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ETHI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique


NUMÉRO 109 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 29 mai 2018

[Enregistrement électronique]

  (0850)  

[Traduction]

    Bonjour à tous et bienvenue à la 109e séance du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique. Conformément au sous-alinéa 108(3)h)(vii) du Règlement, nous faisons une étude sur l'atteinte à la sécurité des renseignements personnels associée à Cambridge Analytica et Facebook. Aujourd'hui, nous accueillons par téléconférence Christopher Wylie, du Royaume-Uni.
    Merci de vous joindre à nous, monsieur Wylie.
    Vous a-t-on dit que vous alliez prêter serment aujourd'hui?
    D'accord, nous allons donc le faire tout de suite.
    Je, Christopher Wylie, affirme solennellement qu'il est contraire à mes croyances religieuses de prêter serment; en outre, j'affirme solennellement que je dirai, dans mon témoignage, la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
    Merci, monsieur Wylie. Il est malheureux que vous n'ayez pas pu venir aujourd'hui, mais nous croyons savoir que vous témoignez au Royaume-Uni au sujet de l'affaire dont le Parlement est saisi dans votre pays. Nous vous en sommes reconnaissants. Il aurait été bien que vous soyez ici, mais nous savons que votre obligation est au Royaume-Uni.
    Aimeriez-vous faire une déclaration liminaire, monsieur Wylie?
    Non. Je répondrai volontiers à vos questions.
    Nous allons commencer. La première question sera posée par M. Erskine-Smith, qui a sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur Wylie.
    Tout d'abord, une toute petite question, pouvez-vous nous dire pendant combien de temps vous avez travaillé pour Cambridge Analytica?
    Oui. Votre question porte-t-elle précisément sur Cambridge Analytica ou parlez-vous aussi de SCL Group?
    Les deux.
    J'étais le directeur de la recherche. J'ai commencé en juillet 2013 avec SCL Group et j'ai terminé vers la fin d'octobre ou de novembre 2014.
    J'ai deux ou trois petites confirmations. Soit dit en passant, lorsque je mentionne Cambridge Analytica ou SCL, je fais référence aux deux. Cambridge Analytica/SCL a travaillé à la campagne Vote Leave pour le Brexit et à des campagnes connexes, de même qu'à la campagne électorale américaine au nom du président Trump. Est-ce exact?
    Oui, à ma connaissance.
    À votre connaissance, ces campagnes ont utilisé l'information recueillie de façon inappropriée par Kogan auprès des utilisateurs de Facebook.
    Je n'ai pas travaillé à la campagne Trump, de sorte que je ne peux pas vous dire exactement quelles données précises ont été utilisées ou non dans le cadre de cette campagne. Ce que je peux dire, c'est que la modélisation fondamentale et les données de Cambridge Analytica ont été tirées de l'ensemble de données de Kogan dont vous parlez.
    Chris Vickery a été le premier à prendre la parole devant notre comité sur ce sujet. Il a indiqué qu'il y avait cet ensemble de données principal qui comprenait un certain nombre de points d'information différents, depuis les listes électorales aux États-Unis jusqu'à l'entrepôt de données du RNC, le Republican National Committee. Il a même fait référence aux frères Koch. Nous avons un exemple qui était vraiment à la base des raisons pour lesquelles nous avons amorcé notre étude, à savoir que Cambridge Analytica a recueilli de façon inappropriée l'information contenue sur Facebook par l'entremise de Kogan. Avez-vous d'autres exemples d'une collecte inappropriée de renseignements personnels par Cambridge Analytica ou SCL?
    La collecte illicite d'information la plus préoccupante a trait aux données de Facebook aux États-Unis. Cependant, je sais aussi que dans d'autres pays, l'entreprise, que cela ait été sous l'égide de SCL Group ou de Cambridge Analytica, a essayé de s'approprier de façon illicite d'autres ensembles de données. Je veux être clair, ces ensembles de données n'étaient pas nécessairement des ensembles de données provenant de Facebook ou de médias sociaux. Il auraient pu s'agir de dossiers de gouvernements ou de dossiers d'entreprises privées, notamment. À titre d'exemple, je crois comprendre qu'à Trinité, on a tenté de se procurer des historiques de navigation en ligne de citoyens...

  (0855)  

    L'idée est de compiler toute cette information à partir du plus grand nombre possible de sources dans un ensemble de données principal.
    Oui. C'est ce que vous appelez la base de données d'archivage.
    L'idée d'une base de données d'archivage est de créer ce que vous appelleriez une « vue unique du citoyen » ou une « vue unique du client ».
    Plus vous avez de renseignements provenant de différents contacts au sujet d'une personne, plus vous êtes en mesure de déduire avec précision son comportement. Si vous avez un ensemble de données qui illustre le comportement du consommateur, vous pouvez prédire certaines facettes de cette personne. Si vous avez aussi des données en ligne, qu'il s'agisse de données provenant des médias sociaux, de données de navigation ou de données de témoins, vous pouvez voir une autre facette de cette personne, etc.
    L'idée d'une base de données d'archivage est de créer une vision holistique d'une personne de façon à ce que vous puissiez prédire avec plus de précision les différentes facettes de son comportement.
    M. Vickery a laissé entendre qu'il y avait des aspects très personnels de la vie des gens. Il a donné l'exemple d'une personne qui menait une vie biblique, peu importe ce que cela peut signifier. C'était une façon d'étiqueter les gens.
    À votre avis, quels sont les renseignements les plus personnels que vous ayez vus dans ces bases de données et auxquels on a donné suite?
    Tout dépend de la définition de « les plus personnels ». Je suppose que c'est par rapport à ce que chaque personne considère comme étant le plus personnel.
    Voici quelques exemples de choses que la plupart des gens considéreraient comme très personnelles: opinions religieuses, orientation sexuelle, même le fait que les ensembles de données plus volumineux servaient à déduire des attributs chez des gens relativement à leur état psychologique, ce qu'ils pouvaient savoir ou ne pas savoir ou ce qu'ils pouvaient ne pas vouloir être déduits. Par exemple, si vous déduisez une forme quelconque de névrose chez une personne, cela peut sembler être une information très sensible et très personnelle, même si ces données n'étaient pas nécessairement recueillies comme telles, mais plutôt déduites des autres données recueillies.
    La question n'est pas seulement de savoir quelles observations directes ont été acquises dans les ensembles de données, mais aussi comment des observations moins intimes peuvent être transformées en renseignements déduits sur des choses qui seraient plutôt personnelles.
    Vous avez mentionné que ces renseignements pourraient servir à une multitude de fins. Dans une grande mesure, notre comité s'est penché sur des fins politiques. Les renseignements que vous avez vus être recueillis pour une multitude de fins, y compris de la part de partis politiques, ont peut-être été versés dans cette base de données principale. Est-ce que les renseignements recueillies à des fins politiques ou à partir de listes électorales ont servi à des fins commerciales?
    Lorsque j'étais là, après la prise de contrôle des Mercer et de Steve Bannon, l'accent a été principalement mis sur des objectifs politiques. Je sais qu'on prévoyait réaliser des projets commerciaux et je crois que l'entreprise a par la suite exécuté des tâches commerciales pour diverses entreprises. Je veux être clair, je n'ai pas travaillé précisément à des projets commerciaux, simplement pour une entreprise.
    Ma dernière question porte sur les publics personnalisés. Pratiquement, dans l'intérêt des Canadiens, mais aussi de notre comité, lorsque vous avez ces renseignements personnels sur les gens et que vous voulez cibler des gens, je suppose que vous créez un public personnalisé, puis que vous téléchargez ce public personnalisé pour faire de la publicité auprès de ce public personnalisé. Vous pourriez peut-être nous expliquer comment tout cela fonctionne.
    Un public personnalisé est ce que Facebook appellerait une liste de personnes précises qui ont été identifiées à l'externe pour créer votre univers cible. Essentiellement, il existe quelques façons de cibler sur Facebook.
    Une première consiste à utiliser les applications de ciblage de Facebook, par exemple, en choisissant différents « J'aime » que vous voulez cibler ou en voulant cibler des gens en Alberta, mais non en Saskatchewan, ce genre de choses. Il ne s'agit pas de listes précises de gens. Il s'agit simplement d'attributs, puis Facebook choisit les gens qui correspondent à l'attribut. Dans ce processus, vous ne faites pas intervenir les renseignements personnels.
    L'autre façon de cibler des annonces sur Facebook et d'autres sites semblables à Facebook consiste à le faire par des publics personnalisés. C'est là que vous avez une liste de personnes, pour une raison quelconque, que ce soit à cause d'un algorithme ou simplement à cause d'un attribut observé, que vous voulez cibler. Vous téléchargez une liste de personnes de votre propre base de données dans Facebook, puis Facebook cible uniquement ces personnes. Cela concerne directement la gestion des renseignements personnels.

  (0900)  

    Merci, monsieur Erskine-Smith.
    Monsieur Kent, vous êtes le suivant. Vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    C'est une bonne chose que vous soyez ici aujourd'hui, monsieur Wylie. Vous êtes certainement un dénonciateur digne de mention et vos commentaires d'il y a quelques mois, lorsque vous avez dit: « Il est extrêmement inconfortable de penser que notre démocratie a peut-être été corrompue », ont trouvé écho et déclenché des enquêtes comme celle que mène notre comité aujourd'hui. Je soulignerais aussi qu'au fil des ans, vous avez été un participant — un architecte, si vous voulez — de l'art sombre du microciblage psychographique et, à certains égards, je pense que vous êtes comparable à l'incendiaire qui déclenche l'incendie et qui appelle ensuite le service de protection-incendie.
    Le 2 janvier 2016, vous avez envoyé un courriel à M. Cummings, que vous aviez informé sur le projet Leave — le vote pour le Brexit, le référendum au Royaume-Uni — et vous avez ensuite demandé une réunion précoce pour examiner la proposition que vous aviez faite, encore une fois, comme vous l'avez dit, votre séance d'information technique approfondie sur le microciblage psychographique. Cependant, vous avez aussi dit dans ce courriel à M. Cummings: « Certains d'entre nous seront à Ottawa ce mois-ci — janvier 2016 — pour travailler à un projet semblable pour un grand parti politique canadien. » Nous savons maintenant que c'était le Parti libéral du Canada. D'ailleurs, j'y reviendrai plus tard dans mes questions.
    J'aimerais revenir 10 ans en arrière et tout simplement établir quelques renseignements de base. Est-il exact que vous avez travaillé au bureau du chef libéral sous Stéphane Dion et Michael Ignatieff entre 2007 et 2009 et que vous avez lancé un projet qui a été décrit comme étant de la « gestion de l'information »?
     J'ai travaillé pour le bureau du chef de l'opposition et, dans la période que vous avez mentionnée, mon rôle consistait à chercher des façons d'utiliser des technologies de l'information pour mieux communiquer et dialoguer avec les électeurs des circonscriptions et gérer leurs renseignements de ces derniers.
    Est-il vrai alors que votre contrat a été annulé à la demande du chef Ignatieff, parce qu'il considérait que votre travail portait trop atteinte à la vie privée des Canadiens?
    C'est nouveau pour moi. Si cela s'est produit, je n'en ai jamais entendu parler. Je ne crois pas que ce soit vrai.
    Eh bien, La Presse canadienne a cité un proche du Parti libéral qui a dit que vous « mettiez de l'avant une nouvelle forme de... collecte de données », mais que les dirigeants du Parti libéral ont alors reculé parce qu'ils ne voulaient rien savoir ce qu'ils considéraient comme étant potentiellement trop envahissant.
    Comme je ne sais pas qui est ce proche du Parti libéral, il est difficile pour moi de commenter sur ce à quoi il fait référence exactement.
    Lorsque je travaillais au bureau du chef de l'opposition, le projet était principalement axé sur l'infrastructure. À l'époque, le caucus de l'opposition n'avait pas de système cohérent de gestion des dossiers de circonscription. Je pense que la gestion des dossiers est une activité légitime pour les députés et le chef de l'opposition et, à mon avis, la création d'une infrastructure technologique pour les aider à répondre plus rapidement aux électeurs est un exercice tout à fait légitime.
    Pour revenir à ce que vous avez dit, si ma mémoire est bonne, je n'ai jamais été congédié pour une question de protection des renseignements personnels. Je ne sais pas où vous prenez votre information, mais je ne crois pas que ce soit vrai.

  (0905)  

    En l'occurrence, c'était La Presse canadienne, mais le Globe and Mail a rapporté qu'à titre de « bénévole et chercheur libéral », vous « avez joué un rôle pour mettre en place et façonner l'élan du parti vers des techniques axées sur les données ». Ce monsieur — encore une fois, ce bénévole — a dit que vous utilisiez des « techniques marginales », que vous utilisiez
un logiciel maintenant largement utilisé, connu sous le nom de « Liberalist » — tout en affirmant énergiquement à la vieille garde du parti que seule la technologie pourrait renverser les succès électoraux du parti [libéral].
    Avez-vous conseillé le Parti libéral?
    « Liberalist » n'est qu'un nom de marque pour la technologie de gestion des relations avec la clientèle qui était en cours de développement. Ce que je dirais, c'est que simplement parce que les données...
    Il y a une mise en garde que j'aimerais faire, pour quiconque se penche sur cette question, c'est que l'utilisation de l'information en soi n'est pas foncièrement malfaisante. Tous les partis au Canada utilisent un système de gestion des relations avec la clientèle. Chaque parti recueille des données. À l'époque, le Parti conservateur disposait d'une technologie et d'une infrastructure de collecte de données beaucoup plus avancées que le Parti libéral. Pour suivre le rythme de la modernisation de la politique, le Parti libéral de l'époque avait mis l'accent sur la mise en place d'un système de gestion des relations avec la clientèle dans le but de gérer les relations avec les électeurs dans l'ensemble et, pour ce qui est du caucus, de gérer les relations avec les électeurs dans les circonscriptions. Ce n'est pas en soi malfaisant. Ce n'est pas en soi illégal et contraire à l'éthique. Chaque parti recueille le registre électoral au Canada et recueille les renseignements sur les électeurs, au niveau du pays ou des circonscriptions.
    Absolument, tous les partis recueillent des données. Tout dépend de la quantité de données qu'ils recueillent et de la façon dont ils les utilisent.
    Revenons au courriel que vous avez envoyé au moment où vous faisiez la promotion du microciblage psychographique du vote pour la campagne Leave. Vous avez écrit: « Certains d'entre nous seront à Ottawa ce mois-ci pour travailler à un projet semblable pour un grand parti politique canadien. » Étiez-vous en train de promouvoir, essentiellement, cette même approche auprès du Parti libéral du Canada en janvier 2016?
    Permettez-moi d'être clair. Tout d'abord, si vous lisez la documentation qui a été envoyée à Dominic Cummings, il n'y a rien d'illégal là-dedans et rien n'y est nécessairement comparable, par exemple, à Cambridge Analytica. Il n'y a aucune proposition de s'approprier de façon illicite des données.
    Si vous recueillez des données alors que le participant en a conscience et y consent, il s'agit alors d'une utilisation et d'une collecte légitimes de données. Encore une fois, la mise en garde que je ferais, c'est que ce n'est pas parce qu'il y a des données dans un projet qu'il y a une intention ou une fin sinistre à ce projet.
    Pour ce qui est de...
    Merci.
    Nous y reviendrons.
    C'est maintenant au tour de M. Angus, qui a sept minutes.
    Merci, monsieur Wylie, de vous joindre à notre comité aujourd'hui.
    Je m'intéresse beaucoup à la structure de SCL. Nous essayons de comprendre SCL, Cambridge Analytica et AggregateIQ. Quand je prends SCL, je vois que ce groupe a participé à une guerre psychologique, à des campagnes de rumeurs... Il était payé par l'OTAN. Il était partout dans le monde. Il semble qu'il s'est ensuite transformé en machine électorale. Pouvez-vous nous expliquer la structure de SCL?

  (0910)  

    Bien sûr. Je crois qu'en fait, une partie du travail que SCL faisait pour l'OTAN était financée par le gouvernement canadien. Le Comité voudra peut-être examiner la relation avec le ministère de la Défense à Ottawa.
    Pour ce qui est de la structure de SCL, il y a eu plusieurs itérations au fil du temps. Lorsque j'y étais, on considérait qu'il s'agissait d'une compagnie de groupe au sein de laquelle vous aviez les mêmes actionnaires et les mêmes membres du conseil d'administration de plusieurs sociétés différentes, qui avaient le même nom, SCL, puis chacune des entreprises au sein du groupe se spécialisait dans un domaine de travail différent. Le plus important à l'époque où je me suis joint était SCL Defence, de sorte que la majeure partie du travail que faisait SCL Group était liée à la défense. Vous aviez également SCL Elections, un cabinet d'experts-conseils beaucoup plus restreint qui s'occupait des élections, habituellement dans les pays en développement. SCL Social faisait un travail qui ne s'inscrivait habituellement pas dans la défense ni dans la politique. Par exemple, si vous aviez un projet de soins de santé, cela relevait peut-être de SCL Social. Dans le même ordre d'idées, SCL Commercial réalisait des projets commerciaux.
    Lorsque Cambridge Analytica a été mise sur pied, la relation officielle qu'elle avait lorsque la propriété intellectuelle a été transférée était de SCL Elections à Cambridge Analytica, de sorte que Cambridge Analytica a été mise sur pied aux États-Unis. Elle a fait l'acquisition non pas de SCL Elections, mais simplement de la propriété intellectuelle de SCL Elections. Ainsi, SCL Elections a attribué sa propriété intellectuelle à Cambridge Analytica. En retour, Cambridge Analytica a accordé une licence à l'égard de cette même propriété intellectuelle à SCL Elections dans le cadre d'un deuxième contrat qui garantissait que tous les travaux de Cambridge Analytica seraient exécutés par SCL Elections. C'était la structure de base.
    Je peux vous donner plus de détails si vous le souhaitez, mais c'est...
    Eh bien, nous y arriverons.
    Dans son témoignage, Brittany Kaiser a dit qu'AggregateIQ était le partenaire exclusif de Cambridge Analytica dans le domaine de l'ingénierie des données numériques.
    Oui.
    Chris Vickery a aussi indiqué qu'il s'agissait de l'équipe de développement numérique.
    Quel est le rôle d'AggregateIQ ici?
    Vers la fin d'octobre ou de novembre 2013, lorsque SCL a décidé de transposer à échelle et d'accorder la priorité au développement de solutions technologiques, j'ai communiqué avec Jeff Silvester et Zack Massingham et je leur ai demandé s'ils étaient intéressés à venir travailler à des projets à Londres. Comme ils avaient de nouvelles familles et qu'ils étaient déjà établis au Canada, il leur était difficile de déménager.
    L'entente prévoyait qu'ils mettraient sur pied une entreprise canadienne. Ils pourraient travailler au Canada. La marque serait toujours SCL, ou SCL Canada, mais ils pouvaient rester au Canada pour travailler.
    AggregateIQ a été mise sur pied. Son premier projet était à Trinité. L'entente avec SCL était que tout travail que ce groupe faisait pour SCL serait alors la propriété de SCL. La propriété intellectuelle qui était en train d'être mise au point à l'époque a ensuite été attribuée ou transférée à SCL. Vous pourriez considérer qu'AggregateIQ était un peu comme une franchise, si vous voulez.
    D'accord. Nous avons les documents, que vous avez probablement fournis, je crois, et selon lesquels SCL indique que Zack Massingham est à la tête de SCL Canada.
    Oui.
    Il y a un numéro de téléphone pour Zack Massingham comme dirigeant de SCL Canada. Il a dit qu'il n'y avait absolument aucun lien.
    Est-ce crédible?
    Non, c'est totalement faux.
    La raison pour laquelle AggregateIQ a été mise sur pied au départ, c'était parce qu'il y avait des projets que SCL exécutait, puis que Cambridge Analytica exécutait par la suite. Il fallait une équipe d'ingénieurs pour les appuyer. L'entente prévoyait qu'AggregateIQ exécuterait le travail et accorderait alors une licence exclusive à SCL, puis qu'elle serait exploitée sous l'égide de SCL Canada.

  (0915)  

    Pourquoi Zack Massingham dirait-il à notre comité un mensonge aussi évident alors qu'il y a des documents? C'est ce que nous ne comprenons pas.
    Je ne peux pas parler des intentions ou des raisons pour lesquelles Zack Massingham...
    Je suis désolé de vous interrompre. Vous avez dit qu'ils ont été très prudents, techniquement corrects dans ce qu'ils disent, mais qu'ils utilisent des « mots ambigus ». Pourquoi diriez-vous cela?
    Si j'ai parlé de « mots ambigus », c'est parce qu'il est techniquement vrai de dire qu'AggregateIQ ne faisait pas partie de SCL. Il s'agissait d'une société enregistrée dans un pays distinct. Cependant, les accords de licence de propriété intellectuelle, les ententes contractuelles et le travail de mise au point étaient tous exclusifs à SCL.
    La raison pour laquelle j'ai dit cela, c'est que bien qu'il soit techniquement tout à fait vrai de dire qu'AggregateIQ est une entreprise distincte, cela ne veut pas dire qu'elle était propriétaire de la propriété intellectuelle qu'elle mettait au point; c'est SCL qui en était propriétaire.
    Pour terminer, vous avez également dit qu'il s'agissait d'une opération de blanchiment d'argent par procuration dans le cadre de la campagne Vote Leave pour le Brexit. N'est-ce pas ce que vous avez dit?
    Lorsque l'on regarde la relation qu'a eue AggregateIQ avec beaucoup des différents groupes de campagne du côté de Leave et qu'on voit que tous ces différents groupes de campagne ont reçu des dons — dans certains cas, des dons très importants — de la part de Vote Leave, que cet argent a ensuite été versé à AggregateIQ, pour moi, cela ressemble à une procuration pour enfreindre la loi sur les dépenses de campagne au Royaume-Uni.
    Facebook a récemment confirmé à la commission électorale et au Parlement du Royaume-Uni qu'en fait AggregateIQ avait quelques-uns des mêmes publics personnalisés et des publics semblables qui étaient fondés sur son travail pour Vote Leave, pour quelques-unes de ces autres entités.
    Ce qui a été établi jusqu'à maintenant, c'est que l'argent est passé de Vote Leave à une autre campagne, puis est allé au même fournisseur de services pour le même travail que Vote Leave avait. Facebook a maintenant confirmé qu'une partie du ciblage et que les univers cibles étaient exactement les mêmes.
    Je ne sais pas si le fait de parler de blanchiment d'argent en soi est la façon techniquement correcte d'exprimer cette relation, mais de façon générale il semble que la relation qu'elle avait avec toutes les campagnes de Leave visait à embrouiller la loi électorale au Royaume-Uni.
    Merci, monsieur Angus.
    C'est maintenant au tour de M. Baylis, qui a sept minutes.
    Merci, monsieur Wylie.
    Je vais simplement apporter une correction à ce que vous avez dit au sujet de l'argent qui est passé de Vote Leave à l'une des autres campagnes. Ce que nous a dit AggregateIQ, c'est que l'on n'a même pas pris la peine de le transférer, on l'a tout simplement donné directement à AggregateIQ. En ce sens...
    Je suis désolé. Vous avez raison. Ce que j'ai voulu dire par transférer l'argent, c'est que les factures...
    Vous avez raison. Dans bien des cas, ils ont probablement remis l'argent directement à...
    Ils ne leur faisaient même pas confiance pour leur donner l'argent. Ils ont simplement dit: « Envoyez-leur la facture et nous la paierons. »
    Je suis désolé. Je reconnais mon erreur. Les factures étaient différentes, mais l'argent...
    Ils ne se sont même pas donné la peine d'envoyer l'argent. Voilà à quel point ils étaient coordonnés.
    D'entrée de jeu concernant ce problème, j'aimerais parler de LUKOIL et du gouvernement russe. Comme nous le savons, LUKOIL est dirigée par M. Alekperov, un ancien ministre du gouvernement. Nous savons que cette entreprise fait l'objet de sanctions de la part du gouvernement américain, parce qu'elle est perçue comme un bras du gouvernement russe. Alors, lorsque je parle de LUKOIL ou du régime russe de Vladimir Poutine, je parle d'une seule et même entité.
    Ils commencent par communiquer avec M. Kogan. Pouvez-vous expliquer ces liens entre M. Kogan et le gouvernement russe?
    À l'époque où M. Kogan était à l'emploi de SCL, il travaillait également sur des projets financés par la Russie à Saint-Pétersbourg, sur le profilage des utilisateurs de médias sociaux, un accent particulier étant mis sur deux choses. La première était le trollage en ligne et le comportement en matière de trollage dans tous les médias sociaux. La deuxième était l'accent mis sur ce que vous appelez les « traits de la triade noire », c'est-à-dire le narcissisme, la psychopathie et le machiavélisme.
    SCL était au courant de ce travail. Il est documenté dans des courriels que l'entreprise voulait faire la promotion du travail d'Aleksandr Kogan pour les Russes auprès de ses autres clients. D'après ce que je crois comprendre, ils faisaient des exposés sur le travail qu'il faisait à Saint-Pétersbourg et ils mettaient en référence une partie du travail qu'il faisait pour SCL aux États-Unis.
    À peu près au même moment, LUKOIL a pressenti SCL/Cambridge Analytica, un intérêt particulier étant mis sur le ciblage. Il y a eu des discussions au sujet de l'expérience de Cambridge Analytica en matière de campagnes de rumeurs et de désinformation. C'est documenté. Il y a eu des présentations, que j'ai remises aux autorités, qui font référence...

  (0920)  

    Je veux retenir cette idée un instant. Donc, LUKOIL, encore une fois cette pétrolière théorique, se pointe chez SCL et veut parler de campagnes de rumeurs, de l'inoculation d'attitude, de choses que nous pourrions appeler des « fausses nouvelles ». Est-ce que ce serait un fourre-tout mondial?
    Bien sûr. C'est une nouvelle façon de l'appeler.
    Oui.
    C'est de la désinformation.
    Disons qu'il s'agit de fausses nouvelles. Il semble que ce soit le terme utilisé en ce moment.
    Bien sûr.
    Pourquoi LUKOIL s'intéresse-t-elle aux fausses nouvelles ou à répandre de fausses nouvelles?
    Je ne peux pas vous dire quelles étaient les intentions de LUKOIL en ce qui concerne ces réunions. Je sais que lorsque SCL a fait des présentations sur la désinformation ou l'inoculation d'attitude, cela n'a pas dissuadé l'entreprise de poursuivre cette relation. L'entreprise était intéressée. Elle a ensuite reçu des livres blancs que mes collègues et moi avions rédigés sur les actifs de données et la capacité de l'entreprise aux États-Unis.
    Si je peux me permettre, à ce stade-ci, vous avez LUKOIL — que je vais appeler le gouvernement russe — qui essaie de répandre de fausses nouvelles et d'en apprendre sur... J'ai besoin d'une base de données. Je travaille donc avec M. Kogan pour obtenir une base de données et je le finance, le gouvernement russe, LUKOIL. Alors, je parle aussi à SCL de la façon de répandre ces fausses nouvelles maintenant que j'ai cette base de données. C'est ce qui se passe.
    Ensuite, quelque chose d'intéressant se produit. Deux personnes venant des États-Unis se présentent, M. Steve Bannon et Robert Mercer. Les grands joueurs d'Internet sont tous établis aux États-Unis. Cette technologie pour cibler les gens... comme vous l'avez mentionné, les Canadiens peuvent le faire, les Américains peuvent le faire. Comment Steve Bannon et Robert Mercer savaient-ils que cela se passait, qu'il y avait ce groupe qui travaillait avec le gouvernement russe qui volait des données, puis qui cherchait à répandre de fausses nouvelles? Comment ces deux messieurs se sont-ils présentés — Steve Bannon et Robert Mercer — à cette petite entreprise à Cambridge?
    Je n'ai pas assisté aux premières réunions. Je crois savoir que Steve Bannon a été présenté à Alexander Nix par une connaissance mutuelle. À l'époque, il était le rédacteur en chef de Breitbart et il était un adepte de ce que l'on appelle la doctrine Breitbart, c'est-à-dire que la politique découle de la culture. Donc, si vous voulez changer la politique, commencez par la culture. De toute évidence, Breitbart n'est pas devenue un média grand public comme il avait été envisagé. Il cherchait un moyen d'élargir son arsenal d'outils pour participer à ce qu'il appelait la guerre de la culture. Donc, l'attrait de SCL Group, lorsqu'il a été présenté à l'entreprise, était que le groupe s'occupait d'opérations d'information pour l'armée américaine, l'armée britannique et d'autres forces armées.
    Pourrions-nous dire qu'un autre attrait pourrait être qu'il appert qu'ils ont quelque chose d'unique, quelque chose qui n'était pas disponible dans cet espace? Pourrions-nous dire que l'un des attraits était qu'ils avaient un Russe qui avait volé beaucoup de données dont ils pourraient se servir? Pourrions-nous dire que c'est peut-être un aspect unique qui les a amenés là?
    J'aimerais apporter une petite correction au sujet de la chronologie. Le projet Kogan a commencé après la mainmise de Steve Bannon sur l'entreprise, mais il a été autorisé par Steve Bannon. Donc, pour ce qui est de la chronologie, le travail d'Aleksandr Kogan s'est fait après que Steve Bannon et Robert Mercer eurent acquis la propriété intellectuelle dans SCL, mis sur pied Cambridge Analytica et déposé les fonds nécessaires.

  (0925)  

    Le travail, la collecte réelle des données, est-ce bien ce que vous voulez dire?
    Oui, cela signifie donc...
    Cela signifie qu'ils savaient qu'il travaillait avec les Russes. Ils se présentent là-bas et ils savent qu'il a des compétences particulières pour recueillir des données. Se peut-il que les Russes les en aient informés? Avez-vous vu un lien direct entre M. Bannon, M. Mercer et LUKOIL? Y a-t-il un soupçon de cela?
    Eh bien, Steve Bannon a dû approuver tous les projets de l'entreprise. En sa qualité de vice-président, il était chargé de la gestion au quotidien des opérations, quoique aux États-Unis. Tout nouveau client ou tout nouveau projet ou tout nouveau champ de travail, surtout s'il entraînait des coûts, devait être approuvé par lui. Il était au courant...
    Merci, monsieur Baylis.
    Allez-y, terminez.
    Allez-y, terminez votre réponse.
    Il était au courant du travail qui se faisait. Il était au courant du travail de M. Kogan et il en a approuvé le financement. Pour vous donner une idée de son ampleur, l'entreprise a dépensé près de 1 million de dollars au cours des trois premiers mois de ce projet. Il a donc fallu que ce soit approuvé par Steve Bannon et les Mercer.
    Merci, monsieur Wylie.
    C'est maintenant au tour de M. Gourde, qui a cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Wylie, quand vous avez commencé à travailler sur l'architecture de la technologie qui allait être utilisée, étiez-vous devant une feuille blanche ou avez-vous été inspiré par quelque autre technologie qui existait quelque part dans le monde?

[Traduction]

    Lorsque j'ai commencé à travailler à SCL Group à l'été de 2013, l'entreprise cherchait à moderniser bon nombre de ses activités et travaux, surtout en ce qui concerne ce qui se passait dans le milieu de la défense, c'est-à-dire l'expansion de la recherche sur la prolifération des idées en ligne et dans les médias sociaux, parce que cela devenait rapidement l'un des principaux outils de recrutement des organisations extrémistes et des organisations terroristes. L'entreprise avait un défi d'expertise technique à relever et elle voulait l'élargir. Donc, lorsque je suis arrivé, c'était en partie pour examiner les opérations de l'entreprise et pour déterminer comment moderniser ses tactiques et utiliser la technologie pour améliorer le tout.
    Lorsque j'ai commencé, vous pourriez dire que c'était une feuille blanche, en ce sens que l'infrastructure technologique n'était pas encore là. Ce n'était pas une feuille blanche en ce sens que l'entreprise avait plusieurs décennies d'expérience dans les opérations d'information partout dans le monde. Donc, une partie du rôle, du moins au début, lorsque j'ai été invité à me joindre à l'entreprise, consistait à examiner les tactiques et les techniques existantes dans les opérations d'information et à voir comment nous pourrions les importer dans le cyberespace.

[Français]

    Monsieur Wylie, comment une technologie militaire se transforme-t-elle en outil de campagne électorale au sein d'une démocratie? Y a-t-il eu des commandes de la part de tiers? Vous n'avez pas fait cela juste pour le plaisir. Vous avez sûrement vu qu'il y avait un marché potentiel ou que des gens étaient prêts à payer pour cette technologie.

[Traduction]

    Je tiens à le dire clairement, lorsque j'ai été embauché par SCL, je suis devenu directeur de la recherche pour plusieurs entreprises. Je ne travaillais donc pas seulement à la division chargée des élections. D'après les recherches que nous faisions à l'origine, ce n'était pas nécessairement seulement pour des élections. Il y aurait eu des applications militaires et, à l'époque, le travail militaire était le gagne-pain de l'entreprise. C'est à peu près à ce moment-là qu'Alexander Nix a rencontré Steve Bannon et a entamé le processus de discuter avec Bannon et les Mercer pour essentiellement ramener cela dans un contexte électoral aux États-Unis.

  (0930)  

[Français]

    Est-ce des partis politiques qui ont contacté votre compagnie pour que cette technologie qu'elle offre les aide, ou est-ce plutôt votre compagnie qui est entrée en contact avec les partis politiques pour les aviser qu'elle avait un outil susceptible de les aider dans leur recherche d'électeurs potentiels?

[Traduction]

    Alexander Nix s'occupait habituellement des relations avec les clients ou les clients éventuels. Je sais qu'il est allé rencontrer plusieurs clients éventuels, surtout en Afrique ou dans les Caraïbes, quelques-uns en Amérique du Sud et en Asie, au sujet du travail qui se faisait. Comme je n'étais pas nécessairement présent à ces réunions, je ne peux pas en parler.

[Français]

    Vous confirmez donc que votre compagnie s'est spécialisée dans l'activité qui consiste à aller voir des personnes dans différents pays afin de préparer leurs élections. Cet outil a été mis en place précisément pour un marché mondial d'influence démocratique, n'est-ce pas?

[Traduction]

    Oui. Une partie du travail de l'entreprise consistait à se rendre dans d'autres pays et à travailler aux campagnes électorales, surtout dans des démocraties émergentes. Souvent, l'entreprise ne faisait pas nécessairement de l'argent en travaillant aux élections, mais plutôt en utilisant les relations qu'elle avait établies dans le cadre de ses campagnes plus tard pour des projets gouvernementaux.
    Merci.
    Nous passons maintenant à Mme Vandenbeld.
    Merci d'être ici pour répondre à nos questions.
    J'aimerais revenir sur quelque chose que vous avez dit au comité judiciaire du Sénat des États-Unis, à savoir où vous tiriez vraiment la ligne. Vous avez dit que l'une des raisons pour lesquelles vous avez dénoncé cette situation, c'est qu'ils commençaient à empêcher les électeurs de voter, en ciblant particulièrement les gens en fonction de leur race. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit exactement? Lorsque vous parlez de suppression du vote que proposaient-ils ou faisaient-ils?
    Pour être clair, je n'ai pas travaillé à des projets de suppression du vote. J'ai été mis au courant de ces projets lorsque je travaillais là.
    D'après ce que j'ai compris de ce que l'entreprise comptait faire — je crois que c'était à l'instigation de Steve Bannon et de certains de ses collègues dans des groupes différents —, c'était de créer des listes d'électeurs principalement afro-américains, puis d'examiner les genres de messages qui les désintéresseraient davantage de la politique, ce qui réduirait alors la probabilité qu'ils votent.
    Il y a plusieurs définitions à la suppression du vote. La forme la plus fréquente serait d'essayer de radier les gens de la liste, par ce qu'on appelle la détention du vote, par ce que l'on appelle le blocage du vote. Ce n'est pas de cela que je parle. Ce dont je parle, c'est de trouver des choses qui rendent la politique si peu attrayante ou si déroutante pour un sous-ensemble d'électeurs qu'ils deviennent moins enclins à voter ou à participer au processus démocratique.
    Cela se fonde sur ces profils de comportements psychosociaux qui sont recueillis, comme vous l'avez mentionné, non seulement sur Facebook, mais peut-être aussi l'entreprise privée et de différentes sources, comme les historiques de navigation et ce genre de choses. Existe-t-il un ensemble de données recueillies qui permet ce genre de travail?
    Oui. Les données proviendraient de sources multiples. Certaines étaient de nature commerciale, d'autres, de nature électorale et d'autres enfin, de nature sociale ou en ligne.
    L'une des choses que vous nous avez dites, c'est que la propriété intellectuelle d'AggregateIQ, une grande partie de ces données qui sont recueillies et regroupées, appartient en fait exclusivement à SCL. Il y a une entente de partage de données. Lorsque M. Vickery a témoigné devant le Comité, il a dit la même chose. Il dit avoir trouvé sur les serveurs d'AggregateIQ des données dont la base de code semblait être exactement la même, ce qui laisse entendre encore une fois que SCL et AggregateIQ partageaient totalement leurs données. Cependant, lorsque nous avons reçu M. Silvester, il nous a dit que tout ce à quoi ils avaient accès, c'était peut-être des notes de classement qui venaient des États-Unis et qui provenaient peut-être d'un serveur de SCL quelque part.
    Vous dites que ce que M. Silvester nous a dit n'est pas exact, mais qu'en fait il y avait une collaboration beaucoup plus étroite entre SCL et AggregateIQ.

  (0935)  

    Pour que les technologies qu'AggregateIQ mettait au point fonctionnent, l'entreprise a construit l'interface entre les bases de données et les plateformes en ligne sur lesquelles on pouvait faire de la publicité. C'était une sorte de compromis. Vous devez avoir accès aux données pour extraire des listes, les envoyer et créer un public personnalisé.
    On ne peut pas construire une plateforme de ciblage qui n'a pas accès aux données, parce qu'alors, qu'est-ce que vous ciblez, n'est-ce pas? Une des choses que j'ai fournies au comité du ministère de la Culture, des Médias et des Sports ici, en Grande-Bretagne, c'est un courriel d'AggregateIQ qui fait précisément référence à la recherche dans les bases de données de SCL à l'égard du projet Ripon.
    Je ne vois pas comment on peut faire une recherche dans une base de données si on n'y a pas accès. Je ne sais pas comment vous pouvez faire du ciblage si vous n'avez pas accès à la base de données. Franchement, je suis surpris et vraiment déçu que Jeff Silvester et Zack Massingham aient décidé d'essayer de camoufler ou d'embrouiller ce qui s'est passé. Vous devrez leur demander pourquoi ils adoptent cette position, mais à mon avis, ce n'est tout simplement pas vrai. Dans ce cas, quelle valeur offriraient-ils s'ils n'ont utilisé aucune des données?
    Voilà justement ce que j'allais vous demander. Quand les gens engagent la société SCL, Cambridge Analytica ou AggregateIQ, surtout aux fins d'une campagne électorale, qu'achètent-ils?
    La société AggregateIQ nous a fait croire qu'elle fait comme Burma-Shave: dès que nous affichons un petit truc dans Facebook, elle en fait des annonces publicitaires fondées sur quelques données démographiques tirées de Facebook. Elle soutient que si une personne vous fait signe dans la rue, c'est comme si elle allumait une lampe, et qu'AIQ se contente de récolter ces signaux. Toutefois, qui signe un contrat de 600 000 livres pour charger quelqu'un de cibler des abonnés de Facebook? N'importe qui peut s'en charger, on peut simplement demander à un bénévole de le faire.
    Vous nous dites qu'en réalité AIQ achetait cette base de données cumulative, ce profilage psychosocial, ce volume énorme de données récoltées et qu'en fait les gens achetaient tout cela.
    J'aime votre expression politique très canadienne de « Burma-Shave ». Je ne l'avais pas entendue depuis assez longtemps.
    Des voix: Ha, ha!
    M. Christopher Wylie: Je trouve que le plus grotesque est d'entendre les gens d'AggregateIQ prétendre qu'ils se contentent de cliquer quelques données démographiques de Facebook Ads Manager. Je n'y crois pas. Cette société n'aurait pas beaucoup de valeur si un stagiaire pouvait se charger de tout ce qu'elle fait, n'est-ce pas?
    Si le patron sait qu'il veut cibler les femmes de 25 à 30 ans, il n'a qu'à demander à son stagiaire de le faire. Je ne comprends pas pourquoi il aurait besoin... Il dépenserait aussi beaucoup moins, parce qu'il n'aurait pas à payer les honoraires d'experts-conseils. Je trouve cette justification ridicule, ou alors les employés de cette société sont terriblement incompétents... Je ne sais pas si les employés de l'organisme Vote Leave étaient tout aussi stupides, mais j'ai rencontré Dom Cummings, et je ne le trouve vraiment pas stupide, alors j'ai bien de la peine à croire cette explication.
    Facebook a confirmé que différentes campagnes ciblaient les mêmes populations. Je ne comprends pas cette explication. Je ne peux pas vous l'expliquer pour eux, mais en ce qui me concerne, je n'en crois pas un mot.
    Merci.
    Monsieur Kent, vous avez maintenant la parole pendant cinq minutes.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Wylie, vous nous avez dit que vous aviez donné une séance d'information technique à M. Cummings et à la campagne Brexit Leave. Il est bien sûr que tous les partis politiques du Canada recueillent des données, mais pas de données aussi confidentielles que celles que vous décrivez en parlant d'une compréhension profonde des processus cognitifs et décisionnels qui va au coeur de l'orientation de presque tous les comportements...
    Vous parlez de psychométrie de la personnalité, des points vulnérables, en fait, de chaque électeur, en ajoutant que parfois les électeurs ne s'avouent pas vraiment les vrais choix qu'ils désirent faire. Mais je crois que votre dernière phrase est la plus flagrante quand vous dites pouvoir déclencher les motivateurs décisionnels sous-jacents de chaque population psychographique.
    Au début de cette séance d'information technique, vous prétendez que vous engageriez votre équipe multinationale dont les membres ont accumulé des années d'expérience en ciblage précis et en profilage psychographique des scènes politiques du Royaume-Uni, des États-Unis, du Canada et du reste du monde. Nous retrouvons cette affirmation dans La Presse canadienne, qui a publié plus tôt cette année qu'une de vos connaissances, sans s'identifier et officieusement...

  (0940)  

    Il me sera difficile de répondre au commentaire d'une personne qui prétend me connaître ou savoir ce qui s'est passé si l'on ne me donne pas son nom et si je ne sais pas pour quelle raison il ou elle a dit cela.
    Cette personne a dit avoir pris un verre avec vous.
    Précisons bien. Je ne sais pas s'il s'agit d'une connaissance ou pas.
    Je vais vous décrire le contexte pour vous rafraîchir la mémoire. Cette connaissance dit avoir pris un verre avec vous à Ottawa en novembre 2015, quelques semaines après l'élection fédérale. La Presse canadienne a cité cette même connaissance qui aurait dit que vous utilisiez vos techniques de collecte de données dans les pages Facebook des libéraux à Ottawa et des républicains à Washington et que vous aviez parlé à cette connaissance...
    Ce n'est pas...
     ...de vos préoccupations en matière d'éthique. Est-ce exact?
    Permettez-moi de préciser très clairement que ce n'est pas vrai. Je vais être extrêmement clair. Je n'étais pas aux États-Unis à ce moment-là pour promouvoir le Parti républicain. Je vous invite à demander au Republican National Committee si je l'ai fait. Ce n'est absolument pas vrai.
    Quant à Facebook, je ne saurai même pas par où commencer à vous répondre. En cherchant les motivateurs sous-jacents des gens, par exemple, on ne leur nuit pas nécessairement. Par exemple, on peut décider de présenter des vidéos très tape-à-l'oeil ou amusantes aux gens extrovertis et des vidéos dont le contenu est plus approfondi à une audience plutôt introvertie parce qu'elle est plus consciencieuse, par exemple.
    Je voudrais avertir les gens de ne pas considérer des données ou tout ce qui a trait à la psychologie sous-jacente des électeurs comme une chose nocive, parce qu'elles ne le sont pas nécessairement.
    Je tiens à souligner clairement que je n'ai pas travaillé pour le Parti libéral. J'ai travaillé pour le Parti libéral il y a de nombreuses années, bien avant de m'installer au Royaume-Uni. J'ai simplement aidé le Bureau de recherche libéral pendant sa période de transition lorsqu'il accédait au pouvoir. J'examinais les communications du caucus, les matrices de base sur des médias comme Twitter pour savoir ce que les gens disaient. Il n'y avait là rien de nocif. Je vous affirme clairement que je n'ai pas fait de ciblage psychographique pour le Parti libéral ou pour quelque autre entité libérale canadienne. Permettez-moi de préciser plus encore. Quiconque insinue que j'ai fait cela ne dit pas la vérité. Je n'ai pas fait de ciblage psychographique pour le Parti libéral ou pour quelque autre entité libérale canadienne.
    Même si vous avez dit à M. Cummings que vous l'aviez fait? Vous avez dit...
    Non, la référence...
    ... dans ce courriel que vous...
    Vous parlez de discussions que j'ai eues sur ce qui pourrait se faire. Mon rôle...
    Je vais préciser un peu. Vous avez mentionné tout particulièrement la séance d'information technique approfondie sur le ciblage psychographique précis, en ajoutant que cette semaine-là à Ottawa, certains d'entre vous allaient mener un projet similaire pour un parti politique canadien important. Mentiez-vous à M. Cummings?

  (0945)  

    Non, je vais le répéter clairement. Je n'ai pas participé à un projet de ciblage psychographique pour le Parti libéral...
    Passons à autre chose, alors.
    ... et voilà. C'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet.
    Nous poursuivrons un peu plus tard. Merci.
    M. Saini a la parole pour cinq minutes.
    J'espère que vous passez un bon après-midi, monsieur Wylie.
    Ma question sera très rapide. Elle a trait au témoignage que vous avez donné la semaine dernière. Vous répondiez à une question que le sénateur Whitehouse vous avait posée sur les sociétés AIQ et SCL Group Canada, et vous avez dit que pendant que vous édifiiez l'infrastructure du logiciel, on avait créé des entreprises sous-traitantes. Comme vous le savez sûrement, ces sous-traitants nient absolument avoir été établis par SCL ou par Cambridge Analytica.
    Pourriez-vous nous décrire le processus ou nous dire quelles mesures ont été prises pour créer ces entreprises, en donnant autant de détails que possible?
    D'après ce que je comprends, la société AggregateIQ vient d'être fondée, juste avant de signer le premier des contrats auxquels elle a participé. On pourra évidemment vérifier quand exactement cette société a été fondée, parce qu'avant cela, Jeff Silvester et Zack Massingham travaillaient pour d'autres entreprises. Ils ont quitté leur poste pour créer cette société afin de participer à des projets liés à SCL. Les représentants d'AggregateIQ seraient mieux placés pour vous répondre, car ils détiennent les documents où se trouvent ces renseignements.
    Ils ont commencé à travailler sous l'égide d'AggregateIQ quand on leur a offert de grands projets dans les Caraïbes, en Afrique et plus tard, aux États-Unis. Leurs contrats spécifiaient que la propriété intellectuelle qu'ils allaient créer et que SCL payait appartiendrait à SCL.
    Justement à ce propos, la société AIQ a été fondée parce que vous leur avez parlé d'un travail éventuel. Avant cela, AIQ n'existait pas. Ils n'étaient que deux gars sans...
    Oui, c'est ainsi que je comprends la situation.
    Donc la société AIQ a été fondée à la suite de cette conversation que vous avez eue avec eux au cours de laquelle vous leur avez dit que vous auriez du travail pour eux. Vous les avez ensuite invités à se joindre à vous en Angleterre. Cependant, comme vous l'avez dit, ils ont chacun une famille, chacun d'eux venait d'acheter une maison, alors s'ils n'allaient travailler que pour votre entreprise, ils voulaient le faire au Canada.
    C'est cela.
    Ma prochaine question porte sur une réponse que vous avez donnée au comité du Royaume-Uni. Vous avez souligné que si l'on envoie des factures de différentes entreprises pour les travaux d'une même équipe, la documentation semble conforme même si le projet ne l'est pas.
    À votre connaissance, est-ce que les gens de SCL ou de Cambridge Analytica ont discuté avec les gens d'AIQ de ce contournement des lois du pays ou de règles sur les dépenses? Dans l'affirmative, en quoi consistaient ces discussions?
    Je peux vous dire que les employés d'AggregateIQ, de SCL et de Cambridge Analytica ont exécuté des travaux aux États-Unis et que ces travaux étaient liés à différents comités d'action politique, ou à des campagnes ou à d'autres organismes électoraux qui travaillaient dans un même État, dans une même région ou dans un même contexte électoral. Quant au contenu des discussions qui ont eu lieu entre les représentants d'AIQ et ceux de SCL, il faudra que vous le demandiez aux gens d'AIQ.
    Je suis un peu troublé par le fait que cette entente permettrait à différentes entités d'effectuer un travail ensemble, alors que si l'organisme de réglementation avait su qu'une même équipe effectuait ce travail sous différentes désignations, il ne l'aurait pas permis. Les sociétés SCL et Cambridge Analytica ont même reçu aux États-Unis des conseils juridiques à cet effet et sur d'autres questions de conformité. Je ne suis pas sûr qu'ils aient suivi ces conseils.
    La légalité du travail d'AIQ est douteuse aux États-Unis si, par exemple, on envoyait des citoyens étrangers conseiller les dirigeants d'une campagne ou gérer cette campagne à l'encontre des règles de l'éthique et des lois américaines.

  (0950)  

    J'ai plusieurs autres questions, mais je vais vous en poser une plus brève. Dans votre témoignage devant le sénateur Whitehouse la semaine dernière, vous avez souligné que l'outil Ripon avait été créé pour utiliser les données recueillies par Aleksandr Kogan. Croyez-vous vraiment que les gens d'AIQ auraient su à quelles fins ils concevaient cet outil?
    Ils le savaient parfaitement. Ils venaient constamment au Royaume-Uni. Je crois qu'ils ont même rencontré Aleksandr Kogan, mais je n'en suis pas absolument sûr de cela. Cependant, je me souviens qu'ils étaient présents quand Aleksandr Kogan se trouvait au bureau. Je trouve cela...
    Donc ils l'auraient su.
    Excusez-moi. Continuez.
    J'ai vraiment de la peine à croire qu'ils aient participé au long processus contractuel et à l'établissement de spécifications techniques complexes sans comprendre les spécifications qu'ils rédigeaient avec l'autre partie.
    Merci.
    Monsieur Angus, vous avez trois minutes.
    Merci, monsieur Wylie.
    Ma question porte sur une conversation que vous dites sous serment avoir tenue avec Jeff Silvester. M. Silvester témoigne cependant du contraire. Je voudrais être sûr que ce que vous avez dit est exact, parce que dans un autre témoignage, vous avez dit, et je cite:
Ils [les gens d'AIQ, Jeff Silvester] m'ont avoué, et je vous le cite verbatim, et je jure que c'est vrai; je me souviens que Jeff Silvester m'a dit... [que ce qu'ils faisaient] était « totalement illégal ». [ ... ] ...Qu'AggregateIQ n'était qu'un moyen de blanchir de l'argent.
    Est-ce vrai? Avez-vous vraiment entendu cette conversation?
    Oui. Elle a eu lieu au printemps de l'année dernière à Victoria, en Colombie-Britannique. Je me souviens parfaitement de l'expression « totalement illégal ».
    Je maintiens ce dont je me souviens.
    Nous avons posé la question à M. Silvester. Il nous a répondu qu'il était très surpris que vous ayez dit cela. Il a ajouté que vous aviez mal compris et qu'il vous avait même envoyé un texto pour vous dire qu'il pensait que vous aviez mal compris. Est-ce vrai?
    Non, ce n'est pas vrai. J'ai gardé tous les textos que Jeff Silvester m'a envoyés à l'époque. Je ne me souviens pas du tout qu'il ait corrigé cette affirmation en m'envoyant un texto.
    Remetteriez-vous...
    Je n'y crois pas du tout.
    Remetteriez-vous ces textos à notre comité? Nous ne nous intéressons pas à vos textos sur les équipes des Blue Jays ou de Liverpool, mais nous voudrions voir s'il s'inquiétait d'avoir été cité à faux. C'est très important pour nous.
    Oui, bien sûr.
    Je vais en parler à mes avocats, et nous trouverons la meilleure façon de vous remettre l'information qu'il vous faut.
    Merci beaucoup.
    Je le répète, la participation de la société AIQ aux différents rôles de Cambridge Analytica me trouble. Nous avons posé une question sur la vidéo du meurtre commis au Nigeria, et j'avouerai que les gens d'AIQ nous ont semblé profondément troublés en regardant cette vidéo. Qui a donné cette vidéo sur ce meurtre à AIQ?
    La vidéo dont vous parlez montre des corps que l'on démembre. Ces images s'accompagnent de messages extrêmement islamophobes. La société Cambridge Analytica avait engagé un sous-traitant, si je ne m'abuse, pour créer cette vidéo, qu'elle a ensuite envoyée à AIQ en lui demandant de la diffuser. Donc la société AIQ n'a pas créé cette vidéo. Elle a cependant...
    Non, et reconnaissons que cette vidéo semblait troubler très profondément les gens d'AIQ. J'ai toutefois été surpris d'entendre Zack Massingham affirmer à notre comité que pendant la campagne du Nigeria, il n'avait aucune idée de l'existence de Cambridge Analytica, alors qu'il ne comprenait pas comment... C'est pourquoi je me suis demandé qui avait remis cette vidéo à la société AIQ si elle ne lui venait pas de Cambridge Analytica. Comment n'aurait-il pas pu connaître...
    Cela ne peut pas être vrai. Je suis désolé, cela ne peut pas être vrai. Il ne peut pas ne pas connaître son client le plus important. Je suis surpris qu'il ait dit cela.
    Il possède un téléphone dont il ne connaissait pas l'existence.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Charlie Angus: Je tenais à ce que cela figure au compte rendu.
    Vous affirmez donc qu'il est ridicule de penser que la société Cambridge Analytica aurait créé cette vidéo pendant la campagne du Nigeria. Elle l'aurait remise à AIQ, mais les gens d'AIQ affirment qu'ils ne savaient pas que Cambridge Analytica existait.
    À moins qu'ils... je ne sais pas. Je vous dirai que je suis profondément surpris qu'il ait dit cela, parce qu'il s'agissait du client le plus important d'AIQ. Comment le PDG d'une entreprise pourrait-il ne pas savoir qui est le client le plus important de son entreprise?
    Je vais changer de sujet, parce que le temps passe. Je m'inquiète pour M. Massingham. L'accuse-t-on à tort? Pourquoi quelqu'un mentirait-il au sujet d'un fait si anodin?

  (0955)  

    Je vous dirai que je n'en reviens pas qu'il ait dit cela. Honnêtement, je ne saurais pas vous l'expliquer. C'est bien triste, parce qu'il y a beaucoup de renseignements importants à dévoiler au public, aux organismes de réglementation et aux gouvernements. Ces gens auraient pu eux aussi participer à cette dénonciation et ils ont choisi de ne pas le faire. Il faudra que vous lui posiez cette question à lui. Je n'en reviens pas qu'il ait dit qu'il ne savait pas qui est Cambridge Analytica alors que cette société était la cliente la plus importante d'AIQ.
    Merci.
    Pour que vous le sachiez tous, nous allons tout de suite entamer la ronde suivante.
    Il est possible qu’il y ait un vote sur l’attribution de temps dans une vingtaine de minutes, alors si vous voulez bien patienter, monsieur Wylie, nous allons avancer autant que possible.
    Comment vous sentez-vous? Voudriez-vous que nous fassions une pause santé ou autre, monsieur Wylie?
    Je vais bien.
    Vous vous sentez en mesure de poursuivre.
    Parfait, alors nous passons la parole à M. Picard pour sept minutes.

[Français]

    Monsieur Wylie, je vais relever quelques détails de votre témoignage pour revenir sur des points d'intérêt.
    Pourquoi avoir constitué ces compagnies en sociétés par actions au Canada? Compte tenu de la nature internationale des clients et de la portée du travail, y a-t-il des raisons d'ordre pratique ou réglementaire qui ont mené AIQ et SCL à se constituer en sociétés par actions au Canada?

[Traduction]

    Nous l'avons fait tout simplement parce que Jeff Selvester et Zack Massingham habitaient ici et tenaient à y rester. Ils voulaient participer aux projets de SCL, mais à cette époque, ils tenaient à rester au Canada et à ne pas déménager à l'étranger, alors la société s'est organisée de cette façon.

[Français]

    J'aimerais maintenant parler de la nature des données que vous avez recueillies, ou plutôt des données sur lesquelles vous avez travaillé.
    Je vais faire une analogie. Lorsqu'on fait la cuisine, la créativité nous permet de préparer toutes sortes de plats, mais le problème qui nous importe est la provenance des ingrédients.
    Dans le cas qui nous occupe, il nous manque un détail, et c'est la provenance des données que vous avez utilisées pour vos analyses. À proprement parler, quand vous travaillez sur quelque chose qu'on vous fournit, vous faites le travail pour lequel vous êtes payé. Par contre, la tâche d'acquérir ces données était-elle la vôtre ou celle des personnes ou compagnies pour lesquelles vous travailliez?

[Traduction]

    Excusez-moi, mais quand vous parlez de la provenance des données, parlez-vous du projet Kogan? Faites-vous référence à ce projet?

[Français]

    Vous pouvez me répondre de façon générale. Le dossier Kogan est effectivement assez particulier.
    Lorsque vous voulez obtenir de l'information provenant de différentes bases de données, il vous faut l'acquérir. Elle n'est pas disponible juste comme cela; il faut l'acquérir. Cela prend donc une entente avec le fournisseur de ces données.
    C'est une question qui comporte plusieurs dimensions. Est-ce que la transmission de ces données est faite à l'initiative de leur propriétaire? Prenons l'exemple de Facebook, qui a des bases de données. Est-ce qu'elle vous donne accès à ces données, peu importe qu'elle vous les prête ou vous les donne? Est-ce que quelqu'un les achète? Est-ce que quelqu'un les subtilise par piratage?

[Traduction]

    Je n'essaie pas de compliquer ma réponse, mais tout dépend vraiment du projet et de la provenance auxquels vous faites référence.
    Par exemple, Aleksandr Kogan a acquis l'ensemble de données de Facebook en utilisant des applications de Facebook. Nous avons acquis d'autres ensembles de données, certains avec l'aide de leurs propriétaires. Par exemple, il arrive que des clients remettent à l'entreprise des renseignements pour aider à concevoir le modèle.
    Dans d'autres cas, on signe un contrat directement avec une entreprise, comme un fournisseur de données de consommation ou avec une entreprise qui vend sa liste de clients.
    Dans d'autres cas, nous chargeons des sous-traitants d'acquérir des données générales, tout ce qu'ils réussiront à obtenir. Par exemple, la société AggregateIQ était parfois chargée de trouver des ensembles de données pour des projets particuliers. C'est ce qu'elle a fait à Trinidad, par exemple. Ses employés sont allés acquérir les données au nom de l'entreprise.
    Parfois, la relation se fait sous forme de contrat conclu directement avec le fournisseur. D'autres fois, on utilise une application qui recueille les données. Il existe bien des façons de faire une collecte de données.

  (1000)  

[Français]

    Dans le cas du dossier du Brexit, vous sembliez surpris du fait que la nature des informations sur lesquelles vous travailliez était relativement la même, peu importe le parti en cause.
    Normalement, l'intérêt de manipuler de l'information à des fins politiques, voire de manipuler un processus démocratique comme celui d'une élection, se manifeste chez quelqu'un qui veut le pouvoir ou chez quelqu'un qui veut contrôler le groupe qui va être au pouvoir. Dans le cas du Brexit, j'ai remarqué qu'il y avait des contrats dans les Caraïbes, en Afrique, aux États-Unis, mais cela pourrait s'appliquer dans d'autres cas aussi.
    Êtes-vous au fait d'intérêts étrangers qui veulent justement mettre la main sur le pouvoir dans certains pays en utilisant ce genre de technologie?

[Traduction]

    Je suis au courant de projets dont les clients d'un pays s'intéressent beaucoup aux résultats électoraux d'un autre pays. Si j'ai bien compris, la société SCL a participé à des projets financés en partie par des organismes qui n'étaient pas basés dans le pays où l'on effectuait ces projets.
    Certaines entreprises s'intéressent par exemple aux ressources naturelles d'un autre pays, et un autre pays les aiderait beaucoup mieux à se les procurer.
    Je sais que l'entreprise engage des ressortissants d'autres pays pour effectuer un projet dans un pays donné.

[Français]

    Tout à l'heure, vous avez parlé de la suppression d'électeurs, comparativement à ce qu'on appelle le « vote caging », cette technique par laquelle on peut enlever des noms d'une liste d'électeurs.
    À votre connaissance, est-ce que l'action de techniquement enlever des noms sur des listes d'électeurs a été faite, que ce soit par AIQ, par SCL ou par d'autres entités?

[Traduction]

    Je vais vous préciser cela très, très clairement. Quand je parle de suppression d'électeurs, je ne fais pas référence au vote caging, pour lequel on retire littéralement les noms de personnes du registre électoral. Je parle du ciblage de groupes particuliers d'électeurs auxquels on envoie des messages qui les décourageront, qui les irriteront ou qui embrouilleront leur pensée. On en arrive ainsi à les démotiver pour qu'ils ne se présentent pas au bureau de vote.

[Français]

    Ma question était plutôt celle-ci: est-ce que vous avez participé à du vote caging?

[Traduction]

    Non.
    Merci.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Picard.
    Maintenant, monsieur Kent, vous avez la parole pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Wylie, pour en revenir à votre association avec le Parti libéral du Canada, Braeden Caley, un porte-parole du Parti libéral, a mentionné dans un courriel à La Presse Canadienne que le parti ne vous avait pas donné de contrat de travail depuis janvier 2016. Chantal Gagnon, porte-parole du premier ministre Trudeau, a indiqué à La Presse Canadienne dans un autre courriel que vous, monsieur Wylie, aviez effectué un peu de travail préliminaire pour le bureau de recherche du caucus libéral, mais qu'après cela, on avait décidé de ne pas engager vos services. Pour quels services avez-vous reçu des honoraires de 100 000 $ en janvier 2016? Avez-vous fourni ces services avant l'élection de 2015 ou en 2016?
    Tout d'abord, je n'ai pas travaillé pour le Parti libéral du Canada, pour le parti politique.
    Je comprends. Vous avez travaillé pour le bureau de recherche.
    À cette époque, le bureau de recherche désirait optimiser les communications du caucus pour mieux répondre aux électeurs, aux communications qu'il recevait des électeurs. Il voulait aussi trouver des moyens d'informer le caucus sur ce que les gens publiaient dans Twitter, par exemple. Une bonne partie du travail que j'ai effectué pour le bureau de recherche libéral était vraiment préliminaire, puisque le parti venait d'accéder au pouvoir. Les membres du Parti avaient besoin d'aide en sélectionnant des gens à embaucher, sur ce qu'ils devraient faire, sur la façon de recueillir des commentaires afin d'éclairer les discussions du caucus sur tel ou tel enjeu. De façon générale, ils désiraient optimiser leur communication avec les électeurs en gérant la correspondance et d'autres choses de ce genre.
    Une bonne partie de ce travail visait à les aider à s'organiser en s'installant au pouvoir et en embauchant leurs employés. Je ne voulais pas faire partie de leur personnel. Je ne pensais vraiment pas effectuer ce travail pendant longtemps. Je ne faisais rien d'extraordinaire. Je ne faisais qu'aider le bureau de recherche pendant cette période de transition.

  (1005)  

    Maintenant que vous ne lui fournissez plus vos services, pensez-vous que le bureau de recherche se débrouille tout seul pour effectuer son ciblage psychographique précis en vue de la prochaine élection?
    Je le répète, soyons parfaitement clairs, les services que je lui rendais ne comprenaient pas de ciblage précis. Le bureau de recherche libéral n'est pas une entité politique, il n'a pour mandat que de soutenir les travaux du caucus. Il doit avant tout découvrir ce que les gens pensent sur différents enjeux politiques. Si la prochaine réunion du caucus porte sur les affaires des régions nordiques, il voudra savoir ce que disent et pensent les gens. Cela éclaire les discussions du caucus. Le bureau de recherche peut le faire soit en embauchant un bon groupe de stagiaires qui téléchargent des gazouillis pour déterminer ce que les gens ont à coeur, ou on peut le faire à l'aide d'un programme, ou encore charger quelqu'un de concevoir un programme pour le faire.
    Pour réussir, comme vous le disiez, à « déclencher les motivateurs décisionnels sous-jacents de chaque population psychographique », il vous faut plus qu'un nom, une adresse, un numéro de téléphone et une adresse courriel. Il vous faut des renseignements bien plus approfondis sur la personnalité, sur la vulnérabilité et autre des électeurs afin de les orienter vers ce qu'ils ne savent peut-être pas qu'ils désirent vraiment. Est-ce que je me trompe? N'est-ce pas là...
    Je ne suis pas tout à fait d'accord avec votre façon de décrire cela. Les scientifiques de la recherche comportementale savent bien que les gens connaissent souvent mal leurs propres comportements. Par exemple, si vous demandez à quelqu'un combien de cigarettes il fume, combien il boit, combien de légumes il mange, cette personne vous donnera probablement des réponses qui ne correspondent pas du tout à son comportement réel. Suivant le contexte de notre travail, nous devons parfois trouver d'autres indicateurs qui décrivent mieux les comportements que vous visez.
    Par exemple, il arrive souvent que les électeurs affirment ne pas vraiment savoir pour qui ils vont voter. Cela ne signifie pas qu'ils se comportent toujours ainsi en période électorale, mais qu'ils n'ont pas encore réfléchi sérieusement à la question ou qu'ils ne veulent pas vraiment vous répondre. Nous allons alors chercher d'autres indicateurs pour trouver une réponse, c'est tout. Cela n'a rien de nocif.
    Je vous assure que tous les partis du Canada mènent des projets de modelage pour déceler les indicateurs du comportement des électeurs.
    Mais ils ne...
    Le Parti libéral le fait; le Parti conservateur le fait; le NPD le fait.
    Ils ne recueillent pas les données de manière peu éthique en les tirant de Facebook afin de souligner des préjugés, des partis pris, des vulnérabilités, comme la société AIQ l'a très évidemment fait pendant la campagne Vote Leave du Brexit et, apparemment, pendant la campagne électorale des États-Unis.
    Évidemment.
    Ma question est la suivante: si l'on acquiert des données plus personnelles que le nom, l'adresse courriel, le numéro de téléphone et la carte d'information de l'électeur pour tous les partis, vous avez raison, tout ce que nous utilisons pour voter... Je ne vais pas chercher, et je suis certain que mon parti ne le fait pas non plus, les points vulnérables des électeurs de ma circonscription afin d'essayer de modifier leurs opinions ou leurs intentions de vote à partir de vulnérabilités que décèlerait une collecte de données effectuée à l'encontre des règles de l'éthique.
    Bien sûr. Le bureau de recherche libéral et le Parti libéral ne le font pas non plus, tout au moins la dernière fois que j'étais là.
    J'ai l'impression que malgré votre affirmation selon laquelle vous vous sentez mal à l'aise en pensant que notre démocratie pourrait avoir été corrompue, vous ne semblez pas penser que le ciblage psychographique précis corrompe le processus électoral de notre démocratie.

  (1010)  

    Non, si l'on s'en sert de manière adéquate. Voilà pourquoi je continue à souligner que l'usage de données ou de méthodes psychologiques à lui seul ne donne pas obligatoirement des résultats nocifs. Les pays du monde entier, comme le Canada, souffrent d'un manque de participation aux scrutins. De moins en moins de gens se présentent aux bureaux de vote, parce qu'un nouvel environnement médiatique distrait les gens de la politique. Il est donc souvent très utile de comprendre ce qui motive les gens pour améliorer la participation électorale, l'engagement des électeurs, pour parler aux gens de manière à les motiver face au processus électoral. Cette utilisation n'est pas nocive; elle est positive, parce qu'elle sert à accroître la participation au processus démocratique. Le seul fait d'utiliser des données ou des méthodes psychologiques n'incite pas à se servir des données recueillies de façon peu éthique. Cet usage en soi ne signifie pas que vous allez essayer de manipuler ou de forcer ou de tromper ou de supprimer des électeurs. Il signifie simplement que vous cherchez de l'information qui vous aide à faire participer ces gens.
    Cependant, votre séance d'information technique suggère, sinon une méthode nocive, tout au moins une manipulation malhonnête des intentions des électeurs.
    Je ne suis pas d'accord avec vous. Cette information s'adressait au Commissariat à l'information et à la commission électorale. Je la leur ai fournie de ma propre initiative. Rien de ce qui s'y trouve n'est illégal ou ne s'écarte des règlements de la loi.
    Vous n'en étiez toutefois pas très loin.
    Merci.
    Monsieur Angus, vous avez sept minutes.
    Monsieur Wylie, votre analyse du rôle que la société SCL a assumé avec Cambridge Analytica et AggregateIQ m'intéresse beaucoup. Vous avez qualifié certains de ces projets internationaux, si j'ai bien compris, d'une sorte de néo-colonialisme. Avez-vous vraiment utilisé ce terme, ou vous ai-je mal compris?
    J'ai parlé plusieurs fois à des représentants des gouvernements de ces différents pays. Il en est ressorti très clairement que même si certains de ces pays sont maintenant autonomes et que la nation colonisatrice est partie, les grandes entreprises y sont restées. Par néo-colonialisme, je soulignais qu'au lieu de contrôler, par l'intermédiaire d'un gouverneur ou autre, les affaires du pays, ces gouvernements laissaient de grandes sociétés multinationales ou des particuliers richissimes originaires, bien souvent, de l'ancienne nation colonisatrice, s'ingérer dans la campagne électorale de manière à ce que le pays continue à exploiter des ressources, par exemple, de façon à favoriser les intérêts de l'ancienne nation colonisatrice. Je voulais souligner que le colonialisme est encore actif dans bien des régions, bien qu'il ne se manifeste pas de la même manière qu'il y a cent ans.
    Je comprends. Ce que vous dites est fascinant. En observant les travaux des sociétés SCL, Cambridge Analytica et AIQ au Nigeria, à Trinidad et ailleurs, j'ai l'impression de me retrouver en plein milieu d'un roman de Frederick Forsyth avec des accros du Net.
    Je voudrais parler un peu de cela. Pendant la campagne du Nigeria, on a parlé de la vidéo sur un meurtre qui visait à déclencher de la haine ethnique. Elle aurait été divulguée par un employé de Cambridge Analytica, qui l'aurait ensuite remise à AIQ. À Trinidad et Tobago, on allègue que des données ont été recueillies illégalement et que l'on a violé l'anonymat de courriels, est-ce que je me trompe? Est-ce qu'AIQ y a participé?
    Il s'agissait d'un historique de navigation dans Internet.
    La société AIQ a collaboré avec Cambridge Analytica à ces projets pour SCL?
    Oui.
    Vous aviez dit que cette entreprise avait sapé les campagnes électorales démocratiques d'un grand nombre de pays sans se gêner de contrevenir aux lois, parce qu'elle aime gagner. Est-ce vrai? C'est l'esprit général qui se dégage des sociétés SCL, Cambridge Analytica et AggregateIQ?
    C'est l'impression que j'avais quand j'y travaillais.
    Le gouvernement canadien a payé la société SCL pour effectuer un travail psychologique en Lettonie, et il a dit que...

  (1015)  

    Au centre de StratCom de l'OTAN.
    L'ambassadeur canadien Alain Hauser et le secrétaire de la défense de la Lettonie ont annoncé qu'ils chargeraient l'équipe d'experts de SCL d'effectuer une analyse de public cible. Est-ce que cette analyse serait similaire à celle qui a été menée sur le Brexit? Pouvez-vous nous expliquer cela?
    Dans l'armée, l'analyse de public cible est le point de départ d'une opération d'information. La société SCL en était spécialiste. Si vous considérez les opérations d'information d'une intervention militaire, elles se déroulent dans ce qu'on appelle un champ de bataille multidimensionnel. Vous, le client militaire, cherchez à dominer tous les espaces: sur terre, en mer, dans l'air et, bien entendu, en information. Cette analyse est le point de départ; vous examinez l'espace d'information qui entoure votre cible pour y déceler toutes ses faiblesses et ses vulnérabilités. Vous le faites soit pour empêcher votre adversaire d'obtenir de l'information, soit pour lui fournir des renseignements qui l'orienteront vers votre objectif opérationnel.
    Une partie de la queue de cet énorme chien que nous avons saisi est l'extrémité illégale. Nous considérons donc ces gars comme des agents douteux prêts à poser des gestes douteux, et pourtant l'OTAN les embauche pour accomplir des actes douteux au nom du peuple canadien. Ils se métamorphosent alors en une société du nom d'Emerdata. On semble y retrouver tous les mêmes acteurs, mais ils ont aussi des liens financiers avec Blackwater, le groupe de mercenaires, et ils travaillent avec Black Cube, des agents noirs israéliens.
    Comment naviguer dans un espace où une grande société multinationale peut agir de façon totalement illégale dans un contexte, puis être engagée par des gouvernements pour qu'elle leur rende des services dans d'autres contextes?
    Les opérations d'information ne sont pas toujours nocives ou illégales. Si vous pensez à un conflit...
    Vous avez dit que cette entreprise avait sapé des élections démocratiques dans de nombreux pays sans se gêner d'enfreindre les lois parce qu'elle aime gagner. Voilà la culture organisationnelle devant laquelle nous nous trouvons.
    Oui. Désolé, je parlais d'un contexte plus vaste où, par exemple, on mène des projets financés par le Canada. Même s'il finance des opérations d'information, le Canada n'a pas nécessairement l'intention de miner les institutions démocratiques de multiples pays du monde.
    Si vous cherchez à dérouter ou à bloquer les opérations ou les communications d'un groupe extrémiste ou terroriste, vous finissez par bloquer sa capacité d'agir, mais dans ce contexte, ce que vous faites est bon.
    Je comprends cela.
    Ma question porte sur les lois. Si nous avons une entreprise qui mène des activités nocives et illégales, mais que cette entreprise est l'ennemie de mon ennemi, donc mon amie, comment légiférer des entreprises qui semblent enfreindre les lois avec tant d'aise tout en leur accordant des contrats gouvernementaux parce que leurs services nous sont utiles dans un autre contexte?
    Il faut que nous discutions de cela. Nous n'avons pas vraiment abordé ce problème. Je vous demande votre opinion, parce que vous avez travaillé dans des entreprises de ce genre.
    Le Canada est très justement considéré comme un pays qui aide à promouvoir la démocratie un peu partout dans le monde. Il renforce les institutions civiques et aide les gens de ces pays à y participer.
    Regardez un peu les entreprises canadiennes: elles font exactement le contraire. La nation canadienne n'a pas vent de ces activités, parce qu'elle n'exige pas, par exemple, que l'on inscrive les activités de tous genres menées pendant une campagne électorale dans un pays étranger.
    J'ai parlé de cela aux membres du Congrès américain. Je leur ai dit que, tout comme ils sont tenus d'inscrire les agents étrangers qui font du lobby ou qui travaillent aux États-Unis, ils devraient aussi tenir un registre des entreprises qui mènent des activités pour des campagnes électorales ou qui entretiennent des contacts électoraux à l'étranger afin que le gouvernement ou la société civile puissent surveiller les activités de ces entreprises dans d'autres contextes électoraux.
    Je ne sais pas si le gouvernement canadien savait que la société SCL avait aussi une division consacrée aux élections. Il serait sage de surveiller les autres projets et activités que cette entreprise embauchée par le gouvernement mène aussi dans d'autres pays.
    Il suffirait de demander à ses représentants quels autres projets leur entreprise a menés au cours des deux dernières années ou sont en cours à l'heure actuelle, et si certains de ces projets visent des objectifs politiques.

  (1020)  

    Merci.
    M. Erskine-Smith a maintenant sept minutes.
    Merci beaucoup.
    Quelle merveille de travailler ainsi dans un esprit non partisan, même si aujourd'hui, M. Kent semble plus partisan que d'habitude. J'ai hâte qu'il invite Hamish Marshall à témoigner devant le Comité, parce que M. Marshall a affirmé que le profilage psychographique est extrêmement utile, mais qu'il n'est pas pour les peureux.
    Monsieur Wylie, vous avez parlé de conduite illégale, je crois, ou potentiellement illégale, dans le cadre du Brexit. Nous avons parlé du rôle que les gens d'AIQ y ont joué, parce qu'ils savaient à ce moment-là que s'ils dépensaient plus de la limite de 7 millions de livres, ils causeraient des problèmes à Vote Leave, alors ils ont redistribué illicitement l'argent par l'intermédiaire d'autres organismes. Le témoignage devant le comité du Royaume-Uni nous a appris, si je comprends bien, que l'on a ciblé les mêmes populations pour la campagne du BeLeave que pour celle du Vote Leave. Pourtant, les gens d'AIQ ont nié cela, ajoutant que les renseignements venaient de chacune de ces campagnes. Nous savons maintenant qu'ils mentaient. Cette façon de faire est susceptible d'être jugée illégale.
    Nous constatons aussi des agissements possiblement illégaux, ou tout au moins enfreignant la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques lorsque Facebook a divulgué, même excessivement, des renseignements et possiblement aussi des messages personnels à la société Kogan, qui les a possiblement retransmis à Cambridge Analytica de manière peu éthique ou illégale.
    Avez-vous d'autres exemples de conduite possiblement illégale dont ce comité devrait être au courant?
    Est-ce en rapport avec Cambridge Analytica ou seulement en général?
    Je veux dire selon ce que vous savez. Il est question de 600 000 Canadiens qui ont été touchés par le transfert d'information de Facebook à Kogan, et cela n'inclut pas les autres applications. AIQ avait une application sur Facebook même, et nous ne savons pas quelle quantité d’information elle a servi à recueillir.
    Si nous identifions les acteurs dans cette histoire, AIQ, SCL et Cambridge Analytica, et sachant que vous avez travaillé pendant assez longtemps pour Cambridge Analytica en tant que directeur de recherche, d’après ce que vous avez vu, y a-t-il d’autres comportements illégaux en cause dont nous devrions être au courant?
    Il y en a peut-être, mais je sais aussi qu’il y a des enquêtes en cours, que la diffusion de cette information sur une tribune politique pourrait compromettre. Si vous êtes prêts à en parler dans un contexte non public, nous pourrions peut-être en discuter.
    Monsieur le président, nous pourrons peut-être aborder cette question après le deuxième tour, et peut-être siéger à huis clos à un moment donné.
    Il est question de profilage et d’annonces politiques, ou d’entreprises qui sont ciblées par de la publicité. Je pense que vous avez eu raison de souligner qu'il existe une différence entre l’utilisation éthique et contraire à l’éthique des données et qu’il est parfaitement acceptable de cibler certains messages en fonction de certaines personnes qui pourraient être intéressées à les recevoir. Nous savons que les partis politiques le font tout le temps. Au cours de la dernière campagne électorale, le Parti conservateur a ciblé les communautés punjabi et chinoise en leur disant que le premier ministre voulait ouvrir des bordels de quartier et vendre de la marijuana aux enfants. Nous savons donc que cela se produit.
    C’est une question d’échelle et de portée. Lorsque nous parlons de ce qui se fait sur Internet et de l’exemple des 87 millions de profils Facebook qui ont été partagés à mauvais escient, nous faisons face à une échelle incroyable avec laquelle nous n’avons pas encore eu à composer en ce qui concerne le ciblage. Lorsque nous parlons d’auditoires définis, cela ne se limite pas à rejoindre des communautés par l’entremise de journaux ou d’intérêts particuliers, par exemple, telle personne qui aime les animaux ou telle personne qui aime le baseball, parce qu'il est maintenant possible de télécharger les données d'un auditoire défini et de cibler ces personnes.
    Donc, lorsqu'il s'agit de trouver des solutions à ce problème, j’ai lu votre article, « This is how Facebook can save itself », dans lequel vous dites qu'« au lieu de supprimer Facebook, nous devons réparer Facebook » et vous parlez de transparence. Vous pourriez peut-être nous parler de certaines solutions que le Comité devrait envisager, compte tenu de votre expertise.
     La première chose que je dirais, c’est que je ne suis pas en croisade contre Facebook. Je pense que Facebook fait beaucoup de choses vraiment extraordinaires. Tout ce que je peux dire, c’est que même si beaucoup d’attention a été accordée à Facebook, il y a d’autres entreprises de médias sociaux qui recueillent autant de données ou, dans certains cas, plus de données.
    Quand on regarde l’évolution de la société, on constate que nous avons affaire à un mouvement unidirectionnel, n’est-ce pas? Chaque année, nous adoptons de nouveaux appareils intelligents qui sont connectés à des algorithmes, à des bases de données, dans des sphères nouvelles et multiples de notre vie. Les gens installent Alexa dans leur maison. Leur réfrigérateur peut se connecter à leur téléphone. Nous aurons peut-être des voitures autonomes à l’avenir. Avec l’avènement de choses comme la reconnaissance faciale ou les bâtiments intelligents, il se peut que les espaces physiques finissent à un moment donné par s’adapter à notre présence.
    Il y a beaucoup d’avantages à cela, mais il y a aussi beaucoup de risques. À mon avis, il faudrait envisager davantage de règles sur la transparence du ciblage. À l’heure actuelle, si vous, comme politicien, organisez un événement dans votre circonscription, il se peut que des médias soient présents, il y a un auditoire, votre adversaire pourrait se présenter, et si vous ne dites pas la vérité, vous serez probablement rappelé à l'ordre, n’est-ce pas? Ou, si vous dites quelque chose et qu’il existe une perspective différente, une certaine forme de reddition de comptes entrera en jeu. C'est là l’essence même d'une tribune publique.
    Le problème avec le ciblage, c’est qu’au lieu de participer à cette tribune publique, on va voir chaque électeur et on lui chuchote quelque chose à l’oreille. Dans bien des cas, vous n'aurez pas de problème à répéter publiquement ce que vous avez chuchoté. Dans d'autres, peut-être pas.
    Actuellement...

  (1025)  

    Dans quelle mesure l’auditoire défini est-il restreint? Pourrait-il être défini au point où l'on chuchoterait à l’oreille d’une seule personne?
    Facebook le limite à 1 000 personnes...
    D’accord.
    ... mais vous pourriez avoir 1 000 auditoires définis de 1 000 personnes chacun, pour un total d'un million, et 1 000 messages différents pour un million de personnes.
    Ce que j’allais dire, c’est qu’au lieu d'affirmer que le ciblage est une mauvaise chose, qui ne devrait pas exister, il y a des cas d’utilisation vraiment positifs, surtout lorsqu'il s'agit d'inciter des groupes sous-représentés dans les démocraties à aller voter. Le simple fait d’exiger que des plateformes comme Facebook, Google ou Twitter publient toutes les annonces qui leur sont envoyées permettrait aux journalistes, aux gouvernements et aux partis politiques, notamment, de jeter un coup d'oeil sur les publicités qui se trouvent sur ces plateformes et, en plus, sur les auditoires précis qui sont ciblés par ces annonces.
    À l'heure actuelle, on ne sait pas ce qui se passe sur Facebook, Google, Twitter, en termes de publicité ciblée, n’est-ce pas? Une solution simple consisterait à exiger que ces plateformes en fassent simplement rapport pour que le public soit au courant. De cette façon, on éviterait nécessairement de créer un certain nombre de règles pour restreindre ce qui peut être dit ou non sur une plateforme, ou de mettre en place un organisme de réglementation lourd. Cela permettrait à la société civile et aux partis politiques d’examiner les messages de la même façon qu’ils le feraient sur une tribune publique. Toutefois, cela n’empêcherait pas les utilisations vraiment positives du ciblage, en particulier pour faire participer les personnes qui sont sous-représentées en politique à l’heure actuelle.
    Merci, monsieur Erskine-Smith.
    Je vous signale que la sonnerie retentira à 10 h 56 et qu’il y aura un vote à 11 h 26. Cela nous donne une autre demi-heure environ. Nous devrions pouvoir revenir, mais nous allons essayer d’en faire le plus possible en attendant.
    Monsieur Gourde, vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Wylie, je trouve quand même noble cette idée de se servir de la technologie pour encourager les gens à aller voter. Le problème, c'est qu'en les ciblant, on pousse ces gens à tous aller voter pour la même chose.
    Pourquoi cibler certaines personnes sur la plateforme Facebook, au lieu de tout simplement y afficher la publicité de façon générale, comme dans les autres médias, par exemple la télévision, la radio ou les journaux?

[Traduction]

     C’est parce que les jeunes, par exemple, sont très mobiles, et que l’adresse sur le registre électoral n’est pas nécessairement celle de l’endroit où ils vivent. Ils n’écoutent pas nécessairement la radio, et il y a un aspect positif à envoyer aux électeurs des messages qui contiennent une politique ou un enjeu qui leur tient vraiment à coeur.
    Si je suis en Nouvelle-Écosse, je ne suis peut-être pas entièrement préoccupé par les politiques sur le blé et l’agriculture en Saskatchewan, parce que ce qui me touche, ce sont les pêches ou quelque chose d'autre. Le ciblage n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Vous pouvez avoir un ciblage positif pour la démocratie parce que vous parlez aux électeurs de quelque chose qui leur tient vraiment à coeur et, en fait, en utilisant un médium qui leur est accessible et dont ils se servent.
    Le taux de participation est en baisse, et le problème ne se pose pas seulement au Canada. Il se pose partout, et cela vient du fait que le paysage médiatique a complètement changé. Une partie du travail des partis politiques en ce qui a trait au maintien de notre processus démocratique consiste à s’adapter à ce nouvel environnement et à trouver des façons de faire participer les électeurs. Le numérique doit en faire partie. Si nous n’avons pas de communications numériques dans une société de plus en plus numérisée, nous allons donner aux gens qui ne les utilisent pas une influence considérable sur les résultats des élections. Et on parle là d'une population dont le nombre baisse.
    Nous ne devrions pas nécessairement traiter les médias sociaux ou la communication en ligne comme quelque chose de mauvais. Il s'agit d'un outil, au même titre qu’un couteau qui peut servir à commettre un meurtre ou à créer un repas digne du guide Michelin. Ce qu’il convient de faire, c’est d’examiner des façons raisonnables d'utiliser cet outil, de déterminer comment l’utiliser et d’en définir les limites.

  (1030)  

[Français]

    Monsieur Wylie, avez-vous évalué, en pourcentage, le nombre de personnes de plus que cette technologie incite à aller voter lors d'une élection? Est-ce de l'ordre de 2, 3, 4, 5 ou 6 %?

[Traduction]

    Je ne peux pas vous donner de chiffre précis, mais je me souviens d’avoir vu des résultats allant de 2 à 7 % en termes de hausse, ce qui n’est pas négligeable. Si les partis se concentraient davantage sur la participation en ligne, ils pourraient faire augmenter le taux de participation dans l’ensemble, mais c’est le travail de tous les partis de le faire pour tous leurs propres partisans et électeurs.

[Français]

    Différents sondeurs professionnels disent avoir de plus en plus de difficulté à prédire la tendance d'une élection. Dans les 10 derniers jours d'une campagne électorale, on peut observer des mouvements majeurs dans la tendance. C'est d'ailleurs ce qu'on constate présentement en Ontario.
    Ces technologies peuvent-elles avoir une influence énorme dans les 10 derniers jours d'une campagne électorale en incitant au vote des électeurs qui ne vont habituellement pas voter?

[Traduction]

    Les sondeurs ont de la difficulté à prédire ce qui va se produire, parce qu’ils ne font pas de prévisions. Ils ne font que rapporter les résultats de 1 000 personnes et ce qu’elles ont dit. Très peu d’analyses sont effectuées pour créer des algorithmes de prévision ou quoi que ce soit de prospectif. C’est l’une des raisons pour lesquelles les sondages sont devenus extrêmement inexacts à bien des endroits.
    Pour ce qui est des répercussions du ciblage, il est certain que cela pourrait avoir une influence sur les résultats dans les 10 derniers jours d'une campagne électorale. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais un plus grand nombre de partis et d’acteurs politiques devraient se pencher sur ce problème et trouver des moyens de mobiliser les gens sur les plateformes numériques. Une plus grande participation est une bonne chose.
     Merci, monsieur Gourde.
    C’est maintenant au tour de Mme Fortier, pour cinq minutes.

[Français]

    Monsieur Wylie, je vous remercie beaucoup de votre participation aujourd'hui. Votre témoignage est vraiment important.
    Nous avons beaucoup entendu parler de ce qui s'était passé. Je veux plutôt mettre l'accent sur l'avenir et parler de transformation.
    Vous avez mentionné à quelques reprises qu'il fallait prendre des mesures pour s'assurer de protéger les renseignements personnels des Canadiens et des Canadiennes. Avez-vous quelques mesures à suggérer à notre comité à cet égard?

[Traduction]

    La première chose, et il s'agit d'un exemple très simple dont je parlais tout à l’heure, c’est que, de la même façon que l'on exige de la transparence pour les dons et les dépenses, on devrait exiger de la transparence dans l’utilisation de l’information et de la publicité. Lorsqu’un parti publie une annonce en ligne, il devrait être tenu de le signaler. Il devrait aussi être tenu de déclarer à qui il s’adresse.
    Personnellement, je pense que les compagnies devraient faire cela aussi. Je ne vois pas pourquoi elles devraient être exemptées. Je pense qu’il serait sain que les gens puissent examiner les marchés publicitaires en ligne, de façon générale.
    L’autre chose, c’est que nous devons comprendre que ce ne sera pas toujours une question de données. L’évolution des algorithmes et de l’intelligence artificielle signifie que l’on ne saura pas toujours clairement s’il y a eu ou non consentement à une inférence, par exemple. Je vais vous donner un exemple concret. Votre cousine utilise les services d'une entreprise de profilage génétique, comme 23andMe, par exemple. Cette compagnie est achetée plus tard par une compagnie d’assurance ou un autre type de compagnie qui examine ce profil génétique et déduit, en fonction de votre relation, parce que vous êtes cousines, que vous avez 95 % de risques d’avoir un type particulier de cancer du sein, puis vous refuse une assurance maladie. Cela ne s'applique peut-être pas au Canada, mais certainement aux États-Unis.
    Dans ce cas, le consentement concernait les données proprement dites, c'est-à-dire le profil génétique de votre cousine qui avait consenti à cette utilisation. Cependant, le comportement, l’action ou le résultat s’applique à vous, qui n'aviez aucune idée de ce qui se passait et qui n'aviez pas donné votre consentement.
    À l’heure actuelle, il est difficile de dire si cette information vous concernait. Était-ce une inférence à votre sujet? Lorsqu'il est question d'intelligence artificielle, il est question de souvenirs, de compréhension, de comportements et d'inférences.
    Dans la loi, lorsqu'il s'agit de réglementer le comportement des gens, il y a l'aspect de ce qu'ils pensent, mais aussi un autre élément qui concerne leur comportement. Je crois qu'une attitude vraiment saine consiste à prendre du recul et à ne pas se contenter d’examiner la question des données et du consentement, mais aussi celle du comportement de l'IA, et plus particulièrement de son comportement acceptable, en général.
    Comme il s’agit de machines qui prennent des décisions, nous devrions réglementer la façon dont elles le font. Cela est très important parce que, à mesure que la société progressera, toutes ces données vont commencer à être reliées les unes aux autres. Ce que vous faites avec votre grille-pain peut avoir une incidence sur votre ordinateur de bureau plus tard, ou encore sur le prix que vous demande Starbucks, lorsque vous vous y rendez.
    Il y a de véritables problèmes qui n’ont rien à voir avec le consentement, mais qui ont trait aux répercussions ultimes sur le comportement. Il s'agit d'une vision plus large.
    La troisième chose, c’est que lorsque l'on regarde la technologie, que l’on soit Canadien, Américain, Britannique, ou de quelque autre nationalité, Internet est là pour rester. Vous n’avez pas le choix. Vous devez utiliser Google. Vous devez utiliser les médias sociaux. Vous ne pouvez plus obtenir un emploi si vous refusez d’utiliser Internet. Cela veut dire que la question du consentement est un peu discutable. De la même façon que nous devons tous utiliser l’électricité... on fait fausse route en disant que pour ne pas être électrocuté, il faut cesser d'utiliser l'électricité. De la même façon, si vous ne voulez pas participer à l’économie moderne, n’utilisez pas de plateformes de collecte de données.
    Nous devrions considérer ces plateformes comme un service public, tout comme nous considérerons l’électricité, l’eau ou les routes comme un service public, et non pas comme une entité à laquelle les gens ou les consommateurs doivent consentir.
    Quatrièmement, il devrait y avoir des règles sur les attentes raisonnables. Lorsque je me suis joint à Facebook en 2007, il n’y avait pas d’algorithmes de profilage facial. J’ai mis toutes mes photos sur Facebook, et j'ai consenti à l’analyse des données que j’ai mises, mais cette technologie n’existait pas encore. Facebook a ensuite créé des algorithmes qui permettent de reconnaître mon visage. Pouvait-on raisonnablement s'attendre à cela à l’époque? Pour bien des gens, ce n’était probablement pas le cas. Il y a très peu de règlements ou de règles sur ce qui est propre à la technologie, c’est-à-dire le développement rapide de nouvelles choses.

  (1035)  

    Le fait d’avoir une règle ou un principe quelconque au sujet des attentes raisonnables... Vous avez peut-être donné votre consentement à certaines plateformes il y a plusieurs années, mais si quelque chose de nouveau est mis en place, était-ce prévisible à ce moment-là? Si la réponse est « non », alors cela ne devrait peut-être pas être permis.

  (1040)  

     Merci.
    C’est maintenant au tour de M. Kent, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur Wylie. Vos recommandations au sujet de la publicité microciblée de chaque parti politique au moment des campagnes électorales sont bonnes, et je soupçonne que le commissaire, s’il reçoit ce genre de conseil, pourrait très bien le recommander lui-même.
    Lorsque Chris Vickery, directeur de la recherche sur les risques cybernétiques chez UpGuard, a témoigné devant le Comité, il a décrit sa découverte accidentelle du site Web public appelé GitHub, du sous-domaine appelé GitLab, ainsi que du site Web gitlab.aggregateiq.com, qui selon lui invitait essentiellement le monde entier à s’inscrire et à participer à ce que l'on appelait un portail de collaboration.
    Pensez-vous que le portail a été délibérément laissé ouvert par AIQ pour que l’entreprise, ou les responsables de l’entreprise, puissent nier de façon plausible qu'ils savaient ce qui s'y passait?
    Je ne peux pas parler des intentions d’AIQ, alors je ne sais pas pourquoi il y a eu ce problème de configuration. Selon moi, il s'agit d'une attitude un peu négligente, je crois que l'on peut utiliser ce terme, c'est-à-dire d'exposer toute la base de codes et les systèmes au public. Si ce n’était pas intentionnel, c’était certainement extrêmement imprudent.
    Vous êtes-vous déjà prévalu de l'accessibilité ouverte à ce site? Le connaissiez-vous?
    J’ai utilisé GitHub, comme la plupart des gens du secteur de la technologie, mais je n’ai jamais eu accès à cette sous-unité dont vous parlez.
    Étiez-vous au courant du projet éphémère de GitLab-AggregateIQ?
    Plus précisément, Chris Vickery nous a fait découvrir ce projet. Le site du projet a été démantelé depuis, mais il contenait ce qu'on appelle la base de données de la vérité et comportait deux niveaux de projets pour influencer les résultats des élections, l'un appelé Saga et l'autre Monarch. Étiez-vous au courant de ces projets?
    J'en ai vaguement entendu parler par l’entremise de Chris Vickery, en fait, parce que ce n’était pas nécessairement les noms que Strategic Communication Laboratories, SCL, utilisait pour désigner ces produits. Il m’est difficile de répondre à ces questions dans le détail; je connais mieux la structure générale de l'entreprise. En ce qui concerne la « base de données de la vérité » à laquelle vous faites allusion, par exemple, j’ai plutôt parlé de la « base de données de dossiers ». Je connais l’organisation en général, mais je ne connais pas les noms précis de mémoire.
    Je sais que les experts du monde numérique ont un bon sens de l'humour, mais le sous-titre du projet éphémère sur ce site était « Parce que la vérité, ça n'existe pas ». Pensez-vous que ce sous-titre se voulait humoristique ou s'il est plutôt le reflet d'une certaine mentalité chez AIQ?
    Je ne peux pas me prononcer sur les intentions précises d'AIQ ni sur les raisons qui ont motivé certaines de leurs initiatives, mais une certaine culture ambiante régnait au sein du groupe d’entreprises dont nous avons parlé pour qui la vérité n'avait aucune espèce d'importance dans une élection. SCL et Cambridge Analytica ont régulièrement offert des services de désinformation.
    C'est peut-être de l’humour noir, mais c'est peut-être également révélateur du genre d'humour que ce groupe d'entreprises considère tout à fait acceptable.
    Merci.
    C’est maintenant au tour de M. Baylis. Vous avez cinq minutes.
    J’aimerais poursuivre la discussion sur les fondements de Cambridge Analytica. Quelle était l’intention derrière la création de cette entreprise?

  (1045)  

     Robert Mercer et Steve Bannon voulaient utiliser les services de SCL, mais ils ont été confrontés à deux problèmes. D'abord, le fait qu'un entrepreneur étranger, militaire de surcroît, ait été mis à contribution dans une élection américaine. C’était à la fois une question de conformité — ce n’est pas permis — et une question de perception — ça paraît mal. Il leur fallait une entreprise nationale dont les activités sont concentrées aux États-Unis pour cette opération.
    Puis, Rob Mercer ne voulait pas simplement confier le projet à un client. Il voulait en avoir le plein contrôle; il voulait agir en qualité d’investisseur, d’actionnaire et d’administrateur.
    Il a nommé Steve Bannon au poste de vice-président.
    Oui.
    Pensez-vous qu'il a agi ainsi parce qu'il cherchait à faire des profits?
    En fait, non; c’est plutôt le contraire. Il ne faut pas oublier que Robert Mercer est milliardaire. C'est l’un des citoyens les plus riches des États-Unis. Il n’a pas besoin d’argent. La valeur des contrats en politique n’est rien en comparaison de la valeur des contrats dans le secteur de la finance. Robert Mercer n’était pas nécessairement là pour faire de l’argent; il était là pour faire de la politique. Il s'est adonné au sport des milliardaires, c’est-à-dire participer aux élections.
    En fait, cette entreprise a été si mal gérée qu’elle a fait faillite, n’est-ce pas?
    Oui.
    Nous pouvons donc conclure qu’il n'était pas là pour faire de l'argent.
    Supposons que je crée une compagnie de panneaux ici, au Canada, et que je dise à un parti: « Je vais vous vendre des affiches électorales à rabais. Je vais perdre de l’argent, mais je suis riche et je veux « contribuer financièrement » en vous vendant des affiches à bas prix. »
     Je donne donc de l’argent indirectement, ce qui est contraire à la loi.
    Oui.
    Est-il possible que, dans cette opération déficitaire, Steve Bannon et Robert Mercer aient dépassé les limites de dépenses électorales ou si vous voulez, aient contourné les lois sur les dépenses électorales?
    Donc, l’un des avantages accessoires... Je ne peux pas vous dire quelle était l’intention précise ou la raison pour laquelle l'opération a été conçue ainsi, mais je peux vous dire que la structure était incroyablement complexe, et à ce qu'on m'a dit, il y avait de l'argent à faire. Autrement dit, si vous investissez dans une entreprise offrant des services politiques et que vous investissez dans cette entreprise, l'argent que vous y aurez investi n’est pas un don. C’est un investissement dans une entreprise dont vous êtes devenu propriétaire. Or, étant propriétaire, vous n'avez pas à le déclarer, parce que c’est un investissement.
     Si vous investissez des millions et des millions de dollars pour générer une propriété intellectuelle qui finit aussi par valoir des millions et des millions de dollars, puis que vous ne facturez à vos clients qu'une somme symbolique, on pourrait prétendre que c'est une subvention. Vous pourriez dire que c'est un don en nature ou un don par procuration. Le problème, dans bien des cas aux États-Unis, c’est que les entreprises sont beaucoup plus opaques que dans d’autres pays et qu'il est donc difficile de déterminer combien d’argent est investi et où va cet argent.
    On m’a expliqué que c’était un avantage accessoire.
    Étant donné qu’ils se sont également impliqués dans le vote du Brexit, cela pourrait aussi être une façon pour eux... une entité étrangère qui injecte de l’argent dans le vote national d’un autre pays, par le truchement du Brexit. Pourriez-vous nous en parler?
    Oui. Je pense que c’est là une vulnérabilité des lois électorales de beaucoup de pays qui a été mise à découvert. Si vous transférez de l’argent à des entreprises et que ces entreprises fournissent des services à des clients du pays, la provenance de cet argent n’est pas toujours transparente. Il y aurait lieu d’explorer d’autres mécanismes de reddition de comptes pour les entreprises qui font de la politique.

  (1050)  

    Merci.
    La dernière question revient à M. Angus. Vous disposez de trois minutes.
    Nous avons reçu un certain nombre de questions de citoyens par l’entremise d’OpenMedia. Je pense que bien des gens s'interrogent sur la question plus large de la réglementation et sur la façon dont nous abordons les problèmes entourant ces géants de la technologie qui offrent des services publics. Je pense que l’une des questions qui nous saute aux yeux est de savoir si Cambridge Analytica et SCL étaient les seuls à exploiter le terreau fertile de la manipulation électorale. Y avait-il et y a-t-il actuellement d’autres joueurs que nous aurions intérêt à connaître?
     À mon avis, Cambridge Analytica est le canari dans la mine de charbon. Cambridge Analytica n'est que la pointe de l'iceberg. CA a révélé à quel point il est facile de transmettre de l'information à mauvais escient, d'engranger des fonds en provenance de sources mystérieuses, puis d'interférer dans des élections, particulièrement grâce au cyberespace. Nous réalisons à quel point Internet et la numérisation croissante de la société ont accru la vulnérabilité de notre système électoral.
    Depuis toujours, on a l'impression que les élections sont une affaire nationale, qui se déroule en vase clos, parce qu’autrefois, tout acteur étranger devait se présenter physiquement dans un pays pour prendre part à une élection. Mais maintenant ce n'est plus le cas. Je pense qu’à l’avenir, nous devrons considérer la cybersécurité comme une priorité en période électorale et nous devrons considérer les médias sociaux comme des acteurs politiques nationaux, comme un espace de communication où il est possible de marquer des points ou de transmettre des messages.
    Les acteurs étrangers malicieux y voient un champ de bataille de l’information. Ils ne voient pas les gens comme des électeurs, mais bien comme des cibles de leurs opérations visant à manipuler et à diviser. Or, il faudrait dans une première étape établir des mécanismes de transparence et des exigences à l'égard des plateformes en ligne qui font de la publicité dans l’espace politique. Il serait ainsi beaucoup plus difficile pour un pays comme la Russie de s’ingérer dans les élections, si ces interférences devaient se faire en public.
    Il serait vraiment utile que vous nous transmettiez des recommandations que nous pourrions examiner en profondeur. Ce qui m’a vraiment frappé, c’est que lorsque nous avons reçu les représentants de Facebook, ils ont semblé faire preuve d'une indifférence cavalière à l'égard des dommages que la manipulation effectuée au moyen de leur plateforme a entraînés. Je considère que Facebook a un potentiel révolutionnaire positif. Chose certaine, dans ma région, l'interconnexion des communautés autochtones isolées a transformé bien des choses. Lorsque nous avons posé des questions aux représentants de Facebook sur l’horrible massacre ethnique au Myanmar, par exemple, et sur leur refus de surveiller leur propre réseau ou de répondre aux appels des ONG de l’ONU, ils ont réagi avec indifférence.
    Comment pouvons-nous mettre en place de meilleurs mécanismes pour protéger les élections démocratiques et lutter contre l'utilisation abusive des plateformes par ces tiers?
    Je pense que l’une des choses les plus importantes que j’ai apprises au passage, c'est que les gouvernements et les législateurs de partout dans le monde sont confrontés aux mêmes problèmes. Ce que je constate également, c’est que Mark Zuckerberg, par exemple, refuse de témoigner devant d’autres comités ou commissions d'enquête dans le monde, si ce n'est devant le Congrès américain et devant le Parlement européen, dans le cadre d'une très brève comparution, si l'on peut dire. C'est donc dire que des entreprises en grande partie américaines exercent une influence énorme sur les systèmes démocratiques de différents pays dans le monde entier.
    Je pense que dans un premier temps, il faudrait que les assemblées législatives, les organismes de réglementation et les gouvernements s’assoient ensemble et discutent du fait qu’Internet est mondial et que nous avons tous intérêt à assurer le respect de la démocratie. Que faut-il surveiller sur Internet? Quelles sont les questions que tous les pays se posent? Ils devront travailler ensemble à la recherche d'une solution commune. Je pense honnêtement qu’il faudra peut-être une approche multinationale, surtout quand on voit comment Mark Zuckerberg refuse de s’engager avec la plupart des pays.
    Si ce n'est à l’échelle nationale.
    Je pense que ces interventions doivent se faire à l’échelle internationale ou entre les institutions parlementaires.
    Finalement, diriez-vous qu'à l’échelle nationale il serait dans l’intérêt des Canadiens d'assujettir les partis politiques à la Loi sur la protection de la vie privée, de les obliger à rendre compte de la façon dont ils utilisent ces renseignements?

  (1055)  

    Le seul point qui, à mon avis, devrait vraiment être examiné attentivement, est le suivant: si vous exigez des partis politiques qu'ils obtiennent un consentement volontaire avant de pouvoir s'adresser aux électeurs ou si en cas de refus de leur part, les partis politiques ne peuvent plus s'adresser à eux, vous pourriez engendrer une situation où il ne sera plus possible d'atteindre l’ensemble de l’électorat à cause de ces barrières.
    Notre processus démocratique est très particulier, et je pense qu’il est parfois nécessaire qu’un parti s’adresse à un électeur, même si ce dernier n’est pas d’accord avec lui ou ne veut peut-être même pas lui parler au départ, parce que les débats et les conversations houleuses font partie du processus politique. On ne peut tenir de tels débats si l'on crée des règles qui empêchent les partis politiques de dialoguer avec les électeurs.
    On ne gère pas une entreprise comme on gère une élection; dans une élection, je pense qu'il est particulièrement important que les gens réfléchissent, qu’ils sentent qu'ils ont le choix. S'ils ne veulent pas parler aux partis, ces derniers ne devraient pas avoir à les interpeller à la porte, mais parfois ces démarches sont essentielles au maintien de notre processus démocratique.
    La seule mise en garde que j’ai à faire, c’est de veiller à adopter des mesures que ne soient pas trop restrictives et à ne pas vous retrouver d'ici cinq ans devant un électorat avec lequel les partis ne pourront pas dialoguer.
     Merci.
    J’ai une question pour vous, monsieur Wylie. J’en ai deux ou trois, en fait.
    Nous devons aller voter dans quelques minutes. Pouvez-vous rester avec nous et répondre à quelques questions à huis clos à notre retour?
    Bien sûr. Je ne sais pas quelle heure il est, mais je suis sûr que c'est possible.
    Nous avons déjà vérifié et l’édifice dans lequel vous vous trouvez demeurera ouvert afin que nous puissions poursuivre les discussions au moins jusqu’à 12 h 45. Cela a déjà été arrangé, alors vous êtes libre de rester ou non.
    D'accord.
    J’aimerais vous poser une question en ma qualité de président. Nous passerons ensuite aux votes, puis nous reviendrons à huis clos.
    Avez-vous entendu les témoignages de M. Zack Massingham et de M. Jeff Silvester, lorsqu’ils ont comparu devant notre comité au Canada?
    J’en ai entendu une partie, mais pas tous.
    D’accord. À votre avis, près avoir écouté ces témoignages, pensez-vous qu’ils ont menti à notre comité?
    J’ai eu l’impression que certaines réponses étaient obscures ou, comme on vient de le dire, tellement abracadabrantes, qu'on a peine à y croire.
    D’accord.
    Pourrions-nous avoir le consentement unanime pour continuer pendant environ une minute, puis nous reviendrons à huis clos? D’accord.
     Merci de votre témoignage, monsieur Wylie. Nous espérons que vous reviendrez à notre retour. Nous reprendrons vers 11 h 45. Vous pouvez quitter la salle et revenir plus tard.
    Quant au Comité, nous reviendrons poser des questions à huis clos. Est-ce clair pour tout le monde?
    Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes et nous nous reverrons au retour, monsieur Wylie.
    Merci.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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