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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 041 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 24 novembre 2009

[Enregistrement électronique]

  (0900)  

[Traduction]

    Mes chers collègues, bonjour. La séance est ouverte.
    Nous entamons, ce mardi, 24 novembre 2009, la 41e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. L'ordre du jour comprend notamment la reprise de notre examen du projet de loi C-300, Loi sur la responsabilisation des sociétés à l'égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement.
    Notre premier groupe de témoins comprend Mme Romina Picolotti, présidente et fondatrice du Center for Human Rights and Environment, qui va témoigner par vidéoconférence à partir de Córdoba, en Argentine. Soyez, madame, la bienvenue devant notre comité. C'est avec grand plaisir que nous vous accueillons.
    Nous sommes également heureux d'accueillir M. Denis Tougas, coordonnateur d'Entraide Missionnaire Inc. Je crois me souvenir que M. Tougas a déjà comparu devant le comité dans le cadre de notre examen de la situation dans la région des Grands Lacs africains. Nous sommes heureux de vous accueillir à nouveau, ce matin.
    Robert Ouellette, éditeur et président du Sierra Club Ontario, a eu un empêchement et nous a demandé de l'excuser.
    Madame Picolotti, vous avez la parole. Vous disposez de 10 minutes pour votre exposé.
    Monsieur le président, j'invoque le Règlement pour rappeler qu'hier à 18 h, il a été convenu que tous les témoins comparaissaient ensemble. Étant donné que M. Ouellette a eu un empêchement, il me semblerait utile que Mme Evans se joigne au premier groupe de témoins. Cela donnerait la possibilité d'intervenir tout au long de la séance, rendant le dialogue plus fructueux au sujet des questions qui retiennent actuellement notre attention.
    Je dis simplement ça par souci d'efficacité.
    Monsieur McKay, je vous remercie.
    Cela dit, je tiens à rappeler que lorsque nous avons réfléchi au déroulement de la séance, et tenté d'introduire un peu d'ordre dans les questions qui allaient être posées, il nous a semblé bon de réserver une tranche de temps à Mme Evans afin qu'elle ait une plus grande latitude pour faire valoir ses arguments et répondre à nos questions. Hier soir, il était en effet prévu que le Sierra Club témoignerait en même temps, ce qui fait que le comité aurait auditionné quatre témoins dans la première partie de la séance, mais nous avons décidé, hier soir, que cela ne serait pas pratique.
    Je veux bien M. McKay, mais il nous faut nous en tenir à l'ordre du jour.
    Madame Lalonde.

[Français]

    Si la question posée et la position prise par M. McKay n'est qu'une suggestion, j'en fais une proposition. Il me semble que nous aurons beaucoup plus de facilité. Il ne faut pas oublier qu'il y a notre tour de table, alors seulement 45 minutes à la fois pour entendre une ou deux personnes, et ensuite pour...

[Traduction]

    Et nous entendrons alors Mme Evans ensuite.
    Entendez-vous proposer une motion en ce sens?
    Il est proposé que nous auditionnions tous les témoins en même temps.
    (La motion est rejetée.)
    Le président: Bon. Nous allons donc poursuivre conformément à l'ordre du jour.
    Encore une fois, Madame Picolotti, nous sommes heureux de vous accueillir. Maintenant que nous avons réglé cette petite question de procédure, je vous donne la parole.

  (0905)  

    Merci monsieur le président, mesdames, messieurs les parlementaires.
     C’est un honneur et une grande opportunité de pouvoir m’exprimer devant le comité sur ce sujet qui affecte grandement tant le Canada que l’Argentine. Je m’adresse à vous, en ce jour, à deux titres: tout d’abord, en tant qu’ancienne secrétaire d’État à l’environnement, du précédent et de l’actuel gouvernement Argentin, et d’autre part, en tant qu’actuelle présidente du Centre pour les droits de l’homme et l’environnement, une organisation basée à Córdoba, en Argentine, qui est reconnue dans le monde entier et qui a su développer un rayonnement international. Mes fonctions de secrétaire d’État à l’environnement sont à rapprocher de celles occupées par mes homologues canadiens dans leurs ministères. En matière d'environnement, j’étais la plus haute responsable fédérale et je relevais directement du chef de cabinet du conseil des ministres et du président. .
    Vous n’êtes pas sans savoir que les activités minières menées de façon irresponsable sont parmi les investissements industriels les plus controversés. C’est parce que ces controverses existent, que les débats que vous menez aujourd’hui sur les compagnies canadiennes exploitant à l’étranger, sont aussi fondamentaux pour la promotion d’une responsabilisation des investissements mondiaux.
     Après des décennies, voire des siècles de quasi-indifférence à l’égard de l’environnement, j’ai, en tant que secrétaire d’État de 2006 à 2008, amené l’Argentine à développer et approfondir ses efforts pour la protection environnementale. Parmi les nombreuses actions et succès à relever au cours de cette période, je pourrais citer les avancées substantielles en matière de protection forestière, d’application des codes de l’environnement par les sociétés, notamment les dispositions relatives aux bassins d’eau contaminés, l’adoption de lois fondamentales en matière de forêt nationale et d’éducation environnementale, la création d’une institution fédérale d’investigation en matière environnementale, la régulation des assurances environnementales, entre autres choses.
    Au niveau international, mon secrétariat a oeuvré activement en étant chef de file lors des négociations sur le changement climat, et notamment en proposant, ici même au Canada, lors de la réunion préalable au Protocole de Montréal, les engagements essentiels qui ont, par la suite, été approuvés, pour éliminer progressivement les substances appauvrissant la couche d'ozone et contribuant au réchauffement climatique. Je suis navrée d’avoir à reconnaître, que l’une des matières dans laquelle nous avons rencontré le plus de difficulté, est le secteur minier.
    Vous êtes évidemment conscients des très grands projets miniers entrepris par la société canadienne Barrick Gold en Argentine. Malheureusement, je dois dire que, loin d'être le modèle de l'exploitation minière durable et écologique que nous espérons pour le XXIe siècle, Barrick Gold illustre parfaitement comment des puissants groupes économiques sans scrupule manipulent les pouvoirs politiques locaux et contournent les autorités de contrôle environnemental et social afin de maximiser les profits, minimiser les risques d'investissement, et ignorer la culture locale et des communautés au détriment des objectifs plus globaux de développement durable.
    En tant que secrétaire d’État à l'environnement, je peux personnellement témoigner de tactiques d'obstruction, employées par Barrick, au pouvoir étatique de contrôle et de conformité. J'ai été témoin du recours par Barrick à des propagandes énergiques, à des trafics d'influence sur les fonctionnaires, ainsi qu’à des campagnes de sensibilisation et à des manoeuvres en tout genre afin de convaincre les communautés locales. Dans le cadre des mes fonctions de secrétaire d’État à l’environnement et de mon pouvoir de juridiction sur la Réserve de biosphère de San Guillermo (site de l’UNESCO), un parc national situé dans la province de San Juan, où la mine Veladero exploitée par Barrick se trouve, j’ai, en 2006, eu l’occasion d’approcher Barrick, en vue d'installer des unités de mesure de la contamination dans toute cette région. Barrick a refusé à mes équipes l’accès à leurs sites d'exploitation et ont entravé tous les efforts ultérieurs pour faciliter cette entrée, jusqu’à ce que les conditions météorologiques aient changé si radicalement (au début de l'hiver) que le travail de mon équipe dans la région devienne matériellement impossible.

  (0910)  

    J'avais tenté, avec l’appui des autorités provinciales et nationales, de réformer le Code minier et de placer le suivi et le contrôle des impacts des activités minières dans le champ de compétence du secrétaire à l'environnement. Le secteur minier s'est opposé à une telle participation des autorités environnementales argentines, et a exercé de fortes pressions sur le gouvernement national et sur le Congrès afin d’entraver de tels efforts, laissant l'exploitation minière (et leurs impacts) dans le champ d’attribution des seules agences minières qui privilégient l'exploitation et non l'environnement. .
    En 2008, le Congrès a adopté un projet de loi sur la protection des glaciers. La loi nouvelle sur les glaciers aurait interdit l'exploitation minière sur, sous ou dans des périmètres des glaciers, rien de bien surprenant pour les Canadiens, étant donné que, comme nous, vous venez de l'une des régions les plus riches du monde en glaciers.
    Les entreprises canadiennes opérant en Argentine ne veulent pas d'une loi sur la protection des glaciers limitant leurs perspectives d'exploitation minière, et elles ont, par la suite, fait pression sur le Président pour qu’il mette son veto au projet de loi. Si le Président n’usait pas de son droit de veto, Barrick aurait oeuvré pour bloquer d'autres projets de loi de finance essentiels à la stabilisation de l'économie argentine dans la crise financière mondiale. Le Président a capitulé devant la pression de Barrick et mis son veto au projet de loi, aujourd’hui connu par euphémisme sous le nom de « veto de Barrick ».
     Barrick a lancé plusieurs projets miniers controversés en Argentine et manifesté à maintes reprises sa mauvaise foi à l'égard des préoccupations de la communauté sociale et environnementale, engendrées par ces importants intérêts miniers. L’un des projets aurifères de Barrick, appelé Pascua-Lama, est exploité au sommet de cinq glaciers. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Barrick avait commodément oublié de mentionner ce fait dans ses EIAs originaux déposés auprès des autorités environnementales. Ce n'est qu'à la suite des protestations des populations locales sur le choix du site, soulignant la présence de glaciers, que Barrick a reconnu qu'en effet, ses projets miniers se déroulaient sur au moins cinq glaciers. Or, d’ici là, par la seule prospection, la plupart des glaciers avaient déjà été gravement touchés par l'exploration de Barrick. Le projet Pascua-Lama continue à inspirer une forte résistance des populations locales et des communautés agricoles, fortement concernées par la gestion et la disponibilité de l’eau, la contamination et les impacts sur l'habitat naturel et les réserves.
    En tant que secrétaire à l'environnement de l'Argentine, j'ai beaucoup combattu pour la promotion du développement durable et la responsabilisation. J'ai été confrontée à de nombreux secteurs d'entreprise, les faisant participer au nettoyage coûteux, mais responsable. Beaucoup n'ont pas aimé cette intervention, mais ont finalement accepté l’inversion des courants. Ils ont compris que la responsabilité du respect des droits de l'homme et des normes environnementales était indispensable à leur propre survie et développement durable.
    Le secteur minier, toutefois, je suis désolée de le dire, a réagi très différemment du reste. Ils étaient plus résistants, plus agressifs et plus dangereux. Mes plus proches collaborateurs et moi-même avons été personnellement et physiquement menacés à la suite de notre action politique. Mes enfants ont été menacés. Mes bureaux ont été mis sur écoute. Mon personnel a été acheté et les fonctionnaires publics qui ont effectué une mission de contrôle pour Barrick sont devenus des employés rémunérés de Barrick Gold. Ma mission et notre mission en tant que nation, de contrôler l'exploitation minière a été compromise et, finalement, j'ai été forcée de démissionner en raison des pressions insurmontables exercées par des compagnies comme Barrick Gold, qui obtiennent finalement ce qu’elles désirent quand nos institutions n'arrivent pas à contrôler leurs activités et leur bonne conformité.
    En tant que plus haute autorité environnementale de mon pays, j'ai pu constater que les entreprises telles que Barrick Gold n'adhèrent pas aux réglementations environnementales internationales et reconnues. J'ai été témoin de violations des droits de l’homme de la part du secteur minier qui ne seraient pas tolérées au Canada, mais qui sont considérées comme étant le prix des affaires dans des pays comme l'Argentine. C'est pourquoi il est si important que vous continuiez ce débat et que vous trouviez les moyens de promouvoir la responsabilisation du secteur minier, de votre point de vue. Enfin, il est important de comprendre que l'image du Canada est inévitablement liée au comportement de ces sociétés. Lorsque les sociétés minières canadiennes agissent d'une manière qui ne convient pas à la réalité du Canada, c’est la réputation du Canada et de son peuple qui en souffre.

  (0915)  

    Je ne vous demande pas d'être contre l'exploitation minière, je vous demande d'être contre l'impunité. Je ne vous demande pas d'être contre les sociétés minières canadiennes, je vous demande de veiller à ce que les compagnies minières canadiennes agissant à l'étranger appliquent vos propres standards les plus élevés. Je ne vous demande pas d'empiéter sur la compétence souveraine des pays qui souhaitent promouvoir leurs industries minières; mais, j’interviens auprès de vous pour que vous preniez en compte le fait que les dispositions que vous prendrez sur l’obligation des compagnies canadiennes de rendre des comptes, non seulement peuvent, mais influencent la manière dont elles feront des affaires.
    Même les plus petites améliorations dans les mécanismes de reddition de comptes, ici au Canada, pourraient contribuer au long chemin restant à parcourir pour éliminer les problèmes historiques que ce secteur a disséminés auprès de nombreuses populations dans le monde entier. Pour cela, je vous demande de réfléchir sérieusement à la situation difficile que vous avez devant vous et chercher au mieux de vos capacités, les meilleurs moyens d’influencer les schémas comportementaux et de minimiser les impacts des entreprises minières canadiennes opérant à l'étranger avec l'apport financier du contribuable canadien.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, Mme Picolotti.
    La parole passe maintenant à M. Tougas.

[Français]

    Merci de me recevoir cet avant-midi.
    Ma contribution a pour objectif de démontrer les avantages que procurerait la mise en application des mécanismes de traitement des plaintes proposés par le projet de loi C-300, particulièrement sa capacité de rassembler des informations de différentes sources, à partir de deux cas précis en République démocratique du Congo, dont il a été fait mention à quelques reprises ici.
    D'abord, quelques mots sur l'expertise de l'Entraide missionnaire qui rassemble une bonne partie des communautés missionnaires catholiques francophones du Canada. Depuis 1988, l'Entraide missionnaire anime une table de concertation sur la région des Grands Lacs. Elle a pour objectif d'informer et de sensibiliser le public et les autorités du Canada aux réalités complexes de ce pays. Cette concertation s'est intéressée de plus près au secteur minier congolais à partir de 1997, durant la première guerre du Congo, quand nos partenaires congolais nous ont demandé de les renseigner sur la nature et les objectifs des entreprises minières canadiennes qui signaient des contrats avec l'une ou l'autre partie en conflit. Depuis lors, avec nos partenaires congolais, nous suivons de près les transformations du secteur minier au Congo.
    Sur le Congo, je me contenterai de vous rappeler que le pays a été en guerre de 1996 à 2003, guerre qui a failli dégénérer en conflit régional alors que sept pays y étaient engagés. Ces guerres ont fait des millions de morts, des millions de réfugiés, des millions de déplacés et ont achevé de détruire les structures politiques et administratives du pays. Depuis les élections de 2006, le gouvernement congolais tente de rétablir son autorité et ses services administratifs sur l'ensemble du territoire, mais sans y parvenir. C'est dans ce contexte de violence et de conflit armé, de déficit démocratique majeur et de désorganisation administrative généralisée que des entreprises canadiennes, comme d'autres, sont venues s'installer au Congo, à leurs risques —, risques qu'elles n'ont pas toujours su ou voulu évaluer.
    Voici un premier cas. En juin 2000, alors qu'il était devenu évident que l'exploitation illégale des ressources naturelles était un des motifs premiers de la guerre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a mis sur pied un groupe d'experts pour faire la lumière sur les liens entre le conflit et l'exploitation de ces ressources. Jusqu'en juin 2003, le groupe a produit une série de rapports identifiant des pays, des entreprises, des individus réunis dans des « réseaux d'élite », selon son expression, qui tiraient profit du climat de violence et d'insécurité pour accaparer des richesses du Congo, des richesses minières en premier lieu.
    En plus de ces « réseaux d'élite » directement impliqués dans le conflit, le groupe d'experts a identifié, dans son avant dernier rapport d'octobre 2008, près d'une centaine d'entreprises étrangères, dont sept minières canadiennes, comme étant en violation directe des Principes directeurs de l'OCDE. Concrètement, le groupe d'experts accusait ces entreprises de participer indirectement au prolongement de la guerre et aux violations massives des droits humains qui en résultaient, en continuant de mener des affaires avec l'un ou l'autre groupe rebelle ou le gouvernement central, en payant les frais d'acquisition des concessions minières, des redevances ou des taxes dont les montants servaient à l'achat d'armes.
    En plus, il accusait, preuves documentaires à l'appui, une des entreprises canadiennes de corruption à l'endroit de personnes proches du gouvernement pour obtenir certaines concessions. Devant le tollé soulevé par cette accusation par un instrument des Nations Unies, le Conseil de sécurité a prolongé le mandat du groupe pour qu'il reçoive les explications de la part des entreprises visées. Dans son dernier rapport, le groupe d'experts a classé comme étant « résolus » les cas de 43 de ces entreprises étrangères dont les 7 canadiennes, tout en spécifiant que cela « [...] n'invalid[ait] nullement les renseignements obtenus antérieurement par le Groupe d'experts concernant les activités des parties ».
    De plus, le président du Conseil de sécurité appelait tous les États concernés à entreprendre leurs propres enquêtes sur les révélations du groupe d'experts. Il spécifiait également que tous les documents « à usage restreint mais non confidentiel » relatifs aux enquêtes seraient disponibles pour les États qui en feraient la demande.

  (0920)  

    Le Sénat belge a tenu une commission d'enquête parlementaire et les Points de contact nationaux de Grande-Bretagne, des États-Unis et de Belgique ont examiné le cas de 13 de leurs entreprises citées dans le rapport. Les instances qui en ont fait la demande ont obtenu les documents réclamés auprès du Service légal des Nations Unies. En général, ces initiatives firent ressortir un laxisme important de la part des entreprises dans leur relation avec les autorités politiques ou militaires du Congo. En Belgique, les révélations de la commission sénatoriale menèrent à des enquêtes judiciaires pour corruption et blanchiment d'argent. Dans trois cas, les Points de contact nationaux émirent des communiqués pour indiquer qu'il y avait problème. Ces communiqués sont restés sans suite. En ce qui concerne le comité sénatorial belge, la plupart des recommandations contenues dans son rapport furent oubliées. Le comité sénatorial n'avait aucun pouvoir de sanction.
    Ici au Canada, de 2002 à 2004, des groupes de la société civile canadienne et internationale ainsi que des groupes congolais ont demandé au ministre des Affaires étrangères ainsi qu'au Point de contact national d'obtenir cette documentation et de poursuivre ces enquêtes selon la recommandation du président du Conseil de sécurité. En 2005, notre Point de contact national nous a annoncé sa décision de n'entreprendre aucune action pour donner suite au rapport du groupe d'experts.
    À titre d'information: pour l'exercice financier 2008, le Régime de pensions du Canada détenait 297 millions de dollars en actions pour six des entreprises citées dans le rapport du groupe d'experts. En 2004, le Fonds d'investissement du Canada pour l'Afrique a octroyé un montant de 15 millions de dollars à une entreprise citée par le groupe d'experts. Aujourd'hui, ce montant se situe autour de 5 millions de dollars.
    Voici un deuxième cas, qui vous est connu, je crois bien. L'entreprise Anvil Mining et son personnel canadien sont soupçonnés de complicité de crime contre l'humanité. Le Régime de pensions du Canada détenait en 2008 pour 20 millions de dollars d'actions de cette compagnie. En octobre 2004, six ou sept rebelles prirent le contrôle de la ville de Kilwa, près de l'exploitation minière d'Anvil Mining. Les employés de la compagnie furent réquisitionnés par les autorités congolaises pour transporter par avion et par camion des militaires pour reprendre la ville. La compagnie a également fourni des rations alimentaires aux soldats et a payé leur salaire. La ville fut reprise dans les 48 heures, mais ses habitants avaient fui.
    La mission d'observation de l'ONU au Congo a mené une enquête sur place. Cette enquête a permis d'établir que plus de 100 personnes avaient été tuées au cours de l'opération militaire, dont 28 par exécution sommaire. Selon les témoins, les soldats se sont livrés au pillage de la ville, à des arrestations arbitraires, ont violé des femmes et ont torturé des prisonniers. Le rapport indique également que la compagnie Anvil Mining a fourni un appui logistique à l'opération. Les témoins ont affirmé que la compagnie avait non seulement transporté les soldats, les prisonniers et les blessés, mais qu'elle avait également transporté les corps des civils tués pour les enterrer dans une fosse commune.
    En juin 2005, à la Chambre des communes, une question avait été posée à ce sujet par le député de Louis-Hébert, Roger Clavet, à la ministre de la Coopération internationale. À ce jour, cette question est restée sans réponse.
     Un procès militaire s'est déroulé au Congo en 2007. Trois employés expatriés d'Anvil Mining, dont un Canadien, ont été appelés à témoigner. Le tribunal a acquitté la compagnie et ses trois employés des accusations de complicité de crime contre l'humanité. Quatre Congolais ont été condamnés à la prison à vie, mais pour des charges qui n'étaient pas reliées au massacre. Présente à la même époque au Congo, la Haute-Commissaire aux droits de l'homme des Nations Unies, Louise Arbour, avait affirmé ceci:

Je suis troublée des conclusions de la cour selon lesquelles les événements de Kilwa étaient les résultats accidentels de combats, en dépit de la présence au procès de témoignages oculaires substantiels et de preuves matérielles indiquant que de sérieuses violations des droits humains avaient été délibérément commises.
    Elle pressait la Cour d'appel d'évaluer toutes les preuves et de tenir compte des droits des 144 victimes. L'appel tant attendu par Louise Arbour a malheureusement été rejeté par un tribunal militaire un peu plus tard. Dès juin 2005, des organisations canadiennes, congolaises et internationales ont réclamé du gouvernement qu'il fasse sa propre enquête sur ces événements. Ces demandes ont été acheminées aux ministres concernés et au Point de contact national. De même, après la décision rendue en Cour d'appel, la plupart de ces organisations ont demandé aux gouvernements d'Afrique du Sud, d'Australie et du Canada de faire enquête sur la compagnie et sur leurs propres ressortissants impliqués, comme il devenait évident que les victimes ne pouvaient être entendues au Congo.

  (0925)  

     Pour toute réponse, le Point de contact national du Canada a dit qu'il avait rencontré la compagnie et qu'il lui avait bien fait comprendre les attentes du gouvernement du Canada, soit qu'elle respecte les Principes directeurs de l'OCDE, spécialement les recommandations concernant les droits humains. Aucune enquête ne serait menée.
    Voici quelques leçons que je vous invite à tirer de ces deux cas.
     Les deux cas illustrent, d'après nous, les avantages qu'aurait présentés une loi issue du projet de loi C-300 pour les entreprises, le gouvernement du Canada et les groupes et les individus qui se sont sentis lésés par certaines activités minières.
    Dans les deux cas, il ne s'agissait pas de plaintes frivoles ou vexatoires. Des enquêtes avaient été menées, et des membres des autorités comme le président du Conseil de sécurité des Nations Unies et le Haut-Commissaire aux droits de l'homme des Nations Unies ont donné leur avis sur le bien-fondé des accusations. Pourtant, aucune instance au Canada n'a donné suite à ces plaintes. Personne n'a rendu de compte pour ces décisions.
    Le fait de n'avoir pas donné suite à ces demandes d'enquête et ainsi de confirmer ou contredire ces accusations a fragilisé la position des entreprises et celle du gouvernement du Canada.
     Sur place, au Congo, à cause de la corruption ambiante et du manque de transparence quant aux conditions de signature des contrats miniers, la légitimité des contrats est toujours mise en doute. Dans le contexte actuel d'extrême pauvreté pour la grande majorité de la population, cela pourrait signifier des coûts additionnels pour les entreprises pour assurer la sécurité de leurs exploitations face aux communautés locales qui ne profitent pas de l'exploitation de leurs ressources.
     Un peu comme le disait le témoin précédent, le Canada est en train de perdre sa réputation.
    Le personnel diplomatique du Canada a été et continue d'être très actif pour soutenir les entreprises canadiennes au Congo, malgré les doutes qui subsistent quant à l'intégrité de leurs contrats et de leurs comportements. À plusieurs reprises, le personnel de l'ambassade et, à l'occasion, l'ambassadeur ont publiquement pris parti pour appuyer des entreprises malgré des litiges qui les opposaient soit au gouvernement soit aux communautés locales.
    Plus important encore, le Canada bloquerait actuellement un règlement de la dette du Congo auprès du Club de Paris. Cette dette qui tourne autour de 4 ou 5 milliards de dollars a été occasionnée par les frasques de Mobutu. C'est un règlement nécessaire pour que le pays ait accès au programme Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance du Fonds monétaire international, dont le pays a grand besoin. Cela, parce qu'une des entreprises canadiennes citées dans le rapport du groupe d'experts est insatisfaite du résultat de la renégociation d'un de ses contrats miniers. Le gouvernement congolais a en effet décidé d'annuler un de ces contrats.
    Sans les enquêtes réclamées aux échelles canadienne et internationale, on peut se demander sur quelle base le gouvernement du Canada a décidé de soutenir si fortement des entreprises dénoncées dans un rapport des Nations Unies.
     Pendant plusieurs années encore, le Congo va continuer d'être un pays faible démocratiquement et de présenter une gouvernance bien en deçà de ce qui constitue un contexte d'affaires propices. Il est à prévoir des tensions politiques à l'approche des élections de 2011. Des tensions sociales dans le secteur minier se traduisant par des grèves, des manifestations et une éviction des creuseurs artisanaux et des communautés locales sont déjà en cours et risquent de durer encore longtemps.
    Dans ce contexte également, l'agence Exportation et développement Canada a déjà annoncé son intention de soutenir le projet Tenke Fungurume Mining dont un des partenaires, la canadienne Lundin, a également été cité par le groupe d'experts.
    Pour conclure, dans ce contexte particulier instable pour les affaires, une loi issue du projet de loi C-300 offrirait un avantage certain.

  (0930)  

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Tougas.
    Nous passons à la première série de questions.
    M. McKay.
    Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier nos deux témoins.
    Ma question s'adresse à Mme Picolotti.
    Vous avez dit, dans votre exposé, que vous et vos proches collaborateurs ont été menacés, personnellement et physiquement, à la suite de votre intervention dans les activités du secteur minier. Vos enfants ont été menacés, vos bureaux ont été mis sur écoute, votre mission compromise et vous-même contrainte enfin de démissionner lorsque le Président a cédé aux pressions. Vous avez néanmoins été, en 2006, lauréate du prix Sophie qui est, si j'ai bien compris, l'équivalent norvégien du Prix Nobel de la paix. Selon Gunhild Ørstavik, président du conseil d'administration de la Fondation Sophie, Mme Picolotti a donné aux personnes démunies et sans voix, un recours contre l'exploitation et les dévastations environnementales. Elle a su montrer que les droits de la personne n'opèrent pas isolément, mais s'inscrivent dans le contexte de la protection de l'environnement.
    Madame Picolotti, vous avez dû vous faire, en Argentine, de grands ennemis depuis que vous vous êtes mises à enquêter sérieusement sur les agissements de certains milieux. Vous avez été contrainte de démissionner alors même que votre action était saluée et reconnue à l'étranger. Pourriez-vous nous parler un peu de cela?
    Volontiers.
    Lorsque le Président Néstor Kirchne, m'a demandé de rejoindre le gouvernement en tant que secrétaire à l'environnement, il a décidé d'accorder au titulaire de ce portefeuille le rang de ministre. Il a multiplié par quatre le budget qui nous était affecté et, en raison des politiques environnementales adoptées par l'Argentine, notre pays s'est vu accorder par la Banque mondiale le prêt le plus important qu'il ait jamais obtenu, 800 millions de dollars.
    Nous avons en effet élaboré une véritable politique de l'environnement et le gouvernement de l'Argentine a, pour la première fois de son histoire, pris des mesures en vue de faire respecter les lois et règlements dans le domaine de l'environnement. C'est ainsi, par exemple, que nous avons mis un terme aux activités de la Shell. Cette entreprise possède en Argentine la mine la plus importante et la plus grosse raffinerie. Nous les avons contraints de cesser leurs activités, car ils refusaient de se plier aux lois et règlements. Nous avons oeuvré en étroite collaboration avec le ministre de l'Environnement des Pays-Bas afin d'obliger la Shell à respecter la législation argentine en matière d'environnement. Réagissant à nos efforts en vue de mettre un terme à leurs activités, la Shell a exercé de très fortes pressions sur les prix de l'essence en Argentine, mais la coopération entre le gouvernement argentin et le gouvernement des Pays-Bas a porté fruit et la Shell a fini par conclure, sous les auspices du secrétaire à l'environnement, une entente avec le gouvernement et accepté d'investir, comme nous lui demandions de le faire, dans des travaux de dépollution prescrits par la législation sur l'environnement. Nous avons agi de même envers Firestone et Danone.
    Oui, nous nous sommes effectivement fait des ennemis, mais nous nous sommes également fait beaucoup d'amis. Au départ, nous avons suscité une levée des boucliers, mais les entreprises ont fini par comprendre que nous pouvions également les aider à se conformer aux lois en vigueur.
    Je regrette d'avoir à dire que —

  (0935)  

    Si j'ai bien compris, cependant, vos succès sont mitigés en ce qui concerne une entreprise que vous avez plusieurs fois citée dans votre exposé: Barrick Gold. Voudriez-vous nous dire si les activités de Barrick sont actuellement en conformité avec la législation argentine?
    J'avais, en outre, une question concernant l'idée que l'on se fait du Canada en Argentine. M. Tougas et vous-même avez dit que l'idée que les Argentins se font du Canada dépend en grande partie du comportement d'entreprises telles que Barrick. Eh bien, en Argentine, quelle idée se fait-on du Canada?
    Permettez-moi de répondre d'abord à votre première question qui concerne l'aspect juridique du problème.
    Je n'appartiens pas à la magistrature et je ne suis donc pas en mesure de vous dire si Barrick respecte effectivement les dispositions de la loi, mais je sais, par contre, que Barrick Gold est actuellement versé par des douzaines d'actions en justice. Elle fait actuellement l'objet de deux procédures devant la Cour suprême d'Argentine, ainsi que d'autres procédures devant l'ombudsman de l'Argentine et l'ombudsman du gouvernement provincial de San Juan. C'est dire que la volonté de cette entreprise de se plier à la législation applicable suscite de nombreux doutes et qu'elle va devoir répondre de ses activités devant la justice. Je précise en outre, que l'entreprise n'a pas, en matière environnementale, souscrit les assurances auxquelles elle est tenue en raison de ses activités.
    Quant à savoir quelle est la réputation du Canada en Argentine, il faut bien dire que dans de nombreuses localités de notre pays, c'est Barrick qui représente le Canada. L'entreprise est présente dans de nombreux endroits où il n'existe aucune représentation canadienne officielle, alors que la présence de Barrick Gold est tout à fait en évidence. Étant donné qu'il s'agit d'une entreprise canadienne, les gens vont inévitablement établir un lien entre l'entreprise et son pays d'attache. Les gens sont portés à dire « On ne les laisserait pas agir de la sorte dans leur pays. Pourquoi se comportent-ils ainsi ici? » Inévitablement, l'image et la réputation du Canada sont ternies par la manière dont se comporte cette entreprise.
    J'adresse, à M. Tougas et à Mme Picolotti, la même question, même si je la formule et en anglais et en français. Vous êtes-vous entretenu de cela avec des représentants du gouvernement du Canada? À l'époque où vous étiez secrétaire d'État à l'environnement et au développement durable, êtes-vous, madame, intervenue auprès du gouvernement du Canada pour attirer son attention sur les activités de Barrick Gold?

[Français]

    La même question s'adresse aussi à M. Tougas. Vous avez de l'expérience. Vous avez parlé de la position de l'ambassade, mais j'aimerais savoir jusqu'à quel point le gouvernement canadien était au courant des défis humanitaires et jusqu'à quel point il a répondu à ces démarches.

[Traduction]

    Puis-je vous demander, madame, de répondre sur ce point? Avez-vous contacté le gouvernement canadien? Étiez-vous en rapport avec lui?
    Non, je n'étais pas directement en rapport avec le gouvernement du Canada, j'étais en rapport avec le gouvernement du Chili, étant donné qu'il s'agissait d'un projet binational et que, à l'époque, c'est le Chili qui était notre interlocuteur.
    Monsieur Tougas, puis-je vous demander de répondre en quelques mots, car nous avons dépassé les sept minutes prévues.

[Français]

    Il y avait des contacts réguliers avec tous les ambassadeurs en poste au Congo depuis 1997, tous les délégués commerciaux, les gens du Point de contact national, les gens des affaires étrangères. J'ai participé à au moins quatre rencontres avec des représentants des différents ministères et avec des représentants de certaines de ces compagnies.
    Oui, le gouvernement était très au courant de nos inquiétudes et de la situation sur place. Face à cela la réponse a été toujours la même, pas de suite.

[Traduction]

    Merci beaucoup, M. Tougas.
    Auriez-vous copie des lettres que vous avez envoyées aux ambassadeurs? Seriez-vous à même de nous faire parvenir copie de ces lettres?
    Bon, je vous remercie.
    La parole est maintenant à Mme Lalonde, pour sept minutes.

[Français]

    J'en prends la moitié d'une pour dire que ce qui se passe montre qu'on aurait dû avoir beaucoup plus de temps.
    Je vais commencer par M. Tougas. Vous décrivez une situation que beaucoup de Québécois et de Canadiens ne pourraient croire vraie si le témoin qui la rapportait n'était pas extrêmement crédible. En effet, cela nous ramène à une situation coloniale qu'on a dénoncée de toutes les manières quand elle s'appliquait au développement des nouvelles contrées d'Amérique du Nord.
    Expliquez-nous en quoi ce projet de loi serait avantageux? En effet, vous avez fini votre exposé si effrayant en disant que le projet de loi C-300 constituerait une amélioration.

  (0940)  

    Merci.
    Je disais que la réputation du Canada était menacée. Hier, dans un journal de Kinshasa, on traitait le Canada de néocolonialiste. Je vous lis le titre: « Conséquence de la revisitation des contrats miniers, Kinshasa en otage: Le club de Paris veut imposer les contrats léonins. »
    Par la suite, plus d'un article traitait de la situation, et l'on pouvait lire ceci: Comment se fait-il que le Canada et les États-Unis au Club de Rome fassent pression de la sorte, prennent le Congo en otage, parce qu'ils sont insatisfaits du règlement interne entre le gouvernement et une compagnie?
    Je parle de l'avenir et non pas du passé. Le projet de loi C-300 ferait en sorte que les compagnies seraient avantagées. En effet, autant le gouvernement que les communautés sur place auraient un recours extérieur. Vous le savez aussi bien que moi: la gouvernance du Congo n'est pas à la hauteur, la corruption est omniprésente. Cela permettrait de solidifier les efforts du Canada pour soutenir ces entreprises. J'ai cité deux cas, mais il y en a plusieurs.
     Le Canada a pris publiquement position, et les gens ont dit que le Canada se rendait complice de quelque chose. S'il y avait une organisation comme celle prévue par le projet de loi C-300, devant des allégations, une organisation parlementaire ou une organisation canadienne dirait si c'est vrai ou faux. Le Canada aurait alors toute la légitimité d'appuyer ces entreprises plus qu'il ne l'a maintenant.
    Je voudrais poser la même question à Mme...

[Traduction]

    Puis-je intervenir?
    Madame Picolotti, nous entendez-vous clairement? Disposez-vous d'un interprète vers le français, ou parlez-vous vous-même le français?
    Oui, je parle français. L'interprétation n'était pas très bonne et j'ai eu du mal à comprendre une des questions posées.
    Puis-je vous demander de répéter votre question? Vous pouvez la formuler en français.
    Madame Lalonde.

[Français]

    Madame, vous nous avez fait un exposé extrêmement troublant, et je disais à l'intervenant précédent que s'il n'avait pas été un témoin extrêmement crédible, ce qu'il racontait serait proprement incroyable pour la plupart sinon pour tous les Québécois, et les Canadiens aussi.
    Vous avez dit que vous et votre famille aviez été menacés physiquement. Alors que vous aviez toutes les raisons de penser que le président appuierait votre façon d'agir, il a opposé son veto. Nous nous trouvons en face d'une situation que j'appelle « coloniale ». Malgré tout, vous avez dit que ce projet de loi pourrait être utile. Pouvez-vous nous expliquer comment il peut l'être?

[Traduction]

    Oui.
    Permettez-moi, cependant, de répondre d'abord à votre dernière question. Avais-je contacté le gouvernement canadien? En tant que secrétaire à l'environnement, je n'entretenais pas de contacts directs avec le gouvernement du Canada, mais les communautés touchées par ce projet organisaient des manifestations, à Buenos Aires, devant l'ambassade du Canada. Par contre, il y avait de nombreux contacts entre le secrétaire argentin aux ressources minières, le secrétaire aux ressources minières de la province de San Juan, le gouverneur de San Juan et le gouvernement du Canada. Ces personnes ont d'ailleurs été invitées au Canada. Elles s'y sont rendues à de nombreuses reprises, au moins une fois par an. C'est dire qu'il existait des contacts entre les deux gouvernements, mais il n'y avait pas de contacts intergouvernementaux au niveau des responsables de l'environnement.
    Quant à la question de savoir quelle est l'utilité de la loi en question, je dois dire que si l'on veut parvenir à contrôler le comportement de ce géant économique, la collaboration intergouvernementale est essentielle. C'est le moyen le plus efficace, comme on a pu le voir dans l'affaire de la Shell. Dans ce dossier, le gouvernement des Pays-Bas a collaboré avec nous et, tout d'un coup, la Shell a dû modifier son comportement.
    Il ne faut pas perdre cela de vue. Tout ce que vous pouvez faire pour agir sur ce qui se décide au siège social de l'entreprise, influence naturellement le comportement des filiales à l'étranger. Il est extrêmement difficile pour le gouvernement d'un pays dont les institutions démocratiques n'ont pas encore toute la solidité voulue d'affronter à armes égales de telles puissances financières. Il y a tellement d'aspects qu'il faudrait pouvoir contrôler, que la collaboration intergouvernementale est absolument nécessaire.
    C'est essentiellement de quoi il s'agit dans ce projet de loi.

  (0945)  

    Madame Picolotti, je vous remercie.
    Nous passons maintenant aux députés du parti ministériel. Monsieur Abbott, vous avez la parole.
    Je tiens à remercier nos deux témoins, car ce qu'ils nous disent est du plus grand intérêt.
    Madame Picolotti, je souhaiterais maintenant vous demander un certain nombre de précisions, car cela nous permettrait de mieux faire le point.
    Je précise d'emblée que le gouvernement du Canada est tout à fait favorable à la responsabilisation des sociétés, et donc à l'objet du projet de loi C-300. Ses objectifs nous paraissent parfaitement valables, mais ce genre de mesure a parfois des effets pervers.
    Avez-vous une bonne connaissance du droit canadien? Je n'entends aucunement, en vous demandant cela,... Je tiens simplement à ce que l'on sache bien de quoi il s'agit en l'occurrence.
    Je ne suis pas du tout spécialiste du droit canadien. Je suis avocate, certes, mais je ne suis pas spécialisée en droit canadien.
    Je vous remercie.
    À combien s'élèvent les redevances versées chaque année à l'Argentine par des entreprises minières canadiennes? En avez-vous une idée?
    Je suis au courant d'un certain nombre de projets, mais le montant exact se situerait aux environs de... Permettez-moi de vérifier les chiffres que j'ai en main. Je souhaite vous donner à cet égard une réponse précise.
    Je me contenterai d'une réponse approximative.
    Environ huit milliards de dollars.
    De dollars argentins?
    Non, de dollars américains.
    Huit milliards de dollars américains?
    Combien d'Argentins travaillent dans votre pays pour des entreprises minières canadiennes? En avez-vous une idée?
    Cela varie, car les projets n'en sont pas tous au même point. Je ne peux pas, sur ce point, vous répondre d'une manière précise, mais, par exemple, la compagnie affirme qu'elle va engager environ 3 000 personnes pour le projet Veladero Pascua Lama.
    Ils seraient donc des dizaines de milliers?
    Cela ne veut pas dire que ce sont tous des Argentins.
    Oui, mais en ce qui concerne les seuls Argentins, les employés doivent se compter par dizaines de milliers, non?
    Peut-être.
    Vous avez parlé tout à l'heure du veto Barrick. Il m'a paru intéressant que Mme Lalonde soulève la question du colonialisme. Cette loi me paraît, justement, être une loi de type coloniale et, si je vous comprends bien, vous espérez que les effets de cette législation canadienne se feront sentir jusqu'en Argentine. Cette attitude me paraît quelque peu teintée de colonialisme.

  (0950)  

    Ce n'est pas mon avis. Pour moi, le colonialisme c'est le fait de porter atteinte à la compétence d'un pays afin de s'en accaparer les richesses. Or, d'après moi, ce n'est pas du tout l'objet du texte en question. En effet, il s'agit plutôt, d'exercer un certain contrôle sur les entreprises auxquelles le gouvernement apporte son concours afin d'assurer que leur comportement est conforme aux normes internationales. Étant donné qu'il s'agit de normes internationales, je conçois mal qu'on puisse y voir du colonialisme. D'après moi, la situation actuelle, et les conséquences découlant du fait qu'aucun contrôle n'est exercé sur les activités de ces entreprises, qu'on ne les oblige pas à se conformer aux normes internationales, voilà quelque chose qui, à mon sens, ressemble à du colonialisme. Mais cela n'a rien à voir avec le projet de loi en question.
    Tout à l'heure, M. Tougas a dit reprocher au gouvernement du Congo de ne pas être à la hauteur, aux normes, si vous voulez. Vous avez vous-même dit, je crois, que les institutions argentines ne sont pas encore à la hauteur. Est-ce à dire que vous souhaiteriez que le Canada adopte des dispositions législatives de nature à aider l'Argentine et le Congo à se mettre en quelque sorte aux normes.
    Non, pas du tout. Je me suis peut-être mal exprimé, mais vous me prêtez là une pensée qui n'est pas la mienne.
    Ne parlons pas pour l'instant du Congo, car c'est vraiment un cas à part, mais c'est un fait que, dans de nombreux pays en développement, les institutions démocratiques ne sont pas encore parachevées et, parfois, en Argentine, les institutions ne sont pas encore suffisamment fortes pour faire face à ces énormes puissances financières. Il nous faut encore du temps pour y arriver.
    D'après moi, les dispositions du projet de loi C-300 vont donner à ces pays une aide qui leur est nécessaire, car vous serez alors en mesure d'exercer, dans votre ressort, un certain contrôle sur les activités de ces entreprises. Cela va inévitablement influer sur leur comportement à l'étranger. Voilà, d'après moi, ce dont il s'agit. Il ne s'agit aucunement d'appliquer à l'Argentine des textes de loi canadiens. Il ne s'agit pas du tout de cela.
    Je dis simplement que les textes que vous appliquerez chez vous entraîneront un certain nombre de conséquences chez nous. Cela est également vrai dans d'autres domaines. Si je parviens à contrôler la pollution sur mon territoire national, vous en bénéficiez. Dans un même ordre d'idée, les législations que je peux appliquer chez moi peuvent entraîner, là encore, un certain nombre de conséquences chez vous. Il me paraît en effet normal que l'application d'un texte de loi dans un pays donné ait des répercussions au-delà des frontières nationales. Je ne vois à cela rien d'étrange.
    Si 60 p. 100 des entreprises minières du monde sont domiciliées au Canada, et qu'une certaine proportion de ces entreprises s'opposent au projet de loi C-300, mais souhaitent tout de même continuer à opérer en Argentine, ne pourraient-elles pas simplement changer de ressort et élire domicile ailleurs qu'au Canada, en installant leur siège social dans un autre pays. Dans cette hypothèse, je ne vois vraiment pas l'avantage qu'en tirerait l'Argentine.
    Non, mais même sans ce projet de loi, des entreprises auraient déjà pu décidé de quitter le Canada étant donné que, dans de nombreux pays, la législation est moins stricte que votre législation canadienne. Ces entreprises auraient donc déjà pu le faire.
    N'est-ce pas dire que les normes appliquées par les entreprises canadiennes pourraient certes être plus rigoureuses et que cela a entraîné des problèmes dans de nombreux pays, mais que, même avec le cadre législatif actuel, il ne serait pas nécessairement souhaitable de voir des entreprises quitter le Canada pour s'installer dans des pays aux normes moins strictes car je ne vois pas alors où serait l'avantage pour l'Argentine ou pour le Congo.
    Cela me paraît peu probable, car dans cette hypothèse, les entreprises en question ne bénéficieraient plus alors des investissements canadiens. Si j'étais dirigeant d'entreprise, j'y réfléchirais deux fois, car je saurais que si je quitte le Canada, les fonds de pension canadiens n'investiront plus chez moi, non? Il y a donc un choix à faire.
    Je vous remercie, madame Picolotti. Merci, monsieur Abbott.
    La parole passe maintenant à M. Dewar.
    Merci, monsieur le président. Je tiens aussi à remercier nos invités.
    Madame Picolotti, je vous remercie en particulier pour l'exposé que vous nous avez présenté.
    Je relève que les médias, ont tout récemment rapporté ce qui se passe en Équateur, faisant état de scénarios très proches de ceux que vous nous avez décrits tout à l'heure, et dont M. Tougas nous a dit quelque chose en parlant du Congo. Il s'agit, essentiellement, d'entreprises canadiennes qui s'immiscent dans la vie politique locale. La presse a fait état, en Équateur, d'une forme d'intervention qui se reproduit dans divers pays du monde, des entreprises canadiennes engageant des forces locales de sécurité pour protéger leurs intérêts miniers. Les médias ont repris les propos d'un agriculteur de l'Équateur qui affirme que « notre communauté est à deux doigts de la guerre civile ». Il n'entendait pas par cela que le pays voisin, le Pérou, cherchait à avancer ses intérêts en fomentant une guerre civile. Selon lui, la guerre civile serait entre les intérêts miniers, d'un côté, et les agricultures et la population locale de l'autre.
    Mon collègue, M. Abbott, voit dans ce projet de loi une sorte de cheval de Troie colonial. Je compare cela, madame Picolotti, à la situation que vous nous avez décrite lorsque, en 2007, en tant que secrétaire à l'environnement, vous avez contacté Barrick « en ne cherchant qu'à exercer mon pouvoir de juridiction ». Or, dans la province de San Juan, où est située la mine de Barrick, vos efforts en vue de protéger un site de l'UNESCO, et nous savons parfaitement de quoi il s'agit — se sont heurtés à divers obstacles.
    Une compagnie minière vous a, en effet, interdit l'accès à un site de l'UNESCO. Est-ce la teneur de votre témoignage?

  (0955)  

    Oui, ce l'est effectivement.
    Nous avons tenté de nous rendre sur le site. Une seule route mène à la réserve, et après cela, il faut pendant un petit bout de temps emprunter le chemin minier qui mène à la route. L'entreprise nous a bloqué le passage. J'ai demandé à la police fédérale pour m'ouvrir la voie, mais la compagnie s'est opposée à ma démarche et la procédure engagée auprès du gouverneur était tellement compliquée que, finalement, l'hiver est arrivé et nous n'avons pas pu nous rendre sur les lieux.
    En tant que secrétaire à l'environnement, vous aviez naturellement pour mission de protéger l'environnement. Les dispositions du projet de loi en question vous ont-elles été utiles dans l'exercice de vos attributions? Autrement dit, dans l'hypothèse de ce genre de difficultés créées par des entreprises minières canadiennes — vous avez en l'occurrence évoqué le nom de Barrick Gold — une législation canadienne sur la responsabilité sociale des entreprises vous aurait-elle aidé à accomplir la mission dont vous étiez investie en tant que secrétaire à l'environnement. Comme vous l'avez vous-même dit, il existe, entre les deux pays, un intérêt commun dans ce domaine.
    Cela m'aurait été utile car même si j'avais eu les moyens d'appliquer à ces entreprises la législation argentine, je n'aurais jamais pu obtenir les résultats que les dispositions de ce projet de loi rendraient possibles, c'est-à-dire d'atteindre la compagnie dans ses intérêts financiers. La Cour suprême d'Argentine ne peut pas interdire aux Canadiens de continuer à financer les activités de cette entreprise. Cela est impossible et vous seul en êtes capable.
    Certains de mes collègues reprochent à ce projet de loi de s'immiscer dans la vie juridique de votre pays. Mais, selon vous, les dispositions en question vous aideraient, justement, à mieux faire respecter la législation argentine étant donné que dans la situation actuelle, vous ne pouvez pas empêcher les Canadiens de financer l'activité de ces entreprises. Vous vous heurtez sur ce point à un obstacle, est-ce exact?
    Oui, tout à fait. C'est un peu une question de valeur ajoutée. Vous pouvez exercer un certain contrôle sur vos ressortissants, et nous en ferons de même sur les nôtres. Voilà, en quelques mots, comment la situation se présente, selon moi.
    Au lieu de colonialisme, il s'agirait plutôt de la poursuite d'un intérêt commun.
    Monsieur Tougas, permettez-moi de revenir sur ce que vous avez dit au sujet du Congo. Vous avez évoqué les rapports d'experts faisant état des problèmes qui se posent actuellement au Congo et il a été question de ces sept entreprises canadiennes qui auraient, semble-t-il, enfreint les lignes directrices de l'OCDE. Notre président vous a demandé de nous fournir des lettres et des documents rendant compte des courriers échangés par les ambassadeurs. Il nous serait également très utile d'obtenir au sujet du Congo les rapports relevant que le Canada n'a rien fait à cet égard. Cela nous serait très utile.
    J'aurais une question à vous poser. Dans chacun des cas dont vous avez fait état, les compagnies concernées ont bénéficié de financements canadiens. Est-ce exact?

  (1000)  

    Dans la plupart des cas.
    Si elles avaient été en vigueur à l'époque, les dispositions du projet de loi C-300 auraient permis de rapporter la preuve des comportements de ces entreprises au Congo. D'après vous, comment cela serait-il perçu par le gouvernement congolais? Souhaite-t-il que les autorités canadiennes puissent demander aux intérêts miniers canadiens de rendre compte de leur action, ou bien les Congolais y verraient-ils un problème?

[Français]

    Absolument. Quand je parle des gouvernements du Congo, je parle du gouvernement central et des gouvernements provinciaux où il y a une direction des mines qui est aussi très active. Dans le cas d'Anvil Mining, si une intervention du gouvernement canadien contredisait le jugement de la Cour militaire, sans doute que le Congo y serait tout à fait opposé ou serait assez fâché. Pour le reste, pour ce qui est de la légitimité, de la transparence, je pense que le gouvernement en serait absolument ravi.
    J'essaie de réfléchir à quel exemple je pourrais vous donner. Il y a eu ces négociations depuis deux ans, autour de 61 contrats miniers dont 6 touchaient des contrats canadiens. Les discussions n'ont pas été publiques, cependant les contrats signés ont été rendus publics. C'est là qu'on a vu combien c'étaient des contrats tout à fait inégaux, inéquitables.
    On ne connaît pas encore, mais on le connaîtra bientôt, le résultat de l'ensemble de ces révélations. Ce que l'on sait, pour le moment, c'est qu'il y a des questions auxquelles on n'a pas répondu. Il y a le fait que des contrats jugés léonins, qui auraient dû être complètement repris à zéro, ont été renouvelés. On verra ce qui va se passer.
    J'ai déjà pris contact avec des groupes de la société civile, particulièrement le Conférence Épiscopale Nationale du Congo, la CENCO, dont un comité suit de très près cette négociation, l'étudie et nous fera part de sa recommandation quant à ce que nous pouvons faire ici.
    Je vous le répète: il y a toujours un bras de fer entre le gouvernement du Congo et deux compagnies. Je vous les nomme: First Quantum Minerals Ltd. et Tenke Fungurume à l'intérieur de laquelle il y a le Lundin Group de Vancouver. Le bras de fer se continue sur le plan international. S'il y avait eu une loi issue du projet C-300, évidemment qu'on aurait pu y avoir recours et avoir un point de vue canadien à ce sujet.

[Traduction]

    Monsieur Tougas, je vous remercie.
    Merci à vous, madame Picolotti, qui avez témoigné de Córdoba, en Argentine. Nous sommes heureux d'avoir eu cette occasion de nous entretenir avec vous aujourd'hui au sujet des sociétés minières et, plus généralement, de l'industrie extractive dans votre pays.
    Nous allons suspendre la séance un instant afin de permettre à M. Tougas de céder la place à Mme Evans.
    Je vous remercie.

  (1000)  


  (1005)  

    La séance reprend.
    Dans la seconde partie de notre séance, nous avons le plaisir d'accueillir une responsable du Bureau du conseiller en responsabilité sociale des entreprises de l'industrie extractive, en l'occurrence Mme Marketa Evans, la nouvelle conseillère.
    Nous tenons à vous remercier, madame Evans, d'avoir répondu à notre invitation et nous attendons avec beaucoup d'intérêt vos propos. Vous n'allez pas tarder à maîtriser les dossiers et peut-être aurez-vous quelque chose à nous dire à cet égard. Nous allons vous écouter avec intérêt et bien sûr, les membres du comité, auront un certain nombre de questions à vous poser. Soyez la bienvenue devant le comité.
    Mesdames et messieurs, bonjour. Je tiens à vous remercier de cette occasion de vous faire part de mes réflexions sur un sujet d'une extrême importance.
    Je m'appelle Marketa Evans et il y a environ un mois, j'ai été nommée conseillère en responsabilité sociale des entreprises de l'industrie extractive. Je ne suis pas ici pour prendre position sur le projet de loi C-300 et je ne représente ni le gouvernement, ni les industries extractives, ni la société civile. J'ai pour mission prioritaire de contribuer à un débat public stratégique qui, tirant parti de la place prédominante occupée par l'industrie extractive canadienne, pourrait contribuer à la réalisation de nos objectifs en matière de développement humain. D'après moi, ce potentiel reste largement inexploité sur le plan stratégique. J'estime en outre, qu'il existe actuellement parmi les acteurs de ce secteur, un large courant d'opinion allant dans ce sens.
    Par souci d'utilité, j'entends me concentrer sur deux points avant de passer aux questions. Dans un premier temps, donc, je donnerai au comité quelques précisions me concernant et concernant la mission qui m'a été confiée. Après cela, je souhaite aborder certaines des questions sur lesquelles le comité pourrait se pencher dans le cadre de son examen du projet de loi.
    D'abord, donc, permettez-moi de me présenter un peu et de vous dire quelques mots du rôle qui incombe à la conseillère en RSE.
    Je n'ai jamais travaillé ni dans l'industrie extractive, ni dans la fonction publique. Lorsque je travaillais à l'université de Toronto, j'ai effectué des recherches sur l'engagement social des entreprises dans le monde en général et sur l'engagement social des entreprises et des ONG dans les pays en développement. Dans le cadre de mes recherches, j'ai procédé à une étude assez poussée de deux cas où le Canada intervenait. Le premier était le cas de Talisman au Soudan et le second la question des diamants de la guerre, qui sont à l'origine du Programme de certification du processus de Kimberly. Les propos que je vais tenir devant le comité découlent donc des recherches que j'ai effectuées et qui comprennent les milliers d'entretiens que j'ai eus avec des personnes très diverses qui m'ont très généreusement fait profiter de leurs avis et de leurs connaissances; de ce que j'ai pu apprendre aussi de mes étudiants dans le cadre du cours d'études supérieures que, pendant plusieurs années, j'ai donné sur la question, du rôle que j'ai joué dans le cadre de l'Initiative Devonshire, un forum qui réunit des ONG à vocation internationale et l'industrie minière canadienne afin d'engendrer la confiance et favoriser les partenariats; ainsi que de mes visites dans des exploitations minières de pays émergents.
    Dernièrement, j'ai travaillé pour l'une des plus anciennes et des plus importantes ONG, qui se consacre à l'aide et au développement dans presque 50 pays en développement. Dans ces conditions là, il n'est guère surprenant que le succès des fonctions qui viennent de m'être confiées, dépendra de la réponse à la question de savoir si le sort des populations des pays en développement s'est amélioré du fait de l'action d'une entreprise canadienne. Je vais, en cela, m'intéresser particulièrement aux plus démunis, aux femmes et aux enfants, car non seulement ce sont eux qui souffrent le plus de la pauvreté, de la faim, de la maladie et de la discrimination, mais ce sont également eux qui sont les principaux agents du changement.
    Mes réflexions sur la question ont été orientées par quelques considérations précises. Au départ, je ne songeais nullement à l'industrie extractive. Je me suis penchée sur l'activité des entreprises en général mais je me suis rapidement rendue compte que les objectifs de développement du millénaire dépendaient essentiellement des secteurs miniers, métallifères et énergétiques. Sans ces industries, on ne peut pas espérer améliorer le niveau de vie des populations, et il n'y aurait ni électrification, ni eau, ni hygiène, ni infrastructure.
    Et puis, je me suis rendue compte aussi que, de plus en plus, les gouvernements des pays en développement souhaitent non seulement obtenir des conseils quant à la meilleure manière de gérer leurs ressources et leurs revenus, mais ils s'intéressent de plus en plus aux industries d'extraction de ressources et aux investissements.
    Troisièmement, on reconnaît de plus en plus que l'essor du secteur privé est un facteur essentiel de développement social et d'atténuation de la pauvreté. Les bonnes pratiques internationales s'orientent de plus en plus vers des projets lancés en collaboration avec plusieurs parties, plusieurs intervenants, y compris le secteur privé. Les ONG comprennent l'importance qu'il y a à réorienter le mode de penser et la manière de faire de l'industrie extractive. On en voit la preuve dans les partenariats qui, à l'échelle de la planète, se sont noués entre, par exemple, CARE et Anglo-American, entre Shell and International Alert, entre BirdLife et Rio Tinto, pour ne citer que quelques exemples.

  (1010)  

    Mais, chacun comprend qu'il ne suffit pas de créer de la richesse. D'après moi, le Canada est actuellement bien placé pour prendre la tête de ce mouvement et jouer pleinement le rôle qui lui revient dans le domaine du développement. Dans le seul secteur minier, les investissements des entreprises canadiennes égalent ou dépassent les sommes que l'ACDI consacre aux pays en développement, et en plus, elles investissent à long terme — c'est-à-dire à 10, 20 ou 30 ans, ce qui favorise, justement, les changements dont ont besoin les pays en développement.
    Le rapport rendu en 2005 par le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, les recommandations issues de la table ronde, le rapport du groupe consultatif, tout cela a contribué au lancement de ce qui me semble être un débat national important. Le gouvernement a pris longtemps à réagir au rapport, mais même en l'absence d'une réponse officielle, d'importants progrès ont été faits au cours de ces deux ans. Vous êtes naturellement au courant de ce qui s'est fait et notamment des Principes volontaires sur la sécurité et les droits de la personne, de notre participation à l'Initiative relative à la transparence des industries extractives, du lancement de l'initiative Devonshire et de e3 Plus.
    De nombreuses organisations de la société civile, et d'autres encore ont souligné l'importance particulière qu'il convient d'attacher aux droits de la personne dans le cadre de l'activité des industries extractives. Il convient de signaler le travail important accompli par le professeur John Ruggie, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la question des droits de l'homme, des sociétés transnationales et autres. Il en est maintenant à la quatrième année d'un mandat de six ans et, dès le début, le Canada a soutenu un ensemble de mesures dorénavant reconnues comme sérieuses et crédibles permettant de faire avancer ce dossier essentiel.
    Début novembre, le professeur Ruggie et moi-même avons assisté à Toronto, à une consultation de deux jours qui a eu lieu à la Osgoode Hall Law School. Y ont notamment participé de nombreux experts canadiens. Il en est ressorti qu'aucun pays ne propose actuellement que les entreprises adoptent, en matière de droits de la personne, des normes mêmes volontaires et qu'aucune directive n'a été adressée aux entreprises à cet égard. Aux termes du schéma défini par le professeur Ruggie, adopté l'année dernière par la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, les obligations incombant à un État en matière de droits de la personne ne s'appliquent pas en les même termes aux entreprises car si celles-ci ont effectivement des responsabilités en ce domaine, ces responsabilités sont quelque peu différentes de celles des États. Le professeur Ruggie s'attache actuellement à les préciser.
    Permettez-moi maintenant de dire rapidement quelques mots du rôle que je suis appelée à jouer. J'ai été nommée à ce poste pour un mandat de trois ans. Je relève directement du ministre du Commerce international. M. Day et moi-même sommes d'accord que mon action doit être indépendante du gouvernement et de son ministère et je m'attache à asseoir ces nouvelles fonctions sur la crédibilité et l'action.
    Le décret en conseil portant ma nomination à ce poste définit les deux éléments de mon rôle. Le premier est d'examiner les questions dont mon bureau est saisi soit par des ONG, soit par des entreprises; et le second est de donner aux parties intéressées des conseils sur le respect des lignes directrices.
    Certains insistent sur le fait que je n'ai pas le titre d'ombudsman. Je me suis penchée avec attention sur les recommandations formulées dans le rapport du groupe consultatif, et je ne vois guère de différence entre les recommandations figurant dans ce rapport et le rôle qui m'est confié.
    Certains estiment que cette nouvelle fonction se révélera inefficace. Ils relèvent pour cela l'absence de tout pouvoir de contrainte, car le décret en conseil prévoit explicitement qu'un examen ne peut avoir lieu que si les deux parties s'entendent sur cela. Je ne vois pas très bien comment une telle participation pourrait être rendue obligatoire, même si je n'ai sur ce point aucune opinion arrêtée. Mon hypothèse de travail est basée sur une double constatation. D'abord, on ne voit pas très bien l'intérêt d'un examen entrepris sans le consentement des deux parties puisqu'un tel exercice suppose qu'on a accès aux collaborateurs, aux dossiers et aux locaux. Deuxièmement, les parties ont déjà de bonnes raisons de vouloir participer à un tel exercice, puisque cette participation leur permet de peser sur les conclusions, alors que le refus de participer risque de porter atteinte à la réputation d'une entreprise qui va devoir s'en expliquer devant ses investisseurs, ses bailleurs de fonds et les médias. Dans tous les cas, un rapport public sera publié. Je peux néanmoins imaginer qu'il pourrait arriver qu'une ONG ou une entreprise ait de bonnes raisons de ne pas vouloir participer, même si je n'ai en tête aucun exemple de cela.
    La seconde critique adressée à la fonction qui m'a été confiée est l'absence de sanctions automatiques. Je n'ai, sur ce point non plus, aucune idée arrêtée. Avant de me décider, il me faudra mieux comprendre comment et dans quelles conditions les sanctions permettent effectivement de prévenir les abus et d'améliorer les comportements. Quoi qu'il en soit, je recommande que la question des sanctions soit étudiée dans le cadre du rapport du groupe consultatif, j'entends par cela des sanctions mesurées, proportionnelles à l'infraction et assorties de moyens et de délais permettant de corriger la situation, d'un plan d'action qui viendrait couronner une procédure offrant toute garantie et qui viendrait s'ajouter aux moyens déjà en place. D'après le rapport du groupe consultatif, on ne recommanderait un éventuel retrait du soutien financier et/ou non financier, qu'en cas d'infraction grave et dans l'hypothèse où une entreprise refuse les mesures correctives.

  (1015)  

    Je comprends fort bien que certaines organisations de la société civile voient dans la procédure d'examen prévue dans le rapport de la table ronde un compromis d'ensemble alliant un ombudsman à un comité d'examen tripartite, mais le décret en conseil ne dit rien de la manière dont cette procédure d'examen doit être établie et rien n'interdit la création d'un comité comprenant plusieurs des parties intéressées, si la création d'un tel comité est souhaitée ou semble s'imposer. Je précise d'ailleurs qu'un comité exécutif tripartite est en cours de constitution. Ce comité aura pour rôle de conseiller et de soutenir l'action du centre d'excellence de la RSE.
    J'insiste sur le fait qu'il n'existe actuellement pas de procédure d'examen et que la mise en place d'une telle procédure et la manière dont celle-ci est appelée à fonctionner, n'est soumise à aucune condition préalable et n'est pas définie à l'avance. L'établissement d'une procédure d'examen sérieuse et crédible constitue un de mes objectifs prioritaires et je m'engage à ce que l'instauration d'une telle procédure soit marquée par la transparence et la participation. J'entends faire appel aux meilleures connaissances, à m'inspirer des procédures qui ont fait leurs preuves et à en tirer les leçons qui s'imposent. J'estime qu'une telle procédure sera plus fructueuse et plus productive si elle s'inscrit dans le cadre d'un large débat sur des questions que je souhaite maintenant aborder.
    D'abord, il s'agit de bien comprendre le problème. Nous avons pris connaissance d'un certain nombre d'études de cas très instructives, et nous sommes au courant de ce qui se passe. Des exemples très précis ont été cités et, dans certains cas, on est revenu sur la corrélation bien connue entre l'exploitation des ressources et la violation des droits de la personne ou la détérioration de l'environnement. Certaines des allégations dont il a été fait état remontent à 10 ou 15 ans.
    D'après moi, il nous faut affiner notre diagnostic et mieux comprendre pourquoi ce genre de chose se produit. Les entreprises sont-elles idiotes, entêtées ou aveugles? Peut-on encore affirmer que l'industrie n'a toujours pas compris l'impératif d'une RSE? N'ont-elles rien appris? Peut-on conclure que le problème s'est aggravé, ou qu'il s'est au contraire amélioré? Une étude empirique plus complète du problème permettrait de mieux comprendre ses causes profondes, les enseignements que l'on peut en tirer et les moyens qui permettraient d'y faire face. Nous devrions préciser davantage nos objectifs et, aussi, les indicateurs du succès. Quels sont les résultats ou les changements que nous souhaitons voir dans les 3, 5 ou 10 prochaines années? À quoi voulons-nous aboutir et comment entendons-nous mesurer les progrès accomplis? Selon moi, ce genre d'approche nous permettrait de former un dessein précis et productif et de nous concentrer sur les points les plus importants.
    Deuxièmement, il va nous falloir être mieux renseignés quant aux éventuels effets pervers des mesures que nous envisageons de prendre. En matière de ressources naturelles, la demande mondiale augmente et les sources en seront donc exploitées, sinon par des entreprises canadiennes, par d'autres. Le retrait des entreprises canadiennes risquerait d'entraîner un recours au travail des enfants sous ses pires formes avec, en bout de ligne, la dégradation de l'environnement. L'exploitation risquerait d'être reprise par des sociétés d'État, celles-ci ayant, en matière de droits de la personne, d'assez mauvais antécédents. La concession minière pourrait aussi simplement être reprise par une société qui n'a pas à répondre de ses activités devant les médias, ses actionnaires, les militants ou les autorités gouvernementales. L'entreprise canadienne pourrait également simplement être rachetée par un fonds souverain, ce qui se produit de plus en plus.
    Vous avez entendu les représentants d'Amnistie internationale dire qu'ils n'exigent pas que Talisman se retire du Soudan. Lors des entrevues que j'ai menées avec elles dans le cadre de mes travaux de recherche, plusieurs ONG qui participaient, cependant, à la campagne contre Talisman, m'ont dit la même chose, mais c'est la première fois que je l'entendais dire publiquement. Les entreprises sont capables de modifier sensiblement leurs comportements et Talisman compte maintenant parmi les 50 compagnies qui, au Canada, adhèrent au concept de RSE. C'est dire qu'il va nous falloir davantage réfléchir aux conséquences que pourrait entraîner un retrait des entreprises canadiennes.
    Et puis, troisièmement, il va nous falloir mieux tirer profit de l'effet multiplicateur et, dans toute la mesure du possible, oeuvrer de concert avec des pays, des donateurs ou des organismes qui ont adopté la même approche que nous. Nous voulons que, dans les pays en développement, tous les citoyens aient voix au chapitre, pas seulement ceux qui habitent près d'une mine exploitée par une entreprise canadienne. Nous voulons que tous puissent faire entendre leur voix sur les divers problèmes, et il nous faut, pour cela, en faire beaucoup plus pour promouvoir une plus grande autonomisation des citoyens, et notamment des membres des groupes marginalisés ou sous-représentés, pour renforcer nos efforts en matière d'éducation, susciter une plus grand réactivité de la part des gouvernements locaux, et nous attaquer de manière plus efficace à la corruption, à la question de la responsabilisation, etc.

  (1020)  

    C'est une des raisons pour lesquelles je prône, dans le cadre de ce débat, une beaucoup plus forte participation des ONG non seulement afin de faire évoluer les comportements des entreprises, mais aussi parce que les ONG ont un rôle essentiel à jouer si l'on veut parvenir à accroître l'autonomie des citoyens et faire en sorte que leurs voix comptent davantage.
    Cela dit, les procédures d'examen ne sont pas une panacée. Ce genre d'exercice est à la fois coûteux et difficile. Il est rare qu'il permette de régler définitivement une question ou un problème. Certains mécanismes d'examen semblent ne pas servir à grand-chose. Il est clair que l'on peut toujours améliorer les moyens et les procédures, mais les mécanismes les plus perfectionnés ne permettent pas nécessairement d'affiner que l'entreprise ne respecte effectivement pas telle ou telle norme en matière de responsabilité sociale.
    La stratégie du gouvernement en matière de RSE et le projet de loi C-300, se réfèrent tous les deux aux critères de performance de la SFI définis en avril 2006 et qui sont à la base des principes de l'Équateur adoptés par le secteur banquier. Les critères de performance de la SFI sont au nombre de huit, et concernent les domaines sociaux et culturels, la main-d'oeuvre et les conditions de travail, l'hygiène, la sécurité et la sûreté communautaires, la biodiversité, l'environnement et les populations autochtones. Chacun de ces critères est accompagné de nombreuses recommandations concernant les évaluations, les systèmes de gestion, la formation, la participation communautaire, les activités et moyens de surveillance, etc. Ces huit critères occupent 34 pages de texte et les lignes directrices applicables à leur mise en oeuvre en occupent à elles seules 170.
    Étant donné que ces normes sont destinées à être appliquées dans des environnements très divers et à des entreprises de nature très différente, elles se prêtent à des interprétations subjectives. Permettez-moi de vous citer un exemple simplement pour vous donner une petite idée du problème.
    En deux mots, s'il vous plaît.
    Entendu
    Le critère de performance numéro 6 s'intitule « De la biodiversité et gestion durable des ressources naturelles ». Ce critère repose sur un certain nombre de recommandations, dont la recommandation 14, formulée en ces termes.
Le client gérera les ressources naturelles renouvelables de manière durable. Autant que possible, il mettra en évidence, dans le cadre d'un système de certification indépendante adapté, la gestion durable des ressources.
    Vous constaterez qu'il ne sera pas facile de vérifier, de manière rapide, nette et précise, le degré de conformité des activités d'une entreprise.
    Je tiens à dire pour conclure, que tout cela ouvre un débat national important concernant le rôle que notre industrie extractive est appelée à jouer pour contribuer au développement humain. Au Canada, de nombreuses parties intéressées, investisseurs responsables sur le plan social, universitaires et ONG souhaitent participer à ce débat et à cette recherche d'un terrain d'entente afin d'améliorer la situation dans les dossiers qui nous préoccupent le plus.
    Je vous remercie de votre attention et c'est très volontiers que je répondrai à vos questions.
    Merci, madame Evans.
    Nous passons, très rapidement, la parole à M. Patry et à M. Rae.

[Français]

    Merci, madame Evans, d'être présente ici ce matin. J'aimerais comprendre un peu mieux votre mandat.
    Parlons-en.

  (1025)  

[Traduction]

    Permettez-moi de citer la disposition concernant la demande d'examen.
    Aux termes de l'article 6,

Le conseiller peut examiner la question en litige dès qu'il reçoit une demande
a) soit d'un individu, d'un groupe ou d'une collectivité
     Là, tout va bien, mais je passe maintenant à la disposition concernant les limites du mandat du conseiller, qui prévoit que :
Le conseiller ne peut procéder à l'examen qu'avec le consentement écrit exprès des parties en cause.

[Français]

    Vous étiez présente ce matin, lors du témoignage très étoffé de Mme Picolotti, d'Argentine. Si vous aviez reçu une demande de révision de la part d'une ONG, telle que MiningWatch, au sujet ce qui se passe actuellement en Argentine, auriez-vous pu enquêter sur les allégations de l'ONG sans l'accord préalable des compagnies minières concernées?

[Traduction]

    Vous me demandez là s'il me serait possible d'enquêter?
    Oui
    Non, et cela pour plusieurs raisons. La première est que mon mandat n'est pas rétroactif. Ça c'est —
    Mais supposons qu'un nouveau est porté devant vous. Je ne parle pas des affaires évoquées précédemment. J'aimerais simplement savoir si vous allez pouvoir enquêter sur un dossier dont vous serez saisi maintenant. Oui ou non. Voilà ma question.
    Avec le consentement écrit des parties en cause.
    Cela comprend les entreprises minières. Pensez-vous vraiment qu'une entreprise vous demanderait de faire enquête sur ses activités?
    Oui, je pense fermement qu'elle donnerait son consentement.
    Je vous remercie. Je n'ai pas d'autres questions à vous poser.
    Merci, monsieur Patry.
    Monsieur Rae.
    Permettez-moi d'abord, de vous souhaiter plein succès dans vos nouvelles fonctions. Nous ne voyons, il est clair, aucune incompatibilité entre l'action que vous entendez mener et les conclusions auxquelles nous allons parvenir au sujet du projet de loi C-300. Votre action, en effet, constitue un élément essentiel de la structure qu'il nous faut mettre en place afin de résoudre les problèmes qui se posent.
    Au sujet des deux points, l'un étant le consentement des parties, évoqué par mon collègue, M. Patry, et le second étant la question des sanctions, vous nous avez dit que les légers changements qui pourraient être apportés au texte du projet de loi aurait pour effet de l'aligner davantage sur les conclusions auxquelles la table ronde est parvenue à l'égard des sanctions, que les mesures adoptées jusqu'ici par le gouvernement.
    J'insiste sur le besoin de bien saisir le rapport, si vous voulez, de cause à effet, entre les sanctions décrétées et les résultats obtenus. D'après moi, nous n'avons pas suffisamment de données à cet égard.
    Prenez l'exemple des deux cas qui ont été évoqués aujourd'hui. D'abord, je comprends mal ce qui pousserait une entreprise à interdire à un ministre de l'Environnement l'accès à un endroit désigné site du patrimoine mondial par l'UNESCO. Tant que nous ne comprendrons pas vraiment bien pourquoi ce genre de situation se produit, nous aurons beaucoup de mal à décider des moyens qu'il conviendrait d'employer pour résoudre le problème.
    Mais, dans l'hypothèse où l'entreprise enfreint gravement les normes applicables, et refuse de mettre en oeuvre les mesures correctives décrétées, vous comprenez bien que cela doit tout de même comporter certaines conséquences, ne seraient-ce que les conséquences modestes découlant des dispositions inscrites dans le projet de loi. C'est-à-dire que la SEE devrait tout de même tenir compte de la situation dans le cadre des décisions financières qu'elle doit prendre et que le Régime de pensions du Canada devra, lui aussi, en tenir compte. Les mesures prévues donnent à l'entreprise largement le temps de modifier son comportement. On a prévu une procédure d'enquête. On a prévu le cas de graves violations aux normes applicables. Arrive un temps où il faut bien dire à l'entreprise, eh bien, vous êtes en infraction. J'espère tout de même qu'il ne s'agit pas de l'industrie tout entière, mais seulement de quelques entreprises voyous.
    C'est bien mon impression. Mais, là encore, nous ne connaissons pas suffisamment à fond le problème. Il me semble en effet important de mieux en cerner la nature. Malgré les mesures correctives décrétées, on pourrait s'apercevoir, dans un cas donné, qu'il ne s'agit aucunement d'une négligence délibérée et qu'il serait donc tout à fait possible d'obtenir un changement de comportement sans même engager la procédure d'examen. Cela me semble notamment être un des objectifs du centre d'excellence de la RSE.

  (1030)  

    Barrick présentera sa défense — elle en a largement les moyens — et il en ira de même des autres entreprises. Mais plus nous nous attaquons au problème... et là je songe, par exemple, à ce que M. Tougas nous a dit aujourd'hui au sujet du comportement très grave des entreprises en question —
    La situation dont il a fait état est effectivement très grave.
    — et qui entraînent de graves conséquences pour la politique étrangère du Canada. Je ne vois donc pas comment nous pourrions...
    J'ai été heureux de voir mon collègue, le secrétaire parlementaire à l'ACDI, nous dire aujourd'hui que le Parti conservateur se rallie aux objectifs du projet de loi C-300, car je suis fermement convaincu que notre pays doit faire comprendre que la responsabilité sociale des entreprises est un aspect essentiel de nos activités dans divers pays du monde.
    Je suis entièrement d'accord avec vous et je pense même qu'une telle attitude permettra au Canada de saisir l'initiative, car il est clair que ce genre d'allégations peut porter atteinte à l'image du Canada à l'étranger et qu'il est grand temps que l'on fasse quelque chose. Tout à fait.
    Je vous remercie, madame Evans.
    Nous passons maintenant la parole à Mme Deschamps.

[Français]

    Je vous remercie de témoigner aujourd'hui.
     Je trouve que le gouvernement, en vous nommant, s'est quand même donné une belle vitrine. Il veut peut-être expier certaines choses, ou tenir compte de la lourdeur des conséquences qui ressortent du rapport des tables rondes. Plusieurs recommandations s'y trouvaient. Socialement, et comme gouvernement, il devait à tout le moins poser un petit geste.
    Juste avant vous, nous avons entendu deux témoignages assez percutants. Vous étiez présente. Vous avez entendu la dame de l'Argentine et M. Tougas nous rapporter des événements du Congo. Ce qui ressort de ces témoignages est l'important lobby qu'exercent les compagnies minières dans ces pays, entre autres sur les États en place. Ils sont très puissants et ils exercent de très fortes pressions, qui minent beaucoup les actions des gens sur le terrain. Ces gens se battent contre un titan. On peut aussi dire que le gouvernement du Canada subit aussi des pressions des compagnies minières.
    Vous, qui êtes une conseillère récemment nommée, faites face à deux cas, ceux qu'on a entendus ici ce matin. Que faites-vous de cela? Par quoi commencez-vous? Vous entendez ces deux personnes qui viennent dénoncer des exactions, des catastrophes environnementales. Ils sont témoins, ils ont des dossiers, c'est étoffé. Que faites-vous pour la suite des événements, une fois que vous avez rencontré ces gens?
    N'êtes-vous qu'une messagère auprès du ministre du Commerce international?

  (1035)  

[Traduction]

    Non, je ne pense pas être simplement la messagère du ministre du Commerce international.
    En quoi consiste mon travail? Je tiens à préciser d'emblée qu'il n'existe actuellement aucune procédure d'examen. Or, il me semble essentiel d'en instaurer une qui tienne compte du point de vue des diverses parties intéressées et non seulement de mon opinion quant à la manière dont nous devrions procéder dans le cadre de tel ou tel dossier. J'insiste bien sur cela. Nous ne parviendrons pas à asseoir la crédibilité de cette nouvelle fonction si, avant de décider de la manière dont il convient de procéder, nous ne faisons pas appel à de multiples compétences.
    Les sociétés minières mettent en oeuvre, dans les pays en développement, des moyens extrêmement puissants. Je pense d'ailleurs que c'est une des raisons pour lesquelles les ONG s'attachent de plus en plus à lier des contacts avec les acteurs de ce secteur. Or, ces moyens puissants peuvent être dans les pays en développement, source de progrès. Si, en effet, ces entreprises peuvent faire beaucoup de mal aux populations locales, elles peuvent, à l'inverse, leur faire beaucoup de bien. Elles peuvent notamment être à l'origine d'un relèvement des normes concernant l'environnement et les conditions de travail. Elles peuvent, dans le domaine du développement social, parfois faire mieux que les gouvernements, et même que les ONG étant donné que les ONG ne jouissent pas, auprès des gouvernements, d'une influence comparable à celle des entreprises.
    Je pense devoir en revenir à la question du pourquoi. Et je n'ai pas encore trouvé, à cette question, de réponse satisfaisante. Or, la question me paraît particulièrement importante. Quelles sont les causes des situations qui ont été évoquées ici? Pourquoi ces entreprises se comportent-elles si mal? Avant de trouver les moyens de nous attaquer au problème, il nous faut approfondir notre compréhension du phénomène.

[Français]

    Mais madame Evans, votre mandat repose sur une base volontaire. Si vous relevez des éléments qui vous donnent à penser qu'il faut pousser la chose plus loin, tout se fait sur une base volontaire. Vous avez même dit dans votre présentation que des incitatifs importants seraient offerts aux gens qui participeraient au processus.
    Qu'entendez-vous par là? Comment peut-on inciter les gens à participer de façon volontaire à un processus quand on sait d'avance qu'aucune sanction ne va découler de ce processus?

[Traduction]

    Les sanctions existent déjà, même en dehors de toute action gouvernementale. Or, si nous estimons que ces sanctions ne sont pas suffisamment rigoureuses, ou ne sont pas suffisamment appliquées, nos premiers efforts devraient tendre à renforcer les moyens des divers pays concernés pour leur permettre d'assurer une meilleure régulation des activités extractives et de mieux faire respecter les dispositions en vigueur.
    D'après moi, tant les entreprises que les ONG auront de bonnes raisons de participer à un éventuel examen. Je pense, en effet, que la plupart des organisations tiennent beaucoup à leur réputation. D'après moi, elles seront davantage portées à participer à une procédure qui leur permet de contribuer aux conclusions finales. Lorsque le conseiller s'entretient avec des entreprises des moyens d'améliorer la manière dont elles se comportement... Je pars de l'idée — qui est peut-être fausse — que la plupart des entreprises ne souhaitent aucunement contribuer à des génocides, à des violations des droits de la personne, à des viols, enfin à toutes ces choses graves qui ont été évoquées ici. Je pars donc de cette idée. C'est d'ailleurs pour cela que je cherche à mieux cerner les causes, car si toutes ces allégations sont fondées, il nous faut absolument comprendre quelles en sont les causes. De tels agissements ne répondent pas aux intérêts des entreprises. Je ne voudrais certes pas laisser entendre que les entreprises sont naturellement portées à respecter les normes applicables, car c'est ce que leur dicte leur conscience qui les incline à privilégier l'intérêt des populations. Je pense, plutôt, que c'est parce que leur réputation compte pour beaucoup au niveau du succès commercial.

  (1040)  

    Merci, Mme Evans.
    Nous passons maintenant la parole à M. Obhrai.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Evans, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et je vous félicite de votre récente nomination à ce poste.
    Je tiens à rappeler que la table ronde qui a réuni le gouvernement et les diverses parties intéressées a permis la rencontre, dans le cadre d'un grand exercice de consultation, d'ONG, d'entreprises minières, etc. Cette conférence a donné lieu à de nombreuses recommandations, et notamment à celle qui est à l'origine de votre nomination ainsi qu'à la création du centre d'excellence. Par rapport aux autres pays, le Canada fait figure de chef de file en matière de responsabilité sociale des entreprises.
    Mais ce qui me surprend le plus, c'est que nous ne laissons pas les choses suivre leur cours. Dans la mesure où les situations que nous avons évoquées ici ont été mises en lumière et que chacun a eu la possibilité de donner son avis et de discuter d'éventuelles solutions, il faut bien que quelque chose se fasse, car nous ne voulons pas que dans deux ans, rien n'ait été fait et que l'on constate que les situations dont il a été fait état se reproduisent. Il faut donc aller de l'avant.
    Or, ce qui me gêne avec ce projet de loi, c'est qu'il ne laisse pas suffisamment de temps au temps. Il semble fondé sur un certain nombre d'idées préconçues concernant ce qui va se passer, et ne semble tenir aucun compte de ce qui s'est fait dans le cadre de la table ronde. Je dirais même que les consultations auxquelles il a été procédé avant de rédiger ce projet de loi sont tout à fait insatisfaisantes et, maintenant que les parties intéressées commencent à se manifester, l'auteur du projet de loi cherche par tous les moyens en modifier le texte alors qu'il aurait dû, dès le départ... Je ne sais pas s'il a participé à la table ronde, où il aurait pu prendre connaissance de ce que font les autres parties intéressées. Or, ce qui se passe, c'est que nous accueillons ici certaines personnes qui viennent nous dire ce qu'il conviendrait de faire...
    Il est important de rappeler, comme vous l'avez vous-même fait, qu'on en est au début d'un processus qui va progressivement monter en puissance. Il s'agit d'un processus qui va mettre le Canada en position de chef de file.
    L'affaire de l'entreprise Talisman au Soudan montre très nettement comment de telles situations peuvent évoluer et comment le vide laissé par les entreprises canadiennes peut être comblé par d'autres pays qui, en matière de responsabilité sociale des entreprises, nous sont très inférieurs. Nous constatons qu'en Afrique, la Chine occupe une place de plus en plus importante. Comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, les pays en développement souhaitent accélérer l'exploitation de leurs ressources naturelles pour se donner les moyens d'améliorer le sort de leurs populations.
    Je tiens donc à vous demander si d'autres pays ont institué une fonction analogue à celle de notre conseiller en responsabilité sociale des entreprises, ou créé en ce domaine un centre d'excellence soutenu par l'ensemble des parties intéressées. Sommes-nous en cela des précurseurs?
    Deuxièmement, ne pouvons-nous pas logiquement prévoir une montée en puissance de vos services...? Vous avez, dans le cadre de votre témoignage, à plusieurs reprises indiqué qu'il vous fallait recueillir davantage de données avant de pouvoir apporter une réponse à vos propres interrogations. Cela étant, ne devrions-nous pas simplement vous laisser aboutir au lieu de formuler des recommandations très critiques à l'égard de l'industrie?
    Je ne peux qu'être d'accord avec la dernière partie de votre propos. Il nous faut, d'après moi, engager tout un processus.
    Quant à la première partie de votre question concernant ce qui a pu se faire ailleurs, je ne me suis pas encore suffisamment penchée sur la question pour pouvoir vous répondre. Je commencerais, d'abord, à examiner ce qui se fait en Australie et dans d'autres pays miniers, mais je crois savoir que nous sommes le premier pays à avoir institué un conseiller en RSE même si, bien sûr, d'autres pays ont mis en place des mécanismes pour veiller à l'application des lignes directrices de l'OCDE.
    On nous a parlé des problèmes qui se posent au Congo et des diverses situations qui perdurent en Afrique, mais rien n'a été dit au sujet des autres pays. Hier, le ministre afghan des mines nous a dit que la Chine allait lancer dans son pays plusieurs projets d'exploitation minière et qu'il y était lui-même tout à fait favorable en raison des importantes recettes budgétaires que cela procurerait à l'Afghanistan. La question de la responsabilité sociale des entreprises n'a même pas été évoquée. Il me semble par conséquent dangereux de mettre les industries minières canadiennes dans une situation désavantageuse par rapport à leurs concurrents.
    Mon collègue vient de parler de ce qui se passe en Argentine et des rentrées d'argent que l'exploitation des ressources naturelles assure à ce pays tout en contribuant au développement de ce secteur industriel.
    Avant de céder la parole à mon collègue, M. Lunney, je souhaite simplement dire que la procédure qu'instaure ce projet de loi me semble excellente.
    Les grommellements des députés de l'opposition me portent à penser que je ne me trompe pas.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Deepak Obhrai: C'est pourtant ce que je pense.
    J'ai pris part à la table ronde et peux dire qu'en raison de la procédure qu'il a instaurée, le Canada fait dorénavant figure de chef de file. Les entreprises canadiennes assurent tout à fait correctement le développement des ressources naturelles dans les pays que j'ai visités, que ce soit en Zambie, ou en Tanzanie, où j'ai pu constater l'excellent travail qui s'y fait.
    Je conclus en disant que je vous félicite de votre nomination, que je vous prévois un plein succès et que je suis heureux de savoir que c'est vous qui inaugurez ce nouveau poste.

  (1045)  

    Je suis certain, madame Evans, que vous ne vous inscrirez pas en faux contre la dernière partie de ce propos. Peut-être, cependant, souhaitez-vous répondre à certaines des autres choses qui ont été dites.
    Madame Evans, vous avez la parole.
    Je suis désolée, mais je n'avais pas compris qu'une question m'était posée. Excusez-moi.
    M. Lunney, en quelques mots.
    Merci, monsieur le président et merci, Mme Evans, d'avoir répondu à l'invitation du comité.
    Dans votre exposé vous avez commencé par évoquer les recherches sur la RSE que vous avez menées à l'Université de Toronto. Vous avez parlé aussi de la société Talisman et vous nous avez également touché un mot des complications qu'entraînerait un retrait des entreprises canadiennes. Ce n'est pas toujours bon pour le pays en question.
    En ce qui concerne les diamants de la guerre, le processus de Kimberley a aidé à corriger une situation épouvantable. Vous avez également évoqué l'initiative Devonshire que vous avez si puissamment contribué à établir. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
    Permettez-moi, d'abord, de revenir sur le processus de Kimberley car il s'agit de quelque chose que j'ai étudié assez longuement. J'en ai tiré un certain nombre d'enseignements quant à la manière d'améliorer les résultats des efforts engagés. Je considère que la coopération des parties intéressées a permis en effet d'obtenir de meilleurs résultats et le processus de Kimberley a démontré qu'il y a, entre les ONG et les entreprises, une certaine convergence d'intérêts. Les ONG auraient, en effet, pu adopter à l'égard de De Beers, une attitude tout à fait différente car à l'époque, De Beers ne jouissait pas dans le monde d'une grande popularité. Peut-être est-ce encore vrai, je n'en sais rien. Les ONG ont donc décidé de nouer des contacts avec l'entreprise, car elles savaient pertinemment qu'elles ne parviendraient pas à elles seules à régler le problème.
    D'après moi, c'est là un enseignement particulièrement important. Aucune des parties intéressées n'a été contrainte de bouleverser sa manière de faire. Il a simplement fallu trouver les moyens de collaborer. Aucune des ONG ayant participé au processus de Kimberley n'a dû renoncer à ses efforts en vue de faire progresser les choses, d'améliorer la situation et d'obliger De Beers à rendre compte de ses activités.
    L'initiative Devonshire est un forum établi il y a quelques années dans le but de renforcer la confiance et les liens nécessaires à l'établissement de partenariats. Il s'agit d'améliorer les résultats obtenus dans les pays en développement. Ce forum permet de réunir les acteurs canadiens de l'industrie minière et les ONG canadiennes qui se consacrent au développement.
    Je vous remercie.
    M. Dewar.
    Merci, monsieur le président. Je tiens également à remercier nos invités.
    D'après vous, un des objets essentiels de la responsabilité sociale des entreprises, du moins dans l'industrie extractive, n'est-il pas d'obtenir que les entreprises consultent les populations locales au sujet des projets envisagés?
    Tout à fait.
    Êtes-vous au courant du projet Mirador, en Équateur, dont j'ai parlé avec nos témoins précédents?
    Je ne suis pas suffisamment au courant pour en parler.
    Un récent article de presse porte sur les activités minières d'une entreprise qui, si je ne m'abuse, s'appelle Corriente Resources. Si j'en parle, c'est que, selon cet article, la population locale n'avait pas été suffisamment consultée et que la situation a donné lieu à des violences. En septembre 2006, la population locale a, en effet, demandé ce qui allait arriver — et là je cite ce rapport d'actualité « à leurs fermes, à leurs rivières et à leurs forêts, une fois les travaux de forage engagés ». Ni la compagnie ni le gouvernement ne leur a donné de réponse satisfaisante et la population a donc organisé des protestations, ce qui, effectivement, se produit dans une démocratie lorsque les citoyens souhaitent se faire entendre.
    Mais, ce qui s'est passé par la suite est tout à fait troublant, car un sénateur local, un des responsables, donc, de la région, s'est joint aux manifestants. Voici ce qui s'est passé. Et cela semble assez typique des situations qui se produisent. L'armée a pris fait et cause pour l'entreprise. Un barrage militaire a été établi et lorsque les manifestants se sont rendus au barrage, ils se sont retrouvés face à 200 soldats armés de gaz lacrymogène et de fusils chargés de balles en caoutchouc. Les soldats ont commencé à tirer et le sénateur — un élu du peuple — raconte qu'il s'est « caché dans la forêt et lorsque, plusieurs heures plus tard, je suis sorti des bois, j'ai été arrêté et inculpé d'intrusion sur un terrain militaire ». Il a ensuite été amené par les soldats. Il raconte ceci:
Je me suis accroché à un arbre et je refusais de lâcher prise... Ils m'en ont arraché et ligoté les mains. Mon nez et ma bouche ont été scellés avec du sparadrap. Mes pieds aussi. On m'a mis à bord d'un hélicoptère et on m'a emmené à Zamora (un trajet de 15 minutes). S'ils ne m'ont pas tué, c'est, je pense, uniquement parce que des gens les avaient vu me faire monter à bord de l'hélicoptère. Lorsque je suis arrivé, j'étais couvert d'ecchymoses. On m'a asséné des coups de poing, des coups de pied et...
    Je vois le mot « maîtrisé » et — mais il peut s'agir d'une erreur de traduction.
    Naturellement, l'entreprise expliquerait la chose de manière différente.
    Mais je veux simplement dire qu'il y a donc des entreprises canadiennes qui participent à ce genre de choses. Dans un tel cas, lanceriez-vous une enquête?

  (1050)  

    Permettez-moi d'invoquer le Règlement. M. Dewar affirme que l'entreprise est en l'occurrence responsable. Or, dans le compte rendu de presse, je croyais que tout cela avait été fait par les forces militaires du pays. Maintenant, vous venez de dire que c'était l'entreprise.
    Le projet d'exploitation minière relève effectivement de l'entreprise.
    Bon.
    Allez-y, M. Dewar.
    Je ne comprends pas très bien l'objet de cette intervention.
    D'après vous, l'entreprise est-elle tenue de consulter la population au sujet d'un projet de ce genre? Dans ce type de situation, si quelqu'un vous fait part des inquiétudes qu'un tel projet inspire à la population, et que l'entreprise refuse de collaborer, seriez-vous en mesure d'enquêter?
    Tout à fait, la consultation des populations locales est une condition préalable à l'obtention d'un permis social d'exploitation.
    Mais ce permis social n'a aucun effet juridique. Pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit.
    Je veux bien, mais j'estime qu'actuellement, le permis social d'exploitation vaut plus qu'une autorisation juridique et qu'en tout état de cause, il fait partie intégrante de l'autorisation. En effet, de nombreuses compagnies ont eu des ennuis, car elles s'étaient essentiellement attachées aux aspects juridiques de la question et avaient négligé les exigences du permis social d'exploitation.
    Soyons précis. Le fait de ne pas obtenir un permis social d'exploitation n'empêche aucunement une entreprise de mettre un projet en oeuvre.
    En fait, cela a fait obstacle à bon nombre de projets.
    Mais, juridiquement, rien ne s'oppose à la mise en oeuvre du projet.
    C'est exact, mais les entreprises ne peuvent pas alors traverser le territoire qui mène à leur site.
    Beaucoup d'intervenants nous ont donné à entendre qu'il n'en va pas ainsi et que si l'entreprise obtient les documents juridiques nécessaires, rien ne s'oppose à leur action.
    En effet, mais si j'attache une telle importance au permis social d'exploitation, c'est que, comme je le disais tout à l'heure, il est dans l'intérêt des compagnies de l'obtenir. Le défaut d'obtention d'un permis social d'exploitation peut finir par en coûter à l'entreprise des centaines de millions de dollars. D'après moi, il y a là une forte incitation à se conformer.
    Si l'entreprise décide de ne pas coopérer à l'enquête dans le contexte d'une situation telle que celle que je viens d'évoquer, et dont vous allez peut-être être saisie prochainement, peut-être l'avez-vous déjà été, vous ne seriez pas à même d'enquêter si l'entreprise vous refuse sa coopération?
    C'est exact. Je ne le pourrais pas.
    À supposer que la SEE soit un des bailleurs de fonds du projet en question, et que vous soyez saisie du dossier, la SEE serait-elle tenue de coopérer avec vous et de vous fournir la documentation nécessaire, ou pourrait-elle simplement refuser de le faire? Autrement dit, la SEE serait-elle tenue de coopérer à votre enquête ou serait-elle, à cet égard, considérée simplement comme une autre entreprise?
    Je ne suis pas en mesure actuellement de vous le dire, étant donné que, pour l'instant, il n'y a pas de procédure d'examen. Votre question est parfaitement pertinente et il conviendrait de la poser à la SEE. Étant donné que la procédure n'est pas encore en place, je ne peux pas vraiment dire comment cela se passerait.

  (1055)  

    Vous voulez donc dire...?
    Non, je ne peux pas vous le dire, car la procédure d'examen n'est pas encore en place.
    Donc, dans cette situation hypothétique, l'entreprise X exploite une concession minière dans tel ou tel pays, et la population locale s'inquiète des activités de l'entreprise. Vous êtes saisie de ces préoccupations et l'on s'aperçoit que la SEE est un des bailleurs de fonds de l'entreprise. Cela étant, j'imagine que vous contacteriez à la fois l'entreprise et la SEE, qui est tout de même concernée. Selon vous, donc, on ne sait pas très bien si la SEE serait tenue de coopérer ou si, comme une entreprise privée, elle pourrait refuser. Voulez-vous dire que la question n'a pas été examinée?
    Rien de précis n'a été décidé étant donné que la procédure n'est pas encore en place. J'imagine que la question devrait effectivement être envisagée, mais je ne peux pas vous répondre.
    C'est simplement que je ne saisis pas très bien, pour l'instant, l'étendue de vos attributions. Vous dites que les règles n'ont pas encore été adoptées.
    C'est exact. Les règles ne sont pas encore en vigueur.
    Quand pensez-vous qu'elles le seront?
    Comme je l'ai dit dans mon exposé, il convient de procéder avec de prudence, car nous risquons autrement d'instaurer un mécanisme d'examen de plus qui ne sera ni crédible ni utile. Ce ne serait pas la première fois qu'on entendrait dire de telles choses au sujet d'un mécanisme d'examen, non? Sans cela ça ne servirait à rien. Pour qu'un tel mécanisme soit utile, il faut que les intéressés accepte d'y avoir recours.
    Donc, vous attendez simplement d'être saisie d'un dossier —
    Non, nous entendons établir une procédure fondée sur la collaboration, qui fonctionne de manière ouverte et transparente et dans le cadre de laquelle toutes les parties intéressées pourront intervenir et se faire entendre. C'est cela qu'il faut pour que cette procédure soit jugée crédible, constructive et utile par l'ensemble des parties.
    Avez-vous, pour cela, un calendrier?
    Non.
    Donc vous n'êtes pas actuellement en mesure d'être saisie d'une plainte?
    La procédure n'est pas encore fixée et les règles n'ont pas encore été formulées.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup, M. Dewar et Mme Evans. Nous vous remercions de votre témoignage.
    Nous arrivons au terme de notre séance. Si vous le voulez, nous pourrions consacrer quelques instants aux travaux du comité. Il nous reste 15 minutes, mais dans la mesure où cette salle ne va pas être occupée après notre séance, nous pourrions, si vous le voulez, poursuivre —
    Si c'est pour que quelqu'un fasse de l'obstruction systématique, ce n'est pas la peine.
    M. Dewar.
    Puis-je demander que l'on mette aux voix la motion qui a été présentée au comité?
    Nous ne pouvons pas reporter le débat sur une motion.
    Je demande simplement quelle est, sur ce point, la volonté du comité.
    Nous sommes appelés à voter sur une motion d'ajournement.
    Qui est pour la motion d'ajournement? Qui est contre?
    La séance est levée.
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