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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 mai 2000

• 1129

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Bienvenue à tout le monde. Je déclare la séance ouverte.

Comme vous le savez, notre ordre du jour est conforme au paragraphe 108(2), considération du Rapport sur la politique monétaire, mai 2000 de la Banque du Canada.

Ce matin, nous avons le plaisir d'accueillir le gouverneur de la Banque du Canada, M. Gordon Thiessen, ainsi que M. Malcolm Knight. Bienvenue messieurs.

Nous nous réjouissons toujours à l'idée de votre visite, monsieur le gouverneur. Vous savez comment les choses fonctionnent. Vous disposerez de 10 à 15 minutes environ pour faire votre exposé, après quoi nous passerons aux questions. Encore une fois, bienvenue parmi nous.

M. Gordon Thiessen (gouverneur, Banque du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président, c'est avec un plaisir toujours renouvelé que je me présente devant vous. Comme votre programme de travail ne nous a pas permis de nous rencontrer en novembre dernier, je suis particulièrement heureux de pouvoir discuter avec vous aujourd'hui de la situation économique au pays ainsi que des perspectives en matière d'inflation.

• 1130

La semaine dernière, nous avons publié la onzième livraison de notre Rapport sur la politique monétaire. Depuis la parution du Rapport de novembre, la tenue affichée par l'économie canadienne a dépassé les attentes. Stimulée par la vigueur de la demande au pays et à l'étranger, l'expansion de notre économie s'est accélérée au second trimestre de 1999 et au début de 2000. Le tableau très favorable de l'économie américaine, conjugué au niveau élevé des investissements des entreprises et à la solide progression de l'emploi au Canada, laisse présager la poursuite d'une forte expansion au pays. Compte tenu du dynamisme de la demande, la Banque du Canada a révisé à la hausse ses projections relatives au taux de croissance et s'attend maintenant à ce que celui-ci se situe à l'intérieur d'une plage de 4 à 4,5 p. 100 en 2000.

[Français]

Le taux de l'inflation tendancielle au Canada a été moins élevé que prévu pendant les six derniers mois; notre taux est même l'un des plus bas parmi ceux des pays industriels. Mais il est probable que les pressions sur la capacité de l'économie augmenteront cette année. Ainsi, on s'attend à ce que l'inflation tendancielle monte graduellement près du milieu de notre fourchette de maîtrise de l'inflation de 1 à 3 p. 100. Notons que l'inflation tendancielle est donnée par l'indice des prix à la consommation, excluant l'alimentation, l'énergie et l'effet des impôts indirects. Pour que l'inflation mesurée par cet indice se maintienne aux alentours de 2 p. 100, il faudra que l'expansion économique ralentisse ou que la croissance de la productivité et de la capacité de production s'accélère en 2001.

Je dois toutefois préciser que les estimations de la capacité de production sont encore plus incertaines que d'habitude. Le fait que l'inflation tendancielle soit inférieure aux pressions pourrait laisser supposer que les mesures utilisées d'ordinaire sous-estiment la capacité de l'économie de produire des biens et des services sans une montée des pressions inflationnistes. Ces dernières années, les conditions pour que la productivité et la capacité de production augmentent ont été bien meilleures qu'auparavant. Mais, jusqu'à présent, rien ne prouve vraiment qu'une telle augmentation ait eu lieu. Il est donc encore plus difficile que d'habitude pour les autorités monétaires d'estimer où se situe l'équilibre entre l'offre et la demande globales.

D'autres risques importants pèsent sur nos perspectives de croissance. Il se peut en effet que la demande globale aux États-Unis demeure plus vigoureuse que prévu et que les pressions inflationnistes s'intensifient et gagnent notre pays. La croissance de l'économie américaine est restée spectaculaire. Il est nécessaire que son rythme diminue progressivement cette année et en 2001.

[Traduction]

Monsieur le président, la prudence en matière de conduite de la politique monétaire nous commande de ne pas sous-estimer les risques d'une remontée de l'inflation, compte tenu surtout de la croissance vigoureuse de la demande globale au Canada, aux États-Unis et dans d'autres pays. Comme il faut environ 18 à 24 mois avant que les effets de la politique monétaire se fassent sentir sur les prix, la Banque cherche toujours à prévoir l'ampleur des pressions inflationnistes sur un horizon de un à deux ans.

Pour clore, monsieur le président, je me permets de rappeler que la croissance de la productivité est le seul moyen d'obtenir des gains à long terme au chapitre des revenus et du niveau de vie. La révolution technologique qui secoue le monde actuellement fournit au Canada une occasion rêvée d'accroître sa productivité. La meilleure contribution que la politique monétaire puisse faire pour favoriser cet accroissement est de maintenir l'inflation à un bas niveau. Un taux d'inflation bas et stable réduit l'incertitude à l'égard de l'évolution future des prix, abaisse la fréquence des cycles de surchauffe et de contraction économiques et aide à garder les taux d'intérêt à des niveaux peu élevés. Tout cela encourage les entreprises à investir dans le matériel et les applications qui sont nécessaires pour tirer profit des nouvelles technologies.

• 1135

L'engagement qu'a pris la Banque du Canada de maintenir l'inflation dans la fourchette cible de maîtrise de l'inflation dont s'est doté le Canada devrait faire en sorte que la politique monétaire favorise un climat propice à l'amélioration continue de la tenue de notre économie.

Merci beaucoup monsieur le président, M. Knight et moi-même sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le président: Merci, gouverneur.

Nous allons ouvrir la première série de dix minutes de questions par M. Solberg.

M. Monte Solberg (Medicine Hat, Alliance canadienne): Merci beaucoup, monsieur le président.

Bienvenue messieurs Thiessen et Knight. Avant toute chose, je tiens à vous féliciter, monsieur le gouverneur, à l'occasion de l'annonce de votre départ à la retraite. Au nom de l'opposition officielle, je vous remercie pour les services que vous avez rendus au pays. Nous espérons avoir la chance de vous revoir avant que vous ne quittiez votre poste, mais je vais tout de suite vous faire un commentaire.

J'estime que vous avez atteint votre principal objectif, qui était de contrôler l'inflation.

Cela étant, je vais vous poser quelques questions à ce sujet. Dans vos remarques d'introduction, vous venez de dire que l'inflation mesurée par l'indice de référence est en hausse et qu'elle se maintient autour de 2 p. 100. On s'attend généralement à ce que l'inflation flirte avec le haut de la fourchette. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à cet égard, nous expliquer pourquoi nous ne devrions pas nous en inquiéter et pourquoi l'indice de référence est beaucoup plus important que l'IPC.

M. Gordon Thiessen: Très certainement.

On se rend compte que certains éléments qui composent l'indice des prix à la consommation accusent des fluctuations importantes. Cela ne veut pas dire qu'ils sont négligeables, mais pour essayer de vraiment comprendre les tendances de fond, il faut exclure ces fluctuations. Les deux postes qui tendent à fluctuer le plus sont les prix de l'énergie et les prix alimentaires. Ce sont des éléments très importants, mais encore une fois pour dégager les tendances de fond, il faut écrêter les fluctuations.

Voilà pourquoi on s'intéresse à l'inflation mesurée par l'indice de référence qui exclut les prix de l'énergie, les prix alimentaires et l'effet des variations des impôts à court terme, autant d'éléments qui peuvent influer sur l'IPC. Quand on se livre à cet exercice, on constate que le taux d'inflation fondamentale est de 1,5 p. 100 mais que, compte tenu de la croissance rapide de l'économie, il pourrait atteindre 2 p. 100 dans le courant de cette année.

La véritable question qui se pose est la suivante: la tenue de l'économie risque-t-elle de provoquer une hausse de l'inflation mesurée par l'indice de référence? C'est là la grande question.

On s'aperçoit que la demande aux États-Unis est très forte et qu'elle a des répercussions au Canada. Ce que nous visons, par- dessus tout, c'est de maintenir notre rythme d'expansion. Nous voulons éviter de retomber dans le même cycle d'expansion et de ralentissement que nous avons connu au cours des vingt dernières années. Voilà pourquoi nous nous fions à l'indice de référence.

M. Monte Solberg: Vous avez également parlé de productivité. Dans votre dernier rapport sur la politique monétaire, vous dites que la demande a été supérieure à ce qu'on croyait être sa pleine capacité. À l'évidence, tel n'est pas le cas. Je suppose que vous allez réviser à la hausse cette capacité. En un sens, cela me préoccupe. Pourriez-vous me dire pourquoi il vous est si difficile de prévoir ce que sera la vigueur de l'économie et de nous indiquer si notre productivité va continuer à et si le Canada a suffisamment investi, notamment dans son stock de capital.

M. Gordon Thiessen: Le problème c'est qu'une grande partie de la capacité est composée par la machinerie, l'équipement, la technologie, les bâtiments et ainsi de suite, et qu'il est très difficile de mesurer avec précision ce genre d'inventaire, de même que leurs mouvements. Par exemple, on peut se demander si la machinerie et l'équipement mis en service il y a cinq ans sont encore efficaces ou s'ils sont obsolètes? Il est très difficile de savoir ce qui se passe sur ce plan-là. La Banque et Statistique Canada se livrent à des estimations, mais la marge d'incertitude est grande. Voilà pourquoi nous jugeons important de nous intéresser à tout un ensemble d'indicateurs pour savoir si nous tendons ou non vers la pleine capacité.

• 1140

Dans votre dernier rapport sur la politique monétaire, nous avons conclu que, même si les analyses traditionnelles nous portent à penser que nous avons presque atteint la pleine capacité et que la demande pourrait être supérieure à l'offre depuis le début de l'année, sur la foi des autres indicateurs, tel n'est pas le cas.

Ainsi, dans le rapport, nous avons jugé que nous n'étions pas encore à la limite de la capacité, que nous ne sommes pas encore dans une situation inflationniste. Cependant, à plus long terme, la question est de savoir comment les choses vont évoluer du côté de la productivité et si l'évolution de la productivité va accroître notre capacité de production. Eh bien, nous pensons que plusieurs éléments doivent nous porter à le penser.

Nous avons assisté à une augmentation relativement importante du volume des investissements au cours des quatre dernières années. Mais comme nous l'avons appris de nos voisins américains, il faut attendre assez longtemps pour que l'investissement réalisé dans la technologie donne lieu à des gains de productivité. Ainsi, la productivité ne s'est pas encore fait sentir dans les données de référence, mais on sait que quelque chose se passe et l'on voit bien que les entreprises s'équipent de plus en plus sur le plan technologique. Mais tant qu'on ne constatera pas effectivement ce genre d'effets, nous devrons être relativement prudents.

M. Monte Solberg: Quel effet une augmentation des taux d'intérêt, aujourd'hui par exemple, aurait-elle sur la productivité? Est-ce que cela pourrait ralentir la croissance de la productivité au point où l'on éprouverait des difficultés ou est-ce qu'il y aurait au contraire un effet compensateur?

M. Gordon Thiessen: Les risques sont toujours là. Si nous permettions à l'économie de s'emballer et aux pressions inflationnistes de s'installer, il faudrait augmenter beaucoup plus les taux d'intérêt et l'on entrerait alors dans un cycle d'expansion et de ralentissement. Cependant, il est fort peu probable qu'un tel scénario se concrétise. D'après ce qu'on a constaté dans le passé, quand un telle chose se produit, on assiste à un recul des investissements.

Le mieux, quant à moi, est d'essayer de lisser l'évolution de l'économie. Pour cela, il faudra peut-être imposer des taux d'intérêt légèrement supérieurs à ce qu'on a fait dans le passé, mais, sur le chapitre des investissements, mieux vaut une économie qui croisse régulièrement et modérément qu'en dents de scie. Nous estimons que c'est là la meilleure chose à faire pour maintenir le niveau d'investissement ainsi que les gains de productivité.

M. Monte Solberg: Combien de temps me reste-t-il?

Le président: Quatre minutes.

M. Monte Solberg: Bon, alors je vais accélérer. Nous pourrions parler toute la journée de cette question, mais il y a un autre sujet qui est très actuel: la valeur du dollar.

Actuellement, les prix des produits de base sont relativement élevés. C'est évidemment le cas du prix du pétrole. Pourtant, notre dollar dépérit. Pourriez-vous nous éclairer un peu sur ce phénomène.

Dites-nous d'abord pourquoi cela? Nous sommes plusieurs à penser que le dollar devrait être beaucoup plus élevé qu'il ne l'est aujourd'hui. Je ne prétends d'ailleurs pas comprendre ce qui se passe. Cela tient-il au fait que notre économie n'est pas aussi productive que l'économie américaine, par exemple? Certes, la devise canadienne s'est affermie par rapport à l'euro, mais depuis toujours nous nous mesurons contre la devise américaine.

Voilà donc une situation qui préoccupe presque tout le monde et à propos de laquelle vous pourriez sans doute un peu éclairer nos lanternes.

M. Gordon Thiessen: Très certainement. Il est évident que nous aimerions tous avoir une devise plus forte, en partie parce qu'elle serait synonyme d'une économie plus robuste. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le taux de change est une médaille à deux revers. On compare toujours les devises américaines et canadiennes, qui reflètent la santé économique des deux pays.

Ainsi, quand on compare le dollar canadien au dollar américain, on compare toujours l'évolution des économies canadienne et américaine. Or, il est évident que l'économie de nos voisins est en pleine croissance. Les Américains sont presque à la limite de leur capacité et, comme vous le disiez, ils ont obtenu d'excellents gains de productivité, meilleurs que n'importe qui d'autre dans le monde. Ce phénomène se répercute sur la valeur de leur devise, qui, par conséquent, est la plus forte du monde. Ainsi, la situation actuelle nous en dit beaucoup plus sur la force du dollar américain que sur celle du dollar canadien.

• 1145

Cela étant, dans l'avenir—et j'espère que, nous aussi, nous allons enregistrer des gains de productivité—l'accroissement de notre santé économique favorisera l'augmentation de la valeur de notre devise.

M. Monte Solberg: Dois-je en déduire que le renforcement de notre devise passe par un resserrement de la politique budgétaire et pas forcément par la politique monétaire?

M. Gordon Thiessen: En matière de politique monétaire, j'estime qu'on ne peut se concentrer que sur une seule chose à la fois. Pour l'instant, nous estimons que le mieux à faire consiste à juguler l'inflation, parce que c'est la façon d'en arriver à une certaine stabilité de l'économie et de maintenir les taux d'intérêt à un niveau inférieur à ce qu'ils seraient autrement. Ce n'est en fait que par le biais des gains de productivité qu'on peut raffermir une devise, comme ce qui se passe actuellement aux États-Unis.

Le président: Merci, monsieur Solberg.

Monsieur Loubier.

[Français]

M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Monsieur le gouverneur, soyez le bienvenu au Comité des finances. Je vous souhaite bonne chance dans votre nouvelle carrière.

Monsieur le gouverneur, j'ai une question bien simple à vous poser. Cet après-midi, la banque fédérale américaine, étant donné la surchauffe aux États-Unis, s'apprête à augmenter d'environ un demi-point le taux d'intérêt américain.

Quelles sont les intentions de la Banque du Canada? A-t-elle l'intention d'augmenter bêtement, elle aussi, les taux d'intérêt canadiens d'un demi-point, comme elle le fait normalement, parce qu'à mon avis, la politique monétaire canadienne n'est pas autonome, ou si vous allez tenir compte du fait que l'économie canadienne n'a pas atteint son plein potentiel et qu'on n'est pas en situation de surchauffe, et adopter une attitude différenciée par rapport à cela et non pas une attitude suiveuse comme celle que vous avez eue au cours des trois ou quatre dernières années, en particulier durant le plus gros de la crise asiatique?

M. Gordon Thiessen: Au Canada, il faut toujours regarder ce qui se passe aux États-Unis parce que ce pays est notre grand partenaire pour le commerce extérieur. Quand la demande augmente à un rythme très élevé, comme c'est le cas aux États-Unis, cela a un effet pour le Canada, particulièrement pour se exportations. Donc, quand la réserve fédérale augmente ses taux d'intérêt, c'est une information importante pour nous.

Parfois nous suivons les États-Unis, parfois nous décidons de ne pas les suivre parce que la situation au Canada est différente. La chose la plus importante pour nous est de regarder l'avenir et de voir si dans un an ou deux, l'inflation sera à la hausse ou non. C'est la grande question que nous nous posons. Ce qui se passe aux États-Unis est important et nous devons toujours tenir compte de la situation américaine.

M. Yvan Loubier: À quoi les Québécois et les Canadiens doivent-ils s'attendre demain matin? Doivent-ils s'attendre à ce que les taux d'intérêt, à partir du taux d'escompte de la Banque du Canada, augmentent dans une situation où ce n'est peut-être pas opportun parce que la croissance économique n'a pas atteint son plein potentiel? Doivent-ils s'attendre à ce que vous ayez une politique différenciée et que vous ne suiviez pas exactement la politique américaine, comme vous l'avez fait en septembre 1998, au plus fort de la crise asiatique? À ce moment-là, on a remis en question votre autonomie face à la politique monétaire américaine. Doivent-ils s'attendre à ce que vous laissiez tomber le dollar canadien, par exemple? Quelle est votre vision par rapport à cela? On parle des taux de court terme. Il faut, bien sûr, avoir une vision de long terme, mais étant donné la décision de la banque fédérale américaine de cet après-midi, j'aimerais savoir quelles sont vos intentions véritables pour demain. À quoi doit-on s'attendre?

M. Gordon Thiessen: Il m'est difficile de répondre à votre question. Nous devons attendre la décision américaine et nous devrons alors faire une évaluation de la situation aux États-Unis et décider quelles sont les implications de cette décision pour le Canada. C'est en nous fondant sur cette information que nous allons prendre notre décision. Je ne peux pas vous donner d'avis maintenant.

[Traduction]

Je ne suis pas actuellement en mesure de vous dire ce que nous allons faire.

[Français]

M. Yvan Loubier: Même si vous prenez votre retraite, vous ne voulez pas nous faire un cadeau comme celui-là?

Des voix: Ah, ah!

• 1150

M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Dans le débat soulevé par l'indépendance de la politique canadienne, la plupart des experts s'entendent pour dire que si la réserve fédérale américaine augmente d'un demi-point ou de 50 points de base ses taux d'intérêt à court terme, il est fort possible, voire presque certain que la Banque du Canada emboîtera le pas en décrétant une augmentation de 25 ou 50 points de base. C'est un mouvement qu'on observe depuis plusieurs années et cela soulève toute la question de l'indépendance de la politique monétaire du Canada par rapport à la politique monétaire des États-Unis.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'un débat a cours ici, au Canada, sur l'avenir du dollar canadien par rapport à une devise américaine ou à une monnaie commune pour l'Amérique du Nord. Il est possible qu'un jour, les décideurs politiques prennent cette décision parce que, dans le fond, c'est une décision qui doit être prise par les décideurs politiques.

Étant donné que c'est une possibilité, ne pensez-vous pas qu'une organisation telle que la Banque du Canada devrait au moins se pencher sur sa planche à dessin et se dire qu'au cas où on prendrait éventuellement cette décision, elle devrait avoir au moins un blueprint de ce qui se passerait alors? Selon vous, la Banque du Canada ne devrait-elle pas faire une telle chose au cas où on prendrait cette décision?

M. Gordon Thiessen: Je crois qu'il appartient au Parlement, aux gens qui prennent les décisions politiques de décider que ce serait une bonne idée. Nous devons travailler avec le système de taux de change qu'on a maintenant, qui est un taux de change flottant. Nous avons examiné tous les arguments des deux côtés et fait des recherches dans ce domaine, et notre point de vue est que le taux de change flottant, le système de taux de change flexible est le meilleur pour le Canada.

M. Richard Marceau: Je comprends ça. Vous êtes d'ailleurs un des avocats les plus fervents du système de taux de change flexible. Cela étant dit, je repose la question: n'avez-vous pas, quelque part dans vos cartons, des études ou un plan d'action sur la façon dont vous vous y prendriez si une telle décision était prise?

M. Gordon Thiessen: Je ne pense pas que ce soit notre responsabilité. Si la Chambre des communes décide qu'il faut que la Banque du Canada examine ça, nous allons le faire, mais nous devons travailler avec le système qui est en place à l'heure actuelle.

M. Richard Marceau: Un instant. Je ne comprends pas. On nous répète ad nauseam que la Banque du Canada est un organisme complètement indépendant, non seulement du gouvernement du Canada mais aussi de la Chambre des communes. Vous me dites que vous vous pencheriez sur ce sujet si la Chambre des communes vous le demandait.

M. Gordon Thiessen: Comme vous l'avez dit, toute décision concernant le système de taux de change doit être prise par le gouvernement, par le Parlement. Dans ce cas-là, la Banque du Canada ferait des études. Pour l'instant, le système qui est en place est un système de taux de change flexible, et c'est le système avec lequel la Banque du Canada doit travailler.

M. Richard Marceau: Vous avez participé à plusieurs colloques sur l'avenir monétaire du Canada et vous vous êtes fait partout le fervent avocat d'une politique de taux de change flexible en vous basant sur le fait qu'un taux de change flexible pouvait absorber des chocs.

• 1155

Ne croyez-vous pas que, dans la mesure où les flux financiers quotidiens sont énormes, cette flexibilité, au lieu d'absorber les chocs, va au contraire les amplifier? Ne croyez-vous pas que ce qui était peut-être un avantage il y a quelques années ou même quelques mois est devenu exactement l'inverse et fait en sorte que c'est pratiquement impossible? Jeudi dernier, on nous parlait de flux financiers de l'ordre de 2 000 milliards de dollars par jour. Comment une banque relativement petite comme la Banque du Canada peut-elle croire qu'un taux de change flexible peut absorber les chocs économiques, qui sont quelquefois asymétriques?

M. Gordon Thiessen: Il est très intéressant d'étudier l'expérience des pays asiatiques qui ont été frappés par le choc financier de 1997-1998. Ces pays avaient à ce moment-là des taux de change fixes. Avec une sortie de capitaux très importante, ils ont trouvé très difficile de garder leurs taux de changes fixes. Finalement, il y a eu des crises financières dans ces pays. Je crois que la plupart des gens qui observent actuellement la situation internationale pensent qu'il vaudrait mieux que ces pays aient un taux de change flexible. Il est plus facile de gérer les flux des fonds internationaux quand on a un taux de change flexible, parce que le taux de change flexible fonctionne un peu comme un amortisseur des flux de fonds ainsi que des chocs économiques réels. Dans les deux cas, il est très utile d'avoir une sorte de coussin ou de buffer entre votre pays et le reste du monde.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Marceau.

Monsieur Pillitteri.

M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci, monsieur le président.

Bienvenue parmi nous, monsieur Thiessen. Merci d'ailleurs de vous être rendu à notre invitation, car j'ai toujours hâte de vous rencontrer, l'homme d'affaires que je suis désirant savoir ce qui l'attend et où il devra investir. Je vais donc vous reposer certaines questions auxquelles vous avez déjà répondu.

Monsieur Thiessen, je suis un de vos disciples sur la question des taux d'intérêt et de la valeur de notre dollar, mais si je voulais investir aujourd'hui, en tant qu'homme d'affaires, à quoi devrais-je m'attendre dans l'avenir? L'année dernière, personne n'aurait pensé que les taux d'intérêt augmenteraient autant. On s'attendait à des augmentations oscillant entre 0,5 et 1 p. 100, compte tenu de l'évolution de l'économie, mais voilà que les Américains viennent d'augmenter leurs taux d'intérêt quatre fois de suite et que nous leur avons emboîté le pas. Une autre s'annonce et, bien sûr, il est fort probable que nous imiterons nos voisins.

Ma question est fort simple. On dit qu'au cours de la dernière décennie, les taux d'intérêt ont oscillé autour de 8 p. 100. Cependant, à court terme, ils ont subi une évolution en dents de scie et nous avons maintenu des taux d'intérêt inférieurs à ceux des États-Unis, ce qui est sans précédent, et ce qui explique sans doute pourquoi notre devise est relativement dépréciée. Alors, je me dis qu'après avoir fait le ménage dans nos finances grâce à des budgets équilibrés, après avoir dégagé des excédents et commencé à rembourser la dette, notre dollar aurait dû s'apprécier par rapport à la devise américaine, que les taux d'intérêt auraient dû se stabiliser. Or, ce n'est pas du tout ce qui est arrivé, puisque les taux d'intérêt ont continué d'augmenter et que notre dollar a continué de perdre du terrain.

Monsieur Thiessen, combien d'interventions seront encore nécessaires de la part du trésor américain, des gouverneurs de la Réserve fédérale et de notre Banque centrale avant que tout le monde soit convaincu que les intérêts à long terme, disons dans les prochaines années, commencent à fléchir pour ne plus augmenter?

Moi qui suis un homme d'affaires, je tiens à vous dire que je commence à être un peu nerveux. Au cours des deux dernières années, on nous a dit que la situation allait se stabiliser, qu'il ne fallait pas s'inquiéter, qu'on pouvait continuer à investir, à prendre de l'expansion, et que tout s'arrangerait. Or, les Américains en sont à la quatrième augmentation de suite et nous allons faire la même chose au Canada. Quand pensez-vous que les taux d'intérêt arrêteront d'augmenter pour éventuellement commencer à redescendre?

• 1200

Le président: Merci, monsieur Pillitteri.

Gouverneur.

M. Gordon Thiessen: Je ne peux vous répondre avec précision. En revanche, je peux vous dire que nous ne reviendrons jamais au genre de taux d'intérêt que nous avons connus à la fin des années 70 et au début des années 80, ou encore à la fin des années 80 et au début des années 90, si c'est cela qui vous inquiète. N'oubliez pas qu'à cette époque, le taux d'inflation était élevé. Aujourd'hui, il n'est pas tout à fait de 2 p. 100 et notre objectif est de la maintenir à ce niveau.

Cela revient à dire qu'il n'est pas nécessaire de beaucoup augmenter les taux d'intérêt pour garder le cap. C'est d'ailleurs un des grands avantages qu'il y a de maintenir le taux d'inflation à un niveau très bas. On se rend d'ailleurs compte que ce taux demeure très faible quand on analyse, sur 1 mois à 30 ans, le reste de la courbe du rendement par rapport au taux d'intérêt. Qui plus est, l'inflation demeure tout le temps inférieure à celle des Américains.

Les taux d'intérêts sur lesquels nous pouvons directement agir sont les taux à très court terme. Nous devons veiller à ce que le taux d'inflation ne s'envole pas parce que, s'il demeure stable, nous pourrons bénéficier de taux d'intérêt bas. Il est vrai qu'il sera peut-être nécessaire d'augmenter les taux à court terme, mais nous ne reviendrons jamais à ce qu'ils ont été pendant la dernière période d'inflation. Si les marchés jugent que nous pouvons parvenir à cet objectif, vous ressentirez les effets à plus long terme. Vous n'assisterez pas à de grands mouvements des taux d'intérêt. Les investisseurs et les épargnants se diront que, les banques centrales cherchant à maîtriser l'inflation, ils peuvent s'attendre à tel ou tel taux à 5 ans ou à 10 ans et ils se satisferont parfaitement d'un taux d'intérêt de 6 p. 100 ou moins, par exemple.

Le président: Merci, monsieur Pillitteri.

Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Thiessen. Je suis heureuse de vous revoir.

À la page 9 de votre rapport, j'ai lu avec intérêt la façon dont la Banque explique l'augmentation des prix du pétrole et son effet sur l'inflation. C'est évidemment un aspect qui a beaucoup retenu l'attention des médias au cours des douze derniers mois. La banque fait une distinction entre les effets de première vague et les effets de deuxième vague découlant de l'augmentation des prix du brut. Pourriez-vous nous expliquer la différence qu'il y a entre ces deux effets et nous indiquer quelles sont les projections de la Banque en ce qui concerne les prix du pétrole, à court et à moyen terme?

M. Gordon Thiessen: Très certainement. Les effets de la première vague sont directement dus au prix de l'essence, du mazout domestique et du gaz naturel, auxquels les consommateurs doivent consacrer une partie de leur revenu et qui ont une influence directe sur l'indice des prix à la consommation.

Le raisonnement que nous appliquons pour les effets de deuxième vague est le suivant: une augmentation des prix de l'essence entraîne une augmentation des coûts du transport qui, à son tour, donne lieu à une augmentation des prix de l'épicerie et autres. Par ailleurs, l'augmentation des prix de l'énergie peut se traduire par une hausse des tarifs aériens, par exemple, ou du prix des chambres d'hôtel à cause des coûts du chauffage qui augmentent. Voilà ce que nous entendons par les effets de deuxième vague.

Il est arrivé, quand les prix du pétrole ont augmenté dans le passé, qu'on redoute l'apparition de poussées inflationnistes, parce que tous les prix augmentaient dans la foulée. Le cas échéant, on se retrouve dans une spirale inflationniste, ce que nous voulons à tout prix éviter.

Cependant, je puis vous garantir que jusqu'à présent, nous n'avons pas noté de véritables effets de deuxième vague. Les prix du pétrole se stabilisant plus ou moins—ils ont augmenté de nouveau ces derniers jours, mais certainement pas au même rythme qu'avant—on peut s'attendre à ce que l'indice global des prix à la consommation et l'indice de référence dont je parlais plus tôt convergent sans doute vers les 2 p. 100. Pour l'instant, nous prévoyons que les prix du pétrole sur les marchés internationaux oscilleront aux alentours de 25 $ américains le baril, à quelques dollars près. Certes, pour l'instant, les prix sont un peu plus élevés, puisque nous en sommes à 29 $.

• 1205

Mme Karen Redman: Y a-t-il une formule magique qui vous permette d'en arriver à ce prix?

M. Gordon Thiessen: Pas vraiment. C'est ce que nous pensons à l'analyse de l'offre et de la demande de pétrole sur les marchés internationaux. Je dois vous avouer que c'est un calcul plutôt approximatif, mais nous avons pensé, à partir de ce calcul et d'entretiens avec quelques gros producteurs pétroliers internationaux, qu'à 25 $ le baril, l'offre et la demande se stabiliseraient sur le marché pétrolier international.

Mme Karen Redman: Merci.

Puis-je poser une autre question, si j'en ai le temps?

Le président: Bien sûr.

Mme Karen Redman: Je n'envie pas votre travail. J'ai été très intéressée d'entendre ce que vous aviez à dire. J'ai d'ailleurs indiqué à ma collègue Sophia Leung que si vous pouviez directement répondre à la question de M. Pillitteri, nous devrions en prendre note. Je suis certaine que tout le monde aimerait pouvoir lorgner sur votre boule de cristal.

À la page 24 du rapport, vous parlez d'une enquête périodique du Conference Board sur la confiance des entreprises canadiennes relativement aux attentes en matière d'inflation. Il semble que la majorité des répondants à ce sondage s'attendent à des augmentations de prix inférieures à 2 ou 3 p. 100, puis à un recul très prononcé à plus long terme.

Estimez-vous que ce genre de résultat est inquiétant? Quelle confiance peut-on accorder à cette enquête?

M. Gordon Thiessen: Il ne faut pas y accorder trop de poids et c'est pour cela que nous envisageons d'effectuer toute une série de mesures pour évaluer les attentes relatives à l'inflation. Ce que nous trouvons de plus important dans tout cela, c'est que la plupart des répondants continuent d'estimer que l'inflation va se situer dans la partie médiane de notre fourchette cible. C'est cela qui est important pour nous.

Je pense qu'à l'époque où cette enquête a été réalisée, nous traversions une période où les prix du pétrole étaient à la hausse et entraînaient avec eux l'IPC total, alors que par la suite la situation s'est quelque peu inversée. Je suis sûr que si nous refaisions cette enquête aujourd'hui, nous constaterions que la plupart des participants opteraient pour une augmentation se situant dans les 2 p. 100. C'est d'ailleurs ce à quoi nous nous attendons.

De plus, c'est ce que nous devrions obtenir en respectant les objectifs d'inflation que nous nous sommes fixés. Nous voulons faire en sorte que tous ceux et toutes celles qui devront prendre des décisions d'investissement dans l'avenir puissent le faire en se disant que l'inflation sera d'environ 2 p. 100.

Les gens d'affaires qui prennent les décisions d'investissement se demandent comment les prix évolueront pendant leur placement. Même chose pour un investisseur qui se demande s'il vaut la peine de placer dans un CPG à cinq ans. Nous voulons convaincre tous ces gens-là qu'ils peuvent compter sur un taux d'inflation de 2 p. 100.

Mme Karen Redman: Merci beaucoup.

Le président: Monsieur Knight.

M. Malcolm Knight (premier sous-gouverneur, Banque du Canada): Comme vient de l'indiquer le gouverneur, les prix du brut ont commencé à augmenter brusquement en février de l'année dernière, ce qui a provoqué une hausse de l'indice global des prix à la consommation. Cela étant, le taux d'inflation mesuré sur douze mois par l'indice global des prix à la consommation est passé à 3 p. 100 en mars.

Toutefois, il semble que les fortes augmentations des prix du pétrole soient maintenant chose du passé. L'OPEC a légèrement augmenté sa production par rapport à l'année dernière et nous avons commencé à reconstituer nos réserves.

Si, plutôt que de continuer à augmenter, les prix du pétrole se stabilisent ou commencent à décliner, nous assisterons très vite à un ralentissement du taux global de l'inflation mesuré par l'indice de référence, qui se situe actuellement dans la fourchette des 1,5 à 2 p. 100. En revanche, il nous faudra toujours tenir compte du niveau d'attente relativement à l'inflation, parce que la modification des taux d'intérêt à court terme n'influe pas directement sur le taux d'inflation et que nous agissons en fait sur le taux d'inflation dans 18 mois à 2 ans.

Nous devons donc absolument savoir ce que les hommes d'affaires, les femmes au foyer et les travailleurs en tout genre pensent de ce que pourrait être la situation dans l'avenir. Voilà pourquoi nous visons un taux d'inflation stable et faible.

Mme Karen Redman: Je ne puis m'empêcher de vous faire une remarque. Il y a aussi des femmes d'affaires.

M. Malcolm Knight: C'est pour cela que j'ai parlé des autres travailleurs.

Le président: Madame Leung.

Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je suis très heureuse de vous revoir, monsieur Thiessen. J'espère que vous reviendrez ici avant de prendre votre retraite.

M. Gordon Thiessen: Il le faudra.

• 1210

Mme Sophia Leung: À la page 23 de votre rapport, vous comparez la productivité au Canada et la productivité aux États-Unis. C'est très intéressant. Trois raisons expliquent nos différences, raisons qui semblent très valables. Pourriez-vous nous en dire un petit peu plus à cet égard. Nous savons que la productivité canadienne a toujours traîné de l'arrière par rapport aux Américains. Pensez-vous que cela soit à cause d'un défaut d'investissement dans...? Notre secteur de la haute technologie est très performant, mais on nous a beaucoup parlé du manque de capital ou de financement de risques. Donc, premièrement, nous manquerions de capital de risques.

Par ailleurs, je pense que le niveau de revenu entre nos deux pays est un facteur. C'est un fait, n'est-ce pas?.

Troisièmement, et je regrette de le dire, mais il y a toujours le problème de la fiscalité.

Que pensez-vous de cela? Estimez-vous que ces trois facteurs expliquent notre retard par rapport aux Américains sur le plan de la productivité?

M. Gordon Thiessen: Je vous concède que la productivité est un domaine... Les économistes ont beaucoup de difficulté à mettre sur le doigt sur ce qui permet d'augmenter la productivité d'un pays. Si nous avions trouvé une réponse, il y a longtemps que nous aurions fait quelque chose.

Quoi qu'il en soit, au cours des quatre dernières années ou à peu près, la productivité aux États-Unis a fait un bond. Aucun autre pays n'a connu cela. Que pouvons-nous faire? Je vois que nous nous demandons tous à quoi est due cette augmentation de productivité. On constate que depuis 1992, les Américains investissent beaucoup dans la machinerie, l'équipement et la technologie. Cela semble jouer.

L'autre facteur semble tenir à l'extraordinaire facilité avec laquelle les industries de haute technologie accèdent à du financement, qui est en partie auto-engendré. Chaque fois qu'un entrepreneur réussit dans le secteur de la haute technologie, on dirait que quelqu'un est prêt à investir davantage dans cette industrie, raison pour laquelle les fonds de capital de risque se rangent derrière ceux qu'on appelle les «investisseurs providentiels», et raison pour laquelle aussi on constate que les établissements financiers traditionnels rattachent leurs services à des entreprises prêteuses de capital de risque.

Ce genre de mouvement n'a pas été aussi spectaculaire au Canada, mais on entend dire que le phénomène existe, ici et là. Chez nous aussi, le secteur de la haute technologie fonctionne très bien et l'on entend des histoires à succès semblables à celles qui ont cours aux États-Unis.

Par ailleurs, il y a la question de l'investissement dans la machinerie, l'équipement et les nouvelles technologies qui a commencé à augmenter au Canada, mais uniquement à partir de 1996. Ainsi, nous accusons grosso modo un retard de quatre ans par rapport à nos voisins du sud. Cependant, quant à l'analyse des graphiques d'investissement des deux pays, en tenant compte de la taille différente de nos deux économies, on se rend compte que les courbes sont parallèles. Nous avons encore quelques années de retard, mais nous avons au moins tout en place pour bien évoluer à partir de maintenant.

Voilà pourquoi dans ma déclaration d'ouverture, j'ai dit que les conditions préalables à une saine évolution sont en place. En revanche, nous ne pouvons pas encore dire si ces conditions vont donner des résultats concrets. Personne n'avait réellement prévu la croissance de la productivité américaine. En revanche, il semble que bien des éléments favorables à une telle croissance sont déjà en place chez nous.

Il est cependant certain qu'à long terme, il faut miser sur un régime fiscal et de dépenses publiques qui permette de parvenir à un bon équilibre entre le maintien du filet de sécurité et la mise en oeuvre d'incitatifs au développement. Il faut conclure des ententes en matière de formation pour pouvoir disposer d'une main-d'oeuvre apte à répondre rapidement aux exigences d'une société du savoir caractéristique d'un monde en pleine évolution.

Je ne vois actuellement rien au Canada qui nous permette de penser que cela soit impossible.

Le président: Merci, madame Leung.

Mme Sophia Leung: Merci.

Le président: Pour enchaîner sur cette question, j'aimerais savoir quels changements vous avez apportés à vos techniques habituelles de prévision des tendances, étant donné les immenses changements technologiques auxquels nous assistons et le fait que ces derniers peuvent donner lieu à des gains de productivité?

• 1215

M. Gordon Thiessen: C'est très difficile à faire. Une grande partie de l'économie consiste à examiner le passé et à dire que, si les tendances se maintiennent, il faut s'attendre à telle ou telle chose dans l'avenir. Mais nous traversons actuellement une période de changements rapides et il est devenu de plus en plus difficile de se livrer à ce genre de prévision.

Voilà pourquoi nous demandons à nos représentants régionaux de s'entretenir avec les gens d'affaires sur le terrain pour leur demander ce qui se passe, s'ils ont investi dans la technologie, à quel genre de retombées ils s'attendent, s'ils croient qu'ils sont prêts de la pleine capacité, s'ils ont de la difficulté à recruter des travailleurs qualifiés et, le cas échéant, s'ils offrent davantage de formation maison. Voilà le genre de renseignements que nous devons maintenant recueillir.

Il faut savoir montrer un peu plus de réserve à propos de la santé de l'économie, comme je le disais plutôt en réponse à une autre question.

Le président: Et qu'est-ce que tout cela vous apprend? Par exemple, nous recevons un rapport sur la politique monétaire et nous y accordons l'importance qu'il mérite, avec les réserves que vous venez juste de mentionner. Eh bien, est-ce que la Banque du Canada va revoir les techniques qu'elle applique?

M. Gordon Thiessen: Tout à fait! Nous n'avons pas le choix. Encore une fois, c'est une des choses que nous avons apprises de nos homologues américains. On ne peut s'en tenir à l'étude des relations traditionnelles. Il faut aller chercher d'autres éléments d'information.

Par exemple, nous avons constaté que les pressions inflationnistes que nous attendions aux États-Unis ont relativement tardé à se faire sentir. En partant, ce simple constat est indicateur d'un phénomène. Au Canada, les récentes données sur l'inflation sont un peu meilleures que ce à quoi nous nous attendions—c'est-à-dire que l'inflation est inférieure. Nous aurions donc pu être tentés de dire, en se fondant sur nos prévisions traditionnelles, que nous avions atteint notre pleine capacité ou presque. Or, nous concluons que tel n'est pas le cas, parce qu'il y a suffisamment d'informations par ailleurs qui contredisent ce constat.

C'est cela que nous faisons, et ce que nous devons continuer de faire, parce qu'il est indéniable, comme les membres de votre comité et vous-même l'avez déclaré, monsieur le président, que les gains de productivité comptent pour beaucoup. C'est à eux qu'on doit la croissance du revenu et les améliorations du niveau de vie. Nous voulons faire en sorte que la politique monétaire tienne compte de cette réalité et favorise les mesures prises dans ce sens. Voilà pourquoi nous suivons cela de très près.

Le président: Merci.

Monsieur Szabo.

M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): Merci.

Bienvenue, gouverneur. La dernière fois que vous avez comparu devant le comité, j'ai sorti un tableau montrant l'évolution de la situation économique en Amérique du Nord au cours des soixante dernières années et établissant qu'en 1950, 1960, 1970, 1980 et 1990, le Canada et les États-Unis ont connu une récession dans le trimestre qui a précédé la fin de chaque décennie. Je vous avais demandé si, selon vous, cette tendance allait se répéter plus tard.

Comme vous l'aviez prévu—parce que vous n'aviez constaté aucune indication dans ce sens—nous en sommes maintenant au premier trimestre du nouveau millénaire et rien de tel ne s'est produit. Évidemment, à la fin de chacune de ces décennies, on a assisté à une augmentation de l'inflation et des taux d'intérêt. Ce sont les indicateurs classiques annonciateurs d'une récession.

Hier, on nous a dit que la chaîne de restaurants Denny's aux États-Unis—au Maryland, si je ne m'abuse—était en train de recruter des employés au Nouveau-Brunswick pour 12 $ de l'heure. Cela m'a rappelé le cas de Nortel, qui payait beaucoup mieux les étudiants ingénieurs aux États-Unis qu'au Canada, pour le même travail. Ces deux exemples me portent à conclure que, même si nous modifiions en profondeur notre politique fiscale, nous ne pourrions pas compenser les écarts salariaux entre le Canada et les États-Unis.

Ma question est la suivante. À partir de ces exemples, et il y en a peut-être d'autres auxquels vous pourrez penser, estimez-vous que l'économie américaine s'apprête à entrer dans une période d'inflation soutenue et que nous devrions peut-être nous méfier des taux d'intérêt élevés pratiqués chez nos voisins, que nous ne devrions pas les imiter et que nous devrions plutôt essayer de nous défendre avec nos propres moyens? Ou alors pensez-vous que la Banque du Canada pourra maintenir des taux légèrement inférieurs à ceux des Américains, parce que nos facteurs économiques fondamentaux sont meilleurs?

• 1220

M. Gordon Thiessen: Comme nous l'indiquons dans notre rapport, il est certain qu'il y a un risque de poussée inflationniste aux États-Unis. L'économie est surchauffée et, comme je le disais, elle est en train de craquer aux coutures. C'est ce qu'on constate sur le marché du travail, comme vous venez de le dire, où la situation est limite. D'après les dernières données, les salaires et les autres avantages ont beaucoup augmenté aux États-Unis. Il est évident que cela a suscité beaucoup d'inquiétudes.

Jusqu'à présent, la Réserve fédérale américaine a fait de l'excellent travail. Il faut se dire qu'elle continuera sur cette voie dans l'avenir. Mais le risque est là. Les indicateurs économiques sont très tendus, à la limite de la surchauffe. Il ne fait aucun doute que la Réserve fédérale doit freiner la croissance.

Si, par malheur, elle commettait une erreur et que le taux d'inflation explose aux États-Unis mais pas ici, il faudrait s'attendre à des répercussions au Canada. On assisterait forcément à une poussée de notre dollar canadien, à des taux d'intérêt nettement inférieurs ici qu'aux États-Unis, parce que notre taux d'inflation serait plus faible. Il s'agit-là d'une réelle possibilité.

Personnellement, je demeure convaincu que les Américains parviendront à juguler les pressions inflationnistes et à permettre à leur économie, comme le disent les commentateurs, d'effectuer un atterrissage en douceur. Ce serait une excellente nouvelle pour le Canada.

M. Paul Szabo: J'ai une dernière petite question à poser. D'après les fonctionnaires du ministère des Finances, j'ai cru comprendre que le taux de croissance annuel dans le secteur de la haute technologie aux États-Unis est d'environ 12 p. 100. Le Canada est en retard sur ce plan, ce qui a des conséquences multiples. Toutefois, celle qui nous préoccupe est le fait que nous ne parvenions pas à la parité avec les États-Unis sur bien des plans, simplement parce que notre secteur n'est pas aussi porteur que là- bas et que le service de la dette par habitant au Canada est plus élevé qu'aux États-Unis. C'est la croix que nous devons porter.

D'après ce que vous avez dit, ce secteur est en train de connaître une croissance phénoménale. Êtes-vous convaincu que cette croissance soit viable, qu'elle soit saine et qu'elle ne donnera pas lieu à une brusque poussée suivie d'une autocorrection avant un effondrement complet, ce entraînerait un climat économique particulièrement défavorable?

M. Gordon Thiessen: Je dois vous avouer qu'une des choses que j'ai trouvé fort utile à cet égard a été la récente correction du marché boursier aux États-Unis, certaines actions de haute technologie ayant été revues à la baisse. Cela étant, bien des investisseurs ont réévalué le genre de gains que pourraient leur rapporter les entreprises de haute technologie dans l'avenir. Certains envisagent l'avenir avec beaucoup plus de prudence. Cette situation a donc quelque peu refroidi l'enthousiasme des investisseurs, ce qui est sans doute une bonne chose.

Il est très difficile pour qui que ce soit de savoir si les changements technologiques rapides auxquels nous assistons sont effectivement exagérés ou sont la cause d'une exubérance excessive. C'est très difficile. Alan Greenspan a un mot célèbre. Quand on lui demande s'il s'agit effectivement d'une exubérance excessive, il répond: «Comment savoir?» C'est en effet très difficile à savoir.

J'estime qu'il n'est pas possible pour une banque centrale de décréter qu'on est allé trop loin, qu'elle aurait dû intervenir et faire quelque chose pour calmer l'ardeur des marchés. Toutefois, nous devons déterminer si cet enthousiasme peut donner lieu à un désir de dépenser dans notre économie et nous demander si, ce faisant, la machine n'est pas en train de surchauffer. Ce sont-là des questions cruciales. Si l'on ne commet pas d'erreur et qu'on parvient à maintenir l'inflation à un faible niveau, l'économie continuera à bien se porter et, au bout du compte, c'est ce qui compte.

M. Malcolm Knight: J'aimerais ajouter une chose à ce que vient de dire le gouverneur. On constate certes une croissance très rapide dans le secteur de la haute technologie aux États-Unis, mais la grande différence entre ce pays et le Canada tient au fait que, là-bas, la demande s'est accrue beaucoup plus rapidement que la production. Cela étant, le compte courant américain est lourdement déficitaire, de l'ordre de 4 p. 100 du PIB. Il est donc déterminant de freiner la croissance de la demande aux États-Unis, toutes choses étant égales par ailleurs, même si l'offre a, elle aussi, considérablement augmenté.

• 1225

Au Canada, nous nous trouvons dans une situation différente, avec un compte courant équilibré, et nous voulons simplement garantir la croissance et une inflation faible. À long terme, c'est ce qui va attirer les investissements et encourager l'industrie, notamment le secteur de la haute technologie. Les Américains sont bien sûr en avance sur tout le monde dans ce domaine, mais par rapport à bien d'autres pays, le Canada est très bien placé dans les technologies de l'information et des communications.

Le président: Merci, monsieur Knight.

Monsieur Nystrom.

M. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Merci, monsieur le président.

Bienvenue monsieur Thiessen. Je vais me faire l'écho de mes collègues pour vous souhaiter une retraite productive. J'espère que vous ne reviendrez pas hanter ce comité, à un titre ou un autre, dans la peau d'un sénateur. Quoi qu'il en soit, tous mes voeux vous accompagnent. Je suis sûr que si vous aviez fait un sondage d'opinion ici, vous auriez constaté que vous êtes beaucoup plus populaire que votre prédécesseur. J'espère d'ailleurs que cette tendance se poursuivra à la Banque du Canada.

S'agissant du mot célèbre d'Alan Greenspan, «Comment savoir?», nous courons bien sûr le danger, comme vous l'avez dit, que si l'économie américaine continue de surchauffer M. Greenspan n'augmente de nouveau les taux d'intérêt. Or, l'économie canadienne ne surchauffe pas, contrairement à celle de nos voisins, mais nous risquons d'être emportés par l'appel d'air. Autrement dit, quand les Américains éternuent, les Canadiens s'enrhument.

Dans quelle mesure la Banque du Canada peut-elle appliquer une politique monétaire différente, distincte, et ne pas augmenter les taux d'intérêt comme aux États-Unis? En d'autres mots, comment allons-nous savoir si nous sommes sur la bonne voie avec les taux d'intérêt au Canada? Comment allons-nous savoir si nous devrions les augmenter? Jusqu'à quel point êtes-vous indépendant de la politique américaine, de quelle souplesse disposez-vous? Je me rends compte que ma question est très simple.

M. Gordon Thiessen: C'est précisément l'objet de la politique monétaire au Canada. Nous devons annoncer quelles sont les pressions qui s'exercent sur l'économie canadienne. Bien sûr, ce qui se produit aux États-Unis n'est pas sans effet chez nous. Regardez ce qui s'est passé au cours des six à neuf derniers mois et vous verrez que les exportations ont énormément progressé. Cela est en grande partie dû à la surchauffe de l'économie américaine, qui a donc été ressentie chez nous et qui a provoqué une expansion rapide de notre économie.

Ainsi, la politique monétaire au Canada peut certes être très «canadienne», mais nous ne devons jamais perdre de vue ce qui se passe aux États-Unis. C'est tellement important pour nous. Nous devons sans cesse juger ce genre de situation. Nous avons suivi les États-Unis dans leurs augmentations de taux d'intérêt ces derniers temps, mais nous ne l'avons pas toujours fait auparavant et, par ailleurs, il nous est arrivé de décréter des augmentations de taux d'intérêt sans que les Américains le fassent.

Est-ce que, à cause des pressions que l'économie américaine exerce sur la nôtre, nos deux économies évoluent dans un mouchoir de poche? C'est là toute la question. Tant que nos deux économies progressent en parallèle, il est difficile de dire si la politique monétaire canadienne donne vraiment des résultats à part, parce que nous cheminons au côté des Américains. Tant que tel sera le cas, ce qui se passe aux États-Unis sera très important pour nous.

Par ailleurs, les gens ont tendance à s'arrêter sur les changements récents. Je tiens à vous rappeler que nous continuons de viser des taux d'intérêt à court terme se situant à trois-quarts de point en dessous de ceux des Américains, et que nous y sommes parvenus.

M. Lorne Nystrom: Parlons de ce qui va se passer dans les quelques prochains jours. Est-ce que nous allons continuer à évoluer en tandem? Comment allons-nous savoir s'il faut augmenter les taux d'intérêt au Canada ou si, au contraire, nous devons maintenir le cap par rapport à la situation d'il y a deux ou trois mois?

M. Gordon Thiessen: Nous devrons en décider. Nous devrons nous demander jusqu'à quel point l'économie canadienne est soumise à des pressions inflationnistes. A priori, elle semble évoluer intelligemment. Je sais que, sur la foi de certaines statistiques récentes, les indicateurs ne semblent pas aussi forts, mais aujourd'hui les données concernant les expéditions et les commandes des fabricants sont très encourageantes. Tout cela nous dit que l'économie canadienne se porte bien.

Je puis vous garantir que si l'économie canadienne ne cède pas à des pressions inflationnistes dans l'avenir, cette situation se reflétera dans notre politique monétaire.

M. Lorne Nystrom: Et si nous nous engagions à garder le secret, est-ce que vous pourriez nous en dire un petit peu plus?

M. Gordon Thiessen: Malheureusement, je ne peux pas vous dire de quoi demain sera fait.

M. Lorne Nystrom: Eh bien, je vais vous proposer quelques chiffres pour voir comment vous réagissez.

Très récemment, Statistique Canada nous a appris, par exemple, que la croissance économique pourrait ne pas être aussi robuste que nous l'avions précédemment envisagé. Ainsi, le produit intérieur brut en février a reculé pour la première fois depuis assez longtemps. Il a reculé en fait de 0,4 p. 100.

• 1230

Par ailleurs, le taux de chômage au Canada est malheureusement resté bloqué à 6,8 p. 100 pour le cinquième mois de suite. En avril, l'indice d'offres d'emploi a reculé de 2,3 p. 100, pour la première fois depuis mars 1996, ce qui constitue une autre statistique intéressante.

Ce n'est pas tout. Le 8 mai dernier, nous avons appris que les ventes des grands magasins avaient chuté pour le deuxième mois de suite pour n'être que de 1,48 milliard de dollars.

Voici donc plusieurs chiffres qui semblent indiquer un ralentissement de la croissance de notre économie. Pourriez-vous nous dire quels genres de répercussion ces chiffres pourraient avoir sur les augmentations éventuelles de taux d'intérêt au Canada, sans égard à ce qui se passe aux États-Unis.

M. Gordon Thiessen: Eh bien, pour commencer, il ne faut pas oublier que le Canada est une économie de taille moyenne, très ouverte. Cela explique qu'il y a beaucoup plus de fluctuations dans nos données d'un mois à l'autre, qu'aux États-Unis ou dans un pays comme l'Allemagne. Il faut voir au-delà de ces fluctuations. C'est la même chose qu'avec l'indice des prix à la consommation où il faut savoir écarter les fluctuations des prix de l'énergie, de l'alimentaire et les impôts pour dégager les tendances de fond.

Ainsi, malgré un recul du PIB mensuel, il faut s'attendre à une augmentation très nette en mars. Nous avons reçu aujourd'hui les chiffres relatifs aux commandes et aux expéditions du secteur manufacturier pour mars et on constate une très nette augmentation par rapport aux mois précédents. Autrement dit, il est fort probable que le recul constaté en février soit compensé par une augmentation en mars.

Pour ce qui est du chômage, il semble qu'un grand nombre de travailleurs soient en train de réintégrer le marché du travail. On assiste donc à un phénomène lié au taux de participation, c'est-à- dire à la proportion de gens qui, en âge de travailler, intègrent le marché du travail, qu'ils soient en quête d'un emploi ou qu'ils en aient trouvé un. Ainsi, pour ce qui est de l'avenir, alors que le niveau d'emploi augmente, nous ne savons pas dans quelle mesure cela va attirer davantage de personnes sur le marché du travail ni dans quelle mesure cela va contribuer à réduire le taux de chômage. Dans tous les cas, je crois qu'il faut s'attendre à une augmentation relativement rapide et soutenue de l'emploi. Toutefois, il est difficile de dire quelle incidence cette situation aura sur le taux de chômage.

Je vous préviens, j'ai réponse à tout. Pour ce qui est de l'indice d'offre d'emploi et de l'Internet, sachez que le nombre de personnes qui sont en quête d'un emploi sur Internet a considérablement augmenté. La véritable question est donc de savoir si cet indice d'offre d'emploi demeure un indicateur valable.

Enfin, la baisse du chiffre de vente des grands magasins traduit la disparition d'Eaton.

M. Lorne Nystrom: Très bien. Je vous remercie pour vos réponses. Il faut attribuer cela à mon héritage de Saskatchewanais, monsieur le président.

Je voulais vous poser une autre question. Quand vous envisagez d'augmenter le taux d'intérêt, je suppose que vous tenez compte du fait que le Canada et les États-Unis sont deux économies distinctes. Il y a des gens, chez nous, qui s'en sortent très bien et il y a des spéculateurs qui, en quelque sorte, introduisent des pressions inflationnistes. Mais il y a aussi les gens ordinaires, et il faut se rappeler que la dette des ménages au Canada a augmenté au cours des 10 dernières années. En revanche, les salaires réels, eux, n'ont pas bougé. J'aimerais savoir le genre d'équilibre que vous visez sur ce plan.

Par ailleurs, monsieur Thiessen, je pense que, quand le taux d'intérêt de la banque augmente d'environ 1 p. 100, l'intérêt sur notre dette nationale—qui est très important—augmente d'environ 5 ou 6 milliards de dollars ou quelque chose du genre. À cet égard également, j'aimerais vous entendre raisonner à haute voix sur la façon dont vous cherchez à réaliser un équilibre entre ces deux éléments.

Quelles sont les répercussions de vos décisions sur le type ordinaire de Moosomin ou de Kamsack, en Saskatchewan, dont le revenu a baissé et dont la dette familiale a augmenté. Quelles sont les répercussions sur le jeune cadre dynamique BCBG de Bay Street, qui s'en met plein les poches, qui conduit une voiture de luxe et qui contribue à l'inflation?

M. Gordon Thiessen: Je dirais qu'il faut analyser l'économie dans son ensemble. C'est la seule façon de faire. Il faut envisager l'économie dans sa globalité, d'un coin du pays à l'autre.

M. Lorne Nystrom: Mais il y a les conséquences de vos décisions qu'il faut également envisager. Elles ne sont pas les mêmes pour tout le monde.

M. Gordon Thiessen: Mais si, et il faut en être bien conscient. Nous essayons de faire en sorte que notre économie continue de progresser et que ce soit intéressant pour tout le monde. Il en va en effet de l'intérêt de presque tout le monde d'éviter les soubresauts de l'économie.

Le passé nous a appris que, dès qu'on laisse l'inflation s'emballer, on voit apparaître des mouvements spéculatifs suivis d'une profonde récession. C'est précisément ce que nous voulons éviter cette fois. Pour cela, nous devons nous intéresser aux répercussions de nos décisions. Quand nous nous disons que la demande semble progresser beaucoup trop rapidement, qu'elle risque d'entraîner des pressions inflationnistes et que nous décidons d'augmenter les taux d'intérêt, nous tenons effectivement compte de tous les effets qu'une telle situation peut avoir sur les Canadiens et les Canadiennes, partout au pays, parce que ce sont les répercussions à l'échelle nationale qui comptent à nos yeux. C'est la seule chose sur laquelle nous pouvons fonder nos décisions.

• 1235

Par ailleurs, si nous ne faisons pas erreur, vous assisterez effectivement à une augmentation temporaire des taux d'intérêt à court terme mais, et si les gens nous font confiance, il n'y aura pas d'augmentation des taux d'intérêt à long terme. C'est ça le signe d'une assez bonne politique. Je ne dis pas que les taux longs n'augmenteront pas du tout, mais nous ne connaîtrons plus les augmentations exponentielles du passé. Voilà ce que nous essayons de faire et je crois que cela va dans l'intérêt de tout le monde.

M. Malcolm Knight: Pourrais-je ajouter une chose? Il est vrai que le niveau d'endettement des ménages a augmenté. Mais les actifs des ménages aussi ont augmenté au cours des dernières années et les Canadiens ont également réalisé des gains en capital. En fait, le service de la dette des ménages par rapport au revenu des ménages est relativement plus faible aujourd'hui qu'il ne l'était à la fin des années 80 et au début des années 90. Cela tient au fait que les taux d'intérêt aujourd'hui sont maintenant inférieurs à ce qu'ils étaient auparavant. Cette situation, à son tour, découle du fait que le taux d'inflation a été maintenu à un niveau relativement bas et qu'il est stable. Voilà une grande différence dans la façon dont les ménages devraient, cette fois-ci, percevoir l'augmentation des taux d'intérêt à court terme.

M. Lorne Nystrom: J'aurais une dernière question pour M. Knight, étant donné qu'il est fort possible que nous le retrouvions ici un jour—disons dans un an—porteur d'un autre chapeau. Quelle est sa position quant au rôle que la Banque du Canada devrait jouer vis-à-vis des Canadiennes et des Canadiens?

En fait, ma question est relativement philosophique. Comment envisagez-vous le rôle de la Banque du Canada, ses responsabilités pour le bien commun du pays et pour les Canadiennes et les Canadiens? Estimez-vous qu'il doit s'agir d'un simple rôle technique? Est-ce plus que cela? Avez-vous une idée de la façon dont la Banque devrait évoluer dans l'avenir pour s'assurer que nous ayons une économie plus robuste, plus juste et équitable, qui sera au service du bien commun et où tout le monde sera content?

M. Malcolm Knight: Merci.

Avant toute chose je peux vous garantir que, comme vous le savez tous sans doute, dans les mois à venir, le conseil d'administration de la Banque du Canada va commencer à rechercher des candidats potentiels pour le poste de gouverneur. Pour l'instant, je remplis la fonction de premier sous-gouverneur et de chef de l'exploitation de la Banque, et c'est ce qui occupe tout mon temps.

Quant à ma vision générale de la Banque, comme je ne suis arrivé ici qu'il y a un an, je dois vous dire qu'une des choses que j'ai le plus appréciée—et qui est très importante non seulement pour nous à la Banque mais pour l'ensemble des Canadiens—c'est le fait que depuis très longtemps, la politique monétaire au Canada est relativement transparente.

La Banque a énoncé un objectif de politique monétaire très clair qui consiste à juguler l'inflation. C'est un objectif qui a été fixé en accord avec le gouvernement et avec un très grand nombre de Canadiens, du moins avec ceux qui sont assez vieux pour se rappeler ce qui s'est passé à la fin des années 70 et dans les années 80.

Ce n'est pas un objectif que nous essayons simplement de réaliser, mais nous voulons également communiquer très clairement à ce sujet. Je pense que cette occasion est idéale pour essayer de montrer aux Canadiennes et aux Canadiens ce que sont nos objectifs. Personnellement, j'estime que la lutte contre l'inflation est un objectif très clair avec lequel bien des gens sont d'accord.

Le président: Merci.

Monsieur Brison.

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Thiessen d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. Je tiens également à vous féliciter pour ce que vous avez accompli en qualité de gouverneur de la Banque du Canada. Je ne suis pas d'accord avec M. Nystrom sur un point en particulier. J'estime que votre prédécesseur a, lui aussi, fait un excellent travail, mais en une époque différente.

Je tiens également à tuer toutes les rumeurs qui courent dans le milieu financier à propos de mon avenir éventuel et du lien que cela aurait avec votre décision de prendre votre retraite. Il n'y a absolument aucun rapport entre les deux choses et je tenais à bien le préciser.

Ma première question concerne le secteur de la technologie au Canada et ses liens avec le marché des capitaux ici.

Que ce soit dans le domaine du commerce électronique ou dans celui de la biotechnologie, le Canada tire de l'arrière par rapport aux États-Unis. Ce sont là des secteurs d'avenir et il est très important que les acteurs du domaine soient bien financés et que nos marchés des capitaux se portent suffisamment bien pour les appuyer dans cette période décisive.

• 1240

Compte tenu des turbulences actuelles sur les marchés, le Canada ne court-il pas le grand risque—d'autant plus que nous avons sans doute un an et demi à deux ans de retard par rapport aux États-Unis dans ce domaine—que ce genre d'entreprises n'ait pas accès aux capitaux nécessaires, que ce soit par l'intermédiaire des anges ou des entreprises de prêt de capital-risque? C'est un phénomène qui pourrait se produire pour les entreprises qui arrivent en bourse. Jusqu'à quel point songez-vous à cela quand vous envisagez d'augmenter les taux d'intérêt? Il est essentiel, si l'on veut améliorer la productivité dans l'avenir, que nous renforcions notre présence et notre rôle dans ces deux domaines.

M. Gordon Thiessen: J'estime que c'est un aspect très important. Je dois vous dire qu'à l'analyse, j'estime que ces turbulences auront été utiles. Elles nous ont obligés à réévaluer la situation. Dans certains cas, la valeur boursière de certaines entreprises de haute technologie était telle que le taux de croissance de leurs résultats aurait dû être tout simplement astronomique. C'est précisément ce genre de chose qui a été rajustée. Dans bien des cas, le marché continue de miser sur des résultats qui sont très confortables sur une certaine période, mais on ne voit plus rien d'aussi incroyable qu'auparavant. Je pense donc que ce rajustement a été très utile.

Toutefois, je dois vous préciser que chaque fois qu'on assiste à des changements rapides dans le domaine de la technologie, comme c'est actuellement le cas, on a affaire à des marchés turbulents. Il est très difficile de savoir a priori quelles entreprises vont réussir et lesquelles vont échouer. Un beau jour, vous recevez une fiche d'information qui vous fait dire: «Oh là là, cette technologie ne marchera pas, c'est celle-là qui va fonctionner.» Les marchés vont monter, puis baisser. Je crois que nous devons nous faire à l'idée que tout cela est dû à la période de rapides changements technologiques que nous traversons.

M. Scott Brison: Il est vrai qu'il est difficile de parler de ratio coûts-bénéfices s'il n'y a pas de bénéfices.

Mon autre question concerne également la technologie. Certains estiment que, dans les deux ou trois prochaines années, le chiffre d'affaires du commerce électronique dans le monde devrait être de 1,3 trillion de dollars. Or, la majorité des transactions se dérouleront directement ou indirectement aux États-Unis ou du moins le marché visé par ces entreprises se situera essentiellement chez nos voisins du sud. Étant donné que toutes ces transactions se feront surtout en dollars américains, ne court-on pas le risque, à cause de la «technologisation» et de la mondialisation, que le dollar canadien perde de son utilité, qu'il continue de perdre de sa valeur et qu'il ne soit plus qu'une devise marginale?

M. Gordon Thiessen: Je ne le pense pas. Vous constaterez sans doute que les entreprises électroniques internationales s'empresseront de donner des prix dans toutes sortes de devises. C'est le miracle de l'informatique et des technologies de l'information. Je ne pense pas qu'on puisse conclure que tout le monde devra forcément faire affaire en dollars américains.

Il est évident que le commerce international prend de l'ampleur. Tout s'internationalise et, par définition, une grande partie des échanges internationaux se feront en dollars américains. C'est une réalité.

Mais cela ne revient pas à dire que nous devons nous départir de notre dollar canadien car, pour toutes les raisons que j'ai énoncées plus tôt, l'économie canadienne a besoin de mettre un tampon entre elle et le reste du monde. Notre devise nous a bien servi jusqu'ici et qu'elle continuera à bien nous servir dans l'avenir. Ainsi, même si les marchés s'internationalisent, même si vous pensez qu'une certaine devise va dominer les transactions, cela ne revient pas à dire qu'on peut se passer du dollar canadien. Je ne crois pas que ce sera le cas.

M. Scott Brison: Par le passé, j'ai déjà eu l'occasion de vous poser des questions sur le taux de chômage aux États-Unis qui, sans raison, continue d'être inférieur au TCIS. Certains nouveaux spécialistes de la question pensent qu'il faut y voir là le signe d'un changement structurel revenant à dire que les taux de chômage ne sont peut-être plus aussi pertinents qu'avant.

Est-ce que la Réserve fédérale a attendu trop longtemps pour agir? Il a fallu attendre trois ans après l'adoption de la politique monétaire pour que celle-ci se fasse véritablement sentir. La Réserve fédérale n'aurait-elle pas attendu trop longtemps et, ce faisant, se pourrait-il que le Canada soit aspiré dans le tourbillon américain parce qu'il aurait, lui aussi, attendu trop longtemps? Nos chiffres de chômage sont très différents ici, ce qui tient en partie au fait que nous conduisons une politique monétaire indépendante de celle des Américains, toutefois reliée à cette dernière.

• 1245

M. Gordon Thiessen: C'est vrai.

M. Scott Brison: Mais est-ce que la Réserve fédérale n'a pas attendu trop longtemps?

M. Gordon Thiessen: Je ne le pense pas. Comme je le disais plus tôt, nous avons envisagé le risque associé à une augmentation continue des taux d'inflation aux États-Unis. Mais, encore une fois—et comme je le disais—les meilleures prévisions que nous puissions faire à cet égard consistent à nous dire que les Américains font ce qu'il faut pour permettre à leur économie d'effectuer un atterrissage en douceur, ce qui revient à dire que celle-ci montrera des signes de ralentissement avant d'afficher un régime plus viable.

Je pense que c'est vraisemblablement ce qui va se produire. Comme je le disais, si cela ne devait pas se produire, j'estime que nous sommes capables de nous différencier des Américains et les gens verront que nous sommes dans une autre situation que celle de nos voisins. Pour l'instant, le mieux est de se dire que les Américains parviendront à juguler leur inflation.

M. Scott Brison: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

Nous allons entamer une série de cinq minutes avec M. Epp suivi de M. Loubier.

Monsieur Epp.

M. Ken Epp (Elk Island, Alliance canadienne): Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur Thiessen, je tiens moi aussi, en tant que Canadien, à vous remercier pour le travail que vous avez accompli.

Je suis certain que, plus que quiconque, vous êtes conscient de la nécessité de guider le navire Canada dans la bonne direction et, comme vous l'avez précisé, d'utiliser une longue vue pour faire vos prévisions, un peu comme si vous étiez à bord d'un énorme transatlantique où le capitaine doit commencer à changer de cap deux ou trois miles avant d'entamer son virage.

J'ai deux questions à vous poser. Vous nous avez notamment dit que les attentes relatives à la tenue de l'économie sont peut-être légèrement inférieures à ce que nous sommes capables de faire, mais d'un autre côté, vous semblez optimiste à cet égard. J'aimerais savoir quels sont, selon vous, les principaux facteurs qui influent sur la capacité de production potentielle de l'économie canadienne.

Dans le même ordre d'idées, que peut faire la Banque du Canada et le Parlement du Canada pour améliorer cette capacité?

M. Gordon Thiessen: Les deux grands facteurs qui contribuent à la capacité de production sont le stock de capital—la machinerie, l'équipement et la technologie—ainsi que la main- d'oeuvre, tant pour ce qui est des effectifs que de la compétence du personnel. Voilà les premiers éléments auxquels il faut ajouter celui des ressources. Dans l'avenir... Tout à l'heure, j'ai insisté sur la croissance rapide que nous connaissons au Canada depuis quatre ans en matière d'acquisition de machinerie, d'équipement et des nouvelles technologies. Cela est important, parce qu'on se rend compte que les gains de productivité réalisés par les Américains sont dus à une forte croissance des investissements dans ces domaines. Je crois donc qu'il s'agit-là de la chose la plus importante.

J'ajouterais à cela le fait que l'instruction et la formation comptent beaucoup. Cela ne revient pas à dire qu'il faut transformer tout le monde en génie de la technologie, mais qu'il faut être au courant des changements possibles que la technologie va entraîner et qu'il faut outiller les gens afin qu'ils puissent, sans trop de difficultés, s'adapter à ce genre de changements afin d'en tirer tous les avantages. C'est là quelque chose d'incroyablement important.

D'après ce que je vois, j'estime que c'est précisément ce qui se passe actuellement au Canada. Ceux et celles avec qui je m'entretiens me disent qu'ils investissent et qu'ils forment leur personnel pour s'assurer qu'il pourra faire face aux changements technologiques. Cela me semble être ce qu'il y a de plus important.

J'ai plus de difficulté à vous dire ce que le gouvernement devrait faire au juste. Mais là encore, je crois qu'il n'y a aucun doute possible. Comme je le disais plus tôt, il faut réaliser un bon équilibre entre des mesures fiscales incitatives, d'un côté, et le maintien d'un filet de sécurité, de l'autre, pour ceux qui perdent leur emploi, pour ceux qui ont de la difficulté à s'accrocher. Il est donc très important que le gouvernement cherche à réaliser ce genre d'équilibre.

• 1250

M. Ken Epp: Pendant toutes les années que vous avez passées au poste de gouverneur, vous avez fait un travail fort louable, à tous les points de vue, pour maîtriser l'inflation.

J'aurais voulu vous poser deux ou trois questions à ce sujet, mais je crois que je n'en aurai pas le temps et je vais donc vous interroger sur un aspect qui est peut-être plus important encore. L'un des facteurs qui jouent le plus contre la productivité des fabricants canadiens tient au fait que la machinerie et l'équipement qu'ils doivent acheter pour améliorer leur productivité sont malheureusement acquis à des prix internationaux qui sont 50 p. 100 plus élevés à ce qu'ils devraient être à cause de la valeur dépréciée de notre dollar. Je trouve que vous n'avez pas fait assez pour protéger le dollar et maintenir sa valeur sur les marchés internationaux. Il est possible que notre productivité ait décroché à cause de cela.

J'en retiendrai pour preuve quelques cas d'espèce. Un fabricant, qui n'est pas dans ma circonscription mais tout proche, achète habituellement sa machinerie en Europe. Or, il a récemment décidé de se passer d'un certain type de machine parce qu'il a jugé, après avoir additionné toutes les taxes, droits à l'importation et pénalités dues au taux de change, que l'opération n'aurait pas été économique.

Ne pourrait-on pas améliorer la situation sur ce plan?

M. Gordon Thiessen: Il faut bien se rappeler qu'à propos du dollar canadien, le taux de change dont on fait souvent allusion est celui de notre devise par rapport à la devise américaine. Nous venons de sortir d'une période très difficile où, à cause de la crise financière en Asie, les prix relatifs des matières premières canadiennes ont reculé de 20 p. 100. Nous avons dû passer au travers de cette période. Je crois que nous nous en sommes assez bien sortis, mais nous l'avons payé sous la forme d'une baisse de la valeur de la devise nationale, pendant quelque temps, devise qui n'a depuis repris que partiellement.

La valeur de notre devise reflète ce qui se passe dans l'économie en général. Vous voulez savoir pourquoi la politique monétaire n'a pas fait suffisamment pour soutenir notre dollar. Si nous voulions le faire, il faudrait augmenter de beaucoup les taux d'intérêt. Or, je n'arrive pas à imaginer que des taux d'intérêt beaucoup plus élevés puissent encourager l'investissement, bien au contraire.

Nous devons vivre avec cette réalité et je pense que c'est en maintenant le taux d'inflation très bas, en maintenant également très bas nos taux d'intérêt, que nous parviendrons, à long terme, à en récupérer les fruits et à aider ceux qui veulent investir.

Pour en revenir à votre exemple du fabricant qui veut acheter une machine en Europe, il faut savoir que le dollar canadien au cours des quatre dernières années s'est apprécié de 25 à 35 p. 100 par rapport au deutschmark et que, cela étant, une machine allemande payée en dollars canadiens devrait, aujourd'hui, coûter beaucoup moins cher qu'avant.

M. Ken Epp: Je ne pense pas qu'il l'a achetée en Allemagne, mais plutôt dans un pays scandinave.

Je terminerais par cette question: Pensez-vous que le dollar canadien va remonter? Est-ce qu'il reviendra à son niveau de 75 ou 80c. américains d'il y a sept ou huit ans? Reverra-t-on jamais, comme ce fut le cas dans ma jeunesse, un dollar canadien à 1,10 $ américain?

M. Gordon Thiessen: Il est difficile de se livrer à ce genre de prévision à long terme. Si les taux d'inflation demeurent plus élevés aux États-Unis que chez nous pendant les 20 prochaines années, alors nous y parviendrons. Notre devise a décroché par rapport au dollar américain parce que nous avions nous-mêmes connu 20 années de taux d'inflation plus élevé que les Américains. Si l'inverse se produisait, nous pourrions avoir une devise plus forte, mais je ne pense pas que qui ce que soit le souhaite. Nous ne voulons pas souhaiter aux Américains de vivre dans une économie inflationniste. Ce ne serait pas bon pour eux et ce ne serait pas bon pour nous non plus.

Si vous voulez qu'on parle d'avenir, je vous invite à imaginer le scénario suivant. Tout à l'heure, Malcolm disait que les Américains ont un compte courant qui est largement déficitaire dans leurs paiements internationaux. Tant que l'économie américaine domine toutes les autres, nos voisins ne manqueront pas d'investisseurs potentiels qui seront donc prêts à financer leur déficit. À un moment donné, la situation va s'inverser. À un moment donné, les Américains devront mettre un terme à ce déficit du compte courant et arrêter d'emprunter dans le reste du monde.

À l'occasion de l'ajustement inévitable qui se produira alors, la devise américaine sera beaucoup plus faible qu'on a pu le voir récemment. Autrement dit, le dollar américain sera plus faible par rapport au dollar canadien. Reste à savoir quand cela se produira. Je ne peux pas vous le dire, mais cela arrivera au moment où l'économie américaine commencera à ralentir un peu, quand les gains de productivité seront moindres et que le reste du monde commencera à rattraper les Américains.

M. Ken Epp: Merci, monsieur Thiessen.

Le président: Merci.

[Français]

Monsieur Loubier.

• 1255

M. Yvan Loubier: Puisque j'ai la possibilité de poser la dernière question, je vais en profiter, monsieur Thiessen, pour réitérer qu'on a beaucoup apprécié vos services, mon parti et moi. Quand vous avez comparu, vous avez répondu à nos questions avec intelligence, en faisant preuve d'une grande pédagogie. C'est tout à votre honneur. Voilà pour la remarque.

Pour ce qui est de la dernière question, je brûle d'envie de vous la poser et je vais vous la poser. Pendant votre mandat, qui a été quand même assez long, quelle a été la réalisation qui vous a rendu le plus fier et quelle a été celle qui vous a rendu le moins fier?

M. Gordon Thiessen: Je suis très content que nous ayons gardé le taux d'inflation à l'intérieur de notre fourchette cible. Je crois que c'est très important pour le Canada. Cela a donné un élément de stabilité à notre économie. Je crois que ça aide beaucoup les gens qui doivent prendre des décisions pour l'avenir, qui doivent prendre une décision en matière d'investissement, d'équipement, de matériaux, etc., et aussi les gens qui doivent faire un placement pour quelques années. Je crois que cela a beaucoup aidé le comportement de notre économie.

Il y a une deuxième chose importante, que Malcolm a mentionnée, et c'est le degré d'ouverture et de transparence de la Banque centrale. Elle estimait important de rendre compte de la façon dont était gérée la banque centrale. Je crois que ces choses-là sont très importantes.

D'autre part, j'aimerais qu'il y ait un taux de change plus élevé, un taux de change qui reflète une économie plus forte ayant un taux de croissance élevé, parce que le taux de croissance de la productivité augmente. Je crois que ça va venir, mais jusqu'à maintenant, notre gain de productivité est demeuré à un niveau assez bas.

M. Yvan Loubier: Et vous n'êtes pas fier de cela?

M. Gordon Thiessen: Non, mais je crois que c'est très difficile pour la politique monétaire de changer ces choses-là.

M. Yvan Loubier: À combien s'établirait une valeur du dollar canadien qui refléterait une économie forte, en croissance continue depuis sept ans?

M. Gordon Thiessen: Il m'est impossible de vous répondre parce que, comme je l'ai dit, le taux de change a deux côtés. Cela dépend de ce qui se passe aux États-Unis et de ce qui se passe au Canada. Il me serait très difficile de dire quel serait le niveau idéal du dollar canadien. Cela dépend de beaucoup de choses.

M. Yvan Loubier: Évidemment, vous trouvez que le dollar canadien est sous-évalué, si je me fie à ce que vous venez de dire. Il ne reflète pas véritablement la force de l'économie canadienne et la croissance des sept dernières années. C'est ce que vous venez d'admettre.

M. Gordon Thiessen: Non. Je veux dire que j'espère que nous aurons à l'avenir une croissance de notre économie et de notre productivité qui augmentera notre taux de change.

M. Yvan Loubier: Merci, monsieur Thiessen.

M. Gordon Thiessen: Merci.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Loubier.

J'ai une dernière question à vous poser, gouverneur. La question de M. Loubier concernait en fait le passé et visait à vous faire parler de ce dont vous êtes fier ou moins fier. J'aimerais que vous nous donniez une idée du genre de défi qui attend la Banque dans l'avenir. Quels conseils pourriez-vous donner au futur gouverneur?

M. Gordon Thiessen: Je lui parlerais d'un peu tout ce dont nous venons de parler. La politique monétaire a toujours consisté à s'intéresser à la demande économique. De façon générale, pendant la plus grande partie de l'après-guerre, l'offre a connu une croissance relativement stable. Il est possible de la prévoir, de l'extrapoler. L'élément essentiel de la politique monétaire consiste à veiller à ce que la demande ne soit pas supérieure à la capacité de l'offre de l'économie.

Nous sommes en train de traverser une période de changements où il est justement très difficile de savoir ce qu'il advient de cette capacité. Allons-nous connaître de très importants gains de productivité? Est-ce que toute cette nouvelle technologie va porter fruit dans une période de croissance relativement rapide?

Je crois que cela constitue un véritable défi pour toutes les banques centrales. C'est ce qui arrive à Alan Greenspan, à la tête de la Réserve fédérale américaine. Et tous les autres se retrouvent dans la même situation que lui. De plus, le Canada est sans doute le pays qui est le plus proche des États-Unis sur ce plan.

• 1300

Ce sont là des problèmes difficiles avec lesquels nous devons actuellement composer, mais je préfère de loin cette situation à celle qui consisterait à devoir lutter contre des taux d'inflation très élevés. Si je devais choisir entre les deux cas de figure, je serais beaucoup plus content de faire face à ce genre de défi. Il n'en demeure pas moins que ce sont bel et bien des défis. Alors, que va-t-il se passer? Comment parvenir à suivre ce qui se produit? Comment être certain qu'on permet à la productivité d'atteindre sa pleine capacité et qu'on ne prend pas, en même temps, quelques risques sur le plan de l'inflation? Je crois que ce sera là le grand défi de la prochaine période.

Le président: Merci Gouverneur. Je pense m'exprimer au nom de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes en vous disant que nous avons été extrêmement satisfaits de votre travail à la tête de la Banque du Canada. Nous aurons peut-être l'occasion de revoir un jour le Gouverneur à l'occasion d'une table ronde qui pourrait s'intituler «Réflexions de gouverneur». Je vous remercie.

M. Gordon Thiessen: Merci beaucoup, monsieur le président. Merci à tout le monde.

Le président: La séance est levée.