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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 28 novembre 1996

.1153

[Traduction]

La présidente: Nous reprenons notre étude du projet de loi C-27.

Vous vouliez soulever d'abord une question de procédure?

M. Ramsay (Crowfoot): Je voulais simplement déposer une motion portant préavis de48 heures.

La présidente: Il n'est pas nécessaire que cela se fasse en comité; il suffit que vous envoyiez votre motion au greffier, après quoi nous compterons les 48 heures. Je ne sais pas comment c'est calculé, mais de toute façon...

M. Ramsay: Alors, il suffit simplement que j'avertisse le greffier.

La présidente: Merci.

Au sujet du projet de loi C-27, nous entendrons aujourd'hui M. Dan Moon, qui est avocat principal de la Couronne à la Division provinciale des moeurs du Service de police de Vancouver, et le détective Philip Little, de la Section des moeurs du Service de police de Vancouver. Bienvenue.

Le détective Philip Little (Section des moeurs, Service de police de Vancouver): Merci. Bonjour à tous.

Je suis policier depuis bientôt 23 ans. Je suis rattaché à la Section des moeurs de la police de Vancouver depuis trois ans, et je m'occupe surtout de poursuivre les proxénètes et d'aider les jeunes de la rue.

Je vais me charger ce matin de la première partie de notre présentation, après quoi Dan prendra le relais pour terminer.

Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant le Comité permanent de la justice et des questions juridiques pour vous parler des dispositions du projet de loi C-27 portant sur la prostitution chez les enfants.

La Division provinciale des moeurs a été mise sur pied en septembre 1996 pour s'attaquer aux proxénètes et aux clients, et en particulier à ceux qui exploitent sexuellement des jeunes. Nous travaillons avec les services de police, les avocats de la Couronne et les organismes sociaux de toute la Colombie-Britannique, au niveau local, pour les aider à établir des stratégies efficaces d'application de la loi. Les gens des collectivités dans lesquelles nous nous sommes rendus sont frustrés de voir que les hommes qui achètent les services sexuels de jeunes prostitués ne sont à peu près jamais inquiétés.

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Ma longue expérience dans le domaine m'a appris qu'il est très difficile de demander aux jeunes de coopérer avec la police et de révéler l'identité des clients qui achètent ou qui essaient d'acheter leurs services sexuels. Les raisons de ce problème sont complexes; elles vont de la peur des représailles des proxénètes ou des clients à des craintes plus générales liées à leurs activités de prostitution et, souvent, à leur consommation de stupéfiants.

À l'heure actuelle, le paragraphe 212(4) oblige les jeunes à témoigner contre leurs clients. Par conséquent, il est très difficile - pour ne pas dire presque impossible - de faire condamner des clients à cause du problème dont je viens de parler.

Nous croyons que, pour qu'il soit possible d'obtenir des preuves contre les clients qui cherchent à acheter les services sexuels de personnes de moins de 18 ans, il faut modifier le Code criminel de manière à autoriser le recours à des agents d'infiltration, c'est-à-dire à des leurres se faisant passer pour des prostitués de moins de 18 ans. Ces agents pourraient alors présenter des preuves contre les clients comme ils le font présentement en vertu de l'article 213. Les modifications proposées au paragraphe 212(4) et l'ajout d'un nouveau paragraphe 212(5), dans le projet de loi, représentent une amélioration, en ce sens qu'ils permettent le recours à des leurres policiers qui peuvent faire croire au client qu'ils ont moins de 18 ans.

M. Dan Moon (avocat de la Couronne, Division provinciale des moeurs, Colombie-Britannique): Mais c'est là que se pose le premier le problème. Le projet de loi C-27 prévoit ou du moins permet l'utilisation d'agents d'infiltration, comme Phil vient de vous le dire et comme vous le savez sûrement.

À la Division des moeurs, nous nous sommes penchés sur les problèmes que pose le projet de loi C-27 dans sa forme actuelle. Le premier de ces problèmes, c'est que l'accusé doit croire qu'il avait affaire à une personne de moins de 18 ans - je veux parler de la personne qui se prostitue; c'est généralement une jeune fille, mais il peut s'agir aussi d'un jeune garçon.

En Colombie-Britannique, nous nous attendons à ce qu'il soit difficile d'obtenir des condamnations si la Couronne est tenue de prouver hors de tout doute raisonnable que le présumé client croyait que la personne avait moins de 18 ans. Nous prévoyons que, dans presque tous les cas, l'accusé va s'arranger dans son témoignage pour susciter un doute raisonnable à ce sujet-là. Et ce serait particulièrement difficile quand nous aurions recours à des leurres.

Ce qui nous amène à l'autre problème que nous mentionnons dans notre mémoire. Le paragraphe 212(5) proposé, tel qu'il se présente actuellement, repose sur une présomption. En Colombie-Britannique, nous ne sommes pas certains que cette disposition soit parfaitement conforme à la Constitution. En effet, pour que cette disposition résiste à toute contestation de nature constitutionnelle, il faudra convaincre le tribunal de la validité d'une disposition qui s'appuie sur ce que l'accusé croyait dans des circonstances qui ne sont pas vraiment réelles, puisque la situation n'était pas tout à fait ce qu'elle semblait être.

Ce que je veux dire, c'est que si une policière en civil âgée de vingt ans dit par exemple à un client, dans le cours de sa conversation avec lui, qu'elle a seulement 16 ans, c'est suffisant en vertu du paragraphe 212(5), tel qu'il est libellé actuellement, pour prouver que le client savait que la policière avait moins de 18 ans. Mais nous ne sommes pas certains que ce soit accepté. Comment peut-on présumer que le client croyait quelque chose qui n'est même pas vrai?

Pour être franc, au sujet du troisième problème, j'ai eu l'occasion d'y réfléchir depuis. Cela ne m'inquiète plus autant, mais je vais quand même vous en parler puisque cela pourra intéresser les gens qui se demandent s'il faudrait modifier le projet de loi C-27.

Pour le moment, l'infraction prévue au paragraphe 212(4) consiste à obtenir ou à tenter d'obtenir les services d'une personne de moins de 18 ans. Ce qui va se passer, fort probablement, c'est que le client va affirmer en cour qu'il ne savait pas que la personne n'avait pas 18 ans. Mais, d'après le libellé actuel, tout ce que la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable, c'est qu'il le savait ou qu'il aurait dû le savoir.

Il est possible de prouver qu'il aurait dû le savoir d'après d'autres indices: l'apparence de la fille, le quartier dans lequel elle travaillait, c'est-à-dire si c'est un coin généralement fréquenté par les jeunes prostitués - et des experts pourront témoigner pour dire si elle était effectivement dans un secteur où les jeunes prostitués travaillent habituellement - et d'autres éléments évidents. Donc, nous pouvons essayer de prouver que le client était au courant, ou qu'il aurait dû l'être.

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Avec l'ajout des mots «qu'il croit telle» dans le projet de loi, je ne suis pas trop inquiet parce que le texte dit... Donc, le libellé actuel du paragraphe 212(5) proposé ne pose pas vraiment de problème de ce point de vue-là. Avec cet ajout, cela pourrait être un peu difficile, mais les deux points qui nous inquiètent le plus sont les deux premiers dont je vous ai parlé.

Par conséquent, sur le plan pratique, nous nous demandons si nous allons pouvoir obtenir des condamnations en vertu des dispositions du projet de loi C-27. Nous proposons donc un nouveau texte pour le paragraphe 212(4). Premièrement, pour ce qui est d'«obtenir» des services, nous proposons un nouvel alinéa 212(4)a), qui se lirait comme suit:

a) obtient, moyennant rétribution, les services sexuels d'une personne de moins de 18 ans.

C'est très clair. Il s'agit d'obtenir des services sexuels, et il est évident que c'est de quelqu'un de moins de 18 ans.

Nous proposons également un nouvel alinéa 212(4)b):

b) communique ou tente de communiquer avec quiconque, de quelque manière que ce soit, dans le but d'obtenir contre rétribution les services sexuels d'une personne de moins de18 ans.

L'alinéa c) est essentiellement le même que le b), sauf que nous avons ajouté à la fin les mots «d'une personne qui dit avoir moins de 18 ans».

L'alinéa 212(4)c) que nous proposons permettrait d'avoir recours à des leurres, ce qui est essentiel à notre avis à cause de tous les problèmes dont le détective Little vous a parlé. Il est très difficile de demander à des jeunes qui ont vraiment moins de 18 ans de témoigner, à cause des menaces et de l'intimidation dont ils font l'objet.

Nous proposons que le fait d'obtenir les services sexuels d'une personne de moins de 18 ans - c'est-à-dire quand une vraie prostituée, une victime, un jeune de moins de 18 ans qui travaille sur le trottoir vient dire à la police que quelqu'un a obtenu ses services - soit considéré strictement comme un acte criminel. Nous proposons également que les infractions prévues aux deux autres alinéas, le b) et le c), soient des infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité ou des actes criminels, à la discrétion de la police ou de la Couronne.

Cette proposition comporterait certains avantages; premièrement, elle créerait une peine distincte plus lourde pour les personnes reconnues coupables d'avoir effectivement obtenu des services sexuels. Nous considérons qu'il est très sérieux d'avoir eu des contacts sexuels avec une personne de moins de 18 ans.

Deuxièmement, notre proposition crée une infraction consistant à communiquer avec une personne pour obtenir des services sexuels. Nous disons cela parce que - rappelez-vous - le projet de loi actuel dit «obtient ou tente d'obtenir». L'infraction de communication est prévue à l'article 213, qui correspond uniquement aux dispositions du Code sur le racolage, si je peux employer ce terme - ces dispositions d'application générale ont d'ailleurs résisté aux contestations judiciaires, étant donné les problèmes de circulation automobile, les plaintes des voisins, et ainsi de suite. Elles ont été maintenues.

Ce que nous suggérons - et c'est le troisième avantage... Le texte actuel du Code dit «obtient ou tente d'obtenir». Et le projet de loi aussi. Ce que nous craignons, si cette disposition est adoptée et qu'il n'y est pas question de «communication», c'est qu'il soit facile de prétendre que la conversation entre le client et la fille, ou le leurre, constituait simplement une préparation à commettre une infraction, plutôt qu'une tentative pour obtenir des services sexuels.

En droit, la notion de «tentative», ne s'applique pas à la simple préparation d'une infraction. À notre humble avis, toute «tentative» pour obtenir les services sexuels de quelqu'un implique normalement une communication, d'une manière ou d'une autre, que ce soit verbalement, par écrit, par signes ou autrement, et dans la rue. Nous pensons qu'il serait beaucoup plus facile de faire condamner les clients si le Code parlait de «communication» plutôt que de «tentative» pour obtenir des services sexuels, pour contourner l'argument selon lequel la communication n'est qu'une simple préparation.

Le quatrième avantage, c'est que notre proposition nous permettrait d'avoir recours à des leurres, qu'il ne serait pas nécessaire de prouver ce que le client croyait et qu'il serait possible également d'invoquer le témoignage d'une tierce partie.

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Comme le détective Little vous l'a dit il y a quelques instants, des prostituées plus âgées nous ont déjà raconté que des clients leur avaient demandé où ils pouvaient trouver des jeunes filles de12 ou 13 ans. Le nouvel alinéa 212(4)b) que nous proposons dans notre mémoire nous permettrait de faire comparaître en cour ces prostituées plus âgées. Certaines d'entre elles ont dit aux enquêteurs qu'elles étaient prêtes à témoigner contre les clients qui cherchaient à obtenir les services de jeunes personnes. Cette disposition permettrait d'invoquer le témoignage de ces tierces personnes, parce qu'elle prévoit que le fait de «communiquer avec quiconque» pour chercher à obtenir les services d'une personne de moins de 18 ans constitue une infraction.

Enfin, même si nous admettons que les propositions contenues dans le projet de loi C-27 reconnaissent la nécessité des agents d'infiltration, nous craignons, si le projet de loi est adopté tel quel, qu'il soit difficile dans la pratique d'obtenir des condamnations par cette méthode.

Pour finir, nous aimerions faire un commentaire sur le paragraphe 486(2.1) proposé dans le projet de loi. C'est une excellente modification, qui permettra aux témoins, et pas seulement aux plaignants, de même qu'aux témoins et aux plaignants engagés dans d'autres causes liées à la prostitution, de témoigner derrière un écran, par l'entremise de la télévision ou d'une autre manière, si le tribunal le juge opportun. Nous applaudissons cette modification. C'est une très bonne chose.

Le seule chose que nous voulons souligner, c'est qu'il serait peut-être utile d'ajouter un autre motif autorisant le tribunal à prendre cette décision... Pour le moment, la loi prévoit que cette disposition s'applique aux personnes de moins de 18 ans ou à celles qui sont atteintes d'une déficience mentale ou physique. Ce sont les trois seuls critères dont le tribunal peut tenir compte. Mais en raison des cas incroyablement nombreux d'intimidation et de menaces dans les causes de prostitution, nous vous demandons d'envisager la possibilité d'ajouter un autre critère, à savoir que ce type de témoignage pourrait être autorisé si le tribunal était d'avis que le plaignant ou le témoin pourrait avoir de la difficulté à présenter ses éléments de preuve parce qu'il aurait peur.

En ce qui concerne le paragraphe 486(2), sur l'administration de la justice, il y a eu une cause - R. c. Quesnel, en 1979 - dans laquelle le juge a statué que c'était un motif raisonnable. Mais dans ce cas-ci, pour permettre les témoignages sur écran ou à l'extérieur de la salle d'audience, je pense qu'il faut plus que les critères existants, à savoir que la personne ait moins de 18 ans ou qu'elle soit atteinte d'une déficience mentale ou physique.

Merci.

La présidente: Monsieur Langlois, vous voulez commencer?

[Français]

M. Langlois (Bellechasse): Je ne suis pas l'expert en la matière du comité. La Loi électorale m'a attiré vers d'autres préoccupations.

Les infractions relatives au tourisme sexuel m'apparaissent à première vue plutôt déclaratoires; je ne crois pas qu'elles soient de nature à rendre vraiment efficace l'application d'une disposition de droit criminel puisque la preuve sera sûrement difficile, pour ne pas dire impossible, à faire, ne serait-ce qu'en raison des coûts.

On fait des compressions budgétaires partout dans l'administration de la justice. Allons-nous faire venir des témoins de l'étranger? Comment peut-on administrer une justice alors que plusieurs États tolèrent la prostitution des jeunes et des juvéniles? Je me demande de quelles ressources nous disposerions. Même si cet outil était entre les mains de nos forces policières et de nos procureurs de la Couronne, comment pourraient-ils s'en servir?

Je comprends que c'est la conséquence logique, entre autres, de certaines dispositions du préambule. Quand on a un long préambule de la sorte, on a plus de harnais que de cheval, comme on dit dans ma circonscription. Je me demande si la mise en vigueur réelle et effective ne sera pas que des voeux pieux. Il est parfois important de prier quand on n'a pas d'autres ressources. N'allez cependant pas croire que cette situation ne m'inquiète pas grandement.

Mes autres commentaires rejoignent ceux que vous avez soulevés sur l'administration de la preuve. Peu importe la façon dont certains articles auraient pu être rédigés, on aurait contesté de toute façon leur constitutionnalité. Quand il n'y a pas d'autre moyen de défense au Canada, on conteste la constitutionnalité des dispositions en vertu de la Charte.

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Qu'on le veuille ou non, un jour ou l'autre, ces dispositions seront à nouveau soumises au test de la Charte. Il serait peut-être intéressant que la loi soit à nouveau libellée dans le sens que vous suggériez. Certaines présomptions, à leur face même, rendent au moins discutable le fait de savoir si elles seront retenues ou pas par la Cour suprême qui, dans l'arrêt Oakes, avait quand même déterminé que le critère de ce qui était acceptable dans une société démocratique n'était pas un critère fixé dans le temps, mais un critère évolutif.

Je crois que la société canadienne n'est sûrement pas très tolérante face à la prostitution des enfants, et avec raison.

Je crois d'autre part qu'un jour ou l'autre, le Parlement du Canada, peut-être pas dans le cadre du présent Parlement, devrait entreprendre une étude approfondie de la question de la prostitution en général. La prostitution chez les personnes de plus de 18 ans n'est pas en soi illégale; il n'est pas interdit de vendre ses faveurs sexuelles. On interdit toutefois tout ce qui entoure le phénomène de la prostitution, soit de tenir une maison de débauche, de vivre des fruits de la prostitution et d'être un proxénète.

Peut-être serait-il préférable d'avoir une réglementation au lieu d'une prohibition qui tient plus aux moeurs jansénistes qu'aux moeurs modernes. Pour contrôler un métier dont on dit qu'il est le plus vieux au monde, il serait peut-être plus valable d'invoquer d'autres mesures plutôt que de le prohiber de façon absolue. De toute façon, la prohibition ne donne strictement rien puisque quand on réussit à fermer des bordels à un endroit, il s'en ouvre deux ou trois ailleurs. Il y aura toujours des gens qui voudront en vivre.

Ces marchands de chair humaine me dérangent. Qu'une personne veuille vivre des fruits de son commerce charnel, ça ne me dérange pas trop. Mais j'ai de sérieux problèmes à accepter qu'un proxénète contrôle d'autres personnes et vive des relations sexuelles d'autres personnes. Le Parlement du Canada devrait revoir cette question à la lumière de la situation actuelle et sonder la société pour voir ce qu'elle souhaite à ce sujet.

Ce sont mes commentaires et je vous remercie beaucoup pour les précisions que vous avez apportées quant au degré de preuve et à la façon d'obtenir les preuves. Elles ne pourront qu'éclairer les rédacteurs et le ministre dans l'éventualité où le projet de loi devrait être modifié.

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Moon, ou monsieur Little, avez-vous des commentaires à faire?

M. Moon: Premièrement, au sujet de vos questions sur les ressources qui seront nécessaires pour intenter des poursuites portant sur des incidents qui se seraient produits à l'extérieur du pays, soyons francs: oui, il y aura des coûts si nous voulons le faire. En tant que procureur de la Couronne, je ne sais évidemment pas si nous avons les ressources nécessaires.

Cela dit, la loi ne prévoit rien actuellement au sujet des poursuites qui pourraient être intentées dans le cas d'incidents graves. Au moins, si le projet de loi est adopté, nous pourrons en intenter. S'il s'agit d'un incident grave - et je ne veux pas dire que les cas mineurs ne sont pas graves; je veux parler des cas particulièrement difficiles - , il est bien possible que les ressources soient disponibles parce qu'il faudra s'en occuper. Et je ne vois pas comment il serait possible de produire des preuves en cour autrement qu'en faisant témoigner des gens de l'extérieur du pays.

Mais il est certain que la police pourrait avoir certaines options si, par exemple, elle savait qu'il pouvait y avoir un groupe de Canadiens actifs à l'extérieur du pays, et qu'une personne ou un groupe de personnes allaient à certains endroits. Un agent de police qui se rendrait à l'étranger pourrait très bien devenir un témoin important; nous pourrions donc obtenir de nombreuses preuves de ce témoin policier. Évidemment, nous devrions aussi ramener d'autres témoins. Je ne vois pas d'autre moyen. Mais, encore une fois, pour les cas graves, cela en vaudrait probablement la peine.

M. Little: Pour ce qui est des causes internationales, si vous voulez les appeler de cette façon, nous avons actuellement à Hawaï un proxénète qui est en prison pour treize ans et demi, à la suite d'une enquête menée par le FBI, le Service de police de Vancouver et les services d'immigration américains. En collaboration avec les avocats américains, nous avons pu le faire juger aux États-Unis, en vertu des lois américaines.

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Nous avons pu faire la même chose à Seattle également. Je m'en vais là-bas le 6 décembre; il y a un autre souteneur qui va y être condamné. Cette affaire concernait une jeune fille de la région de Vancouver qui avait été amenée à Seattle, puis à Toronto et enfin à Las Vegas.

Je ne peux pas vous dire si les ressources nécessaires sont là. Mais s'il y a une bonne coopération, j'ai une idée de la façon dont les choses pourraient fonctionner. Je pense que la volonté politique est là également, surtout pour ce qui est des jeunes qui se font exploiter un peu partout au pays.

Nous nous intéressons beaucoup en ce moment, par exemple, aux divers quartiers chauds... Je ne sais pas si vous êtes allés à Waikiki récemment. J'y suis allé cet été avec ma famille et j'ai reconnu beaucoup de gens dans certains quartiers de la ville. Certaines jeunes filles viennent de Vancouver. Il n'est donc pas impossible qu'il y ait une cause canado-américaine à ce sujet-là dans un avenir prévisible.

Pour répondre à vos autres commentaires, je m'occupe surtout de l'exploitation des jeunes, parce que c'est l'aspect qui nous préoccupe le plus. Dans nos déplacements à travers la province, ce qu'on nous dit dans six régions différentes de la Colombie-Britannique, c'est qu'il y a des enfants de 12 à 15 ans qui se font acheter pour des fins sexuelles.

Jusqu'ici, le paragraphe 212(4) n'a pas... Ce n'est pas faute d'avoir essayé de le contourner. Peut-être que nous n'avons pas été assez créatifs dans nos efforts pour faire respecter la loi, mais nous devons au moins avoir la possibilité d'envoyer des leurres sur le terrain pour pouvoir nous attaquer à ceux qui exploitent les jeunes. Dans n'importe quel quartier chaud de Vancouver, je pourrais vous montrer une bonne demi-douzaine de jeunes filles de 12 à 15 ans la plupart des nuits de la semaine, et il y a des hommes qui patrouillent ces secteurs à la recherche d'enfants de cet âge-là. C'est là-dessus que nous aimerions concentrer nos efforts.

[Français]

La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Langlois, je vous accorde 40 secondes.

M. Langlois: Vous parlez d'utiliser des sources humaines policières aux fins de recueillir de la preuve. Irait-on jusqu'à faire de l'entrapment? Est-ce que des policiers se livreraient à certaines activités illégales après qu'on leur ait donné la garantie qu'on n'intentera pas de poursuites à leur égard? Je vois mal les forces demander des volontaires pour aller se faire sodomiser pour le seul plaisir de recueillir une preuve.

[Traduction]

M. Little: Je veux parler du paragraphe 212(4) tel qu'il existe actuellement. Nous ne pouvons pas nous servir de leurres policiers parce que nous avons très peu d'agents de moins de 25 ans à Vancouver.

Deuxièmement, à ce que je sache, nous n'avons jamais monté ici, dans l'Ouest canadien, d'opération dans laquelle un policier jouait le rôle d'un proxénète.

M. Moon: À mon avis, personne ne s'attend à ce que la police ou quelqu'un d'autre fasse quoi que ce soit d'illégal, ni à ce qu'on tende des pièges.

[Français]

La vice-présidente (Mme Torsney): Merci beaucoup. Monsieur Ramsay, 10 minutes.

[Traduction]

M. Ramsay: Je suis content que vous soyez ici ce matin. D'après ce que nous lisons parfois dans les journaux - du moins ceux que j'ai ici - , vous ne semblez pas avoir beaucoup de succès quand vous portez des accusations contre des clients. Si je comprends bien, huit hommes seulement, en huit ans, ont été accusés d'avoir sollicité ou cherché à solliciter les services d'adolescents ou d'adolescentes de moins de 18 ans. Ce n'est pas très reluisant comme dossier.

L'auteur de ce document, Kimberly Daum, a préparé un rapport sur les enfants et la prostitution pour le compte de la Downtown Eastside Youth Activities Society. Connaissez-vous ce rapport? Et connaissez-vous cette Kimberly Daum?

M. Little: Je l'ai rencontrée une fois.

M. Ramsay: Elle dit que nous devrions concentrer nos ressources sur les clients pour essayer de tarir la demande, ce qui entraînerait évidemment une diminution du nombre de jeunes qui travaillent dans la rue.

J'ai moi aussi certaines réserves au sujet de ce projet de loi. Je pense qu'il va dans la bonne direction, et les députés réformistes vont évidemment l'appuyer quand il retournera à la Chambre, mais je me demande s'il sera vraiment possible de l'appliquer, non seulement du point de vue dont mon collègue du Bloc a parlé, mais aussi sur cette question de l'état d'esprit du présumé client, comme l'a expliqué M. Moon.

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Si la Couronne est obligée de prouver dans quel état d'esprit se trouvait le client lorsqu'il a approché une prostituée adolescente, je ne sais pas jusqu'à quel point c'est faisable. Si le client affirme qu'il croyait avoir affaire à une personne de bien plus de 18 ans, surtout s'il s'agissait d'un leurre police qui était effectivement plus âgé, je ne vois pas comment il serait possible de le poursuivre avec succès.

Monsieur Moon, vous avez proposé quelques modifications qui pourraient à votre avis donner plus de pouvoirs à la police dans un des domaines sur lesquels porte le projet de loi C-27. Avez-vous autre chose à recommander, peut-être en dehors du cadre du projet de loi C-27, pour donner aux autorités des moyens plus utiles pour s'attaquer aux clients?

M. Moon: Une des choses que nous avons déjà recommandées, c'est que les dispositions sur l'écoute électronique soient étendues aux infractions de ce genre de manière à ce qu'il soit possible d'intercepter des conversations. La raison pour laquelle nous voudrions pouvoir appliquer ces dispositions est évidente. Dans le cas d'une opération contre les proxénètes, ce serait évidemment très utile. Les policiers pourraient aussi se servir par exemple de micros paraboliques pour capter des conversations dans la rue, et appliquer d'autres méthodes pour intercepter les conversations entre les clients et les prostitués de la rue.

M. Ramsay: À votre avis, comme procureur de la Couronne, si la police interceptait avec un micro parabolique un client en train de solliciter quelqu'un qui aurait de toute évidence moins de18 ans, pensez-vous que vous pourriez le faire condamner simplement à cause de l'âge de la prostituée?

M. Moon: Non, nous aurions quand même besoin de la prostituée. Le problème, c'est que c'est avant tout une question de crédibilité. Un client qui serait inculpé en vertu de ces dispositions, en supposant qu'il soit appelé à témoigner, pourrait dire qu'il ne savait pas que la fille avait moins de18 ans, ou alors qu'il était simplement curieux. C'est un argument invoqué couramment en défense par les personnes inculpées en vertu de l'article 213, sur la communication; les clients disent qu'ils ont tout simplement posé la question parce qu'ils étaient curieux de connaître les prix, mais qu'ils n'étaient pas sérieusement intéressés.

Si nous devons nous contenter du témoignage des prostituées, c'est parfois un peu difficile. Comme l'a dit le détective Little, elles sont souvent sous l'influence de la drogue à ce moment-là, par exemple. Si nous pouvions compter en plus sur le témoignage du policier qui a intercepté la communication et qui peut rapporter ce que l'accusé a dit et comment il l'a dit, cela pourrait être extrêmement utile pour corroborer les dires de la prostituée, pour montrer que le client était vraiment sérieux et qu'il ne posait pas la question seulement par curiosité. Tout ce qu'il aurait pu dire pendant la conversation au sujet du fait qu'il croyait ou qu'il souhaitait avoir affaire à quelqu'un de moins de 18 ans l'empêcherait de plaider l'ignorance devant le tribunal. Ce que je dis, c'est que le témoignage de l'agent de police permettrait de corroborer les autres témoignages et que ce serait très utile.

M. Ramsay: Si un agent de police enregistrait une conversation, peut-être sur vidéo, et si vous connaissiez l'âge de la jeune prostituée - même si elle-même ne se rappelait pas ce qui s'était dit - , si vous pouviez indiquer la date, l'heure et la teneur de la conversation au tribunal, de même que l'âge de la prostituée, est-ce que ce serait suffisant?

M. Moon: Je pense que oui. Je n'en suis pas absolument certain, mais je pense que oui.

M. Ramsay: Détective Little, avez-vous les ressources nécessaires pour faire ce genre de chose?

M. Little: Vous mentionnez évidemment certaines choses dont nous avons déjà parlé. Une partie du travail actuel de la section à laquelle j'appartiens consiste à établir des stratégies autour du paragraphe 212(4), et nous avons certaines idées qui vont dans le même sens que ce que vous suggérez. Je pense que nous allons devoir nous servir plus souvent des enregistrements vidéo sur le terrain.

.1225

Il n'est pas facile de faire enquête sur les souteneurs, et il est très difficile d'amener les jeunes à coopérer depuis la mise en accusation jusqu'à la Cour suprême, ce qui peut prendre jusqu'à deux ans. Mais je pense que, si nous consacrons les mêmes ressources et la même créativité aux enquêtes menées en vertu du paragraphe 212(4) qu'aux enquêtes visant les proxénètes, nous pouvons y arriver.

Je vous ai parlé de la situation à Vancouver, mais il n'est pas difficile de choisir par exemple une jeune prostituée qui est probablement prête à abandonner le métier. Nous pouvons identifier les prostitués en une semaine ou même en quelques jours.

Nous songeons par exemple à une équipe multidisciplinaire, en quelque sorte. Si nous pouvons avoir avec nous un travailleur social spécialisé en psychiatrie ou un conseiller qui peut nous aider à identifier les jeunes, nos agents pourront arrêter l'accusé et s'occuper de lui, et nous pourrons assurer immédiatement le suivi auprès de la jeune fille et lui offrir tous les services dont elle a besoin. Je veux parler par exemple d'un logement où elle sera en sécurité - il faut s'occuper de tous ses besoins physiques. Si nous pouvons garantir que nous n'abandonnerons pas les victimes après le premier contact, je pense que nous aurons plus de succès.

Voilà ce que nous pensons du projet de loi dans sa forme actuelle. La position de la province, c'est que le projet de loi C-27 est un pas dans la bonne direction. Nous pouvons l'appliquer, mais nous aimerions qu'il soit légèrement modifié pour que ce soit un peu plus facile.

M. Ramsay: Êtes-vous d'avis, comme Kimberly Daum, que la meilleure méthode pour lutter contre la prostitution juvénile consiste à s'attaquer aux gens qui paient les enfants, et qui créent ainsi une situation qui les incite à se retrouver dans la rue? Il faut évidemment s'attaquer à tous les aspects de la prostitution juvénile, mais pensez-vous que ce serait un bon moyen dissuasif si nous réussissions sur ce plan-là?

M. Little: Oui. Je peux vous le dire au nom du chef de police; plutôt que de porter des accusations contre les filles, qui - dans mon esprit et dans celui de bien des gens - sont des victimes, les détectives de la section des moeurs ont surtout orienté leur travail vers les souteneurs depuis 1989. C'est une question de ressources et de temps; je ne veux pas vous donner mille et une excuses, mais c'est la vie. Il y a des soirs où nous sommes très occupés, où des gens se font poignarder ou tirer dessus, où il y a des vols à main armée, mais nous devons faire comprendre à nos agents qu'il n'est pas acceptable de passer tout droit quand ils voient une jeune fille de 13 ans qui vend ses charmes sur le trottoir, même s'ils sont en route vers le lieu d'une introduction par effraction.

Donc, vous avez absolument raison. Je pense qu'il faut porter des accusations contre les clients chaque fois que c'est possible, et qu'il faut aussi prendre les jeunes filles en charge. Je dirais qu'il faut concentrer nos efforts sur les proxénètes et les clients. Si nous pouvons travailler sur ce front-là, nous ne mettrons pas fin complètement à la prostitution, mais nous pourrons certainement améliorer les choses dans le cas des jeunes de la rue.

M. Ramsay: Nous avons entendu le témoignage de deux anciennes jeunes prostituées. Elles nous ont dit que certains clients étaient des piliers de la société. Avec ces pouvoirs et ces ressources... Premièrement, êtes-vous d'accord avec elles? Et deuxièmement, si c'est vrai, pouvez-vous faire quelque chose?

M. Little: J'ai à peu près tout vu en 23 ans.

C'est intéressant parce que nous recueillons des idées vraiment originales dans nos consultations dans les diverses régions de la province. Il a été notamment question de porter des accusations contre les clients, mais aussi de les éduquer. Dans certains secteurs de Vancouver - je dois être prudent en disant cela - , il y a des raisons culturelles qui expliquent certaines choses. Il y a dans certaines collectivités des attentes qui n'existent pas au Canada. Il ne suffit pas d'inculper ces gens-là; il faut aussi les éduquer. Mais comment?

D'après mes trois années d'expérience dans la section des moeurs, il est évident que les clients sont surtout des hommes. Ils n'occupent pas tous des positions d'autorité, mais ils se retrouvent dans toutes les couches de la société. Donc, je ne dirais pas nécessairement qu'il faudrait s'attaquer uniquement à certains hommes, dans certaines professions. Dans certains quartiers de Vancouver, par exemple, les soirs où il y a du hockey ou du football, les hommes que vous verrez dans ces rues-là sont tout simplement des cols bleus bien ordinaires qui décident de faire un petit détour pour une raison très précise avant de rentrer chez eux.

Donc, d'après mon expérience, il y a vraiment de tout. Du point de vue de l'application de la loi, de la Couronne et de la responsabilité morale, je n'y vois aucun problème.

La présidente: Monsieur Telegdi.

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M. Telegdi (Waterloo): Les suggestions que vous avez faites dans les alinéas 212(4)a), b) et c) que vous proposez me semblent plus pratiques que celles des avocats du ministère de la Justice qui ont comparu devant le comité. Je suppose que c'est parce que vous vous occupez d'appréhender les gens et de les poursuivre. En tout cas, c'est rafraîchissant.

Détective Little, vous avez mentionné qu'il y avait des prostitués de 12 à 15 ans à Vancouver et que vous vous intéressiez spécifiquement à ce groupe. Combien y en a-t-il à peu près?

M. Little: Je ne voudrais pas me tromper. C'est très difficile à dire parce que beaucoup de ces jeunes sont seulement de passage. Si je dois m'occuper d'une enquête... nous sommes six enquêteurs pour toute la Colombie-Britannique. Je ne suis pas allé dans les quartiers chauds de Vancouver depuis trois semaines, mais quand j'y vais... Je peux vous affirmer que le nombre des jeunes prostitués de la rue a augmenté d'au moins 100 p. 100 depuis trois ans.

Il est courant d'en voir une ou deux douzaines. Mais les prostitués ne sont pas tous dans la rue; même s'ils ne font pas le trottoir, ils peuvent travailler dans une maison de débauche, ce que nous appelons maintenant à Vancouver des centres de santé. Vous pouvez aller vous y faire masser - puisque ce sont essentiellement des salons de massage - , mais on les appelle maintenant des centres de santé, de sorte qu'ils doivent payer 77$ par année plutôt que 5 898$.

Il y a donc des lieux de travail différents, mais d'après ce que j'ai constaté, les plus jeunes travaillent généralement dans la rue. Je dirais qu'il y en a au moins une ou deux douzaines tous les soirs dans la ville de Vancouver, sur une population d'environ 525 000 personnes.

M. Telegdi: J'imagine qu'une bonne partie des prostitués qui font le trottoir viennent de l'extérieur de Vancouver, des réserves.

M. Little: C'est exact, et c'est pourquoi notre section a été formée. Ils viennent de partout - Prince George, Kamloops, Kelowna, Calgary, Edmonton, Toronto.

M. Telegdi: J'aimerais que vous me disiez à peu près combien il y en a. Vous dites qu'il y en a une ou deux douzaines.

M. Little: C'est difficile à dire parce qu'il y a beaucoup d'enfants disparus ou considérés par la police comme des fugueurs. Il y en a au moins 200 en tout temps à Vancouver. Le Granville Mall, par exemple - et il y a certainement aussi des endroits du même genre ici à Ottawa - , est probablement le premier endroit où nous irions pour retrouver un enfant disparu.

Ces jeunes-là ne sont pas nécessairement de véritables prostitués, mais ils peuvent à l'occasion échanger des services sexuels contre de la nourriture et de l'hébergement. Est-ce que cela en fait des prostitués? Il faudrait probablement poser la question à quelqu'un du ministère, mais je dirais sans trop d'hésitation qu'il y en a entre 150 et 200.

M. Telegdi: Combien y a-t-il eu de condamnations au cours des dernières années, et quel était l'âge de la personne la plus jeune?

M. Little: Vous voulez parler des proxénètes?

M. Telegdi: Ou des clients.

M. Little: Dan et moi, nous nous sommes occupés avec le procureur du cas d'une petite fille de douze ans et demi. Nous avons reçu un appel de la GRC de Richmond. Elle était enceinte de... nous ne savons pas qui, un de ses clients. Mais l'accusé était dans la trentaine, n'est-ce pas?

M. Moon: Oui, dans la trentaine. Il l'avait recrutée comme gardienne d'enfants. Ce n'était pas une prostituée de la rue.

M. Telegdi: Donc, vous avez eu un cas où la jeune fille avait 12 ans.

M. Little: La section des moeurs de Vancouver a porté des accusations contre 55 proxénètes en 1995. Et 70 p. 100 de leurs victimes avaient moins de 16 ans. Ce qui ne veut pas dire...

Votre question est en quelque sorte à deux tranchants. Nous nous concentrons sur ces jeunes. Il y a beaucoup de femmes de plus de 18 ans qui font le trottoir et qui ont un souteneur, mais à cause des contraintes de temps et du manque de ressources, nous nous occupons uniquement des plus jeunes. Proportionnellement parlant, je pense que c'est assez limité. Je dirais qu'entre 5 et 6 p. 100 des prostitués ont moins de 18 ans; c'est dans ces environs-là.

M. Telegdi: Donc, vous dites que le nombre de jeunes que nous prenons en charge actuellement est assez limité. Prenons la situation suivante: vous savez qu'une jeune fille se prostitue. Vous voyez qu'il y a des contacts, et des activités inhabituelles. Si la fille et le client s'en vont ensemble, est-ce que vous ne pourriez pas les suivre, les arrêter pendant qu'ils se préparent, par exemple, et porter immédiatement des accusations?

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M. Little: Dan pourra confirmer, mais quand nous voyons une jeune prostituée monter dans une voiture avec un homme, généralement plus âgé, nous interceptons la voiture, évidemment. J'ai toujours dit qu'à la section des moeurs, nous ne pouvions pas laisser un enfant se faire exploiter sexuellement sous nos yeux sans intervenir, dans l'espoir de le faire témoigner ensuite contre le client.

C'est ça qui est difficile. Il y a des prostituées qui se font violer, ou qui se font battre. Si nous savons qu'il s'agit d'une jeune fille, nous intervenons assez rapidement, pour la protéger. Si nous attendons trop longtemps pour voir ce qui va se passer... Je ne me sentirais pas très à l'aise.

M. Telegdi: Supposons un autre scénario. Vous dites qu'il y a des salons de massage, ou des maisons de débauche, si vous préférez. Quand vous faites une descente dans ce genre d'endroits et que vous y trouvez des enfants, est-ce que ce n'est pas une raison suffisante pour porter des accusations?

M. Moon: Ça dépend. Pour le moment, nous avons besoin du témoignage de la personne mineure. Il faut aussi tenir compte des règlements municipaux; ce n'est pas une question de droit pénal. Il peut très bien y avoir dans ces endroits des activités qui ne sont pas prévues dans les règlements municipaux. Mais, quoi qu'il en soit, pour ce qui est de porter des accusations au pénal, l'infraction consiste à obtenir ou à tenter d'obtenir les services sexuels d'une personne de moins de 18 ans. Nous devons prouver que c'est bien ce qui s'est produit.

Il ne suffit pas qu'un agent de police aille faire un tour dans un de ces commerces. C'est une des raisons pour lesquelles le premier scénario n'est absolument pas inhabituel. Mais c'est aussi une des raisons pour lesquelles nous proposons que l'infraction consiste à «communiquer» plutôt qu'à simplement «tenter d'obtenir» des services sexuels. C'est une autre raison pour laquelle, comme je l'ai dit tout à l'heure, il serait utile que les dispositions du Code sur l'écoute électronique soient modifiées de manière à inclure ce type d'infraction. Si nous pouvions inclure même la communication, la police n'aurait pas à attendre aussi longtemps. C'est la communication qui constituerait l'infraction, et non la tentative pour obtenir des services.

Il n'y a pas de réponse claire à votre deuxième scénario. Si nous avons le témoin, si la jeune personne dit qu'elle veut rentrer chez elle et qu'elle a besoin d'aide, par exemple, tout va bien. Dans la mesure où elle accepte de témoigner des mois plus tard, nous obtenons généralement une condamnation.

M. Telegdi: Comme je vous l'ai dit, je préfère vos suggestions à celles que le ministère de la Justice nous a présentées au sujet du projet de loi.

Il y a eu à Thunder Bay un cas où un avocat de la Couronne a été reconnu coupable. J'essaie de me souvenir de la façon dont on avait obtenu des preuves contre lui. Est-ce que des gens ont témoigné?

M. Moon: Oui.

M. Telegdi: Merci.

La présidente: Vous vous souviendrez que, quand cette disposition sur la «communication à des fins de prostitution» a été adoptée, tout le monde a protesté - les avocats de la Couronne, les policiers, les avocats de la défense - en disant que ce serait à peu près impossible à prouver. Il y a bien des façons de mesurer le succès d'une disposition du Code criminel, mais celle-là s'est révélée un bon outil pour établir une preuve, du point de vue de la Couronne.

Permettez-moi de vous conter une anecdote. Il y a environ cinq ans, j'ai passé tout un avant-midi à la cour à Windsor, en tant qu'avocate de la Couronne, pour entendre des demandes de remise en liberté provisoire. Nous avons entendu 25 clients de suite. Ils avaient tous été ramassés la veille au soir et ils étaient parfaitement mortifiés de se retrouver en public. Comme vous dites, quand la communication est une infraction, surtout dans le cas d'enfants, on arrête la danse, on met fin à l'activité, au moins pour un bout de temps.

Je n'oublierai jamais ce matin-là. Ces clients venaient de toutes les couches de la société; nous les avons tous placés en ligne et nous avons expédié leurs plaidoyers de culpabilité. Nous avons dû demander à un juge d'une autre salle d'audience de venir nous aider pendant une heure. J'avais tout simplement aligné tous ces hommes, un par un, à l'avant de la salle. Il y en avait 25, qui avaient tous été avec la même femme, tous le même soir.

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Aucun d'entre eux ne voulait vraiment dire quelque chose au juge, qui siège encore à Windsor. C'est un juge très habile. Après le neuvième accusé, à peu près, je n'oublierai jamais ce jeune homme qui nous a murmuré quelque chose au sujet de sa femme qui venait d'avoir un bébé. Le juge lui a demandé quel âge il avait. Il était dans la vingtaine ou le début de la trentaine. Alors le juge lui a demandé s'il savait avec combien d'hommes la femme avait eu des rapports.

Dans ce cas-là, c'était un fait accompli; maintenant que j'y repense, il ne s'agissait pas de communication. Les clients avaient été pris sur le fait.

C'était du grand théâtre judiciaire. Je ne souviens pas d'avoir jamais revu ces clients par la suite, et pourtant je suis restée à la cour longtemps après cette histoire.

La disposition sur la communication facilite beaucoup les choses. Sans vouloir être injuste pour qui que ce soit, il est plus facile pour la Couronne de poursuivre et pour la police de faire des rafles. En termes de contrôle social, par exemple, cela fonctionne bien. C'est du moins mon avis personnel. Vous voudrez peut-être commenter.

M. Moon: J'aimerais faire deux observations. La première, avant d'oublier, c'est que nous aurions cette option si la communication était incluse dans le paragraphe 212(4) proposé, ce qui en ferait une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. À l'heure actuelle, en vertu de l'article 212, il s'agit strictement d'un acte criminel, ce qui veut dire que cela peut donner lieu à une enquête préliminaire et même se rendre en Cour suprême. Nous devons donc garder le témoin à notre disposition pendant très longtemps. Si nous pouvions obtenir une déclaration sommaire de culpabilité dans certains cas, quand ce serait approprié, nous pourrions nous contenter d'un procès en cour provinciale, et le tout se terminerait beaucoup plus vite. Ce serait plus facile pour la jeune personne.

Nous n'avons pas de preuves précises jusqu'ici, mais nous craignons de plus en plus que la demande de jeunes prostitués augmente, même s'il y a probablement toujours eu et s'il y aura toujours des hommes qui recherchent tout particulièrement des jeunes pour obtenir des services sexuels. Cette augmentation découlerait du problème des MTS et des maladies en général, parce que les hommes qui recherchent des services sexuels ont l'impression que, plus les prostitués sont jeunes, moins ils ont été exposés. S'ils recherchent un jeune prostitué, ce n'est pas nécessairement en raison de son âge comme tel, mais parce qu'ils pensent qu'il risque moins d'avoir été contaminé. C'est une autre raison pour laquelle nous devons nous occuper très sérieusement des proxénètes et des clients qui font affaire avec des jeunes, parce que la demande pourrait très bien augmenter.

La présidente: Comme dernier petit commentaire personnel, je tiens à vous dire que je suis très contente d'avoir comme témoin un procureur de la Couronne provincial. Nous n'en avons pas souvent. Je pense que leurs patrons les découragent de venir nous voir parce qu'ils ne jouent pas de rôle officiel dans l'orientation des ministères. Mais cela nous empêche de profiter de leur vaste expérience.

Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: En ce qui concerne la possibilité de faire de la communication une infraction, il existe actuellement des lois qui interdisent de faire des déclarations dans les aéroports. Il me semble que ce serait défendable, sur le plan constitutionnel, si nous procédions de cette façon. J'espère que les députés du parti gouvernemental vont proposer une modification appropriée au projet de loi pour faire suite à votre recommandation. Quand les propositions viennent de notre côté, elles ont moins de chances d'être adoptées; donc, nous allons peut-être discuter de cette possibilité avec mes collègues de l'autre côté, et peut-être aussi avec le ministre de la Justice lui-même.

Vous avez parlé de «MTS». Qu'est-ce que ça veut dire?

M. Moon: Les maladies transmissibles sexuellement.

M. Ramsay: C'est tout.

La présidente: Je vous donne la parole avec plaisir, madame Torsney.

Mme Torsney (Burlington): Sur cette question, justement, il est vraiment essentiel que tous ceux qui s'intéressent à nos audiences sachent qu'ils ont tout à fait tort de croire que les jeunes ont moins de chances d'être infectés. En fait, ils sont plus à risque parce qu'ils sont plus vulnérables et qu'ils insistent moins pour que leurs clients portent des condoms, par exemple. Ils sont donc probablement plus à risque, et il est incroyable que ce mythe subsiste, dans le monde entier d'ailleurs. Cela nous ramène à l'époque de la révolution industrielle, où on pensait qu'il suffisait d'avoir des rapports avec une vierge pour se débarrasser des MTS.

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Avant que vous partiez, nous avons beaucoup entendu parler, surtout par M. Ramsay, du pourcentage de condamnations en Colombie-Britannique et dans les autres provinces; il a été question d'un rapport à ce sujet. J'aimerais savoir, monsieur Ramsay, si nous pourrions avoir un exemplaire de ce rapport.

M. Ramsay: Oui.

La présidente: Merci.

Mme Torsney: Je ne me souviens pas si vous avez vraiment éclairci la question, mais est-ce que vos chiffres sont exacts? Il y a eu seulement huit personnes, au cours des huit dernières années, qui ont été reconnues coupables d'avoir eu des rapports sexuels avec des adolescents?

M. Moon: Honnêtement, je n'en sais rien. C'est ce qu'on peut lire dans le rapport de Kimberly Daum, publié en septembre, je crois. Mais honnêtement, je ne suis pas sûr des statistiques.

Mme Torsney: Avez-vous poursuivi plus de huit personnes au cours des huit dernières années?

M. Moon: Non.

M. Little: Je pense que les chiffres cités par Mme Daum sont assez exacts. Nous avons porté des accusations en vertu du paragraphe 212(4), et il y a eu récemment un cas où l'inculpé a été acquitté des trois accusations qui pesaient contre lui.

M. Moon: Mais il y a eu des inculpations. Je ne sais pas si elle veut parler des mises en accusation ou des condamnations, mais je sais qu'il y a eu récemment un homme de l'extérieur du pays qui a été accusé d'être venu à Vancouver et d'avoir eu des rapports sexuels avec une personne de moins de 18 ans, ainsi que d'avoir tourné des vidéos pornographiques; il n'a pas été condamné.

Mme Torsney: Je pense que vous donnez l'impression de ne pas prendre la chose au sérieux, en ce sens que vous pourriez en faire plus et qu'il faut une volonté politique ou je ne sais quoi d'autre pour régler ce problème.

M. Moon: C'est bien possible. La création de la Division provinciale des moeurs à laquelle nous appartenons, Phil et moi, est une des mesures que le gouvernement de la Colombie-Britannique a prises dans un premier temps. Il y a un autre enquêteur, et il y aura bientôt un agent de la GRC qui y sera nommé, en plus du coordonnateur.

Nous avons pour rôle de nous occuper de ces problèmes dans l'ensemble de la province; nous faisons office de personnes-ressources. Grâce à leur vaste expérience, le détective Little et ses partenaires offrent des conseils aux services de police de toute la province qui n'ont pas l'expérience de ce genre d'enquêtes. Mon rôle, personnellement, consiste à conseiller les avocats de la Couronne et à contribuer à éveiller dans toute la province un intérêt pour cette question.

Je pense qu'il n'est pas juste de dire que tous ces gens-là n'ont pas pris la situation au sérieux, mais je reconnais que nous aurions probablement pu être plus actifs pour essayer d'obtenir plus de condamnations.

Mme Torsney: Détective Little, vous dites que 5 p. 100 des prostitués de Vancouver sont des jeunes, d'après vos estimations. Mais 5 p. 100 de combien? Combien y en a-t-il en tout? Après tout, 5 p. 100, ce n'est pas tellement élevé.

M. Little: Je m'attendais à cette question. Nous ne savons pas exactement combien il y en a vraiment. Nous pouvons vous dire, par exemple, que les services d'accompagnement pour activités sociales doivent détenir un permis en vertu des règlements municipaux de Vancouver; je dirais donc qu'il y a plus de 1 000 prostitués dans la ville de Vancouver. Je veux parler des centres de santé, des services d'accompagnement pour activités sociales, des maisons de débauche et des prostitués de la rue. Dans les rues mêmes, vous pouvez en voir de 75 à 100 en un seul soir, si vous vous promenez un peu partout en ville.

Mme Torsney: Des enfants ou des adultes?

M. Little: Les deux. Sur ce nombre, je dirais qu'entre 5 et 7 p. 100 ont moins de 18 ans.

Pour répondre rapidement à votre commentaire précédent, je constate moi aussi cette perception, mais je dois vous dire que, par habitant, et malgré la taille très réduite de notre section des moeurs, nous avons très bien réussi à nous occuper des jeunes victimes des proxénètes. Nous avons concentré toutes nos ressources sur cet aspect-là.

Chaque jeune qui vient nous voir pour dénoncer son souteneur, par exemple, est généralement une victime, parfois de centaines de clients. Si nous demandions à ce jeune de témoigner dans des procès séparés pour chaque accusation de communication en vertu du paragraphe 212(4), nous le perdrions de vue. Nous y avons pensé.

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Il y a plusieurs accusations que nous pouvons porter, par exemple de proxénétisme, de vivre des produits de la prostitution, d'agression sexuelle, de viol et d'extorsion, mais demander à un jeune de participer à plusieurs procès successifs... Il y a parfois quatre ou cinq clients que nous pouvons identifier, et la réponse est généralement «non, j'ai déjà témoigné à l'audience préliminaire; je veux seulement me rendre jusqu'à la Cour suprême et je ne...» Il y d'autres moyens que les inculpations pour mettre ces clients hors d'état de nuire.

Ce n'est pas nécessairement la meilleure chose à faire. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que nous devrions appliquer plus énergiquement les dispositions du paragraphe 212(4).

Mme Torsney: Si vous dites qu'il y a 100 personnes qui vont faire le trottoir ce soir à Vancouver et que 5 p. 100 sont des enfants, cela fait donc cinq jeunes. Mais l'impression que nous ont donnée les gens à qui nous avons parlé, et en particulier les gens du métier eux-mêmes, c'est qu'il y en a beaucoup plus.

M. Little: Oui. Je n'ai pas de chiffres exacts.

Mme Torsney: Mais vous venez...

M. Little: C'est entre 5 et 10 p. 100. Il est très peu probable que vous puissiez trouver 10 jeunes de 12 ou 13 ans en train de vendre leurs faveurs sur un même coin de rue à Vancouver, mais il y a des soirs où vous en verrez trois ou quatre. D'autres soirs, il y en aura une demi-douzaine, et il peut arriver qu'il y en ait 10, 11 ou 12. C'est du moins ce que j'ai constaté. Les services policiers ne savent pas toujours précisément combien il y a de gens en cause, et vous entendez évidemment aussi le point de vue d'autres personnes.

Mme Torsney: Ces gens-là ne veulent pas que vous les trouviez.

M. Little: Non, en effet. Je ne sais pas - est-ce qu'un seul cas est acceptable? Je pense que non.

Mme Torsney: Non, mais c'est l'impression que nous avons.

M. Little: Je ne sais pas ce que les autres vous disent, mais il n'y a pas de 50 à 100 jeunes qui vendent leurs services tous les soirs dans les rues de Vancouver.

Mme Torsney: Dieu merci!

M. Moon: Mais ce que nous avons constaté, dans notre tournée à travers la province, c'est que beaucoup de travailleurs de rue - les gens des services d'approche, ceux qui essaient de retrouver les jeunes disparus, ceux qui ont des rapports moins autoritaires avec eux - pensent qu'il y a passablement de jeunes qui offrent des services sexuels occasionnellement contre de la drogue, de la nourriture, des vêtements ou de l'hébergement. Comme Phil l'a dit tout à l'heure, c'est difficile à savoir. Ces travailleurs pensent qu'il y a beaucoup de jeunes dans cette situation; ils disent qu'ils en rencontrent régulièrement.

Mme Torsney: Oui. À Vancouver et Victoria seulement, le problème semble plus sérieux parce que ce sont de grandes villes.

Je voudrais faire un dernier commentaire au sujet de la Loi sur les jeunes contrevenants. La chambre de commerce, qui s'inquiète beaucoup des crimes contre la propriété et de la criminalité juvénile à Vancouver, devrait peut-être travailler avec vous pour mettre sur pied une campagne contre la prostitution. Les caractéristiques des usagers sont très semblables à celles de la population en général, et il pourrait y en avoir parmi les membres de cette organisation. Nous devons peut-être nous attaquer plus directement à ce problème et reconnaître que c'est une question d'exploitation sexuelle, sans parler des risques de maladies transmissibles sexuellement. L'exemple que nous a cité Shaughnessy au sujet du client qui a peut-être contaminé toute sa famille est tout simplement dégoûtant.

La présidente: Ça va. Mais ne m'appelez pas madame la présidente.

Monsieur Maloney.

M. Maloney (Erie): Est-ce que la drogue, la nourriture et l'hébergement sont considérés comme une «rétribution»?

M. Moon: Oui.

M. Maloney: Est-ce qu'il serait préférable de supprimer complètement cette notion de «rétribution»?

M. Moon: Non.

M. Maloney: Vous voulez que la loi parle de «rétribution»?

M. Moon: Oui.

M. Maloney: Pourquoi?

M. Moon: Premièrement, s'il n'est pas question de «rétribution», ce n'est plus de la prostitution. Mais surtout, si on supprime cette notion - et je ne dis pas que c'est une bonne chose ou non - , on fait passer par le fait même à 18 ans l'âge auquel les rapports sexuels avec consentement sont permis. C'est actuellement 14 ans. Bien des gens pensent d'ailleurs que ce devrait être 16 ans, et d'autres, 18.

Tout ce que cela signifie, si on supprime la notion de rétribution, c'est qu'il est interdit d'avoir des rapports sexuels avec une personne de moins de 18 ans. À l'heure actuelle, s'il n'y a pas consentement, quel que soit l'âge de la personne, c'est considéré comme une agression sexuelle. Mais autrement, les rapports sexuels avec une personne de 14 à 18 ans ne sont pas interdits par le Code criminel. Ce qui est interdit, c'est d'avoir des rapports sexuels «moyennant rétribution»; autrement dit, ce que la loi cherche à empêcher, c'est l'exploitation.

M. Maloney: Si vous me permettez de récapituler une partie de votre témoignage, vous n'avez pas réussi à faire condamner beaucoup de clients de jeunes prostitués, mais vous avez eu un certain succès dans quelques cas. Les paragraphes 212(4) et (5) aideraient, mais pas tellement. C'est un problème croissant, qui pourrait devenir encore plus grave. Les dispositions proposées ne régleraient pas vraiment le problème, et vous pensez que vos nouvelles propositions seraient plus efficaces.

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M. Moon: Nous pensons que nos propositions seraient plus efficaces, pour les raisons que j'ai indiquées. Mais rien n'est parfait. Nos propositions non plus.

M. Ramsay - d'après ce que j'ai noté ici - a dit quelque chose au sujet de la difficulté de prouver l'état d'esprit des clients. Je ne voudrais surtout pas que le comité se méprenne sur notre position à cet égard. Pour le moment, selon la loi actuelle et le projet de loi C-27, tel qu'il est formulé, il faudra quand même prouver leur état d'esprit. Je vais y revenir dans un instant.

Comme dans les autres domaines du droit pénal, il faut souvent prouver l'intention criminelle. Quand le Code actuel dit que le fait d'«obtenir ou de tenter d'obtenir» les services sexuels d'une personne de moins de 18 ans est une infraction, un des éléments de cette infraction, c'est que l'inculpé savait ou aurait dû savoir que la personne en question avait moins de 18 ans. Donc, il faut quand même prouver en quelque sorte quel était son état d'esprit.

Notre proposition n'y changera rien, mais elle permettrait - c'est du moins ce que nous pensons - de poursuivre plus facilement. Ce serait une question de «communication» et non de ce que croyait le client présumé. Notre proposition permettrait en outre d'avoir recours à des leurres, tout comme le projet de loi C-27 d'ailleurs, mais le projet de loi prévoit que le client doit croire ce leurre. Nous pensons que ce ne sera pas applicable, alors que ce n'est pas nécessaire en vertu de notre proposition.

M. Maloney: Comment la communication serait-elle définie? Est-ce qu'il suffirait de dire bonjour? C'est un exemple absurde, mais où faudrait-il tracer la ligne?

M. Moon: En Colombie-Britannique, nous n'approuvons pas les mises en accusation si les chances de condamnation sont minces. Je pense que c'est aussi le critère qu'on applique généralement ailleurs au pays. Nous n'allons pas porter d'accusations si nous ne sommes pas convaincus que ce qui a été fait peut vraiment être considéré comme une communication à des fins de prostitution.

Encore une fois, je ne veux pas induire le comité en erreur. Prenez l'article 213; ce que nous proposons est en un sens déjà prévu dans cet article, qui porte sur le racolage de façon générale. Mais comme l'article 212 porte déjà sur les jeunes de moins de 18 ans, nous pensons que la question de la communication devrait être prévue à l'article 212 pour qu'il soit plus facile d'en arriver à un verdict de culpabilité.

La raison de cette proposition, sans vouloir entrer dans les détails juridiques, c'est que la loi dit «obtenir ou tenter d'obtenir». À notre avis, presque toutes les tentatives pour obtenir des services sexuels équivalent en fait à une communication. Mais si ces mots demeurent dans l'acte d'accusation, l'inculpé pourra facilement dire pour se défendre qu'il s'agissait seulement d'une préparation. Donc, il faut appeler un chat un chat: il y a communication. Alors, indiquons-le au paragraphe 212(4).

La présidente: Monsieur Telegdi, une dernière question.

M. Telegdi: Votre division est-elle bien connue en Colombie-Britannique?

M. Little: Elle commence à l'être. Je dirais que la presse parle de la plupart des cas dont nous nous occupons. Pour ce qui est d'éduquer le public, puisque je suppose que c'est là que vous voulez en venir, nous n'en faisons pas assez.

M. Telegdi: Une des choses que je tiens à dire, c'est que si vous patrouillez les secteurs chauds et que les gens le savent, vous empêchez certaines personnes de faire certaines choses.

C'est sûrement difficile d'être policier. En un sens, si vous n'attrapez pas les criminels, vous vous le faites reprocher, mais le fait est que ce que vous avez de mieux à faire, c'est de prévenir les crimes, de faire en sorte qu'ils ne se produisent pas. Tant que les gens sont au courant de ce que vous faites, c'est très bien.

Et, si je comprends bien, vous avez de bons rapports avec les organismes de services sociaux et vous communiquez avec eux quand vous rencontrez des jeunes dans le besoin.

M. Little: C'est exact.

La présidente: Je vous remercie beaucoup. Nous n'entendons pas souvent des représentants de la Couronne; nous avons été très contents de vous avoir ici.

Détective Little, merci à vous aussi.

La séance est levée.

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