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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 034 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 7 juillet 2014

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

    Bonjour, mesdames et messieurs. La séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne est ouverte.
    Nous en sommes à la 34e séance du comité et à notre troisième séance aujourd'hui, qui sera télévisée. Conformément à l'ordre de renvoi du lundi 16 juin 2014, nous examinons le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d'autres lois en conséquence.
    Nous avons un certain nombre de témoins parmi nous aujourd'hui. Je vais tous les présenter, après quoi nous donnerons la parole à chaque organisation pour 10 minutes. Nous passerons ensuite aux séries de questions.
    Nous accueillons l'honorable Andrew Swan, ministre de la Justice et procureur général, gouvernement du Manitoba. Merci d'être avec nous, monsieur le ministre.
    Nous accueillons également Mme Julia Beazley, de l'Alliance évangélique du Canada; Mmes Diane Matte et Rose Sullivan, de Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle; Mme Natasha Falle, de Sex Trafficking Survivors United; ainsi que Mmes Jean McDonald et Monica Forrester, de Maggie's: The Toronto Sex Workers Action Project.
    Puisque nous avons tous nos témoins, nous allons commencer.
    Monsieur Swan, vous avez la parole pour 10 minutes.
    Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser au comité au sujet du projet de loi C-36.
    Il est difficile et complexe de trouver le bon moyen de lutter contre l'exploitation sexuelle au Canada; c'est une question qui suscite la controverse, mais qui est aussi d'une importance vitale. Le projet de loi C-36 concerne le vide juridique découlant de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bedford. Nous avons maintenant l'occasion de trouver ensemble une meilleure façon de protéger et d'aider les victimes d'exploitation sexuelle et d'accroître la sécurité au sein de nos collectivités.
    Aujourd'hui, je vais vous expliquer pourquoi le Manitoba appuie l'adoption de ce que l'on appelle le modèle nordique. Nous vous dirons également pourquoi et comment le projet de loi C-36 doit être modifié. Je parlerai aussi du soutien nécessaire aux victimes d'exploitation sexuelle et de la raison pour laquelle nous avons besoin de précisions concernant le financement annoncé par le gouvernement fédéral à cette fin.
    Selon le Manitoba, la prostitution n'est pas un crime sans victime. Chaque jour, des personnes vulnérables — femmes, hommes et enfants — sont victimes d'individus et de groupes qui les exploitent sexuellement. Le préjudice causé à ces personnes exploitées est important: alcoolisme et toxicomanie, victimisation avec violence et traumatismes affectifs aux mains de leurs clients, des souteneurs, des vendeurs de drogues et d'autres personnes. Nous savons que beaucoup de victimes au Manitoba ont été exploitées à un très jeune âge. La plupart de celles qui fuient le milieu souffrent de profonds traumatismes physiques et affectifs qu'elles garderont toute leur vie.
    Les victimes d'exploitation sexuelle au Manitoba et ailleurs sont confrontées à des risques et à des dangers que l'on peut qualifier d'extrêmes. Le Centre canadien de la statistique juridique, dans son rapport intitulé L'homicide au Canada, 2011 indique qu'entre 1997 et 2011, on a attribué la mort de 99 personnes directement au fait qu'elles étaient exploitées sexuellement. Ce chiffre est probablement bien inférieur au chiffre réel, monsieur le président. Il ne comprend que les cas où la police a pu établir que le décès s'était produit pendant des activités liées à la prostitution. En effet, nombre de cas de femmes disparues et assassinées, par exemple l'affaire Pickton, en Colombie-Britannique, ou la récente affaire Lamb, au Manitoba, concernent des femmes considérées comme ayant été victimes d'exploitation sexuelle.
    Le gouvernement du Manitoba n'est pas en faveur de la légalisation de la prostitution; il s'oppose à la décriminalisation intégrale ou à la décriminalisation de fait de la prostitution, qui se produirait si rien n'était fait pour répondre à l'arrêt Bedford. Toutes ces options continueraient de permettre que des personnes achètent les services sexuels d'autres personnes, que l'on dévalorise la vie humaine et que des tragédies associées à la prostitution se produisent.
    La plupart des vendeurs de services sexuels sont victimes d'exploitation sexuelle. La majorité n'ont pas d'autre choix que de se livrer à la prostitution et de demeurer dans ce milieu. Compte tenu du rôle important que jouent des facteurs tels que les agressions sexuelles durant l'enfance, les toxicomanies, la dépendance financière, la chimiodépendance et la coercition par les gangs de rue et le crime organisé, il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que les victimes d'exploitation sexuelle puissent facilement quitter le milieu sans l'aide de lois et de mécanismes de soutien appropriés.
    Le projet de loi C-36 propose une approche adéquate pour régler les enjeux liés à la prostitution. Pour la première fois dans l'histoire du Canada, on a pour objectif de réduire la demande d'achat de services sexuels et d'aider les victimes à échapper à l'exploitation sexuelle. Si la demande est réduite, les gens seront moins enclins à contraindre des personnes à se livrer à la prostitution et à la traite de personnes.
    Le modèle nordique de lois sur la prostitution repose sur le principe que les victimes d'exploitation sexuelle ne devraient pas être victimisées davantage par des accusations criminelles liées à la vente de services sexuels. Les lois s'attaquent plutôt à l'aspect de la prostitution qui porte sur la demande, en criminalisant l'achat de services sexuels et le proxénétisme, c'est-à-dire le fait d'offrir les services sexuels d'une autre personne, de façon à pénaliser ceux qui exploitent les victimes pour en tirer des profits.
    Dans le modèle nordique, le droit pénal fait partie d'une stratégie globale qui englobe une sensibilisation accrue du public aux effets nuisibles de la prostitution et qui offre des stratégies et des mécanismes de soutien pour aider les victimes d'exploitation sexuelle à sortir de la prostitution.
    Là où il a été adopté, le modèle nordique s'est avéré efficace pour réduire la prostitution. Par exemple, il a permis de réduire considérablement — d'au moins la moitié — la prostitution de rue en Suède, alors qu'elle augmentait dans d'autres pays nordiques. La traite de personnes en Suède a pratiquement cessé. Des études réalisées en Norvège, le pays voisin, montrent une diminution marquée des actes de violence grave contre les victimes d'exploitation sexuelle. Plusieurs autres pays, dont la Norvège, la Finlande, l'Islande, Israël et la France, ont également adopté le modèle nordique ou sont en voie de le faire.
    Je peux vous dire qu'au Manitoba, les procureurs et la police ont adopté avec succès l'approche de réduction de la demande fondée sur le modèle nordique pour gérer les accusations de prostitution en vertu du Code criminel. Nos procureurs encouragent les personnes accusées à participer à des programmes de déjudiciarisation et tentent de déterminer s'il conviendrait de demander des conditions de probation plus strictes pour les acheteurs de services sexuels condamnés aux termes des dispositions du Code criminel sur la prostitution.

  (1540)  

    En novembre 2013, le service de police de Winnipeg a annoncé que son unité anti-exploitation adopterait une approche consistant à ne pas procéder à l'arrestation des victimes d'exploitation sexuelle. Les policiers aideraient plutôt ces victimes à établir des liens avec des organismes de travail social et des groupes de soutien afin de les aider à sortir de la prostitution. Les policiers continueraient également d'appréhender les clients et les proxénètes et de porter des accusations contre eux.
    La GRC et d'autres services de police municipaux du Manitoba ont également adopté cette approche de déférence. Étant donné que mon gouvernement appuie le modèle nordique — comme je l'ai indiqué à la dernière réunion nationale des ministres de la Justice et comme je l'ai exprimé dans la lettre que j'ai envoyée au ministre MacKay le 5 février dernier —, je suis très heureux de constater que le projet de loi C-36 adopte principalement une approche comparable en faisant de l'achat de services sexuels une infraction et en criminalisant le fait de tirer un avantage de la prostitution d'autrui, mais en évitant de criminaliser la vente de services sexuels ou l'utilisation de ses produits à d'autres fins que l'exploitation. J'appuie ces éléments du projet de loi et j'encourage tous les députés à les adopter afin qu'ils soient mis en oeuvre dès que possible.
    Je suis heureux de ne pas faire cavalier seul. Je tiens à souligner le travail et les efforts de la députée Joy Smith, du Manitoba; nous avons peut-être emprunté une voie différente pour arriver à la même conclusion. Je suis sûr qu'à une autre occasion, nous serons vivement en désaccord sur autre chose, mais je tiens à dire qu'elle s'est fait entendre clairement sur cette question au Manitoba.
    Cela dit, il y a certainement des amendements à apporter à ce projet de loi avant qu'il ne soit adopté. J'ai de sérieuses réserves au sujet des dispositions du projet de loi C-36 qui criminaliseraient les victimes d'exploitation sexuelle si elles se livrent à la prostitution d'une manière qui interfère avec la circulation ou si elles communiquent avec quiconque à des fins de prostitution dans un endroit public s'il est raisonnable de s'attendre à ce que des personnes âgées de moins de 18 ans soient présentes.
    Ces dispositions vont tout à fait à l'encontre du modèle nordique, car elles punissent et victimisent à nouveau les victimes d'exploitation sexuelle, et elles obligeraient les personnes se livrant à la prostitution de rue d'exercer leur métier dans des endroits plus isolés et dangereux. Cela mettrait leur sécurité en jeu et pourrait assurément compromettre la constitutionnalité de la mesure législative en mettant en danger les victimes d'exploitation sexuelle au lieu d'augmenter leur protection. Je ne peux appuyer ces dispositions du projet de loi C-36 et je souhaite vivement qu'elles en soient retirées par voie de modification.
    Je crains vivement que les dispositions de l'article 15 du projet de loi ne mènent à un danger encore plus grand, à des contestations presque assurées et à un risque accru qu'elles soient invalidées. Pendant ce temps, on continuera de mettre l'accent sur les vendeurs de services sexuels, alors que ce sont les acheteurs qui devraient assumer la responsabilité de leurs actes et modifier leur comportement.
    J'ai essayé de comprendre comment ces dispositions se sont retrouvées dans le projet de loi. Je suppose qu'elles visent à compenser l'absence de consensus parmi les services policiers sur la meilleure façon d'aider les victimes d'exploitation sexuelle à changer leur vie. La menace d'accusations criminelles est peut-être considérée comme le meilleur moyen d'y arriver. Je ne suis pas d'accord.
    Au Manitoba, comme je l'ai déjà dit, nos partenaires responsables de l'application de la loi ont déjà pris toutes les mesures possibles en ce qui concerne le modèle nordique. Le programme de déjudiciarisation de la prostitution, géré par l'Armée du Salut et financé par le programme de déjudiciarisation pour les acheteurs de services sexuels, que l'on appelle école des clients, se poursuivra et, idéalement, sera amélioré. Les victimes d'exploitation sexuelle apporteront des changements dans leur vie si nous leur donnons des raisons et des occasions de le faire, mais pas si elles sont toujours menacées d'être poursuivies.
    Enfin, même si ce volet ne fait pas partie du projet de loi C-36, j'aimerais exprimer mon appui conditionnel à l'engagement du gouvernement fédéral de réserver des fonds à des programmes destinés à aider les victimes d'exploitation sexuelle. Les programmes visant à aider les victimes à sortir de la prostitution et à trouver des solutions plus positives sont un volet essentiel du modèle nordique et un élément clé du succès de cette approche. Toutefois, il faut mettre en place des programmes solides et continus afin d'offrir aux victimes exploitées sexuellement un choix valable pour sortir de la prostitution.
    L'annonce du gouvernement fédéral ne permet pas de déterminer si le financement de 20 millions de dollars sera une subvention unique ou s'il représente l'engagement d'un financement fédéral annuel à cette fin. Dans certains médias, aujourd'hui, il est question de 4 millions de dollars par année pour cinq ans. Si nous divisons ce montant par le nombre d'habitants, cela fait moins de 200 000 $ par année pour le Manitoba. Notre province dépense déjà 8 millions de dollars par année pour aider les victimes d'exploitation sexuelle.
    J'espère que le gouvernement reconsidérera sa décision et qu'il fournira un financement continu. Les besoins des victimes d'exploitation sexuelle seront constants, peu importe l'efficacité du projet de loi. J'exhorte le ministre de la Justice à consulter ses homologues provinciaux et territoriaux afin d'évaluer le niveau et le type de financement fédéral qui est essentiel pour soutenir à long terme les programmes destinés aux victimes d'exploitation sexuelle du pays.
    Monsieur le président, l'annexe du mémoire porte sur le Tracia's Trust, la stratégie manitobaine visant à aider les victimes d'exploitation sexuelle. Je le répète, le Manitoba investit environ 8 millions de dollars par année. Nous attentons avec impatience les contributions importantes et soutenues du gouvernement fédéral, et je promets que le Manitoba les investira judicieusement.
    En terminant, je tiens à remercier le comité de m'avoir permis de présenter mes observations au nom de la population manitobaine. Je souhaite ardemment que le projet de loi C-36 soit adopté, mais pas sans ces modifications importantes, afin que nous puissions changer le dialogue et la situation dans ce pays et nous attaquer à la demande.

  (1545)  

    Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions après que les autres témoins auront pris la parole.
    Merci.
    Merci, monsieur le ministre, de cet exposé du gouvernement du Manitoba.
    C'est maintenant au tour de Mme Beazley, de l'Alliance évangélique du Canada.
    L'Alliance évangélique du Canada est l'association nationale des chrétiens évangéliques regroupés à des fins d'influence, d'impact et d'identification à titre de ministres et de témoins publics. Depuis 1964, l'AEC fournit un forum national aux évangéliques ainsi qu'une voix constructive pour les principes bibliques applicables à la vie et à la société.
    Au cours des deux dernières décennies, l'AEC a présenté un certain nombre de documents et de mémoires au Parlement sur la question de la prostitution et la question de la traite de personnes qui y est étroitement liée. Nous avons également agi à titre d'intervenant devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bedford. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de discuter de cet important projet de loi. Par souci de concision, je vais mettre l'accent sur quelques éléments clés du projet de loi et je vous invite à consulter notre mémoire pour l'intégralité de notre analyse.
    L'un des messages fondamentaux de la Bible est que le peuple de Dieu doit faire preuve de compassion comme Dieu l'a fait pour nous. Notre croyance que Dieu nous a tous créés à son image et qu'il nous aime tous nous appelle à faire connaître et à protéger la dignité fondamentale de chaque être humain. Nous savons que les gens devraient être traités comme des êtres ayant une valeur intrinsèque, pas comme des objets servant à la gratification ou au profit d'autrui. L'AEC exprime depuis longtemps, pour les personnes qui se prostituent, des préoccupations fondées sur des principes bibliques qui obligent à prendre soin des personnes vulnérables et à rechercher la justice, et qui guident le devoir de diligence que nous avons les uns envers les autres en tant qu'être humain.
    Des études révèlent que la plupart des personnes qui se livrent à la prostitution le font parce qu'elles y sont contraintes ou en raison de choix restreints et en dernier recours. La prostitution est foncièrement dangereuse; il s'agit de violence à l'égard des femmes et d'une forme d'exploitation systémique d'un grand nombre de femmes, d'enfants et d'hommes parmi les plus vulnérables de notre société. La prostitution ne peut être considérée comme sans danger ou comme un travail légitime, et ne peut non plus être acceptée comme solution à la pauvreté et à divers autres problèmes sociaux sous-jacents.
    Nous félicitons le gouvernement de son bon travail dans l'élaboration du projet de loi C-36; il remet courageusement en question la présomption voulant que les hommes jouissent d'un droit d'accès sexuel au corps des femmes contre rétribution. Le projet de loi réfute carrément l'idée que l'achat de services sexuels est inévitable dans notre société. À cet égard, il représente un changement de paradigme en matière de lois et de politiques, et nous espérons qu'il favorisera aussi un changement dans l'attitude du public à l'égard de la prostitution.
    L'AEC a préconisé ce changement, et nous sommes heureux qu'on en ait tenu compte non seulement dans le projet de loi, mais aussi dans les observations formulées par le ministre de la Justice lors de la présentation du projet de loi.
    Dans le préambule, on reconnaît d'abord l'exploitation et les risques qui sont inhérents à la prostitution, les dommages sociaux causés par la chosification du corps humain et la marchandisation des activités sexuelles, et le fait que la prostitution porte atteinte à la dignité humaine et à l'égalité entre les sexes. On reconnaît également que les problèmes comme la pauvreté, la toxicomanie, la maladie mentale et la radicalisation sont les principaux facteurs qui incitent les gens à se livrer à la prostitution, et on souligne l'importance de dénoncer et d'interdire l'achat de services sexuels, car l'achat crée une demande de prostitution.
    Ce positionnement change complètement la façon dont on a toujours traité la question de la prostitution. Les considérations juridiques et politiques liées à la prostitution ont longtemps porté presque exclusivement sur les personnes qui se prostituent et sur la façon de les traiter: comme une nuisance publique, une menace à la santé publique ou une source de perturbation au sein de la collectivité. On ne parlait pratiquement pas des acheteurs de services sexuels qui stimulent la demande, laquelle incite les personnes à se livrer à la prostitution et les y maintient.
    Le projet de loi C-36 définit et cible correctement la force motrice sous-jacente à la prostitution et à la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Il propose une nouvelle infraction qui criminalise l'achat ou la tentative d'achat de services sexuels. Si le projet de loi est adopté, l'achat de services sexuels serait illégal pour la première fois au Canada, et la conduite de l'acheteur serait illégale, peu importe où l'acte aurait lieu.
    Le commerce du sexe est régi par les principes de l'offre et de la demande du marché. En l'absence d'une demande masculine d'accès sexuel tarifé à des femmes et à des filles, principalement, l'industrie de la prostitution ne pourrait ni prospérer ni se développer. Cette nouvelle infraction cible la cause profonde de cette exploitation et est assortie d'amendes importantes et de peines d'emprisonnement éventuelles. Des sondages menés auprès d'hommes qui achètent des services sexuels ont indiqué que ces mesures, ainsi que le risque d'être humiliés publiquement, seraient les moyens les plus efficaces de les dissuader de continuer à acheter des services sexuels.
    Nous recommandons que les fonds provenant des amendes imposées aux termes du paragraphe 286.1(1) soient affectés à des services visant à aider les personnes à abandonner la prostitution. Nous avons des réserves quant à l'objectif de l'alinéa 286.1(1)b), qui offre la possibilité d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, assortie d'amendes et de peines inférieures. Par souci de cohérence du message et de dissuasion, nous préférerions que toutes les infractions créées aux termes du paragraphe 286.1(1) soient considérées comme des actes criminels et visées par l'alinéa 286.1(1)a). Cependant, s'il est justifié de maintenir l'option d'une déclaration sommaire de culpabilité à la discrétion de la Couronne, nous recommandons que ce traitement ne soit possible que dans le cas d'une première infraction, et que les infractions subséquentes soient considérées comme des actes criminels.

  (1550)  

    Nous nous demandons également ce qu'il adviendra des programmes de rééducation comme les écoles pour les clients, qui remplissent une fonction importante de justice réparatrice. Les commentaires des acheteurs qui participent à ces programmes et les témoignages de ceux qui les gèrent indiquent que ces programmes jouent un rôle important en changeant la façon dont les acheteurs perçoivent la prostitution et que les taux de récidive parmi les participants sont relativement faibles.
    Dans le contexte de la prostitution, tout le monde est perdant, y compris l'acheteur et, évidemment, sa famille. Nous souhaitons que toutes les parties puissent se réhabiliter et nous estimons que les écoles pour les clients jouent un rôle important à cet égard. Nous espérons donc que les provinces seront encouragées à maintenir leurs programmes destinés aux délinquants de la prostitution ou à en établir dans le cadre des peines imposées pour les infractions visées à l'article 286.1.
    Bien que le programme de déjudiciarisation soit souvent une solution de rechange à une accusation criminelle lors d'une première infraction, il pourrait être rendu obligatoire, de sorte qu'en plus de l'amende de 1 000 $ imposée pour une première infraction, les acheteurs devraient suivre un programme de déjudiciarisation.
    Le projet de loi C-36 enclenche également un changement radical dans la façon dont les personnes qui se prostituent sont considérées dans la loi. Les recherches et les témoignages anecdotiques révèlent qu'entre 88 et 96 % des personnes qui se prostituent ne le font pas par choix et qu'elles cesseraient de le faire si elles croyaient disposer d'une solution de rechange viable. Le projet de loi permet de reconnaître cette réalité et d'en tenir compte. Le gouvernement a clairement indiqué que selon l'esprit et l'intention du projet de loi, les personnes qui se prostituent ne sont plus considérées comme une nuisance, mais comme des personnes vulnérables; par conséquent, elles sont mises à l'abri des accusations criminelles, sauf dans des circonstances précises.
    C'est là un changement important, que nous appuyons fortement. Cependant, nous nous préoccupons du fait que l'on conserve les alinéas 213(1)a) et b), qui traitent du fait d'arrêter un véhicule à moteur ou de gêner la circulation des véhicules ou des piétons, et qu'ils ne sont pas assortis de réserves par le nouveau paragraphe 213(1.1), qui érige en infraction le fait de communiquer avec quiconque dans un endroit public à des fins de prostitution où il est raisonnable de s'attendre à ce que des mineurs se trouvent à cet endroit ou à côté de cet endroit.
    Nous comprenons que le gouvernement tente de trouver un juste équilibre entre la protection des personnes vulnérables qui se livrent à la prostitution et la protection des collectivités, en particulier les enfants, contre l'exposition à la prostitution. Là où il y a de la prostitution, il y a aussi des clients et des souteneurs, et l'objectif d'éviter d'exposer les enfants à la sollicitation des clients ou aux contacts avec les souteneurs est louable. Toutefois, le libellé actuel de l'article laisse une échappatoire assez importante qui pourrait nuire à l'intention de la loi de criminaliser principalement les activités des clients et des proxénètes.
    De plus, selon notre interprétation, il semble que les seules personnes qui risquent d'être criminalisées en vertu de ces dispositions, ce sont les plus vulnérables, soit celles qui se livrent à la prostitution de rue, qui sont parmi les plus touchées par la pauvreté, le désespoir et les dépendances. La criminalisation des personnes vulnérables crée des obstacles à leur abandon de la prostitution et accroît les inégalités et la marginalisation qui les ont menées à cette situation.
    Pour celles qui réussissent à quitter le milieu, le casier judiciaire constitue un obstacle important aux possibilités d'études ou d'emploi; bon nombre de celles qui ont retrouvé la santé et la liberté veulent revenir offrir leur aide.
    Nous voulons restreindre au minimum la portée éventuelle de cet article, afin d'éviter de criminaliser les personnes qui se prostituent. La portée actuelle est beaucoup trop vaste, puisqu'on pourrait faire valoir que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il y ait des mineurs à peu près n'importe où en public. Nous préférerions que l'article 213 soit supprimé ou considérablement restreint. Les infractions prévues aux paragraphes 213(1) et 213(1.1) sont punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et peuvent mener, si j'ai bien compris, à des amendes maximales de 2 000 $, à des peines d'emprisonnement maximales de six mois, ou les deux.
    Si l'article 213 n'est pas modifié de manière à limiter la possibilité de criminalisation, nous proposons que la peine liée à ces déclarations de culpabilité par procédure sommaire soit établie à un seuil très bas, sans possibilité d'emprisonnement, et qu'elle soit définie dans la loi afin que les personnes les plus vulnérables cessent de subir un préjudice indu.
    En fin de compte, c'est principalement une question d'application de la loi. Comment pouvons-nous être certains que l'esprit et l'intention du projet de loi seront maintenus lorsqu'il s'agira d'appliquer la loi? Nous nous sommes rendus dans diverses régions du Canada pour tenir des forums informatifs publics sur la prostitution, en partenariat avec Defend Dignity, et je peux dire deux choses avec certitude. Il y a des policiers et des services de police qui respecteront, nous en sommes convaincus, l'esprit de cette loi. Mais malheureusement, en ce qui concerne d'autres services, nous n'en sommes pas si convaincus.
    Le procureur général du Canada peut donner une orientation aux procureurs généraux provinciaux, qui orientent ensuite les organismes d'application de la loi dans leur province, mais en fait, la manière dont chaque service de police applique les lois est déterminée par le service lui-même, comme en témoigne le nombre de corps policiers au pays qui maintiennent déjà l'ordre d'une façon compatible avec le projet de loi C-36.
    Nous croyons que des formations normalisées devraient être offertes aux services de police, aux procureurs généraux provinciaux et aux avocats de la Couronne au sujet de la nouvelle façon de considérer la prostitution en vertu du projet de loi C-36, afin de favoriser une application compatible avec l'intention du projet de loi.
    Enfin, les modifications législatives proposées font partie de ce qui sera l'approche à deux volets adoptée par le gouvernement. Nous accueillons favorablement l'engagement initial de 20 millions de dollars pour financer les programmes de réinsertion et nous espérons que cela se traduira par un financement fédéral à long terme. Le gouvernement devrait aussi faire appel aux administrations provinciales, territoriales et municipales et à divers acteurs pour élaborer un plan national exhaustif visant à garantir la mise en place de programmes et de mécanismes de soutien pour empêcher les personnes vulnérables de commencer à se livrer à la prostitution et pour soutenir celles qui veulent s'en sortir.
    Nous proposons qu'un tel plan soit intégré au Plan d'action national de lutte contre la traite de personnes.

  (1555)  

    Il est également important de régler les problèmes sociaux sous-jacents, comme la pauvreté et le manque de logements abordables, qui poussent les personnes vers la prostitution ou qui les rendent vulnérables à l'exploitation, car il est tout aussi important d'empêcher les personnes de s'engager dans la prostitution que d'aider celles qui veulent en sortir.
    Merci.
    Je vous remercie beaucoup de votre exposé.
    Nous allons maintenant donner la parole à une représentante de la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle.
    Madame Matte, est-ce vous qui allez prendre la parole? Oui?

[Français]

    Je remercie le comité d'avoir accepté de nous entendre et d'entendre la parole des femmes que nous représentons.
    À l'instar de plusieurs personnes, groupes et pays qui nous regardent et regardent ce que nous faisons au Canada, la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle salue le choix que nous faisons de criminaliser l'achat d'actes sexuels au Canada. Nous considérons qu'il s'agit là d'une victoire abolitionniste, et non prohibitionniste, même si le projet de loi est imparfait. Ce projet de loi appelle la société canadienne à cesser de regarder la prostitution et l'industrie qui l'exploite comme une fatalité et un crime sans victimes. Pour la première fois dans l'histoire du droit canadien, un gouvernement nous invite à examiner la prostitution comme un crime contre la personne, une forme de violence envers les femmes qui est incompatible avec la recherche de l'égalité sociale, tout particulièrement le droit à l'égalité des femmes parmi les plus marginalisées.
    La CLES existe depuis bientôt 10 ans. Depuis six ans, nous sommes quotidiennement en contact avec des femmes qui ont été ou qui sont impliquées dans la prostitution. Nous croyons en la nécessité de construire un monde sans prostitution. Nous offrons un soutien, un accompagnement et une écoute aux victimes d'exploitation sexuelle. Nous luttons avec elles pour assurer leur sécurité et faire reconnaître leurs droits, y compris le droit de ne pas être prostituée et le droit d'obtenir de l'aide pour s'en sortir lorsqu'elles le souhaitent.
    Nous regroupons les femmes pour qu'elles deviennent actrices du changement qu'elles souhaitent dans leur vie et dans la vie des femmes autour d'elles. Nous faisons un travail de prévention pour contrer la banalisation de la prostitution et faire connaître ses répercussions sur la santé physique et mentale de celles aux prises avec cette réalité, mais aussi ses répercussions touchant à l'égalité pour toutes. Nous nous réclamons d'un mouvement international qui travaille d'arrache-pied pour dénoncer cette tradition séculaire et patriarcale qu'est la prostitution.
    Je ne pourrai pas entrer dans les détails de ce mémoire, mais nous vous inviterons à regarder le projet de loi C-36 dans une perspective inscrivant l'action gouvernementale dans une visée de lutte contre la marchandisation des êtres humains et d'égalité pour toutes.
    Nous nous attarderons d'abord sur le concept de sécurité. Selon nous, le jugement dans l'affaire Bedford avait une interprétation très étroite de la sécurité humaine décrite dans toutes les chartes de droits humains partout dans le monde. J'invite la société canadienne à ne pas adopter cette vision étroite. Le jugement dans l'affaire Bedford nous invitait à privatiser la sécurité des femmes oeuvrant dans le milieu de la prostitution. On propose aux femmes d'engager un chauffeur ou un protecteur, plutôt que de s'attaquer à l'origine de l'insécurité des femmes oeuvrant dans le milieu de la prostitution. Selon nous, il est inacceptable, comme société canadienne, de réduire la notion de sécurité à sa plus simple expression.
     Comme d'autres l'ont fait avant nous, nous vous inviterons à refuser toute forme de criminalisation des personnes prostituées. Ma collègue Rose Sullivan pourra en parler plus particulièrement. La parole des femmes existe. Par contre, très souvent, quand les femmes oeuvrant dans le milieu de la prostitution critiquent la prostitution, ou quand celles qui en sont sorties parlent contre la prostitution, tout le monde réussit à rendre cette parole invisible et invalide.
    Je vous invite à écouter ce qu'on dit les femmes oeuvrant dans le milieu de la prostitution. Au cours de la dernière année, la CLES a fait une recherche que nous pourrons vous faire parvenir. Après avoir parlé à 109 femmes dans six villes québécoises, on a découvert que 45 % d'entre elles étaient toujours actives dans l'industrie du sexe au moment où elles ont répondu au questionnaire ou ont participé aux entrevues et que, de ce groupe, 80 % souhaitaient quitter la prostitution mais ne connaissaient aucun organisme pouvant les aider à le faire. Il est important de tenir compte de cette parole.
    D'autre part, parmi les 109 femmes ayant répondu au questionnaire, 90 % ont été ou étaient victimes de violence commise par des hommes de leur entourage immédiat, que ce soit des membres de leur famille, des clients ou des proxénètes.
    Les femmes que nous rejoignons au quotidien, ainsi que celles ayant répondu à l'appel dans le cadre de notre recherche, réclament davantage de justice, de cohérence, de services et de reconnaissance puisqu'elles vivent, ou ont vécu, la forme de violence envers les femmes la plus banalisée et pourtant toujours taboue en 2014.

  (1600)  

    Bien que nous soutenions le projet de loi C-36, un changement fondamental doit être apporté afin de concrétiser l'engagement de décriminaliser les victimes d'exploitation sexuelle. Le modèle nordique, ou modèle suédois, est composé de trois éléments indissociables. Le premier élément est la décriminalisation totale des femmes ou des personnes prostituées. Le deuxième élément est la criminalisation de l'achat d'actes sexuels. Le troisième élément est l'éducation, afin de changer les mentalités et la façon dont on perçoit la prostitution dans nos sociétés. S'il veut être un succès, le projet de loi C-36 doit tenir compte de ces trois éléments de façon absolue.
    Je terminerai en disant que nous sommes à la croisée des chemins et que des choix s'imposent. Personne, ni aucun parti politique, ne peut esquiver la question fondamentale suivante: croyons-nous que la prostitution et l'exploitation sexuelle qui la sous-tend ont leur raison d'être dans notre société? Si la réponse est non, il nous faut agir et aller beaucoup plus loin que ce que propose le projet de loi C-36. Nous devons vouloir plus que la prostitution pour les femmes et nous devons vouloir davantage pour les femmes qui oeuvrent dans le milieu de la prostitution.
     Nous soutenons évidemment l'attribution du montant de 20 millions de dollars. Ce n'est toutefois pas suffisant et nous aimerions sûrement qu'il y en ait davantage. Nous insistons surtout sur l'importance que cet argent soit attribué à des groupes qui travaillent dans une perspective visant l'atteinte des objectifs du préambule de la loi, c'est-à-dire d'arrêter de considérer la prostitution comme une fatalité et une chose qu'on ne peut pas changer.
    Je ne peux que souligner de toutes les façons possibles qu'il existe présentement au Canada des organismes qui reçoivent de l'argent de gouvernements et de fondations et qui maintiennent les femmes dans la prostitution. Ces organismes leur disent que si elles n'aiment pas cette situation dans tel secteur, elles peuvent aller ailleurs ou devenir elles-mêmes proxénètes pour être plus heureuses. Il est important d'appeler un chat, un chat. Certains groupes maintiennent les femmes dans la prostitution. Le projet de loi C-36 nous invite à contrer ces tentatives de l'industrie de s'instaurer au Canada comme un commerce légitime. Vendre des services sexuels d'autrui est un acte illégitime et incompatible avec l'égalité entre les femmes et les hommes.

  (1605)  

[Traduction]

    Madame Sullivan.

[Français]

    Je m'appelle Rose Sullivan. Je suis une survivante de la prostitution et une militante engagée à la CLES. Je travaille activement à l'élaboration d'un collectif d'aide aux femmes exploitées sexuellement et qui désirent s'en sortir.
    J'ai été dans la prostitution pendant trois longues années au cours desquelles j'ai tenté de rendre mes activités sécuritaires parce que je tiens à la vie, entre autres parce que j'ai des enfants. Ce que mon passage dans le milieu de la prostitution m'a appris, c'est qu'il est impossible de se prostituer de façon sécuritaire. J'ai commencé à être une prostituée pro-travail du sexe et j'ai fini par devenir complètement abolitionniste et aussi complètement démolie. Mais maintenant, ça va mieux.
    Je milite activement pour que la prostitution soit abolie. C'est pour cela que je suis tout à fait favorable au projet de loi C-36. Cependant, il y a quelque chose qui me dérange, à savoir que certaines parties du projet de loi criminalisent encore les femmes. Or je considère qu'il est absolument primordial de ne pas criminaliser les femmes prostituées afin d'assurer leur sécurité et de les soutenir concrètement dans leur démarche pour sortir de la prostitution. Les criminaliser ne serait-ce qu'un peu ou seulement sur certains aspects, c'est rendre inutile tout le reste du travail. S'il y a la moindre façon de criminaliser ces femmes, les proxénètes et les divers groupes qui profitent de la prostitution des femmes auront encore des outils pour les effrayer, les manipuler, les faire chanter et les maintenir dans la prostitution. Il est extrêmement important que ces femmes ne soient pas d'aucune façon criminalisées.
    C'est un non-sens de dire que nous sommes des victimes dans certaines situations et des criminelles dans d'autres. Selon moi, cette partie du projet de loi pourrait faire augmenter la prostitution dans les lieux où il y a des enfants, même si c'est ce qu'on essaie d'éviter, car les pimps pourront conserver leur pouvoir sur les femmes. Peu importe où ils vont les « pimper », ils seront en situation d'illégalité et il sera avantageux pour eux qu'elles le soient aussi. Ce projet de loi ne contribuera pas du tout à faire diminuer la prostitution dans les lieux où cela serait souhaitable, c'est-à-dire à proximité des enfants et des églises.
    En tant que mère de trois enfants, je considère que les femmes qui se prostituent chez elles alors que leurs enfants se trouvent peut-être dans la chambre ou dans l'appartement d'à côté sont probablement celles qui ont le moins de choix. Ce sont les plus vulnérables d'entre toutes. On ne s'y prend pas du tout de la bonne façon pour aider ces femmes en les criminalisant encore plus que celles qui ont la chance de pouvoir se prostituer dans d'autres circonstances.
    De toute façon, des enfants peuvent se trouver partout. Cette partie du projet de loi est extrêmement arbitraire. Les policiers et les municipalités pourront encore abuser facilement de leur pouvoir et criminaliser encore beaucoup trop de femmes.
    Quand j'étais dans la prostitution, mis à part le fait de me faire agresser — ce qui est arrivé assez rapidement —, mes plus grandes craintes étaient de perdre la garde de mes enfants et d'avoir un dossier criminel. C'est vraiment là-dessus qu'ont joué les gens ayant réussi à me « pimper ». C'est avec cette façon de faire qu'ils ont réussi à m'effrayer et à me garder dans la prostitution beaucoup plus longtemps que ce que j'avais prévu au départ.
    Une fois, un de mes clients est devenu violent et j'ai voulu arrêter de le rencontrer. Le pimp s'est alors servi de cet argument pour m'effrayer. Il m'a dit qu'il allait appeler la DPJ et la police. J'ai eu peur et j'ai donc continué de voir ce client. La journée où je n'ai vraiment plus été en mesure de tolérer sa violence et où j'ai osé recourir à la police, je n'ai pas reçu de service parce que la loi était trop floue et que les policiers ne savaient pas trop comment m'aider, même s'ils étaient conscients que j'avais besoin d'aide.

  (1610)  

    Je considère qu'il ne doit plus y avoir aucune zone floue dans la loi. Toute la législation en matière de prostitution doit être claire, nette, précise et facile à appliquer pour bien protéger les femmes et pour permettre à celles qui le veulent de s'en sortir.

[Traduction]

    Je vous remercie de cet exposé.
    Notre prochain témoin est Mme Falle, de Sex Trafficking Survivors United.
    Sex Trafficking Survivors United est un organisme international dirigé par des survivantes. Nos 177 survivantes exhortent le Parlement canadien à prendre position contre l'exploitation des personnes jeunes, démunies et vulnérables par des personnes plus riches, plus âgées et plus puissantes. Adoptez le projet de loi C-36.
    Comme le savent toutes les survivantes, la majorité des personnes qui se prostituent en arrivent là parce qu'elles n'ont pas d'autre choix, ce qui ne fait que stigmatiser et piéger davantage la plupart des personnes exploitées sexuellement. Cela confère du pouvoir à leurs trafiquants et à leurs agresseurs tout en camouflant le fait que les personnes exploitées sont victimes de multiples crimes. Il s'agit d'une déclaration de notre fondatrice, Stella Marr.
    Selon l'Unité des crimes sexuels du Service de police de Toronto, la moyenne d'âge est de 14 ans. Mon histoire, ma vérité est une histoire que l'on entend souvent. Quand j'ai commencé, j'avais presque 15 ans. Je venais d'une famille de classe moyenne vivant dans une banlieue de Calgary. Mon père était policier. Ma mère était gérante de boutiques de robes de mariées. Ma vie en apparence normale est soudain devenue risquée, et je suis partie. Ne sachant où aller pour obtenir de l'aide, j'ai passé des mois à dormir chez des connaissances, souvent affamée et apeurée. J'ai commencé à avoir des relations sexuelles à un jeune âge et je me donnais souvent librement en échange d'un endroit où dormir.
    J'ai été initiée à la prostitution par des filles mineures de 14 et 15 ans; plus tard, un homme se faisant passer pour un gérant m'a offert une occasion de faire de l'argent. C'est là que j'ai fait connaître la prostitution à mes cinq amies mineures. Nous avons offert des services sexuels de façon indépendante durant quelques mois. Nous luttions contre les stéréotypes de la société selon lesquels nous étions des droguées, des criminelles et des déviantes sexuelles. Nous faisions de gros efforts pour ne pas alimenter ces stéréotypes en évitant de consommer des drogues dures ou d'avoir des souteneurs, mais nous avons chacune, l'une après l'autre, fini par avoir un souteneur et consommer des drogues. Ma meilleure amie a été assassinée. Un souteneur qu'elle ne connaissait que depuis trois mois, qui se faisait passer pour un garde du corps, lui a tiré une balle dans la tête.
    Même si nous étions mineures, nous trouvions facilement du travail dans les agences d'escortes, par des annonces dans les journaux, au coin des rues, dans les salons de massage. Même si les endroits où se vendent les services sexuels varient, ce qui ne change pas, ce sont les hommes qui achètent des corps humains. La dynamique du pouvoir ne change pas. C'est un échange commercial qui repose sur le mensonge, l'inégalité entre les sexes et les menaces de violence. On l'appelle souvent « the game », car les deux parties luttent pour le pouvoir et le contrôle. Les personnes qui se prostituent ont besoin de sentir qu'elles ont le contrôle pour leur survie; quant aux acheteurs de services sexuels, c'est pour leur propre plaisir.
    La plupart du temps, les actes de violence dont nous avons été victimes dans le milieu de la prostitution se sont produits après l'acte sexuel. Les hommes dépensaient leurs chèques d'aide sociale ou l'argent de leurs paiements hypothécaires pour avoir des relations sexuelles avec moi. Ils utilisaient l'argent prévu pour acheter les cadeaux d'anniversaire de leurs enfants ou de leur femme. Lorsque je n'étais plus un fantasme pour eux et que l'attrait était passé, je n'étais qu'une personne ordinaire et, dans certains cas, j'étais considérée comme un produit « jetable » par ces hommes.
    Dans le milieu de la prostitution, j'ai rencontré des centaines de mineures avec qui j'ai vendu mes services. J'ai donné des conseils à plus de 1 200 femmes, transgenres et enfants prostitués. La plupart révèlent avoir commencé dans ce milieu durant leur enfance. L'exploitation sexuelle des enfants survient lorsqu'un adulte ou un jeune persuade un enfant de se livrer à une activité sexuelle, l'amène à le faire par la ruse ou l'y oblige. Cela comprend des actes sexuels, des attouchements, le fait de montrer de la pornographie à un enfant ou de le faire participer à la prostitution. Lorsqu'un adulte a une relation sexuelle avec un enfant ou un jeune, on considère cela comme de l'exploitation. Même si un enfant reçoit de l'argent pour des actes sexuels, il s'agit tout de même d'exploitation sexuelle.
    Parlons maintenant de la pente dangereuse de la légalisation de la prostitution et des jeunes à risque. En 2011, le site Web Youthline a fait la promotion d'un atelier animé par un groupe en faveur de la prostitution, que vous entendrez sous peu, et destiné aux jeunes travailleurs du sexe. Cet atelier s'intitulait Hu$tle & Dough: Youth Sex Workers Build Power & Safety. Sachez que le mot Hu$tle s'écrit avec un signe de dollar. Il s'agit d'un groupe pour les mineurs et les jeunes de 16 à 24 ans. On y a discuté notamment de la façon d'être en contrôle au travail. Or, les enfants ont peu ou pas de contrôle lorsqu'ils sont exploités par des adultes.
    Il était aussi question de la façon de subvenir à ses besoins sur le plan financier, physique et affectif. Montrer à des enfants à être des travailleurs du sexe, c'est de l'exploitation. Comment éviter les arrestations, c'est leur montrer comment éviter la police. Comment éviter le VIH... J'aurais peine à dire combien de clients ont retiré leur préservatif à mon insu, l'ont percé ou m'ont offert 20 ou 1 000 $ pour une fellation sans préservatif.

  (1615)  

    Cet atelier a été préparé par une travailleuse du sexe en activité qui est elle-même entrée dans ce milieu lorsqu'elle était jeune. J'en ai fourni des exemplaires au président.
    Pour les femmes et les enfants, ne pas être vendus aux hommes est un droit de la personne fondamental. Aucun enfant ni aucune femme ne devraient être obligés d'accepter la violence pour survivre, quelles que soient les circonstances. Il est essentiel de souligner que dans la cause Bedford, tous les déposants d'expérience, sauf un, sont entrés dans le milieu de la prostitution étant enfants. L'autre déposant a admis y avoir été contraint.
    Étant donné que la plupart des femmes et des hommes qui se livrent à la prostitution ont commencé à le faire étant enfants, on peut à juste titre présumer que beaucoup de ces personnes n'ont pas eu d'exemples de situations saines et n'ont donc pu établir de comparaisons qu'avec la prostitution. Voilà pourquoi des gens comme moi, qui ont une expérience réelle du milieu, n'ont pas été surpris, en juillet 2012, lorsque l'Adult Entertainment Association of Canada a menacé de recruter des élèves du secondaire en affirmant que cela les aiderait à payer leurs études universitaires. En réalité, l'association faisait la promotion d'une industrie qui tire profit de la demande des hommes pour de jeunes corps.
    Un jour, au début de ma transition pour sortir de l'industrie du sexe, une personne qui m'a grandement inspirée à devenir ce que je suis aujourd'hui — je suis diplômée du collège et de l'université, j'enseigne en techniques policières au niveau collégial, je suis fondatrice d'un organisme et je siège au conseil de Sex Trafficking Survivors United... J'étais sortie du milieu depuis deux ou trois ans et j'avais beaucoup de difficultés. Je me tenais responsable de bon nombre d'expériences que j'avais vécues. Elle m'a dit ceci: « Pour qu'une chose constitue un choix réel, il faut une autre option de valeur égale ou supérieure. »
    Il n'existe aucune description de tâche qui correspond adéquatement aux expériences que j'ai vécues dans le milieu de la prostitution. J'ai vendu mes propres services sexuels et j'ai aussi été forcée à le faire par de soi-disant gardes du corps. Mon souteneur s'est fait tirer dessus par un autre souteneur en tentant de me protéger. Il a aussi asséné sept coups de couteau à un homme qui m'avait attaquée. Il m'en faisait porter la responsabilité en me faisant croire que je lui devais la vie parce qu'il m'a protégée. Il m'a brûlée avec des cigarettes et fracturé des os; il me battait régulièrement. J'étais conditionnée à ne pas appeler la police. J'obtempérais, de crainte de perdre mon travail, le seul travail que je connaissais.
    Ce ne sont pas les lois qui m'empêchaient d'appeler la police, mais les souteneurs et les propriétaires des maisons de débauche, car ils ne voulaient pas que l'attention que porteraient les services de police à leurs commerces éloigne les acheteurs de services sexuels. Lorsque nous nous tournions vers la police, on nous traitait de traîtresses et de délatrices. Par conséquent, les incidents violents étaient traités à l'interne.
    En Allemagne, ce mois-ci, une prostituée a été assassinée dans un bordel. C'était le 22e meurtre depuis la légalisation complète de la prostitution, en 2002. En Suède, où le modèle nordique a été adopté en 1999, le seul meurtre d'une prostituée est survenu en 2013, et il n'est pas certain que ce soit lié à la prostitution.
    Sex Trafficking Survivors United recommende que le gouvernement augmente le montant de 20 millions de dollars versés aux organismes de survivantes comme le nôtre afin d'aider les gens — nos soeurs — à sortir de cette industrie souterraine dangereuse, obscure et lucrative.
    Nous recommandons la révision de l'article 213 et l'élimination de toute criminalisation des personnes qui se livrent à la prostitution. Les femmes qui ne sont pas en mesure de se protéger elles-mêmes et de protéger leurs enfants sont incapables de protéger les autres enfants de la collectivité.
    J'ai fourni de plus amples détails dans le mémoire que nous avons présenté en collaboration avec le London Abused Women's Centre. La directrice du centre témoignera au comité un autre jour.
    J'aimerais vous remercier au nom des survivantes du monde entier qui appuient ce projet de loi. Nous reconnaissons l'importance historique liée au fait que le gouvernement prend acte de cette forme de violence commise par les hommes contre les prostituées. Le témoignage que je vous ai présenté aujourd'hui démontre clairement que le gouvernement adopte la bonne approche pour protéger les personnes les plus vulnérables de la société. Les survivantes du monde entier vous en sont très reconnaissantes.
    J'aimerais exprimer ma gratitude la plus profonde à la députée Joy Smith et au ministre Peter MacKay d'avoir écouté les survivantes. Ce n'est pas pour rien que nous sommes si nombreuses à dénoncer la prostitution.
    Merci.

  (1620)  

    Merci de cet exposé.
    La prochaine et dernière intervenante de ce groupe d'experts est la représentante de Maggie's: The Toronto Sex Workers Action Project.
    La parole est à vous, pour 10 minutes.
    Bonjour. Je m'appelle Jean McDonald. Je suis la directrice de Maggie's: The Toronto Sex Workers Action Project, un organisme créé pour les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe et dirigé par ces personnes. C'est le plus vieil organisme du genre au Canada.
    Notre mission est d'aider les travailleuses du sexe dans les efforts qu'elles déploient pour vivre et travailler dans un milieu sécuritaire et dans la dignité. Maggie's est un organisme axé sur la réduction des préjudices dont le financement provient principalement du ministère de la Santé et des soins de longue durée de l'Ontario. Nous offrons un éventail d'articles visant la diminution des risques liés aux pratiques sexuelles et à l'usage des drogues, de la formation et du soutien. Au cours de la dernière année, nous avons fait plusieurs milliers d'interventions auprès de clients. Notre travail en est un de première ligne et notre clientèle est principalement formée de personnes qui travaillent dans la rue, dont beaucoup sont des personnes à faible revenu, des Autochtones, des personnes racialisées et des personnes transgenres.
    Depuis la présentation du projet de loi, nous avons mené beaucoup de consultations auprès de nombreux utilisateurs de services, qui ont rejeté ce projet de loi à l'unanimité. Ils estiment qu'il ne permettra pas d'assurer leur sécurité. Ils croient plutôt qu'ils seront encore plus en danger et que cela perpétuera l'épidémie de violence contre les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe au Canada. Ils sont très inquiets pour leur propre sécurité et ils craignent que beaucoup de leurs amis disparaissent ou soient victimes d'agressions, de viol ou de meurtre.
    Recréer dans le projet de loi C-36 les mêmes défauts qu'avait l'ancienne mesure législative qui a été invalidée par la Cour suprême continuera de permettre à des prédateurs violents comme Robert Pickton de s'en prendre aux travailleuses du sexe qui ont été repoussées vers des secteurs moins fréquentés de la ville, ce qui les empêche de présélectionner les clients et de collaborer. Voilà pourquoi beaucoup de gens ont commencé à appeler le projet de loi C-36 le « modèle Pickton ».
    Dans le cas présent, le débat ne devrait pas porter sur le choix ou sur la question de savoir si les personnes qui travaillent en industrie du sexe sont victimes de violence. Nous savons qu'ils sont victimes de violence. Nous voulons nous attaquer à cette violence. Le débat devrait plutôt porter sur la meilleure façon d'assurer la sécurité et l'accès des travailleuses du sexe à des services comme les services de police, si nécessaire.
    Ce n'est pas ce que fait le projet de loi C-36. En rendant la prostitution illégale, comme Peter MacKay l'a confirmé ce matin, les travailleuses du sexe sont pénalisées directement et indirectement. La criminalisation engendre l'isolement qui, à son tour, accroît la vulnérabilité à la violence, à l'exploitation et aux mauvais traitements. Au lieu de chercher à éliminer la stigmatisation liée à la prostitution et de considérer que les gens qui travaillent dans ce milieu font partie de la société canadienne, le projet de loi C-36 aura l'effet suivant: il sera difficile et dangereux pour les travailleuses du sexe de chercher à obtenir de l'aide auprès d'organismes communautaires, de parents et d'amis ou même de la police. En fait, le paragraphe 213(1.1) proposé, qui criminalise la communication, accordera aux services de police des pouvoirs considérables leur permettant de cibler et de harceler les travailleuses du sexe. La communication est l'un des éléments essentiels qui permettent aux travailleuses du sexe de la rue de présélectionner leurs clients, de voir si le client est intoxiqué ou à jeun, de discuter des tarifs, des services et des pratiques sexuelles protégées.
    Comme des études réalisées en Suède l'ont démontré, la criminalisation de l'achat de services sexuels n'a pas pour effet de protéger les travailleuses du sexe et de réduire la demande. Lorsqu'ils sont criminalisés, les clients sont moins susceptibles d'aider les travailleuses du sexe qui pourrait être exploitées ou victimes de violence, car ils craignent d'être arrêtés. De plus, la criminalisation de l'achat de services sexuels entraîne nécessairement la criminalisation de la vente de services sexuels.
    Il a été démontré que la capacité de travailler à l'intérieur accroît le contrôle qu'ont les travailleuses du sexe sur leurs conditions de travail et sur la négociation de rapports protégés. Or, le projet de loi C-36 entrave la capacité de travailler l'intérieur parce qu'il interdit la publicité et criminalise l'achat de services sexuels. Au lieu de criminaliser la prostitution, le gouvernement du Canada devrait tenir compte de ce que les travailleuses du sexe disent depuis plus de 30 ans et de ce qui fait l'unanimité chez les groupes de travailleuses du sexe de partout dans le monde comme étant ce qui permettra d'accroître la sécurité des travailleuses du sexe: la décriminalisation.
    Les régimes de décriminalisation — comme la Prostitution Reform Act 2003, en Nouvelle-Zélande —, offrent aux travailleuses du sexe les mêmes mesures de protection des travailleurs et les mêmes garanties juridiques qu'à tout autre citoyen du pays. Les études sur la décriminalisation menées en Nouvelle-Zélande ont démontré qu'elle entraîne une amélioration des conditions de travail, une réduction de la violence et accroît la capacité des travailleuses du sexe d'exiger des rapports protégés.

  (1625)  

    Le Code criminel comporte déjà des dispositions sur le travail forcé, la séquestration, le kidnapping, l'agression sexuelle, le viol au sens de la loi, le vol et l'agression physique. La décriminalisation de la prostitution n'aurait aucune incidence sur ces aspects très importants du Code criminel. En fait, la capacité des travailleuses du sexe d'invoquer ces dispositions et de poursuivre les gens qui pourraient commettre ces actes contre elles serait accrue.
    Chez Maggie's, nous sommes d'avis que le projet de loi C-36 doit être entièrement rejeté et remplacé par un système de décriminalisation qui offrirait aux personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe les mêmes droits du travail, les mêmes garanties juridiques et les mêmes droits de la personne qu'à tout autre Canadien.
    Nous sommes favorables à l'idée de passer d'une mesure législative moralisatrice à une mesure législative fondée sur les droits de la personne et sur des normes liées à la santé et à la sécurité. Chez Maggie's, nous considérons la décriminalisation de la prostitution comme un élément essentiel de notre stratégie globale de réduction des préjudices.
    Merci.
    Madame Forrester, voulez-vous ajouter quelque chose?
    Je m'appelle Chanelle Gallant. Je suis une ancienne employée de Maggie's: The Toronto Sex Workers Action Project. Je remplace Monica Forrester, une de nos employées, qui n'a pu se joindre à nous.
    Monica est une travailleuse du sexe autochtone. Elle devait être ici, mais en fin de semaine dernière, une de ses amies proches — qui est aussi une travailleuse du sexe autochtone — a été arrêtée et accusée de communication en vue de se livrer à la prostitution. Monica a dû rester à Toronto pour aider son amie et payer sa caution.
    Je crois que Monica était la seule travailleuse du sexe autochtone en activité qui devait témoigner devant le comité. Veuillez me corriger si je me trompe. Je vais présenter son exposé parce que nous ne voulons pas que la criminalisation de la prostitution réduise au silence les femmes que nous devons entendre. Voici donc l'exposé de Monica Forrester.
    Je m'appelle Monica Forrester. Je suis une femme racialisée de la réserve de Curve Lake, en Ontario. Je suis une femme transgenre et je suis travailleuse du sexe dans les rues depuis 25 ans. J'ai fait l'objet de stigmatisation en raison de mon identité, de ma race et de ma classe sociale. Je suis ici pour vous parler des personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe par choix, parce qu'elles y sont contraintes ou en raison de leur situation économique.
    J'ai été sans-abri pendant de nombreuses années. Je n'avais d'autre choix que de me livrer à la prostitution si je voulais survivre, obtenir les nécessités de subsistance et faire partie de la communauté. C'est dans l'industrie du sexe que j'ai pu tisser des liens avec des personnes qui, comme moi, ont fait l'objet de discrimination. J'ai maintenant un diplôme collégial et je suis une travailleuse des services d'approche auprès de groupes marginalisés pour les amener à tisser des liens et favoriser leur autonomisation et leur sécurité.
    Beaucoup de personnes ne comprennent pas la prostitution de rue et l'incidence que le projet de loi C-36 aurait sur nous. Certaines personnes travaillent dans la rue parce qu'elles sont pauvres et qu'elles n'ont pas d'argent pour acquérir des biens, comme un téléphone ou un ordinateur, ou encore pour payer un logement. D'autres sont sans abri et n'ont pas d'autres façons de gagner l'argent. Pour certaines femmes, comme les mères monoparentales, les services sociaux sont loin d'être suffisants. En Ontario, le programme Ontario au travail offre 718 $ aux personnes monoparentales, mais à Toronto, le loyer moyen d'un logement à une chambre est d'environ 1 000 $ par mois. Les personnes monoparentales qui se livrent à la prostitution pour assurer la subsistance de leur famille ne veulent pas travailler à la maison puisque leurs enfants y vivent. Donc, certaines choisissent de travailler dans la rue.
    Les femmes autochtones des régions éloignées travaillent le long des autoroutes pour se rendre d'une ville à l'autre. Dans un contexte de survie, ces femmes doivent se livrer à la prostitution pour assurer leur subsistance et celle de leurs enfants. Au sein de leur collectivité, elles font l'objet d'une stigmatisation accrue en raison de la colonisation continue. Le colonialisme les a déjà réduites au silence par rapport à la sexualité et le travail du sexe ne fait qu'ajouter à la stigmatisation et à l'isolement dont elles font l'objet dans leurs collectivités.
    Les femmes autochtones de Vancouver qui ont été tuées par Robert Pickton venaient d'un peu partout, mais elles s'étaient rendues dans les rues du centre-ville pour se livrer à la prostitution afin de survivre. Il y a au Canada des gens dont la langue maternelle n'est pas l'anglais — des migrants, des nouveaux arrivants. Pour ces personnes, faire de la publicité est difficile, voire impossible. Toutefois, lorsqu'elles sont dans la rue, elles font de la publicité et elles peuvent négocier à l'aide de quelques mots d'anglais.
    Le projet de loi C-36 n'aide pas ces gens, ni les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe, y compris celles qui n'ont pas d'autre choix. Puisqu'on ne leur garantit pas des droits fondamentaux de la personne, beaucoup de femmes transgenres comme moi ne peuvent trouver un emploi. Récemment, l'une de ces femmes m'a posé des questions sur ces nouvelles lois. Elle se demandait comment elle pourrait payer son loyer ou fréquenter un collège ou suivre un programme de transition afin de trouver un autre emploi. Cette semaine, une femme de 50 ans qui s'est livrée à la prostitution pendant toute sa vie adulte s'est présentée chez Maggie's pour avoir des articles visant la diminution des risques liés aux pratiques sexuelles. Elle se demandait qui l'engagerait. La prostitution est le seul travail qu'elle ait connu. Devrait-elle maintenant se résoudre à demander de l'aide sociale?
    Le projet de loi C-36 réduira au silence les travailleuses du sexe qui sont victimes de violence. Je suis une travailleuse du sexe et une travailleuse des services d'approche qui compte 20 ans d'expérience. J'ai personnellement fait l'expérience de toutes ces situations. Lorsque l'on accroît les activités policières et la surveillance, les travailleuses du sexe sont isolées des personnes qui offrent des services essentiels et cet isolement les rend vulnérables. Parmi ces services, notons la formation sur les pratiques sexuelles moins risquées, les lieux de travail plus sécuritaires, les lois, les services policiers et la communauté. Les gens de la rue forment une communauté en soi où les liens peuvent être très étroits. Nous nous transmettons des informations parce que nous avons besoin les uns des autres. Le projet de loi C-36 changera la donne, parce que les gens craindront davantage d'échanger des renseignements et de s'entraider. Nous devrons accepter n'importe quel client et nous n'aurons pas la possibilité d'assurer pleinement notre sécurité.
    Les services de police repousseront les prostituées de rue loin des secteurs résidentiels en raison de l'interdiction de se trouver à proximité de toute personne de moins de 18 ans. Cela entraînera une augmentation de la surveillance et du harcèlement dans le secteur résidentiel. Les groupes marginalisés — comme les personnes racialisées, les femmes transgenres, les femmes autochtones et les femmes bispirituelles — sont plus susceptibles de travailler dans la rue, et en vertu de ce projet de loi, elles feront l'objet d'une criminalisation extrême.
    Avec l'avènement d'Internet, beaucoup de travailleuses du sexe se livrent à la prostitution à l'intérieur. Toutefois, la criminalisation de la publicité les obligera à retourner dans la rue. Elles seront ainsi exposées à des risques, puisqu'elles n'ont aucune connaissance des mesures de sécurité à prendre dans la rue. Tous ces facteurs réunis entraîneront une augmentation de la violence, des meurtres et de l'incidence du VIH/sida au sein de notre communauté.

  (1630)  

    Je recommanderais que l'affectation de 20 millions de dollars visant à aider les prostitués à abandonner le métier servent à offrir du soutien direct aux travailleurs du sexe sans exiger qu'ils quittent l'industrie, ce que bon nombre d'entre eux ne peuvent ou ne veulent pas faire. Il faut que les lois nous permettent de travailler en sécurité et dans la dignité, de faire nos propres choix, en nous autorisant par exemple à annoncer nos services, à engager du personnel de sécurité et à travailler avec des collègues. Nous avons besoin d'organismes favorables aux travailleurs du sexe, comme Maggie's, qui nous aident à assurer notre sécurité, notre santé et notre bien-être. La décision de la Cour suprême devrait être respectée, car cette dernière a constaté qu'il est nécessaire de décriminaliser tous les travailleurs du sexe, qu'ils travaillent dans le domaine par choix, par contrainte ou en raison de leur situation économique.
    À l'heure actuelle, si nous sommes victimes de violence, nous ne pouvons nous adresser à la police parce que nous serons fichés dans le système. Je n'ai jamais pu demander l'aide de la police, même après une agression sexuelle. À l'époque, j'avais suivi le programme de déjudiciarisation obligatoire après avoir été arrêtée pour prostitution et je savais que je risquais l'incarcération si on découvrait que je travaillais dans le domaine du sexe; ainsi, même si j'avais été violée, je n'ai pas appelé la police. Le projet de loi C-36 ne m'aurait été d'aucune aide alors et il ne m'aidera pas maintenant.
    Je vous demanderais de reconsidérer le projet de loi C-36 et d'envisager les conséquences horribles qu'il aura sur les travailleurs du sexe les plus marginalisés du Canada. Le sort des travailleurs du sexe repose entre vos mains.
    Merci.
    Je vous remercie d'avoir parlé au nom de Mme Forrester.
    Voilà qui met fin aux exposés.
    Nous allons maintenant entreprendre un tour de questions, au cours duquel Mme Boivin, du Nouveau parti démocratique, sera la première à intervenir.

[Français]

    Je remercie tous les témoins d'être ici parmi nous aujourd'hui.
    Il y a une grande variété de points de vue. Cela ne doit pas être nécessairement facile d'un côté comme de l'autre d'entendre ce que les témoins ont à dire. C'est la même chose pour nous. C'est un dossier très complexe. Des groupes que je considère féministes disent des choses totalement différentes. Ce qui me fascine dans ce dossier de la prostitution, c'est que ce sont pratiquement toutes des femmes qui veulent venir s'exprimer, et elles n'ont pas toutes les mêmes points de vue.
    Madame McDonald, j'ai une question à vous poser. Vous avez écouté les discours de Mmes Matte et Sullivan de la CLES.

[Traduction]

    Elles affirment croire en un monde sans prostitution. Y croyez-vous?
    Franchement, non. Je ne crois pas en un monde sans prostitution.
    En outre, si le comité a pour objectif de mettre fin à la prostitution, ce projet de loi ne lui permettra pas d'atteindre son but. Ce n'est certainement pas ce que je choisirais pour mettre fin à la prostitution. Mais si le comité a l'intention de...

  (1635)  

    Mais pourquoi?
    C'est parce que les études menées par le gouvernement de Suède ont montré que la criminalisation des clients n'a pas eu d'incidence notable sur le nombre de gens qui travaillent dans l'industrie du sexe. Par contre, parce que les travailleurs du sexe étaient harcelés et pris pour cible sur la rue et que la clientèle était difficilement accessible, cette criminalisation a eu pour effet de pousser de nombreux travailleurs du sexe à commencer à travailler à l'intérieur, dans des salons de massages, loin des regards.
    Ainsi, il n'y a pas de statistiques, parce qu'on ne les voit pas.
    Êtes-vous une marchandise?
    Je vous demande pardon?
    J'ai entendu dire que la prostitution équivaut à réduire les femmes à l'état de marchandise.
    Veuillez m'excuser, c'était peut-être une mauvaise traduction.
    Il n'y a pas de mal.
    La réponse est non. Je suppose que vous posez la question parce que les gens disent qu'on vend et qu'on achète des femmes ou qu'on achète le corps des femmes. Bien franchement, cette façon de parler déshumanisante nous réduit à l'état de victimes. Il est également très sexiste et problématique de parler ainsi des gens, comme si nous étions des objets, alors que nous n'en sommes pas.

[Français]

    Merci.
    Madame Matte, vous avez dit que, dans le cas de l'arrêt Bedford, la Cour suprême du Canada avait rendu une décision en adoptant une vision très étroite. Vous avez dit immédiatement par la suite que le projet de loi C-36 venait un peu remédier à cela. Autrement dit, le projet de loi C-36 fait ce que l'arrêt Bedford n'a pas fait. Vous ai-je bien comprise?
    Effectivement, il vient faire ce que l'arrêt Bedford n'a pas fait et ne pouvait pas faire en soi, soit en changeant les objectifs de la loi du propre aveu des juges de la Cour suprême. L'examen des preuves qu'ils avaient devant eux aurait donné des résultats différents.
    Je n'ai pas eu le temps d'entrer dans les détails en ce qui a trait à la sécurité. À notre avis, on aurait intérêt à aller beaucoup plus loin avec le projet de loi C-36 et de donner une définition de ce qu'est un service sexuel ou la publicité qui l'entoure, comme vous le demandiez ce matin.
    En effet. Un service sexuel au sens de...
    Toutefois, il faudrait aussi avoir une définition de ce qu'est la sécurité. En tant que féministes, nous ne pouvons pas considérer qu'accorder quelques secondes de plus aux femmes pour qu'elles choisissent des clients est suffisant pour traiter de la question de la sécurité.
    Si c'était possible de savoir qui sont les hommes violents, il n'y aurait pas de maison d'hébergement au Canada, ni de centres contre les agressions sexuelles. Même avec quelques secondes de plus et même, parfois, en vivant avec un homme pendant plusieurs années, les femmes ne peuvent pas savoir à quel moment ce dernier va devenir violent.
    En ce qui concerne la question de la marchandisation, je me sens un peu brusquée par la façon dont vous minimisez les arguments que nous présentons.
    Non, je ne les ai pas minimisés. Je vous demandais comment elles se sentaient.
    Quand on parle de prostitution, les groupes qui défendent l'arrêt Bedford ou la décriminalisation totale de la prostitution reconnaissent que c'est une industrie ou un échange commercial comme un autre. Que le femmes se considèrent ou non comme un objet, c'est à elles de le décider. Cependant, il est clair que le poids de la discussion est centré sur l'échange commercial, un point, c'est tout.
    Nous disons au contraire que ce n'est pas un échange commercial. Il s'agit d'abord d'une pratique inégalitaire.
    Merci. Je pense que je comprends ce vous avez dit.

[Traduction]

    Je pense que vous avez pas mal tous convenu — Dieux merci, tout le monde s'entend pas mal sur quelque chose — que l'affectation de 20 millions de dollars est ridicule.
    Monsieur le ministre, j'aimerais que vous répondiez peut-être à la question suivante. Après l'envoi de votre lettre en février, est-ce que le ministre fédéral ou quelqu'un a communiqué avec vous pour voir comment le projet de loi devrait être élaboré ou pour discuter d'autre chose que votre position sur le modèle nordique? Consulte-t-on les ministres de la Justice de ce grand pays qui est le nôtre, puisque ce sont eux qui seront principalement chargés d'appliquer la nouvelle loi avec l'aide de la police et d'autres intervenants?
    Vous avez indiqué que comme le montant de 20 millions de dollars serait réparti sur une période de cinq ans, le Manitoba recevrait des miettes. Mais de quoi a-t-on besoin? De quelle sorte de service a-t-on besoin pour faire ce que préconisent tous ceux qui adhèrent au modèle nordique et qui affirment toujours qu'il faut offrir du soutien pour aider les gens à abandonner la prostitution? De quelle sorte de soutien s'agit-il exactement?

  (1640)  

    Ce sont là de grandes questions.
    À l'automne, lors de la rencontre des ministres à Whitehorse, j'ai indiqué au nom du ministre que le modèle nordique constituait la voie à suivre. J'ai écrit au ministre MacKay au début de février. Je sais que j'ai discuté de la question avec la députée Joy Smith. J'ai veillé à ce que chaque député du Manitoba reçoivent un exemplaire de la lettre. M. MacKay ne s'est pas manifesté depuis que la lettre a été envoyé au début de février.
    Pour ce qui est des services nécessaires pour aider les victimes d'exploitation sexuelle à abandonner le métier, c'est une entreprise difficile en raison du traumatisme qu'elles ont vécu. Notre mémoire est accompagné du document sur le Tracia's Trust, qui résume les diverses mesures que prend le Manitoba. Il n'existe pas de simple panacée. Dans bien des cas, les gens peuvent souffrir de traumatismes physiques, à l'instar des soldats qui reviennent de la guerre. D'autres sont aux prises avec des problèmes de dépendance ou de santé mentale.
    Nous avons constaté à quel point il est utile — comme nous l'avons peut-être mieux compris cet après midi, je crois — d'avoir des personnes d'expérience, qui possèdent la crédibilité pour parler de leur vie et qui pourraient être les mieux habilitées à travailler avec les gens pour tenter d'apporter un changement.
    Nous offrons le programme de déjudiciarisation. Il ne dure que trois jours et est offert par l'Armée du Salut. Nous avons l'intention de poursuivre ce programme. Peu importe la teneur du projet de loi C-36, il ne permettra pas à lui seul d'accomplir des miracles. Nous ne réussirons pas à permettre à une personne exploitée sexuellement de changer de vie en l'espace de trois jours, comme par magie. Mais si ces personnes peuvent assister au camp, se laver, manger convenablement, dormir, ce qui leur est souvent impossible, puis d'avoir l'occasion d'entrer en contact avec les divers organismes qui peuvent les aider à faire le choix de changer de vie, alors nous aurons accompli un pas en avant. Mais ce n'est pas facile.
    Sans vouloir être désinvolte, je ferais remarquer que si les fonds sont affectés par habitant, l'argent que le Manitoba recevra chaque année pourra peut-être nous permettre d'aider une ou deux personnes, et nous savons que la demande est de loin supérieure. Il s'agit de gens qui ont énormément souffert.
    Merci de ces questions et de ces réponses.
    Nous entendrons maintenant Mme Smith, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de comparaître afin de nous donner leurs opinions.
    Monsieur Swan, je vous félicite pour tout le travail que vous accomplissez au Manitoba. J'apprécie réellement votre soutien à l'égard du projet de loi C-36 et les quelques amendements que vous proposez. Pour la première fois au Canada, l'achat de services sexuels sera illégal, ce qui sera utile à bien des égard. Pour la première fois, on s'attaquera à la publicité faite par des tiers et nous faisons preuve de compassion dans le projet de loi.
    Cela dit, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce qu'une victime a réellement besoin? Compte tenu du quartier de Winnipeg où vous vivez et des rues que nous avons tous les deux visitées, vous pourriez peut-être donner au comité une idée de ce qui se passe réellement.
    Je félicite Natasha et Rose d'avoir parlé aujourd'hui. C'était formidable. Mais pourriez-vous nous donner un aperçu de la situation à titre d'élu?
    C'est vrai. Je représente le quartier centre-ouest de Winnipeg, où on s'adonne à la prostitution de rue. Je sais qu'il y a d'autres formes d'exploitation derrière les portes closes.
    De toute évidence, les défis sont immenses, et nous avons tenté de nous attaquer à certains problèmes. Si une personne vient à nous pour nous dire qu'elle est à la rue et qu'elle a besoin d'aide, on n'ira nulle part si la première chose qu'on fait consiste à lui enlever ses enfants. Les services familiaux auraient certainement besoin de plus de soutien pour aider les gens à établir un plan pour lutter contre leurs problèmes de dépendance ou de santé mentale tout en sachant qu'ils n'auront pas à abandonner leurs enfants.
    Traditionnellement, au Manitoba et ailleurs, quand une personne était à la rue et recevait des prestations d'aide sociale, l'employé de l'aide sociale lui annonçait qu'elle perdrait son aide sociale. Que pensez-vous qu'il se passera si on prive quelqu'un d'aide sociale?
    Dans bien des cas, c'est une affaire de logement. Les gens ne bénéficient pas de logements sécuritaires et abordables. Ils ont souvent besoin de services de santé mentale et de lutte contre la dépendance. Dans bien des cas, il faut sortir les gens de la situation dans laquelle ils se trouvent, ce qu'ils veulent faire bien souvent. Ce n'est pas chose facile, car on peut laisser derrière...

  (1645)  

    Le temps file, et j'ai un autre point à aborder. J'ai une ou deux questions supplémentaires à poser aux autres témoins.
    Merci.
    Ce qui ressort, selon ce que j'ai entendu, c'est la relation de symbiose entre les instances fédérales et provinciales, qui forment un partenariat. Pour la première fois, la loi fédérale, le projet de loi C-36, permet de travailler en partenariat dans le cadre des démarches entreprises au Manitoba. J'ose dire qu'on s'occupe d'un enfant ou d'une victime à la fois n'est-ce pas?
    Je veux également poser une question à Jean McDonald. Vous disiez que vous contribuez à réduire le risque que courent les prostituées sur la rue. Pourriez-vous me dire si vous êtes rémunérée pour ce travail ou si vous agissez à titre de bénévole?
    Je vous demande pardon? Qu'est-ce que mon travail a à voir avec le projet de loi que nous examinons aujourd'hui?
    Je me demande simplement si, en aidant les...
    Ce n'est pas...
    Vous ne voulez pas répondre à la question? Fort bien.
    Je ne pense pas que ce soit pertinent de quelque façon que ce soit avec la discussion.
    Bien, d'accord.
    Je suis directrice exécutive.
    Bien.
    Je pense que vous êtes offusquée. Vous avez indiqué que vous recevez du financement du gouvernement provincial de l'Ontario.
    Oui. C'est parce que nous...
    Je ne pense pas qu'elle vous demandait combien vous êtes payée. Elle voulait savoir si l'organisation comprend des bénévoles ou des employés.
    En quoi le fait que je sois une employée ou une bénévole... je ne suis toujours pas certaine que...
    Peut-être que Joy pourrait expliquer en quoi mon emploi a une incidence sur le projet de loi.
    Eh bien, c'est juste comme le président l'a indiqué.
    Bien.
    Vous ne voulez pas répondre à la question. J'expliquais simplement la question. Si ne vous voulez pas y répondre...
    Merci. De toute évidence, nous en resterons là. Nous pouvons obtenir l'information.
    Madame Matte, j'ai vraiment aimé ce que vous avez dit au sujet de la dignité des femmes, ce que vous avez également souligné, Rose.
    Est-ce que l'une de vous pourrait nous dire ce qu'elle trouve de si bénéfique dans le projet de loi C-36? Vous nous avez proposé également des amendements.
    Rose, vous êtes venue aujourd'hui et avez indiqué que vous appuyez sans réserve le projet de loi C-36. En quoi ce dernier aiderait, de façon pratique, ceux qui ont besoin d'aide sur la rue?

[Français]

    Le fait de criminaliser les hommes au lieu des femmes qui, au fond, sont des victimes, instaure un changement de mentalités.
    En ce qui concerne les différents aspects de la violence contre les femmes, cela aurait dû être fait depuis longtemps. Cette loi est absolument nécessaire du point de vue de l'égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que pour démontrer que la prostitution n'est pas banale et que ce n'est pas quelque chose qui devrait être envisagé quand une personne est en difficulté.
    Dans un pays où on offre des moyens de s'en sortir, on ne devrait pas donner aux femmes le message que la prostitution est une solution quand elles sont pauvres, qu'elles sont dans la misère et qu'elles n'ont pas de diplôme. Il serait plus normal de leur dire quelles sont les solutions qui s'offrent à elles.
    L'autre élément sur lequel on s'entend avec des groupes comme Maggie's, c'est la décriminalisation des femmes qui se retrouvent dans la prostitution. Le projet de loi C-36 ne pourra pas donner les résultats escomptés si on maintient une forme ou une autre de criminalisation des femmes dans la prostitution, peu importe qu'elles soient dans la rue ou à l'intérieur d'un établissement. C'est plutôt le contraire. J'ai l'impression que si on maintient toute forme de criminalisation, on leur donne le message d'aller à l'intérieur parce qu'elles y seront davantage en sécurité.
    Cela dépend de la position qu'on a sur le sujet. Le NPD semble penser qu'elles seront plus en sécurité à l'intérieur mais, dans la vraie vie, on sait très bien que peu importe le lieu, les femmes peuvent être victimes de violence de la part des clients ou des proxénètes.
    Effectivement, on est en train de changer la perception sociale de ce qu'est la prostitution. On est en train de permettre aux femmes dans la prostitution d'en sortir volontairement. C'est important de le mentionner.

  (1650)  

[Traduction]

    Merci beaucoup de cette réponse.
    Vous disposez d'une minute.
    Je sais, et j'essaie de faire vite.
    Natasha, pourriez-vous nous donner votre opinion sur le fait qu'on cible les clients pour la première fois afin de les arrêter? Considérez-vous que cela contribuera à assurer la sécurité des femmes?
    Certainement. En fait, je pense que le projet de loi C-36 accordera plus de pouvoir aux prostituées quand elles ont affaire à des clients violents, puisqu'elles pourront appeler la police sans craindre d'être blâmées pour les abus dont elles sont victimes. Je crois aussi qu'il leur permettra de présélectionner les clients sans avoir à rendre de comptes aux proxénètes et aux michetons, car les hommes seront maintenant ciblés. Je considère également qu'en montrant à la société qu'il s'agit d'un problème de violence masculine visant principalement les femmes et les enfants, nous enseignerons quelque chose aux générations futures de garçons pour qu'ils grandissent en comprenant qu'ils ne devraient pas contribuer au problème.
    Je pense en outre qu'en mettant l'accent sur les femmes et en les considérant comme des victimes de l'industrie, nous leur donnerons davantage d'occasions de quitter le métier, des occasions qui nous échappent actuellement. Selon moi, en accordant du financement à des organisations comme Maggie's, nous permettrons aux gens de poursuivre leurs efforts. Elles ont indiqué qu'elles croient que certaines femmes ne peuvent pas s'en sortir. Or, je ne partage pas du tout cet avis. Je pense que quiconque veut quelque chose peut faire en sorte que ce soit possible. J'en suis la preuve vivante. Les deux dernières années, j'ai souffert de schizophrénie en raison de la drogue, et aujourd'hui, je suis dans la position où je me trouve maintenant.
    Merci beaucoup de ces questions et de ces réponses.
    Nous laissons maintenant la parole à M. Casey, du Parti libéral.
    Merci, monsieur le président.
    Tout d'abord, par courtoisie envers mes collègues du comité et les témoins, je présente mes excuses pour être arrivé en retard à la séance. M. Dechert, M. Scott et moi-même étions à l'émission Power & Politics pendant l'intersession. Voilà qui explique notre léger retard.
    Monsieur le ministre, je suis arrivé au milieu de votre exposé; je ne l'ai donc pas entendu en entier, mais je l'avais lu à l'avance.
    Nous entendons maintenant le deuxième groupe de témoins de la journée, et même si les avis sont fort divergents aujourd'hui, tous les témoins, à l'exception de Peter MacKay et des fonctionnaires du ministère de la Justice, s'entendent sur un point. Walk With Me Canada Victim Services, l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, la Criminal Lawyers' Association, Mme Janine Benedet et M. John Lowman ont tous convenu, comme chacun d'entre vous l'avez fait dans votre témoignage d'aujourd'hui, que la criminalisation des travailleurs du sexe en vertu des dispositions sur la communication est problématique et devrait être amendée ou complètement éliminée. C'est un point de consensus pour tous les témoins, exception faite du ministre et de ses fonctionnaires, qui ont comparu aujourd'hui.
    Je veux m'adresser à Mme Beazley et à Mme Matte en premier, parce que je sais que vos organisations ont effectué des enquêtes exhaustives sur les modèles mis en oeuvre dans d'autres pays. Ici, nous entendons constamment parler du modèle nordique. Nous savons que cette approche criminalise les acheteurs, mais le projet de loi dont nous sommes saisis criminalise non seulement les acheteurs, mais également les fournisseurs et la publicité dans bien des cas.
    Plus tard cette semaine, nous entendrons le témoignage d'un dénommé José Mendes Bota, qui a été rapporteur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il a lui aussi réalisé une enquête approfondie des divers modèles adoptés dans le monde, et dans son rapport, il décrit un système prohibitionniste qui interdit la prostitution en criminalisant tous les aspects, y compris la vente de services sexuels et toutes les personnes concernées. Il indique qu'un certain nombre de pays européens ont adopté cette approche, notamment l'Albanie, la Croatie, la Roumanie, la Fédération de Russie, la Serbie et l'Ukraine.
    Voici la question que je vous poserais, madame Beazley et madame Matte. Compte tenu de toutes les mesures que le projet de loi C-36 ajoute au modèle nordique, ne sommes-nous pas en fait plus près d'un modèle prohibitionniste avec ce projet de loi?

  (1655)  

    Je dirais que nous avons un modèle hybride, pas entièrement prohibitionniste. Je ne pense pas que ce soit juste de dire cela, car le projet de loi reconnaît à bien des égards le statut de la plupart des personnes qui s'adonnent à la prostitution. Comme je l'ai indiqué, selon l'esprit et l'intention du projet de loi en général, les prostitués ne sont pas criminalisés.
    On adopte toutefois une approche prohibitionniste qui permet encore... Les deux premiers articles de la disposition initiale sur les communications n'ont pas été contestés; ils restent donc en vigueur. Il y a aussi ce nouvel article portant sur les lieux publics où des mineurs pourraient se trouver, et vous avez entendu l'avis de chacun d'entre nous à ce sujet; nous voudrions voir cet article limité, éliminé, amendé ou corrigé d'une quelconque façon. Ce point nous préoccupe tous, mais je ne pense pas qu'il soit juste de dire que cette approche est devenue entièrement prohibitionniste. C'est une sorte d'hybride, dans le cadre duquel on donne le feu vert à l'approche prohibitionniste.
    La loi canadienne se situe entre celles de la Suède et de la Russie.
    Je ne dirais pas la Russie. Non, je ne crois pas que c'est...
    Madame Matte.
    Je dirais qu'il ne s'agit pas du tout d'une approche prohibitionniste, et que nous comptons certainement sur chaque parti politique qui se trouve à la table pour éliminer ce que nous souhaitons faire disparaître.
    J'aimerais illustrer mon point. C'est comme si nous avions la bonne carte pour nous diriger où nous souhaitons aller. Nous savons où nous allons, et nous avons la bonne carte. Toutefois, il y a un caillou dans notre chaussure, et ce petit caillou représente la criminalisation des femmes, surtout dans les rues. Nous devons donc veiller à demeurer sur la voie que nous voulons suivre, tout en éliminant ce qui ne fonctionne pas.
    Je crois qu'il est injuste de parler de prohibitionnisme lorsqu'il s'agit de ce qui est devant nous. Nous pouvons dire que l'approche prohibitionniste n'a connu aucun succès, et nous n'avons pas seulement l'exemple de la Russie. En effet, dans le cas de la prostitution, de nombreux pays criminalisent seulement les femmes, et non les hommes. Je ne sais pas comment vous qualifiez cette pratique, mais pour moi, c'est le summum du patriarcat: criminaliser les femmes parce qu'elles sont exploitées sexuellement.
    Selon moi, nous devons faire attention aux mots que nous utilisons. Le modèle juridique prohibitionniste, puisque nous en parlons abondamment, est un modèle dont les objectifs et la mise en oeuvre criminaliseraient toutes les parties qui participent à la prostitution, et ce n'est pas le cas dans ce projet de loi.
    Nous devons donc seulement enlever le caillou dans notre chaussure, mais veiller à ne pas perdre notre carte.
    Merci.
    Madame Falle et madame Sullivan, vous avez toutes les deux mentionné que vous vous étiez livrées à la prostitution et que vous aviez réussi à vous en sortir.

[Français]

si j'ai bien compris votre témoignage.

[Traduction]

    Avez-vous eu un casier judiciaire de jeune délinquant ou un casier judiciaire en raison de vos activités liées à la prostitution?
    Oui. La première fois que je me suis tenue à un coin de rue, à 17 ans, j'ai été arrêtée par un agent de police.
    Il s'agissait donc d'un casier judiciaire de jeune délinquant.
    Mme Natasha Falle: Oui.
    M. Sean Casey: Décrivez-nous les difficultés que votre casier judiciaire de jeune délinquant vous a causées lorsque vous êtes sortie de la prostitution.
    Oui, certainement. Il ne s'agissait pas seulement du casier judiciaire de jeune délinquant, mais également de mon casier judiciaire d'adulte lié à la sollicitation qui m'a empêchée de faire la même chose que d'autres personnes et de réintégrer la société.
    Lorsqu'on m'a arrêtée, j'ai essentiellement abandonné. Je me suis dis que j'avais un casier judiciaire criminel pour prostitution, que je n'avais plus d'autre choix et que j'étais aussi bien d'accepter ce milieu. J'ai donc tiré le meilleur parti possible de ce milieu, car même s'il était violent, je devais l'accepter afin de survivre.
    Madame Sullivan.

[Français]

    Je n'ai pas de casier judiciaire. J'ai été très chanceuse.

[Traduction]

    D'accord.
    Monsieur le ministre, vous avez indiqué que l'argent proposé, si on utilise une formule par habitant, ne fera pas une grande différence au Manitoba. Dans ma partie du monde, nous n'aimons pas vraiment le financement par habitant, croyez-moi.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Sean Casey: J'aimerais poser quelques questions à cet égard. Tout d'abord, étant donné que vous versez actuellement 8 millions de dollars par année dans ces programmes, quelle somme pourrait faire une différence importante?
    De plus, si vous me le permettez, étant donné que mon temps est presque écoulé, trop souvent, nous voyons dans cet endroit l'introduction de mesures de justice pénale qui entraînent des répercussions importantes sur les budgets de ceux qui doivent administrer la justice, c'est-à-dire vos ministères et les provinces. Avez-vous des préoccupations liées au projet de loi à cet égard?

  (1700)  

    En ce qui concerne le projet de loi, non, étant donné que nous avons demandé l'adoption du modèle nordique au Canada; nous acceptons les coûts supplémentaires. Dans une certaine mesure, nous pensons que nous pouvons gérer cela. Nous avons l'intention de poursuivre les activités de ce que nous appelons la « john school », une école de réhabilitation pour les clients et dirigée par l'Armée du Salut. Nous pensons que des amendes minimales nous permettront d'amasser l'argent que les gens doivent payer pour fréquenter cette école, afin qu'ils puissent éviter les tribunaux et peut-être la présence d'un journaliste ou d'un voisin. J'espère qu'avec l'argent de la « john school », nous serons en mesure d'agrandir le camp de diversion de la prostitution et de fournir aux gens, encore une fois, cette première occasion de changer leur vie.
    Dans l'ensemble, je peux vous dire dès maintenant que 8 millions de dollars par année, ce n'est pas suffisant. Nous ne pouvons pas offrir un soutien suffisant pour aider ces personnes. Évidemment, bien souvent, il s'agit de problèmes concomitants de santé mentale et de dépendance, et il faut traiter des traumatismes et de nombreux problèmes complexes. Avec 8 millions de dollars par année, nous avons de la difficulté à offrir les services minimaux. Nous espérons certainement plus qu'un petit investissement temporaire du gouvernement fédéral; nous aimerions qu'il soit plus important. Nous continuerons de porter la plus grande partie du fardeau, et nous l'acceptons. Nous pensons que c'est important pour le Manitoba.
    Je vous remercie beaucoup des questions et des réponses.
    Notre prochain intervenant est M. Dechert, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais remercier tous nos témoins.
    J'aimerais seulement dire à Mme Sullivan et à Mme Falle, et par votre entremise, madame Gallant, à Monica Forrester, que je les trouve très braves de comparaître et de nous raconter leur histoire, et j'aimerais les remercier. C'est très difficile pour nous, en tant que législateurs, de bien comprendre ce qui se passe dans une industrie comme celle-là sans entendre vos histoires, et nous vous sommes donc reconnaissants.
    J'aimerais répondre rapidement à Mme Sullivan. Vous craigniez que le projet de loi C-36 criminalise une travailleuse du sexe qui exerce ses activités dans son foyer lorsque ses enfants sont présents. La réponse est simple: il ne s'agit pas d'un endroit public, et il ne serait donc pas visé par cette disposition. Je voulais seulement vous rassurer à cet égard.
    Quant à Mme Forrester, par l'entremise de Mme Gallant, elle a dit qu'il fallait la corriger. Elle a tort lorsqu'elle affirme que nous n'avons pas entendu d'autres Autochtones de l'industrie du sexe...
     Des Autochtones qui sont présentement travailleuses du sexe.
    Comme vous le savez, nous en avons entendu une auparavant, et plus tard cette semaine, nous entendrons les représentantes de l'Association des femmes autochtones du Canada. D'après ce que je comprends, par exemple, elles croient à la criminalisation de l'achat de services sexuels en vigueur dans le modèle nordique.
    Je crois que c'est le cas, et je ne pense pas qu'elles enverront des témoins qui sont Autochtones et présentement travailleuses du sexe.
    D'accord, mais ce sont d'anciennes travailleuses du sexe.
    C'est exact, et c'est pourquoi je fais valoir qu'il faudrait parler des personnes qui subiront les effets du projet de loi. Ce ne sera pas le cas des anciennes travailleuses du sexe.
    D'accord, nous entendrons leur avis sur ces effets.
    L'autre chose qui a été mentionnée par Mme McDonald, c'est que le projet de loi interdit toute forme de publicité. C'est tout simplement faux, car une disposition permet la publicité faite par une personne pour elle-même sans qu'il y ait exploitation.
    Vous avez mentionné une chose qui m'a paru curieuse. Vous avez dit que vous croyez que les groupes de travailleurs du sexe de partout dans le monde sont, de façon unanime, pour la décriminalisation.
    C'est exact.

  (1705)  

    Mais nous entendons l'organisme que représentent Mme Sullivan et Mme Matte, nous entendons également Mme Falle et des représentants de plusieurs autres organismes, et nous entendrons d'autres organismes qui sont à la fois des groupes de femmes et des groupes qui représentent les travailleurs du sexe, qui sont pour la criminalisation de l'achat de services sexuels, c'est-à-dire le soi-disant modèle nordique. Je ne comprends donc pas pourquoi vous dites...
    J'aimerais revenir à ce que Chanelle disait, c'est-à-dire que les groupes de travailleurs du sexe dont je parle sont surtout — sinon en totalité — formés de personnes qui travaillent présentement dans l'industrie du sexe. Il y a une grande différence, une énorme différence, entre une personne qui sera touchée par les répercussions de ce projet de loi et...
    Vous conviendrez qu'il y a des organismes qui représentent des travailleurs du sexe qui...
    Non.
    Vous affirmez que nulle part, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde, des organismes qui représentent des travailleurs du sexe en activité croient en ce modèle.
    Oui, en activité... Il n'y a pas de...
    Puis-je entendre l'avis de Mme Matte?
    Êtes-vous présentement des travailleurs du sexe?
    Certains de nos partisans le sont. Il suffit de consulter notre site Web pour vérifier.
    Je trouve cela difficile à croire.
    Il semble qu'un désaccord persiste sur cette question.
    Monsieur Dechert, pourriez-vous cibler vos questions, afin qu'une question soit posée et qu'une personne réponde?
    Bien sûr. Je vais cibler mes questions. J'ai juste une autre question pour Mme McDonald.
    En réponse à une question de Mme Boivin sur l'élimination de la prostitution, vous avez dit, tout d'abord, qu'à votre avis, ce n'était pas possible. C'est intrigant, et j'ai peut-être mal compris, mais je crois que vous avez dit que vous n'appuieriez pas l'élimination de la prostitution si c'était une option. Vous ne l'appuieriez pas. Est-ce bien ce que vous avez dit?
    Oui, absolument. Je n'aimerais pas que cela se produise. Je préférerais que la prostitution soit décriminalisée, car...
    Le point que j'essaie de faire valoir, c'est que vous ne voulez pas qu'elle soit éliminée. Est-ce exact? J'aimerais seulement comprendre ce point. Vous ne souhaitez pas qu'on mette un terme à la prostitution.
    La Prostitution Reform Act 2003 de la Nouvelle-Zélande reconnaît les torts causés aux travailleurs du sexe, et c'est pourquoi on a opté pour la décriminalisation. En fait, l'intention de cette mesure législative était de créer un cadre pour défendre les droits fondamentaux des travailleurs du sexe, pour les protéger de l'exploitation, et pour promouvoir le bien-être et la santé et sécurité au travail de ces travailleurs.
    D'accord, le point que j'aimerais comprendre...
    Ce sont des choses dont les travailleurs du sexe ont besoin.
    Excusez-moi, madame McDonald, si vous me le permettez, j'essaie de vous poser une question. À votre avis, y aurait-il des avantages à la poursuite des activités de la prostitution au Canada? Répondez seulement par oui ou par non.
    Non. Je peux préciser la façon dont je veux faire cela, monsieur.
    En fait, oui. Lorsque la prostitution se passe entre deux adultes — ou plus — consentants, je crois que ces adultes consentants devraient pouvoir décider ce qu'ils veulent faire.
    D'accord. Je prends note de votre argument.
    Monsieur le ministre, j'aimerais vous remercier d'être ici. Je crois que votre présence est importante, car en votre qualité de procureur général provincial, vous êtes l'une des personnes qui devront mettre en oeuvre cette nouvelle mesure législative si elle est adoptée.
    Vous avez mentionné dans votre exposé que vous croyez que la plupart des travailleurs du sexe sont exploités, et vous êtes d'avis que la criminalisation de l'achat de services sexuels réduira le taux d'exploitation. Est-ce exact?
    C'est exact.
    Mes amis du NPD fédéral me corrigeront si je me trompe, mais ils semblent affirmer — j'ai entendu M. Scott le dire à la CBC plus tôt aujourd'hui — qu'ils ne croient pas à la criminalisation de l'achat de services sexuels, et qu'ils sont contre, car ils croient qu'elle rendra le...
    J'invoque le Règlement, monsieur le président. Un témoin assis à côté de moi affirme que je n'ai pas dit cela.
    Peut-être qu'ils y croient en fin de compte. Ils apporteront peut-être des éclaircissements à cet égard. Si je me trompe, je m'en excuse. Je crois que je les ai entendus dire qu'ils sont contre le projet de loi C-36, car ils croient que la criminalisation de l'achat de services sexuels rendra le travail dans l'industrie du sexe plus dangereux.
    Le croyez-vous? Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?
    Permettez-moi de parler un peu des méthodes que nous utilisons au Manitoba. Si vous achetez des services sexuels et que vous êtes arrêté par la police et accusé en vertu des dispositions actuelles du Code criminel, vous avez deux choix. Vous pouvez choisir le système pénal, et vous présenter devant le tribunal, et vous pourriez avoir à payer une très petite amende. Vous pourriez également obtenir une absolution inconditionnelle, mais vous devez vous présenter au tribunal devant... eh bien, c'est une audience publique. Ou vous pouvez fréquenter la « john school », une école de réhabilitation pour les clients et dirigée par l'Armée du Salut, où on enseigne aux hommes les circonstances réelles de ce milieu et où ils peuvent écouter non seulement des policiers et des travailleurs du domaine de la santé, mais également des personnes qui ont l'expérience de cette industrie leur décrire les conditions de vie.
    Il y a également une autre possibilité: si vous êtes un client de la prostitution au Manitoba et qu'on vous arrête en flagrant délit, vous allez nettoyer les ruelles de mon quartier et vous pourrez constater par vous-mêmes ce que c'est lorsqu'il y a des condoms et des seringues partout.
    J'aimerais que l'école de réhabilitation poursuive ses activités. Nous pouvons élargir le bassin de personnes qui suivent ce programme. Il s'agit d'une pratique de la justice réparatrice. C'est une façon de sensibiliser les gens, et j'espère que nous ne reverrons jamais ces personnes dans le système judiciaire. Nous croyons que si les hommes comprennent la dynamique de l'industrie de la prostitution, la grande majorité d'entre eux modifieront leur attitude, et je crois que nous pouvons modifier les comportements. Et c'est...

  (1710)  

    Vous croyez donc qu'on peut obtenir une diminution.
    Oui.
    Merci.
    Je vous remercie des questions et des réponses.
    La parole est maintenant à M. Scott du Nouveau Parti démocratique.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai quelques questions pour Mme McDonald et Mme Gallant, qui représentent Maggie's. Ces questions découlent de questions similaires posées par M. Dechert, qui ne semble pas être en mesure de saisir le point de vue d'un pourcentage élevé de travailleurs du sexe qui mènent actuellement leurs activités. Vous avez dit dans votre exposé que les utilisateurs des services offerts chez Maggie's rejetaient le projet de loi à l'unanimité. Vous avez parlé de consultations.
    J'aimerais que vous nous en disiez plus à cet égard, car je crois que de nombreuses personnes ne comprennent pas tout à fait comment les travailleurs du sexe avec lesquels vous travaillez et pour lesquels vous travaillez pourraient adopter ce point de vue.
    Absolument. Comme je l'ai dit, nous travaillons avec de nombreux travailleurs du sexe de la rue. Nous avons un centre d'accueil où ils peuvent obtenir de la nourriture et des accessoires qui rendent les pratiques sexuelles et l'utilisation de drogues plus sécuritaires.
    Les gens étaient préoccupés par le contenu du projet de loi, et nous avons pensé que ce serait une excellente idée d'offrir un atelier de formation au cours duquel on expliquerait le projet de loi. Nous avons dit à ces gens que nous allions comparaître devant vous, et nous leur avons demandé leur avis et quelles seront, selon eux, les répercussions du projet de loi sur les activités quotidiennes des travailleurs du sexe de la rue.
    Ces personnes étaient inquiètes. Elles ne pensent pas du tout que le projet de loi les protégera, car lorsqu'on est criminalisé, il devient très difficile d'avoir accès aux services de police. Comme Monica l'a dit dans son témoignage, étant donné qu'elle était criminalisée, elle ne se sentait pas en mesure de communiquer avec la police lorsqu'elle a été victime d'une agression sexuelle violente.
    Lorsque je suggère la décriminalisation comme solution de rechange, ce que je veux dire, c'est que j'aborde la prostitution de façon pragmatique. Je dis qu'elle existe dans notre monde actuel, et qu'elle existe depuis des milliers d'années, et même depuis plus longtemps. Elle ne disparaîtra pas d'un seul coup, et c'est certainement ce qu'on constate en Suède, d'où vient ce soi-disant modèle nordique.
    L'approche que j'adopte à l'égard de la prostitution est une approche pragmatique, et elle ne se fonde pas sur des considérations morales dont les gens se servent pour trouver cette activité répugnante. Non, cela se produit, et oui, pour certaines personnes, c'est répugnant. Mais quelles sont les meilleures façons d'entrer en communication avec les travailleurs du sexe pour les aider?
    J'expliquais l'objectif de la Prostitution Reform Act de la Nouvelle-Zélande. Cette loi contient une disposition qui prévoit qu'elle doit être assujettie à un examen après avoir été en vigueur de trois à cinq ans. Après cinq ans, une étude menée par le ministère de la santé publique de la Nouvelle-Zélande a déterminé que dans l'ensemble, la PRA avait atteint son objectif de façon efficace. On a conclu que l'industrie du sexe n'avait pas gagné en importance, et que de nombreux maux sociaux prévus par ceux qui étaient contre la décriminalisation ne s'étaient pas concrétisés.
    Pourrais-je ajouter quelque chose, Craig?
    Étant donné que nous entendons beaucoup parler de ces 20 millions de dollars versés dans les écoles de réhabilitation pour les clients et les programmes de diversion, etc., j'aimerais ajouter au compte rendu — pour réitérer le témoignage de Monica Forrester, qui a été violée pendant qu'elle participait à un programme de diversion et qu'elle ne pouvait pas avoir accès au soutien de la police — que ce dont nous parlons dans ce cas-ci, c'est d'un système qui continue de criminaliser les travailleurs du sexe. En effet, on ne peut pas criminaliser l'achat de services sexuels sans criminaliser la vente de ces services.
    Nous avons entendu quelques commentaires selon lesquels la publicité serait protégée. Ce n'est pas ce que nous entendons de la Pivot Legal Society et du Réseau juridique canadien VIH-sida, qui ont souligné que le projet de loi criminalise les tierces parties qui font de la publicité pour les services des travailleurs du sexe. Je ne vois donc pas comment on peut faire de la publicité sans avoir recours à une tierce partie. Cela s'applique aux travailleurs de l'intérieur.
    Toutefois, les travailleurs de l'extérieur continuent d'affirmer qu'ils ne peuvent pas appeler la police dans ce type de situation, car la police ne représentera pas un service de soutien pour eux, car ils font face à... Nous parlons de travailleurs du sexe comme Monica et d'autres qui sont les plus vulnérables. Ils nous disent que ces programmes ne les protégeront pas de la violence, des sévices sexuels, du VIH et du sida et, qu'en fait, ils auront l'effet contraire.
    J'aimerais préciser que ce projet de loi causera des dommages. Des travailleurs du sexe seront battus, violés et assassinés à cause de ce projet de loi, et il fera augmenter les cas de VIH et de sida, et nous serons de retour lorsque cela se produira, car nous tiendrons le Parlement partiellement responsable de ces résultats qui accableront la communauté des travailleurs du sexe.

  (1715)  

    Merci.
    Je voulais dire une dernière chose. Je n'ai que 30 secondes. Peut-être que le ministre Swan pourrait réagir.
    L'un des aspects centraux du modèle nordique est ce que j'appellerai le « contexte politique social-démocrate » dans lequel il se situe. On met bien plus l'accent sur les chances d'épanouissement pour tous dans un pays comme la Suède, ce qui fait que l'offre est davantage traitée à cette étape et que l'aide relative à l'accès aux services se situe vers la fin. Et j'ajouterais — même si ce n'est pas évident en Suède — que si vous regardez du côté de la Nouvelle-Zélande, vous voyez qu'on se situe au milieu et qu'il y a les aspects relatifs à la sécurité, la santé et les mesures de protection des travailleurs et travailleuses.
    Pourriez-vous simplement répéter au profit de tous que les 20 millions de dollars seront bien loin de mener à ce que j'appelle le « contexte politique social-démocrate » qui est requis?
    Je suis d'accord.
    Merci.
    Je vous remercie.
    Notre intervenant suivant est Mme Ambler, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président. Et merci à tous nos témoins de leur présence. Nous vous remercions de nous accorder du temps pour venir témoigner.
    Quand j'ai dit à des amis, des parents et des électeurs que je venais ici cette semaine pour siéger au comité qui allait discuter de ce projet de loi, quelques personnes — très peu, une poignée — m'ont dit que nous n'allions rien changer à cela, que nous n'allions pas faire disparaître la prostitution. Elle existe depuis toujours. C'est le plus vieux métier du monde, ou le deuxième plus vieux métier du monde. C'est ce qu'on dit, je pense.
    Le plus vieux. Les avocats viennent ensuite.
    Oh, vous êtes au deuxième rang. D'accord. Le plus vieux métier du monde.
    Je trouve réconfortants les témoignages et les convictions des organisations et des particuliers de ce monde qui travaillent avec les prostitués et qui croient qu'il est possible de bâtir un monde sans prostitution. Il faudrait que ce soit notre but.
    J'aimerais demander aux femmes qui ont vécu cela, Natasha et Rose, si elles croient que cela devrait être le but des dispositions législatives — éradiquer la prostitution au pays, ou, du moins, la réduire nettement.
    Oui, c'est sûr. Nous devrions chercher à mettre fin à toute forme de violence, dans ce pays, et la prostitution n'en est qu'une autre forme.
    Il y a la violence faite aux enfants, la violence familiale — diverses formes de violence. Nous ne succombons pas tout simplement. Nous n'acceptons pas tout simplement toutes ces formes de violence; nous trouvons des mesures législatives qui peuvent les aider à subir moins de violence. Nous cherchons à mettre fin à ces formes de violence et à les réduire, et les lois sont conçues dans ce but.
    Est-ce que je crois que la violence va cesser un jour? Peut-être pas, mais nous n'abandonnons pas, pour le bien des personnes qui en sont victimes.
    Merci.
    Madame McDonald, je vous vois hocher de la tête. J'ai l'impression que c'est parce que vous ne voyez pas la prostitution comme une forme de violence. Je vous remercie de ce que vous faites. Je comprends que vous voulez limiter les dommages et aider. Je sais que vous envisagez cela d'un oeil pragmatique, et je comprends cela.
    J'aimerais cependant vous poser une question. En plus de conseiller les travailleuses du sexe sur les façons d'assurer leur propre sécurité et de se protéger, les conseillez-vous aussi en vue de les aider à sortir un jour de ce milieu? Est-ce que cela fait aussi partie de vos objectifs?

  (1720)  

    Les faire sortir de ce milieu n'est pas mon objectif ultime. J'appuie en réalité les personnes qui viennent me dire qu'elles veulent se trouver un autre travail. Nous comptons offrir un atelier sur la rédaction d'un curriculum vitae et d'une lettre d'accompagnement. Nous offrons à nos clients l'accès à des ordinateurs et à des imprimantes — ce genre de choses.
    Mais voilà, les personnes savent qu'en venant chez Maggie's, elles ne seront pas jugées. On ne leur dira pas qu'elles ne sont pas de bonnes personnes et qu'elles devraient quitter le milieu. On ne leur dira pas, comme la dame de Walk With Me a dit précédemment, qu'elles peuvent vivre leur guérison en prison. Je vous demande pardon?
    Personne ne dit cela, et le projet de loi ne comporte aucune disposition visant à mettre des personnes qui se prostituent en prison.
    Oui, il y en a. Je suis tout à fait...
    Non. Il n'y en a pas.
    Il y en a.
    Non. Il n'y en a pas. Nous parlons de déclarations de culpabilité par procédure sommaire, ce qui ne se traduit pas par un casier judiciaire.
    Et qu'en est-il de quelqu'un qui travaille avec...
    C'est le temps qui m'est attribué, monsieur le président.
    Et qu'en est-il des personnes qui travaillent dans un endroit où il y a des jeunes de 18 ans ou moins?
    Madame Falle, puis-je vous demander comment vous en êtes sortie?
    Oui. D'après mon expérience, nous devons pour la plupart toucher le fond avant d'en sortir, ce qui veut dire frôler la mort, éprouver des problèmes de santé mentale ou être institutionnalisé. Parfois, la prison nous donne le temps qu'il faut pour penser à notre vie. De toute évidence, la prison n'est pas un programme de sortie, comme d'autres pourraient l'avoir laissé entendre.
    J'ai réussi à m'en sortir parce que j'ai...
    J'ai travaillé dans l'industrie du sexe pendant 12 ans. J'ai été forcée, et j'ai aussi travaillé de façon indépendante. J'ai vendu mes services dans des établissements illégaux et des établissements légaux. J'ai passé 10 de ces 12 années sans utiliser de drogues dures. En fait, j'avais des préjugés envers les personnes qui se droguaient.
    Tout cela m'a rattrapée. J'ai été agressée sexuellement par un chauffeur d'escortes. Les chauffeurs qui conduisaient les escortes du point A au point B étaient des vendeurs de cocaïne; il était facile d'en obtenir. J'ai vécu un incident traumatique. Je ne savais pas comment y faire face et je me suis tournée vers la cocaïne. J'ai passé deux ans sur la cocaïne, ce qui m'a rendue schizophrène. J'ai trouvé cela très effrayant.
    Merci.
    Nos prochains intervenants sont membres du Nouveau Parti démocratique.
    Madame Péclet, c'est à vous.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    C'est une discussion très intéressante.
    J'aimerais répéter l'introduction que j'ai faite lors de la réunion précédente. Il est important de savoir que nous ne sommes pas en train de décider de l'avocat ou de l'étude qui a raison. Il s'agit plutôt de respecter l'essence même d'une décision de la Cour suprême et de savoir quelle est la meilleure législation à adopter pour assurer la sécurité, la santé et la vie des femmes et des hommes qui oeuvrent dans le milieu de la prostitution.
    Après avoir écouté plusieurs témoignages, je pense qu'on s'entend pour dire qu'il y a un problème en ce qui concerne la publicité. L'approche que le gouvernement a essayé d'établir est la criminalisation des clients et non celle des prostituées. Je pense qu'il y a quand même un consensus quant à l'existence d'un problème lié à l'interdiction de la publicité dans des endroits publics.
    J'aimerais entendre Mme McDonald à ce sujet. Si le but est de criminaliser uniquement les clients, quel effet cette interdiction relative à la publicité et la criminalisation de facto des travailleuses aura-t-elle sur le terrain?

[Traduction]

    Eh bien, je peux vous parler des travailleurs et travailleuses du sexe qui font de la publicité en ligne et dans les journaux. Ce qui les préoccupe, dans ce projet de loi, c'est premièrement qu'il leur sera difficile de joindre les clients parce qu'ils sont nombreux à utiliser les sites Web de tiers. Je ne donnerai pas de noms — j'allais le faire... Cela les préoccupe beaucoup.
    L'autre chose qui les inquiète, c'est que de nombreux travailleurs et travailleuses travaillent avec des compagnons ou des compagnes, formant des duos, comme on le dit. Ils craignent d'être criminalisés s'ils nomment leurs amis sur leur site Web.
    Il y a un autre problème. D'après ce que je comprends — corrigez-moi si je me trompe —, si vous affichez vous-même votre publicité, vous ne pouvez être tenu criminellement responsable, mais les tribunaux peuvent en imposer le retrait. Cela équivaut à bannir la publicité.

  (1725)  

[Français]

    Je voudrais avoir rapidement une réponse de la part des autres témoins.
    Madame Falle, êtes-vous d'accord pour dire que l'interdiction au chapitre de la publicité a quand même pour effet de criminaliser la travailleuse du sexe?

[Traduction]

    Non. Bien sûr que non. Je ne suis pas d'accord. Le projet de loi souligne clairement que les personnes qui vendent des services sexuels sont les victimes de cette industrie. Je ne comprends pas ce point de vue.
    Non. Je veux dire qu'il y a une interdiction — je suis désolée, je m'exprime mal — de la publicité dans un lieu public...
    Oui.
    Donc, elles sont criminalisées si elles font la publicité de leurs propres services dans un endroit public.
    Je pensais que Mme Smith avait déjà parlé de cela.
    Vous n'êtes pas d'accord, donc. Merci.
    Désolée, je n'ai pas beaucoup de temps et j'aimerais demander à Mme Swan ce qu'elle pense des 20 millions de dollars. Je pense qu'il serait très important d'adopter un projet de loi qui ciblerait le problème à sa source, plutôt que de cibler les conséquences d'une situation. Pourquoi ne pas dire que les facteurs sociaux rendent, malheureusement, certaines personnes plus vulnérables que d'autres? Pourquoi, donc, ne pas essayer de mettre quelque chose en place, comme des programmes financiers, qui ciblerait les problèmes à la source? Nous parlons de réduire la pauvreté.
    Si nous parlons d'atteindre l'égalité entre les hommes et les femmes, alors, pourquoi ne pas cibler la pauvreté? Nous savons que, malheureusement, les femmes sont habituellement plus pauvres que les hommes. Pourriez-vous nous parler de cela?
    Bien sûr. Je suis ici en tant que Manitobain, entre autres, à cause de la tragédie des femmes autochtones disparues ou assassinées. Soyons clairs: les femmes autochtones disparues ou assassinées n'ont pas toutes été exploitées sexuellement. Cependant, si vous êtes une femme autochtone exploitée sexuellement, vous courez plus de risques.
    Le travail qui a été fait nous a appris... et je sais que Joy Smith et Irene Mathyssen, entre autres, ont siégé à un comité qui s'est penché sur la traite de personne, il y a plusieurs années. Les recommandations portent notamment sur les façons de s'attaquer à la pauvreté, de s'occuper de l'éducation au sein des Premières Nations, là où se fait la traite de bien des jeunes. Vous avez tout à fait raison de dire qu'il y a beaucoup à faire sur les plans de la pauvreté, du logement et de l'éducation. Rien n'empêche qu'avec les amendements que j'ai demandés, le projet de loi C-36 en fera beaucoup, plus en aval, pour prévenir les pertes, les préjudices et les tragédies.
    Mais vous avez raison. Il reste d'importantes questions sans réponses.
    Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    Notre dernier intervenant de l'après-midi est M. Goguen. Nous allons finir quelques minutes plus tard, parce que nous avons un peu tardé à commencer.
    Merci, monsieur le président. Je serai bref.
    Je vais m'adresser à vous, monsieur Swan. De toute évidence, le Manitoba semble avoir adopté le modèle nordique dans sa manière d'appliquer la loi. Selon le modèle nordique, les personnes qui se prostituent ne sont pas accusées, n'est-ce pas?
    À cause de l'article 15, vous avez dit craindre que les personnes qui se prostituent soient accusées si elles vendent leurs services dans un lieu public. Bien entendu, le but de cette disposition est de ne pas exposer les enfants à la prostitution.
    Nous savons tous qu'une poursuite judiciaire se fait en quelques étapes. En gros, la police exerce sa discrétion. La couronne exerce sa discrétion. Après avoir discuté avec d'autres forces policières, nous savons qu'avant l'arrêt Bedford, les policiers arrêtaient les travailleurs et travailleuses du sexe parce qu'ils avaient l'autorisation légale de le faire; ils les interrogeaient, puis enquêtaient pour déterminer s'ils étaient des victimes ou pour obtenir de l'information sur leurs proxénètes — sur ceux qui en faisaient des victimes. Ils ne portaient pas d'accusations, mais les aiguillaient vers des services qui les aideraient peut-être à quitter le milieu. Donc, si vous ne portez pas d'accusations, vous vous enlevez en quelque sorte cette possibilité — quoiqu'en fin de compte, ils ne sont pas accusés.
    Si ce projet de loi était modifié de manière à exiger le consentement du procureur général aux accusations, est-ce que cela changerait votre point de vue?

  (1730)  

    Écoutez, si on vous a arrêté pour avoir communiqué ou pour quoi que ce soit dans la nouvelle section, vous aurez alors l'épée de Damoclès au-dessus de la tête. La police va-t-elle porter des accusations si vous ne donnez pas d'information sur quelqu'un ou quelque chose d'autre? Je ne pense pas que ce soit une manière utile de régler la question.
    Encore une fois, au Manitoba, parmi nos procureurs de la couronne, mais aussi parmi les membres du service de police de Winnipeg et des autres services de police, on hésite à porter des accusations, peu importe les circonstances, parce qu'on reconnaît la différence entre les vendeurs et les acheteurs de services sexuels.
    En ce qui concerne l'arrêt Bedford, dans ma lettre au ministre MacKay, j'ai cité les commentaires de la juge en chef qui suivent:
Comme le dit la juge de première instance, les prostituées de la rue forment, à quelques exceptions près, une population particulièrement marginalisée. Que ce soit à cause du désespoir financier, de la toxicomanie, de la maladie mentale ou de la contrainte exercée par un proxénète, elles n’ont souvent guère d’autre choix que de vendre leur corps contre de l’argent. Dans les faits, même si elles peuvent conserver un certain pouvoir minimal de choisir — « un choix limité » selon le procureur général —, on ne peut dire qu’elles « choisissent » véritablement une activité commerciale risquée.
    Compte tenu de ces commentaires de la juge en chef de la Cour suprême, si nous ne modifions pas le projet de loi pour en retirer ces dispositions, nous pouvons nous attendre à ce qu'il soit contesté en cour. Je ne sais pas si le résultat sera positif ou non. Je pense que la juge en chef, au nom de la cour, a été très claire. Nous croyons qu'il existe de meilleures façons d'aider les victimes d'exploitation sexuelle que de les menacer de poursuites criminelles.
    Encore une fois, je représente un secteur où, malheureusement, les gens voient de la prostitution dans les rues. Quand je parle avec mes électeurs, j'enlève mon chapeau de procureur général et je mets plutôt mon chapeau de député de Minto, et je peux vous dire avec beaucoup de satisfaction que la grande majorité des gens de mon secteur comprennent qu'il faut réagir différemment et que l'ancienne loi n'avait aucun sens. Les dispositions qui ont été invalidées dans l'arrêt Bedford comportent des difficultés. Nous avons l'occasion de bien faire les choses. Je ne pense pas que c'est ce que nous faisons en continuant de criminaliser les plus vulnérables.
    Mais il n'y a pas que des données empiriques qui prouvent que les prostituées qui exercent leur métier dans des lieux publics sont les plus vulnérables — celles qui risquent le plus d'être victimisées. Si on laisse tomber l'idée d'en tirer de l'information, comme vous l'auriez peut-être dit, qu'en est-il de la possibilité d'obtenir des confidences, d'en apprendre un peu plus à leur sujet, de les présenter à un travailleur social ou de les intégrer à un groupe de victimes, ce qui leur permettrait d'obtenir de l'aide?
    On ne peut pas aider des personnes qui ne veulent pas s'aider elles-mêmes. S'il n'existe aucune autorisation légale de les arrêter et de les inciter d'une manière ou d'une autre à obtenir de l'aide, qu'est-ce qu'on peut faire?
    Le programme de déjudiciarisation de la prostitution se poursuit au Manitoba, malgré le très petit nombre d'accusations portées et de menaces d'accusations faites. Même si le projet de loi C-36 est adopté, nous avons l'intention de continuer d'appliquer ce programme, et nous serons en mesure de trouver les victimes d'exploitation sexuelle qui veulent s'en prévaloir. Encore là, le programme se déroule sur trois jours pour le moment, ce qui suffit à peine à une personne qui fait la rue dans le nord ou l'est de Winnipeg de voir qu'il y a quelque chose de plus.
    J'aimerais étendre la portée de ce programme: en augmenter la durée et le nombre de fois où nous l'offrons, et offrir une aide plus considérable dès le début pour aider les gens à faire le changement.
    Je ne dirais pas qu'il est impossible d'aider les personnes qui ne veulent pas s'aider elles-mêmes, mais j'ai appris des organisations comme Sage House, l'Armée du Salut et TERF, à Winnipeg, que le mieux que nous puissions faire, c'est d'offrir une plateforme et un lieu sûr où les gens peuvent commencer à prendre la décision de changer leur vie.
    Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    Je tiens à remercier les personnes qui sont venues témoigner aujourd'hui. Notre panel était très intéressant et je vous remercie de toutes vos réponses.

  (1735)  

    Nous allons poursuivre cette étude au cours des trois journées à venir, soit jusqu'à jeudi, alors ne quittez pas. Nos séances sont télévisées, et nous sommes toujours prêts à accueillir les visiteurs.
    Merci beaucoup.
    Sur ce, nous poursuivrons demain matin.
    La séance est levée.
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