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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 035 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 2 mai 2012

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

    Chers collègues, cette 35e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international est ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous entamons une étude de l'aide au développement à l'Éthiopie.
    Nous avons le grand plaisir d'accueillir aujourd'hui, comme premier témoin, M. Philip Baker, directeur général régional par intérim de l'Agence canadienne de développement international pour l'Afrique australe et de l’Est.
    Monsieur Baker, merci d'être venu devant le comité.
    Je pense que vous connaissez la procédure et je vous donne donc immédiatement la parole.
    Merci.
    Je me sens un peu seul de ce côté-ci. Où sont tous les autres?
    Le vice-président (M. Paul Dewar): Je sais. Nous devrions aller de votre côté pour nous joindre à vous.
    M. Philip Baker: Je présente mes excuses aux interprètes. Je crois qu'ils vont gagner leur paie aujourd'hui car mon français est un peu rouillé. Quoi qu'il en soit, allons-y. J'ai une déclaration liminaire, si vous me le permettez, monsieur le président.
    Tout d'abord, merci, monsieur le président, membres du comité.

[Français]

    Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole cet après-midi. Je suis heureux d'être ici.
    À titre de directeur général régional de la Direction de l'Afrique australe et de l'Est au sein de la Direction générale des programmes géographiques à l'ACDI, je suis responsable de la mise en oeuvre des programmes-pays et du programme régional de l'ACDI pour l'Afrique australe et de l'Est, y compris l'Éthiopie.

[Traduction]

    J'aimerais d'abord vous entretenir brièvement du contexte important dans lequel s'inscrit le travail que fait le Canada en Afrique au chapitre de l'aide internationale et du développement, puis parler tout particulièrement de l'Éthiopie.
    L'ACDI est déterminée à rendre son aide plus efficace pour faire en sorte d'obtenir des résultats positifs et durables, qui apporteront des changements concrets et à long terme dans la vie des personnes démunies. Elle concentre son intervention, sur les plans géographique et thématique, dans les domaines de la sécurité alimentaire, des enfants et des jeunes, et de la croissance économique durable.
    Partout en Afrique, l'ACDI soutient les stratégies nationales de réduction de la pauvreté afin que son aide soit plus efficace et puisse profiter au plus grand nombre de personnes possible.

[Français]

    Ce faisant, elle reconnaît que l'Afrique doit surmonter de nombreuses difficultés à mesure que celles-ci se développent. L'ACDI continue d'apporter sa contribution pour répondre aux besoins humanitaires, comme ce fut le cas l'an dernier lorsque la pire sécheresse des 60 dernières années a sévi dans la Corne de l'Afrique.

[Traduction]

    Sachant que des efforts de développement efficaces contribuent grandement à réduire l'incidence des catastrophes, l'ACDI cherche à éviter les crises humanitaires en renforçant la sécurité alimentaire. Elle est consciente, en outre, que la sécurité alimentaire n'est pas seulement une question d'accès à de la nourriture en quantité suffisante, mais aussi aux bons aliments. Il est prouvé qu'une saine nutrition constitue l'un des moyens les plus économiques et efficaces pour améliorer la santé des gens et sauver des vies. C'est pourquoi elle fait partie intégrante de l'initiative de Muskoka du G8, qui vise à améliorer la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants de moins de cinq ans.
    Je vais maintenant vous expliquer brièvement le contexte de développement en Éthiopie afin de mettre en évidence les progrès considérables accomplis ces 10 dernières années.
    Bien qu'elle figure parmi les nations les plus pauvres du monde, l'Éthiopie a fait d'énormes progrès en matière de développement au cours des dernières années. Avec un taux de croissance économique de plus de 8 p. 100 en moyenne par année, le gouvernement de l'Éthiopie demeure attaché à la croissance favorable aux pauvres. En effet, il investit plus de 60 p. 100 des fonds publics dans les secteurs axés sur la pauvreté; ce taux est le plus élevé de toute l'Afrique subsaharienne. Cela s'est traduit par la baisse des taux de pauvreté, de 38 p. 100 en 2004 à 29 p. 100 en 2011, selon les propres chiffres du gouvernement éthiopien.
    Les investissements pilotés par le pays en vue d'accroître la sécurité alimentaire et d'étendre la prestation des services essentiels, entre autres en santé et en éducation, ont contribué à l'amélioration des indicateurs du développement humain, et le pays est en voie d'atteindre six des huit objectifs du millénaire pour le développement. La prise en charge locale des priorités en matière de développement, conjuguée à un attachement à l'égard de programmes de lutte contre la pauvreté, fait de l'Éthiopie un pays où l'aide officielle au développement donne des résultats.
    L'ACDI a pris part à ces réalisations, par exemple, grâce à son soutien en vue d'améliorer la sécurité alimentaire et d'assurer un avenir meilleur aux enfants et aux jeunes en Éthiopie. La contribution de l'ACDI aux projets liés à la sécurité alimentaire et à la croissance du secteur agricole a permis d'élargir l'accès à l'engrais, à de meilleures semences et au service de crédit dans tout le pays. En 2010-2011, ces efforts se sont traduits par une augmentation du rendement moyen de 100 kilos par hectare de maïs et de blé. En collaboration avec d'autres donateurs, l'ACDI a étendu les services de formation à 800 000 agriculteurs supplémentaires, ce qui fait au total, 4,9 millions de personnes bénéficiant désormais des services des agents communautaires de développement agricole.
    L'ACDI contribue aussi à la santé et au bien-être des mères et des enfants en Éthiopie. La proportion d'accouchements assistés par des agents de santé communautaires a atteint 25 p. 100 l'an dernier; ce taux était de 16 p. 100 en 2007. La proportion d'enfants vaccinés contre la diphtérie, la coqueluche et le tétanos est passée de 73 p. 100 en 2007 à 86 p. 100 l'an dernier, et dans le cas de la rubéole, de 65 p. 100 à 77 p. 100. Ces données indiquent qu'un plus grand nombre de mères et d'enfants de moins de cinq ans ont accès à des services de santé de base et les utilisent.
    De plus, dans le cadre de l'initiative de Muskoka du G8, l'ACDI concentre ses efforts, en Éthiopie, sur l'amélioration des pratiques relatives à l'alimentation des enfants et des nourrissons et la fourniture de suppléments, de vitamines clés et de minéraux, comme le sel iodé et la vitamine A, aux femmes en âge de procréer et aux nourrissons.
    Laissez-moi maintenant vous dire quelques mots au sujet de la façon dont nous choisissons d'élaborer nos programmes-pays.
    Pour ce faire, l'ACDI doit se livrer à des analyses propres aux pays en matière de gouvernance, d'égalité entre les sexes et de droits de la personne au cours des étapes de planification et de mise en oeuvre. Ces analyses nous aident à concevoir nos interventions de développement. Nous surveillons ensuite tous nos projets et nous prenons des mesures si le contexte change. Nous nous attendons, comme le public et les distingués membres doivent le faire, à ce que les programmes de l'ACDI aient une incidence positive sur la situation des pays donnés.
    De plus, l'agence évalue la pauvreté du pays et le degré de participation des citoyens à l'établissement des priorités nationales de développement. Notre programmation est le fruit de ce travail ainsi que des consultations continues que nous menons auprès des partenaires locaux et canadiens, des autres donateurs, des organismes des Nations Unies et, bien sûr, du gouvernement éthiopien.
    À titre d'exemple de la façon dont l'ACDI adapte ses programmes au contexte de l'Éthiopie, soulignons que l'ACDI achemine son financement par l'entreprise d'organisations non gouvernementales, d'entreprises du secteur privé et d'organisations multilatérales de développement, et se concentre principalement sur la sécurité alimentaire, la croissance du secteur agricole et la nutrition. Autrement dit, l'ACDI cible son soutien pour avoir un effet direct et positif sur les personnes qui souffrent d'insécurité alimentaire, les pauvres en régions rurales ainsi que les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes ou qui allaitent et qui ont besoin de suppléments nutritionnels tels que la vitamine A. De plus, au besoin, elle fournit de l'aide humanitaire à la suite de situations d'urgence ponctuelles comme celle de la grande sécheresse de 2011 dans la Corne de l'Afrique, dont nous avons déjà discuté au sein de ce comité.
    Même dans ce dernier exemple, question d'aller au-delà de l'aide d'urgence à court terme, l'ACDI participe aux efforts visant à développer la résilience, surtout dans son travail par l'intermédiaire des organisations multilatérales de développement sur la création de mesures de sécurité sociale, comme le Programme de protection des moyens de production mis en oeuvre en Éthiopie. Ce programme est conçu pour renforcer la résilience de 7,8 millions de personnes touchées par l'insécurité alimentaire chronique afin d'améliorer la sécurité alimentaire et d'assurer une protection contre les effets des changements climatiques et d'autres perturbations. Il aide les communautés à investir dans la gestion durable des terres tout en leur permettant de consolider les ressources naturelles à la base de la productivité de leurs collectivités, par le transfert de vivres ou d'argent en échange de travail. Entre autres exemples de résultats auxquels l'ACDI a contribué, mentionnons le recul du déficit alimentaire annuel de 3,6 mois par année en 2006 à 2,3 mois par année en 2010. Il s'agit là de la période durant laquelle il y a un déficit alimentaire. Plus de 318 000 hectares de terres dégradées ont été remis en état pour devenir des champs clôturés, et 31 900 kilomètres de routes rurales ont été construites pour améliorer l'accès aux marchés et aux services.
    Nous soutenons également des processus généraux en faveur de la démocratie et de la responsabilisation qui, nous croyons, sont au coeur des améliorations progressives en matière de respect des droits de la personne. Les exemples récents comprennent le soutien à la Commission des droits de la personne de l'Éthiopie, au Bureau du vérificateur général fédéral et à la société civile éthiopienne. En collaboration avec d'autres pays donateurs, le Canada s'est engagé dans des discussions directes avec les autorités éthiopiennes sur des enjeux tels que les droits de la personne et l'égalité entre les sexes, et il participe à des mécanismes internationaux comme l'Examen périodique universel du Haut Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies. Il s'agit de domaines sur lesquels nous avons clairement exprimé notre volonté de voir des améliorations et nos attentes à cet égard.
    Les contextes dans lesquels oeuvre l'ACDI sont rarement parfaits. En fait, je crois que vous en conviendrez avec moi, nous sommes présents en Éthiopie précisément parce qu'un trop grand nombre de personnes y vivent dans des conditions qui sont inacceptables pour les Canadiens.
    Nous continuons à travailler de manière à ce que la démocratie et les droits de la personne en Éthiopie connaissent les mêmes progrès qu'ont connus jusqu'à maintenant les secteurs sociaux comme ceux de la santé et de l'éducation. La communauté internationale, y compris le Canada, pourra alors envisager la reprise potentielle d'un soutien plus direct au gouvernement de l'Éthiopie pour la réalisation de son programme de développement. Mais nous n'en sommes pas encore rendus là.
    Je m'arrête ici et me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

  (1540)  

    Merci beaucoup, monsieur Baker.
    Nous commençons avec l'opposition. Monsieur Saganash, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Baker, de votre présence devant le comité, et de votre déclaration liminaire.
    Je voudrais parler d'abord de la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle, et de certains des critères qu'elle contient en ce qui concerne les paiements effectués par l'ACDI et par notre pays.
    En particulier, ces critères doivent être conformes aux normes internationales des droits humains. Quelle est la démarche de l'ACDI pour la mise en oeuvre de cette loi? Quel est selon l'ACDI le minimum que le ministère doit atteindre dans ce contexte et, plus précisément, en ce qui concerne l'Éthiopie, quelles mesures de diligence raisonnable l'ACDI a-t-elle prises pour assurer le respect de ce minimum? Que continuez-vous de faire pour veiller à ce que cette exigence minimale continue d'être respectée?
    Merci beaucoup de la question.
     Comme vous le savez, pour qu’une mesure d'APD soit jugée conforme aux exigences de la LRADO, et c'est dit explicitement dans la loi, il faut qu'elle contribue à la réduction de la pauvreté, qu'elle tienne compte des points de vue des pauvres, et qu'elle soit compatible avec les normes internationales en matière de droits humains.
    Donc, la position de l'ACDI à l'égard de cette loi est que c'est la priorité absolue, si vous voulez. Cela fait partie intégrante de notre travail. Dans tout ce que nous faisons, quand nous voulons dispenser de l'aide publique au développement grâce à nos programmes, nous devons nous assurer — et nous le faisons par le truchement d'un certain nombre d'instruments de politiques et par la mise en oeuvre de notre programmation — que nous ne contribuons pas directement ou indirectement à des infractions aux droits humains.
    C'est le facteur essentiel, je pense. L'exigence minimale dont vous avez parlé est clairement qu'il n'y ait strictement aucune contribution directe ou indirecte à des infractions aux droits humains.
    Ensuite, pour ce qui est de notre approche, nous avons des instruments de politiques. En même temps, nous prenons ces instruments de politiques et, quand nous faisons notre analyse pour déterminer quels éléments de programmes ajoutent quelque chose à tel ou tel pays, nous nous assurons à la fois que nous adoptons des démarches qui évitent les infractions aux droits humains et, ensuite — en réponse à votre dernière question —, nous essayons de mettre sur pied des systèmes de sauvegarde qui nous permettent à la fois d'évaluer et de surveiller pour nous assurer que nous atteignons cet objectif.
    Si vous voulez, je pourrais parler un peu plus de cet aspect pour préciser de quoi il s'agit, ou nous pourrions continuer. Je m'en remets au président.

  (1545)  

    Monsieur Saganash.
    Merci.
    Vous avez dit que l'ACDI travaille avec d'autres pays donateurs et participe à des mécanismes internationaux tels que l'Examen périodique universel des Nations Unies.
    J'ai lu à ce sujet les « Observations finales du Comité [des droits de la personne] sur l'Éthiopie », d'août 2011 où l'on exprime des préoccupations sur certaines lois adoptées par ce pays, notamment la proclamation sur les organismes et sociétés de bienfaisance, pour interdire aux ONG éthiopiennes, comme vous le savez et l'avez dit, d'obtenir plus de 10 p. 100 de leur budget de donateurs étrangers.
    Comment l'ACDI tient-elle compte de ces évaluations des pays pour restructurer et revoir ses programmes d'aide?
    En ce qui concerne l'Examen périodique universel, je commence par vous dire que tous les pays membres de l'ONU sont généralement assujettis, une fois tous les quatre ans, à un examen attentif de leur situation du point de vue du respect des droits humains.
     Pour ce qui est de l'Éthiopie, le dernier examen remonte à 2009, et le rapport final a été publié en 2010. Je crois qu'il contenait — vous me corrigerez si je me trompe — 142 recommandations dont 99 ont été acceptées par le gouvernement éthiopien. Il y a donc eu un progrès sur ce plan.
    On trouvait parmi ces recommandations certaines qui avaient été formulées par le Canada, comme la nécessité de dresser un plan d'action sur les droits humains. De fait, ce plan d'action a entraîné un appui à la Commission éthiopienne des droits de la personne, ce qui a débouché ensuite sur l'ouverture de bureaux régionaux dans le pays pour permettre un meilleur accès aux Éthiopiens, au public.
    Peut-on dire que la situation est parfaite quand on parle de 99 sur 142? Non, elle n'est pas parfaite, mais c'est manifestement un progrès. Chaque pays qui fait l'objet de cet examen doit faire son possible pour appliquer les recommandations et améliorer sa situation en matière de droits humains, de façon à ce qu'on puisse constater des progrès lors de l'examen suivant.
    Dans le cas de l'Éthiopie, il y a eu beaucoup de progrès mais on a encore des préoccupations, comme vous l'avez indiqué. La loi et la proclamation sur les organismes de bienfaisance sont particulièrement préoccupantes. Elles ont tendance à restreindre l'espace de la liberté d'expression et les activités de ces organismes, les ONG qui sont actives en Éthiopie.
    Que fait donc l'ACDI à ce sujet? Sur plusieurs fronts… Comme je l'ai dit, nous contribuons à renforcer la Commission éthiopienne des droits de la personne. Nous avons aussi en Éthiopie un réseau très solide, appelé CANGO. C'est un réseau d'ONG canadiennes actives avec des partenaires éthiopiens. Nous agissons activement avec elles pour rehausser leur capacité.
    Quand nous mettons en oeuvre un programme, nous cherchons les possibilités de renforcer les occasions pour les citoyens éthiopiens de jouer un rôle. Vous avez peut-être entendu parler de l'initiative de protection des services de base. C'est une très vaste initiative qui a été pilotée par la Banque mondiale en Éthiopie pendant plusieurs années. Il y a dans ce contexte un sous-élément auquel l'ACDI a contribué ces années passées. Cela a permis d'instaurer le droit des citoyens de participer dans le cadre de toute cette notion de surveillance de la manière dont les administrations de district répartissent les sommes provenant essentiellement du programme de soutien des infrastructures, ce qu'on appelle la PSB ou protection des services de base.
    C'est un exemple de situation où l'ACDI a réussi à instaurer un mécanisme favorisant concrètement une meilleure surveillance du respect des droits humains, avec possibilité de recours si les choses commencent à déraper.
    Mais vous convenez qu'il y a encore des « problèmes » de droits humains en Éthiopie à l'heure actuelle?
    Oui.
    Bien.
     Pourriez-vous nous parler un peu des critères appliqués pour rationaliser les récentes coupures ou réductions de 13 programmes géographiques à l'ACDI? Huit concernent l'Afrique, je crois, notamment l'Éthiopie. Dix des 13 programmes qui ont été réduits ou amputés concernent les pays les plus pauvres du monde. Par contre, cinq avec lesquels le Canada a récemment établi de solides liens commerciaux n'ont pas été touchés.
    Comment les critères énoncés dans la loi influent-ils sur la décision d'abolir les programmes de tel ou tel pays? Autrement dit, les décisions ont été prises en fonction de quels critères?

  (1550)  

    Je vous invite à répondre très brièvement car le temps de parole du député est écoulé et nous devons passer à l’autre parti.
     Je serai bref.
    Je vais d'abord vous parler de ma partie du monde seulement, en vous disant que ce n'était pas ma décision. C'était une décision du Cabinet, comme le sont généralement les décisions de réduction.
    Pour notre partie du monde, l'Afrique australe et de l'Est, on a proposé d'abolir plusieurs programmes de pays et d'en réduire plusieurs. Dans ce contexte, le critère fondamental d'abolition a été la question de l'efficience, c'est-à-dire le fait que certains programmes de moindre ampleur coûtent néanmoins assez cher à gérer, relativement parlant. Je veux parler de la Zambie et de notre programme au Zimbabwe, qui sera aboli le 1er avril 2014.
    Dans le cas du Malawi, qui faisait aussi partie de la liste des abolitions dans ma région, le programme se terminera le 1er avril 2014, mais celui de Muskoka continuera jusqu'à son achèvement. C'est une exception à ce chapitre. Les programmes reliés à Muskoka continuent dans tous les pays.
    Il y a eu plusieurs autres réductions dans d'autres pays ainsi que pour certains de nos programmes plus vastes en Afrique.
    C'est maintenant au tour de Mme Brown.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Baker, c'est un plaisir de vous voir ici.
    J'ai eu l'occasion de me trouver en Éthiopie il y a tout juste trois mois et j'ai été incroyablement impressionnée par l'expansion et le développement que j'y ai constatés. Addis-Abeba sera bien sûr le siège de l'Union africaine. Si vous avez l'occasion de jeter un coup d'oeil sur l'immeuble qu’on y construit, en furetant sur le Web, vous verrez qu'il est absolument phénoménal. Multipliez l'immeuble des Nations Unies par cent et vous aurez une idée de ce que sera cette merveilleuse nouvelle construction. Ce sera vraiment extraordinaire.
    L'Éthiopie est membre de l'Union économique de l'Afrique de l'Est, le COMESA, qui s'est fixé des objectifs de développement très ambitieux.
    Je sais que l'Éthiopie a ce qu'on appelle son propre programme de développement soutenu accéléré pour éradiquer la pauvreté. C'est son propre programme.
    J'aimerais que vous nous parliez un peu de l'interface entre l'ACDI et les programmes propres aux pays. Comment un pays élabore-t-il son propre programme, et comment l'ACDI établit-elle ensuite des rapports avec ce dernier pour aider le pays à développer sa capacité et obtenir les meilleurs résultats avec l'argent de l'ACDI, pour les contribuables canadiens, et pour le développement de pays comme l'Éthiopie?
    L'ACDI attache une importance considérable, tout comme moi en qualité de DGR, au principe voulant qu'un développement extrêmement efficace exige une prise en charge par le pays. Vous avez mentionné le programme. Dans le cas de l'Éthiopie, ce que nous appelons un plan de croissance et de transformation de 2010 à 2015 est essentiellement sa stratégie de réduction de la pauvreté, c'est-à-dire, dans le jargon du monde en développement, le document essentiel que chaque pays adopte pour obtenir l'appui des autres pays et des donateurs.
    Dans ce cas, avec ce plan, les responsables ont examiné de très près les résultats obtenus avec la dernière série de plans — il y en a eu plusieurs dans le cas de l'Éthiopie — et nous avons ensuite examiné dans quelle mesure ils concordent avec notre propre stratégie pour le pays, afin d'assurer une bonne intégration avec cette planification. Autrement dit, quand les Éthiopiens nous disent quelles sont leurs priorités, nous essayons de voir si certaines concorderaient adéquatement avec les talents et compétences du Canada. Le facteur le plus important est que tout cela est impulsé par le pays bénéficiaire.
    Dans le cas présent, ce qui est ressorti de ce nouveau plan est très intéressant. Les responsables ont compris et recommandé qu’une croissance durable suppose un petit peu de renforcement et d'orientation vers la stimulation du secteur privé. Au cours des dernières années, l'Éthiopie a enregistré une très forte croissance mais celle-ci provenait essentiellement du secteur public. Il y a donc eu une évolution très intéressante avec ce nouveau plan quinquennal.
    De nombreux donateurs sont actuellement en pourparlers avec le gouvernement, et c'est la deuxième partie de la réponse. Dans le cadre de ces pourparlers, nous avons formulé des options sur la place que nous pourrions occuper dans le casse-tête.
    Nous avons été extrêmement forts sur la sécurité alimentaire, à la fois en ce qui concerne les secteurs de croissance pour la sécurité alimentaire afin de stimuler les petites entreprises, par exemple, et dans les secteurs de l'insécurité alimentaire, comme certains des programmes dont nous discutons aujourd'hui, comme le filet de sécurité productif. La sécurité alimentaire a été un front très solide pour nous.
    Les enfants et les jeunes sont un autre thème de l'ACDI, et nous avons été très forts sur l'idée de l'approvisionnement en produits de santé. Cela nous a fait faire un pas en avant, mais je reviens à l'une des questions clés que nous avons soulevées plus tôt au sujet des contrôles. Le gouvernement de l'Éthiopie fait évoluer son modèle d'approvisionnement en produits de santé plus vers une demande de soutien budgétaire direct. Depuis 2005, le Canada n'a pas accordé de financement direct au gouvernement éthiopien; par conséquent, sur ce front des produits de santé, nous n'allons pas proposer de continuer ce soutien à cause du mécanisme qu'il va utiliser à l'avenir.
    Nous avons un peu de latitude à l'heure actuelle pour examiner de nouvelles orientations possibles dans ce plan quinquennal. Ce travail est en cours.

  (1555)  

    L'un des secteurs dans lesquels nous avons été très forts est le secteur agricole. Je constate que, parmi certains des projets que nous avons là-bas, il y a un programme d'alimentation dans les écoles, l'amélioration de la sécurité alimentaire des mères et des enfants, un programme de croissance agricole, et l’appui à des fonds de donateurs multiples. Je n'ai pas toute la liste. Je regardais seulement la croissance du marché de l'agriculture en Éthiopie. Il y a donc un certain nombre de domaines.
     Nous avons visité une ferme en Éthiopie où nous aidons les agriculteurs. Ce n'était pas seulement une ferme. Nous avons aussi là-bas un vétérinaire qui aide à évaluer la santé des vaches afin de les inséminer pour améliorer les troupeaux.
    La sécurité alimentaire est l'une des choses les plus importantes, tout comme l'accès au bon type d'aliments.
    Pourriez-vous nous parler des programmes de micronutriments que nous avons?
    D'accord.
    J'ai parlé dans ma déclaration liminaire du fait qu'il ne suffit pas de mettre des aliments sur la table, car il faut aussi que ce soit le bon type d'aliments. Nous estimons que les droits humains, les droits des enfants et la protection des droits des enfants sont un aspect important de nos programmes, partout où nous travaillons. Dans le cas des nutriments pour les femmes enceintes et les mères qui allaitent, ainsi que pour les enfants, c'est un pilier essentiel de notre travail en Éthiopie.
     Grâce à l'initiative de Muskoka, il y a eu une très vaste initiative de 50 millions de dollars sur la nutrition destinée à aider 3 millions d'enfants et de femmes enceintes ou qui allaitent, partout dans le pays, à avoir accès aux bons nutriments, comme la vitamine A, de façon à assurer le meilleur départ possible dans la vie et à permettre aux mères de rester en bonne santé et de pouvoir mieux élever leurs enfants. Sur ce front, la nutrition a joué un rôle vraiment important pour nous.
    Vous avez aussi parlé du bétail, et la notion de déficit alimentaire, que j'ai mentionnée tout à l'heure, est une notion critique. Elle est même reliée à la discussion sur les droits humains. Si vous parlez de l'ampleur du déficit alimentaire, c'est-à-dire de la période durant laquelle une famille est sans sécurité sur le front alimentaire, cela mène à des mesures telles que vendre le bétail afin de survivre durant cette courte période d'absence absolue d'alimentation.
    Si nous pouvons raccourcir et réduire ce déficit alimentaire, nous leur évitons de vendre du bétail qui aurait pu leur assurer une voie productive à long terme vers la sécurité alimentaire de la famille. C'est un autre aspect clé de la sécurité alimentaire et de la nutrition pour les familles.
    Avec 8 p. 100 de croissance économique d'une année à l'autre, nous pouvons espérer que les choses vont dans le bon sens, n'est-ce pas?
    Les Nations Unies ont déclaré que l'Éthiopie a connu les meilleurs résultats de la région subsaharienne au cours des cinq dernières années en termes de progrès du développement vers les objectifs de développement du millénaire. Il y a huit objectifs de développement. Certes, il y a encore certains problèmes pour deux d'entre eux mais, pour les six autres, le pays fait de grands progrès.
    Sur la santé maternelle et infantile, et spécialement sur la mortalité maternelle, il fait de bons progrès, mais il n’en est pas encore au point où l'objectif sera atteint. C'est une chose dont nous continuons de nous occuper dans le cadre de notre travail de Muskoka pour faire avancer ce progrès.
    Une croissance de 8 p. 100, c'est assez spectaculaire sur ce front. Cela dit, nous devons nous assurer que cette croissance bénéficie à la population elle-même, et c'est pourquoi nous concevons nos programmes dans le but d'atteindre les plus pauvres des pauvres en Éthiopie. On parle de près de 3 millions de personnes sur une population de 85 millions. Il y a un nombre massif de pauvres en Éthiopie.
    Merci, madame Brown.
    Nous passons aux libéraux avec M. Eyking, pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci, monsieur Baker.
    Vous avez une grosse responsabilité. C'est un vaste domaine. On a l'impression que c'est un domaine dans lequel il y a toujours une forme ou une autre de catastrophe climatique ou de conflit.
     J'ai plusieurs questions à vous poser.
    Si je ne me trompe, notre ministre des Affaires étrangères est allé en Éthiopie il n'y a pas très longtemps. Il y avait là-bas un Canadien qui était en prison depuis cinq ans. Vous êtes peut-être au courant. Je pense qu'il s'appelle Bashir Makhtal. Il est en prison depuis cinq ans. Le NPD a déjà soulevé la question des infractions aux droits humains.
    L'alinéa 4(1)c) de notre loi sur la responsabilité de l'aide porte sur les droits internationaux de la personne et sur la nécessité de les respecter. Il y a souvent un problème quand on donne de l'argent à un pays sous-développé ou un pays en conflit. Comment l'argent est-il dépensé? Est-il consacré à des systèmes judiciaires justes et à diverses choses?
    Quand le ministre des Affaires étrangères se rend dans une prison pour voir un Canadien, c'est quand même une assez grosse affaire, et je suis surpris de voir que, malgré l'argent que nous donnons à ce pays — 168 millions de dollars en 2009-2010, je crois —, nous n'avons pas pu exercer plus de pression ou n'avons pas pu obtenir de résultats positifs après cette visite pour le faire sortir de prison.
    Avez-vous appliqué un peu la politique du bâton et de la carotte dans ce dossier?

  (1600)  

    Vous parlez de l'affaire Makhtal.
    Ce sont évidemment les Affaires étrangères qui sont le chef de file dans cette situation. Notre approche globale dans n'importe quel pays où nous travaillons consiste à assurer la collaboration des Affaires étrangères et de l'ACDI pour obtenir le meilleur effet possible de nos dépenses d'aide publique. Dans le cas de l'Éthiopie, nous travaillons étroitement avec les Affaires étrangères au sujet des droits humains. Nous travaillons étroitement avec tous les donateurs dans le cadre d'une chose qui s'appelle le Groupe d'aide au développement, le GAD. Nous cherchons toutes les occasions possibles pour transmettre ces messages sur les droits humains, de manière générale, au gouvernement chaque fois que c'est possible, et nous insistons. Nous cherchons toutes les possibilités d'améliorer la situation dans n'importe quel pays, y compris en Éthiopie, en ce qui concerne les droits humains.
    Je ne parlerai pas de ce cas particulier car il fait l'objet d'une instance judiciaire devant la Cour fédérale mais, en ce qui concerne notre approche générale des droits humains en Éthiopie, oui, avec notre ambassadeur, nous collaborons pour nous adresser au gouvernement et formuler nos attentes, et nous travaillons ensuite avec lui pour essayer de trouver des solutions. Il y a un certain nombre d'exemples où des progrès ont été réalisés sur ce front. Comme je l'ai dit, la Commission éthiopienne des droits de la personne peut maintenant avoir un meilleur accès au niveau régional.
    Mais vous n'essayez pas d'agir avec les affaires étrangères en disant: « Écoutez, les gars, nous faisons beaucoup pour votre pays; fichez donc un peu la paix à ce bonhomme »?
    Notre champ d'action est la réduction de la pauvreté. C'est notre mandat.
    L'autre chose, bien sûr, est qu'il y a quatre ou cinq pays dans la Corne de l'Afrique qui semblent être continuellement confrontés à des difficultés. Je veux parler du Soudan, du Kenya, de l'Éthiopie, de la Somalie et de la Tanzanie. Il y a des frontières, là-bas. Évidemment, il y a des pays, mais le climat n'a pas de frontières, et les animaux se déplacent. Il y a des pirates et des terroristes qui flottent dans le paysage.
    Je constate que vous êtes le directeur pour toute cette région, et nous ne parlons aujourd'hui que de l'Éthiopie, mais que chaque pays est affecté par les autres et par ce qui se passe. Il y a parfois des enlèvements et diverses choses de cette nature. Y aura-t-il toujours de l’instabilité là-bas?
    Supposons que nous puissions régler le problème de la production alimentaire, dans une certaine mesure, peut-être avec de la vérification et de meilleures méthodes, comme vous l'avez mentionné. Étant donné le mandat ou la vision de l'Union africaine, et la manière dont elle traite la région, collaborons-nous étroitement, en tant que gouvernement canadien, avec l'Union africaine pour adopter une approche régionale? Si oui, comment le faisons-nous?
    Si vous le permettez, je mentionnerai deux domaines. Nous collaborons étroitement avec l’UA, et je peux vous dire que notre ambassadeur siégeant à Addis a le contact le plus direct avec l’UA puisque celle-ci y a également son siège.
    Il y a plusieurs mécanismes à l’UA, comme le PDDAA, le programme détaillé de développement de l'agriculture africaine, qui s'applique dans tout le continent. Chaque pays s'efforce de dresser son propre plan d'amélioration de sa productivité agricole.
     Il s'agit là d'une initiative conçue et pilotée par l’UA, mais mise en oeuvre individuellement par chaque pays. L'ACDI travaille dur pour aider les pays à formuler leurs propres plans de PDDAA. Au Mozambique, par exemple, nous sommes depuis deux ans à la tête d'une campagne pour aider le gouvernement à étoffer son plan agricole. Nous faisons la même chose en Éthiopie.
    Il y a ensuite la question des mécanismes de l’UA, comme les diverses communautés économiques régionales, dont l’IGAD, la Intergovernemental Authority on Development, est un exemple. Avec l’IGAD, il y a une autre branche de l’UA qui s'occupe spécialement de la Corne de l'Afrique. Elle essaie de bâtir selon l'idée qu'une réaction d'urgence est requise, et il y a aussi un problème de résilience à long terme.
    Avec son réseau de soutien, l’IGAD essaye de rassembler tous les acteurs régionaux pour tenter d'assurer une certaine cohérence à leurs politiques et décisions. Nous appuyons aussi ce travail-là en qualité de donateur. Sur ce front, on peut constater des progrès sur quelque chose comme la Corne. Il y a eu en fait à Nairobi, sous les auspices de l’IGAD, une grande conférence juste après les réactions de l'été sur la sécheresse dans la Corne de l'Afrique pour essayer de formuler certaines solutions à long terme. Un programme particulier que nous avons réalisé en Éthiopie, appelé Appui au filet de protection du niveau de production minimale, a été présenté comme exemple idéal montrant comment on peut atteindre la résilience en sécurité alimentaire dans la région avec un minimum d'innovation.
    Vous avez parlé du choc ou des catastrophes du changement climatique. Sur le front du changement climatique, il y a un très vaste programme, couronné de succès, appelé MERIT, qui est à la pointe du travail en Éthiopie. Il porte sur la remise en état des terres de façon à y relancer un usage agricole productif. L'ACDI a fortement appuyé ce programme, avec beaucoup de succès. De fait, il y a plus de 500 000 kilomètres de murs de rétention qui permettent de garder l'humidité en place après les inondations, pour permettre à des terres rendues stériles par la sécheresse de devenir productives. On peut y aménager des clôtures pour maintenir les ruminants à l'extérieur afin de ne pas nuire à cette possibilité d'accès au marché pour réduire la pauvreté.

  (1605)  

    Me reste-t-il une minute?
    Il vous reste 20 secondes.
    L'ONU a un Programme alimentaire mondial concernant la distribution d'aliments. Son mandat n'est pas seulement de distribuer des aliments mais aussi d'aider les régions à en produire.
    L'Éthiopie était autrefois un grenier à grains régional. Comment allez-vous assurer la pérennité de sa production agricole? Je sais que vous avez mentionné certains cas d'entreposage, de marketing et de distribution dans la région.
    Il y a les deux approches que j'ai mentionnées. Nous avons des programmes pour ceux qui sont en insécurité alimentaire, et j'en ai parlé un peu. Nous avons aussi des programmes pour ceux qui sont en sécurité alimentaire, qui peuvent devenir plus productifs et envisager de devenir plus des greniers à grains.
    Nous avons un programme de 20 millions de dollars, par exemple, appelé Programme de développement agricole. Sur ce front, nous essayons de prendre les régions qui sont un peu plus saines et qui produisent bien — et ne subissent pas trop de répercussions du changement climatique — pour les faire monter dans la chaîne de valeur commerciale afin qu'elles génèrent plus de revenus, qu'elles répartissent la richesse dans leurs collectivités et qu'elles rehaussent leur sécurité alimentaire.
    Nous passons maintenant à des tours de cinq minutes.
    Nous commençons avec M. Dechert et M. Van Kesteren, pour les conservateurs.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais d'abord répondre brièvement à M. Eyking et aux autres membres du comité au sujet de M. Makhtal. Comme l'a dit M. Eyking, le ministre Baird lui a personnellement rendu visite en Éthiopie en février 2011. Depuis lors, mon homologue, le secrétaire parlementaire Deepak Obhrai, lui a rendu visite deux fois. Tous les deux ont aussi rencontré le ministre éthiopien des Affaires étrangères pour défendre sa cause.
    Grâce à ces interventions, nous avons obtenu un accès consulaire à M. Makhtal pour nous assurer de sa santé et de son bien-être. Nos agents consulaires lui rendent visite régulièrement. Ils sont aussi en contact avec sa famille pour la tenir au courant de l'évolution de sa santé et de sa situation. Nous continuons de surveiller la situation en lui rendant visite et en défendant sa cause auprès des représentants éthiopiens.
    Évidemment, nous n'irions jamais jusqu'à relier cette affaire à la prestation d'une aide d'urgence aux gens les plus pauvres de l'Éthiopie, et je sais bien que ce n'est pas ce que M. Eyking suggérerait, mais chacun doit savoir que nous défendons la cause de M. Makhtal le plus vigoureusement possible auprès du gouvernement éthiopien.
    Je cède la parole à M. Van Kesteren.
    Merci, monsieur le président.
    C'est un plaisir de vous revoir, monsieur Baker.
    Dans vos notes, vous dites que des exemples des résultats auxquels l'ACDI a contribués comprennent un déclin de l'écart alimentaire annuel de 3,6 mois à… Corrigez-moi si je me trompe mais cela veut-il dire qu'il n'y a que 2,3 mois sans production, contre 3,6 auparavant? C'est bien ça?
    La période durant laquelle une famille n'a pas d'alimentation adéquate a été ramenée de 3,6 mois par an à 2,3 grâce aux ambitions et à l'effet de ce programme.
    C'est très encourageant. C'est vraiment un succès remarquable, n'est-ce pas, comme on l'a dit il y a quelques minutes.
    Pouvez-vous dire au comité si, avant tous les troubles qui ont éclaté dans les années 1980 et 1970, l'Éthiopie était un grenier à grains? Quelle est la capacité de production alimentaire de l'Éthiopie? D'après vous, quelles sont ses capacités de production alimentaire dans cette région?
    Il y a une énorme capacité de terre arable en Éthiopie qui n'est actuellement pas utilisée. Cela touche en fait la discussion dont vous entendrez probablement plus parler durant la deuxième partie de la séance d'aujourd'hui, sur l'utilisation de cette terre et sur les plans d'utilisation de cette terre. Actuellement, ce qui est cultivé ne représente qu'une fraction de ce qui pourrait l'être.
    On voit la même chose au Sud-Soudan, par exemple. Il y a un énorme potentiel dans cette partie du monde, malgré la sécheresse massive qui a touché la Corne de l'Afrique. On pourrait faire des progrès énormes en matière de sécurité alimentaire, en allant largement au-delà des frontières nationales pour stimuler le commerce intra-africain, qui ne représente aujourd'hui que 10 p. 100 environ pour l'ensemble du continent. Nous croyons tous qu'un premier front massif pour la croissance et l'avancement de l'Afrique est le commerce intra-africain entre pays voisins.
    En ce qui concerne la sécurité alimentaire, c'est un front énorme actuellement. Il y aura en fait la semaine prochaine une énorme réunion à Addis, appelée Grow Africa, durant laquelle les pays africains feront le point sur leur situation et sur les possibilités offertes aux entreprises du secteur privé d'examiner le genre de collaboration qui pourrait être stimulée. Les pays donateurs seront là aussi pour essayer de voir s'ils pourraient jouer un peu le rôle d'agents de liaison et s'il y a des endroits où ils pourraient éventuellement s'impliquer.
    En Éthiopie, il y a un énorme potentiel sur ce front et nous devons continuer de nous assurer que le pays continue à progresser de cette manière, tout en assurant la reconnaissance et la protection des droits humains.

  (1610)  

    C'est donc une situation différente de celle du Soudan, par exemple, où il y a beaucoup de tribus arriérées. C'est un pays qui, traditionnellement… mais à cause de la guerre et la famine, qui est généralement causée par la guerre…
    D'aucuns disent, et je pense que tout le monde en conviendra, qu'il est peu probable qu'on fasse la guerre à un voisin avec qui l'on fait du commerce, et de bonnes relations commerciales sont donc importantes.
    Faisons-nous assez et avançons-nous dans la bonne voie avec ce genre d'assistance? Je songe, comme vous le savez, à l'étude que nous avons entreprise où l'industrie privée peut contribuer au processus de développement.
    Faisons-nous aussi assez pour les aider à développer leurs ressources, afin que la stabilité et la loi et l'ordre et la bonne gouvernance puissent s'implanter en Éthiopie? Y a-t-il selon vous des domaines où nous pourrions être plus efficaces en tant que gouvernement canadien?
    Quand on songe aux trois thèmes thématiques qui sont les moteurs de l'ACDI — la notion des enfants et des jeunes, la croissance économique durable, et la sécurité alimentaire — sous le thème de la croissance économique durable, l'un des trois volets parlant de bâtir les fondations, ou ce que j'appelle souvent l'environnement habilitant, pour permettre au secteur privé de s'épanouir et permettre une croissance appropriée ou une croissance économique durable…
    Sur ce front, le premier ministre de l'Éthiopie a vigoureusement appelé les donateurs à faire plus d'investissement du côté de la croissance économique durable. Ce sont les discussions dont je parlais tout à l'heure sur comment nous formulons nos programmes. Nous le faisons en discutant avec le gouvernement destinataire. Ces discussions ont débuté avec le gouvernement de l'Éthiopie, car il aimerait que le Canada soit peut-être plus impliqué dans le secteur ou le thème de la croissance économique durable, en plus du travail que nous faisons actuellement, par exemple, sur la sécurité alimentaire ou l'approvisionnement en produits de santé.
    Merci. Je dois vous arrêter là.
    Nous retournons maintenant au NPD.

[Français]

    Madame Laverdière, vous disposez de cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci beaucoup, et merci pour votre intéressant exposé et aux réponses à nos questions.
    Vous avez dit que votre moteur est la réduction de la pauvreté. C'est votre mandat, et M. Dechert disait tout à l'heure que nous n'irions jamais jusqu'à relier cela à l'aide d'urgence, mais je suppose que vous vouliez dire l'aide au développement et les questions de droits humains.
    Human Rights Watch a publié un rapport disant que l'Éthiopie exploite l'aide au développement internationale pour sa politique de répression, de discrimination et de transgression des droits civils et politiques. Cette ONG avait de sérieux problèmes avec l'ACDI et avec d'autres organismes donateurs. Il y a donc là un problème sur lequel on doit se pencher.
    Je pense que l'ACDI a annoncé en janvier qu'elle examinerait l'utilisation de l’aide en Éthiopie. C'était après qu'on apprenne que le gouvernement éthiopien était en train d'expulser de leurs terres 70 000 habitants indigènes de la région occidentale de Gambela. L'ACDI a-t-elle commencé cet examen annoncé en janvier? Si oui, quand en aurons-nous les résultats?
    Vous faites allusion à ce qu'on qualifie dans la presse populaire de processus de villagisation et que le gouvernement de l'Éthiopie appelle un programme de communes. C'est en cours dans la région de Gambela et dans trois autres régions. L'objectif annoncé par le gouvernement était de cibler les quatre régions les moins développées ou les plus isolées afin d’y améliorer l'accès aux services élémentaires. C'est un programme qui n'a pas été appuyé par les donateurs, et c'est donc un peu différent de certains des autres fonds communs ou programmes nationaux que les donateurs appuient par le truchement de la Banque mondiale.
    Cela dit, les donateurs ont été extrêmement attentifs pour veiller à ce qu'il n'y ait pas de transgression des droits humains. L'objectif du programme est la réinstallation volontaire, pas involontaire, l'idée étant d'assurer un meilleur accès à l'eau, au logement et aux possibilités de progrès économique. Les donateurs ont commencé à regarder ce qui se passe à Gambela et dans plusieurs autres régions. Ils examinent seulement comment ce programme est mis en oeuvre, et leur conclusion est qu'il y a manifestement quelques bons résultats. C'est volontaire. Telle a été la conclusion de l'examen par les donateurs. En même temps, ils ont identifié plusieurs domaines dans lesquels ils estiment qu'on pourrait apporter des améliorations, mais ils n'ont pas de preuve crédible de transgression étendue ou systématique des droits humains.
    C'est là l'essentiel. Ça ne veut pas dire qu'ils se croisent maintenant les doigts en considérant que tout va bien. Le processus continue. Les donateurs ont formulé collectivement et présenté au gouvernement un ensemble de lignes directrices pour la réinstallation des populations, avec un plan d'action. Un exemple des recommandations était qu'il faudrait faire un beaucoup plus gros travail de préparation des régions d'accueil avant d'y transférer des populations. Ils avaient constaté que certaines personnes étaient arrivées dans des régions où les services d'hygiène étaient très limités.

  (1615)  

    Quels sont les autres pays donateurs participant à cet examen?
    Il y a le GAD, le groupe d'aide au développement. Il y a 26 membres, les suspects habituels. Disons que ce sont les donateurs traditionnels: les États-Unis, le DFID, les Scandinaves, le Canada, etc.
    Je crois comprendre que le GAD dans son ensemble examine cette affaire.
    L'ACDI aussi. De fait, nous avons effectué deux missions dans la région de Benishangul-Gumuz où nous avons un gros projet de sécurité alimentaire. Nous voulons nous assurer qu'il n'y a pas de fuites de notre programme qui affecteraient notre travail de sécurité alimentaire à cause de ces allégations d'infraction aux droits humains. L'ACDI a donc effectué deux missions elle-même.
    Allez-y, madame Brown.
    Merci, monsieur le président.
    Nous pouvons continuer à parler de la faim, car c'est un vrai problème mondialement. Nous voulons nous assurer que nous allons faire les bonnes choses pour l'éradiquer.
    Dans cet ordre d'idées, je me demande si nous pourrions parler de la sécheresse en Afrique de l'Est, qui s'est tellement aggravée l'été dernier. Le Canada a fourni 142 millions de dollars à ce sujet, je pense, en partie sous forme de dons de contrepartie. Le gouvernement a constaté qu'il y avait un besoin et il a mis l'épaule à la roue.
    Pourriez-vous nous dire, monsieur Baker, comment cet argent a été distribué, à quels programmes il a été consacré, et combien de personnes nous avons nourries? Je sais que l'Éthiopie a reçu un grand nombre de réfugiés. Comment a-t-elle traité cette situation?
    Pourriez-vous aussi parler du Kenya? J'étais au Kenya en janvier et je sais qu'il y a eu un impact sur tous les pays de la région. Où en sommes-nous et quels sont nos résultats pour utiliser cet argent comme aide alimentaire?
    Permettez-moi de dire d'abord que les Éthiopiens se considèrent comme un peuple très fier, au milieu d'une région extrêmement difficile. Il y a un certain nombre de problèmes d'ordre politique et environnemental, comme le changement climatique et la sécheresse. Le fait que l'Éthiopie se soit proposée pour accueillir beaucoup de réfugiés environnementaux, si vous voulez, est louable. D'autres pays de la région ont accepté aussi. Mais, généralement, on constate des mouvements transfrontaliers du Soudan et du Kenya vers l'Éthiopie.
    En ce qui concerne les programmes que vous avez mentionnés, il y a eu en effet une participation extrêmement bonne des Canadiens en termes d'offre de fonds de contrepartie. Je n'irai pas jusqu'à prétendre que je connais tous les chiffres détaillés que connaîtraient mes partenaires de l'aide humanitaire internationale à l'ACDI, mais je peux vous promettre d'obtenir les chiffres exacts et de les envoyer au comité.
    Pour ce qui est des résultats jusqu'à présent, l'objectif est d'essayer d'endiguer la famine dans l'immédiat. Le résultat, si j'ai bien compris, est que la qualification de la famine a été abaissée au niveau d'une sécheresse et d'une urgence. Je n'ai pas les termes exacts et je devrais consulter ma collègue, Leslie Norton, pour les obtenir. Je crois qu'elle a déjà comparu devant votre comité. Elle me morigénerait si je me trompais et je dois donc faire attention mais, sur ce front, il y a eu de bons résultats.
    Le Kenya été fortement touché, tout comme l'Éthiopie et la Somalie. Les questions de sécurité restent très préoccupantes pour ce qui est d'offrir une réponse directe en Somalie, et elles entravent l'aptitude des ONG internationales à intervenir localement, mais on agit. On fait des progrès et il y a maintenant un parallèle intéressant où l'on envisage une réponse précoce au Sahel, où des signes similaires sont apparus l'année passée et où nous essayons d'agir maintenant de façon à pouvoir intervenir avant d'être confronté à une crise trop grave de famine. On fait des progrès sur ce plan. Je demanderai à ma collègue de me fournir les chiffres exacts à votre intention.

  (1620)  

    Le Canada a déjà fourni 42 millions de dollars à la région du Sahel pour agir dès le début.
    C'est intéressant. Nous avions comme témoin il y a quelques semaines un certain David Tennant, un promoteur du sud-ouest de l'Ontario, qui nous a parlé des possibilités existant au Sud-Soudan. Il est là-bas avec un groupe de collègues, qui ne sont pas des gens reconnus par les ONG mais qui font simplement oeuvre de bienfaisance, pour appuyer le développement de fermes au Sud-Soudan. Il nous a parlé d'une quantité énorme de maïs, quelque chose comme deux tonnes à l'acre, ce qui est le niveau le plus élevé de tous les pays d'Afrique. À l'heure actuelle, ces gens dispensent une aide humanitaire et ils vendent tout ce qu'ils peuvent produire au Programme alimentaire mondial.
    Quand vous parlez de commerce inter-africain et d'agriculture au Sud-Soudan, et de GROW Africa, il y a là une possibilité qui s'est présentée, et M. Tennant est absolument convaincu qu'on peut développer l'agriculture en Afrique pour nourrir la population locale.
    Mon temps de parole est probablement écoulé, n'est-ce pas?
    Non, il vous reste 20 secondes.
    Il me reste 20 secondes.
    Avez-vous quelque chose à nous dire sur les possibilités agricoles du Sud-Soudan, selon ce que vous avez pu voir personnellement?
    Je dirais rapidement qu'il y a un contraste frappant quand on visite les camps de Dadaab, au Kenya, où l'on voit la famine incroyable qui est en train de se répandre, et qu'on s’en va ensuite à Djouba au Sud-Soudan. Quand on quitte la zone de sécheresse et qu'on survole le sud pour aller à Djouba — c'est un long voyage parce que c'est un vaste pays —, on voit un magnifique potentiel de terres arables riches et vertes, mais on n'y voit quasiment aucun développement en termes de routes, d'accès ou d'agriculture commerciale communautaire. Mais le potentiel est là, c'est évident.
    Je l'ai vu, c'est énorme.
    Et le Nil offre un potentiel tellement incroyable pour l'irrigation de ce pays. C'est remarquable.
    Et pour le commerce transfrontalier…
    Mme Lois Brown: Absolument.
    M. Philip Baker: … avec des péniches faisant l’aller-retour, bourrées de légumes. J'espère en voir beaucoup plus.
    Merci, monsieur Baker.
    Vous avez une question, madame Laverdière?
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais revenir sur la situation de Bashir Makhtal, qui préoccupe beaucoup de gens, je crois, quel que soit leur parti politique.
    Lors de la discussion sur les droits de la personne, de manière générale, vous avez dit que le ministère des Affaires étrangères est le chef de file, et nous savons aussi que le ministre s'intéresse à cette affaire. Toutefois, y a-t-il eu des échanges à ce sujet entre l'ACDI et les Affaires étrangères?
    L'ACDI et les Affaires étrangères discutent de toutes les questions concernant l'Éthiopie. Si vous voulez parler de discussions entre l'ACDI et le gouvernement éthiopien, c'est une autre affaire car, comme je l'ai dit, c'est le ministère des Affaires étrangères qui est le chef de file.
    À ce sujet, il y a actuellement une instance judiciaire devant les cours fédérales. Le gouvernement fédéral prépare actuellement son factum. Il y a évidemment des discussions entre l'ACDI et les Affaires étrangères sur ce front, afin de préparer notre argumentaire pour les cours fédérales. Je ne ferai aucun commentaire sur ces détails, puisque l'affaire est encore devant la justice, mais l'interaction entre les deux organisations est évidemment un aspect crucial de cette situation.
    J'ai dit tout à l'heure que notre mandat concerne la réduction de la pauvreté. C'est la manière dont le Canada agit à cet égard qui en fait un acteur tellement fort sur la scène internationale. Lorsque nous devenons des ardents défenseurs des droits humains et que nous agissons sur ce front… et ce n'est pas différent en Éthiopie. Nous élaborons de bons programmes et exerçons des pressions sur le gouvernement chaque fois que nous en avons l'occasion, de façon à améliorer les résultats sur ce plan. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons mis fin à l'appui budgétaire direct en 2005, parce que nous avions constaté des infractions aux droits humains et avions réagi immédiatement.

  (1625)  

    Merci de votre participation à cette audience, monsieur Baker.
    Nous avons maintenant le grand plaisir d'accueillir par vidéoconférence Leslie Lefkow, de Human Rights Watch. Leslie est directrice adjointe pour l'Afrique.
    Je veux d'abord m'assurer qu'elle nous entend.
    J'étais en mode muet.
    Très bien, je suis heureux que vous nous entendiez.
    Il y a des gens qui essayent de me rendre muet depuis des années, je peux vous le dire.
    Des voix: Oh!, oh!
    Le vice-président (M. Paul Dewar): Je vous remercie de vous joindre à nous. Je vais vous donner 10 minutes pour votre déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions.
    Merci à nouveau de votre participation.
    Merci d'avoir invité Human Rights Watch à participer à cette audience. C'est une excellente occasion de discuter de certaines des questions qui nous préoccupent depuis un certain temps à Human Rights Watch.
    J'aimerais aborder brièvement trois questions dans ma déclaration liminaire. Je vais d'abord vous donner un très bref aperçu de la situation des droits humains en Éthiopie, telle que nous la percevons. Ensuite, j'aimerais parler des défis que pose la surveillance de la situation en Éthiopie, car certains sont tout à fait particuliers et graves. Finalement, j'aimerais décrire très brièvement les recherches que nous avons effectuées ces dernières années sur la manipulation de l'aide au développement.
    Pour commencer, permettez-moi de dire que l'Éthiopie est un pays extrêmement prometteur, mais un pays qui évolue dans le mauvais sens, selon moi. La détérioration de la situation des droits humains que nous constatons aujourd'hui n'a pas commencé en 2005 mais, rétrospectivement, on peut dire que 2005 a été un point tournant, lorsque le gouvernement a choisi la voie de l'intensification de la répression. Or, c'est malheureusement la voie dans laquelle il est encore engagé aujourd'hui.
    Comme vous le savez, les élections de 2005 se sont terminées dans la controverse, avec de la répression gouvernementale et des plaintes de fraude électorale formulées par les principaux politiciens d'opposition. Les forces de sécurité ont arrêté quelque 30 000 personnes, selon les estimations, et ont battu à mort ou tué près de 200 personnes à Addis-Abeba.
    Depuis 2005, maints observateurs, moi comprise, espéraient que le gouvernement ferait marche arrière après les élections parlementaires suivantes, de mai 2010, mais cela n'a malheureusement pas été le cas.
    Aujourd'hui, la répression frappe aussi bien les dissidents en vue que des citoyens ordinaires. Dans toute l'Éthiopie, et surtout dans les régions sensibles de l’Oromie et de Somali, nous avons documenté des cas de fonctionnaires locaux harcelant ou emprisonnant des personnes considérées comme des critiques du gouvernement, ou menaçant de les priver de l'aide gouvernementale.
    Ces critiques sont souvent accusés de crimes graves comme la participation à des organisations insurrectionnelles ou terroristes. La plupart sont libérés sans avoir été jugés, à cause du manque de preuves, mais généralement après avoir passé des périodes extrêmement longues en prison et, parfois, avoir été torturés ou maltraités.
    Plus inquiétant encore, les forces militaires de l'Éthiopie ont commis de très graves abus constituant en fait des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité dans leurs réactions aux menaces contre la sécurité. Les responsables de ces crimes bénéficient d'une impunité quasi totale en matière de poursuites et même d'investigations. Ces abus et cette impunité semblent systématiques. De la région de Gambella à l'ouest à la région de Somali à l'est, ainsi que dans la Somalie voisine, les forces de sécurité ont réagi à répétition ces dernières années contre les menaces d'insurrection en commettant des atrocités contre les civils.
    À ce jour, la réponse de l'Éthiopie aux allégations sérieuses de crimes internationaux de ce genre a été de les nier et de dénigrer leurs auteurs, qu'il s'agisse de groupes éthiopiens de défense des droits humains, de ma propre organisation, Human Rights Watch, d’Amnesty, ou même du Département d'État des États-Unis. Au lieu de répondre par un effort sincère d'investigation et d'intervention, le gouvernement éthiopien nie les allégations et accorde l'impunité aux coupables.
    Aujourd'hui, l'Éthiopie est devenue l'un des pays les plus intolérants du continent envers les opinions indépendantes. Le gouvernement ne cesse d'employer la violence, l'intimidation et la répression législative pour bâillonner l'opposition politique, la presse indépendante et la société civile. Depuis 2009, comme vous le savez, elle a adopté de nouvelles lois, l'une sur les organisations non gouvernementales, appelée loi CSO, et l'autre, contre le terrorisme, qui reviennent à toutes fins utiles à criminaliser le travail de protection des droits humains dans le pays et à miner les droits politiques et civils. Prises ensemble, ces lois contiennent des dispositions donnant au gouvernement des outils puissants pour criminaliser l'action en faveur des droits humains, traiter les manifestations publiques comme des actes de terrorisme, et accroître considérablement le pouvoir du gouvernement de restreindre la liberté d'association, de réunion et d'expression.
    Avant l'adoption de ces deux lois, Human Rights Watch en avait publié une analyse détaillée mettant en relief leurs pires dispositions. Bon nombre de nos préoccupations ont été partagées par les gouvernements donateurs, et certaines de nos recommandations ont été reprises dans l'examen périodique universel de l'Éthiopie par les Nations Unies ces dernières années.

  (1630)  

    Nous avions prédit que ces lois risquaient de restreindre l'activité non gouvernementale en Éthiopie, et que la loi antiterrorisme risquait de servir à poursuivre les journalistes et les opposants politiques. Hélas, ce que nous avions craint est arrivé. Rien que l'an dernier, comme vous le savez peut-être, plus d'une centaine de membres de l'opposition politique, de journalistes et d'autres citoyens ont été arrêtés et détenus. Beaucoup sont actuellement jugés au nom de la loi antiterrorisme essentiellement pour avoir exprimé des opinions qui sont normalement protégées par la Constitution de l'Éthiopie au titre de la liberté d'expression.
    Les effets de la loi CSO, la loi sur les ONG, ont été catastrophiques pour la société civile éthiopienne. Les principaux groupes éthiopiens de défense des droits humains ont été paralysés, et bon nombre de leurs cadres ont fui le pays. Certaines organisations ont changé leur mandat pour cesser totalement de s'occuper de questions de droits de la personne. D'autres, comme le Ethiopian Human Rights Council, la plus vieille organisation éthiopienne de protection des droits humains, et la Ethiopian Women Lawyers Association, qui a fait oeuvre pionnière sur la violence contre les femmes et pour protéger les droits des femmes, ont été obligées de sabrer leur budget, leur personnel et leur activité.
    Les effets de la loi CSO sont particulièrement importants pour les donateurs à cause de l'obligation de responsabilité sociale de maints grands programmes d'aide à l'Éthiopie. Ce volet de responsabilité sociale, comme je suis sûre que vous le savez, était destiné à rehausser la surveillance des programmes d'aide sur le terrain. Le fait que bon nombre des organismes indépendants auxquels on aurait normalement pu s'adresser pour obtenir des informations et de la surveillance à ce sujet ne soient plus capables de fonctionner est un problème très grave, à la fois pour surveiller la situation des droits humains de manière générale, et pour surveiller l'évolution des programmes d'aide dans le pays.
    Cela étant, et tout en constatant ce coup dévastateur porté à la société civile, nous avons aussi vu le gouvernement encourager une multitude d'organisations affilées pour combler le vide ainsi créé. Mentionnons à ce sujet la Commission éthiopienne des droits de la personne, institution nationale qui a été mise sur pied par le gouvernement. En théorie, elle devrait être indépendante mais elle ne l'est malheureusement pas.
    Je mentionne à nouveau cette commission parce que c'est l'une des institutions qui ont reçu des fonds considérables au titre du programme des institutions démocratiques que l'ACDI finance, avec d'autres, depuis plusieurs années. Human Rights Watch a demandé aux donateurs de suspendre leur financement du programme des institutions démocratiques à cause des problèmes et des préoccupations que nous pose cette détérioration généralisée de l'environnement des droits humains, laquelle nous oblige à nous interroger sur l'efficacité que peut avoir ce genre de programme quand on constate cette tendance croissante à la répression des droits fondamentaux.
    Human Rights Watch jouit d'une expérience considérable en matière de protection des droits humains, du fait de sa collaboration avec les commissions pertinentes dans le monde entier, notamment dans maints pays d'Afrique. À notre avis, l'indépendance est absolument cruciale pour qu'une telle institution puisse oeuvrer avec la société civile. Je le répète, quand nous voyons les problèmes qui se posent aujourd'hui en Éthiopie du point de vue de l'aptitude des organisations indépendantes à fonctionner, force est bien de s'interroger sérieusement sur un programme de dons, quel qu'il soit, qui finance cette institution en l'absence des conditions essentielles au succès.
    Le gouvernement de l'Éthiopie s'est aussi montré extrêmement intolérant envers la presse indépendante. Selon le Committee to Protect Journalists, l'Éthiopie a poussé plus de journalistes à l'exil au cours de la dernière décennie que n'importe quelle autre nation au monde — 79 au dernier décompte —, et sept journalistes sont aujourd'hui en prison, chiffre qui n'est atteint que par l'Érythrée en Afrique. Cela comprend évidemment deux journalistes suédois qui ont été arrêtés et condamnés pour terrorisme en décembre parce qu'ils se trouvaient dans la région de Somali, à l'est du pays, pour enquêter sur des allégations d'abus.
    J'aimerais aborder très brièvement les défis que pose la surveillance de la situation en Éthiopie, dans ce contexte général, car c'est un problème essentiel que nous ne cessons de soulever auprès des donateurs d'aide au développement en Éthiopie. J'ai travaillé pendant 15 ans en Afrique dans le domaine des droits de la personne, et l'Éthiopie est sans conteste l'un des pays où il est le plus difficile de travailler. Cela s'explique par plusieurs facteurs. L'un d'entre eux est que le gouvernement éthiopien impose des restrictions à l'accès indépendant et à la surveillance par les organisations indépendantes essayant de faire enquête sur les abus, surtout dans des régions qu'il estime sensibles, comme l'Oromie et la région de Somali.

  (1635)  

    C'est aussi un problème en partie à cause du vaste appareil de sécurité qui est déployé à chaque palier administratif du pays. La machine de surveillance étend quasiment ses tentacules dans chaque foyer et, si vous ne faites pas partie de la population locale, que vous soyez éthiopien ou non, votre présence sera notée presque immédiatement si vous allez dans un village quelconque. Évidemment, cela a des conséquences importantes quant à la manière dont vous pourrez recueillir des informations, de manière confidentielle, pour que les témoins et victimes d'abus se sentent libres de vous parler ouvertement et en toute confiance.
    Veuillez m'excuser, je pense que vos 10 minutes viennent de se terminer. Pourriez-vous conclure brièvement?

  (1640)  

    Oui.
    Je voudrais parler très brièvement du travail d'aide au développement que nous avons effectué en 2009. Il s'agit d'une recherche que nous avons réalisée dans 53 kebeles de trois États différents. Nous avons essentiellement constaté que les membres de l'opposition se voyaient régulièrement interdire l'accès aux services gouvernementaux, y compris à des intrants agricoles comme des semences et des engrais, l'accès au microcrédit, et l'accès à l'emploi. Pour vous donner un exemple, nos chercheurs ont interrogé un vieil homme à qui l'on a dit, quand il est allé s'inscrire pour obtenir une assistance humanitaire, qu'il devait présenter les reçus de son adhésion au parti du gouvernement, le EPRDF, pour pouvoir recevoir de l'aide alimentaire.
    Nous avons aussi constaté que les programmes de développement des capacités étaient exploités pour endoctriner les enfants des écoles dans l'idéologie du parti, pour intimider les enseignants et pour purger les dissidents de la fonction publique. Bon nombre des fonctionnaires mettant en oeuvre ou tolérant ces politiques sont rémunérés par le truchement du programme des services de base, le programme financé par des donateurs multiples auquel émargent les instances régionales.
    Dans notre conversation avec les donateurs depuis la publication du rapport, nous n'avons malheureusement reçu aucune assurance réelle que nos préoccupations ont été prises en compte. Nous avons formulé un certain nombre de remarques très précises sur les mécanismes de surveillance en place et sur le besoin de vérifications sur place par les donateurs au sujet de ces allégations. Jusqu'à présent, il n'y a eu aucune enquête sur place. C'est l'une de nos principales recommandations à tous les donateurs, dont l'ACDI, que nous implorons d'agir le plus vite possible.
    Nous avons publié en janvier un rapport sur les vastes programmes de réinstallation à Gambella. Il s'agit là d'un volet d'un dispositif national plus vaste qui est également mis en oeuvre à Benishangul et dans d'autres régions où des communautés entières sont déplacées, prétendument dans le cadre d'un programme de développement devant leur donner accès à de meilleurs services. Or, notre recherche a montré que les gens sont forcés de partir sans compensation et sans consultation. Cela fait ressortir certaines préoccupations que nous avons au sujet de la continuation d'abus à grande échelle, où des donateurs établis à Addis et impliqués directement ou indirectement dans certains de ces programmes ne font aucune investigation alors que cela nous semble indispensable.
    Merci beaucoup. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
    Merci beaucoup, madame Lefkow.
    Nous commençons avec M. Saganash, de l'opposition officielle, pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, madame Lefkow, de cet exposé et de votre participation à cette audience. Votre organisme publie des rapports sur la situation en Éthiopie depuis de nombreuses années. Je tiens à vous remercier du travail que vous faites pour jeter un peu de lumière sur ce qui se passe dans ce pays.
    À la fin de votre rapport de janvier 2012 sur l'Éthiopie, je trouve l'affirmation suivante:
L'aide des donateurs internationaux continue d'affluer en Éthiopie, l'un des plus gros destinataires mondiaux de l'aide, mais cela n'a entraîné aucun surcroît d’influence internationale pour forcer le gouvernement à respecter ses obligations en matière de droits humains.
    Et un peu plus loin :
… les dépenses publiques restent énormément tributaires de l'aide étrangère (entre 30 et 40 p. 100), et les donateurs conservent un levier important qu'ils pourraient utiliser à meilleur effet pour exiger que des mesures fondamentales…
    Quand je lis ces lignes, j'ai l'impression que vous recommandez qu'on essaie d'agir pour amener le gouvernement éthiopien à résipiscence.
    Je partage votre opinion. Vous avez dit au début que l'Éthiopie a un potentiel énorme mais qu'elle est engagée dans la mauvaise voie. Quelles recommandations pourriez-vous adresser à notre comité à cet égard? Quelles mesures pourrait-on prendre?
    Vous avez la parole, madame Lefkow.
    Cela soulève plusieurs questions. Tout d'abord, nous affirmons que l'aide continue d'affluer dans le pays mais que les donateurs n'en tirent aucune influence. Même depuis 2008, les chiffres indiquent que l'Éthiopie reçoit 4 milliards de dollars ou plus par an. Pourtant, la situation des droits humains ne cesse d'empirer. Il y a des indicateurs très clairs concernant le traitement de la société civile, des médias et de l'opposition politique, ainsi que l'impunité des officiels, qui montrent, comme je l'ai dit, que l'accroissement de l'aide ne se traduit par aucune amélioration sur le plan des droits humains.
    Quand les donateurs affirment que maintenir ou accroître l'aide leur permettra d'exercer une plus grande influence, la question qui se pose est celle-ci: quel message les donateurs donnent-ils en réalité au sujet de la situation des droits humains, et quelle stratégie essayent-ils d'appliquer? Il est clair que la diplomatie douce, qui est la stratégie qu'ont employée les donateurs jusqu'à présent, n'a produit aucun changement résultat positif. La situation empire.
    Human Rights Watch ne demande pas aux donateurs de couper toute l'aide destinée à l'Éthiopie. Nous savons que c'est l'un des pays les plus pauvres du mondes et que le besoin est énorme. Toutefois, nous ne pensons pas non plus que ce soit une simple alternative. Nous pensons que, si les donateurs s'unissaient derrière un message fort et étaient très unis derrière une stratégie solide envers le gouvernement éthiopien, les progrès seraient plus encourageants que ce que nous avons constaté jusqu'à maintenant.
    Par exemple, nous estimons depuis un certain temps que suspendre l'aide au programme des institutions démocratiques enverrait au gouvernement éthiopien le message important que ces efforts pour améliorer la gouvernance ne donnent rien. Avec ce programme, nous ne faisons que soutenir le gouvernement et le parti au pouvoir, sans améliorer en quoi que ce soit la situation de l'Éthiopien moyen. Donc, avec le programme des institutions démocratiques, nous pourrions envoyer un message très fort, ce que les donateurs n'ont pas fait.
    Je pense que l'autre problème est que la diplomatie douce ne donne manifestement rien. Nous aimerions que les donateurs envoient des messages beaucoup plus fermes, idéalement de manière unie, pour fixer une limite très claire aux abus des droits humains et aux tendances que nous avons constatées. Jusqu'à présent, à mon avis, le message a été — et Addis-Abeba le comprend très bien — que les donateurs ne feront en réalité rien qui pourrait avoir des conséquences réelles. Il n'y aura aucune conséquence concrète à l'intensification de la répression, alors qu'il devrait y en avoir.

  (1645)  

    Également en janvier de cette année, l'ACDI a annoncé qu'elle allait examiner l'utilisation de son aide à l'Éthiopie, quand on a appris que le gouvernement forçait 70 000 indigènes à abandonner leurs terres à l'ouest de Gambella, et il s'agit de populations indigènes, pas de tribus arriérées comme l'affirmait quelqu'un tout à l'heure.
    Selon un rapport récent de la BBC, « l'Arabie Saoudite et la Chine ont l'intention d'acquérir de vastes terrains, notamment à Gambella, pour cultiver plus d'un million de tonnes de riz qu'elles enverront chez elles ». Savez-vous s'il y a d'autres nations, ou des entreprises précises, qui ont l'intention de faire la même chose? Savez-vous si ces nations envisagent également des activités différentes comme l'exploitation minière, la prospection pétrolière ou le développement?
    Pourriez-vous répondre très rapidement, s'il vous plaît?
    Il y a eu aussi une variété d'intérêts miniers et autres dans la région de Somali, concernant par exemple des entreprises malaysiennes. Comme je l'ai dit, je pense que le gros besoin ici, pour Human Rights Watch, est de surveiller et d'enquêter. C'est à ce chapitre que nous ne constatons aucune amélioration concrète, en particulier quand il s'agit de l'implication des donateurs dans certains de ces programmes.
    Nous passons maintenant au côté gouvernemental.
    Monsieur Dechert, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, madame Lefkow, de comparaître aujourd'hui pour nous faire bénéficier de votre connaissance de la situation en Éthiopie. Nous avons entendu tout à l'heure de graves préoccupations au sujet du comportement du gouvernement éthiopien à l'égard des droits de la personne. Notre gouvernement l'a vertement critiqué. Nous avons exercé des pressions, à la fois directement et par le truchement des tribunes internationales, comme les Nations Unies, pour améliorer cette situation.
    Vous avez dit avoir certaines réserves précises au sujet de la Commission éthiopienne des droits de la personne. Pourriez-vous nous donner des détails?

  (1650)  

    Il existe aujourd'hui un large consensus sur certains des critères qui font qu'un organisme national des droits humains est efficace. Un certain nombre d'acteurs, dont Human Rights Watch, ont évalué des commissions qui existent sur le continent et dans le reste du monde. Il y a aussi les principes de Paris, adoptés par les Nations Unies, auxquels souscrivent les organismes nationaux de droits humains de divers pays. Il existe un mécanisme par lequel les organismes qui souscrivent aux principes fondamentaux peuvent demander à être accrédités. Le tout premier de ces principes est l'indépendance, facteur jugé essentiel pour qu'un organisme de protection des droits humains soit efficace. Quand j'affirme que, selon Human Rights Watch, la Commission éthiopienne des droits de la personne n'est pas à la hauteur de ces principes, je ne me fonde pas sur les propres critères de Human Rights Watch mais sur ces critères généralement acceptés.
    J'ajoute que la Commission éthiopienne des droits de la personne n'a toujours pas demandé à se faire accréditer, à ma connaissance, ce qui est peut-être le signe qu'elle ne se conforme pas encore à bon nombre de ces critères.
    Comme je l'ai dit, l'indépendance est primordiale. La possibilité d'agir avec la société civile est un principe essentiel. Il y a aussi d'autres facteurs concernant le mandat de l'organisme pertinent, comme l'indépendance financière.
    Quand on examine l'action de la Commission éthiopienne des droits de la personne au cours des dernières années, on constate fondamentalement qu'elle ne se conforme à aucun de ces critères. Par exemple, confronté à ces deux lois répressives — la loi sur la société civile et la loi antiterrorisme —, n'importe quel organisme national sérieux de protection des droits humains les aurait contestées publiquement en mentionnant les problèmes qu'elles soulèvent: violation de la liberté d'expression, d'association et de réunion. Or, la Commission éthiopienne des droits de la personne est restée coite.
    À votre avis, les pays donateurs devraient-ils essayer d'intervenir pour que la Commission éthiopienne des droits de la personne agisse indépendamment du gouvernement et se fasse accréditer selon les normes internationales?
    La première chose que devraient faire les donateurs serait de réclamer l'abolition de la loi sur la société civile afin de ramener la situation générale des droits de la personne dans le cadre des libertés limitées qui existaient il y a quelques années. Nous en sommes aujourd'hui au point où il est extraordinairement difficile pour un organisme indépendant quelconque de fonctionner en Éthiopie, qu'il s'agisse d'un organisme national ou d'un organisme non gouvernemental. Donner plus d'argent à un organisme sans les conditions préalables au bon fonctionnement de la société civile, c'est-à-dire sans que les citoyens puissent s'exprimer en toute indépendance, reviendrait à donner de l'argent à… Je ne sais pas, ce n'est pas la bonne chose.
    J'essaie de comprendre. Il y a cette loi CSO, comme vous l'appelez. Vous avez dit que son effet est de criminaliser une bonne partie du travail de protection des droits humains que font certaines de ces ONG, notamment en ce qui concerne les droits des femmes. Il y a donc cette loi qui empêcherait d'autres organismes, des organismes internationaux, de contribuer à la protection des droits humains en Éthiopie. Le gouvernement éthiopien fait fi des demandes que lui adressent des pays comme le Canada, dans le cadre des Nations Unies ou d'autres tribunes internationales, pour qu'il améliore la situation.
    Donc, si nous ne pouvons travailler ni avec la Commission éthiopienne des droits de la personne ni avec aucune autre organisation de la société civile parce que cela leur est interdit par la loi éthiopienne, que pouvons-nous faire? Comment pouvons-nous améliorer la situation des droits de la personne dans ce pays?

  (1655)  

    Vous devez faire plus d'efforts pour obtenir que le gouvernement modifie cette loi qui viole aussi bien sa propre Constitution que les normes internationales. Voilà la condition préalable, et c'est la même chose pour la loi antiterrorisme, que le gouvernement utilise pour incarcérer les journalistes qui publient des choses totalement conformes au principe de la liberté d'expression.
    Tant qu'il n'y aura pas d'amélioration à ce chapitre, c'est-à-dire de modification de ces lois, il sera difficile de voir comment les donateurs pourraient financer activement et utilement des institutions gouvernementales qui ne sont en fin de compte que des appendices du pouvoir exécutif. Il ne ferait alors que donner de l'argent à des institutions qui ne font ou ne disent absolument rien qui aille à l'encontre des désirs du parti au pouvoir.
    Je suppose que vous oeuvrez avec ces organisations et que vous leur dites donc tous les jours qu'elles devraient s'améliorer, au lieu de simplement reprendre vos billes et quitter le pays.
    Vous avez là un gouvernement qui a commis de graves infractions aux droits humains de sa propre population. Il ne réagit pas à la pression internationale. Si vous ne pouvez pas travailler avec la commission des droits de la personne et être sur place chaque jour pour développer sa capacité à faire un meilleur travail pour protéger les droits de la population éthiopienne et à s'élever contre les abus que vous constatez, ne serait-il quand même pas contradictoire de simplement vous retirer du pays et de ne plus pouvoir rien faire? Y a-t-il d'autres sanctions qui pourraient être prises contre le gouvernement éthiopien, à votre avis?
    Veuillez répondre très brièvement, s'il vous plaît.
    Je ne pense pas que ce soit une question de capacité. Selon mes informations, la Commission éthiopienne des droits de la personne a reçu plusieurs millions de dollars au titre du soutien technique, d'ordinateurs, etc. Ce qui manque, c’est la volonté politique de la laisser fonctionner. S'il n'y a pas de volonté politique, vous pouvez bien donner autant d'argent que vous voulez à ces institutions, vous n'obtiendrez pas les résultats que vous souhaitez.
    C'est maintenant au tour de M. Eyking, pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci de votre participation, Leslie.
    J'ai pas mal de questions à vous poser. Tout d'abord, pouvez-vous me donner une idée générale de ce qu'est l'Éthiopie? A-t-elle toujours été un pays sans foi ni loi, ou la situation actuelle est-elle plus le fait du régime actuel? Est-ce que ce sont les nombreuses sécheresses et famines qui ont créé ce genre d'environnement? Comment se fait-il que le pays soit dans cette situation, ou l'a-t-il toujours été?
    L'Éthiopie est loin d'être un pays sans foi ni loi. C'est l'une des sociétés et l'un des gouvernements les plus rigoureusement contrôlés et hiérarchisés de la région. Il serait très difficile d'imaginer qu'une politique gouvernementale quelconque puisse y être mise en oeuvre sans l'aval des plus hautes autorités. Cela englobe en grande mesure l'action des forces armées. Ce n'est pas une armée indisciplinée, et c'est pourquoi bon nombre des crimes que nous avons documentés sont encore plus alarmants, car on ne parle pas ici de quelques brebis galeuses ou de gens n'ayant reçu aucune formation. C'est dans l'ensemble une force militaire extrêmement disciplinée avec, comme je l'ai dit, un ensemble très hiérarchisé d'institutions, ce qui me ramène à ce que je disais il y a un instant: ce n'est pas une question de capacité, même s'il est vrai qu'on peut toujours donner plus de formation et de ressources. Le vrai problème, quand on parle de la situation des droits humains en Éthiopie, c'est le choix politique qu'a fait le gouvernement de subjuguer la société et de réprimer toute critique indépendante ou toute forme d'expression indépendante.
    Dans votre rapport du 28 mars, vous parlez d'exécutions dans quelques collectivités. Y a-t-il à cet égard certains points chauds qui sont pires qu'ailleurs dans ce pays?

  (1700)  

    Oui. Il y a manifestement des groupes ou des catégories de gens qui sont plus susceptibles d'être attaqués ou ciblés, c'est-à-dire de faire l'objet de toute la gamme des mesures allant de l'intimidation à la torture et à la détention. Je veux parler des membres de l'opposition politique et de leurs partisans, et même parfois de personnes considérées comme des partisans mais qui n'en sont pas vraiment. Je veux parler de gens qui sont considérés comme étant reliés aux groupes insurrectionnels. Il y a deux régions du pays…
    Veuillez m'excuser.
    Quand vous parlez de répression des groupes d'opposition, Leslie, pensez-vous que le gouvernement utilise l'aide étrangère pour ce faire? Je suppose que c'est inévitable. Il reçoit de l'argent de pays comme le Canada et s'en sert pour opprimer l'opposition. C'est bien ça?
    Nous avons abordé cette question dans l’un des rapports que nous avons publiés en 2010, quand nous avons examiné la manière dont des personnes considérées comme étant des partisans de l'opposition étaient privées de l'accès à certains services gouvernementaux, uniquement pour cette raison, ce que nous avons documenté, notamment durant la période précédant les élections de mai 2010.
    Quand un pays se réforme, si l'on peut dire, cela se fait de l'intérieur ou de l'extérieur. Nous avons vu ce qui s'est passé en Afrique du Sud, il y a des années, avec les pressions internationales qui ont été exercées.
    Pensez-vous que l'ONU ou l'Union africaine pourraient jouer un rôle plus important dans la surveillance de ce pays et de ce qu'il fait?
    Dans un sens, l'Éthiopie se trouve dans une situation très privilégiée car c'est le siège de l'Union africaine, à Addis-Abeba. Je dirais tout simplement que l'ONU et l’Union africaine ont fait preuve d'une faiblesse insigne en ce qui concerne l'expression de la moindre critique du gouvernement éthiopien à l'égard de la situation des droits de la personne.
    Si ces deux groupes ne font rien, qui reste-t-il? L'Union européenne fait-elle quelque chose? Le Canada pourrait-il faire plus?
    Cela nous ramène à ce que je disais au sujet des donateurs, notamment les plus grands — les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l'Union européenne, la Banque mondiale, et d'autres — qui devraient dire que ça suffit et commencer par surveiller réellement leurs propres programmes. Comme je l'ai dit, il y a de sérieuses carences dans la surveillance ainsi que dans l'investigation des allégations, et c'est là que les donateurs devraient commencer à jouer du muscle. Ils déversent beaucoup d'argent en Éthiopie et devraient au minimum pouvoir surveiller à quoi il sert.
    Jusqu'à présent, cela ne s'est pas fait du tout comme il l’aurait fallu.
    Votre compte bancaire est-il toujours gelé? Est-il vrai que votre banque…
    Non, ce n'est pas le nôtre. Les comptes bancaires du Ethiopian Human Rights Council, un organisme éthiopien, ont été gelés, et il a intenté une poursuite il y a deux ans pour essayer de les faire débloquer.
    Si je comprends bien, il a du mal à fonctionner pour cette raison. Qui lui vient en aide, s'il n'a pas d'argent? Est-ce qu'il est simplement en train de disparaître?
    C'est l'un des organismes qui ont dû sérieusement réduire la voilure. Il a dû laisser partir la majeure partie de son personnel. Certains de ses cadres ont fui le pays à cause de menaces. Il fonctionne maintenant avec des bouts de ficelle.
    Vous avez 30 secondes.
    Nous venons tout juste d'avoir un témoin qui nous a parlé de toutes les bonnes choses qui se font en Éthiopie. Il y a peut-être beaucoup de bonnes choses qui se font dans le domaine de l'agriculture et dans d'autres mais, quand la règle de droit n'est pas respectée, il ne peut y avoir de vrai progrès, surtout si le gouvernement ne permet pas à l'opposition d'exister.
    Comment tout cela va-t-il finir, d'après vous?
    C'est une très bonne question. Il est toujours risqué de faire des prévisions au sujet de l'Éthiopie mais l'une des très sérieuses préoccupations est que le développement économique et la croissance finiront inévitablement par s'étioler si le niveau de répression actuel se maintient à long terme. On ne peut bâillonner et enrégimenter une population indéfiniment sans qu'elle se mette à envisager des options moins pacifiques, ce qui est la dernière chose qu'on puisse souhaiter.

  (1705)  

    Merci, monsieur Eyking.
    Nous entamons maintenant des tours de cinq minutes, avec Mme Brown.
    Allez y, madame Brown.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci, madame Lefkow, de participer à cette séance.
    Je serai très brève car je vais partager mon temps de parole avec mon collègue, M. Norlock.
    Je voudrais simplement indiquer que nous avons un partenariat avec la Banque mondiale sur l'évaluation et la mesure conjointes de la gouvernance. Le Canada envoie des sommes considérables à l'Éthiopie, par le truchement de l'ACDI. Sous la direction de la Banque mondiale, l'objectif est de permettre « à l'ACDI et aux autres partenaires de développement d'intégrer pleinement la gouvernance dans la programmation des priorités et d'encourager un dialogue sur la gouvernance plus harmonieux et en profondeur avec le gouvernement d’Éthiopie ». Il y a ensuite une liste de ministères, puis « la société civile et les autres partenaires de développement ».
    Si je comprends bien votre argument, nous devrions assumer plus de responsabilité de ce qui se passe en Éthiopie si nous continuons à lui donner de l'argent.
    Notre gouvernement tient beaucoup à délier l'aide et à s'assurer que l'argent va vraiment là où il a besoin d'aller, sans conditions préalables. Croyez-vous que nous devrions imposer plus de restrictions à l'octroi de notre aide et à la manière dont elle est dépensée en Éthiopie?
    Vous vous souviendrez que les donateurs ont suspendu l'appui budgétaire direct au gouvernement central en 2005 et 2006 à cause des préoccupations concernant la violence et l'effondrement de la règle de droit, et que beaucoup des programmes…
    Donc, vous pensez que notre aide devrait être liée?
    Je pense que nous devrions nous interroger très sérieusement sur l'octroi de fonds à un gouvernement qui a transgressé aussi gravement les droits humains.
    Pour que ce soit clair…
    Veuillez la laisser terminer, Lois.
    … notre argent n'est pas fourni au gouvernement. Nous donnons notre argent à des organisations bilatérales ou, dans le cas présent, à la Banque mondiale, ce qui veut dire que nous le donnons certainement à des organismes en qui nous avons confiance et que nous ne le donnons pas au gouvernement.
    Je vais cependant en rester là pour donner la parole à M. Norlock, et vous pourrez me répondre en même temps.
    Merci beaucoup de votre comparution devant le comité.
    Je ne suis pas officiellement membre du comité mais je vous ai écoutée attentivement car je respecte beaucoup le travail de Human Rights Watch. Je pense que votre contribution est inestimable pour notre information.
    Cela dit, quand on vous demande directement de dire ce qu'il faudrait faire de l'aide que nous accordons, pour essayer de tenir compte des recommandations figurant dans vos rapports, je me permets de vous dire que vous ne faites que régurgiter les mêmes salades, c'est-à-dire que le gouvernement éthiopien est bien méchant et que nous devons l'obliger à rendre des comptes.
    Comment pensez-vous que nous devrions gérer notre aide pour l'amener à résipiscence? L'ACDI soutient qu'elle commence à voir certaines améliorations. Vous, vous dites le contraire. Donc, que recommandez-vous au gouvernement du Canada pour qu'on obtienne de meilleurs résultats en matière de droits humains?
    Tout d'abord, comme je l'ai dit, vous devriez améliorer votre surveillance. Nous avons indiqué dans notre recherche que l'argent passe par le PSB, le programme de protection des services de base. Évidemment, l'argent n'est pas versé au gouvernement central mais, comme vous le savez, le programme de protection des services de base sert à financer les gouvernements régionaux. Très franchement, en Éthiopie, c'est du pareil au même. Les gouvernements régionaux sont absolument sous la botte du gouvernement central et du parti au pouvoir, le EPRDF. Que vous donniez l'argent au gouvernement central ou aux gouvernements régionaux, je ne pense pas que ça fasse beaucoup de différence en bout de ligne. Première chose.
    Deuxième chose. Je pense que vous devez vous pencher sur le programme de protection des services de base ainsi que sur les abus qui ont été documentés, puis vous demander si ce programme atteint vraiment ses objectifs eu égard aux normes des droits humains, notamment quand vous avez des agents de gouvernements régionaux dont le salaire est payé par des programmes de multidonateurs et qui commettent le genre d'abus que nous avons démontrés.
    Si vous doutez de la validité de ces allégations — et le groupe consultatif du développement a remis en question notre recherche et notre méthodologie —, il vous incombe de faire enquête. Jusqu'à présent, aucun donateur n'a fait enquête. Certains ont examiné la situation dans leurs bureaux en se penchant sur de la paperasse ou des documents pour déterminer si les mécanismes de surveillance sont suffisants ou non. Leur conclusion a d'ailleurs été qu'une enquête sur place était nécessaire pour évaluer ces allégations mais ça n'a jamais été fait. Jusqu'à présent, nous n'avons reçu aucune explication satisfaisante des donateurs pour cette absence d'investigation.
    Avant de se demander si tout cela exige que l'aide soit interrompue, nous vous implorons, ainsi que les autres donateurs, à entreprendre réellement un travail d'enquête adéquat, en faisant appel à des personnes indépendantes, malgré les défis que j'ai mentionnés plus tôt. Peut-être devrez-vous alors vous poser la question difficile de savoir si certains de ces programmes devraient être annulés ou non parce qu'ils ne font en réalité que renforcer un parti au pouvoir de plus en plus répressif.

  (1710)  

    Je donne maintenant la parole à Mme Laverdière, pour cinq minutes.
    Merci beaucoup.
    Je vous remercie de vos réponses, notamment de ce que vous venez de dire sur ce que nous pourrions faire pour veiller à ne pas financer des organisations transgressant les droits humains.
    Dans un domaine un peu différent, quelle est votre opinion des élections de 2010, et quelle est actuellement la situation des partis politiques en Éthiopie?
    Comme je suis sûre que vous le savez, le EPRDF et ses partis alliés ont gagné plus de 99 p. 100 des sièges parlementaires en mai 2010. Deux sièges seulement leur ont échappé, un pour l'opposition et un pour un indépendant. Très franchement, je pense qu'il n'y a rien à ajouter à cela. Je ne pense pas que Human Rights Watch ait besoin d'ajouter quoi que ce soit à un tel résultat. Je pense qu'un résultat de 99 p. 100 prouve que les efforts du parti au pouvoir pour consolider sa mainmise durant les mois ayant précédé les élections de 2010 ont éminemment réussi.
    Merci beaucoup. Nous savons que ces préoccupations ne sont pas seulement celles de Human Rights Watch mais aussi des Nations Unies et d'autres organisations.
    Pour revenir à ce que vous disiez au sujet de la surveillance, comme première étape, je pense que c'était parfaitement clair. Les journalistes sont-ils eux aussi confrontés à des problèmes? Y a-t-il un moyen quelconque pour nous d'aider les organisations de la société civile, que ce soit dans le domaine de l'information ou dans d'autres domaines?
    Comme vous dites, la situation est très sombre. Elle est très difficile. Je ne veux pas minimiser les défis que pose l'Éthiopie. Je conviens que le contexte est très difficile.
    Je pense qu'on a déjà franchi trop de lignes rouges. Je crains que, lorsque la loi sur les organismes et sociétés de bienfaisance, la loi CSO, et la loi antiterrorisme faisaient l'objet de débats, avant leur adoption, les donateurs ont perdu l'occasion de réagir à l'unisson en disant: « Voilà une ligne rouge qui aura des conséquences importantes sur nos programmes d'aide ».
    Je sais que des interventions ou des recommandations ont été formulées à Genève, dans le cadre de l'examen périodique universel de l'ONU, par une multitude de donateurs pour amender la loi. Depuis lors, cependant, il n'y a eu à ma connaissance aucune intervention que ce soit à ce sujet de la part des donateurs, bilatéralement ou collectivement. À mon avis, il n'est pas trop tard pour que les donateurs exercent des pressions en disant qu'ils reverront leurs programmes d'aide si certaines conditions ne sont pas satisfaites, lorsque ces programmes arriveront à échéance.
    Améliorer la situation pour la société civile et pour la presse devrait être une condition absolument prioritaire à cet égard, et ce devrait être un thème de discussion absolument primordial chaque fois que les donateurs rencontrent les représentants du gouvernement, aussi bien le premier ministre que d'autres membres du gouvernement éthiopien. Je crains toutefois que ce ne soit pas le cas actuellement.

  (1715)  

    Je pense qu'il me reste assez de temps pour une autre question.
     Vous avez dit craindre, si les formes de protestation civile ne sont pas tolérées en Éthiopie, que la situation explose et que la population emploie d'autres méthodes pour exprimer son mécontentement.
    Nous savons bien qu'il est impossible de prédire quand une situation risque d'exploser dans n'importe quel pays. Nous l'avons vu avec le printemps arabe. Y a-t-il des mouvements de cette nature dans la population? Y a-t-il un risque de révolution ou de révolte, ou quelque chose comme ça?
    D'une certaine manière, je pense que 2005 a été le printemps arabe de l'Éthiopie car c'est la première fois dans l'histoire du pays qu'un mouvement vraiment populaire s'est manifesté à l'occasion des élections. Je pense que la plupart des Éthiopiens ont appris une leçon très sévère avec ces événements et avec la répression des sept dernières années.
    Je crois cependant aussi que le printemps arabe nous a enseigné que la répression gouvernementale n'a qu'un temps. Elle finit toujours par engendrer une réaction, armée ou pacifique.
    L'Éthiopie est un pays de plus de 80 millions d'habitants. C'est une population très diversifiée. Comme vous le savez, on y trouve des lignes de partage très profondes aussi bien ethniques que religieuses. Ce qui pourrait arriver de pire serait une sorte d'implosion du pays. Voilà pourquoi j'estime qu'il est dans l'intérêt des amis de l'Éthiopie, des donateurs et des partenaires diplomatiques d'exercer des pressions et d'utiliser leur pouvoir pour que ce scénario ne se réalise pas.
    Ma préoccupation est que la pensée stratégique se fait parfois à très court terme, par exemple quand on considère que l'Éthiopie est un pays plus stable que la Somalie, que l'Érythrée, ou que le Kenya en 2007. On croit peut-être qu'on peut attendre de s'attaquer à ce problème parce qu'il y a d'autres urgences et d'autres feux à éteindre ailleurs.
    C'est là faire preuve d'une profonde myopie. L'Éthiopie est un pays trop important pour qu'on s'en désintéresse, ou plutôt pour qu'on le mette de côté. Il est trop important du point de vue régional, et du point de vue de sa propre population, bien sûr. Voilà donc une autre raison, à mon avis, pour qu'on s'attaque très sérieusement à cette situation des droits humains, non seulement très sombre mais qui se dégrade.
     Je pense que les membres du comité n'ont pas d'autres questions à vous poser et je vais donc vous en poser une moi-même.
    Vous avez dit qu'il faut évaluer les programmes à l'aune de la situation des droits humains, en allant sur le terrain. L'une des choses que font beaucoup de pays donateurs est de donner leur argent à la Banque mondiale, mais on ne sait pas alors clairement où il va réellement. Quand vous parlez des donateurs, je suppose que vous incluez la Banque mondiale, n'est-ce pas?
    La Banque mondiale va-t-elle sur le terrain vérifier à quoi sert l'argent? A-t-elle entrepris une évaluation quelconque ou une analyse des droits humains pour s'assurer que l'argent n'est pas utilisé de manière inappropriée?
    Oui, nous avons eu plusieurs discussions récemment avec la Banque mondiale, parce que notre recherche, notamment à Gambella, sur le déplacement forcé des populations est reliée à la prestation du programme des services de base. Les agents de ce programme mettent en oeuvre cette politique de déplacement forcé, et la Banque mondiale a évidemment adopté des lignes directrices très rigoureuses sur le déplacement involontaire des populations et sur la transgression des droits humains des collectivités indigènes, entre autres.
    À notre connaissance, la Banque mondiale et plusieurs autres donateurs ont effectué des visites sur place à Gambella et à Benishangul, où il y a eu des processus similaires de villagisation. Nous n'avons cependant pas vu les rapports de ces évaluations, qui n'ont pas été rendus publics et ne nous ont pas été communiqués.
    Cela dit, nous avons certaines réserves au sujet de la méthodologie employée. Je ne prendrai qu'une seconde pour vous raconter une petite anecdote. Notre représentant qui a effectué la recherche à Gambella a interrogé plus d'une centaine de personnes en quatre semaines dans 14 villages différents, est allé dans les villages mêmes pour mener des entrevues individuelles et confidentielles, en conditions de sécurité, avec des victimes et des témoins de ces abus.
    Un jour, il est allé dans un village avec un agent régional et a demandé à un habitant si sa réinstallation avait été volontaire. Celui-ci lui a répondu: « Oui, tout va bien, pas de problème ». Quand il y est retourné deux jours plus tard avec un militant communautaire que cet habitant connaissait et en qui il avait confiance, ce dernier a présenté une situation totalement différente en disant que les gens avaient été forcés à déménager, qu'il y avait eu de la violence et que des gens avaient été menacés et détenus par les agents locaux.
    Je vous dis cela pour montrer que, si des agents diplomatiques ou des représentants de donateurs d'Addis-Abeba se rendent dans les villages avec des représentants du gouvernement, personne ne leur dira la vérité, ce qui confirme ce que je disais sur la manière dont ces programmes sont surveillés et sur ce que les donateurs devraient faire de plus pour être vraiment certains d'apprendre ce qui se passe en réalité.

  (1720)  

    Merci de cette réponse.
    Je vous remercie de votre contribution. Si vous avez d'autres remarques à nous communiquer, n'hésitez pas à le faire en les envoyant à notre greffière.
     Je termine en vous remerciant sincèrement de nous avoir accordé votre temps aujourd'hui pour nous faire partager le fruit de votre travail.
    Merci beaucoup de m'avoir permis de participer à vos travaux.
    La séance est levée.
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