à un homme de Colombie- Britannique et provenaient des États-Unis. Dans le numéro 3, d'avril 1994, l'auteur décrit à la page 8 qu'on lui a offert une vierge «dans la quinzaine» pour 100 $. Il dit avoir photographié une autre vierge qui avait l'air d'avoir treize ou quatorze ans. Il dit qu'il a refusé d'avoir des rapports sexuels avec cette jeune fille, notamment parce que - et je n'utiliserai pas ici le terme qu'il utilise généralement dans sa publication pour désigner les relations sexuelles - cela lui aurait coûté beaucoup trop cher et il ne voulait pas s'embêter avec des histoires de saignements et de douleurs. Voilà l'étendue de son intérêt envers ces jeunes filles.

Il dit aussi:

Même si Asia File parle honnêtement de l'attrait érotique des adolescentes, nous croyons qu'il est inapproprié de prostituer des jeunes filles à peine mûres sur le plan sexuel. Il y a largement assez de filles de 15 ans, ce qui est l'âge où je fixe la limite pour le sexe commercial.

Je suppose qu'il s'imagine faire preuve de sens moral en fixant cette limite.

Aux pages 38 et 39, il discute de l'âge de consentement et il donne presque l'impression qu'il n'approuve pas les rapports sexuels avec des enfants trop jeunes. Voici ce qu'il dit: «La prostitution infantile est immorale parce que les personnes prépubères - c'est un mot qu'il a inventé - sont faciles à tromper et à contrôler. En outre, certaines activités sexuelles peuvent causer des dommages physiques aux très jeunes. Pour ce qui est de la prostitution adolescente, nous considérons que c'est une question distincte. Les adolescentes mûres sur le plan sexuel - et j'aimerais savoir comment elles ont acquis cette maturité sexuelle - ne doivent pas être privées du droit de gagner leur vie ou d'avoir des relations sexuelles». Autrement dit, il ne faut pas priver des adolescentes ayant atteint la maturité sexuelle du droit de gagner de l'argent ou d'avoir des relations sexuelles. «Certains pensent que quinze ans est un âge de consentement raisonnable pour se lancer dans le sexe ou la prostitution». Autrement dit, à quinze ans, une jeune fille est assez mûre pour commencer à se prostituer. «Certains pensent que les relations amoureuses exigent des normes différentes des relations commerciales.» Il laisse entendre ici que les relations sexuelles avec des filles de moins de quinze ans peuvent être acceptables s'il ne s'agit pas de prostitution.

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Ce matériel fait clairement la promotion d'activités sexuelles avec des personnes de moins de dix-huit ans mais est-ce une infraction à la Loi? Certains diront que non parce que l'intention du législateur, en adoptant la législation sur la pornographie infantile, n'était pas d'interdire que l'on écrive cela. Voilà notre problème. D'aucuns estiment que les gens devraient pouvoir écrire ce genre de texte au sujet de personnes qui se trouvent à l'étranger.

Ces deux dernières années, les douanes ont saisi trois autres publications, l'une d'entre elles à Vancouver. Il s'agit d'une revue de 140 pages intitulée A Gentleman's Guide: The Erotic Women of Southeast Asia. Je vous ai également donné des extraits de cette publication. La dernière saisie remonte à janvier 1996.

Voici l'en-tête de la page titre: «Les filles de moins de 18 ans: où les trouver?», ce qui indique bien que l'on va dire dans cette publication où trouver ces filles. Dans le sommaire, on dit que de très jeunes filles sont disponibles et l'on ajoute ceci: «L'Asie du Sud-Est: il y a là-bas plus de - je n'emploierai pas le terme couramment utilisé pour désigner le sexe d'une femme, je parlerai de femmes - femmes que vous pourriez le rêver et, ce qui est encore mieux, elles sont facilement disponibles pour pratiquement tout le monde». C'est-à-dire, pour des relations sexuelles. «Si vous ne me croyez pas, demandez à mon bon ami «Tom le fauteuil roulant», comme nous l'appelons. C'était le fils de pute - comme il l'appelle - de 55 ans le plus laid que j'ai jamais rencontré. Si ce bonhomme-là pouvait se taper trois petites filles par jour sans aucun effort, j'ai l'impression que vous n'aurez pas trop de mal à faire aussi bien.» Il encourage donc les gens à aller là-bas pour racoler des jeunes filles.

On trouve dans cette publication toutes sortes de références aux relations sexuelles avec de très jeunes filles. Aux pages 11 et 12, il y a même une section spéciale intitulée «Les très jeunes» où l'on trouve des recommandations sur la manière de les amener dans sa chambre d'hôtel sans se faire prendre par la police. L'auteur dit qu'il faut être le plus discret possible pour ne jamais se faire embêter par la police.

Plus loin, il décrit de manière particulièrement imagée des relations sexuelles avec une prostituée de quatorze ans. Cette publication est truffée de références aux relations sexuelles avec de très jeunes filles. Il y a même une page de photographies de filles ayant à peine quatorze ans. Il est clair que l'auteur de ces textes fait la promotion et recommande des activités sexuelles avec des personnes de moins de dix-huit ans.

Cela serait-il une infraction en vertu du projet de loi? Le législateur n'a peut-être pas eu l'intention de dire que quelqu'un pouvait rédiger ce genre de texte à l'étranger mais c'est précisément ce que font les collaborateurs de cette publication. Je sais que l'adoption du projet de loi C-27 va fermer cette échappatoire.

En 1993, j'ai eu à m'occuper d'un homme que l'on a fini par accuser de plusieurs infractions de pédophilie. On l'avait arrêté à son arrivée à l'aéroport international de Vancouver avec un très grand nombre de documents de pédophilie, notamment des bandes vidéo. Il revenait de Californie. Ce matériel avait été produit par une société de distribution qui s'appelait International Wavelength à San Francisco, en Californie. Depuis lors, les autorités américaines ont obligé la société à fermer ses portes et elles ont porté des accusations contre ses propriétaires pour distribution et possession de pédophilie.

La majeure partie des jeunes garçons que l'on voit dans les bandes vidéo sont d'origine hispanique. Le Mexique est un autre pays de choix des pédophiles, et nombreux sont ceux qui s'y établissent pour produire leur matériel.

L'homme qui arrivait au Canada avec ce matériel faisait de très gros efforts pour le dissimuler. Les bandes vidéo avaient été scellées sous vide pour donner l'impression qu'elles étaient nouvelles et n'avaient jamais été ouvertes. Il avait également retiré les bandes et les avait ensuite replacées à l'envers, pour qu'elles défilent dans le mauvais sens. Autrement dit, quand on les mettait dans la machine, on avait l'impression qu'il n'y avait rien. Dans certains cas, il avait remplacé les bandes par du film huit millimètres.

En 1995, nous avons arrêté un autre pédophile en Colombie- Britannique qui a reconnu plus tard avoir molesté un certain nombre de jeunes garçons et qui a été condamné à une peine d'incarcération. Avant le prononcé de la sentence, il a rédigé son autobiographie, qu'il a remise à l'agent qui l'avait arrêté. Il y reconnaissait volontiers s'être rendu en Asie du Sud-Est pour avoir de relations sexuelles avec des garçons d'environ dix ans et, dans certains cas, de moins de dix ans. Je vous ai remis deux pages de cette autobiographie. Vous verrez qu'il y décrit de manière très explicite ce qu'il a fait avec ces enfants et la manière dont il les a contactés.

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Un homme qui voyageait beaucoup en Asie du Sud-Est a fait l'objet d'une enquête qui a commencé en 1995. Il avait avec lui des photographies explicites de garçons asiatiques dont certains avaient à peine sept ans. Il avait également rédigé des histoires troublantes et très explicites d'actes sadomasochistes avec des garçons du même âge. Certains de ses textes décrivaient également des actes sexuels avec des jeunes filles. Finalement, il a écrit et publié plusieurs livres sur le sexe avec des garçons aux Philippines et en Asie du Sud-Est.

L'un de ses livres a été critiqué par Watmough dans XTRA West, un journal de la communauté homosexuelle de Vancouver. Voici un extrait de cette critique: «Ce livre de 58 pages a suscité chez moi beaucoup de pensées troublantes. Son auteur est un pédophile proclamé et heureux de l'être - et son livre le montre clairement.»

Après avoir parlé des qualités littéraires du livre, le critique dit ceci:

Cette publication est quasiment innocente par rapport à ses autres écrits.

Cet homme est également très préoccupé par le projet de loi C-27 et il a écrit des lettres aux journaux pour s'en plaindre. Son inquiétude s'explique notamment par le fait qu'il produit des textes qui font la promotion des activités sexuelles avec des enfants de moins de dix-huit ans.

Les cas de pédophilie exigent des mois d'enquête lorsqu'il y a des saisies importantes de preuves obtenues avec des mandats d'arrêt. Les cas dont je vous ai parlé aujourd'hui ne sont que quelques-uns de ceux concernant des personnes dont les intérêts sexuels impliquent des enfants et qui abusent d'enfants qui vivent à l'étranger.

Ces enfants ne sont pas victimes que dans leur propre pays. Lorsque leur photographie est reproduite, vendue ou échangée entre pédophiles et pornographes à l'échelle mondiale, la victimisation continue. Bon nombre de pédophiles choisissent pour cibles des enfants de plus en plus jeunes dans des pays étrangers, en croyant qu'ils sont moins susceptibles d'avoir le sida.

La grande majorité du matériel pédophile saisi par les douanes canadiennes et que j'ai eu l'occasion d'examiner concernait des enfants étrangers, notamment d'Asie du Sud-Est. Je peux dire qu'une bonne partie vient sans doute d'Europe, mais les sujets sont toujours des enfants asiatiques.

Lorsqu'il travaillait encore pour le service d'inspection postale des États-Unis, l'inspecteur Ray Smith disait que la pornographie infantile est l'un des crimes les plus misérables qui soient. Il ajoutait que ce matériel n'existerait pas s'il n'y avait pas de demande. Il vient de terminer une enquête pour laquelle il avait demandé 120 mandats de perquisition dans tous les États-Unis. Certaines de ses perquisitions ont été faites sur la base d'informations que nous lui avions adressées au sujet de pornographes distribuant du matériel à partir du Canada.

On a pu voir ces dernières semaines des émissions de télévision et des articles de journaux sur l'exploitation sexuelle des enfants dans les pays du Tiers monde. CBC a récemment diffusé une émission d'une heure sur des jeunes filles vendues à des proxénètes en Inde. Je vous ai remis un extrait d'un journal local au sujet de cette émission.

Cette semaine, The Christian Science Monitor m'a envoyé quelque chose. Je ne savais pas que le journal avait mon adresse mais je n'en suis pas mécontente. Il s'agit d'un numéro complet du journal représentant une compilation de plusieurs numéros antérieurs et intitulé: «The Child Sex Trade, Battling a Scourge». Tout le numéro est consacré à cette question et l'on y trouve un article sur l'envoi de filles de Vancouver dans le circuit mondial. J'aurais aimé vous en remettre des exemplaires mais je n'ai pas encore reçu l'autorisation. Cela dit, si vous voulez en obtenir directement, je peux vous donner le numéro de téléphone à composer. Peut-être pourrais-je le donner à Richard Dupuis?

La fin de semaine dernière, on a également pu voir à 60 Minutes une émission sur des voyages en Asie organisés aux États-Unis à des fins sexuelles et dans lesquels les victimes sont des enfants.

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L'un des producteurs de ces publications y disait ne pas être un proxénète. Il ne met pas les enfants dans des bordels, il se contente de rédiger une publication indiquant où s'adresser pour avoir des relations sexuelles avec des enfants. Le commentaire du journaliste était qu'il est difficile de faire la différence.

Nous avons besoin du projet de loi C-27 pour lutter contre les Canadiens qui croient qu'il est acceptable de se rendre dans un pays étranger pour y victimiser des enfants.

Comme je l'ai dit plus tôt, la victimisation continue lorsque la pornographie infantile est distribuée dans le monde entier. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, cette pornographie est considérée comme une preuve de sévices sexuels infligés à des enfants. Quel que soit leur pays, les enfants méritent d'être protégés contre les sévices.

Je vous remercie sincèrement de votre attention.

La présidente: Merci, détective Waters.

Monsieur St-Laurent.

[Français]

M. St-Laurent (Manicouagan): J'ai pu lire très rapidement le projet de loi C-27 et je l'ai trouvé intéressant, bien que ce ne soit pas l'objet de notre réunion. J'ai trouvé cependant choquant de vous entendre dire tout cela. Vous vous occupez de ce dossier depuis longtemps. J'ai appris beaucoup de choses et j'ai trouvé déplorable ce qui se passait dans ce milieu. Ce n'est pas du tout plaisant, mais c'est la réalité et il faut la regarder en face si on veut régler le problème et trouver des solutions adéquates.

Je me demandais s'il n'y aurait pas lieu de mettre dans le projet de loi C-27 une disposition qui permette de poursuivre devant les tribunaux les commerces, les entreprises et les gens qui distribuent, directement ou indirectement, et qui produisent ces éléments ou qui les importent ou les exportent. Est-ce que vous jugez souhaitable d'inclure cette donnée dans le projet de loi C-27? Quelle est votre opinion là-dessus? Comme je l'ai lu assez rapidement, pourriez-vous me dire si, dans le projet de loi C-27, on a prévu des poursuites juridiques contre les commerces?

[Traduction]

Détective Waters: Il faut invoquer la loi sur la pornographie infantile pour pouvoir intenter des poursuites contre ces organisations. On y trouve une disposition concernant les écrits. Quiconque produit une publication recommandant ou conseillant des activités sexuelles avec des enfants peut faire l'objet de poursuites. Cependant, nous avons constaté que si le projet de loi n'est pas adopté... La disposition concernant les écrits dit qu'il faut avoir commis une infraction en vertu de cette Loi, c'est-à- dire en droit canadien. Le projet de loi C-27 ferait tomber cet argument de la défense. C'est ce que nous voulons pour pouvoir intenter des poursuites contre les gens qui publient des textes disant dans quel pays aller pour pouvoir molester des enfants. Voilà en fait de quoi il s'agit.

Certains d'entre eux semblent très réservés. C'est notamment le cas de Asia File, où l'auteur fait presque preuve de timidité quand il mentionne l'âge des enfants, mais il n'en reste pas moins que son objectif est très clair. Évidemment, il dit qu'il fixe la limite à quinze ans mais il mentionne aussi que les jeunes filles avaient l'air d'avoir seulement treize ou quatorze ans, ce qui donne l'impression qu'il trouve préférable qu'elles soient plus jeunes.

Certes, nous pourrions intenter des poursuites en vertu de la législation actuelle, mais à condition que le projet de loi C-27 soit adopté.

La loi actuelle sur la pornographie infantile ne s'applique pas aux écrits relatant des histoires érotiques. C'est un problème que nous avons rencontré devant les tribunaux. Il y a des gens qui écrivent des textes tout à fait explicites et horribles racontant des relations sexuelles avec des enfants mais ils ne commettent pas d'infraction à la Loi parce qu'ils ne recommandent pas ou ne conseillent pas ces actes. Pourtant, ce qu'ils disent peut être aussi troublant, si ce n'est plus, que ce que j'ai vu dans d'autres revues.

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Il faut savoir que le Canada est l'un des très rares pays à avoir adopté une loi au sujet des écrits. De fait, l'Afrique envisage la possibilité d'e adopter une identique. J'espère que cela répond à votre question.

[Français]

M. St-Laurent: Merci beaucoup, madame.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Ramsay (Crowfoot): Je vous remercie beaucoup d'être venue nous apporter ce témoignage extrêmement troublant sur une question qui préoccupe le gouvernement.

Si le projet de loi C-27 est adopté, pourrais-je être poursuivi parce que je possède ceci?

Détective Waters: Oui. Vous pourriez déjà l'être maintenant. En vertu de la loi actuelle sur la pornographie, quiconque possède les revues que je vous ai montrées commet une infraction si celles-ci recommandent des activités sexuelles avec une personne de moins de dix-huit ans.

M. Ramsay: Au Canada.

Détective Waters: Au Canada. Cette disposition existe déjà.

M. Ramsay: Toutefois, selon votre interprétation, le projet de loi C-27 permettra d'étendre cette disposition aux écrits concernant ce type d'activité à l'extérieur du Canada.

Détective Waters: C'est cela.

M. Ramsay: Je voudrais vous poser une question sur une autre partie du projet de loi C-27. Il s'agit des voyages que font les Canadiens dans ces pays. Comme je suis un ancien agent de la paix, je sais qu'il est très difficile de recueillir suffisamment de preuves pour pouvoir porter des accusations. Nous avons discuté de cette question avec les représentants du Ministère, lorsqu'ils ont comparu devant le comité. Que pensez-vous de cet aspect du projet de loi?

Détective Waters: D'autres pays, notamment l'Australie, se sont penchés sur la question. Ils ont examiné la possibilité d'utiliser les communications par satellite pour obtenir des informations sur les victimes, en enregistrant éventuellement leurs déclarations sur bande vidéo ou en obtenant des déclarations assermentées.

La Suède a déjà réussi à obtenir une condamnation au sujet de ce type de tourisme sexuel ou de quelqu'un qui s'était rendu dans un autre pays et y avait molesté des enfants. En fait, les autorités suédoises ont même fait venir la victime pour qu'elle puisse témoigner.

Je suis sûre qu'il y aura des problèmes mais il faut considérer, par exemple, que l'éditeur de Asia File était un Canadien de Vancouver. Il produisait ce matériel pour le distribuer dans le monde entier, en disant aux gens où aller pour avoir des relations sexuelles avec des enfants. S'il n'y avait pas de marché pour ces informations, il ne les produirait pas. Les douanes ont saisi trois exemplaires de cette revue au cours des deux dernières années mais combien en ont-elles laissé passer? Combien d'autres ont pu entrer au pays? Manifestement beaucoup.

Même si l'on peut prévoir des problèmes en ce qui concerne l'établissement de la preuve, il faut continuer nos efforts, sans oublier que d'autres pays ont connu certains succès. Notamment l'Australie et la Suède. Il y a donc moyen d'établir la preuve devant un tribunal et de faire aboutir les poursuites.

M. Ramsay: Je voudrais poser une dernière question sur la motivation de ces gens-là. Mme Torsney disait ce matin qu'il n'y aurait pas de prostitution d'adolescentes s'il n'y avait pas de clients. Or, ces clients se trouvent dans toutes les couches et toutes les catégories de la société. Dans le cas particulier dont nous discutons, quelle est la motivation? D'après vous, peut-il y avoir des traitements efficaces? Croyez-vous qu'il s'agit de déviance sexuelle et, dans l'affirmative, peut-elle être traitée?

Détective Waters: Je ne saurais vous dire s'il y a des traitements efficaces. Je sais que certaines personnes ont été traitées et qu'il y a eu certains succès, mais nous ne savons pas quel était le pourcentage. Pour bien des gens, il s'agit là d'une forme d'assuétude et, comme dans le cas d'un alcoolique ou d'un fumeur, la première chose à faire est de rester loin de l'objet de plaisir. De fait, les gens qui ont réussi à en sortir disent que c'est ce qu'ils ont fait. Ils ne peuvent tout simplement avoir aucun contact avec des enfants. Ils doivent toujours en rester éloignés. Quant à savoir si les traitements peuvent être efficaces...

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Le docteur Peter Collins, dont je parlais tout à l'heure, jouit d'une excellente réputation sur les questions de pédophilie et de pornographie. Tous les enquêteurs à qui j'en ai parlé disent que les clients sont poussés de manière inexorable à se procurer ce matériel.

Ray Smith, dont je vous ai aussi parlé, dit que ce sont des parasites nocturnes. Il y a aux États-Unis une sorte de parasite nocturne dont je n'avais jamais entendu parler. C'est une sorte de petit insecte qui sort du sol seulement la nuit. Si l'on frappe le sol du pied, l'insecte disparaît immédiatement mais, au bout d'un certain temps, il ressort. D'après Ray Smith, c'est exactement le cas des gens qui veulent se procurer ce type de matériel. On peut arrêter un jour tout un groupe de pédophiles, et vous savez que ces questions de pornographie, surtout infantile, sont prises très au sérieux aux États-Unis mais, dit-il, les pédophiles endurcis finiront toujours par ressortir pour essayer de se procurer à nouveau ce matériel.

J'ai constaté la même chose ici. Nous avons arrêté des récidivistes au sujet desquels nous avons intenté des poursuites mais cela ne les a pas empêchés de recevoir à nouveau le matériel qu'ils recherchent. Dans certains cas, nous avons réussi à les attraper quand ils se présentaient à la douane pour prendre possession de leur livraison.

La présidente: Madame Torsney.

Mme Torsney (Burlington): Je vous remercie beaucoup de votre témoignage.

Bien des gens ne savent pas qu'il est déjà illégal au Canada - et c'est pour cette raison qu'on n'en parle pas dans ce projet de loi - d'organiser du tourisme sexuel de ce genre. Toutefois, nous avons besoin de ce projet de loi parce que les actes sexuels reliés au tourisme se produisent généralement ailleurs qu'au Canada. À l'heure actuelle, on ne peut pas invoquer les lois canadiennes si les actes ont été commis à l'étranger.

Nous sommes plusieurs à souhaiter que l'on adopte ce genre de législation pour réprimer non seulement l'exploitation sexuelle commerciale des enfants mais aussi toute autre forme de sévices infligés à un enfant. Évidemment, le problème est de prouver qu'il y a eu échange d'argent et qu'un acte criminel a été commis. Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que le problème est très répandu?

Détective Waters: J'aimerais que ce projet de loi porte sur les activités sexuelles commises à l'étranger avec un enfant. Dans un cas au sujet duquel j'enquêtais récemment, le client se rendait à l'étranger, il devenait un ami de la famille et celui lui donnait accès aux enfants. C'est une méthode.

Les pédophiles se comportent là-bas comme ici. Beaucoup - pas tous mais un grand nombre quand même - sont ce que j'appelle des pédophiles séducteurs. Ils séduisent les enfants exactement de la même manière que quelqu'un d'autre séduirait un adulte. Ils passent du temps avec eux, ils leur parlent, ils les emmènent faire du tourisme. Dans certains cas, il peut ne jamais y avoir échange d'argent. Le client amène l'enfant à s'attacher à lui et, en fait, c'est parfois toute la famille qui s'attache à lui. C'est ensuite que peut commencer la relation abusive. L'enfant sera presque prêt à tout accepter pour avoir l'attention du client. De fait, il finit par s'y attacher et ne comprend pas pourquoi l'homme disparaît du jour au lendemain.

Je pense que les autres pays qui ont adopté des lois de ce genre y ont inclus toute forme de sévices sexuels infligés à un enfant ou de contacts sexuels avec un enfant, et pas seulement l'exploitation sexuelle commerciale des enfants. Je crois qu'il faudrait faire la même chose.

Mme Torsney: Je suis tout à fait prête à proposer un amendement en ce sens. Nous verrons bien ce que ça donnera.

Il y a un autre aspect de ce projet de loi qui nous intéresse directement, c'est celui de la prostitution des enfants, étant donné que nous discutons de ceci juste après avoir entendu des témoignages sur les jeunes contrevenants. En effet, les deux problèmes sont directement reliés.

D'après votre expérience à Vancouver, pourriez-vous nous dire si la situation ici est semblable à ce qu'elle est à Toronto, d'après ce que nous en savons? Les travailleurs sociaux qui s'occupent de jeunes de rue entendent de plus en plus parler d'enfants à qui l'on propose de faire de la pornographie infantile pour une diffusion mondiale. Le même phénomène existe-t-il à Vancouver?

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Détective Waters: Cela existe à Vancouver. Dans un cas dont j'ai mené l'enquête, en 1995, c'est exactement ce que faisait l'accusé. Il allait se promener dans la rue où se trouvent les jeunes prostitués et il essayait de les recruter pour de la pornographie. Il les emmenait chez lui et il les filmait au magnétoscope dans divers actes sexuels. Il s'agissait essentiellement de garçons qui se tenaient debout et se masturbaient. Il les appelait «les garçons de Vancouver». On a trouvé chez lui plusieurs bandes vidéo qu'il diffusait dans le monde entier. Il en avait diffusé aux États-Unis, au Canada et en Europe.

On avait monté à cette occasion l'opération «livraison spéciale» qui visait huit personnes et à laquelle Ray Smith a participé, aux États-Unis. C'est le détective Jim Maitland, qui a depuis pris sa retraite, qui s'est occupé de l'opération. Il avait utilisé la liste des abonnés à qui l'homme dont je viens de parler envoyait son matériel. Huit personnes ont été arrêtées et cinq ont été accusées de pédophilie. En fait, cet homme recrutait des enfants pour des actes sexuels.

D'autres enquêtes récentes nous ont également permis de découvrir des jeunes prostitués masculins qui étaient utilisés à cette fin. Pour ce qui est de prostituées féminines, nous n'en avons pas trouvé beaucoup mais nous sommes peut-être encore loin d'avoir fini nos enquêtes. Cela dit, on pense souvent aux filles quand on parle de prostitution mais il ne faut pas oublier que ce phénomène touche également un très grand nombre de garçons.

Mme Torsney: De quel âge, environ?

Détective Waters: Les garçons de Vancouver qui avaient été utilisés pour faire les bandes vidéo n'avaient pas plus de quinze ans. L'un de ceux qui avaient été contactés n'avait que treize ou quatorze ans.

Même si ces enfants réussissent à en sortir, le matériel pornographique continue d'être distribué. Leur victimisation ne s'arrête donc jamais car ils savent que le matériel circule. Et qui sait où il peut aboutir? Nous savons maintenant que la pornographie peut être transmise par ordinateur d'un bout à l'autre de la planète. Elle est parfaitement accessible de n'importe où par Internet. Voilà donc le problème: la victimisation ne cesse pas même si l'enfant sort du circuit.

Mme Torsney: Selon ce que disent les travailleurs sociaux qui travaillent auprès des enfants de rue à Toronto - et je suis sûre que c'est la même chose ici à Vancouver - cela peut également mener à la drogue, aux crimes contre les biens et à tout le reste. Cela fait partie de l'environnement global. Et il est choquant de voir que les adultes sont les mêmes consommateurs. Les gens qui fréquentent les enfants prostitués, qui utilisent le matériel pornographique, qui font les voyages à l'étranger - c'est un petit groupe endurci que l'on retrouve dans toutes ces activités, n'est- ce pas?

Détective Waters: Oui. En fait, dans deux des perquisitions que nous avons effectuées ces deux dernières années, les personnes qui distribuaient de la pornographie infantile cultivaient également des quantités importantes de marijuana dans leurs locaux. Elles ont reconnu avoir fait consommer de la drogue aux enfants. Évidemment, cela réduit les inhibitions, ce qui est l'une des techniques utilisées. Dans ces deux cas, nous avons également constaté que les responsables faisaient du trafic de drogue et cultivaient de la drogue dans leurs locaux.

Mme Torsney: Y a-t-il d'autres aspects du projet de loi que vous voudriez aborder? Il est évident que vous y êtes favorable. À part l'aspect commercial de l'exploitation sexuelle, y a-t-il autre chose que vous voudriez changer?

Détective Waters: Non, je serais très heureuse si le projet était adopté tel quel. Il nous aidera beaucoup dans nos activités de répression de la pédophilie. Il nous permettra de poursuivre plus facilement ces gens qui molestent, abusent et exploitent les enfants, même s'ils ne le font pas directement et s'ils le font par l'intermédiaire de pornographes qui fabriquent, distribuent et vendent ce matériel.

Mme Torsney: Vous savez sans doute que le ministère des Affaires étrangères a dit qu'il s'agissait là de la pire forme d'esclavage d'enfants, lorsque nous étions à la conférence de Stockholm. Et, quand on y pense sérieusement, c'est exactement de cela qu'il s'agit: de la pire forme d'esclavage d'enfants.

Détective Waters: Comme vous le savez, les enfants qui sont recrutés, surtout dans les pays asiatiques ou les pays pauvres, viennent déjà de milieux défavorisés. Ils n'ont pas de ressources et c'est pour cela qu'il est facile de les recruter. Beaucoup d'entre eux s'imaginent qu'ils vont travailler dans un restaurant ou dans un commerce mais ils tombent immédiatement dans la prostitution.

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La présidente: Merci.

Je viens de vérifier auprès du greffier l'échéancier relatif à ce projet de loi puisque vous êtes particulièrement intéressée par la question. Il semble que nous reprendrons nos travaux à ce sujet au mois de novembre, ce qui veut dire que le projet pourrait sortir du comité fin novembre pour être renvoyé en Chambre. À ce moment-là, il aura toutes les chances de passer rapidement en troisième lecture et d'être approuvé par le Sénat. Je pense que les chances sont excellentes - et je n'entends pas de hurlements de protestation des autres parties - pour que ce texte soit adopté sous peu.

Détective Waters: Merci beaucoup.

La présidente: Merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir témoigner devant notre comité.

La séance est levée.

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