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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


Témoignages du comité

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 7 février 2002




Á 1105
V         Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.))
V          M. Hal Pruden (conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice)

Á 1110

Á 1115
V         M. Greg Yost (conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice)

Á 1120
V         Le président
V         M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne)
V         M. Hal Pruden
V         M. Vic Toews
V          M. Hal Pruden
V         M. Vic Toews
V          M. Hal Pruden
V         M. Vic Toews

Á 1125
V         Le président
V          M. Hal Pruden
V         M. Toews
V         Le président
V         M. Michel Bellehumeur (Berthier--Montcalm, BQ)

Á 1130
V          M. Greg Yost
V         M. Michel Bellehumeur
V          M. Greg Yost
V         M. Michel Bellehumeur
V          M. Greg Yost
V         M. Michel Bellehumeur
V          M. Hal Pruden
V         M. Michel Bellehumeur
V         Le président
V         M. Bill Blaikie (Winnipeg--Transcona, NPD)

Á 1135
V          M. Hal Pruden
V          M. Greg Yost
V         M. Bill Blaikie
V         Le président
V         M. Peter MacKay

Á 1140
V          M. Hal Pruden
V         M. Peter MacKay
V          M. Hal Pruden
V         M. Peter MacKay

Á 1145
V         Le président

 1203
V         Le président
V         M. Peter MacKay

 1205
V          M. Greg Yost
V         M. Peter MacKay
V          M. Hal Pruden
V         M. Peter MacKay

 1210
V         Le président
V          M. Greg Yost
V         Le président
V         M. John Maloney (Erie--Lincoln, Lib.)
V          M. Hal Pruden
V         M. John Maloney
V          M. Hal Pruden

 1215
V         M. John Maloney
V          M. Hal Pruden
V         M. John Maloney
V          M. Hal Pruden
V         M. John Maloney
V          M. Greg Yost
V         M. John Maloney
V          M. Hal Pruden

 1220
V         Le président
V         M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne)
V          M. Greg Yost
V         M. Chuck Cadman

 1225
V          M. Hal Pruden
V         M. Chuck Cadman
V         Le président
V         M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)
V          M. Hal Pruden
V         M. Ivan Grose
V          M. Hal Pruden

 1230
V         M. Ivan Grose
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V          M. Hal Pruden

 1235
V         Le président
V          M. Greg Yost
V         M. Peter MacKay
V          M. Greg Yost
V         M. Peter MacKay
V         M. Andy Scott
V          M. Greg Yost
V         Le président
V         M. John Maloney

 1240
V          M. Hal Pruden
V          M. Greg Yost
V         Le président

 1245
V          M. Hal Pruden
V         Le président

 1250
V          M. Hal Pruden
V         Le président
V         M. Peter MacKay
V          M. Hal Pruden

 1255
V         M. Peter MacKay
V          M. Hal Pruden
V         M. Peter MacKay
V          M. Hal Pruden
V         Le président
V          M. Greg Yost
V         Le président
V         M. Chuck Cadman

· 1300
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 061 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

Témoignages du comité

Le jeudi 7 février 2002

[Enregistrement électronique]

Á  +(1105)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Bonjour. Je déclare ouverte la 61e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Comme prévu, nous entendrons aujourd'hui des témoins du ministère de la Justice, en conformité du paragraphe 108(2) du Règlement, dans le cadre d'une étude de l'alinéa 253b) du Code criminel relatif au taux d'alcoolémie pour les infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies.

    Je voudrais seulement dire à nos témoins que le comité a reçu des requêtes de diverses sources nous demandant d'examiner cette question, et aussi, je suppose, la réponse du ministre à la même demande, et nous avons décidé que nous voudrions tout au moins faire un examen préliminaire de cette question. Je remercie beaucoup Hal Pruden, qui est avocat à la section de la politique en matière de droit pénal au ministère, et aussi Greg Yost, qui est également avocat à la même section.

    Sans plus tarder, je demanderais à nos témoins de nous faire leur exposé. Si vous pouviez vous en tenir à 10 ou 20 minutes, nous vous en serions reconnaissants, car cela donnerait aux députés le temps de participer à la discussion.

    Merci.

+-

     M. Hal Pruden (conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité.

    J'ai pensé que je ferais d'abord un bref historique de la législation du Canada sur la conduite avec facultés affaiblies, Ensuite, je ferai quelques observations sur la question dont le comité est saisi, c'est-à-dire l'abaissement du taux d'alcoolémie donnant lieu à une infraction, pour le faire passer de 80 mg à 50 mg par 100 ml.

    En 1921, le Parlement a adopté la première loi sur la conduite en état d'ébriété au Canada. C'était une loi qui interdisait de conduire sous l'influence de l'alcool, mais des observateurs nous ont dit qu'en réalité, cette loi interdisait de conduire seulement quand on était ivre au point de ne plus tenir debout. En 1951, le Parlement a senti le besoin d'ajouter une disposition qui est devenue l'alinéa 253a) du Code criminel et qui interdit de conduire avec facultés affaiblies par l'alcool. En même temps, le Parlement a rendu possible de présenter en preuve un échantillon corporel démontrant le taux de concentration d'alcool dans le sang. On ne fixait pas un taux d'alcoolémie particulier constituant une infraction, mais l'on pouvait présenter au tribunal une preuve du taux d'alcoolémie lorsque l'on portait des accusations de conduite en état d'ivresse ou de conduite avec facultés affaibles en application de l'alinéa 253a).

    En 1969, le Parlement, après une longue réflexion, a adopté l'infraction qui se trouve maintenant à l'alinéa 253b), fixant la limite d'alcoolémie à 80 mg par 100 millilitres. En même temps, on a également créé une infraction en cas de refus de fournir un échantillon pour un alcootest approuvé lorsque l'agent de police l'exige parce qu'il a des motifs raisonnables de soupçonner qu'il y a eu infraction. En 1976, une autre infraction a été créée pour permettre à un agent de police d'exiger un échantillon pour l'analyser à l'aide d'un appareil de détection approuvé. Dans ce cas également, le refus de fournir un échantillon constituait une infraction lorsque l'agent avait des raisons de soupçonner la présence d'un taux quelconque d'alcool dans l'organisme du conducteur.

    Il importe de signaler qu'en 1985, le Parlement a créé deux nouvelles infractions. Ce sont la conduite avec facultés affaiblies, aux termes de l'alinéa 253a) du Code criminel, et le fait de causer la mort ou des lésions corporelles.

    Il importe aussi de signaler que les alinéas 253a) et 253b) du Code criminel sont complémentaires. Je m'explique. Vous savez que c'est une infraction de conduire avec les facultés affaiblies, et je ne peux pas invoquer en défense que mon taux d'alcoolémie n'est peut-être pas supérieur à 80. Si ma capacité de conduire est réellement affaiblie, je ne peux pas prétendre que je n'étais pas encore au-dessus de 80. Si mes facultés sont vraiment affaiblies, ce taux n'est pas pertinent. De même, si je suis accusé d'avoir conduit avec un taux d'alcoolémie supérieur à 80, je ne peux pas invoquer en défense devant la cour que, même si mon taux était supérieur à 80, mon métabolisme personnel est tel qu'à ce taux précis d'alcoolémie, je ne suis pas personnellement empêché de conduire et mes facultés ne sont pas objectivement affaiblies. Autrement dit, je peux quand même conduire suffisamment bien selon un critère objectif. Cela n'est pas pertinent, parce que l'infraction consiste à ce moment-là à conduire avec un taux supérieur à 80.

    Je voudrais maintenant faire quelques observations traitant plus précisément de l'alinéa 253a). Quand le Parlement réfléchissait en 1969 à l'introduction de l'alinéa 253b), qui crée l'infraction de conduite avec un taux supérieur à 80 mg par 100 millilitres, il a examiné une étude menée à Grand Rapids en 1964. C'était alors la plus importante étude sur le risque d'accident que l'on peut attribuer à divers taux de concentration d'alcool dans le sang. Cette étude démontrait que l'alcool ne pouvait pas être isolé comme facteur causant un accroissement rapide du risque d'accident, indépendamment d'autres variables comme l'âge, l'expérience du conducteur, et l'habitude de boire, du moins jusqu'à ce que le taux d'alcoolémie de 80 mg par 100 millilitres soit atteint. Il y avait certainement augmentation du risque, mais celui-ci augmentait à un rythme exponentiel à partir de 80. C'était un élément important de la réflexion du Parlement en 1969. Si les données scientifiques n'ont pas changé à cet égard, alors il peut être nécessaire d'invoquer un autre argument pour appuyer l'introduction d'un nouveau taux pour la perpétration d'une infraction criminelle. Je soulève simplement ce point car je crois que le comité pourrait être intéressé à se pencher sur la question.

Á  +-(1110)  

    Ce qui caractérise actuellement une infraction inscrite au Code criminel, c'est qu'elle est passible d'un éventail de pénalités pouvant aller jusqu'à la prison. Une personne trouvée coupable au Canada d'une infraction au Code criminel peut se voir interdire d'entrer dans certains pays étrangers. La question se pose alors : serait-il possible de créer une infraction criminelle fédérale passible d'une amende aux termes de la Loi sur les contraventions, au lieu d'inscrire toute nouvelle infraction dans le Code criminel? Encore là, je soulève simplement cette question sur laquelle le comité pourrait vouloir se pencher.

    À ce sujet, il est important de se rappeler que toutes les provinces au Canada, sauf la province de Québec, ont établi à 50 le taux d'une infraction provinciale entraînant des conséquences relativement au permis de conduire. La Saskatchewan utilise même le taux de 40, les autres ont fixé le taux à 50, sauf le Québec, qui n'a pas créé d'infraction provinciale à un taux inférieur à celui établi par le Code criminel. Abaisser le taux du Code criminel aurait certainement pour conséquence de criminaliser un nouveau groupe de personnes qui sont actuellement assujetties seulement à la législation provinciale. Il est possible qu'après une éventuelle modification du code portant le taux à 50, les provinces pourraient vouloir reconsidérer leur propre taux pour envisager de le fixer à un niveau différent du taux de 50 qui serait alors établi dans le Code criminel.

    Il est intéressant de constater que la Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada a fait récemment un sondage auprès de la population canadienne indiquant qu'environ 75 p. 100 des gens ne connaissent pas le taux provincial dans les provinces qui ont fixé un taux inférieur à celui du Code criminel. J'ajoute que la pénalité pour conduite à un taux supérieur à ce taux provincial est généralement une suspension de permis de 12 à 24 heures; il n'y a aucune amende. Il y a toutefois des différences d'une province à l'autre quant à savoir si l'infraction est consignée ou pas et quelles peuvent être les conséquences en cas de violations subséquentes.

    En terminant, avant de céder la parole à M. Yost, je voulais expliquer la législation australienne et mentionner qu'il y a des divergences de vues dans les études scientifiques sur les trois questions suivantes. M. Yost et moi-même ne sommes pas des scientifiques et nous ne nous prononcerons donc pas là-dessus, mais nous voulons simplement identifier ces questions à l'intention du comité.

    Ces domaines scientifiques sont, premièrement, la dégradation des habiletés utilisées pour la conduite d'un véhicule à de faibles taux d'alcoolémie et l'interprétation à donner aux études dans ce domaine; deuxièmement, l'élévation du risque d'accident à divers taux d'alcoolémie, et enfin, les conséquences bénéfiques constatées dans d'autres pays après l'abaissement du taux maximum d'alcoolémie. Divers pays et certains États de l'Australie et des États-Unis et même, pourrait-on dire, diverses provinces du Canada.

    Enfin, peut-être que les fonctionnaires de Transports Canada seraient en mesure de dire où se situe le Canada en matière de sécurité routière, en comparaison d'autres pays.

Á  +-(1115)  

    Maintenant, en terminant, j'ai remis un bref tableau au comité. Je signale simplement que dans plusieurs pays où le taux est fixé à 50 ou plus bas, on impose des pénalités comme des amendes ou la suspension du permis dès le niveau d'alcoolémie de 50. Dans plusieurs de ces pays, on impose ce que nous considérerions comme des conséquences à des infractions criminelles, par exemple des peines de prison, seulement si quelqu'un se situe à un taux beaucoup plus élevé, par exemple 80 ou 100, parfois même 110.

    Cela dit, je vais céder la parole à M. Yost.

+-

    M. Greg Yost (conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Merci.

    Je crois que vous avez reçu cette vue d'ensemble de la loi australienne, et vous avez le français au verso. On cite souvent l'Australie comme exemple d'un pays où le taux est fixé à 0,05, et nous avons pensé qu'il serait utile que les membres du comité connaissent bien cette situation dans toute sa complexité.

    Le premier point et le plus évident, quand on examine le tableau, c'est que les huit États de l'Australie n'ont pas tous le même modèle. Ils ont tous fait des choix quelque peu différents quant au montant des amendes, aux peines de prison et à la durée des suspensions. Il y a une différence constitutionnelle importante entre l'Australie et le Canada. En Australie, ce sont les États qui sont chargés de l'application du droit pénal, ainsi que du code de la route. Ici, au Canada, c'est bien sûr le Parlement fédéral qui est chargé du droit pénal, tandis que les provinces réglementent la circulation routière.

    Vous remarquerez que l'on précise pour chacun des États australiens le titre de la loi renfermant les dispositions et les infractions en matière de conduite en état d'ébriété. Tous les États australiens ont choisi d'inscrire les dispositions sur le taux d'alcoolémie et ses conséquences dans le code de la route, plutôt que dans le Code criminel.

    M. Pruden a mentionné le fait que la possibilité d'une peine d'emprisonnement est presque une caractéristique obligatoire en droit criminel. Chose certaine, toutes les infractions prévues au Code criminel sont passibles d'une peine de prison au Canada. Si vous regardez au bas de la colonne, vous constaterez que dans quatre de ces États, il n'y a absolument aucune possibilité de peine de prison, peu importe combien de fois on peut se faire prendre à conduire à un taux de 0,05. Les modèles australiens comportent plusieurs niveaux. Vous constaterez que le taux va de 0,05 à 0,079. C'est seulement à 0,08 et à un taux supérieur qu'il existe une possibilité d'emprisonnement aux termes de la loi australienne dans ces États. C'est bien sûr le même niveau que nous avons actuellement ici au Canada. Dans l'un des États, celui de Victoria, il y a possibilité d'emprisonnement pour une deuxième infraction.

    J'attire aussi votre attention sur la note en bas de page 2, au sujet du Queensland. C'est une nouvelle façon de traiter cette question en Australie, d'après ce que je peux voir, c'est un changement très récent apporté à la loi. Cela revient presque à un régime de contravention. Si le contrevenant a un taux inférieur à 0,10 et si c'est sa première infraction, l'agent de police lui envoie par la poste un avis établissant le montant de l'amende prescrite qu'il doit payer, et l'on précise dans cette note en bas de page que pour un taux de 0,05 à 0,07, cette amende est de 100 $ et la durée de la suspension de permis, qui est d'un mois, pourvu que le contrevenant remette son permis et paie l'amende dans les 28 jours. Je soupçonne que très peu de contrevenants qui en sont à leur première infraction au Queensland se retrouvent devant les tribunaux. S'ils contestent l'accusation, ça m'étonnerait que les juges les envoient en prison, mais je ne le sais pas avec certitude.

    Les seules autres mentions du taux d'alcoolémie que l'on trouve dans la loi australienne, c'est que dans deux des États, je crois que ce sont le Queensland et Victoria, il est fait mention dans le Code criminel de la conduite en état d'ébriété causant la mort ou des lésions corporelles; en pareil cas, quiconque a un taux supérieur à 0,15 est réputé en état d'ébriété. C'est donc la seule mention du taux d'alcoolémie en droit criminel australien, et ce n'est pas une infraction comportant des sanctions, c'est simplement une question de fait.

    Comme M. Pruden l'a dit, nous ne sommes pas experts en sécurité routière. Je ne saurais vous dire si l'un de ces modèles australiens, le cas échéant, s'est révélé plus efficace que les autres pour ce qui est de réduire la fréquence de la conduite avec facultés affaiblies. C'est tout ce que j'ai à dire sur l'Australie.

Á  +-(1120)  

+-

    Le président: Merci beaucoup. Je vais d'abord donner la parole à M. Toews qui a sept minutes.

+-

    M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne): Merci beaucoup.

    Je vous remercie pour vos exposés. Je sais que vous avez fait beaucoup de travail, monsieur Yost, en droit administratif et en ce qui a trait à la suspension de permis et à la saisie de véhicules automobiles au Manitoba. Je sais que vous avez la réputation d'être un expert dans ce domaine, et je crois savoir que M. Pruden est également un expert sur les divers régimes juridiques qui régissent cette question.

    Vous avez évoqué une proposition très intéressante à laquelle je n'avais jamais pensé, à savoir le taux se situant entre 0,05 et 0,079 qui serait essentiellement régi par un régime de contravention, au lieu d'être une infraction au Code criminel. Ce serait une infraction non criminelle passible d'une contravention. Je discerne toutefois un grave problème constitutionnel. C'est une solution attrayante, mais qui poserait un problème constitutionnel. Je m'explique. Le Parlement fédéral se mêle de la conduite en état d'ébriété et du taux d'alcoolémie supérieur à 0,08 parce qu'il a compétence en matière de droit criminel. La province s'occupe des suspensions administratives et du code de la route en raison de ses compétences en matière de droit civil et de propriété. Je me pose donc la question suivante. Si nous décrétions qu'il y a infraction non criminelle entre 0,05 et 0,079, en vertu de quelle compétence constitutionnelle le Parlement pourrait-il légiférer en ce sens? Je n'essaie pas de vous décourager, je pense seulement qu'il vaut la peine d'explorer la question.

+-

    M. Hal Pruden: Je pense que vous avez tout à fait raison de dire que le Parlement a compétence en matière de droit criminel, et il a peut-être aussi d'autres pouvoirs législatifs. Notre droit criminel ne se limite pas nécessairement exclusivement au Code criminel. Je pense donc que si l'on voulait créer un régime de ce genre, il faudrait trouver le moyen d'inscrire une infraction criminelle dans une mesure législative et de l'intégrer ensuite dans un régime de contravention. Je ne suis donc pas en désaccord avec vous sur le fond du problème.

+-

    M. Vic Toews: Vous reconnaissez donc qu'il y a un problème. Si nous inscrivons simplement dans une autre loi l'infraction passible d'une contravention, en cas de taux supérieur à 0,05, il nous faut quand même un fondement constitutionnel pour faire cela. Même si nous inscrivons parfois des infractions criminelles dans d'autres lois, comme l'ancienne Loi sur le contrôle des stupéfiants, qui était essentiellement fondée sur les compétences fédérales en matière de droit criminel, ou la Loi sur les jeunes contrevenants, ou encore la Loi sur le système de justice pour adolescents, tout cela se fait en vertu du pouvoir de légiférer en droit criminel. Je me demande seulement sous quelle rubrique nous pourrions légiférer pour ne pas que ce soit une infraction criminelle. Si l'on était trouvé coupable d'une infraction aux termes de la Loi sur le contrôle des stupéfiants, même si ce n'est pas à strictement parler dans le Code criminel, on avait quand même un casier judiciaire et l'on était coupable d'une infraction criminelle.

+-

     M. Hal Pruden: Même si c'est une infraction criminelle, il n'est pas nécessaire qu'elle soit inscrite au Code criminel, ni qu'elle soit passible d'une peine de prison. Voilà où je veux en venir.

+-

    M. Vic Toews: Si nous créons une quelconque infraction passible d'une contravention, éviterait-on le problème qui se poserait si quelqu'un traverse la frontière et se fait demander s'il a un casier judiciaire?

+-

     M. Hal Pruden: Je ne peux pas dire que cela n'arriverait jamais. Je m'attends à ce que les divers pays examinent ce qui se fait en cas d'infraction dans les autres pays du monde et se disent qu'en Australie, par exemple, les gens paient l'amende et c'est considéré comme une simple contravention. Ils peuvent décider de traiter une infraction pour taux allant de 51 à 80 au Canada de la même manière que l'on traite les gens ayant commis des violations semblables dans d'autres pays. Nous ne pouvons pas dicter aux autres pays ce qu'ils décideront de faire. C'est la mise en garde qu'il faut faire à propos de cette idée. Et je dois dire que ce n'est pas la position du ministère, c'est simplement une possibilité que je vous indique.

+-

    M. Vic Toews: Je trouve que c'est une très bonne idée qu'il vaut la peine d'examiner.

    Je voudrais aborder un autre point, avant de terminer, monsieur le président. J'ai trouvé très intéressantes certaines observations--et je vous demanderais peut-être d'y réfléchir--selon lesquelles ce sont les récidivistes, ceux qui conduisent constamment en état d'ébriété, qui causent les problèmes sur les routes. D'après mon expérience dans ce domaine, dans l'application de lois de ce genre à l'échelle provinciale, de concert avec la législation fédérale, même si c'est plutôt anecdotique, il semble que ce soit souvent les jeunes conducteurs, et non pas les buveurs chroniques, qui sont impliqués dans des accidents graves et mortels, ou tout au moins des accidents causant de graves blessures. J'ignore si vous pouvez répondre rapidement à cela, mais je vous encourage certainement à examiner cette question, parce que je pense que le comité devra se pencher là-dessus. Je sais que l'organisation appelée MADD, c'est-à-dire Mothers Against Drunk Driving, a de la documentation là-dessus, mais peut-être pourriez-vous examiner la question.

Á  +-(1125)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Toews.

    Monsieur Pruden.

+-

     M. Hal Pruden: Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je voudrais seulement dire que je ne suis pas expert en la matière, même si j'ai pris connaissance de certaines études sur les gens qui conduisent en état d'ébriété et ceux qui sont impliqués dans des accidents mortels. Les gens de Transports Canada ou d'autres experts en sécurité routière seraient beaucoup mieux placés que moi pour discuter de cette question avec les membres du comité. En bref, je crois savoir que les jeunes conducteurs, disons âgés de 16 à 18 ans, ne sont pas surreprésentés dans les accidents mortels. Cela s'explique peut-être par le fait que, d'habitude, ils n'ont pas accès à des véhicules quand ils ont seulement 16 et 17 ans. Par contre, les rares fois où ils peuvent prendre le volant, ils ont un risque d'accident plus élevé s'il y a de l'alcool à bord. J'ignore si cela vous est utile.

+-

    M. Vic Toews: C'est très bien.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Bellehumeur.

[Français]

+-

    M. Michel Bellehumeur (Berthier--Montcalm, BQ): Je suis un peu d'accord avec l'intervenant précédent. Encore une fois, on veut s'attaquer à un problème qui existe. Je ne veux pas dire qu'il n'existe pas, mais je pense que le problème est surtout celui des récidivistes. Avec les propositions qu'on a devant nous, on ne s'attaque pas vraiment à ces récidivistes. Je ne sais pas si le ministère a regardé ce qu'il pourrait faire pour tenter de faire en sorte qu'il y ait moins de récidivistes dans ce domaine. C'est ma première question.

    Voici ma deuxième. Avez-vous consulté les provinces? On veut instaurer une infraction pour les personnes ayant un taux entre 0,05 et 0,079. J'ai l'impression que si les provinces avaient voulu aller de l'avant dans un sens semblable, elles auraient pu le faire, comme le Québec le fait auprès des jeunes, pour lesquels c'est la tolérance zéro pendant les deux premières années, je crois.

    Donc, est-ce que les provinces désirent avoir quelque chose de semblable? Est-ce qu'elles pourraient instaurer une infraction semblable si elles le voulaient? Et qu'est-ce que le ministère fait pour les récidivistes?

Á  +-(1130)  

+-

     M. Greg Yost: Je vais commencer par la question sur les provinces. Il y a des consultations continues entre Transports Canada, le ministère de la Justice du Canada et les provinces sur ce sujet et sur beaucoup d'autres. Il y a toute une gamme d'outils pour essayer de réduire le taux de ces conducteurs ivres. Ça commence chez la police, il y a des suspensions, puis il y a le Code criminel.

    Au sujet de ce que le ministère peut faire pour les récidivistes, il faut comprendre qu'on n'a pas beaucoup d'outils. Nous avons le Code criminel au niveau fédéral. Donc, on peut, et le Parlement l'a fait tout récemment, changer la période de prohibition. On peut instaurer des programmes tels que...

+-

    M. Michel Bellehumeur: Les antidémarreurs.

+-

     M. Greg Yost: Les antidémarreurs, merci.

+-

    M. Michel Bellehumeur: Cela faisait cinq ans que je réclamais cela ici.

+-

     M. Greg Yost: Eh bien, vous l'avez reçu.

    Concernant la question du 0,05 à 0,08, neuf des dix provinces savent déjà quelles mesures elles vont prendre. Je ne vous donne pas un avis juridique parce que je n'ai pas étudié la question en profondeur, mais une province a probablement le pouvoir d'instaurer certaines infractions pour un taux allant de 0,05 à 0,079. Ce serait semblable à ce qu'on a dans les cas d'excès de vitesse. On aurait des conséquences comme des amendes, sans que ce soit un crime. C'est tout ce que j'ai à dire.

+-

    M. Michel Bellehumeur: Donc, si je communique avec le ministère de la Justice du Québec et que je lui demande si on l'a consulté relativement aux facultés affaiblies, pour instaurer une infraction que commettraient les personnes ayant un taux de 0,05 à 0,079, il va me répondre oui. Ce n'est pas comme dans le cas de la Loi sur les jeunes contrevenants. Ils n'avaient jamais entendu parler du projet de loi avant de le voir, alors que le fédéral disait qu'il les avait consultés. Je vous dis que cet après-midi, j'appelle le ministère de la Justice. Je vais probablement parler à M. Bégin. Je vais lui demander s'il a été consulté. Est-ce oui?

[Traduction]

+-

     M. Hal Pruden: Si je comprends bien votre question, la réponse serait que ce n'est pas une proposition qui émane du ministre de la Justice, mais plutôt un renvoi au comité pour qu'il examine ou réexamine cette question précise. Aucune des provinces n'a demandé au gouvernement fédéral d'abaisser la limite donnant lieu à une infraction criminelle.

[Français]

+-

    M. Michel Bellehumeur: Merci. Je n'ai pas d'autres questions.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Blaikie, vous avez sept minutes.

+-

    M. Bill Blaikie (Winnipeg--Transcona, NPD): Monsieur le président, je pense qu'il est important de prendre bonne note que cela n'émane pas du gouvernement, cela n'émane pas des gouvernements provinciaux. C'est plutôt le ministre de la Justice qui a invité le comité à examiner cette question, je suppose parce que le ministre a accueilli favorablement la demande de MADD de faire réexaminer cette question.

    Il me semble qu'il y a une chose que nous devons savoir. D'abord, je voudrais savoir s'il y a des études ministérielles là-dessus, et s'il n'y en a pas, peut-être qu'il y aurait lieu d'en faire faire, si nous devons étudier cette question en profondeur. Mais surtout, voici la question que je me pose : où est le problème? Est-ce que ce sont les récidivistes qui causent le problème? Quel type de comportement chercherions-nous à éliminer en changeant la loi que nous avons maintenant? Veut-on s'attaquer aux conducteurs ivres chroniques, auquel cas il faudrait peut-être des pénalités plus sévères, ou bien avons-nous des preuves indiquant que les gens qui conduisent avec un taux d'alcoolémie se situant entre 0,05 et 0,08 représentent un grave problème qui n'est pas pris en compte par le système actuel? Je pense que nous n'avons pas suffisamment d'informations à notre disposition. Je sais que ce n'est pas vous qui avez mis cela en branle, mais vous êtes une ressource pour nous. Quel élément de preuve avez-vous qui nous aiderait à préciser où se situe le problème?

Á  +-(1135)  

+-

     M. Hal Pruden: Il y a des études sur les avantages de l'abaissement du taux d'alcoolémie maximal autorisé dans divers pays et États, mais il n'y a pas de consensus solide parmi les experts scientifiques sur la question. Vous voudrez peut-être entendre différents témoins qui pourront interpréter et analyser diverses études sur les trois questions scientifiques. Mais, fondamentalement, les partisans de l'abaissement du niveau souscrivent à l'idée selon laquelle l'abaissement de la limite comporte des avantages en nombre de vies épargnées et d'accidents causant des décès et des blessures évités. D'autres peuvent avoir un point de vue différent, mais il y a des scientifiques qui ont fait des études et que l'on pourrait inviter à présenter leurs divers points de vue.

    Les partisans d'une telle mesure croient aussi qu'en plus de sauver des vies dans les accidents qui pourraient être évités au niveau se situant entre 51 et 80, si l'on réduisait la fréquence de ce comportement, il y aurait aussi des avantages au niveau plus élevé. Autrement dit, si l'on met en vigueur une nouvelle limite, les gens qui conduisent à 180 commenceront maintenant à conduire à 150 et le taux d'alcoolémie moyen constaté chez les conducteurs qui causent des accidents mortels baisserait. C'est l'un des arguments avancés. Je veux simplement le signaler, car je répète que je ne suis pas expert pour analyser ces études et vous voudrez peut-être entendre des témoins qui vous donneront le point de vue d'experts de part et d'autre.

+-

     M. Greg Yost: Je voudrais ajouter qu'il y a une foule d'études, comme M. Pruden l'a dit. Les experts vous diront qu'il y a eu une amélioration remarquable dans l'ensemble du dossier. Tous les décès causés par la circulation routière sont en forte baisse, et le pourcentage des décès impliquant un conducteur aux facultés affaiblies par l'alcool a baissé. La Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada tient à jour une base de données là-dessus depuis environ 25 ans. En Australie, le taux de 0,05 est en vigueur depuis 10 ou 15 ans et, comme il arrive bien souvent, ils ne se sont pas contentés de faire un seul changement, puisque dans la plupart des cas, ils ont introduit cette mesure, plus l'alcootest aléatoire, plus de plus fréquentes vérifications par la police, etc. Est-ce que c'est le 0,05 qui a fait la différence, ou bien est-ce plutôt le renforcement des activités d'application de la loi? C'est l'un des points dont vous pourrez discuter à loisir avec ces experts, car nous ne pouvons pas vous aider là-dessus.

+-

    M. Bill Blaikie: Une dernière observation. Il me semble qu'il faut aller au fond des choses dans cette affaire. Il serait intéressant de savoir quelles conséquences aurait le renforcement des vérifications, des inspections, des interpellations, peu importe comment on appelle cela, pour ce qui est d'obtenir les réductions supplémentaires que recherchent des groupes comme MADD. Pour ma part, j'ai l'impression que les activités d'application de la loi sont plutôt saisonnières, alors qu'elles devraient peut-être se faire toute l'année.

+-

    Le président: Quelqu'un veut répondre?

    Si non, je donne la parole à M. MacKay.

+-

    M. Peter MacKay (Pictou--Antigonish--Guysborough, PC/RD): Merci, monsieur le président, et merci à vous deux d'être venus et de nous avoir présenté ces exposés.

    Ma première question est celle-ci. Une réunion d'information semblable à celle-ci a-t-elle déjà eu lieu ou aura-t-elle lieu pour le nouveau ministre?

    Pour reprendre ce que disait Bill au sujet de l'application saisonnière de la loi, ce n'est bien sûr pas le cas, quoique les activités soient davantage concentrées dans certaines saisons, comme au temps de Noël. Mais il m'apparaît aussi qu'il y aurait peut-être lieu d'envisager une stratégie nationale, car l'application de la loi relève en grande partie de la GRC, afin de concentrer les efforts dans les secteurs où nous savons que les conducteurs aux facultés affaiblies sont les plus nombreux, non seulement à l'extérieur de certains débits de boisson, mais aussi dans certaines régions du pays. Je songe à la partie rurale de l'Île-du-Prince-Édouard et d'autres régions du pays où les statistiques démontrent de façon constante que la conduite en état d'ébriété et le nombre de décès causés par le carnage sur les routes semblent avoir une incidence disproportionnée.

    Je voudrais avoir une réponse du ministère au sujet de cette question précise d'une stratégie, parce qu'il semble que nous ayons vu, par exemple au ministère de la Santé, un effort déterminé pour dissuader les jeunes de fumer. Des millions de dollars ont été investis dans la promotion d'un registre des armes à feu dont personne ne peut dire qu'il peut sauver des vies. Pourquoi le ministère de la Justice n'a-t-il pas envisagé, de concert avec d'autres ministères, de lancer une stratégie très agressive pour mieux informer le public, en particulier les jeunes?

    Tout cela semble se faire en grande partie à l'initiative de groupes comme MADD. La GRC, il faut le reconnaître, et aussi la police municipale envoient des représentants dans les écoles, mais on ne semble pas accorder à cela la priorité voulue. On peut bien parler d'abaisser le taux à 0,05, et je sais que c'est le sujet qui nous occupe aujourd'hui, mais il semble que si cette vaste stratégie doit être efficace et aller plus loin que de simplement diminuer le taux d'alcoolémie, cela doit s'inscrire dans un plan d'ensemble.

    L'une des démonstrations les plus éclatantes de l'influence du taux d'alcool dans le sang sur les habiletés de conducteur a été faite dans un film récemment produit par MADD qui a été lancé dans le cadre de leur stratégie. Ce film, intitulé Taking Back the Highways, montrait des jeunes auxquels on demandait de conduire et de contourner des obstacles après avoir bu. Les résultats étaient tellement évidents pour quiconque a vu ce film. Ma question est celle-ci : le ministère a-t-il envisagé de lancer une telle stratégie d'éducation du public?

Á  +-(1140)  

+-

     M. Hal Pruden: Je dois répondre oui à cela, et je vais expliquer pourquoi je dis oui. La conduite avec facultés affaiblies est un très grave problème de santé, social, de sécurité, de police et de droit. Le ministère de la Justice s'intéresse essentiellement à l'aspect qui touche le Code criminel, tout ce qui a rapport avec la loi. Le Code criminel est assurément un élément très important du casse-tête, mais ce n'est pas la panacée.

    Je vous rappelle qu'en 1990, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux chargés du transport routier ont donné mandat au Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé de se pencher sur le problème et d'élaborer une stratégie sur la conduite avec facultés affaiblies. Il existe donc, sous l'égide du CCATM, un groupe de travail chargé d'élaborer une stratégie pour lutter contre la conduite avec facultés affaiblies. Transports Canada a été représenté pendant de nombreuses années à ce groupe de travail et Justice Canada y a été représenté plus récemment; les organismes de police sont représentés, de même que les gouvernements provinciaux et les assureurs. Pour moi, ce serait là un cadre susceptible d'encourager tous les gouvernements à mettre au point des méthodes pour informer le public et faire de l'éducation publique. Est-ce qu'on pourrait en faire plus? Certainement. Je n'en disconviens pas.

+-

    M. Peter MacKay: Le nouveau ministre a-t-il participé à des briefings de ce genre? Je me rends compte qu'il a été nommé tout récemment et qu'il y a beaucoup de priorités à la Justice, mais il me semble que c'est là un élément important de tout nouveau portefeuille.

+-

     M. Hal Pruden: Je ne peux pas parler au nom du personnel du ministre. Du côté des fonctionnaires, nous ne l'avons pas rencontré personnellement, mais nous lui avons remis de la documentation écrite.

+-

    M. Peter MacKay: Je sais bien que l'application de la loi pose un problème, mais une chose me frappe. J'ai travaillé dans les tribunaux, et à moins que le taux d'alcoolémie soit vraiment au-dessus de 0,1, il y a très peu de mises en accusation. Je ne me rappelle pas qu'on ait porté beaucoup d'accusations même à un taux de 0,1; il fallait habituellement un taux de 120 pour que des accusations soient portées. Les provinces ont lancé cette stratégie consistant à porter des accusations et à supprimer temporairement les permis. Mon collègue de l'Alliance a posé des questions dans le même sens. Est-il possible d'avoir une procédure graduelle, comme il en existe en Australie et d'autres pays, où l'un de ces facteurs, selon le taux de concentration, entraîne une amende fixe, une période fixe de suspension du permis, ou encore l'incarcération, c'est-à-dire que l'on adopterait la ligne dure et dirait : écoutez, si vous vous faites prendre à conduire à tel ou tel taux d'alcoolémie, voici la pénalité. Vous le savez à l'avance. À mes yeux, cela permettrait d'éliminer une partie du pouvoir discrétionnaire, mais c'est aussi une dissuasion plus forte de dire, écoutez, voici à quoi vous vous exposez, parce que les conséquences sont tellement graves et les risques tellement élevés quand on se livre à une telle activité, alors que beaucoup de Canadiens continuent de s'y livrer.

Á  +-(1145)  

+-

    Le président: Je voudrais attirer votre attention sur le fait que la lumière clignote depuis un certain temps. On nous a dit que le vote serait reporté, mais il nous reste seulement six minutes et il n'a pas encore été reporté. Je pense que des négociations sont en cours, mais elles ne semblent pas aller très bien. En conséquence, je ne voudrais pas que les députés soient coincés ici pendant le vote, et M. Toews a hâte de faire une course avec moi pour voir qui sera le premier rendu. Je pense que nous allons devoir permettre aux députés d'aller à la Chambre, au cas où. Je ne voudrais pas leur donner des motifs d'aller parler de moi au président de la Chambre.

    La séance est suspendue. Nous reprendrons tout à l'heure.

Á  +-(1147)  


  +-(1203)  

+-

    Le président: Le comité permanent de la Justice et des droits de la personne reprend sa 61ème séance. Je m'excuse de cette interruption.

    J'avoue, Peter, que je n'en ai aucune idée. D'après mes renseignements,vous avez eu 24 minutes jusqu'à maintenant.

    M. Peter MacKay: Parfait. Prenons-en note. Cela pourrait être un précédent.

    Le président: Je passe maintenantà M. MacKay.

+-

    M. Peter MacKay: Il n'avait aucune idée de ce dont je parlais.

    Pour reprendre là où nous avons laissé, ma question porte sur la possibilité d'inscrire dans la loi fédérale un régime de peines graduées. L'un des facteurs serait bien sûr l'alcoolémie, peut-être aussi le type de permis de conduire, et on établit maintenant des régimes de permis gradués dans certaines provinces, et puis il y aurait les facteurs habituels pris en compte pour la détermination de la peine, y compris le nombre d'infractions antérieures. Je me demande, premièrement, si cela résisterait à une contestation constitutionnelle? Et ne vaudrait-il pas la peine d'examiner cela, dans le but de renforcer la dissuasion, étant donné que, même si les statistiques que vous avez citées aujourd'hui semblent indiquer que le nombre d'accidents causés par la conduite avec facultés affaiblies est en baisse, il en reste quand même un nombre tellement élevé qu'il est clair qu'il faut passer à l'action?

  +-(1205)  

+-

     M. Greg Yost: Je vais répondre d'abord à la deuxième partie de votre question, à savoir si un tel régime peut être envisagé. Certainement, c'est possible. Cela soulèverait-il des problèmes constitutionnels? Ma réaction initiale est de répondre par la négative. Il est vrai que les Australiens n'ont pas les mêmes problèmes que nous, mais je signale que dans tous les cas australiens que j'ai examinés, où l'on a instauré de telles pénalités progressivement plus sévères, premièrement, la peine maximale est inférieure à celle que nous avons actuellement. Pour une troisième infraction, nous pouvons interdire de conduire pendant trois ans. Le pire que j'ai vu là-bas est une interdiction de deux ans. Deuxièmement, tous les États stipulent que le refus implique le maximum, ce qui encourage les gens à souffler dans l'appareil, parce que le pire qui peut arriver ne change pas, que l'on accepte ou que l'on refuse. Ces deux éléments vont donc de pair. C'est ainsi qu'ils ont structuré leur régime là-bas.

    Depuis 1999, nous avons dans le Code criminel une disposition stipulant qu'un taux d'alcoolémie supérieur à 0,16 constitue une circonstance aggravante. Il y a donc une sorte de précédent. Cependant, les juges n'ont pas établi de minimum fondé sur le taux d'alcoolémie et, à ma connaissance, il n'existe actuellement rien de tel dans la législation fédérale. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas faire oeuvre de pionnier.

+-

    M. Peter MacKay: Je suppose qu'une directive plus ferme sur les facteurs à prendre en compte pour la détermination de la peine insisterait sur le besoin de dissuasion et le besoin de tenir compte non seulement de la concentration, mais aussi des autres facteurs habituellement pris en compte. Il me semble qu'il y a eu ces dernières années une tendance à inscrire ces paramètres dans le Code criminel, à dire clairement comment les juges devraient procéder pour la détermination de la peine, mais cela semble à tout le moins mettre en relief les aspects dissuasifs des audiences de détermination de la peine.

+-

     M. Hal Pruden: Nous ne savons vraiment pas dans quelle mesure les juges tiennent déjà compte du taux d'alcoolémie, par exemple, dans la détermination de la peine. Le principe fondamental qu'un juge doit respecter est que la peine doit être appropriée, compte tenu des circonstances de l'infraction et de la situation du perpétrateur. Si elle n'est pas appropriée, le procureur ou la défense peut interjeter appel pour s'assurer que la peine infligée soit appropriée.

    Cela dit, comme M. Yost l'a indiqué, nous avons actuellement des instructions qui se contentent en fait de codifier la pratique des juges avant 1999, c'est-à-dire qu'un taux d'alcoolémie de 160 constitue un facteur aggravant. Nous avons au Canada une amende minimum qui est imposée pour une première infraction et, contrairement à beaucoup de pays, nous avons aussi des peines d'emprisonnement minimum qui sont infligées au niveau criminel, à plus de 80, pour une deuxième infraction et les infractions subséquentes.

    Je pense qu'il y aurait énormément de résistance parmi les juges à l'imposition d'une directive précise qui pourrait, dans leur esprit, amoindrir leur capacité d'infliger la sentence qui convient le mieux dans les circonstances au contrevenant en question. Il y a donc du pour et du contre.

+-

    M. Peter MacKay: C'est mon dernier point, monsieur le président.

    C'est bien sûr une approche qui s'applique après le fait, au moment de la détermination de la peine, quand on essaie de transmettre un message dissuasif, et tous les principes de détermination de la peine, la protection du public et la réhabilitation, sont des facteurs. Mais, d'après les chiffres qui m'ont été communiqués par Mothers Against Drunk Driving, il semble que le problème le plus grave, c'est le grand nombre de trajets effectués par des conducteurs aux facultés affaiblies qui n'aboutissent même pas à des accusations. Du côté de la prévention, il semble que ce soit de ce côté que l'on devrait déployer les plus grands efforts, qu'il s'agisse de faire l'éducation du public ou d'augmenter les ressources ou de renforcer les directives à la GRC pour ce qui est de patrouiller les secteurs où l'incidence est élevée. Ce sont des chiffres qui, comme je l'ai dit, proviennent de MADD Canada : environ 12,5 millions de trajets effectués par des conducteurs aux facultés affaiblies chaque année, dont seulement 1 sur 445 débouche sur des accusations de conduite avec facultés affaiblies aboutissant devant les tribunaux. C'est quasiment une industrie en pleine croissance dans la communauté juridique. Il y a des cabinets et des avocats qui gagnent leur vie uniquement en défendant des personnes inculpées de conduite avec facultés affaiblies. Et puis il y a les toxicologistes. C'est toute une industrie dans la pratique du droit.

    Pour ce qui est de la prévention, il semble qu'en termes de priorité, l'éducation sur ce problème n'est pas aussi prioritaire que l'éducation sur le tabagisme ou d'autres programmes du gouvernement. Je sais que ce n'est pas la seule et unique responsabilité du ministère de la Justice, mais il me semble que la prévention relève du ministère de la Justice. N'êtes-vous pas d'accord?

  +-(1210)  

+-

    Le président: Merci, Peter.

+-

     M. Greg Yost: Quand je travaillais au ministère de la Justice du Manitoba, je m'occupais de ces dossiers et je faisais des conférences. Je me rappelle que nous avons entendu un Australien--c'était il y a une bonne douzaine d'années--qui parlait de la nécessité non seulement d'accroître la sévérité des peines, car c'est bien de cela dont nous discutons en ce moment, mais aussi de renforcer les attentes du public pour ce qui est de se faire attraper. Ainsi, quand ils ont légiféré en Nouvelle-Galles du Sud, ils ont lancé simultanément une campagne de publicité télévisée à coup de millions de dollars pour annoncer la nouvelle loi et les nouvelles pénalités. Ce type disait qu'on ne peut pas se contenter de changer la loi et de ne pas en parler aux gens, qu'il faut aller jusqu'au bout. C'est donc un élément.

    Par ailleurs, du point de vue provincial, le fait de fonctionner dans le cadre du code de la route plutôt que du Code criminel comporte de grands avantages. Pour suspendre un permis, nous n'étions pas tenus d'établir la preuve «au-delà de tout doute raisonnable», nous pouvions nous contenter de la prépondérance des probabilités. Mes chiffres datent d'au moins quatre ans, c'est-à-dire quand je suis parti du Manitoba, mais dans le cas des gens qui échouaient l'alcootest, nous redonnions le permis au conducteur dans moins d'un cas sur 1 000, parce que nous n'étions tout simplement pas intéressés à entendre les arguments habituels, à savoir si le test avait été administré correctement et tout le reste. À la prépondérance des probabilités, nous constations presque invariablement que la personne en cause était bel et bien au-dessus du niveau permis. Les provinces sont beaucoup mieux placées, à mon avis, pour créer chez les gens la certitude qu'ils seront punis, en comparaison du gouvernement fédéral qui doit appliquer le Code criminel.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Maloney.

+-

    M. John Maloney (Erie--Lincoln, Lib.): Je me soucie du consensus, et je crois que le comité a eu des problèmes à ce niveau la dernière fois qu'il s'est penché sur la question. La Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada a effectué une étude, et je crois que la Justice y a peut-être contribué aussi, mais je n'en suis pas sûr--cela n'a pas d'importance. Ils ont dit qu'il n'y avait aucun avantage appréciable en termes de sécurité publique d'abaisser le niveau plus bas que 0,08, mais d'autres n'étaient pas d'accord. Je pense qu'un certain M. Mann a dit qu'il y aurait possibilité de réduire le nombre des décès de 6 à 8 p. 100, ce qui est une diminution importante. A-t-on tenté de concilier ces positions divergentes?

+-

     M. Hal Pruden: Je pense que vous constaterez qu'il y a encore des divergences d'opinion, mais ce serait les meilleurs témoins à entendre à l'heure actuelle, compte tenu de quelques études qui ont été publiées depuis leur comparution au comité permanent en 1999.

+-

    M. John Maloney: Très bien.

    Revenons donc à notre propre loi et à celle des provinces. Je pense que les provinces ont resserré leur code de la route en même temps que nous avons modifié notre loi. Des études ont-elles été faites pour mesurer la diminution depuis l'établissement de nos lois respectives? Quelles conséquences ces lois ont-elles eues, le cas échéant, sur la réduction de la conduite avec facultés affaiblies?

+-

     M. Hal Pruden: Encore là, je peux vous faire part de mes impressions, mais il vous faudrait vraiment entendre des experts, soit de Transports Canada, soit dans le domaine de la sécurité. Je coris savoir qu'une étude a été faite en Ontario dans les années 80, car certaines provinces canadiennes avaient déjà introduit le niveau 50. La difficulté résidait en partie dans le fait que la période visée par l'étude était courte. Il avait été difficile d'observer un avantage important, en partie à cause de la possibilité que les services de police à l'époque n'avaient pas les appareils de détection dont ils avaient besoin pour faire appliquer ce niveau de 50 et plus. Évidemment, ils ont les appareils voulus aujourd'hui, bien des années plus tard. Je ne suis pas au courant d'études canadiennes récentes, mais la Fondation de recherches sur les accidents de la route au Canada serait la mieux placée pour vous dire s'il y a eu récemment des études sur les provinces canadiennes qui ont abaissé leur niveau à 50 dans le cadre du code de la route provincial.

  +-(1215)  

+-

    M. John Maloney: Il y a aussi la crainte que le grand public n'appuie pas une éventuelle réduction à un niveau inférieur à 0,08. Avons-nous des sondages ou des données quelconques corroborant cette inquiétude?

+-

     M. Hal Pruden: Je répète qu'il y a des études divergentes et les différences tiennent peut-être à la manière dont la question est posée. Encore une fois, je ne suis pas le mieux placé pour commenter la méthodologie des sondages scientifiques, etc. Il vous faudrait entendre des experts.

+-

    M. John Maloney: Avons-nous une estimation quelconque des ressources additionnelles qu'il faudrait accorder à nos services de police et aux tribunaux, si nous abaissions le niveau, ce qui, je suppose augmenterait d'autant le nombre de cas?

+-

     M. Hal Pruden: Là encore, je pense que vous constaterez qu'il y a divergence d'opinion. Certains diraient qu'il faudrait plus de ressources policières si nous abaissions le niveau, parce que l'on rejoindrait une nouvelle cohorte de gens qui seraient criminalisés. D'autres diraient peut-être qu'il faudra en fait moins de ressources policières à un moment donné, parce qu'il y aura un effet de dissuasion, c'est-à-dire que bien des gens qui conduiraient avec facultés affaiblies et auraient un accident ne prendraient tout simplement plus le volant à un niveau situé entre 51 et 80, et peut-être même qu'ils boiraient moins, au niveau le plus élevé; même s'ils seraient encore à plus de 80, ils boiraient moins et leur taux d'alcoolémie serait donc inférieur à ce qu'il était avant qu'on ait abaissé le niveau à 50 dans le Code criminel. Il y a donc des divergences d'opinion quant aux coûts.

+-

    M. John Maloney: Vous nous avez aussi présenté la situation en Australie. A-t-on tenté de faire une comparaison entre les résultats sur la conduite avec facultés affaiblies en Australie, où le taux est de 0,05, et la situation chez nous, où le taux est de 0,08? Leur taux de conduite avec facultés affaiblies est-il inférieur au nôtre, actuellement? Ce taux plus bas donne-t-il de bons résultats?

+-

     M. Greg Yost: Il y a une foule de statistiques sur la sécurité relative de divers pays, et cela dépend de la mesure, d'après le chiffre de population, d'après le nombre de conducteurs qui ont un permis, ou d'après une estimation du nombre de milliards de kilomètres de conduite. Je crois savoir que les Australiens sont presque exactement au même niveau que le Canada quant au taux par milliard de kilomètres. Globalement, la sécurité routière dans les deux pays est presque identique.

    Ils ont là-bas un programme qui ressemble beaucoup à notre stratégie pour réduire la conduite avec facultés affaiblies, sauf que c'est une stratégie visant à réduire le nombre de tous les accidents. Si je me rappelle bien, leur but est d'obtenir une réduction de 40 p. 100 du nombre de décès sur les routes. Ils envisagent seulement d'obtenir une tranche de 9 p. 100 de cet objectif de 40 p. 100 par des changements dans le domaine de la conduite en état d'ébriété. Ils accordent plus d'importance au besoin de réparer les routes, d'inciter les gens à boucler leur ceinture, etc. Je me trompe peut-être, mais je crois qu'ils ont fait à peu près tout ce qu'ils ont pu imaginer de faire pour s'attaquer à la conduite avec facultés affaiblies, sauf augmenter le nombre des policiers qui patrouillent sur les routes pour en attraper un plus grand nombre et dissuader les autres.

+-

    M. John Maloney: Je pense que M. Toews faisait allusion à la réflexion assez répandue selon laquelle l'un des problèmes peut-être les plus graves est causé par les alcooliques chroniques qui continuent de conduire et qui ne sont pas dissuadés par une législation quelconque. On a fait la comparaison avec les jeunes, et je pense, Hal, que vous avez dit que nous avons encore un problème avec les jeunes, pas seulement les jeunes adolescents, mais aussi ceux qui sont à la fin de l'adolescence. Si je me rappelle bien, durant nos études, nous avons constaté que nos programmes d'éducation ciblent en fait et réussissent à rejoindre les jeunes au sujet de la conduite avec facultés affaiblies, en les convainquant notamment d'adopter la pratique du conducteur désigné, etc., mais peut-être que le problème le plus pressant, c'est leurs parents, la génération d'avant. Avez-vous des commentaires à faire là-dessus?

+-

     M. Hal Pruden: Pour ce qui est des jeunes, je signale que dans un certain nombre de provinces, il y a maintenant un régime de permis progressif, de sorte que les jeunes qui commencent à conduire doivent au début avoir un taux d'alcoolémie de zéro. Ils doivent donc accumuler de l'expérience de conduite sans aucun alcool pendant quelques années, avant de pouvoir même envisager de conduire légalement après avoir consommé la moindre quantité d'alcool. L'idée est qu'à la fin de cette période, ils auront appris à séparer l'alcool et la conduite automobile. La génération plus âgée, par contre, n'est pas passée par cette obligation de permis progressif et il est bien possible que l'on n'ait pas réussi à modifier un comportement hérité d'une époque à laquelle il était acceptable de conduire après avoir bu.

    Abstraction faite des généralisations, quand on en arrive au niveau individuel, le choix demeure : une personne a-t-elle été convaincue de séparer l'alcool et la conduite automobile? Malheureusement, comme M. MacKay l'a dit, nous avons au Canada énormément de gens qui prennent le volant après avoir bu. Je trouve personnellement--et cela n'a rien à voir avec les statistiques--que le risque d'avoir un accident et de blesser ou tuer quelqu'un ou soi-même et le risque de se faire arrêter est très faible. Une personne pourrait donc se dire : ma foi, j'ai bu, mais la semaine dernière j'avais bu encore beaucoup plus et je me suis rendue à la maison sans problème, je n'ai pas eu d'accident et je ne me suis pas fait attraper, alors pourquoi ne pas le faire encore ce soir? Comme cette personne a reçu un renforcement positif la dernière fois, il y a de bonnes chances qu'elle songe à refaire le coup ce soir, surtout si elle prend sa décision après avoir déjà consommé de l'alcool, de sorte qu'elle est encore moins capable de juger de son taux d'alcoolémie et de l'affaiblissement de ses facultés.

  +-(1220)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Maloney. Nous passons maintenant à M. Cadman. Il est venu par avion de Surrey exprès pour poser cette question, et je suis donc certain qu'elle sera juteuse.

    Monsieur Cadman.

+-

    M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Je suis si fatigué que j'ai oublié ma question. Merci, monsieur le président.

    Dans la même veine, je crois que l'un de vous a évoqué la possibilité que dans les pays qui ont abaissé le taux à 0,05, lorsque l'impact a été positif, ou qu'il y a du moins perception d'un impact positif, on pourrait faire les choses différemment pour ce qui est de l'application de la loi et de faire en sorte que les accusations ne soient pas retirées une fois devant les tribunaux. Avez-vous une idée de ce qu'ils pourraient faire différemment en termes d'application de la loi et de procédure? Je ne vous demande pas de défendre cette possibilité.

+-

     M. Greg Yost: Je peux vous dire qu'en Australie, ils n'ont pas de charte des droits, et il est peut-être important de le rappeler, parce que les États australiens ont institué l'éthyloscopie aléatoire, ce qui veut dire qu'un agent de police peut demander à n'importe quel conducteur, en tout temps, de fournir un échantillon d'haleine. Je crois que dans certains États australiens, toutes les voitures de police sont équipées de l'un de ces appareils et, quand ils n'ont rien d'autre à faire, les policiers ont pour tâche d'interpeller quelques conducteurs, choisis tout à fait au hasard, et de leur demander de souffler dans l'appareil. Chez nous, pour que l'on puisse détenir quelqu'un--et quand un agent de police vous ordonne de vous arrêter, c'est une forme de détention--il faut qu'il y ait des raisons quelconques de croire qu'il y a eu acte criminel. C'est donc très différent. Je ne préconise certainement pas cela, parce que je pense qu'il nous faudrait alors réfléchir très longuement aux conséquences liées à la charte et je ne sais même pas si nous pourrions le faire en toute légitimité.

    C'est un élément. Par ailleurs, si je comprends bien--je ne suis pas sûr que cela existe encore, mais c'était le cas à l'époque où je travaillais au Manitoba--ils ont mis sur pied, en collaboration avec les compagnies d'assurance, un programme continu, toute l'année, de barrages routiers très visibles.

+-

    M. Chuck Cadman: Cette affaire nous tombe dessus sans rime ni raison. J'en ai parlé à des agents de police de Colombie-Britannique, et il est certain qu'il y a là-bas un problème de facultés affaiblies par la drogue, par opposition à l'alcool. Je me rends compte que le processus de mesure est différent, mais le passage d'un taux de 0,08 à 0,05 aurait-il des conséquences sur la capacité de lutter contre la conduite avec les facultés affaiblies par les drogues?

  +-(1225)  

+-

     M. Hal Pruden: Je ne suis pas certain que l'abaissement du taux changerait quoi que ce soit, parce qu'actuellement, aux termes de l'alinéa 253a) du Code criminel, conduire avec les facultés affaiblies, que ce soit par l'alcool ou une drogue ou une combinaison des deux, est interdit par la loi. Donc, si je suis à 50 et que j'ai pris une drogue et que mes facultés sont affaiblies, je suis dans le pétrin. Si je suis à 81 et que j'ai pris à la fois de l'alcool et une drogue, je suis dans le pétrin aussi, si mes facultés sont vraiment affaiblies par cette combinaison.

+-

    M. Chuck Cadman: D'accord.

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Cadman. Cela valait certainement le voyage.

    Monsieur Grose.

+-

    M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Avons-nous des chiffres sur le nombre de gens arrêtés dont le taux de concentration dans l'haleine se situe entre 0,05 et 0,08? Je sais que c'est une question difficile, mais ce que je cherche à savoir, c'est combien de gens on va attraper si l'on abaisse le taux à 0,05.

+-

     M. Hal Pruden: Cela dépend vraiment de la taille de la cohorte, et je n'ai pas ce chiffre. Les organisations de sécurité routière ou Transports Canada ont peut-être des chiffres là-dessus. D'après les chiffres que j'ai vus pour la Colombie-Britannique, la cohorte de 51 et plus visée par la législation provinciale est presque égale à la cohorte visée par la loi criminelle, mais ce n'est peut-être pas exact, parce qu'il peut y avoir des gens qui sont en fait au-dessus de la limite fédérale de 80 et qui sont quand même traités en application de la loi provinciale comme s'ils se situaient dans la fourchette de 51 à 80, ce qui peut fausser les résultats. Mais c'est le chiffre que j'ai vu et les deux groupes étaient presque égaux.

+-

    M. Ivan Grose: Cela ne m'étonne pas du tout. Il me semble qu'à chaque fois que je lis quelque chose sur un accident épouvantable causé par l'alcool, la personne en cause, généralement d'après un test sanguin, est invariablement au-dessus de 0,15. Comme je suis un buveur de longue date--heureusement, j'ai un conducteur désigné qui est alcoolique et qui ne boit donc pas une goutte--je sais que l'idée que vous avez pris un verre de trop pour conduire ne vous effleure même pas. C'est absurde. Vous restez au bar jusqu'à la toute fin de la conversation, et ensuite, alors que vous êtes ivre, vous êtes censé être capable de décider si vous êtes capable ou non de conduire? Ce n'est pas comme cela que ça se passe. C'est seulement quand je mets la clé au contact et que mon conducteur me dit non que je m'en rends compte.

    Je me demande si nous ne sommes pas en train de couper les cheveux en quatre avec ce taux d'alcoolémie se situant entre 0,05 et 0,08. Cela importe-t-il tellement? Je n'ai pas d'objection à un taux de 0,05, bien que je doute de leurs chiffres--ce sont les gens de MADD qui veulent ce chiffre. Je n'ai pas d'objection, parce que je ne pense pas que c'est là que réside notre problème. Je pense que notre problème, ce sont les gens qui continuent de boire bien au-delà de cela. Si nous pouvions les arrêter avant qu'ils arrivent au taux de 0,15 ou 0,25, ce qui arrive également, très bien. Mais c'est ma principale préoccupation. Que le taux soit de 0,05 ou de 0,08, je pense que cela importe peu, parce que je ne pense pas que ce sont ces gens-là qui sont impliqués dans la plupart des accidents. Je pense qu'ils se font prendre dans le filet, mais je ne pense pas qu'ils causent les accidents.

    Je voudrais votre opinion là-dessus. Réduirait-on de beaucoup le nombre des accidents si l'on changeait le taux de 0,08 à 0,05?

+-

     M. Hal Pruden: C'est une question que vous devrez poser aux organisations de sécurité routière et aux partisans de l'abaissement du taux. Ce que je peux vous dire, c'est que ceux dont l'alcoolémie se situe entre 51 et 80 représentent 3 p. 100 des conducteurs mortellement blessés. Ceux dont le taux d'alcoolémie est supérieur à 150 en représentent 18 p. 100 ou 20 p. 100, si ma mémoire est fidèle. Vous avez donc raison de dire que la majorité des gens qui ont bu de l'alcool ont un taux supérieur à 150, tandis qu'un pourcentage moindre se situe entre 51 et 80 et un pourcentage légèrement plus élevé se situe entre 81 et 150, mais ces derniers sont moins nombreux que ceux dont le taux est supérieur à 150. Si l'on compare seulement ceux qui sont au-dessus de 80 et que l'on prend ceux dont le taux est entre 81 et 150, ces derniers représentent environ le quart des conducteurs mortellement blessés dont le taux est supérieur à 80, et les trois-quarts se situent à plus de 150.

  +-(1230)  

+-

    M. Ivan Grose: Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Grose.

    Monsieur MacKay.

+-

    M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

    Je trouve toujours les interventions de M. Pruden d'une sincérité rafraîchissante. C'est vrai, je trouve que cela ajoute beaucoup à la discussion.

    J'ai une question qui m'est venue après avoir relu notre rapport de mai 1999. Dans ce document d'une grande sagesse, on trouve un passage disant qu'il est extrêmement difficile pour la police de faire appliquer la loi à un taux légal de 50 mg d'alcool par 100 ml de sang, et ce constat est tiré des renseignements provenant de la recherche sur la circulation routière. Le rapport décrit ensuite les ressources qui seraient nécessaires, qu'il s'agisse de personnel ou d'équipement, qu'il s'agisse du dispositif appelé ALERT ou de l'alcootest. Je suppose que c'est plus une question de volonté politique que de capacité du ministère.

    Il semble ressortir clairement des témoignages que nous avons entendus dans le cadre de cette étude dans le passé que dès l'instant où une personne injecte de l'alcool dans son système, il y a affaiblissement des facultés, bien qu'il puisse être négligeable dans certains cas, et il apparaît donc logique que l'abaissement du taux de concentration autorisé déclencherait du même coup l'abaissement du seuil de tolérance quant à la présence d'une quantité quelconque d'alcool dans le sang au moment où une personne prend délibérément la décision de monter dans sa voiture.

    Pour ce qui est de l'application de la loi, comment réagissez-vous à la suggestion faite par le procureur Andrejs Berzins d'inverser la présomption? C'est-à-dire qu'il ne suffirait pas que l'accusé soulève un doute, en faisant intervenir un toxicologiste qui viendra dire que la personne pèse tel ou tel poids, que son estomac contenait telle quantité de nourriture, qu'il s'est écoulé telle période de temps pendant laquelle la personne a consommé telle quantité d'alcool et que le résultat ne peut donc pas être exact. Ce procureur adopte une approche très nouvelle. Il dit : «Modifions le Code criminel pour limiter la preuve contraire à une preuve qui indiquerait directement que l'appareil ne fonctionnait pas bien». Le fardeau de la preuve serait donc plus difficile à atteindre. Il ne suffirait plus de dire simplement, sur le plan théorique, que le résultat ne peut pas être exact, parce que tous ces facteurs que l'appareil est censé analyser nous ont donné ce résultat de 0,05. Il faudra présenter une preuve démontrant que l'appareil a, pour une raison ou une autre, donné une lecture inexacte. Il faudra prouver--et je l'ai déjà vu faire--que le calibrage était mauvais, prouver que l'appareil lui-même ne fonctionnait pas bien. Est-ce que ce serait un fardeau de la preuve trop lourd? Cela limiterait-il le nombre d'affaires dont les tribunaux sont saisis? C'est renversant de voir le temps que les tribunaux consacrent à ces affaires, et il semble qu'avec le niveau actuel de preuve exigé, c'est parfois très simple; il suffit d'avoir un expert en toxicologie qui vient exposer à la cour sa théorie qui contredit le résultat indiqué par l'appareil.

+-

     M. Hal Pruden: Pour donner une réponse brève, votre comité a recommandé en 1999 qu'un groupe d'experts fédéraux-provinciaux-territoriaux se penche sur les questions relatives aux poursuites et à l'application de la loi. Un comité a été mis sur pied et c'est l'une des questions qui ont été examinées. Je crois qu'une jurisprudence est en train de s'établir dans ce domaine et qu'elle pourra guider les tribunaux sur l'orientation à prendre face à ce que l'on appelle parfois la défense des deux bières. En bref, la défense chercherait à invalider la présomption que la concentration au moment du test était exactement la même que la concentration au moment où le conducteur était au volant. Si la défense peut annuler cela, la poursuite doit présenter une preuve que la personne a bel et bien bu, ce qui n'est peut-être pas possible à prouver, et aussi une preuve de l'effet que l'alcool a eu sur cette personne, en faisant témoigner un expert. Ce n'est donc pas comme si le procureur devait démontrer que l'expert de la défense se trompe, c'est seulement qu'il faut alors tout reprendre du début, qu'on ne peut plus nécessairement se fier à l'alcootest, qu'il faut présenter une preuve démontrant quelle quantité d'alcool la personne a bu. Il incombe toujours au ministère public de prouver au-delà de tout doute raisonnable tous les éléments de l'infraction. Donc, ce que vous suggérez pourrait aider et c'est à l'étude.

  +-(1235)  

+-

    Le président: Monsieur Yost.

+-

     M. Greg Yost: Cela reflète en partie les conséquences d'une condamnation. Dès lors qu'il y a possibilité de se voir interdire de conduire pendant un an pour une première infraction et jusqu'à trois ans pour une infraction subséquente, je pense que l'on peut s'attendre à ce que les gens fassent tout ce qu'ils peuvent pour s'en tirer.

    Il y a peut-être des moyens technologiques de lutter contre cela. Je ne veux pas donner l'impression que je passe tout mon temps en Australie, mais on m'a demandé de me préparer à parler de ce modèle aujourd'hui. Dans l'un des États australiens, après le test d'haleine, on demande au conducteur de fournir aussi un échantillon d'urine dans un contenant. Si la personne choisit de contester l'accusation, ce contenant scellé est envoyé au laboratoire où on peut l'analyser. On a alors le test d'haleine plus les résultats du laboratoire sur l'analyse de l'urine. Je pense qu'il doit alors être assez difficile de réfuter l'accusation. Nous n'avons rien de tel au Canada actuellement.

+-

    M. Peter MacKay: Je suppose que l'important est que les gens ont encore le sentiment que l'on peut s'en tirer quand on a été accusé de conduite avec facultés affaiblies. J'ai du moins cette impression. Je viens de Nouvelle-Écosse rurale et j'ai agi comme procureur dans beaucoup de cas de ce genre, assez pour savoir que c'est loin d'être acquis. Dès qu'on reçoit un dossier de conduite en état d'ébriété, on commence immédiatement à vérifier l'heure, la concentration et si des avertissements ont été donnés. Il y a une foule de... Je ne veux pas les appeler des arguments fallacieux, mais disons de technicalités. Il faut mettre les point sur les «i».

    Vous m'excuserez, monsieur Yost, car cela fait quatre ans que je n'ai pas été procureur dans une affaire, mais est-ce que les avertissements que l'on donne maintenant dans la plupart des provinces sont des facteurs pour la détermination de la peine? Est-ce que c'est pris en considération si le juge sait qu'une personne a reçu trois avertissements de la province au préalable?

+-

     M. Greg Yost: Que je sache, les juges sont rarement au courant des avertissements antérieurs pour taux de 0,05. Dans la plupart des provinces, le permis est suspendu pendant 24 heures et c'est tout; ce n'est pas consigné, cela n'apparaît pas à votre dossier de conducteur. D'autres provinces, par contre, notamment au Manitoba, je crois, ont maintenant instauré des conséquences si l'on reçoit, je crois, deux avertissements en trois ans. Il faut donc tenir un registre et il y a des conséquences administratives quand on se fait arrêter. Je suppose donc que cela apparaît au dossier. Mais je ne le sais pas de source sûre. D'après ce que j'avais compris des procureurs au Manitoba à l'époque, un avertissement pour taux de 0,05 n'influait pas vraiment sur la sentence, si le juge voyait que le type en avait un à son dossier; il s'intéressait seulement à la condamnation pour infraction au Code criminel.

+-

    M. Peter MacKay: Je suppose que la question suivante est celle-ci : Ne devrait-on pas en tenir compte?

+-

    M. Andy Scott: Merci, monsieur MacKay. Je suppose qu'il faudra laisser celle-là en suspens.

+-

     M. Greg Yost: Eh bien, nommez-moi juge et je vais certainement en tenir compte.

+-

    Le président: Je ne ferai pas de commentaires sur la politique et je donne la parole à M. Maloney. Peut-être que M. Maloney vous nommera juge.

+-

    M. John Maloney: Au cours de la discussion ce matin, il a été question du fait que le taux d'arrestation par rapport au nombre de gens qui continuent de conduire en état d'ébriété donne à penser que les gens sont prêts à prendre le risque; la possibilité d'arrestation est mince. Est-ce que l'abaissement du niveau à 0,05 aurait un impact quelconque, si le risque à prendre était un peu plus grand, puisque l'on pourrait alors se faire arrêter à un niveau inférieur, à votre avis?

    Et avons-nous des leçons à tirer du régime de permis progressif, qui impose la tolérance zéro, avec possibilité de perdre complètement son permis si l'on se fait prendre? Si nous sommes vraiment sérieux dans ce dossier, ne devrions-nous pas abaisser le taux encore davantage?

  +-(1240)  

+-

     M. Hal Pruden: Je pense qu'il faut se rappeler que la tolérance zéro pour les jeunes conducteurs est inscrite dans la loi sur le permis de conduire. Les provinces ont instauré une infraction à un taux de 50, sauf le Québec.

    Les gens qui conduisent actuellement après avoir bu de l'alcool ou avec un taux supérieur à 80 ne sont pas un groupe homogène. Il y a beaucoup de sous-groupes différents. Certaines personnes pourraient peut-être se laisser convaincre. Peut-être qu'une loi fixant le taux à 50 pourrait convaincre le jeune qui va à l'occasion à une fête et qui boit trop, qui abuse de l'alcool, que c'est là un type de comportement qui ne devrait pas se répéter. Par contre, il peut y avoir des gens, même parmi ce groupe de jeunes, qui ne se laisseront pas convaincre de renoncer à leurs abus, s'ils n'ont pas le sentiment qu'il y a un plus grand risque d'avoir un accident ou d'être pris par la police.

    Donc, oui, je pense qu'il y a deux manières d'aborder la question. Il peut être possible de convaincre certaines personnes, mais d'autres, ceux qui voient plutôt les choses sous l'angle de la détection, ne se laisseront peut-être pas convaincre.

+-

     M. Greg Yost: Je voudrais dire un mot là-dessus. Je crois qu'à l'origine, la loi qui fixait le taux de 0,08 était fondée sur des études scientifiques qui existaient à l'époque au sujet de l'implication dans des accidents. Je ne crois pas que la situation ait beaucoup changé depuis. Ces études tendaient à démontrer que le risque d'accident est essentiellement le même jusqu'à environ 0,02 ou 0,03, alors qu'il n'y a pas vraiment d'effet discernable. Le risque commence alors à augmenter et monte en flèche à partir de 0,08, puisqu'il double par la suite à chaque tranche de 0,02. La courbe devient verticale. Donc, pour le Parlement du Canada, de qui relève le droit criminel, il faut vraiment disposer d'un élément qui vous permet de dire que c'est vraiment une activité tellement dangereuse qu'elle mérite d'être inscrite au Code criminel, par opposition à, disons, le code de la route. Si vous entendez des experts sur la sécurité et le risque, vous voudrez peut-être discuter avec eux de l'abaissement des taux.

    Je dirai que ce sera à vous de porter ce jugement, parce que même Hal et moi-même ne sommes pas toujours d'accord quand nous examinons la question et que nous voyons que le risque triple, mais le risque réel est d'un accident en 100 millions de kilomètres, au lieu d'un accident en 300 millions de kilomètres--j'invente ces chiffres. Il y a deux façons différentes d'envisager la question : le risque relatif est triplé, mais il y a ensuite le risque absolu : combien de kilomètres faut-il conduire à 0,04 avant d'avoir un accident?

+-

    Le président: J'ai deux ou trois questions à poser, si le comité est d'accord.

    Pour bien comprendre, nous avons trois régimes en place. Nous avons un régime progressif avec tolérance zéro pour les débutants. Nous avons les infractions donnant lieu à des contraventions aux termes du code de la route dans diverses provinces. Et puis nous avons le Code criminel, qui entre en jeu à partir de 0,08.

    L'un des éléments que les organisations qui, je crois, sont à l'origine de cette discussion, m'ont présenté, c'est qu'il y a des données scientifiques sur le taux de 0,08, mais ce taux n'est pas le véritable seuil dans le contexte des accusations criminelles. Je pense que Peter y a fait allusion. Ce chiffre a donc une certaine validité, mais pourtant, on constate qu'en réalité, on donne seulement suite à partir de 0,125 ou quelque chose du genre. Y a-t-il des indications que l'existence d'un seuil de 0,05 dans la loi provinciale a causé l'application effective du taux de 0,08, et envisageons-nous de tout criminaliser, depuis 0,05 jusqu'à 0,125, en application du régime provincial, étant entendu que les problèmes deviennent exponentiels après un certain point dans le contexte des conséquences? Est-ce cela qui incite les organisations qui font des démarches auprès de nous à dire que nous devrions abaisser le seuil d'application du Code criminal à 0,05, pour que l'on se mette à l'appliquer vraiment dès 0,08? Si les scientifiques disent que c'est le chiffre qui convient, alors c'est à ce chiffre qu'il faut porter des accusations. Dans ce cas, nous devrions probablement abaisser le chiffre et, compte tenu d'une marge d'erreur, on obtiendra tel résultat.

    Compte tenu de ce que M. Maloney a dit, on pourrait envisager la possibilité, je suppose, d'instaurer une variante quelconque d'un régime progressif de sécurité routière axé autour du chiffre de 0,05. J'essaie de comprendre ce qui a changé. Peut-on démontrer que la loi a été moins fréquemment appliquée à 0,08 récemment par rapport à la période précédente? Qu'est-ce qui a bien pu donner lieu à ce débat?

  +-(1245)  

+-

     M. Hal Pruden: Je crois qu'il y a parmi les organisations qui proposent un tel changement un élément en ce sens, c'est-à-dire que l'on suppose que l'on pourrait désormais porter plus fréquemment des accusations et obtenir des condamnations à 90 ou 100 que ce n'est actuellement le cas, si nous adoptions un niveau de 50. Cela dit, en droit criminel, nous ne criminalisons généralement pas un comportement qui n'est pas moralement répréhensible ou nuisible, dans un effort pour dissuader quelqu'un de se livrer à des activités plus graves. Par exemple, nous n'interdisons pas de crier, de crainte que cela incite quelqu'un à commettre une agression.

    Si la police disait : nous allons abaisser le taux, dans le but de pouvoir obtenir plus fréquemment des condamnations à 90 ou à 100? L'infraction, c'est d'être au-dessus de 80, donc à 81. Dans le passé, c'était difficile pour un technicien de l'alcootest qui faisait une lecture visuelle de dire catégoriquement que c'était à 90; c'était peut-être à 80. On a donc arrondi; si l'on obtenait une lecture de 91 ou 92, on arrondissait à 90. Il n'en demeure pas moins qu'il y a des cas de gens qui sont reconnus coupables à 90 et à 100. Ce qui semble se passer, par exemple en Colombie-Britannique, c'est que la police pour dire : si je peux simplement exclure de la route ce type qui est à 100, je pourrai peut-être m'embusquer et attendre d'arrêter le type qui est à 150 et qui présente un risque d'accident plus élevé. L'agent de police peut prendre ce genre de décision, c'est-à-dire d'appliquer la loi provinciale plutôt que le Code criminel.

    C'est un fait qu'il existe dans beaucoup de provinces une infraction provinciale à un niveau de 50. Et en tant que comité, la question que vous voudrez peut-être vous poser est de savoir si vous croyez qu'au Canada, nous obtiendrons de bien meilleurs résultats en passant par le Code criminel, plutôt que par les lois provinciales actuelles, qui ressemblent beaucoup à ce qui se passe aux termes du code de la route ou même du droit criminel dans d'autres pays dans le cas des personnes qui se situent entre 51 et 79.

+-

    Le président: Instinctivement, j'ai tendance à être d'accord avec M. MacKay, si j'ai bien compris son intervention. Je vous demanderais votre réaction là-dessus. Il serait probablement plus efficace de renforcer la probabilité de se faire prendre comme dissuasion, plutôt que de recourir à la sévérité des conséquences. Donc, quand la province instaure une infraction passible d'une contravention, un plus grand nombre de gens se feraient alors prendre à un niveau plus bas, du moins théoriquement, un plus grand nombre de gens que si l'infraction commençait seulement à 0,08. Je m'en remets à Ivan, qui peut se targuer d'être un expert en la matière, mais j'ai le sentiment que c'est la peur de se faire attraper qui compte, et non pas nécessairement la peur des conséquences--cette dernière est peut-être le lot des personnages publics. Si l'on peut lancer un filet très vaste, les gens vont se dire : que je me fasse prendre et que je paye une amende de 500 $ ou de 10 000 $, les conséquences sont les mêmes. Par conséquent, si l'on abaisse le seuil et que l'on réduit les conséquences, j'ai l'impression que cela aurait un plus grand effet de dissuasion que de s'en prendre à un groupe plus restreint qui subirait des conséquences plus sévères. Est-ce que je me trompe? Je ne veux pas mal interpréter ce qu'ont dit M. MacKay ou M. Maloney à ce sujet.

  +-(1250)  

+-

     M. Hal Pruden: En un sens, cela dépend des avantages que l'on veut obtenir. L'avantage recherché est-il de réduire le nombre de décès et de blessures? Est-ce que le meilleur moyen d'y parvenir serait une limite provinciale, ou bien est-ce vraiment un comportement criminel que nous trouvons, en tant que pays, moralement inacceptable ou très nuisible, de sorte que nous voulons que cela ressorte du droit criminel, peu importe que ce soit dans le Code criminel du Canada ou dans une autre loi fédérale créant une infraction criminelle. En fin de compte, tout revient à cette décision : est-ce criminel?

+-

    Le président: Peter.

+-

    M. Peter MacKay: J'aurais une brève question à poser au sujet de l'application de la loi. Monsieur le président, le principe est celui que vous avez énoncé beaucoup plus clairement que moi. C'est l'idée que si nous consacrons l'essentiel de nos énergies à la prévention pour obtenir des résultats plus intéressants, il y aurait lieu de faire des efforts pour accroître la probabilité d'arrestation, au lieu d'accroître la sévérité des conséquences et d'obtenir ainsi un impact individuel.

    Dans la même veine--et je suppose que cela concorde avec l'idée d'un régime de permis progressif--ce que les provinces font ne semble pas, dans le système actuel, influer sur les délibérations des juges et la sévérité des peines infligées, si une personne a déjà commis plusieurs infractions provinciales. Je mets cela en doute. Dans une affaire de conduite dangereuse, je me rappelle d'avoir utilisé les dossiers provinciaux de condamnations antérieures pour excès de vitesse et autres violations. Je pense donc que nous devrions examiner cela de plus près, à savoir si les suspensions infligées pour 0,05 devraient être prises en compte à l'audience de détermination de la peine.

    Après une condamnation à 0,08 aux termes du Code criminel actuel, et après qu'une personne ait purgé sa peine, payé l'amende, recouvré son permis, n'y aurait-il pas lieu d'envisager de dire : très bien, non seulement vous êtes avisé que si jamais vous êtes pris de nouveau, vous encourrez des poursuites pour une deuxième infraction, mais en plus, vous ne devez pas être pris avec la moindre trace d'alcool dans votre système? Ainsi, cette personne serait presque signalée à l'attention de tous les intervenants. Dès lors qu'on relève au CIPC une condamnation au titre de l'alinéa 253a) ou b), si jamais cette personne est arrêtée de nouveau, il n'y a plus la moindre tolérance quant à la présence d'alcool.

+-

     M. Hal Pruden: Il est certain qu'un juge aurait la possibilité d'inscrire une telle stipulation dans une ordonnance de probation, c'est-à-dire qu'après avoir purgé la peine fédérale et recouvré le permis de conduire provincial, la personne serait tenue de suivre un régime sans alcool, en supposant que ce soit à l'intérieur de la période pendant laquelle un juge peut imposer une interdiction. Le juge peut seulement émettre une ordonnance de probation d'une certaine durée.

    L'autre réflexion qui me vient à l'esprit, c'est que les provinces, dans le cadre de leurs régimes de permis provinciaux, ont le loisir de décider si elles veulent permettre à une personne reconnue coupable d'une infraction de conduire après avoir consommé de l'alcool ou de le lui interdire, tout comme elles ont choisi de dire que les jeunes et les nouveaux conducteurs ne peuvent absolument pas conduire après avoir consommé de l'alcool.

  +-(1255)  

+-

    M. Peter MacKay: Je ne veux pas m'apesantir là-dessus, et peut-être que cela se fait déjà beaucoup plus que nous le pensons, mais est-ce que le ministère fédéral, est-ce que le ministre se sont engagés à rencontrer les procureurs généraux provinciaux, et ont-ils discuté de cette question? Il semble qu'il y ait beaucoup d'approches individuelles. Le Manitoba prend des mesures, la Nouvelle-Écosse peut essayer quelque chose de différent. Si le Manitoba fait quelque chose de mieux et si le ministère fédéral peut appuyer ses efforts en rendant un certain régime de détermination de la peine plus efficace au niveau fédéral, il y aurait lieu de le faire. Y a-t-il une date d'échéance pour ces études qui ont été entreprises?

+-

     M. Hal Pruden: La stratégie pour réduire la conduite avec facultés affaiblies relève des ministres des Transports, parce que les permis et la sécurité routière relèvent non pas des ministres de la Justice, mais bien des ministres des Transports. La stratégie actuelle a reçu à l'origine un mandat de cinq ans, puis on l'a reconduite pour une autre période de cinq ans et on l'a maintenant prolongée pour dix ans, jusqu'à 2010. Les efforts se poursuivent donc. Le ministère de la Justice ne dicte pas aux provinces ce qu'elles peuvent faire dans le cadre de leurs régimes de permis de conduire et de sécurité routière. C'est essentiellement Transports Canada qui participe à ce processus avec les provinces.

+-

    M. Peter MacKay: N'y a-t-il pas une rupture quelque part dans la chaîne? Si vous dites que Transports Canada s'en occupe avec les ministères des Transports des provinces, il me semble que l'on se trouve un peu à s'en décharger sur le ministère fédéral. Quand donc la Justice intervient-elle pour prendre les commandes?

+-

     M. Hal Pruden: La Justice participe à la stratégie pour réduire la conduite avec facultés affaiblies, de même que les provinces et Transports Canada. N'oubliez pas que les provinces sont libres de donner suite aux suggestions formulées par la stratégie. Il peut à l'occasion y avoir des points sensibles dans ce domaine, mais tous font un effort pour collaborer, et il me semble que c'est ce que vous suggérez.

+-

    Le président: M. Yost et ensuite M. Cadman.

+-

     M. Greg Yost: J'espère que les membres du comité n'ont pas l'impression que l'on ne fait pas constamment des efforts pour tenter de trouver une solution au problème. Je me rappelle avoir participé à la stratégie à titre de fonctionnaire du Manitoba et l'on tenait fréquemment des réunions pour examiner les meilleures pratiques et tenter de trouver le meilleur train de mesures. Nous avons commencé à saisir les voitures des conducteurs dont le permis était suspendu, et cette mesure s'est répandue partout dans le pays après avoir démontré certains avantages. Terre-Neuve a été la première province à commencer à exiger des frais de 40 $ pour recouvrer son permis de conduire après une suspension à 0,05. Cela commence à se répandre d'une province à l'autre. Nous avons affaire à un problème très épineux. Je me rappelle que lorsque nous avons commencé à recevoir les voitures des conducteurs suspendus, pour prouver leur suspension, nous recevions par fax des messages de cinq pages énumérant toutes leurs infractions de conduite avec facultés affaiblies. Il y avait des voitures et il y avait de l'alcool, pas de permis, et les gens s'en fichaient. Je ne suis pas sûr qu'il y ait une solution définitive et magique.

+-

    Le président: Monsieur Cadman.

+-

    M. Chuck Cadman: Je suppose que ce que j'ai à dire est plutôt un commentaire qu'une question. Le président et M. MacKay ont tous deux fait allusion à la dissuasion que représente la probabilité de l'arrestation. À mon avis, la probabilité d'être trouvé coupable va de pair avec cela. C'est bien beau de dire que l'on mettra en place un barrage routier à tous les coins de rue, mais, surtout si l'on se lance dans le domaine criminel, s'il n'y a pas une forte probabilité d'être reconnu coupable, je ne suis pas certain qu'il y ait dissuasion. Je suppose donc que l'on en revient encore une fois, surtout dans le domaine criminel, à toute la question des technicalités qu'il ne faut pas laisser au hasard quand le tribunal est saisi d'une accusation. Nous devons décider du meilleur moyen à prendre pour en arriver à notre objectif. Je pense que certaines options ont été énoncées, mais le fond de l'affaire, à mon avis, c'est que nous voulons éliminer dans toute la mesure du possible les accidents et le carnage. Je pense que nous devons avoir à l'esprit non seulement la probabilité d'arrestation, mais aussi la probabilité d'une condamnation.

·  -(1300)  

-

    Le président: Merci, monsieur Cadman.

    M. Pruden a mentionné un groupe de travail formé de fonctionnaires des Transports et de la Justice, dont la création est en partie attribuable aux travaux effectués par notre comité en 1999 sur cette même question. Si les députés sont d'accord, je pense qu'il serait prudent de demander une sorte de rapport écrit à ce groupe de fonctionnaires, pour que nous puissions nous tenir au courant de ce qui se passe sur ce front. J'inscrirai alors à l'ordre du jour d'une future réunion du comité la réponse à ce rapport et à ce que nous avons entendu aujourd'hui, pour voir exactement comment nous voulons donner suite à ce dossier. Si tout le monde est d'accord--je me rends compte que nous n'avons pas le quorum pour prendre une décision, mais je pense que nous sommes entre amis--je pense que ce serait probablement la meilleure façon de procéder.

    Je veux remercier nos deux témoins d'êre venus nous aider, du moins dans une certaine mesure, à démêler tout cela. Et j'aimerais remercier les membres du comité. Je ne cesse jamais de m'étonner de l'étendue des témoignages experts que nous apportons nous-mêmes dans nos délibérations. Merci beaucoup.

    La séance est levée.