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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 043 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 juillet 2014

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Mesdames et messieurs, la séance est ouverte.
    Nous en sommes à la 43e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Conformément à l'ordre de renvoi du lundi 16 juin 2014, nous poursuivons l'étude du projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d'autres lois en conséquence.
    Cette séance télévisée est la dernière de notre comité sur cette question avant que nous passions à l'étude article par article la semaine prochaine.
    Nous accueillons d'abord deux témoins qui se présentent devant nous à titre personnel: Mme Gwendoline Allison du cabinet Foy Allison Law Group; et M. Kyle Kirkup de la faculté de droit de l'Université de Toronto où il est l'un des boursiers de la Fondation Trudeau. J'arrive effectivement à dire ce nom, Trudeau.
    Par vidéoconférence depuis Toronto, nous accueillons Mme Sandra Ka Hon Chu du Réseau juridique canadien VIH/sida. Également par vidéoconférence depuis Burnaby, nous recevons M. Brian McConaghy de Ratanak International; et depuis Vancouver, nous accueillons M. Tom Stamatakis de l'Association canadienne des policiers.
    Voilà donc nos témoins pour cette dernière séance de la journée. Comme vous le savez ou avez pu le constater, chaque témoin ou organisation a droit à un maximum de 10 minutes pour nous présenter un exposé, après quoi nous passerons à une période de questions.
    Nous allons entendre les témoins dans l'ordre où je viens de vous les présenter.
    Madame Allison, vous avez la parole.
    Merci beaucoup de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.
    Je suis avocate et partenaire du cabinet Foy Allison Law Group situé à West Vancouver, en Colombie-Britannique. J'ai 19 années d'expérience dans le domaine du droit de l'emploi et des droits de la personne. Depuis le début de ma carrière, j'ai conseillé différents groupes de femmes ainsi que leurs partenaires et interlocuteurs. Deux de mes clients ont d'ailleurs témoigné devant vous aujourd'hui. J'ai également représenté des travailleurs et des employeurs, tant dans le contexte provincial que pour des dossiers fédéraux. J'ai plus récemment cherché à déterminer quelles seraient les répercussions sur les lois régissant l'emploi si le Parlement décidait de décriminaliser l'achat de services sexuels et les bénéfices qu'on en tire, ou s'il choisissait plutôt de ne rien faire. Je vais donc m'efforcer aujourd'hui de vous donner une meilleure idée de ce qui pourrait arriver si le Parlement décidait de ne rien changer.
    Mon examen de ces lois s'inscrit d'abord et avant tout dans le contexte des préoccupations exprimées par la Cour suprême du Canada quant à la sécurité des personnes qui se livrent à la prostitution, et de la reconnaissance du fait que les acheteurs de services sexuels et ceux qui profitent de la vente de ces services représentent la principale source de danger pour les prostituées. Je sais pertinemment que les lois en matière d'emploi relèvent principalement des provinces et échappent donc au contrôle du Parlement du Canada. Vous avez les mains liées plus souvent qu'autrement, mais il faut tout de même que vous ayez une idée de ce qu'il adviendra si vous choisissez de ne pas agir.
    Mon exposé d'aujourd'hui tient compte de la nature sexospécifique de la prostitution en reconnaissant que ce sont principalement des femmes qui s'y livrent et surtout des hommes qui achètent les services sexuels. La Cour suprême a procédé au même constat en utilisant le pronom « elle » lorsqu'il était question de prostitution. Je tiens également à établir d'entrée de jeu que je ne suis pas d'accord avec ceux qui soutiennent que la prostitution est un travail, mais je n'insisterai pas là-dessus dans ma présentation d'aujourd'hui. Je conviens avec mes clients que la prostitution est une forme de violence qui s'appuie sur l'inégalité et la subordination entre les sexes.
    Dans l'affaire Bedford, j'étais avocate associée représentant l'Asian Women Coalition Ending Prostitution et j'ai comparu devant la cour au nom de cette organisation. Nous avons obtenu le statut d'intervenant et nous souhaitions faire valoir à la Cour suprême qu'elle devrait s'intéresser aux répercussions de la prostitution sur les femmes d'origine étrangère, et plus particulièrement asiatique. La préparation de notre plaidoyer à cet effet a été rendue particulièrement difficile du fait que, parmi les nombreux documents présentés en preuve devant la cour, on n'a retrouvé au total qu'une seule ligne concernant les prostituées d'origine asiatique. Cette ligne était tirée non pas du témoignage d'une de ces femmes, mais d'un affidavit déposé par un agent de police qui indiquait que les femmes travaillant dans les maisons de débauche étaient souvent des immigrantes illégales, principalement d'origine asiatique.
    Je sais que certains d'entre vous êtes avocats et que vous comprendrez à quel point il peut être difficile de préparer un plaidoyer en fonction de la Charte lorsque vous ne disposez d'aucun élément de preuve. C'est le défi que nous avons dû relever devant la cour.
    En l'espèce, la coalition des femmes asiatique faisait valoir que les lois contestées étaient inconstitutionnelles lorsqu'elles s'appliquaient aux prostituées, mais constitutionnelles dans leur application à l'égard de ceux qui achètent des services sexuels et qui bénéficient de la prostitution d'autrui, ces mêmes hommes qui constituent la principale source de danger pour les prostituées et dont le droit à la sécurité n'était pas mis en cause dans cette affaire.
    J'ai trois éléments principaux à faire valoir concernant le projet de loi C-36. Comme d'autres témoins ont déjà traité de deux de ces points, je vais simplement les mentionner en passant pour me concentrer sur l'objet principal de mon intervention.
    D'une manière générale, je conviens que le projet de loi C-36 comporte de nombreux aspects positifs et je suis d'accord avec les groupes et les personnes qui l'ont appuyé avec certaines réserves. Je me réjouis tout particulièrement de l'engagement pris par le ministre MacKay en faveur d'un dialogue à long terme avec les instances provinciales, locales et autochtones lorsqu'il a présenté le projet de loi. Une approche multigouvernementale s'impose en effet pour composer avec la dévastation des droits de la personne causée par la prostitution.
    Je veux d'abord endosser les points de vue exprimés à l'effet que la criminalisation continue des prostituées, conformément aux paragraphes 213(1) et 213(1.1), va à l'encontre des objectifs énoncés pour le projet de loi C-36, et surtout de la volonté déclarée d'encourager les prostituées à signaler les cas de violence et à quitter le milieu.
    En ma qualité d'avocate spécialisée en droit de l'emploi, je vois les choses dans une perspective purement pratique. La criminalisation continue va miner les efforts des prostituées pour quitter le milieu et faire carrière dans un autre domaine. Les personnes qui quittent le milieu de la prostitution pour intégrer la population active sont déjà confrontées à des obstacles y compris, et ce n'est pas rien, la nécessité d'expliquer la façon dont elles ont gagné leur vie pendant les années où elles se sont prostituées. Un casier judiciaire est un obstacle de plus à l'obtention d'un emploi et il s'agit, dans certains cas, d'une barrière infranchissable.

  (1535)  

    Les personnes qui abandonnent la pratique de la prostitution ont souvent des points de vue très éclairées qui peuvent en faire des employés utiles, surtout dans le domaine des services sociaux et d'autres types de services publics. Comme je pratique en Colombie-Britannique, je n'ai ni l'expérience ni les qualifications pour commenter ce qui se passe à l'extérieur de cette province, mais je peux vous dire à titre d'exemple que nous avons une loi qui exige la vérification du casier judiciaire pour les personnes qui travaillent avec des enfants ou qui ont accès sans supervision à des enfants ou à des adultes vulnérables.
    Il n'est pas rare également qu'une vérification du casier judiciaire soit exigée pour faire du bénévolat, un autre moyen utile et efficace d'acquérir les compétences nécessaires pour intégrer la population active. J'ai moi-même dû me rendre plusieurs fois au poste de police local relativement à mes activités bénévoles. Je sais donc que ces vérifications sont très fréquentes.
    La criminalisation continue des personnes qui se livrent à la prostitution les punira pour les inégalités qui les ont menées à se prostituer au départ et les attachera au milieu de la prostitution en diminuant grandement leurs chances de le quitter.
    En deuxième lieu, je tiens à appuyer les dispositions touchant la publicité. Compte tenu du temps qui m'est alloué et de ce que j'ai à dire concernant les lois sur l'emploi, je m'en tiendrai aux observations formulées par mes clients, Asian Women, ce matin, et je n'en dirai pas davantage à ce sujet.
    Mon troisième point concerne l'efficacité des lois provinciales touchant l'emploi. Différents témoins vous ont dit que le Parlement devrait décriminaliser les acheteurs et les exploitants, et protéger les femmes au moyen des lois en matière de travail, d'emploi et de droits de la personne. Ces lois provinciales devraient donc protéger les personnes qui se prostituent des préjudices catastrophiques qu'elles subissent, surtout aux mains des hommes qui achètent leurs services et de ceux qui profitent de leur travail. Vous devez en définitive vous demander si ces lois dans leur forme actuelle — parce qu'il vous est impossible de les changer — sont à la hauteur de cette tâche. Sont-elles suffisantes pour protéger ces femmes? Je ne crois pas que ce soit le cas, surtout si l'on considère l'application de ces lois par rapport au caractère horrible des situations de violence vécues notamment par ces femmes qui ont témoigné devant vous au cours des derniers jours.
    Il y a trois régimes juridiques dont j'aimerais traiter. Il y a d'abord la common law, puis les lois sur les droits de la personne et enfin la réglementation en matière de santé et sécurité au travail.
    Disons d'abord que les lois en matière d'emploi sont inadéquates. D'une part, elles visent principalement à indemniser les personnes pour les préjudices qu'elles subissent, comme l'absence d'un avis de cessation d'emploi raisonnable et, d'autre part, elles sont axées sur la protection des employés, un statut qui n'est bien sûr pas conféré aux personnes qui se prostituent. Pour celles qui travaillent dans la rue et celles qui travaillent à la maison comme entrepreneures indépendantes, il n'y a pas d'employeur. Les filles et les femmes dans ces conditions ne peuvent donc pas profiter des protections inhérentes aux lois en matière d'emploi. Il n'y a pas d'employeur à l'égard duquel on devrait les protéger.
    Le fait est que la plupart des femmes qui travaillent à l'intérieur dans un contexte décriminalisé ou légal sont considérées comme des entrepreneures indépendantes, des femmes d'affaires autonomes. C'est le cas dans les ranchs spécialisés du Nevada, les mégabordels d'Allemagne et les quartiers consacrés à la prostitution aux Pays-Bas où les femmes doivent louer des chambres auprès des tenanciers. Ainsi, au Pascha, à Cologne, les femmes doivent payer 175 euros pour une chambre pendant 24 heures. Elles négocient ensuite les services offerts directement avec les clients à un taux courant d'environ 50 euros la demi-heure.
    Pour gagner du temps, je ne vais pas répéter ce que vous avez déjà entendu au sujet du modèle néo-zélandais. Dans le cadre de mon travail qui comprend notamment la rédaction d'articles et un exposé au sujet de ce projet de loi lors la conférence sur les lois en matière d'emploi tenue par la Continuing Legal Education Society of B.C., j'ai étudié l'efficacité des lois néo-zélandaises régissant la prostitution. Pour ce faire, j'ai communiqué avec certains universitaires de Nouvelle-Zélande afin de mieux comprendre le fonctionnement de ces lois. Je ne vous en dirai pas plus long à ce sujet pour l'instant, mais je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions concernant l'application des lois sur l'emploi en Nouvelle-Zélande.
    J'aimerais tout de même souligner une chose à ce propos. Il semble bien que les pouvoirs du parlement néo-zélandais soient plus vastes que les vôtres en la matière, car il a pris en compte les questions de santé et sécurité au travail, d'éducation et d'octroi de permis par certaines instances gouvernementales, autant d'éléments qui ne relèvent pas de votre compétence.
    Il y a un autre facteur à considérer relativement aux lois sur l'emploi et ce sont les obligations qu'ont l'employeur et l'employé l'un envers l'autre. L'employeur est tenu d'offrir un environnement de travail sécuritaire et ne peut pas forcer un employé à se livrer à des actes illégaux. L'employé profite en outre de différentes protections dans le cadre de l'assurance-emploi et, dans certains cas, de régimes privés d'assurance-maladie et de pension. Les travailleurs ont également des obligations envers leurs employeurs et ceux-ci font d'ailleurs appel à mes services pour que leurs employés s'acquittent de ces obligations. Ainsi, l'employé doit être loyal et fidèle; agir de bonne foi et non au détriment de l'employeur; obéir à toutes les directives de l'employeur qui sont raisonnables et conformes aux lois; faire montre de toute la rigueur et de toute la compétence requises; et ne pas négliger son travail. Certains de ces devoirs ne sont guère applicables dans le contexte de la prostitution où l'obligation principale de l'employé consiste à offrir des services sexuels à un tiers, comme son employeur lui demande de le faire.

  (1540)  

    Il semble y avoir conflit entre les obligations d'une employée envers son employeur et les dispositions du Code criminel concernant le consentement à une activité sexuelle, et plus particulièrement la notion voulant que ce consentement ne puisse être donné par un tiers.
    Ces dispositions du Code criminel nous amènent à nous interroger sur la légalité des contrats d'emploi en vertu desquels les fonctions principales de l'employé consistent à offrir des services sexuels aux clients de l'employeur. Lorsqu'on a demandé à quoi pouvait ressembler une mauvaise journée de travail... Dans mon cas, c'était au sein d'une entreprise de traitement de photos où je passais mes après-midi dans une chambre noire avec toute une pile de papier. Pour une fille travaillant dans un bordel, une mauvaise journée consisterait à offrir ses services à un homme pour lequel elle n'éprouve rien et avec lequel elle ne souhaite pas avoir de relations sexuelles. C'est une considération qui peut modifier grandement notre analyse d'un contrat d'emploi.
    Vous avez déjà dépassé d'une minute le temps prévu, alors ce serait très bien si vous pouviez conclure.
    D'accord, je suis désolée.
    Je dirais que les régimes en place, surtout pour ce qui est de la santé et la sécurité au travail, ne sont pas adéquats, et que les lois en matière de droits de la personne ne permettent pas de bien protéger les femmes qui se prostituent.
    Je me ferai également un plaisir de répondre à vos questions à ce sujet.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Kirkup, à vous la parole.
    Bonjour à tous. Je m'appelle Kyle Kirkup et je suis avocat et boursier de la Fondation Trudeau à la faculté de droit de l'Université de Toronto. Mes travaux portent sur le rôle que le droit pénal canadien a joué, et continue de jouer, relativement aux questions touchant les genres et la sexualité. Dans ce contexte, j'ai eu des entretiens en profondeur avec des travailleurs du sexe et des représentants d'organisations communautaires de ce milieu au Canada.
    J'aimerais traiter de trois éléments interreliés concernant le projet de loi C-36.
    Premièrement, je veux souligner les torts considérables qui seront causés par toute cette série de dispositions qui criminalisent directement ou indirectement le commerce sexuel entre adultes.
    Deuxièmement, je veux situer cette loi dans son contexte général. La logique qui sous-tend le projet de loi C-36 n'est pas nouvelle. Comme bien d'autres pays, ce n'est pas d'hier que le Canada fait fausse route en voulant criminaliser les activités sexuelles pour des motifs de moralité.
    Troisièmement, je souhaite vous exposer les raisons pour lesquelles nous ne devrions pas écouter ceux qui soutiennent que l'ajout d'infractions criminelles, l'imposition de peines plus sévères et le recours accru à l'incarcération pourront un jour nous permettre de régler les questions fort complexes que soulève le travail sexuel des adultes. J'encouragerais plutôt le gouvernement à prêter une oreille attentive à ce qu'ont à dire les travailleurs du sexe actuels — femmes, hommes et transgenres — relativement à ce dont ils ont besoin pour travailler en sécurité et dans la dignité. Et je peux vous dire que ce n'est pas d'une nouvelle loi pénale mal conçue.
    Parlons d'abord brièvement des torts importants que causera le projet de loi C-36. Celui-ci s'inspire grandement de ce qu'on appelle le modèle nordique de criminalisation des clients des services sexuels, mais va beaucoup plus loin encore, surtout dans ses dispositions touchant la publicité et les communications. Cette approche conçue au Canada est donc un peu la version gonflée et plus draconienne du modèle nordique.
    La loi suédoise a été adoptée il y a 15 ans déjà et on ne voit pas encore le jour où la demande de services sexuels disparaîtra. Les allégations entendues cette semaine à l'effet que le modèle suédois est en quelque sorte une panacée ne sont tout simplement pas fondées sur des données valables, fruits d'une grande rigueur méthodologique. Avec le projet de loi C-36, nous voyons maintenant le Canada emprunter un cheminement similaire à celui de la Suède, mais encore plus malavisé. La loi a peut-être un nouveau titre, un nouveau préambule et un nouvel objectif ciblant les acheteurs, plutôt que les vendeurs de services sexuels, mais ne vous y trompez pas: la nouvelle loi canadienne causera les mêmes torts qui ont incité la Cour suprême du Canada à invalider celles qui l'ont précédée dans l'arrêt Bedford.
    Comme l'écrivait la juge en chef McLachlin dans la décision unanime de la cour:
La question que commande l'article 7 est celle de savoir si une disposition législative intrinsèquement mauvaise prive qui que ce soit du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne; un effet totalement disproportionné, excessif ou arbitraire sur une seule personne suffit pour établir l'atteinte au droit garanti à l'article 7.
    Avec des clients s'efforçant anxieusement d'éviter d'être repérés par la police, les prostituées travaillant dans la rue continueront d'avoir peu de temps pour prendre des mesures de précaution comme la consignation du numéro de plaque d'immatriculation avant de se déplacer vers un lieu plus isolé et plus dangereux. Étant donné que les communications seront interdites dans les emplacements où l'on peut raisonnablement s'attendre à trouver des mineurs — soit à peu près n'importe où, à mon humble avis — les travailleurs du sexe risqueront sans cesse d'être arrêtés par la police. De plus, les restrictions importantes imposées à la publicité pouvant être faite par un tiers feront en sorte qu'il deviendra difficile pour les prostituées de travailler à l'intérieur dans un contexte plus sûr.
    Compte tenu de l'impact extrêmement disproportionné de ce projet de loi sur des membres vulnérables de la société canadienne, des risques que son application soit arbitraire et des contraintes qu'il impose à la liberté d'expression, on peut vraiment se demander s'il résistera à une inévitable contestation constitutionnelle. Pendant que nous attendrons pour voir si le projet de loi C-36 sera invalidé en tout ou en partie, les prostituées continueront de travailler dans des conditions extrêmement précaires. Combien de temps faudra-t-il attendre encore pour que les travailleurs du sexe puissent nous dire ce qu'ils savent déjà, à savoir que les lois pénales ne leur procureront pas une plus grande sécurité?
    Plutôt que d'opter encore une fois pour l'élaboration de lois pénales probablement inconstitutionnelles, le gouvernement devrait considérer des modèles réglementaires comme celui mis en place en Nouvelle-Zélande. Depuis 2003, la Nouvelle-Zélande a établi un système misant en priorité sur les mécanismes de protection des droits de la personne et du travail tout en collaborant avec les municipalités pour leur permettre de se donner une réglementation adéquate en matière de santé et de sécurité et de zonage. Si le Parlement tient vraiment à offrir des options intéressantes aux travailleurs du sexe, notamment pour les aider à quitter l'industrie, le modèle néo-zélandais lui permettrait d'établir beaucoup plus efficacement les liens nécessaires avec les fournisseurs de services.

  (1545)  

    Deuxièmement, j'aimerais situer le projet de loi C-36 dans le contexte de la longue tradition canadienne de recours au droit criminel pour réglementer la moralité. À cette fin, je vais faire des parallèles entre la communauté des gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres et les travailleurs et travailleuses du sexe. Tout comme les 80 pays du monde qui continuent de criminaliser la communauté LGBT, le Canada utilise depuis fort longtemps le droit criminel pour réglementer les pratiques sexuelles entre adultes consentants.
    Cependant, selon la plus récente jurisprudence canadienne, les cours s'éloignent du pouvoir expressif du droit criminel visant à condamner ces pratiques. Plus particulièrement, dans l'arrêt Labaye qu'elle a rendu en 2005, la Cour Suprême du Canada a maintenu que les relations sexuelles consensuelles entre adultes dans un club échangiste ne constituaient pas de l'indécence criminelle au sens du paragraphe 210(1) du Code criminel. Comme l'a souligné la juge en chef MacLachlin dans cet arrêt:
Mais au fil du temps, les tribunaux en sont venus progressivement à reconnaître que les valeurs morales et les goûts étaient subjectifs et arbitraires, qu’ils n’étaient pas fonctionnels dans le contexte criminel, et qu’une grande tolérance des mœurs et pratiques minoritaires était essentielle au bon fonctionnement d’une société diversifiée.
    Dans l'ouvrage intitulé From Disgust to Humanity: Sexual Orientation and Constitutional Law, la professeure de droit de l'Université de Chicago Martha Nussbaum prétend la même chose. Au sujet de la réglementation des gais et lesbiennes aux États-Unis, Nussbaum soutient que les politiques de dégoût demeurent à l'origine de l'opposition à la reconnaissance des droits de la personne. Nussbaum nous prie de renoncer au dégoût pour plutôt reconnaître l'humanité de tous les membres de la société, y compris ceux qui s'adonnent à des pratiques sexuelles hors normes. Nos histoires sont qualitativement différentes, bien sûr, mais nous avons en commun les luttes contre le dégoût dont les personnes LGBT et les travailleuses du sexe font trop souvent l'objet.
    Jusqu'à 1969, le gouvernement du Canada a cherché à utiliser le droit criminel pour abolir l'homosexualité, et ses efforts actuels pour abolir le travail du sexe chez les adultes prennent racine dans cette même logique sous-jacente. Si nous menaçons assez les gens de sanctions pénales, nous allons réussir à les amener à tout simplement dire non, que ce soit à l'homosexualité ou au travail du sexe chez les adultes.
    Quand nous entendons le ministre de la Justice parler des agresseurs, des pervers et des proxénètes, il propose effectivement des mesures législatives pénales qui misent sur le dégoût plutôt que sur une politique publique solide fondée sur la preuve. Plutôt que de concentrer notre attention sur les approches inadéquates qui donnent la priorité à la criminalisation, nous devrions recadrer la discussion sur les droits de la personne, les mesures de protection des travailleurs et la sécurité.
    Comme peuvent en témoigner bien des personnes ici présentes, les Canadiens sont excellents pour réglementer. En fait, nous réglementons tout.
    Troisièmement, je vais terminer sur quelques mots au sujet du risque de chercher à utiliser la force contondante du droit criminel en guise d'outil de politique publique. Comme je l'ai souligné dans un éditorial, le 4 juin, dans le Globe and Mail, quand il s'agit de justice pénale, le gouvernement devrait peut-être avoir comme slogan: « Vous avez un problème social complexe? Il y a une prison pour cela. » Avec le projet de loi C-36, le Canada poursuivra sur la voie néfaste, inefficace et constitutionnellement douteuse de ses mesures législatives de répression de la criminalité, tout en prétendant assurer l'égalité véritable des femmes.
    Dans le cadre de cette importante conversation visant la politique publique, il ne faut pas perdre de vue les nombreuses dispositions pénales qui existent déjà pour répondre aux grandes préoccupations relatives à l'exploitation et à la violence dont nous avons entendu parler cette semaine, notamment, la traite de personnes, l'enlèvement, la séquestration, la profération de menaces, l'extorsion, les voies de fait, l'agression sexuelle, les voies de fait graves, l'agression sexuelle grave et diverses infractions liées aux gangs.
    Compte tenu des très nombreuses dispositions existantes en droit pénal, nous croyons que c'est faire sérieusement fausse route que de chercher à protéger les membres vulnérables de la société canadienne en adoptant des mesures législatives qui rendent le travail du sexe des adultes encore plus dangereux. En tant que société, nous devrions nous préoccuper de toutes les pratiques de travail, et il en existe beaucoup qui ne respectent pas les droits fondamentaux de la personne et qui ne laissent pas aux personnes la possibilité de choisir librement le travail qu'elles font en raison de leur sexe, de leur race, d'un handicap, de leur orientation sexuelle ou de leur statut socioéconomique. Une réaction censée, axée sur une politique publique fondée sur la preuve n'est pas de créer en vitesse de nouvelles infractions en réponse à la profonde complexité du travail du sexe des adultes.
    Je prie plutôt le gouvernement d'écouter attentivement ce que les travailleuses et travailleurs du sexe actuels disent au sujet de ce qu'il leur faut pour travailler en toute sécurité et dans la dignité. Ils n'ont pas besoin de nouvelles dispositions pénales mal conçues, et ils n'ont pas besoin du projet de loi C-36.
    Merci beaucoup.

  (1550)  

    Je vous remercie de votre exposé, monsieur Kirkup.
    Nous allons maintenant écouter par vidéoconférence la présentation du Réseau juridique canadien VIH/sida. Nous vous écoutons, madame Ka Hon Chu.
    Je suis Sandra Ka Hon Chu, et je suis codirectrice de la recherche et plaidoyer au Réseau juridique canadien VIH/sida.
    Notre organisation travaille à faire valoir les droits des personnes vivant avec le VIH/sida au Canada et dans le monde. Le réseau juridique est intervenu devant la Cour de l'Ontario et la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bedford, et mène depuis plus de 10 ans des analyses et des travaux sur les diverses questions liées au travail du sexe et aux droits de la personne.
    Je remercie le comité de la justice d'avoir donné à mon organisation l'occasion de faire une présentation. Je vais me concentrer sur les répercussions du droit criminel sur la santé et les droits des travailleuses et travailleurs du sexe et attirer l'attention des membres du comité sur le consensus mondial croissant selon lequel criminaliser le travail du sexe, y compris l'achat de services sexuels, représente une piètre politique de santé publique et une grave violation des droits de la personne des travailleuses et travailleurs du sexe.
    Dans le mémoire présenté par le réseau juridique, je décris très en détail les répercussions sur la santé de certaines dispositions particulières du projet de loi C-36, alors je ne le ferai pas maintenant. Nous avons aussi produit, au sujet du projet de loi C-36, un mémoire juridique intitulé « Reckless Endangerment », et nous l'avons distribué à tous les députés. Nous y expliquons comment la loi pourrait s'appliquer aux travailleuses et travailleurs du sexe et à d'autres personnes. Notre analyse du projet de loi souligne en particulier que les travailleuses et travailleurs du sexe pourraient subir les effets des dispositions pénales même si l'interdiction relative à la communication était retirée.
    D'après nos recherches réalisées en Suède, en Norvège et dans diverses municipalités canadiennes où l'on a déjà comme politique de pourchasser les clients plutôt que les travailleuses et travailleurs du sexe, on peut s'attendre à ce que les diverses dispositions du projet de loi C-36 produisent les effets suivants. Elles amoindriraient la capacité des travailleuses du sexe de présélectionner leurs clients et de négocier la transaction, notamment concernant des rapports sexuels protégés; elles relégueraient les travailleuses du sexe à des endroits isolés, parce qu'elles chercheraient à éviter de se faire repérer par la police, et elles pourraient ainsi difficilement insister sur l'utilisation du condom; et elles enlèveraient aux travailleuses du sexe l'option de se prévaloir des services de santé et des services sociaux, surtout si une zone d'exclusion était imposée par la cour ou par la police. Les travailleuses du sexe sont alors exclues de certains voisinages où se trouvent bien des services de santé et des services sociaux essentiels, comme les banques alimentaires, les refuges et les cliniques médicales.
    Elles éroderaient également le pouvoir de négociation des travailleuses du sexe et les obligeraient à voir plus de clients et à fournir leurs services sans pouvoir exiger des relations sexuelles protégées; elles empêcheraient les gestionnaires de sites, entre autres, de faire la promotion de la santé sexuelle parce que l'on pourrait continuer de saisir les condoms à titre d'éléments de preuve d'une activité illégale; et elles empêcheraient les travailleuses du sexe de travailler à l'intérieur et avec d'autres, ce qui leur permet de nettement mieux contrôler leurs conditions de travail, y compris la possibilité de négocier des relations sexuelles protégées.
    Si des travailleuses du sexe sont incarcérées à cause de ces dispositions législatives, ce qui pourrait très bien se produire, cela pourrait les empêcher d'accéder à un traitement médical et les exposer encore plus au VIH et à d'autres infections. Cela produirait des effets particulièrement graves sur les travailleuses et travailleurs du sexe autochtones, racialisés, qui composent déjà une part disproportionnée de la population carcérale du Canada.
    À l'inverse, les recherches menées à l'échelle internationale ont démontré que la décriminalisation du travail du sexe s'accompagne de conditions de travail plus sûres et améliore la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe. J'aimerais attirer votre attention sur quelques-unes des nombreuses études menées à ce sujet.
    Selon un examen mondial de la recherche sur les travailleuses et travailleurs du sexe et leurs clients réalisé par l'ONU, les dispositions législatives qui criminalisent directement ou indirectement les travailleuses et travailleurs du sexe, leurs clients et les tiers peuvent miner l'efficacité des programmes relatifs au VIH et à la santé sexuelle, et restreindre la capacité des travailleuses et travailleurs du sexe et de leurs clients de se prévaloir de ces programmes et d'en profiter.
    Une analyse réalisée en 2010 des données de 21 pays asiatiques a révélé que...

  (1555)  

    Madame Chu, pouvez-vous ralentir un peu pour que les interprètes puissent mieux faire leur travail?
    Bien sûr.
    Je veillerai à ce que vous ayez assez de temps.
    D'accord. Merci.
    Une analyse des données de 21 pays asiatiques réalisée en 2010 a révélé que là où des lois interdisent la discrimination à l'égard des travailleuses et travailleurs du sexe, ceux-ci connaissent mieux et utilisent les services relatifs au VIH, et les taux de personnes atteintes sont plus faibles. Les chercheurs ont conclu que les sanctions pénales s'appliquant à des milieux de travail particuliers représentent une menace pour les droits et la santé des travailleuses et travailleurs du sexe, mais qu'elles exacerbent aussi les épidémies de VIH.
    Un examen réalisé par l'ONU sur le travail du sexe en Nouvelle-Zélande et dans l'État australien de New South Wales a mené à la conclusion que la décriminalisation du travail du sexe a donné aux travailleuses et travailleurs du sexe le pouvoir d'exiger des relations sexuelles protégées et de refuser certains clients et certaines pratiques, qu'elle leur permet d'avoir un meilleur accès aux services relatifs au VIH et aux services de santé sexuelle et qu'elle est associée à un taux d'utilisation très élevé du condom et à un taux très faible d'infections transmissibles sexuellement. La transmission du VIH dans le contexte du travail du sexe serait extrêmement faible, sinon inexistante. Avant la décriminalisation, les travailleuses et travailleurs du sexe étaient moins disposés à dire le travail qu'ils faisaient aux professionnels de la santé ou à transporter des condoms de crainte qu'ils servent de preuve à l'appui d'une condamnation.
    Dans les contextes décriminalisés, l'industrie du sexe peut être soumise aux mêmes lois générales concernant la santé et la sécurité au travail et aux mêmes mesures antidiscriminatoires que les autres industries. Comme la preuve le démontre, il est nécessaire de décriminaliser le travail du sexe pour garantir aux travailleuses et travailleurs du sexe de travailler sans risques pour leur santé et leur sécurité et pour atteindre les objectifs de santé publique.
    Les travailleuses et travailleurs du sexe ont droit à la protection en application de toutes les normes reconnues touchant les droits de la personne, ce qui souligne l'importance de décriminaliser le travail du sexe. Comme l'ont affirmé nombre d'organismes des droits de la personne, la criminalisation des relations sexuelles volontaires et consensuelles entre adultes est incompatible avec le principe du respect des droits de la personne que le Canada est légalement tenu de défendre et qui doit guider l'interprétation de la Charte.
    Ces droits comprennent le droit de travailler dans des conditions sûres et saines correspondant aux normes les plus élevées de santé physique et mentale; le droit à la liberté, à la vie et à la sécurité de la personne; le droit à la liberté d'expression; et le droit à une égale protection de la loi, sans discrimination.
    Conformément au droit international en matière de droits de la personne, les organismes mondiaux de la santé et des droits de la personne demandent de plus en plus la décriminalisation du travail du sexe. Ces organismes prééminents sont l'ONUSIDA et le Haut Commissaire aux droits de l'homme des Nations Unies, l'Organisation mondiale de la santé, le rapporteur spécial sur le droit à la santé et la Commission mondiale sur le VIH et le droit qui, après une vaste étude systémique, a conclu que, depuis son adoption, la loi suédoise qui criminalise l'achat de services sexuels a empiré plutôt qu'amélioré les vies des travailleuses et travailleurs du sexe.
    Le groupe consultatif sur le travail du sexe de l'ONUSIDA a indiqué que rien ne prouve que les initiatives visant à mettre fin à la demande entraînent une réduction du travail du sexe, améliorent la qualité de vie des travailleuses et travailleurs du sexe ou apportent une solution aux inégalités entre les sexes.
    Peu importe la position adoptée au sujet de la moralité ou du caractère désirable du travail du sexe, il semble y avoir consensus parmi les témoins concernant le besoin impérieux de protéger la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe. Cependant, la préoccupation que suscite la santé et le bien-être des travailleuses et travailleurs du sexe est tout à fait incompatible avec la criminalisation du travail du sexe. Les lois doivent se fonder sur la preuve et les droits de la personne. Selon la preuve abondante concernant les travailleuses et travailleurs du sexe, la criminalisation du travail du sexe — tant directement par l'interdiction de l'achat de services sexuels et la communication qu'indirectement par l'interdiction de la publicité des services sexuels, l'obtention d'avantages financiers ou matériels et le proxénétisme — expose les travailleuses et travailleurs du sexe à la stigmatisation, la discrimination et la criminalisation.
    La criminalisation amenuise le contrôle que les travailleuses et travailleurs du sexe exercent sur leurs conditions de travail, y compris leur pouvoir de négociation qui leur permet d'insister sur l'utilisation du condom. Elle menace leur santé et leur sécurité, elle limite leur accès à des services essentiels concernant le VIH, la santé sexuelle et la réduction des risques de préjudices, et elle les prive de la protection que leur offriraient les normes du travail et les normes de santé.
    Ce sont des préjudices que la Cour suprême du Canada a trouvés inconstitutionnels, dans l'affaire Canada c. Bedford, et ces préjudices représentent en plus une violation des droits de la personne des travailleuses et travailleurs du sexe.
    Comme de nombreux témoins l'ont affirmé, le projet de loi C-36 exprime tout simplement les dispositions invalidées dans l'arrêt Bedford dans un langage différent, sans ajouter de dispositions importantes répondant aux besoins divers des travailleuses et travailleurs du sexe dont plusieurs n'ont pas l'intention de quitter cette industrie.
    Les droits de la personne imposent aux gouvernements de protéger les droits de tous les travailleurs et travailleuses du sexe, et non seulement ceux des travailleurs victimisés ou souhaitant quitter l'industrie. Les principes des droits de la personne exigent aussi des décideurs qu'ils accordent de la valeur aux voix de ceux et celles qui sont directement touchés par le projet de loi C-36 et qu'ils ne criminalisent pas leur contexte de vie et de travail.
    Parce que le projet de loi C-36 augmentera nettement les risques de préjudices que courent de nombreux travailleurs et travailleuses du sexe, nous souscrivons aux observations des autres témoins qui ont soutenu que le projet de loi violerait les droits constitutionnels des travailleurs et travailleuses du sexe. Cette violation ne peut représenter la sécurité en vertu de l'article 1 de la Charte, peu importe les grands objectifs de la loi.

  (1600)  

    La décriminalisation du travail du sexe est le seul moyen éprouvé pour protéger les droits du travail et les droits de la personne des travailleurs et travailleuses du sexe, et le Parlement a la responsabilité de veiller à ne pas remplacer un ensemble de mesures législatives inconstitutionnelles par un autre.
    Le gouvernement n'est absolument pas obligé de créer de nouvelles mesures législatives pénales. Comme la Cour suprême du Canada l'a indiqué dans l'arrêt Bedford: « Il appartiendra au législateur, s’il le juge opportun, de concevoir une nouvelle approche. » Le travail du sexe demeure soumis à des parties des articles 212 et 213 du Code criminel. Comme de nombreux autres témoins l'ont expliqué, diverses autres dispositions du Code criminel peuvent être appliquées pour protéger les travailleuses et travailleurs du sexe de l'exploitation et d'autres formes de violence.
    Pour toutes ces raisons, nous prions le comité de rejeter le projet de loi C-36 en entier et de mener de véritables consultations auprès des travailleuses et travailleurs du sexe actuels en vue de concevoir un cadre juridique qui permettra la protection, le respect et la réalisation de leurs droits de la personne et de leurs droits constitutionnels.
    Merci.
    Merci beaucoup de cette présentation pour le Réseau juridique canadien VIH/sida.
    Maintenant, par vidéoconférence, nous allons nous rendre à Burnaby, en Colombie-Britannique, pour entendre la présentation de Ratanak International.
    La parole est à vous.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de cette occasion qui nous est donnée de parler du projet de loi C-36.
    Je suis Brian McConaghy, et en matière de prostitution, je possède 22 années d'expérience au sein de la GRC, et 24 ans à la tête de Ratanak International, un organisme de bienfaisance qui aide les jeunes cambodgiens à se remettre des agressions subies dans le travail du sexe.
    Quand j'étais à la GRC, j'ai été affecté à des dossiers de prostitution nationale et internationale. Les violences subies par les femmes et les enfants étaient si graves que j'ai été poussé à quitter la GRC pour me consacrer à ces victimes à temps plein. C'est maintenant mon défi et mon privilège de le faire. Je continue d'aider les organisations d'application de la loi canadiennes dans le cadre d'enquêtes internationales sur la prostitution d'enfants et de jeunes.
    Le projet de loi C-36 cherche à résoudre des problèmes très complexes, et je tiens à féliciter le gouvernement de ses efforts pour identifier les personnes prostituées comme étant des victimes, plutôt que des criminels. J'appuie aussi la criminalisation de ceux qui achètent des services sexuels ou profitent de la vente de femmes canadiennes.
    Je tiens à commencer en disant que, d'après moi, la traite de personnes et la prostitution sont indissociables et qu'il s'agit de deux éléments différents de la même activité criminelle dont le but est d'exploiter les femmes et les jeunes qui sont vulnérables. J'estime hautement académique la distinction qu'on fait entre ces éléments.
    Je dois dire aussi que, même si les mesures législatives font des distinctions claires entre le traitement des mineurs et celui des adultes qui se prostituent, c'est pour moi un continuum d'agression qui commence avec l'enfant prostitué n'ayant pas, en raison de son âge, la compétence requise pour donner son consentement, et qui se poursuit quand il devient un adulte dont on abuse parce qu'il y est conditionné, qu'il est toxicomane et traumatisé, et qu'il est ainsi dans bien des cas rendu incapable de donner un consentement éclairé et réfléchi. Les questions qui touchent les mineurs, même en l'absence d'un lien direct avec l'arrêt Bedford, sont manifestement importantes dans ces délibérations.
    J'aimerais aborder plusieurs aspects contextuels auxquels le projet de loi C-36 s'applique.
    Les premiers sont la réduction des préjudices et la légalisation. Les principes de « réduction des préjudices » qui sont souvent verbalisés par ceux qui souhaitent la légalisation de l'industrie de la prostitution sont, d'après moi, mal fondés. Je n'ai vu aucune preuve convaincante qui m'indiquerait que les femmes qui se prostituent seront plus en sécurité si l'industrie est réglementée, en cas de légalisation. Je dirais même que la légalisation du travail du sexe aura pour effet, comme on le constate en Allemagne et aux Pays-Bas, d'étendre la portée de l'industrie, ce qui augmenterait la traite de personnes, la participation du crime organisé, la prostitution et, de fait, la violence.
    D'après moi, il est stupide de présumer que la réglementation d'une industrie comme celle de la prostitution mènera à la conformité et à la coopération. C'est particulièrement vrai, compte tenu du nombre de mineurs qui sont amenés à la prostitution par la manipulation et du nombre de femmes qui souffrent d'une dépendance ou d'une maladie mentale, ou qui sont vulnérables sur le plan financier et qui n'ont pas nécessairement le contrôle de leur propre vie. Si la prostitution est légalisée, je m'attends à ce que nombre de ces femmes soient victimes des défaillances de la réglementation.
    Je ne crois pas que la légalisation et la réglementation auraient protégé les femmes que Willie Pickton a enlevées et qui ont fini démembrées dans mes congélateurs, à la GRC, à des fins d'analyse médico-légale. Selon ce que nous avons appris du dossier Pickton et de l'analyse des membres de ces femmes, c'est que Pickton n'est que le dernier d'une longue lignée de prédateurs ayant, au fil des années, soumis ces femmes à des violences et des blessures traumatiques.
    Ne nous faisons pas d'illusions sur la brutalité de cette industrie. Des citoyens canadiens sans défense sont régulièrement soumis à de graves préjudices dans le milieu de la prostitution, et leurs vulnérabilités sont exploitées au maximum. J'ai vu trop de bandes vidéos utilisées comme preuves et montrant toute la profondeur de la violence, de la dégradation et de l'abus. J'ai écouté les supplications de femmes et d'enfants, pour que cesse la torture — et j'utilise ce terme en connaissance de cause. Je ne souhaite à aucun d'entre vous de devoir regarder de telles vidéos.
    Dans ce contexte, la question du consentement est un facteur important. Ce qui est tragique, c'est que certaines des victimes consentent à ce que des clients leur fassent subir de tels préjudices physiques tout simplement parce qu'elles ont désespérément besoin de leur prochaine dose de drogue. N'allons pas croire que ce qui ressemble à un consentement soit réellement un consentement complet, éclairé et sans contrainte.
    C'est cette violence périphérique que les pratiques de réduction des préjudices chercheraient à résoudre. Cependant, la réduction des préjudices dans le contexte de la prostitution légalisée ne résoudrait en rien la violence inhérente à l'activité sexuelle centrale de la prostitution. Je suis d'avis qu'une telle activité centrale — le métier de la prostitution — représente en fait la violence faite aux femmes. Les pratiques de réduction des préjudices ne protégeront pas les femmes de la violence si le métier représente en soi la violence.

  (1605)  

    L'achat du consentement des femmes par des hommes pour ensuite les soumettre à des milliers de viols rémunérés fait violence à leur corps et détruit profondément le psychisme. Les jeunes femmes qui se sortent de la prostitution forcée ont souvent des pensées suicidaires, et elles font des tentatives de suicide.
    Je trouve intéressant de souligner que je n'ai jamais rencontré une jeune femme dans un programme de transition qui avait fait une tentative de suicide parce qu'elle avait été battue, menacée à la pointe d'un revolver ou poignardée. Invariablement, la source de leur désespoir est un profond sentiment de dévalorisation qui découle des agressions sexuelles répétées qui font partie intégrante de cet emploi, en plus de la violence verbale déshumanisante et constante qui mine leur confiance en elles et ébranle les fondements de leur identité — c'est la violence inhérente à la prostitution.
    Si la violence est un élément central de la vie des prostituées, la seule façon de la réduire est manifestement de réduire la taille de cette industrie. Les expériences menées dans d'autres pays nous ont appris que la légalisation ne diminuera pas les préjudices, mais qu'elle les augmentera plutôt en élargissant l'industrie. De plus, je crois qu'il est naïf de présumer que la création d'une industrie de la violence sexuelle légale au Canada passerait inaperçue aux yeux de l'énorme source de demande qui se trouve au sud de la frontière. Les principes économiques les plus simples nous apprennent que la demande sera comblée avec un « produit » de plus en plus vulnérable qu'on trouvera dans la société canadienne. Fournir un tel marché peut mener à la catastrophe.
    En ce qui concerne la question du choix, je crois que la loi doit cibler ceux qui ont clairement un choix à l'égard de tels préjudices. Les femmes vulnérables — qu'elles soient mineures ou adultes —, dont la plupart ont été maltraitées lorsqu'elles étaient enfants, et qui souffrent fréquemment d'une dépendance à la drogue, qui sont manipulées et extrêmement vulnérables, n'ont pas ce choix. Toutefois, les gens qui ont de l'argent, une carrière et une réputation à préserver, ceux qui embrassent leurs enfants à l'heure du coucher, disent au revoir à leur femme, prennent leur auto, se rende au centre-ville et choisissent de profiter d'une femme ou d'une fille vulnérable sont ceux que nos lois doivent cibler. Le projet de loi C-36 le fait pour la première fois, en visant les clients et les proxénètes. Cela représente un important pas en avant.
    En tant que personne qui a passé beaucoup trop de temps à examiner les corps démembrés de femmes prostituées et à analyser la nature et les circonstances de leur mort violente, en tant que personne qui sait d'expérience le nombre d'années nécessaire pour réhabiliter des jeunes victimes de violence systématique, et en tant que personne qui a consacré sa vie au rétablissement de telles victimes, permettez-moi de vous garantir qu'il ne s'agit pas d'une industrie de choix pour la grande majorité des prostituées. Ce n'est pas une industrie lucrative et elle ne les rend pas autonomes; elle est fondamentalement coercitive et manipulatrice. C'est un milieu violent, abusif et destructeur à tous les niveaux, et c'est un milieu mortel. La prostitution et son but ultime de causer des dommages psychologiques, des blessures physiques et même la mort ne devraient jamais être célébrés ou légalisés, mais seulement condamnés.
    L'un des indicateurs clés d'une démocratie parvenue à maturité est sa capacité de voir au-delà des éléments superficiels et de créer une loi qui protège les personnes les plus vulnérables et les victimes de mauvais traitements, peu importe leurs circonstances ou leur position sociale. En créant ce projet de loi, le Canada a entrepris de protéger les femmes victimisées, celles qui ne sont pas souvent reconnues en tant que victimes en raison de leurs circonstances et de leur apparence. Cette initiative, en collaboration avec les efforts concertés pour poursuivre en justice ceux qui les victimisent et qui tirent profit de leurs malheurs, est à la fois honorable et appropriée.
    J'aimerais formuler deux recommandations.
    Tout d'abord, j'appuie le projet de loi C-36, mais j'ai des réserves sur les dispositions sur la communication énoncées dans l'article 213. Même si je comprends qu'on cherche à protéger les mineurs qui pourraient se trouver dans certains endroits, ce qui m'inquiète, c'est que cette disposition pourrait criminaliser des personnes pour une activité sur laquelle elles n'ont peut-être aucun contrôle, alors qu'elles sont clairement considérées comme étant des victimes ailleurs dans la loi. Ces dispositions semblent aller à l'encontre du reste du projet de loi et doivent faire l'objet d'un examen approfondi.
    Deuxièmement, la réussite du modèle nordique semble dépendre d'un engagement clair à l'égard des stratégies de sorties appropriées et d'un engagement ferme à l'égard des budgets qui leur sont nécessaires. Je prie le gouvernement de ne pas perdre de vue cet élément essentiel.
    Pour terminer, j'aimerais réitérer mon appui pour le projet de loi et remercier le ministre MacKay et la députée Joy Smith, qui ont travaillé très fort pour apporter la justice et la dignité à ceux et celles qui en ont le plus besoin.
    Merci, monsieur le président.

  (1610)  

    Merci de cet exposé de Ratanak International.
    Notre dernier témoin d'aujourd'hui représente l'Association canadienne des policiers.
    Monsieur, vous avez 10 minutes.
    Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui au nom de l'Association canadienne des policiers dans le cadre de votre étude sur le projet de loi C-36.
    Pour ceux qui ne connaissent pas notre organisme, l'ACP représente plus de 54 000 civils et agents assermentés de première ligne qui servent dans plus de 160 services de police partout au Canada.
    J'aimerais entamer mon bref exposé en précisant que l'Association canadienne des policiers appuie le projet de loi C-36, même si nous comprenons certainement que le projet de loi, tout comme la prostitution en général, est un enjeu qui suscite la controverse. Notre association est reconnaissante au ministre MacKay et au ministre Blaney, ainsi qu'au ministère de la Justice et au ministère de la Sécurité publique, d'avoir activement consulté des organismes d'application de la loi de première ligne au cours du processus de rédaction du projet de loi.
    Comme je l'ai mentionné, même si nous reconnaissons et nous comprenons que la question à l'étude est complexe et qu'elle soulève la controverse, je crois qu'elle présente certains éléments sur lesquels toutes les parties peuvent s'entendre, surtout en ce qui concerne la nécessité de nous concentrer sur la protection des membres les plus vulnérables et exploités de nos collectivités. À notre avis, le projet de loi C-36 prend des mesures très positives à l'égard de ces éléments.
    Les dispositions du projet de loi qui clarifient la définition d'une arme contenue dans le Code criminel pour ajouter des moyens de contention, notamment des menottes ou des cordes utilisées pour commettre certaines infractions, contribueront certainement à fournir des outils supplémentaires et nécessaires à nos policiers. De plus, les sanctions accrues liées à la prostitution infantile, à la traite des enfants et aux infractions connexes signaleront clairement, nous l'espérons, qu'il n'y aura absolument aucune tolérance envers ceux qui exploitent les personnes qui ont le plus besoin de notre protection.
    Le point sur lequel je tiens à insister lorsqu'il s'agit de la prostitution, c'est que les organismes d'application de la loi et les travailleurs du sexe doivent absolument mettre fin à la nature conflictuelle de toutes les interactions entre leurs deux groupes. On croit à tort qu'avant la décision Bedford, la priorité des organismes d'application de la loi était de harceler et d'arrêter les travailleurs du sexe dans le cadre d'attaques ciblées envers ce qu'on appelle souvent le plus vieux métier du monde. D'après mon expérience dans mon service de police d'attache — le service de police de Vancouver — et mes conversations avec des agents de la paix qui ont participé à ces enquêtes partout au Canada, ce n'est tout simplement pas le cas. Lorsque des ratissages ciblent la prostitution de rue, ils découlent habituellement de plaintes formulées par les collectivités voisines et auxquelles nos services de police doivent répondre.
    Les agents de la paix qui participent aux groupes de travail sur la prostitution reçoivent une formation particulière et ont accès aux programmes d'appui communautaires, afin d'aider les travailleurs du sexe qui pourraient sortir de relations dans lesquelles ils étaient victimes d'exploitation ou qui pourraient souffrir d'une forme de dépendance aux drogues. De plus, les services de police de partout au pays ont initié des programmes d'écoles pour les clients de la prostitution, « les john schools », afin de réorienter les personnes qui achètent du sexe et de les sensibiliser aux victimes qu'ils peuvent créer par leurs actions.
    Que le projet de loi C-36 soit adopté ou non, j'aimerais faire valoir que nous devons continuer de surveiller et d'améliorer ces programmes partout où c'est possible, afin de veiller à ce que l'éducation soit un élément clé pour les acheteurs et les vendeurs de services sexuels, et qu'il faudra affecter des ressources à la poursuite de ces efforts.
    Lorsqu'il s'agit de prostitution, comme c'est le cas pour un grand nombre d'autres infractions, les agents de la paix canadiens profitent d'un énorme pouvoir discrétionnaire dans l'exercice de leurs fonctions. L'adoption du projet de loi C-36 ne changerait pas cela. Un grand nombre de personnes qui participent à l'industrie du sexe sont parmi les membres les plus vulnérables et marginalisés de notre société, un milieu dans lequel la violence et la dépendance sont des thèmes auxquels les agents de la paix sont fréquemment confrontés. Dans notre pays, toute réponse législative à la prostitution doit tenir compte de ces facteurs, car les préjudices causés ont des répercussions non seulement sur les acheteurs et les vendeurs de services sexuels, mais également sur les collectivités voisines.
    Pour terminer, j'aimerais répéter que l'Association canadienne des policiers appuie l'approche adoptée dans le cadre du projet de loi C-36. Le projet de loi fournira aux agents d'application de la loi de première ligne les outils supplémentaires dont ils ont besoin pour cibler les prédateurs qui souhaitent tirer profit des personnes vulnérables. Nos agents apprécient les peines plus sévères imposées aux délinquants qui ciblent les enfants et à ceux qui tentent d'attirer les mineurs dans cette industrie par la traite des enfants.
    La récente décision Bedford a eu une incidence importante sur les activités liées au maintien de l'ordre dans notre pays en raison de l'incertitude qu'elle a créée à l'égard de la constitutionnalité des lois canadiennes sur la prostitution. Nous sommes reconnaissants au gouvernement d'avoir pris des mesures pour s'attaquer à cette incertitude et d'avoir consulté les organismes d'application de la loi au cours du processus de rédaction du projet de loi que vous étudiez aujourd'hui.
    Je tenais à livrer un bref exposé, afin de laisser le plus de temps possible pour les questions, et j'ai hâte de participer à la discussion qui se poursuivra ici aujourd'hui.
     Encore une fois, je vous remercie chaleureusement d'avoir invité notre association à comparaître.

  (1615)  

    Je vous remercie d'avoir livré l'exposé au nom de l'Association canadienne des policiers.
    Nous allons maintenant passer aux questions. La première intervenante est Mme Boivin, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie notre dernier groupe de témoins d'être ici parmi nous aujourd'hui.

[Traduction]

    Donnez-moi un peu de temps, s'il vous plaît, car j'ai deux avocats, et mardi prochain, nous allons entreprendre l'étude article par article.
    Nous traitons un texte législatif, et nous devons donc étudier chaque article du projet de loi C-36. Nous voterons sur chacun d'entre eux, et nous devons donc nous assurer — en tout cas, c'est la façon dont je fais mon travail et je suis certaine que tous mes collègues font de même — que les articles sur lesquels nous votons sont appropriés, qu'ils atteignent les objectifs visés et qu'ils sont constitutionnels et conformes à la Charte. Vous pouvez donc vous représenter le défi auquel nous faisons face.
    Étant donné que j'ai l'avantage d'avoir l'aide de deux avocats... Après quatre jours de témoignages et après avoir entendu un grand nombre d'histoires extrêmement émouvantes, lorsque je retournerai au projet de loi, je ferai un travail qui, pour les cinq minutes suivantes, peut paraître très ennuyant à la télévision, mais que je trouve très important.
    Toutefois, même aujourd'hui, je me pose des questions au sujet de quelques éléments. Nous entendons dire que le préambule est important. En tant qu'avocate, je sais qu'un préambule peut expliquer un peu

  (1620)  

[Français]

la raison d'être d'un projet de loi, soit de donner certaines explications aux tribunaux qui auront à se pencher sur des problèmes d'interprétation. Les titres et les articles doivent aussi être lus et, surtout, le Code criminel.
    Connaissant les criminalistes comme je les connais, n'importe quel argument pouvant être débattu sera testé devant la cour. On le sait. Même le ministre est conscient que son projet de loi sera mis à l'épreuve.
    À cet égard, ma question est la suivante. Je regarde le nouvel article 213 en réponse à l'arrêt Bedford. Il se trouve toujours dans la partie où il se trouvait auparavant, plus précisément à la partie qui traite de maisons de désordre, de jeux et de paris. Sauf erreur, il est toujours dans la partie VII, à l'article 213. On a changé l'intertitre et on peut lire, à l'article 14, ce qui suit:
Infraction se rattachant à l'offre, à la prestation ou à l'obtention de services sexuels moyennant rétribution
    C'est l'article que le bât blesse le plus. On nous a dit, presque à l'unanimité, qu'il fallait décriminaliser les activités des prostituées parce qu'elles étaient des victimes et qu'elles ne peuvent pas être des victimes et des criminelles en même temps.
    L'article 213 prévoit aussi:
Est coupable d’une infraction [...] le fait d'obtenir des services sexuels moyennant rétribution.
    Plus loin, le nouvel article 286 suit celui touchant la partie de l'infraction contre la personne et la réputation. Cela aborde la question des enlèvements, de la traite de personnes, de la prise d'otage et du rapt. C'est la partie la plus costaude relative aux infractions criminelles concernant le fait d'acheter un service sexuel, alors que l'article 213 traite déjà de la question, comme je l'ai déjà mentionné, mais de façon sommaire.
    D'une part, pourquoi avoir maintenu cette infraction à l'article 213? Comment interprétez-vous cela? Cet article est-il en contradiction avec l'article 286? D'autre part, devra-t-on interpréter la nouvelle partie déposée par le ministre, dans laquelle se trouve l'article 286, de manière à limiter la notion d'achat dans un contexte de rapt ou de trafic étant donné l'intertitre de la section dans laquelle il se trouve?
    Je me demande si c'est clair pour vous, car cela ne l'est pas pour moi. Il n'est pas clair que quelqu'un ne voudra pas en débattre, dire qu'il n'interprète pas la loi comme nous et, qu'à son avis, il n'y a pas d'infraction dans le fait d'acheter un service sexuel lorsque c'est consensuel.

[Traduction]

    C'est l'un des grands dilemmes auxquels je suis confrontée en ce moment en ce qui concerne la façon d'interpréter le projet de loi.
    Je le soumets donc d'abord à M. Kirkup.
    Excellent.
    Tout d'abord, si le préambule revient si souvent dans les discussions, c'est parce que le gouvernement sait que l'analyse fondée sur l'article 7 concerne surtout la proportion. Nous sommes donc censés examiner la raison d'être du projet de loi et la comparer à son incidence lorsqu'il sera adopté et mis en oeuvre.
    En ce qui concerne la décision Bedford, l'un des problèmes cernés par le tribunal, c'est que la raison d'être du projet de loi est faible, en quelque sorte, car elle concerne la nuisance publique, qui est comparée aux préjudices très réels causés aux travailleurs du sexe et à leur décès. J'aimerais faire valoir que le problème d'ordre constitutionnel que nous observons actuellement, c'est que même si un préambule plus étoffé est rédigé, nous nous retrouverons avec ce que l'article 7 appelle la nature arbitraire. La raison d'être du projet de loi est de protéger les membres de la société canadienne qui sont vulnérables, mais si l'on réfléchit à l'incidence qu'aura le projet de loi C-36 lorsqu'il sera adopté et mis en oeuvre, on se rend compte qu'il ira à l'encontre de son objectif de protéger les femmes vulnérables de l'exploitation.
    Pour répondre à la première question, c'est-à-dire pourquoi le préambule est constamment mentionné — et même si le ministre Peter MacKay n'a pas formulé d'avis juridique, je l'encourage à le faire, car je crois que cela représenterait une contribution importante au débat —, c'est parce qu'en ce qui concerne l'article 7 en particulier, lorsqu'on compare la raison d'être à l'effet entraîné, il s'agit d'une disposition très importante. Je comprends votre argument et celui que vous avez fait valoir toute la semaine, et selon lequel le projet de loi, au bout du compte, ne respectera pas son préambule. Je crois que c'est également la raison pour laquelle on voit le nouveau projet de loi transformer d'anciennes dispositions en infractions contre la personne. Encore une fois, c'est lié aux efforts visant à présenter le projet de loi comme étant une nouveauté, une mesure adoptée pour la première fois.
    À mon humble avis, cela revient à déplacer les meubles. On déplace différentes dispositions dans différents articles du Code criminel. On revampe le préambule...

  (1625)  

    Mais pourrait-on faire valoir qu'on jugera que le nouvel article 286.1 concerne seulement la traite des personnes?
    Il s'agirait de l'achat de services sexuels dans le contexte de la traite des personnes, d'un viol, d'un enlèvement, etc., étant donné que c'est exactement à la fin de l'article 286, et pas nécessairement dans le même type d'éléments qu'à l'article 213, qui semble être une inculpation moins lourde, car c'est une déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
    Ou cela revient-il à ce que nous avons entendu des conservateurs, c'est-à-dire qu'aussitôt que le projet de loi C-36 sera adopté, il n'y aura plus aucun achat? Même si on permettra la vente, on ne permettra pas l'achat. Je pense qu'il est difficile de trouver cela logique.
    Monsieur Kirkup.
    Je suis d'accord avec votre argument. Je crois que lorsque vous entreprendrez l'étude article par article, il sera essentiel de continuer à soulever cette question très importante. Je ne peux pas répondre par oui ou par non à cette question. Toutefois, je crois que l'effort général, comme nous l'avons constaté dans le cadre du projet de loi, consiste à tenter de déplacer ces infractions, ce qui permettrait de modifier l'analyse constitutionnelle fondée sur l'article 7.
    Il vous reste une minute pour poser une question et obtenir une réponse.
    D'accord. Je vais essayer.
    Ma question s'adresse au président de l'Association canadienne des policiers.
    D'après ce que je comprends, depuis la décision Bedford, il semble y avoir une zone grise. Pourquoi ne pouvez-vous pas accomplir votre travail en ce qui concerne la traite des personnes et les femmes qui se trouvent dans des situations très graves? Je suis certaine que cela peut continuer.
    Je crois que cela peut continuer.
    Mais pour mettre les choses en contexte, l'un des problèmes qui se posent, c'est que les services de police de partout au pays ne passent pas beaucoup de temps à s'occuper d'enjeux liés à la prostitution. Je crois que du point de vue de la police, le problème, c'est que lorsqu'on croit qu'une personne participe à la traite des personnes, ou lorsque des femmes vulnérables sont exploitées, on doit présenter un dossier devant un juge pour obtenir les autorisations nécessaires pour accomplir certaines choses qui nous permettront de produire un mémoire qui sera présenté à la Couronne et de déposer une accusation criminelle.
    Lorsque la loi porte à confusion, les gens sont très réticents à prendre une décision qui présente des risques. Je crois que c'est ce qui cause de la frustration dans les services de police. Nous aimerions simplement obtenir des directives très claires sur les attentes, afin que lorsque nous menons une enquête et que nous tentons de protéger les personnes vulnérables, nous sachions comment nous y prendre pour obtenir des résultats. En tant que policier de première ligne, je pense que c'est ce qui nous préoccupe. Cela crée de la confusion. Il y a tellement de gens qui défendent chaque côté du débat, et il semble que nous sommes pris au milieu.
    Merci beaucoup.
    Je vous remercie des questions et des réponses.
     Notre prochain intervenant est M. Wilks, du Parti conservateur.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais remercier les témoins d'être ici.
    Monsieur McConaghy, certaines personnes ont appelé le projet de loi C-36 le projet de loi Pickton. Qu'en pensez-vous?
    Je crois que l'affaire Pickton illustre pour le Canada, dans sa forme la plus monstrueuse, où ce genre de situation peut nous mener si on ne s'y attaque pas énergiquement. Manifestement, c'est un cas extrême, car il a tué un grand nombre de personnes qui n'avaient aucune chance de s'en sortir une fois prises dans ses griffes. Je crois que ce que l'affaire Pickton démontre clairement, c'est qu'il faut faire quelque chose. Permettre à l'industrie de la prostitution de s'agrandir favorisera les circonstances qui permettent à un plus grand nombre de ces individus de s'attaquer aux femmes. Nous ne connaissons pas le pourcentage de ces cas qui se termineront en homicides, etc. Toutefois, cette industrie amplifie ce type de comportement social dangereux, et Pickton, même s'il était un cas extrême, serait à mon avis un exemple du type de personne contre laquelle nous devons protéger notre société.

  (1630)  

    Je suppose que je vous pose cette question parce que certains ont dit que le projet de loi C-36 aggravera le problème et créera le prochain Pickton. Puisque vous avez travaillé sur ce dossier, j'aimerais savoir ce que vous pensez de cela. Quels sont vos sentiments à cet égard? Comme vous, je suis moi-même un membre de la GRC à la retraite, et je connais très bien ce dossier.
    Je ne crois pas que la légalisation de l'industrie aurait permis, d'aucune façon, de protéger les filles contre Pickton. Je pense que les commentaires faits au comité selon lesquels les prostituées seront nerveuses et devront prendre une décision rapidement à propos de leur client et qu'elles n'auront pas le temps de déterminer s'il est dangereux, sont ridicules, pour être honnête. Qu'elles soient au coin d'une rue ou à n'importe quel autre endroit, elles ne seront pas en mesure d'évaluer si une personne est dangereuse ou non. Cela ne va tout simplement pas se produire. Les forces de l'ordre ont déjà assez de difficultés à déterminer si des gens sont dangereux, malgré tous les outils à leur disposition. Je ne crois donc pas que ce soit une inquiétude légitime.
    Je pense que l'un des éléments dont nous pouvons parler, lorsque nous discutons du dossier Pickton, est que certains estiment que, au début de l'enquête, la police a vraiment failli à la tâche et n'a pas enquêté adéquatement sur ces crimes parce qu'elle ne croyait pas que ces femmes avaient de la valeur. Elles étaient considérées comme des personnes itinérantes, sans aucune importance. Toutes sortes d'accusations ont été portées, et je crois qu'il y a une part de vérité dans les opinions relatives au comportement initial des policiers.
    Cependant, je peux parler très clairement de l'enquête et dire que, quand ce dossier nous a été soumis, nous avons pris très à coeur la situation de ces filles. J'ai gardé leur tête, leurs pieds, leurs mains, leurs côtes, et tout ce genre de choses, dans des congélateurs pendant très longtemps. J'ai surtout travaillé avec leur tête, qui avait une grande importance légiste. Dans la plupart des cas, comme vous le savez, il faut se référer aux numéros de pièces. C'est un processus très abstrait. Malgré cela, je les appelais « les femmes », je connaissais leur nom. C'était quelque chose de très personnel, et beaucoup de gens ayant participé à l'enquête prenaient très à coeur la protection des femmes et tenaient réellement à rendre justice aux victimes.
    Je crois donc que cela a appris aux policiers à personnaliser les victimes et à les considérer comme des êtres humains, et c'est peut-être la seule bonne chose à être sortie de l'affaire Pickton.
    Merci.
    Monsieur Stamatakis, merci d'être ici aujourd'hui. Je veux vous poser quelques questions. Vous avez mentionné, dans vos remarques, « le pouvoir discrétionnaire exercé par les policiers dans le cadre de leurs fonctions ». Vous avez également mentionné que vous représentez 54 000 agents de la paix au Canada. Il y a quelques questions que je voulais vous poser. J'aimerais notamment des éclaircissements sur un point. Il serait bien que vous puissiez trouver de l'information à cet égard et la fournir au comité.
    Le Service de police régional de York nous a dit qu'il n'avait pas porté d'accusation en vertu de ce qui était l'article 213 au cours des cinq dernières années. Nous avons entendu un témoignage aujourdhui selon lequel le corps policier de la ville de Victoria a porté peu, voire pas du tout, d'accusations en vertu de cet article. Nous avons entendu d'autres unités dire que l'on avait rarement recours à l'article 213, mais qu'il était utilisé par les policiers à des fins discrétionnaires. En fait, le détachement de Surrey l'a utilisé par le passé pour cibler les clients de la prostitution et les envoyer à une école de michetons.
    Je me demande si vous pourriez nous faire part de l'expérience de la police de Vancouver.
    Oui, ce que vous avez décrit est très exact. Je peux vous dire que, lorsque je rencontre mes collègues de partout au pays, c'est certainement de cette manière qu'ils décrivent l'expérience dans les diverses administrations canadiennes. Je sais que, à Vancouver, mon service d'attache, nous avons une escouade de la moralité, ou peut-être que cela ne porte plus ce nom. Nous sommes l'un des seuls services de police au pays avec un groupe d'agents dévoués qui s'occupent de questions relatives à la traite des personnes et au commerce du sexe.
    Cela fait plus de cinq ans, probablement près de 10 ans, que nous avons arrêté d'appliquer immédiatement ce qui était alors l'article 213. Je répéterais donc ce qui a été dit. Je ne sais pas à quand remonte la dernière fois qu'une accusation a été portée en vertu de l'ancien article 213.

  (1635)  

    J'aimerais préciser que j'ai entendu M. McConaghy dire, en ce qui a trait à l'article 213, que nous devrions peut-être nous pencher là-dessus. Je l'examine probablement sous un angle différent, c'est-à-dire sous l'angle des pouvoirs discrétionnaires des policiers, parce qu'il est question d'une infraction sommaire, et que les policiers peuvent se servir de cet article pour tenter de sortir une personne d'une situation problématique.
    Je suis juste curieux d'entendre ce que vous avez à dire tous les deux à ce sujet, en commençant par M. McConaghy, puis en continuant avec M. Stamatakis. Puis, j'aurais une brève remarque à faire à Mme Allison si j'ai le temps.
    Merci.
    Je vous écoute, Brian.
    Oui, je reconnais que l'article 213 pose un problème, et je n'ai pas de solution facile à proposer, parce que je reconnais que les policiers veulent, à juste titre, avoir des outils pour protéger les femmes qui se trouvent dans des situations très vulnérables, les soustraire au danger, les éloigner des proxénètes ou des personnes qui pourraient tenter de les contrôler, leur donner le temps de bien réfléchir et leur offrir des options. Je comprends cela parfaitement. Je crains vraiment que l'utilisation du Code criminel à cette fin soit excessive. Je n'ai pas vraiment de réponse à vous donner sur la façon de s'attaquer à ce problème. Je reconnais donc qu'il existe un conflit à cet égard.
    Je comprends complètement comment ces outils sont utiles, d'un point de vue policier. Je ne parviens tout simplement pas à accepter la disparité qui existe au sein de cette mesure législative, qui fait qu'une fille qui est traitée de manière appropriée comme la victime est soudainement, en vertu de cette disposition, criminalisée parce qu'elle mène ses activités à certains endroits, alors que je crois qu'il a été clairement démontré que ces femmes n'ont pas nécessairement de contrôle sur leurs activités. Elles n'ont donc pas nécessairement d'intention criminelle, si je puis m'exprimer ainsi. Elles font l'action, mais cela ne veut pas dire qu'elles avaient l'intention de la faire. Je ne sais donc pas comment répondre à cette question, et je crois que c'est un problème.
    Merci.
    Tom.
    Je suis d'accord avec ce que vous avez dit plus tôt, d'un point de vue policier, d'un point de vue des services de police de première ligne. Il s'agit d'un outil qui nous permet de nouer le dialogue avec des personnes qui pourraient se trouver dans une situation vulnérable, être exploitées par un proxénète ou quelqu'un d'autre. Je crois donc que c'est un outil utile pour la police.
    Cependant, comme je lai dit auparavant, c'est une question complexe et controversée mais, d'un point de vue policier, cet article est un outil utile.
    Merci beaucoup. Merci de ces questions et réponses.
    Le prochain intervenant est M. Casey, du Parti libéral.
    J'aimerais revenir sur votre dernière réponse, chef Stamatakis.
    Il est approprié ou nécessaire que la police soit en mesure de détenir, sous la menace d'une condamnation, une personne qui a été victimisée. Est-ce ce que nous devons comprendre?
    Ce que je veux dire, c'est que nous avons besoin de mécanismes ou d'outils législatifs qui nous permettent d'intervenir. Quand nous sommes dans la rue en train de parler à une travailleuse de l'industrie du sexe qui est dans une situation vulnérable, si nous n'avons pas la capacité de donner une excuse à cette personne de nous parler, comment pouvons-nous découvrir si elle est exploitée? Nous pouvons — cela a certainement été le cas à Vancouver — éloigner une femme vulnérable de son proxénète ou de l'homme qui l'exploite pendant une certaine période de temps. C'est de cette manière que nous découvrons si elle a besoin d'aide et si elle veut obtenir les services offerts.
    Nous faisons tout en notre pouvoir pour tenter de convaincre ces personnes d'avoir recours aux services qui leur sont offerts pour les aider. Parfois, il s'agit simplement de les amener à un endroit où elles peuvent avoir de la nourriture, peut-être un refuge ou un endroit où elles peuvent se reposer.

  (1640)  

    Il semble un peu bizarre que vous devez menacer une personne d'une condamnation au criminel pour pouvoir lui donner à manger.
    Toutefois, je ne veux pas insister là-dessus. Je comprends votre position, et nous l'avons entendue d'autres personnes dans le même domaine que vous. Je comprends donc votre position. Je ne suis simplement pas d'accord avec elle.
    Je veux remercier M. Kirkup...
    Que proposeriez-vous comme solution de rechange? Parce qu'il s'agit de femmes qui sont... Ce sont les femmes les plus vulnérables...
    Vouliez-vous entendre cela, monsieur Casey?
    ... et elles sont habituellement toxicomanes, et je ne sais pas de quelle autre manière nous pourrions les amener à un endroit où nous pouvons avoir une discussion avec elles pour voir si elles sont exploitées ou comment nous pouvons les aider.
    Merci.
    Je veux remercier M. Kirkup et Mme Ka Hon Chu d'avoir réclamé une politique publique fondée sur des faits. Nous aimerions en voir plus ici.
    Je dois reconnaître que, lors de l'élaboration de cette mesure législative, le gouvernement a mené des recherches scientifiques sous la forme d'un sondage pour lequel il a payé 175 000 $. Nous aimerions obtenir ce sondage avant de procéder à une étude article par article, mais le ministre ne veut pas nous laisser le voir et le comité a voté contre la réclamation de ce sondage. J'ai demandé à l'auteur du sondage de comparaître, mais il ne viendra pas.
    Étant donné votre demande et votre soutien d'une politique publique fondée sur des faits, et puisque les fonctionnaires et les avocats du ministère de la Justice ont affirmé qu'ils estimaient que ce sondage contenait des renseignements utiles lors de l'élaboration de la mesure législative, je demanderai d'abord à M. Kirkup, puis à Mme Ka Hon Chu, de nous préciser la valeur qu'un sondage scientifique comme celui-ci pourrait avoir dans le cadre de l'examen ligne à ligne de la mesure législative.
    Il semble que je vais répondre en premier. J'aimerais d'abord exprimer une préoccupation à propos de l'approche utilisée par le gouvernement pour mener ce sondage, une approche similaire à celle employée dans le site Survey Monkey. Le gouvernement a créé une page en ligne, puis posé une série de questions. Cette page a ensuite été envoyée par courriel à des personnes qui ont inscrit leurs réponses. Je ne pense pas qu'une telle approche soit le meilleur moyen d'avoir une discussion sensée sur ce sujet parce qu'elle comporte tellement de problèmes: le biais d'échantillonnage, la façon dont les questions ont été formules, et j'en passe. Cette approche ne fonctionne pas.
    Je dirais donc qu'il serait très utile de disposer de tous les éléments de preuve nécessaires avant de prendre des décisions sur une question aussi importante, mais qu'il faudrait aussi s'assurer que la politique publique n'est pas guidée par les moeurs et les préoccupations de la majorité des membres de la société canadienne. Par le passé, on s'est servi de ces mêmes moeurs et préoccupations pour criminaliser, par exemple, les LGBT. Si vous aviez fait un sondage en 1969 pour demander si le gouvernement canadien devait décriminaliser l'homosexualité, les résultats n'auraient probablement pas été très positifs. Je dirais donc qu'il faut se fonder sur les éléments de preuve, mais que nous ne devrions pas trop nous y fier.
    Merci.
    Madame Ka Hon Chu.
    Oui, je suis d'accord avec M. Kirkup sur ce point. Je pense que le gouvernement devrait se servir de l'arrêt Bedford en tant que principe directeur, ainsi que s'inspirer des principes des droits de la personne et de la Charte. Nous parlons de politique publique fondée sur des faits. Il y a des recherches jugées par les pairs au Canada. À Vancouver, au début du mois dernier, on a publié un rapport concernant les répercussions sur les travailleurs du sexe de la criminalisation de l'achat des services sexuels et les conséquences désastreuses qu'elle pourrait continuer d'avoir. En effet, elle pourrait causer tous les mêmes torts que la Cour suprême du Canada a observés dans l'arrêt Bedford. Par conséquent, je conseillerais moi aussi d'éviter d'utiliser les résultats d'un sondage pour guider les politiques publiques.
    Nous devrions nous fonder plutôt sur la Charte et les recherches effectuées.
    Merci.
    Monsieur Kirkup, dans votre déclaration liminaire, vous avez parlé de la constitutionnalité de cette mesure législative. La plupart de vos remarques mettaient l'accent sur une analyse de l'article 7, tout comme la décision. Durant la semaine, nous avons entendu parler de préoccupations relatives à la constitutionnalité du projet de loi du point de vue de l'article 15, droits à l'égalité; de l'article 2, liberté d'expression; et de l'alinéa 11d), présomption d'innocence.
    Étant donné que ces préoccupations ont été exprimées et que vous avez mis l'accent sur les problèmes dans l'article 7, que penseriez-vous de renvoyer directement le projet de loi à la Cour suprême pour obtenir son opinion?

  (1645)  

    Je pense que ce serait une intervention importante à avoir à cette étape. Tout au long de la semaine, nous avons entendu si souvent parler du contenu de l'arrêt Bedford que je crois qu'il serait très utile de demande à la Cour suprême si cette nouvelle mesure législative résisterait à une contestation constitutionnelle
    Toutefois, je le répète, l'un des nombreux problèmes que nous avons avec les renvois est que, souvent, ils ne reposent pas sur des preuves solides, n'est-ce pas? Il y a donc des inquiétudes relatives à l'adoption de ce projet de loi, qui risque de causer les mêmes préjudices que ceux que nous avions observés avant l'arrêt Bedford. Je trouve que c'est inadmissible.
    Madame Allison, vous étiez là. Je sais que vous avez déclaré d'entrée de jeu que le droit du travail est votre domaine d'expertise. Je ne veux donc pas vous mettre dans l'embarras, mais j'aimerais vous demander votre opinion sur ce sujet, à savoir l'opportunité d'un renvoi.
    Je vous remercie de votre sollicitude.
    Je me contenterai de parler des lacunes qui existent dans l'affaire Bedford, plus particulièrement celles relatives à mes clients, qui sont des femmes asiatiques. Comme je l'ai dit au début de mon intervention, il y avait une absence complète de données probantes sur la prostitution chez les femmes asiatiques et les préjudices qu'elles subissent. Il n'y avait pas d'analyse de la loi sur l'égalité dans cette affaire.
    En ce qui concerne le renvoi constitutionnel, ma préoccupation porterait sur la nature des éléments de preuve ou du dossier de la preuve sans lui. Je serais seulement en faveur d'un tel renvoi s'il existe un dossier de la preuve qui tient compte de tous ces considérations.
    Monsieur McConaghy, vous avez fait part de vos préoccupations quant à l'article 213 qui est proposé. Plus tôt aujourd'hui, une des témoins a préconisé la suppression des casiers judiciaires de toute personne qui a été condamnée en vertu de lois qui ont été déclarées inconstitutionnelles. Compte tenu de votre point de vue sur l'article 213, des répercussions sur les victimes et des conséquences d'un casier judiciaire, seriez-vous en faveur d'une telle amnistie?
    Oui, je serais en faveur. Je ne crois pas que les condamnations pour prostitution, qui ont souvent été prononcées au Canada, sont d'une importance particulière d'après tout ce que le comité a entendu cette semaine sur les vulnérabilités des femmes exerçant ce métier et les difficultés qu'elles ont à le quitter. Je ne crois pas qu'ajouter un obstacle de plus à ces femmes en leur donnant un casier judiciaire soit approprié, et je ne crois pas que cela serve le bien public.
    D'accord. Je vous remercie beaucoup de vos questions et de vos réponses.
    C'est maintenant au tour de M. Dechert, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous nos témoins de leur présence.
    Madame Allison, je veux vous parler du droit de l'emploi. Je suis ravi de votre présence, car je crois que parmi les témoins que nous avons accueillis cette semaine, vous êtes la seule spécialiste en la matière, et je pense que c'est très important.
    Un certain nombre de personnes nous ont dit que si les parlementaires décident de ne rien faire, si nous laissons les lois qui ont été contestées dans la décision Bedford disparaître avec l'expiration de la suspension en décembre, il y aura un déluge d'avantages sociaux pour les travailleuses du sexe partout au Canada. Vous avez souligné que dans l'ensemble, les lois en matière d'emploi relèvent des provinces, et j'en suis conscient.
    Tout d'abord, un certain nombre de personnes nous ont dit qu'elles avaient déjà travaillé ou qu'elles travaillent présentement dans une agence d'escorte depuis quelques années.
    À votre avis, sont-elles présentement dans une relation employeur-employé? Quelle est la nature de la relation contractuelle?
    Ce sont des entrepreneures indépendantes, dans la mesure où... Eh bien, il y a deux choses. Dans les agences d'escortes, ce sont les agents, et il peut donc y avoir des fournisseurs de services pour les femmes qui se prostituent, car c'est géré à partir de cela.
    C'est l'une des préoccupations que nous avons concernant la décriminalisation de l'achat: on ne peut... Il n'y a pas vraiment eu d'études sur ces questions jusqu'à maintenant, et c'est un nouveau point, mais l'un des problèmes qui peuvent se poser, c'est que ces gardes du corps, qu'on appelle parfois des proxénètes, pourraient être des employés ou des fournisseurs de services pour les femmes qui sont dans le milieu de la prostitution.
    Dans presque tous les endroits sur lesquels je me suis penchée jusqu'à maintenant, les femmes qui se prostituent sont des entrepreneures indépendantes et non des employées, et elles ne reçoivent donc pas de prestations d'AE ou du RPC ou de retraite. Qui plus est, elles sont responsables du paiement de leurs impôts et des contributions au régime d'indemnisation des accidentés du travail. Leur protection aux termes de la réglementation en matière de santé et de sécurité au travail passe par leur participation et leur paiement.
    Lorsqu'on examine cela dans le contexte des employées les plus vulnérables, celles qui sont dans la rue ou qui travaillent chez elles, pour être protégées, elles doivent payer.

  (1650)  

    Oui. Donc, inversement et paradoxalement, vous dites que le proxénète ou le garde du corps pourrait finir par être un employé de la travailleuse du sexe, qui serait alors obligée de remplir toutes les obligations de l'employeur telles que nous les connaissons.
    Nous savons que les lois et la réglementation en matière d'emploi, les normes d'emploi et les normes de santé et de sécurité au travail diffèrent considérablement d'une province à l'autre. Elles ne sont pas tout à fait les mêmes.
    Vous avez dit qu'en Allemagne et aux Pays-Bas et peut-être ailleurs, la plupart des travailleuses du sexe sont des entrepreneures indépendantes. Elles ne sont pas dans une relation employeur-employé avec le tenancier de la maison de prostitution. Elles ne font que louer un espace.
    C'est exact.
    Ainsi, dans ces pays, l'Allemagne et les Pays-Bas — prenons ces deux exemples —, quel type d'avantages sociaux ont-elles?
    Elles n'en ont pas. Elles n'ont même pas de salaire minimum. Il n'y a pas d'heures supplémentaires. Elles n'ont pas de congé de maladie ou rien de tout cela.
    En Allemagne, la prostitution est légale, et elles peuvent s'enregistrer et devenir des employées. Toutefois, jusqu'à maintenant, très peu de femmes se sont enregistrées pour avoir ce type d'avantages.
    Donc, à votre avis, si nous légalisions la prostitution demain, quelle serait la situation des travailleuses du sexe au Canada? Est-ce qu'un très grand nombre d'entre elles seraient dans une relation contractuelle d'emploi ou seraient-elles des entrepreneures indépendantes?
    Elles seraient des entrepreneures indépendantes.
    Certaines qui travaillent dans des maisons de prostitution — si elles devaient aller devant les tribunaux pour contester — seront en mesure de convaincre soit la direction des normes d'emploi ou la cour qu'on contrôle tellement leur travail qu'elles sont en fait des employées. Cependant, elles auraient à le faire valoir elles-mêmes. Aucun organisme gouvernemental ne dirait cela.
    En fait, ce serait l'un des seuls milieux non réglementés au Canada. Si l'on décidait de ne rien faire ou de décriminaliser, il n'y aurait aucune réglementation. Il n'y a pas de dispositions en matière de santé et de sécurité au travail.
    De plus, en ce qui concerne les droits de la personne, il y aura des répercussions sur toutes les femmes, car si l'on dit à la société ou aux femmes que ce n'est plus illégal d'imposer une condition d'emploi pour avoir des relations sexuelles dans le cadre de son emploi — ce qui est le cas —, alors cela aura des répercussions sur toutes les femmes qui travaillent lorsque cela deviendra légal.
    Eh bien, c'est intéressant. Je n'avais jamais entendu cela auparavant.
    Nous avons lutté pendant des années pour nous débarrasser de ce monde, et la décriminalisation de l'achat de services sexuels peut nous y ramener.
    Exactement. Donc, en ce qui concerne la santé et la sécurité au travail, je ne suis pas un spécialiste en droit de l'emploi, mais il me semble que si je me fis à mes années de pratique en Ontario, chaque industrie se voit attribuer une prime. Dans la province de l'Ontario, c'est basé sur le bilan en matière de sécurité et de blessures.
    Nous savons donc que d'après les témoignages que nous avons eus toute la semaine, l'industrie du sexe est un milieu très violent, dangereux et toutes les travailleuses du sexe, sauf une très petite partie d'entre elles — dont celles à qui nous avons parlé —, ont subi de la violence ou ont été blessées à un moment donné dans leur carrière.
    Donc, si une personne devenait une employée ou même une entrepreneure indépendante et devait faire des paiements aux organismes provinciaux de santé et de sécurité au travail, comment cela serait-il évalué et combien il en coûterait pour assurer convenablement une personne en vertu des lois en matière de santé et de sécurité au travail au Canada, à votre avis?
    Eh bien, il y a deux aspects à cet égard. Tout d'abord, en Colombie-Britannique du moins, les salons de massage les bains à vapeur et les agences d'escorte sont déjà couverts, car ils font partie de l'industrie des loisirs. Leur taux de base est de 50 ¢ par tranche de 100 $ de la masse salariale pour un maximum salarial de 77 900 $ par travailleur. Je n'ai pas mené d'étude comparative approfondie, mais il s'agit d'un taux assez élevé.
    Si l'on prenait en compte toutes les autres formes de prostitution — et il ne s'agit pas seulement de violence. On parle également du syndrome de stress post-traumatique et de troubles mentaux. Il y a les microtraumatismes répétés et les grossesses. Ce sont tous des risques liés au travail. Il ne s'agit donc pas seulement de la violence, qui est déjà horrible.
    Oui, à mon avis, les taux grimperaient en flèche. Ils seraient payés par ces femmes, des entrepreneures indépendantes qui sont, en fait, soumises à un régime différent. Elles doivent faire une demande distincte et leur taux sont même plus élevés dans le régime actuel, et elles devraient donc le faire.
    Toutefois, la conformité pose problème et c'est simplement que les gens ne respectent pas la loi comme telle. Le coût pour se conformer dissuaderait les personnes, surtout les femmes vulnérables, d'essayer d'obtenir cette protection, même si elles le pouvaient.

  (1655)  

    Je présume qu'il serait difficile d'imaginer que la travailleuse du sexe dans les rues, qui a peut-être d'autres problèmes — toxicomanie, santé mentale, etc. — soit en mesure de respecter cette loi complexe, de payer les primes à temps et de profiter des avantages.
    Eh bien, de plus, chaque paiement de prime signifie qu'elles doivent offrir des services à un autre homme pour pouvoir les payer.
    Bon point.
    Les soins de la vue, les soins dentaires, les programmes d'aide aux employés, les retenues à la source des employés, les heures et les normes — cela n'existe probablement pas.
    Hier, grâce à un témoin qui faisait partie de la liste des députés libéraux, nous avons entendu le témoignage de l'Adult Entertainment Industry Association de l'Ontario, qui représente les bars de danseuses nues. Nous avons rencontré les propriétaires de deux de ces bars de la région d'Ottawa.
    Savez-vous quelle est la situation en Colombie-Britannique? Savez-vous si les danseuses de l'industrie de la danse exotique sont des employées ou des entrepreneures indépendantes?
    En général, ce sont des entrepreneures indépendantes. Ce sont les danseuses. Lorsqu'on examine l'information sur l'association, on remarque qu'il y a des classifications pour les danseuses, pour les employés, qui forment le personnel du bar, les videurs — le personnel — et il y a les clients. Ces personnes sont considérées comme faisant partie de l'industrie du divertissement, bien que je crois que pour ce qui est de l'analyse sur les travailleurs étrangers concernant les femmes qui entrent dans ces bars, il s'agissait d'employées, car il fallait que ce soit le cas.
    Elles peuvent donc au moins le réclamer.
    Je vous remercie beaucoup de vos questions et de vos réponses.
    C'est maintenant au tour de Mme Péclet, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie également tous les témoins de nous éclairer grâce à leur expertise.
    Ce que vous faites aujourd'hui et ce que vous faites dans vos communautés est extrêmement important. Merci beaucoup.
    Tout d'abord, j'aimerais rassurer tous ceux qui pensent que les conservateurs ne font pas une bonne utilisation de la Charte. En fait, parfois, la Charte est extrêmement importante pour eux.
    J'ai déposé à la Chambre des communes un projet de loi ayant une portée internationale. Presque tous les Canadiens s'entendent pour dire que ce projet de loi est nécessaire puisqu'il favoriserait probablement le respect des droits de la personne et des droits humains. Or, les conservateurs ont décidé de voter contre ce projet de loi parce qu'il le juge inconstitutionnel. Parfois, quand elle leur permet d'éviter certaines situations, les conservateurs aiment bien invoquer la Charte.
    Mme Françoise Boivin: C'est une bonne publicité pour ton projet de loi.
    Mme Ève Péclet: Si mes six collègues conservateurs sont si préoccupés par les questions touchant les droits humains, je les invite à voter en faveur de mon projet de loi. Le vote aura probablement lieu en décembre prochain. Tous ensemble, sauvons le projet de loi C-583. Je les invite à lire le texte de ce projet de loi, qui est extrêmement intéressant. À mon avis, le projet de loi n'est pas inconstitutionnel, mais on pourra en discuter à la Chambre des communes.
    Ma question s'adresse à M. Kirkup.
    Une femme est venue témoigner ce matin et a fait un très bel exposé. Elle a bien décortiqué la décision dans l'affaire Bedford et a surtout parlé du paragraphe 121.
    Je ne sais pas si cela vous dit quelque chose. Je vais mentionner ici ce qu'indiquait la Cour suprême du Canada. Elle parlait de:

  (1700)  

[Traduction]

L’analyse de la disproportion totale au regard de l’art. 7 de la Charte ne tient pas compte des avantages de la loi pour la société. Elle met en balance l’effet préjudiciable sur l’intéressé avec l’objet de la loi, et non avec l’avantage que la société peut retirer de la loi. Comme le dit notre Cour dans Malmo-Levine...

[Français]

    La cour dit justement que

[Traduction]

    Il faut toujours que la balance penche vers les personnes en danger et qui sont directement touchées par les mesures.

[Français]

    Un avocat indiquait également que

[Traduction]

    Sur le plan constitutionnel, c'est trop large, car il n'y a pas de définition de la publicité, de l'espace public, de l'entreprise commerciale

[Français]

    Pouvez-vous commenter ces deux affirmations, qui ont été faites par des témoins que nous avons entendus devant ce comité?

[Traduction]

    D'accord. Merci beaucoup. Je pense que c'est une excellente question.
    Comme je l'ai dit, dans l'affaire Bedford, l'une des raisons pour lesquelles la Cour suprême en est venue à conclure que l'ancien régime législatif était inconstitutionnel et totalement disproportionné, c'est l'objectif lié à la nuisance publique par rapport aux effets. Ce que nous remarquons dans le préambule du projet de loi, c'est qu'on monte le volume, on met plus fortement l'accent sur l'objectif et on lui donne plus d'importance de sorte que le gouvernement pourra dire que les effets ne sont pas disproportionnés au point de ne pas pouvoir être appuyés d'un point de vue rationnel.
    Je dirais donc qu'on peut toujours soutenir que même si le gouvernement change l'objectif législatif énoncé dans le préambule, les mêmes effets qui ont amené la Cour suprême à invalider les anciennes dispositions prévalent toujours. Je dirais que l'analyse de la disproportion totale posera maintenant un peu problème pour ceux qui essaient d'invalider les mesures, mais on peut maintenant affirmer quelque chose d'important au sujet du caractère arbitraire — lorsqu'on mesure l'objectif à la façon dont les mesures législatives seront appliquées concrètement, cela semble arbitraire.
    Ma deuxième question s'adresse à MM. Stamatakis et McConaghy.
    J'aimerais seulement savoir, puisque mes collègues vous ont posé des questions sur les outils dont vous avez besoin pour faire votre travail sur le terrain... Je me demandais seulement si vous pourriez me parler un peu de ce que le projet de loi C-36 apporterait à votre milieu et ce que cela changerait pour vous, car je sais que M. McConaghy représente un autre organisme que la police.
    Qu'est-ce que cela changera pour vous? De quel nouvel outil avez-vous besoin pour faire votre travail? Si je lis le Code criminel, je vois bien qu'on y traite déjà de la prostitution, du trafic et de l'exploitation.
    M. Stamaskis, et M. McConaghy par la suite...
    À la base, de mon point de vue, le projet de loi C-36 permet aux policiers d'intervenir lorsqu'il y a un problème dans la collectivité, lorsque nous repérons un problème dans une partie de la collectivité que nous servons, ou une situation dans laquelle des femmes sont exploitées. On nous fournit les outils nous permettant d'intervenir pour savoir dans quelle situation se trouve la femme et s'il y a quelque chose que nous pouvons faire pour l'aider et déterminer si nous pouvons la diriger vers certains services.
    Vous ne pouviez pas le faire auparavant?
    Pour les policiers, c'est vraiment en première ligne...
    Pardon?
    Les dispositions actuelles ne vous permettaient pas de le faire?
    Je pense que nous aurions pu le faire auparavant. Le problème, par contre, c'est qu'en raison de la décision Bedford, les dispositions sur lesquelles les policiers sur le terrain se fondaient généralement ont été invalidées, et donc...
    Oui, mais c'était seulement il y a un an. Les dispositions sur l'exploitation et le trafic n'ont pas été invalidées.

  (1705)  

    C'est vrai, mais lorsque nous parlions des femmes les plus marginalisées ou vulnérables, nous utilisions ces dispositions avant d'intervenir et d'essayer de changer la situation. La question qui se pose est la suivante: que faisons-nous maintenant, compte tenu de l'arrêt Bedford. Je pense que le projet de loi C-36 nous donne maintenant certains des outils que nous pouvons continuer à utiliser.
    Mais des outils de quel genre...? Voilà ce que je veux savoir.
    Donc à la fois quel genre d'outils et quel article du projet de loi ou quelle définition... ou que sais-je encore?
    Aimeriez-vous que M. McConaghy réponde?
    Eh bien, il s'agirait des dispositions relatives à l'article 213, où l'aspect de la communication nous donne la possibilité d'intervenir; les dispositions concernant une personne qui se livre à des activités liées au commerce du sexe en face d'une école, dans un parc et partout où cela crée d'autres problèmes; les dispositions visant à éviter que les jeunes soient attirés à participer au commerce du sexe. Voilà les outils que le projet de loi C-36 fournit et que, à mon avis, la police peut utiliser pour protéger les personnes vulnérables dans notre collectivité.
    Je suis désolé, monsieur McConaghy, il ne reste plus de temps. Peut-être que quelqu'un d'autre répondra à cela pour vous.
    Merci de cette question et de cette réponse. Nous passons maintenant au Parti conservateur.
    Madame Smith, la parole est à vous.
    Merci. J'aimerais remercier tous les membres du comité d'être ici aujourd'hui de même que tous nos invités d'aujourd'hui de vos commentaires.
    Monsieur McConaghy, c'est bon de vous voir. Vous avez accompli d'excellentes choses avec Ratanak dans le dossier de Willie Pickton. C'est un grand honneur de vous avoir parmi nous.
    Quand vous entendrez aujourd'hui... J'ai une question, et je vais essayer de la formuler. L'affaire Bedford nous a donné une année pour répondre. Nous ne renvoyons pas le dossier à la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a dit que le Parlement devait revenir avec une décision d'ici le 19 décembre. C'est dans ce contexte que le projet de loi C-36 a été élaboré, et quand nous demandons... Nous avons entendu beaucoup de témoignages de survivants, qui ont courageusement raconté ce qui leur était arrivé derrière des portes closes. Elles nous ont dit que le projet de loi C-36 était très important. Pourquoi? Parce que l'achat de services sexuels allait être ciblé, et que cela allait leur permettre de se défendre.
    Il s'agit d'un projet de loi empreint de compassion. Pour la première fois dans l'histoire du Canada, le pays présente un projet de loi empreint de compassion, qui se penche sur ce qui arrive aux victimes de la traite de personnes et de la prostitution, et qui sont en fait indissociables, parce que souvent... Au cours de notre étude, certains témoins nous ont dit que personne sous l'âge de 18 ans n'avait été la victime de la traite de personnes ou de la prostitution. En fait, quand nous avons entendu les témoignages de survivantes, elles ont toutes dit avoir commencé avant l'âge de 18 ans, après quoi les choses ont progressé.
    Quand nous regardons l'ensemble de ce dossier, de toute évidence, il est urgent pour le Canada et urgent pour tous les parlementaires de comprendre ce qui se passe et de se mettre au travail au lieu de traîner les pieds et de permettre au problème de se perpétuer. Cela dit, nous avons parlé de beaucoup de lois. Eh bien, nous avons adopté des lois et des peines minimales obligatoires en matière de traite de personnes en juin 2010. Nous sommes maintenant en juillet 2014. Il y a quatre ans de cela. Une autre loi en matière de traite de personnes a été adoptée en 2012, et bien sûr il y a eu celle qui a été adoptée en 2005. Par conséquent, les lois sur la traite de personnes sont très récentes. Qu'est-ce que nous avons? Nous avons un service de police qui fait un travail remarquable sur le plan de la traite de personnes. Si vous faites une recherche sur Internet à ce sujet, vous le verrez bien. Nous avons fait un excellent travail au Canada pour mettre en lumière ce qui arrive. C'est notre gouvernement qui a fait cela; il a permis de voir ce qui se passait derrière des portes closes. Maintenant les survivantes peuvent faire entendre leur voix.
    Brian, vous avez beaucoup d'expérience dans ce domaine. Vous savez de quoi vous parlez. J'aimerais aborder la question de la formation des policiers. Pendant notre étude, nous avons entendu dire que, parfois les policiers considèrent que les victimes devraient être arrêtées, et parfois les policiers considèrent qu'elles ne devraient pas l'être. Tous ces policiers sont bien intentionnés parce qu'ils veulent tous prendre soin des victimes. Toutefois, j'ai aussi entendu d'autres victimes dire que, quand elles sont arrêtées, les policiers marchandent avec elles et leur disent: « Donnez-moi les biens, et alors je vous protégerai. » Si elles ne le font pas, les policiers ne les protègent pas. Voilà ce qui arrive, d'après les victimes.
    Mon fils est un policier. J'aime beaucoup les policiers et je serais prête à tout pour les défendre. Toutefois, je trouve cela très troublant.
    L'autre chose, c'est que les policiers disent: « Vous savez, si nous n'avons pas certaines lois, à un moment donné, nous manquerons d'outils. » Je trouve cela troublant.
    Pourriez-vous nous parler un peu de la formation des policiers et aussi des réalités dans la rue? Nous devons faire avancer les choses.

  (1710)  

    Je suis d'accord avec vous pour dire que les forces de l'ordre du Canada ont fait d'énormes progrès au cours des 10 dernières années sur le plan de ces dossiers très complexes. Je dirais aussi qu'une évolution culturelle est en train de se produire sur le plan de la façon dont les policiers perçoivent les prostituées. Toutefois, je ne crois pas du tout que les bons principes dont certains policiers ont déjà parlé au comité sont appliqués uniformément.
    Nous parlons d'une culture qui remonte à bien longtemps, où ce sont les prostituées qui étaient considérées comme étant les criminelles. Ce n'est pas du jour au lendemain que tous les intervenants évolueront et comprendront qu'il s'agit en fait de victimes. À mon avis, une jeune femme de 29 ans qui se tient au coin de la rue est une victime au même titre que l'est une jeune fille de 9 ans, et nous devons commencer à corriger notre façon de voir les choses. Je crois que nous avons réussi à accomplir énormément de choses. Toutefois, dans l'objectif d'accepter ces femmes en tant que victimes, j'aimerais que cette évolution culturelle soit intégrée à la formation des policiers, pour qu'elle devienne une évolution universelle et nationale. Certains témoins ont déjà parlé de l'évolution culturelle qui est survenue en Suède. J'aimerais bien voir la même chose se produire au sein des services policiers.
    En ce qui concerne les outils — ce qui nous ramène peut-être à la question de Mme Péclet —, à mon avis, il est intéressant de se rendre compte que le plus puissant outil que possèdent les policiers est intangible, c'est de tisser des relations non antagonistes. C'est d'avoir des policiers qui réussissent à gagner la confiance des prostituées et qui ne sont pas considérés comme étant l'ennemi. À mon avis, c'est là le hic. Même si je comprends tout à fait que les policiers considèrent qu'ils ont besoin d'outils, il y a quelque chose qui cloche ici parce que, à mon avis, le meilleur outil que possèdent les policiers pour venir en aide aux prostituées c'est d'établir des liens de confiance avec elles. L'article 213 qui est proposé est problématique parce qu'il réintroduit la notion de relations antagonistes, alors que, au contraire, le reste du projet de loi semble indiquer que les femmes n'entretiennent plus une relation antagoniste avec les policiers et qu'elles peuvent donc tisser des relations de confiance avec eux qui leur seront très utiles.
    Par conséquent, un des éléments que j'aimerais voir inscrit dans toute cette démarche serait le fait de tisser des relations fondamentalement non antagonistes avec les prostituées.
    Il vous reste une minute.
    Seulement une minute, Brian, alors je vais devoir parler rapidement. Je suis désolée.
    À maintes et maintes reprises, nous avons entendu dire que le paradigme évolue au pays et que soudainement, au lieu d'être la profession la plus ancienne du pays, la prostitution, et donc le trafic de personnes, est devenue la plus ancienne oppression. Nous devons donc mettre en place des stratégies de sortie pour les victimes.
    Vous avez beaucoup d'expérience avec des victimes de la traite de personnes et les stratégies de sortie qui doivent être mises en place. Pourriez-vous nous parler un peu de ces stratégies?
    Bien sûr.
    Les stratégies de sortie sont d'une importance vitale et elles coûtent très cher. Si nous comparons les modèles qui sont en place en Suède et en Norvège, selon moi, celui de la Norvège est aux prises avec plus de problèmes parce que, selon ce qu'on m'a dit, moins d'accent a été mis sur les stratégies de sortie et moins de fonds y ont été affectés. D'après moi, si nous allons dire aux prostituées que nous voulons qu'elles quittent le métier, il est absolument essentiel pour nous de pouvoir leur offrir d'autres options pour qu'elles puissent mener une vie où il y a beaucoup moins de violence et beaucoup plus d'avantages. Nous devons mettre en place les outils nécessaires pour les aider à effectuer cette transition. Par définition, des programmes de ce genre vont coûter cher et il s'agira d'efforts à long terme.
    Pour certaines des jeunes femmes avec qui nous travaillons au Cambodge, il faut parfois 10 ans pour essayer de régler d'abord les problèmes de santé puis les problèmes psychologiques et enfin pour essayer de les aider à se réinsérer dans la société. En tant que pays, en tant que société et en tant que gouvernement, nous devons comprendre que ce ne sera ni facile ni rapide.
    D'accord. Merci beaucoup.
    Merci pour vos questions et vos réponses.
    Le prochain intervenant, du Nouveau Parti démocratique, est M. Jacob.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de leur participation à nos travaux, cet après-midi.
    Ma première question s'adresse à M. McConaghy. Il n'y a pas de répit pour lui.
    Vous avez dit dans votre présentation initiale que les sorties étaient très importantes. Vous avez ajouté dernièrement qu'il fallait des budgets appropriés concernant la stratégie des sorties.
    De quoi aurions-nous besoin pour aider les femmes vulnérables sur le terrain afin d'éviter qu'elles retombent aux mains des proxénètes? Croyez-vous que le gouvernement est sérieux pour ce qui est d'enrayer les causes de la prostitution?
    Si elles le veulent, j'invite toutes les personnes à répondre à la question à la suite M. McConaghy.

  (1715)  

[Traduction]

    Oui. Du point de vue budgétaire, je ne pourrais pas vous dire combien d'argent devrait être investi, mais j'ai entendu beaucoup de gens déjà saluer le montant de 20 millions de dollars — surtout comparativement à ce que dépensent les États-Unis et compte tenu du nombre d'Américains — et dire qu'il s'agit d'un montant d'argent considérable qui aura un impact significatif. Toutefois, j'ai entendu d'autres dire qu'il s'agit d'une goutte dans l'océan. Je dirais que, d'une certaine manière, les deux positions sont vraies. Nous ne savons pas combien d'argent sera nécessaire. Faudrait-il affecter plus d'argent et plus de ressources budgétaires? Absolument.

[Français]

    On parle de ce montant prévu pour une période de cinq ans.

[Traduction]

    En ce moment, je crois qu'il est important de ne pas critiquer un élément qui constitue une importante partie de ce processus. Quoi qu'il en soit, j'espère que plus d'argent sera alloué après que ces programmes auront été mis en train et que plus d'argent y sera consacré que le montant initial de 20 millions de dollars. Je pense que plus de ressources seraient nécessaires.

[Français]

    Monsieur Kirkup, voulez-vous répondre à ma question?

[Traduction]

    Je serais ravi d'y répondre.
    Quand nous parlons des réalités sociales qui sont sous-jacentes au travail du sexe, selon moi, nous devrions aussi en fait discuter plus en détail et de façon plus générale d'une stratégie du logement et des inégalités sur les plans social et économique et aussi voir ce que nous pourrions changer dans l'objectif de créer une société plus équitable. Je ne sais pas si le fait d'affecter 20 millions de dollars dans le cadre d'un projet de loi en matière de droit pénal influera le moindrement sur ces problèmes. En fait, selon moi, nous devrions parler de façon plus générale des inégalités sur le plan social.

[Français]

    Merci, monsieur Kirkup.
    D'autres personnes voudraient-elles intervenir à ce sujet?
    Madame Ka Hon Chu, vous avez la parole.

[Traduction]

    J'aimerais simplement souligner le fait qu'il serait très important d'éviter que l'aide financière bénéficie seulement aux personnes qui choisissent de quitter l'industrie. Comme je l'ai souligné dans mon exposé, tous les travailleurs du sexe devraient bénéficier des mêmes droits de la personne, qu'ils se déclarent comme étant des victimes ou non. Je crois que le montant de 20 millions de dollars est un début, mais pour réellement changer les choses, cet argent devra être investi de façon à bénéficier à tous les travailleurs du sexe et à l'ensemble des programmes sociaux.
    Monsieur Jacob, Mme Allison aimerait dire quelque chose.
    Pardonnez-moi, j'aimerais seulement dire une chose.

[Français]

    D'accord. Allez-y.

[Traduction]

    Évidemment, 20 millions de dollars est un début. J'imagine que, après l'adoption de ce projet de loi, mes clients demanderont que plus d'argent soit investi, comme ils l'ont fait tout au long du processus. Je m'attends donc à ce que plus d'argent soit réclamé pour les programmes sociaux et des salaires, comme cela a été fait aujourd'hui.
    Merci.

[Français]

    Merci, madame Allison.
    Ma deuxième question s'adresse à vous, monsieur Kirkup.
    Vous avez parlé du modèle de la Nouvelle-Zélande, qui était davantage efficace, et vous m'en expliquerez la raison plus tard. Vous avez dit qu'avec ce modèle en particulier, on s'assure davantage de voir aux droits de la personne, à la sécurité et à la dignité.
    À mon avis, la pauvreté est l'un des principaux facteurs qui mènent à la prostitution. Si le modèle suédois est efficace, c'est parce qu'il est assorti de différentes mesures d'aide sociale et de lutte contre la pauvreté. Toutefois, avec les conservateurs au pouvoir, les mesures de cette sorte tendent à disparaître.
    Croyez-vous qu'il sera possible de réduire la prostitution tout en réduisant l'intervention de l'État dans la société?

[Traduction]

    Premièrement, je dirais qu'une des choses qui différencie le travail du sexe de tant d'autres formes de travail, c'est que les travailleurs du sexe ne bénéficient ni de droits ni de normes en matière de travail et qu'ils ne peuvent pas tenter d'obtenir un recours quand ils travaillent dans des conditions difficiles. Selon moi, il s'agit d'une distinction très importante à établir.
    Par conséquent, selon moi, ce qu'il serait utile de retenir du modèle de la Nouvelle-Zélande et des données empiriques, c'est que la mise en place de protections en matière de travail est une excellente façon de résoudre le déséquilibre des pouvoirs qui existe souvent entre les acheteurs et les vendeurs de services sexuels. Je ne sais pas si le modèle suédois, qui continue de criminaliser, va vraiment améliorer les réalités quotidiennes des travailleurs du sexe.

  (1720)  

[Français]

    Certains témoins voudraient-ils intervenir au sujet de la question que j'ai posée?

[Traduction]

    Je peux répondre à la question qui concerne le modèle néo-zélandais.
    Lorsqu'il s'est penché sur la réussite du régime, le comité d'examen de la loi sur la prostitution de la Nouvelle-Zélande a reconnu que les conditions de travail abusives existaient depuis longtemps dans l'industrie et que la décriminalisation n'avait pas changé grand-chose aux conditions de travail des femmes qui se livraient à la prostitution. Néanmoins, le comité a décidé de ne pas intervenir, préférant laisser aux femmes le soin de négocier cet aspect directement avec le bordel.
    Le comité a décidé de ne pas recommander que des droits en matière d'emploi soient accordés aux femmes qui se livrent à la prostitution. Il a aussi reconnu que la plupart de ces femmes sont des entrepreneures indépendantes. Dans le cadre de ce régime, si je comprends bien — il s'agit évidemment de quelque chose qui dépasse notre compétence —, il y a une autorité en matière de relations de travail qui est à peu près l'équivalent des normes d'emploi auxquelles s'ajoute un tribunal industriel.
    En fait, le seul service qu'offrent ces instances est la possibilité de régler des différends. Comme il s'agit d'un processus volontaire, une femme qui se livre à la prostitution doit s'adresser à l'autorité en question et la convaincre qu'elle est une employée. Ensuite, elle obtient des prestations. Autrement, elle est considérée comme une entrepreneure indépendante et elle n'a aucun droit.
    Madame Ka Hon Chu, vous vouliez aussi répondre à cette question.
    Oui.
    Le même comité de révision de la loi sur la prostitution a aussi jugé que la loi prévoyant la décriminalisation du travail du sexe en Nouvelle-Zélande avait eu des effets évidents en matière de protection des droits des travailleuses du sexe. La loi contient une disposition qui dit explicitement que les travailleuses du sexe ne sont pas tenues d'accepter un client. Ainsi, leur travail est libre de contraintes.
    En Nouvelle-Zélande, il y a trois mois, un tribunal des droits de la personne a même rendu une décision qui accordait à une travailleuse du sexe des dommages-intérêts pour harcèlement sexuel par un propriétaire de bordel. Cela n'aurait pas été possible si l'industrie était demeurée criminalisée.
    Il existe donc des exemples. Si vous écoutez le Regroupement des prostituées de la Nouvelle-Zélande, le plus grand organisme national qui représente des travailleurs du sexe dans ce pays, vous vous rendrez compte que la réforme de la loi sur la prostitution a eu des effets tangibles sur ses membres. C'est une mesure qui protège leurs droits en matière d'emploi.
    D'accord.
    Merci pour ces questions et pour les réponses qui ont été fournies.
    La dernière intervenante de ce groupe dans le cadre de l'étude du projet de loi C-36 est Mme Ambler, du Parti conservateur. 
    Merci, monsieur le président, et merci à vous tous d'être présents aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants de votre témoignage.
    Ma question s'adresse à M. McConaghy. Aujourd'hui, on a beaucoup parlé de la notion de consentement. Dans le contexte où on veut aider les femmes qui se livrent à la prostitution à quitter la profession, je me demande ce que vous dites à ceux qui affirment que la femme — puisqu'il s'agit surtout de femmes — doit être prête à quitter le milieu.
    Si elles n'ont guère d'autre choix, croyez-vous qu'elles sont en mesure ou capables de choisir librement de quitter cette vie? Si elles le peuvent, comment pouvons-nous les aider? Comment les policiers, en particulier, peuvent-ils les aider?
    Si cela vous convient, je vais poser toutes mes questions puis je vous laisserai répondre sans intervenir.
    Enfin, selon les parents des jeunes Canadiennes qui risquent d'être attirées dans la prostitution, quels pouvoirs devraient être accordés aux policiers d'après vous?
    Pour répondre à la première question, je pense que la capacité de choisir de quitter la profession est souvent mise en doute. Nous avons vu des femmes sous l'emprise de souteneurs ou de drogues accepter des blessures corporelles dans des circonstances épouvantables. Il est assez naïf de supposer que, tout à coup, elles ont assez de lucidité et de jugement pour se soustraire à ce contexte.
    Cela m'amène tout droit au problème. Pardonnez-moi si je semble quelque peu schizophrène, mais c'est dans ce contexte que les dispositions de l'article 213 donnent aux policiers la capacité de tirer une fille ou une jeune femme d'une situation où elle est agressée pour lui donner le temps de bien réfléchir. J'accepte cela sans réserve et, à de nombreux égards, c'est nécessaire.
    De nombreux problèmes découlent de l'utilisation du Code criminel pour procéder de la sorte parce que la victime est criminalisée, mais, souvent, je pense qu'elles ne sont pas vraiment capables d'accepter de partir. Elles ne sont pas préparées mentalement pour être en mesure de quitter cette vie.
    Pour ce qui est des mineurs, c'est facile. Dans leur cas, on peut simplement se rendre sur les lieux et les secourir. Nous avons été confrontés à des situations où des mineurs pouvaient être emmenés très facilement sachant que la notion de consentement ne posait pas de problème. Cependant, aussitôt qu'une jeune femme passe le cap des 18 ans, on s'attend à ce qu'elle puisse prendre ses propres décisions et les choses deviennent très problématiques parce qu'elle ne fait confiance à personne et qu'elle refuse souvent de collaborer avec qui que ce soit.
    C'est vraiment problématique et je ne sais pas comment lutter contre cela. C'est un problème énorme dans le contexte du projet de loi C-36. Comment pouvons-nous aider des gens et leur donner les outils nécessaires pour prendre des décisions librement afin de quitter le milieu sans leur imposer des restrictions légales ou les criminaliser d'une manière qui va à l'encontre du but recherché? Je n'ai pas de réponse. Peut-être que c'est au comité et au Parlement de démêler tout cela, mais c'est très compliqué.
    Quant aux parents et aux outils dont ils disposent, honnêtement, mon expertise ne s'étend pas à cela et je ne peux pas me prononcer. Il est toutefois évident qu'il faut sensibiliser les gens davantage. Nous avons déjà entendu certains témoins dire au comité...

  (1725)  

    Excusez-moi, ma question concernait les outils dont devraient disposer les policiers d'après les parents de jeunes Canadiennes, parce que nous avons appris que des jeunes filles de 12 ans sont maintenant recrutées dans les centres commerciaux et à l'école par des jeunes plus vieux qu'elles et d'autres choses du genre.
    Oui, je pense que les parents s'attendent à ce que les policiers soient en mesure d'intervenir pour empêcher leur fille de se faire happer dans un monde dont elles ne pourront plus sortir. Je pense que c'est exactement ce qu'ont dit les policiers qui sont en faveur des dispositions contenues dans l'article 213. Quand il s'agit de mineurs, c'est beaucoup plus facile d'intervenir. Par contre, dans le cas des adultes, c'est problématique.
    Du point de vue des parents, je sais exactement comment je me sentirais. Je voudrais donner tous les pouvoirs aux policiers pour qu'ils puissent sauver ma fille de ce genre de situation.
    Moi aussi. Merci.
    Monsieur Stamatakis, avez-vous quelque chose à répondre aux questions que j'ai posées à M. McConaghy?
    Je suis d'accord. Les parents canadiens s'attendent à ce que les policiers — pour reprendre l'expression de M. McConaghy — sauvent leurs enfants lorsqu'ils se font recruter et exploiter par des gens souvent plus vieux et imposants qui veulent profiter d'eux. C'est à cela qu'ils s'attendent.
    Je tiens aussi à faire écho à certaines observations sur la nécessité de sensibiliser davantage les gens, y compris les policiers, pour mettre l'accent sur le fait que les travailleurs de l'industrie du sexe sont des victimes et que les interventions doivent être ciblées de façon à les aider et non à les criminaliser. Je pense que les services de police ont changé. Notre culture a changé elle aussi et nous comprenons toute l'ampleur de la question, mais quand même... C'est seulement que j'ai vu un trop grand nombre de cas où un simple contact avec un policier dans la rue a suffi pour qu'une travailleuse du sexe se fasse tabasser.
    Les outils sont donc importants et je pense que l'idée, c'est d'empêcher que les personnes ne soient encore plus victimisées qu'elles ne le sont déjà. Je suis un policier de première ligne et j'abonde dans le même sens que M. McConaghy. Des femmes vont consentir à des choses épouvantables pour très peu d'argent. Souvent, c'est parce qu'elles sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou qu'elles sont horriblement exploitées par un souteneur ou par quelqu'un qui prétend être un petit ami, un conjoint ou quoi que ce soit. Nous devons trouver le moyen d'intervenir dans ces situations.
    Merci beaucoup. Je vous remercie aussi tous pour le travail que vous faites. Merci.
    Merci, madame Ambler.
    Voici qui met fin aux travaux de ce groupe. Je tiens à remercier tous les membres du comité de leur présence aujourd'hui.
    Au nom du comité, je remercie J.-F., notre greffier, du travail remarquable qu'il a accompli en formant de très bons groupes, ce qui a permis, je pense, de répondre aux besoins de tous les membres du comité. Merci à tous du travail que vous avez réalisé.
    Nous allons maintenant lever la séance.
    Nous reprendrons nos travaux mercredi matin à 9 h 30 pour procéder à l'étude article par article du projet de loi. Je tiens à rappeler aux membres du comité qui veulent proposer des amendements que le plus tôt sera le mieux, mais qu'ils doivent les soumettre d'ici samedi à 17 heures si c'est possible.
    Monsieur Dechert.

  (1730)  

    Si je peux me permettre, j'aimerais proposer une motion et j'espère qu'elle sera adoptée à l'unanimité.
    Je tiens à remercier sincèrement le greffier, les analystes et tout le personnel du comité, bref, tous ceux qui sont présents dans cette salle. Je tiens aussi à remercier ceux qu'on ne voit pas, c'est-à-dire nos interprètes et tous ceux qui ont participé à ce dur labeur en réunissant tous ces gens cette semaine, de façon très professionnelle et en veillant à ce que tout soit parfait du point de vue technique.
    Je tiens à remercier tous ces gens du fond du coeur, de même que tous nos témoins. J'espère que tous les membres du comité appuieront la motion à l'unanimité.
    La motion est-elle adoptée?
    Madame Boivin.
    Quelle motion?
    Madame Boivin, il remerciait le président de son excellent travail.
    Des voix: Oh, oh!
    Je pensais qu'il demandait le consentement unanime pour que le projet de loi soit adopté, alors vous savez comment...
    Non, non. La motion vise à remercier le greffier, ainsi que les recherchistes et tous ceux qui ont contribué à organiser cette réunion pour nous au milieu de l'été.
    Y a-t-il des observations? Que tous ceux qui sont en faveur de la motion veuillent bien se prononcer.
    (La motion est adoptée.)
    Le président: Merci beaucoup.
    La séance est levée. Les travaux reprendront mardi prochain.
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