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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 010 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 3 mai 2016

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Chers collègues, je vois que nous sommes tous là.
    Je vous remercie de votre présence.
    Nous allons reprendre, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, notre étude sur les femmes, la paix et la sécurité.
    Nous accueillons aujourd'hui Anne Marie Goetz, professeure au Center for Global Affairs de la New York University, et Robert Jenkins, professeur à la faculté des sciences politiques du Hunter College.
    Nous allons commencer par les exposés de nos deux témoins, et passerons après cela aux questions.
    Madame Goetz, vous avez la parole.
    Monsieur le président, madame et monsieur les vice-présidents, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de votre invitation à comparaître devant vous.
    Je tiens en premier lieu à vous féliciter des séances que vous consacrez à ce sujet important et au renforcement de l'action du Canada en faveur des femmes, de la paix et de la sécurité.
    Je voudrais en outre manifester mon appui aux recommandations qui figurent dans le mémoire qui vous a été transmis par le Women, Peace and Security Network-Canada.
    Ce que je vais vous dire aujourd'hui est le résultat de 10 années de travail dans le domaine des femmes, de la paix et de la sécurité au sein des Nations unies, en tant que conseillère principale, d'abord auprès de l'UNICEF, puis auprès d'ONU Femmes, pour les questions de gouvernance, de paix et de sécurité. J'enseigne par ailleurs à l'université et j'ai mené des recherches sur ce dossier précis, parfois en collaboration avec mon co-témoin, le professeur Jenkins.
    Il faut commencer par rappeler que le Canada ne part pas de rien. Il joue, depuis longtemps, un rôle important en ce domaine. Il a contribué au financement d'organisations de femmes dans des États fragilisés. Il a étoffé la participation des femmes dans ses contingents de gardiens de la paix et encouragé d'autres États à faire de même. Il a soutenu les efforts en vue d'accroître le rôle des femmes en matière de médiation.
    Mais, dans ces divers domaines, ses efforts ont parfois donné des résultats inégaux et il pourrait, et devrait en faire plus, et se porter à la pointe de l'action internationale en faveur des femmes, de la paix et de la sécurité.
    D'autres témoins vous ont dit que la résolution 1325, et celles qui l'ont suivie, ont été mal, lamentablement mal mises en oeuvre. Vous n'ignorez pas que le volet protection, et notamment les efforts pour contrer la violence sexuelle employée comme arme de guerre, a retenu l'attention du monde et donné lieu à beaucoup plus d'efforts que le volet leadership.
    Je voudrais vous exposer les raisons de cette mauvaise mise en oeuvre, ou disons de l'application inégale de ces diverses résolutions.
    Les violences sexuelles commises en temps de guerre, ou admises par les parties au conflit, sont un crime international extrêmement grave. Or, le fait que les femmes ne soient pas admises aux négociations de la paix n'est pas perçu comme une faute. Le fait de ne pas tenir compte, dans les accords de cessez-le-feu, des questions relatives à l'égalité des sexes, n'est pas tenu pour une faute. Le fait de ne pas intégrer de femmes aux forces militaires et policières de maintien de la paix n'est pas vu comme un crime international, pas plus que ne l'est le fait de ne pas favoriser la participation des femmes aux décisions touchant les relations internationales. Il existe une différence manifeste, sur le plan de l'influence, entre les mécanismes de responsabilisation institués par le droit international et ceux qui ont été instaurés dans le cadre de projets politiques tendant à favoriser le leadership et la participation des femmes.
    Les efforts en vue d'élargir le rôle des femmes dans la lutte pour le pouvoir au niveau national, et l'élargissement de leur rôle en matière de résolution des conflits forment un délicat projet politique qu'on ne sait pas trop bien comment mener.
    On place de grands espoirs en des choses telles que les quotas de genre lors d'élections organisées à la suite d'un conflit. Nous savons, cependant, que s'il peut être utile d'accroître la présence physique, la visibilité des femmes au sein des organes décisionnels, cela ne mène pas nécessairement à l'adoption de politiques susceptibles de faire avancer l'égalité des genres. Ce qu'il faudrait, pour cela, ce sont des efforts constants en faveur de la parité hommes-femmes et des autres formes d'inclusion de la part de ceux qui s'attachent à prévenir et à régler les différends, et à contribuer à relever le pays après un conflit. Il faudrait en outre que, dans le cadre de ces divers types d'accords, on fasse beaucoup plus de place à la justice des genres. J'entends par justice des genres, le fait d'accorder une beaucoup plus grande attention aux différences de genre au plan des maux qui découlent de la guerre, et de tenir l'égalité entre les hommes et les femmes pour un élément essentiel d'un relèvement inclusif et d'une gouvernance démocratique.
    Mais la question qu'il faut se poser est la suivante: Si le fait de ne pas inclure les femmes n'est pas tenu pour un crime, que peut faire le Canada pour qu'une plus grande priorité soit accordée à la participation des femmes?
    Je voudrais maintenant parler de comment le Canada pourrait améliorer ses efforts en ce domaine. Je vais, en premier lieu, examiner comment le Canada pourrait mieux se servir de sa position dans les institutions et les affaires internationales. J'évoquerai ensuite l'établissement d'une communauté mondiale de pratiques sur le leadership politique des femmes et l'égalité des genres lors de cessez-le-feu, de négociations de la paix, de la rédaction de constitutions et d'accords de règlement politique. Je voudrais vous parler en troisième lieu du renforcement des capacités en vue d'un financement efficace des actions menées dans l'intérêt des femmes, de la paix et de la sécurité et, quatrièmement, du couplage du plan national d'action et des divers domaines d'activités du Canada dans les États fragilisés, en particulier dans le cadre des industries extractives, mais également en ce qui concerne les changements climatiques et les catastrophes naturelles.

  (1535)  

    Le Canada pourrait d'abord, étant donné qu'il entend se porter candidat en 2020 à un siège au Conseil de sécurité, tirer pleinement parti de la place qu'il occupe dans les institutions internationales et, plus généralement, sur la scène mondiale. Entre-temps, le Canada devrait coordonner toutes ses initiatives et se positionner comme un des leaders dans la défense des droits de la personne. Voici certaines des choses que le Canada pourrait faire pour intégrer les divers pans de son action dans une stratégie d'ensemble.
    D'abord, bien sûr, le Canada préside depuis longtemps à l'ONU le groupe d'amis de la résolution 1325, qui regroupe 45 pays partageant les mêmes valeurs et se réunissant régulièrement pour tenter de grossir les rangs des pays partisans de la mise en oeuvre de la résolution 1325. Vous savez, nous avons en cela beaucoup de chance. Je suis moi-même Canadienne et je peux dire que nous avons beaucoup de chance, car la délégation canadienne à l'ONU est très active au sein de ce comité. Je peux vous citer à cet égard les noms de Mel Stewart, de Chantal Walker et de Simon Collard-Wexler. Ils font un excellent travail pour faire avancer les choses et encourager d'autres pays à agir dans le même sens.
    Le Canada occupe plusieurs autres rôles importants au sein de ces organes, mais il pourrait peut-être en faire encore davantage. C'est ainsi, par exemple, que le Canada préside le groupe C34, le comité de l'Assemblée générale chargé du dossier des opérations de maintien de la paix. En tant que président, le Canada doit faire preuve d'une certaine neutralité puisqu'il joue essentiellement un rôle d'honnête courtier, mais il est également membre du comité et participe donc aux négociations, travaillant généralement de concert avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. On appelle ce groupe le groupe CANZ. Ce groupe a, dans le passé, tenté de faire adopter des propositions sur l'égalité entre les femmes et les hommes, activité qui pourrait être renforcée. C'est ainsi que l'année dernière le groupe s'est mobilisé en faveur de mesures touchant les établissements pénitenciers afin de faire appliquer, dans le cadre des activités que l'ONU mène en ce domaine, les principes de l'égalité entre les hommes et les femmes, et de la protection des femmes.
    Le Canada oeuvre également, auprès des pays contribuant des contingents militaires, à renforcer, au sein des contingents militaires et policiers, le rôle des femmes. Il y a, par exemple, un important programme dans le cadre duquel le Canada assure une formation renforcée à un certain nombre de policières. Cela dit, dans la mesure où le Canada occupe, parmi les nations contribuant au financement des forces de maintien de la paix, la 10e position, on peut se demander si les nations qui fournissent des contingents militaires attachent suffisamment d'importance au fait que les femmes ne participent pas en nombre suffisant aux missions militaires et policières. On fait régulièrement valoir que les femmes ne veulent en fait pas travailler dans le domaine de la sécurité. Il conviendrait d'après moi de revenir sur cette idée, car il s'agit de très bons emplois et la participation à un contingent de maintien de la paix procure un certain nombre d'avantages, dont un salaire et de meilleures chances d'avancement professionnel. Or, dans de nombreux pays, les hommes ont généralement en cela la priorité. Que peut-on faire pour encourager davantage de femmes à saisir les occasions qui se présentent?
    L'année dernière, ONU Femmes, a présenté sur la question un mémoire sur les trois examens des efforts menés pour la paix par l'ONU. D'après ce mémoire, des avantages financiers pourraient être consentis aux pays qui fournissent les contingents afin de les inciter à faire participer davantage de femmes aux activités de maintien de la paix.
    Mais aussi, dans les années à venir, le Canada va avoir d'autres occasions d'orienter les efforts en ce domaine. Il doit, de 2017 à 2021, occuper un siège à la Commission de la condition de la femme. Cette commission a pour mission d'assurer qu'il est tenu compte de la problématique homme-femme et des problèmes qui se posent en matière de paix et de sécurité. Le Canada va par ailleurs accueillir, en 2018, la 44e réunion du G7. Cette date, à mi-chemin entre le présent et 2020, année où le Canada entend présenter sa candidature au Conseil de sécurité, est une bonne occasion de porter à l'attention des participants des questions souvent négligées en matière de condition de la femme, de paix et de sécurité. Cela est particulièrement vrai du rôle des femmes au plan du leadership politique.
    On pourrait s'inspirer de la manière dont, en 2013, alors que l'Angleterre présidait le G7, William Hague s'est fait le champion de la lutte contre la violence sexuelle. De tels efforts ne pourraient-ils pas être déployés en faveur d'une meilleure participation des femmes à la direction politique?
    Et puis il s'agirait, en matière de leadership politique des femmes, de constituer une communauté mondiale de pratique. S'il est si difficile d'élargir l'influence des femmes dans le cadre de ces diverses actions, c'est que souvent les femmes n'ont pas les réseaux et l'expérience politique de leurs homologues du sexe masculin. L'influence politique, la crédibilité et la légitimité prennent du temps à acquérir, mais il y a bien des choses qui peuvent être faites afin de renforcer dans ces domaines d'activité la capacité des femmes, et constituer des réseaux sur lesquels elles pourraient s'appuyer. Le premier de ces moyens, évoqués à maintes reprises dans le cadre du témoignage précédent, consiste à soutenir l'action des organisations féminines et à renforcer le soutien opérationnel qui leur est accordé.
    Mais il s'agirait aussi de soutenir les efforts de formation et la constitution de ces réseaux. Or, souvent, les programmes de formation manquent de cohérence et de continuité. Le Canada a développé un modèle très intéressant que l'on pourrait songer à élargir en s'appuyant sur les efforts qu'il a déployés à l'appui de l'initiative d'intervention rapide pour l'administration de la justice, mécanisme évoqué, je crois, par un de vos témoins précédents.

  (1540)  

    Il s'agit d'un mécanisme multipartite qui regroupe des États, des institutions internationales et régionales, et des organismes issus de la société civile et du secteur privé. Le Canada en est un des membres fondateurs et lui a, jusqu'à récemment, apporté un soutien financier considérable. Ce mécanisme d'intervention rapide pour l'administration de la justice assure dans toutes les régions du monde la formation de juges, de responsables policiers, d'avocats, de procureurs et de défenseurs dans des domaines tels que le droit pénal international, les droits de la personne et le droit humanitaire.
    Il y a environ cinq ans, ce mécanisme a entamé une collaboration avec ONU Femmes pour mettre sur pied un programme de formation sur les enquêtes et poursuites en matière de violence sexuelle lors de conflits. Les professionnels qui suivent ce cours adhèrent à un réseau mondial dont les membres peuvent être très rapidement mobilisés pour renforcer les enquêtes des autorités internes d'un pays, ou d'organismes régionaux ou internationaux saisis de violations des droits de la femme à l'occasion d'un conflit.
    Barbara Fleury, qui a témoigné devant votre Comité il y a quelques semaines, est conseillère policière auprès de la délégation canadienne à l'ONU, à New York. Elle a cité le cas de trois policières détachées auprès des Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens afin de soutenir les enquêtes et les poursuites visant les crimes de violence sexuelle perpétrés par les Khmers rouges. Ces trois policières ont suivi une formation dans le cadre de ce mécanisme d'intervention rapide pour l'administration de la justice.
    Cette précieuse initiative mérite votre soutien. Les résultats obtenus jusqu'ici sont probants. Vous n'avez qu'à voir la qualité des résultats obtenus par les tribunaux pénaux internationaux et régionaux et les commissions d'enquête internationales pour constater que ces dernières années la qualité du travail d'enquête sur la problématique homme-femme s'est énormément améliorée.
    Ne pourrait-on pas constituer sur la base de ce modèle une communauté mondiale de pratique dans les divers domaines de compétence nécessaires pour soutenir la participation et le leadership des femmes dans la prévention et le règlement des conflits, et dans le relèvement et la reconstruction qui interviennent après? Il conviendrait, par exemple, de développer les capacités en matière de vérification des cessez-le-feu, de médiation, de négociations d'accords de paix, d'analyse politique, de rédaction juridique et constitutionnelle, et de planification économique. Il faudrait, en outre, pour que ces capacités soient adaptées au contexte, développer des connaissances précises sur les diverses régions d'intervention. Une telle initiative permettrait surtout de soutenir la constitution de réseaux permettant de réunir les soutiens techniques et politiques dont les femmes ont besoin pour accéder enfin au domaine des négociations de la paix et des règlements politiques.
    Troisièmement, en matière de développement de moyens de financement efficaces permettant d'accroître la participation des femmes aux actions en matière de paix et de sécurité, on a beaucoup évoqué un objectif de 15 %, mais le Canada ne pourrait-il pas soutenir les efforts en ce sens en réunissant des données sur ce qui se passe effectivement? On ne sait en fait pas grand-chose des sommes consacrées à ce domaine. Les chiffres avancés sont tous calculés au moyen du marqueur égalité homme-femme utilisé par les gestionnaires de projet, mais les sommes effectivement consacrées à notre sujet d'étude, c'est-à-dire aux femmes, la paix et la sécurité, n'ont jamais fait l'objet d'audits sur l'égalité des sexes. Il y a, en outre, des fonds fiduciaires et des fonds en faveur du renforcement des droits des femmes au financement desquels on pourrait davantage contribuer.
    Le temps m'est compté et je vais donc un peu vite en cela, mais vous trouverez davantage de détails dans mon exposé écrit.
    Je suis à court de temps, mais je voudrais tout de même évoquer un quatrième moyen, qui consisterait à intégrer l'ensemble des actions menées par le Canada dans des États fragilisés. Permettez-moi de vous en citer deux. Il est clair que le plan d'action du Canada ne peut pas englober absolument tout ce qui se fait, mais de nombreux témoins ont dit combien il importe d'éviter la compartimentation. D'après moi, il conviendrait, par exemple, de coordonner davantage les actions du Canada en faveur des femmes, de la paix et de la sécurité, et ses efforts en matière de réduction des risques et d'aide humanitaire, quelle que soit par ailleurs la nature de la crise. Personne n'ignore que les changements climatiques vont faire augmenter le nombre de personnes déplacées et que, en raison de leur âge et de leur genre, certaines personnes éprouvent en temps de crise plus de mal que les autres. Il importe donc d'établir des passerelles entre le plan d'action national et les efforts engagés par le Canada en matière d'adaptation et d'atténuation des changements climatiques.
    Deuxièmement, dans le secteur des industries extractives, les entreprises canadiennes sont présentes un peu partout dans le monde. Or, actuellement, la réglementation nationale et internationale applicable aux entreprises pétrolières et minières s'intéresse surtout aux problèmes tels que la corruption et les répercussions environnementales. Ne pourrait-on pas élaborer un code de conduite national ou mondial sur les rapports entre le personnel de ces entreprises et les populations locales afin de prévenir les cas d'exploitation sexuelle?
    Permettez-moi, pour terminer, d'en revenir à ce que j'ai dit au départ. Dans ce domaine, le Canada ne part pas de rien. Il a des antécédents; ses bonnes pratiques peuvent servir de base et ses précieux éléments de mémoire institutionnelle seraient à cet égard d'une grande utilité.

  (1545)  

    Les efforts du Canada en ce domaine sont souvent méconnus et parfois modestes, mais ils revêtent souvent cependant une grande importance et je voudrais à cet égard vous citer un exemple.
    En 2008, Affaires mondiales Canada, qui s'appelait à l'époque MAECI, a, dans le cadre de son Fonds pour la paix et la sécurité mondiales accordé une petite subvention à l'UNIFEM et au Département des opérations de maintien de la paix pour leur permettre d'organiser une réunion à Wilton Park, dans le Sussex. Cette réunion a rassemblé les ambassadeurs des pays membres du Conseil de sécurité, l'ambassadeur Henri-Paul Normandin, des commandants des forces de l'ONU tels que Patrick Cammaert, des commissaires de police tels que Colin Farquhar, qui a servi en Haïti au sein de la MINUSTAH, et des défenseurs des droits de la personne tels que Leymah Gbowee. L'ordre du jour portait sur les violences sexuelles perpétrées dans le cadre de conflits. À l'époque, on y voyait un problème humanitaire et non quelque chose qui devrait nécessairement retenir l'attention du Conseil de sécurité.
    Or certaines parties de ce qui allait donner la résolution 1820, ont été rédigées et discutées lors de cette réunion du mois de mai. Trois semaines plus tard, la résolution a été adoptée. Le modeste investissement consenti à l'époque par le Canada a servi de catalyseur, et a donc été d'une importance essentielle.
    N'est-ce pas, justement, ces enjeux stratégiques qui retiennent actuellement l'attention de votre Comité. Parmi les nations du monde, le Canada a une occasion toute particulière de faire jouer son influence diplomatique, ses ressources et ses principes pour peser sur le sort des femmes touchées par des conflits armés. Il s'agit, selon moi, d'un projet essentiellement politique, et non d'un projet technique ou juridique. Il conviendrait que, dans tous les domaines où le Canada intervient auprès d'États fragilisés, le pays manifeste une inébranlable volonté politique.
    Sanam Anderlini vient d'arriver, et je vais lui demander de se joindre à nous.

[Français]

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Merci beaucoup, madame Goets. Nous accueillons donc Sanam Anderlini.
    Nous passons maintenant la parole au professeur Jenkins.
    Je tiens à remercier le Comité de m'avoir invité à prendre la parole devant lui.
    Au cours de ces dernières semaines, vous avez recueilli de précieux témoignages de la part d'un groupe impressionnant de spécialistes et de praticiens, y compris la professeure Goetz qui vient de vous présenter un exposé. Une grande partie des choses que doit comprendre le plan d'action du Canada sur les femmes, la paix et la sécurité a déjà été exposée et discutée, souvent à plusieurs reprises. Plutôt que d'insister davantage sur l'importance des urgentes recommandations qui ont été formulées, je voudrais en profiter pour ajouter une idée à un ordre du jour qui est déjà pourtant bien chargé.
    Je propose que le Canada fasse du droit au travail un élément central de sa stratégie de prévention du déclenchement et de la reprise de conflits armés, et de placer la démarginalisation des femmes et l'égalité des sexes en tête des programmes d'emploi que les gouvernements établiraient afin que ce droit soit traduit dans les faits dans les pays fragilisés où sévissent des conflits. Cette idée relève plutôt du volet des opérations de secours et de relèvement de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies, mais je pense qu'elle revêt aussi une grande importance pour le volet participation et prévention des conflits.
    Permettez-moi de vous situer un peu le problème. Des programmes de travail destinés à créer des emplois temporaires ont souvent été institués à l'issue d'un conflit. Ce type de programme bénéficie généralement de l'aide financière ou technique d'organismes des Nations unies et d'autres intervenants de la scène internationale. Ces programmes ont varié quant à leurs modalités, mais ils partent tous de l'idée qu'une population privée des moyens de gagner sa vie devient rapidement en proie au mécontentement, et que les emplois temporaires qui peuvent être créés dans le cadre de tels programmes, qu'il s'agisse par exemple de réparer des canaux de drainage, ou de repeindre des panneaux de signalisation, sont autant de manifestations visibles des avantages de la paix dans des régions où la guerre a étranglé la vie économique.
    En créant ces emplois salariés, les gouvernements renforceraient la légitimité de l'État et réduiraient les causes de reprise du conflit. Voilà le raisonnement à l'origine de cette idée. L'Organisation internationale du travail a élaboré des directives sur les programmes d'emploi temporaires et a, ces dernières années, ajouté des dispositions assurant l'égalité des sexes. Dans son plan d'action en sept points pour le rétablissement de la paix en tenant compte du sexe et du genre, introduit en 2010, l'ONU s'est engagée dans cette voie. ONU Femmes travaille dans le même sens.
    Or, dans ce domaine, la communauté internationale doit se montrer beaucoup plus ambitieuse si elle veut que les programmes d'emploi contribuent utilement au rétablissement de la paix et à la démarginalisation des femmes. Les États fragilisés où sévissent des conflits sont rares à avoir instauré de tels programmes d'emploi, et dans les pays où il y en a, au Sierra Leone, par exemple, les programmes manquent d'envergure et sont extrêmement limités dans le temps.
    Il y a trois autres reproches que l'on doit adresser aux programmes d'emploi mis en place à l'issue d'un conflit. D'abord, ils ne reposent pas sur une approche du développement et du rétablissement de la situation essentiellement axée sur les droits. Et puis, ils n'ont pas les moyens de faire participer le public à la priorisation des projets à entreprendre. Troisièmement, ils ne prévoient pas la participation de la société civile lorsqu'il s'agit de rendre compte de la manière dont les fonds ont été dispensés. Ce serait pourtant en se penchant de près sur ces trois éléments de base — les droits, la participation et l'obligation de rendre des comptes — que l'on parviendrait à mettre l'égalité des sexes et la démarginalisation des femmes au centre des grands programmes d'emploi instaurés dans les États fragilisés où sévissent des conflits armés.
    Or, l'extrême importance accordée aux droits, aux moyens d'assurer la participation du public et de la société civile et à la nécessaire reddition de comptes sont les caractéristiques essentielles du programme d'emplois du secteur public le plus grand du monde et aussi celui qui a donné les meilleurs résultats, en l'occurrence la Mahatma Gandhi National Rural Employment Guarantee Act adoptée par l'Inde, et communément appelé le NREGA.
    Cette loi, qui fait l'objet d'un livre que j'ai écrit en collaboration avec le professeur James Manor, de l'Université de Londres, concrétise le droit au travail en garantissant à chaque foyer rural de l'Inde 100 jours de travail par an au salaire minimum officiel, dans le cadre de projets de travaux publics administrés par le gouvernement. Le lieu de travail ne doit pas être situé à plus de cinq kilomètres du domicile des participants, et doit offrir un travail dans les 15 jours suivant le dépôt d'une demande. Le NREGA constitue pour le gouvernement une obligation juridique. Il ne s'agit pas en effet d'une mesure de secours temporaire. Les travailleurs prennent part à la construction de routes, au creusage de puits, à l'entretien des réseaux d'irrigation et à de nombreuses autres activités. Il convient d'insister sur le fait que la loi d'habilitation prévoit des mécanismes institutionnels qui permettent d'assurer la participation, la transparence et la responsabilisation.

  (1550)  

    Les habitants et les travailleurs se concertent pour décider des travaux à entreprendre, et collaborent avec des groupes issus de la société civile pour faire le bilan social des projets, dont les dossiers administratifs et financiers sont rendus publics.
    Outre les nombreux avantages que cela représente pour les communautés rurales en difficulté, la conception du NREGA, et la manière dont il a été appliqué procure des avantages directs aux femmes. En effet, 30 % des journées de travail doivent être accordés aux femmes, et, souvent, cette proportion atteint 50 % ce qui, dans le monde, ne se voit pas souvent.
    Les chantiers de travail du NREGA prévoient la garde des enfants et, aux termes même du NREGA, les femmes doivent pouvoir exercer des fonctions de contremaître. La recherche nous apprend que les femmes n'ont en général pas les mêmes priorités que les hommes et, dans le cadre du NREGA, les priorités des femmes au regard des types de projets à mener sont prises en compte et souvent adoptées.
    Les hommes et les femmes touchent le même salaire, ce qui n'est généralement pas le cas des emplois en zone rurale, que ce soit en Inde ou dans de nombreux autres pays, y compris aux États-Unis. Et en outre, le salaire d'une femme lui est directement versé au lieu d'être remis à son époux.
    J'ajoute que ce programme de travail garanti contribue en Inde de manière indirecte à l'égalité entre les hommes et les femmes puisqu'il offre aux femmes l'occasion de participer à la vie publique dans des régions où cela est traditionnellement limité par la culture ambiante. De plus, cela encourage les femmes à participer à l'activité du secteur bancaire en ouvrant des comptes en banque sur lesquels seront versés les salaires du NREGA.
    D'après les résultats d'une étude, portant il est vrai sur certaines régions seulement de l'Inde, les femmes ayant travaillé dans le cadre du NREGA sont généralement moins en proie aux violences familiales. Le NREGA n'était pas particulièrement censé réduire l'incidence des violences liées à des conflits armés, mais selon de récentes recherches l'élargissement du NREGA à des régions rurales de l'Inde marquées par des actes de violence commis par des groupes armés opposés à l'État, a entraîné une baisse de la violence.
    Cette constatation a une importance qui dépasse le seul cadre de l'Inde et qui intéresse notamment ceux qui s'attachent à prévenir les conflits de manière générale, mais plus particulièrement dans le contexte des femmes, de la paix et de la sécurité.
    Il est clair que l'Inde n'est pas un pays où sévit la guerre même si, depuis longtemps, les actions menées par les groupes d'insurgés répondent à certaines définitions de ce qu'on entend par conflit armé. Mais l'Inde possède une fonction publique en bon état de marche, une démocratie solide et des moyens financiers croissants, et nous ne proposons donc pas que cette expérience menée par l'Inde au titre du droit au travail soit étendue à des pays ravagés par la guerre et n'ayant pas les mêmes atouts.
    Ce que je propose, plutôt, c'est qu'au niveau bilatéral et dans le cadre de son action au sein d'institutions multilatérales, le Canada défende l'instauration dans les pays fragilisés et frappés par la violence, de programmes d'emploi axés sur les droits des individus, et soutienne financièrement la création de tels programmes en faisant une large place à l'égalité entre les hommes et les femmes et à la démarginalisation des femmes. Cela vaudrait autant pour les pays où ne sévit pas encore la violence armée que pour les pays qui tentent de se relever d'un conflit.
    Dans un premier temps, le Canada pourrait, de concert avec des gouvernements et autres acteurs internationaux acquis à l'idée, gouvernementaux ou non, mettre sur pied un programme modèle afin de voir quels seraient, parmi ses partenaires, ceux qui souhaiteraient y prendre part. Citons, parmi les enceintes multilatérales où une telle action pourrait être menée, les Nations unies, la Banque mondiale, et le Dialogue international sur la consolidation de la paix et l'édification de l'État.
    Il serait par ailleurs possible d'entreprendre une telle initiative d'« emplois pour la paix » axée sur les droits et l'égalité des sexes dans le cadre du Commonwealth, auquel le Canada appartient, mais aussi l'Inde, qui possède en ce domaine une expertise technique essentielle, ainsi que dans de nombreux États touchés par un conflit.
    Je voudrais, pour terminer, reprendre ici les conclusions d'une ancienne haute fonctionnaire des Nations unies, Graciana del Castillo, dont les travaux démontrent que, trop souvent, le volet économique des efforts d'édification de la paix, y compris leurs dimensions sexospécifiques, manque d'efficacité, car on compte trop sur le marché pour favoriser la reprise de l'économie et le développement à long terme. Il est bon de soutenir l'esprit d'entreprise, de faciliter l'accès aux marchés et d'offrir aux femmes une formation en matière d'entreprise et leur faciliter l'accès au crédit, mais les solutions axées sur le marché ne suffisent pas et les politiques nationales d'austérité ont parfois pour effet d'aggraver la situation.
    Il est donc essentiel qu'avec le soutien financier et technique de partenaires internationaux, le secteur public lance des initiatives ambitieuses. Le fait d'axer de tels efforts sur le droit au travail dans le cadre d'un programme d'emploi créé par le gouvernement et axé sur les droits et qui accordent une importance essentielle à la démarginalisation des femmes, permet en outre de démontrer que l'État en question est bien décidé à édifier une paix inclusive susceptible d'entraîner des changements en profondeur.
    C'est très volontiers que je répondrai à vos questions ou à vos observations, et je tiens à nouveau à remercier le Comité de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole devant lui.

  (1555)  

    Monsieur Jenkins et madame Goetz, je vous remercie beaucoup.
    Nous allons immédiatement passer aux questions.
    Monsieur Clement, vous avez la parole.
    Je laisse la parole à M. Kent.
    Monsieur Jenkins, madame Goetz, je vous remercie de vos exposés. L'étude que vous avez rédigée l'automne dernier sur les occasions manquées, reprend beaucoup de ce que nous ont dit nos témoins précédents. On en retrouve aussi la trace dans ce qu'a écrit plus tôt cette année l'ancien sous-secrétaire Banbury, de l'écart qui existe entre une idée et sa mise en oeuvre. Dans son étude, l'ancien sous-secrétaire va jusqu'à affirmer qu'il y a « Aujourd'hui, au sein d'une importante mission de maintien de la paix, iun chef d'état-major qui est manifestement incompétent ». Or, il poursuit en disant qu'aux Nations unies il est à peu près impossible de congédier quelqu'un.
    Alors que nous allons, cette année, procéder à l'élection d'un nouveau secrétaire général des Nations unies, je me demande s'il ne faudrait pas nous pencher sérieusement sur les problèmes structurels dont souffre une organisation pourtant à qui il incombe de veiller à la mise en oeuvre de belles idées telles que la sexospécificité, les femmes, la paix et la sécurité, alors que l'organisation fait elle-même preuve de dysfonctionnements au niveau de ses structures, et fait figure, encore une fois selon le sous-secrétaire Banbury, de vieille machine à écrire à une époque où le monde entier a adopté le smart phone.
    Que pourrait faire le Canada pour agir de manière constructive. Vos idées devraient être retenues, mais je me demande ce que le Canada pourrait faire pour changer, aux Nations unies, une situation qui dure depuis déjà beaucoup trop longtemps.

  (1600)  

    Dans un article d'opinion publié par le New York Times dans ses pages éditoriales, Anthony Banbury a exprimé un sentiment que beaucoup de gens éprouvent. Il existe, en effet, un réseau de personnes décidées à réformer les Nations unies. Elles s'attachent actuellement à formuler des recommandations à l'intention de celui ou de celle qui deviendra le nouveau secrétaire général, recommandations que nous espérons voir concrétiser dès son entrée en fonction.
    Il est clair qu'il va falloir apporter de profonds changements structurels. Je me remémore ce que Churchill a dit au sujet de la démocratie; c'est un mauvais système, mais nous n'en avons pas de meilleur. L'Organisation des Nations unies est vraiment mal partie, mais c'est sur elle que reposent nos espoirs de voir instaurer une gouvernance mondiale. Or, cela va exiger de tous énormément de travail.
    À l'ONU, le Canada exerce à l'appui des réformes, un rôle très constructif. Il déploie une activité considérable au sein des comités de l'Assemblée générale pour assurer que les fonds de l'organisation sont dépensés utilement, et étudie les moyens de réformer le recrutement. Il ne fait cependant aucun doute que le Canada pourrait faire jouer toute son influence en faveur de mesures plus claires, plus énergiques et plus transparentes à l'égard, par exemple, des diverses catégories de harcèlement sexuel y compris, bien sûr, l'exploitation sexuelle sous toutes ses formes à laquelle se livrent certains casques bleus et travailleurs humanitaires. Il faut que dans ces domaines, nous prenions des mesures beaucoup plus énergiques et décisives. Il s'agit, certes, d'un problème extrêmement difficile, mais il va nous falloir en faire davantage. Et puis il y a la question de la corruption dans la gestion des finances de l'organisation et, là encore, certaines personnes vont devoir être renvoyées. Cela ne fait aucun doute et ça n'a rien d'impossible.
    Ça arrive parfois, mais il faut pour cela beaucoup de courage et beaucoup de détermination.
    J'appartiens à une petite organisation qui a fait campagne pour l'élection d'une femme à la tête des Nations unies et nous espérons donc que le prochain secrétaire général sera une femme, une féministe, quelqu'un qui possède d'extraordinaires pouvoirs d'administration et le courage de relever ces défis.
    Puis-je intervenir très brièvement et dire que vous avez mis le doigt sur plusieurs des grands problèmes structurels des Nations Unies. Mais il ne s'agit pas seulement de surmonter les contraintes administratives dont M. Banbury a fait état dans son article publié dans la presse. Les contraintes administratives telles que la difficulté qu'il y a à envoyer des gens en mission sur le terrain, où ils vont devoir suivre les instructions d'autres départements étant donné l'impossibilité d'harmoniser les modalités d'emploi de personnes relevant de différents organismes spécialisés des Nations unies.
    Je ne suis pas particulièrement au courant des difficultés qu'il y a à trancher ces noeuds administratifs, mais on a l'impression que bon nombre des réformes destinées à rationaliser le système sont proposées par des pays qui, par le niveau de leur financement et d'autres facteurs, exercent aux Nations unies une influence disproportionnée. Ce simple fait semble inspirer à certains groupes de pays une réaction automatique de rejet, car ils estiment qu'il s'agit surtout d'accroître le pouvoir de certains groupes d'États. On aboutit alors à une impasse.
    Certains soutiennent qu'il sera impossible de prendre les mesures nécessaires tant qu'on ne sera pas parvenu à un règlement politique de la question des membres permanents du Conseil de sécurité. Certaines de ces réformes s'imposent manifestement, mais d'autres paraissent moins évidentes aux yeux de personnes étrangères à l'organisation. Il est clair que plus on examine ce qui se fait dans le secteur de la paix et de la sécurité, la constitution de la Commission des Nations unies pour le maintien de la paix, par exemple, le Fonds de consolidation de la paix, et la création en 2005 d'un bureau d'appui à la consolidation de la paix — on constate que ces divers organes n'améliorent en rien la coordination des efforts engagés par d'autres parties de l'ONU. Ils ne font qu'accroître le nombre d'intervenants et la conversation devient de plus en plus discordante.
    Ce n'est pas toujours le cas, mais c'est fréquent. Le Canada a fait partie de la Commission de consolidation de la paix et il y a fait du très bon travail, mais je suis certain que ceux qui savent comment les choses se passent d'ordinaire estiment, eux aussi, qu'il conviendrait de simplifier ou de rationaliser l'organisation plutôt que d'y ajouter de nouveaux organes chargés des réformes, car c'est généralement le sort des réformes entreprises aux Nations unies — on crée de nouveaux organes, et on accroît les difficultés de gestion.

  (1605)  

    Je vous remercie.
    Monsieur Fragiskatos, vous avez la parole.
    Je vous remercie de votre participation à nos délibérations d'aujourd'hui. J'ai écouté avec grand intérêt naturellement tout ce qui s'est dit.
    Je souhaiterais vous poser à tous deux la même question. Elle est liée à ce que Mme Goetz a dit tout à l'heure à l'égard du mécanisme d'intervention rapide pour l'administration de la justice.
    Monsieur le professeur, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit. Mais, selon certaines critiques, l'adoption de cette approche entraînerait l'imposition d'un modèle étranger, d'un modèle extérieur.
    Comment répondre à cette critique? J'ai quelques idées sur la question, qui revêt à mes yeux une importance critique, mais je voudrais recueillir votre point de vue. Nous avons vu, dans le cadre de cette étude, que pour un processus de paix, la participation des populations et des autorités locales revêt une importance cruciale. Cela étant, comment répondre à l'argument de l'imposition d'un modèle extérieur?
    Sanam souhaitera sans doute intervenir sur une question qui relève de ses responsabilités particulières.
    Le modèle d'intervention rapide pour l'administration de la justice s'adresse, dans les États fragilisés, aux acteurs de la justice et de la sécurité. Il s'agit de leur assurer une formation. Il s'agit de les initier au droit international humanitaire et au droit pénal international. Or, il faut bien reconnaître qu'il s'agit là d'instruments juridiques internationaux. Et on ne peut pas affirmer qu'on cherche par ce biais à imposer des idées occidentales, ou des idées venant des pays nordiques, car il s'agit d'un cadre juridique sur lequel divers pays se sont entendus. Or, parmi les gens qui travaillent au sein de commissions d'enquête ou de tribunaux pénaux régionaux ou internationaux, il y en a qui proviennent de la région ou d'États fragilisés. Il s'agit d'une initiative tout à fait démocratique.
    Un autre volet de cette initiative est l'élément mentorat ou apprentissage dans le cadre duquel des spécialistes du droit international — des policiers, des magistrats — travaillent côte à côte avec les institutions locales d'États fragilisés.
    Ils n'imposent rien, mais oeuvrent de concert avec les services locaux, étudiant les responsabilités qui incombent à chacun et les défis qui se présentent à eux et leur apportant un soutien. Cela est d'une extrême utilité. Dans la mesure où un certain nombre de tribunaux pénaux internationaux ont maintenant achevé leur mission, on dispose d'un ensemble de connaissances très utiles qui peuvent, au niveau régional, contribuer au renforcement de l'administration de la justice.
    Cela n'est pas vrai cependant du genre de choses que j'évoquais tout à l'heure, ce bassin de compétences, cette communauté de pratique en matière de médiation ou de consolidation constitutionnelle. Ce ne sont pas pourtant les experts qui manquent. Sanam connaît la plupart des musulmans actifs en ce domaine, mais il va falloir en faire davantage pour augmenter la somme des connaissances.
    Il n'est pas rare qu'on dénonce l'imposition d'un modèle étranger. Mais un des aspects importants du rôle que sont appelées à jouer les femmes pour consolider la paix et faire avancer l'égalité, c'est que les efforts en ce sens proviennent de toutes les régions du monde et, souvent, datent d'avant la naissance, en Occident, du mouvement féministe.
    Je vais vous citer un exemple de l'efficacité de ce genre d'intervention qui ne sera pas perçue comme quelque chose imposé de l'extérieur.
    En 2011, la Fondation suisse pour la paix a joint ses efforts à ceux d'ONU Femmes pour assurer dans des pays d'Afrique occidentale, une formation en matière de médiation, de consolidation de la paix et de réforme constitutionnelle. Ce stage de formation de deux semaines était extrêmement intéressant. Il a réuni des femmes provenant de tous les pays d'Afrique occidentale, des anciennes ministres pour le genre et le développement, des femmes qui avaient piloté des ONG et des organisations du secteur privé, des femmes qui avaient servi au sein de gouvernements.
    Six mois plus tard, les groupes islamistes radicaux se sont emparés du nord du Mali. Trois des femmes qui avaient suivi la formation en question ont pénétré dans les bureaux d'ONU Femmes pour dénoncer cette invasion barbare, alors qu'à côté, au Burkina Faso, le président Compaoré menait des négociations en faveur de la paix, et que se déroulaient les premiers pourparlers en vue d'un cessez-le-feu. Pas une femme n'avait été invitée à y participer. À quoi bon leur assurer la formation nécessaire si on les exclut du dialogue?
    ONU Femmes les a mises à bord d'un avion et les a acheminées jusqu'au lieu des négociations, où elles ont pu entrer, mais ce qu'il faut retenir de tout cela c'est qu'elles ont pu faire appel aux réseaux qu'elles avaient formés, et se servir de la formation qu'elles avaient reçue — les réseaux revêtant en l'occurrence une importance plus grande que le contenu des cours. Elles ont appelé leurs correspondantes au Burkina Faso, contacté leurs consoeurs dans les États côtiers africains leur demandant d'exercer leur influence pour qu'elles puissent participer aux négociations en question. Elles y sont arrivées.
    C'est dire que personne ne voit dans cela l'imposition d'un modèle étranger. Ces femmes du Mali ont fait tout ce qu'il fallait pour prendre part au dialogue.

  (1610)  

    Je vous remercie. Je suis invitée à vous présenter un exposé dans quelques minutes et je ne vais donc pas intervenir trop longuement pour l'instant.
    Mon organisation, l'International Civil Society Action Network collabore, dans de nombreuses zones de conflit, avec une alliance d'organisations indépendantes de femmes qui ont créé des organisations implantées localement, et fondé des organisations dirigées par des femmes. Il n'est pas rare qu'elles parviennent à régler les problèmes qui se posent. Dans la mesure où l'on sollicite leur participation et qu'elles participent aux divers mécanismes, leur approche du problème est souvent la plus pertinente et la plus fine au regard de la culture ambiante.
    Permettez-moi de vous citer un exemple. Une collègue du Sri Lanka a fondé une association de parents de soldats disparus. Son propre fils a disparu en 1998 lors de la guerre qui a sévi au Sri Lanka. Elle s'est mise à la tête d'un groupe de mères, et elles se sont introduites dans la jungle. Elles ont été les premières à contacter les LTTE — les tigres tamouls — et les nombreux contacts qu'elles ont noués ont permis d'entamer des négociations pour la paix, même si ces négociations ont fini par échouer à partir du moment où le gouvernement est intervenu.
    Ces contacts dans la région lui ont été très utiles, car la population la connaît et lui fait confiance. Maintenant, dans le cadre du processus de réconciliation nationale, elle a repris contact avec les diverses communautés et s'est engagée avec elles dans une oeuvre commune. Depuis un certain temps, elle travaille dans le Nord et le Nord-Est du Sri Lanka, en collaboration avec les autorités policières.
    Or, elle a adapté le programme défini par la résolution 1325, le programme relatif aux femmes, à la paix et à la sécurité. Elle est partie de la documentation préparée dans le cadre d'un effort international et l'a utilisée dans un contexte local, travaillant de concert avec la police, leur exposant les grandes lignes du programme. Elle leur a demandé quels étaient, d'après eux, les principaux problèmes qu'ils avaient à traiter. Les policiers ont répondu qu'ils étaient particulièrement préoccupés par la violence sexuelle au sein des diverses communautés et des moyens de mobiliser la population et parvenir à régler les problèmes.
    Ce premier pas a permis d'instaurer la confiance entre la police et les communautés locales. Son activité sur le terrain, et le fait que son fils était soldat lui ont, par ailleurs, ouvert les portes du ministère de la Défense, où elle a pu convaincre les responsables de détacher auprès des commissariats de police et des contingents militaires des femmes parlant tamoul et pouvant communiquer directement avec les populations locales, car l'armée était essentiellement composée de gens parlant le cingalais.
    Il n'y avait là rien qui soit imposé de l'extérieur. Une intervenante de la région avait pris les normes que nous avions établies, et, après les avoir adaptées au contexte régional, en a fait quelque chose d'ancré dans la culture locale et adapté aux besoins de la population.
    Dans la région Moyen-Orient-Afrique du Nord, nous nous apercevons que l'une des choses que nous voudrions faire — nous invitons d'ailleurs le Canada à y participer et à soutenir notre action — c'est d'intégrer les diverses manières dont les organisations de femmes se sont, au Moyen-Orient, attaquées au problème des violences sexuelles au sein de leurs communautés. C'est un sujet tabou, mais en Iran, en Égypte, en Tunisie, en Syrie et ailleurs, on a découvert tout un éventail de moyens novateurs.
    Nous souhaiterions importer en Irak cette diversité des approches, y initier nos collègues irakiennes et puis, en leur accordant un financement initial, leur donner les moyens d'entreprendre ce travail. Cela ne prendrait pas beaucoup d'argent. Ce serait quelque chose d'adapté aux particularités culturelles, car chacun apprendrait quelque chose de ce que les autres ont fait. Une telle démarche de pair à pair revêt une extrême importance et nous savons, en tant qu'acteurs internationaux, ce qui se passe à l'échelle locale. Notre rôle consiste donc plutôt à transmettre ces connaissances à nos partenaires locaux, et à les initier aux bonnes pratiques qu'ils adapteront au contexte local ou régional.
    Je vous remercie.
    Monsieur le président, ai-je temps d'une rapide question complémentaire? Non?
    Je regrette, mais non.
    Permettez-moi de dire que si les réponses étaient un peu plus brèves chacun pourrait poser une ou deux questions de plus.
    La parole est à Mme Laverdière.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci pour ces très intéressantes présentations. J'ai tout particulièrement apprécié l'explication des raisons pour lesquelles on porte très souvent plus d'attention à la question de la violence sexuelle qu'à la question de la participation des femmes au processus, parce que ce n'est pas le même cadre de responsabilisation, comme vous le disiez. C'est très intéressant.
    Je préfère habituellement la carotte au bâton. En ce qui concerne l'inclusion des femmes dans les forces des pays qui fournissent des troupes de maintien de la paix, je crois vous avoir entendue dire qu'on pourrait augmenter le financement pour ces pays. Cela dit, peut-il aussi y avoir un élément de type bâton qui empêcherait la participation des troupes s'il n'y a pas un nombre minimum de femmes?

  (1615)  

[Traduction]

    Je vous enverrai le mémoire dans lequel se trouve la liste des moyens permettant éventuellement d'encourager les pays qui fournissent un contingent à accroître le nombre de gardiennes de la paix. Ils ont, comme vous, opté pour des mesures incitatives et le renforcement positif. D'après ce mémoire, l'attribution d'une prime pour chaque femme affectée à un contingent ne coûterait pas tellement cher, même en augmentant sensiblement la contribution financière aux pays qui fournissent un contingent. La dépense ne serait pas excessive.
    Mais sans doute faudrait-il également prévoir des sanctions. Parmi les pays qui fournissent un contingent, nombreux sont ceux qui sont contents de le faire, et ils ne voudraient pas, par conséquent, en perdre l'occasion. En ce qui concerne l'exploitation et les sévices sexuels, on a enfin accepté de prévoir des sanctions. Et puis, le secrétaire général a déclaré que les pays dont les soldats ont commis des abus ou des crimes contre la population locale ne pourront plus fournir de contingents, tant qu'ils n'auront pas adopté un plan d'action pour prévenir ce problème, et manifesté la volonté de poursuivre les responsables.
    Je précise que l'ONU avait depuis de nombreuses années peur d'imposer de telles sanctions par crainte de tarir la source des contingents dont l'organisation avait si désespérément besoin. On craignait en effet que les pays cessent de contribuer aux déploiements de casques bleus. Après la déclaration du secrétaire général, à la fin de l'année dernière, on a été surpris de constater que certains pays épinglés pour les abus commis par leurs soldats ont contacté le Département des opérations de maintien de la paix et demandé quelles seraient, au juste, les mesures qu'ils pourraient prendre pour régler le problème. Ils avaient hâte de régler ça.
    Il nous faudrait faire preuve de plus d'imagination au niveau des sanctions, ou des réprimandes et je crois que cela ne découragera pas les pays qui fournissent des contingents militaires. Il se pourrait même qu'ils réagissent avec empressement.
    Je dois dire, très brièvement, que je suis en accord avec tout ce que la professeure Goetz vient de dire, sauf qu'il conviendrait, d'après moi, de distinguer entre les sanctions pour exploitation sexuelle et les sanctions prévues pour divers autres abus, dont l'imposition ne risquerait pas de tarir la source de casques bleus. En ce qui concerne par contre les sanctions auxquelles s'exposeraient les pays dont les contingents ne comprennent pas un nombre suffisant de femmes, c'est beaucoup plus délicat, car dans la situation actuelle le marché est favorable aux vendeurs.
    Cette tendance va probablement s'accentuer dans la mesure où les missions de la paix vont s'amplifier. Autrement dit, si les gardiens de la paix sont de plus en plus chargés d'interventions musclées, il sera plus difficile de sanctionner ceux qui ne fournissent pas un contingent composé comme nous le souhaiterions.
    Mais, en ce qui concerne l'exploitation sexuelle et les diverses sources d'abus, il est clair que la communauté internationale devrait agir plus énergiquement pour faire adopter des sanctions.
    J'ajoute qu'on dispose d'une certaine marge de manoeuvre au plan des mesures d'incitation à l'intention des pays dont les contingents atteindraient une proportion de 20 % à 30 % de femmes. Il y a, au Népal, au Sri Lanka et dans bon nombre de pays africains, de nombreuses femmes qui militent au sein de mouvements armés qui ne relèvent pas de l'État. Elles ont la formation militaire voulue, pourraient très bien être formées aux missions de maintien de la paix, et souhaiteraient même en avoir l'occasion.
    Nous nous sommes entretenus avec des femmes comme celles-là. Elles ont pris part à des ateliers et divers autres programmes. Elles feraient d'excellentes gardiennes de la paix si tant est qu'on les encourage. On pourrait prendre de modestes mesures d'incitation, et augmenter leur solde, par exemple. Il nous faut nous fixer des objectifs en ce domaine, car depuis 10 ans l'ONU affirme qu'on ne peut pas dépasser pour les femmes une participation de 2 %. Or, nous savons fort bien que si l'on ne manie pas à la fois le bâton et la carotte, les 10 prochaines années ne verront pas de progrès.

  (1620)  

    J'ose espérer que la prochaine secrétaire générale se penchera sur ce dossier.
    J'en suis certaine.
    Je vous remercie.
    Monsieur Levitt, vous avez la parole.
    Bonjour. Je vous remercie de vous être libérés pour prendre la parole devant nous cet après-midi.
    Madame Goets, la question que je vais vous poser découle de la lecture d'un article qui nous a été transmis. Il évoque le problème plus général de la responsabilisation et de la volonté politique. Un passage a particulièrement retenu mon attention:
    Malgré la création en 2011 d'ONU Femmes, organisme qui se consacre à l'égalité homme-femme et à la démarginalisation des femmes, ni l'un ni l'autre de ces deux objectifs n'apparaît comme priorité aux yeux des départements les plus puissants du secrétariat de l'ONU: le Département des affaires politiques (DAP) et le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP)... ces départements où les hommes règnent sans partage et ne sont pas convaincus que la démarginalisation des femmes est essentielle à leurs missions.
    On apprend par ailleurs qu'ils ne souscrivent qu'en paroles à l'idée de consacrer 15 % de leur financement aux mesures d'égalité homme-femme et de démarginalisation des femmes.
    Comment faire progresser ce dossier? Pour les témoins que vous avez auditionnés le mois passé, cette question constitue une véritable pierre d'achoppement, et si l'on veut progresser il va falloir faire preuve de volonté politique. Selon le dernier intervenant, l'élection d'une femme secrétaire générale permettrait peut-être de débloquer la situation, mais d'après moi les choses ne sont pas aussi simples et les changements adoptés ne permettront pas de faire suffisamment avancer les choses. Comment faire puisque, dans certaines organisations, l'opposition à cette idée se situe au sommet même de la hiérarchie.
    Je vous remercie. La question mérite d'être posée.
    Cette citation provient peut-être d'un article que nous avons écrit ensemble. C'est certainement un argument que nous avons fait valoir dans des articles écrits en collaboration.
    Le fait que les dirigeants des départements chargés de l'action politique et des opérations militaires refusent de prendre la question au sérieux constitue un formidable obstacle. La situation est compliquée et remonte à de nombreuses années. Que peut faire un pays pour remédier à cette situation?
    Je m'en remets à vous pour la réponse, car le Canada peut faire jouer son influence aux Nations unies. Le Canada est un pays important, qui a beaucoup d'argent et dont l'opinion compte. C'est, sur le plan international, un ardent défenseur des droits de l'homme, ou du moins devrait l'être. Il faudrait multiplier les efforts en ce sens lors de discussions bilatérales ou d'entretiens avec les dirigeants du DAP ou du DOMP et on pourrait, selon moi, leur faire comprendre qu'il faut que ça change.
    Permettez-moi de vous citer un petit exemple. Il y a quelques années le MAECI avait accordé un financement à ONU Femmes et au DAP en vue d'augmenter le nombre de femmes figurant sur la liste des médiateurs. C'est une étape importante, mais à l'exception de Mary Robinson, les missions de médiation sont toujours confiées à des hommes et nous n'avons pas eu l'occasion de jeter un oeil sur la liste de présélection des candidats. Nous ne savons pas si cette liste tient suffisamment compte d'autres possibilités.
    Vous avez peut-être eu l'occasion de lire la série d'articles publiés dans Peace Operations Review, revue du Centre on International Cooperation, sur le nombre de femmes récemment nommées, à l'ONU, à des postes de sous-secrétaire général ou de secrétaire générale adjoint. On apprend qu'en 2015, dans 93 % des cas, le poste de sous-secrétaire général a été attribué à un homme.
    C'est que le processus de sélection est administré par les deux principaux départements. Ils exercent une énorme influence. La liste de présélection est censée être composée pour moitié de femmes, mais nous ne savons pas si c'est effectivement le cas, car ces renseignements ne sont pas rendus publics.
    Vous allez penser que j'élude la question, que je vous la renvoie, mais ne pourrait-on pas, dans le cadre de discussions bilatérales, les pousser à agir? Le secrétaire général est le chef de l'ONU, une organisation intergouvernementale. Le secrétariat est censé être à ses ordres.
    Je reviendrai à cette question dans quelques instants.
    Nous avons dit que nous avons choisi de participer plus pleinement à l'action de l'ONU et que nous entendons profiter de cela pour demander les réformes les plus nécessaires. Peut-être allons-nous devoir élever un peu le ton pour mieux nous faire entendre, notamment sur la reconnaissance d'un rôle plus actif des femmes, l'égalité entre les femmes et les hommes et le respect des objectifs de financement.

  (1625)  

    Sanam a déjà travaillé dans un service relevant du DAP et j'espère ne pas la placer dans l'embarras en lui demandant de nous exposer la situation vue de l'intérieur.
    Autour d'un verre, je vous dirais ce qu'il en est.
    Plusieurs choses se passent actuellement. Mon organisation a, l'année dernière, mené, pour le compte du programme des Nations unies pour le développement, une étude sur la nomination à des postes de conseiller en matière de paix et de développement. Il s'agit de postes de catégorie P5, c'est-à-dire de postes tout de même assez élevés dans la hiérarchie. Ces personnes sont envoyées dans les zones de conflit par décision conjointe du PNUD et du DAP. Elles sont chargées d'étudier les moyens de consolider la paix. Au cours des 10 dernières années on n'a jamais pu, en ce qui concerne la participation des femmes, dépasser le seuil des 23 %.
    Nous sommes allées jusqu'à examiner les renseignements fournis par les candidats, la manière dont le poste avait été annoncé. Or nous avons constaté que le filtrage a lieu à l'étape intermédiaire entre l'établissement de la liste de tous les candidats possibles et les candidats qui restent en lice après présélection. On a appris que, en matière de paix et de développement, le candidat idéal à un poste de conseiller est une sorte d'homme à tout faire, aux cheveux gris et au visage grave. Nous sommes nombreuses à avoir les cheveux gris, mais nous n'en faisons pas nécessairement étalage. L'homme à tout faire, le visage grave, une personnalité à l'aise à l'heure du whisky que l'on prend avec ses confrères sont quelques-unes des descriptions qui nous viennent de l'intérieur même du système. Or, il s'agit essentiellement là de caractéristiques masculines.
    Nous avons constaté, en outre, qu'en moyenne environ 40 conseillers en paix et développement sont nommés chaque année. Dans la moitié des cas, il s'agit d'un renouvellement de contrat et parfois aucune nouvelle nomination n'intervient. Cela veut dire que si vous voulez atteindre la parité hommes-femmes il n'y aurait qu'à trouver, dans le monde, 10 femmes à qui ces fonctions pourraient être confiées. Cela vous paraît-il impossible? Il suffirait d'opter pour l'action positive.
    Nous avons trouvé intéressante la réaction de nos collègues. Certains ont dit « Eh bien oui, nous sommes entièrement d'accord ». Mais d'autres estiment que l'objectif devrait être reporté à 2020. Je vous dis franchement que 2020 me paraît un horizon très lointain. On tergiverse et la source du problème est le manque de volonté politique au sommet de la hiérarchie.
    Je voudrais ajouter qu'en matière de paix et de sécurité on trouverait, au sein de la société civile, toutes les connaissances voulues, sans distinction entre les hommes et les femmes. Il faudrait donc instaurer une passerelle entre la société civile et le système onusien. Ceux d'entre nous qui travaillons depuis 20 ans dans ce domaine, au sein de la société civile, avons 20 années d'expérience. Mais, si le poste qui est affiché exige 20 années d'expérience au sein de l'ONU, ou une carrière de 20 ans au sein d'une fonction publique nationale, on ne recrutera pas les candidats les plus qualifiés. C'est une honte et un gaspillage de ressources.
    Merci, monsieur Levitt.
    Arrêtons-nous là. Nous aurons une autre occasion de discuter de cela avec l'un de nos témoins. Je tiens à remercier la professeure Goetz et le professeur Jenkins de leur participation à cette importante discussion.
    Je m'intéresse, monsieur le professeur, au droit au travail. Avez-vous, sur ce sujet, d'autres documents à nous remettre? C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup.
    Très volontiers.
    C'est un sujet qui m'a toujours intéressé. On parle souvent d'aide au développement, mais on n'évoque pas assez la question du droit au travail et de la dignité associée à l'exercice d'un métier. L'égalité en droit des hommes et des femmes pose la question du travail des femmes. Je vous saurais gré à tous les deux de nous faire parvenir d'autres renseignements à ce sujet. Le Comité ne manquera pas de lire les documents que vous voudrez bien nous remettre. La question mérite d'être étudiée plus à fond.
    Chers collègues, je vous remercie. Nous allons maintenant nous entretenir avec un autre témoin, qui se trouve, celle-ci au Nebraska. Nous n'avons guère, ces derniers temps, accueilli de personnes du Nebraska et j'envisage cet entretien avec plaisir. Et puis nous allons également accueillir un autre témoin. Nous allons nous organiser et reprendre dans quelques instants.

  (1625)  


  (1635)  

    Nous reprenons donc nos travaux.
    Nous accueillons Dalal Abdallah, défenseur yézidi des droits de la personne, ainsi que Gulie Khalaf, représentante de l'organisation Yezidis Human Rights.
    Nous avons en outre le plaisir d'accueillir Sanam Naraghi-Anderlini, cofondatrice et directrice générale de l'International Civil Society Action Network.
    Les présentations ayant été faites, nous allons, si vous le voulez bien, procéder dans l'ordre des présentations.
    Madame Abdallah, vous avez la parole.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole devant vous.
    Je m'appelle Dalal Abdallah et je représente la communauté yézidie de London, en Ontario.
    Si j'ai la chance de comparaître devant vous, c'est qu'à une certaine époque, pendant la guerre du Golfe, j'ai pu m'enfuir. Mes parents ont été contraints, sans guère avoir le temps d'y réfléchir, de partir pour la Syrie, laissant derrière eux, en Irak, mes cinq frères et soeurs. En Syrie, j'ai habité huit ans dans des camps pour personnes déplacées, jusqu'au moment où le gouvernement canadien a parrainé notre arrivée ici. J'étais enfant, mais tout de même consciente de la douleur et des difficultés qui m'entouraient. Je tournais mon regard vers le ciel, priant les belles étoiles de m'envoyer au paradis. Eh bien, le paradis que j'ai trouvé, c'est le Canada.
    Je n'oublierai jamais le mois d'août 2014. Des milliers de Yézidis ont été dépossédés de leur foyer et de leur culture. Certains ont assisté à des massacres, certains ont été enlevés, vendus et violés de multiples fois par des membres de Daesh. Je me souviens du jour où, au Canada, j'ai reçu un appel de mon frère en Irak. J'ai décroché le téléphone et tout ce que je pouvais entendre à l'autre bout de la ligne c'est quelqu'un qui pleurait et qui pouvait à peine parler. Il me dit, Dalal, ils nous massacrent tous. Ils se sont emparés des enfants, ils se sont emparés des filles et il y a des enfants qui sont en train d'être massacrés. J'ai tout perdu. Il faut que tu nous aides.
    C'était un des jours les plus durs de ma vie. J'étais sans voix. J'ai entendu tellement de récits horribles sur le sort des filles yézidies qui ont échappé au Daesh. Il y a, par exemple, Nadia Murad, forcée d'assister à l'assassinat des hommes et garçons de sa famille. Elle a elle-même été enlevée, vendue et violée à de multiples reprises.
    Certaines des filles qui se sont échappées de Daesh se sont retrouvées à errer, sans domicile, dans les rues du Kurdistan. Certaines ont pu retrouver des membres de leur famille, mais pour d'autres, il ne reste plus personne. Songez à ce que peuvent ressentir les parents d'une de ces victimes, l'impuissance qu'ils éprouvent en sachant qu'ils ne peuvent rien faire pour la secourir. De nombreuses filles qui sont parvenues à échapper au Daesh ont tenté de se suicider.
    Sans traitement adapté, elles sont condamnées à une souffrance sans fin. Il faut que l'on offre en urgence une aide humanitaire aux femmes et aux filles yézidies qu'on a pu secourir. Il nous faut constituer un fonds d'urgence permettant de leur procurer la nourriture, les vêtements et les soins médicaux dont elles ont besoin, mais aussi de traiter leurs traumatismes physiques et psychologiques. Il faut en outre donner aux femmes et aux jeunes l'occasion de faire des études, mais aussi leur fournir les outils pédagogiques qui sont le complément nécessaire de la thérapie pour le traitement des traumatismes. Et puis il y a d'énormes besoins en matière de formation pour que ces femmes puissent devenir autonomes. Il faut par ailleurs leur donner accès, dans les hôpitaux, aux médecins spécialisés, surtout à celles qui ont subi des sévices, physiques, sexuels et psychologiques.
    Nous ne pouvons pas en tant que Canadiens, refuser notre aide aux plus vulnérables. Nous ne pouvons pas ne pas entendre les cris et les appels au secours. Je souhaite que le Canada ouvre ses portes aux Yézidis, et en particulier aux filles qui ont tant souffert aux mains du Daesh. Je voudrais que tous ici les considèrent comme leurs propres enfants. Que feriez-vous s'il s'agissait de votre fille, de votre frère ou de votre soeur?
    L'organisation One Free World International avait transmis une proposition au gouvernement précédent. Elle l'a remise à nouveau au gouvernement actuel. J'en ai ici des copies que je souhaiterais vous distribuer. Nous devons agir sans tarder. Il reste au Kurdistan des milliers de Yézidis, de chrétiens et d'autres minorités qui ne reçoivent presque aucune aide humanitaire. Or, le Canada doit veiller à ce que dans cette zone de guerre, l'aide parvienne effectivement à ceux qui en ont le plus besoin.
    Outre ses crimes contre l'humanité, Daesh a détruit de nombreux lieux saints des Yézidis. Contrairement à son attitude envers d'autres groupes ethniques irakiens, le Daesh n'a laissé à ces prisonniers yézidis qu'un seul choix: se convertir à l'Islam ou mourir.
    D'après les renseignements qu'on a pu recueillir, il semble bien que dans le district de Sinjar un génocide a été commis contre le peuple yézidi. Nous n'avons pas tous les détails car, dans la région de Sinjar, la situation reste très fluide et les charniers se trouvent dans des zones contrôlées par le Daesh. J'invite le Canada à reconnaître le caractère génocidaire de la campagne menée par le Daesh contre le peuple yézidi.
    Permettez-moi de préciser ce qu'il convient d'entendre par « génocide ». Un « génocide » c'est « la destruction méthodique d'un groupe important de personnes, et en particulier de personnes appartenant à un groupe ethnique précis ». Cette définition s'applique je dirais à ce qu'ont a fait aux Yézidis.

  (1640)  

    Je suis restée la petite fille qui priait à la lueur des étoiles, qui était sans espoir et sans avenir, et qui attendait que le Canada lui permette de s'installer dans ce si beau pays. Il y a actuellement des milliers de petites filles qui attendent que le Canada les appelle et leur offre les chances d'une vie meilleure. Que feriez-vous si c'était votre propre petite fille? Resteriez-vous là sans rien faire? Nous ne pouvons pas, en tant que Canadiens, tourner le dos aux Yézidis. Le Canada est notre unique espoir et le pays doit agir sans plus tarder.
    Je vous remercie.
    Merci.
    Nous passons maintenant la parole à Gulie Khalaf, représentante de l'organisation Yezidis Human Rights.
    Estimable président et membres du Comité, c'est pour moi un grand honneur que d'être invitée à prendre la parole devant vous pour évoquer le sort des Yézidis. Je vous remercie de m'en fournir l'occasion.
    L'année dernière, je me suis rendue dans les camps de réfugiés yézidis en Irak et j'ai pu constater les conditions déplorables dans lesquelles ils vivent.
    Je précise d'emblée que la population de l'Irak est à 94 % musulmane. Les Yézidis constituent une fraction des 6 % qui ne sont pas musulmans.
    Les Yézidis sont un peuple originaire d'Irak et, plus généralement, du Moyen-Orient. C'est à la fois une religion et une ethnie anciennes. Certains, dont les Kurdes, les considèrent comme faisant partie de l'ethnie kurde, alors que d'autres les considèrent comme des Arabes.
    La question de leur identité a donné lieu à des conflits et les autorités kurdes les ont soumis à des pressions politiques et économiques et, parfois, à des menaces de mort. J'ajoute que certains musulmans prennent les Yézidis pour des infidèles et des suppôts de satan.
    La communauté a, aux mains des combattants islamistes, fait l'objet d'innombrables attaques. Ils ont été au long des 1 400 ans de leur histoire, victimes de 73 génocides. On a calculé que ces dernières années la population yézidie d'Irak est passée d'environ 700 000 en 2005, à 500 000 aujourd'hui. La population continue à baisser et les Yézidis, peuple pacifique, ont subi, aux mains du Daesh, leur 74e génocide. C'est arrivé le 3 août 2014. Les forces kurdes avaient promis de défendre les villages yézidis, mais le 2 août, ces forces ont commencé à se retirer de nos villages, sans les avertir et sans leur procurer le moindre moyen de défense.
    C'est alors que Daesh s'en est pris avec une terrible brutalité aux Yézidis. Ils en ont massacré 3 000 et pris, comme butin de guerre, des femmes et des enfants qu'ils ont vendus comme esclaves sexuels. Les Yézidis n'ont été secourus ni par les forces irakiennes ni par les forces kurdes et c'est ainsi qu'ont été perpétrés contre les femmes, les crimes les plus ignobles. L'esclavage, qui avait été éliminé, a été à nouveau instauré par le Daesh qui viole et torture les femmes et les réduit en esclavage. Ils n'hésitent d'ailleurs pas à le dire sur les réseaux sociaux et dans certaines revues spécialisées. Parmi ces 6 000 victimes, il y en a de nombreuses qui restent captives aux mains du Daesh. Elles sont réduites en esclavage, vendues comme esclave sexuelle, forcées d'épouser des soldats du Daesh, se font violer et, après les viols, sont abandonnées alors que se répand à terre le sang de leurs blessures. Certaines se sont suicidées pour éviter de nouveaux sévices.
    C'est le cas de Jaylan, une jeune femme de 19 ans qui s'est pendue pour éviter de nouveaux viols collectifs. Et puis il y a aussi cette femme qui s'est défigurée par le feu pour que le Daesh ne la trouve plus assez belle pour continuer à la violer. Certaines ont prié les forces de la coalition de faire pleuvoir les bombes sur elles pour mettre fin à leur martyre.
    La vie d'une Yézidie au XXIe siècle est marquée par l'horreur. Je peux vous citer, encore, le cas de Baigi Naif Tareeq, une grand-mère de 75 ans qui, avec ses petits-enfants, a réussi à fuir le Daesh. Elle s'est noyée pourtant, elle et ses petits-enfants, en risquant la traversée d'une mer agitée.
    Les anciennes esclaves sexuelles qui sont parvenues à s'échapper sont actuellement, avec plus de 400 000 Yézidis, éparpillées à travers les territoires kurdes, où elles vivent, dans des conditions lamentables, dans des camps pour personnes déplacées. Elles se trouvent au Kurdistan dans des camps où elles manquent de nourriture et d'eau, et sans accès à l'éducation. Dix mille Yézidis habitent dans des camps syriens et environ 20 000 en Turquie, tous dans de mêmes conditions.

  (1645)  

    Au nom de l'organisation Yezidis Human Rights, et de mon peuple, je vous demande d'accorder votre soutien aux Yézidis et, en priorité, d'accueillir les femmes les plus exposées, celles qui ont survécu à des viols, et de les faire venir, elles et leurs familles, au Canada afin qu'elles puissent échapper à la hantise de leurs bourreaux qui, eux, continuent à circuler librement en Irak.
    Les réfugiés yézidis qui se trouvent actuellement dans des camps turcs craignent pour leur avenir à cause du nombre croissant d'islamistes, et des conflits qui risquent d'éclater en Turquie. Ils ont besoin de votre aide. Je vous supplie de les laisser venir au Canada.
    Ceux qui se trouvent encore, en Irak, dans les territoires kurdes, ont désespérément besoin de notre aide. Ils ne bénéficient d'aucune protection, ni de la part des Irakiens, ni de la part des Kurdes. Il leur arrive d'être maltraités, battus, sans oser se plaindre, car ils craignent les représailles. Deux ans après le génocide de 2014, les Yézidis d'Irak continuent à vivre dans la peur.
    Pour surmonter cette peur, certaines femmes yézidies ont pris les armes pour se protéger elles-mêmes contre le Daesh. Sous le commandement de Haider Shesho, des hommes et des femmes yézidis ont formé de petits groupes d'autodéfense pour éviter le massacre de leurs familles. Ils sont partisans de l'appel lancé par l'ONU qui souhaite voir augmenter le nombre de femmes affectées à des contingents de gardiens de la paix. Ils espèrent que le secrétaire général des Nations unies surveillera de près la situation et que la présence sur place de spécialistes en genre, permettra de produire des rapports détaillés permettant d'agir en temps utile.
    Nous vous demandons en outre de venir en aide aux Yézidis sur le terrain, en leur assurant une formation militaire et en fournissant les équipements militaires dont ont désespérément besoin les hommes et les femmes du peuple yézidi pour défendre leurs familles contre le Daesh. On pourrait soit les faire venir au Canada et leur donner ici une formation militaire poussée, ou bien le gouvernement canadien pourrait assurer cette formation sur place en Irak.
    Nous sommes un peuple pacifique dont les racines sont au Moyen-Orient. Or, alors que notre religion appelle de ses voeux le bien-être de tous les êtres humains, on est en train de nous exterminer.
    De tradition, le Canada a toujours donné son aide. Je vous demande, à vous et à vos services, de venir en aide aux Yézidis. Je vous en supplie afin que le 74e génocide des Yézidis soit enfin le dernier.
    Je vous remercie.

  (1650)  

    Je vous remercie.
    Nous passons maintenant la parole à Mme Sanam Naraghi-Anderlini, cofondatrice et directrice générale du International Civil Society Action Network.
    Merci monsieur le président.
    Je tiens d'abord à saluer le courage dont font preuve mes collègues, et à les remercier de leur engagement en faveur de cette cause. Il faut bien constater que, face à cette situation extraordinaire, le monde ne parvient pas à prendre les mesures qui s'imposent. Sans doute est-ce en partie dû à l'insuffisante efficacité de notre action.
    Vous avez invité de nombreux témoins à s'exprimer sur ce problème, sur ses causes profondes et sur ce qu'il conviendrait de faire. Je voudrais pour ma part revenir, dans le cadre de cette étude sur les femmes, la paix et la sécurité, à l'idée de paix, car on a trop tendance à n'y voir qu'une question d'égalité homme-femme. Il est clair que c'est un aspect important de la question, mais l'essentiel est l'affirmation du droit des femmes de décider de ce qu'il faut entendre par paix et sécurité dans le pays où elles se trouvent et dans le contexte précis qui est le leur afin qu'elles puissent exercer sur la situation une influence transformatrice.
    Force est de constater, hélas, et cela est particulièrement vrai des États-Unis, qu'en mettant essentiellement l'accent sur l'égalité homme-femme, le débat dévie vers l'égalité des droits et des occasions de participer en toute égalité à ce qui se passe sur le champ de bataille. Du point de vue de l'égalité homme-femme, ça se comprend, car si nous souhaitons avoir les mêmes droits, il nous faut effectivement avoir les mêmes droits et responsabilités de faire partie d'une armée, de combattre, de subir des mutilations et de tuer, comme les hommes. Mais ce n'est d'après moi pas de cela qu'il s'agit. En effet, il s'agit plutôt de permettre aux femmes qui se trouvent dans de telles situations de les faire évoluer et de réorienter nos efforts vers la paix et la sécurité de la personne. C'est cette conception de la paix que je voudrais voir le Canada défendre, étant donné l'importance du rôle qu'il a joué dans les années 1990 lorsqu'il s'est agi de définir les objectifs en matière de sécurité des êtres humains.
    Je voudrais donc recentrer le débat sur les moyens de contrer la violence des extrémistes et sur le point d'intersection entre ce sujet-là et la condition de la femme. J'imagine que Nahla Valji et d'autres témoins encore ont évoqué la question, mais je souhaiterais porter à votre attention les résultats de travaux que nous menons actuellement.
    ICSAN est à la tête d'une alliance qui a pris pour nom la Women's Alliance for Security Leadership. Sa mission est de contrer ou de prévenir l'extrémisme en défendant les droits, la paix et le pluralisme.
    On a rassemblé des femmes provenant de diverses régions où sévit l'extrémisme, et on a sollicité leur avis sur la question, et sur d'autres solutions. Il ne s'agit pas, en effet, uniquement de contrer la violence, mais de proposer une réelle alternative aux jeunes hommes et aux jeunes femmes qui rejoignent les rangs des extrémistes. C'est un aspect de la question qui doit retenir notre attention, car on est passé de la lutte contre le terrorisme, à la lutte contre les violences extrémistes et, de là, à la prévention des violences extrémistes, toujours sans savoir quoi proposer en échange.
    Or, lorsqu'on réunit des femmes issues de la société civile, et que le processus de paix est engagé sur des bases populaires, on obtient des analyses beaucoup plus profondes et beaucoup plus nuancées qui rejoignent les idées qui vous ont été exposées par les intervenants précédents.
    La sécurité n'est pas seule en cause. Qu'entend-on, par exemple, par un comportement policier correct? Comment ancrer l'activité policière dans la communauté afin que les policiers ne contribuent pas par leurs comportements à la radicalisation de la jeunesse, et ne soient pas, eux-mêmes, une source de violence contre les femmes?
    Il peut s'agir, par exemple, de programmes scolaires, dans les pays directement touchés par l'extrémisme, mais aussi dans les pays occidentaux, et des réelles difficultés d'élaborer des programmes qui rendent compte de la diversité et du pluralisme de nos sociétés. Qu'enseigne-t-on aux enfants? Au Pakistan, et dans d'autres pays, nos partenaires nous disent que les programmes scolaires sont assez fortement marqués par l'intolérance, et ne traduisent pas du tout la réalité des minorités ethniques, raciales et religieuses, et encore moins la diversité au plan du genre et des questions que soulève le débat sur l'égalité des femmes.
    Il y a aussi à tout cela une dimension économique. Il ne suffit pas d'affirmer qu'on va créer des emplois. Les politiques économiques qui ont érodé et amputé les programmes de bien-être social sont, dans de nombreux pays, une des causes de la radicalisation. Ce sont les femmes proches de la situation qui l'ont constaté. Avec les moyens dont elles disposent, elles tentent de réagir et de proposer d'autres modes d'action aux jeunes susceptibles de se laisser tenter par les extrémistes qui leur offrent un peu d'argent, un téléphone portable, un petit ordinateur, et la promesse d'un certain prestige.

  (1655)  

    Lorsqu'on réunit des femmes issues de la société civile, la nature du débat évolue, tant du point de vue conceptuel que du point de vue analytique. La conversation est réorientée dans un sens plus pratique et l'on passe à des questions qui revêtent une importance essentielle, mais qui ne sont guère abordées au plan international. J'insiste donc sur l'importance de ce qu'elles ont à vous dire.
    Leur présence est une nécessité politique absolue, et je souhaite souligner l'importance que revêtirait un partenariat entre les parlementaires et la société civile, et du lien qu'il y a entre les femmes, la paix et la sécurité et les mesures à prendre pour prévenir la violence des extrémistes. Nous avons beaucoup en commun, mais il y a actuellement un très grand écart entre le point de vue des législateurs et le point de vue de la société civile, notamment sur la question du financement. Une des difficultés qu'éprouve actuellement notre secteur, et plus généralement le secteur de la construction de la paix, est que, d'un côté, on parle de prévention des conflits et de construction de la paix, que ce soit au plan de l'ONU, des objectifs relatifs au développement social ou des résolutions sur le rôle des femmes dans la lutte contre l'extrémisme, mais que les crédits se sont évanouis et que l'on ne peut pas assurer le financement nécessaire.
     De telles sommes sont consacrées à l'aide humanitaire, que l'aide au développement en pâtit. On ne touche pourtant pas aux budgets de la sécurité. J'ai évoqué ce problème au sein d'assemblées très diverses. Imaginez ce que l'on pourrait faire si l'on écrémait un peu les budgets de la sécurité pour consacrer l'argent au développement. Si l'on prélevait 180 millions de dollars, ou 1 milliard de dollars sur le budget de la sécurité et qu'on consacrait l'argent au développement et la consolidation de la paix. Cela ferait une énorme différence. On va pourtant continuer, en 2016, à consacrer à la sécurité 1,3 trillion de dollars. Il va nous falloir repenser tout cela et il est donc essentiel que les législateurs en discutent avec la société civile et prennent enfin conscience de l'importance du travail actuellement effectué par ce secteur.
    Je ne veux pas abuser de votre temps, mais je voudrais, pour terminer, aborder une question de la plus haute importance. À l'heure actuelle, les organisations issues de la société civile à l'oeuvre dans les divers pays du Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie, et dans tous les pays où nous sommes nous-mêmes engagées, travaillent dans un domaine que les divers gouvernements surveillent de très près. Sous prétexte de lutte contre la violence des extrémistes, des organisations de la société civile se retrouvent dans le collimateur des autorités. C'est ainsi que des professeurs d'université ont été emprisonnés pour avoir signé des pétitions en faveur de la paix. En Turquie, les ONG ont été forcées de cesser toute activité. En Égypte, les militants font l'objet de menaces de la part à la fois des extrémistes et des autorités qui leur reprochent de prendre parti et de s'exprimer sur certains sujets.
    Or, il s'agit d'un secteur qui doit être soutenu, car s'il disparaît, si l'on ne dispose plus d'un espace de modération où un dialogue constructif peut être noué avec les gouvernements, ou des critiques constructives peuvent être exprimées, la dissidence entrera dans la clandestinité et gonflera les rangs des groupes radicalisés. Les extrémistes s'en saisiront alors.
    La société civile est quelque chose de bon en soi, mais, dans le cadre de ce débat sur le droit de vote, la paix, le pluralisme, tout ce qui peut avoir un rapport avec l'extrémisme, est d'une importance vitale. Nous souhaiterions que le Canada accorde à ces organisations le soutien financier et technique dont elles ont besoin, et l'appui politique leur permettant de prendre la parole au sein des divers organes de décision, sans négliger la logistique leur permettant de se rendre dans ces diverses enceintes.
    Permettez-moi de vous citer à cet égard un ou deux exemples. On ne voit pas très bien pourquoi on ne pourrait pas organiser une rencontre internationale sur tel ou tel point du programme relatif à la paix et à la sécurité, en marge du sommet humanitaire qui doit se réunir la semaine prochaine ou du débat sur l'extrémisme qui doit avoir lieu en juin à l'ONU, et annoncer, d'abord, que 50 % des participants devront être des femmes et puis, aussi, qu'un tiers des participants devront être issus de la société civile. Dans de telles rencontres, un tiers des intervenants devraient appartenir à l'ONU, un tiers aux divers gouvernements et un tiers à la société civile. Nous avons besoin des uns et des autres. Chacun a quelque chose de différent à contribuer et chacun doit faire un apport positif à la cause de la paix. Si nous voulons réussir à régler ces graves problèmes, nous allons devoir tous nous réunir autour d'une table et façonner ensemble notre avenir. Pour le moment, cependant, chacun agit de son côté.
    Il est essentiel de s'engager dans ce sens et de suivre cet exemple. Actuellement, le Canada est partout présenté comme un modèle du genre. La phrase « parce que nous sommes en 2015 » a fait florès. Mais nous sommes, maintenant, en 2016. Pourquoi la participation des femmes n'a-t-elle pas augmenté? Il y aurait lieu, me semble-t-il, de poser la question plus fort et plus souvent.
    Et puis il y a la question du soutien logistique, les visas par exemple. Nous collaborons, sur le terrain, avec des femmes qui risquent leur vie pour contrer la radicalisation et pour oeuvrer au sein de communautés où elles ne sont pas en sécurité et où rien n'est fait pour les protéger. Il faudrait qu'elles aient l'occasion de prendre la parole lors de réunions internationales, aussi bien à New York qu'à Ottawa ou à Londres. Leurs demandes de visa devraient, en outre, être accueillies avec respect.

  (1700)  

    Je suis citoyenne britannique et je dois dire que j'ai honte parfois lorsque je vois la documentation qu'on exige de mes partenaires lorsqu'elles demandent un visa pour se rendre à une réunion où elles vont rencontrer, au Royaume-Uni, des représentants du gouvernement britannique. Elles représentent pourtant des organisations au travail desquelles le gouvernement britannique contribue financièrement. On leur demande de prouver qu'elles ont 5 000 $ sur un compte bancaire, de montrer le titre de propriété de leur maison. On les soupçonne de vouloir en fait quitter leur pays et demander asile. Or, ce n'est pas le cas; ce sont nos partenaires les plus engagées.
    La communauté internationale devrait leur accorder le plus grand respect et leur fournir l'occasion de prendre la parole dans les réunions internationales afin que l'on puisse entendre directement ce qu'elles ont à nous dire. Vous n'auriez alors pas besoin de m'écouter moi, car elles pourraient s'adresser à vous directement.
    Voilà ce que je souhaitais vous proposer: une collaboration entre le Parlement et la société civile, avec le soutien de l'ONU. Je crois d'ailleurs que les membres du NPD en ont déjà parlé. Un financement de base pour les ONG, qu'elles soient nationales ou internationales — nous avons nous-mêmes les moyens de dispenser les fonds directement aux acteurs sur le terrain. Nous pouvons en cela agir de manière efficace et soutenir l'action de ces groupes sur place, aux avant-postes. Et puis, il nous faudrait aussi pouvoir les entendre en direct, les accueillir aux réunions comme des partenaires qui traitent avec nous d'égal à égal puisque nous travaillons, tous ensemble, pour contrer l'extrémisme et promouvoir la paix et le pluralisme.
    Je vous remercie.
    Merci, madame Naraghi-Anderlini.
    Il nous reste environ une demi-heure pour les questions. Je passe la parole à M. Genuis.
    Merci, monsieur le président.
    Nous venons de recueillir des témoignages émouvants et je tiens à remercier tous nos témoins et en particulier les militants de la cause des Yézidis qui nous ont décrit la situation sur le terrain. Je salue votre courage et vos efforts.
    Ce que vous nous avez raconté me rappelle ce qu'a vécu ma grand-mère qui, il y a 75 ans, en tant que petite-fille juive en Allemagne nazie, a vécu quelque chose de très semblable. Elle a dû fuir pour échapper à un danger mortel. Elle a été témoin de cruautés extrêmes, et des membres de sa famille ont été massacrés simplement à cause de leur origine.
    Nous assistons régulièrement, au Parlement, à la commémoration des génocides qui ont été perpétrés. Nous honorons les victimes et déclarons « Plus jamais ça ». Qu'il s'agisse de ce qui s'est passé au Rwanda, en Allemagne ou dans d'autres pays européens, de ce qui se passe actuellement en Turquie et qui choque le peuple arménien, nous nous souvenons du passé et, malgré tout, le Parlement canadien n'a toujours pas reconnu le génocide qui frappe le peuple yézidi.
    Nous devrions avoir honte en voyant que l'administration américaine, le Congrès des États-Unis, le Parlement européen, le Parlement britannique, ont tous reconnu que votre peuple, le peuple yézidi est actuellement victime d'un génocide. À quoi bon commémorer les génocides perpétrés dans le passé si nous n'osons même pas employer le mot pour décrire la situation actuelle?
    J'ai sur moi la définition de ce qu'est un génocide. Ce n'est pas la définition qui a été évoquée plus tôt. Il existe en effet des définitions différentes, mais celle-ci est tirée de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, la convention sur le génocide. Voici la définition qui est inscrite dans ce texte:
[...] l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel:
(a) meurtre de membres du groupe;
(b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
(c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
(d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
(e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
    Chacun de ces actes commis dans l'intention de détruire le groupe constitue un génocide. Or, les divers groupes qui luttent pour le respect des droits de la personne ont démontré, preuves à l'appui, que le Daesh a commis contre le peuple yézidi tous ces actes à la fois. Ceux qui s'opposent à l'emploi du mot génocide font valoir que ce terme a un sens technique et qu'il conviendrait de procéder à une étude plus approfondie de la situation. On peut, selon eux, dénoncer ces actes de barbarie, mais on ne devrait pas les qualifier de « génocide », car ce mot a une acception juridique bien précise.
    J'estime pour ma part que les circonstances en cause répondent tout à fait au sens technique du mot, que les recherches voulues ont déjà été effectuées, que les efforts nécessaires l'ont démontré, mais je ne pense pas en fait qu'il s'agisse d'un terme technique; c'est un mot qui doit nous pousser à agir. En refusant de prononcer ce mot, on réduit l'élan mobilisateur. Nous ne devons pas nous fermer les yeux et prendre un autre mot pour décrire ce qui se passe.
    Puis-je demander aux militants de la cause des Yézidis venus prendre la parole devant le Comité de nous expliquer précisément pourquoi il serait important que le Canada, le Parlement canadien, accepte de prononcer le mot « génocide ». Que signifierait notre emploi de ce mot?

  (1705)  

    Cela voudrait dire [Note de la rédaction: difficultés techniques] que nous reconnaissons que tout cela a effectivement lieu. À partir du moment où nous reconnaissons cela, nous pouvons passer à l'étape suivante et tenter de voir ce que l'on pourrait faire pour éviter que cela ne se reproduise, et trouver les moyens de protéger et de réhabiliter les Yézidis et mettre fin aux ravages.
    Il s'agit d'un peuple installé depuis toujours en Irak; le peuple yézidi est à 90 % condamné à l'errance et à la souffrance. Nous ne parvenons même pas à discuter des moyens de leur venir en aide, car nous en sommes toujours à nous demander s'il s'agit effectivement d'un génocide. Les Yézidis ne pourront même pas rentrer un jour chez eux, car 90 % de leurs foyers ont été détruits et cela est vrai même dans les régions où le Daesh n'occupe plus le terrain. Les sites religieux des Yézidis ont été détruits. Leurs tombes ont été saccagées, le Daesh entendant anéantir le peuple tout entier.
    La reconnaissance de ce qui s'est passé nous permettait peut-être de commencer à parler de ce que nous pourrions faire. Il s'est passé quelque chose d'atroce et il nous faut maintenant étudier les moyens de voler au secours des victimes de Daesh.
    Une des premières choses que nous pourrions faire pour les Yézidis serait d'en faire sortir un maximum des lieux du massacre, afin qu'ils puissent enfin récupérer un peu. On enregistre chaque jour de nouveaux suicides. Le peuple est sans défense depuis deux ans.
    Je vous remercie.
    Nous passons maintenant la parole à Mme Abdallah.
    Ainsi que vous venez de le dire, il n'a été épargné aux Yézidis aucun des cinq types d'exaction, dont chacun est, selon la définition retenue par la Convention, constitutif d'un génocide.
    Je vous parle au nom de ces jeunes filles et de ces femmes, car à une certaine époque j'étais moi-même une de ces jeunes filles sans espoir et sans avenir. Le Canada m'a accueillie dans ce beau pays où j'ai décidé d'agir au mieux de mes capacités et c'est ce que j'essaie de faire devant vous aujourd'hui. Je veux parler au nom de ces filles réduites au silence.
    Le Canada ne doit pas être le dernier pays à reconnaître qu'il y a effectivement eu un génocide. Nous ne sommes jamais les derniers à nous émouvoir de ce qui se passe dans le monde et j'ai pu constater que le Canada est parmi les premiers à voler au secours de ceux qui ont besoin d'aide. Pourquoi, donc, ne courons-nous pas à la défense des Yézidis? Pourquoi?
    Je voudrais, si vous me le permettez, finir ma première série de questions en citant William Wilberforce qui a dit « Vous pouvez choisir de détourner le regard, mais vous ne pourrez jamais plus dire que vous ne saviez pas ».
    Merci, Garnett.
    Nous passons maintenant la parole à M. Miller.
    Je tiens à vous remercier toutes les trois de votre témoignage et je salue votre courage.
    Madame Abdallah, je vous remercie d'être venue témoigner. Je vous remercie aussi de croire en notre pays. Je pense traduire le sentiment du Comité en vous remerciant de ce que vous contribuez à notre vie nationale. C'est par le genre d'actions que vous menez que notre pays peut espérer progresser.
    Votre témoignage nous a beaucoup émus.
    Merci. Je suis fière d'être Canadienne et dans aucun autre pays je ne me serais sentie autant chez moi.
    Il ne fait aucun doute que Daesh a appliqué une politique génocidaire, abjecte et sanguinaire et qu'il nous faut y mettre un terme.
    Ma question s'adresse à toutes les trois. Que la première qui souhaite y répondre prenne la parole.
    Notre pays en fait-il assez? J'estime que le Canada a accru sensiblement ce qu'il apporte à la région, et élargi le rôle qu'il y joue. Mais est-ce suffisant? Que fait le reste de la communauté internationale? Que devrait-elle faire de plus pour protéger les Yézidis?
    Ce n'est pas nécessairement une erreur, mais nous avons un peu tendance à mêler solutions à long terme et solutions à court terme. Or, il est clair qu'en l'occurrence, il y a urgence. Je voudrais insister sur l'urgence de la situation. Il est clair qu'il serait bon, à terme, que les femmes en arrivent à constituer 50 % des forces armées. J'ai prôné un tel résultat auprès d'un des principaux généraux de l'armée canadienne, mais aujourd'hui je voudrais surtout insister sur l'urgence de la situation.

  (1710)  

    Non, nous n'en faisons pas assez, d'abord parce que nous n'avons pas reconnu qu'il s'agit bien d'un génocide. De plus, nous n'avons pas cherché à savoir à qui parvient précisément l'aide accordée par le Canada. Qui en est au juste le destinataire? Atteint-il ceux qui en ont le plus besoin? Mes frères et soeurs qui sont restés en Irak éprouvent de grandes difficultés. Nous n'en faisons pas assez et nous devons sans tarder renforcer notre action. On ne peut pas se contenter d'affirmer que cela n'arrivera jamais plus. Pour que cela soit vrai, il nous faut agir sans plus attendre.
    Des centaines de filles sont actuellement aux mains de Daesh. Qui sait ce qu'ils leur font. Il nous faut immédiatement prendre les mesures qui s'imposent. Il faut sortir ces filles de leurs griffes. Il nous faut les accueillir ici.
    Nous avons accueilli environ 25 000 réfugiés. Je ne pense pas qu'il y avait parmi eux des minorités vulnérables telles que ces filles yézidies. Pourquoi hésitons-nous à donner suite à cette idée? Ne pourrait-on pas accueillir 500 filles dans ce beau pays, et leur offrir la chance d'une vie meilleure? Nous avons accueilli 25 000 personnes, ne pourrions-nous pas en accueillir 500 de plus?
    Je vous remercie.
    Madame Naraghi-Anderlini.
    Ce qui me choque, c'est que les institutions internationales, les médias, l'ONU.... Tout le monde parle de la victimisation des filles et des femmes yézidies, mais en fin de compte, on ne fait vraiment pas grand-chose pour les aider.
    Outre ce que ma collègue disait au sujet du refuge que nous pourrions accorder à ces nombreuses victimes, le Canada pourrait, sur le plan pratique, sur le terrain, réunir, en Irak, des femmes provenant de tous les pays de la région pour parler entre elles de ce qu'elles ont vécu en Égypte, en Iran ou ailleurs. De très belles initiatives ont été lancées dans la région, des initiatives qui tiennent compte des particularités culturelles et qui pourraient être adaptées au contexte irakien. Quel soutien accorder aux victimes de violences sexuelles? Quelle aide leur apporter au sein même de leurs communautés? Quelle sorte d'appui psychosocial pourrait-on leur offrir? Quels sont les mécanismes déjà en place, ceux auxquels on pourrait recourir dans l'immédiat, mais également les efforts engagés à plus long terme? Voilà un peu le genre de choses que l'on pourrait faire.
    Nous pourrions réunir, en Irak, ces experts et spécialistes, et dégager les crédits nécessaires pour permettre aux populations exposées d'échapper à l'horreur. Elles ont traversé une épreuve terrifiante, et maintenant il leur faut reprendre autant que possible leur existence. Il nous faut, sur place, leur assurer un soutien psychosocial et des soins médicaux, avec, bien sûr, l'aide économique que cela suppose, à tout le moins pour celles qui ont pu s'échapper et avec qui nous avons pu entrer en contact. Or cela, nous ne le faisons pas encore. Ça ne coûterait pourtant pas si cher. Il nous faut concentrer sur elles nos efforts.
    J'ai parlé de cela à mes collègues aux Nations unies. On parle d'envoyer en mission des conseillers pour l'égalité des sexes. Ce serait bien. Ça répond effectivement à un besoin, car il faut parvenir à documenter ce qui est arrivé. Mais cet effort de documentation ne répond pas aux besoins directs des victimes et, chaque jour, elles sont à nouveau lésées par notre passivité et par les arguments techniques qu'on avance pour ne pas parler de « génocide ».
    Il y a beaucoup de choses que nous devrions faire et c'est très volontiers que nous échangerions avec vous des idées sur tout cela.
    Je vous remercie.
    Je passe maintenant la parole à Mme Laverdière.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
     Madame Khalaf ainsi que madame Abdallah, je vous remercie de vos témoignages très touchants et très émouvants. Je vous félicite de votre travail. Je reprends les paroles de mon collègue Marc Miller pour dire que vous contribuez à faire du Canada un pays meilleur.
    Je vais parler un peu de manière partisane. Il est essentiel d'accueillir des réfugiés au Canada. C'est très important. L'aide humanitaire est également essentielle. On ne peut pas fermer les yeux devant les catastrophes. Vous avez tous mentionné, chacun à votre façon, que la reconstruction était également très importante.

  (1715)  

[Traduction]

    J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce que vous avez dit au sujet d'une réunion de femmes provenant des divers pays de la région pour qu'elles discutent entre elles de ce qu'elles ont vécu. J'ai assisté à de telles réunions et elles m'ont paru utiles.
    J'aurais une question à poser à Mme Naraghi-Anderlini.
    D'après certains — et sentez-vous parfaitement libre de me dire ce que vous en pensez — il serait grand temps d'engager en Irak, entre les diverses communautés, un processus de réconciliation. Si cela se faisait, j'imagine que les femmes seraient appelées à y participer pleinement.
    Je vais vous poser une question très directe. Est-ce possible, ou s'agit-il d'un rêve illusoire?
    Je vais, sur ce point, m'en remettre à mes collègues irakiennes, car il faut qu'elles prennent part à cette discussion.
    Je peux, cependant, vous dire quelque chose de l'action que les femmes mènent actuellement sur place, dans le cadre du Iraqi Women Network, par exemple. Pour ces militantes des droits de la femme en Irak, les différences ethniques, religieuses et géographiques ne les empêchent pas de travailler en commun. Elles collaborent depuis longtemps déjà. Si nous voulons parvenir à une sorte de réconciliation, à une vision de progrès pour l'Irak, les femmes vont devoir participer pleinement à ce processus, car elles ont continué à travailler ensemble malgré leurs différences. Elles ont été les premières à nous mettre en garde contre le sectarisme dont, après l'occupation, les Américains ont fait un pilier de la nouvelle constitution. Ce sont elles qui se sont attachées à prévenir une telle évolution et à essayer de renforcer, dans leurs sociétés, le pluralisme et la cohésion sociale. Or, ce sont celles qu'on a le moins soutenues.
    Je ne veux pas prédire si elles y parviendront un jour, mais nous en connaissons qui travaillent avec acharnement pour tenter d'infléchir l'avenir dans ce sens. N'hésitez pas à les convier au dialogue et à écouter ce qu'elles ont à dire.
    Cela vaut également pour les Syriennes. Au cours des quatre dernières années, nos partenaires syriens nous disent « Pourquoi les autres pays encouragent-ils les tueries au lieu de favoriser le dialogue? » Songez un peu à l'argent et aux autres ressources que les divers gouvernements consacrent aux armes et à la destruction au lieu de favoriser le dialogue.
    C'est ainsi que je répondrais à votre question.
    C'est une réponse affirmative.
    Madame Abdallah, madame Khalaf, selon vous, est-il actuellement possible d'engager un processus de réconciliation en Irak?
    Bien sûr, quand j'étais petite fille ce n'était qu'un rêve, mais j'ai, par mon action, tenté de faire évoluer la situation. Et nous voici, invitées à prendre la parole devant vous. Les rêves peuvent se réaliser. La cause n'est jamais perdue d'avance.
    Nous, Canadiens, sommes naturellement portés à aider les autres. Or, nous pouvons aider à faire évoluer la situation. Il suffit de s'en donner la peine. Rien n'est facile, mais si nous faisons les efforts nécessaires, nous obtiendrons des résultats surprenants.
    Les Yézidis sont d'accord sur le rôle que les femmes doivent jouer dans les efforts de relèvement qui ont suivi le massacre. C'est pour cela que, sous la direction de Haider Shasho, un des principaux commandants yézidis, 300 Yézidies ont rejoint les rangs des militaires et suivent actuellement un entraînement qui va leur permettre de les aider à protéger la population. Un autre bataillon yézidi a intégré au moins 200 femmes en cours d'entraînement.
    Mais les Yézidis ont besoin de l'aide du Canada, et de la communauté internationale en général. Ils constituent une minorité — parfois on dit que ce sont des Kurdes, d'autrefois des Arabes — originaire d'une région contestée. Dans le passé, le Kurdistan et l'Irak ne se sont guère intéressés aux territoires peuplés par les Yézidis, leur réservant un traitement discriminatoire. Or, les Yézidis se sont rendu compte qu'il leur faut, pour progresser, maîtriser leur destin. Il leur faut un territoire bénéficiant de la protection de la communauté internationale mais, pour assurer leur avenir, ils doivent pouvoir eux-mêmes se protéger.
    C'est pour cela que les Yézidis, hommes et femmes, ont entrepris une formation militaire. Ils ont besoin de notre aide et il nous faut leur procurer les armes dont ils ont besoin et la formation militaire nécessaire.

  (1720)  

    Je vous remercie.
    Monsieur Fragiskatos.
    Merci, monsieur le président.
    Mes questions s'adressent à nos témoins dans leur ensemble.
    Pour ce qui est des sanctions et des conséquences qu'elles entraînent pour les femmes, en 2012, Sanam, j'ai lu un rapport très intéressant sur l'Iran et sur les conséquences que les sanctions ont eues sur ce pays. Pourriez-vous nous en dire quelque chose et, surtout, évoquer les incidences que cela a pu avoir sur les femmes?
    Je demanderais en outre à Dalal et à Gulie de nous en dire davantage sur l'aide humanitaire apportée aux Yézidis, aux sortes d'aide humanitaire dont auraient, selon vous, besoin les communautés yézidies d'Irak?
    Vous avez, Gulie, souligné très clairement l'importance d'assurer une formation aux forces locales. Depuis l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, la politique étrangère du Canada accorde à cela une plus grande importance. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et nous dire si vous êtes vous-même favorable à cette nouvelle?
    Ce sont là trois questions qui vous ont été posées. Pourrions-nous commencer par la première, au sujet des sanctions?
    J'espère que le rapport que vous avez lu était le nôtre, Killing Them Softly. Je pourrais vous en remettre une copie. Je ne sais pas si d'autres rapports ont été rédigés, mais nous avons été les premières à publier un rapport sur les incidences qu'ont eues les sanctions. Je précise que je suis d'origine iranienne. J'ai vécu en Grande-Bretagne et aux États-Unis et nous avons pu notamment constater que de telles sanctions ont, pour la population civile, des conséquences extraordinaires. C'est toujours le cas, aussi bien en Syrie, qu'à Gaza, suite à l'embargo, et bien sûr en Irak pendant les longues années où le pays a vécu sous un régime de sanctions. Je voudrais à cet égard vous fournir quelques détails.
    Lorsque des sanctions sont imposées à un pays, l'État et les organismes proches du pouvoir semblent s'en sortir indemnes. C'est essentiellement ce qui s'est produit en Iran, depuis 1994 lorsque des sanctions ont été imposées aux exportations de pétrole et de gaz, puis encore en 2000 et en 2010. C'est essentiellement le secteur privé qui en a souffert. Des entreprises ont dû fermer, des gens ont perdu leur emploi et tout un pan de l'activité nationale a été repris par des entités liées au gouvernement, les Gardiens de la révolution entre autres. On aboutit à la destruction des classes moyennes et du secteur indépendant. Deuxièmement, la perte d'un emploi entraîne souvent le dénuement, et les femmes qui jouaient jusque-là un rôle au sein de la société civile, dans les mouvements sociaux, doivent cesser leurs activités bénévoles, étant contraintes par l'inflation à se trouver un emploi. On constate, au sein de la société civile, un rétrécissement de la place occupée jusqu'alors par l'action sociale.
    En ce qui concerne l'Irak, nous avons également constaté que petit à petit la pauvreté s'installe — les pauvres sont en effet les plus touchés, et les familles, incitées par les pratiques culturelles, donnent leurs filles en mariage dans l'espoir qu'elles seront protégées, mais aussi pour réduire le nombre de personnes à nourrir. On a vu cela en Irak, en Syrie, et dans tous les pays frappés par des sanctions.
    Nos partenaires irakiennes ont, en Irak, documenté des milliers de cas de filles qui ont été données en mariage dans une cérémonie traditionnelle sans remplir de formalités, ce qui était à l'époque interdit par la loi. Les mullahs et les imams locaux les mariaient à des hommes beaucoup plus âgés. On n'accomplit pas les formalités et, par conséquent, les enfants nés de ces mariages n'ont aucune existence officielle. Après un certain temps, le mari quitte ces jeunes filles, et il existe en Irak des milliers de garçons et de filles qui en fait n'ont pas d'existence légale. Je précise que sans certificat de baptême on ne peut pas être admis à l'école. Sans existence officielle, ces jeunes hommes et jeunes filles deviennent en quelque sorte des citoyens invisibles. Ce sont les premiers à être recrutés par des groupes terroristes, ou à être victimes de trafiquants. Ce sont eux les plus vulnérables. Or tout cela découle des sanctions imposées, les gens les plus vulnérables étant toujours les plus touchés.
    En Iran, nous avons constaté que les militants des droits de la personne, les militants des droits de la femme, tous les acteurs de l'action sociale qui se montraient critiques à l'égard du gouvernement, ont également critiqué l'imposition de sanctions. Si nous voulons venir en aide aux populations locales, il nous faut les écouter. On se trompe si l'on pense que les sanctions vont créer une situation telle que la population se révoltera contre l'État. Ceux qui avaient soutenu cet argument dans le cas de l'Iran n'avaient rien compris à la situation, au sentiment de la population, à son état d'esprit.

  (1725)  

    Je suis désolé d'avoir à vous interrompre, mais est-ce à dire que vous voyez d'un bon oeil la nouvelle approche du Canada à l'égard de l'Iran.
    Oui, tout à fait. Il faut reprendre le dialogue. En outre, cette reprise des relations donne aux entreprises qui vont aller s'y installer l'occasion de faire avancer les choses au plan de l'égalité des salaires, et la création de services de garderie pour les femmes au travail. Une entreprise qui emploie des femmes doit, bien sûr, assurer, par exemple, qu'elles ont accès à des moyens de transport. Il s'agit essentiellement d'adopter des pratiques favorisant l'égalité des chances. La population iranienne est éduquée, les femmes iraniennes ont un excellent niveau d'éducation. Elles comptent pour plus de 60 % de la population estudiantine. On ne voit pas pourquoi elles n'occuperaient pas, au sein de la population active, la place qui leur revient. Les entreprises qui vont s'y installer, ou qui prennent contact avec des entreprises iraniennes, pourraient favoriser l'adoption de nouvelles pratiques en ce domaine.
    J'aurais ici une question au sujet de l'aide humanitaire. Cette question a été évoquée lorsqu'on a discuté des difficultés éprouvées par les communautés yézidies d'Irak.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce point, et nous expliquer le genre d'aide humanitaire qu'il vous faudrait, et dire s'il serait, selon vous, utile qu'en matière de politique étrangère le Canada mette, dans le Nord de l'Irak, l'accent sur les efforts de formation.
    Je me suis rendue en Irak en novembre 2014, et après m'être rendue dans divers camps, j'ai pu effectuer des comparaisons.
    Mais avant de vous dire ce que j'ai vu, je tiens à rappeler que, comme Dalal, j'étais moi-même une réfugiée. Après la guerre du Golfe, j'ai vécu dans des camps en Syrie et je sais un peu comment ça se passe.
    Mais, ce que j'ai vu en Irak m'a fait pleurer. Aucune commune mesure avec les conditions dans le camp où j'avais vécu. Il m'a été insupportable de voir ces gens travailler et vivre dans les deux camps que j'ai eu l'occasion de visiter. Une famille entière vivait dans deux petites tentes. Le frère et la soeur, l'un âgé de 14 ans et l'autre de 27, étaient installés sur deux matelas tout minces. Ils gelaient la nuit, et en été étouffaient de chaleur. Mais je ne pouvais rien pour eux.
    J'ai photographié leur nourriture et c'est très volontiers que je vous remettrais les photos que j'ai prises. Par mois, cette famille de 14 personnes avait droit à un sac de riz, un sac de farine et un sac de sucre.
    Je me suis rendue dans un autre camp. Les gens y étaient installés depuis trois mois, mais n'avaient pas encore reçu de provisions.
    On m'a dit qu'en raison de la corruption l'aide humanitaire n'atteint généralement pas ceux qui en ont le plus besoin. Il nous faudrait donc obliger les responsables à rendre compte de leur action en instaurant un système qui permettrait de contrôler l'acheminement de l'aide humanitaire.
    Je travaille dans une organisation à but non lucratif et nous sommes en contact permanent avec la population de l'Irak. Nous demandons aux gens de quoi ils ont le plus besoin. Il y a, bien sûr, les denrées de base, mais il faudrait également qu'ils aient accès à des soins médicaux. En raison de leurs conditions d'existence, et de la chaleur qu'il fait en été, ils éprouvent des problèmes médicaux dont il faudrait les aider à se remettre.
    Il y a, en outre, des régions éloignées telles que le mont Sinjar. À cause de la discrimination, et parce qu'elles ne souhaitent pas collaborer avec certains partis politiques, les forces locales font que les organisations à but non lucratif ont du mal à intervenir dans la région et à procurer à la population l'aide dont elle a besoin.
    Si les Yézidis avaient, ces deux dernières années, vécu dans des conditions à peu près correctes, ils ne risqueraient pas leur vie par milliers à traverser la mer pour se rendre en Europe. Ceux qui le font ont une chance sur deux de périr. Je ne peux pas vous citer de chiffre précis, mais ne serait-ce que cette année, il y a eu de nombreux noyés parmi ceux qui ont tenté de se rendre en Europe où, espéraient-ils, une vie meilleure les attendait.

  (1730)  

    Voilà qui marque la fin, pour aujourd'hui, du dialogue avec nos trois témoins.
    Je crois savoir, Dalal, que vous avez un mémoire à nous remettre.
    En effet.
    Le voici. Je vous remercie. Je voudrais que chacun en reçoive un exemplaire.
    Je tiens à vous remercier au nom des membres du Comité. Ce que nous avons entendu ici contribue notablement au débat sur la question. Vous savez sans doute que le Parlement a eu l'occasion de débattre à plusieurs reprises de notre action en Irak et de la question de savoir si cette action est adaptée à la situation. Un volet important de ce débat concerne l'aide humanitaire. On voudrait savoir si elle parvient à ceux qui en ont le plus besoin. Sommes-nous en mesure d'assurer une formation militaire, ou d'intervenir sur le terrain avec nos propres soldats. Autant de sujets importants que nous avons évoqués avec vous et je vous en remercie.
    Comme toujours, le temps nous est compté et s'il y a d'autres questions que vous souhaitez porter à notre attention, n'hésitez pas. Je vous demanderais de nous les faire parvenir par écrit.
    Au nom du Comité, je vous remercie toutes les trois d'avoir répondu à notre invitation. Ce qui s'est dit ici est du plus grand intérêt.
    Merci.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous allons, chers collègues, maintenant passer à autre chose. Nous allons avant cela faire une pause de cinq minutes, car je vois que M. Miller change de place. Il était censé présenter une motion.
    J'ai demandé à Elizabeth May de nous faire un petit exposé au sujet d'une motion que nous allons devoir étudier. Je vais d'abord demander à Marc de nous lire le texte de la motion. Nous demanderons après cela à Mme May de nous présenter son exposé, après quoi nous débattrons de la question avant de la mettre aux voix.
    Marc, vous avez la parole. Nous entamerons après cela notre discussion, Mme May ayant l'occasion de présenter son exposé.
    Merci, monsieur le président.
    Voulez-vous que j'en donne lecture?
    Oui. Faites-en la lecture aux fins du compte rendu.

  (1735)  

[Français]

     Bonjour à tous.
    Je vous présente la motion qui suit:
Que, relativement aux ordres de renvoi reçus de la Chambre et se rapportant à des projets de loi,
(a) le greffier du Comité, lorsque celui-ci reçoit un tel ordre de renvoi, écrive à chaque député qui n’est pas membre d’un caucus représenté au Comité pour l’inviter à soumettre au greffier du comité dans les deux langues officielles, les amendements proposés au projet de loi qui fait l’objet dudit ordre de renvoi qu’il propose que le Comité étudie;
(b) les amendements déposés, conformément à l’alinéa a), au moins 48 heures avant le début de l’étude article par article du projet de loi auquel ces amendements sont proposés soient réputés être proposés au cours de ladite étude à condition que le Comité puisse, en présentant une motion, modifier cette échéance à l’égard d’un projet de loi;
(c) au cours de l’étude article par article d’un projet de loi, le président permette à un député qui a présenté ses amendements conformément à l’alinéa a) de faire de brèves observations pour les appuyer.

[Traduction]

    Merci, Marc.
    Chers collègues, on vient de vous lire la motion. J'aurais besoin du consentement unanime du Comité pour permettre à notre collègue de nous présenter quelques observations. Je vous recommande de vous prononcer en ce sens. Je demanderais ensuite que vous consentiez à ce que Mme May nous fasse un exposé sur la question.
    Sommes-nous d'accord?
    Elizabeth, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Certains d'entre vous vont peut-être se demander à quoi répond cette motion. Au cas où vous supposeriez qu'il s'agit d'améliorer l'accès et d'élargir les droits des députés qui ont moins de 12 membres à la Chambre, je tiens à vous rassurer, car ce n'est pas l'objet de la motion. Il s'agit, en effet, de retirer des droits que les règles de la procédure parlementaire, telles qu'établies par O'Brien et Bosc, reconnaissent aux députés indépendants ou aux membres d'un petit parti. Tant que vous n'aurez pas adopté cette motion, je serais en droit, à l'étape du rapport, de proposer des amendements de fond, ce qui donne à la Chambre dans son ensemble l'occasion d'examiner un amendement proposé par un député d'un petit parti.
    Les membres de partis qui réunissent moins de 12 députés ne sont pas admis à siéger au sein d'un comité, en vertu d'une finasserie parlementaire — inventée par la majorité lors de la législature précédente, afin de me priver, moi particulièrement, du droit de proposer des amendements à l'étape du rapport. Cette motion me permet, mais en apparence seulement, de proposer des amendements car, aux termes mêmes de la motion, je ne peux présenter qu'un bref exposé. Je ne peux pas proposer de motion, je ne peux pas participer au vote. Ce que l'adoption de cette motion m'interdira précisément de faire, c'est de proposer, à l'étape du rapport, un amendement de fond à un projet de loi émanant du comité. Étant donné qu'il est demandé à tous les comités d'adopter une motion en ce sens, je vais être privée de toute possibilité de proposer à l'étape du rapport une motion indépendante ou des amendements de fond à un projet de loi.
    J'ai bien dû m'en accommoder depuis l'adoption de cette règle au cours de la législature précédente, à l'automne 2013. Cela entraîne, pour moi personnellement, de réelles difficultés. Il est en effet impossible de participer en même temps à deux séances consacrées à un examen article par article. Il m'est arrivé, au cours de la dernière législature, de rédiger des amendements et de me rendre à toute vitesse devant un comité, mais de m'apercevoir, en arrivant, ayant assisté à un même examen devant un autre comité, que le comité avait terminé son examen article par article. Je n'ai pas en effet le don d'ubiquité.
    Je sais qu'on vous a demandé de vous prononcer en faveur de cette motion, mais je voudrais voir si l'on accorde ou non du poids aux lettres de mandat envoyées au leader du gouvernement à la Chambre. D'après ces lettres, les autres partis doivent être respectés, les membres de l'opposition parlementaire doivent être respectés, et l'on doit, dans un esprit de générosité, permettre aux membres des comités de voter librement et de ne pas avoir à suivre les consignes des dirigeants de leur parti.
    Voilà ce qui est en cause en l'occurrence, et je vous serais extrêmement reconnaissant de ne pas adopter la motion.

  (1740)  

    Merci.
    Chers collègues, y en a-t-il parmi vous qui auraient des questions à poser à Mme May?
    Garnett.
    Il s'agit davantage d'une observation que d'une question.
    Vous êtes en droit de présenter des observations au sujet de la motion.
    Je ne vais pas formuler de questions, mais j'aimerais recueillir l'avis de Mme May sur ce point.
    Si j'ai bien compris, selon les règles actuelles, les membres des partis reconnus ne peuvent pas, à l'étape du rapport, proposer des amendements de fond, car on s'attend à ce qu'ils le fassent dans le cadre de leur participation aux travaux du comité. En fait, les règles actuelles donnent aux membres de petits partis, de partis qui ne sont pas reconnus, et aux députés indépendants, la possibilité de proposer des amendements à toute étape de la procédure, ce que ne peuvent pas faire les membres d'un parti reconnu.
    Il est clair que vous ne pouvez pas être dans deux endroits à la fois, mais moi non plus. À supposer que je veuille proposer, devant deux comités différents, des amendements de fond sur lesquels les autres membres de mon parti peuvent ne pas être d'accord, dans l'état actuel des règles, je ne peux moi non plus le faire. Il me semblerait logique soit de donner à tout le monde le droit de proposer des amendements de fond à l'étape du rapport, soit de prévoir que de tels amendements ne peuvent être proposés qu'en comité. N'adoptons pas sur ce point des règles différentes.... Le fait que j'appartienne à un parti représenté au sein de tous les comités ne veut pas nécessairement dire que je suis d'accord avec ce qui se fait dans les autres comités. Je pourrais, moi aussi, vouloir proposer des amendements à l'étape du rapport, mais je ne le peux pas.
    Quel est votre avis sur ce point?
    Garnett, vous avez parfaitement raison. Si l'on remonte dans l'histoire du Parlement, depuis 1867, et jusqu'au début des années 2000, les députés avaient la plupart du temps le droit de proposer, à l'étape du rapport, des amendements de fond même s'ils paraissaient néfastes.
    En 1999, le Parti réformiste, s'opposant à l'entente avec les Nisga'as, a proposé plus de 700 amendements. Vous vous souvenez peut-être de cela. Ils étaient présentés sous la forme d'un amendement de fond, car ils ne proposaient pas seulement la suppression d'un article, mais présentaient, la plupart du temps, des arguments futiles et vexatoires. On proposait l'ajout d'un point virgule, ou de remplacer un mot. Cela servait surtout à faire traîner en longueur le rapport à la Chambre.
    La majorité libérale a entrepris, à l'époque, de modifier les règles. C'est effectivement ce qu'ils ont fait. Mais ils n'ont pas poussé l'adoption de cette motion dans tous les comités, ce qui aurait été, d'après moi, agir subrepticement pour priver les députés de certains de leurs droits. Dans le passé, le parti majoritaire a effectivement modifié les règles applicables, faisant valoir que le Parti réformiste avait eu, au sein des comités, la possibilité de proposer les amendements qu'il souhaitait apporter à l'entente avec les Nisga'as, mais qu'il avait exercé cette possibilité de manière abusive. La question aurait pu être réglée autrement et on aurait pu, par exemple, faire valoir qu'il ne s'agissait pas d'un amendement de fond dans la mesure où l'on ne modifiait guère la teneur du texte.
    Mais, les grands partis ont opté pour une autre solution. Si l'on vous avait permis de proposer, à titre individuel, des changements au nom de votre parti, cela aurait déjà eu quelque chose d'offensant puisqu'en théorie nous sommes tous égaux ici et que la Constitution, et notre démocratie parlementaire issue du système britannique, n'exigent pas que nous effacions notre individualité derrière notre appartenance à un parti. C'est en fait parce que les partis exercent un pouvoir démesuré.
    Ils ont donc décidé que dans la mesure où un député a, par l'intermédiaire de son parti, la possibilité de proposer des amendements en comité, il n'a pas droit à un deuxième essai et ne peut donc pas proposer à nouveau des amendements à l'étape du rapport à la Chambre. Cela veut essentiellement dire que les membres des petits partis, tels que le Parti vert, ou le Bloc, ou des députés indépendants, voire des membres du NPD qui à une certaine époque ne comptait que neuf députés... Ces députés, qui ne pouvaient pas siéger à un comité en tant que membres permanents, se voyaient reconnaître le droit — droit qu'ils conservent actuellement en vertu des règles applicables — de proposer des amendements à l'étape du rapport à la Chambre.
    Cette motion a été, comme je le disais tout à l'heure, concoctée lors de la dernière législature afin d'empêcher les députés des petits partis de proposer des amendements à l'étape du rapport.
    Je suis entièrement d'accord avec vous. On voit mal pourquoi dans la pratique législative de la Chambre, on priverait un député du droit de proposer des amendements à l'étape du rapport. Cela a été fait cependant, en modifiant les règles applicables, mais sans apporter de changement aux règles de la procédure parlementaire, ou au Règlement de la Chambre. Il s'agit donc, en l'occurrence, sous prétexte que les comités sont maîtres de leur procédure, pour le bureau du premier ministre ou le leader du gouvernement à la Chambre, d'imposer un changement qui aura pour effet de priver de leurs droits les députés des petits partis.

  (1745)  

    Je vous remercie.
    Hélène, auriez-vous quelque chose à ajouter à cela?
    Oui, une observation rapide. Je comprends fort bien le problème que peut parfois nous poser le dépôt d'une liste interminable d'amendements. Je suis d'accord avec Mme May qu'il y a tout un fatras de règles. Si nous souhaitons les modifier, nous devrions nous pencher sur la question autrement que lors d'une séance du comité. Je ne peux pas voter pour cette motion. Je vous remercie.
    Garnett, puis-je vous demander d'être bref, car je crois que certains d'entre vous vont devoir se rendre à un autre comité. Je pense peut-être devoir moi-même m'y rendre, mais poursuivez, je vous en prie.
    J'allais simplement dire qu'il serait peut-être bon d'envisager d'autres moyens d'éviter les amendements néfastes. Mais, même si nous n'adoptons pas cette motion, un parti non reconnu pourrait de cette manière paralyser notre fonctionnement en proposant des centaines d'amendements.
    Le changement introduit à l'époque par le gouvernement libéral précédent n'a pas entièrement réglé le problème et il se peut même qu'il en ait créé de nouveaux. La motion proposée a tout de même le mérite d'introduire une certaine cohérence au niveau des règles applicables aux membres des partis reconnus.
    Nous sommes à court de temps.
    Elizabeth, je vous remercie de votre exposé.
    J'étais ministre responsable de l'entente avec les Nisga'as à l'époque où le Parti réformiste a proposé un tel nombre d'amendements qu'il nous a fallu deux jours pour achever nos travaux. Le gouvernement a souhaité introduire des changements, car il savait très bien que ce n'est pas comme cela que l'on peut gouverner.
    Je pense que le débat sur la question va se poursuivre.
    La motion a été proposée, et je souhaiterais la mettre aux voix. Procédons à un vote à main levée.
    (La motion est adoptée.)
    Le président: Je vous remercie.
    Chers collègues, nous nous reverrons donc jeudi, alors que les ministres comparaîtront devant le Comité. Je souhaite à tous une excellente soirée.
    La séance est levée.
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