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ERRE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité spécial sur la réforme électorale


NUMÉRO 018 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 30 août 2016

[Enregistrement électronique]

  (0930)  

[Traduction]

    Bonjour, chers collègues. Je tiens aussi à souhaiter la bienvenue aux témoins d'aujourd'hui.
    Nous accueillons trois témoins: le professeur Eric Maskin, Peter John Loewen et Jean-Sébastien Dufresne.

[Français]

     Si vous me le permettez, je vais prendre quelques secondes pour vous faire part de leurs notes biographiques. Je vais commencer par celles de M. Dufresne.
    Jean-Sébastien Dufresne est président du Mouvement Démocratie Nouvelle, un organisme non partisan qui oeuvre à promouvoir l'adoption de la représentation proportionnelle au Québec en réalisant des campagnes d'éducation populaire.
    Monsieur Dufresne détient une MBA en développement économique des collectivités et a récemment été nommé l'un des 30 individus les plus performants parmi les moins de 30 ans par le Journal de Montréal en raison de son impact sur le monde des affaires.
    Bienvenue, monsieur Dufresne.

[Traduction]

    Le professeur Eric Maskin est économiste et professeur à l'Université Harvard. En 2007, il a reçu le Prix de la Banque de la Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel pour avoir jeté les bases nécessaires à une théorie des mécanismes d'incitation. Il a aussi contribué de façon considérable à la théorie des jeux, à la théorie des contrats, à la théorie des choix sociaux et à l'économie politique ainsi qu'à d'autres domaines de l'économie.
    En tant qu'ancien étudiant en économie, je connais certaines de ces notions. Nous avons hâte d'en apprendre un peu plus durant votre témoignage.
    M. Maskin est un ancien boursier postdoctoral à l'Université Cambridge et il a déjà été membre du corps professoral du MIT et de l'Institute for Advanced Study à Princeton, au New Jersey.
    Bienvenue, et merci d'être venu nous rencontrer à Ottawa.
    M. John Loewen est professeur agrégé en sciences politiques à l'Université de Toronto. Il a rédigé son mémoire sur le comportement politique à l'Université de Montréal. Il a récemment coécrit un livre intitulé The Behavioural Foundations of Partisanship, Participation, and Political Preferences in the Anglo-American Democracies. Il reçoit fréquemment des bourses et des récompenses du Conseil de recherches en sciences humaines dans le cadre de ses travaux sur le comportement politique.
    Parmi ses affiliations professionnelles, mentionnons le fait qu'il est membre associé du Centre pour l'étude de la citoyenneté démocratique de l'Université McGill et du Centre for Public Opinion and Political Representation de l'Université Simon Fraser, rédacteur adjoint de la Revue canadienne de science politique et membre du groupe Experiments in Governance and Politics, aussi appelé EGAP.
    Voici rapidement, de quelle façon nous allons procéder: chaque témoin aura 10 minutes pour présenter une déclaration, puis, il y aura deux séries de questions. Durant chacune des séries, chaque membre aura cinq minutes pour s'adresser aux témoins. Ces cinq minutes incluent le temps pour poser les questions et y répondre.
    Si, pour une raison ou une autre, une question est posée alors que quatre minutes et demie sont écoulées et qu'il ne reste pas assez de temps pour répondre — situation qui se produit assez souvent — cela ne signifie pas que vous ne pourrez pas répondre plus tard lorsque vous aurez à nouveau la parole. Nous sommes très flexibles à ce propos. Si vous voulez aller au bout de votre pensée tandis que vous répondez à une question à un autre moment, n'hésitez pas à le faire.

[Français]

    Nous allons commencer par M. Dufresne.
     Vous avez la parole et vous disposez de dix minutes.

  (0935)  

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je voudrais d'abord remercier le Comité de m'avoir invité et de me donner aujourd'hui l'occasion de m'adresser à vous. Je veux aussi préciser que nous allons présenter un mémoire qui va vous être remis d'ici le 7 octobre prochain. Je vais m'y référer à plusieurs reprises. Vous pourrez aussi y trouver des sources d'information complémentaire.
    Ma présentation d'aujourd'hui va porter sur quatre points. Je vais d'abord vous présenter brièvement ce qu'est le Mouvement Démocratie Nouvelle. Je vais ensuite parler de l'état de la mobilisation de la société civile au Québec et vous faire part de constats que nous pouvons faire quant à de multiples...
    Excusez-moi, monsieur Dufresne, mais pourriez-vous parler un peu plus lentement? Les interprètes ont de la difficulté à vous suivre.
    Je vous remercie.
     D'accord. Merci. Nous les respectons beaucoup, car ils ont effectivement un très gros travail à faire.
    Je soulèverai les quatre points sur lesquels va porter ma présentation d'aujourd'hui. Je vais d'abord vous présenter brièvement le Mouvement Démocratie Nouvelle. Je vais aussi vous parler de l'état de la mobilisation de la société civile au Québec. Je vous ferai part par la suite de quelques constats que nous faisons au sujet des multiples consultations publiques qui se sont tenues au Québec. Finalement, je vous ferai part de notre vision du processus qui pourrait parvenir à une réforme électorale au palier fédéral.
    Tout d'abord, le Mouvement Démocratie Nouvelle, ou MDN, est une organisation citoyenne non partisane, ou plutôt « transpartisane », puisqu'elle rejoint des citoyens et des citoyennes de différents horizons politiques. Elle rejoint aussi des gens de différents domaines d'activité, notamment ceux de l'éducation, des syndicats et des entreprises. Ce sont tous des bénévoles qui s'impliquent dans la cause de la réforme électorale. J'en suis moi-même un.
    Dans la vie de tous les jours, je suis entrepreneur de même que président d'une agence de représentation d'éditeurs sur la scène internationale. Je ne suis donc pas un spécialiste des modes électoraux, ni un universitaire ou un professeur. Je suis toutefois un citoyen qui s'implique dans la cause de la réforme électorale au même titre que mes autres collègues.
    Le MDN a été créé en 1999 à la suite d'un renversement de la volonté populaire survenu au Québec en 1998, soit lorsque le Parti québécois a formé le gouvernement alors que le Parti libéral est arrivé premier en ce qui a trait aux intentions de vote. Notre organisation a alors regroupé plusieurs acteurs de la société civile et a participé à plusieurs consultations publiques au Québec. En 2003, il y a eu notamment les états généraux sur la réforme des institutions démocratiques, auxquels ont participé 1 000 citoyens de toutes les régions du Québec.
    En 2006, une commission parlementaire a été chargée d'étudier un avant-projet de loi libéral qui portait sur un système proportionnel mixte compensatoire. Il y a eu plus de 2 000 interventions, et 86 % de ces gens ont rejeté le statu quo et ont demandé une réforme électorale.
    En 2007, il y a eu, entre autres, un rapport du directeur général des élections du Québec sur le système proportionnel mixte compensatoire. Près de 20 000 personnes ont alors signé une pétition, qui a été déposée à l'Assemblée nationale du Québec. À toutes ces étapes, le MDN a mobilisé des acteurs sociaux pour participer à un processus délibératif. En quelque sorte, le MDN est un catalyseur des forces vives de la société civile, qu'il s'agisse des organisations du milieu syndical, des jeunes, des femmes, des étudiants ou des gens du milieu communautaire. Les principaux acteurs de la société civile ont été interpellés dans le cadre de ces travaux.
    On parle d'organisations qui représentent près de deux  millions de Québécoises et de Québécois, soit le tiers des électeurs au Québec. On parle vraiment d'un processus délibératif. Ces organisations ont adopté des positions au sein de leurs instances et ont engagé un dialogue avec leurs membres sur cette question. Cela s'est fait au cours de plusieurs décennies au Québec. Ce n'est donc pas un enjeu qui est nouveau.
    On peut dégager de grands constats de toutes ces consultations et travaux du MDN. Bien entendu, comme plusieurs témoins vous l'ont dit, le système doit être changé. Il y a un consensus clair à ce sujet. Il y a une préférence unanime pour un modèle à finalité proportionnelle. Ainsi, tout ce qui a trait au scrutin majoritaire à deux tours et au vote préférentiel a été évacué des avis qu'on a reçus de la part des principaux acteurs de la société civile. En fait, il s'agit de trouver une solution appropriée dans un contexte où les partis politiques — il faut bien le dire — reçoivent tous un appui minoritaire dans notre société. Un système à finalité proportionnelle nous apparaît donc le mieux indiqué.
    Nous avons même révisé les principes qui guident nos démarches. Ce printemps, nous avons mené une démarche impliquant les principaux acteurs de la société civile ainsi que l'ensemble des partis politiques provinciaux, y compris le Parti libéral du Québec. Plusieurs principes importants en sont ressortis.
    D'abord, il est ressorti que toute réforme devrait refléter le plus possible le vote populaire. On parle bien sûr d'une finalité proportionnelle.On a par la suite établi qu'il fallait assurer un lien significatif entre les électeurs et les électrices et les personnes élues. On a également soulevé l'importance de viser une représentation équitable des régions, ou du moins, de préserver leur poids politique. Cela semble être un élément très important. Par ailleurs, il faut favoriser la stabilité du gouvernement. Comme d'autres témoins vous l'ont dit, il existe à l'étranger des mesures pour encadrer les motions de censure afin d'éviter des renversements de gouvernement trop rapides dans des cas de modèles proportionnels.

  (0940)  

     De plus, il est ressorti qu'il faudrait offrir un système accessible quant à sa mise en pratique et à sa compréhension. Cela semble important pour les citoyens et les citoyennes. Contribuer à une meilleure représentation des femmes, des jeunes et des communautés ethnoculturelles est un élément qui est revenu massivement dans tous nos travaux.
    Le MDN participe aussi, à l'échelle fédérale, à l'Alliance pour que chaque électeur et électrice compte. Celle-ci regroupe des acteurs de partout au Canada. Ses principes rejoignent sensiblement ceux que je viens d'énoncer.
    Vous avez entendu plusieurs objections au cours des dernières semaines. Des personnes ont soulevé des préoccupations concernant le lien de confiance entre les citoyens et les élus, le risque de créer deux classes de députés dans les systèmes mixtes, les doubles candidatures, la prolifération des partis et l'obligation de rendre des comptes. Les personnes venues présenter leurs travaux se fient à des données probantes et à des études empiriques sur ce qui se fait au plan international. Or on voit clairement que ces préoccupations n'ont pas cours là où l'on expérimente depuis des années, voire des décennies, des systèmes à finalité proportionnelle.
    Il y a quelques semaines, une activité a eu lieu à Montréal. On y a invité des organisations du genre de la nôtre, mais provenant de divers pays, afin qu'elles partagent leur expérience en matière de réforme électorale. Les organisations qui provenaient d'un pays de tradition britannique étaient toutes en faveur d'un système à finalité proportionnelle. Nous n'avons trouvé aucune organisation qui militait en faveur du maintien d'un système majoritaire uninominal à un tour ou qui, dans d'autres pays, militaient en ce sens. Cela n'existe pas à l'échelle internationale.
    J'aimerais maintenant vous faire part de notre position sur le processus à suivre pour parvenir à une réforme électorale. Pour nous, il est très important que tout processus ait comme première considération la légitimité que cela peut représenter pour les citoyens et les citoyennes. Selon nous, il est important que la population puisse s'exprimer, mais il faut aussi lui permettre de le faire en faisant un choix avec confiance. Elle doit pouvoir s'exprimer en toute connaissance de cause. Nous croyons que la meilleure façon d'y arriver est de permettre à la population de voir comment fonctionne un système alternatif. L'idée est que les gens puissent prendre connaissance aussi bien des avantages que des inconvénients de toute solution proposée. Par la suite, après deux ou trois élections, il faudrait consulter la population, par voie référendaire ou autrement, pour vérifier si elle préfère maintenir le système proposé ou revenir au système précédent. Selon nous, cela permettrait aux citoyens et aux citoyennes de faire un choix en toute confiance.
    Comment en arriver aux propositions? Des commissions d'experts pourraient se pencher sur les divers modèles existants, et ce, afin de déterminer lesquels cadrent le mieux avec les principes que favorise la population. Il pourrait aussi y avoir un jury formé de citoyens. Ceux-ci pourraient donner leur avis sur les recommandations du comité de façon à permettre de les appliquer dès les élections suivantes.
    En conclusion, je crois que vous avez ici une occasion unique de réaliser un vrai projet de société, un projet qui peut marquer l'histoire du Canada et dont vont bénéficier les générations à venir. Vous avez le pouvoir sinon le devoir de faire en sorte que plus un seul Canadien ou Canadienne ne doute de la valeur de son vote. Selon nous, quand la démocratie l'emporte, peu importe quel parti forme le gouvernement, c'est l'ensemble des citoyens et des citoyennes qui en ressort gagnant.
    Je vous remercie.

  (0945)  

    Merci beaucoup, monsieur Dufresne.

[Traduction]

    Nous allons maintenant passer à M. Maskin, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup. Je tiens aussi à vous remercier de m'avoir invité ici ce matin.
    Pour commencer, je vais mentionner cinq problèmes importants liés au système uninominal majoritaire à un tour, le mode de scrutin actuellement utilisé dans le cadre des élections fédérales.
    Le premier problème, c'est que, souvent, un député qui représente une circonscription électorale a été élu par une minorité, en ce sens que la plupart des électeurs de sa circonscription n'ont pas voté pour lui.
    Deuxièmement, le système uninominal majoritaire à un tour provoque souvent une grave incohérence au sein du Parlement, et j'entends par là que le parti de la majorité a souvent reçu bien moins que la majorité des votes. Par exemple, en 2011, le Parti conservateur a obtenu 53,9 % des sièges, mais seulement 39,6 % des votes. Il y a de nombreux exemples de telles incohérences.
    Troisièmement, souvent, on élit le mauvais candidat dans une circonscription. Je vous expliquerai ce que j'entends exactement par là dans une minute.
    Quatrièmement, les électeurs sont en quelque sorte privés du droit de vote s'ils votent pour un candidat qui n'est pas populaire, un candidat qui est peu susceptible de remporter les élections. Si les candidats A et B sont les candidats qui ont une réelle chance de gagner et que je vote pour le candidat C, alors, en fait, je ne peux pas participer au choix qui importe vraiment et je perds mon vote. Je pourrais bien sûr voter de façon stratégique, c'est-à-dire voter pour les candidats A ou B, et ce, même si je préfère le candidat C, mais le vote stratégique en lui-même est problématique pour des raisons sur lesquelles je reviendrai peut-être durant la période de questions.
    Cinquièmement, ce système peut pousser les candidats et les partis peu populaires à ne pas se présenter. Par exemple, supposons que je suis un candidat de droite en désaccord avec le Parti conservateur sur certaines questions politiques importantes. Je peux hésiter à me présenter, parce que, si je me présente, je cours le risque de diviser le vote de la droite, aidant peut-être ainsi à élire un candidat de gauche. Pour cette raison, je peux décider délibérément de ne pas me présenter, même si cette décision non seulement me prive d'une candidature aux élections, mais prive aussi l'électorat d'une autre voix politique.
    Ce sont, selon moi, cinq graves problèmes associés au système uninominal majoritaire à un tour.
    Eh bien, il s'avère qu'il y a un mode de scrutin simple qui permet de régler ces cinq problèmes. En fait, il y a un seul mode de scrutin qui permet de les régler tous les cinq: la règle de la majorité.
    Selon la règle de la majorité, les électeurs ne votent pas simplement pour un candidat: ils peuvent classer les candidats. Le candidat A est le meilleur, le candidat B arrive deuxième, et ainsi de suite. Le candidat gagnant est celui qui est préféré par une majorité, selon les classements, par rapport à chacun de ses adversaires. Ce candidat est celui qui a vraiment remporté la majorité puisqu'il l'emporterait sur chacun de ses adversaires s'ils devaient s'affronter en tête à tête.
    J'ai préparé une diapositive pour illustrer cette situation. Imaginons que l'électorat se divise en trois groupes différents: 40 % de l'électorat préfère le candidat A, puis le candidat B, et ensuite le candidat C; 35 % de l'électorat préfèrent le candidat C, puis le B, et ensuite le A; et les autres 25 % préfèrent le B, puis le C, et ensuite le A. Ce n'est qu'un exemple qui ne correspond à aucune situation réelle.

  (0950)  

    Que se passe-t-il selon la règle de la majorité? Conformément à la règle de la majorité, le candidat B l'emporte à la majorité sur le candidat A parce que le groupe du milieu, celui des 35 %, préfère le candidat B au candidat A, et que le groupe à la droite, celui des 25 %, préfère le candidat B au candidat A. Le candidat obtient une majorité de 60 %.
    Le candidat B l'emporte aussi sur le candidat C à la majorité parce que le premier groupe, le groupe des 40 %, préfère le candidat B au candidat C, et le troisième groupe, le groupe des 25 %, préfère le candidat B au candidat C, ce qui donne 65 %. Par conséquent, le candidat B est celui qui l'emporte vraiment à la majorité.
    Examinons maintenant ce qui se passe dans le système uninominal majoritaire à un tour. Dans le cadre de ce système, les électeurs votent pour un seul candidat. On peut présumer que les gens dans le premier groupe voteront pour le candidat A, les gens dans le deuxième groupe, pour le candidat C, et les gens dans le troisième groupe, pour le candidat B. Le candidat A l'emportera parce 40 % est le pourcentage de votes le plus élevé. On élit ainsi le mauvais candidat. Le candidat A est élu dans le système uninominal majoritaire à un tour, mais une majorité d'électeurs, 60 %, lui préfère le candidat B. Et en fait, dans cet exemple, une majorité d'électeurs préfère aussi le candidat C au candidat A, alors le candidat A est un très mauvais choix du point de vue de la volonté de la majorité.
    La règle de la majorité règle les cinq problèmes que j'ai décrits parce que le gagnant représente une majorité d'électeurs
    L'un des problèmes au Canada, c'est la différence entre la proportion de sièges remportés par le parti majoritaire au Parlement et la proportion de votes obtenus. Cette différence disparaîtrait très probablement si on applique la règle de la majorité, parce que le parti majoritaire aurait ainsi remporté une majorité dans chaque circonscription remportée.
    De plus, les électeurs qui préfèrent un candidat moins populaire ne seront pas privés de leur droit de vote s'ils classent le candidat en question en premier, parce que, s'il y a deux autres candidats qui ont de réelles chances de l'emporter, ils peuvent avoir leur mot à dire dans la lutte entre ceux-ci en les classant un au-dessus de l'autre dans leur liste. Les électeurs sont ainsi vraiment encouragés à voter selon leurs convictions profondes.
    Enfin, un candidat de droite qui est en désaccord dans une certaine mesure avec le Parti conservateur, ou un candidat de gauche qui est en désaccord dans une certaine mesure avec le NPD, n'a pas à s'inquiéter de la division du vote à droite ou à gauche en s'affirmant parce que, pour prendre l'exemple des conservateurs, les électeurs de droite sont susceptibles de placer ce candidat et le candidat conservateur au-dessus du candidat de gauche. Il n'y a donc pas de division du vote.
    Pour ces cinq raisons, j'affirme que la règle de la majorité est un mode de scrutin de loin supérieur au système uninominal majoritaire à un tour. Je ne propose pas l'adoption d'un système proportionnel. Je serais heureux d'en discuter durant la période des questions, mais je n'en parlerai pas ici parce que, de toute évidence, il s'agirait d'un changement beaucoup plus radical vu le système électoral actuel.
    Merci beaucoup.

  (0955)  

    Merci, monsieur Maskin. Votre exposé était très intéressant.
    Allez-y, monsieur Loewen, s'il vous plaît.
    Faut-il changer le mode de scrutin au Canada? C'est la principale question que se pose actuellement le Comité. À mes yeux, le Comité a déterminé qu'une réforme est inévitable, ce qui est apparent vu la réticence de la plupart des partis à envisager de tenir un référendum sur tout système proposé, puisque les référendums sont difficiles à gagner. Ce l'est peut-être aussi à la lumière des témoignages présentés au Comité. En effet, même s'il y a eu des témoignages très variés et très informatifs fondés sur des données probantes, ce qui est rafraîchissant, peu ont défendu le maintien du statu quo.
    Aujourd'hui, j'espère formuler quatre observations, et mon objectif global en procédant ainsi est de donner à réfléchir aux membres du Comité et à leurs collègues. Il est à souhaiter que vous accorderez le même poids aux forces et faiblesses connues de notre système actuel qu'aux avantages et désavantages connus et inconnus des autres modes de scrutin.
    Mes quatre observations sont les suivantes: premièrement, la réforme électorale présente certes des avantages potentiels, mais ils sont limités; deuxièmement, les désavantages de la réforme électorale sont inconnus et pourraient être substantiels; troisièmement, la démocratie canadienne fonctionne bien actuellement — en fait, je l'espère —; et quatrièmement, nous pourrions dès maintenant corriger la plupart des problèmes qui affectent notre démocratie sans en modifier de fond en comble les institutions.
    À la lumière de ces quatre observations, le Comité ne devrait pas opter pour une réforme en profondeur de notre système électoral. Je fais plutôt valoir qu'il devrait envisager et recommander des réformes plus limitées et ciblées, qui pourraient permettre de régler les problèmes de notre système politique actuel.
    Ma première observation, c'est que la réforme électorale présente certes des avantages potentiels, mais ils sont limités. Les meilleures preuves à cet effet sont les nombreuses études transnationales très bien conçues qui tentent d'isoler et de cerner les répercussions empiriques des systèmes électoraux sur divers résultats d'intérêt. La conclusion fondamentale, à la lumière du témoignage qu'André Blais a déjà présenté, c'est que la participation électorale dans le cadre des systèmes de représentation proportionnelle est plus élevée, mais que, en moyenne, elle n'augmente que de trois points de pourcentage. Les citoyens ont aussi l'impression que les élections sont plus justes dans le cadre d'un tel système. Voilà pour les avantages.
    Par ailleurs, les systèmes de RP n'éliminent pas le besoin de voter stratégiquement ni le taux de votes stratégiques: ils ne mènent qu'à un type différent de vote stratégique. En d'autres mots, ces systèmes exigent d'autres compromis des électeurs. Ce qui est encore plus important, c'est que même si les systèmes de RP ont peut-être pour effet d'élargir la représentation, ils n'ont pas pour effet d'améliorer la concordance entre les résultats stratégiques et les préférences des citoyens. Ce que Blais n'a pas mentionné, Leslie Seidle et d'autres l'ont souligné dans leur exposé, soit que la réforme électorale permettrait probablement d'accroître l'équilibre des sexes au sein de notre Parlement, ce qui, d'après moi, est un avantage évident et absolu.
    D'après mon interprétation de la documentation, les affirmations concernant un meilleur rendement économique, une meilleure gestion budgétaire et de meilleures politiques sont probablement attribuables à d'autres facteurs que le système électoral en tant que tel. Bien sûr, les défenseurs des systèmes de RP feront peut-être valoir que de telles études sous-estiment dans une certaine mesure les avantages ou les répercussions positives de la RP. Je crois qu'il est raisonnable de s'opposer ainsi et d'affirmer que les estimations économétriques transnationales ne disent pas tout. Il serait plus raisonnable de prendre en exemple un pays très similaire au nôtre où des changements ont été apportés au système électoral pour ensuite observer les résultats avant et après la réforme relativement à plusieurs indicateurs d'intérêt. En procédant ainsi, nous pourrions peut-être avoir quelque chose à dire sur la façon dont la réforme électorale peut changer la vie politique d'un pays.
    La Nouvelle-Zélande est, bien sûr, un bon exemple, et cela, pour des raisons évidentes: elle partage la même histoire coloniale que le Canada et elle a une longue tradition ininterrompue de gouvernance démocratique, et le pouvoir y alternait traditionnellement entre un petit nombre de partis uniques qui formaient régulièrement des gouvernements majoritaires. Or, en 1996, après une série de référendums, la Nouvelle-Zélande a adopté un système mixte proportionnel, dans le cadre duquel elle a depuis tenu sept élections.
    Je renvoie les lecteurs intéressés à mes observations écrites, dans lesquelles j'examine de plus près les données, mais je m'en tiendrai ici aux principaux résultats: la réforme électorale a effectivement permis d'accroître le nombre de partis en Nouvelle-Zélande, tant le nombre de partis « effectifs », qui se présentent aux élections, que le nombre de partis qui remportent des sièges. Il s'agit d'un résultat sans équivoque. La réforme a aussi permis d'accroître légèrement le nombre moyen de partis au gouvernement, même s'il semble maintenant que les gouvernements unipartites sont la norme. De toute évidence, la réforme n'a pas mené à la création de grandes coalitions générales après les élections. Elle n'a pas eu pour effet d'augmenter la participation électorale ni même de freiner le déclin de la participation aux élections en Nouvelle-Zélande. En outre, la réforme n'a pas accru le taux de satisfaction des citoyens à l'égard de leur système démocratique. Au contraire, ces résultats semblent avoir diminué depuis l'adoption du nouveau système. Le nombre de femmes élues durant les dernières élections n'est que de cinq points de pourcentage supérieur au nombre de femmes élues durant les dernières élections canadiennes.
    Pour ce qui est des résultats importants, il y a plus de différences entre les pays qui partagent un même système électoral qu'entre les moyennes des divers systèmes électoraux. En bref, les systèmes de RP améliorent certains résultats, mais sont loin d'être une panacée.
    Ma deuxième observation concernait le fait que la réforme peut entraîner certains désavantages ou, du moins, qu'elle est susceptible d'avoir certaines répercussions indésirables d'un point de vue normatif. Il reviendra au Comité de déterminer si ces résultats sont peu souhaitables d'un point de vue normatif, mais il y a bien certaines répercussions probables.
    Premièrement, la réforme pourrait avoir pour effet de donner un rôle peut-être permanent aux petits partis régionaux. Je me ferai un plaisir de vous en dire plus à ce sujet.
    Deuxièmement, les petits partis pourraient avoir une influence excessive au sein du gouvernement. S'il est inadmissible qu'un seul parti détienne 100 % du pouvoir gouvernemental en ayant obtenu 40 % des votes, pourquoi serait-il acceptable qu'un parti ayant obtenu 10 % des votes détienne 20 % du pouvoir?

  (1000)  

    Troisièmement, il y aura plus d'éléments pouvant inciter les acteurs politiques à exploiter les divisions sociales. À ce sujet, certaines données comparatives sont utiles: si nous comparons les 15 pays occidentaux qui comptent les plus importantes populations nées à l'étranger, nous constaterons que, au cours des dernières élections dans chacun de ces pays, la proportion moyenne du vote pour des partis en faveur d'une réduction des niveaux d'immigration légale s'élève à 3,5 % dans les pays qui ont adopté la règle de la majorité. Dans les pays qui misent sur la RP, ce taux monte à 8,7 %. La part moyenne des sièges de tels partis qui veulent réduire l'immigration légale est de 0,1 % dans les pays qui ont adopté la règle de la majorité, mais de 10 % dans les pays qui ont adopté un système de RP.
    Enfin, un système proportionnel accroît l'instabilité du gouvernement. En effet, les gouvernements survivent moins longtemps et sont créés plus souvent sans élections. Reste à savoir si cette situation est souhaitable du point de vue normatif, mais la régularité empirique est indiscutable.
    Ma troisième observation, c'est que la démocratie canadienne fonctionne bien. D'après ma lecture des témoignages présentés au Comité spécial et des questions posées par les membres, on ne souligne pas assez le bon fonctionnement de la démocratie canadienne.
    Bien sûr, on peut s'opposer à bien des éléments qui la composent. Notre pays a connu une domination d'un parti qui n'a d'égale qu'en Suède et au Japon. Nous avons enregistré, à l'instar de la plupart des autres pays, un déclin considérable des taux de participation électorale, bien que la tendance se soit renversée aux dernières élections. Fait peut-être plus important encore, il arrive souvent qu'un parti obtient une majorité bien plus grande que le nombre de voix qu'il a obtenues aux urnes. Aucune de ces observations n'est particulièrement positive et elle se retrouve assurément bien souvent parmi les critiques contre le système actuel.
    Ce qu'on mentionne moins fréquemment, ce sont les quatre domaines dans lesquels notre démocratie fonctionne bien.
    Premièrement, notre démocratie a donné lieu à plus de 40 élections fédérales et à des dizaines de transitions de pouvoir pacifiques, tant entre des leaders de partis différents qu'au sein d'un même parti. C'est un élément fondamental de la démocratie et c'en est un où le Canada se démarque de la plupart des autres démocraties. En effet, le régime démocratique ininterrompu du Canada figure parmi les plus longs au monde, le pays se classant après quelques autres pays seulement.
    Deuxièmement, selon les normes en vigueur à chaque époque, nos élections ont été menées de manière assez libre et équitable, et le droit de suffrage a été établi de manière ouverte. À l'exception du scandale du Canadien Pacifique et des cas négligeables d'achat de votes lors des premières élections de notre histoire, la démocratie canadienne est un modèle de bonne gestion des élections.
    Troisièmement, notre démocratie parvient à bien représenter les minorités et les peuples autochtones, surtout si on la compare à celle de nos homologues anglais et américains. En outre, à ce sujet, je vous renvoie à l'observation écrite tirée du témoignage de Leslie Seidle. Du point de vue de l'histoire, nos partis politiques représentent depuis très longtemps la diversité de notre pays, qu'elle soit linguistique, confessionnelle ou ethnique, et ce, sans qu'on ait vu naître des partis expressément ethniques ou confessionnels. Je tiens à souligner que cette représentation s'est maintenue malgré le fait que les peuples fondateurs et, plus tard, les vagues d'immigration aient, à plusieurs moments de l'histoire, considéré que leurs différences étaient trop grandes pour interagir entre eux ou partager un objectif commun. Pour dire les choses sans détour, notre pays rassemble depuis longtemps des éléments nécessaires à l'éclatement d'une crise identitaire. En règle générale, nous avons évité les pires écueils et n'avons rencontré que les moindres.
    À ce sujet, on répète souvent que nous ne sommes pas l'Italie ni Israël. Mais cela ne signifie pas que notre pays n'est pas caractérisé par des économies régionales qui se font compétition, par des différences religieuses et ethniques souvent profondes et par les modes de vie différents. Je crois comprendre que les personnes qui formulent cet argument veulent dire que, même si nous avons une population profondément divisée et dysfonctionnelle, notre pays ne l'est pas. En fait, le système électoral actuel pourrait bien être la source de cette stabilité.
    Quatrièmement, le Canada protège depuis longtemps les droits des groupes minoritaires. Dans l'histoire récente, cette protection est assurée par la Charte, mais, avant son adoption, des droits ont été accordés aux minorités, souvent pour des raisons électorales. Dans d'autres situations, c'est grâce à la tradition d'inclusion et de coopération, qui constitue la norme au sein d'un parti politique, que ces droits étaient protégés.
    Ma quatrième observation, et ce sera ma dernière, c'est qu'il existe des solutions réalistes qui ne nécessitent pas des changements institutionnels fondamentaux pour régler la plupart des problèmes que connaît notre démocratie. J'aimerais encourager le Comité à aborder de manière globale et modeste la réforme dans nos institutions démocratiques.
    Notre système actuel comporte effectivement des lacunes: il n'y a pas encore un nombre égal de députés des deux sexes au Parlement; les chefs des partis semblent peut-être avoir trop de poids comparativement aux députés; les membres locaux des partis ne contrôlent pas vraiment la sélection des candidats; et les comités parlementaires sont souvent faibles et n'ont souvent ni le temps ni la capacité pour étudier de manière adéquate des questions stratégiques et en débattre.
    Cette liste est loin d'être exhaustive, mais il existe des solutions réalistes pour chacun de ces problèmes sans qu'il soit nécessaire d'apporter des changements de fond à une institution fondamentale. En fait, le Comité et les partis des membres peuvent envisager d'apporter un certain nombre de changements à la procédure parlementaire, au droit administratif et aux règles des partis pour régler certains de ces problèmes, voire tous. Il semble plus justifié d'adopter une approche systématique et progressive face à l'amélioration de nos institutions démocratiques plutôt que de procéder à une réforme de fonds.
    Notre système électoral est une institution démocratique centrale. Il existe en parallèle d'une myriade d'autres institutions. Il définit nos politiques non seulement grâce à ses règles, mais grâce aux normes et pratiques qui ont évolué à ses côtés et en son sein. Il est important de réfléchir non seulement aux avantages et inconvénients de la réforme, mais aussi au mérite de notre système actuel. Au bout du compte, il s'agit d'un système qu'il vaut la peine de maintenir.

  (1005)  

    Merci beaucoup.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur  Loewen.
    Je remercie tous les témoins de leurs témoignages fort pertinents. Vous avez fourni aux membres du Comité beaucoup de matière à réflexion, ce qui favorisera certes une discussion intéressante et stimulante.
    Nous débutons la première série de questions. Madame Sahota, vous avez la parole.

[Traduction]

    Je tiens à tous vous remercier d'être là aujourd'hui. Vous avez présenté des exposés très intéressants.
    J'ai des questions pour chacun d'entre vous. Je ne crois pas que j'aurai assez de temps, mais j'espère tout de même pouvoir toutes les poser durant mes deux interventions.
    Je vais commencer par vous, monsieur Maskin. Vous nous avez donné matière à réflexion sur des sujets dont nous n'avons pas beaucoup parlé. On a beaucoup critiqué la règle de la majorité ou le scrutin préférentiel. Pouvez-vous aborder certaines de ces critiques? On dit entre autres que cela favoriserait un candidat aux dépens d'un autre et qu'il en serait ainsi pendant encore longtemps ou encore que le système favoriserait un parti plutôt qu'un autre.
    Vous avez récemment abordé brièvement la question des primaires aux États-Unis et affirmé que ce système électoral aurait pu en changer le résultat. Pouvez-vous nous préciser si ce serait le cas, si nous pourrons toujours prédire le dénouement si nous adoptons un tel système?
    Quant à savoir si la règle de la majorité favorise un parti plutôt qu'un autre, je crois que c'est une méthode assez impartiale. En effet, elle insiste sur le fait que le candidat qui l'emporte dans une circonscription électorale est vraiment le candidat préféré par une majorité, c'est-à-dire qu'il pourrait battre tous les autres candidats.
    Pour ce qui est de votre question de savoir si cela changerait le résultat obtenu avec la méthode actuelle, ce pourrait très bien être le cas. Selon la méthode actuelle — le système uninominal majoritaire à un tour —, comme je l'ai illustré à l'écran, on peut très bien élire le mauvais candidat. On peut élire un candidat qui a obtenu la majorité simple des voix, à 40 %, alors qu'un autre candidat devrait être le réel gagnant à la majorité puisqu'il battrait à la majorité la personne qui a remporté les élections selon le système uninominal majoritaire.
    Il y a eu de nombreux exemples d'élections américaines dont les résultats auraient été différents si on avait adopté la règle de la majorité. Pour ce qui est des récentes élections canadiennes, selon moi, les résultats auraient été différents dans de nombreuses circonscriptions si on avait utilisé la règle de la majorité plutôt que le système uninominal majoritaire à un tour. Le résultat aurait été assez différent dans la mesure où le gagnant à la majorité aurait été choisi plutôt que d'être simplement celui ayant obtenu la majorité simple des voix.
    Je ne sais pas si j'ai répondu à vos questions.
    Je tiens à formuler un bref commentaire. Il faut aussi souligner que — en ce qui a trait à tous les systèmes dont nous avons parlé — nous avons rencontré beaucoup d'experts, qui sont venus nous dire qu'il est très difficile de prédire quel sera le résultat, parce que les partis auraient agi et se seraient comportés différemment si le système avait été différent. Si on décide d'adopter ce système, ou si on adopte un système mixte proportionnel ou tout autre système, on verra très probablement tous les intervenants changer de stratégies; les campagnes seront différentes, tout comme la façon de travailler en collaboration. Les partis coopéreraient peut-être davantage ou la politique deviendrait plus partisane, les partis misant sur la division, si je peux m'exprimer ainsi.
    Le style de politique changerait. Selon vous, quel serait l'impact de ce système sur le style de politique?

  (1010)  

    Une des choses qui pourraient très bien changer, c'est que le nombre de partis augmenterait. Comme je l'ai mentionné à la fin de ma déclaration, un des problèmes du système uninominal majoritaire à un tour, c'est que, si vous êtes un candidat de gauche qui, par exemple, êtes en désaccord avec le NPD... Prenons l'exemple d'un candidat du Parti vert. Il hésitera peut-être à se présenter dans le cadre du système actuel, parce qu'il craint de diviser le vote de gauche et de se retrouver avec un élu de droite. En vertu de la règle de la majorité, on n'a plus à s'en faire avec ce genre de situation. La division du vote serait chose du passé, ce qui encouragera des gens d'allégeances politiques plus diversifiées à se présenter et à se faire entendre. Leur présence ne mettra pas en danger les partis populaires, et je m'attendrais donc à ce qu'il y ait un plus grand éventail d'options politiques.
    Pourrait-on ainsi régler le problème du vote stratégique, situation qui a été jugée problématique?
    Oh, absolument. Grâce à la règle de la majorité, les électeurs n'auraient plus de raison de voter stratégiquement. Ils seraient au contraire incités à voter en fonction de leurs réelles préférences.
    Merci beaucoup.
    M. Reid est le suivant. Vous avez cinq minutes, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Tous les témoins ont été très intéressants, mais je vais poser mes questions à M. Loewen.
    Monsieur Loewen, dans une certaine mesure, vos préoccupations reflètent les miennes. Je crois peut-être être moins enthousiaste à l'égard du système actuel que vous l'êtes, mais j'estime que, même si le système actuel n'est pas le meilleur que nous puissions imaginer, ce n'est assurément pas le pire non plus. Je crains que le pire soit en fait un scénario réaliste. Le pire, selon moi, ce serait un système électoral qui permet de prédire le résultat des prochaines élections, c'est-à-dire qu'il permettrait à un parti — ou peut-être deux ou trois partis — d'obtenir de meilleurs résultats que dans le cadre du système actuel, tandis que les autres en obtiendraient de moins bons, même si les électeurs expriment les mêmes préférences.
    Agir ainsi en connaissant déjà le résultat du processus reviendrait effectivement à miner systématiquement le droit de vote de certains électeurs ou à en réduire la valeur, tout en augmentant la valeur du vote d'autres électeurs, et ce, de façon prévisible, non pas pour toutes les élections, mais très certainement pour les prochaines. Selon moi, il est là, le problème sous-jacent.
    J'ai l'impression que vous voyez les choses comme moi à ce sujet. En plus de ce que vous avez dit aujourd'hui, j'ai aussi noté certaines choses que vous avez déjà écrites.
    Cependant, un scénario de rechange a été présenté par l'un de nos témoins d'hier. Ed Broadbent a fait valoir que le fait que plusieurs partis — le Parti vert, le NPD et les libéraux — ont fait la promotion d'un certain type de réforme électorale au cours des dernières élections est suffisant pour légitimiser l'adoption d'un nouveau système. Il a fait valoir que l'approbation de ces partis dans la Chambre des communes constituerait un genre de super majorité et qu'il ne serait donc pas nécessaire d'utiliser un autre type de mécanisme d'approbation pour légitimiser le nouveau système adopté, peu importe ses répercussions.
    Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de l'argument selon lequel une majorité multipartite légitimise un système électoral en l'absence de tout autre mécanisme d'approbation?
    Je crois que c'est un argument vicié, et ce, pour deux ou trois raisons.
    Premièrement, pour ce qui est des faits, je ne crois pas que les élections ont porté principalement sur la réforme électorale. Je crois que cet enjeu était très, très loin sur la liste des enjeux qui ont eu une incidence sur le vote et sur lesquels les discussions ont porté. Les faits précis dans le cadre des élections me donnent à penser qu'il ne s'agissait pas d'élections dans le cadre desquelles il y a eu beaucoup de discussions.
    De façon générale, nous ne menons habituellement pas des élections qui portent sur des enjeux précis. C'est l'exception, et je crois qu'on pourrait faire valoir que c'est une façon valable de tenir des élections. Nous choisissons des dirigeants et des partis, puis nous évaluons leur rendement. En ce qui a trait aux faits associés aux élections, cet argument me convainc.
    Deuxièmement, je crois que c'est un changement institutionnel majeur. Je ne suis pas sûr qu'il y ait une entente en vertu de laquelle il faut soumettre ces changements à un référendum, mais, selon moi, puisqu'il s'agit d'un changement à ce point fondamental et puisque l'intérêt propre des intervenants contaminera assurément dans une certaine mesure le débat — puisque les partis discutent des règles en vertu desquelles ils seront élus —, il serait préférable de prévoir un mécanisme de freins et contrepoids et non pas de laisser tout simplement les partis soumettre cette question au vote.
    Troisièmement — et je vais le dire très sans détour si vous me le permettez —, je n'ai pas encore entendu un argument au sujet de l'incapacité des électeurs de prendre une décision durant un référendum qui n'a pas aussi pour effet de condamner les décisions qu'ils ont prises durant les élections. Pour dire les choses autrement, l'électeur simple d'esprit qu'on peut manipuler et facilement confondre et qui, apparemment, ne pourra pas faire un choix éclairé dans le cadre d'un référendum est aussi l'électeur qui a élu tous les membres de la Chambre des communes. Je crois qu'il serait dangereux de commencer à croire que les électeurs sont incapables de prendre des décisions éclairées sur des questions fondamentales.
    En bref, je ne crois pas qu'il y a une convention constitutionnelle qui vous empêche de tenir un référendum, mais je crois que, si 60 % des électeurs des dernières élections sont en faveur d'une réforme électorale — ce que vous semblez affirmer —, il sera très certainement aussi facile de remporter un référendum portant sur ce sujet.

  (1015)  

    Merci.
    Je présume que mon temps est écoulé.
    Vous disposez d'environ 40 secondes.
    D'accord. J'ai 40 secondes.
    Dans ce cas, je veux simplement que cette question soit claire. Vous avez affirmé que vous ne pensiez pas qu'il existe une convention constitutionnelle selon laquelle il ne faudrait pas tenir de référendum. Avez-vous formulé le contraire de votre pensée en ce qui concerne la convention constitutionnelle...
    Je ne suis pas certain qu'il existe une convention selon laquelle un référendum doit être tenu.
    Ah, c'est cela que vous disiez. D'accord.
    Mais je ne suis pas un expert de la Constitution.
    Bien sûr. Merci.
    Merci, monsieur Reid.
    M. Boulerice est le prochain intervenant.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins d'être parmi nous aujourd'hui à l'occasion de cette importante étude. Ils présentent des positions différentes qui sont toutes très intéressantes.
    Mes premières questions vont s'adresser à M. Dufresne.
    La démarche dans laquelle vous vous inscrivez est assez intéressante car il semble y avoir un mouvement assez large et puissant dans la société civile québécoise en faveur d'un changement du mode de scrutin. Ce changement voulu est assez profond et il tend vers une forme de scrutin proportionnel. Vous n'avez pas parlé d'un mode de scrutin spécifique, mais l'aspect proportionnel semble faire consensus dans tous les groupes que vous nous avez mentionnés plus tôt.
    Il y a plusieurs modes de scrutin proportionnel. On peut avoir un système où on vote pour un député local et avoir aussi un système de liste, comme c'est le cas en Allemagne. On peut aussi avoir un autre système où les circonscriptions sont plus larges et plurinominales alors que trois, quatre, cinq ou six députés représentent la même région.
     Compte tenu de la géographie de la fédération canadienne, y a-t-il selon vous un de ces deux systèmes qui vous semble plus adapté aux besoins de nos concitoyens?
    Je vous remercie beaucoup de la question.
     Je ne vais pas vous faire part de mon opinion ou de mon impression. Je vais plutôt parler du fruit des délibérations qui ont eu lieu dans des organisations de la société civile qui représentent près de deux  millions de Québécoises et de Québécois.
     Il semble y avoir un consensus au sein de la société civile québécoise en faveur d'un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire. C'est ce qui obtient le plus l'appui de la part des organisations de la société civile. C'est aussi ce qui a été le plus approfondi dans tous les travaux qui ont été faits au Québec, notamment par le directeur général des élections du Québec. Celui-ci a évalué l'application de ce système au plan provincial. C'est vrai pour le Québec, mais il faut comprendre que certaines circonscriptions du Québec couvrent un territoire très vaste. Il y a là un parallèle à faire avec le Canada.
    Il y a une préoccupation relativement à la représentation des régions et des circonscriptions. En effet, dans un mode de scrutin proportionnel mixte, on parle possiblement de maintenir le même nombre de sièges pour des circonscriptions qui devraient être un peu plus grandes et d'avoir des sièges compensatoires.
    Par ailleurs, j'invite le Comité à s'intéresser aux travaux d'une de nos organisations soeurs, soit Représentation équitable au Canada. Dans le mémoire qu'elle a déposé, elle présente une alternative, c'est-à-dire un système qui permettrait de maintenir le plus possible la taille des circonscriptions en région pour éviter qu'il y ait un désavantage pour celles-ci. Représentation équitable au Canada parle d'au plus de 10 à 15 % d'augmentation des circonscriptions régionales. On parle aussi d'une combinaison avec le vote unique transférable dans les milieux urbains. De telles possibilités pourraient être étudiées.
    Nous croyons qu'il est très important que chaque région maintienne son poids politique. Il faut donc des députés de circonscription et des députés pour assurer un forme de compensation affectés aux régions. Cela ferait en sorte que les régions maintiendraient leur nombre de députés afin de maintenir leur poids politique.
    Vous avez abordé la question de la représentation, du poids politique et de la présence des régions. Souvent, les gens sont craintifs quand on veut modifier le système de scrutin actuel.
     Une autre crainte, qui est souvent soulevée à tort ou à raison, est celle de perdre le lien direct entre l'électeur et son représentant local. Comme on le dit chez nous, les gens aiment bien savoir qui appeler quand ils veulent se plaindre.
    Selon vos études et ce que vous avez entendu, un système proportionnel mixte permet-il de conserver ce lien, qui est presque physique entre l'élu et ses électeurs?

  (1020)  

    En fait, rien, dans les études que nous avons lues ou dans ce qui vous a été présenté ici ne démontre vraiment une perte de ce lien dans les pays qui utilisent un système de ce genre. Il n'y a pas une impression de perte de ce lien. Je dirais même que nous croyons que cela peut donner plus de pouvoirs aux citoyennes et aux citoyens. Par exemple, dans une région où on a des sièges de compensation pour différents partis, cela permet à un citoyen de bénéficier de plusieurs accès au pouvoir. Bien sûr, on joue un peu sur la culture politique, parce qu'on modifie un peu les rapports que pourraient avoir les citoyens avec leurs élus, mais c'est dans l'intérêt des citoyennes et des citoyens car cela leur donne encore plus de pouvoirs et plus d'accès à leurs élus. Nous croyons que c'est dans l'intérêt de la société et des citoyens.
    Merci.
    Nous passons maintenant à M. Thériault.
    Merci, monsieur le président.
    Messieurs, je vous remercie beaucoup de votre contribution à nos travaux. Elle est fort utile. Il est intéressant d'entendre des points de vue différents.
    Monsieur Maskin, vous accordez une très grande importance à la question de la majorité absolue. Cela veut-il dire que, pour vous, en matière d'élections fédérales au Québec, le seul moment où les bons députés ont été élus sans l'ombre d'un doute, c'est en 1993 lorsque le Bloc québécois a fait élire 54 députés et où seulement trois d'entre eux n'avaient pas obtenu la majorité absolue?

[Traduction]

    C'est exact.
    Sous le régime du système actuel — le système uninominal majoritaire à un tour —, les cas de députés élus sans avoir obtenu la majorité absolue sont très, très nombreux. Le pire, c'est que nous ne savons pas — parce que nous n'obtenons pas cette information auprès des électeurs — si une majorité aurait privilégié d'autres candidats.
    Voilà pourquoi le passage à un système électoral selon lequel les électeurs peuvent s'exprimer plus pleinement est une façon de s'assurer que les bons députés sont élus.

[Français]

     Je ne suis pas certain que vous avez répondu à ma question, mais ce n'est pas grave.
    Messieurs, pour changer les règles démocratiques d'une société, il faut le faire correctement. La position du Bloc québécois est la suivante. Nous voulons un changement, mais pas n'importe lequel et pas n'importe comment. Il faut prendre le temps de bien faire les choses.
    Tous les experts nous ont dit qu'aucun système n'était parfait et qu'ils comportaient tous des avantages et des inconvénients. Il ne faut donc pas jouer avec la représentation dans le cas d'un dossier aussi important et prétendre que l'on sait ce qui est bon pour la population. Nous pensons donc qu'il faut absolument tenir un débat à cet égard. On ne peut le faire que dans le présent mandat, ce qui est dommage car le temps nous manque. Si on tenait ce débat et qu'on arrivait à définir un modèle que l'on présenterait à la population lors du prochain scrutin, ce serait un gage de réussite. Cela risquerait de fonctionner beaucoup mieux que si on agit avec précipitation. Dans un tel cas, les positions risquent d'être divergentes.
     En d'autres termes, pourquoi dire que c'est par l'expérience qu'on va y arriver alors qu'il faut que la population puisse l'entériner minimalement si on veut que ce soit durable?
    Monsieur Thériault, je vous remercie de votre question.
    Vous l'avez dit, il s'agit d'un choix qui est important, qui risque d'être durable et qui aura un impact profond sur l'exercice démocratique. Nous croyons qu'il est important, que ce soit pour le Québec ou pour le Canada, que les citoyennes et les citoyens soient le plus confiants possible quand viendra le temps de choisir entre le système qu'on utilise depuis des siècles et un autre système qui a fait ses preuves ailleurs dans le monde.
    Selon nous, c'est la façon optimale de le faire si on cherche à respecter le mieux possible les électeurs et les électrices et à leur offrir la possibilité de faire un choix en toute connaissance de cause. On pourra expliquer tout ce qu'on voudra, mais la meilleure façon est bien entendu de l'expérimenter afin de voir quels sont les avantages et les inconvénients. Il faut l'expérimenter pour être en mesure de dire par la suite qu'on croit que le système proposé, qui est le fruit d'un travail...

  (1025)  

    Je m'excuse de vous interrompre, mais je voudrais entendre d'autres témoins.
    Monsieur Thériault, nous sommes presque rendus à cinq minutes. Pourriez-vous reprendre vos propos plus tard?
    Me reste-t-il une minute, monsieur le président?
    Non, il vous reste environ 25 secondes.
    Je vais les garder pour la prochaine série de questions.
    D'accord. Je vous remercie, monsieur Thériault.

[Traduction]

    Mme May est la prochaine intervenante.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins.

[Français]

    Je remercie les témoins de leurs propos. Ils sont vraiment intéressants.

[Traduction]

    Je trouve que c'est difficile, quand nos témoins ont des opinions divergentes. Il devient plus difficile d'intervenir.
    Monsieur Markin, vous êtes peut-être le seul témoin à proposer ce système électoral, alors je veux vous poser des questions à des fins de clarification.
    Je pense que vous seriez d'accord avec moi sur le fait qu'il s'agirait, selon les définitions de M. Lijphart, de l'un des systèmes axés sur la majorité et l'opposition, contrairement au consensus de la RP.
    Je pense que vous avez mis le doigt sur la distinction, à mes yeux, à la toute dernière ligne de votre mémoire, alors je veux intervenir à ce sujet. La distinction tient à l'objectif du système uninominal majoritaire à un tour, de la règle de la majorité et du vote préférentiel, qui est de sélectionner le « député idéal » pour une circonscription, alors que le but de la représentation proportionnelle est de choisir la « composition idéale du Parlement ». Cela m'aide vraiment.
    Je fais partie des députés très chanceux et honorés qui — du moins, lors de mes deuxièmes élections — ont obtenu 54,4 % du vote. Votre système ne changerait le résultat pour aucun des députés de notre Parlement qui ont obtenu plus de la moitié du vote dans leur circonscription. Est-ce exact?
    C'est exact.
    La crainte que les électeurs aient... Dans mon cas, j'ai obtenu 54,4 % du vote, mais — malgré le fait que je n'aime pas m'attarder —, 45,6 % de l'électorat de ma circonscription voulaient choisir quelqu'un d'autre. Dans ce nouveau système, ces électeurs ne seraient aucunement soulagés de la domination verte dont ils souffrent. Ai-je raison?
    C'est exact, pas dans leur circonscription. Il y aura ailleurs des députés qui pourraient se rapprocher de leur position politique.
    Oui. C'est là qu'il ne me semble pas... Sous le régime de votre système électoral, il est possible — du moins, théoriquement, quoique je sais qu'il est peu probable que cela arrive — qu'une proportion aussi importante que 25 % de l'électorat veuille des candidats dans un parti qui n'ont jamais réussi à s'intégrer dans un groupe majoritaire?
    Oui, c'est possible.
    Comme je l'ai laissé entendre dans mon mémoire, si vous voulez que le Parlement corresponde parfaitement à l'opinion politique, si 25 % des gens pensent de telle manière et qu'ils obtiendront 25 % des députés, la représentation proportionnelle est le moyen d'y arriver.
    Il y a de nombreux arguments solides à formuler en faveur de la représentation proportionnelle. La raison pour laquelle je ne m'y suis pas attardé longuement dans le mémoire ni dans mes commentaires aujourd'hui, c'est qu'il s'agirait d'un changement beaucoup plus important. Ce serait un changement radical, un abandon des circonscriptions électorales à un seul député, etc.
    Oui, dans un système à deux partis, comme celui des États-Unis, ou même dans vos exemples tirés de l'article publié en avril dernier dans le New York Times concernant les primaires républicaines, nous constatons que cette réforme aurait eu là-bas une incidence immédiate qui aurait été plus salutaire que dans le système fondé sur Westminster dont nous disposons ici.
    Souscririez-vous à cette opinion?
    Je ne suis pas certain que j'y souscrirais. Même dans un système parlementaire, l'abandon du système uninominal majoritaire à un tour et l'adoption d'un système comme la règle de la majorité ou le vote préférentiel serait salutaire dans le sens qu'elle permettrait de s'assurer que le député qui est élu dans telle circonscription ressemble davantage à ce que la majorité veut.

  (1030)  

    Il me reste environ une minute, ce qui n'est pas suffisant pour que j'en arrive aux questions que je voulais vous poser, monsieur Loewen, mais je vais commencer par une question que j'ai reçue sur Twitter.
    Une partie de l'exposé que vous nous avez présenté aujourd'hui semble contredire certaines des études empiriques détaillées concernant les profils de démocratie, comme l'oeuvre de M. Lijphart.
    Le Mouvement pour la représentation équitable au Canada a envoyé un gazouillis selon lequel les renseignements dont il disposait indiquaient le contraire en ce qui concerne les partis anti-immigration et la représentation dans les pays ayant adopté la RP par rapport à ceux qui sont dotés d'un système majoritaire.
    Disposez-vous de données supplémentaires que vous pourriez remettre plus tard au Comité pour appuyer cette opinion?
    Le mémoire contient toutes les données qui appuient la déclaration que j'ai faite. Il dresse la liste...
    Le mémoire de qui?
    Mon mémoire contient toutes ces données.
    J'ai votre mémoire sous les yeux.
    Désolé, il y a aussi un mémoire de 10 pages, en plus des commentaires que j'ai formulés, que je serai heureux de vous transmettre.
    D'accord.
    Je vais vous faire part de mon point de vue à ce sujet de façon plus générale, en tant que scientifique politique. J'ai effectué beaucoup d'études transnationales. Les estimations qui sont faites au sujet des effets de la RP — négatifs et positifs — dépendent toutes fortement de la sélection des cas, de la façon dont nous modelons les choses, des estimateurs exacts qui sont utilisés.
    Il s'agit d'un débat très embrouillé à l'échelon universitaire, et le fait de citer un seul livre et de dire que ce livre fait autorité en la matière représente vraiment mal la diversité des points de vue dans ce débat.
    Madame May, la greffière me dit que ce document de 10 pages supplémentaire a été distribué ce matin.
    Je suis désolée, mais je ne l'ai pas.
    Cela a été fait à la dernière minute.
    Allez-y, monsieur Aldag; vous avez cinq minutes.
    Je vais reprendre là où nous en étions avec Mme May et M. Loewen.
    Pendant que vous passiez en revue votre mémoire, l'élément qui m'a vraiment frappé, c'était le commentaire sur l'exploitation des divisions sociales. Voilà quelque chose que nous n'avions pas vu dans le cadre de notre étude de tout type de système de RP, alors je veux que nous en parlions un peu plus. Vous avez manqué de temps dans votre réponse à Mme May, mais je voudrais connaître vos autres réflexions à ce sujet. Vous en avez peut-être plus à dire.
    L'observation que j'avais à formuler, c'est que nous voyons déjà ce genre de division sociale dans le système uninominal majoritaire à un tour. Comme nous l'avons constaté lors des dernières élections, un discours antimusulman assez fort est entré dans le débat, alors je suis curieux de savoir, dans vos recherches, quels sont les effets dans un système de représentation proportionnelle.
    Pourriez-vous nous faire part de certains commentaires ou nous en dire plus sur les propos que vous formuliez?
    Merci beaucoup de la possibilité que vous me donnez. Laissez-moi formuler deux arguments à ce sujet.
    L'un est qu'il y a eu une tentative furtive et — selon moi —, en fin de compte, vaine, d'attiser un sentiment antimusulman au Canada lors des dernières élections. En fin de compte, il est difficile de maintenir ce sentiment lorsqu'en tant que parti, il faut avoir plus d'un enjeu à l'égard duquel remporter la victoire et qu'il faut convaincre les gens d'un grand nombre de circonscriptions du fait qu'on est un candidat pour qui il vaut la peine de voter. Le sentiment est plus facile à maintenir dans les pays où le système électoral est plus permissif. Je ne crois pas que les gens des Pays-Bas, par exemple, soient intrinsèquement plus racistes que les Canadiens, qu'ils soient intrinsèquement plus antimusulmans, mais je constate, par exemple, que le parti de Geert Wilder récolte actuellement une très grande part du vote aux Pays-Bas, en particulier parce qu'il n'a pas à faire face aux difficultés liées au fait de remporter un grand nombre de circonscriptions. Il peut se contenter de séduire un petit groupe de gens aux points de vue franchement intolérants, dans l'ensemble de son pays.
    De façon plus générale, je ne veux pas que nous nous occultions les réalisations de notre pays et la mesure dans laquelle il a été difficile de le former. Il fut un temps où, si vous étiez le premier ministre et que vous deviez former un Cabinet au Canada, vous deviez avoir un ministre anglophone et un ministre francophone du Québec. Non seulement cela: vous deviez avoir un ministre anglophone qui appartenait à l'une des Églises principales; vous deviez avoir un ministre anglophone qui était membre de l'Église presbytérienne, par exemple. Vous deviez vous préoccuper de la représentation des Québécois d'origine irlandaise, et vous deviez vous soucier des diversités variées du Québec, sans parler de toutes les autres diversités qui existent dans notre pays.
    Notre pays a été formé par des gens qui, à diverses époques, étaient vraiment en conflit les uns avec les autres et qui n'ont aucune mesure de compréhension réciproque. Notre système électoral a créé des incitatifs pour que les partis dissimulent ces différences et, en fait, qu'ils les étouffent et qu'ils intègrent les gens le mieux possible en leur sein. Je pense que cela a beaucoup à voir avec le succès de notre pays. À la base, notre pays n'aurait probablement pas dû fonctionner; pourtant, il l'a fait. C'est peut-être par accident; c'était peut-être un simple coup de chance, ou bien cela a peut-être quelque chose à voir avec le système électoral dont nous étions dotés dans le passé.
    Mon dernier argument, je suppose, serait qu'aujourd'hui nous n'avons peut-être pas ce degré d'inimitié sociale, que nous avons des différences qui pourraient être exploitées, mais que, quand je regarde l'émergence de partis anti-immigrants dans d'autres pays autrement industrialisés, je crains que ces divisions puissent être exploitées dans notre propre pays, sans parler des divisions régionales qui existent encore également.
    Voilà ce qui me préoccupe.

  (1035)  

    Merci. J'ai une deuxième question à vous poser.
    Vous avez décrit un certain nombre de réformes plus modestes qui pourraient régler certains des problèmes que vous avez mentionnés. Nous avons aussi entendu M. Maskin affirmer que d'autres systèmes majoritaires pourraient régler certains de ces problèmes. Ces changements dans le système uninominal majoritaire à un tour sont-ils comme le passage à un scrutin préférentiel? Considéreriez-vous ce système comme étant trop radical, de votre point de vue, ou bien permettrait-il de commencer à régler certains des problèmes sans qu'on intervienne et qu'on chamboule vraiment le système?
    Je pense qu'il y a une distinction qualitative entre le passage à un système de VP ou à un système de scrutin préférentiel — quelle que soit la façon dont il est mis en œuvre — et le passage à un système dans lequel nous créons divers types de députés ou utilisons une règle fondamentalement différente pour convertir les votes en sièges. Le passage au scrutin préférentiel constitue-t-il un changement fondamental? Je n'en suis pas certain. Je pense qu'on pourrait affirmer que ce pourrait être le cas. On pourrait faire valoir le contraire, je suppose. Il ne s'agit pas du changement qui aurait lieu, par exemple, dans le cas du système mixte proportionnel, ou certainement pas de la RP à liste ouverte.
    Merci.
    M. Richards est le prochain intervenant.
    Merci, monsieur le président.
    J'ai des questions à vous poser à tous, mais je dispose de deux ou trois interventions, alors j'espère que nous aurons certaines occasions d'échanger.
    Monsieur Loewen, je pense que je vais commencer par vous.
    J'ai aussi sous les yeux quelques commentaires que vous avez formulés. Pour la gouverne de tous les autres, je vais les lire — ils sont très brefs —, puis je vais poser une question fondée sur ces commentaires.
    C'était en fait l'été dernier — je pense même que c'était avant la fin des élections —, que vous avez formulé le commentaire suivant, et je cite: « Les personnes qui souhaitent réformer [notre système électoral] devraient le faire dans le cadre d'un mandat clair et disposer de plans détaillés et d'une approbation publique étendue. »
    Voici un autre commentaire que vous avez formulé, et je cite:
Quoi qu'on puisse penser des vertus des divers systèmes électoraux — et il y a bien des arguments pour recommander une diversité de systèmes différents —, il semble remarquable que cette décision soit laissée aux comités parlementaires, puis à un simple vote de la Chambre.
J'ai l'impression que votre emploi du terme « remarquable » n'était pas destiné à avoir une connotation positive.
    Puis, à la suite des élections, en décembre, vous avez également écrit ce qui suit:
En bref, on ne peut pas faire valoir d'emblée que nous avons besoin d'une réforme pour régler le problème des fausses majorités et que le gouvernement actuel a pour mandat de modifier le système électoral.
    Je suis certes d'accord avec vos commentaires. Ils ont été formulés pour de bonnes raisons, mais je me demandais si vous pouviez expliquer de façon un peu plus détaillée — pour le Comité et aux fins du compte rendu — votre raisonnement et en quoi le plan actuel supposant une étude par un comité, puis un vote à la Chambre, c'est — comme vous l'avez dit — « remarquable » et, je le suppose, pas d'une façon très positive.
    Selon moi, ce qui fait que les décisions que prend le Comité sont spéciales, c'est qu'elles ont une incidence directe sur la façon dont vous êtes élu, c'est-à-dire sur le fait que vous conserverez votre rôle ou non et que vos chances d'être réélu après les prochaines élections seront meilleures ou pires.
    C'est une autre façon de dire que vous n'êtes pas des parties désintéressées en prenant cette décision. Je pense qu'il y a un certain nombre de décisions que vous prenez dont vous vous retireriez si vous étiez une partie intéressée. Il s'agit par exemple d'un principe qui régit la façon dont les ministres peuvent prendre des décisions concernant des affaires financières. Il me semble que c'est une décision très importante et que, comme vous avez tous un si grand intérêt personnel à cet égard, vous devriez obtenir l'approbation des électeurs.
    Il y a une conséquence secondaire, et je peux imaginer deux situations hypothétiques. La première, c'est que vous choisissez un nouveau système électoral et que, quelle que soit la dynamique électorale, il est établi. Plus aucun groupe de partis ne veut encore le changer par la suite. Toutefois, les Canadiens n'aiment pas le système. Cela me semble être un résultat relativement indésirable.
    Je suppose que l'autre résultat serait que vous pourriez revenir me dire: « Ne vous inquiétez pas; nous pouvons simplement le modifier à nouveau. » Ensuite, nous commençons à entrer dans le territoire où le système électoral devient un enjeu électoral continu et où les partis cherchent toujours être avantagés après les prochaines élections. Ils changent et refondent toujours le système à leur avantage. Je pense qu'il s'agirait d'une situation préoccupante et qu'il s'agit d'une possibilité inquiétante.
    Il me semble qu'une façon de contourner cette possibilité consisterait à dire que tous les partis sont parvenus à un consensus quant à la façon de modifier le système électoral. Il y a deux ans, quand le Parlement étudiait des enjeux changeants concernant la pièce d'identité qu'on pouvait utiliser pour voter, j'ai entendu certains députés et, certes, de nombreux collègues universitaires, dire qu'il faut obtenir le consentement de tous les partis si on veut changer une chose, même aussi petite. Je n'arrive pas à imaginer que nous puissions ensuite modifier le système électoral sans le consentement de tous les partis. Si vous croyez la première affirmation, vous devez croire la deuxième.
    L'autre élément est le suivant: pourquoi ne pas simplement poser la question aux électeurs?

  (1040)  

    Monsieur, puis-je vous interrompre? C'est que j'ai une question de suivi à vous poser et qu'il nous reste moins de une minute.
    Elle porte exactement sur cette question. Quelle est la meilleure façon de nous assurer que nous disposions de l'approbation du public et que le changement n'est pas apporté dans l'intérêt personnel d'un parti politique? Est-ce un référendum? Comment pouvons-nous nous assurer que le public canadien approuve toute modification qui est apportée?
    À mon avis — et il s'agit d'une question sur laquelle j'ai changé d'avis au fil des ans —, la façon la plus souhaitable aurait été que vous convoquiez une assemblée citoyenne afin qu'elle formule une recommandation et même que vous mettiez la décision concernant la conception entre les mains d'un groupe impartial, puis que la décision soit prise par référendum.
    Cela aurait été fait de concert avec le plein déploiement d'une campagne de sensibilisation auprès des gens au sujet des options qui s'offrent à eux, où les données probantes leur auraient été présentées de façon équilibrée. Voilà le résultat que j'aurais souhaité. Toutefois, je pense que l'absence d'une assemblée citoyenne ne signifie pas qu'on ne doit pas ensuite tenir de référendum. Même à ce stade, il est sensé de laisser les gens prendre cette décision et de leur demander s'ils approuvent les règles que vous vous fixez.
    Merci.
    Nous allons passer à Mme Romanado.
    Je voudrais remercier nos témoins de leur présence aujourd'hui.

[Français]

     Je vous remercie beaucoup pour ces présentations.

[Traduction]

    Hier, nous avons entendu le témoignage d'un représentant de l'Institut Broadbent. Nous avons un peu discuté d'un rapport qui a été publié, intitulé Canadian Electoral Reform - Public Opinion on Possible Alternatives. Cette étude a été menée tout de suite après les dernières élections. Selon le rapport, lorsqu'ils ont choisi les cinq buts d'un système électoral qui ont le plus d'importance pour eux personnellement, 55 % des Canadiens sondés ont mentionné le but que le bulletin de vote devrait être simple et facile à comprendre. Près de 55 % d'entre eux ont affirmé que c'était important pour eux. Ensuite, 51 % ont dit qu'il importait que le système produise des gouvernements stables et solides.
    Vous pouvez voir qu'à la lumière de ce sondage, les gens veulent quelque chose qui est simple et qui va leur offrir une certaine stabilité. Dès qu'on entend parler d'un gouvernement minoritaire ou d'un gouvernement de coalition, les gens commencent à se dire « mon Dieu, des élections perpétuelles! »
    Compte tenu de cette information, monsieur Maskin, pouvez-vous nous expliquer un peu la façon dont le système que vous proposez tiendrait compte des valeurs particulières qui, selon les Canadiens interrogés dans le cadre de ce sondage, sont importantes pour eux?
    Oui.
    Tout d'abord, concernant la question de la simplicité du bulletin de vote, laquelle — j'en conviens — est importante, actuellement, un bulletin de vote dresse la liste des candidats qui se présentent. Ce que je propose, c'est qu'au lieu de simplement cocher l'un de ces noms ou bien de remplir le cercle ou d'appuyer sur le bouton correspondant à l'un de ces candidats, l'électeur aurait la possibilité d'en faire plus et de classer les candidats par ordre de préférence.
    Toutefois, je pense qu'il est très important que les électeurs ne soient pas tenus de classer les candidats ou, du moins, qu'ils ne soient pas tenus d'en classer plus qu'ils le veulent. Si le nom de huit candidats figure sur le bulletin de vote, ils choisiront peut-être d'en classer trois ou quatre, ou bien un électeur pourrait simplement continuer de voter pour un seul candidat. Ce serait classer un candidat au premier rang et, essentiellement, annoncer que les autres sont à l'égalité au deuxième rang. Ça serait également très bien. Quoi qu'il en soit, l'électeur aurait le choix. Selon moi, ce genre de bulletin de vote serait acceptable parce qu'en principe les électeurs pourraient continuer à faire exactement la même chose qu'avant, mais ils auraient davantage la possibilité de s'exprimer.
    Quant à la stabilité et au gouvernement fort, quand je propose que nous passions à la règle de la majorité ou, tant qu'à y être, au vote préférentiel — qui sont deux systèmes majoritaires, contrairement aux systèmes de RP —, les systèmes majoritaires tendent à produire des gouvernements majoritaires. Ce n'est pas garanti, mais ils sont plus susceptibles d'en produire que la règle proportionnelle. Si les électeurs veulent de la stabilité, ils sont plus susceptibles de l'obtenir sous le régime de l'un de ces systèmes majoritaires.

  (1045)  

    Merci.
    Pour donner suite à ce commentaire, monsieur Loewen, vous avez mentionné que certains des principes directeurs que nous étudions et que certaines des choses qui ne vont pas dans notre système actuel pourraient être réglés grâce à une solution fédérale. Par exemple, si nous voulons accroître la participation, ce n'est pas nécessairement un autre système électoral qui peut le faire. Nous pourrions mettre en œuvre le vote obligatoire, ou bien mener une campagne de sensibilisation à l'éducation civique, et ainsi de suite, et je souscris à votre opinion selon laquelle nous avons entendu divers témoins aborder ces possibilités.
    Cependant, du point de vue de la faisabilité et du coût, et pour ce qui est de trouver une solution moins radicale pour régler certains des enjeux et des problèmes auxquels nous faisons face, comment réagiriez-vous à la recommandation de M. Maskin concernant l'adoption d'un système de VP ou de quelque chose de semblable pour régler certains de ces problèmes sans apporter un changement aussi radical?
    Veuillez répondre brièvement.
    Je pense qu'il s'agit d'un changement moins radical que la RP, et, concernant la question de la mise en œuvre, selon moi, vous devriez tenir compte du témoignage des directeurs généraux des élections et les croire sur parole lorsqu'ils évoquent les difficultés liées à la mise en œuvre rapide de nouveaux systèmes électoraux.
    Merci beaucoup.
    M. Cullen est le prochain intervenant.
    Heureusement que nous avons le temps d'étudier nos options.
    Monsieur Loewen, je veux seulement obtenir la définition d'un terme que vous avez employé dans votre témoignage aujourd'hui. Qu'est-ce qu'un « avantage évident »?
    Oh, c'est un avantage absolu. C'est tout à fait une bonne chose.
    L'idée d'un avantage évident est ensuite rejetée — plus tard — relativement au fait de disposer d'un système qui représente mieux notre population... pas seulement par des chiffres, mais, si 20 % des Canadiens veulent une certaine chose, le Parlement devrait plus ou moins refléter leur volonté. Je pense que les gens aiment avoir le choix et qu'ils aiment bien que le système électoral honore leurs choix.
    S'agit-il d'une déclaration équitable? Est-ce là une bonne chose à souhaiter?
    Eh bien, à coup sûr, ce que je disais dans mon témoignage, c'était que l'établissement d'un meilleur équilibre entre les hommes et les femmes au sein de notre Parlement présente un avantage absolu et que c'est un but que nous devrions nous fixer. Voilà l'argument que je formulais.
    Alors, si nous avons de solides données probantes indiquant qu'il y a une relation de cause à effet — qu'il y a un lien — entre les systèmes proportionnels et une meilleure représentation des femmes, pourquoi n'envisagerions-nous pas ces systèmes? Pourquoi, en fait, ne ferions-nous pas plus qu'en envisager un: pourquoi ne le mettrions-nous pas en œuvre?
    Parce que vous devez faire des compromis. Parce que vous devez concevoir un système électoral qui optimise un certain nombre d'avantages en même temps, pas seulement un.
    Regardez, si votre seule préoccupation est que nous devrions établir un équilibre entre les hommes et les femmes au Parlement, il y a une solution facile: faites adopter une loi selon laquelle seules les dépenses électorales pour — quel que soit le nombre — 169 hommes et 169 femmes seront remboursées, et, aux prochaines élections, vous obtiendrez le même nombre de candidats de sexe masculin et de sexe féminin.
    Pour tout dire, nous avons reçu une telle proposition de M. Kennedy...
    Je le sais, et c'est une merveilleuse proposition.
    ... qui est merveilleuse; pourtant, elle a été rejetée par le gouvernement actuel. Je suppose que c'est parce qu'on est en 2016.
    Je pense que la question que je vous ai posée au sujet du mandat est importante. Le mandat du Comité — et je vais lire un extrait de la résolution de la Chambre des communes —, c'est de « déterminer et étudier d'autres modes de scrutin, pour remplacer le système majoritaire uninominal à un tour ». Nous ne sommes pas en train de déterminer si nous devrions changer le système ou non; la question, c'est « comment ». Comme vous dites, tous les systèmes supposent des compromis. Comme l'a souligné M. Dufresne — de même que M. Maskin —, il y a certains avantages.
    Pour revenir sur ma question au sujet de l'amélioration de la qualité du Canada, je suppose que le fait de défendre le statu quo et de dire que le système fonctionne jusqu'à maintenant ne constitue pas un argument solide en ce sens. Nous n'aurions aucunement réformé la façon dont nous votons au Canada si nous nous étions contentés de compter sur l'idée que le Canada se porte assez bien en ce moment. Les femmes ne voteraient pas, ni les Autochtones, parce que, à ce moment-là, le Canada se portait assez bien. En tout temps, il y a eu des gens pour dire — et je ne laisse pas entendre que vous en faites partie — que les Autochtones ne devraient pas avoir le droit de voter parce que le Canada se porte très bien, et, avant cela, au sujet des femmes, et, entre les deux, au sujet des Canadiens d'origine japonaise.
    Je ne considérerai pas cet argument comme une raison de maintenir le statu quo. Je tiens compte de certaines de vos autres positions.
    M. Broadbent était ici, hier, et il a affirmé qu'une faiblesse du gouvernement libéral de 1980, c'était que, bien qu'il avait obtenu environ de 23 à 24 % du vote dans l'ouest du Canada, il n'avait pratiquement aucune représentation; pourtant, il envisageait d'apporter un changement draconien à la politique énergétique, à la politique relative au pétrole et au gaz, plus particulièrement. Le premier ministre avait invité M. Broadbent et certains autres intervenants de l'Ouest et du NPD à se présenter au Cabinet —cela n'a pas eu lieu — et a présenté une politique qui n'était pas cohérente pour les Canadiens de l'Ouest.
    S'agit-il d'une évaluation juste de ce moment de l'histoire?

  (1050)  

    Oui.
    Oui. L'argument de M. Broadbent était le suivant, et je me demande si vous le contesteriez: il est sain pour les deux côtés du débat qu'il y ait une représentation mixte des diverses régions du pays, au gouvernement et dans l'opposition. Est-ce juste?
    Je veux revenir sur le premier argument que vous avez formulé, c'est-à-dire que nous n'apporterions jamais de changements.
    Nous pouvons faire des distinctions entre les questions de droits, et les questions concernant la façon dont nous décidons de tenir des élections. Nos tribunaux n'ont pas affirmé — c'est tout le contraire, en fait — que nous devons adopter la RP en tant que question de droits. C'est très différent que de déterminer si les Autochtones devraient voter. Oui, c'est une question de droits. Les femmes devraient-elles voter? Oui, c'est une question de droits. Là où je veux en venir, c'est qu'il y a une institution fondamentale au coeur de cet enjeu et que nous pouvons changer les choses autour d'un paramètre, comme qui a le droit de vote, quand nous votons, pendant combien de jours nous le faisons, quel genre d'encouragement nous donnons aux gens, afin que nous obtenions de meilleurs résultats démocratiques — davantage de bons côtés — sans pour autant modifier le système central.
    M. Nathan Cullen: Mais...
    M. Peter John Loewen: Maintenant, pour revenir sur votre question — désolé — consistant à déterminer s'il devrait y avoir une représentation politique de partout au pays, oui, ce devrait être le cas. Je devrais vous dire que je suis d'avis que cette représentation a échoué dans notre pays à plusieurs occasions, comme vous l'avez souligné.
    Cela dit, si nous sommes préoccupés au sujet du régionalisme permanent de notre politique, il me semble qu'une façon de corriger les choses consisterait à établir des incitatifs électoraux qui indiquent à un parti qu'il n'aura jamais à rompre avec sa région. Le Parti réformiste n'est pas au Parlement aujourd'hui parce que les réformistes avaient compris que, pour former le gouvernement, ils devaient élargir leur portée à l'ensemble du pays.
    Pourtant, le système uninominal majoritaire à un tour nous a donné le Parti réformiste et le Bloc québécois comme partis d'opposition officielle au Canada, alors le régionalisme n'est pas exclusif aux systèmes proportionnels. C'est juste. Nous avons eu de nombreux cas. Nous avons l'exemple donné par M. Dufresne, où un parti ayant obtenu moins que le vote populaire s'est retrouvé à former le gouvernement, alors il y a des distorsions que nous tentons de corriger, et je dirais que ces distorsions... Habitez-vous à Toronto? Je ne voulais pas faire de supposition.
    Je vis dans le quartier de High Park.
    High Park? Très bien. De nos jours, on l'appelle souvent le château-fort de Toronto. C'était aussi le cas avant.
    Le président: Nous allons manquer de temps pour...
    M. Nathan Cullen: Disons qu'un électeur de Toronto soutient les conservateurs, les néo-démocrates ou le Parti vert. Que peut-il faire lorsqu'il n'y a absolument personne qui le représente au Parlement, à l'instar des neuf autres millions de Canadiens dont les votes ne sont pas reflétés au Parlement d'aujourd'hui?
    Ce devra être une question rhétorique, car nous devons passer à M. Rayes.

[Français]

     Merci, monsieur le président. Je remercie les trois témoins qui sont parmi nous aujourd'hui.
    Ma première question s'adresse à vous, monsieur Dufresne.
    Dans votre introduction, vous avez utilisé des mots assez forts. Vous avez mentionné que vous n'avez trouvé personne qui soit prêt à défendre le statu quo. Aujourd'hui, je pense que vous avez trouvé quelqu'un.
    Par ailleurs, vous avez choisi le terme « unanime » en disant que toutes les personnes que vous avez consultées dans le cadre de différents événements, débats ou échanges étaient en faveur d'un mode de scrutin proportionnel. Cependant, encore une fois, il y a quelqu'un à votre gauche qui défend un autre argument. Honnêtement, je trouve cela assez spécial que vous affirmiez être un rassemblement d'une très grande majorité de Québécois qui prônent le mode que vous présentez.
    J'aimerais vous poser une question très simple. Mon collègue qui se trouve à ma gauche vous l'a posée plus tôt, mais vous n'avez pas eu le temps de compléter votre réponse.
    Lorsque les travaux de ce comité auront été complétés et qu'une proposition aura été faite, pensez-vous définitivement que l'on devra consulter l'ensemble de la population par voie référendaire pour s'assurer que cette proposition est un bon choix et qu'un changement de notre mode de scrutin est nécessaire?
     Je vous remercie de votre question.
    Effectivement, il faudrait peut-être apporter quelques clarifications. Quand j'ai mentionné qu'il y avait un vaste consensus, je ne parlais pas d'individus, mais bien d'organisations de la société civile. Nous travaillons avec des organisations qui ont des procédures délibératives et qui adoptent des positions à la suite de débats au sein de leurs instances.
     Je comprends que des individus puissent avoir des opinions personnelles, mais nous parlons d'organisations de la société civile. C'est pourquoi je disais qu'il y avait un vaste consensus autour de cette question.
    Par ailleurs, quand j'ai mentionné la question de l'unanimité, je parlais des organisations qui visent une réforme électorale à finalité proportionnelle. Toutes les organisations qui s'impliquent dans cet enjeu, du moins au Québec, ont une position claire en faveur d'un scrutin à finalité proportionnelle. Je veux m'assurer que cela est clair.
    En ce qui a trait au processus de consultation, j'ai bien apprécié les commentaires formulés un peu plus tôt sur la notion de conflits d'intérêts. Comme notre collègue le disait à mots couverts, il y a une certaine nécessité que les élus, qui sont ici pour débattre de cette question, mais dont la réélection est directement influencée par l'issue de ce débat, puissent se retirer de la décision finale et impliquer la population dans le processus.
    Pour revenir à ce que je disais, je n'ai pas entendu d'argument qui était contre l'idée de permettre aux citoyens d'expérimenter une solution appuyée par une vaste partie de la société civile avant de s'exprimer.

  (1055)  

    Merci, monsieur Dufresne.
    J'aimerais vous poser une question extrêmement simple et, par la suite, entendre les deux autres témoins.
    J'ai entendu ce que vous avez dit, mais croyez-vous, oui ou non, qu'il serait pertinent, à la fin du processus, de consulter l'ensemble de la population canadienne avant de mettre en place un nouveau mode de scrutin?
    Nous croyons qu'il faut respecter les citoyens et les citoyennes et que la meilleure façon de le faire est de leur permettre de faire un choix confiant. Pour ce faire, il n'y a rien de mieux que de soupeser les avantages et les inconvénients d'une telle réforme en ayant vu l'incidence que celle-ci peut avoir sur la culture politique.
    Comme on l'a dit, c'est un changement important et on doit savoir quelle incidence il peut avoir sur la façon dont se fait la politique. Cela prend au moins deux élections, mais il faut d'abord savoir comment cela peut être mis en place avant de faire un choix éclairé. Nous sommes donc absolument d'accord pour permettre à la population de s'exprimer.
    Avant d'en arriver aux autres témoins, j'aimerais saisir la balle au bond.
    Que dites-vous des différents sondages qui démontrent qu'entre 60 et 73 % de la population — dont plus de 60 % au Québec — est en faveur d'un référendum sur cette question?
    Plus tôt, vous disiez que vous n'étiez pas un expert et que vous représentiez un regroupement de professeurs d'université et d'experts dans le domaine. Or plus de 50 % des témoins-experts sont favorables, voire très favorables, à l'idée qu'il y ait un référendum avant de procéder à cette réforme.
    Votre organisation se dit une organisation démocratique qui réclame plus de consultations et de participation citoyenne. Je comprends toutefois que vous ne seriez pas d'accord pour procéder de cette façon avant que l'on instaure le système. Vous dites qu'on ne devrait poser la question à nouveau qu'après un certain nombre d'années, soit après deux ou trois élections. Est-ce exact?
    Très rapidement, s'il vous plaît.
    En ce qui a trait aux sondages, effectivement...
    Est-ce oui ou non?
    On doit permettre à la population de s'exprimer en toute connaissance de cause. À notre avis, c'est la meilleure solution.
    Parfait. Merci.
    Monsieur Loewen et monsieur Maskin, rapidement...
    Malheureusement, monsieur Rayes, le temps dont vous disposiez est écoulé.
    Monsieur DeCourcey, vous avez maintenant la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie également les trois témoins qui ont comparu devant nous ce matin pour les différents points de vue qu'ils ont exprimés. Pour ma part, j'apprécie la diversité des points de vue. Elle est importante pour le travail d'un comité et elle devra être présentée aux Canadiens lorsque nous les impliquerons dans cette discussion cet automne.

[Traduction]

    Mes questions s'adresseront d'abord à M. Loewen en particulier, puisqu'elles concernent un article publié vendredi dont le contenu global correspond à votre témoignage de ce matin. Dans l'article, vous reconnaissez qu'une réforme électorale, en particulier les systèmes de représentation proportionnelle, pourrait présenter des avantages — si modestes soient-ils —, entre autres la possibilité d'augmenter légèrement la participation électorale.
    À titre d'exemple, il y a le tableau où il est indiqué que les citoyens de la Nouvelle-Zélande croient que les élections sont tenues de façon relativement équitable. De notre côté, le vote stratégique revient à faire un compromis ou à élaborer une stratégie, ce qui peut entraîner un manque de cohérence ou de correspondance entre les résultats des politiques et ce que les citoyens veulent.
    Dans votre article, vous avez écrit que:
les améliorations au chapitre des résultats économiques, de la gestion budgétaire et des politiques sont probablement imputables à d'autres facteurs.
    Nous avons entendu nombre de témoignages sur le fait que le système électoral s'inscrit dans un système plus vaste qui comprend la forme de notre gouvernement ainsi que notre culture politique. Avec cela à l'esprit, et comme il faut présenter les options aux Canadiens, de quels facteurs devrait-on tenir compte?
    Merci. Vous posez une très bonne question.
    Selon moi, le Comité ne devrait pas trop s'attendre à ce qu'une réforme du système électoral entraîne beaucoup de retombées importantes, qu'elles soient favorables ou défavorables, sur les résultats macroéconomiques ou la façon dont le budget est géré, par exemple. À mon avis, ces choses sont en grande partie fixes; elles sont déterminées par la situation d'un pays dans l'économie mondiale, par la nature de ses ressources et par les forces dynamiques qui animent sa population relativement à la démocratie. Je crois qu'il faut faire preuve d'un certain scepticisme lorsqu'on se penche sur les études qui établissent un lien de causalité entre le système électoral et les différences transnationales.
    En passant, je pourrais facilement vous renvoyer à des études qui indiquent que certains pays où il y a un système à la majorité obtiennent de meilleurs résultats pour certaines de ces mesures. Dans la plupart des cas, je ne crois pas que les systèmes électoraux aient vraiment d'effet à ce chapitre: l'incidence est beaucoup trop indirecte pour que ce soit le cas.
    Les avantages que nous pourrions tirer d'une réforme électorale concernent probablement un peu plus la participation électorale et, comme vous l'avez dit, un plus grand sentiment d'équité par rapport au résultat des élections. Ce sont de bons points, n'est-ce pas? Il y aura sans doute davantage de femmes au Parlement, et c'est une bonne chose, même s'il faudra faire des compromis.

  (1100)  

    Croyez-vous qu'il y a d'autres facteurs qui pourraient contribuer à accroître la représentation parlementaire des femmes? Devrions-nous également prendre ce genre de choses — la volonté politique de faire figurer davantage de femmes sur les bulletins de vote et ainsi leur offrir l'occasion de se présenter aux élections — en considération?
    Si le Comité, et les députés dans l'ensemble, croient qu'il est important d'avoir la parité des genres autant sur les bulletins de vote qu'au Parlement, vous pourriez toujours procéder à des changements administratifs en ce sens.
    Pour être honnête, vous pourriez prendre exemple sur le NPD, qui depuis longtemps déploie de très grands efforts afin de recruter des femmes et de s'assurer que des candidates fortes, qui peuvent l'emporter, se présentent aux courses à l'investiture. Vous pourriez modifier les lois administratives concernant les dépenses électorales, par exemple, afin d'inciter fortement les partis à présenter plus de candidates que de candidats.
    Il ne faut pas réformer le système électoral et simplement s'attendre à ce que les conséquences logiques escomptées mènent aux résultats voulus. Nous pouvons dès aujourd'hui adopter des lois afin d'atteindre les résultats désirés.
    Parfait.
    Monsieur Maskin, j'ai remarqué, dans votre témoignage, que vous aviez contourné la question de la règle proportionnelle; vous avez dit que cela représenterait un changement radical.
    Avec le temps qu'il nous reste, pouvez-vous vous exprimer un peu à propos de votre aversion pour la règle proportionnelle?
    À ce chapitre, je crois que je partage certaines des préoccupations de M. Loewen.
    Dans un grand nombre de pays, la règle proportionnelle a très bien fonctionné. Toutefois, il s'agit d'un système très éloigné — et de façon très importante — de celui en vigueur au Canada, si on le compare aux systèmes à la majorité, comme le mode de scrutin préférentiel ou le principe de la majorité.
    Concrètement, la règle proportionnelle ferait probablement disparaître le système actuel de circonscriptions uninominales. Les Canadiens sont habitués d'élire un député dans leur circonscription. La règle proportionnelle viendrait changer cela. En outre, certains croient que cela pourrait sonner le glas des gouvernements majoritaires. Dans un grand nombre de pays, le système proportionnel fait en sorte que les gouvernements sont formés de coalitions. C'est un scénario beaucoup plus probable dans un système proportionnel que dans un système majoritaire.
    Dans ce genre de situations, j'ai pour principe qu'il faut procéder à des réformes si les améliorations voulues sont clairement atteignables; il ne faut pas faire trop de zèle lorsqu'on cherche à améliorer ceci ou cela.
    Merci.
    Nous allons commencer la deuxième période de questions. Madame Sahota, allez-y, s'il vous plaît.
    Je vais reprendre la question des gouvernements de coalition.
    Certains de nos témoins ont affirmé qu'un gouvernement de coalition pouvait être une très bonne chose, qu'il pouvait accomplir beaucoup. Cela a été démontré dans le passé: d'excellentes idées sont nées de gouvernements de coalition, mais on a également avancé que certaines personnes peuvent se dire, lorsqu'il y a un gouvernement de coalition, qu'elles n'ont pas voté pour cela, qu'il ne s'agit pas du programme qu'elles avaient clairement vu et pour lequel elles avaient voté. On se retrouve alors avec une situation plutôt embrouillée.
    Monsieur Loewen, j'ai été très intéressée — je n'y avais même pas pensé — par ce que vous avez dit dans votre exposé à propos du fait que 10 % des votes pouvaient donner 20 % du pouvoir, ou encore davantage si on sait comment tirer parti du système. Pouvez-vous approfondir un peu plus votre pensée?
    À ce sujet, une préoccupation qui me vient à l'esprit est l'hostilité envers les immigrants. Au Canada, nous sommes fiers du fait que nous avons une position et une approche différentes relativement à la crise des réfugiés syriens. Les réfugiés n'ont peut-être pas été en mesure de venir au Canada avec autant de facilité que s'ils étaient allés dans d'autres pays d'Europe, mais, face à la crise, la réaction du Canada a été très différente de la leur. La façon dont le Canada a géré la situation, par rapport aux pays européens, a été reconnue mondialement.
    Ce genre de système pourrait-il engendrer de petits partis qui pourraient profiter soit de l'hostilité envers les immigrants, soit d'autres controverses futures?

  (1105)  

    J'ai deux commentaires à ce sujet.
    D'abord, tout ce que j'ai à dire en ce qui concerne votre deuxième point, c'est que si vous examinez les données transnationales pour en extraire l'ensemble des points positifs qui sont, en moyenne, plus saillants dans les pays où il y a un système de représentation proportionnelle, alors vous devez également vous pencher sur les points négatifs. À mon avis, il est plus probable que des partis hostiles aux immigrants et à l'immigration légale remportent des sièges lorsqu'un pays très multiculturel a recours à un système de représentation proportionnelle plutôt qu'à un système majoritaire.
    En ce qui concerne votre premier point, je crois que vous posez une question normative, une question qui se résume principalement à ce qui suit: imaginez tout un éventail, à la suite des prochaines élections, dans lequel... ce système n'a pas mené à une fragmentation complète en Nouvelle-Zélande. Il y a deux partis principaux, le Parti national et le Parti travailliste, qui continuent de récolter 40 % des votes, environ, à chaque cycle électoral. Toutefois, imaginez une situation où un des partis traditionnellement plus importants remporte 45 % des votes et décide de former un gouvernement de coalition majoritaire avec un parti qui a obtenu 6 % des votes. Grâce à cette coalition, le parti détient la majorité des sièges au Parlement.
    Selon la règle de Gamson, cet autre parti devrait disposer d'un pouvoir proportionnel à sa part des sièges. Dans ce cas, pourquoi un parti qui a remporté 5 % des votes aurait-il droit à 10 % du pouvoir au Cabinet? Pourquoi est-ce que cela est préférable à une situation où un parti disposerait de tous les pouvoirs avec seulement 40 % ou 45 % des votes? Il s'agit d'une question normative, et je crois que le Comité devrait l'approfondir, mais le fait est que les gouvernements de coalition sont plus présents avec un système de représentation proportionnelle qu'avec un système majoritaire. Les gouvernements de coalition présentent certains avantages, mais également certains inconvénients, entre autres une responsabilité plus floue et des négociations à huis clos qui ont lieu après ou entre les élections, mais pas avant.
    C'est à ce genre de compromis normatifs auxquels il faut s'attendre, et le Comité ferait bien de les étudier. J'attends encore un argument convaincant — et je suis prêt à me laisser convaincre — pour justifier le fait qu'un parti qui a reçu un très petit pourcentage des votes pourrait disposer d'un pouvoir disproportionné au Cabinet, simplement parce qu'il fait partie d'une coalition. Il faut aussi justifier pourquoi cela est souhaitable, car ce ne l'est peut-être pas, n'est-ce pas? Je n'ai toujours pas entendu d'argument pour justifier cela, et ce scénario est plus probable dans un système de représentation proportionnelle que dans un système majoritaire.
    D'autres témoins aimeraient-ils ajouter quelque chose à propos des gouvernements de coalition et de l'équilibre des pouvoirs?
    D'abord, je veux dire que je suis d'accord avec M. Loewen sur le fait qu'un petit parti qui forme un gouvernement de coalition disposera d'un pouvoir disproportionné, simplement parce que la majorité repose en partie sur lui.
    Toutefois, de la même façon, les petits partis qui ne font pas partie du gouvernement dans un système de représentation proportionnelle ne disposent pratiquement d'aucun pouvoir. Cela peut encourager les électeurs à voter stratégiquement.
    À nouveau, imaginez que j'appuie un petit parti qui ne fera probablement pas partie de la majorité. Si je vote pour ce petit parti, essentiellement, je gaspille mon vote. Les systèmes de représentation proportionnelle, contrairement à un système majoritaire, encouragent, en général, les gens à voter davantage pour les petits partis, mais cela vaut uniquement pour les petits partis qui vont probablement former une coalition.

  (1110)  

    Merci.
    La parole va à M. Reid.
    Merci, monsieur le président. Cette fois-ci, je vais adresser mes questions à M. Maskin.
    Monsieur, la majeure partie de la discussion — en fait, pratiquement toute la discussion — sur votre exposé a tourné autour du système politique américain. L'une des différences évidentes qui me viennent à l'esprit entre les systèmes politiques américain et canadien est le système d'élections primaires. Je suis sûr que vous avez été témoin des discussions sur la façon dont votre système aurait peut-être influencé les élections primaires républicaines.
    Il me semble que cette différence, le système d'élections primaires, est une différence plutôt marquée. Selon moi, les États-Unis ont effectivement créé deux systèmes parallèles qui, dans l'ensemble, correspondent aux élections présidentielles de la France. Essentiellement, vous tenez deux élections au même moment, ou si vous préférez, la course est à l'envers, ce qui fait qu'une partie de votre analyse ne peut pas être appliquée aisément au système canadien.
    Existe-t-il d'autres exemples qui sont un peu plus similaires? Y a-t-il d'autres administrations — par exemple, les administrations municipales dans votre pays — où votre système a été mis en oeuvre et utilisé pour un ou plusieurs cycles d'élections? Cela représenterait une situation plus assimilable, selon moi, à la situation canadienne.
    Actuellement, les grandes villes n'utilisent pas le principe de la majorité tel que je l'ai défini, en grande partie pour des raisons historiques. Jusqu'à tout récemment, nous ne disposions pas de la technologie de décompte des voix pour que cela soit possible. Un grand nombre de groupes professionnels l'utilisent, mais il s'agit de groupes plus petits que des villes.
    Toutefois, le système de scrutin préférentiel est très similaire au principe de la majorité, mais il comprend des bulletins de vote où il faut coter ses choix. On l'utilise dans un grand nombre de villes américaines, par exemple San Francisco, au Minnesota, et ma ville de Cambridge, au Massachusetts.
    Ce système est utilisé à Berkeley aussi, je crois, n'est-ce pas?
    Oui, à Berkeley aussi.
    Les études indiquent que ce système fonctionne plutôt bien. Nous en avons effectivement fait l'expérience.
    Si je ne m'abuse, dans la plupart de ces municipalités, ce système a été mis en oeuvre à la suite d'un référendum. Les habitants ont choisi de le mettre en oeuvre, et cela n'a été fait qu'une fois le référendum terminé. Est-ce que je me rappelle bien la façon dont les choses se sont déroulées dans ces municipalités?
    Je ne suis pas sûr en ce qui concerne Cambridge; on y utilise le scrutin transférable depuis si longtemps que je ne me rappelle plus exactement comment cela a commencé. Cependant, pour les autres villes qui l'ont récemment adopté, vous avez raison.
    Oui. Je suis assez convaincu d'avoir raison, surtout en ce qui concerne l'exemple de la Californie. Voilà qui est utile.
    Bien sûr, vous avez sans doute remarqué qu'une préoccupation ici tient au choix du public, vu que les partis concernés devront choisir le système à adopter. Mon parti soutient que les citoyens doivent approuver le système afin d'éviter la possibilité que les partis concernés conçoivent un système dans le but de fixer le résultat des prochaines élections. Cela nous oblige à élaborer un système qui satisfait les électeurs, autrement nous aurons à supporter une autre période électorale avec le système en vigueur.
    Selon vous, ma préoccupation par rapport au choix du public est-elle justifiée, ou s'agit-il simplement d'une menace imaginaire?
    Je n'ai pas étudié la question d'assez près pour former une opinion éclairée. Au niveau national, aux États-Unis, chaque État a le pouvoir de modifier le système électoral. Donc, au niveau national tout au moins, une réforme électorale ne ferait pas l'objet d'un référendum. À l'échelon municipal...
    Je ne crois pas faire erreur si je dis que cette façon de procéder est très loin d'être parfaite, si je me fie aux limites de certaines circonscriptions électorales aux États-Unis.

  (1115)  

    Oui. Je n'ai pas dit qu'il s'agit de la bonne façon de procéder, mais c'est le processus réglementaire.
    D'accord, oui.
    Merci beaucoup, monsieur.
    Parfait. Vous avez fini à la seconde près.

[Français]

     Monsieur Boulerice, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Ma question s'adresse au professeur Maskin, mais avant de la poser, je vais prendre quelques minutes pour faire une introduction.
    Aux dernières élections, le Parti libéral nous a dit que 2015 serait la dernière élection avec le « first-past-the-post system », qui est le mode de scrutin utilisé depuis 149 ans. Le mandat de ce comité est d'explorer les différentes options qui s'offre à lui.
    Dès le début, M. Arend Lijphart nous a donné des explications sur les deux grandes familles de mode de scrutin qui existent, soit la famille majoritaire et la famille consensuelle ou proportionnelle. En fait, le vote alternatif que vous proposez aujourd'hui fait partie de la même famille que le mode de scrutin actuel dont on veut se débarrasser — c'est la promesse qu'a faite le gouvernement libéral —, car il crée des distorsions et de fausses majorités.
     J'ai bien l'impression que le mode de scrutin alternatif que vous nous proposez est une autre manière de créer une majorité. Il pose toutefois des problèmes pour les gens comme nous qui veulent que le Parlement représente les choix et les voix des citoyens et des citoyennes. Le seul exemple connu dans une démocratie occidentale avec lequel on peut faire une comparaison est celui de l'Australie. Dans ce pays, le système de vote alternatif crée un bipartisme très puissant qui écrase les voix des citoyens qui ne votent pas pour ces grands partis.
    Laissez-moi vous donner l'exemple des quatre dernières élections en Australie. Dans ce pays, il y a la Coalition nationale et le Parti travailliste. Ensemble, en 2016, ces deux partis ont eu 97 % des députés, en 2013, 97 %, en 2010, 96 %, et en 2007, 99 %. Il y a une distorsion de 15 % à 25 % des voix exprimés par les citoyens et les citoyennes.
    C'est un peu comme si, dans votre système, quelqu'un dont le premier choix est le Parti vert, sachant que celui-ci ne sera probablement pas élu, décidait de voter pour le NPD comme deuxième choix, libéral comme troisième choix et conservateur comme quatrième choix, parce que c'est ce dernier parti qu'il veut éviter à tout prix. Il y aurait de bonnes chances qu'il se retrouve avec un député libéral, qui n'est ni son premier ni son deuxième choix.
    Supposons que vous alliez chez un concessionnaire pour y acheter une voiture. Votre premier choix est une voiture électrique. On vous dit que c'est une très bonne idée, mais que ce n'est pas possible. Alors, vous décidez d'acheter une voiture hybride. On vous dit que ce serait intéressant aussi, mais qu'il n'y en a aucune qui est disponible pour le moment. Comme vous ne voulez pas avoir un VUS, vous choisissez une camionnette comme troisième choix, mais ce n'est pas ce que vous êtes allé chercher et vous ne voulez pas d'une camionnette. Pourquoi un électeur devrait-il se retrouver avec une camionnette alors qu'il n'en veut pas?

[Traduction]

    La question ne concerne pas vraiment les automobiles, en passant.
    Des voix: Oh, oh!
    Le problème tient au fait qu'il faut en arriver à une décision malgré un électorat hétérogène. D'une façon ou d'une autre, il faut qu'il y ait une majorité, et cela suppose inévitablement que le point de vue de certains électeurs ne sera pas représenté. Même si le système de représentation proportionnelle reflète mieux les opinions des minorités que les systèmes majoritaires, le fait demeure qu'un grand nombre d'électeurs, et peut-être même la majorité des électeurs, ne seront pas représentés, c'est-à-dire que leur volonté politique ne sera pas prise en considération parce que la coalition qui forme la majorité, peu importe de qui il s'agit, ne comprendra pas leur parti. Il n'y a aucune façon — aucun système électoral — qui permet à tout le monde de voir son avis pris en considération dans les décisions du gouvernement.

  (1120)  

[Français]

     Merci.
    Nous passons maintenant à M. Thériault.
    Merci, monsieur le président.
    Après avoir entendu divers experts, il est clair pour nous que tout système électoral induit un biais quant au vote stratégique. Il s'agit de valeurs. À partir des valeurs que l'on privilégie, on fait un choix. Tous les systèmes comportent des inconvénients.
    Pour ma part, quelque chose m'irrite un peu. On peut s'attendre d'un mode de scrutin qu'il ne gomme pas la réalité et la dynamique politiques réelles d'un territoire donné. La ministre ou mon collègue de droite prétendent qu'en ce qui a trait à 1993, c'est l'une des raisons pour lesquelles il faudrait changer le mode de scrutin, et ce, parce que cela a entraîné du régionalisme.
    En fait, c'est peut-être heureux que cela soit arrivé. C'est peut-être en effet le seul avantage que le système actuel ait eu dans l'histoire du Canada. Après l'échec de Meech et celui de Charlottetown, cela a pu faire en sorte que, lors de ces moments importants de l'histoire québécoise et canadienne, les deux voix exprimées soient refléter au Parlement.
     Si on veut réduire à une région géographique la réalité québécoise, je pense qu'on se trompe. En 1867, lors des discussions qui ont mené à l'établissement de notre parlementarisme, les Pères de la Confédération ont précisé qu'il ne fallait pas oblitérer l'identité nationale du Bas-Canada. Si on veut un mode de scrutin sur mesure au Canada, il faudrait qu'on me dise de quel Canada on parle. Est-ce celui d'après 1982 ou celui de 1867?
    Cela dit, lorsque je vous entends parler du pluralisme idéologique, je constate qu'il y a un problème. Vous dites qu'il y aura un écart et qu'un petit parti pourrait former le gouvernement avec un noyau plus grand. Or c'est cela, le pluralisme idéologique. Il se peut que ce dernier soit ce que choisit la population pour que, de façon claire, elle puisse aussi accéder à la gouvernance. Si un petit parti représente les gens qui ont voté pour lui et si sa plateforme électorale est compatible avec un projet de loi que le plus grand parti ayant le plus de voix veut mettre en vigueur, je ne vois pas en quoi cela est un problème sur le plan mathématique.
    Or le pluralisme idéologique ne se réduit pas à des mathématiques. Je pense qu'il faut dépasser cela. Je sympathise avec le Mouvement Démocratie Nouvelle, mais je ne comprends pas que son représentant ait « patiné » à deux reprises lorsqu'il était question de mettre la population dans le coup. À mon avis, pour que la population ait confiance, il faut qu'elle soit dès maintenant partie prenante de la décision. De cette façon, elle pourrait agir à titre d'arbitre pendant quatre ans. On pourrait alors dépasser le caractère partisan ainsi que l'aura des experts et des initiés.
    Monsieur Dufresne, vous représentez des initiés. C'est parfait pour notre démocratie, parce que vous allez nous éclairer. Par contre, quand je vais dans la rue et que je visite les gens, ils n'ont aucune idée de ce que nous faisons ici. Notre mandat est de les consulter et non de décider à leur place. Certains experts nous ont dit — et je caricature à peine ces propos — que la démocratie était trop importante pour la laisser entre les mains du peuple.
     En ce qui me concerne, je pense que vous devriez revoir votre position. Même si nous sommes pressés par le temps, nous n'arriverons à rien et nous resterons chacun dans notre camp. La réforme n'aboutira à rien si nous ne mettons pas la population dans le coup, et pour la mettre dans le coup, il faut la laisser trancher la question.
    Monsieur Dufresne, vous avez une minute pour répondre à la question.
    Je vous remercie.
    Je veux que ce soit très clair. Nous avons absolument confiance en la capacité de discernement de la population et en l'intelligence des Canadiennes et des Canadiens.
     Ne souscrivez-vous pas à cette idée qu'il est souhaitable de permettre aux citoyennes et aux citoyens de s'exprimer dans les meilleures conditions possibles et de pouvoir, de façon optimale, soupeser les tenants et les aboutissants des propositions qui sont sur la table? Ne souscrivez-vous pas à cette idée?
    Absolument.

  (1125)  

    Vous êtes donc d'accord avec notre proposition?
    Non. L'idée serait que le 1er décembre, la première phase soit terminée. On continuerait tout le processus pour en arriver à un modèle précis avant de consulter la population. Pendant une élection, la population peut trancher. Cela s'est fait ailleurs dans le monde. Les gens sur le terrain auraient eu le temps de mettre la population dans le coup. Ce n'est pas pour les initiés ou les experts que nous faisons cela, et encore moins pour les politiciens. C'est pour la population.
     La notion de jury citoyen pourrait être un compromis. Je vous invite à considérer cet aspect. C'est une sorte d'arbitrage qui permet à des groupes de citoyens pris aléatoirement de s'exprimer sur ces questions. Cela rejoindrait tout à fait vos préoccupations et celles des députés conservateurs.
    Merci, monsieur Dufresne.
    Nous passons maintenant à Mme May.

[Traduction]

    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais vraiment poser d'autres questions à M. Dufresne et à M. Maskin, mais je veux d'abord revenir sur le sujet de la qualité et de la quantité des données sur lesquelles sont fondées nos conclusions au sujet des systèmes de représentation proportionnelle et des systèmes majoritaires.
    Avec votre permission, monsieur Loewen, j'aimerais vraiment que nous organisions un colloque à l'Université de Toronto un de ces jours. Je pourrais tenter de vous convaincre du fait que la concentration des pouvoirs absolus ne doit pas être accordée en fonction d'une minorité des votes; il faut plutôt un partage des pouvoirs par ceux qui détiennent la majorité. Je vais cependant m'abstenir, puisque je n'ai que cinq minutes.
    Vous êtes toujours la bienvenue à notre School of Public Policy and Governance.
    D'abord et avant tout, je tiens à m'excuser du malentendu pendant la dernière période de questions, à propos des 10 pages. À cause d'un changement de police, il semble que le document ne compte pas plus que 6 pages et demie. Je dispose donc de tout ce que vous avez présenté jusqu'ici.
    J'aimerais savoir si les analyses que vous avez menées dans les 15 pays que vous avez étudiés se sont poursuivies sur plus d'une période électorale. Y a-t-il davantage de données dans vos documents de référence?
    Non, rien d'autre.
    Qu'il s'agisse du tableau que j'ai préparé pour vous ou du cas de la Nouvelle-Zélande, je n'ai exclu aucune analyse. Avant de venir témoigner, j'ai simplement résumé sur une feuille les analyses que j'ai réalisées.
    Vous avez mentionné un livre, mais vous ne l'avez pas nommé. Toutefois, je présume, à partir des inférences, qu'il s'agit du livre d'Arend Lijphart, Patterns of Democracy.
    D'après ce que vous savez comme universitaire, est-ce exact que ce livre décrit les résultats d'une étude de tous les résultats électoraux de 36 pays depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale? De l'autre côté, le tableau 2 qui nous a été présenté — le Comité va s'appuyer sur ces données que vous avez préparées rapidement pour nous — ne comprend que les résultats d'un seul cycle électoral, et ce, pour seulement 15 pays.
    C'est exact.
    Dans le deuxième tableau, mon intention était de comparer les 15 pays qui, à l'échelle mondiale, comptent la plus grande proportion de personnes nées à l'étranger. Je voulais étudier des pays semblables au Canada, des pays d'immigrants.
    D'accord, mais dans...
    Oui, et M. Lijphart a comparé 36 pays.
    Ainsi que toutes les élections depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
    Jusqu'à quelle année?
    La dernière version du livre s'arrête aux années 2000, je crois. Je vais devoir revérifier.
    En ce qui nous concerne — et je trouve très intéressant d'examiner les élections qui ont lieu dans ces pays — j'ai été surprise par le fait que vous avez conclu que le gouvernement majoritaire australien, formé par une coalition des partis libéral et national, n'était pas hostile à l'immigration.
    Selon mes collègues du Parti vert en Australie, les élections dans ce pays sont très influencées par les politiques en matière d'immigration de chaque parti. Le gouvernement majoritaire actuel en Australie, élu par scrutin majoritaire uninominal à un tour, impose aux réfugiés dans les camps à Nauru certaines des conditions les plus terribles que j'ai vues. Pourtant, selon votre classification, ces partis ne sont pas anti-immigration.
    Non, parce qu'ils ne s'opposent pas — la définition est très explicite dans le document d'information que je vous ai donné — à l'immigration légale.
    Malgré tout, espérons que nos politiques en matière d'immigration ne deviennent jamais aussi hostiles que les leurs.
    Exactement, et c'est pourquoi ce point a retenu mon attention. En Nouvelle-Zélande, en Irlande et en Espagne — des pays qui utilisent tous un système de représentation proportionnelle — il n'y a aucun tiers parti qui s'oppose à l'immigration. En Allemagne et en France, qui utilisent aussi un système de représentation proportionnelle, les partis qui adoptent des politiques inquiétantes en matière d'immigration n'obtiennent pas de sièges.
    À mon avis, on ne peut pas dire que la France utilise un système de représentation proportionnelle. Il s'agit plutôt d'un système majoritaire.
    D'accord, mais en Allemagne, où le système de représentation proportionnelle mixte est clairement utilisé, les opposants à l'immigration n'ont obtenu aucun siège.
    De fait.
    Le point important — et plutôt inquiétant — est que les partis anti-immigration ont progressé dans une certaine mesure pendant les dernières élections aux Pays-Bas, en Suisse et en Autriche.
    Oui. Ça a également été le cas dans d'autres pays.
    À ce sujet, je voulais...
    De fait, ces partis ont même obtenu des sièges. Ils font partie du gouvernement.
    Oui.
    Pour revenir à ma première question, je voulais avant tout savoir s'il y avait d'autres renseignements, et je suis heureuse de voir que nous sommes sur la même longueur d'onde à propos de la qualité de l'information à notre disposition. Je vous remercie d'avoir pris le temps de regrouper toutes ces données à propos des dernières élections qui ont été tenues dans ces pays.
    J'ai quelques questions qui m'ont été posées par Twitter. Je ne croyais pas avoir suffisamment de temps, mais il y en a une que je veux vraiment poser. La question est posée par Ann, de Nelson, et elle s'adresse à vous, monsieur Maskin.
    De quelle façon le principe de la majorité peut-il refléter la diversité de la population canadienne?

  (1130)  

    Il s'agit de permettre aux électeurs de donner à leur candidat favori, peu importe de qui il s'agit — et même quelqu'un dont les chances de gagner sont très minces — la première place sur le bulletin de vote. Avec le système actuel, si je vote pour un candidat peu populaire — un candidat qui ne remportera très probablement pas de siège — je ne fais que gaspiller mon vote. Mon opinion en faveur de ce candidat ne vaut rien et, par conséquent, il est beaucoup plus avantageux pour moi de voter pour quelqu'un qui a vraiment des chances de l'emporter.
    Avec le système majoritaire ou le système de scrutin préférentiel, nous pouvons voir pour qui les gens ont voté, et quels partis sont favoris.
    Je suis sûre que mon temps est écoulé, malheureusement.
    Merci.
    Merci, madame May.
    Monsieur Aldag, la parole est à vous.
    Monsieur Maskin, j'ai parcouru votre mémoire deux ou trois fois, et je ne parviens pas à saisir la différence — il s'agit probablement d'une différence subtile — entre ce que vous appelez le système majoritaire et le système de scrutin préférentiel. Vous mentionnez que le système majoritaire permettrait de régler tous les problèmes que nous avons cernés, alors que le système de scrutin préférentiel ne permet que d'en régler quatre sur cinq.
    J'essaie de comprendre à quel point les différences sont nuancées. S'agit-il d'un calcul mathématique? J'aimerais donc que vous m'expliquiez, dans l'ensemble, jusqu'à quel point la différence serait grande si nous décidions de passer d'un scrutin majoritaire uninominal à un tour — notre système actuel — à un autre système majoritaire au lieu de passer à un système complètement différent comme la représentation proportionnelle.
    Cela fait trois questions.
    Je vais d'abord répondre à votre première question.
    Je crois que la façon la plus simple de distinguer le vote préférentiel, parfois aussi appelé vote transférable, et ce dont je parlais, le principe de la majorité, est de prendre l'exemple affiché à l'écran.
    Je m'y intéressais justement.
    Comme le montre l'exemple, le candidat B remporte la majorité parce qu'il bat les candidats A et C par une majorité.
    Toutefois, avec un scrutin préférentiel ou transférable, on ne retiendrait que les premiers choix, ce qui donne 40 % pour le candidat A, 35 % pour le candidat C et 25 % pour le candidat B. Le candidat B, qui a remporté la majorité, serait éliminé avec un système de scrutin préférentiel. Avec ce genre de système, quand aucun candidat n'est le premier choix de la majorité des électeurs, on élimine le candidat qui a eu le moins de votes de première place. Dans l'exemple, il s'agit du candidat B.
    Voilà un exemple patent de la différence entre le principe de la majorité et le vote préférentiel.
    Cela me laisse croire qu'il y a plus d'une option ou de variantes pour chaque système. Êtes-vous en train de dire que les lacunes de notre système actuel justifient d'envisager un autre système, mais pas d'en inventer un autre complètement novateur — parce que ce serait excessif —, par exemple un système proportionnel?
    À vrai dire, le système de représentation proportionnelle n'est pas vraiment nouveau. On l'utilise sans aucun problème dans un grand nombre de pays.
    Je voulais dire, nouveau pour le Canada.
    Si on le compare au vote préférentiel ou au principe de la majorité, il s'agirait d'un changement beaucoup plus marqué.
    Le scrutin préférentiel, dans l'exemple donné, ne fonctionne pas vraiment, parce qu'il élimine le candidat qui a remporté la majorité. Toutefois, il s'agit dans l'ensemble d'un bien meilleur système pour représenter la majorité que le scrutin majoritaire uninominal à un tour. Selon moi, le vote préférentiel, le principe de la majorité ou toute autre variante semblable où les électeurs ont l'occasion d'établir un classement des candidats en ordre de préférence au lieu de simplement voter pour une seule personne serait une grande amélioration par rapport au scrutin majoritaire uninominal à un tour.

  (1135)  

    Merci.
    L'autre question que je voulais vous poser, monsieur Maskin, concerne la légitimité du processus.
    Je ne sais pas si vous connaissez bien le processus que nous avons élaboré. On y prévoit diverses consultations, une tournée nationale ainsi que des consultations en ligne, lesquelles seront tenues pendant une longue période. On a également évoqué la possibilité d'un référendum, une autre façon de légitimer le processus.
    D'après ce que vous avez vu de notre processus, pouvez-vous, en tant qu'agent extérieur, nous dire s'il y a des activités que nous pouvons entreprendre afin de légitimer le processus. Y a-t-il d'autres mesures que nous devrions, selon vous, prendre ou ajuster?
    Je ne crois pas, en tant que tiers, avoir l'expertise suffisante pour répondre à cette question. En ce qui concerne la nécessité d'un référendum pour légitimer le processus, je ne dispose pas d'assez de renseignements pour m'exprimer sur ce point. Il faudrait que j'en apprenne davantage au sujet de la politique canadienne.
    Je voulais seulement vous donner l'occasion de vous exprimer à propos d'autre chose que le référendum, mais d'accord.
    Merci.
    D'accord, parfait.
    La parole va à M. Richards.
    Monsieur Maskin, j'ai deux ou trois questions à vous poser pour commencer.
    Essentiellement, j'ai l'impression que le principe de la majorité que vous avez mentionné jusqu'ici est, dans les faits... si je ne m'abuse, il ne s'agit que d'une façon différente de compter un bulletin de vote préférentiel, essentiellement. C'est ce qu'il me semble. Je n'avais rien vu ni entendu de tel auparavant, alors cela m'intéresse.
    Je me trompe peut-être, mais cela évoque pour moi un scénario dans lequel il serait impossible de déterminer qui a gagné. Aucun candidat ne pourrait l'emporter directement sur tous les autres avec l'une des diverses méthodes de décompte, surtout s'il y a sept ou huit candidats.
    Qu'arrive-t-il dans ce cas? Dans un tel scénario, comment pouvons-nous déterminer qui est le vainqueur, lorsqu'il n'y a aucun candidat qui l'a emporté sur les autres dans une course directe?
    Vous avez raison. Il y a la possibilité que la majorité ne choisisse aucun candidat comme véritable gagnant, c'est-à-dire que le candidat a battu tous les autres par une majorité. Le marquis de Condorcet, philosophe du XVIIIe siècle, théoricien politique et créateur du principe de la majorité, a reconnu qu'il s'agissait d'une possibilité quand il a proposé ce principe. Il a reconnu qu'il n'y aurait pas toujours de gagnant majoritaire avec ce système.
    Lorsque cela arrive, il faut qu'il y ait un mécanisme pour nommer un vainqueur. La façon la plus simple de faire cela serait d'utiliser ensuite le système majoritaire uninominal à un tour. Il ne serait pas nécessaire de demander aux électeurs de voter à nouveau, puisque vous avez déjà leurs bulletins de vote. Il suffirait de prendre le vainqueur au scrutin majoritaire uninominal à un tour. Il existe également d'autres façons de départager les candidats.
    Je veux toutefois vous faire remarquer que la possibilité est faible de ne pas avoir de gagnant majoritaire, d'après ce que je comprends de la situation au Canada. Concrètement, je crois qu'il y aura toujours un véritable gagnant majoritaire pour chaque siège.
    Vous avez mentionné un certain nombre d'exemples concernant les municipalités dans l'une de vos dernières interventions. Savez-vous si ce genre de système est utilisé où que ce soit pour des élections nationales?
    Parlez-vous du principe de la majorité ou du vote préférentiel...?
    Oui, le principe de la majorité.
    Non, la règle de la majorité n'a encore jamais servi dans le cadre d'une élection nationale. Bien sûr, le vote préférentiel a été utilisé.
    Bien sûr, oui.
    Non, je parlais spécifiquement de la règle de la majorité. J'étais presque certain que j'avais raison, mais je savais que vous connaissiez la réponse.
    Comme je le laissais entendre plus tôt, je crois que l'une des grandes raisons, c'est que jusqu'à assez récemment, si la règle de la majorité était écartée, mais pas le vote préférentiel, c'était tout simplement parce que le comptage des bulletins de vote est quand même plus compliqué avec la règle de la majorité. Il faut tenir compte de toutes les comparaisons par paires. Avec des ordinateurs modernes, cela ne pose aucun problème, mais avant qu'il y ait des ordinateurs modernes, c'était certainement compliqué.

  (1140)  

    Cela répond certainement à l'une de mes questions. Je comprends très bien pourquoi il faudrait plus de temps pour compter les bulletins de vote.
    Je voulais aussi parler d'une autre chose, le vote stratégique. Vous avez mentionné le vote stratégique en disant que c'était peut-être à votre avis une solution possible. Nous avons entendu un certain nombre de témoins dire au Comité, et je suis certainement d'accord avec eux, qu'aucun système ne peut réellement éliminer la notion de vote stratégique.
    Je voulais simplement m'exprimer au sujet du vote stratégique et du jeu stratégique ainsi que de la possibilité que les candidats, comme vous l'avez mentionné, pourraient agir de manière stratégique en fonction des choix qui s'offrent à eux. Je ne crois pas qu'il existe un système capable d'éliminer cette façon de faire, et j'aimerais expliquer comment à mon avis un électeur pourrait voter de façon stratégique, selon votre système, et j'aimerais obtenir vos commentaires ou connaître vos opinions à ce sujet.
    Par exemple, si vous voulez vraiment que le candidat A soit élu et que vous ne voulez absolument pas que le candidat B soit élu, et que vous pensez que c'est le candidat qui est probablement le plus grand rival de votre candidat... en fait, je m'excuse; je devrais dire que vous ne voulez absolument pas que le candidat B soit élu. En réalité, il se peut que le candidat B soit votre second choix, mais vous savez qu'il est le principal rival du candidat qui est votre premier choix, le candidat A. Vous devriez alors inscrire le candidat B comme votre troisième choix, même s'il aurait été votre second choix, dans le seul but de creuser l'écart entre les deux candidats.
    Ne s'agirait-il pas d'un scénario de vote stratégique, selon votre système?
    Pas du tout, étant donné que, selon le vote préférentiel, l'écart entre deux candidats n'a aucune importance. Vous avez choisi A plutôt que B, et c'est la seule donnée qui importe; la grandeur de l'écart n'est pas prise en compte.
    Donc, selon votre système, cela ne ferait aucune différence. J'imagine que cela aurait une incidence sur d'autres types de méthodes de dépouillement du scrutin, par exemple pour le vote préférentiel, mais pas pour...
    Oui, lorsqu'il s'agit d'un vote préférentiel, cet aspect est important, car il peut déterminer quel candidat sera éliminé le premier, mais, quant à la règle de la majorité...
    Laissez-moi revenir en arrière. Vous avez raison de dire que, théoriquement, aucun mode de scrutin n'est parfaitement imperméable au vote stratégique. En fait, il existe un théorème mathématique qui s'y applique. Toutefois, il est également possible de montrer mathématiquement que la règle de la majorité est moins imperméable au vote stratégique que d'autres.
    Merci beaucoup.
    C'est maintenant au tour de Mme Romanado.
    Merci.
    J'aimerais faire un commentaire sur quelque chose qu'on a dit, plus tôt, au sujet des femmes en politique. J'aimerais souligner que notre parti a nommé autant d'hommes que de femmes au Comité.
    Quoi qu'il en soit, cela dit, j'aimerais parler de l'autre principe directeur dont il n'a pas encore vraiment été question aujourd'hui: l'engagement dans le processus démocratique, l'accessibilité et l'inclusivité, l'intégrité et la représentation locale. Nous avons beaucoup parlé d'un système électoral qui permettrait de corriger jusqu'à un certain point la distorsion, mais j'aimerais avoir vos recommandations sur les moyens que nous pouvons utiliser pour régler certains des autres problèmes.
    Monsieur Loewen, vous avez dit qu'il existait d'autres tactiques dont nous pourrions nous servir. Je sais que vous avez parlé un peu du vote obligatoire. Pourriez-vous en dire plus?
    Je ne veux pas parler des avantages normatifs du vote obligatoire. Je me contenterai de vous dire que je crois que les données empiriques sont relativement claires: le vote obligatoire augmente le taux de participation des électeurs, mais il n'est pas certain qu'il augmente proportionnellement les connaissances ou l'engagement des électeurs quant à d'autres aspects de la vie civile; toutefois, je ne pense pas que les données empiriques à ce sujet soient parfaitement claires.
    Ce qui est remarquable, au Canada, c'est que depuis 15 ans le Parlement déploie de véritables efforts pour rendre le vote plus accessible en étalant le vote par anticipation sur plusieurs jours et en choisissant de façon judicieuse l'endroit où il installe les bureaux de vote par anticipation. Je crois que cela a eu un effet important, en fait, et que cela a mis un frein à la baisse du taux de participation aux élections depuis 2000. Tout cela est fort louable. Je crois que vous pourriez explorer toutes sortes de petites choses qui augmenteraient la qualité de notre expérience de la démocratie.
    Je dirai pour terminer que, à mon avis, bon nombre de ces critères sont bien formulés et il vaut la peine de les prendre en considération, mais je ne crois pas, pour la plupart, qu'ils vont vous aider à choisir un système électoral. Nous assurerons l'intégrité du scrutin, peu importe le système que nous utiliserons, et nous assurerons l'accessibilité aux bureaux de vote, peu importe le système, ce qui fait que les arguments qui mettent un de ces aspects en relief pour privilégier un système plutôt qu'un autre sont probablement spécieux. Ce sont de bons principes, mais je ne crois pas qu'ils vous aideront à prendre la décision importante qui vous incombe.
    Qu'en est-il du vote en ligne?
    Les données probantes ne disent pas clairement, à mes yeux, qu'il augmente de beaucoup le taux de participation. C'est en partie en raison de la façon dont ces données sont présentées.
    Mon opinion personnelle ne vaut peut-être pas grand-chose, pensez-en ce que vous voulez, mais j'aime assez me rendre tranquillement à mon bureau de vote et faire la file avec d'autres Canadiens; je crois que c'est un aspect qu'il vaut la peine de souligner. Cela dit, ce n'est vraiment pas un grand avantage, et si nous pouvons augmenter le taux de participation en faisant plus de place au vote en ligne, en toute sécurité, nous devrions peut-être le faire.
    Ma seule réserve, c'est qu'il n'est pas facile de faire en sorte que les gens retrouvent confiance dans l'intégrité du système électoral. Nous disposons actuellement d'un système de dépouillement quasiment infaillible, qui nous assure toute la sécurité voulue. Imaginez une élection où le vote en ligne serait plus important; pensez que cela ouvre la voie à une méfiance à l'égard du système et incite les acteurs politiques à mettre cet aspect en relief. Cela n'en vaudrait peut-être pas la peine. Tout compte fait, je ne suis pas certain que cette solution n'entraînerait pas davantage de problèmes.

  (1145)  

[Français]

     Professeur Dufresne, avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?
     J'aimerais bien être professeur mais, malheureusement, je ne le suis pas.
    En ce qui a trait aux principes que vous soulevez, notre organisation n'a pas de position ferme sur les questions du vote obligatoire ou du vote électronique et ma position personnelle n'est peut-être pas très utile pour le Comité.
    Par contre, je voudrais tout simplement revenir rapidement sur le fait qu'il existe beaucoup d'études sur ce qui se fait ailleurs dans le monde. Relativement à tout ce qu'on a entendu jusqu'à présent sur les modes de scrutin proportionnel, il y a certains effets négatifs, mais ils sont somme toute marginaux. On n'a pas vraiment de données établissant de grands effets négatifs. Cela peut varier d'une étude à une autre, mais ces variations sont quand même assez minimes. Il y a aussi quelques effets positifs qui sont minimes. C'est un peu le portrait de la situation.
    Nous disons que le risque de mettre en place une solution de rechange et de l'essayer n'est pas immense. On se fie à l'expérience. Avec le respect que j'ai pour mes collègues, mon organisation et moi croyons qu'il faut vraiment miser sur l'expérience. Il faut voir quels modèles ont fait leurs preuves. Ce n'est pas une entreprise dans laquelle on peut essayer des choses et improviser. Basons-nous sur les meilleures pratiques qui existent. En tant que Canadiennes et Canadiens, on peut aspirer à se doter d'un système basé sur les meilleures pratiques. L'expérience internationale soutient cela.
    On dit que notre système actuel a beaucoup de mérite, mais il ne faut pas oublier que plus de 85 % des pays industrialisés membres de l'OCDE ont un mode de scrutin de type proportionnel. Je pense qu'il faut aussi reconnaître que beaucoup de pays qui sont des leaders mondiaux et qui ont une économie très florissante ont un mode de scrutin de type proportionnel dont on peut s'inspirer.
    En terminant, on entend certains commentaires suggérant que ce serait un trop grand saut. Je tiens à dire que d'autres pays ont fait ce saut, dont la Nouvelle-Zélande. Je pense que ce serait un peu envoyer le message que les Canadiens et les Canadiennes ne sont pas en mesure de faire ce saut. Or, je crois que les Canadiens et les Canadiennes valent autant que les Néo-Zélandais et les Néo-Zélandaises et qu'ils ont aussi la capacité de s'adapter à un autre modèle dans la mesure où celui-ci est basé sur les meilleures pratiques.
    Merci.
    Monsieur Cullen, vous avez la parole.

[Traduction]

    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Maskin, l'équation est simple: c'est le peuple qui exerce le pouvoir, et il transfère son pouvoir de façon symbolique, en votant, aux représentants élus.
    Vous avez dit qu'aucun système ne permettait à tout le monde de siéger à la table du gouvernement. Je ne crois pas que c'est nécessairement ce que l'on cherche, n'est-ce pas? Ne cherche-t-on pas plutôt à faire en sorte que notre système permette à tout le monde de voir son vote refléter au Parlement? À l'heure actuelle, aux dernières élections, les neuf millions de votes exprimés par les Canadiens, au bureau de vote, ne sont pas reflétés dans notre Parlement, étant donné le système actuel. C'est juste, n'est-ce pas?
    Je crois que c'est juste.
    Et cela n'est vrai ni selon notre système actuel, ni selon la version proposée par le premier ministre. Et je devrais être satisfait, lorsque mon premier choix n'est pas reflété au Parlement, que mon second choix n'est pas reflété au Parlement, et que mon troisième choix est, symboliquement, reflété au Parlement? Je ne suis pas certain que cette expérience me satisfasse, pas plus que lorsqu'une personne qui veut acheter un véhicule hybride finit par acheter une camionnette. Oui, j'ai eu un véhicule, mais je n'ai pas eu ce que j'ai voulu; j'ai pu voter, et mon vote a été partiellement reflété, mais ce n'est pas le vote que j'aurais voulu voir reflété, et il ne s'agit pas des politiques que je souhaitais ou de la représentation que je souhaitais.
    Pourquoi serait-il « radical » — le terme que vous avez utilisé plus tôt — de suggérer que les électeurs puissent voir leur vote pris en compte?
    Au risque de me répéter, je vais répéter ma réponse: selon le système de représentation proportionnelle, vous pourriez élire le député ou le parti que vous préférez aux autres, mais il se peut que ce parti n'ait aucun pouvoir.

  (1150)  

    Oh, en effet, mais ils seront quand même reflétés dans notre assemblée législative, qui est une forme de...
    Oui, ils feront partie d'une assemblée législative sans pouvoir.
    J'aimerais faire valoir que certaines des grandes choses qu'ont faites nos assemblées législatives n'ont pas été proposées par le parti au pouvoir à ce moment-là, et c'est sain.
    J'aimerais m'adresser un instant à M. Loewen.
    Parlant de la stabilité, j'ai entendu ceci d'un collègue libéral. Nous avons passé en revue les chiffres de l'OCDE, du moins, et dans les pays industrialisés, il n'y a pour ainsi dire aucune différence, depuis la Deuxième Guerre mondiale, quant au nombre d'élections qui se sont tenues selon un système proportionnel et selon un système majoritaire où le vainqueur rafle tout.
    Cela n'est pas une donnée pertinente, ou plutôt, dans le cas qui nous occupe, ce n'est pas la seule donnée...
    Cela n'est pas la seule donnée, mais en ce qui concerne la stabilité du taux de participation... certains pensent que, si nous adoptons un système proportionnel, nous allons devoir voter fréquemment, et les gouvernements ne cesseront pas de tomber. Du point de vue de l'électeur, qui vote pour un ensemble de politiques qu'il souhaite, certaines d'entre elles vont échoir à l'opposition et certaines autres, au gouvernement. Nous continuons. Il n'y a pas une grande instabilité du point de vue des électeurs du fait d'avoir à aller voter constamment. En fait, dans les pays industrialisés, selon l'OCDE, organisme en qui j'ai confiance, les systèmes proportionnels offriraient un peu plus de stabilité.
    Bien sûr. Je ne prétends pas qu'un système proportionnel suppose des élections plus fréquentes. Je n'ai jamais rien dit de tel. Je prétends seulement qu'il y a plus de changements au sein du gouvernement, étant donné que...
    En effet.
    Attendez. Excusez-moi; désolé. C'est parce qu'il y a davantage...
    M. Nathan Cullen: Je suis d'accord avec vous. C'est drôle de se faire interrompre.
    M. Peter John Loewen: D'accord. N'est-ce pas merveilleux?
    M. Nathan Cullen: Oui.
    M. Peter John Loewen: C'est parce que les négociations sont fréquentes. Il ne s'agit pas de changer de gouvernement tous les six mois, mais les négociations sont plus fréquentes.
    Le résultat est le suivant. Il existe essentiellement trois façons de changer un gouvernement. Il peut y avoir des élections qui vont changer la composition du Parlement et réformer le gouvernement, ou encore le chef ou le dirigeant d'une coalition peut être remplacé, ou encore les partis qui forment une coalition peuvent changer. Ce troisième type de changement de gouvernement, en particulier, entraîne inévitablement davantage de distorsions entre le vote exprimé par les électeurs et les politiques qui s'ensuivent, étant donné qu'au bout du compte, il y a un marchandage de politiques dont il n'avait pas été question pendant l'élection, et cette négociation se fait en coulisse, entre les partis, qui forment un autre gouvernement à coup de compromis.
    Tout ce que je dis, c'est que...
    M. Nathan Cullen: Permettez-moi de vous interrompre...
    M. Peter John Loewen: ... c'est une régularité empirique. Vous pouvez bien penser que c'est souhaitable, sur le plan normatif, et je vous répète que je n'ai rien contre cela, mais il ne me semble pas que cela assure la stabilité; il me semble plutôt que ce système suppose une négociation constante.
    Vous ne diriez pas que le gouvernement précédent, le dernier gouvernement, n'était pas à l'interne une sorte de coalition, ou que l'ancien gouvernement Mulroney n'était pas une coalition de Québécois se disant fédéralistes qui se sont révélés, au bout du compte, ne pas être si fédéralistes que cela...
    Pas du tout. Je suis d'accord...
    C'est la notion selon laquelle, d'une certaine façon, les négociations ouvertes entre les partis, cherchant à former une coalition avec un parti X, seraient en quelque sorte pires que des coalitions se formant vraiment en coulisse, comme cela a été le cas au sein des deux grands partis canadiens depuis la Confédération.
    Je crois que ma question concerne des électeurs qui cherchent tout simplement à ce que les politiques qu'ils désirent soient adoptées. Les systèmes proportionnels visent à leur donner ce choix et à faire en sorte que ce choix soit représenté par leur vote au Parlement.
    Je me demandais si vous ne pourriez pas nous éclairer sur le commentaire qu'a fait M. Maskin plus tôt, lorsqu'il a dit que les systèmes proportionnels n'établissaient pas un lien entre les électeurs et la représentation directe. Dans un système purement proportionnel, cela serait peut-être le cas, mais personne n'a rien dit de tel.
    Je crois que le problème, monsieur Cullen, c'est que vous confondez deux choses. Vous confondez la composition du Parlement et la composition du gouvernement et les politiques qui s'ensuivent.
    Il est vrai que, si nous avions un système de représentation proportionnelle, la composition du Parlement refléterait de façon plus précise les préférences des électeurs pour un parti ou un autre. C'est une bonne chose, sur le plan normatif. Cela ne me pose aucun problème. Le principe du bien est une autre question.
    Mais des gouvernements sont formés. Ce qu'il faut souligner, c'est qu'il peut s'agir d'un gouvernement à parti unique, comme c'est maintenant la norme en Nouvelle-Zélande, ou d'une coalition.
    En passant, depuis que la Nouvelle-Zélande a adopté le système mixte proportionnel, le gouvernement est typiquement formé d'un parti unique. Ils n'ont même plus besoin de motion de crédits pour obtenir des appuis, et il vaut la peine de le souligner.
    Mais ce qu'il faut savoir, c'est que les politiques qui en résultent sont quelque chose de tout à fait différent. C'est un débat dans les milieux universitaires, et je crois que les données probantes à cet égard sont relativement confuses, quant à la question de savoir si une politique émanant du gouvernement reflète davantage les préférences des électeurs quand il s'agit d'un système à représentation proportionnelle ou d'un scrutin majoritaire uninominal à un tour. La principale raison en est que, dans les pays à système majoritaire, les partis uniques peuvent plus rapidement adopter des politiques médianes, ce qu'ils ne sont pas en mesure de faire lorsqu'ils sont liés par les accords de la coalition.
    Mais, selon l'expérience canadienne, ces gouvernements minoritaires...
    Le président: Monsieur Cullen, nous en sommes à six minutes et demie.
    M. Nathan Cullen: ... ont produit quelques-unes de nos lois les plus progressistes et les plus durables.
    Monsieur Cullen, nous en sommes à six minutes et demie. Je vous ai laissé aller parce que c'était réellement fascinant...
    M. Nathan Cullen: Bien sûr.
    Le président: ... et que j'ai estimé que c'était très enrichissant pour le Comité et pour son rapport, mais nous allons maintenant passer à M. Rayes, s'il vous plaît.

  (1155)  

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Monsieur Dufresne, j'aimerais continuer avec vous.
    Vous visitez régulièrement la Nouvelle-Zélande. Vous nous avez dit qu'un grand nombre de personnes de différents organismes avec lesquels vous échangez proposent un mode de scrutin proportionnel. Cependant, ce que vous avez oublié de dire dans vos propos, c'est que la Nouvelle-Zélande a bel et bien tenu au préalable un référendum pour s'assurer de la légitimité du processus et du changement du mode de scrutin qu'elle mettait en place.
    Est-on d'accord à ce sujet?
    Absolument.
    Plus tôt, vous avez dit qu'on devrait tester un mode de scrutin et, par la suite, poser, je présume, la question aux citoyens après deux ou trois élections. Est-ce exactement ce que vous proposez?
    C'est une combinaison de plusieurs éléments mais, en partie, c'est ce que je propose.
    En somme, la proposition que vous feriez au comité est qu'après deux élections, on demande à la population, par voie référendaire, si elle veut maintenir le nouveau mode de scrutin ou retourner au statu quo, qui est en ce moment le mode de scrutin uninominal à un tour.
     C'est exact.
    Pourquoi le Comité devrait-il pencher davantage en faveur du mode de scrutin que vous proposez? Nous avons entendu des arguments solides de la part d'experts qui nous ont donné des références et des exemples. Selon eux, aucun mode de scrutin n'est parfait. Devrait-on faire cet essai? Ne devrait-on pas plutôt obtenir l'approbation de la population avant de changer de mode de scrutin?
    Vous avez tout à fait raison. Je le répète, nous croyons qu'il faut que la population puisse s'exprimer sur cette question.
     Comme je le disais plus tôt, il y a une combinaison d'éléments à considérer. Je crois donc qu'on peut se rejoindre sur un point. Il me semble que vous chérissez l'idée que la population puisse faire un choix éclairé sur cette question et que cela ne relève pas uniquement des élus. C'est aussi très important pour nous. On semble donc clairement s'entendre à ce sujet. Nous cherchons à voir quelle serait la façon optimale de le faire.
    En Nouvelle-Zélande, les gens ont fait quelque chose. Au Japon, ce fut différent. Il y a eu un peu partout différentes approches qui ont été utilisées. Comme plusieurs se plaisent à le dire, la réalité du Canada est particulière. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir un processus qui est différent?
    Selon nous, la façon optimale serait que les citoyens soient au coeur de cette décision. Nous croyons que l'idée d'établir des jurys citoyens peut émaner des réflexions du comité. Des citoyens pourraient être choisis de façon aléatoire pour se pencher sur les recommandations du comité. On pourrait alors avoir de l'information objective.
    Des gens ont dit que, souvent, un référendum peut aller dans différents sens.
    C'est exact, dans le sens de la population. Dans le sens du peuple.
    Cela peut dépendre de la façon dont la question est formulée. Un jury citoyen qui évaluerait la situation de façon objective...
    Pouvez-vous nous donner l'exemple d'un pays qui a changé son mode de scrutin à l'aide d'un tel système de jurys? Pouvez-vous nous en mentionner un?
    On recherche la façon canadienne de faire les choses. Au Canada, cela pourrait être une façon de s'assurer que la décision n'est pas uniquement dans les mains des élus, ce qui est une préoccupation, mais de confier la décision finale aux électeurs et aux électrices, ce qui est aussi votre préoccupation. On cherche un arbitrage à cet égard.
    Y a-t-il un endroit dans le monde qui a changé son mode de scrutin à l'aide de ce système de consultations?
    Je n'en connais pas qui ait utilisé cette combinaison.
    En somme, vous voudriez que l'on utilise cette combinaison pour changer l'élément fondamental de notre démocratie plutôt que de consulter l'ensemble de la population. Je tiens à souligner ce qui suit dans tous les sondages qui ont été faits.
    Vous dites que votre organisme veut mener des consultations et vise à obtenir l'opinion de la population et davantage de participation citoyenne. Plus de 60 % de la population du Québec et plus de 70 % de la population canadienne dit souhaiter s'exprimer par voie référendaire afin de décider si, oui ou non, nous allons changer le mode de scrutin.
    Nous sommes favorables à cela.
    Si vous voulez vraiment arriver à vos fins, pourquoi ne pas faire la promotion de quelque chose qui a fait ses preuves ailleurs au lieu d'avoir une telle approche, alors que ce qui est en jeu est si fondamental?
    En fait, la question serait de savoir ce que nous avons à craindre. Craignons-nous de permettre aux citoyens de l'essayer?
    Pourquoi craignons-nous de faire confiance aux citoyens après les avoir bien informés et après que le Comité ait fait tout son travail? Pourquoi ne pas lui laisser la chance de s'exprimer? On n'est pas en Californie où il y a des référendums de façon continuelle. On est dans un pays où, à ma connaissance, il n'y en a pas eu beaucoup. Qu'est-ce qui fait que l'on ait des craintes à cet égard? Si vous êtes si convaincus que le système que vous vendez est bon, pourquoi craindre de poser la question aux citoyens?

  (1200)  

    Il faut leur poser la question dans les meilleures conditions possibles. On cherche la façon optimale de le faire.
    Oui. Donnons-nous les moyens. Recommandons au comité de donner les moyens au gouvernement de faire la sensibilisation nécessaire. La population tranchera par la suite. Si un parti y croit, il fera sa propre promotion au sujet de cet enjeu.
    Merci.
    Pour terminer cette période de questions, je cède maintenant la parole à M. DeCourcey.

[Traduction]

    Monsieur Loewen, j'aimerais revenir sur cette conversation de six minutes et demie où il était question de l'importance des partis politiques et de la façon dont ils se regroupent autour de certaines idées, de même que de la valeur que nous accordons aux plateformes et aux visions ayant trait à notre pays.
    À votre avis, dans la culture politique actuelle, quelle valeur accordons-nous à la capacité des partis de se regrouper, de se réunir autour d'une idée et de présenter ces idées à l'électorat?
    Ensuite, est-ce que cette valeur se reflète dans un système ou dans des systèmes, et est-ce que ce serait important de le mentionner aux Canadiens si nous voulons les faire participer à la conversation?
    C'est une très bonne question.
    J'ai l'impression que les pays ne sont pas tous motivés par la même chose, et c'est pourquoi il n'est pas toujours utile de regarder ce qui se passe ailleurs. Si je pense au Canada, en particulier, je constate que les partis qui ont aspiré au pouvoir ont été forcés de se faire à l'idée que nous formons un pays vaste, diversifié et complexe. Il leur a parfois fallu mettre de l'eau dans leur vin et se demander, dans une perspective pragmatique, comment ils pouvaient présenter aux Canadiens un programme tenant compte des intérêts souvent contradictoires des différentes régions. C'est très difficile, et nous avons vu des partis exploser parce qu'ils n'étaient pas capables de répondre aux demandes présentées par ces coalitions, en quelque sorte, ces demandes de courtage, mais je crois que c'est une méthode qui de toute évidence a fonctionné pour notre pays, et notre pays est unique puisque les élections s'y succèdent sans interruption depuis 1867.
    En passant, il existe d'autres pays dans le monde qui à notre avis sont des démocraties et qui doivent régulièrement revoir leurs institutions électorales parce qu'ils n'arrivent pas à trouver une formule qui fonctionne. La France en est maintenant à son cinquième système constitutionnel, généralement considéré comme une démocratie, parce qu'elle n'est pas arrivée à faire fonctionner les quatre premiers. Le fait que nous soyons arrivés à le faire fonctionner dans un pays complexe me laisse croire que nous avons fait le bon choix.
    Je crois que nos partis ont joué un rôle à ce chapitre. Je crois que notre système électoral a joué un rôle particulier à ce chapitre, et c'est pourquoi de manière générale j'hésite à recommander un changement. C'est pour la même raison, exactement, que je n'irais pas dire aux Allemands: « je suis convaincu que vous devriez laisser tomber le système mixte proportionnel pour adopter le scrutin majoritaire uninominal à un tour. » Je crois que le SMP fonctionne, en Allemagne. Il fonctionne étant donné leur situation politique unique.
    C'est assez juste.
    Je vais citer un article dans lequel, en avril, vous aviez convenu du fait qu'il y avait des différences entre une coalition et la recherche d'un consensus au moment d'élaborer un programme, d'une part, et le regroupement et la collecte d'idées qui se font derrière des portes fermées, d'autre part. Vous disiez que les différents systèmes accordaient plus de valeur à certaines coalitions qu'à d'autres, et que peut-être le système actuel, le vote préférentiel ou le vote unique transférable forçaient les partis et les acteurs politiques à travailler ensemble, ouvertement, avant que le programme soit établi, alors que le système mixte proportionnel ou un système de représentation proportionnelle pur forçait les négociations à se tenir en coulisse.
    Pensez-vous que nous pourrions envisager certaines modifications qui favoriseraient la recherche de consensus en nous aidant à trouver un terrain d'entente avec les Canadiens et au nom des Canadiens?
    La mesure dans laquelle vous pouvez trouver un terrain d'entente est une question normative. Les partis divisent les gens — cela a toujours été le cas —, et il existe un modèle selon lequel nous disons vouloir une démocratie aux termes de laquelle un petit nombre de partis luttent pour le pouvoir en se fondant sur des programmes relativement clairs, et ces partis sont dirigés par un chef. Les partis accèdent alors au Parlement et ils disposent de pouvoirs souvent extraordinaires leur permettant de mettre ces politiques en oeuvre; les politiques sont ensuite jugées par les électeurs.
    M. Cullen a certainement raison de dire, par exemple, que les gouvernements minoritaires nous ont offert de bonnes politiques, voire même des politiques audacieuses, mais nous avons également eu des gouvernements majoritaires qui sont arrivés à se placer plus au centre et à proposer des politiques assez audacieuses, sachant qu'ils auraient suffisamment de temps pour les présenter aux électeurs.
    Je pense à M. Mulroney et à la TVH et au libre-échange, qu'il a proposés aux électeurs. Je pense aux politiques de réduction du déficit de M. Chrétien, mises de l'avant tout au long des années 1990, ce qui supposait à coup sûr du courage politique.
    À mon avis, nous avons eu de bons gouvernements minoritaires et nous avons eu de bons gouvernements majoritaires. Ce ne sont certainement pas le courage politique ou les changements qui manquent, dans notre pays. En fait, il est souvent arrivé que les partis changent d'orientation de façon radicale. Que ce soit bien ou mal, c'est une autre question, et c'est à vous de décider.
    Ce qui ressort clairement de tout cela, c'est que nous avons créé un système qui incite les partis à établir de larges coalitions avant les élections. Selon moi, c'est ce qui tient ensemble un pays dont la situation est relativement unique.

  (1205)  

    Merci.
    Cela a été extrêmement éclairant. Nous avons eu un débat assez intéressant sur de nouvelles idées et des notions existantes.
    Je ne le fais pas très souvent, mais je vais poser une question à M. Maskin. Il ne s'agit pas du point central de votre exposé — je le sais —, mais cette question me trotte dans la tête depuis deux heures.
    Vous avez dit que, selon le système actuel de scrutin majoritaire uninominal à un tour, il y a des gens qui hésitent à se lancer dans la course car ils ne veulent pas diviser le vote. C'est facile à voir, dans le système des primaires américaines, quand deux candidats d'un même parti s'affrontent. Il y en a un qui déclare: « je ne veux pas me présenter comme candidat à la présidence, je ne veux pas diviser le vote et empêcher le favori, qui me plaît, de gagner. » À mon avis, ce qui se passe, c'est plutôt que les éminences grises du parti font pression sur un candidat qui aurait à long terme un intérêt personnel à rester du bon côté du parti. Je crois fort bien que cela peut s'appliquer lorsque le principe directeur ressemble au célèbre aphorisme de Sam Rayburn: « Si vous voulez embarquer, suivez d'abord », mais quand il s'agit des habitants d'une circonscription quelconque qui doivent décider s'ils se lancent ou non dans la course pour diriger un parti, en mon for intérieur je crois que leur décision de s'abstenir ne tient pas au fait qu'ils ne veulent pas déranger leur cousin idéologique, mais fort probablement parce qu'ils pensent ne pas pouvoir l'emporter. J'ai déjà vu, dans des campagnes électorales — et c'est contre-intuitif —, un candidat qui s'en prend ouvertement à son cousin idéologique.
    A-t-on réuni des données empiriques sur la question de savoir si le scrutin majoritaire uninominal à un tour amenait les gens à y penser à deux fois avant de se lancer dans la course parce qu'ils craignaient de scinder le vote?
    De telles données existent. Le Royaume-Uni fournit quelques exemples intéressants à ce sujet.
    Vous vous souviendrez peut-être que, au début des années 1980, un nouveau parti, le parti social démocrate, a vu le jour en Grande-Bretagne. Il était formé, dans le fond, de membres du parti travailliste, de la droite, et de membres du parti libéral qui pensaient pouvoir changer la carte électorale du pays en joignant les rangs de ce nouveau parti.
    Dès les premières élections, le parti travailliste et le PSD ont divisé le vote de la gauche; le parti conservateur, qui n'avait obtenu qu'environ 40 % du vote populaire, a été élu avec une forte majorité au Parlement. Aux élections générales suivantes, le PSD a décidé de ne pas désigner de candidat dans toutes les circonscriptions électorales, précisément parce qu'il craignait que la même chose se reproduise.
    Il y a eu de nombreux exemples en Grande-Bretagne.
    Je comprends votre exemple. Il me semble que nous parlons de ceux qui tirent les ficelles du pouvoir.
    Je comprends que si deux partis, disons le parti conservateur et le parti réformiste, décidaient qu'il y avait assez de...
    Cela réduit la gamme des options politiques offertes aux électeurs, mais aussi la gamme des idées politiques qui sont présentées.
    Oui.
    C'est peut-être le fait des éminences grises, mais cela a aussi pour effet de museler...

  (1210)  

    Ce que je veux dire, c'est que, à l'échelon des circonscriptions, où jamais les dirigeants d'un parti ne décideront de ne pas présenter de candidat, je n'arrive pas encore à comprendre pourquoi quelqu'un ne se présenterait pas candidat pour le Parti vert parce qu'il veut s'assurer que c'est le NPD qui l'emporte, si c'est bien de cela dont on parle. Je ne sais pas si c'est bien comme ça que ça se passe, mais je comprends ce que vous voulez dire au sujet des personnes haut placées qui prennent des décisions stratégiques de façon à ne pas diviser le vote.
    Merci de ce fascinant témoignage. Vous avez présenté à notre Comité un grand nombre de réflexions originales.

[Français]

     Merci beaucoup.
     J'aimerais rappeler aux membres du Comité qu'il y aura une autre réunion cet après-midi à 14 heures. La réunion ne se tiendra pas dans cette pièce, mais plutôt dans la pièce C-110 de l'édifice Wellington.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci à vous tous.
    La séance est levée.
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