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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 012 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 22 novembre 2011

[Enregistrement électronique]

  (0955)  

[Traduction]

    Nous sommes prêts à commencer.
    Bienvenue, monsieur de Soto. Nous sommes heureux de pouvoir vous entretenir ce matin.
    Je suis heureux de pouvoir vous parler.

  (1000)  

    Vous avez une déclaration préliminaire, vous pouvez donc la partager avec nous, puis les députés des deux côtés de la Chambre, du gouvernement et de l'opposition, vous poseront des questions. Pourquoi ne pas commencer de ce pas?
    Très bien.
    J'ai parcouru les notes qu'on m'a envoyées jusqu'ici et j'ai constaté qu'il s'agit d'un ordre du jour très vaste. Même si c'est le cas, il est difficile de savoir comment notre institut s'inscrit dans votre travail étant donné nos préoccupations persistantes. Laissez-moi vous expliquer.
    Je me trouve avec deux de mes collègues qui m'ont accompagné au fil des ans. D'un côté se trouve Mme Ana Lucia Camaiora et de l'autre, l'ingénieur Manuel Mayorga La Torre.
    Ce qui nous préoccupe, bien sûr, c'est la pauvreté dans les pays en développement — dans le nôtre et dans les quelque 25 autres où nous avons travaillé —, mais nous nous sommes toujours concentrés sur ce que nous pouvons faire pour permettre aux entrepreneurs pauvres de tirer profit de l'économie mondiale. Par exemple, que pouvons-nous faire pour permettre aux Péruviens de tirer profit de la situation quand une entreprise canadienne ou le gouvernement canadien souhaite investir au Pérou ou y faciliter l'accès au crédit ou à la technologie?
    C'est ce en quoi consiste notre objectif, et non pas de déterminer, par exemple, ce qu'une entreprise canadienne ou les secteurs privés étrangers pourraient faire pour nous. Laissez-moi vous énoncer les raisons qui orientent cet objectif parce qu'il est important de les comprendre si nous voulons contribuer à vos travaux — nous ne serons peut-être pas en mesure de le faire.
    En gros, nous avons remarqué que les étrangers qui viennent ici sont prêts à respecter les règles et ont une certaine empathie envers, par exemple, les Autochtones avec qui ils sont obligés de travailler, qu'ils oeuvrent au sein d'une industrie extractive ou qu'ils bâtissent des infrastructures. Le problème que nous constatons se trouve plutôt du côté des Péruviens qui ne disposent pas des outils juridiques pour avoir accès aux investissements étrangers, par exemple, et d'en tirer pleinement profit.
    Parlons d'un autre pays pour situer mon exemple. Prenons le cas d'un groupe d'Awajúns, un peuple autochtone de l'Amazone, et d'une entreprise américaine qui, comme c'est le cas présentement, a trouvé du gaz naturel, du pétrole ou de l'or. Tout d'abord, la firme américaine demande la cession des droits de propriété dans la région amazonienne et l'obtient pour, disons 60 000 hectares. Bien entendu, l'entreprise va tout d'abord s'assurer qu'il s'agit d'un bon titre qui sera protégé et respecté par le gouvernement péruvien, peu importe les résultats de scrutin, et elle va demander que cette disposition soit enchâssée dans le traité bilatéral d'investissement entre le Pérou et les États-Unis.
    D'ailleurs, je suis convaincu qu'il y a un traité bilatéral d'investissement entre le Pérou et le Canada comme celui que nous avons entre le Pérou et la Communauté économique européenne dont l'objectif est d'assurer une sécurité aux investisseurs.
    Une fois que c'est fait, la qualité de ce titre ou sa sécurité a déjà décuplé parce que le titre de propriété — ou, en d'autres termes, la concession — est doublement sécurisé, non seulement par le gouvernement péruvien, mais aussi par le gouvernement américain dans le cas qui nous occupe. Cela s'ajoute au fait que le gouvernement péruvien ne peut faire quoi que ce soit sans le gouvernement américain.
    Par exemple, le Parlement péruvien ne peut, entre autres, revenir sur ce traité. Il ne peut pas y revenir et discuter ses modalités. À ce stade l'entreprise américaine détient non pas un droit de propriété, mais un superdroit de propriété puisqu'il est garanti par deux gouvernements.
    Puis, l'entreprise américaine se rend aux États-Unis et obtient une autre garantie avec l'OPIC, l'Overseas Private Investment Corporation, qui, dans une certaine mesure, permet en quelque sorte la titrisation du titre. En effet, l'organisme indique qu'il garantira le titre auprès de toutes les autorités financières et confirme que la concession de la compagnie américaine dans la jungle péruvienne est maintenant doublement garantie. Le titre devient donc un titre super ultra.
    L'entreprise s'adresse ensuite à l'AMGI de la Banque mondiale — l'Agence multilatérale de garantie des investissements — dont le mandat est bien entendu de favoriser les investissements dans les pays en développement ou de les faciliter. L'étape suivante est le processus appelé le programme multilatéral de garantie des investissements; à ce stade, le titre péruvien est maintenant un titre super nec ultra.
    Revenons maintenant au peuple autochtone du Pérou, la tribu d'Awajúns, qui se trouve juste à côté des investissements américains. Elle possède aussi un territoire, mais le premier problème réside dans le fait que ce territoire n'a pas de titre. Non seulement le territoire n'a pas de titre, mais on ne fait également pas la différence entre souveraineté et titre.
    En d'autres mots, en vertu de notre droit, tous ces peuples sont censés être souverains, mais cela veut dire qu'ils sont dénombrés d'une certaine façon. Nous avons découvert que pas plus de 5 p. 100 de tous les peuples sont réellement considérés comme étant une nation souveraine. De plus, la loi ne leur prévoit aucun droit de propriété. En d'autres mots, la souveraineté se traduit par le fait d'être libre sur le plan politique. Les droits de propriété se traduisent par le fait d'être libre sur le plan économique, mais les peuples n'en n'ont pas et n'ont pas les outils pour accéder à ces droits. Même s'ils voulaient déterminer, avec l'entreprise américaine, comment ils pourraient tirer profit de la responsabilité sociale de l'entreprise ou de la technologie, ou s'ils voulaient savoir comment créer une coentreprise avec les Américains, ils ne pourraient pas le faire.
    Ils ne peuvent même pas se fier au marché puisque, contrairement à l'entreprise américaine, qui détient un titre super nec ultra qui fait l'objet d'une garantie bien supérieure au titre Obama... en effet, Obama a toujours l'option de dire « domaine éminent: je dois exproprier des populations à des fins d'infrastructure » ou « je vais faire bâtir un aéroport où cela se trouve »... Le titre péruvien est intouchable, et ce titre va permettre à l'entreprise étrangère d'amasser d'énormes sommes d'argent, de capitaux ou de prêts qui seront amassés à Toronto, Londres ou New York. La population autochtone, bien entendu, ne prospérera pas.
    En gros, ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est là notre perspective, nous ne nous concentrons pas sur ce que vos entreprises peuvent faire pour nous. Nous sommes entrés en communication avec certaines entreprises canadiennes qui seraient enclines à laisser des actions aux peuples autochtones de la région et de veiller à ce que l'entreprise puisse exercer ses activités dans un climat de paix pour autant que les Autochtones puissent poursuivre leurs propres activités... Le problème, c'est que les peuples autochtones du Pérou ne seront jamais traités d'égal à égal puisqu'ils ne peuvent pas jouir de leurs droits de propriété. Ils n'ont pas de passif limité. Leurs droits ne peuvent être transformés en actions. Ils ne peuvent pas émettre d'obligations. Aussi, ils ne peuvent s'associer que sur le plan politique, c'est-à-dire sous forme de tribu.
    Sur ce, je vais conclure cette courte déclaration, mais j'espère avoir lancé un débat fructueux qui vous aura convaincu qu'en tant que groupe de réflexion privé et d'organisme militant, d'organisme non gouvernemental, nous pensons que nous pouvons faire beaucoup plus pour les populations pauvres en faisant en sorte que des Canadiens et des gens qui détiennent de la technologie et du savoir-faire dans la gouvernance puissent créer des garanties pour nous aider à reproduire les mêmes conditions pour les Autochtones dans notre pays. Soit dit en passant, contrairement à la situation dans votre pays, les Autochtones ne sont pas la minorité, mais forment une majorité écrasante. Nous ne voulons pas nous concentrer sur les entreprises étrangères qui ne seront en mesure que d'accorder des concessions symboliques aux populations pauvres.
    En gros, c'est notre façon de voir les choses. J'espère que vous aurez trouvé cette entrée en la matière utile.
    Merci beaucoup. C'est une excellente entrée en matière.
    Pourquoi ne pas directement passer aux questions? Nous allons commencer par l'opposition.
    Mme Laverdière est la porte-parole en matière d'affaires étrangères pour l'opposition officielle.
    Merci beaucoup Señor de Soto pour votre exposé intéressant. Je crois que vous avez bien souligné les limites de ce qui peut être accompli dans le contexte actuel, ce qui doit être corrigé et aussi le fait que les règles du jeu ne sont, en quelque sorte, toujours pas équitables.
    Je sais que votre position se concentre sur le manque de droits de propriété en bonne et due forme; c'est un problème que nous avons vu partout dans le monde. Haïti est un exemple auquel on peut penser. C'est un obstacle important au développement.
    J'aimerais que vous nous parliez de la question des sexes dans le contexte des droits de propriété. Partout dans le monde, les hommes sont propriétaires de 99 p. 100 des terres. Étudiez-vous la question spécifique des sexes? Avez-vous déjà étudié la question?
    Merci.
    Oui, nous étudions la question des sexes. Au départ, quand nous avons élaboré le système péruvien de propriété, que nous avons commencé à la fin des années 1980... Soit dit en passant, c'est le gouvernement Garcia qui nous a confié cette tâche que nous avons terminée avec le gouvernement Fujimori. L'une des choses que nous avons remarquées était que, en effet, les femmes n'avaient pas autant de droits de propriété que les hommes. Voyons voir si nous avons ce chiffre.
    À l'époque, en 1988 disons, vous rappelez-vous combien de terres les femmes possédaient?
    Non, mais ça représentait moins de 30 p. 100 parce que c'était...
    Je vois: ça représentait moins de 30 p. 100.
    Ainsi, selon nous — nous aimerions trouver d'autres groupes pour remplacer « droits de propriété », soit dit en passant, pour éviter de nous retrouver dans le genre de débat qui oppose Robert Reich à Newt Gingrich —, les droits de propriété étaient, en termes très clairs, le droit de contrôler des choses et le droit de contrôler des transactions. Nous avons donc voulu savoir pourquoi les femmes détenaient seulement un peu plus de 30 p. 100 des terres. Nous parlons de biens immobiliers.
    Compte tenu de notre façon particulière d'étudier la question, qui revient simplement à savoir qui contrôle quoi — et nous disposons de différents moyens de trouver la réponse —, nous avons découvert que l'un des problèmes les plus importants était que les droits des femmes étaient clairs pour autant qu'un couple se marie, mais la plupart des Péruviens ne le sont pas. Nous avons entrepris de découvrir quels sont les obstacles au mariage. Nous avons découvert que, en moyenne — j'essaie de vous expliquer le tout en termes clairs —, il fallait parfois 150 jours à un couple travaillant huit heures par jour...
    Bien entendu, du point de vue des pauvres qui n'avaient jamais fait l'analyse coûts-avantages comme nous l'avions faite, cela voulait dire que c'était impossible. Après avoir terminé 20 ou 30 jours, ils n'avaient toujours pas atteint leur objectif. Nous avons réglé la situation en incluant les procédures de mariage dans la réforme de droits de propriété: ainsi, il est soudainement devenu facile de se marier et les droits des femmes ont donc été clairement définis dans la loi.
    De nos jours — peux-tu me rappeler, Lucia? —, je crois que les femmes représentent 56 p. 100 de toute la population qui bénéficie de la propriété à l'échelle nationale grâce à la loi sur les titres conjoints. Les femmes forment la majorité des propriétaires terrestres au Pérou, et 63 p. 100 des femmes propriétaires obtiennent 1 000 $ ou plus en crédit. Elles ont plus de crédit que les hommes et peuvent brasser plus d'affaires.
    La SEWA, la Self Employed Women's Association ou l'Association des femmes travailleuses autonomes en Inde, vient de nous embaucher pour mener une étude similaire: en d'autres termes, on cherche à savoir pourquoi les femmes ne sont pas en mesure d'avoir accès à la plus importante source de capitaux dans leur pays, c'est-à-dire les biens immobiliers. D'ailleurs, Mme Camaiora qui se trouve avec moi, va diriger le projet qui comptera une équipe entièrement composée de femmes de l'ILD. Selon nos enquêtes préliminaires, nous savons qu'il s'agit du même phénomène: les femmes ne peuvent exercer aucun droit par rapport non seulement à leurs maris, mais aussi par rapport à leurs frères.
    Nous avons déjà identifié les premiers endroits où ces difficultés se posent. Les endroits où ces difficultés surviennent ont trait à des aspects bien précis. Par exemple, les femmes — à tout le moins celles avec qui nous travaillons — sont en général prisonnières du secteur agricole. Elles s'occupent d'industries artisanales, comme vous, les Nord-Américains, le faisiez au XIXe siècle quand quelqu'un était responsable du tissage et du filage. Bien entendu, chaque fois que leur terre est expropriée ou qu'elles doivent se déplacer à cause d'un problème d'infrastructure, le gouvernement les indemnise seulement pour la terre elle-même; le gouvernement ne les indemnise pas pour tout ce qui se trouve sur les lieux.
    Ainsi, selon nous, au fur et à mesure que l'Ouest se spécialisait, certaines personnes sont soudainement devenues des experts du régime foncier, mais un autre groupe s'est concentré sur l'industrie, et un autre encore sur les droits des femmes. Par contre, je dirais que notre niveau de développement dans les régions les plus pauvres de l'Inde et du Pérou est comparable à celui du XIXe siècle.
    On ne peut pas diviser le tout en plus petites parties. Il faut plutôt se demander si l'endroit où ces personnes travaillent dépend du régime foncier, de la technologie ou de droits de propriété garantis. Quelles sont les répercussions sur le crédit? Y a-t-il une industrie? Si j'exproprie leurs terres ou que je les déplace pour une raison ou une autre, quels seront les coûts? Et pas seulement pour un lopin de terre... Je me souviens du cas particulier d'une femme de Calcutta qui disait avoir une entreprise de cerfs-volants. Le bambou et le papier dont elle se servait pour fabriquer ses cerfs-volants provenaient des environs et son marché se trouvait à un mille de son atelier. Elle disait: « Si vous me déplacez, vous allez complètement rayer ma position dans le marché. »

  (1005)  

    Nous tentons d'adapter la loi à la réalité et d'éviter de définir les droits de propriété comme des droits fonciers. C'est ainsi qu'on les voit dans l'Amérique moderne, dans les sociétés occidentales contemporaines, mais les droits de propriété relèvent en fait de l'indépendance et du contrôle au XIXe siècle... Il s'agit de permettre aux familles, aux particuliers et aux tribus d'exercer des pouvoirs, d'une façon ou d'une autre, en ce qui a trait à leurs biens et aux transactions qui en font l'objet. Ce n'est pas une question de territoire. Ce n'est pas une question qu'on peut régler en cartographiant le territoire.
    Oui, nous examinons la situation des femmes, mais dans le contexte de ce qu'il leur faut pour devenir indépendantes.
    Merci, madame Laverdière.
    Je cède maintenant la parole au ministériel, à Mme Brown.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci, monsieur de Soto, d'être venu témoigner. Je suis une de vos admiratrices depuis un certain temps déjà. J'ai apporté mon exemplaire de votre livre, Mystery of Capital, que vous voudrez bien me dédicacer, j'espère. J'y ai laissé beaucoup de notes sur les questions que j'aimerais vous poser.
    J'espère être brève et claire dans ma question. Je suis allée en Éthiopie il y a un mois. J'y ai visité une ferme faisant partie d'un projet de développement agricole financé par le Canada et j'ai eu une conversation avec le fermier, qui a sans aucun doute rehaussé son niveau de vie et celui de sa famille. Il s'est bâti une maison, il a l'électricité et la télévision, ce qui est remarquable dans cette région d'Éthiopie. Toutefois, comme il ne possède pas de terre, il ne peut obtenir de prêt de la banque pour agrandir son entreprise laitière, qu'il aimerait faire prospérer. Il ne peut y investir que ce qu'il réussit graduellement à économiser pour l'achat de nouvelles vaches laitières. Il en a actuellement trois.
    Dans votre livre, à la page 52, vous faites mention de « l'intégration d'information éparse en un seul système », et vous dites que l'Amérique du Nord a pu le faire par le biais de lois et de règlements; c'est un élément « invisible » de notre société nord-américaine que nous tenons pour acquis.
    Voici ma question. Nous cherchons des façons d'aider les pays à mieux utiliser l'aide au développement, plus particulièrement comment l'entreprise privée peut être mise à contribution. Comment le Canada peut-il le mieux exercer son influence dans l'élaboration d'un cadre législatif ou réglementaire? Comment pouvons-nous amener les économies émergentes à entreprendre ces mesures nécessaires pour créer ce que nous tenons pour acquis?

  (1010)  

    Merci beaucoup pour cette question. C'est une question très importante et je ne sais pas si nous avons la réponse, car, ici au ILD, nos conditions sont celles du tiers monde et nous trouvons très difficile d'imaginer ce que c'est que de travailler ou de nous inquiéter de ces choses comme vous le faites, vous les Canadiens qui êtes si sensibles au développement, beaucoup plus que la plupart des pays développés.
    Tout d'abord, les principaux problèmes sont d'ordre politique. En d'autres mots, je cesserais d'envisager les questions de responsabilisation et de pauvreté d'un point de vue technique... c'est un problème politique. Permettez-moi de vous raconter une histoire. C'est une indiscrétion de ma part, mais cela vous donnera une idée.
    Il y a cinq ans, en 2006, nous avons été appelés en Éthiopie. Le premier ministre Meles Zenawi nous a appelés après que certains de nos amis occidentaux lui avaient dit qu'il fallait qu'il fasse quelque chose au sujet des droits de propriété. Ils lui avaient même donné le livre.
    Meles Zenawi, ancien marxiste, a dit franchement: « Je ne comprends pas de quoi vous parlez. Notre culture est différente. Cessez de me donner le livre de M. de Soto. » Il avait une petite armoire en bois qu'il a ouverte pour M. Natsios, qui était alors l'administrateur de USAID, l'Agence américaine pour le développement international. Il lui a dit: « J'en ai déjà cinq exemplaires, pourquoi m'en faudrait-il un sixième? » C'était une réponse très hostile. C'était la première fois que nous étions invités à aller dans un pays et ils nous ont permis d'établir notre propre programme. Alors nous avons dit: « Eh bien, puisque tout le monde a essayé, laissons tomber. »
    Environ six mois plus tard, le secrétaire de M. Meles Zenawi nous a écrit au Pérou pour nous dire: « Venez nous voir, j'aimerais vous parler. » De toute évidence, sa curiosité intellectuelle avait été piquée. Il a dit: « Parlons-en pendant quatre heures, de 14 h à 18 h, et convenons d'une date. » Et c'est ce que nous avons fait.
    Avant ma rencontre avec M. Meles Zenawi, qui a duré environ quatre heures, j'ai demandé à M. Mayorga de me précéder à Addis Ababa avec une petite équipe d'environ six personnes. Lorsque ma rencontre avec Meles Zenawi a commencé quelques jours plus tard, à 14 h précises, il m'a dit: « Vous avez manifestement quelque chose à vendre. Je comprends. Voyons si vous réussissez à me convaincre. » Moi je lui ai répondu: « Auparavant, respectons le protocole. Selon la bonne vieille tradition du tiers monde, je vous dois un cadeau, alors voici mon cadeau. »
    Je lui ai tendu un paquet. Et il m'a dit: « Dois-je l'ouvrir tout de suite? » J'ai dit: « Oui, le protocole veut que vous ouvriez le cadeau tout de suite. » Cela, je l'ai appris de mes parents qui ont été diplomates au Canada, où j'ai appris à parler l'anglais à l'âge de cinq ans. Je savais qu'il fallait arriver avec un cadeau. Il a ouvert le cadeau et a trouvé quelques vieux papiers jaunis. Il m'a demandé ce que c'était. Je lui ai dit que mes gens avaient parcouru huit pâtés de maisons autour du palais gouvernemental d'Addis Ababa pour voir si les gens détenaient les titres de propriété de leurs maisons et que, malgré le fait que lui-même soit marxiste, ils étaient tous propriétaires. Voilà mon cadeau, que je lui ai dit. J'ai dit que ces titres n'avaient pas été signés par lui, mais en partie par son opposition et en partie par les chefs locaux, certainement des gens qui ne l'aimaient pas puisqu'il refusait de leur donner les titres qu'ils souhaitaient et dont ils avaient besoin.
    La première chose à faire dans les pays en développement c'est de montrer qu'il y a déjà des propriétaires. Il n'y a pas un endroit au monde où nous sommes allés — que ce soit l'Égypte, la Libye, la Tunisie, la Syrie, l'Afghanistan, la Thaïlande, la Mongolie ou l'Inde — où quoi que ce soit n'a pas déjà un titre de propriété. Bien sûr, les régimes de propriétés sont très primitifs, comme en Amazonie, et les titres ne sont pas très à jour, mais tout le monde sait qui est propriétaire de quoi selon une loi locale. Le problème, bien sûr, c'est qu'il y a des milliers de lois locales et, en l'absence de normes, parfois ces titres ne veulent pas dire grand-chose.

  (1015)  

    Tout cela pour vous dire que de ce côté du fossé mondial, le problème est principalement politique — et en passant, nous avons été embauchés.
    Cet homme de formation marxiste, ne pouvait tout simplement pas croire que ce n'était pas communautaire. Le fait est qu'il y a de nombreuses choses qui sont communautaires, mais il y en a d'autres qui sont personnelles ou fondées sur la famille. Les deux réalités coexistent. Il faut simplement le demander, mais peu de personnes le font. Dans nombre de nos dossiers des pays en développement, c'est parce que l'endroit est dominé par des anthropologues qui ont travaillé pour le Discovery Channel, et ils aiment penser que nous aimons nous réunir autour du foyer et qu'il n'y a aucune individualité. Mais en réalité, la situation comprend différents éléments.
    De l'autre côté, notre problème c'est que lorsqu'un chef d'État en développement appelle un chef d'État d'un pays développé pour lui demander de l'aide afin de distribuer les titres fonciers aux gens, le pays développé apporte toutes sortes d'appareils, afin de mesurer les terrains et d'autres systèmes d'information géographique. Je pense qu'au Canada vous appelez cela la géomatique, dont le but est principalement de mesurer les terrains, mais cela ne résout pas les problèmes de savoir qui a les droits sur ce terrain.
    Lorsqu'on se rapproche de cette question, on entre dans ce qu'on appelle les guerres sur les droits de propriété, ce qui veut dire que les pays développés se divisent en deux: la gauche, qui croit que le droit de propriété est un instrument du droit d'exploiter — ce qui est vrai dans certains cas, évidemment — et ensuite, la droite, qui croit que le droit à la propriété est essentiel au développement. Mais la vraie question, comme dans le cas de Meles Zenawi, devrait être la suivante: qu'est-ce que les gens veulent vraiment? Parce que vous n'arriverez pas à leur faire faire ce qu'ils ne veulent pas du tout.
    Il y a là un problème idéologique. Nous constatons que dans de nombreuses agences de développement partout dans le monde on refuse de... vouloir comprendre qu'un grand nombre de pauvres du monde ont vécu la mondialisation, au moins un aspect, d'une façon ou d'une autre, que ce soit la machette entre leurs mains ou le moteur hors-bord sur leur canot. Ils ont vu comment était l'Occident. Ils se sont vraiment orientés vers un droit de la propriété qui n'est pas nécessairement communautaire, mais ne peuvent pas trouver un interlocuteur occidental qui voudra les aider, parce qu'ils ont également une idée romantique de qui nous sommes.
    Je sais que je parle longtemps, mais je crois vraiment que toute la technologie nécessaire pour cartographier, pour inscrire, est disponible. Ce qui manque, ce sont toutes les choses que vous avez faites en Occident lorsque vous avez mis à terre les systèmes féodal et tribal et êtes passés d'un type d'organisation à la Obélix et Astérix, ou avez commencé de passer de l'organisation féodale en Bretagne à un système de droit à la propriété qui remplaçait le droit filial, féodal ou tribal pour que les gens puissent décider comment ils allaient disposer de leurs terres et de leurs biens, quelles que soient les préférences du gouvernement.
    Nous parlions de l'Éthiopie. Jusqu'à ce qu'il soit clair à tous les paliers de gouvernement que le peuple devrait pouvoir décider, comme il peut le faire au Canada, qu'il décide de former une commune hippie, un kolkhoze, un sovkhoze, une coopérative, une société par actions à responsabilité limitée... C'est un choix personnel. Il faut que tout cela soit disponible dans des termes que les gens de la place peuvent comprendre. Voilà la première étape. Puis, on peut parler de propriété, parce que pour tout le reste, nous avons les cartes, nous avons la technologie et les logiciels.
    Le problème c'est que le droit à la propriété, ou le terme « droit à la propriété », est toujours controversé, et je ne suis pas certain comment le faire comprendre. C'est une expression controversée qui divise les gens, dans les pays en développement et les pays développés. Parfois nous pensons que tout ce que nous aurions à faire serait de trouver une nouvelle expression, quelque chose qui n'est pas si provocateur, quelque chose qui ne soulève pas autant les passions. C'est pourquoi nous aimons parler de « contrôle », mais pour l'instant, cela n'existe malheureusement pas en anglais dans ce contexte.

  (1020)  

    Nous pourrions faire quelque chose comme ça en Amérique latine, car vous voyez, là-bas, il y a l'Académie royale de la langue espagnole, alors nous pourrions éventuellement rassembler les votes et changer le vocabulaire, mais il n'est pas possible de le faire pour l'anglais.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Eyking, pour sept minutes, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui.
    Le magazine The Economist a récemment parlé de l'état de droit et du droit à la propriété et comment, comme vous y avez fait allusion, ils ont permis aux pays comme ceux du G20 et d'autres semblables de prospérer au cours des deux derniers siècles. Bien sûr, la revue a également mentionné que les pays où il n'y a pas d'état de droit et de droit à la propriété sont bloqués; les gens ne peuvent être ambitieux et même prospérer.
    J'étais en Pologne après que la Pologne est sortie du communisme. L'un des plus grands défis était, bien sûr, de savoir si le million d'agriculteurs polonais étaient vraiment propriétaires de leurs fermes à ce moment-là. Il a fallu mettre les choses en place. Ils ont adopté beaucoup d'exemples du Canada, comme la Déclaration des droits et la Charte des droits, entre autres.
    J'imagine qu'environ deux tiers de la population mondiale se trouve toujours sans droit à la propriété convenable. Vous avez mentionné certains des pays arabes qu'il serait possible d'aider. Avec Internet et la télévision, j'imagine qu'ils voient ce que nous faisons ailleurs dans le monde. Voici ma question: y a-t-il des progrès dans ces pays? Vu notre bilan des 20 dernières années, arrivons-nous à soi-disant « libérer » ces pays afin qu'ils aient de meilleurs droits à la propriété et une meilleure primauté du droit?
    J'ai une autre question: devrions-nous en faire plus bilatéralement, peut-être un peu comme nous avons fait avec la Pologne? Ou devrions-nous exercer plus de pression sur les Nations Unies pour préparer une trousse de débutant afin d'aider certains de ces pays?
    Merci beaucoup de me poser cette question.
    Puisque vous me demandez ma préférence, je dirais de faire pression, parce que tant qu'on ne sait pas qui est propriétaire de quoi, il y aura des guerres. Si l'on regarde les guerres dans les pays en développement, qu'elles soient nationales ou tribales, ou la violence dans les rues de Rio où n'est pas clair qui fait quoi à quel endroit, que ce soit les drogues ou la prostitution... jusqu'à ce que vous puissiez identifier qui est propriétaire d'un terrain, qui est la seule chose qui ne bouge pas dans le monde — à moins que vous soyez Hollandais — il y aura toujours des problèmes. Il faut donc faire pression.
    Mais j'aimerais revenir sur ce que vous avez dit à propos du monde arabe, parce que c'est un autre aspect d'une étude que nous avons faite en tant que Péruviens, et nous aurions aimé qu'un partenaire canadien l'examine. Nous avons été fascinés par le printemps arabe, ou ce qu'on appelle les révolutions arabes. C'était dramatique, mais nous étions fascinés, vous vous en souvenez tous. Je suis certain que vous serez d'accord que si nous regardions nos calendriers, nous dirions tous que cela a commencé le 17 décembre 2010. Vous vous souvenez qu'à cette date, dans la petite ville de Sidi Bouzid en Tunisie, un vendeur de légumes dans la rue nommé Tarek Mohamed Bouazizi s'est aspergé d'essence à briquet et s'est immolé par le feu.
    Cela a déjà été fait par d'autres personnes mécontentes au Moyen-Orient et dans les pays d'Afrique du Nord, mais en cette journée du 17, et dans les deux mois qui ont suivi, de nombreuses personnes se sont immolées partout au pays, et les gens sont sortis dans la rue. Dans tous ces pays arabes, qui a chacun sa culture — on ne peut pas comparer l'Égypte à la Tunisie, et certainement pas la Tunisie au Touareg de la Libye, ce sont des réalités différentes — les gens se sont réveillés et le printemps arabe a débuté. Nous n'avions pas vu une telle chose probablement depuis la chute du communisme, mais il ne s'agit pas ici de la chute du communisme: les gens sortent dans la rue pour dire qu'ils sont en colère.
    Nous avons envoyé une équipe, dont j'ai fait partie, en Tunisie pour examiner la situation. Voici l'une des choses qui nous a frappés: pourquoi est-ce que tout un pays arabe s'est révolté parce qu'un homme s'est immolé, un homme de 26 ans qui se faisait exproprier par la police dans les rues de Sidi Bouzid? Qu'avait-il en commun étant donné l'énorme diversité...?
    Nous avons également constaté que 39 autres Arabes, également des vendeurs de rue, se sont immolés dans presque tous les pays arabes. Avec ces immolations, dans les deux ou trois mois qui ont suivi, les Arabes sont sortis dans la rue, et trois chefs d'État étaient tombés.
    Qui était cet homme et pourquoi s'est-il immolé vraiment? Nous avons étudié ces cas pays par pays. Voici ce qui est intéressant. Si l'on se demande qui était Mohamed Bouazizi, et j'ai parlé à sa mère et à son père parce que c'est une étude au plein sens du terme qui sera publiée dans un livre, et nous avons des études préliminaires — il semble qu'il était classé comme chômeur. Il faisait partie de l'Association des chômeurs de Tunis. Bien sûr, lorsque l'on parle à certains d'entre eux, on constate qu'ils sont tout sauf chômeurs; ils sont employés à temps plein, mais de façon illégale, alors ils ne sont pas inclus dans les statistiques.
    De plus, les statistiques tunisiennes sont assez vagues, au point où si vous avez travaillé deux heures au cours de deux semaines, vous n'êtes plus un chômeur. Mais au bout du compte, si vous êtes chômeur, vous mourrez de faim; mais aucun d'eux ne meure et n'est affamé parce qu'ils font partie de l'économie parallèle.
    Nous avons constaté que Mohamed s'est suicidé, comme tous les autres qui se sont suicidés de la même façon au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, à la suite d'une expropriation, c'est-à-dire, au non-respect de son droit à la propriété, même si c'était un droit coutumier et non officiel.

  (1025)  

    C'est un groupe de policiers qui sont allés — dans le cas de Mohamed, nous avons calculé jusqu'à la fin combien de caisses de pommes, de poires, de bananes et de légumes il a perdues. Le plus important était bien sûr sa balance électronique. S'il ne pouvait pas peser ses denrées, il ne pouvait pas établir de normes et participer au marché. Le pire, c'est qu'on lui a enlevé le droit d'avoir un kiosque — c'est comme son droit à la propriété pour le travail —, et toute la paperasse qu'il avait remplie afin de donner sa maison en garantie pour obtenir du crédit afin d'acheter une camionnette qui le rapprocherait du marché agricole a été annulée.
    Lorsque l'on additionne tout ça dans le cadre de sa vie et de ses obligations, on l'avait acculé à la faillite. Il avait été exproprié. Il était ruiné. En chiffres réels, c'est comme si Donald Trump perdait deux tours à New York.
    Alors, si vous pensez qu'il n'a jamais gagné un salaire, qu'il vivait des profits, et que tout son capital et son droit à la propriété lui avaient été retirés, on comprend pourquoi il s'est suicidé. Donald Trump aurait fait de même, parce que toute sa vie est fondée sur un ensemble fragile de droits. On comprend maintenant que c'est ce qui se passe au Moyen-Orient. Nous allons donc à différents endroits là-bas pour expliquer ce que cela signifie de ne pas être en mesure de protéger les choses que l'on possède ou de ne pas pouvoir les utiliser pour créer du capital ou du crédit.
    Laissez-moi revenir en arrière, parce que cette question était très importante. Pourquoi est-ce que Mohamed Bouazizi n'est pas allé voir quelqu'un lorsqu'il a été exproprié, lorsqu'on a abusé de lui, lorsqu'il a été maltraité? Plutôt que d'aller voir le gouverneur, pourquoi n'est-il pas allé voir une organisation tribale, une communauté quelconque, pour discuter et demander réparation parce que cela était inhumain?
    La réponse est que l'Occident et le capitalisme ont, je crois, avec le temps, sans invitation des gouvernements arabes, détruit les organisations traditionnelles qui permettaient aux gens de trouver des solutions dans les pays en développement. En d'autres mots, d'un point de vue anglo-saxon, la Tunisie ressemble probablement à l'époque d'Oliver Twist. L'ancienne réalité est disparue, mais il manque les institutions de la nouvelle.
    Je me souviens d'un livre de Karl Polanyi, écrit dans les années 1940, qui expliquait comment le colonialisme britannique a détruit les institutions de l'Inde. À tort ou à raison, elles ont été détruites. Elles ne sont plus là, alors les gens s'immolent et font la guerre. Les gens essaient de s'organiser. Ils ne savent même pas comment s'appeler. Ils se disent chômeurs alors qu'ils sont employés à temps plein; mais ils sont employés de façon illégale, sans protection pour leurs droits à la propriété.
    Pour aider ces gens, il faut comprendre que ce n'est pas un problème technologique. Ces gens sont dans la même situation que vous vous trouviez en Amérique du Nord lorsque vous aviez des guerres pour savoir qui possédait quoi. Alliez-vous permettre aux tribus indiennes d'avoir ou pas ces choses? Était-ce légitime que George Washington ait acheté beaucoup de terres de tribus alors qu'il était illégal de le faire? Est-ce pourquoi il a fait la guerre?
    C'est une définition politique. Il faut faire venir les gens qui peuvent aider les Arabes ou les autres ailleurs dans le monde. Même M. Meles Zenawi comprend qu'ils sont comme au XIXe siècle. Ce n'est pas un problème technologique. C'est un peu comme pour la Pologne, il faut savoir à quelle étape de l'histoire on est rendu.
    La différence, bien sûr, entre la Pologne et les Arabes, et je terminerai sur ça... Je suis désolé, mais c'est un trait culturel de faire cette indigénisation en spiral, que je prends le temps de faire, car je n'ai pas trouvé de raccourci. Dans le cas de la Pologne, il y a des endroits où on avait déjà eu le droit à la propriété privée. Ce sont des gens qui vivaient à côté de leurs voisins occidentaux. Ils comprenaient ce qui se passait. C'était des gens jaloux de leurs voisins occidentaux pendant toute la guerre froide. C'était des gens qui avaient été les victimes des Russes.

  (1030)  

    Dans cette autre partie du monde, nous lisons tous des livres sur les coutumes que nous ne voulons pas détruire et nos différences. Je crois qu'on tente en grande partie d'élever la question à un niveau politique — à une « position supérieure », comme Lénine aurait dit — et de comprendre qu'il s'agit d'une révolution importante. Si on examine les statistiques que nous avons sur la Libye, où nous travaillons depuis des années, et en Égypte et ainsi de suite, 90 p. 100 des gens ont des droits de propriété, quoiqu'illégalement.
    Autrement dit, nous sommes au-delà de l'étape des droits. La question est de savoir comment les faire inscrire à un registre. Il importe peu qu'on utilise la façon française, au moyen du registre foncier, le droit romain, ou le droit anglo-saxon, qui comporte différentes formes d'actes de propriété. Tout cela est secondaire. Ce qui est important, c'est de savoir si vous allez aider à l'obtention de ces droits.
    Soit dit en passant, je crois que vous pouvez jouer un rôle très important, parce que tout le monde se sert des pays développés comme modèle. Tout le monde se tourne vers le Canada. Vous êtes censés être le pays le plus heureux du monde, le pays où la plupart des gens sont satisfaits. Dans certains cas, nous avons peut-être plus de connaissances que vous, mais ce que vous dites est plus important que ce que nous disons. C'est un message politique, et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'estimais qu'il s'agissait d'une bonne idée d'être ici ce matin.

  (1035)  

    Je vous remercie.
    Il nous reste presque 10 minutes, alors nous avons du temps pour une autre question chacun, une du gouvernement et une du NPD.
    Monsieur Dechert, je vous cède la parole pendant cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je vous remercie, señor de Soto, de votre comparution ici ce matin et pour l'information très importante que vous avez pu fournir au comité.
    Vous avez parlé de l'importance des droits de propriété. Je crois que c'est une question considérable, sur laquelle on ne s'était pas encore penchés au cours de notre étude.
    Je crois que vous avez aussi parlé de systèmes de résolutions des différends commerciaux. Dans ma vie antérieure, j'ai été avocat dans le domaine du commerce international. J'ai souvent été témoin de difficultés par rapport aux investissements étrangers dans les pays en développement en raison de l'absence de systèmes juridiques qui permettaient la résolution de conflits commerciaux de façon commercialement viable et raisonnable.
    Il y a deux ans, j'ai voyagé avec un comité du Parlement du Canada en Afghanistan, et un aspect du système des talibans qui plaisait aux Afghans, c'était le système de résolution des conflits commerciaux. Même s'il n'y avait pas de gouvernement démocratiquement élu, il y avait un imam local qu'on pouvait consulter. En cas de différend en matière de propriété entre deux agriculteurs, on pouvait se fier à l'imam pour obtenir une résolution raisonnable et juste au différend, et il n'était pas corrompu. Plus tard, sous un gouvernement élu, les Afghans ont obtenu un système juridique plutôt corrompu, et la population locale ne pouvait plus se fier aux décisions prises par le système relativement aux conflits commerciaux entre deux agriculteurs.
    Pouvez-vous nous donner votre point de vue, à savoir comment les pays occidentaux, comme le Canada, pourraient aider les pays à mettre sur pied des systèmes juridiques qui appuieraient les entreprises? Croyez-vous que c'est important, et le cas échéant, comment vous y prendriez-vous?
    Je crois que ce que vous avez dit est vraiment important, parce que dans notre cas, on ne parle même pas de droit de propriété: nous parlons de propriété et de droit des entreprises. C'est le terme que nous avons adopté pour être compris. Autrement dit, où que nous allions lorsque nos services sont retenus — nous sommes un organisme à but non lucratif — nous estimons qu'il est insensé de laisser les gens détenir des actifs fongibles s'ils vont devoir avoir à faire face à un système qui ne puisse faire la différence entre les échanges et les échanges injustes et qui ne puisse aider les femmes à défendre leurs droits. Alors, nous avons tout mis ensemble.
    Nous savions aussi que c'était important en raison de la manière dont nous sommes nés au Pérou: nous avons pu faire adopter nos réformes à une époque où nous luttions contre le Sentier lumineux, un système terroriste qui prévalait au Pérou dans les années 1980. Nous avons conçu une stratégie, la stratégie civile, qui nous a ultimement aidés à l'emporter, pour finalement découvrir que le Sentier lumineux ne faisait pas simplement qu'éduquer la population sur le marxisme; le marxisme compte 56 volumes, en bonne partie très difficiles à comprendre même avec une bonne éducation, et la moitié d'entre eux n'ont jamais été traduits de l'allemand à l'espagnol — ou même l'anglais. Alors qu'avaient-ils fait pour préserver la loyauté des gens? Eh bien, on a découvert qu'essentiellement, ils protégeaient les droits de propriété, surtout pour les fermes de coca, dont la cocaïne est dérivée, et deuxièmement, ils réglaient les conflits devant les tribunaux... Autrement dit, ils ont mis en place le droit commercial.
    En 1990, l'une des premières choses qui est, en fait, arrivée avec le gouvernement de Fujimori, qui a maintenant perdu beaucoup de crédibilité... mais vous savez, comme tous les gouvernements qui ont perdu leur crédit, il y a un bon côté et un mauvais côté. Le bon côté, c'est que nous y sommes allés pour accorder les titres et leur donner des règlements. En l'espace d'environ un an, la contribution totale du Pérou à la production de feuilles de coca est passée d'environ 70 p. 100 à 26 p. 100. Pourquoi? Parce que les agriculteurs étaient maintenus dans une sorte de giron, simplement parce que, comme les talibans en Afghanistan, d'après ce que vous me dites, et probablement comme les autres mouvements terroristes ailleurs, on leur offrait des services, et ces services étaient liés à la façon dont les agriculteurs menaient leurs affaires au quotidien et au règlement des conflits de propriété ou de territoire. C'est aussi simple que cela.
    Alors, nous avons mis en place un mécanisme, chose que l'on fait dans tous les pays où nos services sont retenus. Nous sommes en fait venus au Canada quelques fois, parce que nous estimions qu'il s'agissait d'un endroit idéal où trouver un partenaire d'affaires. Entre autres, je ne connais pas d'autres pays chevronnés en droit romain et en common law. Nous travaillons dans les deux types de pays, et au bout du compte, le type de droit utilisé importe peu, c'est la façon dont il est utilisé qui importe.
    Il y a donc beaucoup d'options, mais il y a une façon de voir la situation, d'après nous, et ce pourrait être utile pour vous. Si, comme dans notre cas, quelqu'un parle simplement de droit de propriété ou de droit des entreprises, on demandera « Aimez-vous Newt Gingrich ou Obama? » Quelque chose du genre. Autrement dit, c'est ainsi qu'on vous jugera. Il faut sortir de cette situation, parce qu'une fois qu'on commence à jouer le jeu, il n'y a nulle part où aller, du moins pas dans les pays en développement. Le but est de s'en tenir à un enjeu.
    Dans le cas de l'Afghanistan, on a fait appel à nous à plusieurs reprises. Des missions sont venues ici. Nous ne sommes que le Pérou et nous n'avons pas l'argent nécessaire, mais nous sommes venus parce que nous savons comment accorder des titres en temps de guerre, et nous savons que la guerre est en bonne partie liée à la question de savoir qui s'occupe de résoudre les problèmes au quotidien. Les choses ne changeront pas tant et aussi longtemps que les registres de propriété et les règles qui régissent la façon de régler les différends de propriété ou toute transaction demeurent entre les mains des seigneurs de guerre, parce que si les talibans ne s'en occupent pas, les seigneurs de la guerre s'en occuperont. Si les seigneurs de la guerre ne s'en occupent pas, les talibans s'en occuperont.
    Au bout du compte, la règle de droit signifie qu'on remplace divers petits fragments du système qu'on pourrait qualifier d'archaïque par une loi. C'est la règle de droit: lorsqu'il y a un système et une norme pour une nation en entier. C'est comme quand on a installé l'électricité — je crois que c'était aux États-Unis — il était très difficile de faire quoi que ce soit jusqu'à ce qu'une personne, je crois que c'était Marconi, prenne les devants et dise qu'il allait créer... Il y avait 300 voltages et 32 prises aux États-Unis, et il a décidé qu'il y aurait un voltage, une prise, et une nation.

  (1040)  

    À partir du moment où on met en place un système, les talibans, les rebelles ou les oligarques n'ont plus leur raison d'être et c'est le gouvernement qui prend toute la place, comme il se doit. Comme ce dernier est souverain, c'est à lui de décider de la distribution des droits de propriété.
    Merci beaucoup.
    Vous voyez, c'est une énorme avancée. Il faut comprendre qu'au cours des 150 dernières années, en Occident, la révolution industrielle et l'instauration de la primauté du droit ont été d'énormes avancées. Et il faut recommencer maintenant, au 21e siècle.
    Il ne s'agit pas d'une question technique, mais politique.
    Merci.
    Nous allons maintenant passer à Mme Groguhé. Vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Monsieur de Soto, merci de toutes ces informations.
    J'ai retenu deux notions qui me semblent pertinentes et essentielles. Vous avez parlé de liberté politique et de liberté financière. Vous avez également parlé des titres de super garantie qui concernent les entreprises qui vont s'installer dans ces pays en voie de développement et vous avez aussi parlé d'hyper garantie.
    De quelle façon pourrions-nous assurer cette hyper garantie à ces peuples autochtones? Comment pourrions-nous leur assurer cette liberté politique, cette liberté financière dans le cadre du développement de l'entreprenariat? D'une façon concrète, quelle action pourrait être menée par un pays comme le nôtre?
    Nous sommes en train de déterminer de quelle façon nous pourrions traiter ces problèmes au Pérou aujourd'hui même. En effet, nous sommes aux prises avec d'importants conflits dans notre Amazonie. L'Amazonie péruvienne forme la moitié du pays. D'D'ailleurs, l'Amazone commence d'ailleurs au Pérou. La crise en Occident, qui a fait chuter les valeurs immobilières à la Bourse et qui, même si elle ne vous a pas nécessairement affectés, au Canada, a sévi chez vos voisins américains et en Europe, a eu pour résultat de rediriger une grande partie de l'investissement vers nous. C'est ce qui est en train de se passer.
    Il y a eu récemment des conflits entre les indigènes amazoniens et certains investisseurs miniers, autant locaux qu'étrangers. Il y a eu des morts des deux côtés. On parle ici d'une crise nationale. La question était de savoir comment on pourrait aider les indigènes et leur donner des garanties. Comme je vous l'ai dit déjà, le premier problème est que tous les défenseurs traditionnels des indigènes, qui ont beaucoup de mérite parce qu'ils ont donné leur vie pour aider les indigènes, croient que ceux-ci veulent la protection de leur territoire, mais sous la forme d'une propriété collective.
     Or, quand les indigènes ont été appelés à négocier avec le gouvernement, ils ont très clairement écrit que même s'ils étaient une communauté politique, ils se sentaient différents du reste du pays en ce qui concernait le contrôle de leurs activités financières. Ils sont très pauvres, mais ils ne croient pas que le contrôle de leurs ressources naturelles devrait se faire par l'entremise de la collectivité. Ce sont des propriétaires individuels ou familiaux. C'est précisé dans leurs documents. Nous venons de publier un petit résumé de ces trouvailles. Il inclut les documents dans lesquels ils disent cela, dans le cadre de leurs propres organisations. Ce n'est pas nous qui leur disons cela: c'est eux qui l'affirment. Quoi qu'il en soit, une partie très importante de l'élément politique péruvien croit par tradition qu'il s'agit d'Astérix et d'Obélix et qu'ils sont là. Ils ont évolué et il faut trouver le moyen de les intégrer.
    Dans cette optique, nous avons importé — et ce n'est peut-être pas la meilleure façon de le dire — des indigènes du Canada et des États-Unis. Il y avait notamment Manny Jules, qui est chef de la bande indienne de Kamloops, en Colombie-Britannique, et d'autres indigènes. L'idée était qu'ils parlent avec nos indigènes et qu'ils comparent la réalité canadienne à la réalité péruvienne. Il s'agissait en effet de voir si, en comparant deux réalités en deux lieux géographiques différents, on pourrait découvrir une vérité. Comme le disent les philosophes, c'est dans la friction que la vérité sort.
    Le chef de la bande indienne de Kamloops et les Canadiens que nous avons « importés » nous ont dit qu'il fallait faire une distinction — c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous maintenons des contacts très importants avec vos indigènes — entre la souveraineté et la propriété. Ils nous ont dit que votre premier ministre Trudeau voulait établir des conditions, dont l'assimilation. Par contre, eux ne voulaient pas être assimilés, mais voulaient avoir la propriété. L'assimilation, c'est autre chose. C'est une distinction très importante. Ça oriente nos propositions pour le Pérou et pour n'importe quels autre pays.

  (1045)  

    Voici ces propositions. Une première décision politique doit répondre à la question de savoir si vous voulez vous gouverner comme une nation séparée, comme le Puerto Rico ou l'Alaska. Voulez-vous un régime politique à part, parce que vous vous sentez différents? C'est une question.
    Cette question étant réglée, une autre question est de savoir si vous voulez le même type de droit de propriété qu'il y a en Occident, en Pologne ou en France, ou si vous voulez quelque chose de différent.
    En tout cas, les paroles importantes de Manny Jules, du Canada, quand il était parmi nous — en anglais, puisqu'il ne parlait pas français — étaient les suivantes:

  (1050)  

[Traduction]

    « Peu importe ce que vous décidez de faire, peuples indigènes péruviens, n'acceptez pas qu'on vous traite en curiosité archéologique. Dites haut et fort que vous avez une opinion à exprimer, que vous êtes toujours là au 21e  siècle et que vous prendrez vos propres décisions. »

[Français]

    J'ai l'impression que le premier problème est politique. Il révèle une grande différence entre la souveraineté, d'un côté, et l'économie, de l'autre.
Finalement, il y a un problème commun aux Canadiens et aux Péruviens. Même si on prend le chemin de la souveraineté, il n'y a pas qu'une nation indigène au Pérou, il y en a 5 000. Comment un pays peut-il fonctionner s'il contient 5 000 autres pays, d'une population moyenne de quelque 200 habitants? Il paraît que c'est la même chose au Canada. C'est la raison pour laquelle je dis que c'est extrêmement complexe, que vous soyez en Arabie ou ailleurs. Toutefois, ce n'est pas quelque chose de mystérieux, puisque ce sont des problèmes que vous avez résolus pour la majeure partie de vos citoyens dans le passé. Cependant, la grande erreur est de penser qu'un bon monsieur, qui invente un

[Traduction]

    système informatisé d'information géographique,

[Français]

ou une personne qui va faire la cartographie de l'endroit, va pouvoir résoudre un problème de droits de propriété. C'est un problème politique.

[Traduction]

    Monsieur de Soto, merci beaucoup. Vous êtes très occupé, mais vous avez quand même accepté notre invitation, et nous vous en remercions. Si jamais vous revenez dans nos contrées, n'hésitez pas à venir nous revoir.
    Nous savons à quel point vous êtes occupé, et nous vous sommes très reconnaissants de l'heure que vous nous avez consacrée ce matin. Merci beaucoup.
    Sachez que je suis à votre disposition. De toute façon, pour aller rencontrer nos interlocuteurs, que ce soit en Chine ou au Moyen-Orient, il faut toujours qu'on se dirige vers le Nord, c'est-à-dire vers le Canada, pour aller jusqu'à New York et ensuite tourner soit à gauche soit à droite. Ça ne prend qu'une heure de plus pour aller à Ottawa. Nous ne sommes pas si occupés que ça et nous adorons venir au Canada. Beaucoup d'entre nous ont appris l'anglais ici. Beaucoup d'entre nous ont distribué du lait dans des calèches au Canada quand nous étions jeunes. On serait ravi que vous nous invitiez à nouveau.
    Merci beaucoup. On s'en souviendra. On essaiera d'organiser quelque chose.
    Monsieur le président, puis-je présenter une motion les invitant à revenir?
    Nous en reparlerons avec l'ensemble des députés qui siègent au comité, mais je pense...
    J'appuie la motion.
    Des voix: Oh, oh!
    Nous allons en discuter avec la greffière afin de déterminer s'il est possible de vous inviter à nouveau lors d'un de vos voyages au cours des prochains mois pour que vous puissiez faire d'une pierre deux coups. Ce serait fantastique. On pourrait passer quelques heures en votre compagnie.
    Merci.
    Très bien, monsieur.
    Merci de votre intérêt. Nous en sommes flattés.
    Merci. Bonne journée.
    Sur ce, la séance est levée.
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