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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 28 mai 2002




Á 1100
V         
V         M. Patrick Healy (témoignage à titre personnel)

Á 1105

Á 1110
V         Le président
V         Mme Clare Mochrie (directrice, Institut Aurora)

Á 1115
V         

Á 1120
V         Le président
V         M. William Trudell (président, Conseil canadien des avocats de la défense)

Á 1125

Á 1130
V         Le président
V         M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne)
V         M. Patrick Healy

Á 1135
V         M. Vic Toews
V         M. William Trudell
V         M. Vic Toews
V         M. William Trudell
V         M. Vic Toews
V         M. William Trudell

Á 1140
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ)
V         M. William Trudell

Á 1145
V         M. Robert Lanctôt
V         M. Patrick Healy

Á 1150
V         Le président
V         M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD)
V         M. Patrick Healy
V         M. Bill Blaikie
V         M. Patrick Healy
V         M. Bill Blaikie
V         Le président
V         M. William Trudell
V         M. Bill Blaikie
V         M. Patrick Healy

Á 1155
V         Le président
V         M. William Trudell

 1200
V         Le président
V         M. John McKay (Scarborough-Est)
V         M. William Trudell

 1205
V         M. John McKay
V         M. Patrick Healy

 1210
V         Le président
V         M. Vic Toews
V         M. William Trudell
V         M. Patrick Healy

 1215
V         Le président
V         M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.)
V         Mme Clare Mochrie
V         M. William Trudell

 1220
V         M. Paul Harold Macklin
V         M. William Trudell
V         M. Paul Harold Macklin
V         M. Patrick Healy

 1225
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt
V         Le président
V         M. William Trudell

 1230
V         Le président
V         M. William Trudell
V         Le président
V         M. Patrick Healy
V         Le président
V         M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.)
V         M. William Trudell

 1235
V         Le président
V         M. Patrick Healy
V         Le président
V         M. William Trudell

 1240
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 091 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 28 mai 2002

[Enregistrement électronique]

Á  +(1100)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Bonjour. Welcome to all. Je déclare ouverte la 91e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, conformément à l'ordre de renvoi du 12 février 2002, sujet du projet de loi C-284, Loi modifiant le Code criminel (infractions commises par des personnes morales, administrateurs et dirigeants).

    Pour nous aider dans nos délibérations autour du projet de loi C-284, nous accueillons aujourd'hui, à titre individuel, le Pr Patrick Healy, professeur de droit à l'Université McGill, Mme Claire Mochrie, directrice de l'Aurora Institute et M. William Trudell, du Conseil canadien des avocats de la défense.

    J'aimerais rappeler à tous avant de débuter que le sujet de notre étude est, en fait, le sujet du projet de loi plutôt que le projet comme tel. Je crois qu'il est utile d'avoir le projet de loi comme point de repère, mais nous aimerions que tous reconnaissent, dans le contexte de nos discussions, que la façon dont nous traitons ce sujet nous laisse une vaste marge de manœuvre. Je dis cela parce qu'on en a fait mention à quelques reprises au cours des derniers jours.

    Ceci dit, je laisse maintenant la parole au professeur Healy.

+-

    M. Patrick Healy (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Permettez-moi, avant de commencer, de vous dire à quel point je suis heureux que le Comité m'ait réinvité aujourd'hui.

    Je comprends bien que c'est le sujet de ce projet de loi, soit la responsabilité criminelle des personnes morales, qui a été renvoyé pour examen général au Comité et non le projet de loi comme tel. Néanmoins, je crois que, comme ce projet couvre une série de questions qui ont été soulevées dans le passé à l'égard de la définition de la responsabilité criminelle des personnes morales, j'aimerais formuler quelques commentaires à propos du projet de loi en tant que tel, car il m'apparaît que, sous tous les angles, certaines idées que couvre ce projet de loi se retrouveront probablement à l'étude à l'occasion d'un autre examen.

    J'aimerais affirmer, toutefois, avant d'entamer l'étude du projet de loi comme tel, que le sujet de la responsabilité criminelle des personnes morales mérite à l'heure actuelle toute l'attention du Parlement. Jusqu'ici, ce dernier ne lui a pas accordé l'intérêt qu'il mérite. Je dis cela car, comme vous le savez, le seul argument qui nous permet de définir à grands traits la responsabilité criminelle des personnes morales nous vient de la common law, comme le montre le jugement de la Cour suprême, principalement dans l'affaire Canadian Dredge & Dock.

    Il existe d'autres affaires de droit législatif fédéral dans lesquelles la responsabilité criminelle est imputée aux dirigeants et administrateurs de sociétés, mais le fondement essentiel de la responsabilité criminelle des personnes morales nous est dicté par la common law. Compte tenu du sérieux de cette question, de son importance et de sa nature technique, je crois qu'il est temps que ce sujet soit aussi encadré par une législation.

    Quant au projet de loi comme tel, la responsabilité criminelle des personnes morales constitue un sujet ambitieux. Je crois néanmoins qu'il se prête dans sa forme actuelle à un examen critique. Je ne veux pas, toutefois, qu'on considère que je remette en question l'idée de tenter de créer un fondement juridique pour la responsabilité criminelle des personnes morales. Mes prochaines remarques ne serviront qu'à étudier la pertinence du traitement de la question.

    Essentiellement, je crois qu'on peut diviser le projet en deux parties. Primo, les articles proposés 467.3, 467.4 et, secundo, l'article 467.5. Ce dernier traite principalement de santé et sécurité au travail, tandis que les précédents abordent le sujet de la responsabilité criminelle des personnes morales sous un angle plus général.

    Je ne suis pas persuadé que le Parlement est en mesure de réglementer, du moins sur le plan provincial, toutes les variantes de la santé et sécurité au travail comme le présente actuellement l'article 467.5. Je ne fais que soulever cette question qui mérite votre attention: l'étendue des mesures que le Parlement peut prendre relativement à la santé et sécurité au travail par le truchement du droit criminel.

    Les articles 467.3 et 467.4, quant à eux, me laissent très perplexe. Ce sentiment est attribuable en partie au caractère relativement technique de certains points. J'ai d'autres raisons plus étoffées et, si vous me le permettez, je les aborderai l'une après l'autre.

    Notamment, les alinéas proposés 467.3(1)a) et 467.3(1)b) me semblent vagues. Je ne sais pas, par exemple, ce que signifierait renvoyer au «secteur d'activité de la personne morale». Je comprend pourquoi cette expression est utilisée dans ces deux alinéas, mais je ne suis toujours pas convaincu qu'elles soient assez précises.

    En deuxième lieu, j'aimerais souligner que la version anglaise du texte de projet de loi contient l'expression where it is shown  (lorsqu'il est montré). Je ne crois pas que cette expression reflète bien l'intention du texte. On doit y préférer l'expression where it is proved (lorsqu'il est prouvé).

    On ne doit pas oublier non plus ce qu'on appelle la «présomption d'innocence» en droit criminel canadien. Ainsi, toute personne accusée, y compris une personne morale, a droit à cette présomption. Par conséquent, si le texte de loi anglais doit contenir une telle expression, comme le paragraphe 467.3(2) renferme, en début de phrase, l'expression where it is shown—car cette phrase, contenue dans la partie accusatoire du projet de loi, se termine par the corporation is guilty (la personne morale est reconnue coupable)—alors il ne s'agit pas simplement de démontrer qu'il s'agit d'une question de preuve au-delà de tout doute raisonnable.

Á  +-(1105)  

    En troisième lieu, j'aimerais parler de l'alinéa 467.3(2), qui constitue l'essentiel de ce projet de loi. Si on le combine à l'article 467.4, on crée une sorte de hiérarchie de la responsabilité. J'aimerais attirer l'attention du Comité sur deux ou trois points.

    Supposons d'abord que le recours possible à de telles dispositions procède du fait que nous ne pouvons identifier clairement aucune personne physique—peut-être en aurions-nous une, mais cette hypothèse va au-delà de l'identification d'une personne qui pourrait être soupçonnée d'avoir commis une infraction criminelle—l'alinéa 467.3(2), sous-alinéas (a) à (d), donne lieu à d'autres arguments pour la responsabilité criminelle des personnes morales. En d'autres termes, s'il est reconnu qu'un acte ou une omission a été commis au nom d'une personne morale, cette décision est conforme aux sous-alinéas (a) à (d). La preuve de responsabilité criminelle est donc établie pour la personne morale.

    On peut soulever un point général—point sur lequel vous nous poserez certainement des questions—soit si chaque argument appuyant la responsabilité criminelle dans les sous-alinéas (a) à (d) sont d'égale gravité, d'égale culpabilité. Selon moi, incidemment, bien que j'étofferai ce point en répondant aux questions, je ne crois pas qu'ils soient d'égale gravité. D'une façon ou d'une autre, voilà l'argument principal de la responsabilité criminelle: lorsque la preuve est faite des premiers mots de l'alinéa 467.3(2) et des sous-alinéas (a) à (d).

    Alors, même si vous croyez détenir la preuve de la responsabilité criminelle d'une personne morale selon l'un de ces arguments, l'article 467.4 indiquerait que la responsabilité pourrait être imputée aussi aux dirigeants et administrateurs, ce qui signifierait que, au sommet de la hiérarchie, les administrateurs et dirigeants seront tenus responsables et exposés aux mêmes sanctions, en tant que personne morale dont il est prouvé qu'elle a commis un infraction dont elle est pleinement responsable.

    Il s'agit d'une mesure absolue dont je comprends le but. Néanmoins, elle est de nature généralisatrice et je crois qu'il y a un risque—M. Trudell le soulignera très certainement—que sa constitutionnalité soit contestée parce que l'argument de culpabilité, du moins en ce qui concerne les dirigeants et administrateurs, n'a pas le même poids et le même degré de culpabilité qu'une infraction commise par une personne physique.

    Je suis d'avis que, si l'on considère la possibilité, aussi faible qu'elle soit, qu'une personne morale ou un de ses administrateurs ou dirigeants soit accusé d'un meurtre ou d'un vol en vertu d'une telle condition, il est hautement improbable qu'un telle mesure soit constitutionnelle.

    Dans le texte du projet de loi, on parle de culture d'entreprise, ce qui m'amène à formuler quelques remarques. D'abord, ce texte ne parle nullement des problèmes précis en matière de preuve que soulève la responsabilité criminelle des personnes morales. Je ne crois pas que le Parlement pourrait s'appuyer sur une notion de culture d'entreprise pour argumenter sur la responsabilité des personnes morales, sans mécanisme probatoire qui permettait la divulgation obligatoire d'information qui étayerait la preuve de ce qu'est réellement cette culture d'entreprise. Si tel est le cas, je crois qu'il sera extrêmement difficile pour les conditions relatives à la responsabilité criminelle des personnes morales d'exister parallèlement avec la responsabilité des administrateurs et dirigeants.

Á  +-(1110)  

    Respectant, monsieur le président, votre volonté de limiter nos interventions à dix minutes, j'aimerais finalement affirmer que la législation en place ne définit pas ce qui constitue une personne morale. L'article 2 du Code criminel en donne une définition partielle, loin d'être complète. Couvre-t-elle, par exemple, les partenariats? Couvre-t-elle toutes les définitions d'une personne morale tant dans les lois civiles des provinces de common law qu'au Québec? Le Parlement, à mon avis, ne serait pas en mesure d'adopter une loi sur la responsabilité criminelle des personnes morales sans définition exhaustive des entités juridiques visées par une telle loi.

    Je crois qu'ici prennent fin les dix minutes qui m'ont été accordées, monsieur le président, mais je répondrai avec plaisir aux questions qui me seront posées afin de développer mon point de vue.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Madame Mochrie.

+-

    Mme Clare Mochrie (directrice, Institut Aurora): Bonjour. Au nom de l'Aurora Institute, je désire remercier le Comité de l'occasion qu'il nous donne de contribuer à la discussion sur le projet de loi C-284 et d'avoir prolongé le temps accordé à l'audition des témoins.

    L'Aurora Institute est un organisme national non partisan sans but lucratif établi dans le but de fournir des recherches accessibles et de l'information publique sur sa structure et sur son rôle ainsi que de favoriser les moyens substitutifs en réaction à la tendance croissante de la société à s'en remettre aux marchés.

    J'aimerais commencer mon exposé en réitérant l'appui de l'Aurora Institute envers le projet de loi C-284. Il y a plus de dix ans qu'a eu lieu la tragédie de la mine Westray et depuis, des milliers d'accidents se sont produits sur les lieux de travail, aussi est-il essentiel que nous abordions avec sérieux, en tant que société, la question de la responsabilité de nos institutions et de leurs représentants quant aux comportements d'entreprise qui se traduisent par des préjudices aux travailleurs, à leur famille et à leur collectivité. L'introduction de normes de responsabilité criminelle de l'entreprise est déjà très en retard au Canada, car il s'agit là d'une étape majeure vers la prévention d'accidents comparables.

    Nos commentaires visent donc à encourager, et non à retarder, les progrès du projet de loi C-284. Le Comité a déjà entendu des témoignages détaillés sur les questions juridiques et d'éthique que touche le projet de loi. Nous désirons donc tirer parti de l'occasion qui nous est donnée pour adopter une approche légèrement différente. Je prendrai d'abord pour base les vastes questions soulevées par le projet de loi, puis je me concentrerai sur leur application relativement à ses dispositions, à sa portée et à son applicabilité.

    Au premier niveau, le projet de loi C-284 a pour objet d'aborder la tendance des entreprises à se comporter d'une façon telle que la santé et la sécurité de leurs employés s'en trouvent mises en péril. Le concept de responsabilité criminelle des entreprises vise à inspirer à la direction des entreprises plus de souci de ses employés et à favoriser une culture sociétale faisant une priorité de la santé et de la sécurité au travail. À ce titre, comme l'ont indiqué plusieurs témoins avant moi, le projet de loi C-284 peut ne pas suffire, à lui seul, à prévenir des accidents comme celui de Westray. Aurora appuie les déclarations déjà faites, soulignant l'importance d'une réglementation concomitante adéquate en santé et sécurité et le besoin de mesures d'application suffisantes.

    D'autre part, nous désirons insister sur le besoin de poser la question plus large de ce qui permet aux entreprises de faire fi de la sécurité des employés certains diront même de ce qui les y encourage. Cette question nous amène à examiner le fonctionnement des entreprises et les composantes juridiques de base qui définissent la structure d'entreprise.

    Les entreprises sont des institutions créées par la loi. Les lois détaillent les droits, les pouvoirs et les responsabilités des entreprises et celles-ci, en retour, inspirent les buts, les règles et l'objet qui composent leur culture interne. La culture d'entreprise, donc, qu'aborde à bon droit le présent projet de loi, est nécessairement une fonction de la structure d'entreprise telle que la crée la loi et, à moins d'aborder la question de cette structure, le type de culture d'entreprise qui régit la sécurité des employés posera toujours problème.

    Il y a différents aspects de la culture d'entreprise qui ont le pouvoir d'inspirer le type d'attitude que le projet de loi C-284 vise à faire disparaître. L'Aurora Institute discerne neuf principes juridiques, qu'il nomme «composantes de base», essentiels à la compréhension de la façon dont les entreprises fonctionnent. Je parlerai ici de cinq d'entre eux et je dirigerai l'attention du Comité vers notre guide intitulé The Corporation: Inside and Out, où il trouvera l'étude des principes restants.

    L'objectif premier, l'objectif primordial de l'entreprise, est celui de la maximisation du profit, soit le fait que les entreprises existent essentiellement en tant qu'institutions économiques et qu'il en a toujours été ainsi. Les administrateurs sont légalement tenus d'agir dans l'intérêt de l'entreprise et, selon l'interprétation qu'ont faite de cette disposition les tribunaux, ils doivent toujours chercher à maximiser les bénéfices réalisés par les actionnaires.

    La responsabilité limitée est une autre facette clé qui influe sur la façon dont les entreprises fonctionnent, dans la mesure où elle signifie que les actionnaires peuvent tirer des bénéfices illimités des activités de l'entreprise mais ne sont responsables que de la somme qu'ils y investissent. Même dans l'entreprise privée, dont les dirigeants sont souvent les actionnaires, ce principe garantit que les personnes, en leur qualité d'actionnaires, sont à l'abri des conséquences des fautes de l'entreprise.

    Le troisième principe, dont ont également parlé d'autres témoins avant moi, est celui de la personnalité morale. M. Blaikie a souligné avec beaucoup d'à-propos, pendant une session antérieure, que «... les entreprises semblent jouir de toute la liberté des personnes [...] en ce qui a trait à l'économie, mais n'ont aucune des responsabilités des personnes quand il est question des conséquences de leurs gestes». S'il existe un tel paradoxe, c'est largement par suite du principe de la personnalité morale et du fait que, lorsqu'une entreprise agit mal, le tribunal ne cherche au-delà de sa façade pour tenir ses propriétaires et administrateurs personnellement responsables de ses agissements.

    Quatrièmement, la séparation entre les propriétaires et les employés a créé des conflits entre les intérêts de la direction et de l'effectif.

    Et finalement, la capacité des entreprises d'en posséder d'autres leur permet, par le biais de la personnalité morale et de la responsabilité limitée, de se protéger de la responsabilité des agissements de leurs filiales.

    Ces cinq principes ont tous fait l'objet d'interventions indirectes devant le présent Comité en ce qui a trait au projet de loi C-284. Il n'a pas encore été reconnu, toutefois, qu'il s'agit des principes juridiques qui produisent le type de culture d'entreprise permettant les décisions téméraires de la direction qui tracent le chemin prévisible de catastrophes comme celle de Westray.

    À ce titre, en plus des mesures réglementaires de santé et de sécurité et de leur application, nous désirons amener le Comité à discerner le besoin de modifications réglementaires parallèles des règles et contraintes de fonctionnement des entreprises.

Á  +-(1115)  

    Plus précisément, nous recommandons des règlements aptes à favoriser l'intervention de la «comptabilité à résultats triples» dans les coûts et avantages sociaux et environnementaux des affaires. De même, nous voyons le besoin de règlements faisant passer le concept des employés en tant qu'éléments de coûts à celui des employés en tant qu'actifs.

+-

    Il faut aussi des règlements qui étendront la portée de ce dont les administrateurs peuvent tenir compte dans leur processus décisionnel afin de leur permettre de donner à la santé et à la sécurité des employés la considération qui leur est due et qui doit l'emporter sur le besoin de maximiser les bénéfices des actionnaires

    Les présentes recommandations visent à aborder les principes de la structure d'entreprise et, par là, à renforcer l'effet du projet de loi C-284 par le biais de la réglementation. Un certain nombre de points connexes portent sur le projet de loi même.

    D'abord et avant tout, l'examen de la structure de l'entreprise moderne confirme l'importance d'une approche de culture interne dans l'étude de la responsabilité criminelle. En présence de la maximisation du profit, de la division entre la direction et la main-d'œuvre et du principe de personnalité morale, il faut à la loi un moyen d'aborder la relation entre les gestes des gens au sein de l'entreprise et ceux de l'entreprise dans son ensemble.

    Le projet de loi sur la responsabilité criminelle (décès et blessures graves au travail) mentionné à maintes reprises devant le présent Comité, qui en est à sa seconde lecture devant le parlement de Victoria (Australie), pousse encore plus loin le concept de la culture d'entreprise et du lien présumé entre l'employé et l'entreprise.

    L'alinéa 14A(2) du projet de loi australien semble suggérer que les gestes coupables posés par tout employé de l'entreprise impliquent automatiquement l'ensemble de celle-ci. Je cite:

...la conduite des employés, représentants et cadres supérieurs d'une personne morale agissant dans le cadre de leur emploi [...] ou dans les limites de leurs pouvoirs réels, doit être attribuée à la personne morale.

C'est nous qui soulignons «doit être attribuée».

    Au strict minimum, l'interprétation australienne de la culture d'entreprise appuie cet élément du projet de loi C-284. Elle soulève également la question de savoir qui devrait et ne devrait pas être inclus à la définition de la culture d'entreprise. Le Comité a déjà étudié cette question, dans une certaine mesure, au chapitre des syndicats et des entrepreneurs indépendants. Toutefois, pour aborder la chaîne de non-responsabilité créée par la capacité des entreprises d'en posséder d'autres, nous distinguons le besoin d'étendre la culture d'entreprise afin d'y inclure les sociétés mères.

    Comme nous le disions plus haut, la responsabilité limitée et la personnalité morale protègent la société mère de la responsabilité des agissements de ses filiales. Ce point revêt une importance critique du fait que les ressources et le pouvoir décisionnel principaux de l'entreprise sont souvent détenus par l'entité mère.

    Cet aspect est abordé dans les lois canadiennes et américaines (en ce qui a trait, par exemple, à la contamination des sites) via l'application du principe de la responsabilité de l'entreprise. En vertu de ce concept, les groupes de sociétés, et non chaque filiale, sont reconnus comme une seule unité aux yeux de la loi et, par conséquent, les sociétés mères sont impliquées dans les fautes de leurs filiales. Un tel élargissement de la responsabilité constitue une mesure préventive qui encourage les sociétés mères à s'engager davantage dans les activités de leurs filiales et à mieux les superviser. À ce titre, nous prétendons que cette norme de responsabilité est nécessaire dans les situations où la santé et la sécurité des travailleurs sont en jeu.

    Nous désirons, en terminant, souligner une faiblesse de la section des sanctions du projet de loi actuel. Dans plusieurs séances antérieures, le Comité a parlé de l'importance des mesures législatives au sens de leur pouvoir d'influer réellement sur la façon dont sont menées les affaires et sur le développement de la culture d'entreprise. À ce chapitre, nous désirons attirer l'attention sur le fait qu'à l'heure actuelle, rien dans le projet de loi n'empêche les administrateurs ou les cadres supérieurs d'une entreprise jugée coupable d'avoir autorisé la commission d'une infraction de se joindre par la suite à d'autres conseils d'administration.

    J'ai la certitude que les amis et les familles des victimes de Westray seraient aussi troublés que je l'ai été d'apprendre que les dirigeants de Curragh Inc. sont actifs à l'heure qu'il est au sein d'une nouvelle société à dénomination numérique et qu'ils conserveraient la latitude d'agir à ce titre s'ils étaient reconnus coupables en vertu des dispositions du Code criminel, selon la rédaction actuelle du projet de loi C-284.

    Il s'agit là, en partie, d'une faiblesse du projet de loi. Cependant, à l'image des autres points soulevés, ses racines se trouvent également dans le droit des affaires, qui n'interdit pas à des criminels reconnus coupables d'administrer des sociétés. Que cela se fasse au moyen de modifications au projet de loi C-284 ou à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, qui régit les entreprises, nous croyons que ce point doit manifestement être abordé.

    En conclusion, Aurora désire réitérer l'impératif du projet de loi C-284. Reconnaissant que le droit pénal n'est pas l'unique véhicule permettant d'aborder la latitude dont jouissent les sociétés de n'avoir cure du bien-être de leurs employés, le droit pénal, qui n'est pas lié au droit civil, a certaines qualités et entraîne des stigmates tels qu'il peut devenir un agent puissant et approprié de règlement du présent problème.

    Merci encore de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous.

Á  +-(1120)  

+-

    Le président: Merci beaucoup

    Monsieur Trudell.

+-

    M. William Trudell (président, Conseil canadien des avocats de la défense): Merci, monsieur le président et membres du Comité. Au nom du Conseil canadien des avocats de la défense, je vous remercie de m'avoir invité à la table aujourd'hui.

    Je suis également heureux d'entendre que le projet de loi aborde dans une perspective plus grande la responsabilité des personnes morales. Nous avons jugé bon de vous soumettre bientôt un premier document écrit, rédigé par des intervenants partout au pays, portant sur ces points.

    La nuit dernière, j'ai rêvé que...

    Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible]

    M. William Trudell: ...non, comme le dit mon fils de cinq ans, c'est un jeu de lumière et non un cauchemar...

    ...j'ai rêvé que je me présentais à vous, que le projet de loi avait déjà été adopté et que je courais vers un téléphone afin d'appeler certaines de mes connaissances, administrateurs de sociétés, afin de les aviser de démissionner sur-le-champ avant qu'on me dénonce au Barreau.

    À dire vrai, voilà le type d'inquiétude profonde et justifiée que soulèvent certains aspects de ce projet de loi. Mais, laissez-moi brièvement exposer notre opinion.

    Il ne fait aucun doute dans mon esprit que ce projet de loi s'inscrit dans le sillage de l'affaire Westray et que, de bon droit, vous étudiez l'ensemble de la question. Mais permettez-moi d'affirmer qu'il existe une autre culture selon laquelle les grosses légumes s'en tirent toujours. Comment peut-on les inculper?

    Je ne crois pas que ce soit juste, car Westray est un cas particulier. La tragédie ne s'en trouve pas minimisée, mais il est possible que la poursuite contre Westray se soit terminée autrement si elle n'avait pas connu de problèmes au cours du processus.

    Avec tout le respect que je lui dois, je suis en désaccord avec le Pr Healy lorsqu'il suggère que nous devons étudier l'élargissement de la responsabilité criminelle des personnes morales en matière de droit criminel. L'affaire Canadian Dredge & Dock, que je ne prétends pas connaître à fond mais que j'ai pu encore étudier hier soir, étend la définition de l'« âme dirigeante » au conseil d'administration, au directeur général, au directeur, au gérant ou à quiconque auquel est délégué l'autorité directrice par la société. Cette définition est donc large. À mon humble avis, elle est évolutive et peut justifier la recherche d'une âme dirigeante étendue.

    Alors pourquoi devons-nous changer la loi à l'égard de la responsabilité criminelle des personnes morales? Selon moi, il n'existe aucune raison de le faire.

    Ces situations surviennent parfois, et vous consacrez beaucoup d'efforts à ces projets de loi. Certaines se produisent en réaction aux désastres et ce n'est pas de cette manière qu'on doit étudier les changements qui peuvent ou peuvent ne pas être nécessaires dans des principes de base du droit criminel.

    Évidemment, je me soucie du fait que ce projet de loi impute la responsabilité ailleurs. En d'autres termes, une fois un fait établi, il revient à la société de montrer qu'elle est innocente, de facto. Cela remet grandement en question les principes de base du droit criminel.

    Fondamentalement, ce projet de loi est également trop expansif et trop vague en s'appliquant également, par exemple, à un entrepreneur indépendant qui commet un geste dont la société est ensuite responsable.

    Ce projet de loi porte sur la sécurité au travail. Les derniers articles en témoignent clairement. Mais les premiers n'aident en rien, ne traitent pas de ce sujet et ne jettent aucune nouvelle lumière sur la sécurité au travail.

    Selon moi, la notion de culture d'entreprise revient périodiquement dans ce projet de loi. Dans l'article très pertinent de Mme Anne-Marie Boisvert, de l'Université McGill, ce thème sert de toile de fond. Mais, à mon humble avis, on aborde ici des questions de politique sociale.

Á  +-(1125)  

    À moins que nous puissions démontrer notre incapacité à poursuivre des sociétés selon les règles, ou que la loi présente des lacunes—et non les désastres qui surviennent—je crois, à mon humble avis, que ce projet de loi ne doit pas être amendé.

    Nous définissons la culture d'entreprise en ce qu'elle est: la culture d'une entreprise. C'est un sujet que nous connaissons. Je soumettrais avec respect qu'il n'est pas difficile de faire avancer cette affaire en faisant appel à des agences de détectives pour chercher à savoir si, au sommet de la pyramide hiérarchique, il y eu insouciance ou négligence. À la fin, il s'agit de négligence. C'est d'omission volontaire dont vous parlez. Avec le respect que je vous dois, la loi est assez étoffée pour traiter ces questions

    Il se peut très bien qu'une nouvelle loi soit nécessaire pour régir la sécurité au travail. Le cas échéant, considérons cela comme vrai, mais n'affirmons pas que ces désastres ne nous permettent pas, paraît-il, d'appréhender les personnes responsables; par conséquent, nous allons amender la loi. À mon humble avis, cela est très dangereux. Je vous demanderais de continuer à étudier cette question, et de séparer les décisions nécessaires de ce qui peut être une réaction à de terribles événements.

    Je vous remercie.

Á  +-(1130)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Je vais laisser la parole à M. Toews pour les sept prochaines minutes.

+-

    M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne): Merci beaucoup pour vos commentaires et présentations.

    Je partage également une partie de l'opinion de M. Trudell au sujet de la portée de la loi et de sa constitutionnalité. Ce serait très mal servir les intérêts des survivants de Westray, et de leurs familles, si nous devions simplement adopter une loi en réaction à la situation sans s'assurer de la constitutionnalité de ses principes. À mon avis, les conseils que vous avez fournis sont très importants à cet égard.

    Je m'intéresse particulièrement à certains commentaires formulés par M. Healy, que vous avez à peine abordés. Je crois que nous devons en réétudier quelques-uns, sans lien direct avec la question de la Charte et de cet aspect de la constitution. Mais j'ai noté vos commentaires en ce qui concerne la portée du projet de loi et des compétences provinciales.

    De plus en plus, nous voyons les cours privilégier les compétences du gouvernement fédéral en matière de droit criminel. Peut-être en revenons-nous au point d'origine: chaque fois que le gouvernement fédéral ou le Parlement fédéral décrète qu'une activité est criminelle, il peut adopter une loi et criminaliser cette activité. Je sais qu'il existe certaines exceptions à cette règle, mais je m'intéresse particulièrement à vos commentaires sur les compétences provinciales en matière de santé et sécurité au travail. Pourquoi le Parlement fédéral ne pourrait-il pas simplement déclarer qu'une telle activité est criminelle, qu'il en relève ou non des compétences provinciales habituelles en matière de santé et sécurité au travail? Je m'inquiète du fait que nous puissions faire de même à titre de Parlement fédéral, étant donné notre système fédéral. Mais pourquoi le Parlement n'a-t-il pas pu procéder ainsi à la lumière de certains commentaires formulés dans le cadre de l'affaire de l'enregistrement des armes à feu, par exemple?

+-

    M. Patrick Healy: Il ne s'agit pas simplement du litige récent sur les armes à feu. Le litige lié à la Loi réglementant les produits du tabac a donné lieu à quelques rapports très généraux au sujet de l'étendue du droit criminel.

    À l'heure actuelle, je n'ai pas accordé à cette question toute l'attention qu'il aurait fallu pour répondre de façon éclairée à votre question. Je dirais toutefois qu'il est probable que le Parlement pourrait s'aventurer dans le domaine de la santé et sécurité au travail, par le truchement du droit criminel, jusqu'à un certain point. À quel point exactement, je ne suis pas en mesure de vous le dire actuellement. Je n'y pas suffisamment réfléchi.

    Je crois qu'il y a deux volets à aborder. Le premier traite du recours au droit criminel pour régir les accidents en matière de santé et sécurité au travail, dans le cadre du droit fédéral du travail. Cela est possible. Je crois que ce domaine s'y prête bien. À quel point cela empiéterait sur les compétences habituelles des provinces... Je ne doute pas que la Cour suprême a élargi la notion des compétences du Parlement en matière de droit criminel, mais je ne sais pas si cela serait aussi poussé que ce que propose l'articule 467.5. La seule raison pour laquelle je mentionne cela aujourd'hui, c'est que cette question mérite notre attention toute particulière.

Á  +-(1135)  

+-

    M. Vic Toews: Ce qui m'inquiète, c'est que dans notre souci de vouloir combler le vide perçu dans la réglementation appropriée en matière de santé et sécurité au travail--par l'entremise du droit criminel--nous brisons l'équilibre avec les compétences provinciales en veillant à ce qu'elle prévoit elle aussi l'emploi d'inspecteurs et l'instauration de règlements. Je crois que ce n'est pas seulement le cas de la Loi réglementation les produits du tabac, mais également celui des lois sur l'environnement, où nous voyons une expansion toujours croissante des compétences fédérales. Je crois parfois que les autorités locales doivent conserver ces compétences. Cela me préoccupe.

    Je me demande si d'autres témoins aimeraient exprimer leur opinion, sur ce point notamment, afin que nous puissions noter leur point de vue sur l'élargissement des compétences fédérales par le truchement juridique.

+-

    M. William Trudell: Je ne crois pas qu'il y ait un vide à combler. Selon moi, en appliquant correctement les lois actuelles, qu'elles soient provinciales ou fédérales, nous réglerons le problème de la santé et sécurité au travail.

    Je ne crois pas que nous devions étudier réellement la structure organisationnelle dans son ensemble. Nous devons par contre examiner les outils à notre disposition par rapport à l'application.

    Ainsi, monsieur Toews, je ne perçois aucun vide. Je ne saurais dire où il se trouve.

+-

    M. Vic Toews: Le droit criminel n'est-il pas un outil tout à fait inadéquat? Et n'est-il pas vrai que les critiques concernant l'accusation dans le cas Westray ne découlaient pas de la négligence de quelque personne au service de l'accusation mais plutôt du fait qu'il y ait nécessairement dans notre droit criminel des mesures de protection?

    Peut-être qu'il existe d'autres moyens d'assurer l'imputabilité d'une personne morale sans emprunter cette voie.

+-

    M. William Trudell: Le projet de loi contient des mots comme «devrait être au courant», mots qui sont tout à fait étrangers en matière d'imputation de responsabilité.

    Je m'excuse de ce que je fais, mais si nous pouvions faire abstraction de Westray pour un petit moment et parler d'une petite entreprise... Il n'est pas question, en l'occurrence, uniquement de désastres mais également de fraude d'entreprise, de courtiers en valeurs mobilières, de municipalités et de toute la communauté corporative. Si nous réfléchissons en termes d'exécution et de sécurité environnementale en milieu de travail pour éviter les catastrophes, c'est une autre chose.

    Je crois que nous devons voir s'il y a ou non un vide. D'abord et avant tout, nous devons examiner l'effet de dominos ou ce que nous faisons d'autre en termes de criminalisation potentielle des gens qui, par exemple, consacrent du temps à assumer des fonctions d'administrateurs.

    Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. C'est l'essence de la responsabilité criminelle...un cerveau qui est dirigé vers l'événement et l'événement même, ou l'imprudence, ou l'aveuglement volontaire. C'est couvert.

+-

    M. Vic Toews: Je crois qu'il est capital que nous n'imputions pas de responsabilité criminelle aux gens qui n'ont pas eu l'intention criminelle requise. Il y a des questions qui doivent être examinées dans le contexte du droit criminel. Mais je crois qu'il faut préserver le principe d'intention criminelle qui est nécessaire à la poursuite au criminel.

+-

    M. William Trudell: Lorsque vous mentionnez la responsabilité des administrateurs et des dirigeants et qu'on parle de prison pour avoir toléré des conditions de travail dangereuses ayant entraîné la mort, puis-je seulement vous dire—à titre d'avocat de la défense—qu'il s'agit là d'une déclaration provocante destinée à attirer notre attention. Mais, de toute évidence, cela contredit tout ce que nous savons du concept de la présomption d'innocence.

    Il y a d'autres moyens de transmettre le message sur la responsabilité d'une personne morale.

Á  +-(1140)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Lanctôt, vous avez sept minutes.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ): Merci.

    Je ne parlerai pas encore une fois des problèmes de compétence que cela peut soulever, mais nous avons une inquiétude énorme à cet égard. C'est quelque chose qui agace beaucoup le Bloc québécois. Tout va dépendre de la façon dont ce projet de loi sera rédigé. Actuellement, on n'étudie pas la façon dont est rédigé le projet de loi; on parle du principe de ce projet de loi. Pour nous, la façon dont il sera rédigé a une importance énorme. Au point de vue de la Constitution, c'est vraiment le gros problème que je vois à un tel projet de loi.

    On a entendu des témoins et on connaît l'histoire de Westray, mais on connaît aussi plusieurs autres histoires. J'aimerais reprendre ce que M. Trudell a dit. Si les lois actuelles sont correctes, on a sûrement un énorme problème de ressources ou d'application de ces lois, parce que ces travailleurs doivent être protégés et ne le sont pas présentement.

    Toutes les histoires horribles qu'on entend depuis le début sont incroyables. Est-ce attribuable à un manque de ressources? Est-ce attribuable à une mauvaise application de la loi? Est-ce que les inspecteurs ont des problèmes personnels? Est-ce qu'on doit même aller au-delà de cela? Et c'est là qu'arrive le problème constitutionnel. Est-ce qu'on doit encore une fois utiliser le Code criminel pour régler un problème?

    Est-ce qu'une bonne application des lois existantes sur la santé et la sécurité au travail, qui sont des lois provinciales, ainsi que des ressources suffisantes permettraient d'éviter les problèmes qui nous ont été soumis lors des témoignages? Est-ce que le problème est à ce niveau, ou si on doit vraiment modifier le Code criminel?

[Traduction]

+-

    M. William Trudell: Je crois qu'il y a ici deux points que je voudrais commenter. Premièrement, je pense qu'il y a un problème d'exécution, au vu de ce qui se passe. Deuxièmement, pourquoi devrions-nous modifier le code criminel? Le Code criminel prévoit la négligence criminelle.

    Il n`y a pas de doute que si quelqu'un agissait de façon criminellement négligente au nom d'une société, celle-ci également pourrait être inculpée. La question devient alors celle de savoir si la Couronne peut ou non prouver qu'il y a une certaine mesure de négligence établissant la négligence criminelle en vertu du Code criminel. Le Code n'est pas muet. Il semble que le problème soit que nous ne puissions pas... Vous dites que les travailleurs doivent être protégés et qu'il ne semble pas qu'ils le soient. Je vous dirais qu'au cours des dernières années, tous les désastres sont survenus parce qu'on n'avait pas fait respecter ce qui existe déjà.

    Walkerton me vient à l'esprit, vu que j'y ai passé un certain temps. Elle représente un échec de l'utilisation des lois. Je pourrais ajouter, quelque peu délicatement: nous parlons de culture d'entreprise, il y avait une culture du gouvernement progressiste-conservateur qui voulait qu'il faille effectuer des compressions et nous retirer de la réglementation...ou de la mise en application et que la conformité soit volontaire. Il y a eu une tendance à la privatisation. Sans vouloir blâmer personne, cela a été divulgué grâce au travail de la commission. Le recours à l'assignation de témoins a permis de déceler, sans difficulté, s'il y avait une culture qui ordonnait les choses.

    Je crois que les outils sont disponibles. Walkerton a démontré qu'ils n'avaient pas été mis en place ou utilisés. Nous avons également découvert qu'il y avait une culture, qui a peut-être mené à la tragédie. Vous êtes tous au courant des différentes couches. Il n'a pas été difficile de la trouver. Ça c'est le gouvernement. Respectueusement, il se peut qu'il y ait des gens qui disent qu'il y a une culture d'entreprise en Colombie-Britannique, s'il arrivait une tragédie, ce ne serait pas difficile à déceler, si quelqu'un disait ensuite que c'est de la faute des politiques en voie de mise en place.

    Pour tenter de répondre à votre question, je dis respectueusement qu'elle a deux volets. Les structures sont là. Elles doivent être observées et financées. L'infrastructure doit être renforcée, plutôt que réduite. Nous devons ensuite examiner les dispositions que renferme le Code criminel et autres lois qui deviennent plus sévères concernant les problèmes environnementaux, etc., à travers les provinces.

    Je crois que cela pourrait résoudre le problème.

Á  +-(1145)  

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: Monsieur Healy, vous nous avez parlé du problème de la culture organisationnelle. Dans le projet de loi, on ne parle pas de la façon dont on peut faire la preuve de cela. Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour mettre cela dans le projet de loi? Comment pourrait-on l'améliorer de manière à ce qu'on ait les outils nécessaires pour faire cette preuve?

[Traduction]

+-

    M. Patrick Healy: Il me faudra une ou deux minutes pour élaborer la réponse à cette question.

    J'ai dit dans mes précédentes observations que si le Parlement devait adopter un critère de responsabilité fondé sur la culture d'entreprise, il faudrait qu'il s'accompagne d'une méthode d'obtention de l'information sur la nature de la culture.

    On dispose de la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur la concurrence qui permettent la production obligatoire d'information documentaire, de renseignements de toutes sortes. Ces dispositions sont sources de problèmes à bien des égards, mais à mon avis, il serait impossible d'adopter un critère de culture d'entreprise en matière de responsabilité criminelle en l'absence de telles dispositions.

    Ainsi, en vous donnant cette réponse, je vous dis entre autres choses que les mécanismes de preuve devraient être liés au critère de responsabilité même, et je pourrais faire des observations sur ledit critère.

    Pour le moment, nous utilisons le critère de l'affaire Canadian Dredge & Dock, à laquelle M. Trudell a fait référence et dont j'ai parlé précédemment, et qui est connu en tant que «doctrine de l'identification». On doit pouvoir être en mesure d'identifier une personne physique agissant au nom de, ou pour, une personne morale, en même temps que les preuves de tous les éléments requis de l'infraction—mens rea—quelles qu'elles soient; de la négligence dans certains cas.

    En ce qui concerne la doctrine de l'identification, je ne suis pas certain que M. Trudell et moi soyons vraiment en désaccord là-dessus, mais le critère de la doctrine de l'identification est étriqué dans le sens qu'il est nécessaire d'identifier cette personne physique qui peut être reconnue comme cerveau directeur, comme personne détenant un pouvoir et des responsabilités suffisants pour engager la responsabilité de la société.

    Il existe d'autres modèles, comme vous le savez. Il y a un modèle plus large qui se fonde sur la responsabilité subsidiaire ou sur des notions de responsabilité subsidiaire, qui a été adopté aux États-Unis et par lequel on ne doit pas nécessairement faire la preuve de tous les éléments de l'erreur chez une personne physique. Vient ensuite un critère encore plus large de responsabilité criminelle, celui de la culture de l'entreprise.

    Puis-je vous dire cela en réponse à votre question? Je sais qu'il s'agit d'un moyen détourné pour arriver au but—et ce n'est pas là une critique, croyez-moi, et la question de M. Toews soulève en réalité la même chose—mais ce projet de loi ne tient pas compte des différents degrés de gravité des infractions criminelles.

    L'homicide coupable n'est pas la même chose que la négligence dans le stockage de produits dangereux, n'est-ce pas? Ce projet de loi ne fait pas de distinction, sophistiquée ou grossière, entre les différents degrés de responsabilité criminelle. Elle ne fait pas de distinction entre la responsabilité criminelle, dans son acception la plus conventionnelle, et la responsabilité réglementaire, c'est-à-dire, le type de responsabilité criminelle qui affecterait des entreprises dans le cours normal des affaires.

    Je pense à certaines lois qui ont été adoptées par ce Parlement, comme la Loi sur les produits dangereux qui prévoit la responsabilité criminelle. On est loin de l'homicide coupable.

    Ainsi, lorsque ce projet de loi traite de la responsabilité criminelle d'une personne morale, il ne fait aucune distinction entre les types de responsabilité, soient-ils réglementaires ou criminels, ou entre différents types de responsabilité criminelle, et cela constitue à mes yeux son échec. Je parle d'échec parce qu'il serait plus convenant de disposer d'une gamme plus large de responsabilités criminelles pour les infractions moins graves et, parallèlement, une gamme plus étroite, peut-être même la doctrine de l'identification de Canadian Dredge & Dock, pour les infractions les plus graves. Je pense, par exemple, à l'homicide coupable.

Á  +-(1150)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Blaikie.

+-

    M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Monsieur le président, peut-être que je pourrais demander à M. Healy de poursuivre à partir de là, parce que j'avais l'intention de lui demander ce qui, selon lui, ne va pas avec le projet de loi, et l'impossibilité de l'appliquer à bien des égards. Par ailleurs, il a en quelque sorte commencé par préconiser l'action.

    Ainsi, à votre avis, comment peut-on faire exactement ce que vous voudriez que le comité fasse, mais qui, selon vous, ne peut l'être par le biais du présent projet de loi ? Que feriez-vous si vous étiez à notre place?

+-

    M. Patrick Healy: Eh bien, C'est pour cela que vous êtes élu.

+-

    M. Bill Blaikie: Non, c'est pour cela que vous êtes ici à titre de témoin, parce que vous êtes professeur de droit.

+-

    M. Patrick Healy: Cela donne un nouveau sens au terme responsabilité indirecte.

+-

    M. Bill Blaikie: Vous ne serez pas tenu responsable de ce que vous dites…

+-

    Le président: Monsieur Blaikie, nous établissons un scénario en vertu duquel M. Healy ne reviendrait pas.

+-

    M. William Trudell: Pourrais-je m'absenter une minute avant qu'il réponde à la question?

    Des voix: Oh, oh !

+-

    M. Bill Blaikie: Je ne pensais pas que ma question était si difficile.

+-

    M. Patrick Healy: Beaucoup de gens ont consacré beaucoup de temps à réfléchir à la responsabilité criminelle de l'entreprise, et différents modèles ont été proposés, comme vous le savez.

    Ce projet de loi indique...c'était comme si on avait tout mis dans le même panier. Je ne dis pas que toutes les idées avancées soient mauvaises mais il faudrait qu'elles soient peaufinées, si l'on veut pouvoir les adopter.

    Comme je l'ai dit tout à l'heure, peut-être que dans les cas d'infractions moins sérieuses, des infractions qualifiées de négligence, un critère plus large que celui que renferme Canadian Dredge & Dock serait adéquat, et peut-être que de se fonder sur la notion de responsabilité subsidiaire qui descend plus bas dans la hiérarchie de l'entreprise, sa structure, que ne peut le faire la doctrine de l'identification.

    Mais je suis convaincu—et je n'ai pas de doute que M.Trudell et moi sommes en accord sur ce point—que lorsqu'il est question d'infractions très graves, pas seulement d'homicide mais de fraudes de haut niveau et d'autres infractions commerciales, les tribunaux pourront difficilement trouver une validité constitutionnelle à une législation qui ne préserve pas la notion de faute individuelle, plutôt que celle d'une forme très diluée de faute collective. Je suis convaincu que, dans la mesure au moins où les tribunaux ont établi qu'il y avait des infractions exigeant qu'on fasse la preuve hors de tout doute raisonnable d'un élément de mens rea, par lequel j'entends un élément mental subjectif d'intention ou d'imprudence.

    Le type de dispositions proposées dans cette législation ne répondra pas aux exigences, là où les tribunaux ont déclaré qu'il s'agissait d'une exigence constitutionnelle.

    Il n'est pas possible de substituer, en vertu des normes du régime constitutionnel actuel, ces dispositions de responsabilité pour les autres dispositions—c'est à dire l'intention ou l'imprudence—sans soulever des difficultés constitutionnelles. C'est une observation que je fais concernant les infractions criminelles les plus sérieuses.

    Il se peut qu'il y ait d'autres choses en ce qui concerne les infractions les moins sérieuses, celles de négligence, le critère large de la responsabilité d'une personne morale peut s'appliquer. Mais il est certain que ce serait très difficile quand il s'agit des infractions les plus graves.

    Je voudrais dire quelque chose pour souligner cela—et M. Trudell l'a mentionnée—ce projet de loi prévoit une inversion du fardeau de la preuve concernant chaque allégation de responsabilité criminelle d'une personne morale, et il reviendrait à la défense de prouver son innocence.

    L'inversion du fardeau de la preuve qui forcerait les entités d'une personne morale à prouver leur innocence pour toutes les formes de responsabilité criminelle, constitue une mesure radicale et je ne doute pas qu'elle ferait l'objet de lourdes contestations constitutionnelles.

    Mais, Monsieur Blaikie, pour répondre à votre question, il faut tout d'abord qu'on se préoccupe des différences entre de vrais crimes, tel qu'on les définit, et des infractions de nature réglementaire. Il s'agit là d'une question des plus épineuses du droit criminel canadien. Celui-ci ne fait pas de distinction pratique entre la responsabilité réglementaire et la responsabilité criminelle, c'est pourtant là une question centrale en matière de responsabilité d'une personne morale.

    Également, les travaux futurs sur la question porteront sur la responsabilité criminelle et réglementaire des entreprises mais en outre sur les différents types de responsabilité criminelle étant donné que le modèle adopté devra tenir compte de la gravité de l'infraction.

    Il faudra, encore une fois, mettre en place des mécanismes de preuve conçus précisément pour traiter de responsabilité criminelle de la personne morale et, je dirais qu'il y a ici des problèmes concernant la politique d'accusation.

    En examinant la façon dont le projet de loi est conçu, l'article 467.4 prévoit essentiellement que si la preuve va au-delà du doute raisonnable en vertu de l'article 467.3 sur la responsabilité des personnes morales, il va de soi que les administrateurs et les dirigeants sont également responsables de l'infraction.

Á  +-(1155)  

    Je présume que cela devrait signifier qu'une inculpation accuse conjointement la personne morale et ces responsables. Je ne vois pas comment cela pourrait s'appliquer autrement. Même si cela pouvait convenir ainsi, il me semble qu'on pourrait très difficilement considérer ces personnes, les administrateurs et les dirigeants, comme étant dans la même situation juridique que la personne morale en vertu de ces mesures. Là aussi je dirais que, même si je comprends l'idée générale ici, le mécanisme actuel ne s'en acquitte pas.

    Monsieur Blaikie, je sais que vous allez dire que je ne réponds pas à la question. Comment pouvons-nous le faire? Comment avancer? Peut-être que M. Scott m'invitera une autre fois. Je n'ai pas vraiment réfléchi à la façon dont vous allez vous acquitter de votre tâche; en revanche, j'ai réfléchi à ce que dit jusqu'ici ce projet de loi . Invitez-moi une autre fois.

+-

    Le président: Monsieur Trudell.

+-

    M. William Trudell: Pour poursuivre dans la même veine, je dirais à M. Blaikie qu'au début, je n'avais pas du tout l'intention de dire des banalités, s'il n'y a pas ici de faute, il n'y aura pas d'administrateurs. À moins d'être en mesure de dire que les administrateurs et les dirigeants n'ont pas fait preuve de diligence raisonnable et que cela fait partie, de quelque manière, de la législation, la diligence raisonnable constitue un argument décisif de la défense.

    Qu'il s'agisse d'une grande ou d'une petite entreprise, les personnes morales sont importantes. Certaines sont nuisibles, mais les personnes morales sont importantes. On risque de voir les gens refuser d'assumer les fonctions d'administrateurs et de dirigeants. Les choses ne seront donc plus les mêmes.

    Je ne prétendrais jamais réfléchir aussi vite ou aussi bien que le professeur Healy, mais je ne m'inquiète pas plus d'une infraction plus grave que d'une infraction fondée sur la négligence, mais moins sérieuse. Ce qui pourrait être très sérieux dans le cas de la personne morale ABC, conglomérat de taille très importante, peut être aussi grave dans le cas de la personne morale C ou F, des entreprises de petite taille à l'autre extrémité de la gamme. Je ne pense pas que ce soit ce que disait le professeur Healy, mais je le dis parce que cela pose un problème.

    Si vous avez l'intention de légiférer cela, il sera nécessaire de tenir autant compte des défenses que de la notion voulant que quelque chose ait mal été et que tout le monde en soit responsable.

  +-(1200)  

+-

    Le président: John McKay.

+-

    M. John McKay (Scarborough-Est): Merci, Monsieur le président. Merci aux témoins.

    J'avais rédigé, au départ, deux questions qui dans une certaine mesure ont été couvertes par d'autres questions. Monsieur Trudell, vous avez adopté la position voulant que l'affaire Dredge & Dock constitue une réponse parfaite en common law à cette question. Ensuite, le professeur Healy a développé ces commentaires en disant que vous n'étiez pas, tout les deux, vraiment en désaccord, notamment que la doctrine de l'identification, d'une manière ou d'une autre, identifierait le responsable au sein de la personne morale.

    Par conséquent, la première question s'adresse à M. Trudell. Convenez-vous que le désaccord entre vous soit quelque peu atténué par le concept de la doctrine de l'identification?

    Ma deuxième question est adressée au professeur Healy. Lorsque vous développiez ce concept de la doctrine de l'identification, vous avez mentionné le fait d'identifier une personne en particulier. Vous avez ensuite dit quelque chose à propos du modèle américain. Je n'ai pas bien saisi la différence entre la doctrine américaine et la doctrine de l'identification que vous avez mentionnée dans l'affaire Dredge. Quelle est la différence entre cela et le modèle de culture d'entreprise que les Australiens semblent sur le point d'adopter?

    La sous-question à ce chapitre reste de savoir si nous sommes assujettis à des contraintes imposées par la Charte et par la Constitution que les Australiens n'ont pas et, si cela nous empêche d'adopter ce type de modèle de culture d'entreprise.

    Enfin, le vieil adage juridique dit que les faits viciés entraînent un droit vicié. Westray renfermait certainement beaucoup de faits viciés, et pourtant, le juge Richard a dit dans la recommandation 73 que:

...devrait déposer au Parlement du Canada lesdits amendements à la législation qui permettront d'assurer que les dirigeants et les administrateurs de sociétés soient tenus adéquatement responsables pour la sécurité dans le lieu de travail.

    J'ai noté ce que vous avez dit à propos de l'enquête sur Walkerton, que je connais un peu mieux que celle sur Westray, qu'il ne s'agissait pas d'un échec du droit mais plutôt d'un échec de l'accusation. Je me demande si cela s'applique à Westray, et si on devrait se recentrer sur les moyens de poursuite autant que sur le contenu du droit.

    Je comprends que ces questions puissent sembler hétéroclites, mais nous tournons en l'occurrence autour de questions ne se prêtant pas facilement aux réponses.

+-

    M. William Trudell: Je ne sais pas si l'Australie possède une charte protectrice comme la nôtre, je ne peux donc pas répondre à cette question.

    Permettez-moi de dire que le professeur Healy et moi sommes d'accords sur la question d'accoler le nom d'une personne à une faute. Nous cherchons tous les deux à savoir si oui ou non le critère de l'identification répond aux besoins en l'espèce, je crois que oui. Le professeur Healy a laissé entendre que peut-être cela ne suffisait pas et qu'il faudrait aller plus loin. J'ai trouvé utile la définition élargie dans l'affaire Canadian Dredge & Dock.

    Dans l'affaire Westray, le juge Richard a fait certains commentaires sur ses conclusions. Je dis respectueusement que ces commentaires doivent être pris dans le contexte d'une enquête et qu'ils devraient, selon moi, être distincts et examinés indépendamment, de l'accusation à Westray qui a éprouvé des problèmes en cours de route.

    Enfin, je conviens avec vous que nous avons eu des problèmes d'exécution à Walkerton et, peut-être, à Westray en ce qui concerne le processus d'inspection du gouvernement provincial.

    Je ne sais pas si cela répond à vos questions. Probablement pas.

  +-(1205)  

+-

    M. John McKay: Nous tournons en rond.

+-

    M. Patrick Healy: Si j'ai bien compris, la première partie de votre question me demandait d'éclaircir, ou du moins un peu, les différences qu'il y a entre ces différents critères. C'est juste?

    M. John McKay: Oui.

    M. Patrick Healy: J'essaierai de le faire simplement. Je ne crois pas que ce soit possible, mais je vais essayer.

    Dans le sens suivant, la doctrine de l'identification est plus étroite que la méthode américaine de responsabilité subsidiaire.

    Il faut y réfléchir ainsi. Une société renferme une diversité de gens, et je tiens compte du fait que des entreprises appartenant à une seule personne existent, mais laissons cela de côté pour le moment. Voilà ce que je voudrais dire. La doctrine de l'identification nous oblige à nous préoccuper du commandant, si vous permettez, alors que la méthode américaine de la responsabilité subsidiaire peut concerner un militaire du rang, pas nécessairement un major, un commandant ou même un simple soldat qui agit au nom de la personne morale, et cela suffit pour engager la responsabilité de la personne morale.

    Vous pouvez donc constater que la portée de la méthode américaine est plus large que celle de la doctrine de l'identification qui exige une preuve à l'effet que la personne identifiée soit responsable des dites activités de l'entreprise et en ait été le cerveau directeur.

    Je ne sais pas si cela vous est d'un grand secours sur ces deux points, la doctrine de l'identification à comparer à la méthode plus élargie de la responsabilité subsidiaire. Il s'agit d'un niveau très ciblé et étroit alors qu'en vertu de la méthode américaine, plus de gens peuvent engager la responsabilité de la personne morale.

    En ce qui concerne le point sur la culture d'entreprise, je suis sérieux quand j'en parle, mais l'idée est de savoir s'il était implicite que ce type d'activité soit toléré par l'entreprise? C'est là une notion de toute évidence beaucoup plus nébuleuse, plus large et qui soulève, à mon humble avis, des problèmes graves de preuve étant donné qu'en fin de compte, la responsabilité criminelle exige des preuves allant hors de tout doute raisonnable.

    Concernant la position constitutionnelle de l'Australie, il n'existe pas là-bas de charte similaire à la nôtre qui contient un certain nombre de principes devant être pris en compte, comme l'a dit M. Toews précédemment, lorsqu'on élabore une législation à cette fin. Le premier principe est celui qui veut que notre modèle de responsabilité criminelle exige une preuve à l'effet que l'acte a été commis par une personne identifiée avec le degré de gravité de faute requis, et que l'acte et le degré de gravité de la faute coïncident; il faut qu'ils soient contemporains.

    Tous ces modèles de responsabilité criminelle de l'entreprise qui figurent au présent projet de loi en dévient dans une certaine mesure. C'est même le cas dans la doctrine de l'identification, bien qu'elle n'ai jamais été contestée au plan constitutionnel à cet égard.

    Lorsqu'on s'écarte progressivement de l'idée de la responsabilité de la personne, il est probable, à mon avis, que la législation fasse l'objet de contestations constitutionnelles de plus en plus fréquentes. Cela serait certainement possible ou même probable si le critère de la culture de l'entreprise était adopté étant donné que, tout d'abord, il pourrait faire l'objet de contestation au chapitre de l'imprécision, imprécision qui a inquiété la Cour suprême dans plusieurs décisions au cours de la dernière décennie, et de plus, il serait très possible de le contester en se fondant sur le fait que le critère en ce qui concerne la responsabilité des administrateurs et dirigeants n'est pas proportionnelle à l'infraction dont ils sont accusés. En d'autres termes, ils sont de fait tenus responsables de quelque chose sur laquelle ils n'avaient ni influence, ni contrôle.

  +-(1210)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Toews.

+-

    M. Vic Toews: En ce qui a trait aux questions constitutionnelles et au fait de se préoccuper des inquiétudes engendrées par la charte, comme nous le savons la Cour suprême du Canada a cassé les articles sur le meurtre imputé dans un cas—et je n'arrive plus à me souvenir du nom du cas—essentiellement du fait que ces articles renfermaient d'importants problèmes liés à l'intention mentale dans les articles portant sur le meurtre imputé. Ils stipulaient que pour trouver quelqu'un coupable d'un crime aussi grave que le meurtre, il fallait qu'il y ait présence d'un certain degré d'intention mentale.

    Tout ce qui en est resté équivalait essentiellement à l'homicide involontaire coupable. Par exemple, il n'est pas nécessaire de prouver cette intention précise pour trouver quelqu'un coupable d'homicide involontaire.

    Sans vouloir aller dans tous les détails constitutionnels de sa construction, est-ce un choix? Certainement, il faut que ce soit, dans une certaine mesure, une intention. Il faut qu'il y ait intention pour pouvoir trouver quelqu'un coupable d'homicide involontaire. Il faut tout de même que la Constitution prévoit une certaine mesure acceptable d'intention mentale.

    Pouvons-nous adopter le choix de l'homicide involontaire coupable en ce qui concerne les administrateurs de personnes morales? Et accessoirement, éprouverions-nous les mêmes difficultés si ces types de responsabilité étaient imposés par le droit criminel provincial, ou même par les lois du travail fédérales, pour définir une sorte de disposition pénale liée à la compétence en matière de travail du Parlement?

    C'est essentiellement là ma question.

+-

    M. William Trudell: Permettez-moi de dire qu'en ce qui concerne l'homicide involontaire coupable, il faut qu'au départ il y ait un acte illégal. La mort découle d'un acte illégal. J'essaie maintenant de penser à un scénario selon lequel une personne morale puisse être tenue responsable, ou trouvée coupable, d'homicide involontaire. S'il y a eu acte illégal que la personne morale ait volontairement ignoré et que mort s'en soit suivie, j'imagine qu'on y parvient si on peut le prouver.

    Le professeur Healy a parlé de la culture d'entreprise en tant que politique implicite. Si une politique implicite est mauvaise et qu'on n'y fait pas attention, cela devient de l'ignorance volontaire. Par conséquent, je pense que, bien sûr, une personne morale ou ses administrateurs peuvent être trouvés coupables d'homicide involontaire, s'il y a la mesure requise de responsabilité criminelle; en d'autres termes, lorsqu'un acte illégal entraîne la mort et que les administrateurs ont fait preuve du degré d'intention ou d'ignorance volontaire requis, j'imaginerais--je ne sais pas si je ne m'éloigne pas trop ici--en relation à la commission de cet acte initial illégal.

    Je ne voudrais pas tenter de répondre à votre question sur le droit criminel provincial. Je préfère laisser la parole la-dessus à Patrick.

+-

    M. Patrick Healy: Quoi qu'on fasse, le droit provincial stipule que si ça a l'allure d'un homicide, ça a par conséquent l'allure d'un crime. Et si ça a l'air d'un crime, ce n'est pas de la compétence des provinces. En fin de compte, c'est très clair.

    Il est possible qu'à force d'arguments, on puisse colorer quelque chose, à propos de la législation provinciale voulant se faire passer pour une législation criminelle. Il ne fait pas de doute qu'on peut encore, au sein du droit criminel provincial, contrôler certains de ses aspects réglementaires, mais d'y adjoindre des crimes, non.

    Puis-je répondre à votre autre question, je pense qu'elle très importante? Vous avez parfaitement raison. Le meurtre imputé a été déclaré inconstitutionnel dans les affaires Vaillancourt et Martineau à la fin des années 1980.

    En réponse à votre question, il est plus important que le meurtre imputé ait reçu l'approbation de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Creighton et dans nombre d'autres cas dont la décision a été rendue le même jour.

    Le contenu même de la décision dans l'affaire Creighton revêt une importance cruciale à votre question. Il y est dit que les poursuites en vertu du principe du meurtre imputé sont possibles à la condition que l'accusation puisse prouver, entre autres, que l'accusé ait été au courant, à tout le moins, du danger physique.

    Si nous essayons de transposer cette conclusion au contexte présent, cela signifierait qu'il faille être en mesure de prouver qu'une personne identifiable était au courant du danger physique ayant entraîné en fin de compte la mort. C'est là le mécanisme par lequel vous pourriez conclure à l'homicide involontaire coupable commis par une personne morale. Et cela peut se faire en s'appuyant sur la doctrine de l'identification dont nous disposons actuellement, ou vraisemblablement par le biais d'un concept plus étendu, c'est à dire plus proche du principe américain de responsabilité subsidiaire. Le minimum constitutionnel qui découle de la décision de l'affaire Creighton est qu'il ait fallu prouver que quelqu'un avait été mis au courant du danger physique.

  +-(1215)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Macklin.

+-

    M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Il y a eu tellement de questions soulevées qu'il est difficile de trouver là les réponses.

    Tout d'abord, je voudrais poser une question à Mme Mochrie, étant donné qu'on semble avoir laissé libre cours à ces messieurs pour exprimer leurs points de vue.

    Vous ne semblez pas être du même avis, c'est à dire qu'il nous faut adopter une législation qui traiterait de la question de la responsabilité des personnes morales.

    Et je voudrais donner l'occasion à M. Trudell d'y répondre. Il dit que nous avons satisfait à toutes les exigences et que cela suffit.

    En ce qui concerne la responsabilité même des personnes morales, en d'autres termes, la structure de l'entreprise, j'imagine que nous avons des sujets d'inquiétude étant donné que les témoignages deviennent embrouillants. Nous parlons parfois de la responsabilité des administrateurs; d'autres fois, il s'agit de celle de la personne morale.

    En cherchant les espaces blancs qu'il nous faut remplir, certains commentaires faits par les victimes portent à croire que l'entreprise s'en sort indemne. La question que je voudrais poser est la suivante. Y a-t-il une lacune dans notre système de justice qu'il nous faille en réalité étudier pour élaborer une réponse à ladite responsabilité de la personne morale, par opposition au fait de se centrer sur les administrateurs mêmes? Et j'aimerais que vous me répondiez sur la question de savoir si, à votre avis, elle existe et si nous pouvons la développer en nous appuyant sur, par exemple, le modèle de la culture d'entreprise qui comprendrait notamment un moyen statutaire de défense de la diligence raisonnable.

    J'en resterai là.

+-

    Mme Clare Mochrie: Merci de me donner l'occasion de parler.

    Je crois que cette lacune existe, et elle existe du fait d'avoir donné aux entreprises des droits et libertés considérables. Et ce sont là des droits et libertés qui reviennent aux personnes. Pourtant, il n'existe pas de mécanisme correspondant dans la législation qui les tienne responsables de leurs actes. Les victimes de la mine Westray l'ont dit. Ils cherchent à tenir l'entreprise pour responsable.

    Les mêmes règles n'existent, de toute évidence, pas. Les personnes morales ne font pas qu'une personne; elles peuvent comprendre un nombre incalculable de personnes dont les actes comptent. Parallèlement, elles n'atténuent aucunement le fait que ces personnes morales font le mal et qu'il n'existe pas de moyen pour les en tenir responsables.

    Ainsi, en appui à l'utilisation du Code criminel, ce dernier a pour objectif de défendre les personnes morales. Les corporations sont des personnes morales et, par conséquent, il faudrait adopter un mécanisme qui traite cela.

+-

    M. William Trudell: Nous avons touché l'entreprise, monsieur Macklin, en touchant l'âme dirigeante, je pense. Autrement dit, si ces personnes chez Canadian Dredge sont responsables, selon cette définition élargie, alors nous touchons l'entreprise. C'est une responsabilité organisationnelle de l'âme dirigeante. Je ne vois simplement pas, dans notre société, comment nous pouvons, quand nous parlons de législation criminelle, oublier la ou les personnes qui sont les âmes dirigeantes. Je ne pense pas que les entreprises s'en sauvent. Des accusations sont portées chaque jour relativement aux entreprises.

    Je ne crois pas pouvoir vous aider parce que je ne crois pas qu'il y ait un vide. Je ne crois pas que ce vide ait été prouvé. Je pense que certaines catastrophes ont débouché sur des poursuites non satisfaisantes.

  +-(1220)  

+-

    M. Paul Harold Macklin: Mais c'est quand vous vous accrochez à la théorie de l'âme dirigeante. Je dis, supposons que vous ne pouvez arriver à mettre le doigt sur une âme dirigeante en soi, mais en fait vous regardez globalement, si je puis utiliser ce terme, l'entreprise.

+-

    M. William Trudell: Mais comment pénalisons-nous en droit criminel si nous ne pouvons trouver une personne qui a réellement mis en place l'actus reus?

+-

    M. Paul Harold Macklin: Nous sortons peut-être un peu des sentiers battus. Autrement dit, il y a peut-être un peu de fiction, du moins une fiction juridique, relativement à la personne, j'en conviens.

    Mais je me questionne, et j'aimerais entendre M. Healey sur cette question.

+-

    M. Patrick Healy: Bien, votre question va directement au coeur du sujet. Une personne morale est une fiction, par définition, et toute tentative en vue de construire un modèle de responsabilité criminelle pour une fiction va entraîner d'autres fictions.

    La question que vous posez est de savoir où est la limite relativement à l'imposition juste d'une responsabilité pour ces entités fictives. Je vais penser tout haut pour un moment, n'ayant pas suffisamment réfléchi à la question, aussi je vais vous demander de me pardonner si je bredouille un peu. Je peux certainement comprendre que dans de nombreuses circonstances il y a cette idée, selon la perception de la population--et je ne pense pas que la population se trompe--qu'il y a des responsables individuels... Je ne veux pas dire des administrateurs et des dirigeants, mais des personnes qui agissent au nom des entreprises ou pour les entreprises et que l'on peut identifier comme les personnes ayant commis des fautes. Mais je comprends aussi très clairement que la population ne veut pas voir ces personnes morales, qui ont tellement de pouvoir, rester impunies, si vous me permettez, pour des choses qui sont faites en leur nom.

    Il n'est pas difficile de songer à des exemples. Pouvez-vous imaginer la possibilité qu'un fabricant de tabac soit tenu criminellement responsable en vertu de certaines de ces propositions? Pouvez-vous imaginer qu'un fabricant d'automobiles soit tenu responsable de la mort de personnes s'il était connu, à un certain point le long de la chaîne de montage, que les roues allaient se détacher à 40 milles à l'heure? Il existe toutes sortes d'enjeux.

    L'idée qu'il suffirait d'identifier seulement la personne naturelle répugne clairement à la population, et c'est fondé, je suppose, sur l'idée répandue dans la population que même si les entreprises ont ou doivent avoir le droit de jouir d'une grande latitude dans la conduite de leurs affaires, elles doivent accepter les responsabilités qui vont avec cette latitude, les conséquences, comme a dit plus tôt Mme Mochrie, de leurs activités.

    Pour revenir à votre question, je ne sais pas si un seul modèle pourra fonctionner pour tous les différents types de responsabilité criminelle. Je pense qu'il est possible maintenant au Canada de s'éloigner de l'étroitesse de la doctrine de l'identification, mais je pense qu'il nous serait extrêmement difficile de négocier avec le concept de culture organisationnelle. Il faudrait qu'elle soit définie le plus précisément possible. Personnellement, pour l'instant, je ne vois pas comment cela pourrait être fait d'une façon qui permettrait de prouver hors de tout doute raisonnable ce qui constitue un élément de responsabilité criminelle. Je ne le vois pas, mais peut-être que je n'y ai pas suffisamment réfléchi.

  +-(1225)  

+-

    Le président: Merci.

    Vous avez dit que vous aimeriez revenir. Vous pouvez continuer à y réfléchir et vous préparez au cas où. Peut-être que vous ne reviendrez pas, mais vous aurez quand même réfléchi à la question.

    Monsieur Lanctôt.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: J'espère qu'on va le réinviter, parce que j'aimerais qu'on se penche vraiment sur cette définition de la culture organisationnelle. C'est peut-être un moyen d'arriver à quelque chose en matière de responsabilité à l'égard d'autrui et d'identification. Si on définit bien cette notion... De toute façon, on n'est jamais obligé de définir les choses de façon précise. Parfois, en donnant une définition trop détaillée, on se limite ou on se restreint. La définition se fera d'elle-même à un moment donné, que ce soit par la jurisprudence ou par les circonstances. On peut donner des ordres de conduite et réfléchir à cette définition, mais on n'est pas obligé d'énoncer des critères précis pour qu'elle soit bonne. Comme on l'a vu dans le projet de loi C-36, quand on essaie de prévoir des choses, cela peut être dangereux.

    Je reviens à la culture de l'entreprise. Le débat a été fait en Australie. Les Australiens l'ont probablement fait avant nous parce qu'ils s'apprêtent à légiférer en se basant sur cette théorie, si on peut appeler cela une théorie.

    Vous nous avez donné un exemple. Dans des cas très spécifiques, il faut que l'intention existe. C'est la Constitution qui parle de la mens rea. Ce n'est pas en prenant la culture organisationnelle qu'on sera capable d'arriver à cette définition. Dans l'exemple que M. Trudell nous donnait, cela pourrait être une défense. On parle toujours d'âmes dirigeantes. Il peut y avoir des âmes dirigeantes qui viennent d'Allemagne ou d'un autre pays et qui ont des multinationales partout dans le monde. En Allemagne, l'entreprise fonctionne bien et respecte les lois sur la sécurité, mais cela ne veut pas dire qu'elle les respecte ici ou ailleurs. Si on est capable de démontrer que dans plusieurs pays où elle fait affaire, une entreprise ne respecte pas les lois sur la santé et la sécurité au travail, elle pourra être trouvée criminellement responsable. On peut même déterminer qu'elle avait une intention coupable, comme M. Toews le disait plus tôt.

    Je pense qu'il faut vraiment réfléchir à cela. On sait que vous allez revenir témoigner. Les gens comme vous travaillent dans ce domaine spécifique. Autour de la table, on entend plein de choses, mais on n'est pas des experts. Vous disiez à M. Blaikie que nous avions été élus pour le faire. On a été élus pour adopter des lois qui vont aider les gens. Dans ce cas-ci, il s'agit des travailleurs. Je pense cependant que vous avez un travail à faire.

    Je sais bien que l'étude n'était pas une étude article par article du projet de loi, mais une étude du principe du projet de loi. Je crois qu'il serait intéressant de voir ce qu'on pourrait faire à l'égard de la culture organisationnelle. Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

+-

    Le président: Quelqu'un aimerait répondre?

    Monsieur Trudell.

+-

    M. William Trudell: En ce qui me concerne, la définition australienne de culture organisationnelle--qui se trouve dans le document de discussion du ministère de la Justice--crée des problèmes. Elle est définie comme «une attitude, politique, règle, conduite ou pratique». C'est vague.

    Mais l'autre point au sujet du modèle australien, c'est que la culture organisationnelle n'est qu'un des quatre moyens d'en venir à la responsabilité criminelle. Aussi, nous devons être prêts à considérer tous les aspects et non un seul.

    Je crois que nous n'en sommes vraiment qu'au tout début de notre réflexion sur la question. Je pense qu'il est très important que vous puissiez entendre les entreprises, ainsi que leurs administrateurs et leurs dirigeants, sur ces questions. Ils savent ce qui se passe au conseil d'administration, comment établir des lignes directrices et jusqu'à quel point on peut s'attendre à ce qu'elles soient respectées. Avant que l'étude de cette question soit terminée, je pense que les spécialistes dans les entreprises sont ceux qui pourraient bien aider votre comité. J'espère que vous pourrez les entendre.

  +-(1230)  

+-

    Le président: Je vais aller à M. Healy, mais j'aimerais demander à M. Trudell d'utiliser son formidable pouvoir de persuasion pour convaincre quelques-uns d'entre eux de venir.

    Monsieur Healy.

+-

    M. William Trudell: D'accord. Hier j'ai parlé à un avocat de société parce que je ne connaissais pas vraiment leur point de vue. J'étais très intéressé de l'examiner.

    Je pourrais être en mesure de vous suggérer les noms de quelques avocats de société qui pourraient être en mesure de vous aider.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Healy.

+-

    M. Patrick Healy: Comme la question reçoit une attention particulière, j'espère que le comité, le Parlement, ou quiconque participant à cette activité, essaiera de voir comment la question est traitée dans la législation, si elle doit l'être.

    La responsabilité criminelle organisationnelle concerne une certaine forme de participation des entreprises aux infractions criminelles. À mon point de vue, cela appartient proprement à la partie du Code criminel qui traite de participation aux principes généraux du droit criminel. Il faudra peut-être une autre partie distincte dans le Code criminel pour traiter de ce sujet parce qu'il a ses propres caractéristiques.

    J'aimerais terminer par un petit point. Ce n'est pas supposé être drôle, mais je ne sais pas qui a rédigé les numéros du projet de loi. Si vous prenez l'article 467.3 proposé, suivant le principe qu`on connaît les choses par ce qui les entoure, savez-vous de quoi on parle immédiatement avant? Des bandes de motards criminelles ou, autrement dit, du crime organisé.

    Je ne suis pas certain que la responsabilité criminelle organisationnelle a quelque chose à voir avec le crime organisé. C'est simplement une question de planification de la structure du Code criminel. Je ne suis pas certain qu'on envoie vraiment le bon message si on garde cet ajout à cet endroit.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Maloney.

+-

    M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): M. Trudell a suggéré qu'il y aurait, la journée suivant l'adoption de ce projet de loi, beaucoup de démissions parmi les administrateurs d'entreprises. Je suis probablement d'accord avec vous. Cela aurait, avec le temps, un immense impact négatif sur les travailleurs que nous essayons en fait de protéger.

    Réciproquement, je pense que le sentiment général est qu'il faut qu'il y ait en réponse une plus grande sensibilisation et une plus grande responsabilité à l'égard de la sécurité et de la santé au travail. Pour ce faire, il faudrait que ce projet de loi ait plus de «dents». On a suggéré que la responsabilité criminelle, la responsabilité criminelle personnelle, serait une façon d'y arriver.

    Pouvons-nous concilier les deux positions? Arriverons-nous à suggérer quelque chose qui pourra peut-être empêcher les démissions massives chez les administrateurs tout en répondant aux objectifs de responsabilité pour des infractions flagrantes à la sécurité au travail?

    La question s'adresse à tous.

+-

    M. William Trudell: Je pense que l'un des facteurs de motivation les plus intéressants quand on se présente devant un comité comme le vôtre, c'est l'expérience éducative. Je pense qu'il faut que la population soit éclairée sur la manière dont fonctionnent les entreprises et sur ce que cela signifie par rapport aux catastrophes.

    Je ne suis réellement pas convaincu qu'il y ait un vide. Je n'aime pas revenir continuellement sur ce point. Je ne pense pas que nous utilisons les mécanismes en place dans le Code criminel et les autres lois pour faire passer le message. À la suite de catastrophes, c'est le message relatif à la responsabilité organisationnelle, malheureusement, qui ressort, à mon humble avis.

    Je ne réponds pas à votre question.

    Je pense qu'il y a déjà un équilibre quand on utilise les outils et le Code criminel dont nous disposons. Je pense que l'éducation de la population et des entreprises est très importante ici.

    Je vais en fait prier certains représentants d'entreprises de venir et d'assister à vos délibérations.

  +-(1235)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Healy, ou madame Mochrie, souhaitez-vous répondre à M. Maloney?

+-

    M. Patrick Healy: La question qui est revenue plusieurs fois depuis une heure et demie est de savoir s'il y a un vide. M. Trudell dit qu'il n'y a pas de vide et je crois qu'il veut dire par là qu'il n'y a pas lieu de prendre des mesures législatives pour modifier la loi pour l'instant.

    M. William Trudell: J'aimerais l'avoir dit comme cela.

    M. Patrick Healy: Tout le monde a compris Bill.

    Mais mon point est--et c'est ressorti dans la question de M. Macklin et dans les vôtres--le public n'a-t-il pas l'impression que les entreprises ne sont pas assujetties à des normes de conduite suffisamment rigoureuses? C'est là où il y a une possibilité de vide.

    Il faudrait dire, il me semble--que la doctrine d'identification que nous avons maintenant en vertu du cas Dredge & Dock nous amène jusqu'ici, mais pas plus loin. Si nous devions dépasser la doctrine d'identification, nous dirions, bien, peut-être que les actions de certaines personnes qui ne se qualifient pas comme les âmes dirigeantes de l'entreprise suffisent à engager la responsabilité de l'entreprise. Si nous adoptions ce modèle, nous pourrions avoir, sous réserve des difficultés habituelles liées à la preuve, un éventail beaucoup plus vaste d'accusés ou de défendeurs.

    Maintenant, à savoir si c'est un vide qu'il faut combler, c'est précisément la question dont vous discutez. Et il me semble que l'argument que j'apporterais, du moins pour quelques infractions--pas pour les infractions les plus graves, mais pour quelques-unes--c'est qu'il faudrait probablement aller au-delà de la doctrine d'identification pour pouvoir engager la responsabilité criminelle d'un plus grand nombre de dirigeants ou d'employés d'une entreprise.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Laissez-moi simplement vous rappeler qu'étant donné que nous n'examinons pas un projet de loi, ce que fait normalement ce comité, nous devrions recommander quelque chose au gouvernement à la suite de notre étude, et nous avons reçu une certaine orientation du juge Richard, pour notre étude, concernant l'insuffisance du Code criminel, comme il suggère. Nous avons aussi la discussion que nous avons entreprise. L'essentiel ici c'est que dans l'éventualité où nous recommanderons quelque chose, nous devrons tous revenir ici pour étudier ce que le gouvernement présentera.

    Donc, je veux rappeler à tous le processus. Ce dont nous parlons aujourd'hui, ce sont des insuffisances réelles ou imaginaires, des valeurs derrière le système de justice et ainsi de suite, et nous devons tenter d'y répondre en présence d'une catastrophe qui était propre à ces circonstances. Tout cela pour dire que nous aurons d'autres occasions de parler au pouvoir exécutif, que nous aurons de nombreux moyens de procéder sur ces valeurs.

    Je voudrais faire référence à la semaine dernière, quand nous avons reçu des sociologues. Il est intéressant de noter la différence dans la façon dont certains interprètent la question en ce qui concerne ce qu'il faudrait faire et de quelle manière, et les qualités de telle approche par rapport à telle autre approche, ou même leur faisabilité. Ceux qui parlaient des «valeurs» aux début ne parlaient pas vraiment des «comment». En fait, on pourrait avancer que nous ne sommes pas des avocats et que nous ne sommes pas certains de la façon dont vous procéderiez; nous savons seulement que c'est quelque chose que nous voulons essayer de faire.

    C'est une façon intéressante de nous engager dans ce processus, parce que cela diffère un peu de notre travail habituel ici.

    Tout cela pour dire que nous allons revenir à un autre moment et que nous aurons la chance d'examiner tout cela une autre fois, si en fait c'est la décision que prend notre comité.

    Donc, merci beaucoup.

    Monsieur Trudel

+-

    M. William Trudell: Puis-je simplement ajouter un point qui fait suite à ce qu'a dit M. Macklin par rapport à la culture organisationnelle et à la diligence raisonnable? Si j'étais un administrateur et que je lisais ce projet de loi, je me dirais probablement, qu'est-ce que cela signifie? Comment puis-je me protéger?

    Aussi lorsque nous y réfléchirons, j'espère que nous consacrerons un peu de temps à essayer de clairement identifier du mieux que nous le pourrons ce que les administrateurs et les dirigeants doivent faire, autrement dit, pour exercer une diligence raisonnable. Les motifs de défense doivent s'y trouver, pour que le document puisse être éducatif.

  -(1240)  

-

    Le président: Sur ce point, merci beaucoup.

    Notre prochaine réunion a lieu mercredi après-midi.

    La séance est levée.