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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 017 
l
2e SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 5 mars 2008

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

    Je déclare ouverte cette réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de ce mercredi 5 mars 2008. Le comité exécutera l'ordre de renvoi du mercredi 18 novembre 2007. Notre comité est saisi du projet de loi C-426, loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada (protection des sources journalistiques et mandats de perquisition).
    Pour nous parler de ce projet de loi d'initiative parlementaire, nous entendrons des témoins ainsi que le parrain de ce projet de loi, M. Serge Ménard.
    Nous entendrons ensuite Joshua Hawkes, à titre personnel. Nous entendrons également, du ministère de la Justice, Karen Markham, avocate, Section de la politique en matière du droit pénal, et Josée Desjardins, avocate générale et directrice, Groupe sur la sécurité nationale. Du ministère de la Défense nationale, nous entendrons la lieutenant-colonelle Jill Wry, directrice juridique, Justice militaire, politique et recherche, Cabinet du juge—avocat général.
    Monsieur Ménard, je vous laisse la parole.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    J'ai présenté ce projet de loi non pas pour créer un privilège mais, bien au contraire, pour protéger un type d'activité journalistique qui a prouvé partout dans les pays où il a été appliqué — soit dit en passant, ce sont nos alliés, ce sont aussi tous les pays que l'on reconnaît comme des pays démocratiques — qu'il permettait de corriger des situations graves qui nécessitaient des corrections.
    Ce projet de loi concerne deux sujets qui ont une grande importance dans toutes les sociétés démocratiques pour qui la liberté de la presse et la liberté de l'information sont des valeurs fondamentales qui contribuent à ce qu'un débat éclairé puisse avoir lieu sur les enjeux qui confrontent les sociétés modernes. Dans la très grande majorité des sociétés démocratiques, ces deux sujets ont fait l'objet de législation. Dans d'autres, comme dans la nôtre, les tribunaux ont eu à se prononcer sur ces questions au hasard de cas particuliers qui leur ont été soumis. Il en est résulté un certain nombre de règles, parfois contradictoires. L'ensemble de ces règles peut donc apparaître incohérent.
    Toutefois, les juges ont toujours reconnu l'importance et la pertinence de ce débat dans le cadre d'une société libre et démocratique. Je crois que le temps est venu pour les élus, qui sont les représentants du peuple, d'apporter leur contribution à la solution civilisée des inévitables conflits qui peuvent parfois survenir entre les objectifs légitimes des gouvernants et les nécessités du travail des journalistes.
    Rappelons que dans les régimes dictatoriaux ou totalitaires, on ne se pose pas ces questions. Mais dans toutes les démocraties, elles ont été posées. Pour mieux le comprendre, je crois qu'il faut voir que ce projet de loi se divise en cinq parties. Il y aurait d'ailleurs peut-être lieu de le diviser en cinq articles plutôt qu'en onze paragraphes, ou peut-être même en six, comme nous le verrons plus tard.
    La première partie comprend les deux premiers paragraphes, qui sont les mesures d'introduction et les définitions. La deuxième regroupe les paragraphes (3), (4), (5) et (6). Le paragraphe (3) énonce d'abord le principe de la protection d'une source confidentielle qui a confié à un journaliste des renseignements sous le sceau de la confidence. Comme le but de la loi n'est pas de donner un privilège aux journalistes mais de protéger un type d'activité journalistique qui est jugé utile et même nécessaire dans une démocratie, le juge peut la soulever d'office. C'est ce qu'énonce le paragraphe (4).
    Il n'est pas obligé de le faire, mais il le peut s'il estime que cela est nécessaire. C'est parce que la protection des sources confidentielles est d'intérêt public, et non un privilège corporatif, que ce pouvoir lui serait donné. La source qui a réclamé le secret ne doit pas être victime de la négligence ou de l'incurie du journaliste à qui elle s'est confiée, si ce dernier ne respectait pas son engagement à son égard.
    Les paragraphes (5) et (6) traitent des circonstances exceptionnelles dans lesquelles la protection ne sera pas accordée. Ils prévoient les critères sur lesquels le juge devra se baser, en somme les valeurs qui sont en cause, pour maintenir ou refuser la protection. Ils prévoient également la procédure à suivre et quel fardeau de preuve ont chacune des parties au litige.
    Le paragraphe (7) ne traite pas du secret de l'identité d'une source journalistique qui a confié des renseignements à un journaliste. Il s'agit du matériel journalistique qui n'a pas été diffusé ou publié même si le journaliste n'a pas obtenu ses informations de manière confidentielle. Cette protection est importante pour que le public ne perçoive pas les journalistes comme des auxiliaires de la police ou comme des auxiliaires de l'État, ce qui nuirait à leur capacité d'obtenir des informations et de bien informer le public.
    À cet égard, je pourrais vous citer longuement le juge La Forest de la Cour suprême du Canada, dans la cause de Rex c. Lessard, mais je m'aperçois que le temps s'écoule plus rapidement que prévu. Comme cette cause ne portait pas sur la protection d'une source qui se serait confiée à un journaliste sous le sceau de la confidence mais bien sur la perquisition dans les locaux de Radio-Canada pour trouver et saisir les bandes vidéo d'une manifestation de grévistes, la dernière phrase s'applique à l'activité journalistique en général et non seulement à la protection des sources confidentielles.
    Je crois, moi aussi, qu'il y va de l'intérêt public que les journalistes ne soient pas perçus comme des auxiliaires de la police. D'ailleurs, dans les années 1970, où les manifestations étaient plus fréquentes qu'aujourd'hui et souvent même moins pacifiques, les caméramen sont souvent devenus la cible de projectiles lancés par certains manifestants. L'expression « importance déterminante » a été mal traduite, je le regrette. Je l'emploie dans son sens strict en français : le mot « importance » a son sens commun du dictionnaire; l'adjectif « déterminante » a un sens juridique précis. C'est ce qui permet au juge de déterminer quelle partie a raison ou tort sur le fond du litige ou sur un élément essentiel dans une cause.
    La meilleure traduction qu'on m'en ait suggéré serait « determinative of the outcome », plutôt que « of vital importance », qui est trop vague. C'est également l'expression qu'utilisait la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'arrêt Goodwin c. Royaume-Uni pour traduire ce qui était déterminant dans le litige.
    Ce critère est différent de ceux que le juge doit considérer au paragraphe (5), car il ne s'agit pas du secret qui a été promis à une source, mais de l'indépendance que doit garder le journaliste dans l'exercice de son métier. Il s'agit de valeurs différentes, même si elles ont toutes deux trait à la collecte d'information.
    Remarquons que cette indépendance des journalistes est l'une des caractéristiques les plus sûres qui permettent de reconnaître les sociétés démocratiques. Dans tous les autres régimes qui ne sont pas démocratiques, les journalistes ou la majorité d'entre eux sont des auxiliaires de l'État quand ce ne sont pas tout simplement des thuriféraires du régime en place.
    Les paragraphes (8), (9) et (10) concernent l'émission de mandats de perquisition dans les locaux des médias, la procédure à suivre, la conduite de ces perquisitions, ainsi que des dispositions qui garantissent que seront efficacement protégées toutes les informations que le juge estimera devoir être protégées.
    Je pense qu'elles reprennent essentiellement la jurisprudence qui fait actuellement autorité. Elles ont l'énorme avantage de ne couvrir qu'une page par rapport aux centaines de pages que doivent actuellement consulter les avocats qui plaident ce genre de causes. C'est du moins ce que m'ont affirmé deux d'entre eux qui enseignent et pratiquent le droit de l'information. Elles seront donc un instrument utile pour les juges de paix qui accordent des mandats de perquisition, pour les policiers qui les demandent, pour les journalistes et leurs patrons qui les subissent et pour les avocats qu'ils appellent lorsque les policiers se présentent à la porte de leurs locaux. On conviendra que dans un pays comme le nôtre, la procédure prévue à ce paragraphe constitue une façon civilisée d'agir.
    Le paragraphe (10) prévoit que demeureront secrets tous les renseignements que la cour estimera devoir demeurer secrets.
    Enfin, le paragraphe (11) constitue la cinquième et dernière partie de cette loi. Nous profitons de l'occasion pour régler un problème qui fatigue beaucoup de rédacteurs en chef: comment prouver une publication? En produisant la publication. Y a-t-il vraiment lieu d'en faire plus? Si on veut prouver que quelque chose a été publié, on n'aura qu'à déposer en preuve la publication ou son support.
    Actuellement, plusieurs avocats croient encore qu'ils doivent assigner comme témoins les dirigeants des médias pour prouver que quelque chose a été publié. Ce paragraphe (11), qui deviendra, je l'espère, l'article 39.5, pourra leur être rappelé.
    Enfin, le but de cette loi n'est pas d'assurer l'immunité à certains criminels ou à certains individus qui voudraient faire de la diffamation par journaliste interposé. Ce principe du respect de l'anonymat de sources confidentielles, certains journalistes étaient prêts, et le sont encore, à le défendre en allant en prison. Certains, d'ailleurs, y sont allés.
    Je pense que ce serait les offenser beaucoup que de voir que les principes qu'ils ont défendus avec autant de courage sont utilisés par des criminels pour échapper au châtiment qu'ils méritent. Je croyais que mon projet de loi était assez clair, particulièrement quand il oblige le juge à mesurer les valeurs en cause, qui sont la liberté de l'information et l'intérêt de l'État à connaître et à punir les crimes qui sont commis. Cependant, après avoir discuté avec plusieurs personnes, j'ai cru qu'il serait bon d'ajouter un article qui dirait clairement que cette loi ne s'applique pas... D'ailleurs, je l'ai ici .
    En fait, il serait dit ce qui suit: « Les articles 39.1 à 39.5 n'empêchent pas la saisie ou la divulgation d'une communication faite ou d'un document préparé en vue de la commission d'une fraude ou d'une infraction criminelle. »

  (1540)  

    Cette règle d'interprétation, j'en suis sûr, rassurerait les policiers, ferait comprendre qu'il ne s'agit pas d'un privilège et que cette protection cesse lorsqu'il s'agit d'actes criminels.
    J'ai aussi cru bon d'ajouter quelques mots ici et là pour préciser clairement qu'il ne s'agit pas d'assurer l'indemnité à des criminels. En ce qui concerne les sources, par exemple, je parle de sources confidentielles. Pour ce qui est des renseignements recueillis par les journalistes ou des documents créés, c'est précisément dans le cadre de l'exercice de leurs activités professionnelles. Ces amendements très courts permettraient de rassurer bien des gens.
    Je vous remercie, monsieur le président.

  (1545)  

[Traduction]

    Merci, Monsieur Ménard.
    Monsieur Bagnell.
    Merci, et félicitations d'avoir mené votre projet de loi jusqu'à cette étape. C'est très bien.
    Nous devons nous montrer prudent, je suppose, lorsque nous examinons un projet de loi comme celui-ci. La liberté de presse est nécessaire; c'est l'une des caractéristiques de notre société. Mais nous ne voulons pas non plus ajouter aux lois des dispositions qui donneraient aux journalistes des pouvoirs qui ne sont pas conférés à d'autres personnes hors du cadre de leurs activités professionnelles.
    Je veux seulement être certain — et je crois que vous l'avez précisé à la fin de vos remarques préliminaires — que si la publication d'une série d'articles entraînait une enquête criminelle, les policiers pourraient consulter la source journalistique et interroger à la fois le journaliste et la source au sujet des actes criminels.

[Français]

    Je n'ai pas d'objection à ajouter cela, mais comme vous pouvez le constater — c'est au paragraphe (5) ou au paragraphe (3) —, la procédure prévue amène le juge à peser les valeurs contradictoires. D'une part, on parle de la liberté d'information et du fait que les journalistes ne doivent pas être perçus comme des auxiliaires de la police ou de l'État, de façon à donner confiance aux gens qui voudraient leur communiquer de l'information, et d'autre part, de l'intérêt de l'État à enquêter sur les crimes et à punir les criminels. Un document ayant servi à commettre un acte criminel pourrait être saisi.

[Traduction]

    Il est certain que le journaliste n'a pas à faire le travail des policiers. Mais ces derniers devraient néanmoins avoir le droit de poser des questions au journaliste, tout comme il pourrait interroger quiconque dans le cadre d'une enquête criminelle, y compris sur l'identité de la source.

[Français]

    Oui, mais comme vous le savez, personne n'est obligé de répondre à des officiers de police, sauf dans des cas vraiment exceptionnels. Dans ces conditions, le journaliste est le gardien de la confidence qu'il a promise. Et lors d'un interrogatoire mené par la police, c'est contre une ordonnance de la cour qu'il a besoin de protection. Quoi qu'il en soit, personne n'est obligé de collaborer avec la police dans notre pays, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

[Traduction]

    Sans entrer dans les détails de l'article, pourriez-vous nous expliquer brièvement la principale raison pour laquelle les journalistes ne sont pas protégés maintenant comme ils le seraient aux termes de ce projet de loi?

[Français]

    Ils sont actuellement protégés par la Charte et la jurisprudence. J'ai essayé de résumer en deux pages l'essentiel de la jurisprudence et j'ai fait un petit ajout dont je vous parlerai plus tard. L'immense avantage de mon projet de loi touche la pratique. La procédure est généralement reconnue par la jurisprudence, mais dans le cadre de causes qui, dans certains cas, sont contradictoires, le juge serait amené à l'appliquer. Il verrait alors quelles sont les valeurs en cause.
    Il vérifierait nécessairement la jurisprudence pour déterminer la façon de soupeser les intérêts contradictoires à la lumière de nos valeurs. C'est le grand avantage de ce projet de loi. C'est d'ailleurs ce que disait un des avocats que j'ai consultés, qui est juge aujourd'hui, mais qui en faisait sa spécialité et pratiquait dans ce domaine à l'époque. Il m'a dit que mon projet de loi était fantastique parce qu'avec deux pages, je lui évitais de citer 1 000 pages de jurisprudence. Je n'ai pas voulu ajouter à mon projet de loi des dispositions qui n'étaient pas déjà reconnues par la Charte...

  (1550)  

[Traduction]

    D'accord.

[Français]

    ... sauf une, dont je vous parlerai plus tard.
    Monsieur Ménard.
    Monsieur Ménard, je vous félicite pour votre projet de loi. Vous vous présentez devant le comité, et je constate que vous avez l'appui du Barreau du Québec, du Conseil de presse, de la Fédération nationale des communications et de la Fédération professionnelle des journalistes. Vous avez démontré, sur le plan de la liberté, de la démocratie et de l'équilibre entre les pouvoirs, à quel point ce projet de loi était important.
    Je voudrais, si vous le permettez, qu'on dispose d'entrée de jeu de deux questions. J'aimerais d'abord savoir ce qui a inspiré votre définition du mot « journaliste », que vous nous en présentiez les principales composantes, que vous nous expliquiez pourquoi cette définition est très bien balisée et comment elle pourrait éviter les excès. Vous pourriez peut-être aborder par la suite la question qui constitue sans doute le deuxième volet en importance de votre projet de loi, soit les conditions pour l'émission des mandats de perquisition. Je parle ici, bien sûr, de l'accès à des locaux où se trouvent des sources, où sont situés des médias.
    Il existe très peu de définitions du mot « journaliste ». J'avais demandé aux gens de la Bibliothèque du Parlement de faire une recherche à ce sujet, et ils ont obtenu les mêmes résultats que moi. Ils sont arrivés à la même conclusion. Il y a des définitions à l'occasion et à certaines fins spécifiques. Dans ce cas-ci, parce qu'il ne s'agit pas d'offrir une protection à des journalistes mais bien de protéger les sources, nous avons voulu faire correspondre la définition du mot « journaliste » à des personnes susceptibles, dans le cadre de leur pratique, d'être les dépositaires du secret ou de l'anonymat. Notre définition restreint le sens du mot « journaliste ». Par exemple, elle n'inclut pas les gens qui font des éditoriaux. On définit le mot « journaliste » comme suit dans le projet de loi :
Personne qui contribue régulièrement et directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par l’entremise d’un média, à l’intention du public, ou tout collaborateur de cette personne.
     Ces éléments sont ceux que l'on retrouve dans la jurisprudence. Le mot « régulièrement » est important. Ici, on ne parle pas d'une personne qui veut faire de la diffamation à un moment donné. En outre, c'est dans le cadre de l'exercice d'une activité professionnelle. Ça concerne la collecte de l'information et ce qui s'ensuit et c'est par l'entremise d'un média. On ne parle pas d'un enquêteur privé ou quoi que ce soit du genre. Enfin, il faut que ce soit fait à l'intention du public. Je ne parle pas d'un public spécialisé: j'utilise une expression couramment utilisée par les journalistes. Il s'agit donc du grand public. On ne parle pas de bulletins paroissiaux, de rapports annuels de compagnies ou d'autres choses du genre, mais bien d'information destinée au grand public.
    Nous avons aussi laissé suffisamment de marge de manoeuvre pour prévoir l'avenir. Chaque matin, je lis sur Internet un journal qui n'est pas accessible facilement. Je crois qu'il y aura de plus en plus de journaux sur Internet et que certains d'entre eux ne seront disponibles que de cette façon. Cependant, il faudrait qu'ils aient à leur service des gens qui recueillent l'information et la traitent à l'intention du public. En outre, j'ai ajouté les mots « tout collaborateur de cette personne ». L'expérience d'autres juridictions nous a démontré que c'était utile. En effet, dans certains pays, on engageait des femmes de ménage qui devaient fouiller les notes des journalistes en vue de découvrir quelles étaient leurs sources confidentielles. Le mot « collaborateur » couvre ce genre de situation.
    J'ai aussi un amendement à proposer qui, je pense, répondrait à certaines objections que des policiers ont soulevées et dont on m'a fait part. Pour ce qui est des mandats de perquisition, je pense avoir réussi à résumer adéquatement deux causes de la Cour suprême qui font partie de la jurisprudence, soit les exigences des causes Rex c. Lessard et Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général). Je pense que si vous lisez les extraits pertinents, vous verrez que ce résumé est adéquat. Je crois qu'il faudrait plutôt parler de « mandats de perquisition dans un média ». C'est ce que je disais dans ma présentation et c'est aussi ce qu'on dit dans le cadre de ces causes. On ne vise pas le domicile du journaliste.

  (1555)  

    Ai-je le temps de poser une autre question, monsieur le président?

[Traduction]

    Vous pouvez en poser une.

[Français]

    Monsieur Ménard, les paragraphes 39.1(6) et (7) de votre projet de loi semblent prévoir des critères différents afin qu'on puisse lever le privilège des journalistes. Pouvez-vous nous en parler?
    Oui. J'ai remarqué que cette proximité confond beaucoup de gens. Je ne crois pas qu'elle confondrait les cours de justice, cependant. Au paragraphe 39.1(6), on parle encore de la protection d'une source confidentielle; au paragraphe 39.1(7), on aborde un autre sujet: le matériel journalistique non publié. Il peut s'agir, par exemple, de notes ou d'extraits de films pris par des journalistes que ceux-ci n'ont pas publiés. Ces dispositions sont inspirées par le principe voulant que les journalistes ne doivent pas être perçus par le public comme des auxiliaires de la police. Le public doit pouvoir faire parfaitement confiance aux journalistes.

[Traduction]

    Monsieur Comartin.
    Merci, monsieur le président.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Ménard, merci d'être parmi nous.
    On a laissé entendre que la définition de « journaliste » n'est pas assez rigide et que trop de personnes pourraient se déclarer journalistes. Pourriez-vous commenter?
    D'abord, la définition ne s'applique qu'à ces articles du projet de loi. Quel est le risque qu'un caméraman soit couvert par les mots « collaborateur de cette personne »? Il n'a d'importance que si on veut connaître de lui la source, car il la connaît probablement. Il fallait donc que la définition couvre toutes les personnes qui peuvent être dépositaires, même parfois accidentellement, de l'identité de la source que l'on veut protéger. On ne lui donne pas un statut.
    C'est peut-être le génie de la langue française qui est à l'oeuvre ici, mais une loi qui veut protéger une activité journalistique doit définir le mot « journaliste ». J'ai remarqué que d'autres lois utilisent l'expression « personne couverte » pour désigner une personne qui peut refuser de donner la source. Je préfère encore ce libellé parce qu'il s'agit d'une activité journalistique. Il faut définir « journaliste » et dire que cette définition, dans ces articles, comprend aussi les collaborateurs.
    Avez-vous vu d'autres définitions de « journaliste »?
    J'en ai vu d'autres. Nous avons essayé de faire de notre mieux par rapport à ce que nous avons lu. Je veux quand même vous suggérer de l'améliorer. Pour rassurer le public, je suis prêt à ajouter à la définition « dans le cadre d'un travail indépendant ou salarié ». Cela ferait ressortir encore plus le fait que le journaliste doit être membre d'une entreprise de presse, et non pas quelqu'un qui s'improvise soudainement journaliste afin de pouvoir diffamer quelqu'un ou répandre une fausseté en disant qu'il a une source secrète.
    Quoi qu'il en soit, le journaliste qui dispose d'une source secrète est responsable civilement. Il est aussi criminellement responsable s'il fait un libelle diffamatoire. Il ne peut invoquer l'excuse qu'il veut garder une source secrète. Je veux protéger des situations qui ont amené quelque chose de bien à notre société. Ce sont les journalistes qui reçoivent des renseignements de source confidentielle. Ce sont eux qui mènent une enquête et qui publient celle-ci une fois qu'ils peuvent soumettre au public des preuves indépendantes de leur source. Si leur source les trompe, ce sont eux qui seront responsables des dommages ainsi causés à une tierce personne.

  (1600)  

    Une des autres critiques a trait au paragraphe 39.1(8). Vous utilisez le mot « juge » pour ce qui est du mandat de perquisition. En Ontario, c'est un juge de paix. Est-ce la même chose au Québec?
    Juge de paix.
    Est-ce la même chose au Québec?
    Nous faisons parfois des erreurs en français parce que c'est mal traduit. Il nous arrive maintenant d'en faire dans l'autre sens. En français, on parle toujours d'un juge de paix, d'un juge de la cour provinciale, d'un juge de la cour supérieure. Je crois que les juges de la cour supérieure peuvent aussi émettre des mandats, mais ce n'est évidemment pas eux qui seraient couverts. En utilisant le mot « juge », je croyais vraiment couvrir les trois catégories en anglais, soit « justice of the peace », « justice » et « judge ». Vous pourriez corriger cette erreur de traduction. Pour équilibrer cette correction en anglais, vous pourriez ajouter en français « juge de paix ou juge », car le paragraphe 487(1) du Code criminel parle de juge de paix.

[Traduction]

    Me reste-t-il du temps?
    Oui, il vous en reste, monsieur Comartin.

[Français]

    Monsieur Ménard, une autre critique est que vous n'avez pas fait de distinction entre l'information concernant la sécurité publique provenant d'un terroriste et celle provenant d'un simple criminel. Avez-vous pensé qu'il était nécessaire de faire cela? Je pense plus particulièrement à ce qui est arrivé à Mme O'Neill. La GRC et d'autres agences du renseignement veulent avoir plus de pouvoirs pour protéger ou être en mesure d'accuser des journalistes afin de connaître leurs sources, parce qu'il s'agit de sécurité publique.
    Corrigez-moi tout de suite si je fais erreur, mais je crois que Mme O'Neill est celle qui a publié dans le Toronto Star des informations sur Maher Arar. Le juge O'Connor s'est également donné la peine d'enquêter et a établi que ces informations étaient fausses. Ce n'est certainement pas ce que je veux protéger. L'amendement que je suggère est là.
    Quand le juge appliquerait le paragraphe 39.1(5) et qu'il soupèserait la conclusion du litige, la liberté de l'information et sa raison d'être, de même que les conséquences qu'aurait le témoignage sur la source — qui a commis elle-même un acte criminel parce qu'elle aurait donné l'information dans ce but —, je crois qu'il en arriverait nécessairement à la conclusion que la source n'est pas protégée.
    Je vous le dis très honnêtement, mon but n'était pas de protéger non plus les policiers ou les agents secrets qui veulent se servir des journalistes pour discréditer quelqu'un qu'ils ne peuvent pas accuser. De plus, compte tenu de l'ajout que je vous suggère et que j'ai lu plus tôt, ces cas seraient couverts.

[Traduction]

    Merci.
    Merci, monsieur Comartin.
    Monsieur Moore.

  (1605)  

    Merci, monsieur le président, et merci, monsieur Ménard, d'être venu devant nous aujourd'hui pour nous parler de votre projet de loi.
    Monsieur Ménard, pourrait-on dire que si votre projet de loi était adopté, il pourrait y avoir des cas, où avant l'adoption du projet de loi, il aurait été possible de poursuivre avec succès les auteurs d'actes criminels graves, ou même des cas de menace à notre sécurité nationale...? Serait-il possible de concevoir que sous le régime de la loi actuelle, une poursuite aurait pu être couronnée de succès, alors qu'une fois votre projet de loi adopté, il ne serait plus possible d'obtenir les éléments de preuve nécessaires à la réussite de la poursuite?
    Je ne crois pas, non.

[Français]

    Honnêtement, je ne le crois pas. Essentiellement, j'ai cherché à résumer le droit actuel et à le préciser parce qu'il faut, pour la profession journalistique et tout ce qui l'entoure, amener les juges à suivre la même procédure partout au Canada.
    Regardons nos voisins. Aux États-Unis, dans 30 États et dans le district de Columbia, il y a 31 lois sur la protection des sources. Le fédéral est en train d'en préparer une. Tous les pays civilisés ou presque — enfin tous les pays d'Europe de l'Ouest — en ont une. C'est né après la Première Guerre mondiale, donc après Wigmore, pour ceux qui préfèrent cette référence. La liberté de presse, l'indépendance de la presse et la complexité de la société moderne font en sorte que l'indépendance de la presse est une valeur fondamentale. D'ailleurs, c'est inscrit dans la Charte, mais il est bon que les législateurs s'expriment.

[Traduction]

    Je ne suis pas d'accord, parce que si je crois ce que vous affirmez, c'est-à-dire que le projet de loi serait sans effet sur un dossier — un dossier de sécurité nationale, par exemple — cela laisse entendre que votre projet de loi d'initiative parlementaire n'a aucun effet de plus que ce que prévoit la loi actuelle au Canada. Le fait est que si ce projet de loi était adopté, ces dispositions iraient bien au-delà de ce que prévoit la common law au Canada à l'heure actuelle, d'après la lecture que j'en fais.
    En fait, votre projet de loi est conçu de façon à protéger certaines sources et certains renseignements, à mon avis — ou c'est l'effet qu'il aurait s'il était adopté. Par conséquent, on ne peut faire autrement que de conclure qu'une poursuite qui serait couronnée de succès actuellement dans un dossier de sécurité nationale pourrait échouer si votre projet de loi était adopté.
    Comme tous les membres de ce comité, probablement, je reconnais que les droits dont vous avez parlés sont des droits fondamentaux, des droits garantis par la Charte. Mais il faut préciser que si ce projet de loi était adopté, ces dispositions iraient bien au-delà de ces droits bien établis.
    Je sais que vous suivez ce dossier depuis longtemps, et je vous signale l'affaire récente entendue par la Cour d'appel de l'Ontario, la Reine c. le National Post, dans lequel la Cour d'appel de l'Ontario a discuté de ces mêmes enjeux et de l'équilibre qu'il faut établir au Canada entre la protection et le maintien de nos libertés, mais aussi la protection et le maintien des droits des Canadiens — cela signifie la protection des citoyens contre les actes criminels et contre les problèmes qui pourraient nuire à notre sécurité nationale. En fait, la cour a maintenu avec vigueur l'état actuel du droit.
    J'aimerais savoir ce que vous en pensez, puisque vous dites que les résultats d'une poursuite seraient les mêmes aujourd'hui ou après que votre projet de loi ait été adopté... Certains éléments de preuve qui sont disponibles aujourd'hui ne le seraient plus si votre projet de loi était adopté. Nous devons en être bien conscient.

  (1610)  

[Français]

    Cela dépend de la jurisprudence à laquelle on se réfère. Ensuite, il faudrait que j'aie plus de détails sur le cas hypothétique dont vous parlez au sujet de la sécurité nationale.
    Personnellement, j'ai lu avec attention le compte-rendu de la cause dont vous parlez et je crois que c'est aux paragraphes [116] et suivants, dont le [118], mais je ne les lirai pas, puisque vous semblez être au courant. Vous verrez qu'en appliquant mon projet de loi, mais particulièrement aussi l'amendement que je vous suggère, la décision serait la même. D'ailleurs, c'est une décision sur laquelle je suis d'accord.
    Maintenant, j'ai aussi, en rédigeant mon projet de loi, non seulement été inspiré par la jurisprudence canadienne mais aussi internationale. J'ai lu des causes de la Cour européenne des Droits de l'homme, notamment celle de Goodwin c. Royaume-Uni. Je peux vous dire que ce qui est dans mon projet de loi est à peu près la norme dans les pays civilisés comme le nôtre, qui considèrent que l'indépendance des journalistes est une valeur essentielle dans une démocratie moderne.
    Justement, si vous lisez l'alinéa b) du paragraphe (5), le juge est appelé à faire la part des choses. Maintenant, pour encore plus de clarté, je vous suggère de rajouter un sous-alinéa (iv), qui serait semblable à l'alinéa b) du paragraphe (8). Vous auriez quand même tout ça pour vous garantir quelque chose parce que c'est sur ça que porte le jugement de la Cour d'appel de l'Ontario, sur l'objet qui a servi à transporter le document frauduleux. Donc, l'enveloppe elle-même aurait servi à commettre une infraction grave. En vertu de mon projet de loi, je suis convaincu qu'en appliquant le principe à l'alinéa b) du paragraphe (5)...

[Traduction]

    Monsieur Ménard, je comprends ce que vous dites. Mais le fait est néanmoins qu'il y a une différence. Le Canada est bien sûr un pays civilisé, et nous avons tous énormément de respect pour les droits humains. Nous reconnaissons qu'il existe actuellement un équilibre, grâce à la jurisprudence et aux amendements législatifs qui ont été apportés, et c'est un équilibre qui doit être préservé. Cet équilibre respecte la Charte et les droits qu'elle confère.
    Précisons cependant qu'en vertu du droit actuel, c'est aux journalistes qu'il incombe de démontrer que l'information est privilégié — c'est ce que dit actuellement la loi — et qu'il est dans l'intérêt public de ne pas divulguer l'information. C'est le critère que l'on applique.
    Au contraire, votre projet de loi suppose que toute l'information est confidentielle et qu'il est interdit de la divulguer à moins que la personne qui en demande la divulgation satisfasse aux critères du projet de loi.
    Je dois avouer que c'est là un changement fondamental.
    Merci, monsieur Moore.
    Monsieur Ménard, vous pouvez répondre brièvement à cette observation de M. Moore.

[Français]

    Vous avez raison, le fardeau de la preuve est déplacé, et c'est volontaire. C'est la nouveauté. Mais à cet égard, je pense que nous sommes, à ce moment-là, en harmonie avec la jurisprudence internationale.

[Traduction]

    Monsieur Lee.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Ménard...

[Français]

    Les principes sont les mêmes, mais vous avez raison de dire que le fardeau de la preuve est différent. Il n'est peut-être pas différent, mais il n'appartient pas à la même personne.
    Bonjour, monsieur Ménard.

[Traduction]

    Pour commencer, avant de sortir mes ciseaux et mon coupe-papier, je tiens à féliciter le député d'avoir présenté son projet de loi. Il a fait une excellente tentative de codifier l'équilibre que l'on recherche entre les droits de la personne, les intérêts de l'État et la liberté de la presse. La liberté de presse est l'un des grands pivots de notre démocratie, comme de la plupart des démocraties. La Chambre a déjà accepté en principe l'objet du projet de loi, et celui-ci représente un bel effort.
    Mais tout comme M. Moore, j'ai également des questions au sujet de certains détails. La liste de questions de M. Moore est peut-être un peu plus longue que la mienne. Permettez-moi d'attirer votre attention sur le sous-alinéa 39.1(5)(b)(i). Cette disposition énonce les critères, et fait renvoi aux résultats du litige.
    J'aimerais que vous revoyez un peu cette disposition. Je ne sais pas si vous êtes en mesure d'y répondre maintenant, mais lorsqu'un juge rend une décision, comment lui ou les parties paraient-ils tenir compte du résultat du litige alors qu'ils ne le connaissent pas à l'avance? Le litige serait en cours.
    Vous voulez peut-être parler de l'objectif ou de l'objet du litige, plutôt que de son résultat... À moins que vous ne songiez aux résultats du litige?

  (1615)  

[Français]

    Je ne peux vous donner un meilleur exemple que celui du jugement du juge Noël dans la cause de Charkaoui contre les deux journalistes de La Presse qui ont publié des données du Service canadien du renseignement de sécurité. Ces données étaient très peu flatteuses à l'endroit de M. Charkaoui. La question en litige était de savoir si, selon ce que M. Charkaoui prétendait, le gouvernement ou des officiers du gouvernement avaient volontairement utilisé des journalistes pour le discréditer et renforcer les raisons pour lesquelles le certificat de sécurité émis contre lui devait être maintenu. Il demandait un arrêt des procédures, à cause de cet abus. Le juge Noël se demandait justement s'il était important de connaître l'identité des agents secrets qui avaient, contrairement à la loi, donné des informations confidentielles fausses aux journalistes, comme le prétend Charkaoui. C'était le litige au sujet duquel il devait prendre une décision.

[Traduction]

    D'accord.

[Français]

    Ça peut être autre chose, mais...

[Traduction]

    Monsieur Ménard, il serait sans doute intéressant que vous nous rappeliez tous les détails de l'affaire, mais cela utilisera la totalité de mes cinq minutes.
    C'est simplement un problème que j'ai remarqué.
    Deuxièmement... J'aimerais que vous répondiez brièvement. Parlons de la définition du mot « journaliste ». Cette définition semble plutôt générale. Je suis sûr que tous les journalistes l'apprécient, mais est-ce que Conrad...

[Français]

    Certains journalistes la trouvaient trop restreinte.

[Traduction]

    Laissez-moi vous poser une question. Conrad Black est-il un journaliste? Don Cherry est-il un journaliste? Les Pages jaunes et les gens qui les préparent, en tant qu'entreprise, sont-ils des journalistes? Les employés d'un bureau d'accès à l'information, sont-ils des journalistes? La société Microsoft est-elle journaliste? Les gens qui colligent et impriment le Quorum au Parlement sont-ils des journalistes?
    Peut-être peut-on répondre par l'affirmative à toutes ces questions. Ce n'est peut-être pas votre intention, mais si vous pouvez oui à la plupart de ces questions, alors votre définition est peut-être un peu trop générale, et nous devrions consacrer le temps nécessaire à l'examiner.
    Avez-vous des observations à ce sujet?

[Français]

    Oui, je peux donner des réponses dans chacun des cas. Je commencerai pas la fin, car je m'en souviens un peu plus. Le Quorum n'est pas rédigé par des journalistes, il ne fait pas la collecte d'information. Conrad Black n'est pas un journaliste non plus, à moins qu'il ne se soit informé, à un certain moment, de l'identité de la source de l'un de ses journalistes. C'est uniquement dans ces circonstances qu'il le deviendrait. Les Pages Jaunes ne sont pas rédigées par des journalistes.

[Traduction]

    Monsieur Ménard, les Pages jaunes recueillent, produisent et publient de l'information. Cette entreprise publie chaque année un excellent annuaire.

[Français]

    Oui, mais la nature des informations qu'ils recueillent ne les amènera jamais à avoir une source confidentielle d'information pour faire une enquête qui permettrait de redresser des torts.

  (1620)  

[Traduction]

    Non. Le critère de votre définition n'est pas que la source soit confidentielle. Le seul critère, c'est qu'il recueille, collige et publie de l'information dans un média. C'est votre définition, et cet annuaire est un recueil d'information.
    Que vous jugiez que cela est pertinent ou non par rapport à votre conception de journaliste, le fait est que votre définition... J'ai même parlé de Conrad Black et de Don Cherry. Si Don Cherry se met en tête de fournir, dans le cadre d'une émission télévisée, des statistiques de hockey sur le nombre de buts, et il le fait régulièrement, il me semble que votre définition de journaliste des médias électroniques s'appliquerait, puisqu'il recueille de l'information et la diffuse.
    Merci.
    Merci, monsieur Lee.
    Monsieur Ménard, je sais que vous voulez répondre à M. Lee... Soyez bref, s'il-vous-plaît, puis nous entendrons M. Petit.

[Français]

    Je pense qu'ils traitent des informations qui sont recueillies par d'autres.
    Bonjour, monsieur Ménard. Je suis très content que vous puissiez aujourd'hui nous expliquer ce projet de loi. La réflexion que je me fais, c'est que les tribunaux auront à conjuguer avec ce type de projet de loi dans le futur. La question que je me pose est la suivante. Vous avez été ministre de la Justice au Québec, vous avez aussi été avocat criminaliste. Imaginez-vous qu'au gouvernement, vous connaissez les arrêtés en Conseil 115 et 116 du Québec qui touchent la protection des employés de confiance. Il y a des employés de confiance dans chaque gouvernement.
    Imaginons qu'un de vos employés décide de parler à un journaliste qui publie ensuite l'information. Il fait indirectement ce qu'il n'a pas le droit de faire directement. Une loi dit que cette personne ne peut pas parler de ce qu'elle voit ou de ce qui se passe dans son ministère. Elle parle au journaliste, celui-ci répète ce qu'il a appris et le publie. Ça causerait une difficulté parce que dans votre projet de loi, il y a un renversement de la preuve.
    La dernière fois qu'on a discuté de renversement de la preuve, ce fut difficile. J'aimerais que vous m'expliquiez comment on va gérer ça parce que lorsqu'on renverse la preuve, c'est tout un fardeau qu'on met sur les épaules d'une autre personne. C'est ce qui se passe dans ce cas-ci. J'aimerais savoir si votre projet de loi se trouve à protéger indirectement ce qui ne pourrait l'être directement. Les employés de confiance, il y a en ici, à Ottawa, il y en a au Québec et il y en a dans votre ministère. Il s'agit qu'ils parlent à un journaliste pour que ça se retrouve dans les journaux. Et après, qu'est-ce qu'on fait, puisqu'on a déplacé le fardeau de la preuve?
    Non, cet employé n'est pas protégé parce que je ne crois pas que ce qu'il fait est dans l'intérêt public, de sorte que lorsque le juge mesurera l'intérêt public par rapport à la liberté d'information, ce n'est certainement pas ce genre de cas qui se trouvera protégé. Ce n'est certainement pas ce genre de cas que je veux protéger. Ce sont plutôt des choses comme, par exemple, l'un des cas les plus récents et les plus spectaculaires qu'on ait vus, soit celui des deux comptables d'Enron qui se sont confiés à des journalistes, leur expliquant quelle fraude monumentale était en train de se produire. Leur identité n'a pu être dévoilée tant que les gens d'Enron n'ont pas été accusés et que les comptables n'ont pas été assurés de leur sécurité. C'est ce genre de situation que nous voulons protéger. Il y en aura beaucoup à venir dans le monde moderne, par exemple en ce qui concerne l'environnement. Des gens seront témoins de pratiques de compagnies qui, volontairement, auront des trucs pour contourner les lois sur l'environnement. Ils iront s'adresser à un journaliste et celui-ci fera enquête. À la suite des informations qu'il trouvera, il dénoncera ces compagnies. Mais je ne crois pas que ce soit dans l'intérêt public de simplement rapporter à un journaliste une situation illégale et s'attendre à ce que celui-ci s'occupe de la dévoiler. Je pense que le juge ne le croirait pas non plus.

[Traduction]

    Monsieur Petit.

[Français]

    Combien de temps me reste-t-il?

[Traduction]

    Une question.

[Français]

    Monsieur Ménard, vous avez été avocat criminaliste et vous avez représenté des personnes contre qui pesaient des accusations criminelles. Imaginez que votre secrétaire, tenue à la confidentialité comme vous parce que vous êtes avocat, décide de parler à un journaliste. Celui-ci rapporte ses propos dans le journal. Votre projet de loi prévoit un transfert de preuve. Le renseignement donné pourrait peut-être condamner quelqu'un d'autre, pas nécessairement un de vos clients. Du fait qu'il y a un transfert de preuve, comment peut-on justement protéger votre secret professionnel ainsi que celui de votre employée? Comment peut-on le faire respecter si un journaliste peut le publier?

  (1625)  

    Je vous signale tout de suite, monsieur Petit, qu'on parle de protection des sources journalistiques depuis près de 30 ans et que ce genre de situation ne s'est jamais présentée. Tout d'abord, la secrétaire enfreindrait une loi. De plus, je crois que le dernier amendement que je propose devrait vous rassurer sur ce plan.
    Encore une fois, le but de mon projet de loi et son effet pratique sont d'amener tous les juges à faire le genre de raisonnement que les juges ont fait dans le passé. C'est très important pour la protection des gens qui s'adressent à des médias qui n'ont pas les moyens du National Post, de La Presse ou de Radio-Canada, ou encore ceux qui ne veulent pas les utiliser, comme Le Journal de Montréal, qui rarement...

[Traduction]

    Merci, monsieur Petit.
    Monsieur Réal Ménard, vous avez la possibilité de poser une question.

[Français]

    Monsieur Ménard, je crois qu'il y a quelque chose d'abusif dans le fait de prétendre, comme le fait mon ami le secrétaire parlementaire, que si votre projet de loi était adopté, ça compromettrait le déroulement de certaines enquêtes touchant la sécurité nationale, et j'aimerais qu'une fois pour toutes, vous fassiez une synthèse. J'aimerais que vous expliquiez que ça ne serait pas possible à la face même de la lecture de votre projet de loi, en raison de l'équilibre que le juge devrait prendre en compte. J'aimerais que vous nous donniez franchement les garanties que ce n'était aucunement votre intention de nuire à des enquêtes concernant la sécurité nationale.
    Ce que je veux protéger, c'est une activité journalistique qui est toujours exercée dans l'intérêt public. Dans un texte quand même assez court, qui couvre à peine plus de deux pages, trois dispositions prévoient l'équilibre que le juge doit faire entre les principes en jeu: l'intérêt de l'État, d'une part, et, d'autre part, la protection, inévitable dans une société démocratique, des sources et de l'activité journalistique. C'est ce qui est prévu au paragraphe 39.1(7) proposé. Les journalistes, pour bien nous informer, ont besoin que les gens aient confiance en eux. Or, les gens auront moins confiance en eux s'ils savent qu'ils deviennent des auxiliaires de police. Les journalistes auxiliaires de police sont une caractéristique des régimes dictatoriaux ou totalitaires. Dans le projet de loi, on parle de l'équilibre entre les valeurs à l'alinéa 39.1(5)b), au paragraphe 39.1(7) et à l'alinéa 39.1(8)b).
    Je reste convaincu qu'une telle loi serait très utile, qu'elle serait très appréciée non seulement de la communauté journalistique, mais aussi...

[Traduction]

    Merci, monsieur Ménard.
    Monsieur Moore, il vous reste du temps pour une question.
    Merci, monsieur le président.
    Pour revenir à la question de M. Réal Ménard, dire qu'il n'y aurait pas de répercussions laisse entendre, à mon avis, que le projet de loi n'a aucun effet. Nous ne serions pas ici à l'examiner s'il n'avait aucun effet. Je dirais que, même si ce n'était pas votre intention, ce projet de loi pourrait avoir des répercussions sur ce genre d'enquêtes.
    Ce projet de loi créé, à l'intention des journalistes, un nouveau privilège collectif qui n'existe pas actuellement. À l'heure actuelle, on suppose que les journalistes sont assujettis au même traitement que tous les autres Canadiens, et cela constitue une présomption légale que les preuves pertinentes doivent être présentées aux tribunaux. C'est la présomption, comme je l'ai mentionnée dans une question précédente. L'affirmation du privilège des journalistes constitue une exception à cette règle.
    Que ce soit ou non le but visé, votre projet de loi l'emporterait sur toutes les autres lois fédérales — c'est ce que l'on dit expressément dans le projet de loi — y compris les dispositions du Code criminel, de même que des lois qui pourraient influer sur des questions de terrorisme et de sécurité nationale, comme je l'ai mentionné. Il accorderait aux journalistes un privilège qui n'est pas conféré aux autres Canadiens et, en fait, détruirait l'équilibre que les tribunaux ont maintenu jusqu'à cette semaine en fait , disant qu'il existait un juste milieu, que les journalistes peuvent se prévaloir du privilège journalistique mais que ce privilège doit être traité et établi au cas par cas.
    Le problème de votre projet de loi c'est que sa définition de « journaliste » est trop générale et qu'il confère aux journalistes un privilège très supérieur à celui des autres Canadiens, en plus de modifier en profondeur l'équilibre qui a déjà été établi. Je vais vous poser la question à nouveau: est-il exact de dire que si ce projet de loi était adopté, certaines poursuites qui seraient possibles maintenant ne le seraient plus par manque de preuve pertinente?

  (1630)  

    Monsieur Ménard.

[Français]

    Mon intention n'était pas de créer une classe à part de citoyens, mais de protéger une activité, de protéger les sources, et non pas les journalistes. Je voulais protéger les sources confidentielles qui ne se seraient pas confiées aux journalistes si elles n'avaient pas eu la garantie que leur confidence resterait confidentielle. Même si vous n'aimez pas le fait que des citoyens soient dans une classe à part, il reste que c'est le seul type de témoin qui a une protection constitutionnelle. En vertu de la Chartre canadienne des droits et libertés, chacun a les libertés fondamentales suivantes: liberté de penser, de croyance, d'opinion et d'expression. À cela s'ajoute la liberté de la presse et des autres moyens de communication.
    De plus, si vous lisez bien l'opinion du juge La Forest comme celle du juge Cory dans le SAR, elles expliquent très bien ce que je vous disais plus tôt, à savoir que les journalistes ne doivent pas être perçus comme des auxiliaires de l'État. Quand ils collectent de l'information et qu'ils la présentent, ce qu'ils ne diffusent pas ne doit pas être utilisé par la police, à moins que celle-ci ait une bonne raison de le faire. Ces bonnes raisons sont exposées sommairement dans mon projet de loi et elles seront interprétées à la lumière de la jurisprudence qui existe déjà.

[Traduction]

    Merci, M. Ménard et M. Moore.
    Voilà qui met fin à notre première heure de discussion sur le projet de loi d'initiative parlementaire de M. Ménard.
    Et le parti ministériel appuiera le projet de loi.
    Je vais demander à nos autres témoins de prendre place.
    Monsieur Ménard, vous pouvez céder votre fauteuil.
    M. Hawkes, Karen Markham, Josée Desjardins et la lieutenant-colonelle Jill Wry. 
    Nous allons suspendre la réunion pendant une minute.

    


    

    La séance est de nouveau ouverte.
    Nous allons entendre les témoins selon l'ordre prévu à l'ordre du jour. Nous allons commencer par M. Joshua Hawkes.
    Monsieur Hawkes, vous êtes procureur de la Couronne en Alberta, plus précisément à Calgary, n'est-ce pas?

  (1635)  

    C'est exact, monsieur le président.
    Merci, monsieur. Je vous laisse la parole.
    Merci beaucoup.
    Je suis heureux de me présenter devant vous. Comme le président l'a mentionné, je suis procureur en Alberta. Je m'occupe de poursuites depuis environ 17 ans. À l'heure actuelle, je suis procureur aux cours d'appel et à la Cour suprême du Canada. Mon service m'a demandé de comparaître devant vous et d'exprimer les préoccupations que nous posent ce projet de loi. Ces préoccupations se divisent en deux grandes catégories.
    La première catégorie est liée au processus, et la seconde au fond du projet de loi. Nos préoccupations quant au processus peuvent se résumer brièvement. Fréquemment, sinon dans tous les cas, lorsqu'on décide d'apporter des changements de fond au droit pénal ou à des lois connexes, on tient des consultations étendues. Ces consultations sont essentielles non seulement parce qu'elles mettent en cause un grand nombre d'autres intervenants, mais aussi parce que, dans l'optique des procureurs, ces changements entraîneront des modifications à la pratique d'un bout à l'autre du pays.
    L'approche que nous adoptons en Alberta dans les conseils que nous donnons aux services policiers dans le cadre d'enquêtes ou de poursuites est probablement bien différente de celle adoptée par d'autres provinces ou territoires. Ces différences peuvent avoir un effet profond sur les répercussions de la mesure législative. Si on ne tient pas de consultations de ce genre pour entendre tous les points de vue, pour tenir compte de toutes ces différences, on court le risque très grave de provoquer des conséquences inattendues. C'est de ces conséquences que je vais vous parler brièvement.
    Dans mon mémoire, je mentionne au moins cinq dispositions du projet de loi qui pourraient provoquer des conséquences inattendues. Le premier problème a déjà été discuté, et c'est le caractère trop vague des définitions. La définition de « journaliste » est particulièrement vague. Elle est plus vague que des dispositions semblables que l'on trouve, par exemple, aux États-Unis, devant le Sénat et la Chambre des représentants. Comme je le dis dans mon mémoire, cette définition est inacceptable pour deux raisons. Premièrement, dans des mesures législatives semblables aux États-Unis, par exemple, on a fait des efforts particuliers pour exclure tous ceux qui ne travaillent pas à la publication ou à la diffusion d'information à des fins lucratives — c'est-à-dire à titre de gagne-pain.
    À l'époque de l'Internet, on peut facilement comprendre que ce problème pourrait se poser. L'auteur d'un blogue peut écrire tout ce qu'il veut dans son blogue. Il recueille de l'information, il peut faire des recherches, puis il diffuse cette information. Aux termes de ce projet de loi, il serait considéré comme journaliste et il pourrait se prévaloir des mesures de protection du projet de loi. Cela pourrait s'appliquer à peu près sans limite à toute personne qui consulte l'Internet.
    Le second problème que pose la définition, et il est peut-être impossible de le corriger dans une telle structure, c'est que l'on ne saurait exclure de la définition certains types de journalistes ou de personnes qui pourraient être qualifiés de journalistes. Je vais donner l'exemple de deux organisations à cet égard. La première est une organisation appelée NAMBLA. Il s'agit de la North American Man/Boy Love Association. L'objectif de cette organisation est de préconiser les relations sexuelles entre les adultes et les enfants, sous couvert de réclamer des modifications aux lois. Cette organisation publie un bulletin. Tous les auteurs d'articles dans ce bulletin seraient considérés comme des journalistes. Dans leurs articles, il se peut fort bien qu'ils décrivent des activités qui seraient considérées comme des actes criminels aux termes des dispositions du code en matière de pornographie juvénile ou qu'ils décrivent des actes criminels aux termes du code. Il serait impossible de les exclure de la définition de « journaliste ».
    Autre exemple, il existe aux États-Unis un site Web dont je ne préconise pas la consultation, mais qui s'appelle whosarat.com. On y recueille et publie des renseignements sur des informateurs secrets de la police: on trouve une photo et une description de l'informateur à ce site. Si vous êtes un agent d'infiltration aux États-Unis, vous pourriez trouver votre photo et votre description dans ce site Web. D'après ce projet de loi, ceux qui exploitent ce site seraient considérés comme des journalistes et pourraient se prévaloir des mécanismes de protection du projet de loi. Je ne dis pas que c'était là l'intention visée, mais cela pourrait malheureusement se produire.

  (1640)  

    Deuxièmement, la définition du mot « document » du projet de loi est très large. Elle pourrait s'appliquer à toutes sortes d'information, y compris des photos et des bandes vidéos. Selon la jurisprudence, l'arrêt Lessard en particulier, les attentes en matière de confidentialité ne sont pas les mêmes selon le genre de documents dont il s'agit. ainsi, s'entretenir en secret avec une source est bien différent de filmer une manifestation qui se tient en public; or, le projet de loi ne fait pas de distinction entre ces différents types d'information comme le fait la jurisprudence.
    En outre, et c'est un problème fondamental, le projet de loi augmente considérablement la portée du privilège. À l'heure actuelle, toutes les dispositions législatives que je connais ainsi que la common law protègent les informations transmises sous le sceau du secret, mais les dispositions clés du projet de loi n'indiquent pas qu'il s'agit de sources confidentielles, mais simplement que ce sont des sources journalistiques. Du coup, pratiquement toutes les sources pourraient être ainsi protégées, ce qui constituerait un élargissement fondamental et, sauf le respect que je dois au parrain du projet de loi — pratiquement sans précédent de la portée de la loi telle qu'on n'en trouve dans aucun autre pays assujetti à la common law, que je sache.
    Par ailleurs, le paragraphe 39.1(7) du projet de loi limite la divulgation de renseignements non publiés. Cela constituerait une protection plus grande que celle que constitue le privilège au produit du travail, lequel s'inscrit dans le cadre du secret professionnel qui existe entre l'avocat et son client. Si moi, à titre d'avocat, je prépare des documents en vue d' une procédure judiciaire, ces documents sont protégés mais seulement pendant la durée de l'instance. La Cour suprême a statué que, à la fin de l'instance, la protection prend fin. Ce n'est pas ce que prévoit ce paragraphe. Les documents dont dispose un journaliste dans le cours d'une enquête auraient droit à cette nouvelle protection qui établit une norme particulièrement élevée.
    Brièvement, les dispositions du projet de loi sur le fardeau de la preuve sont fondamentales et significatives. Elles entraîneront des difficultés pour les poursuites et elles modifient fondamentalement la loi quant à la divulgation des documents de tierces parties. Si M. Charkaoui voulait obtenir des informations que possèdent actuellement des journalistes qui pourraient l'aider dans sa défense, ce projet de loi imposerait une norme plus élevée ou un fardeau plus lourd que ne le prévoit actuellement la loi. Le projet de loi modifie les dispositions législatives concernant la divulgation et établirait une norme qui violerait probablement la Constitution. C'est une norme encore plus élevée que les critères O'Connor ou Stinchcombe ou de toute autre loi semblable.
    Enfin, eu égard aux mandats de perquisition, le projet de loi vise à codifier le droit, mais, j'estime respectueusement qu'il le fait de façon dangereusement simpliste. Des considérations importantes sont omises de la liste. Je suis certain que ce n'était pas intentionnel, mais certains points devraient figurer dans cette liste. Si ce projet de loi est adopté tel quel, on considérera que cette nouvelle codification remplace les pratiques actuelles de la common law. Certains facteurs ne pourront plus être pris en compte. Il en résultera un changement fondamental et, à mon sens radical des lois actuelles.
    Merci, monsieur Hawkes.
    Pour le ministère de la Justice, est-ce Mme Markham qui fera la déclaration liminaire?
    Vous avez la parole.
    Je vous remercie de m'avoir invitée à vous adresser la parole aujourd'hui. Permettez-moi d'abord de vous expliquer pourquoi je suis ici. Étant donné que le ministre de la Justice est responsable de la réforme du droit pénal, le ministère s'intéresse à toutes mesures législatives qui entraîneraient des changements importants au droit pénal; je suis donc ici aujourd'hui pour vous donner un bref aperçu des dispositions actuelles et notre évaluation des changements qu'entraînerait le projet de loi, intentionnels ou non.
    Je ne répéterai pas ce qui a été dit pour gagner du temps mais je commencerai tout de même par vous dire que, en ce qui concerne la définition de « journaliste », la jurisprudence ne définit pas ce qu'est un journaliste mais qu'elle s'applique aux journalistes professionnels, ceux qui sont à l'emploi d'un journal, par exemple. Les tribunaux se sont surtout penchés sur l'activité de journaliste. Ce sont les informations liées à cette activité de journaliste qui comptent et c'est peut-être ce qu'on vise dans la définition qui figure au projet de loi, mais celui-ci ne définit pas l'information et ne précise pas que l'information visée doit être liée à une activité journalistique. J'ai cru bon de vous le signaler.
    J'aimerais aussi soulever un point dont M. Hawkes a fait mention. À l'heure actuelle, en common law, les journalistes jouissent d'un privilège qui leur est accordé au cas par cas. Au départ, il incombe au journaliste de démontrer que l'information en question, y compris l'identité de sa source, est une information confidentielle. La common law prévoit un critère permettant de déterminer si l'information est confidentielle ou non. Puis il incombe encore une fois au journaliste de démontrer que l'intérêt de la non-divulgation est supérieur à l'intérêt de la divulgation. Le fardeau de la preuve incombe toujours au journaliste. Le projet de loi semble établir une présomption de confidentialité pour l'information et fait en sorte que l'information n'est divulguée que si celui qui en veut la divulgation peut satisfaire à certains critères prévus par la loi. Cela modifierait certainement la loi actuelle.
    De plus, très brièvement, j'attire votre attention sur ce que nous appelons la disposition de préséance, le paragraphe 39.1(2), qui donne la priorité à cette loi en particulier non seulement sur les autres lois du Parlement mais aussi sur les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada. J'attire votre attention sur le fait que, comme on fait mention de mandats de perquisition et de différents critères dans le projet de loi, celui-ci semble s'appliquer aux poursuites criminelles ou pénales. Rappelons que la Loi sur la preuve au Canada régit toutes les instances fédérales, ce qui comprend les poursuites où le juge n'est pas celui qui établit les faits. Cela inclut donc les tribunaux administratifs, les travaux de comité, de commissions d'enquête, etc. Il y a donc lieu de se demander si la portée du projet de loi est conforme à toutes les instances fédérales assujetties à la Loi sur la preuve au Canada.
    Par ailleurs, les critères devant servir à déterminer, par exemple, si l'identité d'une source ou des informations non encore publiées que possède un journaliste devraient être divulguées diffèrent, à mon avis, de ce qui existe actuellement. M. Hawkes a évoqué le critère qui s'applique aux renseignements non publiés. Le tribunal ne peut ordonner à un journaliste de divulguer les informations non publiées à moins qu'on ne satisfasse à deux critères bien précis prévus par la loi. C'est bien différent des divers facteurs, par exemple, qui ont été pris en compte dans l'affaire de la Reine contre Hughes où le tribunal devait déterminer si les déclarations de victimes d'agression sexuelle devraient être révélées à la défense. C'est un journaliste qui possédait ces déclarations.

  (1645)  

    Dans cette affaire, la cour a souligné l'importance de nombreux facteurs différents quand on doit déterminer si les intérêts de la divulgation priment ceux de la non-divulgation. Le tribunal se demande notamment si les preuves sont pertinentes et d'un caractère significatif pour le procès; si l'accusé a besoin de ces preuves pour présenter une défense pleine et entière; si ces informations ont une valeur probante; si on peut obtenir ces preuves par d'autres moyens; si l'on nuira à la capacité des médias de recueillir et de diffuser les nouvelles en obligeant à produire des preuves et, en affirmative, dans quelle mesure; si la nécessité d'obtenir ces preuves est supérieure au préjudice que subiraient les médias, si préjudice il y a; et si on pourrait minimiser le préjudice causé aux médias en exigeant la présentation des seules preuves nécessaires à l'accusé pour plaider sa cause... [Note de la rédaction: Difficulté technique]... certainement un examen attentif de tous les facteurs pertinents.
    Enfin, comme je dispose de peu de temps, j'attirerais votre attention sur le fait qu'au sujet des mandats de perquisition, à l'heure actuelle, le tribunal qui doit décider d'émettre un tel mandat doit trouver le juste équilibre entre les intérêts concurrents de l'État dans l'enquête et la poursuite des crimes et le droit à la protection des informations confidentielles qu'ont les médias alors qu'ils recueillent et diffusent les nouvelles.
    À noter que le critère proposé au paragraphe 39.1(8) plus précisément à l'alinéa b) pourrait donner lieu à une situation où cet équilibre ne serait plus le facteur déterminant mais bien un parmi d'autres critères auxquels il faudrait satisfaire pour délivrer un mandat. Cela me paraît comme un changement assez important par rapport au droit actuel.
    Merci, monsieur le président.

  (1650)  

    Merci, madame Markham.
    Madame Desjardins, avez-vous des remarques à faire?
    Bien, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je suis une collègue de Karen Markham et je ne répéterai pas ce qu'elle a dit. J'aimerais seulement vous signaler quelques points.
    Ce qui me préoccupe le plus dans ce projet de loi, à titre de directrice du Groupe sur la sécurité nationale, c'est la disposition de préséance dont Karen a fait mention et la disposition traitant des autres informations qu'un journaliste peut avoir en sa possession.
    La disposition de préséance semble soustraire le projet de loi à l'application des articles 37, 38 et 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Ces articles visent à protéger les informations délicates ou sensibles. J'aimerais particulièrement vous expliquer brièvement la protection des informations sensibles conférée par l'article 38 et le conflit possible entre le contenu du projet de loi et ce que prévoit déjà la Loi sur la preuve au Canada.
    Essentiellement, l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada est un mécanisme qui fait en sorte que les renseignements sensibles dont disposent le gouvernement sont protégés, dans l'intérêt public, lors de procédures. Dans le contexte d'une instance judiciaire, ce qui comprend, comme l'a expliqué Karen, les travaux des tribunaux administratifs, les procédures civiles et les procédures pénales, le régime prévu par l'article 38 s'applique quand des informations potentiellement préjudiciables ou sensibles pourraient être divulguées. Ces deux termes sont définis dans la loi et s'entendent de tout renseignement qui pourrait causer un préjudice à la sécurité nationale, à la défense nationale ou aux relations internationales, ou à l'égard desquelles le gouvernement prend des mesures de protection.
    Par conséquent, dans une procédure judiciaire, si un participant sait que des informations sensibles pourraient être divulguées, il est tenu d'en donner avis au Procureur général du Canada.
    Cet avis vise à prévenir la divulgation d'informations sensibles et oblige le Procureur général du Canada à examiner les informations, à tenir des consultations et à décider d'autoriser ou non la divulgation des informations sensibles. La Cour fédérale, par l'entremise de juges désignés, peut toutefois examiner cette décision.
    Autant le Procureur général du Canada que la Cour fédérale appliqueront les mêmes critères au moment de déterminer si les informations sont conformes à la procédure et si la divulgation de ces informations sera préjudiciable aux relations internationales ou à la défense et la sécurité nationales Ils appliqueront ensuite le critère de l'intérêt public, selon lequel on évalue ce qui présente le plus d'intérêt pour le public, soit le maintien de la prohibition ou la divulgation de l'information. Encore une fois, la Cour fédérale peut prendre une ordonnance de divulgation d'une partie des informations, de toutes les informations ou même, dans certains cas, d'un résumé.
    Comme je l'ai indiqué, le régime de l'article 38 s'applique à toutes les instances sauf celles qui en sont exclues dans une annexe. Les procédures soustraites à l'application du régime sont celles qui comportent déjà un mécanisme de protection des informations sensibles dans l'intérêt public.
    Sauf tout le respect que je dois à M. Ménard, j'estime qu'il y aurait un conflit entre ces dispositions de la Loi sur la preuve au Canada et en particulier le paragraphe 39.1(7) proposé qui dispose qu'un « journaliste n'est tenu de divulguer des renseignements ou de communiquer des documents qui n'ont pas été publiés que s'ils ont une importance déterminante et qu'ils ne peuvent être mises en preuve par un autre moyen ». J'imagine facilement que, dans le contexte d'une instance judiciaire, aux termes de l'article 39.1, un journaliste soit considéré comme un participant. Le journaliste sait quel genre d'information il a reçu et sait donc s'il s'agit d'information sensible ou non. Ces informations ont peut-être déjà été publiées en partie, mais nous ne pouvons pas savoir s'il y a d'autres informations sensibles qui pourraient être publiées ultérieurement.
    Le journaliste est donc tenu de donner avis de l'existence de ces informations, ce qui entraînera l'interdiction de publier ces informations. En revanche, il peut aussi être tenu de divulguer ces informations si elles sont d'une importance déterminante.

  (1655)  

    Il semble y avoir un conflit entre l'obligation de donner un avis et la prévention de la divulgation d'informations sensibles, d'une part, et, d'autre part, l'obligation de se conformer à une ordonnance possible de divulgation.
    De plus, comme je l'ai indiqué, le critère employé par le procureur général du Canada et la Cour fédérale semble être différent de celui prévu par le projet de loi. Je ne les répéterai pas, mais ma collègue vous a donné certains des critères qui s'appliquent aux cas de sécurité nationale ou aux demandes faites en vertu de la Loi sur la preuve au Canada.
    Encore une fois, il semble y avoir un conflit entre l'article 38 du régime actuel et le critère juridique et la possibilité que les dispositions prévues par le projet de loi aient préséance.
    J'aimerais aussi soulever la possibilité qu'il y ait un vide. Si on oblige les journalistes à divulguer des informations d'une importance déterminante, ils seront peut-être tenus de divulguer plus d'informations sensibles qu'ils ne l'ont fait.
    En terminant, M. Ménard a évoqué l'affaire Charkaoui, à Montréal. En l'occurrence, deux journalistes, M. Bellavance et son collègue, ont publié un article dans La Presse et Le Droit dans lequel ils citent un document très secret qui semblait provenir du Service canadien du renseignement de sécurité. M.Charkaoui a tenté d'avoir accès à ce document en citant le journaliste à comparaître avec les documents en question. Or, personne ne connaissait le contenu de ce document outre ce qu'on en disait dans l'article de journal. Le procureur général étant partie à cette affaire a envoyé un avis à deux groupes différents relevant du procureur général du Canada. Cet avis visait à empêcher le journaliste de divulguer d'autres informations avant qu'une décision ne soit prise.
    Le juge Noël a estimé qu'il pouvait régler la question en invoquant l'article 78 de la Loi sur l'immigration qui prévoit un mécanisme de protection des informations sensibles. En définitive, le juge Noël n'a pas divulgué le document mais seulement un résumé, un pouvoir dont il dispose et qu'il a exercé pour s'assurer que M. Charkaoui pourrait poursuivre son opposition et que l'on veillait à l'intérêt public en faisant en sorte que les informations sensibles contenues dans le document étaient protégées.
    Voilà donc ce qui s'est produit dans le passé. Ce sont là les conflits possibles entre le projet de loi et l'article 38 sous sa forme actuelle.

  (1700)  

    Merci beaucoup, madame Desjardins.
    Lieutenant-colonelle Jill Wry, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président et membres du comité. Je suis contente de vous parler aujourd'hui des modifications proposées par le projet de loiC-426 et plus particulièrement de vous expliquer quels seraient les effets pratiques de ces modifications pour les Forces canadiennes.
    Sachez bien que mon intention aujourd'hui n'est pas de remettre en question l'importance du projet de loi ou des amendements qui y sont proposés, mais de bien faire comprendre aux membres du comité, certaines des répercussions potentielles desdits amendements pour les Forces canadiennes et le Système judiciaire militaire canadien. Pour décrire ces renseignements, je dirais comme M. Hawkes qu'il s'agit des conséquences involontaires des amendements proposés.
    Pour commencer, comme vous le savez, la définition du journaliste donnée dans le projet de loi comprend toute « personne qui contribue régulièrement et directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d'informations, par l'entremise de médias, à l'intention du public, ou tout collaborateur de cette personne ».
    Ce libellé engloberait des membres des Forces canadiennes qui ont des activités de nature non journalistique. Cela comprendrait des membres dont les principales tâches sont la collecte et la diffusion d'informations à l'intention du public, comme les officiers des affaires publiques. De plus, cette définition comprendrait des membres qui contribuent régulièrement aux publications des Forces canadiennes à des fins de sensibilisation pour des questions d'actualité comme les politiques relatives au personnel militaire et les communications sur la rémunération. En outre, quiconque collabore avec ceux qui s'occupent de la collecte et de la diffusion de ce genre d'informations, comme les informaticiens ou les commis seraient englobés dans la définition.
    Cette définition du journaliste, appliquée aux membres des Forces canadiennes, pourrait avoir pour effet de créer une contradiction entre les protections visées par le projet de loi et l'obligation des militaires de signaler des infractions à la discipline. Les règles militaires exigent des membres des Forces canadiennes qu'ils fassent part aux autorités compétentes de toute infraction aux règles pertinentes, règlements, ordres et instructions relatives à la conduite des militaires. Étant donné la définition assez large proposée pour le terme journaliste, ce risque de conflit est très réel.
    Deuxièmement, vous le savez aussi, les modifications proposées ne s'appliqueront pas seulement à la procédure judiciaire mais aussi aux procédures non-judiciaires relevant du Parlement. En vertu de la Loi sur la défense nationale, cela comprendrait les commissions d'enquête qui peuvent se tenir au Canada comme à l'étranger. D'après les amendements proposés, pour contraindre un journaliste à révéler l'identité d'une source pendant une procédure non-judiciaire, comme une commission d'enquête, il faudrait un ajournement et une demande d'ordonnance judiciaire. Les effets logistiques potentiels de cette exigence sont alourdis par la portée de la définition du journaliste, si elle n'est pas modifiée, ainsi que par le fait que les commissions d'enquête peuvent avoir lieu à l'étranger. On serait donc tenu d'obtenir une ordonnance au Canada, pour que la commission puisse poursuivre ses travaux.
    De plus, lorsque le juge détermine s'il est dans l'intérêt public d'ordonner la divulgation d'une source, il doit en vertu de l'alinéa 39.1(5)d) tenir compte de trois facteurs, dont on a déjà parlé: la conclusion du litige, la liberté de l'information et les conséquences qu'aurait le témoignage du journaliste sur la source.
    La portée limitée de ces facteurs les rendrait difficilement applicables dans le contexte de procédures non-judiciaires comme une commission d'enquête, qui vise à faire enquête et non pas à régler des litiges, et on ne pourrait tenir compte d'autres facteurs qui pourraient être pertinents, comme la sécurité opérationnelle ou nationale, très importante pour les procédures non-judiciaires qui ont lieu dans le contexte des Forces canadiennes.
    Honorables membres du comité, je vous remercie de cette occasion de vous faire part de ces préoccupations d'ordre pratique. Je répondrais volontiers à vos questions.
    Merci.

  (1705)  

    Merci.
    Vous invoquez le Règlement, monsieur Ménard?

[Français]

    Avant de commencer l'échange, pourrait-on préciser si le premier témoin parlait en son nom personnel ou au nom du gouvernement de l'Alberta? Ce n'était pas clair et j'aimerais qu'on le sache avant d'engager la discussion. Il prétendait avoir été délégué par son ministère, mais on nous a dit qu'il se présentait à titre personnel.

[Traduction]

    Monsieur Hawkes.
    Je vais préciser. Mon ministère m'a demandé de comparaître, et les points de vue que j'ai présentés sont ceux de la section de la justice pénale du ministère de la Justice de l'Alberta.
    Merci, monsieur Hawkes.
    Chers collègues, il nous reste très peu de temps avant que retentisse la sonnerie. Mais nous allons poursuivre. Je vais peut-être abréger vos interventions, parce que j'aimerais donner à un nombre maximum de membres l'occasion de poser une question.
    Monsieur Bagnell, c'est à vous.
    Merci.
    Ce qui est très préoccupant, je pense, c'est la disposition de préséance prévue au paragraphe 39.1(2). Les petits projets de loi d'initiative parlementaire sont censés apporter de petits changements. Mais ici, il s'agit de passer outre à toutes les autres lois. Je ne suis pas avocat, mais cela me semble étrange. Le seul autre cas que je connaisse, c'est la Constitution. Bien entendu, la charte des droits prime sur toute autre loi. Il y a peut-être aussi une clause non-dérogatoire, qui se rapporte aux droits des Autochtones.
    Est-ce là quelque chose d'inusité, monsieur Hawkes et Mme Markham?
    Je crois que oui, et cela montre peut-être la nécessité de consultations plus approfondies. Il y a peut-être bien d'autres conséquences imprévues autres que celles que nous avons pu relever en peu de temps. La portée de la disposition de préséance est à mon avis très inusitée.
    Madame Markham.
    Je dirais moi aussi que la portée est inusitée. Nous voyons parfois des dispositions employant le mot « nonobstant » tel ou tel paragraphe ou alinéa, et je suis donc d'accord avec M. Hawkes.
    Madame Markham, vous avez parlé plus tôt d'autres procédures qui ne sont pas assujetties à la Loi sur la preuve au Canada. Pourriez-vous nous expliquer cela?
    La Loi sur la preuve au Canada s'applique à divers types de procédures fédérales, y compris les procès criminels et les procès civils mettant en cause le gouvernement fédéral, mais aussi des commissions d'enquête et les procédures des tribunaux administratifs et fédéraux. Comme le disait la colonelle Wry, il s'agit d'un type de procédure beaucoup plus large que ce que régit strictement le Code criminel.
    Ce projet de loi étendrait cette protection à toutes sortes de procédures où elle n'est pas actuellement prévue?
    On peut se demander si on ne sèmera pas la confusion, le projet de loi s'appliquant à toutes les procédures fédérales, alors que certaines dispositions visent plus précisément les procédures criminelles.
    À l'alinéa 39.1(5)(a), on exige que « la personne a tout fait en son pouvoir pour découvrir la source des renseignements ». Ne s'agirait-il pas de trouver l'information, plutôt que la source? Êtes-vous censé embaucher un détective privé pour qu'il prenne en filature un journaliste, pour savoir à qui il parle? C'était ma question là-dessus.
    J'en ai une autre sur...
    Monsieur Bagnell, étant donné que nous avons peu de temps, une question suffira.
    Voulez-vous répondre à M. Bagnell, s'il vous plaît?
    Je suis désolée. La question s'adressait à moi?
    À l'un ou l'autre d'entre vous.
    Je peux seulement vous dire sur quoi a porté la jurisprudence. Elle a surtout ciblé l'identité de la source. Il s'agit de voir si son identité peut être trouvée autrement, plutôt que d'appeler la source ou rompre le secret journalistique. C'était une considération importante. Je ne peux donc que vous présenter cet élément de contexte.
    M. Hawkes veut répondre.
    Soit dit en passant, dans certaines affaires, l'interprétation était bien plus large. Il ne s'agit pas seulement d'autres sources humaines d'information, mais aussi d'autres sources d'information qui peuvent être des objets. Si quelqu'un a filmé une manifestation, il ne s'agirait pas seulement d'autres bandes vidéos, mais aussi des renseignements qui y figurent. Cela soulève toutes sortes d'autres problèmes.

  (1710)  

    Monsieur Serge Ménard.

[Français]

    Ma question s'adresse à Mme Wry.
     Dans votre pratique, avez-vous entendu parler une seule fois de personnes dans l'armée qui auraient reçu une information d'une source qui exigeait la confidentialité? Je parle des personnes dont vous nous avez parlé.

[Traduction]

    Mes excuses. J'espère avoir bien saisi la question. Me demandez-vous si je connais des cas de personnes de qui on a exigé qu'elles fournissent des renseignements reçus de sources confidentielles?

[Français]

    C'était un peu plus précis que cela. Avez-vous entendu parler d'un seul cas dans l'armée où quelqu'un aurait reçu une information d'une source qui exigeait la confidentialité?

[Traduction]

    Personnellement, je ne connais pas de cas de ce genre. Il reste que nos préoccupations relatives au projet de loi, dans son libellé actuel, porte sur la portée de la définition du terme journaliste et sur le fait que cela peut créer de la confusion et des difficultés pour ceux qui recueillent divers types d'informations, dans la façon dont ils décriraient leur statut.

[Français]

    Préférez-vous la situation actuelle, où il n'y a pas de définition du mot « journaliste »?

[Traduction]

    Non, monsieur, ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. Mon objectif aujourd'hui était simplement de vous faire part de problèmes pratiques associés au projet de loi tel qu'il est proposé, soit des conséquences non intentionnelles pour les Forces canadiennes. Je ne dis pas qu'il ne doit pas y avoir de mécanisme, mais qu'il faudrait tenir compte de diverses situations dans la conception de ce mécanisme, pour éviter ce genre de conséquences.

[Français]

    On apprend mieux une langue seconde en l'écoutant plus souvent. C'est ce que je fais moi-même. Qu'est-ce que la overriding clause? Est-ce que c'est le paragraphe (2)?
    Une voix: Yes.
    M. Serge Ménard: Seriez-vous satisfaite d'apprendre que ce n'est pas mon idée mais bien celle du légiste? Personnellement, je suis satisfait des règles générales d'interprétation des lois, où la loi particulière a préséance sur la loi générale. Si le législateur a décidé de faire une loi particulière, c'est qu'il connaissait la loi générale. En ce qui me concerne, on pourrait enlever ce paragraphe; ce n'était pas mon idée.
     Quelqu'un a-t-il une définition du mot « journaliste » à proposer?

[Traduction]

    Il y a certainement des définitions retenues ailleurs, aux États-Unis par exemple, qui répondent en partie au problème en précisant que la diffusion de l'information fait partie du gagne-pain ou représente une partie importante du revenu du journaliste. Ce n'est pas une solution au deuxième problème de cette définition, pour les publications comme celles de la NAMBLA, qui pour des intérêts très différents, se présente comme un journaliste. Franchement, je ne sais pas comment cette définition pourrait s'appliquer dans ce cas. C'est un exercice de rédaction législative très délicat et il est peut-être trop facile pour moi de définir le problème quand je n'ai pas à proposer de solution.
    Merci, monsieur Ménard.
    Monsieur Moore, c'est à vous.
    Merci, monsieur le président. Pour gagner du temps, j'adresse ma question à Mme Markham ou à M. Hawkes. Ce matin, nous nous demandions s'il ne s'agissait pas ici simplement de codifier ce qui existe déjà en droit. D'après votre témoignage, il semble très clair qu'on va bien plus loin que l'état actuel du droit.
    Permettez-moi de vous poser cette question. Serait-il possible, si ce projet de loi est adopté, qu'une enquête qui pourrait se dérouler dans le cadre législatif actuel, et qui puisse même porter sur des questions de sécurité nationale de la plus grande importance, ne puisse avoir lieu ni même être lancée, en raison de ces dispositions?
    Est-il raisonnable de le penser? Est-ce que ce projet de loi va bien plus loin que la simple codification de l'état actuel du droit?

  (1715)  

    Je crois que oui. Il va bien au-delà du droit actuel, et de trois façons. Premièrement, tout d'abord, on étend à d'autres ce que j'appellerais un privilège générique ciblé, en raison de l'inversion du fardeau de la preuve pour les journalistes, et non pas pour les renseignements confidentiels mais pour toute source d'information.
    Deuxièmement, on codifie l'exigence relative au mandat de perquisition, en omettant les exigences de la jurisprudence quant aux facteurs à considérer qui deviennent de simples critères en l'absence desquels le mandat ne peut être obtenu. Dans les circonstances actuelles, divers facteurs seraient pris en compte tous ensemble.
    Enfin, l'exception du produit, si je peux dire, ne se trouve pas dans la loi, ni ici, ni ailleurs.
    Je n'ai rien à ajouter à cela.
    Merci.
    Me reste-t-il du temps?
    Très peu. J'entends tinter la sonnerie, il nous reste donc très peu de temps. J'aimerais aussi donner une chance à M. Christopherson.
    Bien.
    Madame Markham, au sujet de la disposition de préséance, quelle est son étendue? Quand j'ai lu le projet de loi C-426, il m'a semblé qu'il primait sur toute autre loi. Pourriez-vous nous dire rapidement quelle incidence cela pourrait avoir, outre ce qui a été envisagé ici aujourd'hui?
    Je dirais simplement qu'en comparaison de la situation actuelle, la question du secret journalistique peut être soulevée dans tout contexte, ce ne serait pas nécessairement... j ne dirais pas respectée, mais acceptée dans tout contexte. D'après mon interprétation, par rapport au droit actuel, ceci aurait pour effet d'en faire un point de départ. C'est à partir de cette disposition qu'on déterminerait si un journaliste peut ou non être forcé de révéler de l'information. Dans la mesure où cela va à l'encontre d'autres dispositions de la Loi sur la preuve au Canada ou d'autres lois fédérales, des problèmes pourraient se poser pour décider de la façon dont les tribunaux traiteraient de la question.
    Mais cette disposition serait le point de départ.
    Merci, monsieur Moore.
    Monsieur Christopherson.
    Je suis tout à fait en faveur de cette mesure, monsieur le président. Je suis du même coin que Ken Peters et le Hamilton Spectator. Je sais que M. Ménard connaît bien cette cause très importante. J'ai parlé en faveur de ce projet de loi à la Chambre, mais comme je n'étais pas là lorsque les témoins ont présenté leurs exposés, je ne peux pas vraiment poser des questions.
    Je cède donc ma place, monsieur.
    Merci, monsieur.
    Monsieur Lee, vous avez droit à une courte question.
    J'ai une courte question et le ministère de la Justice voudra peut-être me répondre.
    Est-ce que cette codification législative est exhaustive? Est-ce que tout ce qui doit l'être y est pris en compte, y a-t-il des omissions, des éléments de la question dont on n'y traite pas. Si nous adoptions ce projet de loi, les tribunaux auraient-ils encore du fil à retordre avec les nouvelles dispositions en raison d'éléments omis en ce qui touche le secret journalistique?
    Ce n'est pas quelque chose que je comprends facilement, mais vous, peut-être. Vous n'êtes pas obligé de répondre maintenant, vous pouvez le faire plus tard, ce sera toujours utile.
    Nous avons peu de temps et j'en profite simplement pour dire qu'il y a une question que nous avons signalée, et c'est que ces dispositions traitent des mandats de perquisition, mais pas d'autres formes d'ordonnances relatives à l'obligation de fournir des preuves, comme les ordonnances de production, les assignations à comparaître, etc. Il pourrait y avoir des incohérences entre les procédures actuelles des tribunaux dans le cadre de la jurisprudence et dans le cadre de cette codification.
    Merci, monsieur Lee.
    Je remercie nos témoins d'être venus. C'était édifiant. Merci.
    La séance est levée.