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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 022 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 12 mai 2009

[Enregistrement électronique]

  (1105)  

[Traduction]

     La séance est ouverte. Il s'agit de la 22e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous sommes le mardi 12 mai 2009.
    Vous avez devant vous l'ordre du jour de la réunion d'aujourd'hui. Vous vous rappelez certainement que le comité a décidé de mener une étude sur la désignation de certains groupes comme des organisations criminelles, un point qui a été soulevé pendant notre étude sur le crime organisé.
    Nous avons le plaisir d'accueillir quatre témoins pour nous aider dans notre étude. D'abord, bienvenue à William Bartlett, avocat-conseil, et à Paula Clarke, avocate, de la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice. Je vous remercie d’être venus.
    Bienvenue également à Jocelyn Latulippe, inspecteur-chef à la Sûreté du Québec, et à Denis Mainville, commandant de la Section anti-gang du Service de police de la Ville de Montréal.
    Bienvenue à tous. Vous avez été avisés que chaque organisation ou personne dispose de 10 minutes pour son exposé, après quoi nous passerons aux questions.
    Monsieur Bartlett, nous allons commencer par vous. Vous avez 10 minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci à vous, membres du comité. C'est avec plaisir que je me joins de nouveau à vous.
    Je dirige l'équipe responsable du crime organisé à la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice. Comme vous le savez, cette section est chargée de la modification du Code criminel. Je suis accompagné de Paula Clarke, avocate à la section et membre de l'équipe responsable du crime organisé.
    Le ministère de la Justice s'est penché sur le problème de la charge de présentation inhérente à la preuve d'une infraction d’organisation criminelle dès le début de l'élaboration des dispositions sur les organisations criminelles, qui se trouvent maintenant principalement aux articles 467.1 à 467.13 du Code criminel, ainsi que dans d'autres parties de celui-ci. C'était en 2000.
    C'est une question très complexe. Nous surveillons de façon continue l'application des dispositions sur les organisations criminelles, consultons des procureurs pour savoir si les dispositions sont utiles et étudions avec les autorités provinciales et territoriales les nouveaux problèmes engendrés par le crime organisé, ainsi que les options législatives ou autres pour y faire face.
    Plus récemment, nous avons envisagé de régler une des charges de présentation en dressant une liste des organisations criminelles pour les infractions et les autres dispositions du code qui exigent de faire la preuve de l'existence d'une telle organisation. C'est une des idées proposées aux ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice par le ministre du Manitoba à la fin de 2006. D'autres idées ont été intégrées au projet de loi C-14, que le comité a étudié tout récemment.
    Le groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur le crime organisé est un comité de coordination des hauts fonctionnaires (CCHF) dans le domaine de la justice pénale. Au cours de la dernière année, il a examiné cette option, ainsi que d'autres, très attentivement. Nous n'avons pas encore terminé nos discussions, mais des avantages et des inconvénients émergent déjà. Je sais que vous avez entendu parler des avantages probables. Je m'attarderai donc plutôt à certaines préoccupations touchant la viabilité et l'utilité d'une telle méthode.
    Cela dit, nous continuons à étudier la question, c'est pourquoi je présenterai brièvement certains aspects que nous avons examinés et certaines options que nous avons envisagées. Les discussions du groupe de travail sur le crime organisé du CCHF s'inscrivent également dans le cadre d'un examen plus approfondi effectué par le ministère de la Justice. Nous parlerons de nos consultations auprès des procureurs affectés aux procès mettant en cause le crime organisé.
    Comme vous l'a mentionné M. Randall Richmond, procureur québécois de renom, pendant votre examen du projet de loi C-14, les poursuites visant le crime organisé présentent des défis. Un d'entre eux est le temps que peut mettre la poursuite à établir l'existence d'une organisation criminelle. Il est vrai que dans certains cas, il a fallu beaucoup de temps pour prouver ce fait hors de tout doute raisonnable. Les difficultés rencontrées et la durée de l'exposé ont varié en fonction de certains facteurs comme la taille et la complexité de l'organisation criminelle en cause.
    Le procureur doit prouver ce fait dans tous les cas, puisqu'il s'agit d'un élément matériel de l'infraction d’organisation criminelle, même si la question a été traitée dans d'autres affaires où était mise en cause la même organisation criminelle. Et même alors, le degré de difficulté de la charge de présentation varie. Même lorsque des groupes comme les Hells Angels sont impliqués, la charge peut varier selon que la couronne affirme que l'organisation criminelle concernée est Hells Angels International, comme dans le cas du procès long et complexe de MM. Lindsay et Bonner en Ontario, un chapitre local, un club affilié ou un groupe de personnes associées.
    Nous avons discuté de la question de la charge de présentation avec de nombreux procureurs pour obtenir leur avis. Je dirais que la plupart d'entre eux ont exprimé des doutes sur l'utilité d'une liste. Parmi ces procureurs, on trouve ceux du groupe de travail sur le crime organisé du CCHF, qui possèdent une solide expérience en la matière, notamment des défis posés par la preuve des infractions d'organisation criminelle. On compte également parmi eux des procureurs consultés au forum des procureurs tenu par le ministère à Ottawa, en décembre 2007, pour discuter des dispositions sur le crime organisé. L'établissement d'une liste des organisations criminelles a été abordé à cette occasion.
    Les procureurs présents possédaient une vaste expérience des poursuites judiciaires contre les organisations criminelles, et la question de la charge relativement à la preuve de l'existence d'une telle organisation sous toutes ses formes a été débattue en profondeur. Tous s'entendaient pour dire qu'une étude approfondie était nécessaire. Le groupe de travail sur le crime organisé du CCHF poursuit donc cette étude. Les procureurs ont relevé un certain nombre de problèmes potentiels et étaient peu convaincus, dans l'ensemble, que la méthode serait bénéfique.
    Ils avaient des messages importants à nous transmettre. D'abord, les dispositions sur les organisations criminelles sont relativement récentes. Elles ne sont mises en application que depuis le début de 2002. Les procureurs étaient préoccupés par le fait que d'autres problèmes pourraient se poser si l'on changeait les règles du jeu de façon importante à ce moment-ci, puisqu'on accumule encore actuellement de l'expérience relativement à ces dispositions.

  (1110)  

    Ensuite, selon eux, il n'y a tout simplement pas de façon simple de traiter la charge de présentation inhérente à une poursuite contre le crime organisé. Quant à l'éventuelle liste, ils étaient d'avis qu'une telle méthode, voire toute méthode visant à traiter la charge à l'extérieur de la salle d'audience où l'affaire est entendue, produirait toutes sortes de nouveaux arguments et des contestations fondées sur la Charte. En fin de compte, même si la méthode résistait aux contestations, elle ne rendrait pas nécessairement les poursuites plus faciles.
    Enfin, et voilà la bonne nouvelle, les procureurs estimaient que d'importants progrès avaient été réalisés, et que les poursuites deviendraient plus faciles et plus efficaces à mesure qu'on gagnerait en expérience. Selon eux, tenter de mettre en oeuvre une toute nouvelle méthode relativement à la charge de présentation, en particulier si elle comporte un processus de désignation par le gouvernement à l'extérieur de la salle d'audience, pourrait bien freiner les progrès.
    Un processus de désignation des organisations criminelles par le gouvernement susciterait diverses contestations. En premier lieu, l'établissement d'une liste des organisations criminelles entraînerait inévitablement un examen très minutieux fondé de la Charte. Bien qu'un tel processus existe pour la désignation des groupes terroristes, il est plutôt récent et n'a pas encore été évalué dans le cadre d'une contestation. Prouver un élément matériel d'une infraction criminelle en s'appuyant sur un processus de désignation par le gouvernement soulève des questions sur certains des principes fondamentaux concernant la preuve dans une affaire criminelle. Si nous sommes d'avis que le processus d'établissement d'une liste des groupes terroristes devrait résister à une contestation devant les tribunaux, nous croyons qu'il vaut mieux attendre le résultat avant d'envisager d'instaurer un processus semblable pour les organisations criminelles.
    En deuxième lieu, si les infractions d'organisations criminelles sont des affaires criminelles graves, elles sont néanmoins différentes des cas de terrorisme, qui comportent une dimension relative à la sécurité nationale en plus de la dimension criminelle. Les contestations liées à l'application d'un tel processus à d'autres cas que les affaires terroristes pourraient être encore plus importantes.
    En troisième lieu, la démonstration que l'organisation criminelle visée dans un cas en particulier est la même que celle apparaissant sur la liste établie par le gouvernement poserait certaines difficultés, même dans les cas où un groupe relativement bien structuré comme les Hells Angels serait mis en cause. Si vous tentiez d'appliquer ce processus à une organisation beaucoup moins structurée, comme un gang de rue, l'affirmation selon laquelle le groupe précis dont serait membre l'accusé fait partie du groupe désigné pourrait toujours être contestée par la défense. Les groupes moins stables, en particulier les gangs de rue mais aussi toutes sortes d'organisations criminelles, ont des structures, des caractéristiques et des principes organisationnels très différents les uns des autres. Les contestations seraient variées et beaucoup plus importantes dans bien des cas.
    La liste pourrait même être une arme à double tranchant. Elle pourrait fonctionner seulement pour un nombre relativement peu élevé des quelque 900 organisations criminelles qui seraient actives au Canada, notamment l'une des bandes de motards les mieux structurées, soit les Hells Angels, qui font l'objet de la motion. Le fait que certains groupes ne figurent pas sur la liste pourrait être évoqué par la défense comme un fait, puisque cela pourrait laisser croire qu'on n'a pas fait la preuve hors de tout doute raisonnable que l'organisation est une organisation criminelle.
    N'oublions pas que selon le Service canadien de renseignements criminels, il existe plus de 900 groupes de ce genre. Les Hells Angels sont très visibles, tout comme d'autres groupes de motards. Cependant, les organisations criminelles sont très diversifiées, et certaines de celles qui posent le plus de problèmes à l'heure actuelle sont les gangs de rue, dont l'organisation est très souple et peu structurée.
    L'existence d'une liste pourrait même ne pas vraiment réduire le travail de la police, qui consiste à recueillir des preuves de l'existence d'une organisation criminelle. En effet, même si un groupe figurait sur la liste, la police devrait tout de même recueillir des preuves pour une affaire qui sera entendue par un tribunal, puisque l'inscription du groupe visé sur la liste pourrait tout de même être contestée. Si le tribunal juge que la décision d'inscrire le groupe sur la liste n'est pas suffisante pour prouver hors de tout doute raisonnable que le groupe visé dans ce cas précis est une organisation criminelle, le procureur devra être en mesure d'établir sa preuve de la façon habituelle.
    Il faut souligner que l'idée d'établir une liste semble obtenir un appui beaucoup plus important chez les policiers que chez les procureurs. Les procureurs que nous avons consultés étaient d'avis que la collecte des preuves et le travail de la police devaient rester rigoureux, peu importe l'existence d'une liste d'organisations criminelles.
    Ce ne sont là que quelques-unes des préoccupations qui ont été soulevées. Cela ne signifie pas que la question est réglée. Le groupe de travail sur le crime organisé du CCHF poursuivra son étude de la question et soumettra un rapport aux sous-ministres et aux ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux dès qu'il aura terminé son examen.

  (1115)  

    Nous envisageons également d'autres options, comme le fait de permettre à un juge d'admettre d'office des décisions antérieures. Cette méthode offrirait l'avantage de pouvoir appliquer une décision judiciaire antérieure à une autre affaire, contrairement à un processus de désignation par le gouvernement ayant lieu à l'extérieur d'une salle d'audience.
    Selon les procureurs à qui nous avons parlé, cette méthode pourrait elle aussi être contestée. C'est toutefois une option que nous avons envisagée, tout comme une mesure législative qui clarifierait le type de preuves qui pourraient être présentées pour prouver l'existence d'une organisation criminelle. À mesure que nous progresserons, nous pourrons trouver d'autres options. La question de la charge de présentation est très complexe et comporte de nombreux aspects. Nous allons donc continuer de l'étudier.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Bartlett.
    Écoutons maintenant Jocelyn Latulippe. Vous disposez de 10 minutes.

[Français]

    Monsieur le président et honorables membres du comité,
     Mon nom est Jocelyn Latulippe, je suis inspecteur-chef et directeur des services en enquêtes criminelles de la Sûreté du Québec.
    Je comparais également aujourd'hui à titre de représentant de l'Association canadienne des chefs de police, étant moi-même coprésident du comité sur le crime organisé. L'Association canadienne des chefs de police représente la direction des forces de maintien de l'ordre du Canada. Quatre-vingt-dix pour cent de ses membres sont des directeurs, directeurs adjoints et autres cadres supérieurs issus de différents services de police canadiens, tant municipaux que fédéraux. Notre association a pour mission de promouvoir l'application efficace des lois et règlements canadiens et provinciaux, et ce, au bénéfice de la sécurité de toutes les Canadiennes et tous les Canadiens.
    Je désire tout d'abord préciser que les membres de notre comité engagés dans la lutte contre le crime organisé sont favorables à la proposition d'établir une liste d'organisations criminelles, ou un mécanisme, afin de lancer un message clair à certaines organisations nationales, mais également internationales, désireuses de venir s'établir au Canada. Je vais commencer ma présentation par les deux raisons principales de notre appui à une telle mesure, pour ensuite terminer par une conclusion plus globale sur ses effets.
    Tout d'abord, pour les services policiers, la limitation de longues et coûteuses procédures judiciaires répétées, en termes d'effectifs spécialisés dans la lutte contre le crime organisé, est un enjeu. Les ajouts, au Code criminel, d'infractions d'organisation criminelle ont représenté une avancée importante en termes d'outils pour lutter efficacement contre le crime organisé au Canada. Ces nouvelles réalités législatives nous ont ensuite amenés à pousser plus loin nos efforts en matière d'enquêtes criminelles pour viser l'élimination des têtes dirigeantes d'organisations criminelles importantes au sein de nombreux projets, depuis l'avènement de ces dispositions. La durée des enquêtes s'est toutefois accrue, comme celle des procès, mais ces défis nous ont permis de nous dépasser, d'être plus patients, plus innovateurs et plus efficaces.
    Cela a toutefois eu pour effet de diminuer notre présence sur le terrain, en termes d'effectifs spécialisés, en fonction de longues procédures de cour résultant de ces dossiers de haut niveau. La question fut alors de chercher à maintenir nos capacités opérationnelles de terrain malgré de longues procédures de divulgation et de cour. Nous avons pu améliorer les délais de divulgation de preuve avec des innovations en lien avec l'évolution des nouvelles technologies en matière de compilation de preuves. Ce travail se poursuit toujours. Toutefois, notre efficacité ne peut surmonter la durée des procédures en cour où, actuellement, bien peu de possibilités s'offrent à nous, et se voit davantage accrue par l'apparition de nouveaux moyens de défense qui étirent et allongent les procédures criminelles.
    La proposition à l'étude aujourd'hui serait toutefois une avancée majeure et significative, afin d'éviter de refaire la même démonstration d'organisation criminelle à chaque procès, pour la même organisation. Cela permettrait d'épargner des semaines, voire des mois de témoignages et de préparations afin de démontrer des aspects déjà acceptés lors de précédentes procédures judiciaires, et constituerait donc une avenue importante pour nous permettre d'être encore plus efficaces dans notre lutte sur le terrain contre le crime organisé.
    Il nous faut optimiser temps et ressources afin de mieux répondre, entre autres, aux phénomènes montants — et qui font l'objet de très difficiles enquêtes, je l'avoue — de l'infiltration de l'économie légale au Canada par les organisations criminelles, ou encore de la montée de violence déréglée de certaines organisations criminelles imprévisibles, tels les gangs de rue. Des effectifs chevronnés sont nécessaires, alors que les organisations criminelles ont compris que les policiers spécialisés retenus à la cour ne pourraient plus oeuvrer sur le terrain avant de longs mois. La mesure étudiée aujourd'hui optimiserait donc nos efforts.
    Le deuxième motif à l'appui de cette proposition est d'empêcher le succès et l'intimidation faite par des organisations criminelles grâce à leur affichage à titre de groupes criminels.
    Selon nous, un deuxième argument majeur milite en faveur d'un tel amendement. La mise en place de cette mesure permettrait de diminuer grandement l'efficacité des organisations criminelles dans leur capacité d'intimidation et de contrôle des crimes, ainsi que de favoriser le sentiment de sécurité au Canada. Je prendrai l'exemple du phénomène « motard » — soit les Hells Angels, présents au Canada depuis plusieurs années, notamment depuis 1977 — pour rappeler également que, présentement, les Hells Angels possèdent 34 chapitres au Canada, répartis dans 8 provinces, comptant 479 membres, dont 366 ont des casiers judiciaires pour des activités liées à des activités du crime organisé, soit 79 p. 100 d'entre eux.

  (1120)  

    Les motards, comme certains autres groupes criminels, ont compris depuis longtemps que leur marque de commerce facilitait le contrôle de la criminalité à leur profit. Est-il normal qu'une organisation criminelle puisse avoir pignon sur rue au Canada, qu'elle puisse s'afficher et promouvoir sa violence et sa réputation intimidante? De telles organisations criminelles ont compris que jamais l'on ne pourrait s'attaquer à leur emblème autrement que par le truchement de leurs membres, qui changent au gré des promotions et des règlements de compte. Notre tolérance a donc un effet sur leur efficacité. Elle facilite leur pouvoir d'intimider tous les citoyens afin de réaliser leurs activités criminelles et prises de contrôle importantes d'activités légales et illégales.
    Bien que la loi, à l'alinéa 467.11(3)a) du Code criminel, prévoie que l'utilisation d'un symbole qui identifie l'organisation criminelle constitue un élément qui puisse permettre d'établir une participation aux activités de celle-ci, ces membres persistent à le faire. Une partie du problème résulte, selon nous, dans le fait qu'a priori l'organisation n'est pas criminelle aux yeux de la loi. Le message législatif est ainsi ambivalent.
    Nous croyons que, bien que le Parlement ait choisi en 2001, autant pour les infractions d'organisations criminelles que pour les activités terroristes, de ne pas criminaliser l'utilisation des symboles eux-mêmes ou la simple appartenance à un groupe terroriste ou à une organisation criminelle, le fait de déclarer une organisation comme criminelle aiderait à décourager le port de symboles de cette organisation dans des contextes qui ne sont pas liés à la liberté d'expression.
    Nous croyons fermement que le Canada doit envoyer un message clair aux organisations criminelles, qui s'affichent pour s'imposer et faire de l'intimidation, à savoir que dorénavant le risque sera encore plus grand que leur geste constitue une preuve contre eux. Il existe une différence entre faire de l'intimidation en affichant ses couleurs ou les couleurs d'une organisation que la loi ne considère pas comme criminelle en soi, et la faire sous les emblèmes d'une organisation criminelle législativement reconnue comme étant criminelle. Cela devrait altérer de façon significative la fierté de ses membres de s'afficher et leur pouvoir de régner.
    Posons-nous la question suivante: comment réagissons-nous lorsque des membres d'organisation criminelle s'affichent malgré plusieurs déclarations des tribunaux établissant que leur organisation constitue une organisation criminelle? La plupart des citoyens diront qu'ils changent de file d'attente, de siège ou de voie de circulation devant ces gens qui arborent des symboles.
    Que faisons-nous alors devant leurs regards, leurs commentaires ou leurs menaces lorsqu'ils arborent les symboles d'organisation criminelle? Il faut mettre un terme à cette situation, de sorte que ces organisations hésitent dorénavant à s'afficher comme criminelles et à utiliser leur réputation comme outil de peur et de succès. Leurs symboles affectent les Canadiens, mais aussi la mission de base des services de police au Canada, soit celle d'assurer un sentiment de sécurité aux citoyens et, au bout du compte, une qualité de vie au Canada.
    Si une telle loi venait à exister, les organisations criminelles qui s'affichent et font de l'intimidation auraient plus de difficulté à se comporter comme des armées criminelles au vu et au su de tous. Il serait donc plus difficile pour leurs membres d'user de leur prestige pour gravir les échelons du crime et réussir à contrôler la vie des gens autour d'eux par leur affiliation, que nous rendrions illégale au Canada.
    En conclusion, les avancées législatives en matière de criminalité organisée nous ont permis de mieux saisir l'importance de ces groupes, et de mieux connaître leurs tactiques et leurs structures de communautés parallèles, qui menacent l'équilibre de notre société souvent par leur seule démonstration publique d'appartenance à des groupes criminels. Nous avons aussi constaté que notre société moderne ne désire plus voir ces groupes s'afficher, sans risque, comme organisations criminelles violentes.
    Un tel mécanisme nous permettra de mieux organiser notre travail pour limiter leurs pouvoirs, mais aussi pourra nous rendre plus efficaces afin d'atteindre le coeur de ces organisations, soit leur prestige qui leur permet de s'imposer et de brimer des libertés reconnues par les différentes chartes.
    Je vous remercie de votre écoute et je demeure disponible pour les questions.

  (1125)  

[Traduction]

    Merci.
    Passons à Denis Mainville. Vous avez 10 minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président et honorables membres du comité. Tout d'abord, j'ai choisi d'aller un peu plus en profondeur pour enrichir les présentations qui ont été faites.
    Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Denis Mainville. J'ai plus de 26 ans d'expérience au sein du Service de police de la Ville de Montréal, le SPVM. En matière de crime organisé, j'ai plus d'une dizaine d'années d'expérience, ce qui me permet de faire le pont entre les organisations et les projets qui ont été réalisés dernièrement et publicisés. Il y a le projet SharQc de la Sûreté du Québec, le récent projet AXE de la SPVM et le projet SATELLITE mené au cours de l'été 2008, qui touchait trois principales organisations criminelles.
    Ma présentation portera sur deux aspects. D'abord, je vous ferai part des difficultés rencontrées lors d'enquêtes portant sur des organisations criminelles, celles-ci étant d'ailleurs récurrentes depuis bon nombre d'années dans tous nos projets liés au gangstérisme. Ensuite, je vais parler des particularités et des structures des différents groupes criminels ainsi que des liens existants, par exemple les différences entre les Hells Angels et les gangs de rue, particulièrement au centre-ville de Montréal et dans le Nord de la métropole.
    Le projet ABBA a été mené en 2004-2005 et visait un gang de rue de l'arrondissement de Montréal-Nord, communément appelé « la rue Pelletier ». Cette opération a duré près de 13 mois et a entraîné des coûts de plus de 3 millions de dollars, sans compter le ratissage, bien entendu. Dans le cadre de ce premier projet de la SPVM, 25 personnes ont été accusées, dont 10 de gangstérisme.
    Je vais maintenant vous parler des difficultés auxquelles on fait face, qui sont les mêmes que celles auxquelles on a été confrontés lors des projets qu'on a menés dernièrement. Une de ces difficultés concerne les ressources humaines requises, par exemple, pour les filatures et l'écoute électronique. Ces activités ne sont que quelques-unes parmi d'autres, mais elles sont essentielles à l'établissement de la preuve. Elles coûtent très cher et sont très laborieuses. Il faut d'abord établir les activités criminelles de l'organisation telles que les fraudes ou le trafic de stupéfiants. On ne peut pas viser tous les crimes en même temps, et il faut choisir, car l'établissement de la preuve est trop fastidieux et beaucoup trop lourd à gérer pour les organisations policières.
    Il faut également établir les activités criminelles de chaque sujet visé. L'enquête sur 30, 40 ou 60 personnes est un travail fastidieux et nécessite de longues heures de travail, voire des mois ou des années. Il faut démontrer le rôle et le statut de chacun des sujets visés, ce qui n'est pas nécessairement facile dans le cas des gangs de rue, contrairement aux cas des criminels traditionnels comme les Hells Angels et les membres du crime organisé italien. Il faut aussi démontrer les liens existant entre eux. Il faut garder les surveillances contemporaines. C'est une notion nécessaire pour la cour.
    Il faut procéder à la saisie d'exhibits — sigles, bijoux, vêtements ou autres — qui viendraient corroborer la preuve qui est souvent requise par la cour et qui n'est pas nécessairement établie dans le cas des gangs de rue. C'est la particularité à laquelle on revient. Aujourd'hui, nos jeunes ont cette particularité de suivre la mode. Les bijoux ne sont pas nécessairement un signe d'appartenance à une organisation comme les Hells Angels. Il est dangereux pour nous d'établir qu'un groupe criminel est visé simplement à cause de ses bijoux ou de sa tenue vestimentaire. Il faut être prudents par rapport à cette situation quand on parle des gangs de rue.
    Bien entendu, il faut établir le lien commun, comme l'exige le gangstérisme. Il faut recueillir tous les éléments prouvant le gangstérisme. On se base sur environ 40 éléments lors d'une enquête policière, de sorte qu'il est très fastidieux de faire la preuve qu'il s'agit d'une organisation criminelle.
    Le genre de preuve qui doit être recueillie présente un danger pour les sources, les témoins et les agents d'infiltration civils qui sont parfois utilisés. On doit démontrer de nouveau, et ces gens sont connus du milieu. Ça devient fastidieux.
    La sécurité de nos interventions policières, entre autres lors d'installation de dispositifs ou d'entrée subreptice, représente une autre difficulté. On doit aussi composer avec la complexité des communications, par exemple les BlackBerry et autres appareils du genre que nous connaissons tous.
    La présentation de la preuve devant la cour représente une autre difficulté. Chaque fois qu'on doit remonter une organisation criminelle, on doit refaire le profil de tous les individus visés, les têtes dirigeantes. C'est aussi très fastidieux pour les organisations policières. On peut parler de plusieurs semaines pour le simple profil qu'on doit actualiser de façon régulière.
    Il y a deux types de preuve qu'on doit présenter, ce qui est aussi très particulier entre types d'organisations criminelles. On peut prendre deux routes pour établir la preuve: la route substantive et la route de l'argent. Souvent, on prend la route substantive pour déterminer le genre de crime visé, qu'il s'agisse de fraude ou de trafic de stupéfiants. La seconde route parallèle ne fait pas intervenir les mêmes acteurs, mais nécessite beaucoup plus de ressources et est beaucoup plus fastidieuse, de sorte que les enquêtes durent plusieurs mois.

  (1130)  

    Le temps consacré à l'enquête est limité. On dit souvent que l'enquête de gangstérisme peut prendre jusqu'à un an avec renouvellement, bien entendu. On croit que c'est long, mais là encore, pour nous, un an, c'est relativement court quand on doit recueillir toutes ces preuves. On n'est pas en mesure de se pencher sur les autres problématiques qu'occasionnent ces groupes criminalisés.
    Chaque fois qu'il faut refaire une organisation criminelle, les témoins experts doivent démontrer à nouveau leur crédibilité à la cour, ce qui peut prendre plusieurs jours selon l'organisation policière, voire quelques semaines.
    On a fait état plus tôt de la longueur des procédures judiciaires, mais il y a aussi la gestion de la preuve. De plus en plus, les preuves électroniques sur lesquelles les organisations policières se penchent sont très lourdes à gérer, et leur présentation devant les tribunaux est très fastidieuse.
    J'aimerais faire un parallèle avec les enquêtes suivantes. Dernièrement, le projet d'enquête AXE visait trois organisations criminelles. Il a fallu faire la démonstration que chacune de ces organisations menait des activités criminelles. Je fais référence, entre autres, au groupe des Syndicate, qui est le groupe école des Hells Angels et un gang de rue de haute sphère visé par les plus jeunes du centre-ville de Montréal. Cette enquête s'est étalée sur plus de deux ans: 68 personnes ont été arrêtées, dont 25 ont été accusées de gangstérisme. Fait important à noter, 5 de ces personnes qui ont été accusées à nouveau de gangstérisme faisaient déjà partie d'une organisation criminelle qui, selon nous, était l'organisation des Syndicate.
    Je vous ai parlé plus tôt de la longueur des enquêtes. Cette enquête a nécessité l'interception de 640 000 conversations et 11 000 heures de surveillance physique. De plus, la majeure partie du temps consacrée par les ressources humaines visait uniquement à démontrer qu'il s'agissait d'une organisation criminelle, alors que les dossiers antérieurs avaient été montés, particulièrement celui des Syndicate dans le cadre du projet CHARGE mené par l'Escouade régionale mixte, de Montréal, en 2004. Les difficultés encourues sont les mêmes que celles auxquelles on a été confrontés lors du projet ABBA. La particularité est la ramification. Il y a plusieurs groupes criminels, et il faut faire la preuve qu'il s'agit bien d'organisations criminelles.
    Les sujets de gang de rue, membres du groupe école des Hells Angels connu sous le nom de Syndicate, dont plusieurs furent arrêtés dans le cadre du projet CHARGE mené par l'ERM en 2004, ont repris les mêmes activités criminelles dans le cadre du projet AXE et se sont restructurés de la même manière, malgré le fait que les têtes dirigeantes étaient détenues. Donc, cela n'a absolument rien changé. En 2004, ces personnes avaient la même structure. Une fois incarcérées, les têtes dirigeantes poursuivaient le même genre d'activités en prison. Il a quand même fallu démontrer à nouveau à la cour qu'il s'agissait d'une organisation criminelle, ce qui prend énormément de temps. Il a fallu d'ailleurs rouvrir le dossier CHARGE pour extraire toute la preuve qui avait été établie, alors qu'elle avait été présentée comme telle, et présenter cette preuve à nouveau à la cour pour établir encore une fois que l'organisation était criminelle.
    Le projet Satellite ratissé en 2008 s'attaquait à un gang de rue violent du centre-ville de Montréal, où avaient eu lieu plusieurs activités telles que des tentatives de meurtre, des meurtres et de l'intimidation: 48 personnes ont été arrêtées, dont 12 ont été accusées de gangstérisme.
    Voici les particularités du projet Satellite. Il est question d'un gang de rue traditionnel, plus jeune, agressif, instable et peu coordonné. Comparativement aux groupes criminels traditionnels tels que les Hells Angels, qui fonctionnent selon une structure hiérarchique bien établie où chacun possède un statut et un rôle particuliers alors que l'ensemble de leurs activités est voué aux bénéfices de l'organisation, les gangs de rue sont, quant à eux, très instables dans leur structure et plus ou moins organisés. Leurs actions et activités sont très imprévisibles, et ils ont peu ou pas de vision. Cependant, ils ont les mêmes objectifs que les autres organisations: générer des profits pour la tête dirigeante. Ils idéalisent les gangs de rue qui gravitent dans les hautes sphères d'activité tels les Syndicate — qui représentent un idéal pour les plus jeunes. Dans ce cas-ci, ce ne sont pas tous les sujets qui pourraient être reconnus au sein de l'organisation criminelle, mais bien les têtes dirigeantes et leurs principaux acolytes qui, eux, demeurent relativement stables.
    En conclusion, le SPVM est favorable à ce qu'on puisse reconnaître certains groupes comme étant des organisations criminelles. De plus en plus, les groupes criminels qui sont arrêtés lors d'un ratissage récidivent et utilisent des méthodes de plus en plus raffinées: les prête-noms, les commerces, les lieux de rencontre, les intermédiaires et les communications sophistiquées. Ils travaillent en cellules ou en compagnies, selon l'organisation.
    C'est donc dire que le processus d'enquête serait accéléré et nécessiterait moins de ressources qu'exigent présentement de telles enquêtes. Cela nous permettrait de nous attaquer davantage en profondeur aux activités illicites auxquelles ces groupes s'adonnent, tel le blanchiment d'argent. L'impact majeur se fait sentir sans contredit sur les ressources humaines, matérielles et surtout financières que ce genre d'enquêtes nécessite.
    L'énergie et le temps consacrés à faire de nouveau la preuve qu'il s'agit d'une organisation criminelle seraient de beaucoup réduits et ne seraient pas préjudiciables à l'administration de la justice, bien au contraire.

  (1135)  

    Merci.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Passons maintenant aux questions.
    Monsieur LeBlanc, vous avez sept minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins.
    Je vais commencer par une question à M. Mainville ou à M. Latulippe et, si on a le temps, j'aimerais terminer par une question à M. Bartlett.
    Messieurs les policiers, vous avez exprimé des sentiments très clairs sur les raisons d'avoir ou d'établir une liste d'organisations criminelles, comme celle qu'on a dressée dans le cas de la sécurité nationale, comme l'a dit M. Bartlett. Cela faciliterait énormément les tâches importantes comme préparer la preuve avec les procureurs, compléter l'enquête et amener la cause devant la cour.
    Ma question s'adresse à M. Mainville ou à M. Latulippe. Je comprends, d'après les discussions, celles de ce matin et d'autres, que dans beaucoup de cas, il manque de ressources policières pour ces méga-procès, pour ces enquêtes qui durent très longtemps. La situation varie de province en province, mais le point commun est qu'il n'y a jamais assez de policiers, d'enquêteurs ou de procureurs.
    En conséquence, il arrive que d'autres questions criminelles en souffrent. Selon vous, est-ce que le besoin est du côté des enquêtes, du procès, ou des deux? L'enquête finit par le dépôt d'accusations. Puis, il y a ce que Réal Ménard et d'autres ont décrit comme des méga-procès, avec plusieurs accusés, qui durent longtemps.
    Ensuite, vous avez un problème de ressources parce que vos policiers et vos enquêteurs sont affectés au procès. Dans quel secteur voyez-vous vraiment la nécessité d'alléger le besoin?

  (1140)  

    Le besoin, présentement, est surtout du côté des procès parce qu'en ce qui concerne les enquêtes comme telles, il y a effectivement un manque de ressources. Pour effectuer la même enquête sur le crime organisé qu'il y a 10 ou 20 ans, le besoin en effectifs a beaucoup augmenté. Une étude faite il y a 5 ans par une université canadienne disait que, comparativement à 15 ans plus tôt, ça prenait 5 fois plus de ressources pour effectuer le même type d'enquête.
     Les enquêtes sont donc longues et demandent beaucoup de policiers. On ne peut pas contourner cette exigence parce que les criminels se raffinent sans cesse sur le plan technique et raffinent leurs tactiques. On ne peut pas réduire le nombre de policiers. Cependant, si on pouvait garder nos policiers sur le terrain au lieu de les affecter tout le temps à la cour pour refaire la même preuve. On pourrait ainsi réduire leur nombre à la cour et garder simplement les policiers au travail en ce qui concerne ce qu'on va appeler « le factuel » — le factuel étant la preuve récente —, et non en ce qui concerne la preuve d'organisation criminelle. On pourrait alors garder les effectifs sur le terrain et effectuer des enquêtes plus complexes.
    Cela va avec le raffinement de la criminalité, à l'échelle mondiale. Les organisations criminelles mondiales qui s'installent au Canada nous nuisent beaucoup parce qu'elles ont un niveau de sophistication très élevé.
    C'est une réponse très utile. Je comprends bien cela, mais que répondez-vous à l'argument... Vous avez parlé, par exemple, des gangs de rue. On a entendu dire que 900 organisations constituent peut-être des groupes criminels. J'ai l'impression qu'en termes de sophistication, de structure ou de membership établi, ça varie beaucoup entre un chapitre des Hells et un gang de rue formé par un groupe de jeunes qui adoptent une conduite criminelle.
    M. Bartlett a parlé un peu de cela dans son témoignage. Si on se met d'accord pour permettre que les Hells soient placés sur une liste ou nommés comme étant une organisation criminelle, j'ai l'impression que cela s'explique plus facilement qu'en ce qui concerne un petit gang de rue formé d'une bande de jeunes qui n'ont pas suffisamment à faire après l'école.
    Où tracez-vous la ligne entre un groupe reconnu comme étant extrêmement violent et ayant des objectifs criminels bien établis — les motards sont parmi les plus en vue —, et les petits groupes de jeunes, au bas de l'échelle, qui sont pratiquement des organisations criminelles? Les gouvernements ou les procureurs n'auront pas la liste de tous les groupes qui se forment dans chaque école. Comment ferez-vous la distinction entre les deux?
    Vous avez tout à fait raison de soulever la question. C'est très difficile. On en parlait plus tôt dans le couloir. Dans le cas des gangs de rue, le problème est qu'il s'agit d'une structure vraiment instable. C'est totalement différent des autres groupes criminels.
    Je vous disais plus tôt que, dans un groupe d'une trentaine d'individus, trois ou quatre membres restaient présents de façon relativement stable au cours des années. La cellule ou les diverses compagnies de la base changent quasiment quotidiennement, si ce n'est pas chaque heure. Par contre, les têtes dirigeantes gravissent tranquillement les échelons. Ces jeunes vieillissent, bien entendu, et s'associent à des groupes criminels un peu plus structurés. Ce sont ces individus qu'on retrouve un peu plus loin. C'est à eux qu'on s'attaque, dans bien des cas. On intervient aussi dans le cas des jeunes, mais d'une façon beaucoup plus préventive que répressive. En effet, il s'agit souvent de jeunes dont l'âge varie entre 12, 13, 14 ans et 22, 23 ans environ.
    Pour ce qui est des têtes dirigeantes des gangs de rue qu'on voit présentement sur le terrain à Montréal, il est question d'individus d'une trentaine d'années. Ils sont adultes et commencent à intégrer une structure que je qualifierais d'un peu plus raffinée. Elle s'apparente un peu plus au crime organisé traditionnel. J'ai dit plus tôt que, dans plusieurs projets, certains des individus reconnus coupables d'avoir fait partie d'une organisation criminelle avaient environ 30 ans. Dans le cadre d'autres projets ou enquêtes, nous faudrait-il répéter les mêmes procédures dans le cas de ces gens? Je ne pense pas. Par contre, en ce qui concerne les jeunes, c'est encore un problème. On ne s'en cache pas. C'est difficile à contrôler, présentement.

[Traduction]

    Monsieur le président, est-ce qu'il me reste du temps?

  (1145)  

    Vous avez une minute.
    Monsieur Bartlett, vous avez mentionné qu'un tribunal pourrait admettre d'office une décision antérieure, une option différente de l'établissement d'une liste. J'aimerais savoir comment cela fonctionnerait. Je comprends que vous ne préconisez pas cette option, cependant, puisque vous y avez réfléchi, en quoi consisterait-elle?
    La connaissance d'office, telle qu'on l'entend actuellement, est le fait pour un tribunal de pouvoir admettre d'office des choses qui sont si évidentes qu'il n'a pas besoin d'entendre de preuves à leur sujet.
    Le soleil se lève le matin; il fait noir à minuit.
    Oui.
    Il s'agirait d'établir une disposition législative autorisant une présomption réfutable, ce qui permettrait au juge d'admettre une conclusion d'un autre tribunal. Ce serait une présomption réfutable en ce sens que le juge pourrait admettre d'office un ensemble de faits identiques, mais la défense aurait le droit de contester cela.
    Ce n'est pas aussi clair qu'une liste.
    Ce n'est pas simple à comprendre. Il s'agirait pour un tribunal d'admettre un autre processus judiciaire, ce qui pourrait régler certains problèmes que les tribunaux rencontreront sûrement si l'on tente de prouver un élément de l'infraction en s'appuyant sur un processus qui a lieu à l'extérieur de la salle d'audience.
    Merci.
    Monsieur Ménard, vous avez sept minutes.

[Français]

    Je voudrais d'abord faire un commentaire général. J'aimerais beaucoup qu'on puisse relire vos mémoires à tous les trois — il y avait beaucoup d'informations — à tête reposée avant la rédaction de notre rapport. Alors, seriez-vous assez aimable pour en laisser une copie à la greffière afin que nous puissions vraiment les relire? Il y a beaucoup d'informations.
    Ensuite, j'aimerais beaucoup que M. Bartlett dépose les documents auxquels il s'est référé pour le forum, quand les procureurs se sont réunis.
    Je n'oublierai jamais de ma vie le moment où l'on a commencé à débattre la question de la loi anti-gang. J'avais rencontré Allan Rock, ministre de la Justice à ce moment-là. Les hauts fonctionnaires de ce ministère étaient contre une loi anti-gang. Ils disaient qu'on pouvait gagner la bataille en invoquant les dispositions de complot.
    C'est Pierre Sangollo, du SPVM, qui m'avait très bien fait voir pourquoi il fallait établir de nouvelles règles de droit. Je souscris à l'ensemble des interrogations que M. Bartlett a fait valoir. Il serait dangereux, à ce moment-ci, de s'arrêter à ça. Le débat doit aller plus loin que ça.
    Je vais beaucoup plaider pour qu'il y ait une liste comme celle-là, à partir de trois critères. D'abord, il faut qu'il y ait eu une déclaration judiciaire. Un ministre qui se lève un matin et qui n'aime pas tel groupe parce qu'il prétend que c'est une organisation criminelle ne pourrait pas prendre un décret en conseil. Il faut qu'il y ait un décret en conseil. Il faut que les parlementaires étudient la liste et qu'elle soit révisée régulièrement. Toutefois, je ne me laisserai pas arrêter par des arguments technocratiques.
    Ensuite, il y a certaines choses que j'aimerais bien comprendre, et c'est pour ça qu'il faut qu'on revoie vos mémoires. L'objectif qu'on poursuit est très simple: on veut éviter d'avoir à refaire la preuve que les organisations qui ont déjà été déclarées criminelles par une cour de justice le sont. Pour ce qui est des individus, c'est compréhensible. Cependant, une liste des organisations criminelles ne pourrait jamais en comprendre 900. M. Randall Richmond, vous vous le rappellerez, monsieur le président, nous a dit qu'il y avait eu 3 organisations criminelles au Canada: les Hells Angels, les Rock Machines et les Bandidos. On ne parle donc pas de 900 groupes; on parle de 3 groupes.
    Monsieur Mainville, vous avez dit que pour chacun des procès, pour chacune des enquêtes qui impliquent des millions de dollars, il faut refaire le profil de chacun des criminels. Vous avez aussi parlé de deux routes: la route substantive et celle de l'argent. J'aimerais que vous nous donniez des explications à ce sujet.
    J'aimerais aussi que vous nous parliez de la liste des 40 critères dont vous vous inspirez, et peut-être même que vous la déposiez. Les responsables de notre service de recherche nous avaient parlé d'une liste qui avait été rendue par la justice dans l'arrêt R. c. Carrier. On relevait environ 9 éléments, mais vous parlez de 40. J'aimerais comprendre davantage.
    Je reviendrai par la suite à M. Latulippe.
    Je vais vous expliquer tout d'abord le principe de la route substantive, et ensuite, celui de la route de l'argent.
    Chaque organisation criminelle a des gens, des acteurs, qui vont travailler au niveau du crime visé comme tel. Il va donc y avoir des rôles, des statuts pour chacun, bien entendu. Certains vont commettre des vols de véhicules à moteur, d'autres vont faire de l'intimidation, d'autres s'occuperont du trafic de stupéfiants. Chacun aura son rôle bien établi.
    Par contre, les profits générés par le trafic de stupéfiants vont souvent impliquer d'autres gens, complètement en dehors de ça. C'est eux qui vont contrôler l'argent, les caches d'argent, qui vont acheter la drogue, qui vont transiger. Il y a certains liens qui se font, des liens établis. Cependant, je vous dirais que, selon mon expérience, les stupéfiants sont rarement directement liés à cet argent.
    C'est ce qui fait qu'on a deux routes à prouver. Ce ne sont pas les mêmes acteurs, ce qui fait qu'il faut démontrer que les profits générés par les biens issus de la criminalité ou, du moins, par les activités criminelles ont servi tout au long, que l'argent soit saisie en cours d'opération ou à la fin d'enquête. Ce sont les difficultés qu'on retrouve souvent lors des enquêtes sur le crime organisé, bien entendu. La particularité d'une organisation criminelle est que jamais les routes ne se suivent, à cet égard
    Cela répond-il à votre question?

  (1150)  

    Ça répond à la première.
    Pour ce qui est de la deuxième question au sujet des 40...?
    Au sujet des 40 éléments, c'est particulièrement en matière de gangstérisme qu'on insistera sur les éléments à recueillir pour établir des preuves. Que ce soit un langage codé, des pièces de vêtement, des effigies, ce sont des éléments de preuve — et non d'enquête — dont on va se prémunir avant de se présenter à la cour. Ces éléments vont nous permettre de démontrer qu'effectivement, on les retrouve parmi plusieurs individus et qu'ils sont particuliers à un groupe criminel visé.
    Par exemple, on parlait des Hells Angels, qui sont peut-être les plus faciles à identifier avec leurs patchset leurs signes. C'est la même chose pour les gangs de rue: certains membres de gangs de rue qui auront certains bijoux seront associés. Mais encore ici, je vous le dis, on est prudents, parce que la mode de nos jeunes d'aujourd'hui fait en sorte qu'on retrouve certaines de ces bagues dans certains marchés aux puces, malheureusement.
    Parfait, c'est clairement établi. Encore une fois, il faut qu'on relise vos mémoires. On comprend l'objectif poursuivi.
     Monsieur Latulippe, c'est la deuxième fois que vous comparaissez devant ce comité et vous avez clairement indiqué que le prochain défi serait d'enrayer l'infiltration des groupes criminels —  et pas seulement les Hells Angels — dans l'économie légale. J'aimerais que vous fassiez valoir clairement l'ampleur de ce défi.
    En quoi l'identification d'une organisation criminelle — je le répète, on n'identifiera pas 900 organisations — va vous faciliter la tâche?
    Par la suite, je poserai une question à M. Bartlett.
    Il faut se souvenir qu'il y a, en simplifiant, deux types de crime organisé au Canada qui menacent les Canadiens. Il y a le crime organisé de rue où la criminalité est plus violente, plus apparente. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer celle qui représente le plus grand danger, à mon sens, la criminalité de plus haut niveau, la criminalité organisée, notamment, sur le plan mondial. Il s'agit d'organisations comme les Hells Angels, les Bandidos, ou d'autres groupes, que ce soit la Cosa Nostra ou des organisations mondiales. En s'établissant au Canada, ces organisations mondiales cherchent à trouver des moyens d'infiltrer l'économie légale pour laver et blanchir de l'argent, et faire des acquisitions. Ultimement, il s'agit d'acquisitions d'entreprises, qui permettent de blanchir de l'argent à grande échelle.
    Les Hells Angels en sont un exemple. Dans le cas de projets récents, qui sont d'ailleurs sous enquête, et dans d'autres cas qui sont devant la cour présentement, nous avons des preuves que ces membres profitent de leur symbole et du fait que leur organisation est reconnue mondialement pour intimider, entre autres, des entreprises légales lors de prises de contrôle. Dans certains cas, des membres des Hells Angels se sont présentés à des conseils d'administration simplement en laissant savoir qu'ils étaient membres des Hells Angels, afin de réaliser une acquisition ou une décision d'affaires.
    Également, des membres des Hells Angels ont procédé à des prises de contrôle d'industries en visitant des gens en difficulté, alors qu'ils portaient leur veste, leur plaque, et nos enquêtes le montrent clairement. On a des témoignages, on a, sur écoute électronique, des preuves de prises de contrôle faites grâce aux vestes et aux couleurs.
    Cet élément fait en sorte que ces organisations mondialement reconnues ont un contrôle beaucoup plus fort au Canada.
    Ai-je le temps de poser une dernière question?

[Traduction]

    Non.
    Monsieur Comartin, vous avez sept minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
     Monsieur Latulippe et monsieur Mainville, bonjour.
    Je pense qu'il y a de la sympathie au sein du comité pour l'idée de nommer des gangs. Toutefois M. Bartlett a parlé de problèmes. Ce sera très difficile et peut-être impossible. Vos bureaux de chefs de police ont-ils fait une analyse légale des problèmes dont a parlé M. Bartlett aujourd'hui?

  (1155)  

    Nous n'avons pas fait d'analyse légale, mais on peut constater que cela dépend des procédures, des méthodes utilisées pour lutter contre le crime organisé, et cela n'est pas pareil dans toutes les provinces. Les possibilités diffèrent selon les opinions. Nous pensons que c'est réalisable dans le cas d'organisations criminelles majeures.
    Monsieur Ménard parlait de trois. Dans le cas de certaines autres organisations dont je faisais la liste, des organisations criminelles de motards ou du crime organisé de souche italienne, ou autre, il serait possible d'en faire la preuve parce que beaucoup d'éléments — les 42 éléments entre autres — sont présents dans ces organisations.
     Selon nous, il est possible d'en faire la preuve. On veut arrêter de devoir la refaire tout le temps.
    Connaissez-vous un autre pays qui a fait ça? Y a-t-il un pays qui a une loi qui facilite ainsi la lutte contre le crime organisé?
    Je n'ai pas fait de recherche approfondie, mais on m'a dit qu'en Italie, il y aurait de telles normes et que la Cosa Nostra serait une organisation criminelle interdite.
    Pensez-vous qu'il est possible d'avoir assez de preuves pour qu'une cour ou un juge décide que la Cosa Nostra sera inscrite sur une telle liste?
    Si on se base sur la preuve que nous sommes en train de monter relativement aux Hells Angels, notamment par l'intermédiaire des 42 éléments de gangstérisme, on pense que oui.
    Il y a 900 gangs au Canada. M. Ménard en a mentionné trois. Combien seront nommées, une dizaine ou une trentaine?
    C'est difficile à établir. Si nous parlons des gangs de rue qui commettent des crimes traditionnels, il y en a peut-être une vingtaine. Il ne faut pas oublier qu'il y a aussi des groupes criminels asiatiques ainsi que du Moyen-Orient, qui sont en émergence présentement et auxquels les organisations policières se sont peu attaquées, mais ils sont là et nous les connaissons.
     Les services de renseignement nous donnent de l'information par rapport à cela. Ce sont des groupes qui sont en évolution, mais ceux qui nous occupent le plus sont au moins au nombre d'une vingtaine.
    Il est évident que la venue d'une telle loi réorienterait beaucoup nos cibles d'enquête, parce qu'une telle mesure permettrait de diminuer beaucoup l'efficacité de ces groupes qui n'auraient plus la capacité d'intimider ouvertement et de s'afficher. Pour nous, c'est un élément majeur. Cela viendrait également modifier un peu la liste des organisations criminelles. Les petites organisations hésiteraient avant de se rattacher aux organisations supérieures, parce qu'elles sauraient qu'elles deviendraient des cibles.

[Traduction]

    Monsieur Bartlett, sur le même sujet, y a-t-il d'autres pays dans le monde ou d'autres territoires, plus particulièrement des États qui ont une déclaration ou une charte des droits semblable à la nôtre, où cela a été tenté, même sans succès?
    Dans les pays de droit civil, comme la France et l'Italie, une méthode de ce genre a été utilisée dans une certaine mesure, mais leurs systèmes sont assez différents des nôtres. Je ne connais aucun État de common law qui ait établi une liste. L'Australie a instauré une commission du crime. Cette commission peut tirer des conclusions qui entraînent des conséquences, mais celles-ci ne sont pas propres aux affaires criminelles. Ce sont plutôt, par exemple, des mesures restrictives semblables au processus prévu à l'article 810.01.
    Mais aucun territoire, je crois, n'a le même genre de cadre constitutionnel ou de charte que nous.
    À votre connaissance, donc, personne n'essaie de faire cela en ce moment.
    Pas à ma connaissance, non, à part la mesure à laquelle travaille l'Australie, bien que ce pays n'ait pas le même genre de charte des droits que nous. Et on n'utilise pas là-bas cette mesure aux fins auxquelles elle servirait ici, soit pour prouver un élément d'une infraction criminelle.
    Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président. Merci.
    Passons à M. Moore. Vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
    Nous avons entendu la frustration de témoins précédents concernant le temps que prennent ces procès criminels complexes et la manière dont doit être établie la preuve. Nous souhaitons certainement faire progresser le système judiciaire de la meilleure façon possible.
    L'idée dans son ensemble soulève cependant certaines questions, et j'attends des réponses du groupe de témoins. On voit parfois annoncés — en tout cas, moi, j'en vois où j'habite —, des soldes de fermeture, comme « Entrepôt de mobilier Joe 2009 limitée »...
    M. Joe Comartin: Hé!
    M. Rob Moore: Disons plutôt « Entrepôt de mobilier Rob 2009 limitée ».
    On entend souvent parler de la capacité de se réinventer et de s'adapter du crime organisé. Est-ce qu'on s'inquiète du fait que, si cette mesure législative était en place et qu'une organisation apparaissait sur la liste, celle-ci ferait le nécessaire pour se réinventer et se placer en marge de la nouvelle loi, de sorte que nous serions toujours en train d'essayer de la traquer? Est-ce une préoccupation valable, que les organisations qui ont démontré cette capacité à s'adapter continueraient de le faire coûte que coûte, si elles étaient inscrites sur la liste? Elles recourent aux meilleurs avocats. Est-ce qu'on se demande si elles vont se réinventer pour faire en sorte que la liste ne soit pas valable?

  (1200)  

    En effet, comme l'ont fait remarquer le commandant Mainville et l'inspecteur-chef Latulippe, les gangs de rue sont très instables. Mis à part les efforts qu'ils pourraient déployer pour éviter les répercussions de leur inscription sur la liste, ils sont changeants par nature. À supposer qu'on puisse dans un premier temps les répertorier, ils changeraient constamment. Les noms changent, les membres changent, les groupes se scindent. Le gang « Fresh Off the Boat » donne naissance au gang rival « Fresh Off the Boat Killers », mais les membres.... Le nom des gangs est connu de la police, mais les membres changent. Cet aspect pourrait poser un problème. Comment savoir, notamment, si le nom qui apparaît sur la liste désigne clairement un groupe de personnes à un moment donné?
     Ajoutons que cette nature très instable signifie qu'il faudrait tout de même établir, pour une cause en particulier, une grande partie, voire l'intégralité dans certains cas, de la preuve dont nous avons déjà parlé  — et nous sommes conscients du fardeau que représente la production de cette preuve —, afin de montrer que, dans cette affaire, l'accusé a bel et bien commis l'extorsion, par exemple, dans le cadre de sa relation avec un groupe de personnes qui constitue l'organisation dont le nom apparaît sur la liste.
     Le commandant Mainville a parlé de tenir à jour le nom des leaders et autres dirigeants. Étant donné qu'eux aussi peuvent changer, il sera toujours difficile de déterminer si le groupe est le même que celui dont le nom figure sur la liste. Il faut inévitablement prouver le lien. C'est-à-dire qu'il faut faire la preuve que la personne a bel et bien commis l'infraction au profit ou sous la direction d'une organisation criminelle ou en association avec elle. Si le point de départ est de prouver qu'une organisation criminelle existe, il n'empêche que le lien doit ensuite être établi. La preuve à fournir à l'appui de ces deux éléments est souvent, voire presque toujours, la même à peu de choses près.
     Donc, peu importe que le gang se transforme pour éviter de se retrouver sur la liste, il le ferait naturellement de toute façon, en raison de la souplesse de ce type d'organisation. Au-delà de ça, il resterait à déterminer si le groupe visé par une poursuite est bien le même que celui dont le nom est inscrit sur la liste.

[Français]

    Le crime organisé, de par sa nature, va toujours s'adapter aux nouvelles réalités législatives, aux techniques policières, mais nous aussi, les policiers, nous allons nous adapter et demeurer à la hauteur.
    Cependant, je crois qu'une telle mesure retirerait, au crime organisé de haut niveau, son outil de pouvoir, qui est l'outil qui nuit le plus aux Canadiens, l'outil par lequel ces gens peuvent s'afficher comme membres du crime organisé ou d'organisations criminelles pourtant reconnues comme telles dans le cadre de plusieurs jugements, ici et ailleurs dans le monde.
    Le Canada doit envoyer un message clair de son intolérance face à l'affichage public, ce qui va retirer au crime organisé une efficacité dans certains domaines et va représenter une barrière supplémentaire avant qu'il arrive à ses fins. Ainsi, on leur nuit beaucoup, et pour les policiers, le poids de la preuve va demeurer tout de même. Par exemple, les 42 éléments de gangstérisme vont demeurer. Cependant, nous croyons que cela serait une avancée majeure.
    Il y a eu également des commentaires selon lesquels une telle mesure ferait en sorte que les criminels ne s'afficheront plus, donc que les policiers auront plus de difficulté à les identifier du fait qu'ils n'auront plus leurs noms ou qu'il n'y aura plus de cérémonies où nous pourrons prendre des photos. C'est utile de le faire, mais ce n'est pas nécessaire. Nous avons d'autres moyens d'arriver à nos fins parce que la majorité des organisations criminelles ne s'affichent pas. Ce sont vraiment les plus dangereuses, les plus violentes qui le font. Prenons l'exemple des Italiens qui ne le font pas nécessairement, ou d'autre types de crime organisé. Ce n'est donc pas un frein aux enquêtes, c'est simplement un autre type d'enquête.

  (1205)  

    Si vous me permettez, on vise le sentiment d'appartenance des membres des gangs de rue. Grâce à cette appartenance, peu importe l'organisation, un message clair est lancé, soit qu'il n'y a pas de problème à s'associer à un gang. Si on adoptait une loi semblable, il est évident qu'il n'y aurait aucun intérêt à s'associer à un gang, cela entraînerait simplement les problèmes liés à une telle association.
    Ce n'est pas ce que les gangs de rue veulent présentement. Ils veulent la facilité. D'ailleurs cela devient de la provocation policière. Pour nous, le facteur le plus important est le sentiment de sécurité que la population exige parce qu'il est trop facile pour les gangs de s'afficher et, ainsi que mentionné plus tôt, de s'afficher partout, dans tous les lieux, et de confronter des forces policières limitées dans leurs actions.

[Traduction]

    Merci.
    Passons à M. Murphy. Vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
     Vous êtes en faveur de ces mesures, je crois. Messieurs Mainville et Latulippe, il a été question de la situation en Italie, concernant la Cosa Nostra.
    Savez-vous si les mesures prises par le gouvernement italien avaient été prévues par le Parlement d'Italie? Bref, est-ce que ça fonctionne, en Italie?
    Je ne le sais pas. C'est une recherche rapide qui nous a permis de savoir que des mesures étaient appliquées, mais je ne connais pas les détails.
    Ma prochaine question rejoint celle que M. LeBlanc a posée au sujet des ressources policières.
    Avez-vous besoin d'outils plus efficaces qui vous permettraient maintenant de lutter contre le crime organisé? Nous savons, bien sûr, que vous avez besoin d'argent, de ressources et de policiers supplémentaires, mais nous sommes au comité de la justice, qui a pour mandat de modifier les lois au moyen de projets de loi et de motions, notamment.
    L'argent est en cause, mais il s'agit vraiment de moyens pour offrir de la formation non seulement aux forces policières, mais aussi aux gens qui appuient notre travail, entre autres les procureurs. Nous constatons qu'à tous les niveaux, même celui des juges, les connaissances sur le crime organisé sont présentement très limitées. La preuve doit souvent être établie à plusieurs reprises. Nous devons reprendre les mêmes cas, et les éléments de preuve ne sont pas faciles à démontrer. Nous le faisons présentement, dans le cadre d'un projet qui vient d'être réalisé, en ayant recours à des arrêts qui sont présentés devant la cour. Franchir certaines étapes judiciaires est complexe.
    Or, la formation sur le crime organisé est très récente, au Canada. C'est un point faible que nous relevons présentement dans l'ensemble des organisations policières. Une formation interprovinciale voire internationale de spécialistes serait utile. Nous pourrions échanger avec d'autres organisations policières partout dans le monde. Quoi qu'il en soit, la formation est présentement limitée, et les mesures pour changer cette situation représenteraient malheureusement des coûts d'opération.
    J'aimerais aussi ajouter que des mesures devraient être prises pour simplifier la divulgation. Nous appliquons des mesures actuellement, mais il y aurait moyen d'uniformiser la divulgation au Canada de façon plus simple. Comme je l'ai déjà mentionné devant ce comité, il faudrait aussi adopter des mesures relatives à tous les facilitateurs et les prête-noms. Pour nous, c'est primordial. Nous menons des enquêtes dont les chances de succès ne sont pas très élevées. C'est dû au fait qu'on a recours, de façon répétée, à des prête-noms encadrés par des facilitateurs très expérimentés qui mettent à profit leurs connaissances. Ceux-ci ont dans bien des cas été payés par l'État pour nuire à l'État.

  (1210)  

    Nous savons que la codification de la divulgation est importante. Nous avons fait beaucoup de pressions sur le gouvernement, et nous espérons que ce dernier va procéder à cette codification.

[Traduction]

    Maître Bartlett, vous avez dit quelque chose qu'il faudrait, à mon avis, approfondir. Vous avez mentionné que d'autres pays de droit civil, comme la France et l'Italie, ne disposaient pas d'une charte des droits. Nous avons tous lu des articles sur la lutte contre le terrorisme et sur la façon dont, dans certaines affaires judiciaires, la disposition de dérogation prévue à l'article 1 avait aidé à préserver la loi, même si cela n'avait pas été sans mal.
     Est-ce bien ce que vous sous-entendez? Voulez-vous dire que, contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni, par exemple, nous devons nous référer à la Charte ou la garder à l'esprit si nous décidons d'aller de l'avant?
    J'espère ne pas avoir laissé entendre que les pays de droit civil ne disposaient pas de cadres constitutionnels prévoyant la garantie des droits. Ils ont tous, me semble-t-il, ratifié la Convention européenne des droits de l'homme. Toutefois, la manière dont les droits sont protégés est différente d'un ensemble de garanties constitutionnelles à un autre, et c'est en cela que notre charte diffère. Les pays européens ont adopté un certain nombre d'approches à l'égard de divers problèmes, mais lorsque nous nous sommes penchés sur les mêmes problèmes en nous demandant si une contestation fondée sur notre propre charte pouvait être accueillie, la situation nous a semblé différente.
     Mais oui, je parle bien de deux choses: d'une part, les diverses garanties de la Charte qui touchent la liberté d'association et les diverses garanties qui concernent la présomption d'innocence en droit criminel, et, d'autre part, ce qui doit être démontré et prouvé à l'appui d'une accusation au criminel. Ce sont des points qu'un tribunal pourrait accepter, mais nous ne le savons pas au moment où nous parlons.
    Je pense saisir la différence, mais très brièvement...
    Malheureusement, le temps est écoulé.
    Comment avons-nous pu écouler une minute et demie si rapidement?
    Nous avons déjà dépassé le temps alloué d'une minute.
     Je vous laisse finir d'exposer votre point de vue.
    Je veux juste en savoir plus sur l'Italie, savoir comment ça fonctionne là-bas.
    Peut-être au prochain tour de table.
     Très bien, passons maintenant à M. Lemay. Vous avez cinq minutes.

[Français]

    Monsieur Latulippe, vous avez parlé d'une étude. J'aimerais que vous la déposiez afin que l'on puisse en prendre connaissance. Elle m'apparaît très intéressante. J'aimerais que vous nous la fassiez parvenir. Bien évidemment, ce n'est pas un document confidentiel ou interne.
    Non, c'est une étude beaucoup plus large, qui touche l'ensemble des activités policières en matière d'enquêtes, allant jusqu'à la capacité affaiblie. C'est expliqué.
    J'aimerais qu'on puisse en prendre connaissance.
     Je comprends la différence entre les Hells et les Crips. Je crois savoir qu'il y a beaucoup de mouvements et de changements chez les Crips, surtout au bas de l'échelle, puisqu'il s'agit d'un gang de rue.
     Si l'on inscrivait les Crips, réglerait-on une partie du problème, ou changeraient-ils de nom demain matin pour fonctionner sous un nouveau nom?
    On sait qu'il y a une façon d'entrer chez les Hells et que le processus est long. On connaît le processus pour devenir un membre actif des Hells. On n'a pas ça chez les petits gangs de rue?
    Oui, on a effectivement ça chez les Crips, qui est tout de même un groupe majeur. On y retrouve aussi ce genre d'initiation, qui est toutefois différente de celle des Hells. De fait, des initiations se font pour ce qui est des « membres en règle », si je puis m'exprimer ainsi, bien que ce ne soit pas aussi bien défini que chez les Hells. Oui, ces processus d'identification, de sélection et d'atteinte de niveaux existent bien.

  (1215)  

    C'est le criminaliste en moi qui parle. Le problème une fois devant la cour, c'est que ça peut être très long. Vous parlez de preuves factuelles et de preuves récentes. Reprenez-moi si j'ai tort. Sauf erreur, en ce qui a trait aux preuves factuelles, il faut que vous expliquiez ce que sont les Hells, pourquoi il s'agit de gangstérisme, etc.
     La dernière fois où vous avez comparu devant nous, monsieur Latulippe, je vous avais posé la question.
    Par contre, monsieur Mainville, je ne sais pas si vous y étiez.
    Ça peut prendre combien de temps dans un procès, cette partie, cette explication sur ce que sont les Hells?
    Tout dépend de l'ampleur de l'organisation. En ce qui concerne les Hells, certains témoins experts pourraient vous en parler. On a aussi chez nous des témoins experts en matière de motards.
    Pour un seul témoin dans la « boîte », comme on dit, ça peut prendre une semaine. Et ça consiste seulement à expliquer comment fonctionne l'organisation criminelle à l'échelle canadienne, provinciale et internationale. Ça comprend les contre-interrogatoires, bien sûr. Néanmoins, tout dépend de l'orientation de la défense.
    Selon le nombre de témoins, comme nous l'avons vu dans certains procès, ça peut prendre jusqu'à trois mois, le temps d'établir l'ensemble des éléments qui démontrent qu'il s'agit d'un gang criminel. Car plusieurs témoins doivent être appelés, et ils sont alors là pendant plusieurs jours.
    Je vois une difficulté. Encore là, c'est le criminaliste qui parle. Ce qui m'intéresse, c'est d'arrêter la circulation de l'argent parce que c'est le nerf de la guerre, tout le monde le sait.
    Que les Hells soient déclarés organisation interdite, cela ne veut pas dire que mon bon ami qui, lui, place l'argent des Hells...
    I'm sorry, sir.

[Traduction]

    Monsieur le président, je suis la cible aujourd'hui, à ce que je vois. Et vous ne faites rien pour me défendre, en plus.
    Voix: Oh, oh!

[Français]

    Ceux qui placent l'argent ne font pas nécessairement partie des Hells. Comment fait-on? Je peux bien interdire les Hells, les Bandidos, les Crips. On sait qu'ils commettent les délits, mais ils arrivent à toucher l'argent. Comment fait-on?
    En fait, selon nous, cela fait partie de toutes les mesures entourant les facilitateurs, et cela fera l'objet d'un document auquel nous travaillons présentement pour demander certaines modifications à la suite de nouvelles réalités.
    Présentement, avec les infractions d'organisations criminelles, la peine encourue... En fait, le crime est simplement de faciliter le travail d'une organisation criminelle, ce qui n'est pas très significatif dans le Code criminel.
    On croit qu'il devrait y avoir d'autres mesures à l'endroit des professionnels qui soutiennent les organisations criminelles, parce que c'est une nouvelle réalité qui grandit de façon exponentielle. D'ailleurs, nous avons des dossiers devant la cour présentement, et le nombre de facilitateurs, qu'ils soient avocats, comptables, notaires, juricomptables, a plus que doublé, et c'est maintenant devenu presque normal. On croit qu'il devra y avoir un message clair, à un certain moment, adressé spécifiquement à ces gens qui facilitent le crime sans être membres d'une organisation criminelle.
    Dans le moment, ces infractions sont couvertes par les articles 467.12 ou 467.13 du Code criminel.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Petit, vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci, messieurs d'être venus aujourd'hui.
    Je pense que le sujet est très important. Je pense aussi au fait qu'au Québec, — je suis de la province de Québec — c'est aussi un sujet très important et très à la mode, ces temps-ci.
    D'abord, je tiens à vous féliciter. Il est tout à votre honneur d'avoir mené, récemment, une vaste opération policière dans la région de Montréal, et je pense qu'on commence à marquer des points. Cependant, la question qu'on doit se poser, c'est: comment faciliter votre travail pour être certains que nous, les citoyens, nous sentirons en sécurité face à votre façon de travailler?
    J'aimerais poser une première question à M. Bartlett, qui pourra peut-être y répondre une peu plus facilement. La question a été posée directement par M. Lemay, c'est au sujet de l'appartenance. Il faut faire la preuve de l'appartenance. Si on place une organisation criminelle sur une liste, il faut démontrer qu'il y a appartenance et vous avez vu, messieurs les policiers, qu'il y a beaucoup de critères.
    Y aurait-il possibilité de travailler sur le plan de la preuve afin de faciliter le travail des procureurs de la Couronne, par exemple, en faisant ce qu'on appelle une « inversion de la charge de la preuve »? Un acte d'accusation pourrait dire que telle personne est membre de telle organisation, et l'accusé aurait à faire la preuve du contraire. Cela ne veut pas dire que le problème serait réglé. Je sais que vous avez déjà pensé à cela, je sais qu'il y a déjà eu des inversions de la charge de la preuve et je sais que, quelquefois, les juges le font pour faciliter le travail des procureurs. Avez-vous songé à cette possibilité?

  (1220)  

[Traduction]

    D'abord, le simple fait d'être membre d'une organisation criminelle n'est pas une infraction, même si la chose ne fait pas de doute. Il y a plutôt infraction lorsqu'on participe aux activités d'une organisation criminelle en vue d'en accroître la capacité pour faciliter la perpétration d'un acte criminel ou le commettre; on commet une infraction au profit ou sous la direction d'une organisation criminelle ou en association avec elle ou on charge une personne de commettre une infraction pour une organisation criminelle. Une infraction d'appartenance, que nous appelons une infraction liée au statut juridique, soulèverait certainement de sérieux problèmes d'application des dispositions de la Charte, dont la liberté d'association.
    Quant à l'inversion du fardeau de la preuve, le Code criminel a des dispositions à ce sujet visant des situations spéciales, mais leur portée est assez limitée. L'une des premières questions que l'on posera: Qu'est-ce qu'un membre exactement? Quelles sont les caractéristiques de l'appartenance à une organisation criminelle? En certains cas, les Hells Angels, par exemple, pour les membres à part entière qui arborent le symbole, ça peut être assez clair, mais dans d'autres cas, avec les gangs de rue, ce sera presque impossible à dire.
    En supposant que vous puissiez préciser ce que signifie l'appartenance, si l'infraction reposait sur cette allégation et que vous inversiez simplement la charge de la preuve, il serait alors difficile de savoir si cela résisterait à certaines des garanties les plus fondamentales de la Charte.

[Français]

    Je voudrais m'adresser à messieurs les policiers, M. Latulippe et M. Blainville.
    Monsieur Latulippe, un peu plus tôt vous avez parlé des gangs de rue. Vous les avez nommés, et je pense que tout le monde les connaît. Vous avez parlé des Hells Angels, des triades — je ne suis pas sûr si on doit utiliser ce terme — la Cosa Nostra, la mafia. Ces groupes sont implantés au Québec depuis très longtemps. Il y a aussi les bleus et les rouges à Montréal, qui ont l'air de se diviser des territoires.
     Une chose pose problème, car je veux vraiment vous aider. M. Réal Ménard a mentionné un élément très important. Il a dit, dans un discours à la Chambre en 1995, que les groupes organisés utilisaient des entreprises légales en restauration ou en construction pour envoyer de l'argent. Récemment à Radio-Canada, un certain M. Gravel, journaliste, a parlé de la construction. La FTQ-Construction était reliée... Ça ne semble pas sentir bon.
    Comment va-t-on faire? On parle de grosses organisations; on ne parle pas du gars qui vend au coin de la rue; on parle de très grosses organisations. Comment va-t-on faire pour faire face à ce dont parlait M. Réal Ménard?
     Voyez-vous ce que je viens de faire? Je viens de faire une association, qui avait été faite par des journalistes, et tout le monde se demande s'il va falloir interdire le logo de la FTQ-Construction en plus! Là, je tombe dans quelque chose d'énorme. Comment pourriez-vous nous guider à travers tout ça, maintenant?
    Tout d'abord, je ne veux pas parler de l'exemple que vous avez mentionné. Prenons plutôt l'exemple de n'importe quelle organisation criminelle qui tenterait de conquérir des marchés criminels.
    Je reviens sur le fait que nous avons besoin d'empêcher ces organisations criminelles d'obtenir l'appui de gens expérimentés, reconnus dans leur domaine, qui ont une expertise et une réputation pouvant aider les organisations criminelles à prendre le contrôle d'industries, que ce soit dans le domaine de l'automobile, de la construction ou de la restauration.
    Certaines personnes, présentement, leur sont utiles et nécessaires. Il s'agit d'incontournables pour ces organisations. Il faut donc empêcher cela. Il faut les décourager de prêter assistance à ces groupes criminels.
    Présentement, une personne, un notaire par exemple, qui serait accusé d'avoir aidé une organisation criminelle encourt une peine maximale de cinq ans selon le Code criminel. C'est la même chose que pour un chauffeur qui conduit les criminels au lieu d'une transaction, tandis que l'aide du notaire a fait en sorte que l'organisation criminelle puisse insuffler des millions de dollars dans l'économie et prendre le contrôle d'entreprises et d'emplois légaux et, par la suite dans la majorité des cas, frauder le gouvernement.
    Il faut donc faire une différence entre ces catégories de facilitateurs, entre un chauffeur, par exemple, et quelqu'un comme un notaire ou un comptable qui va gérer les avoirs et assurer des transactions financières.

  (1225)  

[Traduction]

    Merci.
    Je passerai à M. Dosanjh pour cinq minutes.
    J'ai une question à poser à Me Bartlett, mais je voudrais faire un commentaire sur le témoignage des deux policiers.
    Nous aimons le travail que vous faites. Vous nous protégez et vous assurez la sécurité publique. Mais ce qui m'inquiète un peu, c'est que la position que vous avancez n'est même pas étayée par un avis juridique interne à savoir si elle est praticable en droit, compte tenu de la Charte et des principes généraux de l'application régulière de la loi — même sans la Charte.
    Je voudrais faire un commentaire là-dessus. Je ne fais pas une critique personnelle. Bien entendu, votre organisation soutient ce que vous faites. Je voudrais savoir s'il est judicieux de promouvoir une position au nom de votre organisation, alors que vous n'avez pas reçu d'avis juridique interne d'avocats ou d'un juriste éminent, parce que bien entendu nous sommes contraints par les règles de l'application régulière de la loi.
    Je m'adresse maintenant à Me Bartlett. Si vous dites qu'il est impossible d'établir cette liste... et je comprends cela. Je pense qu'il ne serait pas possible d'établir cette liste, même sans la Charte. Le droit criminel a évolué au cours des siècles, ou même au cours des 150 dernières années au Canada. Même sans la Charte, je crois qu'il serait impossible d'établir une définition. Mais si vous n'aviez pas de liste, y aurait-il d'autres moyens législatifs permettant de définir les critères, pour qu'il soit plus facile de régler leur compte aux organisations criminelles en cherchant à obtenir des condamnations?
    Nous avons discuté de deux options au groupe de travail sur le crime organisé du CCHF. La première serait une disposition législative traitant de la connaissance d'office. Les procureurs au groupe de travail n'étaient pas convaincus, la dernière fois que nous en avons discuté, que ça les aiderait forcément, mais c'est une chose dont nous poursuivons l'étude. L'idée serait de simplement permettre à un tribunal d'admettre d'office des conclusions de fait établies par une autre cour et visant des faits et des enjeux qui semblent être identiques, bien que cela pourrait comporter des difficultés.
    L'autre option, ce serait d'essayer de définir dans un texte de loi la nature de la preuve nécessaire pour prouver l'existence d'une organisation criminelle. Là encore, cela pourrait comporter des difficultés.
    Y a-t-il un moyen de contourner le problème de prouver que la personne traduite en justice a fait ce qu'elle a fait en lien avec une organisation criminelle? Certes, nous n'avons pas d'options en ce moment qui pourraient véritablement trancher le noeud gordien. Si les conséquences de la condamnation tiennent à ce qu'il faut démontrer que ce qu'elles ont fait, elles l'ont fait en lien avec une organisation criminelle, on retrouvera encore le fardeau de la preuve, sous une forme ou une autre.
    Nous avons traité d'autres questions, comme des affaires portant sur les produits de la criminalité où il y a inversion de la charge de la preuve, après la conclusion d'une cause pénale, et où il a été allégué que la richesse accumulée par la personne qui se trouve devant le tribunal résultait d'une activité du crime organisé. On a essayé de s'attaquer aux éléments de l'activité du crime organisé de cette façon-là.
    Mais, quant à la question fondamentale de prouver une infraction d'organisation criminelle, je ne peux pas dire que nous avons trouvé la formule magique. Certes, nous explorons un certain nombre d'idées pour savoir si nous ne pourrions pas trouver une façon d'alléger le fardeau de quelque façon, même si, je le répète, les procureurs auxquels nous avons parlé ne voient pas d'issue facile.

  (1230)  

    Merci.
    Nous passons à M. Rathgeber, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de leur présence.
    Pour faire suite aux questions de mon ami M. Dosanjh, je suis un peu perplexe... Nous avons entendu les policiers et d'autres personnes nous dire combien il était difficile de prouver l'existence d'une organisation criminelle et comment, dans ces méga-procès, on consacre parfois des jours à établir la preuve.
    Pour les experts en droit pénal, j'ai sous les yeux l'article 467.1 du Code criminel; la définition me paraît assez simple: groupe composé d'au moins trois personnes dont l'objectif est de commettre une infraction grave qui pourrait lui procurer un avantage matériel ou financier.
    Qu'y a-t-il de si difficile à prouver dans cela?
    Les éléments de la définition sont, à mon avis, relativement simples et clairs, mais la pratique des tribunaux dans ces causes a été d'exiger un grand nombre de preuves qu'il existe bel et bien une organisation qui réponde à cette définition et qui soit en activité, et que l'activité criminelle qui fait l'objet de l'accusation dont le tribunal est saisi a été commise en lien avec cette organisation criminelle.
    Ce n'est pas tant la définition qui pose problème, c'est plutôt le fardeau de la preuve auquel les procureurs ont eu à faire face pour convaincre le tribunal que l'accusation contre une organisation criminelle, qui entraîne une peine additionnelle importante, a été démontrée.
    Le paragraphe 467.1(2) dresse une liste de choses que le procureur n'est pas obligé de prouver. Pourrait-on résoudre ce problème en ajoutant certains éléments à cette liste? Par exemple, il n'est pas nécessaire de prouver que l'organisation criminelle a facilité ou a perpétré un acte criminel et ainsi de suite.
    C'est important pour déterminer si quelqu'un a participé à une activité de l'organisation criminelle. Mais vous devrez toujours démontrer que l'organisation criminelle existe. Ce sont des dispositions concernant la preuve qui, peut-on espérer, allégeraient le fardeau de quelque façon, en démontrant que la personne comparaissant au tribunal a participé aux activités de cette organisation qui étaient destinées à en accroître la capacité.
    Je ne peux pas dire qu'on a une longue expérience du recours à ces dispositions dans les tribunaux; ni de la façon dont ceux-ci y ont réagi. Ce genre de preuve est souvent présentée, mais on ne l'a pas fait pour démontrer qu'en allongeant la liste on réduirait le fardeau de la poursuite.
    La connaissance d'office m'intrigue. Cette question a déjà été soulevée à ce comité-ci ou peut-être au comité de la sécurité publique, je ne sais trop lequel.
    Mon ami M. LeBlanc vous a posé des questions, maître Bartlett, concernant la connaissance d'office et certaines choses étaient si évidentes: le soleil se lève à l'est et il fait noir à minuit. Mais il n'y a pas de présomptions législatives qui permettent aux juges des faits de prendre connaissance d'office de ces choses tout à fait routinières. Pourquoi, à votre avis, faudrait-il une présomption législative pour que les tribunaux prennent connaissance d'office de l'existence des organisations criminelles?
    Nous nous approprions le terme « connaissance d'office » pour le concept que nous proposons, parce que ce que nous proposons ne correspondrait pas à ce que les tribunaux considèrent actuellement comme relevant de la connaissance d'office, ces choses qu'un tribunal peut simplement constater sans qu'on lui présente de preuves. C'est justement de cette catégorie très évidente dont M. LeBlanc parlait.
    Nous parlons ici tout simplement d'une disposition législative qui permettrait à un juge de fonder une présomption sur la décision d'un autre tribunal, en considérant qu'on a prouvé dans une cause l'existence d'une organisation criminelle et que les faits constatés dans la cause dont il est saisi semblent être les mêmes que dans la cause jugée.
    Tout simplement, les règles normales exigent ce qui suit: s'il s'agit d'un fait important, l'accusation dont le tribunal est saisi doit être prouvée devant ce tribunal. Alors, ce serait une exception à cette exigence. Ce n'est pas quelque chose qu'un juge pourrait faire en se fondant sur la common law telle qu'elle existe en ce moment.

  (1235)  

    Merci.
    Monsieur Norlock, vous avez cinq minutes.
    Merci beaucoup, messieurs.
    Ma première question s'adresse aux policiers, et puis je me tournerai vers Me Bartlett.
    On a dit à notre comité, et vous le dites aussi, que les tribunaux passent trop de temps à essayer de prouver qu'il s'agit d'une organisation criminelle lorsque le crime organisé et les criminels organisés sont en cause. Dans votre témoignage, je crois que vous avez dit qu'on y a mis de deux semaines à un mois, est-ce bien ça?
    Pouvez-vous me donner deux ou trois arguments principaux qu'utilisent les avocats de la défense pour essayer de dissuader le tribunal de reconnaître une organisation donnée comme un groupe criminel organisé? N'avance-t-on pas habituellement trois arguments principaux? Je pense qu'on y retrouve des éléments communs, n'est-ce pas?

[Français]

    Je ne pense à aucun argument spécifique, sinon qu'en réalité, la défense cherche à démontrer que la personne a commis le crime pour son profit personnel. Ça nous empêche de démontrer qu'il s'agit d'un crime commis au profit d'une organisation. Ici, on ne parle pas d'un argument spécifique, comme une tentative de discréditer la preuve présentée par les policiers ou encore la capacité et les connaissances des témoins. En fin de compte, c'est un travail qui consiste à trouver la faille.
    C'est rattaché aux éléments que j'ai mentionnés plus tôt. Il faut toujours démontrer les liens qui existent entre ces gens, la participation, le rôle et le statut de chacun. C'est un peu plus évident dans le cas des membres en règle parce qu'ils commettent souvent des actions auxquelles on s'attend, mais c'est beaucoup plus difficile dans le cas des facilitateurs. C'est l'ensemble des éléments, et non un critère en particulier, qui est présenté devant la cour.

[Traduction]

    Vous dites qu'il n'y a pas d'arguments spécifiques, que l'on peut ratisser large. Les avocats de la défense veulent tout simplement créer des embûches pour que le juge finisse par acquiescer à leurs plaidoyers. Quand vous établissez une distinction entre gains personnels et gains versés à des groupes, vous voulez dire que vous devez pouvoir prouver que tous les biens volés, l'argent extorqué par intimidation ou obtenu par d'autres moyens sont versés dans une caisse commune, un compte bancaire central où les différents joueurs peuvent aller piger? Quand vous dites « facilitateurs », s'agirait-il d'entreprises légitimes qui placent l'argent de particuliers ou de groupes et auxquelles n'importe qui peut s'adresser? Ou bien ces personnes vont-elles retenir les services des meilleurs comptables agréés, de conseillers en investissement ou d'avocats pour s'assurer qu'elles pourront cacher le fait qu'elles se sont engagées dans une activité collective plutôt qu'individuelle?

[Français]

    Les facilitateurs aident à camoufler certaines choses, en effet. Il reste qu'avant de prouver que la personne a commis un crime au profit de l'organisation, il faut démontrer l'existence de ladite organisation, sa structure, son mode de fonctionnement et ses règles d'engagement. Dans un procès que nous avons débuté, nous avons pu établir une liste de 42 points communs aux membres de l'organisation. Il s'agit de la première partie.
     Il faut ensuite démontrer que la personne a agi au profit de l'organisation. C'est un élément de la deuxième partie. Or, il faudrait que la première partie ne soit pas à refaire continuellement. De cette façon, nous pourrions nous concentrer sur le fait que la personne a commis le crime au profit de l'organisation, démontrer quel était son rôle. On n'aurait même pas à refaire la preuve dans le cas d'une personne ayant déjà été déclarée membre d'une organisation criminelle dans le passé. Il s'agit vraiment d'éviter d'avoir à refaire cette preuve.
    Dans le cas des facilitateurs, de gens qui ne sont pas membres de l'organisation, la preuve à établir est d'une tout autre nature. Les facilitateurs ne font pas partie du gang. C'est difficile à expliquer, mais disons que la preuve dans le cas des membres d'un gang et la preuve dans le cas des facilitateurs, qui ne sont pas membres du gang, sont deux choses différentes. La mesure en question ne nous aidera pas dans le cas des facilitateurs. En effet, il faut démontrer que ces derniers ont aidé le gang en posant certains actes. Il s'agit d'une participation différente.

  (1240)  

[Traduction]

    Merci.
    Les porte-parole des services de police nous ont parlé des frustrations que suscitent les affaires impliquant le crime organisé et des ressources incroyables qu'ils y consacrent. Les représentants du ministère de la Justice nous ont parlé des obstacles juridiques à une législation qui pourrait aider à identifier ces organisations.
    Pouvez-vous nous proposer d'autres témoins qui nous aideraient à faire progresser ce dossier — des experts constitutionnels ou des spécialistes de la police? Le fait que nous fassions cette étude démontre qu'il existe des obstacles sérieux qui nous empêchent de faire entendre ces causes avec célérité.
    Avez-vous des suggestions à nous faire, maître Bartlett?
    Je dirais que le comité pourrait bénéficier des témoignages d'un échantillon représentatif des procureurs de la Couronne d'un peu partout au Canada qui ont eu à traiter des causes liées au crime organisé. Il y a des universitaires qui se sont penchés sur la disposition permettant l'établissement d'une liste de terroristes, mais je ne connais personne qui ait étudié l'application de concept à une organisation criminelle, parce que cette initiative n'a jamais été proposée. Il y a certainement des universitaires qui ont examiné les enjeux que comportent les organisations criminelles et je pense que les procureurs de la Couronne pourraient vous présenter un point de vue intéressant.

[Français]

    Je suis d'accord avec M. Bartlett: il y a des spécialistes, particulièrement au Bureau de lutte au crime organisé, le BLACO. Il y en a aussi au Bureau de lutte aux produits de la criminalité, le BLPC. Ces facilitateurs viendraient donner des explications. Les problèmes sont complètement différents selon qu'il s'agisse de crime organisé ou de produits de la criminalité. Ces deux aspects sont traités de façon conjointe, mais ils comportent des caractéristiques totalement différentes. À mon avis, il serait important que le comité en soit conscient. Ça permettrait d'établir un lien avec ce que nous vous avons dit concernant les outils dont nous aurions besoin pour combattre le crime organisé.
    En ce qui a trait aux policiers, nous pourrions faire appel à des gens de chez nous experts en matière de gangs de rue, qui font office de témoins experts devant la cour. Ils soulèveraient probablement les questions qui ont été mentionnées plus tôt. Ce sont les questions qu'ils doivent le plus souvent affronter devant la cour quand il s'agit de prouver qu'on est en présence d'une organisation criminelle.

[Traduction]

    Merci. Nous communiquerons peut-être avec vous pour obtenir des détails sur les personnes qui pourraient nous aider.
    Nous passerons à M. Murphy, pour trois minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Oui, les procureurs de la Couronne pourraient nous aider dans nos travaux ici, comme on vient de le dire. Nous avons reçu beaucoup d'avocats de la défense, d'universitaires et de groupes d'intérêt, mais nous avons entendu très peu de procureurs de la Couronne.
    Hier, pour aborder un sujet différent, la lutte contre la drogue, nous avons entendu le témoignage d'un Américain. Je reviendrai à l'Italie, mais je ne veux pas vous rebattre les oreilles avec l'Italie.
    Avez-vous quelque chose à dire au sujet de l'expérience internationale? Pour ce qui est du droit civil, je pense que vous avez bien raison de dire que la Convention européenne des droits de l'homme est probablement aussi généreuse que notre charte. Il n'y a probablement pas beaucoup de différences, bien que le fardeau de la preuve dans une cour de droit civil soit un peu différent — comme des instances inquisitoires.
    Bref, à votre connaissance, fait-on des efforts à l'étranger pour dresser des listes d'organisations? M. Latulippe a mentionné l'Italie.

  (1245)  

    Certains pays y ont eu recours. Il s'agit surtout des pays de droit civil. Les problèmes du fardeau de la preuve sont différents, et toute la structure de l'accusation criminelle et de la poursuite dans les pays de droit civil est très différente. Je ne dis pas que notre système est meilleur que le leur, mais que, tout simplement, les choses sont très différentes.
    L'Italie a utilisé les désignations de la Mafia et de la Cosa Nostra. Je ne peux pas vous dire jusqu'à quel point cela l'a aidée à prendre des mesures contre ces organisations, ni si cela a joué un rôle important ou si la nature des affaires criminelles portées devant les tribunaux tenait, dans une large mesure, à cette initiative. Je ne le sais vraiment pas. C'est quelque chose que nous devons étudier sérieusement, mais de façon générale, je dois dire que, quand nous nous cherchons des modèles à imiter, nous avons tendance à examiner d'abord les États de common law où le système de droit pénal de base ressemble beaucoup plus au nôtre.
    Merci.
    Allez-y, monsieur Ménard, vous avez trois minutes.

[Français]

    Je suis malheureux de la confusion qui semble s'installer. Je ne crois pas que ce comité est à la recherche de raccourcis juridiques qui feraient en sorte que, lorsqu'il y aurait des accusations en matière de gangstérisme ou d'infractions apparentées, on ait à faire la preuve devant le tribunal, à savoir quel individu a commis, ordonné ou facilité... Ce n'est pas de ça qu'on parle.
    Voici de quoi l'on parle. On demande si c'est possible, en matière de terrorisme, d'avoir une liste qui existe. C'est souvent pour des infractions qui n'ont même pas été commises au Canada — et par une liste qui a même été établie d'un commun accord au niveau de la communauté internationale.
    Je comprends la nuance: les individus ne sont pas nécessairement accusés de terrorisme avant qu'il y ait une deuxième étape, mais ce que l'on recherche, c'est la possibilité, une fois qu'il y aura eu une déclaration juridique.
    Donc, l'idée de prendre connaissance d'office n'est pas une bonne comparaison parce qu'il y aura déjà eu de la jurisprudence. Prenons par exemple le jugement de l'Ontario qui a déclaré les Hells Angels illégaux. Si cette cause se rendait à la Cour suprême, le problème serait réglé. On sait qu'il y a des appels, mais on n'a jamais la garantie que ça ira jusqu'à la Cour suprême.
     Pour moi, la comparaison avec l'idée de « prendre connaissance d'office » n'est pas une bonne comparaison. On dit que si quatre cours de justice à l'échelle du Canada déclarent qu'une organisation X, qui s'appelle les Hells Angels dans ce cas, est une organisation criminelle aux termes de l'article 477, on devrait pouvoir éviter, comme société, de prouver à nouveau que l'individu appartient à une organisation criminelle. Pour le reste, en ce qui concerne l'accusation personnelle de l'individu, compte tenu de la Mens Rea et l'Actus Reus, je ne voudrais pas vivre dans une société où l'on est accusé par procuration. Je veux que la justice suive son cours pour des individus.
    Je comprends mal la comparaison avec l'idée de « prendre connaissance d'office ». Et, encore une fois, j'aimerais qu'on situe le débat là où il doit être, c'est-à-dire une liste d'organisations criminelles une fois qu'une déclaration judiciaire est intervenue.
     Et j'aimerais, monsieur Bartlett, m'assurer qu'on comprend bien la différence. Je vous rappelle que vos hauts fonctionnaires, qu'on tient en haute estime, étaient opposés, dans les années 1990, à une loi anti-gang. J'ai rencontré, avec Allan Rock, des hauts fonctionnaires du ministère de la Justice. Si on les avait écoutés, on n'aurait jamais eu de loi anti-gang en vertu de laquelle plus de 1 000 accusations ont été portées au Québec, et qui se sont soldées par 200 condamnations. Je ne dis pas ça pour vous provoquer. Je sens un discours sèchement technocratique qui, de mon point de vue, nous éloigne de l'objectif qu'on doit poursuivre, comme société, mais je serais prêt à recevoir vos commentaires.

  (1250)  

[Traduction]

    Malheureusement, il n'y a pas de temps pour la réponse.
    Soyez gentil pour moi. C'est mon anniversaire de naissance demain.
    Des voix: Oh, oh!
     Non, c'était exactement trois minutes.

[Français]

    Monsieur le président, c'est ma fête demain.

[Traduction]

    Monsieur Comartin, vous pouvez certainement prendre la parole si vous voulez.
    C'est exactement ce que j'ai l'intention de faire, monsieur le président.
    Je voudrais une réponse à cela, maître Bartlett, ou j'aimerais savoir quelle est la position du ministère de la Justice à ce sujet.
    Eh bien, si on laisse entendre que la liste serait autre chose qu'une preuve de l'existence d'une organisation criminelle pour établir un acte de gangstérisme, je dirai que cela soulève tout un ensemble de problèmes et de contestations.
    Il ressort du Code criminel, en ce moment, que le fait de décider de l'existence d'une organisation criminelle n'entraîne pas automatiquement une conséquence. Plutôt, des personnes sont accusées d'infractions et d'infractions commises en lien avec une organisation criminelle. Et ces personnes peuvent être accusées d'un délit additionnel, en plus de l'infraction sous-jacente, à cause de ce lien avec l'organisation criminelle.
    Je vais vous arrêter ici. Je ne suis pas en faveur de la liste de terroristes que nous avons créée. Et je l'ai dit publiquement. Mais nous parlons ici — si je comprends bien la position de M. Ménard à ce sujet — d'un processus judiciaire. Il me semble que cela donne de la crédibilité au processus, processus judiciaire qui serait mis en branle avant que quiconque ne soit inscrit sur la liste. Alors, nous n'irons pas piger dans les listes internationales, comme nous le faisons pour les groupes terroristes. Dieu seul sait quel genre de preuve est utilisé pour inscrire ces groupes sur la liste et pour les effacer ensuite de cette liste.
    De toute façon, il me semble que ce dont nous parlons serait beaucoup plus crédible au regard des droits de la personne, des libertés civiles et de la Charte que notre liste actuelle de terroristes, pour résoudre un problème qui — pour revenir au premier article de la Charte — confronte notre pays à un niveau beaucoup plus sérieux en ce qui concerne la sécurité de nos citoyens, que toute crainte que pourraient nous inspirer les terroristes. Et je crois que la Cour suprême serait d'accord avec cette analyse des faits.
    Compte tenu de ceci, je me range du côté de M. Ménard; la position du ministère de la Justice me paraît difficile à accepter puisqu'il hésite tant à procéder.
    Ma foi, je croyais que nous parlions de la désignation d'organisations criminelles par le gouvernement, qui s'inspirerait largement du processus retenu pour les groupes terroristes.
    M. Joe Comartin: Très bien, mais pas moi.
    Me William Bartlett: Quand j'ai entrouvert une autre possibilité, celle de songer à un processus permettant à un juge de prendre connaissance des conclusions d'un autre tribunal ou des faits établis par celui-ci, M. Ménard a dit que la connaissance d'office, comme nous disions, n'était pas opportune.
    Si ce que vous suggérez, c'est que nous demandions à un tribunal d'établir qu'une organisation criminelle existe sans qu'aucune accusation criminelle n'ait été portée, ce serait un processus assez peu connu dans notre droit pénal. Celui-ci repose sur des accusations portées contre des personnes et ensuite présentées à la cour.
    Il serait peut-être possible d'avoir un processus permettant de faire rapport des conclusions de fait; peut-être, je n'en suis pas certain. C'est une question que le groupe de travail sur le crime organisé du CCHF étudie. Mais il conviendrait peut-être d'autoriser la connaissance d'office comme présomption réfutable, pour la cause à l'étude, d'une décision rendue par un autre tribunal où les faits semblent être les mêmes. Il existe certains principes de droit pénal qui se fondent sur une base beaucoup plus limitée, mais ce serait peut-être une façon d'y arriver.
    Quant à un processus par lequel le tribunal, dans l'abstrait, serait saisi d'une cause où il devrait décider si une organisation criminelle existe ou non — ce serait alors les tribunaux qui procéderaient tout le temps à la désignation —, je pense que les tribunaux s'inquiéteraient beaucoup d'un processus de ce genre. Ce que je veux dire, c'est que cela me fait penser un peu à une commission royale d'enquête ou à une enquête judiciaire ou à quelque chose du genre. Les tribunaux participent parfois aux enquêtes judiciaires dans lesquelles des choses particulières sont en cause, mais demander à un tribunal d'établir, aux fins du droit pénal, un fait précis, que ce soit la désignation d'une organisation criminelle ou autre chose, serait une suggestion lourde de conséquences.
    Je pensais que nous parlions ici d'un processus de désignation gouvernementale semblable à l'établissement d'une liste de groupes terroristes. Les préoccupations dont vous nous avez fait part sont certes valables, parce qu'il s'agit d'un processus du gouvernement. Les tribunaux chercheront donc à appliquer cela à une cause dont ils seront saisis où quelqu'un est accusé d'avoir commis une infraction.

  (1255)  

    Merci.
    Nous allons donner la parole à M. Norlock pour la dernière question.
    Vous avez trois minutes.
    Je trouve qu'il est très, très intéressant que certaines personnes s'opposent aux listes, à moins que les listes ne répondent à un certain but. Je pense que je suis un peu perplexe, parce que je me suis senti un peu plus près de MM. Latulippe et Mainville, qui ont un travail à faire. Ils pourraient dire qu'ils n'ont pas de temps à perdre à cette argumentation ésotérique et aux avocasseries. Il y a des méchants là-bas qu'il faut arrêter. Quelque chose les empêche de le faire et ils estiment que l'établissement d'une liste est un moyen de sauter un des obstacles.
    Quand vous devenez policier, on vous dit que la common law est une chose facile à comprendre. Tout simplement, le commun des mortels, devant certaines circonstances, croit qu'une chose est bonne ou mauvaise, et ça fait partie de notre droit. Mais je crois que dans notre société actuelle, la loi est devenue très compliquée, à tel point que Monsieur Tout-le-monde ne la comprend plus. Ce sont ces gens justement qui s'adressent à MM. Latulippe et Mainville pour leur demander pourquoi diable on ne fait rien. Puis ils se tournent vers des gens comme Me Bartlett pour les prier de nous rédiger des textes de loi.
    Cela me fait penser au canard et à l'ornithorynque. Ils ont tous les deux un bec et des pattes palmées. Je ne sais pas ce qu'en dit un ornithorynque, mais vous pourriez croire que c'est un canard. Un avocat vous dira que ses plumes ne sont pas vraiment des plumes, mais du poil et donc, que ce n'est pas un canard mais un ornithorynque. Je suppose que c'est l'argument qu'on présente ici. Dire cela peut sembler étrange. Mais en ce moment, j'en suis à essayer de rédiger une loi qui réglera le problème et je suis perplexe quand j'écoute des personnes qui s'opposent habituellement aux discussions et à ce que vous proposez.
    Très simplement, maître Bartlett, si vous parliez à quelqu'un chez Tim Horton, comment expliqueriez-vous à ces gens la différence entre une liste de terroristes et une liste de criminels organisés et comment les tribunaux voient cela?
    Bien entendu, s'il reste du temps. Excusez-moi.
    Le président: Il reste une minute.
    Eh bien, je dois vous dire que ce n'est pas une question simple. Je reconnais qu'il est difficile d'essayer d'expliquer ces choses très complexes à Monsieur Tout-le-monde.
    Les préoccupations dont je vous ai parlé sont les préoccupations dont nous ont fait part les substituts du procureur général qui doivent faire valoir leurs arguments. Ce n'est pas une position ésotérique ou théorique qu'ils prennent; il s'agit d'examiner les défis qu'ils affrontent tout le temps et de dire que nous ne sommes pas certains que cette mesure serait utile, parce qu'elle pourrait susciter de nouvelles difficultés. Ça les inquiète d'essayer de régler le problème de cette façon-là.
    Je répète qu'à mon avis, il n'y a pas de réponse simple et ceci soulève bien des difficultés tout comme cela présente des possibilités. Je dis que nous n'avons pas terminé nos discussions sur cette question, mais on nous a donné de nombreuses raisons d'hésiter à adopter l'idée.
    C'est une affaire très complexe. Ce qui est simple toutefois, c'est que s'il faut, pour qu'il y ait des conséquences, démontrer que quelqu'un commet un crime non pas à titre personnel mais en lien avec une organisation criminelle, il faudra alors assumer le fardeau de la preuve pour faire voir le lien entre ce qu'il fait — trafic de la drogue dans la rue, extorsions dans un bureau ou que sais-je encore — et une organisation criminelle. Vous voulez que des conséquences s'ensuivent, alors il faudra démontrer cet élément additionnel, puis réclamer les conséquences pénales qui en découlent.

  (1300)  

    Nous n'avons plus de temps aujourd'hui, malheureusement, mais j'espère que nous pourrons faire avancer ce dossier.
    Maître Bartlett.
    M. Ménard demandait un mémoire. Je n'ai pas de mémoire écrit, mais j'ai quelques notes que j'ai préparées pour moi-même. Je pourrais mettre cela au propre et les faire traduire. J'ai reçu l'invitation à comparaître jeudi dernier. Je n'ai donc pas eu le temps de préparer un mémoire.
    Nous comprenons cela. Vos propos sont consignés dans les bleus. Nous avons donc un compte rendu de ce que vous avez dit.
    Je remercie tous nos témoins.
    La séance est levée.
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