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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 17 mai 2001

• 1531

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. Bienvenue à tous.

Comme vous le savez, nous sommes réunis aujourd'hui pour étudier le projet de loi C-16, Loi concernant l'enregistrement des organismes de bienfaisance et les renseignements de sécurité et modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu.

Nous avons le plaisir d'avoir avec nous les témoins suivants: Mme Sheema Khan, présidente du Council of American-Islamic Relations—Canada et M. Riad Saloojee, directeur général du même organisme, ainsi que M. Salam El-Menyawi, du Muslim Council of Montreal. Madame et messieurs, soyez les bienvenus.

Comme vous le savez probablement déjà, nous allouons normalement à nos témoins de cinq à sept minutes pour faire leur exposé, après quoi, il y a une période de questions.

Nous entendrons d'abord les porte-parole du Council on American-Islamic Relations.

M. Riad Saloojee (directeur général, Council on American-Islamic Relations—Canada): Monsieur le président, madame et messieurs les membres du comité, nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui.

Le Council on American-Islamic Relations (Canada) est un organisme national regroupant à l'échelon local des membres dont le mandat est de présenter un point de vue islamique sur les questions d'importance pour la population canadienne.

Nos préoccupations relativement au projet de loi C-16 sont triples: nous nous inquiétons de sa portée, de sa capacité d'entraver le droit à un procès équitable ainsi que de son impact, qui pourrait être excessif sur les organismes de bienfaisance musulmans.

Dans son communiqué de presse et son document d'information sur le sujet, le gouvernement libéral a indiqué que l'objet du projet de loi C-16 était de bloquer la voie au financement des activités terroristes et d'empêcher tout groupe lié à des terroristes d'obtenir le statut d'organisme de bienfaisance enregistré. Ce projet de loi répond par ailleurs aux préoccupations que le Comité spécial du Sénat sur la sécurité et les services de renseignement a évoquées dans son rapport de 1999 à propos de la conduite au Canada d'activités de financement du terrorisme. L'objet du projet de loi C-16, énoncé à l'article 2, traduit ces objectifs.

J'aborderai maintenant notre première préoccupation, à savoir que le projet de loi est contraire à son propre objectif, puisqu'il ciblera également ceux qui ne se livrent à aucune activité de financement du terrorisme et n'appuient pas le terrorisme.

En visant les organismes de charité qui mettent indirectement des ressources à la disposition d'organismes se livrant à des actes de terrorisme, l'article 4 du projet de loi crée le critère de culpabilité par association, si bien que l'intention des organismes caritatifs ne compte plus. Tout transfert de fonds qu'effectueraient de bonne foi, ne serait-ce qu'une seule fois, des organismes de charité à destination de particuliers ou d'organismes réputés terroristes, dont ils ignoreraient les activités, serait visé par le projet de loi C-16. Par exemple, une Église fournissant des fonds à un groupe d'aide dont le directeur serait, à l'insu de l'Église, un sympathisant du terrorisme serait, aux termes du projet de loi, coupable de financement du terrorisme.

Tout travail humanitaire et social serait également susceptible d'être touché par le projet de loi, et les organismes responsables auraient la tâche difficile, voire impossible, de devoir connaître exactement l'utilisation de leurs fonds. Le projet de loi découragerait les activités caritatives: les organismes de bienfaisance, craignant de voir leur nom et leur réputation ternis, seront enclins à moins aider les régions les plus «chaudes» du monde.

Nous pressons par conséquent le comité de modifier l'article 4 de manière à ce que les organismes de charité ne participant à aucune activité de financement du terrorisme ne soient pas visés. Il faudrait que le projet de loi C-16 stipule que, pour être mis en cause, l'organisme de charité doit savoir de source directe ou vérifiable qu'il finance des activités de terrorisme.

Le soutien des activités terroristes étant de nature criminelle, nous recommandons par ailleurs qu'il faille établir hors de tout doute raisonnable qu'un organisme de charité est associé au terrorisme.

Notre deuxième préoccupation tient au fait que le projet de loi empêche tout procès équitable et transparent. L'article 6 dispose que les organismes de charité n'auront droit qu'à un résumé des preuves fournies aux ministres par le SCRS. De ce fait, ce projet de loi sape notre système judiciaire. Étant donné que le résumé des preuves dont il est question ne comportera aucun détail, l'organisme de charité visé n'aura pas la possibilité d'y répondre correctement. Quand il y a impossibilité de contester les pièces au dossier au regard de leur exactitude et de leur véracité, le droit à un procès équitable n'a plus aucun sens.

• 1535

Dans des affaires criminelles, il est rare qu'on permette que des éléments de preuve soient gardés secrets, et on ne le fait jamais de façon systématique. Même l'auteur du crime le plus grave a le droit de connaître d'avance la teneur des témoignages qui seront présentés contre lui. Rien ne saurait justifier qu'un juge ne puisse, en supprimant toutefois les références aux noms et aux lieux, faire part à l'organisme de charité visé des principaux éléments de preuve qu'on entend invoquer contre lui.

Nous pressons le comité de veiller à ce que le projet de loi C-16 garantisse un procès équitable et transparent et ne viole pas l'alinéa 11d) de la Charte des droits et libertés, qui garantit le droit à un tel procès. Plus particulièrement, nous recommandons qu'on amende l'article 6 de manière à ce qu'il prévoie la divulgation de toutes les pièces au dossier et que, partant, il rende vraiment possible la contestation de ces dernières. Nous formulons dans notre mémoire certaines suggestions à cet égard.

L'article 8 dispose qu'il se pourrait qu'un organisme de charité ne reçoive qu'un résumé des renseignements obtenus par le SCRS auprès d'États ou d'organismes étrangers. Les documents admis en preuve provenant de sources étrangères ne feraient ainsi l'objet d'aucun contre-examen. Leur véracité et leur exactitude ne seraient pas contestées. Personne n'est au-dessus de la loi. Nous pressons le comité de prévoir, à l'article 8, d'assujettir à des mécanismes de contrôle législatif les pièces au dossier provenant de sources politisées étrangères.

L'article 7 suspend les règles normales relatives à la preuve, tous les éléments de preuve pertinents pouvant être présentés. Cela signifie que l'on pourra admettre, comme déclarations de fait, des rumeurs, des insinuations ou de simples hypothèses. Le projet de loi ne comporte aucun mécanisme visant à soumettre à des règles de rigueur la présentation de témoignages, ce qui ne serait pas toléré lors d'une enquête publique. Nous pressons le comité d'amender l'article 7 de manière à ce qu'il prévoie l'application des règles normales relatives à la preuve.

Aux termes du paragraphe 5(3), l'organisme de bienfaisance doit présenter une demande à un juge pour que son identité soit protégée. C'est donc dire qu'entre-temps, son nom sera divulgué au grand public. Les organismes de bienfaisance s'en trouveront taxés de façades masquant des organismes terroristes ou de sympathisants terroristes, et leur travail en sera entravé, parfois de façon irrémédiable. Nous pressons le comité d'amender le paragraphe 5(3) de manière à protéger systématiquement l'identité des organismes de bienfaisance.

Enfin, nous recommandons que le paragraphe 6(2) soit amendé pour que les organismes de bienfaisance aient droit d'interjeter appel.

Notre troisième et dernière préoccupation tient au fait que les organismes de bienfaisance musulmans légitimes seront visés de façon disproportionnée par le projet de loi en raison des stéréotypes qui touchent l'islam. Étant donné les préjugés courants sur l'islam et les musulmans, souvent associés à la violence et au fondamentalisme, les organismes de bienfaisance musulmans sont susceptibles d'être ciblés de façon disproportionnée par le projet de loi.

J'aimerais faire brièvement une analogie avec ce dont on a été témoin aux États-Unis à cet égard. Dans le domaine du droit de l'immigration, les États-Unis avaient adopté la Secret Evidence Act, qui sanctionnait l'utilisation de renseignements secrets dans les procédures judiciaires. Cette loi a été vivement critiquée par des activistes, des juges et des universitaires. La quasi-totalité des cas d'utilisation abusive de renseignements secrets vise un arabe ou un musulman. Le 28 mars, les États-Unis ont adopté le Secret Evidence Repeal Act afin d'interdire à l'INS d'utiliser des renseignements secrets dans les affaires d'expulsion.

Selon l'American Civil Liberties Union, par exemple, les renseignements secrets sont souvent des rumeurs et des insinuations non vérifiées et non vérifiables, dont on ne peut s'assurer de la fiabilité par des contre-interrogatoires rigoureux. Il s'agit parfois de renseignements aussi «secrets» que des coupures de presse, dont la teneur pourrait être réfutée si seulement les faits étaient connus.

À la lumière de ce qui s'est passé aux États-Unis à cet égard, les Musulmans craignent que le projet de loi c-16 ne soit utilisé sans discernement et, au pire, comme un instrument de chasse aux sorcières.

Nous pressons le comité de veiller à ce que le projet de loi C-16 ne vise pas de façon disproportionnée un groupe ethnique ou religieux particulier. À notre avis, nos suggestions constitueraient un bon moyen d'atteindre cet objectif.

Il n'y a pas d'antagonisme entre la lutte contre le financement du terrorisme et le respect du droit de chacun à un procès équitable et transparent. Nous pouvons et devons nous engager sur ces deux fronts. Pour combattre l'injustice, nous n'avons pas à commettre d'injustice. Nos propositions visent à consolider le projet de loi C-16, à remédier à ses faiblesses et veiller à ce que les valeurs fondamentales de notre système de justice soient respectées de manière à garantir la justice et l'impartialité pour tous. J'espère que le comité sera attentif à nos suggestions.

Merci encore de nous avoir fourni cette occasion de nous exprimer. Nous attendons avec impatience vos questions.

Le président: Merci beaucoup de votre exposé.

Nous allons maintenant céder la parole à M. Salam El-Menyawi, du Muslim Council of Montreal. Soyez le bienvenu, monsieur.

M. Salam El-Menyawi (président, Muslim Council of Montreal): Merci.

J'aimerais d'abord remercier le président et les membres du comité de nous donner l'occasion de leur faire part de nos préoccupations.

• 1540

Je suis ici aujourd'hui pour vous transmettre un très sérieux message de la part de la communauté islamique canadienne, et plus particulièrement des musulmans du Québec. Il reflète, j'en suis sûr, l'opinion de bien d'autres communautés ainsi que de nombreux autres organismes de bienfaisance qui sont actifs à l'échelle internationale.

Depuis 28 ans que je vis au Canada, jamais je n'ai été témoin dans ma communauté d'un événement qui ait suscité autant d'appréhension et d'anxiété que ne l'a fait l'annonce du projet de loi C-16. Le simple fait de se rendre compte que de telles mesures pourraient un jour être envisagées, voire instituées, dans le système de justice canadien engendre chez les membres de notre communauté un malaise et une angoisse généralisés.

Il suffira à tout Canadien sensé qui est attaché aux valeurs canadiennes de justice et de liberté de jeter un coup d'oeil au texte du projet de loi pour facilement comprendre les inquiétudes que suscite cette mesure législative. Permettez-moi de souligner à cet égard certains des énoncés qu'on y trouve et qui portent atteinte aux valeurs canadiennes de liberté, de sécurité et de justice fondamentale.

Premièrement, la décision rendue par le tribunal n'est susceptible ni d'appel ni de révision judiciaire.

Deuxièmement, le juge examine à huis clos les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité en l'absence du demandeur ou de l'organisme de bienfaisance enregistré et du conseiller le représentant.

Troisièmement, en ce qui concerne la preuve, le juge peut, aux termes de l'article 7:

    admettre en preuve les renseignements pertinents, indépendamment de leur recevabilité devant les tribunaux.

Et c'est sur quoi doit se fonder le juge pour rendre sa décision.

Quatrièmement, l'infraction punissable est:

    d'une part, qu'un demandeur ou un organisme de bienfaisance enregistré met ou mettra, directement ou indirectement, des ressources à la disposition d'une organisation ou d'une personne et, d'autre part, que cette organisation ou personne se livre ou se livrera à des actes de terrorisme ou à des activités de soutien à de tels actes.

Cela vaut même si l'organisme de bienfaisance local n'était pas au courant des activités terroristes, s'il n'avait nullement l'intention de participer à de telles activités, s'il n'a pas les moyens de vérifier en quoi consistent les activités des organisations à qui il verse des fonds et s'il a pris les précautions voulues en mettant ses ressources à la disposition d'autres organisations.

Il s'agit carrément là d'une déclaration indéfendable de culpabilité par association, mais ce n'est pas tout. Étant donné que l'alinéa 4a) dispose que cela vaut pour un organisme qui a «mis à la disposition» dans le passé, c'est dire que la loi serait également rétroactive, donc qu'elle permettrait à nos services de renseignement à l'étranger de faire disparaître, s'ils le veulent, la moitié des organismes de bienfaisance canadiens dès que le projet de loi aura été adopté.

Quand une personne ment devant nos tribunaux, nous rejetons son témoignage, mais, assez étrangement, nous continuons à accepter ce type de renseignements indépendamment du nombre de fois qu'on a été à même de constater que de telles sources déformaient les faits.

Cinquièmement, l'alinéa 8(1)a) dit:

    le ministre ou le ministre du Revenu national peut présenter au juge une demande en vue de faire admettre en preuve des renseignements obtenus, sous le sceau du secret, de gouvernements d'États étrangers, d'organisations internationales d'États ou de leurs agences ou institutions;

Là encore, en l'absence du demandeur, le juge peut examiner les renseignements dont il dispose pour vérifier

    [...] la pertinence des renseignements et [statuer sur] le fait qu'ils ne devraient pas être divulgués au demandeur ou à l'organisme ou au conseiller le représentant [...]

La question qu'il est impérieux de se poser ici, c'est celle de savoir si des renseignements transmis par un régime dictatorial ou par de pareils régimes peuvent vraiment être admis comme étant véridiques. Comment en traitera-t-on si le gouvernement en question s'adonne à l'oppression et au terrorisme d'État? Ou encore si le gouvernement en question a un intérêt politique à défendre et désire exploiter notre système et profiter de notre liberté? Et devant quoi nous retrouverons-nous si les renseignements que nous fournissent ces organismes n'ont pas dans leur pays la crédibilité que ce projet de loi leur permettra facilement d'avoir au Canada? Dans un océan d'ambiguïtés?

Sixièmement, pour dissiper, je présume, certaines de ces ambiguïtés, le projet de loi dit:

    Le gouverneur en conseil peut prendre les règlements qu'il estime nécessaires à l'application de la présente loi.

Il est pour le moins compromettant qu'on autorise ainsi le gouvernement à revoir à sa guise la loi sans l'assentiment du Parlement.

Nous sommes donc en présence d'éléments de preuve gardés secrets, de culpabilité par association, d'application rétroactive de la justice, de manque de logique, et d'impossibilité d'interjeter appel. C'est triste à dire, mais il y a carrément là violation des principes de justice, négation de la primauté du droit ainsi qu'absence complète de mécanisme de freins et contrepoids.

Enfin, si, dans des circonstances aussi suspectes, un organisme était reconnu coupable, celui-ci non seulement se verrait révoquer son statut d'organisme de bienfaisance enregistré, ce qui pourrait le paralyser même s'il est honnête, mais lui, ses membres et la communauté qu'il représente se verraient étiquetés comme terroristes ou partisans du terrorisme, ce qui leur causerait un tort irréparable et forcerait l'organisme en question à se défendre à armes inégales et à grands frais, à tel point qu'il pourrait même s'en retrouver condamné à disparaître.

• 1545

Qui plus est, si l'on se fie aux conséquences qu'a eues l'adoption de lois similaires chez nos voisins du Sud, on peut même prévoir que les musulmans seront ciblés de manière disproportionnée quand viendra le temps d'appliquer cette loi, à cause des stéréotypes et des calomnies que véhiculent constamment les médias, quand ce ne sont pas les élus, contre les musulmans et l'islam.

L'aumône étant un des cinq piliers de la foi islamique, les musulmans doivent faire la charité, non seulement parce qu'ils le veulent, mais aussi parce que leur religion les y oblige. Compte tenu du fait que 80 p. 100 des réfugiés dans le monde sont des musulmans qui espèrent que les musulmans canadiens qui ont plus de chances qu'eux et qui jouissent d'une bonne qualité de vie au Canada seront en mesure de les aider à se libérer de la guerre et de la pauvreté, les musulmans souffriront normalement plus que quiconque des effets draconiens de ce projet de loi.

Nous devons nous attacher à ce qui est censé être l'objectif que vise le projet de loi, à savoir contrer le terrorisme. Or, ce projet de loi n'a aucune prise contre ceux qui pratiquent le terrorisme ou qui sont résolus à le soutenir. Le statut d'organisme de bienfaisance que confère la Loi de l'impôt sur le revenu ne veut rien dire aux yeux de ces personnes. Les vraies victimes de ce projet de loi seront les organismes de bienfaisance et l'ensemble de la collectivité à laquelle appartiennent des honnêtes gens, et ce projet de loi sera impitoyable envers eux.

Cependant, si nous voulons participer aux efforts qui se déploient à l'échelle internationale pour refréner le terrorisme, il nous faut nous attaquer aux racines du problème et y concentrer nos efforts. En raison de la portée de ce projet de loi, qui aura pour double conséquence de limiter et de décourager l'action caritative—un devoir imposé par la religion et protégé par la Constitution—, et compte tenu de ses éventuelles conséquences dévastatrices pour ceux qui seront trouvés coupables dans de telles circonstances, il représente une mesure législative qui s'écarte carrément de l'objectif que poursuit normalement une loi de l'impôt sur le revenu. D'ailleurs, dans une société libre et démocratique comme la nôtre, rien ne justifie qu'on impose de telles limites inacceptables à des organismes de bienfaisance.

Il n'existe nulle part dans le monde de système de justice parfait, mais le nôtre est l'un des meilleurs. Or, malgré les procédures de recours et les mécanismes de freins et contrepoids qu'il comporte, il nous arrive quand même parfois de commettre des erreurs judiciaires. La prison a détruit la vie de personnes innocentes. Il serait proprement injuste à l'endroit des Canadiens d'adopter ce projet de loi, car il ne faut pas oublier que, quand on commence à priver de justice certaines personnes, on en vient à nier ce droit à l'ensemble de la population. D'ailleurs, à la différence du projet de loi sur l'immigration, ce projet de loi crée un précédent pour tous les Canadiens.

Il est préférable de laisser dix personnes coupables échapper à la loi que de faire souffrir un innocent. Or, ce que nous nous apprêtons à faire ici, c'est de punir dix organismes innocents, c'est-à-dire des centaines de personnes, pour tenter d'attraper un coupable. Nous considérons normalement qu'un accusé est innocent jusqu'à ce qu'il soit prouvé qu'il est coupable, mais ici, non seulement l'accusé est-il présumé coupable jusqu'à ce qu'on prouve son innocence, mais il lui faudra plus qu'un avocat pour se défendre contre une chasse aux sorcières et pour réfuter des éléments de preuve produits sous le sceau du secret par des sources étrangères. L'accusé aura besoin d'un astrologue, d'un magicien et de ressources illimitées, auxquelles la loi ne lui permettra pas de recourir, qui ne lui seront pas accessibles et qui n'auraient de toute façon probablement aucun effet sur l'issue de la cause. C'est indéfendable.

Si vous ne modifiez pas ce projet de loi de manière à le rendre conforme aux principes de la justice et du droit à des procédures judiciaires normales—ou encore de la justice fondamentale, pour employer un terme canadien—, vous allez faire sentir à l'ensemble de la communauté musulmane et à une multitude d'organismes de bienfaisance de diverses confessions religieuses qu'on peut se passer d'eux. Vous allez faire savoir aux musulmans canadiens qu'on peut se passer d'eux, que vous êtes prêts à les sacrifier à la première occasion, et que la démocratie n'est pas forcément pour tout le monde.

Monsieur le président et madame et messieurs les membres du comité, si vous ne veillez pas à ce que la justice soit maintenue, la justice ne fera pas en sorte que nous nous maintenions. Non seulement la justice doit être rendue, mais elle doit l'être officiellement et sans équivoque. En terminant, je demande humblement la bénédiction de Dieu; puisse Dieu nous protéger tous et vous guider dans la voie honorable de l'équité et de la justice.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer à la période des questions.

Madame Barnes.

Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.): Merci.

Je m'excuse d'avance du fait qu'il me faudra vous quitter pendant une quarantaine de minutes en plein milieu de la séance. J'apprécie l'effort que vous avez mis à préparer les documents que vous nous avez présentés aujourd'hui, et je puis vous assurer que je leur donnerai l'attention qu'ils méritent.

• 1550

Je suis particulièrement sensible à la crainte que vous avez exprimée aujourd'hui concernant le risque que ne se pose un problème de généralisation. J'estime que c'est là un élément qu'il nous faudrait prendre en considération. Je suis également heureuse que vous nous ayez soumis quelques recommandations précises.

Il m'intéresserait de savoir si l'un de vous aurait quelques suggestions à formuler concernant la façon, si jamais le processus proposé est appliqué, à savoir celui qui vous expose à vous voir émettre un certificat et à devoir attendre un certain temps avant qu'on vous—et par «vous», j'entends tout organisme de bienfaisance—donne le droit d'obtenir qu'on taise votre identité... Auriez-vous une recommandation à faire afin que le nom de l'organisme ne soit pas dévoilé au grand jour en raison d'un délai dans les procédures? Je puis vous dire en tout cas que je me suis efforcée d'imaginer quelque chose en ce sens. Cette procédure ne devrait-elle pas être devancée, par exemple inversée, afin que, dès le départ, il y ait interdiction de divulguer le nom de l'organisme inculpé de manière à éviter de lui causer du tort en partant?

Peut-être ne me suis-je pas exprimée très clairement, mais je crois que vous savez très bien de quoi je veux parler.

M. Riad Saloojee: Vous touchez certes là une de nos principales inquiétudes, à savoir que, vu que l'identité de l'organisme de bienfaisance n'est pas systématiquement protégée, le nom de l'organisme visé sera connu du public dès les étapes initiales du processus. Or, compte tenu de la lourdeur de l'image qu'aurait à porter l'organisme de bienfaisance du fait de se voir accusé de servir de façade à des terroristes ou d'être sympathique à leur action, nous avons le sentiment qu'il en résulterait un refroidissement des ardeurs à l'égard des oeuvres de charité et un tort irréparable à la réputation de l'organisme en question.

Comme vous le suggérez, nous proposons que l'identité de l'organisme de bienfaisance soit systématiquement protégée dès le début du processus. Ce serait vraiment la seule façon d'éviter que le nom de l'organisme soit connu du grand public et que des oeuvres de bienfaisance ne soient pas étiquetées et perçues comme étant des façades ou des sympathisants de groupes terroristes.

Je ne m'y connais toutefois pas tellement en ce qui concerne la façon dont cela pourrait se faire sur le plan juridique.

Mme Sue Barnes: Je dois dire que l'un des parallèles qui me sont venus à l'esprit, c'est ce qui se fait à cet égard dans les tribunaux de la jeunesse, où il y a systématiquement interdiction de publication de l'identité des prévenus dès le début des procédures. C'est de cette façon qu'on fonctionne tout au long des procédures jusqu'à ce qu'une demande soit faite visant...et c'est à cela que je veux en venir.

M. Riad Saloojee: Je serais sans hésitation en faveur d'un traitement analogue à celui qu'on réserve aux jeunes contrevenants, à savoir qu'il y ait des mécanismes pour protéger systématiquement l'identité, afin qu'aucune rumeur ou insinuation malveillante ne soit véhiculée à l'étape initiale de l'audition de la cause.

Mme Sue Barnes: Aimeriez-vous ajouter quelque chose?

M. Salam El-Menyawi: Si nous ne considérons cet aspect qu'isolément, nous pourrions être amenés à nous dire que nous avons enfin trouvé la solution et que, comme par enchantement, le problème est réglé. Mais il nous faut également considérer de nombreux autres aspects problématiques que présente cette question. Le fait demeure qu'on déclarera un organisme coupable par association. Même si l'on cache son identité et que tout se déroule à l'abri des oreilles indiscrètes, on n'en finira pas moins par le reconnaître coupable de méfaits dont il n'était même pas conscient et qu'il n'avait pas l'intention de commettre. Je ne sais donc pas dans quelle mesure cette protection nous sera utile si nous omettons par ailleurs de nous pencher sur tous les accrocs du projet de loi à l'égard de la justice fondamentale, si nous n'allons pas plus loin.

Nous nous devons vraiment de nous attacher à l'objet de ce projet de loi, qui est de réprimer le terrorisme. Je vois mal qu'un terroriste compte sur la réforme fiscale pour faire ce qu'il a à faire—s'il désire envoyer des fonds pour financer des activités terroristes, il ne se donnera pas la peine de procéder par l'intermédiaire d'un organisme de bienfaisance. Un terroriste utilisera n'importe quel moyen pour obtenir de l'argent, serait-ce en faisant un vol de banque. Je me demande dans quelle mesure cette loi contribuera à enrayer le terrorisme, ou même s'il est de notre ressort de lutter contre le terrorisme.

Mme Sue Barnes: Je prends bonne note de votre argument. Naturellement, il y a des gens qui ne partagent pas votre point de vue, autrement, nous ne serions pas actuellement saisis d'un tel projet de loi. Et, j'en conviens avec vous, il ne s'agit pas là d'une question de reçu d'impôt pour des dépenses effectuées. Je crois que la question a une portée beaucoup plus grande que celle-là et qu'il s'agit là d'un problème auquel il nous faudra nous attaquer.

Je tiens à ce que vous sachiez, bien que vous en soyez sûrement déjà conscients, qu'on n'a pas encore voté sur le principe de ce projet de loi. Nous en sommes saisis pour examen. Je crois que nous pouvons nous pencher sur certains des aspects que vous avez soulevés. Je suis convaincue qu'après notre congé, nous reviendrons avec quelques suggestions à propos de certaines des pistes qu'il nous faudra explorer, y compris sur le plan de la constitutionnalité d'une telle mesure.

• 1555

L'expérience m'a appris qu'il y a toujours plus d'un côté à une affaire. Je tiens pour le moment à me garder de pencher en faveur d'un des deux côtés, car j'aimerais d'abord entendre impartialement tous les arguments sur la question. Je vous remercie bien sincèrement des éléments nouveaux que vous avez portés à notre attention aujourd'hui.

Monsieur le président, je crois que, pour l'instant, je m'en tiendrai à promettre à nos témoins de me pencher de près sur leurs mémoires au cours du congé.

M. Salam El-Menyawi: Avant que Mme la sénatrice nous quitte, j'aurais une observation à formuler. Oui, il y a toujours un revers à une médaille. C'est le cas, j'en conviens, mais nous ne demandons pas mieux que de travailler avec tout comité ou toute institution afin de contribuer à la recherche d'idées sur la façon dont nous devrions mener ce genre de lutte. Car les gens qui souffrent le plus du terrorisme, ce sont les musulmans, et nous tenons à vous aider de quelque façon que ce soit dans la conduite de cette opération.

J'estime vraiment qu'on devrait nous donner suffisamment de temps pour exprimer notre point de vue sur certains de ces problèmes, car ce sont non seulement nos organismes de bienfaisance mais toute la communauté islamique qu'on risque de stigmatiser si on fait erreur. Vous ne sauriez imaginer toute l'anxiété qu'éprouvent les membres de notre communauté quand, à leur lever, les gens apprennent en écoutant les nouvelles qu'un autre acte de terrorisme vient d'être commis. Ils sont impatients de savoir qui l'a commis, et ils se mettent instamment à prier Allah, en espérant que ce ne soit pas un musulman qui soit coupable de l'acte en question. Car nous connaissons les suites qu'ont de tels gestes. C'est toute la communauté qui en subit les conséquences.

Ce sur quoi je tiens vraiment à ce qu'on s'interroge, c'est sur la disproportion entre les effets recherchés au moyen de la Loi de l'impôt sur le revenu et les avantages qu'en tirera la collectivité. N'y a-t-il pas là démesure? Suffit-il de limiter la liberté et l'exercice de la justice fondamentale pour réprimer le terrorisme? Les bienfaits escomptés justifient-ils qu'on impose de telles restrictions? C'est là une question à laquelle il nous faudra répondre.

Le président: Merci, madame Barnes.

Monsieur Cullen.

M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président. Comme je vous l'ai mentionné, il me faudra vous quitter sous peu, moi aussi, mais je tiens à remercier les témoins de leurs exposés. Dès que possible, je me pencherai de plus près sur leurs mémoires.

Monsieur Saloojee, tout à l'heure dans votre exposé, vous avez insisté sur deux ou trois points, notamment sur les notions de financement indirectement accessible et de culpabilité par association.

Je suppose qu'en un sens, le gouvernement doit toujours essayer de trouver le juste milieu entre une foule d'intérêts ou d'objectifs divergents. Vous admettrez probablement avec moi qu'une organisation qui participe à des activités terroristes pourrait fort bien se constituer en organisme humanitaire pour poursuivre des visées terroristes... En fait, je simplifie. Cette question est très complexe. L'organisme de bienfaisance pourrait financer une action humanitaire, par exemple. Or, comme les témoins l'ont mentionné hier, je crois, la limite est difficile à établir en ce qui concerne la destination des fonds.

Je me demande donc s'il ne vous viendrait pas par hasard à l'esprit des façons de guider le comité sur cet aspect. Comment, selon vous, pourrions-nous, tout en évitant d'invoquer le critère de culpabilité par association, nous attaquer efficacement à un groupe qui, délibérément, se donnerait une façade qui lui permettrait d'encourager la perpétration d'actes condamnables?

L'autre question que j'aimerais vous poser et qui me préoccupe d'ailleurs personnellement concerne ces transferts uniques et involontaires de fonds. Un organisme de bienfaisance pourrait très bien se retrouver dans une situation où, sans le vouloir, il transférerait des fonds à des fins qu'il n'approuverait pas vraiment. Je ne suis pas certain du degré de latitude ou de discrétion que les autorités gouvernementales auraient dans une telle situation. Elles pourraient être forcées d'annoncer à l'organisme en question que, malheureusement, il a perdu son statut d'organisme de bienfaisance enregistré.

Quant aux problèmes relatifs à la procédure, je crois que vous avez exprimé votre position très clairement à ce sujet, à savoir qu'il nous faut nous montrer très prudent sur ce chapitre. Comme vous l'avez mentionné, le fait qu'on permette qu'un organisme voie sa réputation ternie dès le départ, même s'il est finalement prouvé qu'il n'a aucun lien avec des terroristes, compromettra sa capacité de recueillir légitimement des fonds par la suite.

Comme ce projet de loi suscite une foule de questionnements, je tenais au moins pour l'instant à lancer ces quelques réflexions à propos desquelles j'aimerais connaître votre opinion. Chose certaine, l'examen de ce projet de loi nous demandera beaucoup de travail.

M. Riad Saloojee: J'aimerais simplement formuler quelques observations à ce sujet. D'abord, je crois que vous touchez là des aspects vraiment très importants du projet de loi qui nécessitent d'être examinés très soigneusement. Bien que je sois prêt à convenir sans hésitation avec vous qu'une organisation terroriste pourrait, par exemple, trouver le moyen de se structurer de manière à se donner, comme vous dites, une façade humanitaire tout en ayant des visées terroristes—ce qui serait tout à fait plausible—, ce sur quoi nous avons cherché à insister, c'est qu'étant donné que le projet de loi entend cibler des organismes de charité qui oeuvrent ici même dans notre pays, qui sont enregistrés au Canada, il faudrait être certain, avant de s'attaquer à eux, avant de les stigmatiser, qu'ils ont délibérément, sciemment et intentionnellement décidé de recueillir des fonds pour des terroristes ou pour appuyer le terrorisme.

• 1600

Or, si une partie de l'article du projet de loi où sont énoncées les définitions traite sans contredit de cet aspect, il appert que, dans ces mêmes définitions, on fait référence à des ressources mises indirectement à la disposition de terroristes, on ratisse tellement large qu'on est forcément susceptible d'englober des organismes qui transfèrent involontairement des fonds, ne serait-ce qu'une fois, à des personnes sans savoir que ces dernières s'adonnent au terrorisme ou participent à des activités terroristes. Le problème, c'est tout simplement que notre système de justice repose sur des principes de transparence et de responsabilité et que nous devrions nous garder de punir quiconque ne soutient pas délibérément ou intentionnellement le terrorisme.

Il est tout à fait injuste d'imputer tout simplement à ces organismes de charité un genre de responsabilité absolue où on les cible automatiquement dès que le contrôle de la destination des fonds leur échappe. Ce faisant, on leur impose une obligation de connaissance à laquelle ils ne peuvent, à notre avis, tout simplement pas satisfaire. Étant donné que les organismes de bienfaisance envoient de l'argent un peu partout dans le monde pour soutenir des causes humanitaires, je crois qu'il leur serait très difficile de vérifier minutieusement où va leur argent. Si jamais il arrivait que des fonds transférés par un tel organisme aboutissent entre les mains d'un soi-disant groupe terroriste, je ne crois pas qu'il serait juste de s'en prendre automatiquement à cet organisme et de le punir.

Selon moi, c'est, de toute évidence, au gouvernement qu'il devrait imcomber de prouver ce qu'il avance, c'est lui qui devrait porter le fardeau de la preuve, être contraint, avant de s'attaquer résolument à de tels organismes, de démontrer qu'il y a eu au moins négligence, ou encore ignorance volontaire, connaissance présumée ou quelque autre intention coupable.

M. Roy Cullen: Merci.

Le président: Monsieur Gallaway.

M. Roger Gallaway (Sarnia—Lambton, Lib.): Je vous prie d'excuser mon retard.

Ma question s'adresse à n'importe lequel d'entre vous. Hier, comme vous le savez probablement, nous avons entendu le solliciteur général et le ministre responsable de l'Agence canadienne des douanes et du revenu. Dès le départ, ils ont refusé de définir ce qu'on entend par terrorisme. On nous a dit que c'est un concept évolutif. Et je ne prétends pas rapporter ici fidèlement leurs propos, car, bien honnêtement, je ne suis pas sûr d'avoir bien saisi ce qu'on nous a dit.

J'aimerais que vous nous disiez si, dans l'éventualité où on nous donnerait une définition du terrorisme qui en limiterait la portée à des actes qui sont visés par le Code criminel du Canada, cela vous rassurerait d'une certaine manière.

M. Riad Saloojee: Nous aimerions certes que la définition du terrorisme soit circonscrite, et nous croyons qu'il est très important qu'elle le soit, surtout quand on songe que, pour une bonne part, les activités de tels organismes comporteront du travail humanitaire—du travail à l'étranger, dans des régions du globe qu'on considère comme des points chauds—, un domaine où il est très facile de généraliser et où, sans une compréhension approfondie et rigoureuse du contexte de la région visée, il est très facile, je pense, de tout simplement affubler des gens de l'étiquette de terroristes ou de défenseurs du terrorisme. Toute définition plus rigoureuse du terme serait donc la bienvenue, je crois.

M. Roger Gallaway: Délaissons maintenant ce sujet pour tout simplement essayer d'examiner quelques articles un à un.

Une des choses qui m'ont frappé à propos de ce projet de loi, c'est l'article 5, qui traite de l'examen judiciaire du certificat. En fait, le ministère du Revenu et le solliciteur général donneraient à un organisme de bienfaisance sept jours—peut-être huit, peut-être neuf, mais sept jours au minimum—après la signification de l'avis pour se préparer à se faire entendre par le tribunal, même s'il s'agit d'une première comparution.

Je me demande simplement si vous aimeriez formuler des observations à ce sujet, compte tenu du fait que le gouvernement du Canada, lui, se réserve normalement 15 ou 30 jours pour réagir à un avis.

M. Riad Saloojee: Je crois qu'il y a à cet égard deux sujets de préoccupation, et celui que vous soulignez revêt une très grande importance. Ce délai est vraiment très court pour permettre à l'organisme de bienfaisance mis en cause de préparer sa défense, surtout compte tenu du fait que, dans une large mesure, les éléments de preuve qu'on invoquera contre lui ne lui seront pas divulgués. Par conséquent, il va sans dire que nous souhaiterions qu'on daigne prolonger ce délai pour permettre à l'organisme de charité de se faire représenter par un avocat compétent, et nous voudrions également que l'organisme mis en cause puisse avoir accès aux éléments de preuve qui seront invoqués contre lui.

Je crois que le revers de la médaille à cet égard, c'est que, du moins selon nous, la procédure est très longue et très lourde. Nous sommes également préoccupés de ce que non seulement l'organisme de bienfaisance devra faire très vite pour se préparer à comparaître au tribunal, mais aussi que les obstacles juridiques à la récupération du certificat sont en outre joliment lourds. Ce qui nous inquiète particulièrement, c'est que les organismes de bienfaisance qui ne disposent que de moyens financiers et de ressources limités auront beaucoup de mal à trouver l'argent voulu pour pouvoir se défendre. C'est indéniablement là une de nos inquiétudes également.

• 1605

M. Roger Gallaway: Hier, le sous-ministre adjoint du ministère du Solliciteur général a affirmé que, dans certains types de causes relatives au droit administratif, les gens ont vraiment la possibilité de faire valoir leur point de vue et qu'en réalité, certains de ces procès durent jusqu'à 50 jours. Je me demande si, parmi les organismes que vous connaissez—j'ignore si le vôtre dispose de ce genre de moyens financiers—, il y en a qui sont en mesure de préparer une défense en vue d'un procès qui pourrait durer jusqu'à 50 jours. Je veux parler des coûts qu'une telle défense entraînerait forcément.

M. Riad Saloojee: Je crois que la question des coûts compromettrait leurs chances de bien préparer leur défense. Chose certaine, pour un organisme dont les moyens financiers et les ressources sont vraiment limités, 50 jours de procès, c'est très long. Pour avoir travaillé moi-même dans le milieu judiciaire, je sais fort bien les coûts qu'un tel procès entraîne. Les frais juridiques sont très lourds. Un procès qui dure 50 jours représente un énorme fardeau financier à assumer.

Cela se ramène donc à une question de coûts. Je crois que nombre d'organismes de bienfaisance auront beaucoup de mal à financer ce genre de défense.

M. Roger Gallaway: Ma dernière question pour l'instant concerne la crédibilité du genre de renseignements avec lesquels on alimentera le système au Canada. Hier, M. Ward Elcock, le directeur du SCRS, était présent. Comme nous le savons tous, les porte-parole du SCRS ne disent jamais trop de choses publiquement, et pourtant, M. Elcock—ici encore je vais me contenter de vous rapporter ce qu'il m'a donné l'impression de dire—nous a fait savoir que son service traite avec des gens de pays étrangers. En fait, je ne crois pas que le Canada ait ses propres agents à l'étranger, mais ses agents sont en contact avec d'autres organismes de sécurité et forces policières dans le monde entier. Il nous a dit que de tels renseignements leur étaient communiqués, qu'ils les analysaient, et que tout le monde devrait se dire qu'ils sont passés au crible et que ceux qui sont soumis au tribunal sont vérifiés.

Il se trouve que vous représentez un organisme parapluie qui coiffe un certain nombre de groupes musulmans et islamiques. Je songe à un certain nombre de pays—par exemple au Soudan—à propos desquels je serais très perplexe concernant les renseignements qu'ils communiquent à nos forces de sécurité. D'ailleurs, je serais également très perplexe à propos des renseignements que nous communiquerait un pays comme l'Irlande du Nord, un pays chrétien.

J'aimerais que vous nous disiez, à la lumière de ce que vous savez du groupe que vous représentez, ce que vous pensez de la nature et de la qualité des renseignements qui nous sont fournis par nombre de gouvernements étrangers.

M. Riad Saloojee: Je crois que l'histoire politique de notre civilisation occidentale nous invite au scepticisme à cet égard et nous enseigne qu'il nous faut traiter l'information qui nous vient de l'étranger avec une saine dose de cynisme. Nous aurions certes tort de présumer que tous les témoignages que nous tenons de l'étranger sont dignes de foi et jamais déformés.

Une de nos inquiétudes à cet égard, c'est que les témoignages obtenus de pays étrangers risquent fort d'être très politisés. Par conséquent, ne pas soumettre ces informations à une obligation de divulgation ou à certains contrôles législatifs ne pourra que saper notre processus judiciaire. Il y a indéniablement de nombreux États qui sont dirigés par des régimes totalitaires et qui ne partagent certes pas nos valeurs démocratiques. Permettre à ce genre de pays de nous fournir des renseignements dont nos tribunaux se serviront sans les avoir examinés de près va carrément à l'encontre des valeurs fondamentales de notre système.

Par exemple, il y a beaucoup de gouvernements qui vont même jusqu'à voir le travail humanitaire comme une menace politique, comme une activité qui doit être contrôlée. Étant donné que rien n'exclut que certains d'entre eux aient leur propre visées, j'estime que tous les témoignages étrangers qui risquent d'être biaisés par des considérations politiques devraient être divulgués. Nous devons nous doter de mécanismes propres à nous assurer que l'exactitude et la véracité de cette information seront vérifiées. Chose certaine, nous nous devons, selon moi, de nous montrer sceptiques à l'égard de tels renseignements.

• 1610

M. Roger Gallaway: Puis-je poser deux ou trois autres questions?

Le président: Oui.

M. Roger Gallaway: Très bien. Merci.

Je ne me rappelle pas quel groupe a soulevé la question de la Secret Evidence Repeal Act des États-Unis. Je n'ai rien lu à ce sujet, mais il me vient à l'esprit certaines causes qui ont été entendues au Canada—par exemple, l'affaire Gouzenko, qui remonte au début des années 60—, où des témoins inconnus ont comparu le visage masqué devant des tribunaux de notre pays. Le contexte était fort différent de celui qui nous occupe en ce qui touche la nature de l'affaire, soit, mais je songe également au fait qu'en 1992, dans notre pays, le SCRS a ouvert un dossier au nom de Preston Manning. On croyait à l'époque que le Heritage Front avait infiltré le défunt Parti réformiste. D'ailleurs, un comité parlementaire s'est en fait penché sur cette question au milieu des années 90.

Pourriez-vous nous dire, monsieur, pour le bénéfice du compte rendu, ce que vous savez de l'expérience des États-Unis en ce qui concerne la production d'éléments de preuve sous le sceau du secret? Je tiens à vous faire remarquer que, dans ce pays, l'État exerce davantage de contrôle politique sur ses agences de sécurité, notamment sur le FBI et la CIA, que ne le fait le nôtre.

M. Riad Saloojee: C'est dans un sens très précis que j'ai cherché à utiliser l'exemple de ce qui se fait aux États-Unis. Bien entendu, la loi en question, la Secret Evidence Act, est différente de la nôtre. On y observe en effet certaines différences tout à fait fondamentales, dont l'une a trait à la façon dont on y aborde la question de l'immigration, mais j'ai pensé que l'analogie entre ces deux mesures législatives serait quand même éclairante sous deux rapports.

D'abord, cette loi y a été vertement critiquée et a fait l'objet d'attaques cinglantes de la part de tribunaux, d'universitaires et d'activistes, et ce, simplement parce qu'elle a donné lieu à un certain nombre de violations graves des droits de la personne. Avec du recul, on constate que la preuve avancée contre un grand nombre de ceux qui ont été accusés en vertu de cette loi était insuffisante et, dans bien des cas, proprement inexistante. Ces violations ont fait l'objet d'analyses qui ont été rendues publiques. C'est là une des deux analogies sur lesquelles je tenais à attirer votre attention.

La deuxième concerne le fait que la communauté arabo-musulmane a été démesurément ciblée en vertu de cette loi. La plupart des causes, sinon toutes, qui ont été massivement diffusées dans le grand public impliquaient des musulmans et des arabes. Je me suis dit que c'était là un élément que je me devais de souligner, ne serait-ce que parce que tout ce battage publicitaire était attribuable du moins en partie à la généralisation des stéréotypes concernant l'islam et les musulmans et à l'impression qu'ont souvent les gens voulant que l'islam et les musulmans soient synomymes de violence et de fondamentalisme.

Ce sont donc là les deux analogies qui me semblent exister entre ce projet de loi et la Secret Evidence Act des États-Unis et que je tenais à porter à votre attention.

M. Roger Gallaway: Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Gallaway.

Monsieur Epp.

M. Ken Epp (Elk Island, AC): Merci.

Merci d'être venus nous faire part de vos points de vue. Si vous le permettez, je vais vous poser quelques questions qui n'ont qu'indirectement à voir avec ce projet de loi.

Avez-vous bel et bien dit que les mulsulmans sont tenus de verser régulièrement une partie de leur salaire à l'organisation? Vous ai-je bien compris? S'agit-il là d'une obligation qui leur est imposée?

M. Salam El-Menyawi: Oui, c'est ce que j'ai dit, mais cette contribution n'est pas tirée sur leur salaire. Les musulmans doivent verser chaque année aux pauvres, aux nécessiteux, à leur parenté, un certain pourcentage de leurs avoirs sous forme d'aumône dans le but d'éradiquer la pauvreté et l'indigence au sein de leur société. Grâce à Dieu, ce genre de pauvreté n'existe pas au Canada, de sorte que, normalement, nous préférons verser ces aumônes à des gens qui vivent à l'étranger dans la misère et le dénuement.

M. Ken Epp: Cela s'apparente donc à notre impôt foncier? Il s'agit d'une contribution annuelle basée sur les avoirs?

M. Salam El-Menyawi: On ne saurait utiliser le mot impôt pour qualifier cette contribution, sauf à des fins de comparaison. Il s'agit plutôt d'une exigence religieuse, qu'on appelle en arabe zakat et qui a trait à l'aumône. La forme de cette contribution varie. Elle peut être fonction de la valeur de biens fonciers, d'une terre agricole, de la récolte. Vous devez, par exemple, donner 10 ou 5 p. 100 de la valeur de votre récolte aux pauvres.

M. Ken Epp: Ici encore, ma question dépasse le cadre du projet de loi, mais il me semble qu'avec ce genre d'exigence, la motivation de verser une contribution ne dépend pas de l'obtention ou non d'un reçu aux fins de l'impôt ou d'un allégement fiscal qui y serait rattaché. Autrement dit, vous obtiendriez cet argent de toute façon.

• 1615

M. Salam El-Menyawi: Eh bien, les reçus aux fins de l'impôt permettent tout au plus à des musulmans canadiens de ne pas payer d'impôt sur une partie de l'argent qu'ils versent en aumône, ce qui les amène normalement à donner davantage.

M. Ken Epp: Cet avantage fiscal allège le coût de leur contribution, mais, en réalité, ils feraient ce don quand même, même s'ils utilisaient pour cela de l'argent ayant survécu à l'impôt.

M. Salam El-Menyawi: Voilà.

M. Ken Epp: Très bien. Je crois que cela vaut d'ailleurs pour bien des organismes.

J'ignore, monsieur le président, si ce que je vais dire dépasse le cadre du projet de loi, mais je pense que si John Bryden était ici, il s'intéresserait certes à cet aspect. Je crois que nous devrions peut-être un de ces jours nous demander si nous devrions même continuer d'accorder des déductions fiscales pour les dons de charité ou si nous ne devrions pas à tout le moins modifier notre façon de procéder sur ce plan. Peut-être devrions-nous, par exemple, laisser les gens donner leur argent à qui ils voudront bien et délester notre appareil d'État des 10 000 fonctionnaires qui s'emploient à établir qui est enregistré et qui ne l'est pas. Nous pourrions peut-être alors avoir une loi qui dise qu'il est illégal de collecter des fonds en faveur du terrorisme et que quiconque est pris à le faire est passible d'emprisonnement, plutôt que de simplement dire qu'on peut toujours collecter des fonds en faveur du terrorisme, mais que ce genre de don ne donnera plus droit à des déductions fiscales.

Je constate que j'ai un motif majeur de m'opposer à l'adoption de ce projet de loi, puisque je ne crois pas qu'il ne s'attaque pas vraiment au problème—celui de la collecte de fonds en faveur du terrorisme. Selon moi, il n'atteint pas son but.

J'en viens maintenant aux questions que j'ai à vous poser. Vous avez mentionné, l'un et l'autre, deux choses. D'une part, que vous condamniez le terrorisme, et, d'autre part, que les musulmans étaient plus souvent que les autres groupes la cible d'enquêtes, de révocations d'enregistrement, etc.

À quoi attribuez-vous ce fait? Si votre enseignement officiel vous recommande d'être contre tout acte de ce genre, pourquoi alors êtes-vous si souvent la cible de telles accusations? À quoi attribuez-vous cette situation?

M. Salam El-Menyawi: Quand nous observons ce qui se passe dans le monde, nous constatons que la plupart des points chauds du globe se trouvent dans des régions peuplées de musulmans et que la plupart des pays musulmans sont dirigés par des régimes dictatoriaux. Nous constatons également que beaucoup de gens ne souhaitent que la paix et qu'aucun Canadien n'aimerait vivre et évoluer dans des conditions analogues à celles que connaissent aujourd'hui de nombreux musulmans. Nous découvrons que beaucoup de ces gens souffrent quand certains de leurs compatriotes prennent sur eux de tenter de se libérer de ces régimes dictatoriaux. D'autres subissent de façon disproportionnée les retombées de ces troubles; ils sont victimes d'attaques, d'oppression et d'actes terroristes de la part de l'État ou d'individus.

La plupart du temps, la situation se détériore, et les foyers d'agitation se multiplient. On assiste à des combats de rue. On impute généralement ce genre d'incidents aux musulmans à cause de l'état de pauvreté et de misère dans lequel ils se trouvent et des autres problèmes qu'ils connaissent. Il y a 1,2 milliard de musulmans dans le monde. Or, à voir comment les choses se passent, on constate que, naturellement, de tels événements rejaillissent sur les musulmans et que ceux qui luttent contre le terrorisme s'en prennent précisément aux communautés musulmanes plutôt que de s'efforcer d'enrayer le terrorisme sous toutes ses formes et partout où on s'y adonne... J'essaie de ne pas généraliser, mais on généralise toujours sur ce plan. Je crois que cette attitude à l'égard des musulmans tient également à la méconnaissance de l'islam et des enseignements islamiques, car, si on prend l'exemple de notre collectivité ici, on se rend compte que la perception qu'on en a est généralement différente, voire déformée, en regard de celle qu'on se fait des autres communautés.

M. Ken Epp: Je vois. Il se trouve que j'ai des amis qui sont musulmans, et ils me disent qu'ils prêchent la paix, la bonne entente entre les humains, etc. Quand je leur demande s'ils ne prônent pas également quelque chose qu'on appelle le jihad, ils me disent que oui, que le jihad fait partie de leur enseignement, mais qu'ils ne le pratiquent pas. Qu'avez-vous à dire là-dessus?

M. Salam El-Menyawi: Le jihad fait certes partie de notre enseignement, mais il est absolument faux d'affirmer que nous ne le pratiquons pas. D'assimiler le jihad à la guerre sainte est tout à fait inexact. Le mot jihad lui-même signifie lutte, lutte pour extirper de sa vie tout ce qui est mauvais, lutte contre son âme, lutte pour le travail acharné, pour la spiritualité, pour subvenir aux besoins de sa famille, pour se défendre soi-même ainsi que les membres de sa famille. Tout cela fait certes partie de notre enseignement et de sa mise en pratique également, bien sûr. Donc, si votre ami associe le jihad au terrorisme,...

• 1620

M. Ken Epp: Je présume que ce qu'il faisait, c'est...et vous essayez de vous dissocier de ce stéréotype.

M. Riad Saloojee: J'aimerais formuler deux ou trois observations à ce sujet. Je vais m'efforcer d'être bref.

Premièrement, à propos de la position de l'islam concernant la violence, en règle générale, si on se réfère aux principales sources islamiques, la violence à l'endroit de civils, d'innocentes personnes, est carrément condamnée, sans équivoque. Le seul moment où les musulmans ont le droit de se battre, c'est quand des gens s'en prennent à eux injustement. Par conséquent, le seul moment où les musulmans ont le droit de s'engager dans le jihad—et le mot arabe jihad signifie littéralement «lutte», et non «guerre sainte». On peut employer ce terme pour parler d'une lutte physique, mais il désigne avant tout une lutte sur soi-même à des fins d'autopurification—, donc, le seul moment où le jihad est légalement défendable dans le droit islamique, c'est quand il vous faut vous défendre contre quelqu'un qui vous attaque injustement.

L'immense majorité des musulmans dans le monde sont partisans de la paix. L'immense majorité des musulmans qui vivent au Canada sont de bons citoyens canadiens.

Deuxièmement, en ce qui concerne, pour ainsi dire, les stéréotypes ou les idées fausses, je crois qu'il s'agit là d'un problème très vaste et très complexe. Je suis porté à croire qu'il y a des raisons historiques qui expliquent pourquoi les musulmans ont été victimes de stéréotypes et pourquoi on véhicule à leur sujet des idées fausses. Il y a des raisons qui découlent de l'éducation qu'on a reçue, mais aussi du contexte géopolitique.

M. Ken Epp: D'accord.

J'aimerais vous interroger sur ce qui vous préoccupe concernant ce projet de loi. En me fondant sur mes propres réflexions et sur ce que j'ai lu dans le projet de loi, il me semble que tout projet de loi qu'on présente au Parlement devrait avoir pour objet, s'il vise à ce qu'on s'attaque à quelque chose d'illégal—et nous croyons que le terrorisme et tout ce qui le favorise devraient être considérés comme illégal—, de permettre d'identifier précisément ceux qui commettent de tels actes et de les traduire devant les tribunaux. La mesure législative devrait également être rédigée de manière à permettre de disculper les innocents.

Ce que vous nous dites, c'est que vous vous occupez abondamment de bonnes oeuvres. Vos fidèles vous apportent de l'argent que vous administrez pour le bien-être des pauvres et d'autres personnes—dans le monde entier, n'est-ce pas? Oui. Donc, vous n'oeuvrez pas seulement au Canada, mais dans le monde entier.

Ainsi, vous collectez de l'argent au Canada que vous utilisez ensuite pour soulager la misère ailleurs dans le monde, comme le font beaucoup d'organismes de bienfaisance de notre pays. À cet égard, ce que vous craignez, c'est d'être pointés du doigt comme favorisant le terrorisme, alors qu'en réalité, tout ce que vous faites, c'est, pour ainsi dire, vous occuper de ce qu'on appelle les bonnes oeuvres.

Or, ce projet de loi contient une disposition stipulant que c'est aux ministres qu'il incombe de rendre un jugement en cette matière et d'établir si l'organisme de bienfaisance devrait se voir retirer son enregistrement. Ensuite, ils font part de leur décision à un juge, qui détermine si celle-ci est valable. Mais cette décision ne peut faire l'objet d'un appel. En outre, comme vous l'avez correctement souligné, elle n'est pas soumise aux règles habituelles en matière de preuve, de contre-interrogatoire, etc. Les ministres peuvent même accueillir des éléments de preuve par ouï-dire.

N'êtes-vous pas tout de même confiant que le juge saura aller au fond de l'affaire? Au Canada, notre système judiciaire est réputé très fiable. Un juge ne vous déclarera normalement pas coupable sur la foi de simples ouï-dire. Le juge connaît la loi. Il saura sûrement faire la distinction entre un témoignage digne de foi et un témoignage non crédible. Ne croyez-vous pas que le juge mérite cette confiance?

M. Salam El-Menyawi: Si vous me le permettez, j'aurais une observation à formuler, après quoi mon collègue pourra prendre la relève.

Je songe, par exemple, à une crise qu'a connue tout récemment le Nigeria. Dans l'ensemble du Canada, les journaux et les autres médias se sont montrés vivement préoccupés au sujet des motifs pour lesquels la charia a été appliquée au Nigeria et de l'impossibilité pour les inculpés de faire appel à un avocat pour les défendre. C'est donc dire que l'une des choses à propos desquelles nous sommes prompts à critiquer les autres pays, c'est concernant la privation du droit de se faire représenter par un avocat.

Or, ce que vous me dites maintenant, c'est que la seule intervention d'un juge est suffisante, que nous n'avons pas besoin d'avocat pour défendre notre cause. On prive donc ainsi les Canadiens d'un droit très important, voire fondamental, à savoir celui de pouvoir se faire représenter par un avocat pour réfuter ce genre de preuve.

Nous connaissons notre système. Nous savons qu'il s'agit d'un bon système, d'un des meilleurs au monde. Nos législateurs le savent eux aussi. Mais, quand je songe qu'on veut nous priver de ce droit et que je me représente les conséquences d'une telle politique, je vois difficilement que les avantages que comporterait l'application de cette loi puissent justifier qu'on restreigne ainsi la liberté des Canadiens.

• 1625

L'autre point, c'est celui-ci. Notre système judiciaire est fantastique, soit, mais, même avec la présence d'un juge, d'un jury, du procureur de la poursuite et d'un avocat de la défense, il nous est quand même arrivé de jeter des gens en prison par erreur. Alors, imaginons ce qu'il en sera si on retranche un élément de cette équation; le risque d'erreur judiciaire ne pourra qu'en être accru.

Prenez le cas de Milgaard et d'autres accusés qui ont été emprisonnés par erreur et qui, dix ans plus tard, ont dû être libérés et indemnisés. De telles erreurs causent des torts irréparables aux victimes. Au moment où l'on découvrira qu'une erreur a été commise, ou que la preuve a été fabriquée de toute pièce, ou que quelqu'un a brouillé le processus par intérêt personnel, politique ou autre, il sera trop tard.

C'est également affaire de logique. Quand nous examinons ce projet de loi, nous estimons qu'il n'est pas logique, par exemple, qu'on n'y définisse pas ce qu'est un terroriste, qu'on n'y établisse pas avec quels pays nous allons traiter ni sur quel genre de témoignages nous allons asseoir la preuve. Puis, on soumet tout cela à un juge et on lui demande de rendre une décision, sans que qui que ce soit d'autre ne puisse venir l'aider à examiner soigneusement les faits ni même simplement lui faire part d'une contre-expertise afin de le conforter dans l'honorable tâche qui lui incombe. Je crois que ce serait grave de procéder de la sorte.

M. Riad Saloojee: J'aimerais formuler trois ou quatre observations à ce sujet. Pour ma part, je ne crois pas du tout que ce soit là une question de confiance, mais bien plutôt d'une question de sauvegarde de valeurs plus fondamentales de notre système de justice. Ce système repose sur le principe du contradictoire—c'est-à-dire que la vérité émerge, pour ainsi dire, de la lutte entre la volonté d'une partie et celle de l'autre. Nous avons toujours cru que c'était là le meilleur mécanisme de recherche de la vérité.

Le juge n'est pas censé avoir de parti pris lors d'une audience ou d'un procès. Par définition, il joue le rôle d'un arbitre neutre. Il est censé recueillir des éléments d'information des deux parties, éléments qui sont parfois contradictoires, après quoi il est censé rendre sa décision. Alors, si, dans le cas d'inculpés qui ont commis des crimes notoires, nous permettons la divulgation des éléments de preuve appelés à être utilisés devant un tribunal pénal, pourquoi ne le ferions-nous pas dans celui d'organismes de bienfaisance qui s'occupent de bonnes oeuvres et qui risquent d'être injustement étiquetés comme servant de façade à des activités terroristes?

Selon moi, si on le permet en cour criminelle, on devrait le permettre dans le cas qui nous occupe. Les juges ne sont pas omniscients. Ils n'ont pas forcément une base de connaissance étendue, complète et cosmopolite. Il est donc possible qu'ils ne connaissent pas les particularités de telle ou telle cause. Je soutiens que celui qui est le mieux placé pour assurer la défense d'un organisme de bienfaisance mis en cause et protéger ses intérêts, c'est non pas le juge mais l'organisme lui-même. Or, celui-ci ne saurait être en mesure d'assurer convenablement et sérieusement sa défense s'il n'a pas accès aux éléments de preuve qui seront invoqués contre lui. Je crois qu'en cachant à l'organisme de bienfaisance ces éléments de preuve, nous dénaturons notre système judiciaire et nous sapons son caractère contradictoire. Je crois que, dans notre quête de la vérité, une telle procédure poserait gravement problème.

Le président: Madame Khan, vouliez-vous intervenir?

Mme Sheema Khan (présidente, Council on American-Islamic Relations—Canada): Oui, simplement pour insister sur le fait qu'il ne s'agit pas là d'une question de faire confiance ou non au juge, mais plutôt d'une question de faillibilité de celui-ci. Une des forces de notre démocratie, c'est qu'elle comporte un mécanisme de freins et contrepoids qui, heureusement, permet de neutraliser ou de compenser la faillibilité humaine qui existe à tous les niveaux.

Je vais illustrer mon propos par une simple analogie. Dans notre enseignement religieux, nous vénérons le prophète David. On nous le présente comme un prophète très sage et un juge. Dans une affaire dont il avait été saisi, il avait rendu un jugement après n'avoir entendu qu'une des parties. Dieu l'avait alors réprimandé pour en être arrivé à une conclusion sans avoir entendu la partie adverse. On nous enseigne donc que même les grands saints sont exposés à errer.

Voilà pourquoi nous avons besoin d'un mécanisme de freins et contrepoids, et je crois que cela fait également partie de ce que nous essayons de vous démontrer.

M. Ken Epp: Merci.

M. Salam El-Menyawi: J'ai une question à vous poser. Que se passe-t-il si le juge a besoin de faire appel aux services d'un témoin expert pour vérifier des éléments de preuve? Le fera-t-il au nom de l'autre partie? La réponse est non. En sa qualité de juge, il lui faut examiner la preuve telle qu'elle lui est présentée. Ici encore, nous voyons que la personne la mieux placée pour défendre ses propres intérêts et ses droits, c'est l'accusé lui-même, qui peut avoir besoin de recourir à un témoin expert ou à d'autres personnes pour analyser les faits, pour ensuite comparaître devant le juge et faire valoir ses arguments.

• 1630

M. Ken Epp: Vous nous avez soumis des arguments fort convaincants qui répondent vraiment aux questions que nous avons posées aux fonctionnaires pas plus tard qu'hier sur ce point précis. Merci de votre contribution à cet égard.

J'ai une autre question à vous poser. Ces mêmes fonctionnaires nous ont dit qu'ils ne sauraient rendre publics ces éléments de preuve, car ils risqueraient de compromettre notre sécurité nationale. Qu'avez-vous à répondre à cela?

Ce que j'en pense personnellement, c'est qu'un organisme qui est en fait innocent ne saurait compromettre la sécurité nationale. Par conséquent, je crois qu'on devrait laisser le choix à l'organisme inculpé d'interjeter appel et d'exiger que, lors de l'appel, tout soit rendu public parce qu'il n'a rien à cacher. L'organisme coupable dira plutôt, ça va, nous acceptons le verdict, pour éviter de faire sauter sa couverture.

C'est tout simplement ce que j'en pense, sans prétention. Croyez-vous qu'il serait indiqué de procéder de cette façon? Ou que proposeriez-vous en échange?

M. Salam El-Menyawi: Quand je songe aux dispositions de ce projet de loi qui ont pour objet d'éviter qu'on compromette notre sécurité nationale, je constate, à vrai dire, tout à fait l'inverse. Les organismes qui sont ainsi menacés sont nos organismes de bienfaisance, ceux qui sont honnêtes. Les groupes qui n'ont pas la conscience tranquille ou qui trompent la collectivité pourront toujours se débrouiller sans la déduction fiscale. Ils n'ont pas besoin d'enregistrement. Il est très important de savoir que ce projet de loi ne sera nullement utile à cet égard. Tout ce qu'il fera, c'est de causer du tort à de nombreux organismes de bienfaisance qui font beaucoup de bien dans le monde entier.

En passant, dans le cas de la plupart des organismes de bienfaisance, notamment dans ma collectivité, le pourcentage des dons de charité recueillis qui sont envoyés à l'étranger est très faible comparé à ce qui sert à des oeuvres locales. C'est donc dire que, pour le petit peu que font parfois ces organismes pour faire sentir à ces gens d'autres pays que nous les soutenons dans leur douleur et leur désolation, cela pourrait se retourner contre eux... Par exemple, pouvez-vous imaginer combien de Canadiens souffriraient de la fermeture forcée d'une mosquée parce que quelqu'un a versé 5 000 $ à un organisme de bienfaisance, et que... Sans le statut d'organisme de bienfaisance enregistré, cet organisme ne serait plus en mesure de fonctionner, d'acquitter ses factures et de continuer à permettre aux gens de pratiquer leur culte? C'est très grave. De telles conséquences sont disproportionnées par rapport aux avantages que peut présenter le fait de mettre la main sur une seule personne qu'on aurait pu attraper d'une autre manière.

[Français]

Le président: Monsieur Roy.

M. Jean-Yves Roy (Matapédia—Matane, BQ): Merci, monsieur le président.

Dans votre dernière déclaration, vous semblez affirmer que ce projet de loi n'est absolument pas nécessaire compte tenu du nombre d'organismes qui pourraient être impliqués ou engagés. C'est ma première question.

Ma deuxième question portera davantage sur un des éléments dont vous avez parlé abondamment, soit ce qu'on appelle la culpabilité par association. Si j'ai bien compris, votre plus grande crainte est que des organismes de charité oeuvrant ici, sur le territoire, pour recueillir des fonds et aider des gens vivant à l'extérieur du pays soient associés, à un moment donné, à un organisme de terrorisme par, je dirais, méconnaissance du lieu, des endroits où l'argent a été dépensé. Si j'ai bien compris, c'est ça.

J'ai un petit peu de difficulté devant ce genre d'affirmation, parce qu'il me semble que l'organisme de charité doit avoir une responsabilité et qu'il a des comptes à rendre autant au niveau de l'État qu'envers les gens auprès desquels il recueille des fonds. Je voudrais avoir votre opinion là-dessus. Il me semble que c'est nier un peu la responsabilité de l'organisme de charité, qui doit s'assurer que les fonds sont dépensés pour les objectifs qu'il s'est fixés.

[Traduction]

M. Salam El-Menyawi: Je ne suis pas avocat, mais permettez-moi ici de vous faire part de quelques-unes de mes réflexions sur deux ou trois points. D'abord, en ce qui concerne la référence au droit pénal, il faudrait que la preuve de l'intention délictueuse soit faite. Il incomberait à la poursuite de prouver que la personne avait l'intention de commettre un tel acte. Parfois, cette intention pourrait être établie au moyen d'éléments de preuve très limités. Il se peut que le simple fait que l'acte ait été commis prouve que la personne avait l'intention de le commettre, par exemple s'il y a eu utilisation d'une arme à feu pour tuer quelqu'un ou pour je ne sais quoi d'autre.

Puis, il y a un autre type de responsabilité, la responsabilité absolue. Par exemple, celui qui grille un feu rouge est coupable par définition, peu importe qu'il invoque, à sa décharge, l'ignorance ou le fait que ses freins étaient défectueux. Ça n'a pas d'importance. Il est automatiquement reconnu coupable. Nous procédons de la sorte pour obtenir que le règlement relatif aux feux rouges soit respecté, et on fixe d'avance l'amende à imposer dans un tel cas. Les conséquences, pour l'inculpé, sont limitées.

• 1635

Mais voyez quelles sont les conséquences du fait de déclarer un organisme coupable dans le cas qui nous occupe. Non seulement vous annulez son permis, mais vous le discréditez aux yeux de la société. D'abord, vous le stigmatisez, puis vous stigmatisez la communauté à laquelle il appartient, parce que, dès le départ, l'affaire sera dramatisée à la télévision et à la radio, dans les médias en général, qui répandront la nouvelle qu'un certain organisme dans telle communauté s'adonne au terrorisme ou aide et soutient le terrorisme.

Pourquoi peut-on lire dans ce projet de loi que, si quelqu'un est reconnu coupable d'avoir commis un délit, on permettra aux autorités de révoquer son permis ou celui de l'organisme auquel il appartient? Cette révocation du permis peut résulter non pas du fait qu'il a commis un acte illégal, mais parce qu'il a donné de l'argent à un organisme dont l'un des membres a agi tout à fait à l'insu de l'organisme en question et, indirectement, à son propre insu. Il est absolument injuste qu'on m'impose de payer pour quelque chose dont je ne savais même rien. Je l'admets, vous avez une responsabilité, mais, de notre côté, nous faisons de notre mieux pour aider financièrement les régions vers lesquelles, d'après notre religion, nos dons de charité doivent être dirigés—pour aider directement les pauvres, pour éradiquer la pauvreté et le malheur.

Mais il y a également une question de ressources. Pour être un organisme de bienfaisance reconnu, nous faut-il nous enquérir auprès du SCRS, de la CIA ou d'un quelconque service de renseignement étranger au sujet des organisations avec lesquelles nous pouvons ou ne pouvons pas traiter, tout simplement parce que nous avons 5 000 $ à allouer? Même s'il est clairement établi dans ce projet de loi que le fait d'être reconnu coupable ne veut pas dire que l'organisme en question a commis un acte terroriste—vu que la condamnation ne se fonde que sur le fait que l'organisme a inconsciemment commis un acte de terrorisme ou encore que quelque membre de son personnel a pu être mêlé à un acte de terrorisme—, nos médias ne manquent pas moins d'en parler. On nous demande pourquoi nous nous inquiétons, de quoi nous nous plaignons, puisque ce projet de loi n'a pour objet que de lutter contre le terrorisme. On peut donc prévoir avec certitude que, dès le départ, on véhiculera la nouvelle non pas que quelqu'un a commis un délit sciemment, mais...

Les conséquences d'un verdict de culpabilité sont très graves, et, dans le cas qui nous occupe, le coupable doit se défendre lui-même. Avec ce projet de loi, se défendre soi-même signifie avoir tout contre soi. Compte tenu du secret de la preuve qui sera invoquée contre lui et de tous les problèmes auxquels il devra faire face, comme je l'ai expliqué, l'inculpé devra faire appel à un magicien pour lui dire de quoi on l'accuse, ou en quoi consiste le problème, et comment il pourra se défendre. Il aura besoin de ressources illimitées pour tenter de se défendre lui-même. La situation dans son cas sera absolument injuste et inacceptable et ira tout à fait à l'encontre du principe de justice fondamentale.

Ai-je affirmé que ce projet de loi n'est pas nécessaire? Bien sûr. Une telle mesure législative n'est effectivement pas nécessaire si elle a pour objet de lutter efficacement contre le terrorisme, car ce n'est pas de cette façon qu'on y parviendra. Les terroristes continueront de recueillir des fonds, car les dégrèvements fiscaux ou les remboursements d'impôt n'ont pas tellement d'importance à cet égard.

D'ailleurs, les terroristes n'ont pas forcément besoin des organismes de bienfaisance. On a signalé tout à l'heure qu'une organisation terroriste pourrait fort bien se donner une façade d'organisme de bienfaisance pour masquer ses activités illégales. Si tel est le cas, très bien, dites-le-nous. Dites-nous que telle organisation, sur la base des renseignements que vous avez en main, a été rayée de la liste des organismes reconnus. Attaquez-vous à cette organisation et, tant qu'elle n'aura pas prouvé qu'elle n'a rien à voir avec le terrorisme, faites en sorte que son permis soit révoqué et qu'elle figure sur la liste noire canadienne afin que nous sachions qu'il nous faut éviter de traiter avec elle. Mais ne nous laissez pas faire des affaires avec elle pour venir ensuite nous dire qu'on nous a pris à le faire. Ce serait nous tendre un piège. Vous me piégeriez pour m'empêcher d'exercer mes activités, de pratiquer ma religion au Canada, même si la Constitution me garantit ce droit.

Les mesures prévues dans ce projet de loi m'empêcheraient de le faire—ce qui est indéfendable. Bien sûr, nous pourrions fonctionner quand même, comme n'importe quel autre organisme de bienfaisance, musulman ou non. Mais, si nous voulons gagner la crédibilité que confère le statut d'organisme reconnu par la Loi de l'impôt sur le revenu, il nous faudra nous assurer de ne jamais financer quelqu'un qui est mêlé au terrorisme. Il nous faudra le faire d'une manière qui soit compatible avec une certaine justice. Car, après tout, l'enjeu est minime. Il ne s'agit que d'argent...et il y aurait toujours moyen de compenser ce manque à gagner. Mais n'oublions pas que l'anxiété est grande, que l'appréhension est vive, et que nous aurions avantage à être prudents pour éviter de heurter indûment des familles, des individus et des communautés.

• 1640

Le président: Monsieur Saloojee.

M. Riad Saloojee: J'aimerais simplement ajouter un bref commentaire. L'objet et la raison d'être de ce projet de loi sont de faire cesser la collecte de fonds pour financer le terrorisme. Il va sans dire que je ne crois pas que les organismes qui recueillent des fonds en faveur du terrorisme devraient être disculpés. Notre position, c'est que tous les organismes de bienfaisance devraient faire preuve de la plus grande prudence au regard de la destination des fonds qu'ils distribuent. Le problème, toutefois, c'est que les dispositions de ce projet de loi sont tellement vagues et ratissent tellement large qu'elles viseront même les transferts de fonds involontaires et uniques qui sont effectués de bonne foi par des organismes de bienfaisance.

Je crois que l'exemple que nous avons donné est important et très probant, à savoir qu'un transfert effectué à son insu par une Église, une synagogue ou une mosquée à un groupe d'aide dont le directeur, ou encore quelque employé, est sympathique à une cause terroriste serait, en vertu de la raison d'être même de ce projet de loi, réputé devoir donner lieu à une condamnation pour activité de financement du terrorisme.

Nous estimons que cela n'irait pas dans le sens de la poursuite des objectifs visés par le projet de loi. Bien sûr que tout organisme de bienfaisance devrait faire preuve de prudence et de circonspection concernant la destination des fonds qu'il distribue, mais le projet de loi est tellement vague qu'il visera même des organismes de bienfaisance qui, involontairement, auront effectué un transfert unique de fonds à un groupe ou organisation terroriste, ou auront simplement été l'occasion qui aura permis que des fonds soient mis à la disposition ou se retrouvent entre les mains d'un tel groupe. C'est pourquoi nous estimons qu'une telle éventualité irait à l'encontre de l'objet de ce projet de loi et violerait le droit du défendeur à un procès juste ainsi que les libertés fondamentales garanties par la Charte.

Le président: Merci, monsieur Saloojee.

Comme il ne me semble pas y avoir d'autres questions, j'aimerais, au nom des membres du comité, remercier nos témoins de leur contribution. Ce projet a manifestement soulevé une foule de questions intéressantes. Nous avons déjà demandé aux ministères concernés de nous fournir des éclaircissements concernant un certain nombre de ces questions, et ce, dès notre première séance sur l'examen de ce projet de loi.

Nous allons donc continuer d'y travailler jusqu'à ce que nous parvenions à arrêter notre position, mais vous nous avez certes soumis beaucoup de matière à réflexion. Nous allons garder à l'esprit vos arguments tout le temps que nous chercherons à améliorer le projet de loi.

Merci beaucoup.

La séance est levée.

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