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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 018 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 2 octobre 2006

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    À l'ordre, s'il vous plaît. La séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne est ouverte.
    Selon l'ordre du jour, nous poursuivons le débat sur le projet de loi C-9, Loi modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis).
    Plusieurs témoins seront entendus aujourd'hui, soit Mmes Berzins et Griffiths, du Conseil des églises pour la justice et la criminologie; le professeur David Paciocco, de l'Université d'Ottawa, qui témoigne à titre personnel; M. James Loewen, du Comité central mennonite; enfin Mme Rosalind Prober, de l'organisme Au-delà des frontières. Je dirais qu'ils constituent un groupe d'intérêts spéciaux, en ce sens qu'ils représentent les victimes. Ils aimeraient obtenir des modifications sur plusieurs aspects du projet de loi.
    Je les remercie tous d'être ici aujourd'hui.
    Je vais suivre l'ordre dans lequel les témoins sont inscrits. Nous allons donc commencer avec le Conseil des églises pour la justice et la criminologie.
    Si vous pouviez limiter votre exposé à environ dix minutes, nous pourrions entendre tous les exposés et les membres du comité pourraient ensuite examiner la question en profondeur.
    Vous pouvez commencer.
    Je prends la parole ici en tant que représentante du Conseil des églises pour la justice et la criminologie, une coalition nationale de 11 confessions chrétiennes, de partenaires communautaires multiconfessionnels et d'autres. Le Conseil est réputé à titre d'ONG dans le domaine de la justice pénale, à l'échelle nationale et internationale, pour les efforts qu'il déploie depuis 1974 afin d'attirer l'attention du public sur la nécessité d'aborder la criminalité et la justice de manière plus socialement responsable. Récemment, le Conseil a notamment prononcé des conférences éducatives, appuyé des projets de justice réparatrice dans des collectivités locales, analysé des politiques gouvernementales et établi des partenariats avec le milieu artistique pour la sensibilisation du public à l'égard de la justice.
    Le CEJC a été créé par 11 Églises fondatrices: l'Église presbytérienne au Canada; la Société religieuse des amis, ou les Quakers; l'Église catholique romaine; l'Armée du Salut; l'Église Unie du Canada, dont je suis ministre du culte; l'Église anglicane du Canada; les Missions Baptistes Canadiennes, dont un représentant nous accompagne aujourd'hui; les Christian Reformed Churches; les Disciples of Christ; l'Église évangélique luthérienne et le Comité central mennonite.
    Nous reconnaissons que notre propre tradition confessionnelle a eu une certaine influence négative dans l'entretien d'une culture de justice et d'institutions judiciaires imprégnées d'un caractère punitif, qui ont concouru à marginaliser davantage certains des citoyens les plus vulnérables de nos collectivités canadiennes. Nous prenons à notre compte de contribuer à réparer le mal qui a été fait.
    Notre mandat principal consiste à aider nos propres membres confessionnels à agir dans ce sens et à prendre conscience des personnes de leur milieu qui souffrent des causes et des effets de la criminalité ainsi que de la peur de la criminalité. Nos ressources pédagogiques encouragent les citoyens à se tendre la main mutuellement en offrant des réponses et des services qui peuvent nous aider tous à nous attaquer au fléau de la criminalité lorsqu'il sévit, afin de survivre, de guérir, de découvrir que la vie peut demeurer belle et mériter d'être vécue et d'apprendre de meilleures façons de vivre ensemble en sécurité et en paix.
    Le CEJC concentre son attention sur les réalités humaines avec lesquelles les gens de nos collectivités sont aux prises en raison de la criminalité, de ses causes et de ses effets, et sur les répercussions du mode de solution de ce problème par notre société et notre système de justice pénale. Nous n'attendons pas de notre système judiciaire qu'il puisse s'en occuper à notre place. Le travail de la justice constitue une responsabilité collective, dépassant de beaucoup ce que tout système législatif ou judiciaire de l'État peut accomplir.
    De longues années d'expérience nous ont appris que la façon dont l'État s'acquitte de ses responsabilités — les lois qu'il adopte, les ressources financières qu'il distribue et les déclarations publiques qu'il fait — peut soit contribuer à l'effort collectif, soit nuire aux initiatives communautaires en empirant les problèmes de criminalité. Le gouvernement peut contribuer au succès des initiatives communautaires s'il fonde sur des preuves solides les mesures qu'il prend pour modifier les attitudes et les pratiques en matière de justice pénale. Il peut aussi perpétuer les préjugés et les malentendus quant à la nature véritable des comportements criminels. C'est de cela que nous désirons vous parler ici aujourd'hui.
    Nous croyons que les modifications législatives qu'il vous est demandé d'adopter par ces deux projets de loi aggraveront considérablement une situation déjà alarmante. Il existe d'autres moyens, plus efficaces, de remédier aux problèmes que vous tentez de régler à l'aide de ces projets de loi. Notre sécurité serait plus assurée si les ressources qu'exigerait la mise en oeuvre de ces modifications inutiles servaient plutôt à l'implantation de nouvelles méthodes efficaces qu'on a découvertes au cours des dernières années.
    Notre livre intitulé Pour une vraie justice en a documenté plus d'une centaine. Le programme de justice coopérative au tribunal, ici même à Ottawa, en offre un exemple. Tiffani Murray et Kim Mann sont ici aujourd'hui en tant que représentantes de ce programme.

  (1535)  

    Les propositions législatives restreindront gravement le pouvoir des juges de recourir à de tels programmes. Nous voulons employer notre temps ici avec vous à tenter d'expliquer pourquoi nous en arrivons à la conclusion que les propositions des projets de loi C-9 et C-10 ne favoriseraient pas une meilleure justice pour nos collectivités, bien au contraire.
    La situation très pénible pour tous les Canadiens, à savoir le traumatisme et l'angoisse associés à la criminalité et à la peur de la criminalité, nous pousse à réagir. Nous sommes tous unis dans la volonté d'apporter des changements qui feront du Canada un pays plus sûr, et le grand défi est de découvrir quels sont les changements qui auront l'effet voulu. On peut croire qu'il suffit de modifier des mots ici et là, d'imposer une « peine accrue » pour un « crime accru ». Mais ce qui est proposé ne manquera pas d'entraîner de nombreuses conséquences non voulues, lesquelles n'ont pas été prévues, car les modifications proposées ne sont nullement stratégiques d'après la connaissance des faits. Nous visons ici aujourd'hui à tenter d'aider à rapprocher pour vous deux réalités: celle des mots par rapport à celle des réalités humaines qui risquent d'être touchées par ces mots.
    Nous vous demandons avec insistance de voter, non sur les mots et les beaux discours livrés dans le vide, mais en tenant véritablement compte de leurs répercussions réelles sur la vie des gens.
    Je suis Lorraine Berzins et je fais partie du personnel du Conseil des églises depuis 22 ans. Avant cela, j'ai travaillé 14 ans dans des institutions pénitentiaires fédérales, où j'ai été victime d'une prise d'otages. Je le dis parce que je veux que vous compreniez bien que les questions dont nous sommes saisis aujourd'hui peuvent sembler une simple question de mots, mais comptent en fait pour beaucoup dans la vie des gens qui seront touchés par ces changements. Ces modifications changeront la vie de bien des gens dans plusieurs collectivités que je connais bien. J'entreprends donc personnellement, sincèrement, de vous faire savoir ce que nous savons déjà, parce que nous vivons avec ces gens au sein de la collectivité.
    J'ai trois points à faire valoir, au sujet des deux projets de loi. Nous allons commenter en même temps les projets de loi C-9 et C-10 parce que ces deux mesures proposent des changements modifiant le pouvoir discrétionnaire. C'est là l'élément le plus important pour nous. Les deux projets de loi proposent des modifications qui restreindraient davantage le pouvoir des juges d'imposer des peines qui correspondent à la situation particulière à un crime crime et à un contrevenant, sans égard aux risques réels dans un cas donné ni aux intérêts véritables de la victime et de la collectivité par suite d'un incident de nature criminelle précis. Les juges auraient les mains liées. De nouvelles peines obligatoires minimales serait appliquées et les peines avec sursis prévues pour plusieurs infractions disparaîtraient, même si ce type de peine est déjà expressément destiné à permettre aux contrevenants qui ne constituent pas un danger — et à eux seulement — de purger leur peine d'emprisonnement dans la collectivité. On peut en appeler de toute décision de ce genre si elle est considérée inappropriée. Nous croyons que le pouvoir discrétionnaire des juges dans l'imposition de la peine est trop important pour que nous permettions ce genre de changement. J'y reviendrai à la fin de mes observations.
    Mon deuxième point a trait aux conclusions des recherches scientifiques sur les peines plus sévères. La conception des modifications que proposent les deux projets de loi démontre que celles-ci reposent sur la croyance que des peines plus sévères nous protégeraient mieux de la criminalité. Nous reconnaissons le besoin réel de nous protéger de certains contrevenants qui présentent un risque imminent pour la collectivité. Mais les recherches prouvent depuis des années que l'emprisonnement purement punitif, sans égard aux risques réels, visant seulement à envoyer un message aux autres contrevenants éventuels, représente une forme de justice peu rentable et clairement inefficace comme moyen de dissuasion. Le niveau de récidive rattaché aux peines d'emprisonnement démontre également l'absence de guérison et de réadaptation chez les contrevenants. Le besoin de guérison et de sécurité de chaque victime n'est pas traité convenablement non plus. Les modifications proposées, qui augmentent les sanctions en jeu sans tenir compte des circonstances et des besoins individuels, vont aggraver la situation davantage en rendant le système judiciaire encore plus accusatoire, ce qui peut engendrer des discours blessants et un manque de respect à l'endroit des victimes, à un moment où elles sont déjà très vulnérables. C'est déjà ainsi, et les choses ne pourront guère changer.
    Nous souscrivons à la conclusion de chercheurs dignes de foi, tels que Doob et Webster, selon laquelle, malgré une ou deux études mineures qui semblent indiquer qu'il existe un ensemble restreint de résultats controversés dans ce domaine, la proposition selon laquelle les peines plus sévères fonctionnent n'est étayée que très faiblement. La politique du Canada devrait être fondée sur la réflexion et des recherches solides, plutôt que sur une étude unique qui est contredite par une série d'autres études plus concluantes. Autrement, on agit de façon irresponsable, en particulier quand nous pouvons aussi prévoir que les nouvelles lois se traduiraient par une hausse des coûts pour les services correctionnels et des peines d'emprisonnement accrues pour les groupes les plus vulnérables, comme les membres des Premières nations, d'autres minorités visibles, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes faisant partie des tranches les plus pauvres de la société. Les femmes, en particulier, souffriraient beaucoup de l'adoption de bon nombre de ces changements.
    Enfin, les incohérences de ces mesures nous préoccupent grandement. Le projet de loi C-10 comporte des incohérences dans les dispositions sur les peines minimales obligatoires. Prenons par exemple une personne armée d'une arme d'épaule chargée, comme un fusil de chasse, qui commettrait un vol qualifié dans un dépanneur. Mettons que son casier judiciaire chargé compte de nombreuses déclarations de culpabilité antérieures découlant d'autres infractions relatives à des armes à feu. Cette personne est passible d'une peine d'emprisonnement minimale obligatoire de quatre ans. Une autre personne qui commettrait un vol qualifié dans des circonstances similaires, mais armée d'une arme de poing non chargée, s'il s'agit d'un contrevenant primaire sans casier judiciaire, serait passible d'une peine d'emprisonnement minimale obligatoire de cinq ans. La même chose se produirait dans plusieurs autres cas.

  (1540)  

    Autrement dit, la durée de la peine minimale obligatoire stipulée dans les propositions législatives dépend du statut juridique de l'arme à feu en cause plutôt que de l'importance du danger réel que présente la situation pour le public. Utiliser une arme de poing non chargée est plus grave que d'utiliser une arme d'épaule chargée, quels que soient les circonstances réelles du crime et du contrevenant, le préjudice réel causé et les considérations reliées à la victime.
    Je sais que vous êtes prêts à discuter des projets de loi C-9 et C-10, mais j'aimerais que vous limitiez vos observations au projet de loi C-9, parce que c'est celui que le comité étudie actuellement. Nous étudierons le projet de loi C-10 plus tard.
    Si vous pouviez limiter votre exposé à ce seul projet de loi, j'apprécierais. Votre temps d'intervention achève, alors je vous encourage à conclure.
    Ces incohérences nous préoccupent grandement. Différentes infractions qui ne semblent pas si graves seront amalgamées et traitées avec la même sévérité que les infractions qui demandent une peine maximale de dix ans ou plus. Nous croyons que ce n'est pas la bonne façon de faire. Les peines maximales peuvent avoir l'air pleines de bon sens sur papier, mais plusieurs infractions, comme l'introduction par effraction dans une résidence, la fraude et les allégations mensongères concernant des sommes excédant 5 000 $ ainsi que la fraude relative à l'aide sociale, seront traitées plus sévèrement que d'autres délits que les Canadiens considéreraient comme beaucoup plus graves.
    Les conséquences réelles qu'engendreraient les changements proposés, s'ils étaient adoptés, ne correspondent pas à l'idée que les Canadiens se font de la justice, si seulement ils se rendent compte de ce que ces amendements pourraient permettre ou ne pas permettre. La plupart des Canadiens ne le savent pas, mais vous le savez. Vous avez toute l'information devant vous, et vous avez été élus pour prendre des décisions responsables pour notre bien.
    Nous croyons qu'il est extrêmement important de préserver le pouvoir discrétionnaire. Il est essentiel que les personnes qui établissent les peines puissent avoir toute la latitude de choisir la solution qu'elles jugent appropriée selon les faits qu'elles connaissent en usant de leur jugement et de leur discernement. Il n'existe rien en droit commun qui nous assure le respect de ce principe. Le fait d'utiliser les critères tout à fait insensés qui sont proposés serait dégradant pour notre société. Cette décision contrevient à la noble aspiration des hommes à vivre dans un monde où règne la justice, ce qui est très important.
    Si une personne croit que les dispositions actuelles n'ont pas été appliquées convenablement, il est possible de faire appel. Des politiques peuvent être établies sous la forme de directives et de lignes directrices, mais les solutions d'ensemble simplistes ne conviennent pas.
    En conclusion, nous vous exhortons à retirer le projet de loi C-9, et nous discuterons du projet de loi C-10 une autre fois. Nous savons qu'il peut être difficile de trouver la volonté politique pour ce faire, mais c'est tellement important. Il y a un amendement que vous voudrez peut-être envisager, c'est l'idée d'adopter des dispositions présomptives, plutôt qu'absolues. Si vous constatez que la volonté politique n'y est pas et qu'il est impossible de retirer complètement ce projet de loi, laissez au moins une porte ouverte afin qu'un juge puisse faire une exception dans certains cas, même si certaines infractions ne peuvent pas encourir une peine avec sursis.

  (1545)  

    Je vous remercie, Mme Berzins.
    Je donne maintenant la parole à M. David Paciocco.
    Merci, monsieur le président. C'est un privilège pour moi de pouvoir m'adresser à ce comité.
    Je me trouve dans une drôle de position, parce que j'approuve le but ultime que vise le gouvernement au moyen du projet de loi C-9. Il n'y a pas de doute que l'imposition de peines avec sursis pour des crimes extrêmement graves mine la confiance de la population dans l'administration de la justice. Je suis pourtant ici pour exhorter le gouvernement à ne pas adopter le projet de loi C-9 dans sa forme actuelle, et pour trois raisons.
    Premièrement, ce projet de loi est sans nuances. Il vise à interdire non seulement le recours aux peines avec sursis quand elles ne conviennent pas, mais aussi le recours à ces peines quand non seulement elles conviennent, mais seraient justement la solution à choisir. Deuxièmement, il donnera lieu à une augmentation considérable du coût financier de l'administration de la justice et ce, sans réduire le taux de criminalité au sein de la société canadienne.Troisièmement — et je fonde cette affirmation sur mes sept années d'expérience comme avocat de la défense et procureur, à Ottawa, à temps plein et à temps partiel — les juges et les avocats vont adopter des stratégies pour contourner la rigidité du projet de loi C-9. J'illustrerai mon propos tout à l'heure.
    Si le gouvernement choisit de réagir parce qu'il a la perception ou la conviction que les peines avec sursis sont utilisées sans discernement, je ne veux pas rester à rien faire. Je lui propose deux solutions de rechange pour traiter ces difficultés. La première serait d'ajouter un préalable supplémentaire aux peines avec sursis afin d'assurer qu'on les emploie à bon escient. Cette condition préalable pourrait être qu'elles ne puissent s'appliquer que lorsque la priorité doit être accordée à la réhabilitation ou à la réparation. En deuxième lieu, j'encourage le gouvernement à prévoir une disposition présomptive. Le gouvernement pourrait isoler les infractions les plus troublantes comme les agressions sexuelles ou les agressions ayant causé des lésions corporelles. Dans ces cas, on présumerait que la dénonciation et la dissuasion doivent avoir priorité. J'en parlerai davantage à la fin de mon exposé.
    En théorie, une peine avec sursis est une peine d'emprisonnement. Elle a ceci de bon qu'elle permet de réduire le recours à l'emprisonnement et, selon la théorie, de réduire le risque de récidive chez certains délinquants. J'exhorte le comité à reconnaître la validité de ces deux propositions, dans les affaires où elles conviennent. L'emprisonnement est beaucoup plus coûteux que l'administration d'une peine avec sursis et, comme Mme Berzins l'a expliqué, le fait d'enfermer ensemble des délinquants a plutôt pour effet de renforcer les attitudes criminelles que de les décourager. Dans la mesure où les programmes de réhabilitation peuvent fonctionner, nous savons qu'ils sont plus efficaces en dehors des prisons.
    Donc, il convient d'utiliser les peines avec sursis quand c'est approprié, pour des raisons financières et de bon sens. C'est effectivement sensé quand les principes fondamentaux sont respectés, c'est-à-dire les trois principes suivants: lorsque le délinquant ne représente pas de risque important pour la collectivité; lorsque l'infraction n'est pas suffisamment grave pour qu'on puisse penser qu'une peine dans la collectivité soit injuste; lorsque la priorité doit être accordée à la réhabilitation et à la réparation.
    Le droit actuel est, selon moi, bien conçu pour permettre d'éviter que les délinquants dangereux soient libérés. Comme le comité le sait, j'en suis sûr, un juge n'est pas habilité à imposer une peine avec sursis quand, selon lui, le délinquant représente un risque pour la collectivité. Avec tout le respect que je dois aux membres du comité, il ne conviendrait pas, selon moi, que le gouvernement présume que les juges ne peuvent pas en juger par eux-mêmes alors qu'il présente aussi un projet de loi qui donnerait aux juges le pouvoir discrétionnaire de déclarer une personne « délinquant dangereux » en se fondant sur les éléments de preuve et de demander son internement permanent. Bien sûr, le pouvoir discrétionnaire peut donner lieu à des erreurs, mais l'autre solution, qui serait d'enlever tout pouvoir discrétionnaire aux juges et d'imposer des peines fixées d'avance ou d'enlever des choix possibles, constitue une erreur qui nous ferait mettre trop de gens en prison, ce qui ne convient pas comme réaction, à mon humble avis.
    Si les peines avec sursis posent un problème, celui-ci a trait aux deux derniers principes que j'ai énoncés. À mon avis, nous avons tendance à surestimer la valeur dissuasive ou dénonciatrice des peines avec sursis. Cet état de fait est attribuable à ce que je considère comme une présomption douteuse relativement aux précédents relatifs aux peines avec sursis. On présume que la peine a plus à voir avec une peine d'emprisonnement qu'avec une période de probation.

  (1550)  

    À mon humble avis, cela gonfle l'impact des peines avec sursis. Les personnes qui se voient imposer une peines avec sursis subissent sans doute le stress et le choc d'une ordonnance de la cour. Or, ce stress est certainement beaucoup moins élevé que celui d'une véritable incarcération. L'effet de dissuasion est donc moindre, dans la mesure où il existe des mesures de dissuasion, si on permet à la personne de purger sa peine dans la collectivité.
    Je crois que le problème des condamnations avec sursis vient de la tendance à en surestimer l'effet dissuasif ou dénonciatrice. C'est pourquoi je propose ces principes.
    Il y a un autre problème. C'est que nous imposons des peines avec sursis à toutes sortes de cas. L'imposition d'une peine est censée rendre justice, protéger la population au moyen de la dissuasion et essayer de réhabiliter ou de réinsérer les contrevenants dans la collectivité. Ces objectifs sont souvent conflictuels; donc, la priorité que les juges accordent à tel ou tel objectif a une incidence énorme sur leur façon de d'imposer une peine avec sursis.
    En somme, le problème est qu'il y a tendance à surestimer l'effet dissuasif ou dénonciatoire des peines avec sursis. Mes propositions abordent ces problèmes précis, contrairement à la perspective sans nuance que constitue le projet de loi C-9. Le projet de loi C-9 représente une vision simpliste, puisqu'il supprime la possibilité d'imposer une peine avec sursis dans tous les cas où l'infraction donne lieu à une peine maximale d'emprisonnement de 10 ans ou plus.
    Notre Code criminel n'est pas un outil cohérent. Il n'y a jamais eu d'évaluation scientifique de la gravité des crimes. Les peines prévues traduisent plutôt des perspectives historiques sur la peine maximale qu'il convenait d'appliquer. La liste des infractions qui s'accompagnent d'une peine maximale de 10 ans ou plus comprend celles qui font le plus peur à la société d'aujourd'hui, mais aussi le vol de bétail, le vol de carte de crédit, l'usage non autorisé d'un ordinateur, la possession d'instruments d'effraction, la production de faux documents, la production de fausse monnaie, etc. Aucune de ces infractions ne flatte celui qui les a commises, mais il est douteux que les Canadiens considèrent ces infractions comme les plus graves qui puissent être commises.
    Le deuxième problème est plus profond. C'est que la gravité des crimes dépend beaucoup plus des circonstances que de la nature de l'effraction. Par exemple, l'agression sexuelle va du baiser volé au viol le plus épouvantable. L'entrée avec effraction peut être le fait d'un jeune voyou très dangereux ou un ex-conjoint qui tente de récupérer des biens matrimoniaux, malgré une ordonnance de la cour donnant possession de la maison à un tiers.
    Il n'est pas approprié, à mon avis, d'avoir une seule catégorie de crime et de présumer que les peines avec sursis peuvent être imposées seulement en fonction de cela.
    Les peines avec sursis coûtent moins cher que l'incarcération et, à mon humble avis, il ne serait pas approprié que le gouvernement agisse selon la présomption que le retrait des peines avec sursis dissuaderait les contrevenants et que cela réduirait le coût de l'incarcération.
    Je n'aborderai pas les études abordées par les intervenants précédents, mais je demande au comité de faire preuve de bon sens. Comment peut-on, de manière réaliste, penser que des gens décident de conduire en état d'ébriété, d'entrer dans une maison par effraction ou de commettre une agression sexuelle parce qu'ils savent qu'ils ne se verront imposer qu'une peine avec sursis s'ils se font prendre? Toutes les infractions visées par le projet de loi font l'objet de peines très sévères. Est-ce que la décision de commettre un acte criminel dépend vraiment de la peine encourue?
    Deuxièmement, l'effet dissuasif dépend de la connaissance de la peine encourue et d'une analyse « coûts-avantages ». Le projet de loi C-9 est très complexe. Les contrevenants vont-ils en comprendre parfaitement le sens et les retombées et en tiendront-ils compte avant de commettre leur crime?
    Si le comité décide de recommander l'adoption du projet de loi ou si le gouvernement décide de l'adopter, il faut que ce soit en pleine connaissance du fait que l'administration de la justice coûtera plus cher.
    L'Histoire nous enseigne que, lorsque les lois deviennent rigides, les avocats et les juges trouvent les moyens de les contourner. Si ce projet de loi est adopté, attendons-nous à ce qu'il y ait un plus grand usage de la probation pour des infractions qui appellent actuellement des peines avec sursis. Autrement dit, des peines indûment clémentes seront imposées afin de contourner les restrictions. De plus, attendons-nous à ce que des juges imposent des périodes d'incarcération symboliques suivies d'une probation dans les cas où ils auraient auparavant imposé une peine avec sursis. Donc, à certains égards, le projet de loi aurait un effet contraire au but visé.
    Le projet de loi donnera un immense pouvoir aux procureurs, puisqu'il ne s'applique que lorsqu'il y a mise en accusation. Les procureurs peuvent donc enlever aux juges la possibilité d'imposer une peine avec sursis. Ce sont les juges qui doivent déterminer la peine à imposer, car leurs décisions peuvent être contrôlées, contrairement à celles des procureurs.

  (1555)  

    La solution que je propose est centrée sur le problème que je crois avoir ciblé. Certains juges ont tendance à surestimer la dimension dissuasive ou dénonciatoire des peines avec sursis. La Cour suprême du Canada renforce sans cesse cet aspect des peines avec sursis.
    Je demande au comité de recommander certains principes et au gouvernement d'envisager de les adopter. Il faut ajouter un préalable supplémentaire à l'imposition des peines avec sursis et veiller à ce qu'elles ne puissent s'appliquer que lorsque la priorité doit être accordée à la réhabilitation ou à la réparation. Ce faisant, les peines avec sursis seront réservées aux cas où elles sont vraiment utiles, et non pas dans les cas où il existe un réel besoin de dénoncer ou de dissuader.
    Également, il y a lieu de présumer que, dans les cas d'agression sexuelle ou de graves lésions corporelles — ou même, si besoin est, dans les cas d'importants dommages aux biens ou d'infractions portant gravement atteinte aux droits de propriété —, la dénonciation et la dissuasion auront priorité. En agissant ainsi sous forme de présomption, il incomberait à l'accusé de prouver qu'il y a des circonstances particulières qui font qu'une peine avec sursis est appropriée dans ce cas, contrairement aux autres cas où l'application de ce principe se fait normalement.
    Cette disposition tiendrait pour une erreur de principe qu'un juge ait recours à une peine avec sursis lorsque la dénonciation et la dissuasion sont les principaux objectifs. Cela pourrait être une raison de porter la décision en appel.
    J'invite le comité à se pencher sérieusement sur le projet de loi C-9. Bien que l'objectif qu'il vise soit louable, il constitue un outil sans nuance. Il ne représente pas une manière efficace ni, à mon humble avis, bien conçue de régler le problème que le gouvernement tente de cerner.
    Merci.
    Le prochain intervenant est le représentant du Comité central mennonite.
    Vous avez la parole, M. Loewen.
    Mon nom est James Loewen. Je viens de la terre promise de Langley, en Colombie-Britannique. Je suis heureux d'avoir fait tout ce chemin. C'est très joli ici.
    Je représente le Comité central mennonite du Canada, l'agence responsable des services, du développement et des secours de la Mennonite Brethren Church du Canada. Il existe une famille d'organisations du CCM du Canada qui ont des locaux dans cinq provinces. Nous offrons une vaste gamme de programmes, qui comprennent l'accompagnement des Autochtones, l'aide au réétablissement des réfugiés, l'aide aux personnes atteintes de maladies mentales, l'aide aux victimes et aux criminels incarcérés et la lutte à la pauvreté. La diversité de ces programmes a contribué à la rédaction du document sur les peines que nous vous présentons aujourd'hui. Je souligne d'emblée que le document lié à ces exposés ne couvre pas les commentaires et les préoccupations qui reflètent la sagesse et l'expérience des Autochtones. Je sais que leur sagesse et leur expérience sont importantes et doivent trouver écho en ce lieu.
    Le travail du CCM du Canada repose en partie sur l'élaboration le soutien de programmes de justice réparatrice partout au Canada. En plus de la conception à la base, nous nous intéressons à la création d'un environnement de croissance durable pour les programmes de justice réparatrice. À l'heure actuelle, le réseau du CCM du Canada compte plus de 35 programmes de justice réparatrice, qui vont de programmes bien établis à l'échelle internationale à des projets pilotes de pointe visant à en accroître les capacités.
    C'est en s'appuyant sur ces bases que le CCM du Canada se présente devant le comité et lui remet ce document. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de faire entendre notre voix au sujet du projet de loi C-9. Nous aborderons notamment la nécessité de faire preuve de sévérité lorsqu'il est question de crimes graves, de laisser une plus grande place aux victimes dans le processus judiciaire et de se pencher sur les effets d'une hausse du nombre d'incarcérations.
    Nous recommandons notamment que le gouvernement utilise davantage les peines avec sursis. Pour ce faire, il sera nécessaire de donner un plus grand rôle aux victimes tout au long du processus judiciaire et donner davantage de ressources aux victimes et aux programmes dont dépendent les processus judiciaires, comme les programmes de justice réparatrice. Puisque ce projet de loi répond à des questions soulevées par les médias, j'ai cru bon de revenir sur ces questions sous la forme d'une histoire. Cette histoire se trouve sur le site Internet de la CBC.
    En août 2001, Michael Marasco a été attaqué sans raison, car il y avait eu erreur sur la personne. Son agresseur, Erron Hogg, l'a battu avec une barre de fer jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Après avoir subi de graves opérations au cerveau, M. Marasco, âgé de 25 ans, souffre de troubles de la parole et de la mémoire et a dû mettre une croix sur son rêve de devenir avocat. Le juge John Scurfield a imposé à Hogg, qui est aussi âgé de 25 ans, une peine d'emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour et lui a ordonné d'écrire une lettre d'excuse à sa victime. Il doit aussi faire 400 heures de travaux communautaires et respecter un couvre-feu strict. Sa peine sera suivie par trois ans de probation avec supervision. La soeur de la victime, Maria Marasco, a déclaré que sa famille avait été choquée par la peine imposée. Elle a lu une déclaration de sa mère: « Cette expérience a anéanti toute confiance que ma famille pouvait avoir dans le système judiciaire canadien, qui ne repose que sur l'argent et la politique. Ce système nous a fait perdre notre temps, sans parler de l'argent des contribuables, pendant les deux ans et demie qu'il aura fallu pour que, en fin de compte, ce criminel s'en tire à bon compte. »
    Comme vous le savez sans doute, la famille a fait appel de la décision, qui a été infirmée. Hogg s'est fait imposer une peine d'emprisonnement de trois ans.
    Da prime abord, cette histoire semble appuyer l'approche préconisée par le projet de loi C-9, car la famille Marasco et le ministère de la Justice du Manitoba ont cessé de crier à l'injustice. Cependant, en examinant de plus près les histoires de ce genre, on dégage des thème communs. Il est clair que le principal problème de cette peine et des autres peines avec sursis découlant de crimes plus graves est qu'elles semblent dénoter un manque de considération pour la gravité du crime. Un autre problème est qu'on ne tient pas suffisamment compte, c'est le moins que l'on puisse dire, des victimes dans le processus de détermination des peines. De plus, on craint que les peines avec sursis n'aient pas un effet dissuasif suffisant. La conclusion évidente est donc que, pour que justice soit faite, il faut de longues peines d'emprisonnement. Toute autre décision témoigne nécessairement de la tolérance au crime et de la clémence des juges.

  (1600)  

    Le projet de loi C-9 est une tentative de solution aux situations comme celle de la famille Marasco. Le CCM du Canada appuie sans réserve l'idée que les crimes graves doivent être traités de manière rigoureuse et que les victimes et les collectivités doivent se sentir en sécurité.
    Nous sommes conscients qu'il y a des peines avec sursis qui sont troublantes. Par contre, si elles sont troublantes, c'est parce que les victimes se sentent impuissantes et encore plus troublées par la façon dont ces peines ont été imposées. La principale préoccupation ne porte pas directement sur les peines avec sursis, mais plutôt sur l'absence de réponse aux besoins et aux inquiétudes des victimes. Cette absence est une conséquence naturelle d'un système juridique adversatif qui laisse peu de place aux victimes, à leurs expériences pénibles et à leurs besoins complexes. Ce fait est répertorié dans de nombreux rapports, dont un va jusqu'à affirmer que les professionnels de la justice en sont conscients et recommandent une meilleure participation des victimes dans le processus de prise de décisions qui les touchent.
    Pour que les crimes graves soient pris au sérieux, il faut qu'il en soit de même pour les besoins des victimes, sans exception. Comme les études le montrent, ces besoins sont complexes et variables et ont souvent peu à voir avec l'incarcération comme fin en soi.
    En ce qui a trait aux besoins des victimes, la Consultation nationale des victimes du crime présente des propositions intéressantes, dont certaines s'appliquent au projet de loi C-9. Une de ces propositions est que les droits des victimes doivent être élevées à un rang au moins égal aux droits des contrevenants. Une autre proposition est la participation des victimes à la prise de décisions qui les affectent, comme les transactions pénales, les mises en accusation, la détermination des peines et les libérations conditionnelles. Un des besoins clés des victimes est le respect, qui est parfois gagné à la suite d'efforts individuels, mais qui n'est pas présent systématiquement. Un autre besoin important et fondamental est la sécurité et la réduction des craintes associées au contrevenant et aux représailles éventuelles.
    Le projet de loi C-9 ne répond en surface qu'à deux de ces besoins, soit le respect et la sécurité. Il semble véhiculer un message de respect, d'écoute et de considération pour les besoins des victimes qui ont fait l'expérience de l'injustice que peuvent parfois représenter les peines avec sursis. Par contre, le projet de loi ne fait rien pour combler les besoins des victimes qui sont en faveur de la peine avec sursis imposée au contrevenant, celles qui croient en l'inefficacité du système carcéral, celles qui comprennent que la véritable injustice est le déni des besoins des victimes.
    Le projet de loi C-9 semble offrir une sécurité temporaire aux victimes en retirant le contrevenant de la société. Malheureusement, comme on l'a déjà dit, ce n'est pas le cas. Les mesures contenues dans le projet de loi visant à changer les choses n'entraînent ni l'amélioration du respect des victimes au sein du système, ni l'accroissement de leur sécurité à moyen et à long terme. Le projet de loi ne répond qu'aux besoins apparents de quelques personnes et ne considère pas les récits de colère et de trahison comme une occasion d'étudier le problème plus en profondeur afin de s'attaquer à sa source. En fin de compte, en ne répondant pas aux besoins fondamentaux connus des victimes, nous ne protégeons et ne respectons pas celles qui veulent que les choses changent.
    Il est probable que ce projet de loi atténuera notre capacité déjà limitée d'offrir aux Canadiens des options significatives en matière de justice. La hausse substantielle des ressources dont les prisons provinciales auront besoin entravera nécessairement les possibilités de rendre justice.
    Le mémoire de l'ACJP montre clairement que toute limitation des peines avec sursis restreindra de fait la capacité de réhabilitation des contrevenants et de réparation pour les victimes. Tout contrevenant qui demeure dans la collectivité a la possibilité de continuer à recevoir un salaire, dont une partie peut servir de dédommagement pour la victime. Comme les ressources offertes par le gouvernement aux victimes sont limitées, l'utilisation de ressources supplémentaires pour incarcérer le contrevenant est deux fois plus préjudiciable.
    Je souligne qu'il a été plusieurs fois question de justice réparatrice en relation avec les peines avec sursis. Je puis vous assurer que les peines avec sursis et la justice réparatrice ne vont pas nécessairement de pair. Le fait d'ordonner à quelqu'un de s'excuser ou d'aller en prison n'est pas conforme au principe de justice réparatrice. La meilleure façon pour les contrevenants de comprendre les conséquences de leurs crimes est de vivre ces conséquences parallèlement aux victimes et à la collectivité touchées. Les peines avec sursis ne font que lever certaines des barrières érigées par l'incarcération.

  (1605)  

    Un des arguments avancés en faveur de l'incarcération est la sécurité spécifique qu'elle fournit aux collectivités et aux victimes. Il existe par contre des solutions de rechange beaucoup moins coûteuses et très efficaces, même dans les cas à risque élevé: par exemple, les cercles de soutien et de responsabilité. Les cercles de soutien et de responsabilité sont tellement efficaces pour prévenir la récidive chez les contrevenants à risque élevé qu'ils se sont multipliés partout au Canada. On en voit même de plus en plus dans d'autres pays, y compris au Royaume-Uni, et les États-Unis se montrent de plus en plus intéressés. Vous pouvez consulter le rapport d'un cercle de soutien et de responsabilité de Toronto.

  (1610)  

    Je vous demande de conclure votre exposé.
    Bien sûr.
    Il est troublant que l'élaboration et l'adoption de projets de loi fondés sur un paradigme de justice désuet, tels que celui-ci et le projet de loi C-10, fassent l'objet d'autant d'efforts et d'intérêt. C'est comme si le ministre de la Justice nous faisait visionner une vieille bande vidéo en noir et blanc en tentant de nous convaincre qu'il s'agit d'une technologie de pointe, même si nous pouvons rentrer à la maison et regarder un film en couleur haute définition sur écran géant. Du point de vue du CCM du Canada et des programmes avec lesquels il travaille, le projet de loi C-9 représente un refus de voir la justice en couleurs.
    Le CCM du Canada recommande au gouvernement d'augmenter l'utilisation des peines avec sursis. Pour ce faire, il sera nécessaire de donner un plus grand rôle aux victimes tout au long du processus judiciaire et donner davantage de ressources aux victimes et aux programmes dont dépendent les services judiciaires, comme les programmes de justice réparatrice.
    Le CCM du Canada invite le gouvernement du Canada à travailler activement à mettre en place un système de justice pénale qui va au-delà du système adversatif et qui utilise des processus actifs et mutuels auxquels participent les victimes, les contrevenants et leurs collectivités.
    Nous vous demandons d'agir avec courage et créativité dans le respect des riches traditions spirituelles des Canadiens, de notre tradition juridique, de la sagesse des Premières nations et des connaissances académiques acquises à la suite des difficiles leçons que nous avons dû tirer. Les victimes comme les Marasco ne méritent rien de moins.
    Merci.
    Merci, M. Loewen.
    Mme Prober, vous avez la parole.
    Je m'appelle Rosalind Prober et je suis présidente d'Au-delà des frontières, une organisation bénévole à but non lucratif qui lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants à l'échelle mondiale.
    Au-delà des frontières fait partie d'une organisation non gouvernementale, une ONG, multinationale du nom d'ECPAT, dont le but est de mettre fin à la prostitution juvénile, à la pornographie juvénile et au trafic des enfants à des fins sexuelles. ECPAT a son siège à Bangkok et je fais partie du conseil d'administration.
    Je dois dire tout d'abord que j'ai le même nom de famille qu'un avocat en droit criminel qui a vivement dénoncé un de ses compatriotes manitobains, Vic Toews, et ce projet de loi. Cet avocat est mon mari. Nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde sur la question des peines d'emprisonnement avec sursis. Par contre, je ne suis pas avocate, mais je ne m'en excuse pas.
    Je parle aujourd'hui au nom des enfants qui sont victimes d'abus sexuels aux mains d'adultes. Il n'est pas facile pour les enfants de déclarer la culpabilité des responsables. La plupart des enfants abusés ne vivent pas au Canada, mais bon nombre sont victimes de Canadiens qui s'adonnent au tourisme sexuel. Un grand nombre sont totalement incapables de supporter les pénibles contre-interrogatoires, rendus obligatoires par notre système judiciaire adversatif où il faut gagner à tout prix, sur les détails les plus intimes de leurs abus sexuels. La plupart de ces enfants ne sont pas jugés crédibles.
    Nous savons tous que les crimes de nature sexuelle peuvent briser des vies et qu'ils ont un impact important, surtout chez les membres les plus vulnérables de la société, ceux qui sont le plus exposés aux abus. L'écart entre le nombre de victimes et le nombre de cas portés devant les tribunaux montre clairement que la majorité des crimes sexuels ne sont pas déclarés.
    Au nom de ces enfants et de ceux qui réussissent à traîner les abuseurs devant les tribunaux, Au-delà des frontières appuie le projet de loi C-9. Nous sommes en faveur du retrait des peines avec sursis pour les agressions sexuelles et autres crimes de nature sexuelle commis contre toute personne âgée de moins de 18 ans, lorsque l'État procède par voie de mise en accusation et que le crime entraîne une peine maximale de 10 ans d'emprisonnement ou plus.
    Les lois qui sont sévères en théorie ne valent rien si elles sont constamment contournées. Il s'agit d'un cas flagrant d'abus du droit des enfants à la justice.
    Les Canadiens devraient-ils être réticents ou hésitants à la perspective d'Avoir recours au système de justice pour dénoncer les crimes sexuels commis contre des enfants? Selon Au-delà des frontières, la réponse est clairement non. La société a le devoir de protéger les enfants et de dénoncer les conduites qu'elle juge intolérable, comme les conventions et les protocoles internationaux que nous avons signés le prouvent. Les activités sexuelles avec des enfants constituent certainement une conduite intolérable. Le système judiciaire devrait indiquer clairement au public que ces crimes sont odieux et très graves.
    La magistrature a-t-elle failli à son devoir de protection des plus vulnérables de la société en imposant des peines clémentes pour des crimes sexuels graves à l'endroit d'enfants? Oui, sans l'ombre d'un doute. Il y a eu abus et surutilisation des peines avec sursis. On a fait fi du principe fondamental voulant que la peine soit proportionnelle à la gravité du crime.
    Au-delà des frontières a appuyé le projet de loi C-2, présenté par le gouvernement précédent, malgré le fait qu'il laissait l'âge du consentement à 14 ans. Ce projet de loi donnait à la magistrature l'obligation d'imposer des peines minimales aux personnes reconnues coupables de crimes sexuels graves à l'endroit d'enfants. Le projet de loi C-9 fera en sorte que ceux qui commettent des agressions sexuelles contre des enfants, comme l'inceste et ainsi de suite, ne pourront éviter la prison. Par contre, il faut souligner que ce projet de loi, contrairement au projet de loi C-2 qui imposait des peines minimales précises, ce projet de loi-ci laisse encore aux juges la latitude d'imposer des condamnations avec sursis et des probations pour les crimes sexuels commis sur des enfants.
    Est-ce que les peines purgées dans la collectivité ou la détention à domicile équivalent à l'incarcération? Évidemment pas. Les victimes de crimes, surtout les enfants, ont le droit d'être traités avec respect devant les juges et de connaître la vérité à propos de l'imposition des peines aux criminels. Une maison n'est jamais l'équivalent d'une prison, c'est inconcevable. Les personnes reconnues coupables de crimes sexuels contre des enfants peuvent coucher dans leur propre lit. Comme bon nombre de délinquants sexuels proviennent de milieux aisés, ils peuvent continuer à vivre dans le luxe. Comparer une maison et une prison n'est pas une équation crédible. C'est manquer de respect à tout le monde que de prétendre que rentrer à la maison après avoir été reconnu coupable est la même chose qu'aller derrière les barreaux. La détention à domicile est une punition légère; si ce n'était pas le cas, les criminels ne chercherait pas tant à l'obtenir.

  (1615)  

    En 2001, en Saskatchewan, une jeune fille Autochtone de 12 ans a eu l'énorme malheur de se faire remarquer par trois hommes adultes. Quand une fillette de 12 ans hystérique, ivre morte et ayant visiblement été agressée sexuellement, doit se faire hospitaliser, on serait porté à croire qu'il est impossible que les coupables se voient imposer une peine de détention à domicile. Pourtant, non seulement Dean Edmondson a-t-il obtenu une telle peine, mais il est également devenu une victime dans cette affaire, car la fillette de 12 ans a été dépeinte comme une participante consentante, et même comme un prédateur sexuel. C'est un précédent dont les Canadiens ne devraient pas être fiers.
    Les crimes de nature sexuelle commis contre des enfants sont souvent prémédités. Dans certains cas, les criminels élaborent des plans complexes et manipulent les enfants et leurs parents. Les crimes sexuels peuvent laisser des cicatrices profondes et, comme nous le savons tous, peuvent mener à des choix de vie destructifs et au suicide.
    La société est fortement réfractaire aux activités sexuelles avec des enfants. Malheureusement, des millions de dollars sont investis pour apprendre aux enfants comment se protéger. Lorsqu'un adulte choisit de franchir cette barrière et de faire du mal aux membres les plus vulnérables et les plus chers de notre société, il ne devrait pas se voir imposer à peine plus qu'un couvre-feu légèrement incommodant. La détention à domicile ne devrait jamais servir de punition aux abuseurs d'enfants.
    Le projet de loi C-9 met un terme à cette possibilité pour le bien des enfants. Votre comité devrait l'appuyer.
    Merci.
    Merci beaucoup, Mme Prober.
    De nouveaux éléments ont été présentés au comité. Je vais lancer la discussion.
    Mme Barnes, à vous l'honneur.
    Merci beaucoup.
    Je vais d'abord poser une question à Mme Prober, puisqu'elle est la dernière intervenante.
    Je vous remercie de nous avoir fait part de votre point de vue. Il est très important pour nous d'entre les deux côtés de la médaille.
    Mme Prober, vous n'avez abordé que les crimes de nature sexuelle. Avez-vous des commentaires à formuler sur les autres parties du projet de loi?
    Absolument pas.
    Les sections qui concernent la propriété et les autres aspects ne vous intéressent pas?
    Pas du tout.
    M. Loewen, les principes de justice réparatrice se trouvent déjà à l'article 718 du Code criminel, comme vous le savez, j'en suis sûre. Un article du projet de loi stipule que ces principes du Code criminel s'appliquent toujours, mais que les juges auront les mains liées et perdront leur pouvoir discrétionnaire.
    J'aimerais savoir ce que vous pensez qu'il arrivera à l'équilibre des principes de détermination des peines, surtout celui de la justice réparatrice qui vous tient à coeur.

  (1620)  

    Lorsque je pense aux peines que les juges peuvent imposer et à la possibilité de limiter encore plus leurs options, je me rappelle une conversation que j'ai eue avec un de mes amis, qui est aussi juge dans le Nord de l'Ontario. Il m'a surpris lorsqu'il m'a dit un jour: « James, je suis vraiment insatisfait des peines que je peux imposer. N'importe quelle proposition provenant de la collectivité touchée par ce crime serait meilleure que toutes les options qui s'offrent à moi. »
    Merci beaucoup.
    J'aimerais adresser une question à David.
    Au cours de la dernière législature, nous avons eu le projet de loi C-70. Nous n'en avons jamais débattu, car il n'est jamais arrivé à l'étape de la deuxième lecture. L'intention de ce projet de loi... Je ne sais pas si vous êtes familier avec cette mesure. Je pense que les autres témoins le sont.
    Dans ce cas, il s'agissait d'une présomption contre le recours aux peines avec sursis dans le cas des infractions qui y étaient énumérées. Il y avait les infractions de terrorisme, définies dans le Code criminel. Cela irait plus loin, je pense, dans le domaine du terrorisme, que les crimes définis dans le cas qui nous occupe. Il y avait aussi les infractions d'organisation criminelle, les infractions constituant des sévices graves à la personne au sens de l'article 752, et toute infraction dont la nature et les circonstances de la perpétration sont telles que la dénonciation devrait avoir prépondérance sur les autres objectifs servant à déterminer la peine, afin d’exprimer la réprobation de la société à son égard. J'ai tiré cela de votre témoignage d'aujourd'hui. Une autre disposition précisait que, si un juge décidait de ne pas appliquer cette mesure, autrement dit s'il allait à l'encontre de la présomption, il devait consigner les circonstances exceptionnelles au dossier de l’instance et expliquer son choix.
    Cela me semble très près de la thèse que vous défendez dans votre témoignage d'aujourd'hui. Cela serait certainement conforme aux principes de la détermination de la peine — ce qui sera très difficile à faire, selon moi, en vertu du paragraphe dont nous sommes saisis.
    Avant de vous demander ce que vous en pensez, je veux aussi dire que la façon dont... D'ailleurs le ministre s'est présenté devant le comité et nous a dit qu'il nous permettait de tenter de trouver d'autres façons de saisir le problème, pour voir s'il y avait un meilleur moyen. Il a admis, essentiellement, que ce libellé avait été établi assez arbitrairement. Or, sans qu'il y ait d'énumération, si l'on examine la façon dont les choses sont présentées dans ce projet de loi, on constate que beaucoup d'infractions sont prévues. Elles sont simplement présentées différemment. Toutefois, étant donné la conception du projet de loi dont nous sommes saisis, les situations hybrides ne sont pas prévues. Beaucoup de situations possibles en sont donc exclues.
    Donc, jusqu'à un certain point, ces mesures sont semblables, mais ne sont pas exposées de la même façon. Je crois que le concept adopté dans le projet de loi C-70, ou le point de vue que vous nous avez présenté, laisserait plus de pouvoir discrétionnaire au juge. Je crois à votre interprétation selon laquelle les procureurs feront le travail discrétionnaire en coulisses plutôt que publiquement. Beaucoup d'études l'ont montré, même si le ministre affirme qu'aucun procureur n'agirait ainsi. Cela se fait couramment, et les données empiriques des études le montrent bien. Cela se produit dans tous les tribunaux.
    Cela dit, j'aimerais que David, et peut-être aussi quelqu'un du groupe de Lorraine, m'en dise plus long sur ces deux réflexions. Il ne nous reste que deux ou trois semaines avant que nous ayons à nous pencher en comité sur cette question pour rédiger des amendements, car je crois qu'on cherche à restreindre les possibilités. Même si je crois beaucoup aux peines avec sursis, je crois que nous devons arriver à une formule qui soit applicable et qui ne soit pas arbitraire.
    Merci beaucoup. Je crois que c'est la clé. Comme je l'ai dit, je ne suis pas contre les objectifs de ce projet de loi, car les peines avec sursis peuvent être décourageantes pour les Canadiens, qui doivent avoir confiance dans le système de justice. Malgré les commentaires opposés que nous avons entendus, j'ai un grand respect pour ces objectifs. Les peines avec sursis peuvent parfois être inappropriées aux yeux de ceux à qui le système de justice pénale appartient.
    Ceci dit, l'interdiction absolue des peines avec sursis pour une longue liste d'infractions, fondée sur la longueur de la période maximale d'incarcération, n'est pas une bonne façon de régler le problème. Dans certains cas, la peine avec sursis est la décision la mieux avisée, la plus économique et la plus appropriée.
    Il faut laisser aux juges le pouvoir discrétionnaire de déterminer la peine. À mon humble avis, le problème est que nos cours d'appel ont adopté le point de vue que les peines avec sursis ont un effet dissuasif et dénonciatoire suffisant. Même dans les cas qui mériteraient une peine dénonciatoire, une peine avec sursis peut être considérée comme appropriée.
    Mon point de vue est que la peine avec sursis est appropriée quand il faut séparer une personne de la société aux fins de réhabilitation et quand le crime n'est pas assez grave pour que le public soit choqué par le fait que la personne peut rentrer chez elle. Voilà pourquoi je privilégie l'approche discrétionnaire que vous avez décrite, qui est semblable à celle que j'ai présentée plus tôt.
    Si les juges sont tenus de fonctionner selon le principe des présomptions, ils devront agir conformément à ces présomptions, sauf dans certains cas précis où il y a une raison valable de déroger à la norme. Je puis assurer au comité que, si les présomptions relatives à l'inopportunité des peines avec sursis dans les cas où la dissuasion ou la dénonciation doivent primer, les juges les respecteront. S'ils ne les respectent pas, les procureurs auront un excellent motif de porter la décision en appel.
    Actuellement, le pouvoir discrétionnaire en matière de détermination des peines est extrêmement vaste. Sans ligne directrice, il est très difficile de porter ce genre de cause en appel. L'approche préconisée dans le projet de loi, c'est-à-dire retirer la possibilité d'imposer des peines avec sursis dans tous les cas, même si c'est approprié, dans le but de tracer une ligne claire — approche que je surnomme « jeter le bébé avec l'eau du bain » dans mon document —, n'est pas conforme avec le système de détermination des peines. Les peines concernent le contrevenant et le crime commis et toutes les circonstances sont prises en compte. Je le répète, les degrés de gravité varient énormément d'une infraction à l'autre. En supprimant complètement la capacité d'imposer des peines avec sursis, il pourrait arriver que des juges imposent une peine moins sévère qu'ils ne l'auraient fait selon le système actuel, uniquement parce que la seule autre option est inappropriée ou irrationnelle à leurs yeux.

  (1625)  

    Merci, Mme. Barnes.
    D'autres personnes veulent intervenir.
    J'aimerais parler des effets des peines avec sursis sur les victimes de crimes, car cela peut aussi être très utile.
    Puis-je demander à quelqu'un de nous en parler plus précisément, quelqu'un d'assis...?
    Pardon?
    Il y a quelqu'un ici qui peut parler plus précisément de cette approche.
    Je ne saisis pas vraiment ce dont vous parlez. Votre approche...?
    Elle voudrait que quelqu'un dans la salle s'adresse au comité.
    À quel sujet?
    Y a-t-il quelqu'un ici qui veuille parler?
    Cette personne fait-elle partie de votre groupe?
    Bien. De quoi veut-elle parler?
    Des peines avec sursis. Je pense entre autres à un programme de justice réparatrice en vigueur au palais de justice d'Ottawa. Bon nombre de cas dont nous sommes saisis ont mis en cause des peines avec sursis et ont été résolus à la satisfaction des victimes. Du point de vue statistique, 94 p. 100 des cas dont nous sommes saisis seraient exclus de notre programme si ce que propose le projet de loi était en vigueur. Compte tenu de la réaction très positive des victimes à cette approche, j'aimerais que nous en parlions aussi.
    Nous allons permettre une présentation de quelques minutes sur le programme dont vous parlez. Il y a d'autres personnes qui ont témoigné.
    Tiffani Murray pourrait nous éclairer sur cette question.
    Je l'invite à être brève.
    Veuillez vous présenter et vous aurez la parole pour quelques minutes.
    Bien sûr, merci beaucoup.
    Je m'appelle Tiffani Murray et je fais partie du programme de justice réparatrice du palais de justice d'Ottawa. Je suis aussi avocate.
    Le programme existe depuis 1988 et fonctionne, comme on l'a déjà mentionné, selon les principes de justice réparatrice, auxquels le Code criminel donne prépondérance. Nous avons constaté que les peines avec sursis ont eu des effets positifs sur tous les participants au programme: contrevenants, victimes et collectivités.
    Nous avons examiné tous nos cas et les avons comparés au projet de loi C-9 pour voir quelles infractions seraient affectées par le retrait des peines avec sursis. Nous avons constaté que 94 p. 100 des cas seraient touchés. Dans ces cas, je dois dire que les victimes aussi seraient affectées.
    Ces cas ne pourraient appeler de peines avec sursis. Nous avons travaillé auprès des contrevenants, des victimes, des familles et des collectivités pour trouver des solutions, qui comprennent la présentation de recommandations aux juges, à la Couronne et aux parties défenderesses visant à imposer des peines avec sursis qui permettent aux victimes d'obtenir un dédommagement.
    Ce dédommagement peut être, par exemple, des travaux communautaires significatifs, une contribution du contrevenant à une organisation qui a une importance particulière pour la victime, ou un don du contrevenant à une fondation caritative qui a une signification particulière pour la victime. Tout cela peut exiger que le contrevenant travaille au sein de la collectivité. De plus, cela redonne aux victimes un sentiment de contrôle et permet aux contrevenants de prendre leurs responsabilités.
    Rien de tout cela n'aurait été possible si le contrevenant avait été incarcéré ou, dans 94 p. 100 de nos cas, si la possibilité d'imposer des peines avec sursis n'existait plus.
    Je parle de cas de fraude, de vol ou même de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles. Ce sont des cas où il y a eu des retombées positives pour les victimes et les collectivités.

  (1630)  

    Réal.

[Français]

    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Je vais parler en français.

[Français]

    J'avoue avoir particulièrement apprécié le panel d'aujourd'hui. Même si c'était sur vidéo, je l'écouterais à nouveau tellement il me paraît y avoir là une combinaison de sagesse et de voies alternatives.
    Je vais commencer par M. David Paciocco, professeur à l'Université d'Ottawa. Étant moi-même un étudiant en droit civil inscrit au cours d'André Jodoin à l'Université d'Ottawa, j'avoue que votre présentation m'a fait plaisir.
    J'ai toujours pensé qu'il serait plus intéressant d'amender l'article 718 et de donner des indications à la magistrature. Si on pense qu'on a mal utilisé cet outil qu'est l'emprisonnement avec sursis, il ne s'agit pas, comme vous le dites, de jeter le bébé avec l'eau du bain, mais d'en restreindre l'utilisation aux fins qu'on croit socialement acceptables.
    Seriez-vous en mesure — je ne sais pas si vous pouvez le faire maintenant, sinon vous pourriez le faire parvenir à notre greffière — de nous proposer un libellé? Je suppose que les propositions 1 et 2 que vous suggérez pour trouver une application concrète exigeraient un amendement à l'article 718. Est-ce que je comprends bien? Avez-vous réfléchi à un libellé qui pourrait faire l'objet d'un très bel amendement que certains d'entre nous, les plus progressistes, pourraient reprendre?

[Traduction]

    Merci, M. Ménard.
    Je ne suis pas rédacteur de loi et je n'oserais pas proposer un libellé que le comité reprendrait verbatim.
    Ce que je sais, c'est qu'il y a des conditions à respecter pour déterminer si la peine avec sursis est appropriée. Je crois qu'une de ces conditions devrait concerner les objectifs de la peine.
    Actuellement, l'important est de poser la question générale de la conformité de la peine avec sursis aux principes globaux de la détermination de la peine.
    Je propose que le Code criminel définisse ce qui fait que la peine avec sursis est conforme aux principes généraux de la détermination de la peine en précisant qu'elle n'est appropriée que lorsque la réparation ou la réhabilitation sont prioritaires. Cette précision pourrait s'accompagner d'une autre disposition aidant les juges à déterminer quand il faut accorder la priorité à la réhabilitation et à la justice réparatrice lors de la détermination de la peine, notamment en cernant les catégories de présomption où la dénonciation joue un rôle important dans la détermination de la peine. Les avocats seraient tenus de démontrer pourquoi leur cas présente une circonstance unique qui fait qu'il est approprié de faire référence à un programme de justice collaborative ou de demander une autre peine axée sur les besoins du contrevenant.
    Il y a des différences énormes d'une infraction à l'autre et d'un contrevenant à l'autre. Il ne serait pas avisé d'être trop précis. Si les juges savent qu'une peine doit vraiment avoir un effet dissuasif et dénonciatoire, ils doivent réfléchir profondément avant d'imposer une peine avec sursis. Il faut que le cas présente quelque chose de vraiment spécial.

  (1635)  

[Français]

    J'essaie de bien saisir les objectifs que vous poursuivez. Si vous ne voulez pas laisser libre cours à vos pulsions littéraires juridiques, ce n'est pas grave: d'autres personnes pourront le faire.
    Si je comprends bien, vous suggérez que l'on amende l'article 718 de sorte que lorsqu'un juge aura à déterminer la sentence, comme l'emprisonnement avec sursis, il pourra proposer d'autres sentences. Vous souhaitez que certains critères le guidant soient spécifiés à l'article 718.
    Est-ce bien le sens de votre proposition? Il s'agit de l'article du Code criminel qui traite de la détermination de la peine. J'imagine que cela a déjà fait l'objet d'un examen à l'un de vos cours. Est-ce bien ce dont on parle?

[Traduction]

    J'ajouterais ces dispositions directement à celles qui concernent les peines avec sursis plutôt qu'à l'article 718. Ainsi, il serait très clair qu'il y aurait maintenant quatre conditions préalables au lieu de trois.
    La peine avec sursis ne serait pas une option dans les cas où une peine minimale est requise, ni dans les cas où il serait dangereux de remettre le contrevenant dans la collectivité. Elle ne serait pas appropriée si elle n'est pas conforme aux principes généraux de la détermination de la peine, et elle ne sera pas conforme à ces principes...

[Français]

    Vous amenderiez donc l'article 742.
    Je connais un peu la justice réparatrice telle que les Autochtones la préconisent. Vous avez parlé de cercles d'appui et de reddition de comptes. J'aimerais que vous nous donniez plus d'information sur ces façons alternatives de pratiquer la justice. Je pense que James a abordé ces questions.

[Traduction]

    Merci.
    Oui, j'ai fait précisément référence à un programme appelé Cercles de soutien et de responsabilité, qui n'est pas une incarnation exacte de la justice des Autochtones, mais qui est conforme aux principes qu'ils ont énoncés. C'est un programme du Comité central mennonite de l'Ontario. Je le considère comme un programme de justice réparatrice car il vient en aide aux contrevenant les plus méprisés au Canada: les délinquants sexuels, ceux à risque élevé dont parlait Mme Prober.
    Ce programme offre une place dans la collectivité afin que les contrevenants soient tenus responsables de leur passé et des risques qu'ils présentent pour la collectivité. Par contre, ils profitent aussi d'un soutien, car ils ont la possibilité de changer, de progresser et de devenir des membres actifs de la société, de sorte qu'il n'y ait plus de victimes ni d'histoires horribles, comme celle de l'homme qui a enlevé deux enfants il y a quelques semaines.
    Si cet homme avait fait partie d'un cercle de soutien et de responsabilité, cela ne se serait pas produit. J'en suis convaincu. L'étude menée par les cercles de soutien et de responsabilité de Toronto montre que leur taux de succès est élevé et qu'ils sont très efficaces pour prévenir la récidive.
    Pourtant, aux yeux du gouvernement et de la plupart des universitaires, ce programme n'est pas considéré comme un programme de justice réparatrice, car il n'intervient qu'auprès des contrevenants pour veiller à ce qu'ils ne récidivent pas.

  (1640)  

    Merci, M. Ménard.
    Vouliez-vous répondre, Mme Prober?
    En ce qui a trait à la possibilité que M. Whitmore récidive, il n'y a aucun doute: il est un pédophile endurci qui a un intérêt sexuel pour les enfants. J'ai de la difficulté à accepter que qui que ce soit se présente ici — malgré tout le respect que j'ai pour les opinions, surtout en ce qui concerne les victimes — et juge une personne comme M. Whitmore qui, à mon avis, est un pédophile pathologique qui va abuser des enfants jusqu'à ce qu'on l'enferme. Il l'a lui-même prouvé.
    Cet homme est également un terrible manipulateur. Comme vous le savez, cette histoire a commencé au Manitoba, où il a littéralement convaincu une famille de lui laisser leur fils. Il est très habile sur le plan social. Il était en mesure d'obtenir des emplois et de se déplacer partout au pays. Il est déménagé à Terre-Neuve et a loué un appartement. Il a dit aux Terre-neuviens qu'il revenait avec deux garçons. Il a loué ou acheté une voiture, l'a laissée là et est parti pour le Manitoba où il a commencé à travailler. Il a réellement mystifié un père pour lui enlever son fils. Les trois — le fils, le père et Whitmore — sont partis en voiture. Ils étaient censés aller faire du camping ou je ne sais trop quoi. Puis, tout à coup, après environ une semaine, le père est revenu en ville et Whitmore s'est servi du fils pour enlever un autre garçon.
    Il y a des gens qui sont de vrais pédophiles pathologiques. Il faut l'accepter. En ce qui a trait aux peines, avec sursis ou autres, imposées aux gens de cette espèce, le projet de loi n'est qu'un petit élément des mesures que le Canada doit prendre pour protéger les enfants contre les délinquants sexuels. Je ne dis pas que c'est la fin des fins, mais bien une petite étape. Je ne veux pas que le comité se méprenne sur les intentions des délinquants sexuels et sur ce qu'ils sont prêts à faire.
    Pour ce qui est du taux de récidive, il y a un côté sombre à ces statistiques: les enfants se taisent. Les enfants qui ont été abusés sexuellement ne sont pas représentés du tout dans ces statistiques sur les récidives. J'ai aussi beaucoup de difficulté à croire que ces délinquants ne récidivent jamais. Comment le savoir? On ne peut absolument pas se fier aux statistiques sur la justice pénale. Certains pédophiles pathologiques — et, évidemment, ce ne sont pas tous les abuseurs d'enfants qui sont des pédophiles — font des centaines de victimes.
    Il faut donc voir la réalité en face à propos des délinquants sexuels qui abusent d'enfants et à propos de notre société hautement sexualisée. Les enfants sont dépeints comme des cibles offertes aux abus.
    Merci, Mme Prober.
    M. Comartin, vous avez la parole.
    Si je comprends bien votre point de vue, M. Paciocco, vous ne condamneriez pas l'utilisation des peines avec sursis, comme le stipule le projet de loi, pour aucune infraction. Est-ce exact?
    Exact.
    Vous laisseriez donc la décision à la discrétion des juges, même dans les cas d'abus comme celui qu'a subi M. Marasco?
    Ce serait un exemple de cas où la présomption serait opposée à la peine avec sursis. Il faudrait qu'il y ait quelque chose de très exceptionnel à propos du contrevenant ou des circonstances de l'infraction pour qu'une peine purgée dans la collectivité soit appropriée. Si ce n'était pas le cas, s'il y avait une présomption contraire et si le contrevenant avait obtenu une peine avec sursis, la cause aurait été portée en appel et l'appel aurait été accueilli, comme ce fut le cas dans cette affaire.
    Le fait est qu'il ne peut pas y avoir de règles strictes en matière de détermination des peines sans que ces règles ne s'appliquent à des cas auxquels elles ne devraient pas s'appliquer. Nous devons faire confiance aux juges. Leurs décisions sont liées à des principes organisés qui reflètent la volonté des Canadiens et ils sont tenus de respecter ces principes. Si nous n'avons pas confiance en eux, nous avons un grave problème.
    Si on commençait à dresser la liste des infractions pour lesquelles il serait interdit d'imposer une peine avec sursis, cette liste serait très longue et contiendrait les agressions sexuelles contre des enfants.
    Un des cas que j'enseigne dans mon cours est un cas d'agression sexuelle contre des enfants qui s'est produite il y a 30 ans et qui consistait en des attouchements relativement mineurs. Je sais que toutes les agressions sexuelles sont graves, mais dans ce cas, personne n'avait rien à gagner en incarcérant un membre actif de la société, qui faisait du bénévolat pour des oeuvres de charité, qui avait de jeunes enfants et qui n'a fait l'objet d'aucune plainte pendant 30 ans. Je reconnais qu'il est impossible d'avoir la certitude qu'il n'a jamais commis d'autres gestes du genre. Or, compte tenu de toutes les circonstances, envoyer cet homme en prison pour des gestes posés il y a si longtemps n'aurait pas été une décision très productive.
    C'est pourquoi je crois que l'interdiction absolue est dangereuse. Tous les crimes sont commis dans des circonstances particulières. La conduite avec facultés affaiblies causant la mort nous paraît révoltante, mais cette infraction peut avoir été commise dans des circonstances telles qu'une peine avec sursis pourrait être appropriée. Une personne pourrait avoir tué un parent ou un conjoint dans un accident de la route causé par la conduite avec facultés affaiblies, mais il n'y aurait absolument aucune raison de faire passer un message dissuasif à cette personne ou à la collectivité, en raison de la nature de la tragédie. Si nous appliquons toujours les mêmes règles sans discernement, nous allons envoyer en prison des gens qui ne le méritent pas, sans avoir la possibilité de poser un geste productif lorsque l'occasion se présente.

  (1645)  

    Oui, Mme Prober, vous aurez la parole.
    Je pense comme vous. Le juge Nosanchuk, dans cette affaire où l'ami proche était responsable du décès... En fait, les parents étaient en faveur de la peine avec sursis dans ce cas précis. Il y a toujours des circonstances de ce genre.
    Mme Prober, si je comprends bien, vous n'acceptez pas cela. Vous dites qu'il devrait toujours être interdit d'imposer une peine avec sursis pour les crimes de nature sexuelle.
    C'est exact. J'aimerais parler des victimes qui sont passées à l'histoire, car cela me touche personnellement. La seule raison pour laquelle certains cas passent à l'histoire est l'ampleur des dommages causés.
    Bien que je sois, à plusieurs égards, du même avis que David et les gens qui se trouvent de l'autre côté de la pièce, je ne crois pas que les cas célèbres devraient attirer de la sympathie. Je ne crois pas que les juges devraient être plus cléments envers les gens qui font du bénévolat, les bons gars, les pères de famille et ainsi de suite. En fait, je crois que cela devrait jouer contre eux, car ce sont des gens qu'on ne soupçonnerait pas d'être des abuseurs d'enfants.
    Les tribunaux font les choses à l'envers. Dans certains cas, les circonstances atténuantes devraient plutôt être des circonstances aggravantes. Ah oui, vous avez un emploi, vous avez des enfants; ah oui, vous être un chic type; ah oui, vous faites du bénévolat; ah oui, vous abusez sexuellement d'enfants — oups! Cet homme-là devrait recevoir une peine plus sévère et la personne qui pour une raison ou une autre s'adonne à des actes sexuels avec des enfants et est marginalisée devrait être considérée avec une bien plus grande sympathie.
    Il y a des choses bizarres qui se passent dans les tribunaux. On vient de l'entendre: cet homme est un type bien, et on ne devrait pas l'envoyer derrière les barreaux pour un crime commis il y a 30 ans. Je m'inscris en faux contre cette vision des choses. De plus, pendant 30 ans, cette personne a su qu'elle avait commis un crime contre un enfant et d'a rien dit.
    J'éprouve donc bien peu de sympathie pour les criminels qui sont passés à l'histoire.
    Monsieur Comartin, continuez, je vous prie.
    Je voudrais remettre en question ce que vous dîtes. Vous présumez que chaque pédophile ou acte de violence sexuelle... vous assimilez tout à la pédophilie.
    Pas du tout.
    Laissez-moi terminer, madame Prober. Vous avez entendu les témoignages que les trois plus grands spécialistes du pays, je pense, ont présentés au comité la dernière fois au sujet du projet de loi C-2. Ces spécialistes ont indiqué clairement qu'il y avait des niveaux. Revenons à la situation de fait décrite par M. Paciocco. Je pense qu'il disait que l'agression sexuelle avait été commise il y a trente ans et découverte aujourd'hui... et qu'il n'y avait aucune preuve d'autres agressions sexuelles. Je vais rajouter un facteur.
    Présumons que, après le premier incident, la personne coupable ait reçu un traitement et y ait réagi favorablement. Selon les spécialistes, dans les cas de moindre gravité, le traitement est une solution viable — non pas dans les cas de personnes chez qui le comportement est ancré, j'en suis conscient, mais dans les cas de moindre gravité. Compte tenu de cette situation de fait — un traitement a été appliqué, la personne n'a pas récidivé du tout pendant la période de trente ans — interdiriez-vous quand même l'utilisation de peines avec sursis?

  (1650)  

    Oui.
    Quelqu'un d'autre voudrait-il formuler des observations?
    Très rapidement, je vous prie.
    Oui. Je pense qu'il y a une grosse différence entre dissuasion et dénonciation, et j'ai entendu mentionner les deux. L'effet dissuasif, comme nous le savons, ne découle pas de l'application du droit criminel. Nous ne devrions même plus en parler. Toutefois, la dénonciation est très importante et je pense que c'est ce à quoi fait référence Mme Prober. Je suis d'avis que la dénonciation doit se concrétiser de manière personnelle et significative dans une collectivité.
    Vous dîtes que les gens veulent des peines ayant un effet dénonciateur. Il vous faut vous rappeler que, selon un grand nombre de travaux de recherche sur les perceptions publiques du crime, les Canadiens, s'ils ne font que lire les grands titres des journaux, peuvent être consternés par le manque de caractère dénonciateur d'une peine. Toutefois, lorsqu'on leur donne des renseignements leur permettant de mieux comprendre les circonstances réelles — et je ne veux pas dire qu'ils ressentent de l'empathie pour le contrevenant, nécessairement — lorsqu'on leur permet de comprendre l'expérience de la victime et le genre de mesures de dénonciation sensées pour la victime, lorsqu'on leur montre qu'on tient compte sérieusement des besoins, c'est différent. C'est ce que les Canadiens veulent, nous le savons.
    J'estime important que vous teniez compte de ces travaux de recherche et que vous ne vous contentiez pas de présumer que les Canadiens veulent seulement une solution simpliste qui ne donnera pas les résultats véritablement escomptés.
    Je vous remercie.
    Si le comité le permet, j'aimerais poser une question qui a trait à l'information que j'ai accumulée au cours d'une longue période en tant qu'agent de police qui a souvent eu affaire à des cas d'agression et même à des peines légères. J'ai vu des collectivités outrées par le fait qu'un prédateur sexuel de leur milieu qui avait gardé de nombreux enfants ait reçu une peine d'emprisonnement avec sursis. La réaction était très intense. Rien n'aurait pu effacer ce qui s'est produit, car, comme on l'a dit souvent ici, les prédateurs ne s'arrêtent pas. Ils récidivent encore et encore. Toutefois, c'est la réaction d'une collectivité par rapport à une peine avec sursis. Je trouve tout à fait ahurissant qu'on puisse envisager de relâcher un contrevenant au milieu des personnes qu'il a blessées.
    Par ailleurs, en tant qu'agent de police, j'ai parlé à un certain nombre de victimes d'attouchement, en particulier des jeunes. Parfois, l'agresseur est un membre bien en vue de la collectivité. Cela peut être un membre du clergé, par exemple. Ou une personne qui amasse des fonds pour des organismes de bienfaisance. Il s'agit ici d'attouchements légers, sexuels, avec intention d'en arriver à un acte sexuel. Les victimes, après coup, disent « vous savez, je sentais que je devais être plus actif ou active sexuellement ». Dans le cas de fillettes de 12, 13 ou 14 ans, l'abus sexuel déclenche quelque chose et elles deviennent plus actives sexuellement à cause de leur expérience avec ces adultes, qui les manipulent à leur gré. Les filles en particulier deviennent plus actives sexuellement à cause de ce qui s'est passé, et elles l'avouent. Elles sont très très vulnérables.
    Je serais curieux de savoir combien de personnes ici ont eu l'occasion de parler à des victimes. Comment accepter cette façon de traiter les contrevenants, c'est-à-dire leur imposer des peines avec sursis, alors que les collectivités sont consternées et que les victimes subissent des conséquences si négatives?

  (1655)  

    Je comprends, monsieur le président, et loin de moi l'idée de dénigrer les conséquences horribles que ces infractions sexuelles peuvent avoir, et ont généralement, sur les victimes. Le cas dont je parlais concerne une personne de 21 ans ayant commis une infraction sur des garçons de 14 et 13 ans. Il s'agissait d'attouchements, un acte qu'aucune société saine d'esprit ne devrait tolérer. Ce qu'il faut nous demander, en fin de compte, c'est, après tout ce temps, quel type de réaction est approprié et qu'obtiendrons-nous de cette réaction?
    Comme je le disais plus tôt, je ne crois pas qu'abolir les peines avec sursis dans les cas d'agression sexuelle aura un effet dissuasif. Il faut nous demander s'il existe des circonstances dans lesquelles les infractions de cette catégorie ou des autres catégories énumérées exigeraient une peine d'emprisonnement avec sursis. Vous avez sélectionné l'une des infractions les plus répréhensibles et l'un des exemples les plus probants pour illustrer pourquoi vous ne voudriez pas de peines avec sursis. Or, le projet de loi qui est présenté par le gouvernement comprend toute une gamme d'infractions qui sont loin d'être aussi graves qu'une infraction sexuelle. Je le répète: c'est un outil grossier. Même dans le contexte des infractions sexuelles, je demanderais instamment au gouvernement de se rappeler que, bien qu'il existe des cas comme cela, où les déclarations sur les effets sur les victimes peuvent mettre en lumière le contexte dans lequel l'infraction a été commise et où la présomption contre une peine avec sursis pourrait permettre aux tribunaux d'intervenir dans un cas où la collectivité serait outrée à juste titre, il ne faut pas tenir pour acquis qu'il n'y a qu'une réponse appropriée dans chaque circonstance de détermination de la peine. C'est ce que je reproche respectueusement au projet de loi. Il généralise trop.
    Je vous remercie.
    Monsieur Loewen.
    Merci.
    L'histoire que vous venez de raconter souligne très bien, je crois, l'essentiel de mon exposé. Je disais que, avec le système actuel — que nous parlions de peines avec sursis ou d'autres peines —tant les victimes que la collectivité sont sans voix. La collectivité ne joue aucun rôle dans le processus, sauf peut-être par l'entremise des avocats et des juges qui vivent dans la collectivité. Elle n'intervient nullement dans le résultat de l'affaire, une affaire qui influe directement sur elle. Surtout, on ne communique pas comme il se doit avec les victimes. On arrive dans la collectivité avec cette solution à ce terrible crime et elle n'est pas satisfaite. Devrions-nous être surpris? C'est que la collectivité n'a pas eu son mot à dire dans la solution. Rien.
    Mme Prober a la parole.
    Que dire? Je suis mariée depuis de nombreuses années à un avocat spécialisé en droit criminel. J'ai compris certaines choses à la longue, notamment que le système de justice est une zone de guerre. On perd ou on gagne. Certains quittent le tribunal en vainqueurs; d'autres en perdants. Je ne sais. Peut-être que David voudrait commenter. C'est la réalité du système.
    C'est aussi un système éprouvant pour les enfants. Je pense que vous ne sauriez concevoir de pire système que le système accusatoire — du moins en ce qui concerne les enfants victimes d'agressions sexuelles. Peu importe ce qu'on fait — le projet de loi C-2, que nous avons appuyé, l'aide aux témoins et tout cela — le système demeure très éprouvant.
    J'aimerais revenir sur ce cas survenu en Saskatchewan. Tout a débuté en 2001. C'est à ce moment que la jeune fille de 12 ans s'est enfuie. L'affaire se poursuit aujourd'hui. Nous arrivons en 2007, n'est-ce pas? Il y avait trois hommes, non? Cette affaire est tellement un gâchis que le procès des deux derniers hommes vient tout juste de commencer.
    Juste pour vous montrer à quel point le système défavorise les enfants, nous avons déposé une plainte en 2001 auprès du conseil judiciaire au sujet du fait qu'on appelait les accusés « les garçons ». Ce sont tous des hommes adultes; on les appelait « les garçons » dans cette affaire. Nous sommes en 2006 et le conseil judiciaire ne nous a toujours pas répondu.
    C'est un processus très dur pour les enfants. Nous parlons de ce qui arrive après la condamnation. Nous parlons de ces gens une fois qu'ils ont été déclarés coupables et qu'on s'apprête à déterminer leur peine. Le plus grand problème avec les délinquants sexuels, c'est qu'ils nient profondément. La raison principale pour laquelle ils commettent ces crimes, c'est que ces gens n'ont pas intégré les énormes barrières sociales qui nous disent qu'avoir des relations sexuelles avec des enfants n'est pas bien. Ils ne connaissent pas ces barrières, car leur capacité de raisonnement est dysfonctionnelle. Ces gens ont aussi tendance à blâmer la victime. Je pense donc que, une fois la peine prononcée, ces personnes doivent être tenues responsables comme il se doit.

  (1700)  

    Merci, madame Prober.
    Je sais que le projet de loi touche d'autres infractions outre les infractions sexuelles. Nous pourrions en discuter aussi.
    Monsieur Thompson, vous avez la parole.
    Je vous remercie, monsieur le président. Merci à tous de nous accorder du temps et merci pour vos exposés.
    Je veux dire à Mme Prober, d'Au-delà des frontières, que lorsque je suis arrivé ici, en 1993, l'un de mes principaux objectifs personnels était de faire tout ce que je pourrais pour éliminer la pornographie juvénile et ces autres choses qui détruisent et heurtent la vie de nos enfants. C'est une lutte de tous les instants.
    Je vais être honnête avec vous. Depuis treize ans, je n'arrive pas à comprendre pourquoi des adultes, hommes et femmes, y compris les juges qui prennent certaines décisions, ne parviennent pas à établir des mesures qui aident véritablement. Nous nous laissons toujours arrêter par l'idée qu'il faut faire attention de ne pas contrevenir à la Charte. En d'autres mots, les droits de certains sont plus importants que la protection et la sécurité de nos enfants. Cela a toujours été ainsi. Je ne sais comment nous arriverons à combattre ce fléau, mais il faudra le faire, car il s'agit désormais d'une industrie de plusieurs milliards de dollars. C'est une honte qu'elle ait connu une telle croissance.
    J'apprécie beaucoup votre travail. Continuez. Je tenais à vous le dire d'entrée de jeu.
    Je voudrais dire au Conseil des Églises que je ne comprends pas comment il arrive à de telles décisions et recommandations concernant le projet de loi C-9. J'ai regardé la liste des Églises fondatrices. Je fais partie de l'une d'elles. Je ne peux pas croire que l'Église à laquelle j'appartiens et qui réunit de très nombreux fidèles adhère à ce que vous avez dit aujourd'hui. J'ai reçu beaucoup de pétitions au fil des années, en particulier de certains groupes confessionnels, en faveur des éléments que prône le projet de loi C-9. C'est ce à quoi je veux venir.
    Je suis d'accord avec la dame de l'organisme Au-delà des frontières quand elle dit qu'on ne peut pas se fier seulement aux statistiques en matière de justice pénale. Toutefois, voici des chiffres probants: après le dépôt en 1994 d'une pétition signée par 2,5 millions de personnes, à l'initiative de Priscilla de Villiers et d'un groupe de victimes, et après toutes les pétitions présentées ces dix dernières années, nous avons plusieurs millions de pétitions exigeant l'adoption de mesures liées au système de justice. Ces pétitions proviennent des gens qui assument les coûts du système. Ils méritent que le système les protège.
    J'aimerais donc comprendre votre décision. J'ai beaucoup de mal à croire que vous jouissiez d'autant d'appui de la part des membres de votre organisme.
    Monsieur Loewen, vous soulignez à quel point il est important que les victimes se fassent entendre. Je ne pourrais être plus d'accord. Les victimes ne participent pas suffisamment au processus.
    Je reconnais la valeur de ce qu'avance M. Paciocco, mais je vais être franc. Tous les résidants de ma circonscription qui ont signé ces pétitions et tout cela ne comprendraient pas vraiment votre point de vue. Vous ne pourriez faire un tel exposé dans ma circonscription, qui est au coeur même de nos grands cheptels.
    L'exemple des bovins serait peut-être mal choisi à l'extérieur du comité.
    J'insiste sur une chose: ce qui suscite ce débat à l'échelle de notre grand pays et amène les gens à réclamer qu'on améliore le système de justice, ce sont des événements comme cette semaine que je n'oublierai jamais, la semaine où un agresseur a kidnappé Melanie Carpenter. Vous vous en souvenez peut-être. Les gardiens de prison et les travailleurs sociaux m'avaient téléphoné pour me dire qu'on avait accordé une libération conditionnelle à l'agresseur et que cet homme ne devrait jamais être libéré. « Pourquoi le relâche-t-on? », m'ont-ils demandé. Il y a eu un grand débat, mais l'homme a été libéré. Peu après, Melanie Carpenter était retrouvée morte.
    La même semaine, une personne accusée de braconnage d'un wapiti a été incarcérée. Quatorze agriculteurs ont été emprisonnés pour avoir vendu leurs cultures aux États-Unis sans permis. Cette même semaine, une fillette de cinq ans a été attaquée brutalement; sa gorge a été tranchée; elle a été violée et on l'a retrouvée dans une poubelle. Le responsable a obtenu une peine avec sursis pour l'un des pires et des plus odieux crimes.
    Cela n'illustre-t-il pas, pour certains d'entre vous, ou pour vous tous, la raison pour laquelle le grand public a signé des millions de pétitions ces dernières années? Il faut agir. Si vous abondez dans le même sens, j'espère que vous comprendrez que le gouvernement est déterminé à apporter des changements appréciables au système de justice pour l'améliorer. À notre avis, c'est ce que vise le projet de loi C-9.
    Malheureusement, le pouvoir discrétionnaire des juges cause beaucoup de problèmes. Le commentaire qu'on entend souvent par rapport à une décision dans une affaire, c'est « mais à quoi le juge a-t-il pensé? ». La décision était peut-être bonne, peut-être mauvaise, mais les gens n'aiment pas laisser cette décision entre les mains d'un juge. C'est mon impression.
    Voilà ce que j'avais à dire. Si vous avez des observations, allez-y.

  (1705)  

    On peut commencer à ce bout-ci de la table. Je m'excuse encore d'avoir employé l'exemple des bovins. À l'avenir, je vérifierai de plus près qui siège au comité.
    Je n'ai pas de bovins moi-même.
    Je comprends tout à fait la frustration de la population canadienne. Je pense qu'il nous incombe à tous de veiller à ce que le système de justice pénale tienne compte des valeurs des Canadiens. Toutefois, je souscris aux observations du Conseil des Églises par rapport à la détermination des peines.
    J'ai lu des études dans le cadre desquelles on pose aux gens des questions générales sur la détermination des peines. Ils répondent que c'est une aberration. Toutefois, si on leur fournit les faits précis sur des situations et qu'on leur demande de choisir parmi tout un éventail de peines appropriées, les gens sélectionnent généralement une peine se rapprochant beaucoup de celle déterminée par le juge.
    Je prie instamment le gouvernement de faire ce qu'il peut pour que le système de justice pénale réponde aux besoins des gens. Toutefois, il faut faire attention à la manière utilisée. À mon humble avis, se contenter d'éliminer les peines avec sursis pour toutes les infractions énumérées qui sont assorties de peines maximales de plus de dix ans est une méthode très brutale si vous ne cherchez qu'à montrer que vous allez durcir le ton en matière de crime. Si vous comptez accomplir quelque chose de précis ce faisant, si vous comptez prévenir le crime, si vous voulez qu'on établisse systématiquement des peines appropriées, je vous dirai « bravo, allons-y ».
    Le problème est que le projet de loi généralise trop. On ne peut évacuer l'aspect discrétionnaire de la détermination des peines. Tant qu'à aller si loin, pourquoi ne pas inscrire dans le Code criminel une peine précise pour chaque crime, une période d'incarcération pour chaque crime? On se débarrasserait de la détermination de la peine au profit d'un résultat automatique.
    Il faut examiner le contexte et les circonstances, sans quoi il faudra toujours se fier au pouvoir discrétionnaire des juges. Sans ce pouvoir discrétionnaire, il n'y a pas de jugement.
    Je voudrais faire avancer la réunion un peu. Je sais que d'autres témoins veulent répondre à M. Thompson et j'aimerais leur donner la parole rapidement, car nous avons d'autres questions.
    Madame Berzins, allez-y, je vous prie.
    Je pense que les membres des Églises avec lesquelles nous travaillons veulent des solutions qui fonctionnent. Chaque congrégation sait que vivent en son sein non seulement les victimes, mais aussi les contrevenants, les familles des deux groupes et les voisins des deux. Ceux qui savent réellement ce qui se passe dans une collectivité ne se contentent pas d'une solution qui sonne bien dans les gros titres. Lorsqu'une affaire est terminée et cesse de faire les manchettes, les gens continuent d'être victimes de crimes et ils restent craintifs face au crime. Il est très important pour la collectivité en entier que les solutions fonctionnent. Celles que l'on nous propose en ce moment ne fonctionneront pas.
    Je vous remercie.
    Madame Prober, vous avez la parole.
    Je voudrais préciser que l'organisme Au-delà des frontières appuie tous les groupes qui travaillent auprès des délinquants sexuels. Il existe d'excellents groupes communautaires qui oeuvrent avec les délinquants sexuels. Loin de moi l'idée de dénigrer ce qu'ils font.
    Je vous remercie.
    Monsieur Loewen, vous avez la parole.
    Si vous deviez protester contre quelqu'un, ce serait moi, étant donné que Vic Toews est visiblement de la même tradition religieuse que moi, la foi mennonite, et qu'il est le responsable de ce projet de loi. Or, je m'oppose à ce projet de loi.
    Cela démontre la diversité qui peut être présente au sein d'une tradition religieuse. Je connais des centaines de mennonites qui mettent leur foi en pratique en faisant du bénévolat dans des cercles de soutien et de responsabilité et en consacrant leur vie à travailler auprès des victimes et des contrevenants. Ces personnes comprennent la complexité des questions qui nous occupent. Elles ont toutes sortes d'idées aussi. Elles s'attendent certainement à ce que le gouvernement fasse ce qu'il convient de faire en tenant compte des témoignages entendus. C'est tout ce à quoi nous pouvons nous attendre.

  (1710)  

    Je n'avais pas remarqué le lien entre le ministre et vous. Toutefois, je n'ai pas obtenu de réponse. Voici ma question: quel groupe de personnes a décidé des recommandations que vous avez formulées au sujet du projet de loi C-9?
    Le Conseil des Églises est doté d'un conseil d'administration. Y siègent des représentants désignés par chaque confession religieuse. Nous collaborons aussi avec d'autres membres de ces Églises et de la collectivité en général. Nous nous rencontrons souvent... Vu nos 35 ans et plus d'expérience, nous connaissons bien le système de justice pénale et nous sommes au courant du travail accompli par une foule de gens, comme les mennonites et bon nombre d'Églises de la collectivité. Ce qui nous importe, c'est de comprendre comment les gens vivent dans la collectivité, comment faire en sorte que la vie continue, comment les membres de la collectivité peuvent se remettre de ce qui arrive. Nous voulons veiller à ce que ça ne se reproduise pas. Nous prenons cela très au sérieux.
    Que voulez-vous savoir d'autre?
    Je tenais simplement à connaître la taille de votre conseil d'administration qui prend des décisions à propos du projet de loi C-9. J'espère qu'il comprend beaucoup de gens, représentant ces...
    Eh bien, il y a un processus de consultation. Il y a dix directeurs. Il y a d'autres membres aussi. De plus, nous collaborons étroitement avec un comité bénévole composé de personnes du conseil d'administration et de l'extérieur, mais liées aux Églises, afin de déterminer l'orientation à adopter.
    Je vous remercie.
    Monsieur Murphy.
    Je serai bref. Je voudrais m'excuser d'avoir manqué une partie de l'audience. M. Moore et moi étions à la Chambre en train de confronter nos points de vue divergents.
    Je vous remercie pour ce que j'ai entendu. Je vais poser quelques courtes questions.
    Au risque d'être d'accord avec M. Thompson, j'ai du mal à comprendre pourquoi l'Église — celle à laquelle j'appartiens en tous cas, l'Église catholique — ne descend pas souvent de sa tour d'ivoire pour rejoindre le monde laïque, sauf peut-être lorsqu'il est question de mariage homosexuel. Mais j'imagine que je ne peux pas affirmer que c'est la position de l'Église catholique, n'est-ce pas? Je pense que ce que vous dîtes — corrigez-moi si j'ai tort — c'est que les Églises énumérées sont en faveur d'une justice réparatrice et qu'elles approuvent les concepts de pardon et de réadaptation. Je suis convaincu que c'est là leur point de vue, mais vous pouvez me corriger si je me trompe.
    Est-ce que l'Église catholique appuie le projet de loi C-9? Je ne sais pas si elle a fait connaître sa position à ce sujet. J'aimerais le savoir, parce que parfois...
    La Conférence des évêques catholiques du Canada a cofondé le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie il y a plus de 35 ans, et elle continue de nous offrir un grand soutien. Elle se fie sur nous pour l'aider à analyser les questions de justice pénale. Par ailleurs, elle a toujours appuyé nos positions par le passé. Nous échangeons avec la Conférence des évêques catholiques du Canada et la faisons souvent participer à nos réunions pour discuter de ces questions.
    Ce que je veux dire, encore une fois, c'est qu'il serait peut-être utile de penser... et je ne crois pas que M. Thompson et moi soyons d'accord. Si nous le sommes, je ne crois pas que nous pensions que cette position reflète nécessairement celle de toutes les Églises énumérées. Si vous avez des renseignements supplémentaires et que vous obtenez l'imprimatur d'un évêque, cela peut avoir une certaine influence. Tout ce que je dis, c'est que je vous remercie de vos observations.
    Je veux vraiment poser des questions à M. Paciocco à propos du Code criminel.
    J'ai lu votre document et j'essaie de découvrir quelle est la solution. Cette dernière semble consister en de simples modifications des parties du Code criminel qui ont trait à la détermination des peines. Ces modifications toucheraient aux directives données aux juges. Malgré vos bons mots au sujet de leur utilisation de leur pouvoir discrétionnaire et malgré votre préambule qui indique que le système fonctionne bien, vous semblez dire en fin de compte que nous devrions donner aux juges des directives voulant que, pour certaines infractions, on présume qu'ils n'imposeront pas de peines avec sursis. Il y a une condition préalable, ou un établissement des priorités relativement aux crimes. Selon vous, à quel point cette première étape — j'imagine que j'ai dit dernière — c'est-à-dire l'établissement des priorités relativement aux infractions, sera-t-elle facile?
    Vous mentionnez l'agression sexuelle et des infractions causant des préjudices corporels graves. Blague à part en ce qui concerne les chalutiers et les bovins, nous avons discuté amplement du fait qu'une invasion de domicile pouvait terroriser à jamais une personne et ainsi de suite. C'est ma question.
    Cela semble simple lorsque vous le dîtes, lorsque vous l'écrivez, mais à quel point cela serait-il mieux que ce Code criminel fourre-tout vieux de 150 ans que nous avons en ce moment? En quoi sera-t-ce plus facile?

  (1715)  

    C'est assurément mieux que de simplement prendre la liste désuète des peines maximales de dix ans figurant dans le Code et de l'appliquer. Ainsi, il faudrait une évaluation contextuelle dans chaque cas, et cette méthode irait de pair avec le pouvoir discrétionnaire, mais un pouvoir discrétionnaire limité afin d'utiliser des présomptions. C'est vraiment ainsi que fonctionne le système de justice pénale. Parfois, on ne sait pas quelle est la bonne réponse. Il faut se demander dans quel sens on veut se tromper. Qui a le fardeau de la preuve?
    Si on veut faire reposer le fardeau de la preuve sur l'accusé de sorte que celui-ci doive montrer que les circonstances sont exceptionnelles au point de justifier une peine avec sursis, alors le cas type ne doit pas être assorti d'une peine avec sursis. Toutefois, si on enlève entièrement aux juges leur pouvoir discrétionnaire — et je ne sais pas si c'est que vous souhaitez, monsieur Murphy — on se retrouve dans une situation où on obtient le même résultat dans des affaires complètement différentes. La peine ne convient peut-être tout simplement pas.
    Je ne prétends pas proposer la solution miracle. Si vous estimez vraiment que l'utilisation de peines avec sursis dans des cas très graves pose problème, il convient de définir des principes pour aider les juges à déterminer la peine appropriée.
    D'accord, mais dans tous les cas d'agression sexuelle, vous préconisez une présomption contre les peines avec sursis?
    À mon avis, pour tous les cas d'agression sexuelle, il devrait y avoir une présomption contre les peines avec sursis. Si l'avocat de la défense arrive à faire la preuve, en se fondant sur les circonstances du cas, que le délinquant peut demeurer dans la collectivité et si cet avocat suscite une peine appropriée, alors le résultat est adéquat en l'espèce.
    Voici maintenant pourquoi la présomption serait importante. Si un juge accorde une peine avec sursis alors que cela ne convient pas, la Couronne peut se présenter devant la cour d'appel et elle a un bon motif pour interjeter appel, car les principes de détermination de la peine n'ont pas été respectés. Sans ce genre de directives, on se retrouve avec un énorme pouvoir discrétionnaire en matière de peines, et les tribunaux d'appel n'aiment pas s'ingérer dans les décisions des juges à l'égard des peines. Cependant, si les principes sont codifiés, le tribunal d'appel jouira d'une assise pour intervenir lorsque les peines sont inappropriées.
    Je me remercie.
    Monsieur Lemay, vous avez la parole.

[Français]

    J'ai écouté avec intérêt ce que le professeur Paciocco a dit. Je suis d'accord avec vous, il y a un principe fondamental. J'ai 25 ans d'expérience en droit criminel et, malheureusement pour vous, j'étais avocat de la défense. Je n'ai pas travaillé pour la Couronne, mais je suis en mesure de comprendre la position du Parti conservateur selon laquelle la justice, bien souvent, n'est rendue qu'en fonction de l'accusé. Malheureusement, le Code criminel est ainsi fait.
    Cela m'intéresse parce que l'emprisonnement avec sursis est un dossier très important. Vous serez sûrement d'accord avec moi qu'un des principes fondamentaux est l'individualisation des sentences, c'est-à-dire que l'individu que le tribunal doit condamner est une personne unique et que la sentence doit être rendue en fonction de l'individu que le tribunal a devant lui. On est d'accord sur ce principe. Il s'agit d'un des grands principe, et votre document ne le remet pas en question.
    Par contre, j'ai un peu de difficulté à comprendre votre texte, mais je veux vraiment le comprendre, car cela rejoint un peu ce qui s'est dit autour de la table aujourd'hui. À la page 10 de la version française, il est question de modifier le Code criminel. Mon collègue le savant Réal Ménard, que nous souhaitons voir assermenté au Barreau du Québec bientôt, dit qu'on devrait amender l'article 742 du Code criminel. Je suis d'accord avec vous. J'essaie de comprendre deux paragraphes, mais malgré mes 20 années d'expérience, environ, je ne les comprends pas.
    Pourriez-vous me les expliquer? Si je comprends bien, il y aurait des conditions pour pouvoir rendre des sentences avec sursis dans le Code criminel, donc à l'article 742. J'aimerais comprendre ce que vous voulez dire dans les deux paragraphes où il est question des priorités et principes que vous voudriez voir inclus dans le Code criminel pour limiter les emprisonnements avec sursis. Je vous écoute avec attention.

  (1720)  

[Traduction]

    Si vous jetez un coup d'oeil à l'article 742.1, vous verrez un certain nombre de conditions préalables relatives à la prescription de peines avec sursis. Je recommande qu'on ajoute une condition à l'article 742.1 afin qu'il soit clair que la peine avec sursis convient lorsque la priorité est la réadaptation ou la justice réparatrice et afin qu'un juge n'impose pas ce genre de peine lorsque la priorité devrait être la dénonciation ou la dissuasion.
    Ainsi, au moment de déterminer la peine, le juge devrait établir les objectifs de la peine et les priorités en l'espèce. Si les circonstances sont graves au point d'exiger la dénonciation et la dissuasion, même aux dépens d'une peine favorisant la réadaptation, alors une peine d'emprisonnement avec sursis ne serait pas appropriée.

[Français]

    Je m'excuse de vous interrompre, mais dois-je comprendre que le tribunal doit d'abord s'interroger sur le crime et se demander si l'individu qui est devant lui est admissible à une peine avec sursis? Au départ, on parle d'une peine d'emprisonnement, d'un individu qui mérite une peine d'emprisonnement.
    Ensuite, on se demande si on peut opter pour la peine d'emprisonnement avec sursis. Vous y ajouteriez une condition. On parlait des cas d'agression sexuelle, et vous avez donné un très bon exemple, celui d'un cas de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles et méritant une peine d'emprisonnement.
    L'emprisonnement avec sursis est-il applicable dans ce cas? Si je comprends bien, vous répondez oui, mais il y aurait ces deux conditions.

[Traduction]

    S'il s'agit d'une infraction énumérée, si la conduite avec facultés affaiblies cause des blessures graves, comme juge, vous partiriez du principe que la peine avec sursis n'est pas appropriée. Vous examineriez les circonstances du contrevenant et la manière dont l'infraction a été commise. S'il y avait des circonstances spéciales et si le contrevenant ne représentait aucun danger pour la collectivité, votre pouvoir discrétionnaire vous permettrait d'imposer une peine avec sursis.
    Je vous remercie.
    Monsieur Lemay.

[Français]

    J'aimerais poser une dernière question. On aurait donc, à ce moment, un renversement du fardeau de la preuve, si je comprends bien.

[Traduction]

    Il reviendrait à l'accusé d'établir que c'est la peine appropriée.

[Français]

    C'est clair. Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Petit.

[Français]

    J'aimerais m'adresser à Mme Lorraine Berzins et à Mme Jane Griffiths, qui représentent le Conseil des églises pour la justice et la criminologie. Tout d'abord, je suis étonné par le fait que la dénomination catholique romaine, qui est membre de votre conseil, ait changé certaines choses. Comme Myron, je suis un peu troublé. Je vais donc vous poser des questions.
    Ma question s'adressant à toutes deux, vous pouvez choisir qui y répondra. À l'heure actuelle, dans la région de Montréal, des gangs de rue utilisent des jeunes gens pour recruter des jeunes femmes. Celles-ci sont attirées par la drogue, dont la consommation constitue un crime non violent, à première vue. Par la suite, ils attirent de jeunes hommes, lesquels commettent des vols dès l'âge de 12 ou 13 ans. On leur met des armes dans les mains et ils continuent. Par après, ils s'insèrent dans un certain milieu social et ont recours à la violence conjugale. Il y a des viols collectifs, que l'on appelle gang bang, à l'intérieur de ces groupes. À cause de tout cela, la justice ne peut nous donner l'image de sécurité qu'elle devrait.
    Je ne parle même pas d'assaut sexuel. Je vous ai parlé de vols et de vols à main armée, par exemple. Voler 1 000 $ à un pauvre est équivalent à voler un million de dollars à un riche. C'est aussi terrifiant lorsqu'on pénètre par effraction dans la maison des personnes âgées de 65 ans et plus qui sont seules. Ils ne font qu'ouvrir la porte, et la personne âgée a peur. Imaginez! Je ne comprends pas que vous sembliez vouloir maintenir les peines avec sursis. Je comprends votre position, mais il y a longtemps qu'elles existent et voilà le résultat.
    Je vais vous raconter une histoire rapidement. Une personne a été assignée à résidence pour une période d'un an. Le premier tiers de la sentence était appliquée 24 heures sur 24, avec le droit d'aller au marché, etc. Le deuxième tiers était appliqué de telle heure à telle heure et lors du dernier tiers, il n'y avait pas de couvre-feu. Cette personne était trafiquante de drogue, mais n'avait pas d'antécédents judiciaires. Elle vivait dans une maison de 500 000 $. On l'assigne à domicile, dans sa maison de 500 000 $ avec télévision, piscine, serviteurs, lunchs, etc.
    Croyez-vous que ce genre de peine soit dissuasif? Ne croyez pas que cela n'arrive pas. Cela arrive plus souvent que vous ne le pensez. Il n'y a pas que des pauvres qu'on assigne à domicile, il y a beaucoup de riches aussi. Pensez-vous que ce type de peine dissuade les gens ou inspire confiance en la justice?

  (1725)  

    Ce n'est peut-être pas le cas dans une situation comme celle que vous décrivez. On veut que ce soit toujours possible de le faire, mais cela ne veut pas dire qu'on recommande que ce soit toujours fait. En ce moment, il est possible d'évaluer individuellement chaque situation. Pour nous, c'est une valeur très importante. Je crois que l'Église catholique du Québec est particulièrement conscientisée à ce phénomène. Il y a une conscience sociale très développée dans nos communautés chrétiennes au Québec.
    L'importance que les gens accordent à la primauté de la personne humaine est une chose que l'on valorise énormément. Nous souhaitons que les décisions prises par l'État le soient de façon humaine par des personnes humaines qui ont en leur possession toutes les données relatives à la situation. Les valeurs de la communauté et la capacité de juger ce qu'est vraiment la bonne voie et le bon résultat, en tenant compte en particulier de la situation de la personne accusée et de celle des victimes, sont très importantes. Qu'est-ce qui aura du sens? Pour nous, la communauté doit prendre en main plusieurs de ces problèmes. Les gens doivent régler leurs affaires entre eux. Ce que fait l'État peut nous aider beaucoup à avoir des outils pour le faire. Nous nous opposons à ce qu'il y ait une loi générale qui nous empêche d'agir selon notre conscience humaine dans certaines situations, parce que la loi l'exige. Nous ne trouvons pas cela humain. Que l'on veuille que la possibilité soit toujours présente ne veut pas dire que dans toutes les situations que vous décrivez, une peine avec sursis serait recommandée.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Le comité serait-il disposé à rester huit minutes de plus? Il reste deux ou trois questions. Est-ce que les témoins sont prêts à rester encore huit minutes? Je vous remercie.
    Merci, monsieur Petit.
    M. Moore n'a pas eu l'occasion de parler, mais je sais que Mme Barnes veut poser une question aux témoins.
    Allez-y, monsieur Moore. Mme Barnes attendra.

  (1730)  

    Eh bien, j'ai juste une question, mais je peux attendre qu'il ait terminé.
    D'accord. Ma question est simple.
    L'ancien projet de loi C-70 ne contenait rien en matière de drogues et de produits dangereux. Je ne vais pas en expliquer les raisons; je veux seulement connaître votre point de vue. Madame Prober, je sais que votre seule préoccupation, ce sont les infractions sexuelles, alors, pour épargner du temps, je vais vous laisser en dehors de cela. Mais j'aimerais tout de même entendre les autres.
    Pensez-vous que nous devrions enlever les peines avec sursis des annexes qui ont trait à l'usage de drogues? Devrions-nous éliminer les peines avec sursis dans ces cas-là, du moins grave au plus grave?
    Eh bien, vous savez que j'estime qu'il ne faudrait en aucun cas éliminer les peines avec sursis, sachant que lorsqu'un juge impose une telle peine, il doit établir que la punition appropriée est inférieure à deux ans d'emprisonnement. Si le cas exige plus de deux ans de prison, le juge n'a pas la possibilité d'accorder une peine avec sursis aux termes des dispositions législatives actuelles. Ainsi, le juge peut évaluer l'importance d'une infraction en particulier.
    À mon humble avis, en matière de drogues, l'approche doit être la même que pour les autres infractions. Qu'on laisse ces dispositions sur la table et qu'on se fonde sur les circonstances pour déterminer la peine. Si on ressent le besoin d'établir une présomption contre la peine avec sursis pour certains types d'infraction, qu'on le fasse au lieu d'éliminer complètement la peine avec sursis.
    Toutefois, j'aimerais préciser en passant que l'on voit apparaître des tribunaux consacrés aux drogues à Ottawa et à Toronto. Ces tribunaux traitent les crimes commis par des toxicomanes en s'attaquant aux sources de la dépendance. Je sais que nous voulons un effet dénonciateur, mais le voulons-nous au point d'éliminer l'option des peines avec sursis lorsque c'est approprié?
    Allez-y, monsieur Moore.
    D'accord, merci. Oh, je m'excuse.
    Nous sommes censés donner la parole à Mme Griffiths et à Mme Berzins. Mme Prober n'a pas à se prononcer, car ces dispositions ne l'intéressent pas. Peuvent-elles répondre très rapidement? J'aimerais seulement qu'on obtienne leur réponse à des fins de référence.
    J'étais en train de penser que le palais de justice d'Ottawa a entendu un grand nombre de cas liés à la toxicomanie, aux vols et ce genre de choses, et qu'on a appliqué les principes de la justice réparatrice pour s'attaquer aux sources du problème. Dans les cas où les gens sont prêts à prendre leurs responsabilités, nous avons connu beaucoup de succès en ce qui a trait aux problèmes de drogue, tant auprès des contrevenants que des victimes. L'emprisonnement n'aurait rien réglé dans ces cas-là.
    À mon avis, pour aucune infraction il ne faut éliminer la possibilité d'utiliser une peine avec sursis.
    J'abonde dans le même sens et j'ajouterais que le sursis ne s'applique qu'aux peines de deux ans ou moins. Je dirais qu'il faut élargir la portée de l'utilisation des peines avec sursis et même éliminer la restriction, car elle est artificielle à maints égards, comme d'autres restrictions l'ont été. Laissons les juges et les collectivités prendre ces décisions. Nous ne pouvons pas décider; il faut les laisser décider.
    Monsieur Moore.
    Je remercie tous les témoins de nous donner leur point de vue.
    J'ai quelques points à aborder. J'ai entendu certains témoins — et vous avez droit à votre opinion — dire qu'il ne faudrait jamais éliminer l'option de l'emprisonnement avec sursis. Il n'y a pas si longtemps, les peines avec sursis n'existaient même pas. Lorsqu'on les a instaurées, on a averti le grand public dans le cadre des débats qui ont eu lieu que les peines avec sursis ne seraient utilisées que dans les cas d'infractions mineures. Le projet de loi conserve les peines avec sursis pour les infractions de moindre gravité.
    Je ne veux pas qu'on induise les gens en erreur. Selon le projet de loi, même en ce qui concerne les infractions assorties d'une peine maximale de dix ans, lorsqu'on peut punir par procédure sommaire ou par mise en accusation — ce qui s'appelle une infraction mixte — les peines avec sursis demeurent possibles. Dans les cas de moindre gravité, à la discrétion du procureur de la Couronne, on peut dire « nous allons utiliser la déclaration de culpabilité par procédure sommaire; il demeure possible d'avoir une peine avec sursis ». Cela a amené les gens à croire que le projet de loi fait disparaître les peines d'emprisonnement avec sursis en toutes occasions.
    Le commentaire du Conseil des Églises pour la justice et la criminologie selon lequel la dissuasion ne devrait même pas être un facteur a attiré mon attention. La dissuasion est un des principes utilisés dans la détermination de la peine. Vous avez le droit de penser que ce ne devrait pas être un facteur, mais ce commentaire a touché une corde sensible chez moi.
    Madame Prober, comme vous n'avez pu répondre à la dernière question, je vais vous laisser vous prononcer à ce sujet. À mon sens, lorsqu'un délinquant sexuel ou un récidiviste est libéré... ou, pour ne pas utiliser l'exemple des infractions sexuelles, parlons de crimes contre les biens. J'ai entendu de nombreuses personnes dire que le projet de loi a une portée trop vaste et qu'il inclut trop d'infractions. Examinons celles qui sont punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et pour lesquelles la peine avec sursis est encore possible. Laquelle voudrions-nous retirer? Nous avons tous bien ri au sujet du vol de bétail, mais quiconque est victime d'un tel vol ou d'un de ces crimes, y compris les infractions contre les biens, trouve cela grave et veut envoyer un message. Les gens veulent obtenir justice et sentir que justice a été faite.
    Madame Prober — ou n'importe qui d'autre — en ce qui concerne la dissuasion, doit-on penser que l'incarcération, par opposition à la détention à domicile, n'est plus utile du tout? Et qu'en est-il de l'avantage pour la société que quelqu'un qui n'a pas tiré leçon de ses démêlés avec la justice soit en prison au lieu de se promener librement dans la rue et de commettre des crimes contre les biens, des infractions contre des enfants, ou tout autre type d'infraction?
    Quelqu'un a-t-il des observations à formuler?

  (1735)  

    Je ne suis pas d'avis qu'il ne faudrait jamais tenir compte de l'élément de dissuasion, car nos tribunaux ont indiqué que, pour certaines infractions, la dissuasion est l'objectif principal de la peine. C'est une réalité de notre système de justice pénale.
    Ce qu'il faut retenir, c'est qu'on ne peut pas s'attendre à influer sur les taux de criminalité en modifiant les peines des infractions qui exigent déjà de lourdes peines. En d'autres mots, les gens ne commettent pas des crimes parce qu'ils pensent obtenir une peine avec sursis. Je soutiens seulement qu'il est irréaliste de croire que l'adoption du projet de loi C-9 débouchera sur une société plus sûre, parce que ce ne sera pas le cas. Pas du point du vue de la dissuasion.
    Je voudrais m'inscrire en faux contre cette affirmation. D'après moi, si les gens sont en prison au lieu d'être chez eux, de retour dans la collectivité où ils ont commis l'infraction — peut-être ont-ils été arrêtés pour vente de drogue ou arrêtés et condamnés pour une infraction contre des enfants ou pour un crime sexuel — eh bien, la société est plus en sécurité.
    Je m'élève contre l'idée qu'il est évident que le but du projet de loi C-9 est d'accroître l'emprisonnement. Je pense que notre objectif à tous ici est de trouver un moyen de ne pas envoyer davantage de personnes en prison. Je doute que quiconque ici souhaite envoyer les gens en prison.
    L'objectif est de créer une société plus sûre et de rétablir l'équilibre de notre système de justice. Le grand message qu'on nous envoie, c'est que les victimes se sentent laissées pour compte. Les gens en ont marre du système judiciaire qui encourage la récidive.
    Je tenais à faire valoir ces deux points. Notre but n'est certainement pas de remplir les prisons. Nous voulons rétablir l'équilibre.
    Vos observations sont les bienvenues.
    J'ai un commentaire personnel à formuler. Vous avez parlé de vol. Personnellement, je me suis fait voler ma voiture neuf fois. À une occasion, les deux jeunes hommes responsables du vol ont été appréhendés et accusés. Jamais on ne m'a avisée de ce qui s'était passé. On ne m'a pas dit qu'ils comparaissaient en cour.
    En tant que victime, ce que j'aurais aimé, ce n'est pas que ces personnes aillent en prison, mais qu'elles rendent compte de leur crime et que j'aie l'occasion de leur parler.
    Souvent, il y a d'autres moyens que la prison pour régler ces questions.

  (1740)  

    J'aimerais préciser ce que je voulais dire en affirmant que la dissuasion ne devrait pas être prise en considération.
    Évidemment, nous voulons tous, moi y compris, dissuader les gens de commettre des crimes. Toutefois, un grand nombre de travaux de recherche et de données montrent que l'effet des peines d'emprisonnement n'est pas dissuasif. Il s'agit de recherches tellement solides qu'il est vraiment difficile de ne pas y prêter attention.
    La dissuasion demeure une fiction juridique. C'est un élément encore présent dans le Code criminel, mais c'est une fiction juridique. Pour les personnes de la collectivité qui subissent les conséquences, nous voulons des solutions qui réduiront véritablement la criminalité.
    Vous dîtes que l'incarcération d'un contrevenant empêche des crimes d'être commis pendant ce temps. Pourtant, les statistiques ne vont pas dans ce sens. Le taux de criminalité se maintient dans la collectivité à cause de tous les autres facteurs et conditions. L'augmentation du taux d'incarcération ne contribue pas à réduire le taux de criminalité dans la collectivité.
    Ce n'est pas de la théorie; ce sont des données de recherche factuelles.
    Je m'oppose à l'affirmation selon laquelle la dissuasion est une fiction juridique. C'est l'un des principes fondamentaux de la détermination de la peine.
    Même dans des cas anecdotiques, souvent liés à des jeunes contrevenants, quelqu'un dit « vas-y, fais-le; il ne t'arrivera rien si tu te fais attraper ». Or, s'il y avait une punition quand la personne se fait attraper, peut-être qu'elle serait moins susceptible de commettre une infraction. Ce n'est pas pour rien que les personnes qui entraînent un plus jeune à commettre un crime lui disent de ne pas s'en faire, car rien n'arrivera s'il se fait attraper.
    En fait, la recherche révèle que c'est une plus grande certitude de se faire attraper qui a un effet dissuasif et non la peine subséquente.
    Ce qui a aussi un profond effet de dissuasion, c'est l'influence morale convaincante des gens qui sont chers au contrevenant. Les messages de désapprobation et de dénonciation venant de la collectivité, de la famille et de la victime sont significatifs.
    Toutefois, les données de recherche indiquent que l'usage arbitraire d'une peine d'emprisonnement pour envoyer un message ne fait aucune différence. C'est pire en fait.
    Madame Prober.
    Il ne semble pas exister de données probantes sur la façon d'empêcher les relations sexuelles avec des enfants, au Canada ou... n'importe où. Je ne veux pas nommer la Thaïlande, parce que tout le monde pointe ce pays du doigt et, d'ailleurs, la Thaïlande fait du bon travail pour essayer de protéger ses enfants. C'est un bel endroit où aller. Les journalistes y vont, y passent de belles vacances et écrivent toujours sur la Thaïlande. Or, même si ce pays ne s'occupe pas toujours de ses adultes, il fait du bon boulot pour protéger les enfants contre les agresseurs sexuels.
    Malheureusement, dans la société hypersexualisée dans laquelle nous vivons, il ne semble pas y avoir moyen de... Même moi, je suis allée voir un film hier soir... Je regrette d'être allée voir le film en question, car les enfants y étaient sexualisés.
    Il faut dénoncer ce crime. Il faut empêcher les gens... Dans une ère où la technologie permet aux gens de consommer de la pornographie, y compris de la pornographie juvénile, en un clic de souris, nous devons envoyer le message suivant: nous ne ferons rien d'autre que dénoncer ce crime. Il faut que cela cesse. Il faut dénoncer ce crime. Il ne faut pas hésiter à permettre au système de justice de le faire. Sinon, la société laisse tomber beaucoup d'enfants.
    Je vous remercie, madame Prober.
    Les députés ont-ils d'autres questions?
    Je vous remercie tous beaucoup de vos témoignages et de vos exposés. Nous avons recueilli une pléthore de renseignements à examiner. J'ai hâte de voir quels seront les résultats. Le débat d'aujourd'hui contribuera énormément à l'étude du projet de loi C-9.
    N'oubliez pas que vous n'êtes qu'une petite partie du grand nombre de témoins que nous entendons. Je veux remercier les témoins et les membres du comité d'être restés si tard. Merci.
    La séance est levée.