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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 26 mars 1996

.0911

[Traduction]

Le président: Nous tenons aujourd'hui notre première vidéoconférence. C'est un moyen pour nous de joindre autant de Canadiens que possible afin que nous puissions améliorer le projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada.

Le premier exposé que nous entendrons à l'occasion de cette vidéoconférence nous vient de Toronto. Il s'agit du Toronto-Central Ontario Building and Construction Trades Council, qui est représenté, je crois, par M. John Cartwright.

Bonjour.

M. John Cartwright (directeur des affaires syndicales, Toronto-Central Ontario Building and Construction Trades Council): Bonjour.

Le président: Monsieur Cartwright, pourriez-vous s'il vous plaît parler lentement quand vous nous présenterez votre exposé, pour faciliter l'interprétation? Comme vous le savez, nous disposons d'environ une demi-heure pour vous entendre. Si vous pouviez tout d'abord nous exposer brièvement les principales observations que vous avez à faire en ce qui concerne le projet de loi C-12, nous pourrions ensuite passer aux questions. Vous avez la parole.

M. Cartwright: Le Toronto and Central Ontario Building and Construction Trades Council représente 40 000 travailleurs et travailleuses de la construction du Toronto métropolitain et des régions avoisinantes. Nous remercions le comité de nous donner l'occasion de lui présenter nos vues sur le projet de loi et sur les changements qu'il est proposé d'apporter au régime canadien d'assurance-chômage.

Les travailleurs que nous représentons sont gravement préoccupés par les attaques que le gouvernement fédéral ne cesse de lancer contre les programmes sociaux du Canada, notamment contre l'assurance-chômage. Le projet de loi que vous examinez n'est qu'une mesure de plus visant à punir les victimes de la formule économique désastreuse qu'est le libre-échange. Ce projet de loi est fondamentalement injuste et ne peut être interprété que comme le signe que le gouvernement fédéral ne peut absolument plus prétendre vouloir assurer l'équilibre entre les besoins des travailleurs et les intérêts des entreprises.

Cette explication est-elle trop sévère? Comment peut-on justifier la réduction des prestations aux chômeurs alors que la caisse aura un excédent de près de cinq milliards de dollars pour 1995-1996? Pourquoi veut-on réduire le nombre de semaines de prestations, abaisser le maximum de la rémunération assurable et soumettre les personnes qui redeviennent membres de la population active à une nouvelle règle qui aura pour effet d'exclure de l'assurance-chômage des milliers de travailleurs de la construction?

Vous savez bien pourquoi: c'est parce que les groupes de pression qui représentent les entreprises, les banques et les spéculateurs financiers exigent qu'on réduise les prestations aux chômeurs. L'empressement que met le gouvernement fédéral à violer les promesses qu'il avait faites aux Canadiens dans son Livre rouge afin de donner satisfaction au milieu des affaires est vraiment frappant. Ce qui est tout aussi frappant, il n'hésite pas à suivre la démarche Mulroney-Campbell, qui a pour but de démanteler le filet de sécurité sociale du Canada.

En 1993, j'ai participé à un débat télévisé avec le président de la Chambre de commerce du Canada. Pendant ce débat, on nous a accusés de faire des prédictions tout à fait farfelues quant aux objectifs que poursuivent les entreprises relativement aux programmes sociaux. Le représentant des entreprises disait même que, s'il fallait réduire les prestations d'assurance-chômage, c'était uniquement parce que la caisse était déficitaire. Pourtant, nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation où même pas la moitié des chômeurs ont droit à des prestations d'assurance-chômage, et où les entreprises exigent de nouvelles réductions.

.0915

Les entreprises qui sont représentées au Conseil canadien des chefs d'entreprises sont celles-là mêmes dont les efforts de rationalisation et de compression des effectifs se sont traduits par la perte de plus de 200 000 emplois. Il est d'ailleurs intéressant de constater que dans le Globe and Mail de samedi dernier on consacrait un article de deux pages à la lutte entre actionnaires et travailleurs. Conclusion de cet article: ce sont les actionnaires qui l'emporteront et qui exigeront des entreprises qu'elles mettent de plus en plus d'employés au rebut.

Par ailleurs, les changements que les entreprises ont réussi à faire apporter à l'assurance-chômage ont entraîné une baisse massive du pourcentage des ayants droit, qui n'est plus que de 48 p. 100, par rapport à 87 p. 100 en 1990. C'est précisément le genre d'harmonisation à la baisse en fonction des normes américaines qui avait fait l'objet de mises en garde pendant le débat national sur le libre-échange, de la part tant du mouvement syndical que des Libéraux, qui étaient alors dans l'opposition. Même à cela, il semble que le régime soit encore trop généreux aux yeux des entreprises. Elles demandent à votre comité et au gouvernement d'accepter de nouvelles réductions.

Les données les plus récentes montrent que 32 p. 100 seulement des chômeurs ontariens touchent des prestations d'assurance-chômage. Cela signifie que plus de deux chômeurs ontariens sur trois sont maintenant exclus. Il est important de le signaler, à mon avis, puisque le débat porte surtout sur l'incidence qu'auront les réductions sur les travailleurs de la région atlantique et du Québec, mais il ne fait aucun doute que nos membres souffrent autant que quiconque. Et si le projet de loi C-12 est adopté dans sa forme actuelle, le nombre de chômeurs qui seront exclus de l'assurance-chômage sera encore plus important. Pour ceux qui y auront effectivement droit, le taux réel des prestations s'établira à un niveau bien inférieur à 55 p. 100 de la rémunération assurable. Avec la nouvelle règle du dénominateur, nos membres n'auront sans doute guère droit à plus de 40 p. 100 en moyenne. Ce sera là le véritable héritage du gouvernement Chrétien.

Les milliers de travailleurs de la construction qui sont aujourd'hui au chômage n'ont pas quitté leurs emplois pour devenir prestataires d'un régime d'assurance-chômage excessivement généreux. S'ils n'ont pas de travail, ce n'est pas à cause de la rigidité excessive du marché du travail à laquelle les lobbyistes représentant les entreprises vous exhortent à mettre fin. C'est plutôt à cause de décisions comme l'annulation de plus de 300 projets de construction domiciliaire, l'annulation du métro d'Eglinton et, plus près de nous encore, l'annulation de 167 millions de dollars de contrats pour la construction d'écoles.

Les coups extrêmement durs que subit notre industrie aux mains de ceux qui veulent à tout prix réduire le déficit sont chaudement applaudis par ces mêmes apologistes du bilan financier qui vous exhortent à couper toujours plus vite et plus profondément. Les exemples de décisions dont je vous ai parlé sont celles du gouvernement Harris en Ontario, mais nous attendons toujours que le secteur privé prenne la relève et crée les nouveaux emplois qui compenseraient l'élimination massive des possibilités d'emploi dans le secteur public.

Nous soutenons que votre comité ne devrait pas du tout accepter que les prestations soient réduites ou que les règles d'admissibilité soient resserrées. Vous devriez plutôt recommander le rétablissement du régime d'assurance-chômage équilibré que nous avions avant 1990. Les Canadiens qui sont les victimes de la récession et de la restructuration économique qui se poursuit ne devraient pas devenir les marginaux de la société. Les courtiers en valeurs mobilières et les lobbyistes qui s'adressent à vous se fichent peut-être d'avoir à enjamber les sans-abri qui dorment sur les bouches d'air chaud dans les rues, mais dans le secteur de la construction les coûts sociaux des taux de chômage élevés ne nous sont que trop bien connus. Certains de ceux qui risquent de mourir de froid aujourd'hui pourraient très bien être ceux qui travaillaient à nos côtés il y a six ou sept ans.

Vous avez reçu un mémoire du conseil d'administration canadien du Département des métiers de la construction. Nous entérinons les critiques qui y sont faites à l'endroit de dispositions particulières du projet de loi, mais nous tenons plus particulièrement à insister sur le risque d'accroître l'économie souterraine. Quand on fait en sorte qu'il est plus difficile pour la majorité des travailleurs de la construction d'avoir droit à l'assurance-chômage, on les incite à se retirer complètement du système officiel, et je ne crois pas que c'est là ce que cherche le gouvernement.

En conclusion, nous ne pouvons appuyer ni le processus ni l'orientation du projet de réforme de l'assurance-chômage. En votre qualité de législateurs, vous avez l'obligation de chercher un équilibre entre les intérêts et les besoins des divers secteurs de notre société, ceux du patronat et ceux des syndicats, ceux des entreprises et ceux des travailleurs. Au regard du chômage massif permanent que nous vivons tous les jours, toutes les semaines et tous les mois au Canada, le projet de loi C-12 est tout simplement inacceptable.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Cartwright. Nous passons maintenant à la période de questions. Nous commencerons par un député du Parti réformiste, M. Johnston.

.0920

M. Johnston (Wetaskiwin): Je veux demander au témoin ce qu'il penserait d'un régime d'assurance-chômage qui constituerait une véritable assurance contre les pertes d'emplois temporaires.

M. Cartwright: Notre position, à mon avis, est que l'assurance-chômage devrait être un programme d'assurance, mais je ne pense pas que notre conception corresponde à l'idée que vous vous en faites vous-même. Nous trouvons inacceptables certains des changements proposés qui établiraient les prestations en fonction du revenu des prestataires. Nous trouvons inadmissibles ces changements qui feraient en sorte que l'assurance-chômage serait dorénavant plus apparentée à un régime d'assistance sociale destinée à aider les pauvres. Les problèmes de ce genre doivent être réglés au moyen d'autres mesures législatives en ce sens. Par ailleurs, nous ne voulons pas du tout que l'assurance-chômage devienne un régime d'assurance où chaque secteur serait obligé de payer en fonction de l'usage qu'il en fait, comme vous voulez peut-être le laisser entendre.

M. Johnston: Vous avez dit que vous ne vouliez pas d'un régime d'assurance-chômage qui s'apparenterait à un régime d'assistance sociale. Vous ai-je bien compris?

M. Cartwright: Oui, c'est bien cela.

M. Johnston: Je crois que cela répond à ma question.

Le président: Monsieur Scott, suivi de M. McCormick.

M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Je vous remercie, monsieur Cartwright, et je vous souhaite la bienvenue. Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit au sujet de l'assurance-chômage et de ses objectifs sociaux. Plus précisément, je me demande si vous vous opposez au fait que l'assurance-chômage puisse servir à accroître le revenu, à ce qu'elle prévoie un soutien au revenu. Vous opposez-vous à cette disposition en particulier?

M. Cartwright: Non. Nous nous opposons à l'orientation générale du projet de loi, qui vise à réduire les prestations aux chômeurs, qui fait en sorte qu'il sera plus difficile pour les chômeurs d'avoir droit à des prestations, et nous nous opposons en particulier à la règle du dénominateur, qui réduirait considérablement le montant des prestations auxquelles nos membres auraient droit à cause de l'inclusion des semaines mortes. Nous nous opposons à la récupération vitale et nous nous opposons à l'orientation même du projet de loi, qui vise à punir les victimes du chômage massif au Canada.

M. Scott: Vous admettez donc que le projet de loi prévoit un supplément de revenu. Prenons maintenant le cas du travailleur industriel qui aurait un emploi stable, qui gagnerait un revenu important en travaillant dans une usine de montage, ou quelque chose de ce genre, et qui se retrouverait au chômage. Pensez-vous qu'il devrait avoir droit à des prestations d'assurance-chômage? Il n'aurait pas perdu son emploi; il travaillerait sans doute 48 semaines par an et serait mis à pied pendant un mois, mais il gagnerait plus de 50 000 $ sur l'année. Pensez-vous qu'il devrait avoir droit à l'assurance-chômage? Serait-il considéré comme chômeur?

M. Cartwright: Oui, il le serait. S'il est mis à pied de façon temporaire, il est chômeur et il devrait avoir droit à l'assurance-chômage.

Permettez-moi toutefois d'apporter une précision. Même si, dans le secteur de la construction, nous connaissons des taux de chômage qui, dans la région de Toronto, par exemple, se situent entre 30 p. 100 et 70 p. 100 depuis six ans, nous ne voulons pas pour autant réduire l'accès de quelque autre groupe de travailleurs que ce soit à l'assurance-chômage, qui devrait être universelle.

Ceux contre qui nous en avons, ce sont les banquiers et les spéculateurs qui ont contribué à faire en sorte que nous ayons au Canada cette politique de taux d'intérêt élevés qui a mis au chômage des centaines et des milliers de nos membres. Ce sont ces personnes qui applaudissent aux réductions touchant les projets d'immobilisations dans cette province et ailleurs qui ont mis au chômage des milliers de nos membres. Voilà le groupe contre qui nous en avons.

M. Scott: Vous reconnaissez comme bénéfiques les éléments de politique sociale qu'on retrouve dans le projet de loi sur l'assurance-chômage, mais vous semblez par ailleurs ne pas vous opposer au fait que quelqu'un qui gagne un revenu élevé et qui chaque année est mis à pied pendant un mois ait droit à des prestations. Ne trouvez-vous pas ces deux objectifs contradictoires?

.0925

M. Cartwright: Pas du tout. L'assurance-chômage existe pour venir en aide aux chômeurs. Ceux qui insistent le plus pour que vous réduisiez les prestations sont ceux-là mêmes qui touchent un salaire d'un million de dollars par an et qui, à vrai dire, n'ont pas la moindre compassion pour les centaines de milliers de travailleurs qui ont été jetés dans la rue ni pour les chômeurs ontariens qui n'ont même plus droit à l'assurance-chômage et dont la proportion dépasse les 66 p. 100. Peut-être est-ce ce qui devrait vous préoccuper davantage.

M. Scott: Je ne suis pas sûr, monsieur Cartwright, qu'il y ait qui que ce soit à Fredericton qui gagne un million de dollars par an.

Quoi qu'il en soit, vous avez dit que vous aimeriez que les semaines mortes soient éliminées; alors je suppose que les mesures que nous pourrions prendre pour corriger le problème qui se pose à cet égard seraient bien...

M. Cartwright: Monsieur, je n'entends rien.

M. Scott: Je ne reprendrai pas ce que j'ai dit au sujet du million de dollars, mais vous avez parlé du problème qu'il y a à inclure les semaines mortes dans le calcul.

M'entendez-vous, monsieur Cartwright?

M. Cartwright: Oui, je vous entends maintenant.

M. Scott: Vous avez soulevé la question des semaines mortes; alors je suppose que vous appuieriez tout amendement que nous pourrions proposer pour régler ce problème de l'inclusion des semaines mortes dans le calcul des taux de prestation.

M. Cartwright: Je ne vous donnerai pas carte blanche en disant que nous appuierions «tout amendement» que vous pourriez proposer. Nous considérons que les semaines mortes ne devraient aucunement être prises en compte dans la période de base qui sert au calcul des prestations.

M. Scott: Je vous remercie.

Le président: C'est maintenant au tour de M. Larry McCormick de poser des questions.

M. McCormick (Hastings - Frontenac - Lennox et Addington): Monsieur Cartwright, je sais bien que beaucoup de travailleurs et d'ouvriers spécialisés de votre secteur sont au chômage, et j'en compte beaucoup parmi mes amis et voisins. Je voudrais simplement vous faire part de quelques réflexions et savoir ce que vous en pensez.

Je suppose que vous seriez d'accord pour dire qu'il y a lieu de soumettre le secteur à une certaine rationalisation. Peut-être y a-t-il trop de travailleurs dans le secteur. Voilà qui milite en faveur de l'assurance-emploi que nous proposons, puisque nous prévoyons effectivement des mesures pour remettre les gens au travail. Les fonds prévus à cette fin ne pourraient être pris sur aucune autre enveloppe budgétaire dans le contexte actuel.

Si nous pouvons aider ces gens à s'aider eux-mêmes au lieu qu'ils aient à attendre 12 mois ou 18 mois pour retrouver un emploi qui pourrait ne jamais se matérialiser, je crois qu'il s'agit là d'un pas dans la bonne direction. Ne seriez-vous pas d'accord avec moi là-dessus, monsieur?

M. Cartwright: Comment allez-vous les aider? Allez-vous les soutenir comme la corde qui soutient le pendu?

Si vous vous reportez aux chiffres que le conseil d'administration canadien du Département des métiers de la construction vous a déjà présentés, vous verrez que les formules prévues dans le projet de loi C-12 feront en sorte de ramener dans certains cas les prestations des travailleurs de la construction à 202 $ par rapport aux 439 $ qu'ils touchent à l'heure actuelle. Comment cela peut-il aider qui que ce soit?

Prenons par exemple le cas du tuyauteur très spécialisé ou de l'électricien qui a les compétences voulues pour installer les fils électriques du SkyDome ou de la tour Scotia, ou encore de l'usine d'automobiles Ford. Vous voulez les recycler? Pour faire quoi? Pour devenir des caissiers de banque, quand les banques prévoient de réduire le nombre de caissiers de 50 000? Pour devenir des informaticiens, quand certaines des entreprises informatiques viennent tout juste d'effectuer des mises à pied? Pour travailler dans le secteur des télécommunications, alors même que Nortel vient d'éliminer tous ses postes de col bleu à Bramalea?

Après avoir connu des années de vaches grasses et des années de vaches maigres, nous arrivons à la conclusion que notre société a une drôle de façon de traiter ses ouvriers spécialisés. Elle les traite un peu comme elle traite ses soldats. Elle les trouve formidables quand elle en a besoin, mais quand elle ne veut plus d'eux, elle voudrait bien qu'ils disparaissent et elle souhaiterait qu'ils reviennent dès qu'elle a à nouveau besoin d'eux. Nous n'apprécions guère qu'on nous traite ainsi.

Nous serions très heureux que le gouvernement fasse davantage pour faire baisser les taux d'intérêt et stimuler ainsi l'économie. Nous serions très heureux que le gouvernement apporte des modifications à la Loi sur les prestations de pension pour que les fonds versés dans les REER et les régimes de pension ne puissent pas être envoyés à l'étranger à coup de milliards de dollars, mais soient obligatoirement réinvestis ici.

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Nous serions très heureux que le gouvernement examine les nombreux éléments du budget fédéral de rechange qui lui a été présenté il y a de cela quelques semaines. Ce budget faisait du plein emploi une priorité d'importance capitale; ce budget résistait mieux aux pressions des entreprises qui exigent de réduire les prestations sociales encore davantage et de gruger encore davantage le filet de sécurité sociale du Canada.

M. McCormick: Monsieur Cartwright, n'êtes-vous pas d'accord pour dire que votre secteur forme peut-être trop d'apprentis eu égard au nombre d'emplois qui sont offerts? Chose certaine, ce ne sont pas toutes les régions du Canada qui sauront construire un stade couvert d'ici un an et demi.

Étant donné que nous parlons de projets de construction, je tiens à vous remercier de nous avoir félicités pour nos taux d'intérêt peu élevés. Comme vous le savez, la semaine dernière, pour la première fois depuis longtemps, les taux d'intérêt étaient plus bas au Canada qu'aux États-Unis, et cela fera une différence.

M. Cartwright: Je répondrai d'abord à votre question au sujet de l'apprentissage. Dans le Livre rouge, on parlait notamment de possibilités d'emploi pour les jeunes. Or, quel que soit le secteur, ces actionnaires dont parle le Globe and Mail exigent que toutes les entreprises fassent disparaître des emplois. Il convient alors de se demander: où faut-il placer la barre pour dire que nous avons trop d'apprentis? Nous croyons avoir fait un travail raisonnable dans notre secteur pour ce qui est de maintenir un certain équilibre et de permettre à des jeunes d'apprendre un métier - on nous accuse parfois d'être trop restrictifs - et de terminer leur apprentissage. Cependant, toutes les décisions qui sont prises par les divers gouvernements - y compris par le gouvernement fédéral, qui réduit ses paiements de transfert aux provinces, et par les provinces, qui réduisent ensuite leurs paiements de transfert aux municipalités - semblent faire boule de neige, de sorte que les divers paliers de gouvernement ne cessent de réduire et d'éliminer les projets d'immobilisations.

M. McCormick: Merci, monsieur Cartwright. Je crois toutefois que, pour amener les prestataires de l'assurance-chômage à modifier leur comportement, pour réduire la dépendance à l'égard des prestations d'assurance-chômage dans toutes les régions du pays, nous devons avoir de ces mesures de soutien actif au réemploi. C'est simplement que je pensais que vous voudriez peut-être à tout le moins reconnaître que le second volet du programme d'assurance-emploi a de bons éléments.

M. Cartwright: Malheureusement, ces bons éléments, si tant est qu'il y en ait, sont complètement éclipsés par la réduction radicale des prestations et les resserrements considérables des critères d'admissibilité qui composent le principal volet du projet de loi. Nous avons des inquiétudes très sérieuses quant à l'orientation que prend le gouvernement fédéral en ce qui concerne les programmes d'apprentissage, du fait qu'il cherche à se décharger de sa responsabilité à cet égard.

Si donc vous cherchez à nous faire dire qu'il y a du bon et du mauvais, je ne vous donnerai malheureusement pas ce réconfort, monsieur. À notre avis, le projet de loi C-12 est une mesure législative inacceptable, dont l'orientation est tout à fait à l'opposé de ce qu'elle devrait être. Il est clair que le gouvernement a succombé aux pressions des entreprises, qui, dans la poursuite de leurs intérêts, réclament qu'on punisse encore davantage les victimes du chômage chez nous.

Le président: Monsieur Cartwright, je voudrais vous poser quelques questions.

D'après ce que vous dites, vous êtes préoccupés par l'écart, par le dénominateur et aussi par la récupération fiscale et la réduction des prestations. De plus en plus, la tendance est à la collaboration entre les divers intervenants, comme le réclament souvent les syndicats; on veut amener le gouvernement, les entreprises et les autres intervenants, de même que les syndicats, à travailler ensemble. Dans le contexte actuel, où le secteur de la construction est en difficulté - et j'en suis bien conscient - que fait votre syndicat pour aider ses membres qui sont au chômage?

M. Cartwright: Notre conseil est un organisme cadre qui regroupe quelque 32 syndicats locaux. Les syndicats locaux ont une multitude de programmes pour aider les chômeurs. Il s'agit le plus souvent de programmes de formation et de recyclage. La plupart des syndicats ont des réserves qui leur permettent de venir en aide à ceux qui ont épuisé leurs prestations d'assurance-chômage afin de leur assurer le strict minimum. Beaucoup de nos syndicats collaborent avec le conseil afin d'aider nos membres qui sont au chômage de diverses façons, notamment à obtenir l'assistance sociale.

.0935

Nous sommes affligés et choqués de constater que certains de nos membres ont dû se tourner vers l'assistance sociale après avoir été exclus de l'assurance-chômage, mais c'est la réalité que nous vivons, surtout depuis les changements que M. Martin a apportés dans son budget d'il y a deux ans. En effet, il y a bien plus de travailleurs de la construction qui n'ont même plus droit maintenant à l'assurance-chômage, et ce sont les autres paliers de gouvernement qui en subissent les conséquences financières.

Par ailleurs, nous intervenons constamment auprès des divers paliers de gouvernement pour les inciter à se doter en priorité d'une politique de plein emploi. Comme je l'ai expliqué, nous avons jusqu'à maintenant échoué misérablement dans les discussions que nous avons eues avec le gouvernement provincial à ce sujet, le gouvernement ne cessant d'annuler les projets d'immobilisations. Il semble que le moyen le plus facile de sabrer dans les dépenses publiques soit d'éliminer les projets d'immobilisations.

Je m'arrête là.

Le président: Bon, d'accord. Merci beaucoup pour votre exposé et votre témoignage, notamment pour vos observations au sujet de l'écart et du dénominateur. Nous avons pris bonne note de ces observations ainsi que de l'évaluation générale que vous avez faite du projet de loi C-12.

M. Cartwright: Si vous me permettez d'ajouter un dernier point, je crois que le gouvernement a peut-être l'impression qu'il peut mettre en oeuvre ces changements et que la population aura eu le temps de les oublier d'ici les prochaines élections. Je tiens toutefois à vous dire que nous nous emploierons à rappeler à nos membres qui exactement est à l'origine de la réforme en profondeur de l'assurance-chômage, ce qui aura pour effet de les exclure en aussi grand nombre, et j'espère que le comité en tiendra compte. Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie beaucoup pour cette observation. Je suis d'accord avec vous. Je crois qu'il est de votre devoir d'informer vos membres de votre position, non seulement sur le projet de loi à l'étude, mais sur tout projet de loi que l'actuel gouvernement pourrait présenter. Notre comité entend, bien sûr, maintenir les bons rapports que nous avons engagés ce matin. Merci beaucoup.

M. Cartwright: Merci beaucoup.

Le président: Nous attendons les témoins suivants, qui prendront place devant nous sous peu. Ils sont du bureau national des Métallurgistes unis d'Amérique. M. Yvon Godin sera là sous peu.

Je crois savoir que tout le monde a reçu le mémoire de M. Godin. Monsieur Johnston, avez-vous le mémoire?

M. Johnston: Oui.

.0938

.0940

Le président: Bonjour et bienvenue. Nous sommes ici à Ottawa pour entendre les Canadiens nous présenter leurs idées sur la façon dont nous pourrions améliorer le projet de loi C-12, Loi concernant l'assurance-emploi au Canada.

Les députés qui sont ici aujourd'hui entendront les représentants du bureau national des Métallurgistes unis d'Amérique. M. Godin se trouve à Toronto.

Monsieur Godin, vous voudrez peut-être profiter de l'occasion pour nous présenter la personne qui vous accompagne.

[Français]

M. Yvon Godin (Métallurgistes unis d'Amérique, Bureau de Bathurst): Je laisserai Michel faire la présentation car il est l'adjoint au directeur du Bureau national des métallurgistes.

M. Michel Arsenault (adjoint au directeur national des Métallurgistes unis d'Amérique): Bonjour. Je m'appelle Michel Arsenault et je suis adjoint au directeur national du syndicat des métallurgistes. Je suis accompagné d'Yvon Godin qui est permanent du syndicat des métallurgistes à notre bureau de Bathurst, au Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Les Métallurgistes unis représentent plus de 170 000 membres de toutes les régions du Canada, y compris des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon. Depuis nos débuts nous recrutions généralement nos membres parmi les travailleurs des mines, de l'industrie, des usines sidérurgiques et des manufactures. Depuis 15 ans, cependant, nous avons étendu notre activité syndicale à d'autres secteurs, de sorte que nous représentons maintenant des travailleurs et des travailleuses du secteur des services, notamment des gardes de sécurité, des travailleurs de restaurants et d'établissements hôteliers, de maisons de soins infirmiers, d'usines de transformation du poisson, etc.

[Français]

Dans notre secteur traditionnel, les membres que nous représentons sont depuis toujours les victimes de mises à pied massives ou de licenciements collectifs, ainsi que de travail saisonnier partagé. C'est dans le secteur des services non traditionnels que nos membres sont le plus touchés par la réforme proposée. Tous et toutes ont expérimenté plusieurs mises à pied dans une même année. Vous n'êtes pas sans savoir que le travail précaire, le travail à temps partiel ou temporaire, le travail sur appel ou le travail saisonnier est à la mode de nos jours, pour toutes sortes de raisons. C'est également dans les secteurs non traditionnels, comme les secteurs de services, que l'on trouve beaucoup de femmes et en particulier des femmes monoparentales.

Nous vous avons fait parvenir notre mémoire en février. Hier après-midi, après avoir corrigé notre mémoire sur le projet de loi C-111, qui est devenu le C-12, nous avons envoyé à Ottawa une télécopie de la version révisée de notre mémoire qui s'intitule «La mauvaise orientation pour les mauvaises raisons au mauvais moment».

M. Godin: Michel et moi-même allons lire notre mémoire et essayer de vous faire connaître notre position en tant que représentants d'un grand nombre de personnes au syndicat des métallurgistes, que ce soit dans les provinces Atlantiques ou à l'intérieur du pays.

Au cours des 20 dernières années, le programme de l'assurance-chômage est devenu de moins en moins un programme conçu pour combler les périodes de chômage et faciliter le retour au travail. Il est plutôt devenu un mélange de mesures visant à remplacer une partie du revenu pour une partie des chômeurs pendant une partie de la période où ils sont sans travail. Vous pouvez vous référer aux pages 3 et 4 du mémoire.

Je peux vous donner un exemple. Dans la région d'où je viens, le Nouveau-Brunswick, mais cela existe aussi dans toutes les provinces de l'Atlantique, il y a des gens qui travaillent dans l'industrie de la pêche, de la forêt ou des tourbières, et je n'ai pas vu beaucoup de bateaux aller sur la glace, l'hiver, pour faire de la pêche et rentrer à Caraquet. Dans la forêt, c'est la même chose: il y a certains quotas à considérer et quand les quotas sont atteints, les bûcherons ne peuvent plus travailler l'hiver. Ce sont donc des emplois saisonniers permanents. On peut dire la même chose pour la tourbe qui ne se ramasse pas sur la neige. Ce sont pourtant des produits importants pour notre pays et, par conséquent, ce sont des emplois importants, mais ces gens-là ne peuvent pas travailler pendant la saison d'hiver.

.0945

Le projet de loi C-12 est mal conçu. Il imposerait un lourd fardeau à des dizaines de milliers de Canadiens et Canadiennes vulnérables ainsi qu'aux communautés dont ils font partie. C'est la troisième fois que des propositions de ce genre, destinées à sabrer dans l'assurance-chômage, sont déposées devant le Parlement du Canada.

La première tentative se trouvait dans le rapport de la Commission Forget. Un comité parlementaire dominé par les conservateurs de Brian Mulroney l'a rejeté. La deuxième tentative figurait dans le document de travail publié en 1994 par le Conseil de perfectionnement des ressources humaines. Elle a été rejetée sous cette forme aussi. Nous demandons à ce comité de faire de même.

J'aimerais maintenant toucher un point vraiment important à ce stade-ci. Il se trouve que M. Doug Young, notre ministre du Développement des ressources humaines est un gars de chez nous. Il est de la circonscription d'Acadie-Bathurst, alors que moi je suis de Bathurst. Je représente des gens de la région de Bathurst, des gens qui travaillent dans les mines et dans les poissonneries de Caraquet, de Shippegan, de la péninsule acadienne, du même endroit d'où vient le ministre Doug Young.

J'ai ici un document qui vient du numéro du 31 juillet 1989 de L'Acadie Nouvelle, à l'époque où M. Young était dans l'opposition. Il avait alors envoyé un communiqué de presse à L'Acadie Nouvelle qui déclarait:

Nous ne sommes pas ici pour parler des transports dans lesquels M. Young a déjà effectué une réforme, et tout le monde sait comment. Je veux seulement parler des commentaires de M. Young et de ce que ressentent les gens de chez nous. Il disait:

Je ne peux donc pas passer sous silence le fait que nous ne sommes pas contents que le comité ne soit pas venu dans les régions pour permettre aux gens ordinaires de vous parler, de se présenter devant vous et de vous dire la misère qu'ils vont vivre avec les changements apportés à l'assurance-chômage.

Dans ce temps-là, M. Young en parlait. J'ai l'intention, quand on aura fini ici aujourd'hui, d'envoyer aux membres du comité une copie de ce communiqué de presse émis en 1989. Pour moi, c'est important parce que ce communiqué dit bien les choses.

On dit plus loin:

Allons maintenant au point qui nous importe aujourd'hui, qui est grave pour nous, celui de l'assurance-chômage. À l'avant-dernier paragraphe, on dit:

Et il va plus loin, parce qu'à l'époque il était dans l'opposition et voulait reprendre le pouvoir. Il parle donc à ses gens. Il leur dit comment il se battra pour eux quand il sera à Ottawa. Il dit:

Aujourd'hui il dit: «On va faire des changements et vous, les personnes qui travaillez pour les syndicats, vous ne devez pas vous mêler de cela. Ce n'est pas votre place et vous n'allez pas vous battre pour les pauvres gens de votre région.» Mais nous allons continuer parce qu'on veut adopter un projet de loi inacceptable et injuste pour notre pays.

D'un sommet de presque 85 p. 100 en 1976 et de nouveau en 1989, les Canadiens sans travail recevant des prestations d'assurance-chômage ont atteint un plancher de moins de 60 p. 100 en 1994. Vous pourrez vous référez à la page 4 du mémoire.

Le nouveau nom d'«assurance-emploi» nous prouve que le Canada admet qu'il ne possède plus un programme d'assurance-chômage digne de ce nom.

M. Arsenault: Dans les deux tentatives de réforme précédentes dont Yvon vous a parlé tout à l'heure, on a tenté d'inclure un deuxième palier de prestataires, c'est-à-dire un palier pour les utilisateurs fréquents. Dans cette loi-ci, il n'y en a pas, mais tous ces éléments sont présents tout en étant transformés par une série de formules compliquées qui déterminent l'admissibilité, le droit aux prestations, la durée de celles-ci, l'admissibilité aux prestations des gagne-petit et les règles relatives à la récupération des prestations d'impôt sur le revenu personnel. Vous allez trouver nos arguments aux pages 6, 7 et 8 de notre document.

Les modifications au programme auront pour effet de réduire les prestations dans toutes les régions du Canada, et cela frappera le plus durement les provinces de l'Atlantique et le Québec, spécialement la région de l'est de Montréal où il y a énormément de chômage, ainsi que la Gaspésie et la Côte-Nord où on retrouve beaucoup de travailleurs saisonniers.

Les travailleurs plus âgés, dont l'adaptation à l'emploi est censée être une préoccupation du gouvernement, vont voir leurs prestations réduites de 16 p. 100 en moyenne, comparativement à une moyenne de 11 p. 100 pour l'ensemble des travailleurs. On retrouve cette explication à la page 7 de notre document.

Le projet de loi n'aide pas à résoudre la crise montante du chômage chez les jeunes, même si seulement 25 p. 100 des chômeurs de moins de 25 ans touchent actuellement des prestations. C'est à la page 9 de notre document. La proposition du supplément aux économiquement faibles constitue un important départ par rapport au programme actuel.

Les prestations d'assurance-chômage n'ont jamais été liées au revenu familial, et même la récupération par l'impôt a toujours été liée au revenu individuel. Cette disposition fait d'une partie du programme un programme de bien-être social. Si le gouvernement veut assurer un revenu accru aux familles pauvres avec enfants, pourquoi limiterait-il cette aide accrue aux familles dont un membre est sans travail et admissible aux prestations d'assurance-chômage?

Que dire des pauvres qui travaillent et des familles pauvres qui ont épuisé leur admissibilité à l'assurance-chômage? Pourquoi les prestataires seraient-ils limités aux familles pauvres dont un membre est bénéficiaire de prestations d'assurance-chômage? Les formules compliquées destinées à déterminer l'admissibilité et le montant des prestations mettront de nouvelles familles à la merci de la bureaucratie et accroîtront sans aucun doute l'insécurité déjà inhérente à une économie où un taux de chômage de 9,5 p. 100 est accepté comme la norme.

La plupart des prestataires se rendront au bureau de l'assurance-emploi pour déposer une demande sans savoir s'ils sont admissibles ou non, incapables de déterminer quelles prestations ils ont le droit de recevoir, avec une formule très compliquée qu'Yvon vous expliquera tout à l'heure, pendant combien de temps ils seront admissibles et dans l'impossibilité de savoir combien de prestations ils récupéreront de part de Revenu Canada par le biais des impôts sur le revenu.

Ce ne sont pas des mesures incitatives, mais plutôt des attaques inhumaines contre les personnes les plus vulnérables de notre société. Bien que le gouvernement semble se préoccuper de la notion de partage du travail, la disposition du projet de loi concernant le calcul fondé sur les heures de travail incitera les travailleurs à faire autant d'heures supplémentaires que possible.

Plus on travaille d'heures durant la période de 16 à 20 semaines pour lesquelles on calcule les prestations, plus les revenus assurables sont élevés et plus le nombre de semaines nécessaire pour avoir droit aux prestations diminuera. L'impact du projet de loi sur l'adaptation à l'emploi rend compliqué un procédé souvent utilisé qui consiste à réduire les heures de travail pendant la période précédant la fermeture complète d'une entreprise.

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Cette pratique permet de préserver un lien avec le marché du travail pour le plus grand nombre de travailleurs. Cependant, si le projet de loi établit un lien entre les revenus assurables et les revenus réels au cours d'une période déterminée de 16 à 20 semaines précédant immédiatement la demande de prestations, cela incitera un grand nombre de travailleurs et de travailleuses à choisir la mise à pied plutôt que la réduction des heures de travail.

L'adoption des heures comme base de calcul de l'assurance-chômage n'aide en aucune façon les travailleurs et les travailleuses à temps partiel, comme le prétend le projet de loi. Selon le gouvernement, ce changement permettra à beaucoup plus de travailleurs et de travailleuses à temps partiel d'assurer leurs revenus. Mais ce que l'on ne nous dit pas, c'est qu'un bon nombre, sinon la plupart des travailleurs et travailleuses nouvellement assurés ne seront jamais admissibles aux prestations.

Un travailleur ou une travailleuse à temps partiel qui fait, par exemple, 15 heures par semaines, aura besoin, selon la règle d'admissibilité actuelle, de 28 semaines de travail pour atteindre les 420 heures nécessaires à l'admissibilité dans une région où le taux de chômage est élevé, et 47 semaines de travail pour atteindre les 700 heures nécessaires dans une région où le chômage est faible. Ils ne seront absolument pas admissibles, ni en tant que nouveaux participants au marché du travail ni en tant qu'employés qui réintègrent le marché du travail.

Nous disions tout à l'heure qu'il y a à peine 25 p. 100 des travailleurs et travailleuses de moins de 25 ans qui sont admissibles à l'heure actuelle. Si vous adoptez ce projet de loi tel qu'il est actuellement, nous pensons qu'il n'y aura plus d'assurance-chômage ou d'assurance-emploi pour les jeunes parce qu'ils ne pourront jamais se qualifier à cause du travail précaire, du travail à temps partiel, etc.

M. Godin: Je vais vous donner un exemple.

Considérons l'assurance-chômage telle qu'elle est aujourd'hui. Une personne travaille 35 heures par semaine. Les gens qui travaillent dans les poissonneries travaillent à environ 7,30 $ ou 7,50 $ l'heure. Il y en a qui travaillent à 6,50 $ et d'autres qui travaillent au salaire minimum dans des usines non syndiquées.

Prenons l'exemple de ceux qui gagnent environ 7,30 $ l'heure. Une personne qui travaille en moyenne 35 heures par semaine, à 7,30 $ l'heure, pendant 12 semaines, gagne au total 3 066 $. Si on divise cette somme de 3 066 $ par 12 semaines, on obtient 255,50 $ par semaine. C'est cela, la moyenne salariale. En la multipliant par 55 p. 100, pourcentage auquel on a droit, on obtient une prestation d'assurance-chômage de 140,53 $ de revenu brut par semaine. Il faut ensuite déduire les impôts.

Avec les changements proposés qui doivent se faire à partir de maintenant jusqu'à, je pense, 1998, on commence le calcul avec un dénominateur de 14, puis en 1998, il sera de 20. Il sera de 14, de 16, de 18 puis de 20.

Selon le projet de loi C-12, une personne qui travaille 35 heures semaine, multipliées par 7,30 $ l'heure, puis par 12 semaines, gagne 3 066 $. Ce montant divisé par le dénominateur 20 donne un quotient de 153,30 $. Les 55 p. 100 de ces 153,30 $ donnent une prestation d'assurance-chômage hebdomadaire de 84,32 $.

Et plus tard, en 1998 ou ces années-là... Selon le texte du projet de loi C-12, le calcul est supposé partir à 55 p. 100. Cependant, le projet de loi C-12 avait déjà été présenté comme tel dans son entier dans le projet de loi C-111, et l'on sait qu'il faudra refaire le calcul dans trois ou quatre ans et multiplier les 153,30 $ par 50 p. 100, ce qui donne 66,65 $.

Je vais prendre un autre exemple. On va prendre la formule des heures travaillées. Le gouvernement dit qu'il va reculer de 14 semaines pour calculer ton assurance-chômage en fonction de tes gains. Prenons une personne qui travaille 385 heures durant le printemps, durant le mois de mai et le mois de juin - parce que la pêche au crabe, chez nous, n'a pas lieu au mois de juillet, ni au moi d'août, ni au mois de septembre - , et qui ne pêche plus au mois de juillet et au mois d'août.

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Ensuite, la personne travaille seulement 35 heures. Cela arrive, croyez-moi. Là où ils vont à la pêche, ils ne peuvent pas prendre la bonne sorte de poisson parce que les Japonais n'en veulent pas, etc. On va utiliser l'exemple de 35 heures parce que cela peut se produire dans n'importe quel domaine. Pour se qualifier à l'assurance, il faudra travailler 420 heures si le taux d'assurance-chômage est de 13 p. 100 et plus, et 13 semaines si le taux d'assurance-chômage est de moins de 13 p. 100, c'est-à-dire 455 heures.

On va parler plutôt de 12 semaines ou de 420 heures. Cela veut dire qu'on va prendre 385 heures multipliées par 7,30 $, ce qui donnera 2 810,50 $ pour les mois de mai et juin. Au mois de septembre, ils s'en vont à la pêche au hareng. Il y a des endroits où il y a seulement des hommes et d'autres endroits où il y a des hommes et des femmes et où les deux membres du couple travaillent à l'usine de poissons. Je me demande si l'un de vous pourrait vivre avec ces moyens.

Pensez-y. Trente-cinq heures multipliées par 7,30 $, cela donne 255,50 $. Tu dois par la suite diviser cela par 14; la raison est simple parce que la loi prévoit qu'on doit reculer de 14 semaines consécutives. Si on recule de 14 semaines consécutives, cela ramène au mois de juillet et si on n'a pas travaillé durant les mois de juillet et août, on prend alors ses 255,50 $ divisés par 14 et cela donne 18,25 $. Ensuite, on prend ces 18,25 $, on les multiplie par 55 p. 100 et cela donne la jolie somme de 10,38 $.

C'est ridicule d'avoir pensé à une formule comme celle-là. Je ne peux le dire autrement. Chez nous, cela a fait mal. Ils disent qu'Yvon Godin sème la panique chez nous. Yvon Godin n'a jamais semé la panique. C'est le projet de loi qui a semé la panique, et la panique, cela fait pitié.

S'il y en a qui ne veulent pas rencontrer ces gens-là, moi, je les rencontrerai. Ces gens-là viennent nous voir en pleurant. Je ne peux faire plus que ma job en rencontrant ces gens, en essayant de les réconforter et de leur dire qu'on va continuer à se battre pour ne pas que ces changements soient adoptés. Certaines personnes ont des enfants. Il y a des familles qui font pitié, des femmes en larmes qui nous disent qu'elles n'ont pas de travail. C'est comme cela dans les provinces de l'Atlantique, partout où il y a la pêche, partout où il y a la forêt, partout où il y a des tourbières et des jobs saisonnières.

Un bel exemple a été donné par un des économistes à l'Université de Moncton. Son exemple était encore plus fort que le mien. Il parlait d'une personne qui travaillerait 35 heures au printemps et 385 heures à l'automne. On prend les 35 heures du printemps multipliées par 7,30 $ et cela donne 255,30 $; on prend les 385 heures travaillées à l'automne, durant les mois de septembre et octobre, multipliées par 7,30 $, et cela donne 2 810,50 $.

Quand on recule, avec 14 semaines consécutives, cela amène encore au mois de juillet, ce qui veut dire que les 35 heures ne comptent pas. Toutes ces heures consécutives ont été travaillées à l'automne. On multiplie cela et cela donne 2 810,50 $ divisés par 14, ce qui donne 200,75 $ par semaine, et 55 p. 100 de cela donne 110,41 $.

Ce sont deux personnes ayant travaillé le même nombre d'heures, dans la même période de temps. L'une recevra 10,38 $ et l'autre, 110,41 $. Lorsque cela n'avait pas été adopté en décembre, je croyais qu'ils laisseraient tomber au lieu de nous ridiculiser de la sorte.

On n'a pas d'autre choix que d'en parler. Cela ne me dérange pas de me faire accuser d'en parler.

.1005

L'assurance-chômage ou l'assurance-emploi n'appartient plus au gouvernement. Vous l'administrez, mais cela ne vous appartient plus. Cela appartient plutôt aux compagnies et aux employés qui contribuent au fonds. Et le petit cinq cents aux trois dollars que je vais sauver, gardez-le, administrez-le et donnez-le aux pauvres qui n'ont pas d'emploi. On vit dans un beau pays, et il faut payer pour avoir notre liberté.

Chez nous, quand je laisse ma tondeuse à gazon dehors, je suis content de la retrouver à cet endroit. L'année prochaine, on ne pourra plus la laisser dehors car les gens vont la voler et la revendre pour pouvoir mettre de la nourriture sur la table et donner un verre de lait à leurs enfants.

C'est cette sorte de décision que vous allez prendre à Ottawa. Ce n'est pas ce que visait le Parti libéral en 1989. Doug Young lui-même disait alors: «Agissez avec énergie». On ne peut pas laisser passer cela. Les répercussions au Nouveau-Brunswick ne seront pas acceptables.

Je ne parle pas seulement du Nouveau-Brunswick, mais aussi de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse, des personnes qui travaillent dans les pêcheries, dans le Pacifique, en Colombie-Britannique, des bûcherons à Hearst, en Ontario. Tout le monde va en souffrir.

Vous êtes contents lorsque vous allez au restaurant et que vous êtes capables de manger une petite patte ou une petite queue de homard. Vous aimez cela. Voulez-vous fermer la pêche? Vous n'en aurez plus de homard.

Vous aimez vous bâtir une maison. Vous mettez des deux par quatre pour la lever. Eh bien, vous n'en aurez plus de deux par quatre. Vous la construirez en ciment et vous resterez dans des maisons de ciment. Il nous en faut des bûcherons, des pêcheurs dans notre société. Il faut des gens pour travailler là-dedans.

Il est important de vous donner ces exemples-là. Il faut que vous les compreniez. Ne venez pas dire que personne ne vous l'avait dit. Si vous arrivez dans la péninsule acadienne, où vivent à peu près 60 000 personnes, et que y amenez la plus grosse industrie du monde, soit la compagnie GM, que la compagnie s'installe, qu'elle embauche 10 000 personnes, cela ne changera rien, car la pêche va continuer. Vous aimez manger du poisson, exactement comme chez nous. La pêche va continuer. La compagnie GM n'embauchera pas ces gens-là quand ils auront fini leur quart de travail dans les usines de poisson. Ce n'est pas vrai que la compagnie GM va les embaucher.

Donc, on aura le même problème quand la pêche sera finie. Et si GM les embauchait, c'est quelqu'un d'autre qui se trouverait un emploi dans la pêche. La seule façon pour le gouvernement d'aider les gens de chez nous et d'ailleurs qui travaillent dans le domaine la pêche, c'est de prendre nos usines de poisson et de dire qu'on va vers une deuxième et troisième transformations. C'est de cette façon qu'on réglerait le problème.

Au printemps, on va pêcher notre poisson et au lieu de le vendre aux Japonais directement, on va le congeler. Quand la pêche sera finie, on l'amènera dans les usines de poisson et, avec les mêmes travailleurs, on procédera à une deuxième et une troisième transformations. De cette façon, on va augmenter le nombre des semaines travaillées afin de créer des emplois permanents.

Quand j'en ai parlé à Doug Young, à la réunion de Saint-Isidore, il m'a dit: «Oui, Yvon, tu as raison». M. Young lui-même reconnaît qu'il faut créer des emplois saisonniers et permanents.

C'est bien beau d'envoyer des gens à l'assurance-chômage pendant seulement 26 semaines, de les envoyer ensuite à l'école, etc. J'en ai discuté avec les directeurs des collègues communautaires. On enverrait les gens dans les écoles, à raison de 15 élèves et de deux professeurs par classe. Ils en ont, de l'argent. Dans les petites écoles où on avait 30 élèves, on n'a qu'un professeur et on essaie d'augmenter le nombre d'élèves de 35 à 40. Comment se fait-il qu'on ait tant d'argent à dépenser pour ces programmes?

Je ne suis pas contre la formation. Je vous le dis publiquement, je ne suis pas contre. Par exemple, en ce qui a trait à la deuxième ou à la troisième transformation, il faudrait éduquer les gens. C'est une nouvelle industrie qui va se développer. Mais, excusez-moi de le dire, avec cet argent-là, on n'a fait que créer des emplois pour certains fonctionnaires. Et qu'est-ce que cela nous donne à la fin?

Il faut examiner les problèmes qu'on a actuellement dans notre société et essayer de travailler ensemble. C'est pour cela que j'ai demandé à M. Young pourquoi on ne s'asseyait pas ensemble pour essayer de trouver des solutions pour notre province.

.1010

Nous ne sommes pas obligés de descendre dans la rue et de crier. Mais donnez-nous l'occasion de nous asseoir avec vous. Examinons les programmes, faisons des études socio-économiques, faisons n'importe quoi, organisons des tables rondes où l'on peut s'asseoir ensemble pour discuter de nos problèmes.

À ce propos, les modifications proposées retiennent la disqualification de ceux qui se font renvoyer ou qui démissionnent.

Au premier coup d'oeil, cela semble un moyen de dissuasion raisonnable exercé contre les démissionnaires et les paresseux. Il suffit toutefois de prendre en considération les mineurs qui ont témoigné lors de l'enquête sur la firme Westray. Ils ont affirmé avoir choisi de ne pas porter plainte contre les conditions de travail qui n'étaient plus sécuritaires de crainte d'être renvoyés et de perdre ainsi leur admissibilité à l'assurance-chômage. Donc, vous constatez qu'ils n'avaient pas démissionné parce qu'ils craignaient un désastre comme celui de perdre leur admissibilité à l'assurance-chômage. Combien des 26 personnes qui sont mortes ont continué à travailler dans ce trou mortel pour la même raison?

Ces qualifications n'ont rien à voir avec un système destiné à protéger les travailleurs et non à les punir ou, comme dans le cas de Westray, à les tuer. Cette affaire-là, je la prends à coeur, parce que je suis moi-même un ancien mineur.

Voici un exemple. Dans le cas de la mine de Westray, l'enquête était publique et a révélé clairement ce que les gouvernements et les inspecteurs avaient caché et les responsabilités que la sécurité n'avait pas assumées. On sait que des gens sont allés voir quels étaient leur droits relativement à l'assurance-chômage et qu'on leur a dit que, s'ils réclamaient l'assurance-chômage, ils perdraient leur emploi et que, s'ils démissionnaient, ils n'auraient pas droit à l'assurance-chômage.

Qui d'entre vous est capable de vivre sans argent avec une famille et des enfants? Cela a conduit ces gens-là directement au cimetière.

Il faut réfléchir aux décisions que vous prenez. Elles sont graves. Prenez des décisions qui ont aussi un effet social bénéfique, pas seulement des décisions qui favorisent les grosses entreprises comme la Banque Royale, qui fait 1,2 milliard de dollars de profits par année, comme les sociétés Brunswick, Noranda, Inco, Stelco, les propriétaires d'usines et certains gros pêcheurs de fond.

Il faut vraiment que vous y regardiez à deux fois avant de prendre vos décisions; vous en êtes responsables. Si vous pensez que vous n'en êtes pas responsables, que vous n'êtes pas capables de prendre des décisions importantes pour le peuple du Canada, que personne ne va vous blâmer, votre conscience va vous travailler sous peu. Je vous refile ce qui vient du coeur. Je n'essaie pas ce matin de me donner en spectacle. Je vous dis des choses qui viennent du coeur. Je suis une simple personne qui travaille pour le syndicat aujourd'hui, mais qui vient de la base, qui a travaillé sous terre. J'ai miné. J'ai monté là-dedans et je connais tous les problèmes de nos travailleurs et de nos travailleuses.

Ces modifications visent toujours les travailleurs saisonniers et ceux dont l'emploi est peu sûr. La réforme laisse entendre que les chômeurs sont responsables de l'insécurité de leur propre emploi et qu'ils sont responsables du fait que le travail existant dans leur agglomération est de nature saisonnière.

Comme je vous le disais tantôt, le bateau part en mer au printemps et il fait la pêche. Ce n'est pas nous qui établissons les quotas de crabe. Le gouvernement autorisait 20 000 tonnes métriques de crabe pour les pêcheurs de crabe l'année dernière. Il veut maintenant baisser le quota à 16 000 tonnes métriques. Savez-vous ce que cela signifie? Cela signifie environ trois semaines de moins de travail dans les usines de poisson. Nous n'avons pas de contrôle là-dessus.

Je ne parle pas du poisson dans la mer, mais des employés d'usine. Ils n'ont pas de contrôle sur le fait qu'il n'y a plus de poisson dans la mer, sur le poisson de fond. On a fermé la pêche du poisson de fond. Il y a des usines qui ont fermé la ligne des poissons de fond au complet.

Par exemple, à Shippegan, où il y avait 1 400 employés, il y en a maintenant 300. Toute la ligne de poissons de fond est fermée. Je n'accepterai jamais qu'ils aient appelé les gens de chez nous des lâches. C'est une chose que je n'accepterai jamais. Ce ne sont pas des lâches, ni des paresseux.

Regardez vous-mêmes, qui venez de partout au pays. Allez à Calgary. Il y a beaucoup de gens de chez nous qui travaillent là-bas. Allez à Prince George. Il y a beaucoup de bûcherons du Nouveau-Brunswick et du Québec qui travaillent là; il y en a beaucoup. Allez à Vancouver, où il y a beaucoup de gens du Nouveau-Brunswick. Allez à Toronto, allez à Oshawa, allez à St. Catharines, allez dans l'extrême nord de l'Ontario, à Hearst, à Kapuskasing, à tous ces endroits. Ils sont peut-être parmi les premiers à être engagés parce qu'on dit que tous les Néo-Brunswickois venant des provinces de l'Atlantique sont des vaillants. On les engage.

Je n'accepterai jamais qu'on dise que ce sont des lâches. Que personne ne vienne me dire que les gens de chez nous, ce sont des lâches. Ce sont de bons travailleurs et de bonnes travailleuses. Mais je pense que vous aussi, vous deviendriez lâches si vous travailliez à 5 $ ou 6 $ l'heure.

.1015

Les provinces Atlantiques ont été traitées de cette façon. Malgré que l'on nous ait traités de cette façon, qu'aucune industrie ne soit venue s'implanter chez nous, que nous n'ayons rien eu à part les ressources naturelles, les mines, la pêche, les tourbières... Les gens de chez nous ont été payés à petits salaires et maintenant on nous dit qu'on va nous enlever de l'assurance-chômage. On va nous enlever la dernière goutte qui nous reste, on va nous faire pâtir.

Mais nous, nous voulons rester chez nous. Nous aimons notre Acadie. Et quand vous venez chez nous en vacances, je suis certain que vous l'aimez aussi, notre Acadie. Nous ne voulons pas la perdre. Pour nous autres, il faut travailler ensemble, il faut essayer de créer de l'emploi. Ce n'est pas vrai qu'on n'a pas parlé de créer de l'emploi. On en parle tous les jours: créons de l'emploi et nous n'aurons plus de problèmes.

Parlons encore de nos jeunes que l'on traite de paresseux et de lâches. À Caraquet, on vient de lancer une compagnie de textiles, la Wink, où on a besoin de 150 personnes. Il y a 800 à 1 000 personnes qui se sont présentées pour y travailler. Cent cinquante personnes seulement ont eu de l'ouvrage et personne n'a abandonné son emploi. Ils ont travaillé 12 mois par année; ce ne sont pas des lâches. À la mine Brunswick, personne ne laisse son emploi. Ce ne sont pas des lâches non plus.

Ensuite, voyons du côté du gouvernement fédéral, qui a ouvert des bureaux du Régime de pensions du Canada à Bathurst, dans l'immeuble fédéral. Ils ont offert 60 emplois aux gens de notre région; 800 personnes se sont présentées pour les obtenir. Ce ne sont pas des lâches. Donnez-leur de l'emploi et ils travailleront.

Je demande donc à votre comité de faire des recommandations. Ce n'est pas en punissant les gens que vous allez faire des changements. Vous allez les réduire à l'esclavage et en faire des meurtriers. Vous allez en faire des personnes qui vont se suicider, des voleurs, alors que notre société a besoin que l'on travaille ensemble.

M. Young a besoin de revoir ses idées, de penser à ses responsabilités, car ses changements ne sont pas les bienvenus et lui non plus. Lui-même a accusé le parti au pouvoir en 1989, en disant que ce qu'il proposait aurait été désastreux pour notre province. Aujourd'hui, il fait le contraire. C'est regrettable et inacceptable.

La documentation du gouvernement servant à justifier de plus amples changements à l'assurance-chômage est imparfaite et spécieuse. Le gouvernement constate que les frais de l'assurance-chômage ont augmenté depuis 1982, alors que la comparaison pertinente doit se faire avec le programme tel qu'il était avant les plus récentes coupures. Ces choses ne peuvent se comparer parce que les frais sont en baisse.

On blâme l'assurance-chômage de nos taux de chômage plus élevés aujourd'hui que dans les années 1960, ne tenant pas du tout compte du fait que nous subissons depuis 15 ans des taux d'intérêt réels de plus du double de la moyenne à long terme d'avant 1980. On blâme l'assurance-chômage de ce que les personnes sont maintenant sans travail pendant de plus longues périodes. Il y a les taux d'intérêts élevés et les changements technologiques, et que dire du libre-échange et des coupures dans les services publics et dans le secteur de la fonction publique? Le gouvernement souligne que les taux de cotisations sont de 50 p. 100 plus élevés qu'il y a six ans sans faire valoir, d'une part, que nous avons subi entre-temps la plus grande récession depuis les années 1930 et, d'autre part, que nous affichons un important excédent au compte de l'assurance-chômage.

Je vais parler brièvement de cette partie. Ce ne sont pas les employés qui ont trahi la nouvelle technologie. Je vais vous donner un exemple. Il y avait 1 400 gars qui travaillaient à la mine Brunswick au Nouveau-Brunswick. Je parle du Nouveau-Brunswick parce que c'est l'endroit qui m'est le plus familier et qui est le plus touché. Il y avait donc 1 400 personnes qui travaillaient à la mine Brunswick et qui produisaient 8 000 tonnes de minerai par jour. Aujourd'hui, il y a seulement 830 ouvriers et ils produisent 10 500 tonnes par jour. On n'a pas entendu dire que la compagnie avait mis des gens à la porte. Il y a eu des départs par attrition, des fonds de pension payés à l'âge de 57 ou 55 ans. Mais nos jeunes, pendant ce temps, n'ont pas d'ouvrage à Brunswick Mines. Dans les années 1974 à 1980, les gens allaient s'y engager. Dans les pêches, il y avait une centaine de personnes qui coupaient le hareng pour sortir les filets, mais maintenant on a des fileteuses et ainsi de suite.

.1020

Le gouvernement a donné de l'argent - moi, j'appelle ça du bien-être social - aux grosses entreprises pour investir dans la nouvelle technologie. Maintenant que la nouvelle technologie est installée et que les entreprises ont mis les gens de nos régions au chômage, on dit qu'on n'a les moyens de payer de l'assurance-chômage. Ce n'est même pas le gouvernement qui paye cela, ce sont les entreprises, celles qui ont mis les gens à la porte à cause des changements technologiques.

Aujourd'hui, le gouvernement dit que ça coûte trop cher et qu'il va falloir faire des changements. Vous, les employés, vous allez faire 5 cents aux 3 $ et vous, les grosses entreprises, on va vous donner de nouveau 900 millions de dollars. C'est inacceptable.

C'est ce que le gouvernement est en train de faire. Je vous dis que vous avez une responsabilité là-bas. Il faut que vous preniez vos responsabilités parce que ce n'est pas ça que vous avez dit aux gens.

Je le sais, car j'étais là quand Doug Young s'est présenté à Inkerman. Il a dit: «Je viens vous défendre». Maintenant il dit qu'il va nous couper notre assurance-chômage et notre gagne-pain. Est-ce que ça a du sens?

C'est pour ça que les gens perdent confiance en leur élus. Les politiciens font des promesses qu'ils ne tiennent pas par la suite et ils se disent: «On va être réélus la prochaine fois». Vous n'êtes pas là pour faire souffrir les gens, mais pour travailler avec la communauté, les gens, les entreprises, et pour essayer de trouver un juste milieu qui va être acceptable pour tout le monde. C'est ça qu'il faut faire.

Je vous demande, au nom des travailleurs et des travailleuses... Vous n'êtes pas là pour ça. absolument pas là pour ça. Vous êtes là pour représenter les gens de notre pays et vous avez une responsabilité.

Je sais qu'on va nous poser une foule de questions tout à l'heure. Il y a des gens qui vont faire des remarques. Regardez et voyez qui abuse en réalité des systèmes. Ce ne sont pas les gens. Il faut aider les gens. C'est ça qu'il faut faire. Il faut s'asseoir avec eux et trouver des solutions.

[Traduction]

M. Arsenault: Nous croyons que les travailleurs canadiens ont besoin, non pas d'un régime d'assurance-chômage plus économique et plus faible, mais d'un régime amélioré. Nous croyons par ailleurs que les travailleurs canadiens sont prêts à soutenir un régime amélioré.

Nous considérons que le gouvernement devrait accroître le taux de remplacement, qui varie actuellement de 55 à 60 p. 100 de la rémunération assurable, afin de le porter à 66 2/3 p. 100 de la rémunération assurable.

Nous sommes également d'avis que vous devriez allonger la durée maximale des prestations pour tous les travailleurs qui participent à des programmes de formation destinés à améliorer leur employabilité future.

Nous estimons aussi que vous devriez éliminer les dispositions discriminatoires à l'endroit des personnes qui quittent volontairement leur emploi.

Vous devriez également conserver les éléments de l'assurance-chômage qui prévoient des prestations pour les travailleurs saisonniers.

Là où il y a abus du programme d'assurance-chômage de la part des employeurs, nous devrions élaborer des mesures spécifiques pour mettre fin à l'abus.

En outre, la fixation de taux particuliers pour les employeurs n'est pas viable.

Les cotisations d'assurance-chômage devraient s'appliquer au premier dollar de rémunération et à tous les revenus, sans maximum.

Le supplément de revenu familial devrait être augmenté en prolongeant à un an la période maximale de prestations et en majorant le taux de remplacement à 75 p. 100.

Le gouvernement fédéral doit adopter des objectifs d'emploi comme point de départ pour l'élaboration de sa politique macro-économique.

Le ministre des Finances doit donner l'ordre à la Banque du Canada d'abandonner sa poursuite monoïdéique de zéro inflation et réorienter sa politique monétaire en vue d'atteindre ces objectifs d'emploi.

[Français]

Des taux de chômage de 10 et 15 p. 100 semblent acceptables au gouvernement canadien. Nous pensons que c'est inacceptable. Bien sûr, on ferait mieux de mettre nos efforts dans une politique de plein emploi au lieu de s'acharner sur les plus démunis de notre société en leur coupant leurs revenus déjà très maigres de l'assurance-chômage.

On vous remercie de votre attention. Si vous avez des questions sur notre présentation ou sur notre projet, cela va nous faire plaisir de tenter d'y répondre.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup. Nous avons écouté votre exposé avec beaucoup d'intérêt. Nous avons déjà entendu le témoignage d'un certain nombre de syndicats, et pour nous, les députés, il est toujours très intéressant de connaître votre position, puisque vous représentez un grand nombre de gens qui ont des inquiétudes particulières.

.1025

En tant que président du comité, je peux également vous donner l'assurance que nous avons pris acte de vos remarques. Nous sommes tout à fait disposés à modifier certaines dispositions de ce projet de loi pour assurer que les Canadiens seront traités de façon équitable, et aussi dans l'espoir que certaines mesures que nous adopterons permettront vraiment d'accroître les possibilités d'emploi au Canada.

Nous allons maintenant passer aux questions avec des tours de cinq minutes. Nous commencerons par le Bloc québécois. M. Crête.

[Français]

M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): Je veux vous remercier de votre présentation. Vous avez réussi à faire passer le cri du coeur dans un réseau d'appareils technologiques. Je pense que c'est tout à votre honneur.

Le premier élément dont je voudrais parler est le suivant. Est-ce que je traduis bien votre pensée en disant que, plutôt que d'apporter des changements cosmétiques à l'assurance-chômage, vous demandez davantage au gouvernement de définir un nouveau contrat social et économique avec les régions du Canada? Avant de pénaliser qui que ce soit, on devrait mettre en place des politiques de diversification des économies régionales et se donner des périodes suffisantes pour que les gens aient le goût, les talents, les capacités et le contexte pour être capables d'effectuer les changements voulus pour être fiers de cette économie et pour s'autosuffire.

Dois-je comprendre, à partir de ce que vous dites, qu'il faudrait d'abord entreprendre une telle action avant de faire quelque changement cosmétique que ce soit? La réaction qu'on observe actuellement dans plusieurs régions du Canada est principalement due au fait qu'il n'y a pas de mesures de diversification de l'économie accompagnant les décisions prises, ce qui s'ajoute aux aspects négatifs pour les travailleurs contenus dans le projet de réforme. C'est là ma première question.

Ma deuxième question est plus pointue, mais peut nous servir de phare, d'une certaine façon. Vous savez qu'une députée libérale, Mme Augustine, a proposé que les gens ayant un faible revenu, soit moins de 26 000 $ par année, et dont le travail est saisonnier ne soient pas touchés par la règle de l'intensité, qui diminue le salaire de 1 p. 100 à toutes les 20 semaines de prestations lorsqu'ils touchent l'assurance-chômage. Autrement dit, la députée ne remet pas en question le principe même de la réduction de la prestation pour les travailleurs saisonniers, mais elle voudrait la mettre de côté pour ceux qui ont un faible revenu, qui ont un revenu familial de moins de 26 000 $ par année.

Est-ce qu'il vous semble acceptable et suffisant d'apporter des changements de ce type tout en conservant le principe de la pénalité pour les travailleurs saisonniers qui doivent recourir régulièrement à l'assurance-chômage?

Voici les deux volets de mon questionnement. Merci de m'avoir écouté.

M. Arsenault: Je vais tenter de répondre à la première question, monsieur Crête. Yvon répondra à la deuxième qui a trait aux 26 000 $.

Je crois que vous avez vu clair dans notre exposé. Nous comprenons que les gouvernements ont des problèmes de budget et de dettes et qu'il faille emprunter pour l'épicerie. Par contre, on sait à qui va l'argent de la dette et celui qu'on paie en intérêt. Souvent il va à des Canadiens qui ont des placements, aux mieux nantis de notre société.

Nous disons que ce n'est pas en frappant sur les plus démunis qu'on réglera le problème de la dette. Au contraire, comme Yvon l'expliquait, nous aurons une société beaucoup plus violente, une société où les gens prendront des moyens - sans vouloir créer de panique - qui ne seront pas tellement démocratiques pour régler leurs problèmes quotidiens de subsistance.

.1030

Nous croyons en effet que la façon de régler nos problèmes économiques est d'adopter une politique de plein emploi. Il faut adopter, dans les différentes régions du Canada, des façons astucieuses et intelligentes de garder dans les régions ceux qui veulent y rester et de créer de l'emploi.

Par exemple, dans les régions des provinces de l'Atlantique et dans ma région natale, la Gaspésie, qui vivent de la pêche, il est clair que si on pouvait créer des entreprises de deuxième et troisième transformations, ce serait certainement une solution aux problèmes. Cela vaudrait beaucoup mieux que de couper les prestations des gens qui bénéficient de l'assurance-chômage. Ces gens ont du travail de nature saisonnière et ils n'ont pas le choix. Quand il n'y a plus de pêche, ils sont limités par les quotas, etc.

Ces gens-là ont le goût de vivre et de travailler dans le coin de pays où ils sont nés. Je pense qu'on regarde le problème à l'envers au niveau gouvernemental, surtout au niveau du gouvernement fédéral. On tente de pénaliser les plus démunis de notre société. Je vous dis respectueusement que le déficit que vous avez à gérer ces années-ci, ce ne sont pas les gens de la Gaspésie et du Nouveau-Brunswick qui l'ont créé. Ce ne sont pas les plus démunis de notre société. Ils n'ont rien à dire dans l'économie de notre pays. Ce sont vos prédécesseurs et certains d'entre vous qui ont contribué, au cours des années, à augmenter ces déficits. Ce n'est pas en frappant sur les plus petits qu'on va régler le problème.

M. Godin: Pourquoi passer à travers toutes ces choses-là et trouver d'autres formules? Pourquoi faire cela? Quel intérêt le gouvernement a-t-il à faire cela? Je ne veux pas être négatif et dire qu'on ne peut pas faire d'autres sortes de changements. Les gens qui gagnent 26 000 $ et plus ne savent pas quel sera leur revenu. C'est quelque chose qu'ils ne pourront même pas calculer. Seront-ils capables de survivre?

Je reviens à la même chose. Le problème n'est pas là. Pour les gens saisonniers permanents, la pêche est là et elle va continuer. Les bûcherons vont continuer à bûcher et ils ne pourront pas travailler l'hiver parce qu'ils n'auront pas de quotas pour travailler. La mousse est sur la terre. Pourquoi ne leur donner que 55 p. 100? Ne parlez plus de réforme. Dites seulement que vous faites des coupures à l'assurance-chômage et ce sera fini.

Vous dites que vous faites une réforme pour essayer d'améliorer les choses, mais ça n'améliorera pas les choses. Ce n'est pas en abaissant les prestations à 55 p. 100 et ensuite à 50 p. 100 que vous allez améliorer la situation économique. Vous allez redonner cet argent aux compagnies. Elles vont recevoir 900 millions de dollars. Vous n'aidez pas l'économie. Ce ne sont pas les grosses compagnies qui vont créer d'autres emplois.

Il faut prendre l'argent pour essayer de créer de l'emploi avec nos ressources naturelles. J'ai toujours dit que les provinces de l'Atlantique ont été utilisées comme des bouche-trous. Si l'Ontario veut avoir des employés, il téléphone au Nouveau-Brunswick pour qu'il leur envoie des gens. Si l'Alberta ou Colombie-britannique en veut, on a un pool. Ce sont les gens des provinces de l'Atlantique qu'on fait venir; ce sont les pauvres.

Envoyez-nous des industries, mais cela ne réglera pas notre problème des pêches et des bûcherons. Comme je le disais, vous aimez manger du homard, j'en suis certain. Quand vous venez chez nous, vous adorez notre coin du pays où on fait la pêche. Vous aimez aussi avoir du bois pour bâtir vos maisons. Ces jobs saisonnières vont continuer. Ce n'est pas un abus. Ça fait partie de notre société. Ça fait partie de notre économie. Ça fait partie de nos ressources naturelles.

Vous ne pouvez pas bûcher du bois à Montréal. N'allez pas à Montréal avec votre scie mécanique pour aller bûcher du bois, ni à Ottawa. Je vous dirai une chose: ça fait un bon bout de temps que je vais à Montréal et à Ottawa et quand vous voulez du homard, vous devez venir le chercher chez nous. Ce sont les sortes de jobs qui font partie de notre pays. Il faut y faire attention à ce qu'on va en faire.

Au lieu de prendre notre homard ou notre crabe pour l'envoyer aux Japonais, faisons-en quelque chose. Donnez-nous des outils. Personnellement, je fais partie d'un comité national sur la formation dans les usines de poisson. Si je ne croyais pas à la formation et à la création d'emplois, je n'en ferais pas partie. On travaille avec Terre-Neuve, avec toutes les provinces qui ont une industrie de la pêche au Canada, afin de trouver des solutions pour essayer d'aider nos gens. C'est la seule manière efficace de procéder.

.1035

Pour répondre à votre question, je ne vois pas là-dedans de changement pour faire cesser les abus. Si vous créez de l'emploi, les gens vont travailler. Le jour où les gens ne voudront plus travailler même s'ils sont en santé, je serai d'accord avec vous.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Godin. Il y a d'autres députés qui souhaitent vous poser des questions.

[Français]

M. Scott: Bienvenue et bonjour, messieurs Godin et Arsenault.

[Traduction]

J'aimerais parler des périodes creuses et du calcul des semaines mortes. M. Godin nous a cité certains chiffres. J'en déduis qu'il voit d'un bon oeil les amendements qui ont été proposés en vue de ne plus tenir compte des semaines mortes dans le calcul. Je suppose également, monsieur Godin, que vous avez entendu parler de ces amendements et des engagements pris à cette fin par le ministre et son prédécesseur.

Deuxièmement, vous n'avez pas dit grand-chose au sujet de la conversion des semaines en heures de travail aux fins des calculs. Vous devez certainement admettre que le calcul en fonction des heures travaillées va être à l'avantage des travailleurs saisonniers, étant donné qu'ils travaillent de longues heures, mais pour de courtes périodes. J'aimerais que vous reconnaissiez que c'est une mesure positive.

Enfin, dans votre mémoire, vous semblez dire qu'il ne faut pas utiliser les cotisations d'assurance-chômage pour mettre en place des mesures actives, et pourtant j'ai entendu l'un de vous parler d'accorder des prestations aux fins de formation ou à des gens qui suivent déjà des cours de formation. Pourriez-vous préciser votre pensée à ce sujet?

M. Arsenault: À quelle page du mémoire faites-vous allusion, monsieur Scott?

M. Scott: À la page 5, à la toute fin de cette partie, vous faites la distinction entre l'assurance-emploi et l'assurance-chômage. Je suppose que vous voulez dire que ce passage à l'assurance-emploi prouve que le Canada n'a plus de régime d'assurance-chômage digne de ce nom. J'en déduis que d'après votre théorie il nous faudrait simplement permettre aux gens de disposer d'un revenu constant lorsqu'ils sont au chômage, tandis que le gouvernement, pour sa part, propose de ne pas se limiter au supplément de revenu, mais plutôt d'aider les gens à se préparer à retrouver un emploi. Cela me semble un changement important - je dirais même un progrès important. J'aimerais donc savoir d'où vous tirez cette conclusion.

[Français]

M. Godin: Si j'ai bien compris la question, vous avez parlé des heures et vous aimeriez avoir notre avis à ce sujet. J'apprécie votre remarque et je m'excuse de ne pas en avoir parlé.

Je pense que c'est vraiment important. Même si la loi est adoptée, il va falloir s'asseoir ensemble et considérer les pour et les contre. Je vais vous donner un exemple. J'étais l'une des dix personnes qui étaient contre cela. Il faut essayer de calculer de manière à ce qu'on reconnaisse le nombre d'heures travaillées.

Je suis l'un de ceux qui sont allés à Ottawa pour dire que ce n'était absolument pas correct, que les gens n'étaient pas capables de faire leur semaine complète et qu'ils jetaient leurs cartes de temps à la poubelle. Je n'ai pas caché cela alors et je ne la cacherai pas plus aujourd'hui. Habituellement, je me lève pour affirmer ce que j'ai à dire. On en a même parlé un soir à l'émission Le Point. Je ne savais pas qu'ils allaient sortir cela sans nous en parler, sans nous donner la chance d'en discuter.

Je vais vous dire quelle est ma crainte concernant les heures. Si on adopte le système des heures, comment pourra-t-on s'assurer qu'on n'abusera pas de nos travailleurs et travailleuses? Les travailleurs et les travailleuses qui travaillent chez nous, dans la pêche, ne font pas beaucoup de semaines parce c'est un travail saisonnier. J'ai peur qu'avec ces heures, ils travaillent encore moins. Ma grande peur est que s'il n'y a pas de limite dans le nombre d'heures dans une semaine ou dans une journée, ces pauvres femmes entreront travailler à 8 h le matin et n'en sortiront qu'à 3 ou 4 h la nuit. C'est ce qui nous fait dire qu'on aurait pu convaincre les pêcheurs d'essayer de contrôler leurs prises.

.1040

Ensuite, les quotas de pêche se prendront en trois semaines au lieu de six, sept ou huit semaines. Les gens vont travailler jour et nuit, sept jours par semaine. Cela est regrettable. Que pourrait-on faire pour essayer de contrôler cela?

D'un autre côté, si on dit qu'on peut mettre deux quarts de travail, les gens vont travailler trois jours par semaine et il y aura plus de chômeurs dans le système. Je voulais simplement vous exprimer mon inquiétude là-dessus. Je fais peut-être erreur, mais je vous le dis parce qu'un des pêcheurs est venu me dire: «On va vite prendre notre poisson et on va avoir fini plus vite». Je lui ai répondu: «Oui, mais il faut penser à ces humains qui, après avoir travaillé une certaine période, auront trois semaines pour faire l'ouvrage». Le nombre d'heures va augmenter. J'ai vu, dans des poissonneries, des femmes qui avaient enlevé leurs souliers. Croyez-moi, monsieur Scott, elles avaient enlevé leurs souliers parce que leurs pieds étaient ensanglantés. Elles était debout devant un convoyeur du matin jusqu'à 3 h de la nuit. Cela me fait peur.

S'il y a une solution et si vous pouvez seulement y penser... Pensez-y et trouvez une solution. Je ne suis pas vraiment contre les heures, mais il faut trouver une solution. De la façon dont cette question est présentée aujourd'hui, cela me fait peur.

[Traduction]

M. McCormick: Il n'est pas dit dans votre mémoire si les Métallurgistes unis comptent des membres dans tout le pays en dehors du Nouveau-Brunswick. À supposer que ce soit le cas, pourriez-vous nous parler des similitudes ou des différences existant entre la partie II du régime d'assurance-emploi - il s'agit des mesures de réemploi proposées dans le projet de loi - et le programme d'adaptation très réussi qu'a mis en oeuvre le Conseil canadien du commerce et de l'emploi dans la sidérurgie en Ontario? À mon avis, les similitudes entre les deux sont frappantes.

[Français]

M. Arsenault: Au Conseil canadien du commerce et de l'emploi dans la sidérurgie, on a eu une expérience plaisante. On tente actuellement de l'étendre aux mines et à d'autres secteurs, par exemple aux pêches. C'est la prise en main, avec l'aide des gouvernements, de la formation professionnelle par les gens du milieu. Les métallos ont un syndicat favorable à la formation professionnelle. On est également en faveur de la participation des travailleurs à la formation professionnelle.

Plusieurs conventions collectives à travers le Canada ont prévu des comités conjoints pour la formation professionnelle, surtout dans l'industrie sidérurgique. C'est très clair dans notre esprit. On a eu des congrès là-dessus et on a des mandats clairs de nos membres, à savoir que la seule façon de garder l'industrie au Canada et l'une des façons de s'ajuster aux changements technologiques, c'est la formation professionnelle. Mais cela prend de l'argent. On ne peut être contre cela et, je le répète, c'est la façon de garder nos emplois.

J'aimerais maintenant réagir au premier commentaire du dernier intervenant. Je ne sais pas s'il était présent au début de ma présentation, alors que j'ai expliqué que le syndicat des métallos avait des membres partout au Canada. On a également expliqué que, dans le secteur non traditionnel, qui emploie surtout des femmes, des gens qui travaillent à temps partiel, des gens pour qui le travail est précaire, sur appel, etc., il y a peut-être une mésentente.

On ne parlait pas seulement du Nouveau-Brunswick ou du Québec. On parlait de l'ensemble du Canada. Du Yukon jusqu'à Terre-Neuve, on a des gens confinés dans ces secteurs, des gens qui sont sur le seuil de la pauvreté. Lorsqu'on a fait notre présentation, on parlait pour l'ensemble de nos membres à la grandeur du pays.

.1045

En résumé, nous disons - et M. Scott m'avait dit que cela ferait partie d'une de ses questions - que nous sommes pour la formation professionnelle, pour l'aide gouvernementale à la formation professionnelle. Nous croyons que c'est de cette façon que nous pourrons nous en sortir. Nous pensons également que c'est jusqu'à un certain point odieux d'enlever de l'argent des poches des plus démunis pour payer la formation professionnelle d'autres personnes. C'est ce qui nous fait réagir au projet de loi qui nous est proposé.

À un moment donné, c'est une question d'équilibre dans une société démocratique comme la nôtre. On ne peut pas constamment s'acharner sur les plus démunis. J'espère que cela répond aux questions de M. Scott et à la question du dernier intervenant en ce qui a trait à notre position quant à la formation professionnelle.

[Traduction]

Le président: Le dernier député à intervenir était M. McCormick, et je signale pour la gouverne de tous que son assiduité au comité est excellente et qu'il était là lorsque vous avez commencé votre exposé.

Au nom du comité, je vous remercie sincèrement de votre témoignage. Vous nous avez présenté un point de vue intéressant. Je vous demanderais de faire savoir à vos membres que notre comité va faire tout son possible pour améliorer ce projet de loi de façon à répondre à certaines préoccupations que vous avez clairement énoncées dans votre exposé. Merci.

M. Arsenault: Merci beaucoup.

Le président: Cela conclut la vidéoconférence de Toronto. Nous passons maintenant aux témoignages de deux groupes, le Réseau national d'action éducation femmes et la Fédération nationale des femmes canadiennes-françaises.

.1047

.1051

Le président: Je souhaite la bienvenue à Mmes Monique Hébert, Marie-France Gosselin, Ghislaine Foulem et Diane Vachon.

Comme vous le savez, nous examinons actuellement le projet de loi C-12. Nous sommes ici pour améliorer cette mesure législative, et nous comptons sur les Canadiens comme vous pour nous donner leur avis et faire des suggestions qui nous permettront d'atteindre ce but.

Je vous rappelle que nous avons environ une demi-heure à vous consacrer. Autrement dit, si vous pouviez nous présenter les grandes lignes de votre mémoire, nous aimerions beaucoup avoir le temps de poser des questions et d'obtenir des réponses de façon à obtenir des précisions sur les principaux points de votre intervention. Soyez les bienvenues, mesdames; vous pouvez commencer quand vous voulez.

[Français]

Mme Monique Hébert (présidente, Réseau national d'action éducation femmes): Je m'appelle Monique Hébert et je suis présidente du Réseau national d'action éducation femmes. Ma collègue, Ghislaine Foulem, va se joindre à moi pour présenter le mémoire. C'est un mémoire conjoint que nous présentons.

Ensemble, nous voulons vous faire connaître nos préoccupations face aux questions qui touchent spécifiquement les femmes francophones vivant en milieu minoritaire.

Ce mémoire n'est pas une critique globale du projet de loi C-12 dans son entité, mais il traitera de certaines questions qui touchent spécifiquement les femmes comme telles.

Le Réseau national d'action éducation femmes est un regroupement de femmes francophones, des groupes et des individus, à l'échelle nationale, de Terre-Neuve jusqu'en Colombie-Britannique.

La vision du Réseau est d'obtenir des changements sociaux qui apporteront une société égalitaire et équitable en privilégiant, chez les femmes francophones du Canada, l'éducation en français sous toutes ses formes.

Mme Ghislaine Foulem (présidente, Fédération nationale des femmes canadiennes-françaises): Je m'appelle Ghislaine Foulem et je suis présidente de la Fédération nationale des femmes canadiennes-françaises. La fédération réunit 25 groupes de femmes francophones de toutes les provinces à l'extérieur du Québec, et nous visons le développement et l'épanouissement des femmes francophones, entre autres par l'autonomie financière.

Notre fédération existe depuis plus de 80 ans. Nous favorisons la concertation, la formation, la représentation politique et le réseautage du leadership féminin francophone.

Au Canada, les femmes forment un groupe qui est souvent défavorisé économiquement. Nous portons de lourdes responsabilités familiales tout en occupant des emplois précaires et sans prestige. Les femmes sont moins bien payées dans les emplois qu'elles occupent et, souvent, elles reçoivent moins d'appui pour se tailler une meilleure place sur le marché du travail. Malgré tout, les femmes tentent de contribuer à l'économie canadienne en travaillant à des emplois occasionnels, à temps partiel, sans aucun avantage social et mal rémunérés, même si elles préféreraient occuper un poste permanent mieux rémunéré.

.1055

Les francophones, bien que nombreux, demeurent une minorité linguistique au Canada. Conséquemment, les femmes francophones vivant en milieu minoritaire font souvent face à une double discrimination, soit celle liée à leur sexe et à leur langue.

Voici maintenant certaines données qu'il est important de vous mentionner. On sait que les femmes continuent de représenter la grande majorité des parents seuls au Canada. En 1991, plus de 80 p. 100 des familles monoparentales avaient une femme à leur tête, un chiffre qui est resté relativement constant depuis les années 1960. La grande majorité des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. En 1994, 69 p. 100 de tous les travailleurs à temps partiel au Canada étaient des femmes, un chiffre qui n'a pas beaucoup changé non plus au cours des deux dernières décennies. En 1994, 1,6 million de femmes, soit 26 p. 100 de celles qui avaient un emploi, travaillaient à temps partiel, comparativement à seulement 9 p. 100 des hommes.

Les femmes ont généralement un revenu moins élevé que les hommes. En 1993, le revenu annuel moyen avant impôt des femmes âgées de 15 ans et plus était de 16 500 $, ce qui constitue seulement 58 p. 100 du revenu moyen des hommes. Les gains moyens des femmes qui ont un emploi sont de beaucoup inférieurs à ceux des hommes. En 1993, les femmes qui travaillaient à temps plein, toute l'année, gagnaient 28 400 $, ce qui représente à peine 72 p. 100 du salaire des hommes.

Il y a aussi plus des deux tiers des femmes francophones vivant en milieu minoritaire qui avaient, en 1986, un revenu inférieur à 10 000 $. On sait aussi qu'une femme sur trois de langue maternelle française, à l'extérieur du Québec, a un emploi à temps partiel.

Mme Hébert: Donc, il n'est pas étonnant que déjà vous puissiez noter une discrimination à l'égard des femmes au Canada, plus spécifiquement des femmes francophones.

Le but d'une réforme devrait être d'améliorer le programme existant pour en faire un programme juste et équitable. Le projet de loi proposé semble viser la réduction des coûts du gouvernement fédéral au détriment des prestataires. Nous aimerions vous rappeler que la plupart des Canadiens et des Canadiennes veulent des emplois. Ce n'est pas nécessairement par choix que les femmes sont travailleuses à temps partiel ou contractuelles, cela dans 69 p. 100 des cas. C'est la réalité de notre économie qui impose cette situation.

Le projet indique que les travailleurs à temps partiel seront assurés pour la première fois. On estime leur nombre à 500 000. Mais est-ce au détriment des autres travailleurs et travailleuses, tout particulièrement des femmes qui n'auront plus droit aux prestations?

Le projet indique aussi qu'il y aura un supplément pour les familles qui ont un revenu familial inférieur à 25 921 $. Pourquoi parlons-nous maintenant de revenu familial, alors que l'assurance-emploi est, en fait, un régime d'assurance personnelle? Les familles monoparentales seront avantagées, nous le reconnaissons, mais nous craignons que ce changement n'accroisse la dépendance des femmes envers leur conjoint.

Resserrer l'admissibilité, réduire les montants des prestations et leur durée en imposant des pénalités aux usagers fréquents sont des initiatives qui n'incitent pas nécessairement les gens au travail. De fait, les services de formation pourraient être mieux adaptés aux changements profonds que nous connaissons actuellement face à la situation de l'emploi au Canada.

Le programme d'assurance-emploi devrait servir à créer une société égalitaire et juste. Ce n'est malheureusement pas ce qui ressort du projet de loi. Du moins, c'est l'analyse que nous en faisons. Le régime était devenu inabordable, non productif et ouvert aux abus, mais le gouvernement propose maintenant un régime qui met la responsabilité de l'emploi sur les individus.

.1100

Il est injuste, croyons-nous, de faire porter tout le poids du chômage pas l'individu et surtout de généraliser les problèmes de fraudes et d'abus au système. Les femmes, à cause des inégalités sociales qui existent, sont très vulnérables devant l'approche proposée et en ressortiront possiblement encore plus pauvres.

Nous allons aborder trois sujets: les heures travaillées, les congés de maternité et la formation professionnelle. Comme on le disait au début, ce n'est pas une analyse de l'ensemble du projet, mais bien une critique spécifique du projet.

Quant aux prestations comptées en fonction des heures travaillées plutôt que des semaines travaillées, il s'agit d'un changement important qui aura des conséquences tragiques pour bien des femmes puisque ce sont surtout elles, «les travailleurs à temps partiel».

Selon le projet sur l'assurance-emploi, une personne qui travaille en moyenne 15 heures par semaine devra travailler jusqu'à 910 heures avant d'être admissible aux prestations d'assurance-chômage, ce qui représente 60 semaines de travail à raison de 15 heures par semaine. Donc, il faudra travailler plus d'un an avant d'être admissible. Cela sous-entend, et nous devons le répéter, que 70 p. 100 des travailleurs à temps partiel, qui se trouvent être des femmes, vont être pénalisés.

Ces nouvelles dispositions touchent donc directement la réalité des femmes. La précarité des emplois et l'instabilité des emplois à temps partiel feront en sorte que peu de femmes seront capables d'accumuler le nombre d'heures nécessaire pour recevoir des prestations d'assurance-chômage dans un délai raisonnable. Aussi, les prestations seront calculées à partir des revenus moyens des 14 dernières semaines.

Si les femmes travaillent moins d'heures au cours des dernières semaines, leurs prestations seront évaluées à la baisse. Et que dire des travailleurs sur appel dans les milieux scolaire et hospitalier, ou des travailleurs sporadiques à cause du manque d'emploi?

La réforme propose aussi de diminuer les prestations de 57 p. 100 à 55 p. 100 et jusqu'à 50 p. 100 pour les prestataires qui ont reçu des contributions plus d'une fois en cinq ans. Cela affectera directement les femmes car ce sont elles qui occupent la plupart des emplois occasionnels et peu rémunérés.

La mise en oeuvre de la réforme, telle que proposée, diminuera de façon significative l'admissibilité des travailleuses à temps partiel aux prestations. Ce sont encore les femmes qui seront le plus durement touchées par cette réforme. Nous pouvons affirmer que les femmes veulent de vrais emplois et que ce ne sont pas elles qui choisissent d'occuper des emplois mal rémunérés.

Mme Foulem: Passons maintenant aux prestations pour congé de maternité. On dit que l'avenir d'un pays repose sur sa génération montante. La maternité, vous en conviendrez, n'est pas biologiquement transférable. Ce sont donc les femmes qui connaissent les arrêts de travail en fin de maternité.

En fait, si les hommes prenaient la relève - on pense que cela ne pourra jamais se faire malheureusement - , cela coûterait plus cher au gouvernement car on sait que les dernières statistiques canadiennes révèlent que les femmes qui travaillent à temps plein gagnent, en moyenne, 72 p. 100 du salaire des hommes. Nous affirmons depuis longtemps que les femmes ne doivent être pénalisées d'aucune façon dans les prestations de congé de maternité. Dans le système actuel, les femmes ne reçoivent que 55 p. 100 de leur salaire lors d'un arrêt de travail pour cause de maternité.

Nous sommes conscientes que le gouvernement n'a pas l'intention de pénaliser les femmes qui bénéficieront des prestations de congés parentaux, même si elles bénéficient des prestations plus d'une fois au cours d'une période de cinq ans, comme le sont les chômeurs fréquents. Mais les femmes sont quand même pénalisées financièrement du fait qu'elles sont biologiquement responsables de la maternité. Nous avons besoin d'un programme d'appui qui ne traite pas de la maternité comme d'une mise à pied, une démission ou encore une maladie. Nous voulons sensibiliser le gouvernement au fait que les femmes canadiennes vivent une grande pauvreté.

.1105

En fait, les femmes comptent pour plus de la moitié de la population à faible revenu. Selon Statistique Canada, en 1993, 56 p. 100 de toutes les personnes à faible revenu étaient des femmes. Beaucoup de femmes n'arrivaient jamais à être admissibles à un congé de maternité ou à des prestations d'assurance.

Vous comprendrez que nous travaillons fort pour que les bénéfices deviennent largement accessibles. Puisque les femmes sont encouragées à investir dans leur propre petite entreprise et à développer l'emploi, comment allons-nous voir à favoriser leur admissibilité aux prestations d'assurance ou de maternité?

Pour ce qui est de cette question de remettre au gouvernement fédéral jusqu'à 30 p. 100 des prestations de maternité, nous voulons que le gouvernement se montre plus favorable à la natalité et voie à investir dans l'avenir de notre pays.

Mme Hébert: Passons maintenant aux programmes de création d'emplois et de formation professionnelle. La réforme indique que le gouvernement se démet de ses responsabilités en matière d'éducation et de formation de la main-d'oeuvre. L'application de ces programmes sera négociée en collaboration avec les provinces et les modèles élaborés sont très différents d'une province à l'autre.

Il est important que le gouvernement fédéral soit conscient du fait que les provinces ne sont pas toutes sensibilisées à la réalité des francophones hors Québec. Nous comprenons bien que le Québec désire demeurer le seul responsable des politiques de main-d'oeuvre et de formation professionnelle, mais pour le reste, est-ce que le gouvernement fédéral ne devrait pas prendre certaines mesures?

Prenons l'exemple de la gestion scolaire. Selon la Charte canadienne des droits et libertés, les francophones ont droit à un système scolaire qui leur permet une éducation en français. L'engagement des gouvernements provinciaux à cet égard n'est certainement pas un modèle à suivre. On est obligés d'aller en cour et même jusqu'en Cour fédérale pour obtenir la reconnaissance de ces droits.

Permettez-nous de douter de la bonne foi des gouvernements provinciaux lorsqu'il s'agit des droits des francophones. Nous croyons que, dans ce dossier, le gouvernement fédéral doit s'assurer que les provinces élaborent des programmes rencontrant des normes minimales d'accessibilité pour les francophones vivant en milieu minoritaire. Sans cette garantie, les francophones risquent de se voir refuser l'accès à ces programmes gouvernementaux dans leur langue.

Finalement, c'est dans le respect d'un principe d'équité entre les hommes et les femmes ainsi que dans un effort vers l'égalité que nous désirons sensibiliser le gouvernement fédéral ainsi que les gouvernements provinciaux aux critères d'accessibilité des programmes de formation professionnelle. Ces derniers doivent être déterminés dans le souci de privilégier les femmes pour qu'elles puissent bénéficier d'un accès égal à ces programmes.

Nous croyons qu'il est important que les programmes de formation professionnelle puissent permettre aux femmes francophones d'accéder au marché et ainsi participer en tant que citoyennes à part entière à la prospérité économique du Canada.

Des membres de la FNFCF nous ont indiqué qu'elles croient que le gouvernement peut mener une action positive dans le domaine de la formation en réservant des ressources supplémentaires à la clientèle féminine. Cette clientèle est sous-évaluée sur le marché du travail et n'est rémunérée qu'à 72 p. 100 du salaire des hommes.

Mme Foulem: À l'heure actuelle, nous croyons que le travail des femmes est sous-évalué, sous-estimé et sous-utilisé, sauf lorsqu'elles font du bénévolat. Il y a un rapport des Nations unies qui fait ressortir que la valeur du travail des femmes non reconnu à travers le monde est de 11 trillions de dollars par rapport à 23 trillions de dollars pour le travail reconnu. Il faudrait peut-être commencer à penser à l'apport économique des femmes dans le monde et particulièrement au Canada.

Lorsqu'on parle d'assurance-emploi, on ne peut faire abstraction de la formation professionnelle et de la création d'emplois. Nous demandons au gouvernement fédéral de se pencher sur la situation des femmes sans oublier les travailleuses occasionnelles, les travailleuses à temps partiel et les travailleuses sporadiques.

.1110

Les femmes consultées - plus d'une centaine de femmes ont été rencontrées au pays - ont souligné l'importance d'explorer plus à fond la notion du travail partagé. Plusieurs ont fait part d'expériences négatives dans ce domaine parce que les employeurs n'y sont pas favorables pour des raisons souvent obscures.

La réforme proposée risque de pénaliser économiquement plus de femmes qu'avant. Finalement, cette réforme délègue le sort de la formation des francophones vivant en situation minoritaire aux provinces canadiennes, une difficulté supplémentaire pour la survie culturelle, linguistique et économique de ces communautés.

Nous avons quelques recommandations.

Nous croyons qu'il faudrait revoir le système de fiscalité canadien afin d'en faire un mode de prélèvement qui soit juste, équitable et acceptable pour les Canadiennes et les Canadiens.

Nous croyons qu'on devrait favoriser un système d'assurance-emploi qui vienne en aide aux travailleuses et travailleurs qui ne détiennent pas des emplois à temps plein ainsi qu'aux travailleuses et travailleurs autonomes.

Il faudrait établir des mécanismes d'équité pour que la formation professionnelle dans les provinces satisfasse aux besoins des francophones et des femmes.

Enfin, nous croyons qu'il faudrait élaborer un système de prestations pour les congés de maternité qui éliminerait la discrimination économique envers les femmes et qui serait plus flexible face à leur situation familiale.

[Traduction]

Nous sommes maintenant prêtes à répondre à vos questions dans les deux langues officielles.

Le président: Madame Lalonde, suivie de Mme Augustine, pour des tours de cinq minutes.

[Français]

Mme Lalonde (Mercier): Bonjour et merci beaucoup pour votre mémoire. Je pense qu'il était nécessaire de circonscrire la question des femmes francophones hors Québec et des situations particulières auxquelles elles sont confrontées.

Je voudrais faire un commentaire sur une partie de votre mémoire avant de passer aux questions précises. Vous dites à la page 6:

Il faut constater qu'il y a des abus. À partir du moment où il y a déjà cette réserve, il faut se demander comment on fera pour aider les gens davantage et pour éviter qu'il y ait des abus, en sachant cependant que dans tous les systèmes, il y a des gens qui abusent. C'est vrai pour l'impôt, c'est vrai pour n'importe quoi.

Il faut faire attention de ne pas seulement être conscients des abus. Quand on fait les systèmes seulement en fonction des gens qui abusent, ce sont les gens qui n'abusent pas qui sont pénalisés.

Vous avez fait des recommandations très précises. J'aimerais que vous élaboriez un peu là-dessus. Sur la question du congé de maternité, vous semblez souhaiter qu'on sorte le congé de maternité de l'assurance-emploi. Est-ce que je me trompe? Si oui, avez-vous des recommandations?

Pour ce qui est de la formation professionnelle, vous dites qu'il faut s'assurer qu'il y ait quelque chose d'équitable. Avez-vous là aussi une proposition concrète, des quotas? Comment cela pourrait-il fonctionner? Comment pourrait-on corriger cette situation?

Je vais m'en tenir à ces deux questions pour commencer.

Mme Hébert: Madame Lalonde, merci beaucoup de la correction. Je le savais, moi aussi, car on entend parler d'un surplus à la radio. Par contre, il y a aussi la perception qu'il faut combler le manque à gagner, qu'il y a un plus grand déficit et pas spécifiquement à l'assurance-chômage. Peut-être que cette réforme-là apportera les corrections nécessaires.

Pour ce qui est de nos recommandations précises, je vais vous répondre spécifiquement en ce qui a trait à la formation professionnelle. Plusieurs avenues peuvent être envisagées. L'une de celles-là, ce sont les quotas, vous avez bien raison. Une autre serait de donner un pourcentage équitable aux francophones selon la réalité des provinces. Dans certaines provinces où ils n'ont jamais reçu quoi que ce soit - je n'ose pas vous nommer celle à laquelle je pense en particulier - , on pourrait leur donner un pourcentage plus élevé pour réparer le tort qui a été fait dans le passé, tout en gardant en tête l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés.

.1115

Il est certain que les gouvernements provinciaux ont leur mot à dire. Je comprends que cela peut être remis aux provinces, mais elles doivent tenir compte du fait qu'elles ont la responsabilité première envers leur minorité francophone.

Mme Foulem: Certaines femmes qui sont sur le marché du travail ont droit à des prestations de congé de maternité, mais, dans le mémoire, nous voulions faire ressortir qu'on encourage les femmes à créer leur propre emploi. Il y en a beaucoup qui le font et elles n'ont absolument aucune protection lorsqu'elles décident d'avoir un enfant.

Quand une femme est enceinte, ce n'est pas une maladie. C'est la nature et c'est le droit que l'on a de refaire ce pays en lui donnant des enfants. Actuellement, il n'y a absolument rien qui encourage les femmes quand elles se voient obligées d'arrêter de travailler pour prendre soin de leurs enfants, ou quand elles ont des complications.

Elles se retrouvent souvent sans moyens financiers ou encore gravement diminuées. Nous pensons donc qu'il devrait y avoir un incitatif pour que les femmes décident d'avoir des enfants et puissent compter sur un revenu quelconque au moment où elles ne pourront plus gérer leur propre entreprise ou faire leur travail.

Mme Lalonde: Pour ce qui est de l'effet de la modification importante concernant le nombre d'heures de travail exigible, plusieurs ont fait valoir devant nous qu'il pouvait y avoir un intérêt à se servir du système des heures, mais à peu près tous, y compris la Fédération des entreprises indépendantes, ont dit que la façon dont c'était utilisé dans le projet de loi était défavorable à emploi. La Fédération des femmes du Québec et l'Association des femmes et le droit ont toutes deux fait remarquer que si cela donnait un avantage à quelque 5 p. 100 de femmes, cela nuisait à 25 p. 100 d'entre elles, celles qui travaillent entre 15 et 34 heures par semaine. Est-ce que ces chiffres généraux s'appliquent aussi chez vous? Est-ce que vous faites à peu près les mêmes observations?

Mme Foulem: L'admissibilité aux prestations de l'assurance-chômage, qu'elle soit déterminée en fonction des semaines ou des heures, devrait être comptabilisé à l'intérieur d'une année. Nous constatons que beaucoup de femmes qui travaillent actuellement 15 heures et moins par semaine ne cotisent pas au régime d'assurance-chômage.

Maintenant, tout le monde va cotiser et on dit que cela pourrait prendre jusqu'à 60 semaines à une personne pour accumuler les 910 heures requises. Cela veut dire qu'elles n'auront jamais droit aux prestations, qu'elles vont cotiser à un régime et qu'à cause de cela, elles verront leur revenu diminuer davantage.

Dans les régions où les femmes vivent dans un milieu minoritaire et où le taux d'éducation et de formation n'est pas très élevé, ce sont surtout des emplois précaires qu'elles occupent et elles ne travaillent souvent que 10, 12 ou 15 heures par semaine. Elles ne cotisent pas du tout actuellement. Je répète qu'elles n'auront jamais droit aux prestations d'un régime auxquelles elles auront contribué.

Mme Lalonde: Vous dites oui à la contribution, mais à condition qu'elles puissent avoir accès au...

Mme Foulem: Nous disons surtout que 910 heures est un chiffre vraiment effarant pour ces personnes.

Mme Lalonde: C'est en effet injuste et inéquitable parce que cela fait payer celles qui ont le moins de moyens.

Mme Foulem: Toujours.

[Traduction]

Le président: Madame Augustine.

Mme Augustine (Etobicoke - Lakeshore): Merci, monsieur le président.

Oublions un instant les arguments purement théoriques et autres points de discussion pour nous concentrer sur le projet de loi proprement dit, car je prends très au sérieux mon travail au comité et je veux m'assurer que nous apporterons les amendements voulus au projet de loi, puisque c'est apparemment l'objet de notre étude. Le ministre, pour sa part, compte sur notre comité pour proposer des amendements en vue de faire de ce projet de loi la meilleure mesure possible.

.1120

Le ministère du Développement des ressources humaines a fait une analyse d'impact par sexe. Le projet de loi vise à créer un système juste et équitable, comme vous l'avez dit dans votre introduction. J'essaye de comprendre. Mes questions, qui seront brèves, visent à me permettre de mieux comprendre vos objections, et à comprendre pourquoi vous utilisez le terme «pénaliser». Vous dites que ce projet de loi va pénaliser les femmes. Je vous demanderai donc d'être patientes pendant que je vous pose mes brèves questions, car j'essaie vraiment de comprendre votre position.

Les nouvelles prestations d'emploi nous permettront de répondre aux besoins des femmes au niveau communautaire. Lorsque nous avons procédé à l'étude sur la sécurité sociale, des gens nous ont dit à maintes reprises que nous devions confier cette responsabilité au niveau local et leur permettre d'adapter les mesures ou d'intervenir au niveau local. Étant donné que ce projet de loi vise à répondre aux besoins de la collectivité, qu'est-ce qui vous préoccupe en ce qui a trait à l'employabilité des femmes francophones et à leurs besoins dans ce domaine?

[Français]

Mme Hébert: Madame, merci beaucoup de poser ces questions même si elles sont simples ou courtes. Quelquefois elles vont directement au but.

Une de nos grandes préoccupations est que 25 p. 100 des femmes francophones vivant en milieu minoritaire possèdent tout au plus une huitième année. À l'aube du XXIe siècle, il est très préoccupant qu'une femme sur quatre n'ait pas plus qu'une huitième année. Donc, nous avons besoin de formation directement reliée à cette réalité.

[Traduction]

Mme Augustine: En ce qui a trait aux dispositions du projet de loi relatives aux subventions et à l'accès à la formation, dans le but d'obtenir un emploi durable, y a-t-il selon vous des mesures qui seront à l'avantage des femmes francophones?

[Français]

Mme Foulem: J'aimerais répondre à cette question. Il y a certains coins du pays où on a des emplois saisonniers, où les personnes travaillent à temps plein mais pendant une courte période de temps. Elles peuvent travailler de deux à quatre mois par année.

Les employeurs qui recevraient de l'argent pour donner de la formation à ces employées-là ont certainement la volonté de donner une meilleure formation afin de pouvoir offrir de meilleurs emplois, mais lorsque le domaine de la pêche ou du tourisme, par exemple, n'a que trois ou quatre mois de travail par année à offrir, à quoi sert la formation? Elle ne sert pas à créer des emplois, car il n'y en a pas.

On a parlé de tous ces scandales dans le passé. En donnant de la formation, on a créé des illusions. Les employés se sont lancés dans des programmes de formation avec certaines illusions, en espérant avoir un débouché en bout de ligne mais, malheureusement, ce ne fut pas le cas. On parle de formation de haute technologie, mais cela semble plutôt fait pour les grandes régions urbaines. Dans les milieux ruraux, les emplois de haute technologie sont rares ou ont peu d'importance.

Nous craignons que l'argent qui est versé pour la formation n'atteigne pas les buts visés. Il va falloir qu'il y ait des programmes ciblés et que cela se fasse avec attention. Il ne s'agit pas de prendre l'argent dans la caisse d'assurance-chômage pour le donner à des employeurs qui en profiteraient pour avoir quelques employés de surplus, à qui, de toute bonne foi, ils pourraient donner de la formation, mais une formation qui, en bout de ligne, ne conduirait pas à un emploi à temps partiel ou à temps plein.

.1125

[Traduction]

Mme Augustine: Autrement dit, nous parlons du Fonds transitoire pour la création d'emplois de 300 millions de dollars. Nous parlons également des 800 millions de dollars d'économies réalisées par la caisse d'assurance-chômage qui seront réinvestis dans ces mesures actives, et il est prévu que ces deux fonds servent à la mise en place de diverses mesures comme les subventions salariales et le supplément pour les femmes. Ces dispositions ne sont-elles pas à l'avantage des femmes selon vous?

[Français]

Mme Foulem: Il y a des endroits au pays où l'égalité n'existe pas au niveau de l'emploi. Dans les milieux ruraux, où la plupart des femmes francophones que nous représentons demeurent, eh bien, toutes les bonnes intentions qu'on retrouve dans cela ne peuvent pas nécessairement s'appliquer. C'est cela, le problème. Il faudrait qu'il y ait quelques exceptions.

Je comprends que ce n'est pas facile, car on est dans un système central. Mais il n'en demeure pas moins qu'on ne peut appliquer la même loi de la même façon pour tout le monde parce que tout le monde n'est pas égal, n'a pas le même salaire, n'a pas les mêmes besoins. Cela ne coûte pas la même chose pour une personne qui demeure à Vancouver que pour une personne qui demeure dans les provinces Maritimes, par exemple. Le coût de la vie est différent aux deux extrémités du pays. Donc, il y a tous ces facteurs différents qui font...

[Traduction]

Mme Augustine: En outre, je crois savoir que le nouveau système prévu sera assez souple. J'ai du mal à comprendre pourquoi cela n'est pas évident aux yeux des témoins.

[Français]

Mme Foulem: Parce que ce n'est pas clair.

Mme Hébert: Excusez mon ignorance, mais les trois millions de dollars et les huit millions de dollars seront-ils réinvestis par les provinces ou par les mécanismes du gouvernement fédéral?

Je suis vraiment contente d'entendre dire que la réalité de la flexibilité, comme le racontait ma collègue, fait partie de ce nouveau projet-là. Comme on vous le disait au début, notre présentation n'est pas une étude de tout l'ensemble du projet de loi. Nous sommes venues présenter ce qui est cher à ce qu'on appelle en anglais our constituency, the people we do represent.

[Traduction]

Mme Augustine: Si je dis cela, c'est vraiment pour m'assurer que lorsque que nous parlons de répondre aux besoins de la collectivité et au niveau local, les nouvelles prestations viseront à garantir un système juste et équitable. Je parlais plus ou moins de votre point de vue et de celui des différents clients dans les diverses régions du pays.

J'en viens maintenant à ma dernière question. Ce qui me préoccupe, c'est que 350 000 familles avec enfants et à faible revenu, dont les deux tiers ont des femmes chefs de famille, toucheront en moyenne 7 p. 100 de plus qu'à l'heure actuelle. J'aimerais savoir si vous avez examiné l'ensemble des prestations auxquelles aura accès cette forte proportion de femmes. Certaines d'entre elles, comme vous le dites, travaillent à temps partiel, mais nous parlons des familles dont le revenu est de 26 000 $ et moins.

[Français]

Mme Hébert: Nous n'avons pas directement abordé cette question-là. Par contre, ayant participé à des consultations avec les femmes en province, je puis vous dire, madame, que c'est le principe qui est très inquiétant. Quand on pense que les cotisations d'assurance-emploi seront perçus de façon individuelle, mais que les prestations seront fonction du revenu familial, c'est inquiétant.

On sait que le revenu familial, en général, est celui de l'homme et de la femme ensemble. La femme qui aura déjà gagné moins pendant qu'elle aura travaillé va se retrouver encore une fois avec moins d'argent dans ses poches, une fois qu'elle sera sur l'assurance-chômage, puisque cette assurance-là ne viendra combler que le manque à gagner pour amener leur revenu à environ26 000 $.

.1130

Ce qui est inquiétant, c'est le principe du revenu familial. Dans ce secteur-là, les femmes n'auront plus le droit de gagner autant que les hommes. C'est reprendre l'idée voulant que le salaire des femmes, oui monsieur, ne serve que d'appoint au salaire de l'homme.

[Traduction]

Le président: Au nom du comité, je voudrais vous remercier sincèrement de nous avoir fait part de vos principales préoccupations. Dans votre exposé, vous avez clairement fait ressortir ces points essentiels. En tant que membres du comité, nous vous en savons gré, et nous en tiendrons compte.

Mme Hébert: Merci.

Le président: Je tiens à vous signaler que demain, le mercredi 27 mars 1996, à 15 h 30, le ministre du Développement des ressources humaines comparaîtra devant le comité dans cette salle 237-C.

Il y a une autre formalité administrative que j'aimerais régler. J'aimerais déposer auprès du greffier une liste des documents qu'a reçus le comité permanent lorsqu'il étudiait les projets de loi C-111 et C-112; parmi ces documents se trouvent les résumés des études d'évaluation de l'assurance-chômage, les études d'évaluation proprement dites et certains autres rapports dont s'est servi notre comité - sans oublier les rapports que pourront consulter tous les membres du comité en vue d'améliorer ce projet de loi. Je demande au greffier de distribuer cette liste pour rappeler à tous de quelle documentation nous disposons.

[Français]

Mme Lalonde: Avez-vous un mémoire?

[Traduction]

Le président: Notre témoin suivant est M. Georges Campeau, de l'Université du Québec, et Jean-Guy Ouellet, avocat.

Soyez les bienvenus, messieurs, au Comité du développement des ressources humaines.

Nous savons pourquoi nous sommes ici. Nous essayons d'améliorer un projet de loi qui nous a été soumis. Nous avons déjà entendu le témoignage d'un certain nombre d'organismes et de particuliers canadiens quant aux moyens dont nous disposons pour améliorer cette mesure législative. Notre comité a tiré profit de la perspicacité d'un grand nombre de Canadiens qui ont déjà comparu, et nous avons hâte d'entendre vos observations au sujet de ce projet de loi, dans le but, je le répète, de l'améliorer. Merci beaucoup de votre présence.

.1135

Nous avons environ une demi-heure à vous consacrer. En général nous réservons 10 à 15 minutes pour l'exposé proprement dit, lequel est suivi d'une période de questions et réponses - ce que les membres du comité apprécient le plus, car cela leur permet de se concentrer sur certains des principaux points que vous soulevez.

Encore une fois, soyez les bienvenus. Vous avez la parole.

[Français]

M. Georges Campeau (professeur, témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président. J'aimerais faire une petite mise au point concernant la procédure. Je m'appelle Georges Campeau. Moi et mon collègue, Jean-Guy Ouellet, sommes des avocats spécialisés en droit de l'assurance-chômage. Je suis également professeur à l'Université du Québec à Montréal.

Malheureusement, à cause du temps réduit que nous avons eu pour nous préparer, nous vous remettons notre mémoire ce matin. Nous n'avons pu vous le remettre avant. Évidemment, il n'est que dans la langue de Molière. On voulait vous en faire des copies, mais on n'en a pas eu le temps. Il contient de petites erreurs. Premièrement, il n'est pas seulement de moi, mais il est entériné par nous deux.

Je vais vous expliquer en gros ce qu'on retrouve dans ce mémoire. Ce sont des questions d'ordre plus général concernant l'orientation de l'assurance-chômage et certaines mesures que l'on considère inéquitables et même carrément inconstitutionnelles.

Je vais faire la présentation et mon collègue, Jean-Guy Ouellet, va aborder des questions juridiques plus précises. Ensuite, on pourra entamer le débat. Essentiellement, notre mémoire soulève trois points.

Le premier point est le suivant. On considère que le projet de loi C-12 s'inscrit dans les réformes dont a été l'objet le régime d'assurance-chômage depuis 1990. Cela remet en question les orientations fondamentales du régime, notamment l'aspect de la solidarité entre les différentes régions canadiennes et par rapport à un type particulier de chômage, c'est-à-dire le chômage saisonnier.

Deuxièmement, nous avons des remarques sur le changement d'orientation du régime depuis 1990. Cette tendance, vous le savez, va être accentuée avec le projet de loi C-12. Il y a un changement d'orientation du régime en ce sens que, depuis que l'État s'est retiré de la caisse d'assurance-chômage en 1990, on finance de plus en plus d'autres types de mesures.

Je pense entre autres à toutes les mesures d'employabilité et de formation et même aux coupures dans la caisse d'assurance-chômage. Nous pensons que cette orientation pose des problèmes d'équité importants pour les gens qui cotisent au régime d'assurance-chômage, donc pour les assurés.

Nous pensons également que cette réorientation du régime va à l'encontre des dispositions constitutionnelles prévues à l'alinéa 91(2)a) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui porte sur la compétence du gouvernement canadien en matière d'assurance-chômage.

Je vais prendre ces points un par un. Il est important de se rappeler que le régime canadien d'assurance-chômage a été mis sur pied à la suite d'un amendement constitutionnel en 1940. Je pense qu'il est très important d'avoir cela à l'esprit. Je vous rappelle certaines notions d'histoire. Essentiellement, le gouvernement conservateur de M. Bennett avait présenté un projet de loi, en 1935, qui portait, entre autres, sur ce volet important de l'assurance-chômage.

Ce projet de loi a été invalidé en 1937 par le Conseil privé de Londres, qui était à ce moment-là la dernière instance juridique responsable au Canada.

.1140

On disait alors que la mise sur pied d'un régime d'assurance-chômage s'apparentait à de l'assurance privée et que l'assurance privée relevait du droit civil, affectait le contrat de louage de travail et donc relevait de la compétence des provinces.

En 1940, il y a eu un amendement constitutionnel, sur lequel toutes les provinces canadiennes étaient d'accord, pour remettre cette compétence au Parlement du Canada, donc au gouvernement central. Je soulignerai que la compétence qui a été conférée à ce moment-là ne portait que sur l'assurance-chômage; c'est-à-dire que les provinces se sont entendues sur un amendement constitutionnel qui avait pour objet de remettre au gouvernement du Canada la responsabilité des questions ayant trait à l'assurance-chômage.

Je continue dans cette perspective historique pour vous dire que lorsque le régime d'assurance-chômage a été mis sur pied, en 1940, le Canada était en guerre depuis quelques mois. Cela suivait aussi la grande dépression des années 1930, où les Canadiens et les Canadiennes avaient connu des taux de chômage extrêmement élevés, une grande détresse, une grande misère. Donc, pour remédier à cette situation, on a décidé de mettre sur pied un régime d'assurance-chômage.

Il est important de noter qu'on a alors choisi la technique de l'assurance sociale avec financement tripartite, où non seulement les employeurs et les employés étaient appelés à contribuer au régime, mais également l'État. Il est important de voir que le gouvernement se reconnaissait une responsabilité par rapport au chômage parce que c'est la dimension assurance sociale qu'on retrouve dès le départ dans notre régime d'assurance-chômage.

Tout de suite après la fin du conflit de 1939-1945, on a assisté à une expansion du régime, de sorte que la population couverte par le régime est passée de 42 p. 100 en 1941 à plus de 75 p. 100 en 1955 et à 96 p. 100 en 1971.

L'optique était la suivante: on demandait au plus grand nombre de Canadiens et de Canadiennes de cotiser au régime, notamment pour mettre en place un régime de solidarité envers les personnes ou les régions qui étaient le plus affectées par le chômage.

Dès le départ, on s'est préoccupé d'être solidaire des régions les plus affectées par le chômage - évidemment on pense aux Maritimes, mais ce n'est pas la seule région au Canada - , et cette préoccupation a été constante durant toute l'existence du régime d'assurance-chômage.

D'ailleurs, à la page 3, je vous fais un historique de l'économie canadienne. Je vous dis que cette dernière a toujours eu un volet saisonnier important - je ne vous apprends rien - dans la mesure où l'économie a longtemps été axée sur le développement des matières premières. Et, l'économie canadienne étant axée sur les matières premières, certains types d'emplois ou d'occupations - je pense aux pêches, aux forêts - étaient reliés à cette économie saisonnière.

On s'est dès le départ préoccupé de protéger l'ensemble des Canadiens et Canadiennes, non seulement les gens qui occupaient un emploi à temps plein mais également les gens qui occupaient des emplois saisonniers.

Au renvoi numéro 6, vous trouvez une citation dans laquelle on voit que les gens qui ont pensé le régime dès le départ - le premier projet de loi a été présenté en 1935 - avaient ces considérations de solidarité et voulaient organiser le régime d'assurance-chômage qui tienne compte des écarts entre les différentes régions.

D'ailleurs, dans la déclaration qu'avait faite le premier ministre Bennett au Parlement, en 1935, lorsqu'il avait présenté ses mesures de new deal, il faisait état de la préoccupation de corriger un certain nombre d'inégalités au moyen du régime d'assurance-chômage. C'était la pièce maîtresse de ce new deal, non seulement entre les individus différemment affectés par le chômage, mais également entre les régions.

Je voudrais vous citer un extrait de cette déclaration du premier ministre Bennett qu'on trouve à la page 4. J'attire votre attention sur la dernière partie de cette citation:

.1145

Évidemment, c'est par souci de mettre sur pied un régime d'asssurance sociale équitable pour les différentes régions du pays, ce qui a toujours été une caractéristique essentielle du régime canadien d'assurance-chômage. D'autre part, répartir le coût du chômage entre les différentes régions est également une contribution de l'État au chômage.

Je voudrais souligner maintenant qu'en 1935, quelques années avant le Canada, les États-Unis d'Amérique s'étaient déjà dotés d'un régime d'assurance-chômage. Mais la caractéristique de notre régime était une approche beaucoup plus solidaire puisque notre régime prévoyait une contribution de l'État et, également, une assiette plus grande de contribution entre les différentes régions du Canada.

Maintenant, à quoi sommes-nous confrontés depuis 1990? Il y a une mesure qui me semble extrêmement importante dans le projet de loi C-12, et c'est la fameuse mesure qui prévoit une période fixe pour déterminer le montant des prestations.

Le projet de loi C-12 continue le démantèlement de la protection accordée par le régime aux sans-emploi. Ainsi, un élément clé du projet de loi est la création d'une période fixe continue pour déterminer le montant de la rémunération assurable indépendamment de la période de travail. Ainsi, le salaire servant à déterminer le montant des prestations ne sera plus fonction des dernières semaines de travail mais d'une période fixe variant des 14 aux 20 dernières semaines de calendrier, que la personne ait travaillé ou non durant cette période.

Vous comprenez que l'impact de cette mesure, et je pense notamment aux régions périphériques, aux Maritimes, va être considérable en ce qui concerne la diminution de la rémunération assurable pouvant servir aux prestations. C'est très important.

D'ailleurs, si vous examinez le projet de loi C-12, vous verrez que certaines mesures essaient d'en limiter la portée. Du moins, on a prévu un échéancier dans le temps, à la fin duquel la Commission devra faire un rapport à la Chambre, le 31 décembre 1998.

Je pense, évidemment, que c'est la mesure la plus grave, qui remet le plus en cause, dans le projet de loi C-12, les orientations premières du régime qui voulait être un régime de solidarité, en particulier envers les régions, ce qui nous caractérisait par rapport au régime américain.

Le deuxième sujet que je voudrais aborder est le changement d'orientation qu'a connu le régime depuis 1990. Évidemment, on parle actuellement de C-12 et d'une réforme de l'assurance-chômage.

De mon point de vue, certes, c'est une réforme, mais c'est davantage la continuation d'une réforme qui a déjà été amorcée par le gouvernement conservateur en 1990 et poursuivie en 1993 et 1994 au niveau du Budget, et on est en fin de compte dans la quatrième phase de cette réforme.

Je voudrais souligner l'iniquité de cette mesure pour la simple raison que l'État utilise de plus en plus les cotisations de l'assurance-chômage à des fins autres que le paiement des prestations d'assurance-chômage.

Cela nous apparaît une mesure très inéquitable pour les gens qui cotisent au régime et qui, éventuellement, ne peuvent pas en bénéficier.

J'aimerais ici me référer à mon texte pour développer, dans un ordre chronologique, les différents changements qui sont intervenus.

Les principales étapes du changement d'orientation du régime: En 1977, différentes mesures portant sur le travail partagé, la création d'emplois et la formation furent introduites dans la loi. Ces mesures, qualifiées ces dernières années de «mesures actives», permettent notamment à un prestataire de l'assurance-chômage de recevoir des prestations alors qu'il suit un cours auquel il a été référé par la Commission.

.1150

Notons qu'en 1977, ces mesures étaient financées à même la contribution du gouvernement fédéral à la caisse de l'assurance-chômage. En 1990, des changements importants sont apportés au régime, qui vont modifier de façon substantielle son orientation. Ainsi, avec la réforme de 1990, l'État cesse sa contribution financière tout en augmentant les sommes d'argent prélevées dans la caisse de l'assurance-chômage pour financer ces mesures «actives».

Vous voyez donc qu'on a augmenté les sommes d'argent consacrées aux mesures «actives» que je viens d'énumérer et qu'en même temps l'État s'est retiré de la caisse de l'assurance-chômage. Il est donc simple de comprendre que cela a créé un déficit. De quelle manière compensera-t-on le déficit? Par une hausse des cotisations ou par des coupures dans le régime?

Depuis 1990, on a assisté aux deux phénomènes, en particulier à des coupures importantes dans le régime. C'est grâce aux coupures dans le régime que ces mesures ont pu être financées. Il est important de voir que ces coupures dans le régime ont eu un impact considérable sur l'admissibilité de certains et certaines assurés, notamment les gens qui avaient certainement le plus besoin du régime d'assurance-chômage.

Je vous donne un exemple et je me réfère à la conférence de presse qu'avait donnée Mme Barbara McDougall lorsqu'elle avait présenté sa stratégie de mise en valeur de la main-d'oeuvre en 1989. On avait fait remarquer, à ce moment-là, que la première série de coupures dans le régime d'assurance-chômage aurait pour effet d'exclure 30 000 personnes du système d'assurance-chômage, 30 000 Canadiens et Canadiennes de partout au Canada qui seraient contraints de recourir à l'aide sociale.

Vous voyez que les différentes coupures qui ont été faites dans le régime d'assurance-chômage depuis 1990 se sont traduites par un appauvrissement considérable de la population canadienne. Il est bien beau, deux semaines avant Noël et une semaine après le Jour de l'An, de vouloir aider les gens démunis et sans emploi au moyen de toutes sortes de banques alimentaires, mais il faut également être conscient que cet appauvrissement est la conséquence des coupures qui ont été faites dans le plus gros régime de sécurité du revenu au Canada: l'assurance-chômage.

D'ailleurs, lors de cette première vague de mesures, en 1990 - et je me réfère à des études faites par le gouvernement du Québec, le ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu - , on avait dit que la première vague de coupures de 1990 amènerait 10 000 personnes de plus à l'aide sociale au Québec. Parmi ces 10 000 personnes exclues, on trouve en majorité des jeunes, des femmes et des chefs de familles monoparentales.

Vous voyez donc que cette nouvelle orientation du régime est préjudiciable à l'égard des personnes qui ont un emploi précaire et qui ont le plus besoin de recourir à la protection du régime d'assurance-chômage.

Maintenant, je reviens au projet de loi C-12 dont nous nous occupons et j'attire votre attention sur la page 7 de mon mémoire, au deuxième paragraphe.

Le projet de loi C-12 prévoit l'admissibilité à des mesures de formation, non seulement de prestataires d'assurance-chômage mais également de personnes ayant touché des prestations au cours des trois dernières années.

Il s'agit d'un changement extrêmement important par rapport à ce qui existait auparavant. De cette façon, le régime financera une partie de plus en plus importante des mesures d'employabilité financées auparavant au moyen du Régime d'assistance publique du Canada et relevant actuellement de l'aide sociale par une exclusion d'un plus grand nombre de personnes de la protection de base que le régime d'assurance-chômage devrait leur fournir. Le gouvernement fédéral peut ainsi maintenir une présence active dans le financement de l'aide sociale tout en diminuant ses transferts dans le cadre du nouveau Transfert social canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Dans le Budget de 1995, il y a eu une diminution importante des budgets qui se regroupent maintenant dans le nouveau Transfert social canadien en matière de santé et de programmes sociaux. En fait, on a déplacé le problème; c'est-à-dire qu'une partie de l'aide sociale ne sera plus assumée par ce transfert canadien mais plutôt par la caisse d'assurance-chômage.

Aussi, une partie importante du régime de dernier recours sera assumée par les cotisations d'assurance-chômage, les travailleurs au bas de l'échelle fournissant un effort démesuré, soit 2,95 p. 100 de leurs salaires, pour financer ce régime de formation professionnelle.

.1155

Je pense qu'il est extrêmement important de voir que le régime d'aide sociale, notamment la contribution du gouvernement fédéral via le Régime d'assistance publique du Canada, est un régime qui se veut solidaire des plus démunis de la société puisque les gens ayant un haut revenu y contribuent.

Mais si vous devez faire une ponction dans la caisse d'assurance-chômage, les gens vont y contribuer sur la base d'un impôt régressif. Je ne devrais pas employer le mot «impôt» parce que c'est une cotisation, mais la contribution va être régressive dans la mesure où quelqu'un qui gagne 30 000 $ par année, par exemple, va contribuer maintenant à raison de 2,95 p. 100 de son salaire. Et quelqu'un qui gagne 100 000 $ ne paiera pas davantage parce que vous savez que c'est plafonné. Si on diminue le plafond à 39 000 $, il est clair que c'est un impôt régressif avec lequel on veut financer l'aide sociale.

Comme je l'ai souligné tantôt, la présence d'un surplus aussi énorme dans la caisse de l'assurance-chômage pose une question d'équité envers tous les Canadiens et les Canadiennes, envers tous les parlementaires. Comment peut-on demander à des gens de cotiser à un régime d'assurance-chômage, à raison de 2,95 p. 100 de leur salaire, et se servir de cet argent-là en leur disant qu'ils auront de moins en moins accès à ce régime parce qu'on on va se servir de cet argent pour payer une autre chose qui devrait, en fin de compte, relever du Fonds du revenu consolidé? C'est l'enjeu de ce projet de loi et c'est extrêmement inéquitable.

Tous les gens qui ont un faible revenu, qui ont besoin de cette protection de l'assurance-chômage et qui cotisent, comme les gens des Maritimes auxquels on veut faire subir des coupures, sont en droit de recevoir ces prestations. On leur dit qu'ils n'y ont pas droit parce qu'on va s'en servir pour financer autre chose. Ce sont évidemment des mesures qui, dans cette nouvelle orientation, sont inéquitables.

Je reviens à mon point de départ, la question de la constitutionnalité. Comme je dis souvent à mes étudiants, quand on parle de programmes sociaux ou d'autre chose au Canada, on ne passe jamais à côté de la Constitution. C'est quelque chose d'important.

Je vous rappelle ce que je vous disais tantôt, à savoir que le gouvernement du Canada, et j'ai d'ailleurs inclus dans mon texte une citation de la fameuse décision du Conseil privé en 1937, avait statué que l'assurance-sociale, de façon générale, était un mécanisme technique qui relevait des provinces.

Un amendement constitutionnel a été adopté en 1940, conférant au gouvernement fédéral une compétence en matière d'assurance-chômage. On n'a pas conféré au Parlement du Canada de compétence pour autre chose. Essentiellement, on lui a conféré la compétence de percevoir des cotisations pour le versement de prestations d'assurance-chômage. Or, que fait-on actuellement? Je vous l'ai expliqué tantôt. On ne verse pas ces prestations aux gens qui ont cotisé, sinon de moins en moins, et on s'en sert à d'autres fins. Personnellement, je pense que cette façon de procéder pose des questions très sérieuses en ce qui concerne la constitutionnalité de ces mesures.

Vous voyez donc qu'au moyen de ces cotisations, non seulement le gouvernement fédéral s'en va dans des champs de compétence provinciale, la main-d'oeuvre et l'aide sociale, mais il le fait au détriment de gens qui seraient en droit de recevoir ces prestations. Cela m'apparaît extrêmement important parce que, sur le plan constitutionnel, le gouvernement du Canada a la compétence de percevoir des cotisations pour verser des prestations, et j'insiste là-dessus. Donc, on perçoit des cotisations et on s'en sert à d'autres fins. Ça pose des problèmes d'iniquité, et ça pose également des problèmes sur le plan constitutionnel.

Je fais d'ailleurs, dans mon mémoire, un parallèle avec une décision rendue par la Cour du Québec impliquant le régime québécois d'assurance automobile. La Cour a statué qu'on ne pouvait s'approprier l'argent qui était destiné à payer des indemnités aux victimes d'accident et s'en servir à d'autres fins. La Cour supérieure du Québec a déclaré que ces dispositions-là étaient ultra vires.

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Je veux simplement dire par là que le raisonnement s'applique à plus forte raison dans le cas de la Constitution du Canada parce que ce concept d'assurance-chômage, d'assurance sociale est dans la Constitution.

Je voudrais souligner, avant de terminer, une autre dimension sur le plan constitutionnel. Cette nouvelle orientation, qui est de se servir des cotisations à des fins autres que celle de payer des prestations, est basée sur des coupures et des restrictions dans le régime de l'assurance-chômage.

À mon point de vue, ces restrictions ont un effet discriminatoire auprès de certains groupes de personnes. Je vous ai expliqué tantôt que la première réforme de 1990 avait eu un impact par rapport à certains groupes au Québec - il y a eu des études - , notamment sur les femmes et les groupes monoparentaux.

Je voudrais vous faire remarquer qu'on ne parle pas uniquement de discrimination directe, mais également de discrimination indirecte par suite d'effets préjudiciables.

Du fait de cette orientation de la caisse, les mesures législatives qui en découlent ont un effet discriminatoire à l'égard de certains groupes. Je pense évidemment aux femmes canadiennes qui sont, comme on le disait tantôt, défavorisées au niveau de l'emploi.

Dans les grandes lignes, c'est essentiellement ce que nous voulions vous dire. Vous comprendrez, évidemment, que devant un constat aussi sévère, nous n'avons pas envisagé d'amendements. Comme vous le savez, certaines questions constitutionnelles sont soulevées et je pense qu'on ne peut pas faire dans la dentelle.

Je passe la parole à mon collègue Jean-Guy Ouellet.

M. Jean-Guy Ouellet (avocat, témoignage à titre personnel): Merci.

Nous n'avons pas l'intention d'examiner tous les articles, mais plutôt d'attirer votre attention sur trois éléments de votre réforme qui nous semblent donner des résultats tout à fait contraires aux objectifs prévus par cette réforme.

Le premier élément, c'est la période de base qui est prévue à l'alinéa 14(4)a) du projet de loi C-12. Moi, je suis le praticien. Le théoricien vient de parler. Je vais vous donner trois exemples qui démontrent bien l'iniquité et l'absurdité de cette période fixe, le calendrier.

Le premier exemple est celui d'un travailleur qui fait une demande en novembre 1996. Depuis 16 semaines, ce travailleur, parce que son employeur a des difficultés, travaille 14 heures par semaine à 10 $ l'heure. Son entreprise ferme et il fait une demande d'assurance-chômage au mois de novembre 1996. En vertu de la période de base, l'arrêt de rémunération survient à la fin de son emploi. Les 14 heures à 10 $ l'heure lui donnent 140 $ par semaine, ce qui est exclu des emplois assurables jusqu'au 31 décembre 1996.

Même si cela fait 25 ans qu'il travaille à temps plein et que dans les 16 dernières semaines il a travaillé seulement 14 heures à 10 $ l'heure, son taux de prestation ou les prestations qu'il recevra seront de zéro. Puisqu'on prend la période fixe de calendrier à partir du dernier arrêt de rémunération et que le calcul sera effectué sur les 16 dernières semaines de calendrier et que ces 16 semaines ne sont pas assurables au sens de la loi, il ne recevra aucune prestation.

Voilà donc le premier exemple de cette notion de période de base qui donne des résultats totalement farfelus.

Deuxième exemple: Une travailleuse en garderie doit, en raison de son travail, faire un retrait préventif dès qu'elle apprend qu'elle est enceinte. Au bout de 35 semaines, elle fait sa demande de prestations. Elle demande des prestations spéciales de grossesse et des prestations parentales. L'arrêt de rémunération tel qu'interprété par la Commission ne survient qu'au moment où les prestations de retrait préventif cessent.

On va donc reculer de 16 semaines, et pour les 16 semaines, elle n'aura aucune rémunération assurable puisque les sommes qu'elle reçoit de la CSST ne sont pas des sommes assurables. Par conséquent, ces prestations spéciales seront de zéro.

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Vous avez là un deuxième exemple de l'effet de la clause sur l'arrêt de rémunération.

Troisièmement, pour un employé sur appel, la réforme propose que les personnes travaillent de façon plus régulière pour accumuler des heures. C'est la supposée logique qu'on présente.

Prenons l'exemple d'une personne qui est sur appel, qui a fait un long remplacement de 12 semaines, par exemple, et que l'employeur appelle pour trois heures huit ou dix semaines plus tard, alors qu'elle est en période de prestations. Lorsqu'elle travaillera ces trois heures, cela déclenchera la période de base à partir du 1er janvier 1997, puisque chaque heure est assurable, et lorsqu'on reculera à partir de ces trois heures travaillées, on retrouvera éventuellement trois heures, plus une ou deux semaines à temps plein, et ce sera la somme qui servira à établir ses prestations. Cela est basé sur l'élément de la période de base.

Un autre amendement nous apparaît tout à fait contraire à l'esprit du Parti libéral lorsqu'il était dans l'opposition, et c'est plus particulièrement l'amendement qui est inséré à l'alinéa 29a) de la Loi. Dans les notes explicatives que la Commission vous a fournies à 29a), on vous indique que c'est pour contrer les effets d'une décision récente de la cour qui fait en sorte qu'une exclusion pour départ volontaire ou pour congédiement en raison d'inconduite ne puisse s'appliquer en cours de période de prestations.

L'exclusion totale est prévue depuis C-113, et j'ai eu l'honneur de lire des lettres signées par le ministre actuel Martin et le premier ministre Chrétien qui disaient que les exclusions totales n'avaient pas de bon sens dans ce cadre-là. Cet amendement va permettre à la Commission, contrairement à un arrêt très récent qui vient d'être rendu, d'appliquer une exclusion totale en cours de période.

Je vous donne un exemple, celui d'un travailleur ou d'une travailleuse qui, éventuellement, quitte son emploi du fait que ses enfants ont eu des problèmes d'adaptation ou sont délinquants en Alberta. C'est un exemple de jurisprudence, d'une décision récente. Elle quitte l'Alberta pour revenir au Québec, et on juge qu'elle avait peut-être des motifs valables personnellement, mais que ce n'était pas un motif au sens de la loi. On l'a exclue totalement. En cours de période de chômage, elle serait exclue jusqu'à la fin de sa période, et par la suite, elle serait réexclue puisque cet emploi qu'elle a quitté ne pourrait servir à une autre demande de prestations. Cela veut dire que, contrairement aux positions que le Parti libéral avait au moment de l'adoption de C-113, on augmente l'effet d'une exclusion totale.

À l'époque, le parti qui est maintenant au pouvoir, alors qu'il était dans l'opposition, disait que cela n'avait aucun sens de maintenir cette exclusion totale. On permet à la Commission, par cet amendement, de la faire autant sur une période actuelle que sur une autre période, et on ne propose pas de mesures, ce qui est un vide à notre point de vue car on se serait attendu que le Parti libéral en apporte, qui permettraient de circonstancier cette exclusion totale.

On parlait d'harmonisation avec les États-Unis, mais dans plusieurs États des États-Unis, c'est moins radical qu'au Canada. La clause d'exclusion pour les abandons volontaires sans motif et les congédiements pour inconduite est, dans plusieurs États américains, moins sévère que celle qui est actuellement en vigueur au Canada, et on tente de l'élargir par l'alinéa 29a).

Enfin, près de 15 p. 100 de la caisse d'assurance-chômage sert à des mesures actives. On a parlé d'inconditionnalité. Les dispositions proposées semblent se diriger vers 20 p. 100 de l'utilisation de la caisse pour des mesures dites «actives». Il nous semble que les gens qui cotisent devraient avoir un droit d'appel en cas de refus.

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Si 20 p. 100 de la caisse passe par des directives administratives, comment se fait-il qu'il n'y ait pas de processus d'appel? Cela peut être jugé inconstitutionnel.

Je voudrais vous faire remarquer qu'à bien des égards, les amendements, plus particulièrement sur la période de base, sur cette notion d'arrêt de la rémunération qui débute pendant la période de base, ont des effets tout à fait ridicules dans plusieurs situations. À notre point de vue, cela va à l'encontre des objectifs énoncés à l'époque par le ministre Axworthy dans sa documentation.

Je vous remercie.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Augustine): Merci beaucoup.

Vous avez utilisé presque tout le temps qui vous était imparti. En conséquence, chaque parti ne pourra poser qu'une brève question.

[Français]

Mme Lalonde: Je vous remercie beaucoup. C'est extrêmement intéressant. Je vais vous poser une question d'ordre général.

Vous avez dit d'une certaine manière, tous les deux, qu'il est difficile de modifier ce projet de loi parce qu'il est contraire à l'orientation prévue et à la couverture des besoins des gens.

Pensez-vous cependant qu'il faudrait une réforme de certains aspects couverts par le projet de loi actuel, si on accepte le fait qu'il y a actuellement un surplus de 5,8 milliards de dollars, et qu'une réforme ne devrait pas avoir pour objectif des coupures supplémentaires?

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Augustine): Je vous demanderais de répondre brièvement.

[Français]

M. Campeau: Puisqu'on se pose beaucoup de questions sur l'équité, s'il y a un amendement qui peut être apporté, ce serait peut-être de rendre plus équitable le mécanisme de cotisation au régime.

Je m'explique. Avec le projet de loi C-12, on abaisse le mécanisme de cotisation; c'est-à-dire que les gens qui ont les plus hauts revenus vont cotiser moins. On abaisse ce plus haut revenu à 39 000 $, mais je ne sais pas ce que ça peut représenter comme économie pour le gouvernement.

Par contre, on va mettre à contribution des gens dès la première heure et, comme il a déjà été mentionné, ce sont des gens qui, souvent, ne seront pas être admissibles au régime.

Je pense donc qu'il y aurait lieu d'au moins réaménager les cotisations à la hausse.

Je vous disais tantôt que le régime est inéquitable au niveau des cotisations et que quelqu'un qui gagne 100 000 $ ne paye pas davantage. Les Canadiens et les Canadiennes qui ont un haut revenu devraient, pour le moins, contribuer davantage. Par conséquent, le plafond devrait évidemment être relevé.

M. Ouellet: À ce sujet, la caisse d'assurance-chômage va avoir un surplus accumulé de 5,8 milliards de dollars. Pour ma part, je suis d'accord sur ce discours et je crois qu'on doit rendre le régime plus accessible. Je constate cependant que les mesures vont à l'encontre de ce discours.

Je ne vois pas comment on peut aider, en les appauvrissant, les gens qui travaillent à temps partiel. On veut surtout éliminer le premier aspect, c'est-à-dire le système d'heures, dès la première heure. Ce sont des gens qui travaillent moins de 15 heures. Avec cette façon de calculer les prestations, il est bien clair qu'on ne les aide pas. On les fait contribuer à la caisse sans leur donner l'accès à la caisse, ou en leur donnant un accès tellement ridicule à la caisse qu'ils doivent contribuer 1 $ pour recevoir 25 cents.

.1215

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Augustine): Monsieur McCormick, soyez bref, je vous prie

M. McCormick: Merci beaucoup, messieurs, de votre exposé, et surtout du rappel historique de l'assurance-chômage que vous nous avez fait. Les temps changent, de toute évidence. Dans les années 30, 40, 50, et même le début des années 60, le soutien du revenu semblait suffisant, mais aujourd'hui, en raison des suppressions d'emplois, la plupart des gens se rendent compte qu'il faut vraiment aider les chômeurs à retrouver un emploi. Je vous rappelle également que les travailleurs saisonniers n'étaient même pas visés par l'assurance-chômage avant les années 70.

Je voudrais profiter de l'occasion pour encourager tous mes collègues à appuyer chaleureusement les mesures directes d'aide à l'emploi prévues dans ce projet de loi, car il est essentiel que l'assurance-emploi puisse faciliter la transition des Canadiens au chômage vers un nouvel emploi, et si nous ne prenons pas ce genre de mesures, qui le fera à notre place? Quelles provinces, quels secteurs du gouvernement ont les fonds nécessaires pour aider ces gens à s'aider eux-mêmes?

Si nous voulons vraiment provoquer un changement d'attitude de la part des utilisateurs de l'assurance-emploi, c'est-à-dire une moins grande dépendance à l'égard des prestations, et leur donner la chance de retrouver du travail, il va sans dire que les mesures de réemploi actives auront une importance déterminante. Ma question est donc la suivante: n'approuvez-vous pas l'idée de prévoir davantage de mesures actives pour le réemploi, étant donné la nature du marché du travail en 1996?

[Français]

M. Campeau: Je voudrais faire une mise au point bien que je pensais avoir été suffisamment explicite. Je ne suis pas d'accord avec vous sur la question des travailleurs saisonniers. D'ailleurs, on s'aperçoit que dans le discours qui est véhiculé par les médias actuellement sur l'assurance-chômage, il y a plusieurs inexactitudes.

Cela a toujours été une préoccupation. Il est vrai que le régime était très serré lorsqu'il a été mis en application en 1940. Pourquoi? Parce que c'était sur une base expérimentale. On était dans un contexte de guerre très particulier. Mais très rapidement, le régime a voulu tenir compte de la problématique canadienne qui est une économie saisonnière avec du travail saisonnier, et ce n'est pas arrivé en 1970. Bien avant ça, dès 1955, des amendements ont été apportés pour tenir compte de cet aspect. Est-ce à dire que le régime d'assurance-chômage va être réservé aux gens qui sont dans les centres urbains où l'emploi est abondant et où il va s'appliquer également? Est-ce qu'il va y avoir une solidarité à l'égard de la question du chômage? Cela a toujours été une caractéristique essentielle du régime d'assurance-chômage.

Comme je vous l'ai dit dès le départ, toutes ces questions de prestations actives doivent être liées à une responsabilité par rapport à l'emploi, surtout quand on parle des travailleurs saisonniers. C'est important.

Vous savez, tout ce discours que vous véhiculez d'une certaine manière, à savoir que c'est l'assurance-chômage qui crée du chômage, ce n'est pas un discours nouveau, n'est-ce pas? C'est le discours qui était tenu avant que la Loi sur l'assurance-chômage ne soit adoptée en 1940.

Il est important d'avoir une politique de l'emploi et également une politique de protection suffisante.

En ce qui concerne les mesures de formation, je n'ai rien contre et mon collègue non plus, mais dans la mesure où elles sont financées à même le Fonds du revenu consolidé et non à même la caisse d'assurance-chômage. C'est un changement considérable et c'est ce qu'il faut voir. Je ne suis pas d'accord pour que ces mesures soient financées en appauvrissant une partie de la population.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Augustine): Merci beaucoup de votre témoignage et de nous avoir fait part d'un point de vue dont nous ne manquerons pas de tenir compte.

Je regrette de n'avoir pas pu vous donner la parole, monsieur Regan.

Merci beaucoup. La séance est levée jusqu'à 15 h 30 cet après-midi.

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