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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 1er octobre 1996

.1103

[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

Permettez-moi de souhaiter la bienvenue à notre ancienne collègue, à notre collègue promue, Mme Venne.

Nous sommes saisis du projet de loi C-217, et c'est avec plaisir que nous vous écouterons.

[Français]

Mme Pierrette Venne (députée de Saint-Hubert): Merci, madame la présidente. Je suis très heureuse d'être de retour au Comité de la justice.

Lors de la deuxième lecture du projet de loi C-217 à la Chambre des communes, j'ai expliqué pourquoi il était impératif d'assurer l'intégrité et la sécurité des personnes qui témoignent dans des procédures criminelles relatives à une infraction d'ordre sexuel ou dans lesquelles est alléguée l'utilisation, la tentative ou la menace de violence.

À cet égard, j'ai fait état des affaires Fabrikant et Ferreira. Je ne reviendrai pas sur les faits de ces affaires, sinon pour rappeler que dans ces deux cas, les accusés se sont défendus eux-mêmes sans avocat et se sont prévalus de leur droit de contre-interroger eux-mêmes les victimes de leurs crimes. Il s'agit de deux cas parmi d'autres où les victimes ont dû affronter directement leur agresseur. Chaque fois qu'un accusé décide de se défendre seul, ses victimes risquent de devoir revivre une deuxième agression et, cette fois, en public.

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Mon projet de loi propose donc d'accorder à tous les témoins certaines mesures de protection dont jouissent déjà en ce moment les témoins âgés de moins de 14 ans. Plus spécifiquement, il consiste à modifier le Code criminel afin que l'accusé ne puisse plus contre-interroger lui-même un témoin dans des procédures relatives à une infraction d'ordre sexuel ou à une infraction comportant l'utilisation de la violence, à moins que le juge ne soit d'avis que c'est nécessaire pour la bonne administration de la justice.

Je sais très bien que le Code criminel contient des dispositions qui accordent à l'accusé le droit de présenter, personnellement ou par l'intermédiaire d'un avocat, une défense pleine et entière.

Je sais également que ce droit est implicitement garanti dans la Charte canadienne des droits et libertés par le principe voulant que l'accusé ait droit à un procès équitable.

Je comprends aussi que ce droit à une défense pleine et entière permet à l'accusé de faire entendre des témoins pour sa défense et de contre-interroger ceux de la poursuite pour tenter de mettre en doute la portée de leur témoignage.

Je sais qu'une des caractéristiques du droit de l'accusé à un procès public est la confrontation entre ce dernier et son accusateur.

Je ne suis pas sans savoir que mon projet de loi a pour effet de heurter les droits de l'accusé. Toutefois, les droits de l'accusé sont appelés à se mesurer aux droits des victimes et plus particulièrement au droit à la sécurité et à l'intégrité de ces dernières.

Il n'est ni normal ni tolérable que les victimes d'agressions sexuelles ou d'actes de violence, en général, soient obligées de se faire contre-interroger par celui-là même qui est l'agresseur présumé.

Mon projet de loi est une solution aux problèmes causés par l'autodéfense qui, malheureusement, est vouée à prendre de l'ampleur ces prochaines années, étant donné l'accès de plus en plus limité à l'aide juridique.

Le projet de loi C-217 constitue donc un moyen d'humaniser le processus pénal sans pour autant priver l'accusé de ses droits, puisqu'un avocat pourra être nommé afin de procéder au contre-interrogatoire des témoins.

À ceux qui me disent que le projet de loi C-217 a pour effet de heurter les principes bien établis de la common law, je leur dis... et alors! Depuis les 20 dernières années, le législateur et les tribunaux ont participé à l'abrogation des règles établies par la common law jouant en défaveur des plaignants en matière de délits sexuels.

Par exemple, on retrouvait en common law une présomption voulant que le témoignage de la plaignante, dans une affaire de viol, soit une pure fabrication. Afin de prouver la culpabilité de l'accusé, la Couronne devait établir une plainte spontanée de la plaignante et accepter de soumettre cette dernière à un contre-interrogatoire trop souvent humiliant et dégradant.

De plus, la corroboration était quasiment obligatoire puisqu'en son absence, le juge devait avertir le jury qu'il serait imprudent de rendre un verdict de culpabilité sur la seule foi du témoignage de la plaignante. Une telle exigence s'avérait un obstacle souvent insurmontable.

De la même façon, la common law autorisait auparavant une enquête approfondie du passé sexuel d'une victime d'acte sexuel. Fondée sur des stéréotypes discriminatoires, l'admissibilité de cette preuve permettait d'attaquer la crédibilité de la plaignante.

Depuis 1976, le législateur est intervenu à trois reprises afin de limiter le recours à ce genre de preuve. Une prise de conscience face aux problématiques que vivent les femmes et les enfants a conduit le législateur à intervenir afin d'assouplir certaines règles pour les infractions d'ordre sexuel. Mon projet de loi s'inscrit dans ce continuum.

À ceux qui affirment que le Code criminel confère déjà aux tribunaux la souplesse et la latitude voulues pour protéger les témoins, je dis que ces pouvoirs discrétionnaires ne sont pas suffisants puisque les abus persistent toujours. L'affaire Fabrikant en est un exemple.

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Même si les juges disposent en ce moment de pouvoirs leur permettant d'intervenir en cours de contre-interrogatoire, la plupart du temps, il est trop tard puisque le mal est déjà fait. Il n'est pas nécessaire d'exiger injustement des victimes qui ont subi une expérience traumatisante et douloureuse de revivre cette expérience par la confrontation directe avec leur agresseur.

À ceux qui peuvent croire que mon projet de loi a pour effet d'infantiliser les témoins, puisqu'il leur accorde la même protection dont bénéficient présentement les témoins de moins de 14 ans en vertu des paragraphes 486(1.1) et (2.3), je dis qu'ils ont une vision bien limitée de la problématique.

Le législateur est intervenu à maintes reprises afin d'édicter des règles de procédure spécifiques aux infractions d'ordre sexuel. Par exemple, en adoptant le paragraphe 486(1) du Code criminel, le législateur a apporté une exception au principe de la publicité du procès en permettant au tribunal d'imposer le huis clos. Dans ce cas, l'intention du législateur n'était pas d'infantiliser les plaignants et les témoins, mais bien de protéger la vie privée de ces personnes.

De façon similaire, le législateur est également intervenu afin de restreindre la règle de la publicité des procès en adoptant l'article 486, paragraphe (3). Cette disposition accorde au tribunal, dans certaines circonstances, le pouvoir de rendre une ordonnance interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit l'identité du plaignant ou celle d'un témoin.

Encore une fois, est-ce que cette disposition a pour effet d'infantiliser les plaignants et les témoins? Non! En fait, ces nouvelles règles ont un double objet: d'une part, assurer la protection des plaignants et des témoins, et plus particulièrement leur vie privée et, d'autre part, encourager le dépôt de plaintes et faciliter la preuve relative à la perpétration de crimes d'ordre sexuel.

Mon projet de loi s'inscrit dans ce continuum. En fait, il va même un peu plus loin puisqu'il assure l'intégrité et la protection, non seulement des victimes de crimes sexuels, mais également des victimes d'actes de violence.

De façon générale, notre droit pénal est un droit répressif parce qu'il vise à punir celui qui transgresse ces interdictions plutôt qu'à réparer les torts causés à la victime. On insiste donc davantage sur le châtiment du coupable même si parfois la sentence est assortie d'une ordonnance de restitution ou d'indemnisation. Le crime est donc vu comme une atteinte à l'ordre public. En conséquence, c'est donc l'État qui poursuit la personne qui a commis une infraction.

Les victimes, quant à elles, ne servent généralement que d'accessoires à l'établissement de la preuve par la Couronne. Toutefois, malgré son rôle effacé, la victime constitue souvent le témoin principal de la Couronne. Sans sa participation au processus pénal, la Couronne ne pourrait pas faire sa preuve et obtenir un verdict de culpabilité à l'endroit de l'accusé.

Mon projet de loi ne vise donc pas simplement à assurer l'intégrité et la sécurité des personnes qui témoignent dans des procédures criminelles relatives à une infraction d'ordre sexuel ou dans lesquelles est alléguée l'utilisation, la tentative ou la menace de violence, mais également à améliorer la participation de celles-ci au processus pénal. Cette participation ne doit pas être plus traumatisante que le crime lui-même.

Dans la mesure où les personnes qui témoignent dans des procédures criminelles relatives à ce type d'infraction continuent à dénoncer leurs agresseurs sans crainte et que nous reconnaissons le droit de ces victimes à la sécurité et à l'intégrité, les objectifs d'une justice pénale efficace et respectueuse peuvent être atteints. Nous avons la responsabilité, comme législateurs, d'intervenir afin d'éviter les abus.

L'aventure d'un procès criminel est déjà suffisamment pénible pour la victime sans qu'on ait à ajouter une confrontation directe avec l'accusé.

Voilà, madame la présidente, mon argumentation de ce matin. Merci.

.1115

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur Bellehumeur, vous avez 10 minutes, et je serai très stricte.

[Français]

M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm): En premier lieu, j'aimerais féliciter la députée d'avoir présenté un tel projet de loi. Je pense que le sujet est important et qu'il faut l'examiner sérieusement.

À l'époque, je n'étais pas critique à la justice pour le Bloc québécois, mais j'ai lu le discours que vous avez fait le 1er mai 1996, lorsque vous avez présenté ce projet de loi à la Chambre. Vous faites encore la même chose aujourd'hui, à savoir que l'argument premier de ce projet de loi est la protection des victimes. Dans les deux exemples que vous citez, l'affaire Fabrikant et l'affaire Ferreira, les accusés ont interrogé eux-mêmes les victimes parce qu'ils n'avaient pas d'avocat, et vous nous rappelez même des questions que Fabrikant a posées à sa victime. Je pense qu'on devrait pouvoir empêcher l'accusé de poser de telles questions à la victime.

Mais quand je lis le projet de loi, je me rends compte que votre vision est plus large. Il ne s'agit pas seulement d'interdire à l'accusé d'interroger sa victime, mais aussi d'interdire à l'accusé qui a commis certains crimes d'interroger tout témoin dans cette affaire. Est-ce que j'ai bien compris?

Mme Venne: Oui.

M. Bellehumeur: Il faudrait peut-être simplifier tout cela et faire deux projets de loi. Je sais bien que nous étudions le projet de loi C-217 aujourd'hui, mais ma collègue de Québec, Christiane Gagnon, a déposé un autre projet de loi, le projet de loi C-315, qui porte exactement sur le même sujet, mais qui voit la chose d'une façon différente. Elle limite cela au plaignant ou à tout témoin âgé de moins de 18 ans.

Voudriez-vous me dire quels sont les avantages de votre projet de loi par rapport à l'autre? Il y a le même article sur le même sujet, c'est-à-dire la protection des témoins. On recherche finalement le même objectif. Dans le projet de loi C-315, on limite la non-interrogation de la part de l'accusé au plaignant et à tout témoin âgé de moins de 18 ans. Dans le projet de loi C-217, vous dites que n'importe quel témoin ne pourrait être contre-interrogé par l'accusé.

Mme Venne: J'ai en effet regardé le projet de loi de Mme Gagnon puisqu'elle l'a déposé après le mien. Je voulais voir en quoi il différait du mien. En fait, c'est fondamentalement ce que vous mentionnez.

Je me suis dit à un certain moment que je devais peut-être me rallier à elle et dire que cela devait être limité aux victimes et aux personnes âgées de moins de 18 ans. Mais j'ai analysé de nouveau la chose et je maintiens maintenant ma position, à savoir que cela devrait s'appliquer à tous les témoins, comme je le mentionne dans mon projet de loi.

Je vais vous donner l'exemple d'une prostituée qui aurait été attaquée ou violentée par son proxénète. Il est évident, dans une telle circonstance, que le même proxénète a fait les mêmes menaces aux autres filles, qui, elles, ne sont pas encore victimes parce qu'elles n'ont pas encore été agressées. Elles ont seulement été menacées jusqu'au moment où elles ont vu ce qui était arrivé à l'autre. Donc, elles ne sont pas des victimes comme telles. Elles sont des témoins, cependant. C'est pour cela qu'il est important de protéger également ces témoins.

Aussi, il ne faudrait pas oublier que le juge qui préside a toujours la latitude, en vertu de l'autre paragraphe (2.3) que je modifie également par mon projet de loi, de dire si, oui ou non, il serait dans l'intérêt de la justice que l'accusé lui-même procède à l'interrogatoire. Dans ce cas-là, je pense qu'on verrait très bien un policier venir témoigner. Je ne vois pas pourquoi on n'admettrait pas que l'accusé lui-même interroge le policier. À ce moment-là, ce serait au juge de décider. Je pense qu'on pourrait procéder de cette façon.

M. Bellehumeur: Je n'ai pas d'autres questions.

M. Langlois (Bellechasse): Vous avez fait tout à l'heure une belle revue de l'évolution du droit criminel, particulièrement en matière d'agression sexuelle, que le Code appelait à l'époque le viol.

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On a beaucoup restreint les questions qui peuvent être posées à la victime sur sa conduite sexuelle antérieure.

Mais, pour que ce soit admissible, l'avocat doit d'abord démontrer au tribunal où il veut en venir et ce qu'il a l'intention de prouver. Ce n'est pas une partie de pêche. On ne peut plus essayer de semer le doute dans l'esprit des jurés en leur faisant croire qu'une personne aux moeurs soi-disant légères a carrément provoqué cette personne-là. Ce genre de chose n'est plus permis.

Vous étiez membre d'une législature antérieure, probablement la 34e, lorsque le projet de loi C-15, qui empêchait l'interrogatoire des enfants, a été voté. Celui-ci a résisté au test de la Charte et nos tribunaux en ont confirmé la validité. Il est bien évident - et là je vous concède d'emblée ce point-là - que lorsqu'un accusé, comme dans les cas que vous mentionniez tout à l'heure, notamment le cas Fabrikant et quelques autres cas assez bien connus, choisit de se défendre lui-même, on ne peut pas prévoir à l'avance ses questions. Son fil directeur, qui est déjà passablement compliqué, va être difficile à suivre. Dans d'autres cas, ce n'est pas aussi évident.

Je me demande si, entre votre projet de loi tel qu'il est actuellement et l'état du droit actuel, il n'y a pas un moyen terme. J'aimerais savoir, étant donné la portée considérable du projet de loi C-217, s'il n'aurait pas fallu, à toutes fins utiles, y inclure une clause dérogatoire pour éviter les contestations possibles ou si, à votre avis, le critère qui était appliqué dans l'arrêt Oakes est suffisant pour rendre votre projet de loi valide au sens de la Charte.

Mme Venne: Quand vous parlez d'une règle dérogatoire, qu'est-ce que vous voulez dire exactement?

M. Langlois: L'utilisation de l'article 33 de la Charte de 1992.

Mme Venne: Actuellement, de la façon dont le projet de loi est formulé, je ne vois pas pourquoi on dirait que c'est contraire à la Charte puisqu'on laisse quand même au juge le pouvoir de décider si, oui ou non, il est de l'intérêt de la justice que l'accusé procède lui-même directement. On n'interfère donc pas dans les droits de l'accusé et on protège le témoins. C'est ainsi que je vois les choses actuellement.

M. Langlois: Maître Venne, vous êtes notaire et vous reconnaissez le principe du libre choix de l'avocat ou du notaire, qui est un principe assez cardinal dans nos règles de droit. Le droit d'en choisir un, sauf pour certains actes notariaux au Québec, comporte aussi le droit de ne pas en choisir et, à la limite, de les révoquer tous. Lorsqu'il n'en reste plus, la Cour impose un avocat qui posera les questions que l'accusé ne voudrait peut-être pas entendre poser. Il me semble qu'il y a un problème. La justice française autorise la nomination d'un procureur d'office qui pose les questions qu'il veut bien poser sans l'accord de l'accusé. Je me demande s'il n'y aurait pas un moyen terme entre les deux. Je suis très sensible aux arguments que vous avancez, mais je suis aussi réticent à cause des règles plusieurs fois centenaires de notre droit criminel qui vont dans une autre direction.

Mme Venne: Je vous dirais qu'on a un choix entre l'intérêt de l'accusé et l'intérêt de la victime, dans certains cas. Et là évidemment, je n'ai aucun problème à considérer l'intérêt de la victime. D'un autre côté, vous avez mentionné à deux ou trois reprises que vous recherchiez un moyen terme. Je vous avoue honnêtement que j'ai tenté d'en trouver un, et c'est la seule solution à laquelle je suis arrivée. Si vous avez d'autres suggestions à faire pour améliorer le projet, j'aimerais les entendre.

M. Langlois: Je pense qu'en lançant le débat, on arrivera peut-être à en trouver une. Pour l'instant, je n'ai pas de solution magique. Merci, maître Venne.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay, vous avez 10 minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

Madame Venne, je vous remercie de cet exposé. J'aimerais faire quelques observations.

Dans votre projet de loi et dans votre exposé vous manifestez de la compassion pour les victimes. Pourtant, vous ne manifestez pas cette même compassion, s'agissant du projet de loi C-45, pour les familles des victimes qui doivent subir la terrible épreuve des audiences de mise en liberté conditionnelle anticipée pour les coupables de meurtre au premier ou au deuxième degré.

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Je le mentionne simplement en passant. Dans votre projet de loi il s'agit d'accusés, alors que dans le projet de loi C-45 il ne s'agit pas d'accusés, mais de condamnés. Il y a une différence.

Je comprends très bien votre objectif et votre compassion pour les victimes. J'allais cependant me demander si ce projet de loi ne nie pas aux accusés le droit de se défendre ou s'il ne donne pas aux tribunaux le droit de nier, dans certains cas selon certaines circonstances, le droit des accusés de se défendre? Ce projet de loi n'est-il pas contraire à l'esprit de la loi, c'est-à-dire à une justice fondée sur la vérité?

Que la véracité des témoignages soit établie par l'accusé ou par quelqu'un d'autre lors d'un contre-interrogatoire importe vraiment peu. Si votre prémisse est que donner à l'accusé le droit de questionner la victime ou les témoins dessert la vérité, dans ce cas j'aimerais entendre vos arguments. Ils pourraient me convaincre. Par contre, si vous avez simplement pour objectif de rendre la vie plus facile aux témoins ou aux victimes dans les procès, je ne peux pas appuyer votre projet de loi. Un des principes fondamentaux de la common law, c'est que non seulement l'accusé a le droit d'être confronté à son accusateur, mais qu'il a également le droit de contre-interroger son accusateur.

Soyons clairs. Si vous craignez que des accusés n'intimident d'une manière ou d'une autre des victimes ou des témoins au point de les empêcher de dire toute la vérité sur laquelle se fonde la justice, dans ce cas je veux entendre vos arguments, car de prime abord ils peuvent être valables.

Par contre, si votre projet de loi doit simplement servir de bouclier de protection aux victimes alors qu'il faudra que les mêmes vérités soient établies pour que le tribunal puisse déterminer la culpabilité ou l'innocence, cela me semble beaucoup plus difficile à accepter. Cela me semble beaucoup plus difficile à accepter, car c'est nier certains des principes les plus fondamentaux du droit et de la justice. Si vous m'accusez de quelque chose, j'ai le droit de vous confronter dans le prétoire. J'ai le droit de vous questionner, et si le tribunal m'impose un tuteur juridique ou un avocat pour agir en mon nom, ma culpabilité ou mon innocence peut fort bien dépendre de l'habileté, de la volonté et de la compétence de cette personne.

Je pourrais ajouter que l'examen des erreurs judiciaires au Canada montre, pas dans tous les cas certes, mais dans certains cas, qu'une des causes majeures de ces erreurs, c'est l'incompétence des avocats.

En conséquence, qu'il advienne que le tribunal me dise que je ne peux assurer ma propre défense et qu'il me faut accepter un défenseur nommé par le tribunal, mon sort dans ce cas particulier dépend de la compétence et de la volonté de ce défenseur. Il dépend du soin apporté par ce défenseur à son travail. Je n'aime pas trop ce principe, bien que dans la majorité des cas les accusés soient bien défendus. Je regarde où cela pourrait nous mener, et cela ne me plaît pas beaucoup.

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Je m'en tiendrai là; j'ai déjà pris cinq minutes de mon temps.

Madame Venne, j'aimerais que vous répondiez à ce que je viens de dire et en particulier que vous me disiez si vous craignez vraiment qu'autoriser un accusé à contre-interroger les témoins ou la victime n'empêche pour une raison ou pour une autre la vérité de sortir, alors que si c'est quelqu'un d'autre qui a la charge de ce contre-interrogatoire cela ne l'empêche pas. J'aimerais entendre vos arguments.

Merci.

[Français]

Mme Venne: Merci, monsieur Ramsay. Vous soulevez plusieurs points. La première des choses que j'aimerais vous faire remarquer, c'est que vous parliez au tout début de mon insensibilité vis-à-vis du projet de loi C-45. Je pourrais peut-être parler de votre insensibilité face aux victimes. Votre position n'est pas tout à fait la même que la mienne par rapport aux victimes dans ce cas-ci.

Cela étant dit - c'est une petite pointe d'humour - , j'aimerais vous parler de ce que vous mentionnez comme étant la vérité qui devrait éventuellement sortir.

Avant même d'en parler, il faudrait se rappeler que cet article et ce projet de loi ne s'appliquent qu'aux crimes commis avec violence ou aux crimes d'ordre sexuel. Il faut bien comprendre cela.

Cela étant dit, le but du projet de loi est d'éviter un deuxième traumatisme à la victime. C'est vraiment le but du projet de loi. La victime a déjà vécu une fois le crime, la violence, enfin tout ce qu'on peut décrire; elle n'a pas besoin de tout revivre une deuxième fois. C'est vraiment cela, le but de mon projet de loi.

D'autre part, si, pour la bonne administration de la justice, le juge croit qu'il serait préférable que l'accusé interroge lui-même la victime, il pourra recourir à une disposition contenue dans le projet de loi.

C'est pour ces raisons que je n'ai évidemment pas les résistances que vous avez. Voilà.

[Traduction]

M. Ramsay: Je vous remercie de cette réponse, mais vous n'avez pas répondu à ma question. Nous devons nous garder de toute mesure contraire aux objectifs de la justice, et il ne faut pas que l'accusé devienne une victime. En cas d'erreur judiciaire, c'est exactement ce qui se passe: l'accusé devient la victime.

Ce qu'un tribunal veut savoir, c'est la vérité et en savoir le plus possible sur tout ce qui a entouré le crime. Comme je l'ai dit tout à l'heure, si le contre-interrogatoire de la victime et des témoins par l'accusé empêche cela, s'ils sont traumatisés aux dépens - vous ne l'avez pas dit, mais c'est bien là l'argument - d'une vérité qui autrement aurait été établie si le contre-interrogatoire avait été mené, disons, par une personne indépendante, non directement concernée par les circonstances, je pourrais dans ce cas comprendre vos arguments. Mais un procès, ce n'est pas une sortie du dimanche avec l'école, et ces délits très graves entraînent des sanctions très graves. Il ne faut donc pas nier à l'accusé le droit de se défendre.

Un des principes fondamentaux de notre système de justice, c'est que tout accusé doit pouvoir se défendre, et, dans la mesure où votre proposition tend à nier ce principe, j'ai de grosses réserves... peut-être pas au niveau de votre objectif, mais au niveau des conséquences possibles qu'aurait le fait d'accorder aux juges le pouvoir de dire simplement: «Vous n'avez rien à dire à ce tribunal, car je vous ai nommé un avocat d'office. Vous n'avez rien à dire à aucun des témoins. Aucune question à aucun des témoins ne peut être...»

.1135

La présidente: Nous en sommes à 11 minutes.

M. Ramsay: C'est là tout le problème, madame Venne.

[Français]

Mme Venne: Je comprends ce que vous me dites. Tout ce que je peux ajouter, c'est qu'il est possible qu'une personne devienne pratiquement muette face à son agresseur et à ses questions. Si ces questions lui sont posées par une autre personne, il est possible qu'elle parle. C'est possible mais ce n'est pas le but.

M. DeVillers (Simcoe-Nord): Madame Venne, dans le cadre du projet de loi que vous proposez, qui est le client de l'avocat qui serait nommé par la cour? Est-ce la cour ou l'accusé qui est le client?

Mme Venne: Vous voulez dire qui va payer?

M. DeVillers: Qui va payer et qui va fournir les instructions à l'avocat? En règle générale, l'avocat est obligé de suivre les instructions de son client. Qui donnera d'abord les instructions?

Mme Venne: Il est évident que c'est la cour et que le gouvernement assumera les frais.

M. DeVillers: L'accusé n'aurait-il pas le droit de fournir des instructions à l'avocat?

Mme Venne: Je pense que normalement, les juges tiennent compte de ce que les personnes de la cour font, disent et demandent. Je ne vois pas pourquoi le juge ne pourrait pas donner ces instructions, évidemment en consultant l'accusé. Pourquoi pas? Tel n'est pas le but. Je pense que vous comprenez bien que le but est d'éviter le traumatisme à la victime. Quant au paiement et aux autres choses qui suivront, ce sera évidemment au gouvernement de les assumer.

M. DeVillers: D'accord. Merci, madame.

M. Discepola (Vaudreuil): Madame Venne, j'aurais deux brèves questions puisque la troisième a déjà été soulevée par mon collègue. Selon votre expérience, arrive-t-il souvent qu'un accusé agisse comme son propre avocat? En vue d'établir des coûts, il faudrait peut-être connaître la fréquence d'une telle situation.

Mme Venne: Je n'ai pas de statistiques très, très précises, mais il est évident - et je pense que tout le monde est au courant - que ce n'est pas ce qu'il y a de plus fréquent en ce bas monde. On le sait bien. Par contre, ce n'est pas parce que cette situation n'est pas fréquente qu'on ne doit pas légiférer.

M. Discepola: Mais pour essayer d'établir des coûts, est-ce que vous avez...?

Mme Venne: Non, mais on peut certainement consulter les provinces. Nous savons très bien que ce genre de cas est très rare. Cela vous donne une bonne idée. Par contre, nous savons également que, de plus en plus, l'aide juridique se retire de bien des domaines et que, de plus en plus, les gens auront tendance à se défendre eux-mêmes. Nous sommes encore moins en mesure de vous donner des chiffres pour l'avenir. C'est actuellement que sont effectuées les compressions budgétaires à l'aide juridique.

M. Discepola: Vous affirmiez que votre but principal était d'éviter un deuxième traumatisme chez la victime surtout. Ayant vu des avocats ou des avocates à l'oeuvre, je puis vous dire qu'en tant que témoin, je serais peut-être plus intimidé par un avocat ou une avocate que par l'accusé. Y voyez-vous vraiment un risque? Vous avez cité de bons exemples, dont ceux d'une prostituée ou d'autres témoins qui sont peut-être intimidés par les accusés. Croyez-vous vraiment que ça pourra régler votre préoccupation quant à l'intimidation et au traumatisme?

Mme Venne: Je vous avouerai que les avocats ne m'ont jamais causé de traumatisme. Peut-être qu'on voit différemment les choses. Il faut aussi dire que vous êtes un homme. Je ne devrais peut-être pas faire de sexisme positif, mais je suis tentée d'en faire. Je vais vous dire que vous êtes un homme.

.1140

Évidemment, pour vous, la situation ne serait pas la même que pour une femme qui est devant son violeur ou pour une femme de 66 ans qui s'est fait tirer par Valery Fabrikant, ce fou, ce professeur dérangé qui l'a tirée et atteinte.

[Traduction]

La présidente: Mon mari est professeur.

[Français]

Mme Venne: C'est d'un cas très typique que je parle.

Alors, pour une femme, c'est certainement différent. Par contre, le projet de loi n'est pas spécifiquement pour les femmes, bien qu'il arrive souvent que ce sont des femmes qui sont agressées.

M. Discepola: Est-ce que le choix ultime revient aux victimes ou si c'est le juge qui décide si une victime viendra témoigner contre un certain accusé?

Mme Venne: C'est le juge qui décide selon les circonstances.

M. Discepola: D'accord. Merci, madame la présidente.

[Traduction]

Mme Torsney (Burlington): Je veux ajouter une chose. Dans le cas de Fabrikant, je m'imagine que beaucoup d'hommes n'avaient peut-être pas surmonté leur état de choc. Ils avaient tous été fortement traumatisés et qu'ils auraient peut-être souhaité ne pas être confrontés à lui. Je généralise peut-être, mais ceux qui seraient le plus enclins à se défendre eux-mêmes et à essayer d'intimider les témoins pendant des heures et des heures seraient justement le genre de ceux qu'on n'aimerait pas avoir en face de soi dans un prétoire. Il faudrait qu'il y ait un autre système qui ne leur permette pas de s'acharner sur les témoins de leur crime.

Mme Venne: Vous avez tout à fait raison.

[Français]

Je pense que c'est ce qui est important aujourd'hui et c'est pour cette raison que j'ai déposé ce projet de loi. C'est aussi pour cette raison que nous nous retrouvons finalement ici aujourd'hui à en discuter; nous en voyons tous l'importance. Le projet de loi comporte-t-il trop de désavantages pour que nous puissions l'adopter? C'est sûr qu'il n'est pas parfait. N'est-il pas pas plutôt un pas dans la bonne direction? Ne devrions-nous pas aller en ce sens, quitte à le corriger plus tard? C'est peut-être ce qu'il nous faudrait décider. Merci.

M. Langlois: Fondamentalement, ne sommes-nous pas en train d'établir une gradation dans la présomption d'innocence, qui est une des caractéristiques de notre droit? Si on est accusé de crime avec violence, on a comme une présomption qu'on a commis le crime, alors que si on est accusé de vol simple, non qualifié, on a le droit à tous les motifs de défense, à interroger soi-même.

Je pense que fondamentalement, ce à quoi on s'attaque, c'est la présomption d'innocence. Bien sûr, je partage le point de vue des victimes. J'ai également eu l'occasion de m'exprimer sur le projet de loi C-45. Il faut en prendre le plus grand soin et je trouve qu'on n'en prend pas assez soin dans la société canadienne. Mais au moment du procès, lorsqu'on a affaire à une personne qui bénéficie de la présomption d'innocence, est-ce qu'avec votre projet de loi, on ne lui transfère pas déjà un fardeau? La Couronne n'a-t-elle pas déjà franchi la moitié du chemin parce que les règles de preuve sont différentes? Ne créerions-nous pas diverses catégories d'accusés dans un procès devant juge seul, par exemple, où le juge aurait déjà déterminé que l'accusé n'a pas le droit d'interroger ses victimes? Est-ce qu'avant même d'entendre la preuve, le juge ne se sera pas déjà fait une idée sur la culpabilité de l'accusé et est-ce que cela ne viendra pas entacher le jugement qu'il aura à rendre au mérite? Devant le jury, est-ce que ça ne pourra pas présenter un risque bien que différent cette fois-ci?

Ce sont des questions que je me pose parce qu'il est vrai que votre projet de loi est important. Il est important de l'étudier aussi, parce que vous prenez carrément de front, comme c'est votre style, le droit criminel et relevez des choses qui ne fonctionnent pas et qu'il faudrait corriger de cette façon.

J'aimerais vous entendre à ce sujet.

Mme Venne: Non, je ne crois pas qu'on va faire une gradation dans la présomption d'innocence.

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Cela s'applique à ce genre de crimes. C'est fait dans ce but parce que c'est la victime qui a été traumatisée. On parle de violence et de crimes d'ordre sexuel. La personne a été touchée directement. C'est vraiment le but du projet de loi. Pour ma part, je n'y vois pas de gradation. Si on regarde le fond du projet, le but qu'il vise et le genre de crimes qui sont commis, on comprend pourquoi cette protection de ces témoins particuliers est nécessaire.

M. Langlois: Merci.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Pour commencer, la victime et les témoins ne peuvent éviter de faire face à l'accusé. L'accusé est dans le prétoire, et ils sont assis en face de l'accusé. Supposons, madame Venne, qu'un avocat habile et rusé - et nous n'en manquons pas - joue le rôle de l'accusé et adopte même certains des traits de sa personnalité et contre-interroge la victime et les témoins au point de les traumatiser: que diriez-vous? Demanderiez-vous alors à la cour d'interdire ce genre de contre-interrogatoire?

En d'autres termes, si c'est l'intimidation des victimes qui nous inquiète, cette intimidation peut être provoquée - peut-être pas au même degré, mais peut néanmoins être provoquée - par tout contre-interrogatoire mené avec fermeté et avec rigueur par un avocat habile. Ne risquons-nous donc pas de nous engager sur une pente savonneuse en refusant à l'accusé le droit de contre-interrogatoire pour ne pas revictimiser la victime et les témoins? Si c'est pour ces raisons, les mêmes arguments ne peuvent-ils pas s'appliquer à l'avocat qui joue sur l'émotion des victimes, qui fait revivre aux victimes et aux témoins les expériences horribles entourant le crime?

Vous comprenez ce que je veux dire, madame Venne?

[Français]

Mme Venne: Oui, monsieur Ramsay, je comprends ce que vous me dites. Je vous répondrai seulement par un exemple des questions qu'Agostino Ferreira a posées à ses victimes lorsqu'il était en cour. Il faut rappeler qu'il était accusé de séquestration, d'enlèvement et d'agression.

Il demandait à une de ses victimes qui était devant lui si quelqu'un ou une force les accompagnait dans la chambre à ce moment-là. Ce contre-interrogatoire de M. Ferreira avec sa victime a duré une heure et demie. Il a interrogé la deuxième victime de viol pendant une heure et dix minutes, faisant allusion à un crucifix. Il lui a demandé si ses jambes étaient en croix au moment du viol. Il lui a demandé si elle avait été fouettée et si elle avait dû porter une couronne d'épines. Je vous avoue honnêtement que dans un tel cas, il était quant à moi évident que l'accusé n'aurait pas dû avoir le droit d'interroger sa victime.

[Traduction]

M. Ramsay: Ne pensez-vous pas que le juge a suffisamment de pouvoir pour refuser ce genre de questions? Je comprends exactement ce que vous voulez dire dans ce cas particulier: j'entends fort bien votre point de vue. Mais si le juge a jugé bon de laisser poser ces questions, est-ce que quelqu'un d'autre ne poserait pas exactement les mêmes? Ne devrait-on pas laisser au juge le soin de protéger les témoins contre des attaques injustifiées pendant les contre-interrogatoires? Ou bien faut-il donner aux juges des outils supplémentaires pour protéger les témoins en plus de ceux qu'ils ont déjà?

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[Français]

Mme Venne: Il me semble qu'ils ont effectivement besoin d'un peu plus d'outils puisqu'à ce moment-là le juge a décidé de ne pas le faire.

[Traduction]

M. Ramsay: L'aurait-il pu? Avait-il le pouvoir de le faire? Ses questions étaient-elles pertinentes?

[Français]

Mme Venne: Je pense que oui. Je ne vois pas pourquoi le juge n'aurait pas pu intervenir. Mais de là à lui donner un avocat d'office après, une fois qu'on a dit qu'il ne poserait plus de questions... Il faut quand même savoir ce qui s'est passé. Il faut que quelqu'un pose les questions. À ce moment-là, il est intéressant d'avoir ce paragraphe 486(2.3) qui permet de nommer un avocat d'office à l'accusé.

[Traduction]

La présidente: Madame Venne, nous n'en avons pas encore discuté en comité directeur ou en comité plénier, mais je ne pense pas trop m'avancer en disant que d'ici à Noël nous devrions avoir terminé. Permettez-moi de vous inviter à discuter avec le greffier du choix d'autres témoins que vous aimeriez que nous entendions, pour éviter tout malentendu et faciliter notre tâche. Si nous sommes diligents nous pourrons peut-être même aller encore plus vite.

[Français]

Mme Venne: D'accord. Merci.

[Traduction]

La présidente: Merci.

La séance est levée jusqu'à 15 h 30.

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