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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 25 novembre 1996

.1539

[Traduction]

Le coprésident (M. Duhamel): Bonjour, good afternoon.

Je copréside ce comité avec l'honorable Michel Dupuy, qui est actuellement absent. Il m'a demandé de vous transmettre ses cordiales salutations. Je crois qu'il connaît un certain nombre d'entre vous.

Nous procéderons aujourd'hui d'une façon légèrement différente. D'habitude, nous commençons par les témoins, que l'on encourage, car tout ce que je peux faire, c'est de les encourager, à s'en tenir à environ sept minutes ou moins. On leur donne des points pour bon comportement. Ensuite, les députés posent des questions. Bien sûr, les autres témoins peuvent en tout temps renchérir, contester, ajouter ou retrancher.

.1540

Nous introduirons aujourd'hui une légère variante, en ce sens que M. Grubel, qui est un collègue de la Chambre des communes, fera une déclaration. Sauf erreur, il m'a promis d'être très bref. Je lui ai dit que nous lui ferions savoir dès les premières minutes de son intervention dans quelle mesure ses propos nous semblent avisés. Je sais donc qu'il me surveillera du coin de l'oeil pour voir ma réaction.

Cela dit, monsieur Grubel, dans quelques instants, je vais vous permettre de faire une brève déclaration. Ensuite, je donnerai la parole aux témoins et, après avoir entendu leurs témoignages, nous passerons aux questions, si cela convient à tous.

Je crois que nous avons le quorum. Je suis accompagné aujourd'hui de mes collègues M. Cullen, M. Grubel, dont je viens de parler, et M. Penson. Le monsieur qui écoute, plongé dans ses réflexions, - quand je pense que certains disent que les députés n'écoutent pas - est M. Rocheleau.

[Français]

Voyez comme il est attentif aujourd'hui.

[Traduction]

Nous pouvons maintenant commencer.

M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Merci, monsieur le président. Je vous remercie de me permettre de me présenter devant vous aujourd'hui à titre d'économiste professionnel comptant 30 ans d'expérience dans l'enseignement des sciences économiques internationales.

La LMSI est fondée sur une théorie et des hypothèses économiques qui ne sont plus valables en cette ère de mondialisation des marchés et de l'information. D'après cette ancienne théorie, les pays importateurs subissent une baisse de leur bien-être général, parce que les importations dumpées et subventionnées acculent à la faillite les producteurs nationaux. Puis, les importateurs qui se sont rendus coupables de dumping augmentent leurs prix, récupèrent les pertes qu'ils ont subies en vendant antérieurement leurs produits à un prix inférieur au total du prix coûtant et des subventions gouvernementales, et empochent un profit par la suite. Les consommateurs des pays importateurs qui sont touchés par une telle politique de la part de pays étrangers se retrouveraient à payer des prix plus élevés en permanence, en plus de perdre leurs propres industries.

Dans le monde d'aujourd'hui, il serait vain pour les fournisseurs de n'importe quel produit de tenter de monopoliser un marché. Tous doivent soutenir une concurrence très efficace provenant de sources différentes et de produits diversifiés. Il n'est plus possible d'augmenter les prix et de les maintenir à des niveaux exorbitants.

Pour cette raison, le dumping et la vente de produits subventionnés par les exportateurs n'entraînent toujours que des coûts. Il n'est pas possible de récupérer les pertes. Par conséquent, j'en conclus que le dumping et les subventions ne sont pas rationnels.

Dans un monde rationnel, donc, personne ne serait avantagé par de telles politiques et elles n'existeraient pas. Dans un tel monde, la protection d'une loi comme la LMSI devient inutile. Le problème, c'est que les gouvernements et les entreprises ne sont pas toujours rationnels.

De nombreux pays, y compris le Canada, subventionnent leur production agricole. Il existe encore des subventions aux secteurs manufacturier et minier, mais elles deviennent de plus en plus rares.

La question est de savoir si une loi du type de la LMSI est la meilleure méthode pour s'attaquer à ce problème. Selon la théorie économique, la réponse est non. Il y a des distorsions qui amoindrissent l'efficacité du marché. Il faut éliminer la distorsion, et non pas en introduire une nouvelle.

Des accords internationaux fondés sur cette argumentation ont été mis en place pour éliminer dans le monde entier les subventions et le dumping. Des progrès ont été accomplis en ce sens, mais certaines pratiques subsistent, la plus notable étant les programmes d'aide agricole de l'Union européenne. Je reviendrai tout à l'heure sur la façon de s'y attaquer.

Dans le cas des subventions industrielles, un problème important est de porter un jugement empirique valable sur des subventions à la recherche fondamentale économiquement justifiables et sur des subventions non justifiables à la recherche appliquée et au développement. D'une part, il est valable de subventionner généreusement le secteur de la connaissance pure et de la recherche fondamentale. Mais les coûts associés à la recherche et au développement, surtout à la composante développement, devraient être absorbés par la compagnie. On ne devrait pas donner de subventions aux compagnies. Dans tous les pays industrialisés, y compris le Canada, on mêle les cartes à ce sujet.

.1545

Les subventions industrielles posent un deuxième problème, découlant de la différence entre le coût marginal et le coût moyen.

[Français]

M. Rocheleau (Trois-Rivières): J'invoque le Règlement, monsieur le président. L'interprétation du document ne se fait plus, non seulement parce que M. Grubel n'a pas produit son texte dans les deux langues, mais aussi parce qu'il va trop vite. Cela va à l'encontre de l'esprit de la Loi sur les langues officielles de ce pays. Je demanderais à M. Grubel de parler lentement.

M. Grubel: Encore une fois, c'est la même chose. Je regrette.

[Traduction]

Je vous demande pardon.

[Français]

M. Rocheleau: Pour l'interprète aussi.

[Traduction]

M. Grubel: D'accord.

Les subventions industrielles posent un deuxième problème, découlant de la différence entre le coût marginal et le coût moyen. À long terme, les prix doivent correspondre au coût moyen, mais en période de ralentissement économique, ils correspondent souvent au coût marginal seulement. En période de prospérité, les prix sont souvent plus élevés que le coût moyen et permettent de compenser les pertes subies pendant le ralentissement.

Le secteur sidérurgique canadien, en particulier, accuse l'International Trade Commission des États-Unis de mesures injustes parce que cette dernière insiste pour dire que les prix qui ne correspondent pas au coût moyen représentent du dumping et sont donc passibles de sanctions. Le président de l'IPSCO, Roger Phillips, a donné une conférence sur cette question à l'Institut Fraser. Je connais très bien cet argument et je suis d'accord avec lui, mais nous en faisons autant au Canada. Ces pratiques sont fondées sur de très mauvaises notions économiques. Il faut y mettre fin.

À la lumière de cette trop brève introduction aux notions économiques en cause, voici mes recommandations.

Premièrement, en ce qui concerne les produits agricoles. Tant que l'Union européenne ne se sera pas débarrassée de ses subventions agricoles massives, il y a lieu de conserver la LMSI pour le commerce avec l'Europe dans le secteur des denrées agricoles et des produits en aval, comme le vin. Il faudrait toutefois l'abandonner pour le commerce au sein de l'ALENA, non pas tellement parce qu'il n'y a pas de subventions, mais bien parce que les trois pays en cause en accordent également.

Je suis convaincu que le public canadien, américain et mexicain, par opposition aux producteurs de biens qui font concurrence aux importations, serait avantagé par cette politique.

Dans le cas du dumping de produits agricoles, le problème ressemble beaucoup à celui de la production de biens. Dans certaines conditions, il est économiquement justifié de vendre des biens au coût marginal. C'est particulièrement le cas lorsqu'une récolte exceptionnelle fait baisser les prix sur le marché intérieur et souvent même dans le monde, mais des récoltes exceptionnelles sont enregistrées de façon erratique autant aux États-Unis qu'au Canada. À long terme, il serait avantageux pour les producteurs des deux pays de vendre leurs biens au coût marginal de temps à autre sans être menacés de droits compensateurs.

Supposez, par exemple, qu'un fermier sème son blé en s'attendant à obtenir un certain rendement, permettant non seulement de payer le coût des semences, de la récolte et des engrais, mais aussi de payer l'intérêt sur sa machinerie agricole et sur son hypothèque. Mais parfois les récoltes sont tellement bonnes partout dans le monde que cette année-là, au moment de la récolte, le meilleur prix qu'on puisse en obtenir suffit à peine pour assumer le coût du transport des denrées agricoles jusqu'au marché. À ce moment-là, le producteur peut au moins récupérer ses coûts marginaux s'il peut exporter.

En retour, quand les Américains accepteront notre blé et les Mexicains aussi, quand cela arrivera, nous promettrons d'accepter certains de leurs produits à un prix inférieur au coût de revient entier, pendant les périodes où la conjoncture économique ou le mauvais temps ou une autre force quelconque les oblige temporairement à vendre leurs denrées à un prix qui ne correspond pas au coût de revient. Voici ce qui arriverait si nous faisions cela.

.1550

Imaginez comme ce serait bien si les États-Unis n'imposaient plus de droits sur les produits canadiens comme le bois d'oeuvre, le porc, les pommes de terre et les céréales, d'une part, et si, d'autre part, le Canada n'imposait plus de droits sur les produits américains comme les fruits et légumes, les pommes de terre et d'autres produits saisonniers. Comme ce serait bien si nous pouvions faire disparaître le risque que les producteurs mexicains s'organisent efficacement pour contrer le dumping de céréales canadiennes lors des récoltes exceptionnelles, alors que les cours sont souvent inférieurs au coût de production, tout en garantissant aux consommateurs canadiens un approvisionnement continu et à bas prix en denrées provenant des régions du Sud pendant nos hivers nordiques, sans aucune contrainte ni menace émanant de la LMSI.

Dans les secteurs manufacturier et minier, le caractère irrationnel de la protection assurée par des lois du type LMSI est bien connu de la plupart des conseillers techniques et politiques au Canada, aux États-Unis et au Mexique. L'opposition à tout changement à cet état de choses émane des politiciens américains et des industries visées qui les appuient. Cette situation s'explique par le fait que dans le système politique américain, où les mesures font l'objet de votes libres au Congrès, on peut très facilement convaincre individuellement chaque politicien d'appuyer les secteurs qui lui apportent des votes et de l'argent. Naturellement, ces industries tirent d'énormes bénéfices de telles mesures.

Gordon Ritchie m'a une fois montré un chiffre, que j'ai d'ailleurs oublié, qui prouvait que les restrictions à l'importation du bois d'oeuvre ont fait augmenter de plusieurs milliards de dollars la valeur des actions des compagnies américaines de produits forestiers. C'est pourquoi ces compagnies peuvent se permettre de payer les avocats les plus chers afin de prendre de telles mesures.

Je crois que le gouvernement canadien est tout à fait prêt à accepter l'élimination mutuelle et simultanée des lois qui interdisent le dumping et les subventions dans le cadre de l'ALENA, précisément pour les raisons que je viens d'énoncer. En fait, M. Chrétien, d'après ce livre que je suis en train de lire et qui est intitulé Double vision, en avait fait la demande au président Clinton après son élection en octobre 1993, mais à cause de la précarité des négociations à Washington et de ses tentatives de faire accepter cela à la Chambre, il n'a pas réussi à y donner suite. Nous avons essayé, mais nous n'avons pas réussi à obtenir cela.

Si nous le faisions, je crois que la population de tous les pays en cause serait avantagée. Je souscris à cette position du Canada et j'exhorte le comité à recommander à notre gouvernement de persister dans ses efforts en vue de conclure des accords pour l'élimination pleine et entière de toutes les mesures de protection de l'ALENA. De tels efforts se sont révélés vains dans le passé. Ne perdons pas tout espoir. Celui qui se serait aventuré à prédire la création de l'ALENA il y a 15 ans aurait fait rire de lui. Les mêmes arguments qui sont présentés aujourd'hui à notre comité à l'appui de la LMSI ont été entendus à l'époque par les comités qui examinaient la nécessité des droits de douanes et des quotas.

Nous avons avec nous aujourd'hui quelqu'un qui a vécu tout cela de façon très intense, M. Donald Macdonald. Pendant des semaines et des mois, il a consacré sa vie à entendre des témoignages en ce sens. Pourtant, et j'espère qu'il sera d'accord avec moi là-dessus, plusieurs facteurs se sont conjugués: la prise de conscience croissante du public relativement au coût de la protection pour les consommateurs et les utilisateurs en aval des biens ainsi protégés; les pressions politiques qui en sont résultées et la ténacité de certains dirigeants politiques désireux de laisser leur marque dans l'histoire, qui sont allés à contre-courant, ont tenu tête aux groupes d'intérêts qui défendaient leur fief, et nous ont donné l'ALENA et l'Organisation mondiale du commerce, le tout résultant en une baisse des tarifs douaniers et des quotas.

Je pense que si nous poursuivons dans la même veine, l'histoire se répétera, simplement parce que la protection du type de la LMSI est aussi mauvaise pour l'économie en général que pouvaient l'être les tarifs douaniers et les quotas.

En terminant, je voudrais aborder brièvement la question de savoir si, en l'absence d'une entente avec les États-Unis et le Mexique, le Canada devrait agir unilatéralement et éliminer la LMSI ou bien interpréter plus étroitement les règles de la LMSI pour ce qui concerne les importateurs américains. À titre d'économiste, je suis porté à suggérer le désarmement unilatéral. Bon nombre de mes collègues partagent mon point de vue. Pourquoi devrions-nous nous tirer dans le pied simplement parce que les Américains le font?

Leurs mesures dans le secteur du bois d'oeuvre ont fait augmenter le prix moyen d'une maison aux États-Unis de 2 000 $, tout en faisant monter de plusieurs milliards de dollars la valeur des actions des producteurs de bois des États-Unis. Les mesures ont donc coûté de l'argent à l'Américain moyen qui veut acheter une maison et ont enrichi ces grandes entreprises. Pourquoi devrions-nous en faire autant?

.1555

J'ai toutefois l'impression que cette recommandation sera considérée comme politiquement naïve et inacceptable. Tant pis, je ne me représenterai pas aux élections et, de toute façon, mon parti ne m'écoute pas quand je me prononce à titre d'universitaire.

Sur la question de savoir s'il faut faire preuve de fermeté avec les Américains, je m'exprime encore une fois à titre d'étudiant de l'histoire et des sciences économiques. Je ne crois pas qu'il soit sage d'agacer l'éléphant. Il est plus probable qu'il va écraser la souris plutôt que de l'écouter. Nous ne pouvons pas nous permettre de déclencher une guerre commerciale avec les Américains à propos du dumping et des subventions. La diplomatie, l'exposé des faits au sujet de l'intérêt national et les négociations patientes qui nous ont donné le miracle que représentent le libre-échange et la déréglementation du transport aérien, tout cela est beaucoup moins risqué et a beaucoup plus de chance de succès. Tenons-nous en à cette démarche, en la renforçant si nous le pouvons.

Je vous remercie de votre indulgence. Je m'excuse; j'aurais dû remettre une copie de mon texte à l'interprète.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Grubel.

Je voudrais maintenant commencer à entendre les témoignages des divers intervenants. Je donne d'abord la parole à l'honorable Donald Macdonald, du cabinet d'avocats McCarthy Tétrault de Toronto.

[Français]

L'honorable Donald Macdonald (avocat associé, McCarthy Tétrault (Toronto)): Merci, monsieur le président. Je dois dire aux représentants du Bloc québécois que nous avons ici un document en français et en anglais.

[Traduction]

Nous savons que le comité a comme principal mandat d'examiner l'effet qu'a eu la Loi sur les mesures spéciales d'importation sur l'économie du Canada et, en particulier, comment elle cadre avec les accords commerciaux conclus par le Canada. Mais mon but cet après-midi est de traiter d'une question plus vaste, mais connexe et qui est d'ailleurs tout à fait dans la même veine que la question posée par M. Grubel, à savoir pourquoi, dans le marché nord-américain plus vaste, nous devrions maintenir le recours à des droits antidumping sur les importations.

Les droits antidumping découlent du principe qu'il est injuste pour les marchands d'un pays A de vendre une partie de leur production dans le pays B à des prix qui sont inférieurs aux prix de vente normaux dans le pays A. Toutefois, ce n'est pas un principe que nous acceptons dans les marchés nationaux. Sous réserve d'une exception dont je vous entretiendrai dans un moment, si un marchand exploitant dans son propre pays choisit de vendre une partie de ses produits à des clients de ce pays à des prix inférieurs à ceux qu'il exige d'autres clients, personne n'a le droit de se plaindre. Ses concurrents peuvent ne pas aimer que ses prix moins élevés les désavantagent, mais si le marchand choisit d'accepter un rendement moindre sur ses produits, alors libre à lui de le faire.

L'exception a trait bien sûr à la Loi sur la concurrence. Lorsque les ventes démontrent une tendance à la discrimination entre les clients ou lorsque les ventes font partie d'une stratégie abusive visant à sortir les concurrents du marché, alors les lois sur la concurrence entrent en jeu.

À mon avis, maintenant que les économies américaine, mexicaine et canadienne ont retiré en grande partie les entraves au commerce entre elles, le marché nord-américain devrait être traité comme un seul marché pour les marchandises, et les droits antidumping entre les trois associés commerciaux ne sont plus justifiables - pas plus qu'ils le seraient dans un marché national. Si des inquiétudes devaient surgir au sujet des prix abusifs ou d'autres violations des lois sur la concurrence, il faudrait tout simplement conclure une entente internationale permettant de réprimer cette conduite.

[Français]

À mon avis, maintenant que les économies américaine, mexicaine et canadienne ont retiré en grande partie les entraves au commerce entre elles, le marché nord-américain devrait être traité comme un seul marché pour les marchandises, et les droits antidumping entre les trois associés commerciaux ne sont plus justifiables, pas plus qu'ils le seraient dans un marché national.

Si des inquiétudes devaient surgir au sujet des prix abusifs ou d'autres violations des lois sur la concurrence, il faudrait tout simplement conclure une entente internationale permettant de réprimer cette conduite. Je dois admettre qu'un tel accord n'est pas nécessairement et simplement conclu avec les Américains.

.1600

[Traduction]

Mon expérience dans ce domaine se situe davantage dans l'élaboration des politiques, comme M. Grubel l'a dit, plutôt que dans l'application au jour le jour de ces lois après leur adoption.

Au milieu des années 80, je prônais la conclusion d'un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. L'une de mes préoccupations à ce moment-là était que les recours commerciaux américains ne faisaient pas que corriger des injustices faites aux entreprises américaines, comme le permet le GATT, mais qu'ils constituaient un nouvel ensemble d'entraves au commerce en eux-mêmes.

Bon nombre des aspirations du Canada ont été réalisées dans l'ALE, mais l'espoir que prennent fin les entraves au commerce que constituent les droits antidumping et les droits compensateurs, comme ils sont pratiqués aux États-Unis, ne s'est pas réalisé. Les responsables du droit commercial américain ont été assignés à comparaître devant les tribunaux internationaux au cours des dernières années et ont été reconnus coupables dans un nombre démesurément important de causes.

Le mieux que les négociateurs canadiens ont pu réaliser en termes de modification des recours eux-mêmes a été un engagement des États-Unis aux termes de l'article 1906 de l'Accord de libre- échange d'entreprendre d'autres négociations portant sur les droits antidumping et les droits compensateurs. La période de sept ans prévue par cet article est expirée et nous ne sommes pas plus avancés.

Un indice que l'absence de progrès dans les négociations avec les États-Unis devrait préoccuper le Canada - et son Parlement - est le fait que la part du Canada de l'investissement étranger total direct est passée de 11 p. 100 en 1980 à 5 p. 100 en 1994! Cette situation a une sérieuse incidence sur la création d'emplois au Canada.

Des recherches entreprises pour Industrie Canada et Affaires étrangères et Commerce international indiquent qu'un point de pourcentage de cet investissement étranger direct aurait pu créer un million d'emplois à plein temps. Les deux partenaires du Canada au sein de l'ALENA, les États-Unis et le Mexique, ont augmenté ou maintenu leur propre part d'investissement au cours de la même période.

Selon moi, une des raisons de la perte de terrain du Canada face à ses partenaires de l'ALENA est le fait que les lois sur les recours commerciaux offrent plus de protection pour l'investisseur établi aux États-Unis ou au Mexique plutôt qu'au Canada.

Vous savez sans doute que mes collègues du cabinet McCarthy Tétrault et moi-même conseillons un certain nombre d'aciéries canadiennes, de sorte que je connais assez bien cette industrie et j'ai su que les lois commerciales américaines faisaient partie des raisons pour lesquelles Co-Steel/Dofasco et IPSCO ont établi de nouvelles aciéries aux États-Unis.

Certains d'entre vous ont peut-être lu l'article intitulé «Big steel's small future», paru dans l'édition du 23 novembre du Financial Post, traitant des investissements de Dofasco aux États-Unis. On y explique que ce sont en fait les barrières commerciales américaines qui ont été la principale motivation incitant un fabricant canadien d'acier, en fait plus d'un fabricant canadien d'acier, à s'installer aux États-Unis.

Le temps est venu d'effectuer une autre tentative pour éliminer les droits antidumping. Mais comment, pensez-vous, pouvons-nous convaincre les États-Unis, et plus précisément le Congrès, de négocier ce qu'ils ont constamment évité de négocier? Là-dessus, je diverge d'opinion avec M. Grubel, puisque je réponds: en infligeant à leurs entreprises une partie de la douleur qu'ils nous ont infligée. Si les États-Unis ne veulent pas négocier, alors le Canada devrait prendre toute mesure légitime pour les amener à la table de négociation.

[Français]

Le temps est venu d'effectuer une autre tentative pour éliminer les droits antidumping. Mais comment pouvons-nous convaincre les États-Unis, et plus précisément le Congrès, de négocier ce qu'ils ont constamment évité de négocier? En infligeant à leurs entreprises une partie de la douleur qu'ils nous ont infligée? Si les États-Unis ne veulent pas négocier, le Canada devra alors prendre toute mesure légitime pour les amener à la table de négociation.

[Traduction]

Je suggère aujourd'hui que le Canada exerce son droit légitime d'appliquer aux exportateurs américains, dans la mesure où ce régime plus rigoureux ne viole pas nos engagements aux termes des négociations avec l'Organisation mondiale du commerce, le même type de règles strictes appliquées par les États-Unis aux exportateurs canadiens aux termes des lois américaines antidumping.

.1605

Bon nombre d'hommes d'affaires américains seraient très heureux de pouvoir vendre à des prix inférieurs, sans pénalité, sur le marché canadien. Ils ne peuvent pas vendre aussi librement qu'ils le désirent sur le marché canadien en raison de notre système antidumping et ne s'attendent vraiment pas à ce que nous abandonnions notre système antidumping alors que leur propre pays maintient un système antidumping beaucoup plus contraignant que le nôtre.

Ce qui m'amène au point suivant, à savoir que les procédures américaines antidumping sont beaucoup plus rigoureuses que les nôtres, assez rigoureuses en fait pour faire d'un recours commercial une importante entrave au commerce pour les sociétés canadiennes qui désirent faire affaire aux États-Unis.

Les produits visés par les enquêtes américaines proviennent quelquefois d'importantes entreprises industrielles comme ce fut le cas des cinq plaintes de dumping à l'égard de l'acier qui mettaient en cause le Canada en 1992-1993. Mais plusieurs petits fabricants sont aussi touchés par les lois américaines sur les recours commerciaux comme dans la cause Limousines 1989 qui s'est terminée par la faillite de l'entreprise canadienne intimée et le retrait de la requête. Plus récemment, de petites entreprises canadiennes ont été mises en cause dans les procédures américaines pour droits compensateurs visant les revêtements de sol en bois dur laminé.

Monsieur le président, dans la reliure que j'ai remise au greffier du comité, j'ai joint en tant qu'annexe A une comparaison de l'application des lois canadienne et américaine antidumping qui, je crois, illustre bien la différence entre les deux. Je signale aussi que nous avons préparé un certain nombre de documents qui, nous l'espérons, aideront le comité dans ses délibérations et que nous déposerons auprès de vous aujourd'hui, notamment nos réponses au document intitulé «Revue de la Loi sur les mesures spéciales d'importation - questions clés». Nous espérons qu'ils vous seront utiles.

À la lumière de ce qui précède, vous pouvez constater qu'en se servant des lois antidumping comme d'un outil de protectionnisme administratif, les autorités américaines ont créé un autre ensemble d'entraves aux exportations canadiennes. Combiné aux programmes d'encouragement offerts aux entreprises canadiennes, principalement au niveau étatique aux États-Unis, pour investir aux États-Unis, les sociétés canadiennes ont été fortement incitées à s'implanter aux États-Unis. Les encouragements utilisés par les autorités américaines sont exactement les mêmes que ceux que les fonctionnaires américains ont reproché au Canada d'utiliser, par exemple, dans le domaine du bois d'oeuvre.

Nous n'irons nulle part en nous mettant en colère au sujet de cette double norme américaine, quelle que soit la satisfaction qu'on en tire. La meilleure chose à faire est de retourner contre eux leurs propres armes commerciales, lorsque nous pouvons le faire sans violer les lois commerciales bilatérales ou multilatérales. En fait, nous avons adopté récemment une telle approche avec la Loi Helms-Burton, en formulant une réplique rapide et vigoureuse à cette loi américaine sous la forme de lois canadiennes contrecarrant l'effet de cette loi et mettant en oeuvre le mécanisme de résolution des conflits aux termes de l'ALENA.

En terminant, j'invite donc les comités à examiner entièrement la question visant à recommander au Parlement et au gouvernement des modifications qui fourniront à l'Administration et au Congrès américains des raisons de modifier les lois américaines, de sorte que le Canada et les États-Unis, et le Mexique s'il le désire, pourront éliminer les droits antidumping du commerce nord-américain. Notre tout récent accord bilatéral avec le Chili, conclu la semaine dernière, nous en fournit d'ailleurs un exemple, puisqu'il prévoit l'élimination graduelle de ce recours.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Macdonald.

Je donne maintenant la parole aux représentants de l'Association du Barreau canadien. Qui sera le porte-parole, M. Dattu ou M. Cranker?

M. Riyaz Dattu (secrétaire-trésorier, Section nationale des taxes de vente et à la consommation, Association du Barreau canadien): Nous ferons la présentation tous les deux, mais je vais commencer.

Je suis accompagné de M. Glenn Cranker, qui est vice-président de la section des taxes de vente et à la consommation.

Notre Section est composée d'avocats spécialisés dans le domaine de la taxe de vente, de la taxe sur les produits et services, des douanes et du commerce international. Beaucoup de nos membres comparaissent régulièrement devant le Tribunal canadien du commerce extérieur et travaillent avec Revenu Canada, soit pour représenter des plaignants dans l'industrie canadienne, soit pour aider des exportateurs et des importateurs qui sont la cible de plaintes.

.1610

À titre de section de l'ABC, nous sommes également en contact quotidiennement avec des organismes du gouvernement canadien qui sont chargés d'administrer la législation canadienne en matière de douanes et de commerce. Par exemple, nous avons une réunion semestrielle avec les membres et le personnel du Tribunal canadien du commerce extérieur, par l'entremise d'un comité connu sous le nom de Comité barreau-magistrature ABC-TCCE.

Comme notre Section est composée de praticiens du droit qui représentent autant des intérêts canadiens qu'étrangers, nous nous efforçons toujours de présenter publiquement nos vues d'une façon équilibrée. C'est ce que nous tenterons de faire aujourd'hui.

Je voudrais d'abord demander aux membres du comité de consulter les pages 10 et 11 de notre mémoire. Ce texte est présenté en deux versions, en anglais et en français. Au bas de la page 10, à la question «Quelle est, selon vous, la question la plus importante à résoudre dans le cadre de l'examen de la LMSI?», notre réponse n'est pas sans ressembler à celle des deux intervenants que vous avez déjà entendus.

La Section estime que l'objectif essentiel, dans le cadre de l'examen de la LMSI, consiste à identifier les moyens grâce auxquels les parties de l'ALENA peuvent éliminer les lois antidumping pour la conclusion des transactions commerciales entre les trois pays membres. Il faudrait que toutes les décisions prises dans le processus d'examen soient guidées par un objectif unique, soit que le Canada doit obtenir de la part de ses partenaires de l'ALENA, et en particulier des États-Unis, un consentement à l'effet que les lois sur les droits antidumping et compensateurs n'ont rien à voir avec l'ALENA. Nous suggérons, à titre de mesure provisoire, d'envisager l'adoption d'une nouvelle disposition qui prévoirait une exemption réciproque.

Voilà donc notre position. Quant à savoir comment y parvenir, le débat est ouvert. Vous avez entendu deux points de vue, le premier de la part de M. Grubel, qui proposait le désarmement unilatéral, et l'autre de M. Macdonald, qui vous a parlé de mesures de rétorsion. Nos recommandations vont dans le sens de celles de M. Macdonald, mais elles sont tempérées par la position du Barreau canadien qui vise à défendre l'intérêt public.

Notre recommandation au comité est la suivante: il ne faut pas que des obstacles procéduriers ou de fond empêchent l'industrie canadienne de chercher à obtenir une protection contre le dumping et les importations subventionnées, si de tels obstacles ne font pas partie des codes du GATT dont le Canada est signataire. Autrement dit, notre gouvernement devrait faire tout en son pouvoir pour aider l'industrie canadienne à obtenir une protection contre le dumping et les importations subventionnées, pourvu que de telles mesures soient compatibles avec les obligations du Canada.

Cela peut, en certaines circonstances, exiger que notre législation se conforme à celle qui existe dans les pays commerçants avec lesquels nous sommes le plus susceptibles d'avoir des échanges commerciaux, y compris les États-Unis.

Le deuxième élément de notre position est qu'il faut établir un juste équilibre relativement à l'accès sans entrave à la deuxième étape du processus. Je m'explique. Le processus commence par le dépôt d'une plainte par un secteur industriel; si cette plainte est accueillie favorablement, elle aboutit à une décision rendue par le tribunal. C'est ce que nous appelons l'étape antérieure du processus.

L'étape postérieure, c'est la mise à exécution de cette décision par Revenu Canada et par le tribunal, s'il décide de faire rapport sur l'intérêt public. Nous croyons qu'à la première étape du processus, il faut avoir accès sans entrave à tous les recours prévus par les codes du GATT. À la deuxième étape, nous répondons aux préoccupations éventuelles des industries en aval au moyen d'une disposition sur l'intérêt public et de mesures d'exécution qui ont tendance à atteindre les objectifs que vise la LMSI, c'est-à-dire de fournir une protection à l'industrie canadienne.

Je vais traiter des recommandations de l'Association du Barreau canadien relativement à l'étape antérieure du processus, après quoi M. Cranker traitera pour sa part de ce que j'ai appelé l'étape postérieure de ce processus.

Pour la première étape, nous recommandons au comité que le gouvernement canadien envisage des mesures qui permettraient à Revenu Canada et au TCCE de donner aux petites entreprises un meilleur accès aux recours prévus par la LMSI. Nous faisons observer que cette aide est déjà fournie officieusement par ces deux organismes du gouvernement canadien. Nous croyons toutefois qu'il faudrait légiférer pour créer une obligation semblable à celle qui existe aux États-Unis. À ce sujet, nous mentionnons dans notre mémoire les dispositions de la loi américaine qui obligent le département du commerce et l'International Trade Commission des États-Unis à venir en aide aux petites entreprises.

Deuxièmement, nous recommandons que Revenu Canada et le TCCE étudient de concert les plaintes pour en évaluer la validité, le rôle de Revenu Canada consistant à s'assurer que la plainte est bien documentée et s'appuie sur des éléments de preuve suffisants relativement au dumping ou aux subventions, en établissant un lien de cause à effet. Revenu Canada doit porter un jugement sur l'existence de ces critères en se fondant entièrement sur l'information qui accompagne la plainte.

.1615

Une fois que l'enquête est amorcée, le TCCE doit tenir une audience au cours de laquelle tous les intéressés peuvent intervenir et se prononcer sur le bien-fondé de la plainte relativement aux allégations de préjudice et à l'existence du lien de cause à effet. Des avocats indépendants représentant toutes les parties en cause auraient alors accès aux dossiers du TCCE relativement à la décision préliminaire sur le préjudice.

Les avocats indépendants représentant toutes les parties intéressées doivent avoir accès aux dossiers confidentiels de l'enquête menée par Revenu Canada. Actuellement, c'est seulement à l'étape de l'enquête du TCCE que les avocats indépendants ont pleinement accès aux dossiers confidentiels, et cet accès est limité à la partie de l'enquête du TCCE portant sur le préjudice. Nous croyons que l'avocat représentant le secteur canadien en cause doit avoir accès à tous les dossiers de Revenu Canada, si l'on veut que la procédure soit juste et équitable. Les marges de dumping ou le montant des subventions calculé par Revenu Canada sont en effet des facteurs importants dans la décision du TCCE pour ce qui est d'établir un lien de causalité entre le dumping ou les subventions et la constatation d'un préjudice.

Nous formulons d'autres recommandations, mais pour simplifier, j'attire votre attention sur la dernière, à savoir que le TCCE soit encouragé à simplifier ses audiences. Aux termes de la procédure actuelle, les audiences peuvent durer jusqu'à trois semaines, la plupart des cas donnant lieu à des audiences d'une semaine. Aux États-Unis, les audiences ne durent pas plus d'une journée, les audiences de deux jours étant extrêmement rares. Une procédure qui permet aux audiences de s'étaler sur trois semaines est un élément de dissuasion important pour les petites entreprises qui cherchent à recourir à la protection offerte par la LMSI.

Telles sont donc nos recommandations pour l'étape antérieure. M. Cranker vous parlera maintenant de l'étape postérieure du processus.

M. Glenn Cranker (vice-président, Section des taxes de vente et à la consommation, Association du Barreau canadien): J'ignore si c'est un compliment que me fait M. Dattu en me confiant la partie postérieure du processus, mais je vais essayer de vous l'expliquer.

M. Dattu a tenté de vous décrire la situation depuis le dépôt d'une plainte jusqu'à la constatation d'un préjudice par le Tribunal canadien du commerce extérieur. Si une décision en ce sens est rendue - et comme nous sommes loin de vivre dans un monde idéal et que des mesures antidumping s'appliquent - , il y a certains éléments qui, de l'avis de l'Association du Barreau canadien, pourraient être intégrés à la LMSI pour la rendre un peu moins protectionniste et peut-être un peu moins lourde pour les consommateurs et les utilisateurs d'un produit.

Je vais aborder trois sujets différents, soit la règle des droits les moins élevés qui est observée par l'Union européenne; la question de savoir si certaines mesures canadiennes pour l'évaluation des droits devraient être identiques à celles en vigueur aux États-Unis; et des révisions en milieu de période en raison de nouvelles circonstances.

Nous avons traité de la règle des droits les moins élevés dans une certaine mesure à la page 5 de notre mémoire, en anglais et en français. C'est simplement fondé sur le code du GATT de 1994. Ordinairement, lorsqu'il y a constatation de préjudice, des droits antidumping sont imposés pour effacer entièrement la marge de dumping. Par exemple, dans le document d'information sur la LMSI qui a été remis au sous-comité, la marge de dumping moyenne était, je crois, de 37 p. 100 de la valeur normale pendant la période visée. Appliquée au prix des produits exportés vers le Canada, cela veut dire qu'en moyenne, un droit de 59 p. 100 serait ajouté au moment de l'importation.

L'Association du Barreau canadien croit qu'il y a lieu de conférer un certain pouvoir discrétionnaire et que si l'industrie canadienne n'a pas besoin de l'application pleine et entière des droits, il faudrait recourir à la règle des droits les moins élevés. C'est prévu dans le code antidumping du GATT de 1994, à l'article 9.1, qui stipule:

Beaucoup de partenaires commerciaux du Canada ont adopté la règle des droits les moins élevés. Par exemple, la règle de la Communauté européenne prévoit ce qui suit:

On examinerait donc la question pour établir le montant du droit antidumping à appliquer. Le Mexique, qui est l'un des partenaires commerciaux du Canada, applique une règle semblable, mais pas les États-Unis.

.1620

Maintenant, votre comité sera confronté à une question: faut-il adopter la position américaine plus ferme, ou plutôt suivre la règle des droits les moins élevés de la Communauté? Notre recommandation est de suivre la règle de la Communauté et la recommandation du code antidumping, surtout si l'on songe qu'en fin de compte, le droit antidumping est payé par le consommateur canadien ou, bien souvent, par les entreprises canadiennes qui utilisent les produits importés comme intrants pour leur production.

Deuxièmement, je suppose que la même règle s'applique à l'intérêt public. L'article 45 de la LMSI renferme une disposition sur l'intérêt public qui autorise le recours à la règle du droit le moins élevé. Jusqu'à maintenant, et encore récemment dans l'affaire du sucre raffiné, le Tribunal canadien du commerce extérieur n'a pas interprété la disposition sur l'intérêt public comme étant synonyme de la règle du droit le moins élevé.

Au sujet de l'établissement du montant des droits antidumping, si je comprends bien ce qu'on explique dans le document d'information, les Américains appliquent des droits antidumping lorsqu'il y a constatation de préjudice en se fondant sur les précédents historiques relativement aux droits antidumping, et exigent que la somme intégrale soit déposée en argent comptant, tandis que Revenu Canada est à mon avis beaucoup plus juste - et ici, je parle au nom de l'Association du Barreau autant qu'au nom de notre comité - dans l'imposition des droits antidumping. Si la valeur normale d'un produit donné est de 100 $ l'unité au Canada, pourvu que le prix à l'exportation soit rehaussé pour atteindre cette valeur de 100 $ l'unité, aucun droit antidumping n'est appliqué. Par contre, aux États-Unis, s'il y a historiquement une marge de 10 p. 100, disons dans le secteur du bois d'oeuvre, les Américains appliquent un droit antidumping correspondant à ce pourcentage. Nous préconisons de conserver le processus d'établissement canadien, par opposition à la méthode américaine.

Troisièmement, au sujet des révisions en milieu de période par le Tribunal canadien du commerce extérieur, il existe actuellement une disposition d'abrogation après cinq ans, aux termes de laquelle les droits antidumping viennent à échéance après cinq ans, sous réserve d'un examen et d'une reconduction par le tribunal. Dans certaines situations, il est arrivé qu'un problème se pose en raison de circonstances nouvelles. Prenons, par exemple, un cas où il y a eu constatation de préjudice à l'encontre d'une gamme de produits chimiques, forçant un fabricant canadien à cesser de fabriquer une qualité particulière de produits utilisés par un autre fabricant canadien. À l'heure actuelle, il est extrêmement difficile de faire supprimer les droits antidumping et le producteur canadien doit parfois payer le droit en dépit du fait qu'il lui est absolument impossible d'obtenir ce produit de sources canadiennes. Nous recommandons d'insérer dans la LMSI, et peut-être aussi dans les règles du TCCE, une disposition permettant d'atténuer la marge de dumping en raison de circonstances nouvelles.

Je répète que dans le meilleur des mondes possibles, en particulier dans le cadre de l'ALENA, nous aimerions que les droits antidumping soient supprimés, mais votre comité devra envisager des solutions d'ordre pratique avant que nous puissions atteindre cet idéal.

Je vous remercie de m'avoir écouté.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Cranker.

Je donne maintenant la parole à M. Roger Hughes, qui représente la Commission du marketing des légumes de la Colombie-Britannique.

M. Roger Hughes (directeur général, Commission du marketing des légumes de la Colombie-Britannique): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je voudrais d'abord vous présenter les personnes qui m'accompagnent, car en fait, deux groupes sont représentés. La Commission du marketing des légumes de la Colombie-Britannique, que je représente, est le porte-parole d'environ 600 producteurs dont la production totale a une valeur à la ferme de 125 millions de dollars et qui emploient environ 7 000 personnes. M. Husch est président de l'Association des producteurs de fruits de Colombie-Britannique. Il représente environ 1 100 producteurs de fruits, surtout de la vallée de l'Okanagan, dont la production totale a une valeur à la ferme d'environ 70 millions de dollars et qui emploient environ 5 000 personnes.

Nous voulons aborder trois points aujourd'hui, et je précise qu'il ressort très clairement de la discussion jusqu'à maintenant que notre position est tout à fait différente. Le premier point que nous voulons mettre en relief, c'est l'importance des dispositions antidumping de la LMSI pour le secteur de l'horticulture de Colombie-Britannique.

Quatre denrées horticoles sont actuellement visées par des droits antidumping et trois de ces quatre denrées sont produites exclusivement en Colombie-Britannique. La quatrième, nommément les pommes Delicious, sont produites en Colombie-Britannique et dans le reste du Canada. Nous croyons qu'il y a des raisons qui expliquent cet état de fait.

.1625

Deuxièmement nous voulons vous faire part de quelques-unes de nos expériences avec la LMSI, vous raconter certains faits positifs dont nous avons été témoins, et ensuite vous suggérer plusieurs changements qui amélioreraient le programme.

Enfin, de façon générale, notre point de vue - et je répète qu'il est plutôt opposé aux points de vue qui ont été exprimés jusqu'à maintenant - est que nous ne considérons pas la LMSI comme un obstacle au commerce. Nous y voyons plutôt un recours commercial contre des pratiques déloyales et nous sommes catégoriquement d'avis qu'il faut conserver cette loi.

Pourquoi la LMSI est-elle importante pour l'horticulture de la Colombie-Britannique? Le secteur horticole de Colombie-Britannique est petit dans le contexte mondial, mais il est très important pour la province. La superficie des terres arables est très limitée en Colombie-Britannique, essentiellement dans la région de l'Okanagan et dans le cours inférieur du Fraser. Notre production est concentrée dans des régions qui sont déjà très urbanisées et où l'urbanisation s'étend. Le coût de l'urbanisation compte pour beaucoup dans notre coût de production et limite également nos possibilités d'agrandissement.

Pour faire le meilleur usage des terres disponibles, il est important de pouvoir y cultiver des denrées ayant une valeur relativement élevée, et la production horticole est l'une des rares possibilités pour nous. En plus d'être rentable, il se trouve que cette utilisation du sol est également relativement peu nuisible à l'environnement, ce qui est aussi un aspect très important dans une région où l'on doit côtoyer des secteurs densément urbanisés.

Voici où cela commence à devenir crucial. Je l'ai dit, notre industrie est petite, mais importante localement; toutefois, dans le contexte du secteur horticole de la région du Nord-Ouest pacifique des États-Unis, c'est un nain qui côtoie un géant. Quand le géant éternue, nous attrapons une pneumonie.

La région du Nord-Ouest Pacifique est probablement le plus important producteur horticole du monde entier. Juste pour vous donner une idée, dans le cas des pommes de terre, l'État de Washington produit environ 4,5 millions de tonnes de pommes de terre par an. En Colombie-Britannique, nous en produisons environ 60 000 tonnes. Pour les pommes Delicious, l'État de Washington en produit environ 98 millions de boisseaux. En Colombie-Britannique, nous en produisons 5,3 millions. Voilà à qui nous avons affaire. Certains producteurs de l'État de Washington produisent probablement autant que notre industrie toute entière. Il suffit de peu de choses de leur part pour causer un bouleversement total dans notre secteur.

Par ailleurs, dans le secteur de l'horticulture, nous produisons des denrées périssables qui sont vulnérables à un excès de l'offre sur la demande, autant sur une base saisonnière qu'à long terme. Il n'est pas du tout inhabituel qu'un grossiste ou un conditionneur, ou même, dans le cas des États-Unis, un important producteur se retrouve en possession d'un stock important; il ne veut pas l'entreposer, il ne veut pas non plus l'écouler à bas prix sur son propre marché à cause des répercussions que cela aurait sur ses propres clients et sur son marché établi. Alors, que fait-il? Il s'en débarrasse en le dumpant sur le marché voisin, où il fait affaire avec des grossistes différents, des intermédiaires différents, et il se débarrasse ainsi de son produit sans perturber son propre environnement.

Cela arrive tous les jours. Ce n'est pas du tout théorique; c'est tout à fait réel. Cela arrive couramment dans notre secteur.

Ces deux éléments, une industrie géante et une denrée périssable, se conjuguent pour placer l'industrie de Colombie-Britannique dans une situation extrêmement vulnérable. Nous sommes extrêmement vulnérables au dumping. Ce n'est pas théorique; cela arrive.

.1630

À l'heure actuelle, nous avons quatre produits visés par des droits antidumping. Les oignons, les pommes de terre et la laitue sont uniques à la Colombie-Britannique. Les dispositions antidumping stipulent que la Colombie-Britannique est considérée comme un marché régional. Notre production est destinée à être écoulée sur place. Dans les trois cas que j'ai énumérés, le pourcentage du marché total le plus élevé que nous puissions atteindre est dans le cas des pommes de terre, où ce chiffre est de 45 à 50 p. 100. Pour les deux autres denrées, notre part du marché est inférieure à 50 p. 100 et est même seulement de 25 p. 100 pour les oignons. La mesure s'applique à l'échelle du Canada pour les pommes Delicious, mais la Colombie-Britannique représente environ 35 p. 100 de la production totale.

Pour ce qui est de notre expérience avec la LMSI, voici certains dossiers auxquels il faut à notre avis s'attaquer. Le premier a déjà été mentionné; il s'agit du temps nécessaire pour amorcer une enquête et de son coût. C'est particulièrement important dans le secteur agricole, où il y a un grand nombre de petits producteurs. Il devrait y avoir une disposition ou un moyen quelconque leur permettant de travailler ensemble pour présenter leur cas et en répartir le coût.

Deuxièmement, au sujet des produits transformés. Dans bien des cas, le produit est importé. Quand un produit fini, par exemple des légumes congelés, fait l'objet de dumping au Canada, cela porte un dur coup au secteur de la transformation et, par contrecoup, au secteur agricole. Aux termes de la LMSI, à cause de l'argument des produits similaires, il n'y a aucune disposition, aucune possibilité pour les producteurs d'en faire un grief et de prendre des mesures à cet égard. À cause des relations commerciales et autres considérations, il arrive souvent que les transformateurs répugnent énormément à se lancer dans une telle procédure; en fait, la plupart du temps, ils ne le font pas.

À notre avis, dans les cas où des dispositions ont été prises et où des droits antidumping sont en vigueur, des mesures très positives ont été adoptées, surtout ces quatre dernières années, pour réduire le fardeau administratif du paiement des droits. Je crois que même les grossistes, quoique très peu d'entre eux plaideraient pour l'élimination des mesures antidumping, n'hésiteraient pas à dire, compte tenu de l'évolution dont ils ont été témoins quant à la façon dont le programme est maintenant administré par Revenu Canada, que les choses se sont grandement améliorées depuis quatre ans. Je parle de la façon dont le droit antidumping est calculé et du délai nécessaire pour opérer ce calcul et diffuser l'information au secteur visé.

Le quatrième point - et cela touche également certaines questions soulevées par M. Grubel au sujet du coût du programme pour les consommateurs - est que cela s'applique seulement pendant la saison de production. Évidemment, les droits antidumping ne sont appliqués que lorsque le cours du marché dans le marché d'exportation dépasse la valeur normale.

En conclusion, notre position est que nous voulons que l'on conserve les dispositions de la LMSI sur les mesures antidumping. Nous n'y voyons pas un obstacle au commerce, mais plutôt un recours commercial. Nous estimons également qu'il ne faut pas s'en servir comme monnaie d'échange dans les négociations commerciales. S'il y a des dossiers qu'il faut tirer au clair relativement à ce qui se passe aux États-Unis par opposition à ce qui se passe au Canada, alors attaquons-nous à ces dossiers et allons au fond des choses; ne nous contentons pas de jeter les mesures antidumping sur la table, en espérant obtenir quelque chose en retour.

.1635

Nous sommes particulièrement inquiets de ce que l'on a annoncé la semaine dernière relativement au nouvel accord commercial avec le Chili, notamment le fait qu'il renferme des dispositions - dont nous ne comprenons d'ailleurs pas parfaitement les répercussions - pour l'élimination des droits antidumping, sauf erreur, sur une période de six ans.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Hughes.

Monsieur Husch, vous avez la parole.

M. Russell Husch (président, Association des producteurs de fruits de la Colombie-Britannique): Merci.

Je veux seulement aborder deux ou trois points. Nous sommes un petit secteur, comme M. Hughes l'a précisé, dans l'ensemble commercial canadien. Nous sommes tous conscients que nous ne vivons pas dans un monde idéal, et les gens que je représente... je précise que je suis moi-même producteur de fruits; nous trimons dur pour aider à bâtir notre pays.

Nous sommes indéniablement très inquiets au sujet de l'orientation prise et surtout de cet accord avec le Chili, mais pour vous aider à comprendre le contexte, et je crois que les chiffres sont vraiment saisissants, disons que dans l'État de Washington, 170 000 acres sont plantés en arbres fruitiers. Nous, nous en avons 20 000 acres et, comme M. Hughes l'a dit, nous n'avons pas de place pour agrandir nos exploitations. Les Américains, en particulier dans l'État de Washington, ont 600 000 acres qu'ils pourraient mettre en culture et ils utilisent de l'eau du bassin du fleuve Columbia, dans le cadre d'un traité, l'eau étant entreposée dans des réservoirs situés dans notre province.

Comme vous pouvez le voir, il leur est possible de nous acculer à la faillite très rapidement. C'est le premier point que je voudrais que vous preniez en compte.

Il y a ensuite les mesures antidumping elles-mêmes. Dans le passé, nous avons constaté qu'une mesure antidumping ne dure pas qu'un mois ou deux, mais que ses répercussions sur le marché se font sentir non seulement pendant la campagne agricole en cause, mais aussi pendant la suivante. Nous avons évoqué la présence de ce géant qui est à nos portes, et je veux dire littéralement. Il n'y a qu'à aller au bout de la rue et l'on est à un jet de pierre du pays voisin. Et l'on s'aperçoit qu'en matière de commerce et de réussite commerciale, ils s'en tiennent à leurs propres règles.

J'encourage tous les intervenants représentés ici, monsieur le président, à prendre cela en considération, car nous sommes de petites entreprises et nous savons que c'est là qu'est l'avenir dans notre pays. Si l'on décidait arbitrairement - et j'espère bien que ce n'est pas ce qui va arriver - de nous mettre en première ligne dans le cadre d'un arrangement commercial global, ce serait un dur coup pour notre secteur.

Je vais m'en tenir à ces deux points. Merci.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Husch. Vous représentez - j'aurais dû le préciser - l'Association des producteurs de fruits de la Colombie-Britannique, à Vancouver.

Enfin, nous entendrons M. Hugh Mackenzie, directeur de la recherche des Métallurgistes unis d'Amérique. Monsieur Mackenzie, vous avez la parole.

M. Hugh Mackenzie (directeur de la recherche, Métallurgistes unis d'Amérique): C'est bien cela.

Je veux d'abord remercier le comité d'avoir refait son calendrier, compte tenu des difficultés que la date précédemment fixée soulevait, afin de nous donner l'occasion de faire une présentation.

Comme le président l'a signalé, je ne suis pas Lawrence McBrearty. Malheureusement, M. McBrearty avait un engagement qu'il ne pouvait remettre et je suis donc venu à sa place.

Je tiens à dire dès le départ que la journée ne peut manquer d'être intéressante quand on entend M. Grubel parler en termes très favorables d'un ancien ministre libéral, pour ensuite citer ou du moins paraphraser non pas un, mais bien deux premiers ministres libéraux.

Des voix: Oh, oh!

M. Mackenzie: Je suppose que cela démontre la complexité des interactions en cause, quand il est question de politique commerciale.

Je vais essayer de me limiter à moins de sept minutes, afin que l'on ait le temps de discuter, mais je voudrais d'abord citer textuellement le titre de notre mémoire, car je crois qu'il décrit bien la perspective que nous apportons dans cette discussion.

Nous l'avons intitulé «Les politiques commerciales dans les années quatre-vingt-dix: Rendre nos règles du jeu aussi difficiles que les leurs». Je crois que c'est un bon titre, car je trouve par ailleurs très intéressant de constater que les métallurgistes viennent témoigner devant le comité et se trouvent passablement en accord avec ce qu'un associé principal du cabinet McCarthy Tétrault conseille au comité de faire.

.1640

L'éclairage que nous voulons jeter sur cette question, c'est le rôle que la Loi sur les mesures spéciales d'importation joue dans la politique commerciale entre le Canada et les États-Unis. Je vais utiliser un terme qui est passé de mode, mais qui faisait partie intégrante des discussions qui ont eu lieu à la Commission Macdonald et pendant les premières années du débat sur le libre-échange au Canada, c'est-à-dire «l'accès au marché».

Ceux d'entre nous qui n'ont pas oublié l'histoire se rappellent bien qu'à l'aube des négociations sur le libre-échange avec les États-Unis, l'accès au marché était considéré comme l'une des principales raisons lesquelles nous avions amorcé des discussions de libre-échange avec les États-Unis. Vous vous rappellerez qu'à cette époque-là, le secteur sidérurgique était fortement ébranlé par des mesures commerciales généralisées aux États-Unis. Paradoxalement, le secteur a échappé à une bonne part des répercussions grâce à une exemption accordée par Ronald Reagan. Mais les exportations de potasse canadienne vers les États-Unis étaient menacées, et il y avait alors des mesures en cours contre le bois d'oeuvre, faisant partie d'une longue série d'interventions. Et la liste s'allonge.

La question de l'accès au marché était l'une des principales raisons qui nous avait incités à amorcer des négociations avec les États-Unis en vue d'instaurer le libre-échange. Dans le domaine de l'accès au marché, les gens étaient très explicites quant à leurs attentes à ce sujet: ils voulaient rendre les secteurs exportateurs du Canada moins vulnérables au terrorisme commercial auquel se livraient les autorités des États-Unis.

Cette question a continué de faire surface tout au long des discussions. Ceux qui ont suivi cet épisode de notre histoire se rappellent que vers la fin des négociations avec les États-Unis, le négociateur en chef du Canada Simon Reisman a annoncé que les négociations étaient rompues. En fait, il est rentré en trombe de Washington à Ottawa et a déclaré que les négociations avaient échoué parce que les États-Unis étaient restés inflexibles sur la question du harcèlement commercial que rendait possible leur législation sur le dumping et les subventions.

La réaction politique fut de faire descendre les politiciens dans l'arène. Je me rappelle que Pat Carney et Michael Wilson sont tous deux allés à Washington, où ils ont eu des entretiens au plus haut niveau, avec des membres du cabinet des États-Unis, afin d'essayer de remettre les négociations sur les rails.

La solution à cette crise dans les négociations, qui a en fin de compte permis au gouvernement de l'époque de justifier après coup la signature de l'entente, a consisté à créer un groupe de travail spécial chargé de mettre au point un système commun de réglementation du commerce entre le Canada et les États-Unis qui rendrait inutile les mesures traditionnelles que sont les droits antidumping et compensateurs.

Ce processus s'est poursuivi pendant un certain temps, mais il n'est pas allé très loin, et puis l'ALENA est arrivé dans le tableau. Le gouvernement canadien devait choisir à ce moment-là entre poursuivre les discussions avec les États-Unis, amorcées dans la foulée de l'ALE, en vue d'établir un seul et unique système de réglementation inspiré de la législation sur la concurrence, comme M. Grubel le souhaite, ou bien intégrer tout cela dans les discussions sur l'ALENA.

Au bout du compte, le gouvernement a décidé d'incorporer cela aux discussions sur l'ALENA et de laisser le groupe de travail de l'ALE mourir de sa belle mort. Comme M. Macdonald l'a signalé, il en est résulté la création d'un groupe de travail dont le mandat est venu à échéance. L'objectif du gouvernement canadien, tout au long du processus, a été essentiellement de soustraire le Canada de la menace que fait peser la législation commerciale américaine sur les exportations canadiennes et, en termes de politique, de remplacer le système de recours commerciaux par un mécanisme inspiré de la législation sur la concurrence.

.1645

Comme on l'a dit, c'était une idée magnifique, sauf que les Américains n'étaient pas vraiment disposés à y accorder beaucoup d'attention. Je dirais que c'était là le «plan A» du gouvernement canadien.

Je pense qu'il est juste de dire, maintenant que nous poursuivons cette démarche depuis tellement d'années, plus de dix en fait, que le plan A n'a pas fonctionné. Dix ans et deux groupes de travail plus tard et après deux rondes de négociations commerciales, nous sommes toujours essentiellement dans la même situation. La seule raison pour laquelle ce n'est pas une question brûlante d'actualité en ce moment, c'est que l'économie des États-Unis va relativement bien et que les gens qui seraient normalement en première ligne en train de s'en plaindre font de trop bonnes affaires pour appuyer leurs revendications. Mais il est clair que nous sommes toujours exposés à la même menace potentielle.

La question est de savoir comment obtenir des États-Unis qu'ils veuillent bien se pencher sur ce drôle de petit pays au nord de leur frontière qui souhaite modifier ses relations commerciales avec eux. Nous avons essayé de créer un groupe de travail, nous avons essayé de travailler dans le cadre des négociations commerciales traditionnelles, et rien de tout cela n'a abouti.

Nous appuyons sans réserve la position qui a été exposée devant le comité par l'Association des producteurs d'acier du Canada. Notre position, essentiellement, est que nous devons rendre notre législation aussi avantageuse pour les producteurs canadiens qui subissent du dumping ou qui sont menacés de dumping de la part des États-Unis, que la législation des États-Unis l'est pour les producteurs américains en leur permettant de réagir à des «menaces» émanant de chez nous. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire de l'angélisme dans des discussions de ce genre. Nous devons passer à l'action pour obliger notre interlocuteur à nous écouter.

Pour réfuter à l'avance l'argument voulant que cette approche n'a guère plus de chance de succès que les négociations, je dirai que l'émergence d'intérêts politiques plus diversifiés aux États-Unis rend la tâche plus difficile aux Américains lorsqu'il s'agit de prendre des décisions et d'adopter des mesures antidumping. Étant donné que nous avons essayé, sans grand succès, la voie de la négociation en bonne et due forme, je crois qu'il est temps d'aligner notre législation sur celle des États-Unis pour que, comme je l'ai dit, les Américains qui exportent au Canada se butent à des problèmes du même ordre que ceux auxquels font face les Canadiens qui exportent aux États-Unis.

En terminant, car nous voulons amorcer la discussion, je voudrais dire deux choses. Premièrement, la position de l'industrie sur les objectifs réalistes à long terme entre le Canada et les États-Unis dans le domaine de l'acier est aujourd'hui essentiellement identique à celle que notre syndicat adopte depuis maintenant un certain temps, nommément qu'il faut accepter l'hypothèse de base, ou plutôt la réalité qu'étant donné la nature du secteur de l'acier, on ne pourra jamais échapper aux jeux politiques qui se déploient aux États-Unis dans le secteur sidérurgique, quel que soit l'accord général qu'on pourra conclure. Il faut donc un accord sectoriel pour établir la stabilité à long terme dans les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis dans ce secteur. Il faut que le Canada et les États-Unis concluent une entente portant spécifiquement sur le secteur de l'acier, entente qui reconnaisse la nature intégrée des marchés canadiens et américains et qui tienne compte de la difficulté de s'adapter à des chocs qui se répercutent dans le système commercial et qui ne sont pas réservés à notre secteur, mais qui constituent assurément un facteur important dans le secteur de l'acier.

.1650

En terminant, je voudrais vous donner quelques chiffres. L'économie canadienne a toujours été extrêmement ouverte, en tout cas elle l'est depuis très longtemps. Elle est aujourd'hui nettement plus ouverte, en matière de commerce international, qu'elle ne l'était avant la négociation de l'accord de libre-échange. Si l'on additionne les exportations et les importations - et je suis conscient que certains éléments sont comptés en double, car certains produits vont et viennent d'un endroit à l'autre - on aboutit à un chiffre qui est environ 56 p. 100 de notre PIB, ce qui est un très gros chiffre.

Il est toutefois intéressant de signaler que cette proportion a augmenté assez considérablement depuis la mise en place de l'ALENA et la presque totalité de cette augmentation s'explique par nos échanges avec les États-Unis. Par conséquent, quand on parle de politiques commerciales et de mesures commerciales pour protéger les intérêts canadiens, il s'agit en fait essentiellement de mesures affectant nos relations commerciales avec les États-Unis. Je crois qu'en l'occurrence, qu'on le veuille ou non, une conclusion s'impose: tout au moins à titre de mesure intérimaire, pour faire débloquer les négociations, il faut rendre nos règles du jeu aussi difficiles que les leurs.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci.

Normalement, notre procédure veut que nous commencions par donner la parole à l'Opposition officielle. J'accorde à peu près 10 minutes pour un échange. La question est souvent adressée à une personne ou à plusieurs personnes, mais si l'un d'entre vous veut intervenir dans la discussion, il peut le faire.

[Français]

Monsieur Rocheleau, voulez-vous débuter, s'il vous plaît?

M. Rocheleau: J'ai deux questions, l'une à l'intention de mon collègue M. Grubel et l'autre à l'intention de M. Macdonald.

Monsieur Grubel, si l'on suivait votre raisonnement, on pourrait aboutir à une situation où il n'y aurait pratiquement aucune barrière de protection des économies et des produits locaux.

Au point de vue macroéconomique et un peu philosophique, si votre vision s'appliquait, n'y aurait-il pas danger d'une forme de nivellement par le bas sur le plan international, en ce sens que les pays où il y a le moins de progrès social, notamment en termes syndicaux, où l'on n'a pas de programmes sociaux, où les salaires sont bas, auraient légitimement et sans aucune contrainte la possibilité de combattre des économies plus développées comme la nôtre? Au bout de la ligne, tout le monde en sortirait perdant, à mon humble avis. Ne devrait-on pas plutôt exiger que ces pays s'élèvent peu à peu pour en arriver à des économies semblables à la nôtre, que l'on appelle développée par opposition à sous-développée? Ne préconisez-vous pas une forme de sous-développement international?

[Traduction]

M. Grubel: Je ne le crois pas. Je crois que nous avons vu partout dans le monde que l'ouverture des frontières au commerce international est un stimulant économique. Seul le stimulant créé par la concurrence étrangère et par les prix qui en découlent peut provoquer le gain de productivité dont le Canada a bénéficié.

On a fait des prédictions apocalyptiques sur les conséquences de l'accord de libre-échange; censément, nous allions nous faire balayer. En fait, nous avons eu tellement de succès à l'exportation que toute notre croissance économique depuis quatre ans vient du fait que nous exportons davantage dans le reste du monde que nous n'en importons. Ces exportations sont le fait de secteurs très puissants et en plein essor.

Dans la même veine, je voulais dire aussi à mes amis de Colombie-Britannique que certains semblent s'imaginer que le commerce est très homogène. Cela ne vise que les pommes, ou seulement les produits agricoles. Mais il a été démontré qu'après la libéralisation du commerce, les entreprises du Canada ont eu énormément de succès, rivalisant pour trouver des créneaux afin de vendre des produits différents, d'une qualité différente, à différentes époques de l'année, etc.

Les Américains, pour leur part, ne cessent de dénoncer les Canadiens qui démolissent leurs producteurs de laitue, parce que nous vendons jusqu'à San Francisco des produits comme les tomates et la laitue cultivées en serre en Colombie-Britannique, là où l'énergie est bon marché et sous-évaluée.

.1655

On entend toujours les mêmes arguments. Cela ressemble toujours à ceci: oui, je comprends bien que vous vouliez protéger vos intérêts, mais à long terme, je suis certain que beaucoup d'industries qui ont été exposées aux dures intempéries de la concurrence ont reconnu par la suite que cela avait été une bonne chose.

[Français]

M. Rocheleau: Prenons un exemple précis, celui des chantiers navals. Il y a déjà eu, au Québec, des chantiers navals très importants. M. Mackenzie pourra peut-être en témoigner. Il y a sans doute eu des syndiqués là, à Montréal notamment, à la Davie Shipbuilding Ltd., à MIL Davie Inc. à la fin. Mais il y a eu de très gros changements et aujourd'hui on est en concurrence directe avec des chantiers navals établis surtout en Asie, où les salaires et les conditions de travail ne sont certainement pas les mêmes. Comment peut-on penser que le Canada et le Québec - peut-être que les Américains ont le même problème - peuvent concurrencer quand on sait que les coûts de production, au niveau de la main-d'oeuvre à tout le moins, ne sont vraiment pas les mêmes?

[Traduction]

M. Grubel: Je voudrais vous faire remarquer que le centre aérospatial qu'est Montréal exporte également d'énormes quantités de produits à ces mêmes pays qui nous fournissent des navires. C'est donc un échange de produits mutuellement avantageux.

Cette discussion est en train de dégénérer en un débat sur les mérites du libre-échange et je préférerais ne pas m'y lancer. Nous pourrions peut-être en parler en privé. Je crois que nous devrions plutôt profiter de la présence de tous ces spécialistes.

Le coprésident (M. Duhamel): Vous avez manifestement une divergence d'opinion sur cette question fondamentale. Mettons cela de côté pour l'instant.

[Français]

Monsieur Rocheleau, voulez-vous continuer avec M. Macdonald?

M. Rocheleau: Monsieur Macdonald, vous dites à la page 3 de la version française de votre document que la part du Canada de l'investissement étranger total direct est passée de 11 p. 100 en 1980 à 5 p. 100 en 1994.

Vous dites plus loin, et c'est bon à savoir, que 1 p. 100 représente à peu près un million d'emplois et vous dites plus loin:

Pourriez-vous élaborer davantage là-dessus?

M. Macdonald: À vrai dire, je ne suis pas sûr, monsieur Rocheleau. Ce ne sont pas mes recherches personnelles qui ont produit un tel chiffre, mais je crois que...

M. Rocheleau: Ce n'est pas tant sur le million d'emplois que sur le recours.

M. Macdonald: Cela vient de cette grande autorité qu'est le journal Globe and Mail de Toronto, mais j'accepte que ces chiffres sont exacts.

M. Rocheleau: Je ne parle pas tant du million d'emplois que peut représenter 1 p. 100 que des recours. Vous parlez des recours commerciaux dont les Américains disposent. Pourriez-vous élaborer davantage là-dessus? Quelles suggestions faites-vous pour contrer l'attitude américaine?

M. Macdonald: Les avantages pour les États-Unis, par exemple?

M. Rocheleau: Oui.

M. Macdonald: Nous avons discuté avec les Américains de la possibilité de donner des bénéfices aux industries canadiennes pour se situer sur les marchés américains. En même temps, les productions parallèles de l'industrie canadienne sont sujettes à ces remèdes antidumping, qui sont une barrière pour les Canadiens qui veulent vendre aux États-Unis.

À vrai dire, le grand marché pour nous, ce sont les États-Unis et on a beaucoup de difficulté à éviter l'effet des subsides aux industries canadiennes aux États-Unis.

Je n'ai pas de solution à cette question, mais l'une des raisons pour lesquelles les investissements canadiens aux États-Unis ont de la difficulté a trait à la barrière antidumping posée pour le produit canadien manufacturé par les usines américaines au Canada. C'est une solution partielle, si l'on peut dire, que d'abolir si possible les mesures antidumping, mais c'est une étape dans le but de réduire cette inégalité.

.1700

M. Mackenzie a fait allusion à une politique spécifique au secteur de l'acier, comme nous en avons une dans le secteur de l'automobile. Je suis totalement en faveur de telles négociations. Je ne suis pas très optimiste, mais je crois qu'il est possible de conclure avec les Américain un tel accord, qui éliminerait en même temps les droits antidumping et les subsides de chaque côté de la frontière. On aurait alors un seul marché pour tout l'acier en Amérique du Nord. Ce n'est pas quelque chose de facile à obtenir, mais cela vaut la peine d'essayer.

M. Rocheleau: Des témoins aimeraient peut-être commenter l'une ou l'autre de vos remarques.

Le coprésident: D'accord. S'il n'y en a pas, on reviendra plus tard.

[Traduction]

Quelqu'un veut-il intervenir brièvement à ce sujet ou répondre à M. Rocheleau?

M. Mackenzie: Je veux seulement renforcer le point soulevé par M. Macdonald. Je suis heureux d'avoir confirmation d'un fait que je croyais attribuable à mon habituelle paranoïa relativement aux décisions de certaines grandes entreprises sidérurgiques canadiennes qui ont ouvert des usines aux États-Unis. L'un des rares vestiges qui me restent de ma formation d'économiste, c'est la croyance aux préférences révélées. À mon avis, le fait que d'importantes compagnies sidérurgiques canadiennes investissent pour ouvrir des usines aux États-Unis, afin de pouvoir servir le marché américain sans avoir à franchir les obstacles créés par la réglementation commerciale américaine, illustre bien la gravité du problème auquel nous avons affaire.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Grubel.

M. Grubel: J'interviens maintenant à titre de membre du comité. Monsieur Mackenzie, c'est une hypothèse très intéressante, mais ce n'est qu'une hypothèse. Nous ne savons pas vraiment si le taux de syndicalisation inférieur, la proximité du Mississippi et la proximité de Détroit jouent un rôle dans ces décisions.

M. Mackenzie: Je vous signale que ce n'est pas mon hypothèse, c'est celle de M. Macdonald.

M. Grubel: Oui, et nous savons d'où elle émane.

Je voudrais par ailleurs réfuter une affirmation que M. Macdonald a faite: que les Américains sont plus fermes que nous dans l'administration des lois du type LMSI. D'après les faits que l'on m'a présentés, le Canada entame davantage de procédures que les Américains et se prononce dans une proportion plus élevée en faveur des importateurs et de l'instauration de droits.

Je pense que le témoignage que nous avons entendu est influencé par l'industrie sidérurgique. L'industrie sidérurgique est peut-être bien une catégorie importante et distincte et devrait probablement être traitée comme telle. Par conséquent, si nous pouvons conclure une entente sectorielle, je m'en féliciterais.

Monsieur Macdonald, êtes-vous sûr que nous ne nous ferions pas écraser par l'éléphant si nous commencions à l'agacer un peu trop? Comme on le dit si souvent, l'industrie américaine est tellement gigantesque que pour eux, la perte de minuscules exportations spécialisées vers le Canada ne serait rien d'autre qu'un petit point de friction. Ils peuvent nous livrer une guerre commerciale pendant très longtemps sans subir de graves dommages, tandis que si l'on nous ferme la porte à coup de barrières commerciales, nous en souffrirons énormément.

Avant de vous laisser répondre, je voudrais vous poser une deuxième question. L'idée qui a été appliquée pendant les négociations de libre-échange, comme vous le savez mieux qu'à peu près n'importe qui ici présent, est que nous nous sommes adressés aux gens qui souffraient du protectionnisme, aux consommateurs, aux utilisateurs en aval d'un produit. Avons-nous vraiment approfondi cette démarche, avons-nous signalé aux intérêts américains qu'ils sont perdants à cause de tout cela et les avons-nous incités à intervenir auprès de Clinton pour lui dire que c'est contraire à leurs intérêts? Avons-nous exploité ce filon dans toute la mesure du possible?

.1705

M. Macdonald: Je ne peux pas en être certain. Cette démarche est évidemment valable, mais s'il y a une chose qui aura certainement une incidence sur le système politique américain, c'est si une ou plusieurs grandes entreprises ou secteurs américains disent: les Canadiens nous ont rendu la vie difficile. Ils ont raffermi l'administration du régime de droit antidumping et nous venons tout juste de livrer à grands frais une difficile bataille contre les Canadiens, que nous avons perdue. Allons donc voir les congressistes et demandons-leur de faire quelque chose dans ce dossier. Nous croyons dans l'ensemble que cette position digne d'un homme d'État que l'on nous présente, à savoir d'abolir tout cela des deux côtés de la frontière, est valable et devrait être adoptée.

Vous avez tout à fait raison. Ils sont très puissants. Par contre, l'autre élément intéressant à leur sujet est l'effet de levier créé par leur système politique. Un tout petit groupe d'intérêts qui intervient au Congrès des États-Unis peut obtenir des résultats, très souvent négatifs mais parfois positifs. Il s'agit donc d'encourager quelque peu les Américains qui peuvent avoir subi une perte dans un secteur particulier à dire, écoutez, avant de nous lancer dans ce genre de guerre commerciale de part et d'autre de la frontière, qui risquerait de défavoriser notre entreprise, allons voir les congressistes et demandons-leur de changer la situation pour que ce grief particulier qui existe entre nous - pas seulement un grief particulier, mais le régime antidumping tout entier - soit mis de côté. Voilà mon argument.

Il y a aussi autre chose que je voulais dire, mais je l'ai oublié.

M. Grubel: Quel est le scénario optimiste? Le scénario pessimiste est qu'ils joignent leurs forces, qu'ils se liguent et disent que si nous pouvons faire cela, eux peuvent nous rendre la pareille. Comment pouvez-vous évaluer la probabilité que ce soit le premier scénario plutôt que le deuxième qui se réalisera?

M. Macdonald: Il n'y a pas de certitude dans la vie. Dans l'ensemble, c'est peut-être simplement une réaction émotive, mais je crois qu'il est préférable de tenir bon et de se battre, même quand on a affaire au mauvais garnement de la cour d'école, plutôt que de se laisser manger la laine sur le dos.

L'autre point que je voulais aborder, monsieur Grubel, portait sur la question de savoir si leur système est plus rigoureux que le nôtre. L'un des documents de cette trousse...

M. Grubel: Oui, je l'ai vu.

M. Macdonald: ... contient une comparaison; je vous invite à mettre cela dans la balance et à en juger vous-même.

Nous croyons que c'est plus difficile, du point de vue des entreprises canadiennes qui ont été obligées de se battre et de se frayer un chemin dans le labyrinthe que constitue le régime antidumping des États-Unis.

M. Grubel: Je me rappelle avoir lu que les Mexicains ont commencé à mettre en place leur propre législation du genre LMSI. Ils ont envoyé à leurs homologues américains des formulaires à remplir en dix exemplaires, en espagnol uniquement. Les producteurs leur ont dit, écoutez, qu'est-ce que c'est que cette histoire? Ils ont répondu, eh bien, c'est exactement ce que vous nous infligez.

Quelqu'un a-t-il vérifié comment les Américains ont réagi à cela? Certaines compagnies ont-elles simplement dit, eh bien, dans ce cas, tant pis, au détriment des consommateurs mexicains? Quelle a été la réaction? Quelqu'un le sait-il?

M. Macdonald: Je l'ignore, mais c'est une idée.

[Français]

Nous sommes après tout un pays bilingue et on peut employer l'une ou l'autre de nos langues officielles avec les Américains.

M. Grubel: Oui, certainement.

Le coprésident (M. Duhamel): Quelle excellente idée!

[Traduction]

M. Grubel: Mais faites donc la recherche et voyez quel en a été le résultat au Mexique.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Grubel.

Au sujet de la sévérité des systèmes canadien et américain ou de la difficulté de faire la comparaison entre eux quant à la façon dont on traite ces dossiers, je crois que quelqu'un a dit - vous me reprendrez si je me trompe, monsieur Grubel - que parce que le Canada a entrepris un plus grand nombre de procédures et parce que certaines de nos pénalités ont été plus sévères, cela permet de vérifier si notre système est plus ou moins sévère que le système américain. Est-ce bien cela?

M. Grubel: C'est une question qui devrait être soumise à un tribunal quelconque, devant lequel les gens pourraient argumenter dans un sens ou dans l'autre.

Mes renseignements là-dessus viennent d'Anne Brunsdale, qui a dirigé le comité américain du commerce sous la présidence Reagan. Elle a donné à l'Institut Fraser une conférence dans laquelle elle affirmait, documents à l'appui, que nous faisions preuve d'une plus grande fermeté que les Américains dans l'administration du régime et dans nos jugements.

Le coprésident (M. Duhamel): Nous sommes plus fermes, d'accord. Mais n'y a-t-il pas un autre aspect que l'on a oublié? Notre procédure est-elle plus ferme également?

.1710

M. Grubel: Je ne suis pas spécialiste en la matière. Je cite quelqu'un qui a vécu tout cela très intensément, comme très peu de gens l'ont fait, qui a écouté les dirigeants politiques et les juristes de part et d'autre, quelqu'un qui est venu au Canada et qui a dit: c'est une législation qui est tellement incroyablement mauvaise dans les deux pays, pourquoi ne pas se concerter et nous en débarrasser?

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Dattu, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Dattu: Je veux seulement répondre aux commentaires de M. Grubel.

Je crois savoir qu'en fin de compte, les deux tiers des décisions du tribunal canadien sont en faveur du secteur canadien visé, et vous constaterez que les statistiques sont les mêmes aux États-Unis, c'est-à-dire que les deux tiers des cas soumis à l'ITC sont également tranchés en leur faveur. Mais il y a une chose qui semble échapper à ce genre d'analyse, et c'est la différence qualitative du processus au départ. Autrement dit, on peut jeter un coup d'oeil aux statistiques et avoir l'impression qu'il y a équivalence des résultats. Mais il y a un élément qui manque: dans quelle mesure est-il facile pour un producteur canadien d'amorcer une procédure? Il ressort de nombreuses analyses qui ont été faites que le processus canadien établit des critères beaucoup plus rigoureux pour entreprendre une action que ce n'est le cas aux États-Unis.

J'ai aussi autre chose à dire. Il faut également faire la comparaison avec l'économie américaine, qui est une économie très importante et qui peut, à son gré, inonder le Canada de produits importés. Il n'est donc pas étonnant qu'il y ait davantage de procédures canadiennes contre les États-Unis. Je ne connais pas les statistiques, mais si tel est bien le cas, c'est en raison de l'économie plus importante des États-Unis, où des entreprises frontalières sont capables d'écouler leurs produits au Canada. L'accès canadien au marché des États-Unis ne représente qu'une proportion minuscule de la totalité du marché américain. En ce sens, on ne peut donc faire de comparaison fondée uniquement sur des statistiques.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Dattu. C'est une observation utile.

Monsieur Macdonald.

M. Macdonald: Monsieur le président, j'invite M. Grubel à consulter le tout dernier document de ma trousse, nommément le graphique sur les commandes et les menaces au commerce. Il constatera que la part canadienne du marché américain, à la suite de ces procédures, demeure très faible, tandis qu'en dépit des mesures canadiennes, la part américaine de notre marché a augmenté considérablement. C'est bien simple, nous ne les traitons pas avec la même rigueur qu'ils nous traitent.

M. Grubel: Je devrai étudier ce graphique pour comprendre ce que tout cela signifie. Merci.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Cullen.

M. Cullen (Etobicoke-Nord): Merci, monsieur le président et messieurs.

Je me sens toujours quelque peu intimidé quand il est question de droit commercial. C'est assez ésotérique et il y a des spécialistes qui consacrent toute leur vie à étudier ce domaine et à y travailler.

Monsieur Grubel, premièrement, je sais que vous ne voulez pas nécessairement vous lancer dans un débat sur vos commentaires, car nous avons en effet invité des témoins, mais vous avez bel et bien lu votre texte qui est consigné au compte rendu. Mon opinion est que si nous aimerions tous - chose certaine, moi je le voudrais - assister à un changement de régime en ce qui a trait aux règles sur le dumping et les subventions entre le Canada et les États-Unis, il n'en demeure pas moins que pour certaines raisons d'ordre pratique, les États-Unis font partie de ce mouvement. Mais je crois, sauf votre respect, que votre point de vue ne tient pas compte, dans une certaine mesure, de tout le concept des économies d'échelle, de la mobilité des entreprises et des coûts du transport.

Je crois que les producteurs de fruits de Colombie-Britannique en sont un bon exemple. La dernière fois que je suis allé dans la vallée de l'Okanagan, beaucoup de producteurs fruitiers essayaient d'utiliser leurs terres pour autre chose que la culture d'arbres fruitiers, mais ils étaient plutôt coincés à cause du zonage agricole. S'ils veulent abandonner l'horticulture, c'est que la rentabilité n'est pas exactement sensationnelle. Pouvez-vous vous imaginer ce qui se passerait si l'on ouvrait subitement les frontières, compte tenu des économies d'échelle gigantesques et de l'incapacité de certains secteurs de déménager?

Je conviens avec vous qu'il y a des débouchés dans certains créneaux. Je ne suis pas sûr que cela s'applique également aux denrées, surtout dans le cas des denrées qui sont écoulées sur le marché intérieur.

Quoi qu'il en soit, je m'adresse maintenant à l'honorable Donald Macdonald et aux représentants du syndicat des métallurgistes.

Monsieur Macdonald, vous vous êtes penché sur l'Ontario Hydro et le secteur de la production d'électricité, peut-être pas dans le cadre de vos fonctions actuelles. Mais cette idée d'un monde sans frontière avec les États-Unis...

.1715

Prenons le cas du secteur énergétique. Je suis certain que vous avez entendu des arguments semblables émanant du secteur des produits forestiers, que je connais bien, mais voyons comment les compagnies américaines de production d'électricité sont organisées, notamment pour la cogénération, ce qui leur permet d'offrir d'énormes avantages aux industries du secteur des ressources aux États-Unis. Je suis certain que des représentants du secteur des ressources vous ont déjà dit qu'ils voulaient que la production d'électricité en Ontario soit fractionnée, privatisée, axée sur le marché. Je pense que c'est en partie à cause de la façon dont c'est organisé aux États-Unis. Les règles du jeu sont donc différentes ici au Canada, par rapport aux États-Unis.

J'ai deux questions, la première porte sur l'acier. Si je comprends bien, les producteurs d'acier étrangers ont fortement ébranlé les producteurs d'acier américains et ont provoqué un véritable cataclysme dans ce secteur. Pourquoi les producteurs d'acier canadiens et américains ne peuvent-ils s'unir? La question a été soulevée dans une discussion que nous avons eue antérieurement avec d'autres représentants du secteur sidérurgique. Pourquoi ne pas unir ses forces et faire front contre l'ennemi commun, qui bien souvent est la production étrangère, pourquoi ne pas livrer bataille de cette façon-là, au lieu de se lancer des flèches de part et d'autre de la frontière?

M. Macdonald: Je crois que c'est un argument tout à fait valable. Mon observation était fondée sur le fait que nous avons maintenant un marché unique et qu'en conséquence, ce recours n'est plus pertinent. Je ne veux pas dire que le Canada et les États-Unis devraient retrancher de leur code de loi, pour l'instant, la possibilité d'imposer des droits antidumping contre tous nos autres partenaires commerciaux avec lesquels nous n'avons pas conclu ce genre d'arrangement permettant un marché unique. Je fais une analogie entre le marché nord-américain et le marché intérieur canadien, en ce sens que nous avons peut-être d'autres griefs, mais nous devrions à coup sûr être prêts à affronter la possibilité que quelqu'un puisse réduire ses prix, à accepter cela comme une réalité incontournable du marché.

M. Mackenzie a fait un commentaire positif quand il a dit que nous devrions envisager une négociation sectorielle. Je ne prétends pas que ce soit chose facile, mais vous soulevez un point valable et qui me semble utile, à savoir que lorsque les Russes, les Coréens ou les Japonais font du dumping sur le marché américain ou sur le marché canadien, ils se trouvent à faire du dumping non pas seulement aux États-Unis et au Canada, mais dans l'ensemble de l'Amérique du Nord, et nous avons alors de bonnes raisons d'agir de manière concertée quand la menace vient de l'extérieur.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Mackenzie.

M. Mackenzie: Très brièvement, dans la même veine. M. Macdonald a dit une chose qui m'incite à intervenir, sur la question de savoir comment mesurer l'incidence sur le Canada du déséquilibre entre notre législation commerciale et celle des États-Unis.

Deux points n'ont pas été abordés. Premièrement, quand des producteurs étrangers, de pays tiers, cherchent un endroit où faire du dumping, franchement, ils vont cibler le marché dans lequel il est le plus facile de faire du dumping. Je ne crois pas avoir vu d'étude là-dessus, mais en discutant avec des gens dans le secteur de la sidérurgie, on a nettement l'impression que le Canada reçoit une part disproportionnée des produits étrangers dumpés à partir de pays tiers, parce que c'est beaucoup plus facile de le faire ici qu'aux États-Unis. C'est un aspect du coût de ce déséquilibre qui n'apparaît pas dans les statistiques.

Si l'on examine les statistiques sur le commerce de l'acier entre le Canada et les États-Unis pour les 15 dernières années, une chose est frappante, surtout en ce qui concerne les ventes américaines au Canada: il n'y a pas vraiment eu de changement spectaculaire dans l'équilibre global entre le Canada et les États-Unis, en dépit de la conclusion de l'accord de libre-échange.

Comme le reconnaissent même certains de mes collègues syndicalistes de l'autre côté de la frontière, les secteurs primaires comme celui de l'acier étaient censés être parmi les secteurs où le Canada serait gagnant. Sous le régime du libre-échange, nous devions perdre des filiales dans le secteur secondaire de la fabrication, mais nous étions censés être gagnants dans le secteur primaire. Nous n'avons rien gagné. L'une des raisons en est que l'industrie canadienne, afin d'éviter d'irriter l'ours américain, a exercé ce que l'on appelle une «modération volontaire» dans ses efforts de pénétration des marchés américains. Il y a là un élément qui n'est pas mesuré, à savoir notre incapacité de résoudre ce problème.

.1720

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Husch, aimeriez-vous répondre?

M. Husch: Oui. Merci, monsieur le président.

Je voudrais seulement apporter une précision qui pourrait être utile au sujet du secteur des arbres fruitiers. Aujourd'hui, sous le régime de l'ALENA, ce que nous avons pour les pommes, c'est un accord de commerce équitable, par opposition à un accord de libre-échange. C'est ainsi que je vois les choses. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de tarif douanier et que nous devons affronter nos concurrents de l'État de Washington ou de tout autre État au sud de la frontière.

À cet égard, nous essayons de résister à d'énormes pressions émanant de l'État de Washington, où l'on produit des quantités énormes, et la façon dont nous nous y sommes pris pour résister à ces pressions, c'est de faire preuve d'imagination, d'offrir de nouvelles variétés, de nous attaquer à des créneaux précis. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous existons encore aujourd'hui, parce que nous avons été en mesure de faire cela. C'est aussi grâce aux mesures antidumping que nous avons réussi à faire mettre en place pour appuyer les pomiculteurs d'un bout à l'autre du Canada.

Grâce à ces pratiques, non seulement nous avons réussi à résister et à survivre, mais nous sommes florissants. Si cela nous est enlevé, on assistera à un revirement spectaculaire de la situation, en particulier dans notre province, parce que nous ne serons plus là. Nous ne pourrons tout simplement pas faire concurrence à cette infrastructure et aux appuis qu'elle obtient au moyen de la législation du travail, de la législation sur les pesticides et tous ces autres facteurs.

Nous n'avons pas encore réussi, dans notre pays, à établir des règles du jeu égales pour tous. Il faut espérer que nous y parviendrons un jour.

Le coprésident (M. Duhamel): Si je comprends bien ce que vous dites, et c'est également ce que dit M. Hughes, ces mesures sont d'une importance vitale pour vous en ce moment et pour votre survie. S'il peut être possible d'apporter certaines modifications dans d'autres secteurs, il n'en est pas question pour vous, compte tenu de ce que vous percevez comme priorités et comme défis.

M. Husch: Merci.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Cullen, une brève question supplémentaire.

M. Cullen: Je voudrais poursuivre dans la même veine. Si je comprends bien, vous avez réussi à survivre et à prospérer, mais uniquement parce que nous avons des règles antidumping qui instaurent des pratiques commerciales équitables à votre égard.

Je voudrais revenir à... je suppose, monsieur le président, que nous discutons également de subventions. Cela fait-il partie du mandat? Disons que nous comparons ce qui se fait dans différents régimes à l'extérieur du Canada.

Je m'intéresse beaucoup au calcul des subventions nettes; c'est l'un de mes dadas. C'est-à-dire que dans les diverses statistiques, il y a des éléments qui ne sont pas mesurés... pour la santé et la sécurité au travail, nous avons un moyen de mesurer la fréquence et la gravité. On peut calculer la fréquence, mais la gravité... Dans le contexte du règlement des conflits commerciaux, on ne tient pas compte, par exemple, de trois ou quatre campagnes déployées au cours des dernières années en vue d'obtenir des droits compensateurs qui coûteraient des millions et des millions de dollars.

Le concept des subventions nettes serait tel que, par exemple, nous pourrions conclure avec les Américains une entente aux termes de laquelle on ne pourrait imposer de droits compensateurs que si l'on pouvait démontrer qu'il y avait davantage de subventions, disons, au Canada qu'aux États-Unis. Dans le cas contraire, on ne pourrait avoir gain de cause. Dans la situation actuelle, nous ne pouvons pas vraiment nous en prendre à leurs régimes. Nous savons qu'il y a des subventions, à coup sûr au niveau des gouvernements locaux, mais croyez-vous que le concept de subventions nettes a un mérite quelconque, ou bien cela est-il appelé à rester lettre morte?

Je m'adresse à M. Macdonald ou à quiconque veut y répondre, y compris les juristes spécialisés dans le commerce.

M. Macdonald: Je ne parle pas à titre de juriste spécialisé en droit commercial, mais il est certain que ce serait valable à titre de premier pas. On ne reconnaît pas cela à l'heure actuelle.

Je suis peut-être en désaccord avec M. Grubel en ce sens qu'à mon avis, il y a une différence entre un droit antidumping et un droit compensateur. On peut aider les fabricants nationaux soit en imposant un tarif douanier aux concurrents étrangers, soit en subventionnant la production nationale, de sorte que l'État se trouve à s'ingérer dans la transaction au moyen d'une subvention, tandis que dans le cas des droits antidumping, c'est simplement une entreprise qui est prête à vendre à un prix inférieur. Il y a donc une différence entre les deux.

Je crois qu'il est juste de dire que plusieurs administrations - plusieurs ministères, pour utiliser le terme canadien - ont travaillé dur pour conclure une entente sur les subventions et les droits compensateurs qui permettrait de faire un calcul net des subventions, comme vous le proposez, de part et d'autre de la frontière.

.1725

Nous aurons toujours une difficulté, comme je l'ai dit à M. Rocheleau. Fondamentalement, nous essayons de pénétrer leur marché plus qu'ils n'essayent de pénétrer le nôtre. Il est très difficile de dire aux autorités de l'État du Kentucky: vous n'avez pas le droit de faire ceci ou cela pour vendre chez nous. Mais si nous pouvons négocier un accord dans le secteur de l'acier, cela en vaudrait grandement la peine.

Voici une comparaison intéressante: bien sûr, il n'y a plus de droits antidumping dans l'Union européenne, mais le Traité de Rome, c'est-à-dire l'accord qui a créé cette union, prévoit encore un régime très strict pour réglementer ou du moins tenter de réglementer l'aide que les gouvernements accordent à leur industrie nationale, ce qui revient à réglementer les subventions. Donc, même dans les marchés les plus intégrés, cela demeure un problème.

Le coprésident (M. Duhamel): A-t-on d'autres commentaires à faire sur ce point? Oui, monsieur Cranker.

M. Cranker: Sur la question des subventions, quant à savoir si l'on peut établir un critère des subventions nettes qui régirait, disons, les recours commerciaux, vous savez probablement que notre législation sur les droits compensateurs est fondée sur le code international des subventions. Au cours de la dernière ronde, dite de l'Uruguay, nous avons réalisé des progrès considérables dans notre tentative d'identifier les subventions qui étaient légitimes ou qui ne l'étaient pas et d'établir dans quel cas une procédure pouvait être amorcée pour obtenir des recours. Par exemple, certaines subventions accordées pour des raisons de développement économique régional ou pour des raisons environnementales ne peuvent plus faire l'objet d'un recours.

Par conséquent, peu importe qu'il y ait un critère des subventions nettes... Je suppose que l'on pourrait s'y prendre de l'une de deux manières. La première serait une négociation bilatérale entre le Canada et les États-Unis; si l'on parvenait à s'entendre, ce serait une bonne idée et un objectif valable. Deuxièmement, nous avons eu davantage de succès dans le contexte d'ententes internationales visant à mettre en place certaines limites pour les recours commerciaux.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Penson.

M. Penson (Peace River): Monsieur le président, je voudrais remercier les témoins qui comparaissent cet après-midi.

Monsieur Macdonald, je comprends assurément votre point de vue lorsque vous suggérez de prendre des mesures antidumping en Amérique du Nord pour essayer d'amener les Américains à négocier. Le marché américain, surtout pour des secteurs comme celui de l'acier, a tendance à être davantage un marché intégré, dans lequel des produits sont échangés tous les jours de part et d'autre de la frontière canado-américaine, par opposition à d'autres produits qui sont déversés ici en dumping, une cargaison à la fois. J'espère que cette stratégie pourrait fonctionner. Je m'inquiète toutefois parce que cela pourrait inciter certaines compagnies américaines qui s'intéressent au marché canadien, qui peut être un marché très petit pour leurs produits, à dire qu'il ne vaut pas la peine de faire des affaires ici; je crains donc que les consommateurs n'en soient affectés négativement.

Je vais faire une dernière observation avant de vous poser une question. J'ai bien aimé votre analogie avec le mauvais garnement dans la cour d'école. Si seulement le Canada pouvait appliquer la même démarche quand il s'agit des droits compensateurs sur le bois d'oeuvre qui nous sont imposés, ou plutôt s'il avait pu appliquer la même démarche lorsqu'on nous en a menacés, nous entraînant ainsi à accepter un règlement négocié. À mon avis, nous aurions dû nous adresser à l'Organisation mondiale du commerce pour résoudre ce différend.

Nous entamons une ronde de négociations à l'Organisation mondiale du commerce. Les ministres du Commerce se réunissent le mois prochain à Singapour. M. Cranker en a également touché un mot dans son allocution. Je me demande si l'on peut progresser davantage dans la définition des subventions et aussi pour ce qui est de résoudre toute cette question pour qu'il soit plus facile de composer avec cet aspect particulier des recours commerciaux. Voyez-vous d'autres pays qui pourraient s'associer à notre point de vue? Comme vous le savez, le Canada a grandement besoin de règles commerciales, parce que nous sommes un pays peu peuplé qui exporte beaucoup. Je me demande seulement si l'on pourrait faire quelque chose pour faire avancer la cause des subventions à la prochaine ronde du GATT.

M. Macdonald: Monsieur Penson, pour être bien franc, j'ignore où en est cette négociation et je n'ai pas suivi de près celles qui ont abouti à l'accord sur l'Organisation mondiale du commerce, de sorte que je ne sais pas trop jusqu'où on est allé avant de renoncer et ce qui pourrait être fait. Je m'en remets aux juristes du Barreau canadien, qui s'occupent constamment de ce dossier. Peut-être pourront-ils vous répondre.

M. Penson: Oui, j'aimerais bien que l'on me réponde. Mais j'ai une autre question au sujet des compagnies américaines qui considèrent que le marché canadien est trop petit ou peut-être pas suffisamment intéressant, compte tenu du fait que le Canada impose une réglementation antidumping sévère, ce qui nuit à nos consommateurs. Y voyez-vous un problème pour les consommateurs canadiens?

.1730

M. Macdonald: Je suppose que si telle était la conséquence, cela pourrait être une préoccupation. Je pense que les Américains essaient de faire des affaires ici, parce qu'ils trouvent notre marché attrayant. Si nous subissons du dumping, c'est parce que, même si notre marché n'est pas aussi important que le leur, il est quand même assez attrayant pour qu'ils décident de s'y attaquer. Nous pourrions être trop sévères et les faire fuir. Mais pour une raison ou une autre, je ne crois pas qu'il puisse jamais être aussi facile de côtoyer les Américains.

Le coprésident (M. Duhamel): Vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. Cranker: Vous avez évoqué le dossier du bois d'oeuvre. Je ne peux pas dire que c'est l'un de mes sujets favoris, mais c'est une question fascinante en droit international. Si je comprends bien, après la mise en vigueur de la ronde de l'Uruguay, il a fallu changer la législation canadienne et la législation américaine afin d'y incorporer notamment les changements dans la définition des subventions. Non seulement les Américains en ont profité pour incorporer ce changement, mais ils ont également saisi l'occasion pour invalider effectivement la décision du groupe spécial binational sur le bois d'oeuvre.

Certains ont dit qu'à ce moment-là, le Canada aurait pu s'adresser à l'OMC et contester les modifications que les Américains avaient apportées à leur législation. Je crois personnellement - et ici, je ne parle pas au nom de l'Association du Barreau - qu'il est important d'avoir une organisation internationale au sein de laquelle nous ne sommes pas nécessairement toujours la souris et pouvons compter sur un certain nombre de gens qui, en s'unissant, peuvent faire entendre leur voix avec davantage d'autorité. Il y a beaucoup à gagner en changeant la définition de subvention, par exemple, dans ce contexte international. Quant à savoir à quoi il faut s'attendre, je crains de ne pas être au courant et je ne peux donc pas vous éclairer là-dessus.

M. Dattu: J'ai l'impression que deux ans après avoir terminé la ronde de l'Uruguay, les pays du monde sont actuellement en train d'assimiler les changements qui se sont produits. Chose certaine, après avoir écouté les gens de l'Union européenne et tous les négociateurs canadiens, mon sentiment est que le moment est venu de faire le bilan et d'examiner ensuite nos possibilités.

Je suis d'accord avec M. Cranker pour dire que nous avons obtenu à l'occasion de la ronde de l'Uruguay une chose qui va changer considérablement la dynamique des négociations sur les frictions commerciales, nommément l'OMC. Nous avons maintenant un système qui permettra l'approbation automatique des rapports des groupes spéciaux, à moins que l'organisme de règlement des conflits ne décide à l'unanimité de ne pas adopter un rapport.

À lui seul, ce changement permettra au Canada et à d'autres pays de petite taille d'amener à la table de négociation des partenaires commerciaux plus imposants. Contrairement à l'ancien système de règlement des conflits du GATT, aux termes duquel un pays pouvait bloquer l'adoption des conclusions ou des rapports des groupes spéciaux, le système actuel ne permettra plus ce genre d'atermoiement.

L'expérience a montré que les deux premiers conflits soumis aux mécanismes de règlement de l'OMC ont été réglés en une période de 15 à 18 mois, et cela comprend toute la procédure, jusqu'à l'instance d'appel. C'est un changement considérable.

M. Penson: Je trouve cela très intéressant, car je crois que vous avez raison de dire que ce sera une période de consolidation. Mais ce qui me tracasse un peu, c'est qu'à un moment donné, il nous faudra aller plus loin. Je pense que la plupart des pays seraient d'accord là-dessus, bien que cela puisse prendre du temps.

La difficulté à mes yeux est que nous ne nous servons même pas des processus que nous avons en place à l'heure actuelle, comme le mécanisme de règlement des conflits de l'OMC. J'en viens à me demander comment on peut s'imaginer que le Canada voudra accentuer davantage à l'avenir la libéralisation du commerce et faire préciser les définitions. Le dossier du bois d'oeuvre en témoigne. Je crois comprendre que les États-Unis ont changé leur législation et que nous ne pourrions probablement plus gagner cette cause à l'ALENA. Mais d'accepter de plafonner nos exportations, cela me semble tout à fait contraire à l'esprit du libre-échange et il me semble que nous devrions recourir à un processus quelconque.

M. Dattu: Je suis allé jeudi et vendredi au Centre de droit de l'Université de Georgetown. Le débat en cours aux États-Unis porte sur l'utilisation qu'on fait de l'OMC. Les porte-parole du bureau du représentant au commerce des États-Unis et du département du Commerce des États-Unis qui assistaient à la conférence évoquaient la possibilité d'utiliser l'OMC pour mettre à exécution les ententes négociées ou les engagements qui ont été pris. Ils insistent énergiquement auprès de l'industrie américaine pour qu'on leur signale des cas où il y a eu infraction de la législation commerciale de l'OMC.

Nous ne manquons pas d'information sur ce que font les États-Unis, mais les États-Unis créent des instances séparées au sein du département du Commerce pour chercher activement à connaître les vues de l'industrie américaine, afin d'aider cette dernière à obtenir l'accès aux marchés étrangers, en se servant du mécanisme de règlement des conflits de l'OMC pour forcer la porte de ces marchés.

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On a le sentiment que l'unilatéralisme américain qui existait avant l'OMC va peut-être s'effacer, à mesure que nous entrons dans un système qui permet la mise à exécution des obligations. Dans cette mesure, je suppose que le Canada pourrait aussi commencer à utiliser davantage l'OMC, et nous n'y manquons pas d'ailleurs. Je ne veux nullement dire que nous ne le faisons pas. Quand on examine le rôle des dossiers, on constate que le Canada est un participant actif dans beaucoup des conflits commerciaux que l'OMC est appelée à trancher.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Penson. Je voudrais poser trois brèves questions qui appellent de brèves réponses de la part de M. Hughes ou de M. Husch.

Si je comprends bien, vous êtes en désaccord avec l'affirmation de M. Grubel. Je ne veux pas lancer un débat politique, je veux simplement m'assurer d'avoir bien compris. Le retrait de ces mécanismes, recours ou mesures de protection, peu importe le nom qu'on leur donne, ne produirait pas les résultats qu'il a décrits, c'est-à-dire que d'autres industries en profiteraient pour s'affirmer et prospérer, et que ces mécanismes ne sont donc pas aussi nécessaires que certains le laissent entendre, notamment vous en l'occurrence. C'est une discussion d'ordre philosophique, idéologique. Je veux seulement m'assurer que moi-même et les autres ont bien compris ce point.

M. Husch: C'est vrai pour notre industrie.

M. Hughes: Je crois que c'est également le cas pour nous. Nous ne nions pas qu'il faut être compétitif et qu'il faut pouvoir survivre. Nous disons qu'à cause du contexte et de l'environnement qui nous entoure, de notre point de vue, il est nécessaire de conserver ces recours commerciaux qui nous permettent d'être compétitifs dans des situations où nous ne sommes pas traités équitablement.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Mackenzie, comment envisagez-vous cet accord sectoriel dont nous avons brièvement parlé? Pour que nous sachions clairement ce que vous avez à l'esprit, pourriez-vous nous en donner un bref aperçu?

M. Mackenzie: Ce que nous avons à l'esprit quand nous parlons d'un accord sectoriel, c'est un accord qui tient compte de la réalité actuelle, à savoir l'intégration du marché nord-américain dans le secteur de l'acier, qui reconnaît les problèmes de l'adaptation au changement et qui traite directement des questions de subvention. Je ne saurais en prédire l'aboutissement. Je suppose que la stratégie, si l'on peut dire, est que si nous ne parvenons pas à instaurer un régime commercial pour tous les produits qui éprouvent ces problèmes, peut-être pourrions-nous le faire seulement pour le secteur de l'acier, où les arguments sont tellement serrés en matière d'intégration du marché.

À bien des égards, les arguments relativement à l'intégration du secteur de l'acier en Amérique du Nord sont encore plus solides aujourd'hui qu'auparavant, parce que le secteur de l'automobile est maintenant tellement plus intégré qu'il ne l'était il y a 10 ans.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Mackenzie.

Monsieur Macdonald, je voudrais comprendre un peu mieux que je n'ai pu le faire ce chiffre dont vous nous avez fait part sur la perte des investissements étrangers par rapport à l'investissement total. À votre avis, nous sommes passés de 11 p. 100 à 5 p. 100, compte tenu du fait que les États-Unis, le Mexique et d'autres pays sont également passés par des permutations et aléas semblables aux nôtres, en termes de nouveaux accords commerciaux, etc. Pourriez-vous nous en dire plus long là-dessus, je vous prie?

M. Macdonald: Je me rends compte qu'avant de citer de nouveau ce chiffre, je ferais mieux d'en explorer davantage le contexte. Chose certaine, il comporte l'élément suivant, représenté par l'industrie de l'acier: deux mesures prises aux États-Unis, à savoir les droits antidumping et l'aide étatique, se sont conjuguées pour attirer des investissements dans ce pays. Les Américains se trouvent à dire, vous devez franchir un obstacle si vous voulez poursuivre vos activités au Canada; venez donc plutôt investir chez nous et vous n'aurez pas à surmonter cet obstacle. C'est un élément qui a certainement joué. Mais je ne crois pas que ce soit la seule raison pour laquelle ces investissements n'ont pas été faits.

Je promets de me pencher de nouveau sur la question et de voir si je peux trouver des renseignements plus détaillés à ce sujet.

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Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Macdonald.

Je voudrais maintenant, messieurs, vous demander si vous voulez faire une brève récapitulation avant que nous mettions fin à la séance.

Monsieur Hughes, voulez-vous faire une dernière observation?

M. Hughes: Non merci.

Le coprésident (M. Duhamel): Monsieur Dattu?

M. Dattu: Je voudrais revenir sur les chiffres que M. Macdonald a cités dans sa présentation.

Il en est question dans un article paru dans le Globe and Mail, et ces données proviennent peut-être en effet d'Industrie Canada. Il y a un service d'Industrie Canada qui s'appelle Partenariat Canada et qui s'efforce d'inverser la tendance dont témoignent ces chiffres.

Pour ce qui est de la position du Barreau canadien, nous avons dit publiquement que nous croyons que la législation antidumping du Canada doit être rédigée de manière à se conformer au code du GATT, mais qu'en attendant le moment où nous réaliserons le désarmement évoqué par M. Grubel, non pas un désarmement unilatéral, mais bien trilatéral au sein de l'ALENA, dans l'intervalle donc, notre législation doit se faire le miroir de la législation de nos partenaires commerciaux, en particulier des États-Unis.

Nous avons ensuite abordé la question du processus subséquent, et je devrais peut-être reformuler mon exemple. Pour l'étape antérieure, j'aurais dû parler du processus d'enquête, l'étape postérieure étant la mise à exécution. À l'étape de l'exécution, je crois qu'il y a place pour l'application des dispositions sur l'intérêt public.

Mais ce qui nous préoccupe au premier chef, c'est la question de l'accès. Un diagramme qui illustre très bien la difficulté qu'éprouve l'industrie canadienne vis-à-vis de l'industrie américaine pour l'accès aux recours commerciaux consiste en une comparaison de la durée des audiences dans les affaires portant sur l'acier. Je sais que vous avez beaucoup entendu parler de ces causes dans le domaine de l'acier, mais il se trouve que bien des gens que nous représentons ici aujourd'hui ont plaidé le pour et le contre dans ces causes. Nous connaissons donc à fond ces dossiers de l'acier et ils offrent une bonne base de comparaison, parce que les causes étaient en cours à peu près au même moment tant au Canada qu'aux États-Unis.

J'ai ici un graphique que je peux remettre au greffier du comité. Vous y verrez que dans les quatre causes qui ont été intentées aux États-Unis contre des producteurs canadiens et d'autres pays, en tout et pour tout, les quatre causes ont été entendues en deux jours consécutifs.

Du côté canadien, l'industrie canadienne de l'acier a dû intenter quatre causes séparées, chacune d'elles ayant duré de neuf à 13 jours ouvrables, pour un total cumulatif de 42 jours, en comparaison de seulement deux jours devant l'International Trade Commission des États-Unis. Cela met en relief une différence frappante entre le système canadien et le système américain. Donc, du point de vue de l'accès, nous disons que l'industrie canadienne ne doit pas être désavantagée par rapport à ses partenaires commerciaux, mais à l'étape de l'exécution, je crois que nous pouvons nous pencher sur les industries en aval qui sont touchées par des mesures réclamées par l'industrie canadienne.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Dattu. Je crois que M. Cranker préfère les termes que vous venez d'employer, nommément l'accès et l'exécution.

Monsieur Cranker, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Cranker: Je crois que nous devrions dire le plus clairement possible que notre section est composée d'avocats spécialisés en droit commercial qui représentent autant les plaignants que les importateurs.

Certains diront que 42 jours, c'est mauvais en comparaison de seulement deux jours aux États-Unis, mais beaucoup d'avocats de notre section rétorquent qu'en fait, cela montre que le processus est plus équitable et que nous avons l'occasion de plaider notre cause. Je tiens à ce que ce soit bien compris.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci, monsieur Cranker.

Monsieur Macdonald.

M. Macdonald: Monsieur le président, je n'ai rien à ajouter, mais je tiens à vous remercier, ainsi que les membres du comité, de nous avoir donné la chance de comparaître.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci.

Monsieur Mackenzie.

M. Mackenzie: Je n'ai rien à ajouter. Je crois que la discussion a été assez complète.

Le coprésident (M. Duhamel): Merci.

Soyez très bref, parce que j'ai été plus que généreux à votre endroit aujourd'hui, monsieur Grubel.

M. Grubel: Je sais.

Je veux dire que je suis très content de constater que des deux côtés de la table, nous voulons la même chose; nous différons d'opinion seulement sur la façon d'y parvenir. Je trouve cela très encourageant.

Le coprésident (M. Duhamel): Je vois. Je dois réfléchir à cette observation.

Messieurs, je veux vous signaler que nous avons une autre réunion qui aura lieu le mercredi 27 novembre. Les organisations suivantes comparaîtront: le Tribunal canadien du commerce extérieur, Revenu Canada antidumping, le Bureau de la concurrence, Industrie Canada, le ministère des Finances et Affaires étrangères et Commerce international.

[Français]

Je voulais simplement vous indiquer à quel point j'ai apprécié tant les témoignages que les échanges de cet après-midi. À vous tous, merci.

[Traduction]

Merci beaucoup.

M. Grubel: Je vous remercie de votre générosité, monsieur le président.

Le coprésident (M. Duhamel): La séance est levée.

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