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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 6 novembre 1996

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[Traduction]

La présidente: Le projet de loi C-205 est la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le droit d'auteur (fruits d'une oeuvre liée à la perpétration d'un acte criminel). Notre témoin est M. Wappel, député fédéral et parrain de ce projet de loi d'initiative parlementaire. Il est accompagné de M. Frank Brown, conseiller technique responsable de ce projet de loi, et de John Macera du cabinet d'avocats Macera & Jarzyna, qui est spécialiste du droit d'auteur.

Monsieur Wappel.

M. Tom Wappel, député (Scarborough-Ouest): Merci, madame la présidente. C'est toujours un plaisir que de témoigner devant votre comité. Je vous remercie d'avoir présenté les personnes qui m'accompagnent aujourd'hui. À titre d'anecdote, sachez que ce sont des amis et collègues et que notre amitié remonte à l'époque où nous avons fréquenté ensemble la faculté de droit, il y a 25 ans.

Pour ce qui est du projet de loi C-205, imaginez un pays où les tueurs en série, les violeurs d'enfants, les meurtriers et les criminels violents peuvent, depuis leur cellule de prison, écrire l'histoire de leurs crimes, vendre le livre aux citoyens du pays qu'ils ont tant contribué à dévaster et entasser l'argent dans une banque située n'importe où dans le monde.

Imaginez un pays où ces criminels peuvent collaborer avec des producteurs de cinéma, vendre le scénario de leurs crimes, agir en qualité de conseillers techniques pour la création des films sur leurs activités infâmes et entasser leurs profits mal acquis dans une banque, n'importe où dans le monde. C'est triste à dire, mais ce pays, c'est le Canada.

Chers collègues, je vous ai fait parvenir le texte de mon allocution. Si vous croyez que je dramatise, vous n'avez qu'à regarder l'annexe de mon texte et vous verrez que le ministère de la Consommation et des Affaires gouvernementales de notre gouvernement a accordé des droits d'auteur au tueur en série Clifford Robert Olson pour divers vidéos qu'il a produit et qui s'intitulent Motivational Sexual Homicide Patterns of Serial, Child Killer - Clifford Robert Olson, et pour une oeuvre prétendument littéraire intitulée Inside the Mind of a Serial Killer - A Profile.

Il s'agit là de véritables droits d'auteur qui ont été accordés à un tueur sériel vivant dans notre pays. Dans notre pays, rien n'empêche un criminel de relater un crime qu'il a commis et d'en vendre le récit, en dépit du fait que la common law de notre pays, depuis des siècles, maintient que le criminel n'a pas le droit de profiter du crime qu'il a commis. C'est pourquoi une personne qui assassine son conjoint ne peut pas toucher la prime d'assurance-vie de sa victime, même si cette personne en est le bénéficiaire. Mais si un meurtrier écrit un livre sur un crime qu'il a commis et qu'il touche des profits de la vente de son livre, il profite de son crime au même titre que s'il touchait la prime d'assurance-vie sur sa victime. Et pourtant, rien n'interdit cela en droit canadien.

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Bien sûr, certaines personnes viendront alléguer que la Charte accorde à ces criminels le droit de vendre leur histoire, sous quelque forme que ce soit, et d'empocher les profits. Je ne suis pas de cet avis, comme la grande majorité des Canadiens. Comment peut-on empêcher une telle perversion des principes les plus fondamentaux du crime et du châtiment et, à vrai dire, de la justice?

Mon projet de loi d'initiative parlementaire vise à faire en sorte qu'aucun criminel ne tire profit de la rédaction ou de la vente de l'histoire de ses sordides activités.

L'idée m'est venue durant l'été 1993, lorsque j'ai lu dans les journaux un reportage selon lequel Karla Homolka envisageait de vendre son histoire. Si Karla Homolka le fait, pourquoi pas Paul Bernardo lui-même, ou Clifford Olson, ou Denis Lortie, ou encore les personnes qui ont torturé et assassiné le cireur de chaussures de Toronto Emmanuel Jacques?

Mon projet de loi se fonde sur deux principes. Tout d'abord, aucun criminel ne devrait faire de l'argent en relatant l'histoire de ses crimes. Ensuite - et c'est important, et je tiens à le souligner - il n'y a pas lieu d'empêcher les criminels de raconter leur histoire, à condition qu'on ne les rémunère pas pour le faire.

Ainsi, en un mot, le projet de loi - qui est très court, comme vous l'aurez constaté si vous l'avez lu - inclut dans la définition du terme «produits de la criminalité»:

Ainsi, le gouvernement aurait la capacité de saisir les profits en vertu des dispositions du Code criminel qui ont trait aux produits de la criminalité. En vertu de la Constitution, le droit pénal lui accorde clairement la permission de le faire.

Mais cette seule disposition ne peut nous aider si un criminel vend son histoire à un producteur de cinéma des États-Unis, par exemple, et que celui-ci rémunère le criminel en question en versant l'argent dans un compte de banque en Suisse.

Pour que cette possibilité soit prise en considération, mon projet de loi modifie la Loi sur le droit d'auteur, qui est clairement de compétence fédérale en vertu de la Constitution, ainsi que le Code criminel, afin de prévoir tout d'abord que la sentence relative à un acte criminel est réputée comprendre une ordonnance selon laquelle toute oeuvre fondée sur le crime est soumise à un nouvel article de la Loi sur le droit d'auteur; et ensuite, que le nouvel article précise que, dans le cas d'une oeuvre de ce genre, le droit d'auteur appartient pour toujours à la Couronne, plutôt qu'à la personne condamnée.

Cela permettra au Canada d'intenter une poursuite dans tout pays signataire de la Convention de Bernes sur le droit d'auteur, qui regroupe la plupart des pays industrialisés, de faire respecter ses droits, et notamment de saisir les fonds versés aux criminels ou d'interdire par injonction la vente de livres, vidéos, etc.

Je le répète, mon projet de loi n'empêchera pas un criminel de créer une oeuvre ni de collaborer à une oeuvre fondée sur son crime, mais elle l'empêcherait de tirer profit de sa création.

Ce projet de loi est appuyé par de nombreuses organisations non partisanes, parmi lesquelles les suivantes: l'Association canadienne des policiers, le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, Families Against Crime Today Society, End Violence Against Children, Citizens United for Safety and Justice, Victims For Justice, Emotional Support for Victims of Violence and their Family, CAVEAT - que tous les membres du comité connaissent- Victims For Justice, et Canadians Taking Action Against Violence.

Le projet de loi a fait l'objet d'un débat de 3 heures en Chambre. Jusqu'à maintenant, 23 députés ont parlé au moment de la deuxième lecture, 21 étant pour et 2 contre. Le projet de loi a été adopté en deuxième lecture le 24 septembre 1996, quasiment à l'unanimité.

En passant, je tiens à remercier le comité qui a aménagé son calendrier pour que je puisse défendre mon projet de loi à la première occasion. Je dis ma gratitude au comité de direction et aux membres du comité qui ont accepté de discuter de ce projet de loi si rapidement.

Cinq arguments ont été soulevés contre mon projet de loi lors du débat en deuxième lecture, et je tiens à répondre à chacun de ces arguments.

Tout d'abord, on a laissé entendre que la modification qui élargit précisément la définition de produits de la criminalité se trouve en quelque sorte à étendre les pouvoirs accordés par le droit pénal au gouvernement. On prétend qu'il en est ainsi parce que la définition de «produits de la criminalité» est élargie de façon à inclure l'argent qui est non pas tiré directement ou indirectement de la perpétration d'un crime, mais d'une activité légale, c'est-à-dire la rédaction d'un livre.

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Je réponds à cela que la perpétration du crime est une condition préalable à la rédaction à son sujet. Si le crime n'est pas commis, il ne saurait y avoir de livre à son sujet. Ainsi, le lien est direct et, s'il n'est pas direct, il est certes indirect.

De même, il n'y a pas de lien direct entre l'achat d'une assurance sur la vie d'un être cher, qui est une activité contractuelle légale, et l'obtention du montant de l'assurance après avoir assassiné l'être cher. Cependant, dans ce cas, la common law ne permet pas à un criminel de profiter financièrement de son acte.

De même, l'achat d'une voiture, d'un bateau, de bijoux ou d'oeuvres d'art, par exemple, est une activité parfaitement légale, mais si on achète ces biens avec de l'argent tiré directement ou indirectement d'un crime, ils peuvent être confisqués.

À la façon dont je comprends l'argument du gouvernement, si un tueur à gage achète une voiture avec l'argent tiré de son crime, cette voiture peut être saisie parce qu'elle est le produit de son acte criminel, mais s'il écrit un livre à propos du crime qu'il a commis et en retire des bénéfices, la loi ne permet pas d'en saisir le produit, car ce serait élargir les pouvoirs du Code criminel. C'est tout à fait absurde.

Quoi qu'il en soit, je ne demande pas, avec ce projet de loi, une extension théorique de la définition de «produits de la criminalité» contenue dans le Code criminel; j'ajoute un article à sa définition de «produits de la criminalité» qui assimilerait un cas pareil aux produits de la criminalité. Le Parlement du Canada, nous le savons, peut agir comme il lui plaît, à condition que ce soit en conformité avec les lois du pays, dont la Charte.

En second lieu, le gouvernement soutient que mon projet de loi est extrêmement lourd de conséquences, parce que les propositions vont au-delà de la période d'incarcération. C'est ainsi que le projet de loi stipulerait que pendant toute sa vie un agresseur armé ne pourra jamais écrire un livre sur les méfaits qu'il a commis et qu'il a payé sa dette à la société en purgeant sa peine de prison, et c'est pourquoi ce projet de loi va trop loin en étendant cette interdiction au-delà de la période d'incarcération.

Ma réponse est simple: selon le projet de loi, une partie obligatoire de la sentence imposée après la condamnation exige que le droit d'auteur rattaché à toute oeuvre concernant le crime perpétré par le criminel soit soumis au nouvel article 12.2 de la Loi sur le droit d'auteur. Oui, cela pourrait durer toute la vie du condamné, mais en quoi est-ce différent du paragraphe 100(1) du Code criminel, qui permet à un juge, au moment de la sentence, d'interdire à une personne de posséder des armes à feu ou des explosifs pour toute la durée de sa vie? Cette personne a peut-être purgé sept ans de prison pour ce qu'elle a fait, mais elle n'en est pas moins interdite à vie de posséder des explosifs ou des armes à feu. Au plan intellectuel ou juridique, il n'y a pas de différence entre cette clause et ce que je propose.

En troisième lieu, on a allégué que, puisque le ministre de la Justice travaille actuellement avec ses collègues provinciaux à réaliser en partie ce que propose mon projet de loi - et je souligne «en partie ce que propose mon projet de loi» - celui-ci devrait en quelque sorte être suspendu. Je soulignerai tout d'abord que ce genre de pourparlers est en cours depuis un certain temps déjà, sans résultats concrets. En second lieu - et c'est ce qui est encore plus important - même si le gouvernement fédéral et toutes les dix provinces adoptaient des lois uniformes, ils n'empêcheraient pas un criminel canadien de tirer profit du récit de son crime, ou de la vente de ce récit hors du Canada. Cela n'empêcherait donc pas des gens comme Bernardo ou Olson de vendre à un réalisateur de films étranger les droits à leur histoire, à faire déposer l'argent dans un compte bancaire suisse et à le dépenser ensuite impunément n'importe où dans le monde à l'exception du Canada. Mon projet de loi empêcherait une telle absurdité.

En quatrième lieu, le gouvernement allègue que le projet de loi crée un problème de droit international, affirmation qui est faite sans fondement et sans référence à une section particulière d'une loi ou d'une convention internationale. Je rejette catégoriquement cette allégation, et ce pour les raisons suivantes.

Les articles de la Convention de Berne n'ont, par eux-mêmes, aucun effet juridique au Canada, mais parce que notre loi à nous - notre propre Loi sur le droit d'auteur - est tirée en partie de ces articles de la Convention de Berne, celle-ci sert d'outil d'interprétation à notre propre législation, sans pour autant être exécutoire.

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Le mot «auteur» n'est pas défini dans la Convention de Berne et c'est donc à notre législation de le définir. La loi du Canada ainsi que d'autres pays signataires de la Convention de Berne prévoit que la propriété d'une oeuvre peut être réputée appartenir à une autre personne que son auteur, et ces dispositions arbitraires n'ont fait l'objet d'aucune opposition de la part de la communauté internationale.

Je voudrais citer spécifiquement, madame la présidente, l'article 12 et l'alinéa 13(3) de la Loi sur le droit d'auteur, articles qui figurent actuellement à cette loi.

Je cite l'article 12:

Et l'alinéa 13(3):

Comme vous le constaterez, membres du comité, l'idée que le droit d'auteur appartient àSa Majesté et non à un criminel est déjà appliquée à des auteurs canadiens respectueux de la loi s'ils travaillent pour la Couronne fédérale ou pour un employeur. Quel mal y a-t-il alors à étendre cette notion à des criminels?

Le principe fondamental de la Convention de Berne exige de chaque pays membre d'étendre aux auteurs et aux oeuvres de tous les autres pays membres... quoi au juste? La même protection qu'à ses propres ressortissants. Elle n'assure pas un code uniforme ou un ensemble de principes, mais exige plutôt que les signataires accordent la même protection aux étrangers qu'à leurs propres citoyens.

Comme je le disais tout à l'heure, la Convention de Berne ne définit pas le terme «auteur» ni le terme «propriété initiale», et c'est donc aux pays membres de définir ce terme selon la loi du pays, et c'est exactement ce que mon projet de loi propose de faire.

Dans son article intitulé «Copyright in Foreign Works: Canada's International Obligations», l'auteur, David Vaver, fait remarquer que des pays attribuent souvent la propriété d'une oeuvre à l'employeur selon diverses techniques juridiques qui vont de l'octroi initial du droit d'auteur à l'employeur à la création d'une cession automatique de ce droit par l'auteur à l'employeur. Je viens de citer, de notre propre Loi sur le droit d'auteur, l'article qui stipule cela.

Le projet de loi C-205 propose d'accorder le droit relatif à une oeuvre à Sa majesté la Reine du chef du Canada. Cela est conforme aux pratiques établies dans d'autres pays membres.

Dans son article intitulé «Ownership of Employment Creations», L.E. Harris fait remarquer qu'un grand nombre de pays qui adhèrent à la Convention ont prévu que l'employeur pouvait être titulaire du droit d'auteur, et jamais on n'a prétendu que ce droit pouvait être contraire aux obligations internationales au cours des 62 ans d'existence de ces dispositions.

C'est pourquoi je demande, si le droit relatif à l'oeuvre d'un véritable auteur peut être accordé à son employeur ou être réputé lui appartenir, peut-on s'opposer à ce que l'oeuvre préparée par un criminel au sujet de son crime soit réputée appartenir à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, particulièrement lorsque cette propriété réputée vise à servir des fins de politique publique, de sécurité publique, de paix, d'ordre et de bon gouvernement?

Enfin, le gouvernement déclare que les modifications proposées risquent de donner lieu à une contestation fondée sur la Charte et que ce risque devrait en quelque sorte empêcher le projet de loi C-205 d'être adopté. Je prie respectueusement le comité de rejeter catégoriquement une affirmation aussi ridicule.

Toutes les lois que nous adoptons, en particulier en matière de droit criminel, sont - le comité le sait fort bien - susceptibles d'être récusées en invoquant la Charte. C'est dans la nature des choses. Le Parlement du Canada a adopté une loi sur le contrôle des armes à feu, sachant qu'il courait ce genre de risque. À vrai dire, cette crainte était fondée, puisque la loi fait bel et bien l'objet d'une contestation. Pourtant, ce risque ne nous a pas empêchés d'adopter le projet de loi.

Le Parlement a adopté la Loi sur le contrôle des produits du tabac, sachant qu'il courait le risque d'une contestation fondée sur la Charte, et malgré toutes les garanties du ministère de la Justice quant au caractère constitutionnel de ce projet de loi, la Cour suprême ne l'en a pas moins déclaré contraire à la Constitution. Malgré ce risque le Parlement a adopté le projet de loi. Nous nous apprêtons à proposer un nouveau projet de loi, parce que nous savons que le principe est juste.

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Le ministre de la Justice a proposé dans le projet de loi C-55 qu'une personne qui n'a pas été accusée pour un crime ni condamnée pour un crime et qui est simplement soupçonnée de «risquer» de commettre un crime puisse être mise sur table d'écoute. S'il y a un projet de lui qui risque une contestation fondée sur la Charte, c'est bien celui-là. Pourtant, nous allons de l'avant.

N'oubliez pas que mon projet de loi n'empêche d'aucune façon un criminel de rédiger un livre, de collaborer à un film ou de s'exprimer d'une façon ou d'une autre. Le projet de loi C-205 empêche simplement le criminel de profiter de cette liberté d'expression, seulement dans les rares circonstances où cette liberté d'expression concerne le crime qu'il a commis. Quoi qu'il en soit, même s'il y avait infraction aux dispositions de la Charte, j'estime que la Cour suprême invoquerait l'article premier de la Charte pour valider le projet de loi, puisqu'il confirme un truisme qui existe depuis des siècles dans notre droit, c'est-à-dire qu'un criminel ne peut tirer profit de son crime.

Madame la présidente, j'invite le comité à examiner le projet de loi C-205, à écouter les témoins, à envisager de le modifier de façon raisonnable, le cas échéant, à écarter toute opposition non fondée et à renvoyer le projet de loi à la Chambre pour la troisième et dernière lecture, afin de garantir que personne ne puisse profiter de quelque façon que ce soit de la perpétration d'un crime.

Merci. Je suis prêt à répondre aux questions.

La présidente: Merci.

Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Je tiens à remercier M. Wappel et ses collègues d'être venus aujourd'hui et de nous avoir fait cet exposé. Il me semble que tout cela est logique et plein de bon sens, M. Wappel. Je crois que vous avez très bien réfuté les cinq préoccupations qui ont été soulevées à la Chambre en deuxième lecture. Je donne mon appui à ce projet de loi et je partage les opinions que vous avez exprimées cet après-midi.

Voici ma question. Depuis que vous avez déposé ce projet de loi, et depuis la deuxième lecture, avez-vous trouvé une modification qui pourrait renforcer ce projet de loi?

M. Wappel: On ne m'a proposé aucune modification, quelle qu'elle soit, et je ne peux donc pas formuler de commentaire à ce sujet. Loin de croire que ce projet de loi soit parfait, j'ai déjà dit que s'il y avait des modifications fondées, le comité devait les considérer. Mais personne ne m'a proposé d'amendement au sujet duquel je pourrais formuler un commentaire.

M. Ramsay: Voici où je veux en venir. Y a-t-il des critiques exprimées au sujet de ce projet de loi ou avez-vous vous-même réfléchi au projet de loi et trouvé des modifications qui pourraient l'améliorer?

M. Wappel: Non.

M. Ramsay: Je n'ai pas d'autres questions, madame la présidente.

La présidente: Monsieur Telegdi.

M. Telegdi (Waterloo): Merci, madame la présidente.

J'aime l'intention de votre projet de loi et j'y souscris, particulièrement lorsqu'il s'agit de personnes comme Bernardo, Olson, et d'autres. J'ai toutefois quelques préoccupations et je pense que vous pourriez m'aider, peut-être en modifiant le projet de loi pour y répondre.

Je pense à Roger Caron, l'auteur de Go Boy! et de Bingo!, entre autres. Pensez-vous que votre projet de loi devrait s'appliquer à ce genre de livre?

M. Wappel: Je pense que la définition de ce à quoi s'applique ce projet de loi est claire, du moins, je l'espère sincèrement. Il s'agit d'une oeuvre qui, et ce cite le projet de loi:

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M. Telegdi: Dans ce cas, je vois un problème: ce livre mentionne évidemment, en passant, que Roger Caron a commis des vols à main armée, dont certains sont décrits; pourtant, le gros du livre porte sur les conditions de vie en prison, sa vie avant de devenir criminel et sa situation particulière.

Je n'aurais certainement pas de difficultés en ce qui a trait à l'affaire Bernardo, l'affaire Olson ou tout autre cas semblable. Tout cela est un peu ironique. Je songe par exemple au procès de O.J. Simpson. Tout le monde a écrit un livre à ce sujet, que ce soit l'avocat de la défense ou l'avocat de la poursuite ou toute une série d'avocats à la pige. Je trouve cette commercialisation d'une situation tragique assez choquante, et je ne sais pas ce qu'il faut faire à ce sujet. Il est à mon avis assez révoltant que quelqu'un comme Simpson - qui a commis une infraction - profite personnellement de la situation, sauf qu'il est poursuivi au civil à l'heure actuelle. J'espère que s'il est trouvé coupable, l'argent ou les ressources dont il dispose à l'heure actuelle disparaîtront rapidement.

N'y aurait-il pas moyen d'être plus précis dans le projet de loi plutôt que d'être très général? Je n'aimerais pas que quelqu'un comme Roger Caron ne puisse écrire un livre.

Il y a également le principe selon lequel les gens qui sont trouvés coupables d'un crime ne devraient pas se retrouver dans une meilleure position à un moment donné à cause de leur crime, et naturellement nous avons la situation où quelqu'un qui commet un crime - et c'est là le principe, et j'espère que vous pourrez m'aider ici - n'a aucune compétence lorsqu'il arrive dans un établissement pénitentiaire. Mais s'il suit un cours de formation, une fois sorti il sera employable.

C'est ce qu'on appelle j'imagine le principe de la réintégration, et c'est quelque chose qui est à l'avantage de la société, naturellement. Ces personnes peuvent contribuer à la société, avoir un emploi et gagner leur vie. De toute évidence, vous n'êtes pas contre ce principe.

Comment pouvons-nous nous assurer que le projet de loi n'est pas trop général et que, d'abord, l'on permette la publication de livres comme Go Boy!, mais pas celle de livres écrits par Homolka ou Bernardo. Franchement, qu'ils le fassent pour faire un profit ou gratuitement, je trouve cela choquant de toute façon. Je pense à la possibilité que Clifford Olson écrive un livre et certains titres qu'il propose... je trouve tout simplement que cela est extrêmement choquant.

Je me demande si vous pouvez m'aider ici. Pouvons-nous faire une différence entre la nature des crimes?

M. Wappel: Je vais essayer. Je vous remercie de votre question.

Tout d'abord, je ne pense pas que je puisse dire que nous ne pourrions pas permettre à quelqu'un de s'exprimer. Vous avez dit, je crois, que vous trouviez choquant que Bernardo puisse écrire un livre. Nous avons une Charte des droits et libertés au Canada qui garantit la liberté d'expression. Du point de vue de la liberté d'expression, il serait très dangereux que nous empêchions ou même que nous essayions d'empêcher les gens de s'exprimer.

Dans mon projet de loi, je ne dis pas qu'ils ne peuvent pas s'exprimer. Je dis qu'ils ne peuvent pas profiter du fait qu'ils se sont exprimés, si en s'exprimant ils parlent du crime même dont ils ont été trouvés coupables.

Donc, par exemple, M. Simpson, si le crime avait été commis ici, ne serait de toute évidence pas visé par le projet de loi, car il a été acquitté. Qu'il soit ou non trouvé civilement responsable n'est pas la question, car pour être visé par le projet de loi à l'étude, une personne doit avoir été trouvée coupable d'un crime aux termes du Code criminel.

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Regardons un peu qui est visé par le projet de loi. Premièrement, une personne doit avoir été trouvée coupable d'un crime en vertu du Code criminel. Deuxièmement, une personne doit avoir été trouvée coupable d'un crime qui constitue un acte criminel aux termes du Code criminel. Troisièmement, il faut avoir réalisé des profits grâce à ce livre que l'on a écrit ou à cette histoire qu'on a vendue. Le projet de loi se limite à ces cas.

Si on accepte le principe selon lequel un criminel ne devrait pas faire un sou en profitant du crime qu'il a commis, alors il devient très difficile de commencer à diluer ce principe ou à le diviser ici et là, car qui va le faire? Combien de fois va-t-on le diviser? Et dans quelles circonstances?

Quant au livre que vous avez mentionné, il n'y a rien dans mon projet de loi qui empêcherait son auteur d'écrire un tel livre. Il n'y a rien dans mon projet de loi qui l'empêcherait de gagner un prix après avoir écrit ce livre ou encore d'accepter un prix après avoir écrit ce livre.

Toutefois, cela l'empêcherait d'accepter de l'argent pour avoir écrit ce livre, à condition que le livre porte sur les crimes dont il a été reconnu coupable. Si le livre parle des crimes de quelqu'un d'autre, s'il s'agit de la période de dépression au Canada, s'il s'agit des chasseurs inuit - vous me comprenez - il pourrait gagner autant d'argent qu'il le veut. Par contre, s'il s'agit des crimes mêmes pour lesquels il a été condamné, il me semble anormal qu'on permette à quelqu'un de gagner de l'argent en racontant les crimes pour lesquels il a été condamné, des crimes qui ont fait des victimes dans ce pays même.

M. Telegdi: Pourriez-vous...

M. Wappel: Autre chose, M. Telegdi, sur quoi on a attiré mon attention. Dans le paragraphe 1c) de mon projet de loi, on voit les mots «correspond essentiellement», si bien qu'on pourrait prétendre - et c'est peut-être un amendement que vous pourriez envisager - qu'en précisant que l'oeuvre doit correspondre essentiellement à l'infraction, cela rend les choses plus précises.

Par conséquent, dans l'exemple que vous donnez, si dans un livre de 400 pages on fait une référence en passant à une infraction commise par l'auteur, la Couronne ou les tribunaux pourraient déterminer pour des raisons légitimes que le livre ne correspond pas essentiellement à l'infraction. Dans ces conditions, l'auteur serait autorisé à conserver les bénéfices. Cet énoncé figure déjà dans le projet d'article.

M. Telegdi: Voilà un détail utile. Par conséquent, si Svend Robinson... Je ne sais pas très bien comment il a été arrêté et comment il a abouti en prison pendant une semaine, je ne sais pas s'il s'agissait d'une déclaration sommaire de culpabilité ou d'un acte criminel.

M. Wappel: Je crois qu'il s'agissait d'un outrage au tribunal, et je ne crois pas que ce soit un acte criminel.

M. Telegdi: Autrement dit, s'il écrivait un livre sur ses activités politiques, ces dispositions n'auraient aucun effet.

M. Wappel: Certains vous diront que n'importe quel livre sur des activités politiques est criminel.

Des voix: Oh, oh!

M. Telegdi: Quoi qu'il en soit...

La présidente: Merci, M. Telegdi.

Madame Clancy.

Mme Clancy (Halifax): Merci beaucoup.

M. Wappel, j'aimerais que vous développiez votre réponse au sujet de la position du ministère de la Justice qui prétend que votre projet de loi risque d'être contesté sur la base de la Charte, et plus particulièrement, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots, à votre avis, si cela s'inscrirait dans le test en ce qui concerne l'exemption de l'article 1?

M. Wappel: Permettez-moi d'inverser et de dire qu'au terme de l'article 1, la justification est très claire: depuis les débuts de la common law, le principe a toujours été que le criminel ne devait pas profiter de son crime.

Mme Clancy: Je vous ferai observer avec respect que c'est la réponse classique, mais pour commencer, j'aimerais avoir un peu plus de détails sur les risques en ce qui concerne la Charte.

M. Wappel: Je vous avouerai que je ne vois pas de risque en ce qui concerne la Charte. C'est le ministère qui considère que le risque existe.

Mme Clancy: Mais dans notre profession, est-ce que ce n'est pas parfois difficile? Lorsque nous faisons une proposition, nous devons considérer les deux parties. Vous ne les avez pas du tout considérées.

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M. Wappel: Le ministère prétend que cela pourrait être considéré comme une atteinte excessive à la liberté d'expression. C'est la raison pour laquelle je continue à dire que rien dans ce projet de loi n'empêche quiconque de s'exprimer. Le seul effet de ce projet de loi, c'est qu'il empêche les gens de profiter de ce qu'ils ont exprimé, et cela dans des circonstances limitées.

Mme Clancy: Est-ce qu'on ne pourrait pas prétendre que la liberté d'expression est parfois menacée lorsqu'on cherche à éliminer le motif du profit?

M. Wappel: On peut prétendre n'importe quoi, j'imagine, et on peut proposer n'importe quoi, mais en fin de compte, ce serait à la Cour suprême de trancher sur la base d'une situation précise.

Mme Clancy: Cela dit, quelle est votre théorie personnelle en ce qui concerne les effets de la suppression du motif profit; pensez-vous que ce soit un obstacle ou un encouragement à la liberté d'expression?

M. Wappel: Pour commencer, la législation doit toujours trouver un point d'équilibre entre les divers intérêts. Dans ce cas, il s'agit d'une part des intérêts de la société qui sont d'empêcher les criminels de profiter de leurs crimes, et d'autre part, les intérêts des criminels qui voudraient bien pouvoir profiter de leurs crimes en les racontant. Dans ces circonstances, il me semble que la question ne se pose pas. De toute évidence, c'est la société qui doit l'emporter.

Deuxièmement, les gens qui écrivent un livre peuvent avoir des motifs très divers: il peut s'agir d'une confession, d'une tentative de s'expliquer à soi-même, à défaut de l'expliquer à quelqu'un d'autre, pourquoi on a commis un crime...

Mme Clancy: Une expiation.

M. Wappel: ...une expiation. Le profit est un motif parmi beaucoup de motifs possibles. Si, en pesant les divers éléments on en vient à se demander s'il faut empêcher quelqu'un de gagner de l'argent, quelqu'un dont le but est de gagner de l'argent en racontant un crime et non pas d'empêcher ce genre de chose de se reproduire, il me semble qu'il faut pencher du côté de l'innocent, si je peux m'exprimer ainsi.

Mme Clancy: Il me reste encore une question. Dans votre exposé, vous avez demandé à notre comité de rejeter catégoriquement une notion aussi ridicule. Vous avez parlé de «rejeter catégoriquement», mais je ne suis pas certaine de bien comprendre. S'agit-il d'une fioriture rhétorique? Mais vous n'êtes peut-être pas sujet aux «fioritures rhétoriques».

M. Wappel: Je dois reconnaître que cela m'est arrivé.

En effet, il y a une part de rhétorique et une certaine part de fioriture. Merci de l'avoir remarqué.

Mme Clancy: Il n'y a pas de quoi. J'aimerais seulement savoir ce que cela veut dire.

M. Wappel: Cela veut dire que si nous acceptons le principe selon lequel tout projet de loi qui risque d'être contesté en vertu de la Charte doit être rejeté, la Chambre des communes n'adoptera jamais rien. Voila ce que cela veut dire.

La présidente: Monsieur Ramsay, vous aviez d'autres questions?

M. Ramsay: Non, je trouve ce projet de loi très bien.

La présidente: Vous me permettez de poser une question? Aux termes de votre projet de loi, que se passe-t-il lorsque quelqu'un est en prison, après avoir été condamné pour une infraction grave, quelqu'un qui continue à prétendre qu'il n'est pas coupable et qui décide d'écrire un livre? Je pense à Donald Marshall. Supposons que Donald Marshall ait écrit un livre pour financer ses appels, est-ce que votre projet de loi l'en empêcherait?

M. Wappel: Madame la présidente, vous avez dit, je crois, que quelqu'un était en prison mais prétendait ne pas être coupable.

La présidente: Oui, mais la personne en question a été condamnée.

M. Wappel: Effectivement. Personne n'est en prison à moins d'avoir été condamné. Autrement dit, cette personne est coupable à moins d'une erreur de justice, et nous espérons tous que celles-ci sont relativement rares.

Maintenant, supposons que le condamné écrive un livre, aux termes de ce projet de loi, les bénéfices seraient versés à l'État. Autrement dit, il faudrait que quelqu'un tienne des comptes très sérieux. Par la suite s'il s'avérait qu'il y a eu erreur de justice, si la personne condamnée à tort était véritablement innocente, on pourrait alors lui rembourser l'argent sur la base des comptes tenus, et comme nous le savons tous, le gouvernement fédéral a toujours de l'argent.

La présidente: Ou du moins du crédit.

M. Wappel: Ou du moins du crédit, et cela ne s'arrête jamais. Ainsi, donc, même après très longtemps, dans ces rares cas, il serait possible de rendre l'argent, probablement avec intérêts.

.1620

La présidente: Vous vous souvenez de l'affaire Julius Melnitzer, l'avocat de London condamné pour avoir escroqué ses clients de millions de dollars.

M. Wappel: Absolument.

La présidente: Il a écrit un livre pendant qu'il était en détention, sauf erreur. Dans ce livre, il décrit ses crimes, mais il parle aussi de la vie en prison. Bien des gens estiment que c'est un document littéraire tout à fait valable. Ce livre serait-il visé par cette mesure?

M. Wappel: Je ferai à peu près la même réponse qu'à la question de M. Telegdi. Si l'oeuvre traite en grande partie des crimes commis, oui, elle serait visée. Si par contre l'auteur n'en fait qu'une description anecdotique, et décrit ensuite sa réadaptation et ce qu'il a observé en prison, alors je répondrais non.

La présidente: Un dernier point. Vous faites une comparaison que j'ai du mal à accepter quand vous comparez l'interdiction à vie de profiter de la publication à l'interdiction à vie pour les armes. Parce que l'interdiction des armes vise à empêcher cette personne de récidiver. Franchement, je ne vois pas comment on peut faire cette analogie avec notre nouvelle loi.

L'idée de prolonger cette pénalité - car j'appelle cela une pénalité - au-delà de la durée de la sentence, ne suit pas la même logique, parce que l'on ne vise pas à empêcher la personne de récidiver. On vise plutôt à l'empêcher de s'enrichir en racontant sa vie ou une partie de sa vie.

Rien n'en dépend, dans un sens ou dans l'autre. J'ai quelque sympathie pour l'objectif que vous cherchez à atteindre, mais M. Melnitzer, qui a été reconnu coupable, pourrait à un moment donné obtenir un pardon et passer à autre chose. Disons que votre projet de loi est adopté et qu'il ne peut pas tirer profit de la publication de son histoire. Après qu'il aura payé sa dette à la société, qu'il sera réhabilité et aura obtenu un pardon, pourquoi ne pourrait-il raconter son histoire?

M. Wappel: La réponse est très simple. Ou bien on accepte le principe qu'un criminel ne doit pas tirer profit de son crime, ou bien on ne l'accepte pas. Si vous acceptez au départ qu'un criminel ne doit pas tirer profit de son crime, c'est bien beau qu'il soit réhabilité, mais le principe demeure: on ne doit pas faire de l'argent avec le crime que l'on a commis.

Pour ce qui est de l'interdiction à vie, je vous rappelle qu'il est question de propriété intellectuelle, et que cela relève du droit d'auteur. Le droit d'auteur stipule qu'un auteur détient un droit sur son oeuvre pendant la durée de la vie de l'auteur, plus 50 ans. Si nous remettons le droit d'auteur à l'État, cela s'étend sur la vie de l'auteur plus 50 ans. Ce n'est pas un nouveau concept. C'est ainsi que fonctionne le droit d'auteur. Je voulais le préciser.

Quant à la question du pardon, c'est un bon argument. Le comité voudra peut-être envisager d'apporter un amendement, stipulant par exemple que «la présente disposition ne s'applique pas si un pardon a été accordé». Peut-être que nous ne voudrons pas le faire non plus. Même au cas où un pardon est accordé, nous voudrons peut-être que cette disposition demeure.

Madame la présidente, on pourrait peut-être résoudre cette objection particulière, au moyen d'un amendement motivé pour quelques très rares cas, car cela met évidemment en cause les criminels les plus dangereux pour la société canadienne. Même très longtemps après les événements, je ne peux imaginer que Paul Bernardo obtienne jamais un pardon, même s'il marchait sur les eaux du lac Ontario. C'est impensable. Clifford Olson non plus.

Il pourrait y avoir des cas comme celui que vous avez évoqué, en particulier dans le cas d'un pardon que l'on pourrait traiter différemment grâce à un amendement. Je n'aurais pas d'objection, en pareil cas, à ce qu'on examine au moins la question.

La présidente: Je fais observer que dans le cas d'une condamnation à vie, il ne peut y avoir de pardon. Ce n'est pas prévu par la loi.

M. Wappel: Merci de cette précision.

La présidente: Et pour un acte criminel, il faut attendre cinq ou dix ans après avoir purgé toute la sentence.

M. Wappel: Je fais aussi remarquer, entre parenthèses, que si l'on songe à interdire le droit d'auteur pour la vie, il ne faut pas oublier non plus que les victimes des criminels sont elles aussi des victimes pour la vie.

La présidente: Je sais. Tout cela est hypothétique.

M. Wappel: Oui, je comprends.

La présidente: Madame Clancy.

.1625

Mme Clancy: En ce qui concerne le droit d'auteur, le quasi-droit d'auteur, la dévolution à Sa Majesté et ainsi de suite, ne pourrait-il pas...? Le cas Donald Marshall en est certainement un. M. Telegdi me rappelle l'affaire Morin. Il y a eu des cas importants d'erreurs judiciaires dans ce pays. Que diriez-vous si la Couronne gardait l'argent en fiducie?

M. Wappel: Je préférerais que l'argent soit consacré aux victimes et à l'éducation pour la prévention du crime, aux programmes visant les jeunes et ainsi de suite, car la Couronne est toujours là. La Couronne pourrait toujours prélever de l'argent au Trésor et le verser à la personne innocente qui a été injustement condamnée.

Mme Clancy: Je viens de la Nouvelle-Écosse et je connais à fond l'affaire Marshall. Ne serait-il pas approprié qu'il utilise l'argent pour financer son ultime justification, même après-coup?

M. Wappel: Une fois de plus, n'oubliez pas que nous parlons d'un travail fondé essentiellement sur le crime. Évidemment, si cette personne a été injustement accusée, cela signifie qu'elle n'a pas commis le crime; par conséquent, comment pourrait-elle écrire un livre sur ce crime?

Mme Clancy: Diriez-vous donc que l'on ne pourrait pas écrire...?

M. Wappel: Elle pourrait relater son expérience.

Mme Clancy: Faudrait-il s'en tenir aux détails du crime, contrairement à l'histoire de Donald Marshall, où il est question des événements survenus cette nuit-là au parc Wentworth et du procès subséquent?

M. Wappel: Comme vous dites, madame.

L'article 1 stipule:

Si la personne était innocente du crime, il serait impossible qu'elle l'ait commis; par conséquent, comment pourrait-elle le relater ou le représenter?

Mme Clancy: Très bien. Je coupe peut-être les cheveux en quatre, mais les détails précis de la mort du jeune homme au parc Wentworth était assez bien connus. Il gisait par terre et il a succombé aux coups de poignard qu'il a reçus. Si l'on représentait ou publiait par exemple des rapports médico-légaux dans ce livre, cela contreviendrait-il à votre loi?

M. Wappel: Non. Toute transcription de procès ou...

Mme Clancy: Transcription de témoignages.

M. Wappel: ... transcription de témoignages... n'importe qui pourrait le faire. Mais le criminel...

Mme Clancy: Ainsi donc, il serait répréhensible de relater quelque chose du genre: «J'ai rejoint Sandy Seale par derrière et je l'ai poignardé; en enfonçant le couteau...» et ainsi de suite.

M. Wappel: Oui. L'essentiel est que ce soit le criminel qui raconte ce qu'il a fait. Si une personne a été condamnée injustement, cela signifie que ce n'est pas elle qui a commis le crime.

Mme Clancy: La loi peut-elle imposer des critères aussi étroits?

M. Wappel: Le comité en jugera, mais je pense que la loi est assez claire quand elle fait état d'une oeuvre qui relate ou représente la perpétration d'une infraction réelle dont une personne a été déclarée coupable ou qui correspond essentiellement à une telle infraction.

Mme Clancy: Ne tombez pas de votre chaise, monsieur Wappel, mais je pense que c'est une question très intéressante et un projet de loi très intéressant.

M. Wappel: Merci.

La présidente: Pour ce qui est de couper les cheveux en quatre, monsieur Wappel et Madame Clancy, il me semble que cela arrive souvent au tribunal; ce n'est donc pas une si mauvaise idée. Il vaut mieux les couper maintenant que plus tard.

Monsieur Ramsay, si vous ne posez pas ma question, je vais le faire. Allez-y. Je crois savoir ce que vous allez dire.

M. Ramsay: Nous coupons les cheveux en quatre ici, et je pense que c'est une bonne chose; ainsi, le projet de loi sera meilleur en quittant le comité.

Voici ma question... je ne sais pas si c'est également celle de Mme la présidente. Pourquoi approuveriez-vous ou seriez-vous disposé à approuver une modification à ce projet de loi qui annulerait, en cas de pardon, le principe énoncé dans le projet de loi selon lequel la personne ne devrait pas bénéficier ou profiter de son crime?

.1630

M. Wappel: Je ne crois pas avoir accepté ce principe. J'ai accepté le principe que le comité veuille examiner une telle modification. Je la contesterai, ce qui ne signifie pas que mon opinion l'emporterait.

En tant que prérogative de la Couronne, le pardon signifie que le criminel est entièrement lavé de son crime. Son casier judiciaire est radié. C'est comme s'il ne s'était rien passé. Nul ne peut le consulter, etc. Par conséquent, ce n'est pas la même chose qu'une condamnation qui reste au casier judiciaire.

Pour le genre de crime dont nous parlons ici, la réhabilitation n'est pas accordée à la légère. C'est un facteur que les autorités compétentes prendraient en considération avant d'accorder une réhabilitation.

M. Ramsay: Eh bien, si le pardon était accordé et le casier judiciaire radié, comme vous dites, cette personne pourrait librement écrire sur le crime ou le meurtre qu'elle a commis...

La présidente: Non, elle ne le pourrait jamais, Jack. Cela n'est pas juste. Elle ne le pourrait jamais parce qu'elle ne peut pas être réhabilitée pour un meurtre.

M. Ramsay: Si ce n'est pas juste, madame la présidente, je suis sûre que M. Wappel me le confirmera.

La présidente: Cette tâche incombe à la présidence.

M. Ramsay: Le criminel pourrait encore écrire sur le meurtre qu'il a commis et en profiter. Est-ce que je me trompe?

M. Wappel: Je pense que la présidente essayait de vous expliquer que certaines infractions ne donnent pas lieu à la réhabilitation.

La présidente: En effet. C'est le cas du meurtre.

M. Wappel: C'est ce que la présidente voulait dire.

D'après les dispositions actuelles du projet de loi, la réponse à votre question est négative, mais si on le modifiait pour prévoir le pardon, et si les circonstances permettaient d'accorder un pardon, je répondrais par l'affirmative. Il s'agit d'une question de politique publique, et il incombe au comité de l'examiner et d'y répondre.

M. Ramsay: Pensez-vous que l'on puisse modifier les lois régissant le pardon?

M. Wappel: Toute loi peut être modifiée. Qui veut peut.

M. Ramsay: Et voilà.

M. Wappel: Que voulez-vous dire?

M. Ramsay: Je veux dire qu'en fin de compte, le meurtre pourrait donner lieu à la réhabilitation. L'on pourrait modifier la loi pour réhabiliter un meurtrier, et nous serions confrontés à cette situation.

M. Wappel: M. Ramsay, j'estime qu'il serait très difficile pour un gouvernement de se faire réélire - quel que soit le gouvernement ou le parti au pouvoir - s'il réhabilitait les meurtriers qui iraient ensuite vendre leurs histoires pour devenir millionnaires. Par conséquent, c'est peu probable.

J'ai simplement répondu à la suggestion de la présidente concernant les cas de réhabilitation. L'on en accorde. On les accorde aujourd'hui, et on les accorde pour certains actes criminels. D'après le libellé actuel du projet de loi, les personnes réhabilitées n'auraient toujours pas le droit de profiter de leur crime.

M. Ramsay: Le noeud de la question reste le même. Si un pardon est accordé à un individu, ce dernier peut relater les circonstances du crime et en tirer profit.

M. Wappel: Il peut le faire actuellement parce qu'aucune loi ne l'en empêche. Si ce projet de loi est adopté, il ne pourra plus le faire, à moins que ce comité ne modifie le projet de loi.

La présidente: Bon, voici maintenant ma question spéciale, et je veux la poser avant M. Telegdi. Pourquoi ne pas modifier la loi afin d'allouer les bénéfices à un fonds destiné aux victimes?

M. Wappel: Évidement, c'est une suggestion qui a été faite. Je recommanderais peut-être qu'on l'élargisse, comme je l'ai indiqué, pour sensibiliser la population et aider les jeunes. Je pense que c'est une excellente idée de consacrer les fonds à l'amélioration de la société, au lieu de les verser dans le gouffre du Trésor.

Cependant, je dois dire que, d'après mon expérience au sein de ce comité, ce genre de contraintes sur le pouvoir du gouvernement de recueillir de l'argent afin de le distribuer fait l'objet d'une opposition véhémente de la part de la bureaucratie, si ce n'est de la part des politiciens. A titre d'exemple, je mentionnerai l'argent que nous recueillons dans le cadre de la loi sur les produits de la criminalité et de la lutte anti-drogue. Nous avons déjà du mal à rendre à la police l'argent qu'elle saisit, car nous estimons qu'il s'agit d'un empiétement sur le droit absolu du Parlement - et même du gouvernement - de décider de l'usage de son argent.

Mais j'accepterais certainement que l'on utilise les produits de la criminalité pour le bien public, au lieu de les engloutir dans le Trésor.

La présidente: Cela pourrait également encourager les services de police à saisir pour le plaisir.

M. Wappel: Vous avez raison.

La présidente: Monsieur Telegdi.

.1635

M. Telegdi: Je sais que M. Wappel a participé à la conférence sur la prévention du crime et sur la sécurité de la communauté en mars 1993 au Royal York à Toronto. L'ancien Comité de la justice a notamment recommandé que l'on investisse dans la prévention du crime et la sécurité des collectivités. L'un des conférenciers a parlé de l'argent provenant de la criminalité. Je pense qu'il serait très important d'investir dans ce domaine.

En fait, je recommande à tous les membres du Comité de la justice de lire le rapport de ce comité, ainsi que les actes de la conférence. C'était une bonne conférence où l'on a fait d'excellentes suggestions. Si j'ai bonne mémoire, le rapport a été adopté à l'unanimité.

M. Wappel: En effet.

M. Telegdi: Je ne pense pas que le rapport de notre comité sera unanime, mais la plupart des membres de notre comité en appuieront probablement les recommandations.

La présidente: Madame Clancy.

Mme Clancy: Autre chose. En ce qui concerne le fonds. L'indemnisation des victimes de la criminalité est-elle actuellement du ressort provincial? Y aurait-il conflit de compétence si tel était le...

M. Wappel: Madame la présidente, il existe des lois provinciales qui prévoient l'indemnisation des criminels. Il n'y a aucun doute à ce sujet.

Mme Clancy: Il existe aussi des commissions.

M. Wappel: Mais le Code pénal, prévoit, dans les articles relatifs aux produits de la criminalité, que l'argent saisi relève du gouvernement fédéral.

Mme Clancy: Mais le code ne prévoit pas l'usage de cet argent.

M. Wappel: C'est exact. Il y a quelques exceptions. Je n'ai pas fait une étude détaillée, mais il existe des exceptions concernant particulièrement les saisies de drogue et d'argent. Par conséquent, ma réponse n'est peut-être pas tout à fait exacte, mais la solution figure dans le Code pénal. L'argent est saisi par le gouvernement fédéral qui en dispose.

La présidente: Merci. Monsieur Ramsay, vous vouliez parler de la Loi sur les produits de la criminalité.

M. Ramsay: En effet, je voulais intervenir dans le même ordre d'idées. Quant à la proposition d'indemniser la victime, je pense qu'elle bénéficierait d'un appui considérable. Pour ceux qui ont commis des crimes de lésion personnelle et qui en éprouvent du remords, ce serait peut-être un moyen d'indemniser en quelque sorte leur victime, en leur donnant de l'argent. Par conséquent, j'approuverais...

Cette médaille a un revers, et je n'en parlerai même pas. Les victimes subissent des dommages dans la mesure où elles doivent revivre les événements, ce qui relativise la compensation financière. Mais je serais disposé à appuyer l'idée du fonds proposée par Mme la présidente.

La présidente: Merci.

Avez-vous quelque chose à dire en guise de conclusion, monsieur Wappel?

M. Wappel: Madame la présidente, une fois de plus, je tiens à remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de comparaître et d'avoir posé toutes ces questions. Si vous le jugez nécessaire, je serais ravi de revenir devant vous. N'hésitez pas à m'appeler. Mon numéro figure dans l'annuaire.

Je me demande si la présidente peut me donner une idée du cheminement ultérieur du projet de loi.

La présidente: Cela me donne une autre occasion de faire de la publicité pour le Comité de la justice, qui est un comité permanent de catégorie supérieure. Nous sommes l'unique comité permanent de la Chambre des communes qui dispose d'une procédure permettant d'examiner un projet de loi d'initiative parlementaire de façon respectueuse et rapide. Je constate que la présidente du Comité de la défense est ici. Elle pourrait donc en prendre bonne note.

Cela dit, je n'ai aucune idée de l'étape suivante. Il y a peut-être des témoins que vous aimeriez nous proposer. Je crois que nous avons déjà une liste.

M. Wappel: C'est moi qui l'ai fournie.

La présidente: Je puis vous assurer que, lorsque nous en arriverons à votre projet de loi, nous vous le ferons savoir. Nous avons également une procédure qui nous permet de l'étudier de façon intermittente. Vous en serez informé. De temps à autre, vous pouvez toujours venir pour cinq minutes et nous exhorter à en faire une priorité. Ainsi donc, le projet de loi est toujours actif. Il nous interpelle toujours. En fin de compte, nous devrons en juger.

M. Wappel: Je vous remercie, madame la présidente.

La présidente: Je vous en prie.

La séance est levée.

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