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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 015 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 19 mai 2016

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Nous allons maintenant commencer nos audiences.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude sur les pays ciblés par le gouvernement du Canada pour recevoir l'aide bilatérale au développement.
    Je tiens à signaler à nos collègues que le ministère a diffusé ceci hier. Il s'agit d'un document de discussion relatif à l'examen de l'aide internationale. Si vous n'avez pas eu l'occasion de l'examiner, je vous recommande d'y jeter un coup d'œil, puisqu'il s'agit du début de l'examen du gouvernement qui, bien sûr, s'inscrira dans l'optique de nos discussions.
    Cet après-midi, pour la prochaine heure, nous entendrons la Banque canadienne de grains, le Conseil canadien pour la coopération internationale et Oxfam Canada.
    J'aimerais commencer par l'exposé de Jim Cornelius. Nous passerons ensuite à celui de Fraser, puis à Kelly et à ses collègues.
    Veuillez commencer, Jim.
    Je vous remercie de m'offrir l'occasion de comparaître devant ce comité et d'échanger nos perspectives sur l'efficacité de la prestation de l'aide canadienne au développement.
    Je commencerai par une brève introduction. La Banque canadienne de grains est un partenariat de 30 organismes religieux canadiens qui unissent leurs efforts pour enrayer la famine dans le monde. Nous sommes profondément enracinés dans l'agriculture canadienne et les communautés rurales. Nous sommes le principal partenaire canadien du gouvernement fédéral dans sa prestation d'aide alimentaire en contexte de crise et d'insécurité alimentaire aiguë.
    Nous travaillons également avec des communautés et des ménages qui connaissent la famine chronique et appuyons leurs efforts envers le développement de moyens de subsistance plus productifs et plus résilients. L'an dernier, nous avons fourni de l'aide à plus d'un million de personnes dans non moins de 35 pays.
    J'ai grandi à Kisii, au Kenya. J'ai passé le plus clair de ma vie et de ma carrière à travailler à des enjeux liés au développement. Les progrès considérables dont j'ai été témoin au cours de ces années sont très encourageants. Quand je retourne dans la région rurale de Kisii, je constate les énormes progrès qui ont été accomplis depuis mon enfance là-bas.
    Je constate que ces mêmes progrès ont été réalisés dans de nombreuses parties du monde. À l'échelle mondiale, le taux d'extrême pauvreté est passé de 35 % au début des années 1990 à moins de 10 % en 2016. Ces années représentent une période très brève dans l'histoire de l'humanité. On peut voir ces progrès se refléter de façon notable dans de nombreux autres indicateurs sociaux. Je suis convaincu que l'aide au développement a été déterminante pour les progrès réalisés. Ce n'est assurément pas le seul facteur contributif, mais il ne fait aucun doute que les investissements et les contributions de l'aide au développement y sont pour beaucoup.
    Récemment, j'ai assisté aux funérailles d'une dame qui s'appelait June Deacon, une enseignante canadienne qui a consacré la plus grande partie de sa vie active à l'éducation des jeunes filles de la région de Kisii. J'ai rencontré beaucoup de jeunes filles qui ont eu la chance d'être ses élèves et qui par la suite ont apporté une contribution substantielle au développement du Kenya.
    En même temps que nous nous félicitons des progrès accomplis, nous sommes profondément conscients que nous ne sommes pas au bout de nos peines et qu'il importe de nous assurer que personne n'est laissé pour compte. En raison des risques et des défis sérieux auxquels le monde et les communautés avec lesquelles nous travaillons sont exposés, ces progrès pourraient être interrompus, voire inversés. Les changements climatiques ont déjà commencé à perturber et à menacer les moyens de subsistance des petits exploitants avec lesquels nous collaborons. Nous avons pu le constater sur place dans les zones marginales où nous travaillons souvent et où leurs effets se font beaucoup sentir.
     Le statu quo ne nous mènera pas où nous devons aller. Alors que nous sommes réunis pour tracer la route à suivre, je suis convaincu que l'aide au développement continue de jouer un rôle essentiel dans l'atteinte des objectifs ambitieux de développement durable que nous nous sommes fixés en tant que collectivité.
    À cet égard, je suis très heureux de l'annonce faite hier par la ministre Bibeau concernant la tenue d'un processus d'examen public et de consultations préalables à l'examen prochain des politiques et du cadre de financement du Canada en matière de développement international. La question des pays cibles, actuellement à l'étude par ce comité, occupera une place prépondérante dans cet examen stratégique et c'est dans cette veine que s'inscrivent mes commentaires d'aujourd'hui.
    À notre avis, un examen du modèle axé sur les pays cibles doit reposer sur le principe que toute aide au développement fournie par le Canada est censée contribuer à réduire la pauvreté. Tel est le grand objectif énoncé dans la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle.
    Nous sommes ravis de constater que le processus d'examen politique plus vaste amorcé hier vise à déterminer des moyens de s'assurer que l'aide internationale du Canada est concentrée là où elle est la plus susceptible d'apporter une aide efficace aux personnes les plus démunies et les plus vulnérables. Tant que le cadre d'un modèle axé sur les pays cibles s'organise autour du principe de la réduction de la pauvreté, il existe, je crois, différentes façons d'encadrer et de déployer ce modèle. Le but n'est pas de trouver une solution miracle, il n'y en a pas.
    Un des arguments clés à l'appui de l'approche axée sur les pays cibles est qu'elle fait écho à la critique selon laquelle l'aide canadienne est trop « éparpillée », trop fragmentée. On a estimé qu'une aide bilatérale concentrée sur un nombre limité de pays, en plus d'être plus efficace, fournirait au Canada des moyens de pression plus persuasifs auprès des pays partenaires.
    Nous ne sommes au courant d'aucune évaluation qui puisse étayer le fait qu'une approche axée sur les pays cibles débouche effectivement sur une programmation plus efficace de l'aide. La question nous intéresse, mais nous n'avons trouvé aucune évaluation en ce sens. S'il existe des études sur le sujet, nous ne les connaissons pas.
     Nous admettons cependant que, considérant le personnel à déployer sur le terrain et les processus à mettre en place, l'exécution d'un programme centré sur un petit nombre de pays s'avère plus efficace. Un nombre d'emplacements restreint nécessite moins de personnel de gestion sur le terrain, ce qui est un bon point.

  (1535)  

     Avec le temps, le fait de pouvoir compter sur un financement plus prévisible et plus stable au niveau national présente des avantages certains pour un pays, et c'est ce que favorise le modèle axé sur des pays cibles. Voilà un autre aspect positif.
    Toutefois, étant donné le volume modeste de l'aide canadienne par pays, nous doutons que même l'approche axée sur des pays cibles nous donne un effet de levier suffisamment important pour accroître l'engagement de ces pays. Nous soutenons que le niveau général de l'aide offerte par le Canada est une question plus importante encore, et que seule une augmentation substantielle de l'aide canadienne au développement donnera plus de poids à la voix du Canada dans les cercles internationaux. La simple concentration, dans un petit nombre de pays, d'aide et de ressources réduites n'y suffira pas.
    Même s'il est justifié de désigner des pays cibles, cela ne devrait pas constituer un cadre de programmation rigide dont les objectifs se calculent en pourcentages et en dollars. Le monde et les circonstances auxquels nous faisons face évoluent trop rapidement pour justifier la pertinence de ce type de formule rigide.
    Cela est particulièrement vrai dans le cas des États fragiles et des pays qui pourraient facilement le devenir si rien n'est fait pour redresser la fragilité des contextes. Tout modèle doit prévoir la latitude nécessaire pour que le Canada puisse intervenir de façon ponctuelle dans des contextes fragiles sans devoir passer un changement officiel des pays ciblés. S'il faut passer par un processus officiel, il devient très difficile de réaliser ces types de changements. Et si 90 % du financement bilatéral doit être dirigé exclusivement sur les pays ciblés, cela limite considérablement la mise en œuvre de mesures qui deviennent nécessaires au fil de l'évolution des situations dans le monde.
    En outre, il n'est pas rare que des approches régionales s'imposent sans toutefois correspondre parfaitement aux programmes bilatéraux établis avec un pays. L'actuelle crise syrienne est un bon exemple. La Jordanie est un pays cible. Nous pouvons donc fournir de l'aide à la Jordanie et soutenir en quelque sorte son accueil de réfugiés syriens. Mais le Liban, qui est pourtant confronté aux mêmes difficultés que la Jordanie, nous ne pouvons pas l'aider parce qu'il ne fait pas partie des pays cibles.
    Quels sont donc les critères qui devraient orienter la sélection des pays cibles?
    Comme nous l'avons mentionné plus tôt, le niveau de pauvreté est la priorité absolue qui devrait gouverner ce choix. Mais nous savons par ailleurs que la majorité des gens les plus pauvres au monde vivent dans des pays à revenu intermédiaire. Même si ces pays possèdent des ressources nationales qui peuvent et doivent être mobilisées pour réduire la pauvreté et répondre aux besoins sociaux, il est facile d'envisager le rôle légitime que pourrait jouer le Canada dans certains d'entre eux.
    Le niveau de financement dirigé vers ces pays n'a pas besoin d'être similaire à celui dirigé vers des pays aux ressources nationales moindres. Il peut s'agir de petits montants soigneusement ciblés afin d'aider le pays visé à utiliser ses propres ressources pour parvenir à une réduction efficace de la pauvreté.
    Nous voyons également une utilité dans le maintien des programmes à long terme avec les pays partenaires existants; plutôt que de changer constamment de pays, il conviendrait de maintenir les mêmes partenariats pendant une longue période. Dans les situations où le pays partenaire réussit à se classer au nombre des pays à revenu intermédiaire, il serait bon de maintenir un certain niveau de programme bilatéral afin de contribuer au renforcement des progrès accomplis.
    Quoi qu'il en soit, nous estimons que pour réduire efficacement la pauvreté, le plus gros des ressources bilatérales doit être affecté aux pays où le taux de pauvreté est le plus élevé et où les ressources nationales sont les plus limitées.
    Un des dangers de l'approche axée sur les pays cibles, selon nous, est la tentation et le désir d'imposer que de temps à autre, d'autres volets de financement du ministère soient alignés sur les pays ciblés. Même si l'argument invoqué en faveur de cette approche est qu'elle permettrait une plus grande coordination et une plus grande synergie du programme d'aide canadien, nous croyons qu'elle pourrait, en fait, réduire l'impact de l'aide que le Canada fournit par l'entremise d'autres volets de financement.
    À titre d'exemple, lorsque le Canada s'était doté d'un programme réactif longtemps respecté, qui appuyait le travail entrepris par des ONG canadiennes, les différents groupes de la société civile ayant bénéficié de cette aide ont acquis du savoir-faire dans divers domaines et établi de solides partenariats de longue durée dans de nombreux coins du monde.
    Si on dit aux organismes de la société civile canadienne que le Canada financera uniquement les programmes alignés sur les pays ciblés par l'aide bilatérale et sur ses priorités thématiques du moment, ils iront tout simplement là où l'argent va, à la poursuite des pays et des priorités gouvernementales constamment changeantes, plutôt que d'établir des priorités à long terme et ciblées dans leur domaine d'expertise.
    Nous croyons que c'est en favorisant l'existence d'une société civile canadienne robuste que le gouvernement contribuera le mieux à établir une programmation efficace de l'aide et à assurer une présence canadienne visible dans de nombreux pays où il n'y a peut-être pas de présence bilatérale. De cette manière, lorsque les pays ou les priorités thématiques ciblés par les gouvernements changeront, comme cela a été le cas et comme cela le sera, il y aura déjà du savoir-faire, des connaissances et des capacités canadiennes en place dans les nouveaux domaines.

  (1540)  

    Nous pensons que l'approche fondée sur les pays cibles doit se limiter au programme d'aide bilatérale.
    L'établissement de priorités thématiques est une excellente façon pour le Canada d'accroître son impact et son influence. À titre d'exemple, le Canada a réussi à renforcer son incidence et son influence dans le monde en mettant l'accent sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants. Cela a permis le développement de savoir-faire et l'exercice d'un leadership canadien dans certains domaines clés.
    Bon nombre des mesures nécessaires pour favoriser le développement dans l'environnement actuel vont bien au-delà de programmes axés sur des pays précis; c'est pourquoi il est utile d'établir des priorités thématiques et de prévoir un financement suffisamment souple pour appuyer de telles initiatives. Nous avons démontré notre appui massif au thème sectoriel axé sur le renforcement de la sécurité alimentaire. Quand on se penche sur les problèmes de pauvreté et de vulnérabilité, on se rend compte que les groupes de populations aux prises avec la famine comptent souvent parmi les plus vulnérables, et chaque fois que des études sont menées auprès des populations les plus pauvres au monde, les questions liées à l'alimentation figurent généralement en haut de la liste des priorités.
    En examinant le document de discussion sur l'examen de la politique d'aide internationale, nous remarquons que des trois priorités existantes, celle visant la sécurité alimentaire ne semble plus figurer en tant que politique de développement distincte. Même si les divers éléments liés à la sécurité alimentaire peuvent être couverts par les autres politiques qui y sont décrites, le risque subsiste que d'importants enjeux liés à la sécurité alimentaire échappent au nouveau cadre. Il sera important que l'examen de la politique canadienne s'attache à faire ressortir ces enjeux dans les différents domaines d'action dont ils relèvent.
    Cela est particulièrement vrai dans le cas de l'agriculture. Notre principale inquiétude est qu'une question aussi importante que le développement agricole, en particulier pour les petits exploitants, reçoive moins de soutien. Le soutien du Canada au développement de l'agriculture est déjà en baisse. La pauvreté absolue ainsi que les hauts niveaux de vulnérabilité sont encore concentrés dans des régions rurales, au sein de groupes dont la subsistance dépend bien souvent de l'agriculture. Ces ménages et ces communautés sont également la cible de menaces liées aux changements climatiques. Il est essentiel que l'agriculture occupe une place importante dans la nouvelle politique d'aide internationale, et il serait utile qu'elle figure également sous la politique relative à la croissance économique propre et durable et au changement climatique. Il a été démontré que la croissance économique du secteur agricole contribuait à réduire la pauvreté beaucoup plus efficacement que la croissance dans tout autre secteur de l'économie. L'agriculture, qui sera l'un des secteurs les plus touchés par les changements climatiques, devra aussi faire partie de la solution. J'invite donc ce comité à mettre l'accent sur l'importance du développement agricole dans sa nouvelle politique d'aide internationale.
    Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions.
    Merci, monsieur Cornelius.
    Nous allons donner la parole à M. Reilly-King pour son exposé.
    Merci beaucoup au Comité d'avoir invité le Conseil canadien pour la coopération internationale à venir témoigner devant vous pour cette étude sur les pays ciblés. Comme l'ont dit Jim et M. Nault, votre étude arrive à point nommé étant donné le lancement, hier, de l'examen de la politique internationale.
    Comme beaucoup d'entre vous le savent, le CCCI est l'association nationale des organisations de la société civile du Canada, les OSC, qui travaillent dans le monde entier pour favoriser le développement humain durable. Nos membres, qui sont plus de 80, représentent une large gamme d'OSC oeuvrant dans les domaines du développement international et de l'aide humanitaire, cela va des associations religieuses ou laïques aux coopératives et aux syndicats en passant par les associations professionnelles.
    Je voudrais commencer directement par une discussion au sujet de l'étude, ainsi que des pays ciblés et de leur efficacité.
    Si l'on veut avoir un impact sur quoi que ce soit, il faut cibler un tant soit peu. Le Canada cible désormais 25 pays et ce nombre réduit de partenariats bilatéraux, qui est passé, je crois, de quelque chose comme 47 pays à 25, a été bien accueilli par l'OCDE dans son examen des pairs en 2012, sur le Canada.
    Toutefois, comme les membres de ce comité le savent, la géographie de la pauvreté a changé. La pauvreté est omniprésente non seulement dans les pays à faibles revenus, mais aussi dans les pays à revenus intermédiaires inférieurs et supérieurs. En fait, beaucoup estiment, et je crois que quelqu'un l'a mentionné mardi lors des auditions de ce comité, qu'environ 70 % des pauvres dans le monde vivent dans des pays à revenus intermédiaires. De plus, les inégalités s'aggravent, à la fois au sein des pays et entre les pays.
    Quels sont les implications de ce constat et les autres points à considérer pour cette étude? J'ai 10 petites remarques à soumettre à l'attention du comité.
    Tout d'abord, il n'y a pas de combinaison parfaite de pays. À mon sens, le Canada a une combinaison équilibrée d'États fragiles, de pays les moins avancés, de pays à faibles revenus et de pays à revenus intermédiaires. Nous pensons qu'il ne faut pas modifier cette combinaison, mais qu'il faut en tirer des leçons.
    Comme l'a suggéré Jim, je crois et peut-être aussi les représentants de CARE l'autre jour, le comité pourrait, par exemple, recommander à Affaires mondiales Canada de mener une évaluation et une surveillance continue du modèle des pays ciblés, en soulignant les résultats désirables et les résultats non souhaitables. À ma connaissance, rien de ce genre n'a été fait jusqu'ici.
    De plus, il nous faudrait peut-être aller plus loin et réfléchir à la manière dont nous nous engageons auprès des institutions régionales, afin que nos efforts envers les pays ciblés soient renforcés par ces synergies régionales — de telles synergies sont importantes et, ce point a été évoqué, je crois — pour garantir que, puisque les pays opèrent aussi dans des régions et des sous-régions, nous demandions comment nous pouvons nous assurer qu'il y ait une situation sécuritaire et stable dans ces régions et que nos efforts dans ces pays ne soient pas perdus à cause de l'instabilité régionale.
    Deuxièmement, comme Jim et beaucoup d'autres l'ont souligné, nous devrions concentrer nos efforts moins sur les pays pauvres et davantage sur les personnes pauvres, peu importe où elles vivent. En fait, comme Jim l'a également souligné, les principaux objectifs de l'aide publique au développement du Canada telle qu'elle est définie par la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle sont: de réduire la pauvreté, de promouvoir les droits de l'homme et leur application à l'échelle internationale et de répondre à l'appel des pauvres.
    Cela est en cohérence avec le mandat qu'a la ministre de se concentrer sur la réduction de la pauvreté et des inégalités ainsi qu'avec le mandat du nouveau Bureau des droits de la personne, des libertés et de l’inclusion qui a été annoncé hier.
    Troisièmement, comme le signale le nouvel agenda de 2030 pour le développement durable dans les objectifs de développement durable, les ODD, nous ne devons oublier personne en chemin. Cela signifie que nous devons concentrer nos efforts non seulement sur les personnes pauvres, mais aussi sur les plus pauvres et les plus marginalisés: les femmes et les filles, les personnes handicapées, les indigènes, les pauvres des villes et des campagnes et les personnes qui subissent des discriminations en raison de leur caste, de leur religion, de leur ethnie ou de leur âge. Là encore, c'est en cohérence avec le mandat du ministre.
    Quatrièmement, une focalisation thématique peut-être utile mais nos priorités doivent s'auto-renforcer, à la fois au sein de notre approche du développement dans le cadre des objectifs de développement durable, mais aussi au sein du ministère, à Affaires mondiales Canada dans son ensemble et dans tout le gouvernement. Les nouveaux ODD nous obligent à sortir de notre isolement, nous poussent à viser à la fois des objectifs individuels et des objectifs transversaux, comme, par exemple, les droits des femmes et l'égalité entre les sexes et, je dirais également, les changements climatiques. Cela va nécessiter de nouvelles façons de travailler et de penser, de nouvelles collaborations et de nouveaux partenariats dans une stratégie impliquant tout le gouvernement et tout le Canada. Nos initiatives de développement doivent être renforcées et non pas sapées par nos efforts diplomatiques et commerciaux.

  (1545)  

    Cinquièmement, nous devons répondre aux besoins des gens et à leurs réalités. La focalisation sur des pays ou sur des thèmes en particulier ne devrait pas se faire au détriment des besoins humains qui changent en permanence. Quelle que soit la cible choisie, il devrait toujours y avoir une certaine souplesse pour faire face aux développements imprévus.
    Comment? Je suggère que le gouvernement travaille avec une large gamme d'acteurs pour développer et pour mettre en application l'aide internationale du Canada. Si, par exemple, l'approche multilatérale du Canada consiste à soutenir la cohésion et la stabilité à l'échelle régionale, son approche bilatérale pourrait être plus ciblée et plus dirigiste, dans la lignée de ce qu'a suggéré Jim et son approche de la société civile pourrait être plus souple et plus réactive. Cela correspond également à la politique de partenariat avec la société civile du gouvernement.
    Ce dont nous avons besoin, alors, c'est d'un portefeuille diversifié d'outils et d'approches qui réduiront les risques et augmenteront l'efficacité de notre réponse.
    Sixièmement et c'est très important, il s'agit de leurs priorités, pas des nôtres. L'alignement avec les priorités des pays en développement, l'appropriation démocratique de ces priorités et l'harmonisation de nos efforts avec les autres donateurs ont été reconnus au cours de ces 15 dernières années comme étant des déterminants clés d'une aide efficace. Les gouvernements de pays en voie de développement et leurs OSC sont généralement les mieux placés pour comprendre les réalités que vivent leurs propres citoyens.
    Nous devons soutenir leurs solutions, non pas promouvoir les nôtres. Pourtant l'examen des pairs de 2012 de l'OCDE a relevé à quel point le Canada était loin d'avoir aligné ses actions de soutien sur les priorités des pays dans lesquels il opérait. Cette même année, le Canada a laissé son plan d'action pour accroître l'efficacité de l'aide arriver à son terme sans en développer un nouveau.
    Il nous faut un nouveau plan d'action et il faut que nos pays partenaires, pas nous, montrent la voie pour définir leurs priorités pour la mise en oeuvre des objectifs de développement durable.
    Septièmement, il ne s'agit pas uniquement des gouvernements. L'agenda 2030 a souligné que tous les acteurs du développement ont un rôle à jouer — la société civile, les parlementaires, le gouvernement local, le secteur privé. Par conséquent, le Canada doit rééquilibrer les bénéficiaires de l'APD ou de l'aide canadienne en s'écartant du fort parti pris qui existe ces dernières années en faveur des institutions multilatérales et en établissant un équilibre net entre le multilatéral, le bilatéral et la société civile, entre autres. En réalité, dans son examen des pairs de 2012 l'OCDE a souligné l'importance du renforcement des organisations de la société civile dans les pays ciblés par le Canada.
    Huitièmement et encore une fois je dois insister sur l'importance de cet aspect, il faut assurer la prévisibilité. Cela rejoint mon argument sur l'absence de combinaison parfaite. Tenons-nous-en à notre combinaison de pays existante. Ces dernières années, des changements fréquents de pays ciblés ont fait du Canada un partenaire peu fiable, à mon avis. Les investissements soutenus et à long terme chez nos partenaires auront non seulement des effets plus importants, mais permettront aussi une meilleure prévisibilité. Comme l'a noté l'OCDE, une telle prévisibilité peut permettre au Canada de soutenir la réforme et le renforcement des systèmes nationaux de pays de façon à améliorer la gestion de l'administration publique et plus généralement des fonds publics.
    Neuvièmement, faire entrer la population canadienne dans la danse. Des investissements en faveur de l'engagement public et d'une stratégie gouvernementale aideront non seulement à connecter les agendas universels des ODD mondiaux avec les réalités canadiennes, mais cela améliorera la compréhension qu'a la population de la complexité du développement international et, par la suite, augmentera leur soutien à nos initiatives.
    Dixièmement et ça sera mon dernier point, passer de la parole aux actes. Un meilleur impact ne vient pas seulement d'un meilleur ciblage, d'un meilleur alignement et d'une meilleure réactivité vis-à-vis des pays et des thématiques, mais aussi d'investissements accrus et ciblés qui reflètent les ambitions du Canada. En 2014 le Canada ne faisait partie des 3 plus importants donateurs que dans 9 de ses 25 pays ciblés. Nous avons calculé que 60 millions de dollars supplémentaires suffiraient à placer le Canada parmi les 3 donateurs les plus généreux dans la moitié de ses pays ciblés, d'après les chiffres de 2014. De la même façon, si les droits des femmes sont une priorité, vous serez peut-être surpris d'apprendre que le Canada n'a consacré que 5 millions de dollars par an à des organisations de défense des droits des femmes en 2014. À titre de comparaison, la même année la Norvège leur a consacré 120 millions de dollars.
    Pour résumer, le modèle des pays ciblés est un outil par lequel le Canada peut cibler ses partenariats bilatéraux d'aide internationale, mais comme avec n'importe quel outil, il nous faut utiliser ce modèle de façon optimale pour maximiser son efficacité. Cet outil doit être équilibré en fonction d'autres outils, d'autres enjeux et des autres acteurs au sein d'efforts multilatéraux qui peuvent prendre en compte les besoins et les dynamiques régionales et il doit être en lien avec les programmes adaptés qui peuvent être soutenus par les partenaires de la société civile.
    Nous devons principalement mettre l'accent sur la réduction de la pauvreté et des inégalités, sur les plus pauvres et les plus marginalisés et sur les gens — leurs besoins, leurs droits, leurs atouts, leurs capacités et leurs priorités.

  (1550)  

    Nous devons nous montrer cohérents et prévisibles, mais également souples dans notre approche et nous devons accorder nos priorités de politiques pour l'ensemble du gouvernement, tant chez nous qu'à l'étranger, avec nos pratiques par des investissements conséquents en direction des pays, des institutions, des thèmes et avant tout, des gens.
    Merci de votre attention. J'attends vos questions.

  (1555)  

    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à Oxfam Canada.
    Madame Polzot, allez-y, je vous en prie.
     Chers membres du comité permanent, merci de me donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui.
    Je m'appelle Christina Polzot et je vais témoigner en collaboration avec ma collègue Kelly Bowden.
    Oxfam fait partie d'une confédération et d'un mouvement mondial pour le changement qui travaille dans plus de 90 pays pour mobiliser le pouvoir des gens contre la pauvreté. Notre mission est de construire des solutions durables à la pauvreté et à l'injustice en nous focalisant sur le dépassement des inégalités, sur l'amélioration des vies et sur la promotion des droits des femmes et des filles. Les origines d'Oxfam remontent au milieu des années 1940 lorsque notre organisation a été formée pour soutenir les femmes et les filles en difficulté pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis nos origines, la géographie de la pauvreté et des inégalités s'est considérablement modifiée et notre organisation moderne fait face à de nouveaux défis qui nécessitent des approches souples et mixtes pour construire un monde juste et sans pauvreté. Par conséquent, nous accueillons positivement la révision que fait le gouvernement du Canada du cadre de son aide internationale ainsi que l'étude de ce comité sur les pays ciblés.
    Oxfam trouve encourageantes les améliorations significatives des niveaux de pauvreté globale qui ont été accomplies ces deux dernières décennies durant lesquelles 660 millions de personnes sont sorties de la pauvreté, mais nous avons aussi été troublés par l'accroissement significatif de l'écart entre les riches et les pauvres qui a eu lieu durant la même période, que cela soit entre les pays ou au sein même des pays, ainsi que par la discrimination contre les femmes et les filles qui se poursuit et qui demeure l'un des défis fondamentaux pour l'élimination de la pauvreté.
    Permettez-moi de développer ces deux questions critiques — les inégalités et les droits des femmes. Selon un récent rapport de l'Oxfam intitulé Une économie au service des 1 %, la plupart des pays ont un niveau d'inégalités plus élevé qu'il y a quelques décennies et l'on estime que 73 % des personnes les plus pauvres du monde vivent désormais dans des pays à revenu intermédiaire. Depuis l'an 2000, la moitié la plus pauvre de la population mondiale n'a reçu que 1 % de l'augmentation totale de la richesse mondiale tandis que les 1 % les plus riches en percevait la moitié. Si les inégalités au sein des pays n'avaient pas augmenté durant cette période, 200 millions de personnes supplémentaires auraient échappé à la pauvreté. Les inégalités extrêmes d'aujourd'hui sur le plan économique, social et politique sapent la croissance et le progrès. Les inégalités maintiennent les pauvres dans la pauvreté et dans l'impuissance et elles affaiblissent la capacité de la croissance économique à éradiquer la pauvreté. Les inégalités créent des problèmes sociaux profonds et nient la dignité et la voix des personnes. Cela entraîne une aggravation de la frustration sociale et augmente la probabilité de conflits. Les sociétés inégalitaires sont plus vulnérables face aux chocs économiques et face aux conséquences des changements climatiques. Donc, malgré le lien très clair entre pauvreté et inégalités, les efforts de développement ont échoué à régler la question des inégalités.
    Même dans les régions et les pays où la pauvreté a été considérablement réduite, comme en Zambie, il reste d'importantes populations vivant dans des poches de pauvreté extrême. Malgré cela, le Canada a décidé de mettre fin à son programme d'aide bilatéral à la Zambie en 2013 et à cause des inégalités, la pauvreté extrême en Zambie est passée de 64 % à 75 %. Parmi formes d'inégalités les plus graves et les plus généralisées il y a la discrimination envers les femmes et les filles, qui demeure un des obstacles les plus fondamentaux à l'éradication de la pauvreté.
    Selon le PNUD, la majorité des 1,2 milliard de personnes qui vivent dans la pauvreté extrême aujourd'hui sont des femmes et des filles. Les femmes et les filles effectuent 60 % du travail mondial et produisent la moitié de la nourriture, pourtant elles ne perçoivent que 10 % des revenus mondiaux et ne possèdent que 1 % des biens. Les femmes sont les plus touchées par les conséquences des changements climatiques, et la violence faite aux femmes a été identifiée comme l'une des principales raisons du manque de développement.
    Ces tendances complexes et interconnectées autour des inégalités et des droits des femmes ont des répercussions claires sur l'aide bilatérale au développement du Canada. Il n'est pas possible de s'attaquer efficacement à la pauvreté sans également s'attaquer aux inégalités et en particulier aux inégalités entre les sexes. Par conséquent, la réduction des inégalités devrait être un objectif central pour les efforts de développement du Canada.
    C'est là que résident les opportunités. Les inégalités doivent être la mire qui guide le Canada lorsqu'il cible les pays auxquels il va apporter son aide bilatérale au développement.

  (1600)  

    Étant donné que les gens les plus vulnérables et démunis se trouvent dans divers types de pays, en particulier dans ceux où règne l'inégalité, le Canada devrait adopter une approche mixte et cibler une variété de pays. Autrement dit, il devrait concentrer ses efforts pour venir en aide aux plus pauvres parmi les pauvres, peu importe où ils vivent, qu'il s'agisse d'États fragiles, des pays les moins avancés ou de pays à revenu faible ou intermédiaire.
    En prenant l'inégalité comme cadre d'orientation, je voudrais parler de trois aspects concrets de l'aide bilatérale au développement octroyée par le Canada: premièrement, la nécessité d'adapter nos efforts aux divers types de pays et de contextes; deuxièmement, l'importance de suivre une approche thématique globale plutôt qu'une approche par pays; et, troisièmement, si le modèle actuel des pays ciblés est maintenu, il s'agirait de mieux équilibrer la proportion de l'aide destinée à ces pays par rapport à d'autres.
    Je commencerai par aborder la question d'une approche mixte. Ceux qui vivent dans les pays les moins avancés et au revenu particulièrement faible doivent relever des défis bien précis et devraient être la cible des initiatives canadiennes d'aide au développement. Dans ces pays, nous devrions nous attacher à promouvoir des politiques sociales en matière d'éducation et de santé, avec un intérêt particulier pour les femmes et les filles. Les trois quarts des personnes les plus défavorisées au monde vivent maintenant dans des pays à revenu intermédiaire, où nous devons adopter un plus large éventail d'approches en faveur du développement, notamment en insistant sur le renforcement de la société civile et la protection des espaces d'expression à partir desquels elle peut demander des comptes aux gouvernements, ainsi que sur l'autonomisation des femmes et des groupes marginalisés, dont les jeunes.
    Nous savons que l'adoption de bonnes politiques publiques est un élément essentiel pour combler les inégalités, d'où la nécessité d'une société civile forte dans les pays à revenu intermédiaire. Les inégalités sont d'autant plus graves dans les pays et régions touchés par un conflit, où des gens déjà marginalisés, en particulier les femmes et les jeunes chômeurs, le deviennent plus encore. L'inégalité dans les États et régions fragiles entraîne un manque de cohésion sociale, qui aggrave à son tour le conflit et partant, la frustration et l'instabilité sociales. Il est primordial de chercher à réduire les inégalités si l'on veut s'attaquer aux causes profondes de la fragilité et de l'instabilité.
    Compte tenu de la vulnérabilité des personnes qui se retrouvent malgré elles au beau milieu d'une crise ainsi que de l'étendue manifeste de la violence sexuelle contre les femmes et les filles dans ces contextes, l'approche humanitaire du Canada dans les États et les régions fragiles devrait viser à protéger les gens contre toute violation grave des droits de la personne, en particulier les femmes et les espaces d'expression de la société civile. Cette approche est compatible avec l'engagement des ODD à « n'oublier personne » ainsi qu'avec les objectifs énoncés dans la lettre de mandat de la ministre Bibeau.
    Notre deuxième recommandation est que le gouvernement canadien articule son aide bilatérale autour d'une approche thématique globale plutôt qu'une approche par pays. Le programme mondial du Canada pour l'amélioration de la santé maternelle, néonatale et infantile s'est avéré réussi lors de l'application d'une approche thématique. La définition des priorités thématiques du Canada devrait se fonder sur les besoins courants et émergents, les secteurs les plus pertinents pour les ODD, la complémentarité avec les autres bailleurs de fonds et le dialogue avec les partenaires dans les pays et régions en cause. Les secteurs généraux visés par le Canada devraient également refléter et mettre à profit nos compétences au sein du programme d'aide au développement, intégrer une certaine longévité pour que le financement soit prévisible et éviter de changer de visée trop fréquemment, car c'est déstabilisant pour les collectivités et les partenaires avec lesquels nous travaillons.
    En nous fondant sur notre analyse actuelle et les compétences historiques du Canada en matière d'aide au développement, nous suggérons que l'orientation thématique globale porte sur l'égalité des sexes, avec un accent particulier sur la promotion des droits des femmes et des filles. Par le passé, le Canada a fait preuve d'un leadership exemplaire dans le domaine et il a amplement contribué en fournissant aux partenaires nationaux des conseillers et des fonds spécialement consacrés à l'égalité des sexes, moyennant un mécanisme adaptable aux besoins des organismes voués à la protection des droits des femmes à l'étranger. Ces approches, qui sont conformes aux valeurs canadiennes, témoignent de notre leadership historique dans le domaine des droits des femmes et de l'égalité des sexes.
    Enfin, et si le modèle des pays ciblés est maintenu, nous recommandons une réduction de la proportion de l'aide canadienne globalement destinée à ces pays. Le système devrait être plus flexible, de sorte que l'on puisse intervenir au besoin, mais aussi offrir des programmes novateurs.

  (1605)  

    Comme Jim l'a expliqué, cet aspect est particulièrement important pour Oxfam et d'autres organismes qui, moyennant des partenariats à long terme, se donnent pour mission de renforcer les capacités des organisations de la société civile locale qui sont les agents clés de la lutte contre les inégalités. Ce type de travail exige un financement flexible, stable et à long terme quel que soit le pays dont il s'agisse. Par conséquent, nous recommandons que l'on réserve une plus grande proportion de fonds aux pays non ciblés afin de renforcer les capacités locales des partenaires et les approches régionales où des pays cherchent à relever ces défis ensemble.
    En somme, le Canada devrait concentrer son aide au développement international en visant les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables, quel que soit l'endroit où elles vivent. Il faudra une diversité d'approches, suivant le pays dont il s'agit, afin d'encourager l'innovation, la réactivité et la collaboration. Le Canada peut faire preuve de leadership et voir la lutte contre l'inégalité et la défense des droits des femmes comme une mission essentielle pour que l'aide au développement soit plus efficace.
    Ce témoignage ne serait pas complet si je négligeais de souligner que le Programme de développement durable à l'horizon 2030 et les ODD devraient être notre cadre directeur, tout comme l'esprit de la Loi sur la responsabilité en matière d'aide au développement officielle. Comme vous pouvez le constater, les possibilités sont multiples et je vous remercie de m'avoir permis de vous en mentionner quelques-unes.
    Merci. Nous répondrons volontiers à vos questions.
    Au nom du Comité, merci à tous les trois intervenants.
    Dans le peu de temps qui nous reste, chers collègues, je vais passer directement aux questions, en commençant par M. Kent.
    Merci à vous tous et à vos organisations pour le merveilleux travail que vous avez tous réalisé dans les pays ciblés et au-delà et merci aussi pour votre franc-parler. Lorsqu'elles témoignent et doivent exprimer des considérations politiques, les ONG ont plutôt tendance à rester discrètement dans la voie du milieu afin de ne pas être complètement hors-jeu lorsque la décision politique finale est prise.
    Compte tenu de l'ingrédient politique qui intervient dans l'aide au développement, qu'il s'agisse de catastrophes naturelles — le tremblement de terre à Haïti a absorbé une grande partie de notre enveloppe de financement, au niveau bilatéral et autre — ou de l'Afghanistan, principal bénéficiaire cette année, et partant de vos suggestions voulant que l'accent soit mis sur la pauvreté là où elle existe, quel que soit le pays, je me demande si le chiffre de 25 pays n'est pas un peu trop ambitieux pour le budget de l'aide bilatérale. Il pourrait être inférieur et les ressources devraient peut-être mieux se répartir parmi les pays ciblés, vous ne trouvez pas? Si oui, je vous demande à chacun de me dire s'il en faut 15 ou 20 d'après vous?
    Comme je l'ai dit dans mes remarques, je ne pense pas qu'il existe un assortiment parfait dans le nombre de pays à viser. Ce qui importe vraiment, c'est la prévisibilité et la cohérence. Que le Canada change tous les quatre ans les pays dans lesquels il travaille, ce n'est pas utile pour la communauté internationale. Vous le savez tous très bien, mais en tant que gouvernement, vous devez savoir d'où vous viennent les fonds, surtout quand il s'agit d'aide; vous devez planifier les budgets. Il est beaucoup plus utile de planifier pour cinq ans plutôt que de rester dans l'incertitude, sans savoir si les fonds seront soudainement coupés parce qu'un nouveau gouvernement a été élu au Canada.
    J'insisterais quant à moi pour qu'on s'en tienne à la liste existante des pays ciblés. Mais je pense aussi, comme Jim l'a suggéré, que si le Canada veut avoir un impact, il va devoir augmenter les sommes qu'il consacre à ces pays ciblés.
    Oui, je suis d'accord avec Fraser. Je ne pense pas qu'il importe que ce soit 15 ou 30 pays. Nous avons une liste. Laissons-la telle quelle. Dire que 90 % des ressources en matière d'aide doivent nécessairement être destinées aux pays de cette liste laisse très peu de marge de manœuvre dans le système bilatéral à moins qu'il y ait beaucoup plus de ressources disponibles. Voilà ce qui m'inquiète, c'est ce chiffre de 90 % et le fait qu'on dise qu'il doit être consacré à ces pays. Je ne vois pas assez de flexibilité dans cela. Je ne voudrais pas que nous décidions tout à coup de dresser une nouvelle liste. C'est un des dangers des changements de gouvernement contre lesquels nous nous débattons de notre côté parce que le nouveau gouvernement doit toujours faire quelque chose de différent que le précédent. Parfois, il vaut mieux se contenter de poursuivre les travaux du gouvernement précédent. C'est une question de bon sens, à notre avis.

  (1610)  

    Nous voudrions insister sur le fait que nous devons cibler les plus pauvres et les plus vulnérables, peu importe où ils sont, en Haïti, Afghanistan ou ailleurs. Je dirais également que, dans certains pays, il est possible de faire davantage avec moins, il s'agit donc vraiment de ce que nous réussissons à faire dans ces pays plutôt que du lieu où nous travaillons. Par exemple, Oxfam a fait énormément au Guatemala, qui est un des pays ciblés. Nous avons fait beaucoup de travail au chapitre de la lutte contre la violence faite aux femmes et aux filles, nous efforçant de changer les comportements à cet égard. C'est un travail de longue haleine qui ne nécessite pas beaucoup des ressources, mais il est très important. Il n'a pas besoin d'une infrastructure ni de gros investissements. Donc, dans certains contextes, on peut faire beaucoup avec moins d'argent, surtout quand on peut mettre à profit et renforcer les capacités locales, travailler avec les gouvernements et les acteurs locaux.
    J'ai une deuxième question toute courte. Croyez-vous que le gouvernement et des organismes comme le vôtre devraient mieux sensibiliser public canadien pour qu'il songe aux pays à revenu intermédiaire plutôt qu'aux PMA uniquement? Le matériel que les gens reçoivent par la poste ou par courriel insiste généralement sur les PMA plutôt que les pays à revenu intermédiaire. Je sais que la Banque de céréales vivrières du Canada, par exemple, a des projets importants en Inde, qui n'est pas un pays ciblé, mais où il y a une pauvreté incroyable. Est-ce une question de sensibilisation? Pour poursuivre dans la veine de certains des témoignages que nous avons entendus dans le passé et sachant ce que font les autres pays avec l'aide au développement, le Canada devrait-il mieux choisir le nombre de pays et se concentrer sur les domaines à cibler dans ces pays ou régions?
    Je passe plus de temps à parler au public qu'aux députés ici, même si je me plais beaucoup parmi vous. Une de mes tâches est de parler au public, et les gens s'intéressent à la pauvreté. La plupart d'entre eux ne savent pas trop si tel ou tel pays est un PMA ou un pays à revenu intermédiaire. Dans l'esprit du public, Calcutta est un lieu pauvre à un certain niveau. Donc, pour le public, il s'agit de gens qui vivent dans des conditions de désespoir et on veut faire quelque chose à ce propos. Il nous appartient donc de parler de ce qui doit être fait et de la meilleure façon de travailler. Prenons le cas de l'Inde. Les gens parlent de l'Inde comme d'un tigre qui s'éveille avec toutes ses ressources internes. Nous sommes tout à fait d'accord que l'Inde possède d'énormes ressources nationales qu'elle devrait utiliser de manière plus efficace pour lutter contre la pauvreté. Mais notre travail à nous consiste à accompagner les groupes locaux pour qu'ils parlent avec leurs propres gouvernements et leurs responsables politiques, à renforcer la confiance des groupes marginalisés, des castes qui de par leur nature même estiment qu'elles ne sont pas destinées à vivre une vie meilleure. Ainsi, nous travaillons à changer les comportements. C'est ce que nous pouvons faire pour influer en quelque sorte sur le sort des ressources nationales. Ce qu'il faut, ce n'est pas nécessairement un grand programme d'aide bilatérale, mais travailler avec des groupes comme le nôtre ou d'autres personnes dans ce contexte. Je pense que le public se préoccupe de la pauvreté et il ne va pas se mettre à faire la distinction si le gouvernement décide de canaliser ses efforts de telle ou telle façon pour y remédier.

  (1615)  

    Merci.
    Passons maintenant à M. Fragistakos.
    Merci à tous d'être venus aujourd'hui.
    Un des mystères de l'approche des pays ciblés — et je pense que mes collègues ici présents en conviendront —, c'est de savoir comment les pays sont en fait sélectionnés pour leur inclusion dans la liste et leur retrait. A-t-on consulté vos organismes pour cela? Je m'intéresse en particulier à l'incident de la Zambie dont vous avez parlé en 2013. Le gouvernement avait-il communiqué avec Oxfam à ce sujet? Y a-t-il eu la moindre consultation? Cette question se pose à tous vos organismes, d'Oxfam à tous les autres qui suivent.
    Je parle pour Oxfam; nous n'avons pas été consultés. Je n'étais pas avec Oxfam au moment où on a dressé la liste d'origine des pays ciblés, il me semble que c'était en 2009. Je ne pense pas que les consultations étaient très étendues. Ce qui est sûr et certain, c'est que nous n'avons pas été consultés sur le retrait de la Zambie de la liste des pays ciblés.
    Peut-être que vous pouvez parler de consultations antérieures, Fraser.
    Je crois qu'en fait la plupart des ONG n'ont pas été consultées et la plupart des pays rejetés n'ont pas été consultés non plus.
    Malgré le fait que vos ONG travaillent sur le terrain, un terrain qu'elles connaissent à fond, il n'y a aucune consultation, pas la moindre.
    Tout à fait. Vous avez des partenaires de longue date là-bas et vous apprenez subitement que vous ne pourrez pas renouveler les programmes.
    Mais en fait de surprise, imaginez donc la réaction des hauts-commissariats et des ambassades au Canada quand ils ont reçu un communiqué de presse leur apprenant que leur pays avait été retiré de la liste des pays ciblés.
    Monsieur Cornelius.
    Non, nous n'avons pas été consultés. Il s'agissait d'un processus essentiellement interne. C'était un mystère pour nous comme pour vous et je n'ai jamais parlé à qui que ce soit qui aurait pu m'expliquer clairement comment c'était arrivé.
    Nous sommes très heureux d'avoir au moins eu l'occasion de nous exprimer ici aujourd'hui.
    Excusez-moi. Je voudrais juste ajouter une petite chose, si vous le permettez.
    Un élément très important dans notre relation d'aide, pour les organisations de la société civile aussi bien que pour les pays, c'est de leur parler de l'arrivée à terme de l'aide offerte. Cela fait partie de notre code d'éthique. Il faut laisser savoir à ses partenaires qu'on prévoit quitter le pays ou mettre fin à un partenariat à un moment donné et qu'on a l'intention de renforcer leurs capacités et leurs ressources en prévision du moment du départ.
    Vous dites que le manque de consultation a obligé les ONG à violer leur propre code d'éthique sans vouloir.
    C'est ce qu'on pourrait dire, en effet.
    Non, c'est un problème.
    Question numéro deux. Elle a été abordée par M. Cornelius, mais je suis sûr que tout le monde voudra faire des commentaires. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la réduction de la pauvreté et de la nécessité que ce soit le point de mire de l'APD? Pour moi, et vous en avez parlé, monsieur Cornelius, la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle, adoptée en 2008, a établi l'objectif global du Canada en matière d'APD en mettant l'accent sur la réduction de la pauvreté. J'estime que cette loi saura guider notre approche plutôt qu'une approche par pays ciblés qui semble accorder une très grande priorité à des objectifs stratégiques. Mais il est vrai que la réduction de la pauvreté en faisait partie.
    Pourriez-vous nous en parler?
    Je suis d'accord avec Fraser à certains égards. Peu importe le pays choisi, on peut se concentrer sur les enjeux de la pauvreté dans ce pays. Nous n'entrerons pas dans les détails pour savoir s'il s'agit d'un pays à revenu élevé, intermédiaire ou faible. Certains pays ont amplement les moyens d'aborder une pauvreté chronique.
    La question pour nous c'est de savoir pourquoi nous travaillons dans tel ou tel pays. Et si nous l'avons choisi — pour des motifs qui peuvent être mystérieux —, puisque nous sommes là, veillons à ce que le programme soit conçu pour lutter contre la pauvreté. Il n'est pas conçu pour être utile aux sociétés minières canadiennes ou desservir d'autres intérêts commerciaux, mais très concrètement pour la réduction de la pauvreté.
    Nous pensons que si nous faisons du bon travail pour réduire la pauvreté et confronter les inégalités, le pays deviendra plus prospère. Le Canada y gagne également. Grosso modo, de nombreuses opportunités commerciales en découleront. Ce n'est pas directement lié à un intérêt commercial concret, mais l'intérêt y est. Si on a d'autres intérêts là-bas, on peut rapidement perdre de vue le volet pauvreté et la programmation ne sera plus vraiment axée sur la pauvreté, ce qui scellera son sort.

  (1620)  

    Je suis entièrement d'accord avec ce que Jim a expliqué. Je voudrais ajouter que, à Oxfam, nous adoptons une approche très forte contre l'inégalité en entendant que c'est le principal moteur de la pauvreté et de la fragilité. Même à l'intérieur des pays, il s'agit de repérer les poches profondes où sévit l'inégalité et les lieux où se trouvent les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables.
    Fraser, vous avez suggéré dans vos remarques qu'il faut promouvoir leurs solutions plutôt que les nôtres.
    Il me semble que ce que vous touchez là c'est le concept de la décentralisation. Nous avons entendu des témoins — le mardi par exemple, Stephen Brown de l'Université d'Ottawa. Lui et les autres témoins ont parlé de la nécessité de décentraliser les systèmes de développement pour permettre aux acteurs locaux travaillant sur le terrain en collaboration avec des ONG qui connaissent bien le pays d'élaborer leurs propres solutions.
    Pouvez-vous nous en parler? Je pense que vous avez dit qu'on avait constaté que le Canada n'a pas été à la hauteur. Est-ce l'OCDE qui a tranché en la matière?
    L'Organisation de coopération et de développement économiques réunit tous les pays industrialisés donateurs au sein de son Comité d'aide au développement, qui compte 28 membres, dont le Canada.
    Au cours des dernières décennies, l'OCDE a arrêté les principes fondamentaux qui sont la clé de la prestation efficace de l'aide et les résultats qui auront une incidence positive sur la réduction de la pauvreté, notamment l'alignement de l'aide sur les plans nationaux du pays en développement et l'appropriation de ces objectifs nationaux. Je pense que la décentralisation pourrait, dans une certaine mesure, jouer un rôle important. Quels que soient les pays ou les thèmes qu'il retient, le Canada doit aligner ces thèmes — ou les adapter, comme l'a dit Christina — aux priorités et aux besoins nationaux.
    Nous avons amorcé ce changement par la décentralisation d'Affaires mondiales Canada. Je pense que la difficulté que nous avons éprouvée tient en partie à ce que la décentralisation a consisté surtout à accroître le personnel sur le terrain, alors que les pouvoirs de décider et de dépenser sont demeurés, pour l'essentiel, à Ottawa. Si nous arrivions à transférer une partie du pouvoir décisionnel aux responsables sur le terrain, qui ont une meilleure idée des réalités et des besoins locaux et qui sont en mesure de collaborer avec les organisations de la société civile ou les gouvernements des pays partenaires, je pense que cela serait efficace également.
    Merci.
    Monsieur Aubin.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie chacune et chacun d'entre vous d'être ici. Vos témoignages sont toujours fort intéressants. Nous avons reçu des représentants d'autres organismes depuis le début de cette étude, mais j'avoue que cela commence à me donner le même mal de tête qu'on a lorsque, enfant, on essaie de rentrer une étoile dans un carré ou un cercle dans une lune.
    Vous êtes très nombreux à soutenir l'approche des pays ciblés, ou à ne pas vous élever contre celle-ci. Du même souffle, vous nous dites qu'il faudrait nettement une plus grande flexibilité, voire une approche thématique. Vous êtes favorables à une orientation claire pour combattre la pauvreté et les poches d'extrême pauvreté. Vous nous dites tous que l'aide internationale doit s'établir à long terme. Voilà des principes de base que je partage avec vous. Toutefois, quand j'entends du même souffle la ministre Bibeau et le premier ministre nous dire que l'objectif de 0,7 % est trop ambitieux et que du moins pour 2016 la croissance du budget sera modeste, je me demande ce qu'on peut faire
    J'avoue qu'à court terme, j'étais content d'entendre, par exemple, l'idée d'une approche mixte, qu'il serait peut-être intéressant de vous entendre développer. J'ai aussi trouvé intéressant d'entendre M. Reilly-King nous parler d'une stratégie de sortie. À mon avis, à court ou à moyen terme, la flexibilité que nous souhaitons nous donner va peut-être passer par ce 90 %, que nous accordons présentement en financement aux pays ciblés. Une sortie progressive d'un certain nombre de pays nous permettrait de récupérer des billes pour pouvoir les installer ailleurs.
     Je souhaiterais, comme vous, une croissance plus rapide de nos budgets en développement international mais dans l'attente de cela, comment fait-on pour jouer avec nos cartes et faire en sorte que l'on réponde davantage aux objectifs que vous souhaitez atteindre vous aussi?

  (1625)  

    Si vous me permettez, je vais répondre en anglais parce que j'ai toujours du mal avec les termes techniques en français.

[Traduction]

    Je le comprends fort bien.
    Je voudrais dire qu'il me semble que l'aide constitue une composante essentielle de la lutte contre la pauvreté. Comme vous, j'insisterais ou j'espérerais que le Canada, au cours des cinq ou dix prochaines années… l'un des résultats clés de cet examen sera d'établir un échéancier pour augmenter son APD, mais il importe également de garder présent à l'esprit que, s'il est vrai que l'APD est la source ou la ressource la plus immédiatement disponible pour lutter contre la pauvreté, les gouvernements peuvent aussi recourir à la mobilisation de ressources intérieures. Ici, au Canada, nous percevons des impôts, des droits tarifaires et ainsi de suite. Nous devons renforcer la capacité des pays de percevoir ces recettes.
    L'un des plus grands problèmes de l'Afrique subsaharienne est qu'elle perd en recettes environ 160 milliards de dollars par année du fait de l'évasion fiscale et des pratiques de multinationales. L'argent qui est envoyé en Afrique sous forme d'aide est probablement moins de la moitié de ce montant.
    Je suis d'avis que, si nous arrivions à contrer l'évasion fiscale dans ces pays et insistions pour que les entreprises paient leurs redevances, même accrues, ainsi que leurs taxes, la situation serait grandement améliorée.
    Le programme des objectifs de développement durable porte sur 17 différents enjeux, dont les océans, la gestion des ressources naturelles, la pauvreté, l'alimentation et la sécurité. Le Canada s'est engagé à appliquer ce programme sur le plan intérieur également, ce qui exigera la participation de tout un éventail de différents ministères. Nous devons nous assurer que nos efforts de lutte contre la pauvreté sur le plan international ne seront pas limités au ministère responsable du développement, mais insister sur une certaine cohérence dans l'ensemble du gouvernement. Le ministère de la Justice aura à jouer un rôle pour aider à instaurer la primauté du droit dans divers pays. Pour ce qui est des affaires étrangères, notre diplomatie aura aussi un rôle pour favoriser l'extension du champ d'action de la société civile afin de mieux lui permettre d'exercer ses activités, de surveiller le gouvernement et de le rendre comptable de ses actions. Je pense que nous devons également songer aux moyens par lesquels d'autres ministères, non seulement celui chargé du développement international, pourront soutenir le programme des objectifs de développement durable, tant sur le plan international que sur le plan intérieur.
    Si vous le permettez, j'ajouterais qu'Oxfam est passablement actif dans le dossier de l'évasion fiscale, mais je laisserai à ma collègue Kelly discuter de cette question.
    Une autre voie pour accroître l'efficacité de notre aide est de miser sur les femmes et les filles. Beaucoup de données montrent que l'investissement qui leur est consacré a un effet multiplicateur, puisqu'elles ont plus tendance à réinvestir dans leur famille, leur ménage et leur collectivité. Les retombées seront plus grandes si nous mettons les femmes et les filles au cœur de nos activités.
    J'abonde dans le même sens que Fraser quand il dit que nous devons travailler avec les gouvernements locaux. Beaucoup des pays où Oxfam est actif sont des pays à revenu intermédiaire. Les ressources ne manquent pas au niveau local, mais ce que nous tâchons de faire dans ces pays, c'est de travailler avec la société civile et d'accroître la capacité de nos partenaires locaux de la société civile afin qu'ils puissent tenir leur gouvernement comptable de ses actions et s'assurer que leur gouvernement investit dans des programmes sociaux qui répondent aux besoins des plus pauvres et des plus vulnérables. C'est une autre façon de multiplier l'effet des ressources restreintes dont nous disposons.
    Pour faire brièvement écho aux commentaires précédents, l'Alliance mondiale pour la justice fiscale a mené une recherche qui a montré que chaque dollar dépensé sur l'administration fiscale dans les pays en développement se traduit par une augmentation de 350 $ des ressources intérieures. Je crois que cela peut mieux faire comprendre, dans une optique de renforcement du système, comment la voie de la mobilisation de ressources intérieures peut être un élément clé.
    Monsieur Levitt, c'est à vous.
    Madame Polzot, c'est à vous que j'adresse ma première question parce que je voudrais explorer un peu plus loin la notion de ce que vous appelez une compétence de base et que, pour ma part, j'appelle un avantage comparatif.
    Au sujet de cette idée d'une approche thématique et du changement radical de la nature de nos méthodes et plans de développement international qu'elle entraînerait, comment en verriez-vous le déroulement et pourquoi nous aiderait-elle à acheminer nos ressources vers les plus vulnérables et à régler des problèmes comme l'inégalité?

  (1630)  

    Je dirais que le Canada a été dans le passé un champion constant de l'égalité des sexes et des droits de la femme, si bien que nous avons certainement un avantage comparatif dans ce domaine. Je suis de retour au Canada depuis neuf mois, après une affectation de quatre années à l'étranger, et dans toutes mes conversations avec nos partenaires gouvernementaux dans le pays où j'étais et avec nos partenaires de la société civile, j'ai pu constater qu'ils reconnaissaient le rôle de leadership exercé par le Canada dans la promotion de l'égalité des sexes et des droits de la femme.
    Je pense que nous devons tabler là-dessus. Cela ne veut pas dire que nous devrions négliger d'autres thèmes, mais que nous devons mettre la promotion des droits de la femme et de l'égalité des sexes au centre de toutes nos activités, qu'il s'agisse de programmes de sécurité alimentaire, de lutte aux changements climatiques ou dans d'autres domaines.
    Il y a aussi eu dans le passé des mécanismes qui permettaient aux organisations de la société civile, en particulier celles œuvrant pour les droits de la femme dans les pays où nous travaillons, d'avoir accès à un financement souple accordé par le gouvernement canadien, tel que les fonds pour l'égalité des sexes qui étaient encore offerts il y a trois ou quatre ans. Il s'agit de ressources précieuses pour les organisations de la société civile qui travaillent en première ligne à promouvoir l'égalité des sexes et les droits de la femme, et c'est pourquoi nous préconisons le rétablissement de mécanismes de financement souple de ce genre.
    Messieurs, pourriez-vous nous dire quel est votre point de vue quant à cette réorientation en faveur d'une approche thématique, quels sont vos sentiments à cet égard? Est-ce que ce sera plus efficace? Est-ce quelque chose qui pourrait s'appliquer en tandem avec nos activités actuelles?
    Je n'y vois pas une situation où il faut choisir l'un ou l'autre. Nous avons déjà trois thèmes et aussi une approche axée sur les pays ciblés. Ces choix ne sont pas mutuellement exclusifs. Je ne veux pas que nous nous mettions dans l'alternative de devoir opter pour l'un ou pour l'autre. Je pense que nous pouvons conserver l'approche axée sur les pays ciblés.
    Je vois cependant la valeur de certaines orientations thématiques qui nous permettront de renforcer nos compétences dans l'ensemble du Canada. Je pense que le Canada bénéficierait – comment dire? En termes bassement commerciaux, on parlerait de notoriété de la marque – d'un plus grand rayonnement mondial en adoptant une approche thématique qu'au moyen de ces approches axées sur les pays ciblés.
    Les approches axées sur les pays ciblés sont bonnes – elles permettent de mettre en œuvre des programmes utiles –, mais elles ne contribuent pas grandement par elles-mêmes à rehausser le profil mondial du Canada, tandis que les approches thématiques nous donnent l'occasion de participer à des conférences et d'être actifs relativement à certains enjeux critiques dans lesquels le Canada exerce un rôle de leadership. Il y a donc une différence quant à la présence du Canada sur la scène mondiale.
    J'ajouterais que l'un des changements bienvenus qui s'est produit avec l'avènement du gouvernement libéral est son insistance sur la continuité, mais assortie de changement. Nous avons travaillé pendant 10 ans sur les questions de santé des mères et des nouveau-nés et de sécurité alimentaire pour la croissance. Tablons donc sur ce travail. Je pense que l'examen des politiques devrait porter essentiellement sur les moyens par lesquels nous pouvons assurer la suite de ce que nous avons déjà accompli sans y apporter trop de changements.
    Comme Christine l'a mentionné, quels que soient les thèmes retenus, il nous faut considérer les pays que nous avons ciblés, adapter ces thèmes à leur situation, aux besoins réels des gens avec qui nous travaillons et tirer ces éléments des thèmes.
    Un autre avantage comparatif, et il est peut-être quelque peu égocentrique de s'y attarder, c'est que le Canada bénéficie d'une riche expérience avec les organisations de la société civile œuvrant en développement international. Nous avons 85 membres participants. Nous savons qu'il y a environ 5 400 organismes partout au Canada qui œuvrent en développement international et qui ont une expérience et des compétences séculaires. Je pense qu'il s'agit d'un avantage comparatif réel. Nous étions reconnus pendant les années 1970, 1980 et 1990, à l'époque où il y avait des programmes adaptés aux réalités, où les organisations de la société civile pouvaient innover, produire et travailler avec les gens en première ligne de façon à obtenir d'immenses résultats.
    Une question de suivi. Nous venons de terminer une étude sur les femmes, la paix et la sécurité au cours de laquelle nous avons entendu, fois après fois, beaucoup d'intervenants faire valoir l'importance de disposer d'expériences et de connaissances locales, basiques, à l'intérieur des pays concernés et exprimer le sentiment que notre réussite à ce chapitre était plutôt aléatoire. Auriez-vous des propositions à faire, dans le cadre de notre examen du processus, en vue d'intégrer des joueurs locaux dans notre prestation d'aide bilatérale, de normaliser cette pratique et d'atteindre ainsi un degré de réussite plus grand?
    Christina ou Jim pourront probablement ajouter quelque chose, mais je dirais que nous le faisons déjà. Tous nos gens sur le terrain travaillent avec des partenaires locaux. Ils ont recours à leur expérience et leurs compétences.

  (1635)  

    En effet. Je dirais qu'il est crucial de continuer de collaborer avec des partenaires locaux qui cherchent à travailler avec la société civile dans les pays concernés. Dans chacun des pays où Oxfam est actif, tout notre travail se fait avec des partenaires locaux. Nous ne faisons rien isolément ou sans intermédiaire. Il est essentiel de maintenir notre soutien aux organisations canadiennes de la société civile qui travaillent avec des partenaires à l'étranger.
    De plus, l'un de nos mandats est d'acheminer le financement institutionnel aux organisations de la société civile dans les pays où nous travaillons. Il arrive que les mécanismes de reddition de comptes, pour ce qui est du financement institutionnel, soient quelque peu trop lourds pour nos partenaires locaux. C'est un autre domaine dans lequel nous pouvons leur apporter un soutien. Nous pouvons accéder au financement, le leur acheminer et ensuite les aider avec le mécanisme redditionnel.
    Nous pensons qu'il est crucial que les organisations locales disposent de fonds locaux, souples, qui n'ont pas à être très considérables – les fonds pour l'égalité des sexes n'étaient pas immenses, pas plus que le Fonds canadien –, que ceux-ci soient accessibles dans le pays même et que les mécanismes de reddition de comptes et de rapport soient allégés quelque peu. Nous recommandons donc également qu'un tel instrument soit examiné et, si possible, rétabli parce qu'il constitue un outil de financement très utile aux partenaires locaux.
    Pour ce qui est des programmes bilatéraux, j'ai déjà fait valoir mes arguments au sujet des programmes adaptés. Je pense que c'est une tout autre question.
    Mais si vous considérez les programmes bilatéraux, qui sont par définition de pays à pays, des problèmes se posent. Les gouvernements partenaires ne veulent pas vraiment que l'argent aille à la société civile locale. Ils imposent toutes sortes de barrières et de contraintes qui rendent difficile l'application de certains des programmes bilatéraux. Il existe cependant des moyens par lesquels les partenaires canadiens peuvent aider à lever certaines de ces difficultés. Nous avons des partenariats établis de longue date. Nous pouvons aider de diverses manières qui ne sont pas possibles avec les programmes bilatéraux directs en raison justement de ces contraintes.
    Dans certains pays, le contexte est tel qu'il est tout à fait possible pour le programme bilatéral d'apporter un soutien relativement solide à des groupes locaux, ce que nous encourageons parce que c'est une très bonne chose. L'aide n'a pas toujours à être acheminée par l'entremise d'un partenaire canadien. Ce serait, je pense, une bonne chose d'en venir à créer des fonds et diverses structures à l'échelon local.
    Nous travaillons dans de nombreux milieux où la place accordée à la société civile locale ne cesse de rétrécir. Nous sentons des contraintes qui limitent notre action en tant qu'ONG internationale. Cela m'inquiète passablement moins que les contraintes qui s'exercent à l'encontre des groupes locaux. Les gouvernements tentent de les contrôler. Il importe que nous trouvions des moyens pour continuer de soutenir ces gens, parce qu'ils ont besoin de soutien et de ressources pour que s'instaurent dans ces pays une économie vigoureuse et un tissu social dynamique.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Chers collègues, je dois interrompre la discussion là où nous en sommes.
    Je tiens à remercier la Banque canadienne de grains, le Conseil canadien pour la coopération internationale et Oxfam Canada pour leur exposé. Malheureusement, le temps a filé, mais sachez que j'ai apprécié hautement l'occasion de dialoguer avec vous et que nous voudrons, je n'en doute pas, poursuivre ce dialogue.
    Chers collègues, nous prendrons une courte pause avant d'accueillir nos prochains témoins.
    Merci.

  (1635)  


  (1640)  

    Chers collègues, la séance reprend.
    Je tiens à vous remercier tous. Nous tâcherons, malgré les difficultés apparentes, de respecter notre horaire.
    Nous accueillons, si je ne me trompe, par vidéoconférence, Eva Busza, porte-parole de la Fondation Asie Pacifique du Canada, ainsi que John McArthur, professeur au Brookings Institute. Avec nous également se trouve Philip Oxhorn, professeur de sciences politiques à l'Université McGill.
    Philip, je débuterai avec vous, puisque votre nom est le premier de la liste. Je vous laisse donc la parole pour vos remarques préliminaires. Merci de vous être déplacé.

  (1645)  

    La première chose que j'ai à dire c'est, bien sûr, qu'il y a des priorités à déterminer. Comme les besoins dépassent les disponibilités financières, il s'agit de définir les critères qui serviront à établir les priorités.
    Trois possibilités ressortent: la géographie, les compétences canadiennes et la sécurité et les intérêts économiques du Canada. Je pense que ce qui importe le plus, et j'insiste là-dessus, est le besoin d'établir un équilibre.
    À mes yeux, il faut avoir pour point de départ les compétences canadiennes. Qu'est-ce que les Canadiens réussissent? Je pense qu'il est important que la marque qui nous caractérise ne tienne pas à nos amitiés, à notre réputation d'amabilité ou à des considérations de ce genre, mais qu'elle reflète d'abord nos compétences et notre réussite.
    Je pense qu'il est ensuite important de tenir compte de considérations géographiques. C'est important parce que nous pourrons concentrer nos efforts dans les pays les plus nécessiteux, comme les plus pauvres d'Afrique, mais aussi dans ceux avec lesquels le Canada a des relations bien établies, les Antilles anglophones, par exemple, et d'autres pays liés au Commonwealth.
    En dernier lieu, il y a la sécurité et les intérêts économiques, facteurs que j'estime les moins importants. Si je les classe en fin de liste, ce n'est pas parce qu'ils sont sans importance, puisque, de toute évidence, ils sont importants et ne doivent pas être négligés, mais parce que le Canada doit veiller à préserver sa bonne image. Si l'aide canadienne vient à être perçue comme étant trop intéressée, instrumentaliste ou opportuniste, elle se dévalorisera et la réputation du Canada parmi les pays donateurs en souffrira.
    Il existe un nombre presque infini de domaines dans lesquels le Canada possède des compétences pertinentes. Un important domaine qui, je pense, pourrait servir de point de départ est la gouvernance. Sous ce terme, j'inclus la responsabilité sociale des entreprises et la mise en place d'un cadre permettant aux entreprises de contribuer de façon plus importante, plus positive, au développement durable.
    Je pense qu'il importe en particulier, vu la nature de l'économie canadienne, de reconnaître le rôle que jouent les industries extractives et l'importance d'établir de meilleures normes pour baliser la responsabilité sociale des entreprises dans ce domaine. Il convient de signaler que nous utilisons – c'est mon cas du moins – l'expression « responsabilité sociale des entreprises » de manière approximative. Ce dont je parle en réalité, c'est le rôle que le secteur privé doit jouer dans la promotion du développement. L'aide bilatérale canadienne peut contribuer grandement à le faciliter. Pourquoi le secteur privé doit-il y jouer un rôle? Parce que c'est là que sont les empois. En l'absence d'entreprises productives, productrices de ressources, nous n'aurons pas grand-chose, surtout pas un développement, qui soit durable.
    Le prochain élément que j'inclurais sous le vocable de « gouvernance », c'est l'appareil judiciaire et policier. À cet égard, le Canada réussit plutôt bien. Si l'on étudie tous les chiffres, force est de constater que son appareil judiciaire et policier n'a rien à envier à celui de quelque autre pays au monde. C'est pourtant à ce chapitre que se font souvent sentir des besoins criants dans de nombreux pays en développement. Depuis très longtemps, le Canada apporte son aide à des pays qui s'efforcent de mettre sur pied leurs propres appareils judiciaires et policiers, et il y a tout lieu de renforcer sans cesse ce rôle.
    Une autre caractéristique méconnue, je pense, du Canada est qu'il réussit fort bien à demeurer un vrai État providence, appliquant des politiques sociales réellement utiles et bénéfiques, tout en parvenant à maintenir des politiques budgétaires et monétaires relativement stables. N'oublions pas ce qui s'est passé en 2008. Le Canada s'est assez bien tiré d'affaire durant la crise de 2008 et, contrairement à d'autres pays, nomment notre voisin du sud, a réussi à maintenir un niveau de services publics que j'estime exemplaire.
    Ce sont les enseignements de ce genre qui doivent être concrétisés et adaptés aux expériences de bon nombre de pays en développement, y compris des pays tels que le Brésil et le Venezuela qui sont des pays à revenu intermédiaire ou relativement élevé, mais qui sont en proie à des crises majeures en raison de mauvaises politiques.
    Par « gouvernance », j'entends aussi la gestion d'une économie – en l'occurrence celle du Canada – de plus en plus tributaire du secteur extractif. À ce chapitre, il y a beaucoup d'enseignements à tirer qui pourraient servir de pratiques exemplaires et être adaptés pour aider les pays en développement à relever leurs propres défis.
    Après la gouvernance, notre deuxième sphère d'activité devrait être celle de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants. Elle a une réelle importance. Nos activités à cet égard ont débuté sous le gouvernement précédent, et je pense qu'elles doivent se poursuivre, mais avec deux changements importants. Il faut en premier adopter une optique en fonction du sexe; par cela, je veux dire qu'il faut simplement traiter les femmes comme des femmes et tenir compte de leur situation dans des sociétés dominées par les hommes. En d'autres termes, nous ne devons pas considérer le dossier des femmes et de la santé maternelle comme un moyen pour atteindre d'autres objectifs. Il doit constituer un objectif en lui-même et pour lui-même.
    La raison en est toute simple. Non seulement nos activités dans ce domaine aident à l'instauration de sociétés plus justes, mais elles contribuent aussi à apporter d'autres bénéfices qui s'avéreront durables dans l'avenir. Nous parlons ici des enfants, des soins aux enfants et de toutes sortes d'autres bienfaits qui découlent de sociétés plus justes et plus égalitaires.
    En troisième et dernier lieu, je mentionnerai brièvement la sécurité alimentaire. Il s'agit d'un domaine dans lequel le Canada possède des compétences particulières pour diverses raisons, notamment à cause de son vaste secteur agricole. De plus, les projets administratifs du CRDI ont déjà accompli beaucoup à la sécurité alimentaire. J'ai participé à plusieurs de ces projets, et c'est donc en connaissance de cause que j'affirme qu'ils doivent certainement être poursuivis.

  (1650)  

    Il me paraît également important de comprendre que les domaines d'expertise que possède le Canada contribuent tous directement à la réalisation des ODD, les objectifs de développement durable. La réalisation des ODD soulève le plus souvent un nombre considérable de défis, mais finalement, ils se réduisent à la bonne gouvernance, à la suprématie de la loi, ou aux services de police, et à de bons tribunaux; il faut encore préserver l'État-providence et des politiques sociales qui correspondent au niveau de développement économique et aux besoins des habitants des pays dont nous parlons; il faut également que ces sociétés deviennent plus égalitaires et plus justes pour ce qui est du genre.
    Si vous examinez la situation de cette façon, vous constaterez que cela s'applique également à des degrés divers aux pays à revenus faibles et moyens. En particulier, les pays à revenus moyens n'obtiennent pas de bons résultats pour ce qui est de la gouvernance, comme nous l'avons constaté en Amérique latine, en Afrique du Sud et dans d'autres pays à revenus moyens. C'est un domaine où l'expertise canadienne peut apporter beaucoup pour ce qui est d'adapter l'aide aux besoins et aux attentes des personnes que le Canada essaie d'aider et de travailler avec les organismes de la société civile ainsi qu'avec leur gouvernance.
    J'ai pensé que j'abrégerais un peu mes commentaires pour avoir plus de temps pour les questions.
    Je vous remercie. Nous l'apprécions.
    Je vais maintenant donner la parole à Eva Busza de Vancouver, Colombie-Britannique, où j'aimerais bien être.
    Allez-y, Eva.

[Français]

     Bonjour, monsieur le président.
    Membres du Comité et collègues, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'être ici aujourd'hui et de participer à cette discussion importante.
    Je m'appelle Eva Busza et je suis vice-présidente, recherche et programmes, de la Fondation Asie Pacifique du Canada.

[Traduction]

    La fondation a été créée par une loi du Parlement en 1984 pour aider les Canadiens à nouer un dialogue avec l'Asie. La plus grande partie de notre travail ne touche pas l'aide au développement; nous travaillons en fait au confluent du commerce, de l'innovation, du développement et de la géopolitique. C'est pourquoi ma perspective est peut-être un peu différente de celles des représentants du milieu du développement international. Je vais également me fonder sur mon expérience personnelle antérieure qui me vient des 15 années que j'ai passées comme praticienne du développement, dans un travail axé sur la réforme du secteur de la sécurité, sur les programmes d'aide d'urgence et de lutte contre les conflits, l'aide aux États fragiles, ce qui a compris quatre années comme directrice de la planification stratégique, axée sur les menaces mondiales, pour le secrétaire général de l'ONU actuel.
    Comme vous l'avez vu, la question du choix des pays ciblés a débouché sur une réflexion plus large sur ce que le Canada doit faire, tant à l'interne qu'à l'externe, pour améliorer l'efficacité de son aide, s'adapter à un monde changeant et aider les plus pauvres et les plus vulnérables.
    Permettez-moi de commencer par aborder directement vos questions.
    Le Canada devrait-il concentrer son aide bilatérale au développement sur un petit nombre de pays et de secteurs ciblés?
    Premièrement, il ne faut pas oublier qu'un tiers de l'aide au développement du Canada est bilatérale et que 90 % de cette aide est accordée aux pays ciblés. Les deux tiers restants n'entrent pas dans le modèle des pays ciblés. Ma première mise en garde est que le comité ne doit pas se limiter à l'aide bilatérale et qu'il doit examiner l'ensemble de la question. La répartition un tiers, deux tiers, est-elle appropriée? Pour ce qui est des deux tiers restants, n'y a-t-il pas une attribution ciblée de fait, même si ces fonds ne sont pas attribués selon le modèle des pays ciblés, et comment cette partie de l'aide s'harmonise-t-elle avec notre aide bilatérale? Est-ce que nos programmes visent suffisamment la multitude des défis régionaux et mondiaux qui touchent non seulement les plus vulnérables, mais qui risquent de faire retomber dans la pauvreté extrême ceux qui y avaient échappé? Le changement climatique, les épidémies, la criminalité transnationale et les désastres naturels sont-ils des aspects qui sont suffisamment pris en compte par notre aide? J'estime qu'il faut accorder une plus grande priorité à ce dernier aspect, mais il faut que les décisions soient fondées sur une solide analyse des programmes, opération dont se chargera pour vous Affaires mondiales Canada.
    Je vous inviterais également à effectuer votre analyse en examinant quels sont les mécanismes et le soutien au développement que fournissent les agences et ministères autres qu'Affaires mondiales Canada sur le plan international, par exemple, les Finances, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, l'Agence de la santé publique, Changement climatique et Environnement, Innovation, Sciences et Développement économique, la Gendarmerie royale du Canada et le ministère de la Défense nationale. Il faut que notre politique en matière de développement se fonde sur une approche pangouvernementale et cela commence par un recensement de l'action de l'ensemble du gouvernement.
    En principe, compte tenu des ressources limitées que possède le Canada, je suis d'accord avec les témoins précédents qui ont soutenu que le soutien que nous accordons devrait être concentré sur un nombre limité de secteurs choisis dans quelques pays, mais que nous devrions également équilibrer cette approche en prenant en compte les interventions mondiales ou régionales. Il n'est pas possible de ne pas tenir compte du contexte régional, étant donné qu'en général, les épidémies, les sécheresses, les conflits, la criminalité et le flux financiers ne respectent pas les frontières.
    Pourquoi cibler notre action?
    Parce que vos programmes risquent de donner de meilleurs résultats si vous concentrez votre action, pour tous les motifs que D.G. Kent a exposés dans sa déclaration préliminaire. Cela dit, comme d'autres témoins l'ont souligné, le seul fait de cibler notre aide en fonction de la géographie ou d'un secteur ne garantit aucunement qu'elle sera plus efficace.
    Il faut prendre d'autres mesures. Il faudrait, premièrement, identifier les domaines où nous faisons du bon travail et les recouper avec les genres d'interventions qui semblent avoir un effet maximum et déterminer quels sont les secteurs dans lesquels la communauté internationale n'investit pas suffisamment.

  (1655)  

    Deuxièmement, nous devons faire une différence entre trois contextes: les pays stables avec des poches de populations pauvres ou très vulnérables — ce pourrait être des PMD ou des pays à revenus moyens, comme les données de la Banque mondiale l'indiquent, dans lesquels vivent 70 % des personnes les plus pauvres et les plus vulnérables — les États fragiles et les crises humanitaires. Les programmes qui risquent d'être efficaces dans ces différents types de situations vont non seulement varier, mais les mécanismes utilisés pour les mettre en oeuvre et l'approche adoptée à l'égard du renforcement des capacités va également varier.
    Troisièmement, nous devons harmoniser nos projets d'intervention avec les priorités de développement des pays et régions en question. Veulent-ils recevoir le genre d'aide que nous sommes en mesure de leur fournir? Idéalement, cette acceptation devrait être nationale, mais il arrive parfois, en particulier dans les États fragiles, qu'il soit suffisant de bénéficier d'un appui à un niveau régional ou local. De toute façon, il est essentiel que les intéressés clés en mesure d'introduire des changements acceptent notre action.
    Vous avez parlé des initiatives et des ententes internationales et vous avez demandé si elles pourraient nous aider à dégager certains principes.
    Il existe un certain nombre d'accords qui fournissent des lignes directrices et des principes pour l'aide au développement. Parmi les principaux, figurent la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide, le Programme d'action d'Accra, les Principes de Busan, l'Agenda pour le développement durable de 2030 et l'Accord de Paris sur le changement climatique. Ces documents sont-ils parfaits? Non, mais ils contiennent les connaissances que les pays ont acquises au sujet de la lutte contre la pauvreté et du développement. Ils servent en outre de mécanisme de coordination et de classification, un aspect essentiel compte tenu de la multitude des acteurs dans le milieu du développement.
    Pour ce qui est de votre question sur l'efficacité d'un modèle axé sur des pays ciblés, j'ai déjà mentionné que ce modèle ne devrait pas dicter les décisions en matière de développement. La bonne solution est d'établir un cadre d'aide axé sur les populations pauvres et vulnérables, et non sur les États, et qui permette les interventions différenciées, qui accordent la priorité aux programmes adaptés aux différents types de situation de développement. Par exemple, dans les régions ou dans les États fragiles, la prévention des conflits, la justice transitoire et la réconciliation, ainsi que les programmes axés sur les moyens de subsistance associés à un soutien dans le domaine de la sécurité, risquent d'être particulièrement efficaces.
    J'aimerais terminer en présentant quelques recommandations pour l'avenir.
    Le Canada a aujourd'hui la possibilité de se positionner, une fois de plus, comme innovateur dans l'aide au développement et comme partenaire international apprécié. Comment y parvenir? Premièrement, sur le volet coordination, étant donné que le nombre d'acteurs qui luttent contre la pauvreté se multiplie et que l'APD n'évolue pas beaucoup, l'efficacité de la prestation de l'aide devient un aspect encore plus important et complexe. Les deux éléments qui sont souvent les plus difficiles à financer sont les coordonnateurs et les systèmes de coordination. Ils ne sont tout simplement pas très attrayants. Lorsque vous travaillez sur le terrain, vous constatez trop souvent qu'il y a du gaspillage dû au chevauchement des interventions et à un mauvais ciblage des ressources. L'action du Canada pourrait être extrêmement utile, s'il se consacrait à fournir à la fois des ressources humaines et un appui aux technologies de coordination et aux systèmes d'information.
    Deuxièmement, nous voulons être un pays axé sur l'innovation et nous devons intégrer davantage nos politiques en matière de commerce, de sciences et de technologie à nos politiques de développement et jouer un rôle de leader dans l'élaboration et la mise en oeuvre des TCI et de la technologie pour ce qui est de la prestation de l'aide et sa surveillance. À titre d'exemples, je mentionne l'utilisation de l'analytique et de la collecte de mégadonnées pour les interventions en cas de catastrophe et leur coordination, l'appui donné aux applications de téléphone mobile pour les diagnostics sanitaires ou l'accès à l'eau ou à des installations sanitaires, l'emploi des drones pour livrer des fournitures médicales et de la nourriture aux populations les plus vulnérables et les plus difficiles à atteindre, l'appui à la révolution que connaît la technologie financière en facilitant l'accès à la microfinance et aux services essentiels aux groupes les plus pauvres et les plus vulnérables.
    Troisièmement, nous devrions devenir un leader dans la promotion des approches commerciales au développement. Nous le faisons déjà dans une certaine mesure en appuyant les entrepreneurs sociaux, mais nous pouvons faire beaucoup plus dans ce domaine.
    Enfin, nous pourrions concrétiser notre volonté d'assumer ce nouveau rôle en organisant un sommet international sur le développement et l'innovation et en établissant des partenariats avec les donateurs clés, les fondations et le secteur privé.

  (1700)  

[Français]

     Je vous remercie du temps que vous m'avez consacré. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes les questions des membres du Comité.

[Traduction]

    Merci, madame Busza.
    Nous allons maintenant passer à M. McArthur du Brookings Institute.

[Français]

    Monsieur le président, je vous remercie de votre accueil.
    Je regrette de ne pas pouvoir pas être là avec vous aujourd'hui à Ottawa, mais c'est vraiment un plaisir d'être avec vous par vidéoconférence.

[Traduction]

    Je pensais parler aujourd'hui de quatre groupes de sujets, en tenant compte de la question dont est saisi le comité. J'aimerais cerner d'un peu plus près certaines de ces questions mondiales, premièrement, en parlant de l'ampleur du défi; deuxièmement, en parlant du raisonnement susceptible de guider la réflexion du comité au sujet des moyens d'atteindre les objectifs mondiaux qui ont été mentionnés; troisièmement, en parlant brièvement des évaluations des programmes bilatéraux du Canada qui ont été effectuées, et quatrièmement, en présentant quelques recommandations à l'intention du groupe.
    Pour ce qui est du défi, il me paraît très important de prendre en compte la nature de l'économie mondiale, pour examiner ces questions précises, importantes et spécifiques. L'économie mondiale représente environ 85 trillions de dollars, c'est une économie qui évolue rapidement, qui est énorme, complexe et interconnectée.
    Les objectifs de développement durable définissent le cadre international commun de l'approche aux défis écologiques, sociaux et économiques qui vont se présentent d'ici 2030 dans ce contexte. Pour le Canada, j'estime qu'il devra centrer son action sur deux dimensions clés. La première est l'échelle et la seconde, la spécificité des résultats.
    Au niveau mondial, cela veut dire que le Canada doit élaborer un schéma d'analyse très clair pour définir et évaluer ses responsabilités internationales à l'égard de défis calibrés avec la spécificité. Au niveau national, cela veut dire que notre société a besoin d'adopter une stratégie claire qui fasse en sorte que toutes les provinces, tous les territoires et toutes les municipalités aient la capacité d'innover et de jalonner leur parcours vers la réalisation de ces objectifs communs.
    Cela dit, j'insisterais sur le fait qu'un des changements les plus fondamentaux qui est en train de se produire dans la société mondiale est que ce sont maintenant les soi-disant pays en développement qui représentent aujourd'hui la plus grande partie de la croissance économique annuelle mondiale. Je crois que l'on peut dire que cela ne s'était encore jamais produit à notre époque et que cela représente un changement structurel. En fait, ce changement est tellement important, que j'estime que la distinction que l'on fait entre les pays développés et les pays en développement est en train de disparaître et dans certains cas, très rapidement.
    Pour illustrer ce point, prenons la question de savoir si la Chine est un pays développé ou en développement. Cette question en elle-même n'a pas beaucoup de sens. Il est évident que la Chine ne peut s'examiner en fonction de dichotomies aussi fausses.
    De la même façon, on peut se demander si la création, l'année dernière, de la Banque asiatique d'investissements dans les infrastructures constitue un événement économique ou si c'est une réponse géopolitique aux échecs, perçus ou autres, des institutions de Bretton Woods — la Banque mondiale et le reste — ou si c'est un instrument susceptible de faire la promotion des systèmes énergétiques à faible consommation de carbone dans la région la plus peuplée du monde? La réponse est « tous les aspects ci-dessus », aspects qui sont tous d'une importance mondiale.
    Cela importe, parce que même l'expression « développement international » est, d'après moi, désuète. Je n'aime pas beaucoup l'employer, parce que je suis un économiste qui examine ces questions sur une base quotidienne. Je pense que l'expression « développement international » rappelle des notions des années 1970 où l'on faisait la charité pour les pays pauvres, ce que l'on a appelé le festival de la politique internationale, alors qu'à l'heure actuelle, nous examinons des questions fondamentales pour la société mondiale.
    Il faudrait également élargir notre cadre de réflexion pour nous demander qu'elle est, au Canada, l'entité chargée de poser et de répondre à ces questions. Par exemple, nous avons connu la crise de l'Ebola; nous avons eu la grippe aviaire; nous avons le SARS. Santé Canada a un rôle crucial à jouer pour empêcher la propagation de ces épidémies mondiales. Environnement et Changement climatique Canada doit jouer un rôle crucial pour mettre en place des incitatifs et des règlements favorisant une économie à faibles émissions de carbone. Affaires indiennes et du Nord Canada a un rôle crucial à jouer, celui de veiller à ce que le Canada respecte son engagement dans le cas des ODD, soit d'éviter que certains ne soient laissés pour compte. Comme cela a été mentionné, j'estime qu'Innovation, Sciences et Développement économique Canada a un rôle crucial à jouer pour favoriser les innovations écologiques, sociales et économiques qui permettront à la fois d'atteindre les ODD et d'être compétitif dans l'économie mondiale.

  (1705)  

    C'est une nouvelle façon de réfléchir aux problèmes qui se posent à nous; j'ai participé aux efforts déployés par tous les pays pour élaborer les objectifs de développement du millénaire et on ne saurait trop insister sur la nécessité d'adopter un nouvel état d'esprit pour chercher à atteindre les objectifs de développement durable.
    Je vais maintenant passer au deuxième point, le ciblage.
    En réfléchissant à l'échelle et à la spécificité des ODD, et grâce aux travaux récents que nous avons faits dans le cadre d'un projet appelé Ending Rural Hunger, nous avons constaté que la plupart des objectifs de développement durable pouvaient s'apprécier par rapport à trois points de référence fondamentaux: les besoins, les politiques et les ressources par personne. Si j'examine le deuxième objectif relatif à la faim, par exemple, il est possible de définir les besoins par rapport aux indicateurs de la sous-alimentation, de la malnutrition, de la productivité des petits producteurs, de la résilience du système alimentaire, etc.
    Si vous prenez l'ODD 3 relatif à la santé, vous pouvez examiner les besoins par rapport aux indicateurs sur la survie des enfants, la survie néonatale, la mortalité maternelle, etc. Mais il faut ensuite examiner les politiques appliquées dans ce secteur dans chaque pays concerné. Pour l'objectif de lutte contre la faim, vous pourriez étudier les politiques commerciales et en matière de nutrition; vous pourriez examiner la priorisation, politiquement, de l'agriculture. Pour les objectifs de santé, vous pourriez étudier les indicateurs applicables aux politiques en matière de régime de santé dans chacun des pays.
    Enfin, le troisième et dernier lien dans la chaîne est d'évaluer les ressources et de savoir quel en est le pourcentage qui est consacré à chaque personne et à chaque question. Cela est important parce que si l'on ajoute les aspects internes, internationaux, publics, privés, dans le meilleur des cas, le Canada concentre ses efforts sur ses priorités, sur les pays où les besoins sont considérables, sur l'adoption d'excellentes politiques avec des ressources réduites, dans le but d'obtenir d'excellents résultats par rapport aux fonds utilisés. Dans le pire des cas, le Canada concentre ses efforts sur des lieux où les besoins sont très faibles, où les politiques sont horribles, et dans lesquels de nombreuses ressources sont déjà consacrées à la lutte contre ce problème.
    La plupart des pays se situent bien sûr entre ces deux extrêmes, et il faut donc être honnête par rapport aux repères; quels sont les cas où des améliorations de politiques par rapport à des repères appropriés vont donner des résultats et quels sont ceux où les ressources vont permettre d'obtenir les résultats souhaités. Et chaque question aura une combinaison unique de ce petit triangle stratégique.
    J'aimerais maintenant passer aux programmes bilatéraux du Canada. Au Brookings Institute et au Center for Global Development, nous avons publié des rapports qui évaluent la qualité de l'aide publique au développement- QuODA. Ces rapports sont publics.
    Le Canada se place premier au monde pour ce qui est de la transparence et de sa capacité d'apprendre, comme cela ressort des descriptions détaillées de ses projets. Il se situe plutôt dans le groupe du milieu pour ce qui est de l'efficacité et de l'appui donné aux institutions des pays en développement, alors qu'il se classe assez mal pour ce qui est de la réduction du fardeau qu'assument les pays en développement, même dans les pays ciblés. Cela est basé sur des choses comme l'importance du projet, petit ou grand, le manque de coordination des actions, des choses qui obligent les pays en développement à assumer de lourds fardeaux.
    Lorsque nous avons examiné récemment la priorité accordée à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, nous avons constaté que le Canada était très bien classé, cinquième des pays donateurs pour ce qui est de la qualité de la mise en oeuvre de ses politiques d'aide, et qu'il se situait dans le groupe du milieu sur le ciblage de l'aide vers les pays ayant des besoins importants et de bonnes politiques. Il se classe extrêmement bien, au premier rang, pour ce qui est de sa sensibilité au genre, telle qu'elle ressort de ses politiques qui touchent cette question.
    Le Canada est en fait en retard sur les questions de climat et pour ce qui est de l'importance qu'il accorde à la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Mais aspect tout aussi crucial, pour ce qui est d'un aspect très complémentaire, les politiques commerciales, le Canada se place à l'avant-dernier rang de 29 pays, si l'on se base sur les barrières non tarifaires, et même sur la protection des biocarburants, ce qui en fait nuit aux activités commerciales des pays en développement.
    Il faut tenir compte des dimensions de toutes ces questions. Je me ferai un plaisir de vous fournir toutes les références et faire un suivi.
    Je vais vous présenter rapidement quelques recommandations. J'en ai huit.
    Pour ce qui est des pays ciblés, premièrement, il faut disposer de ressources suffisantes pour avoir une influence réelle sur un pays. Cela veut dire que le Canada doit se situer parmi les trois ou quatre premiers donateurs dans chacun de ces pays pour qu'il puisse vraiment se concentrer sur le bénéficiaire.
    Deuxièmement, son action doit s'intégrer à celle des autres donateurs. Si le Canada choisit le pays A par rapport au pays complémentaire B, il faut qu'un autre pays appuie le pays B et non pas le pays A, si l'on veut obtenir les résultats conjoints que nous recherchons tous.
    Troisièmement, si nous passons aux priorités sectorielles générales, j'aimerais signaler quelques aspects qui constituent, d'après moi, des questions mondiales de pointe auxquelles le Canada a la possibilité unique d'apporter une contribution importante.

  (1710)  

    Il y a tout d'abord l'éducation secondaire des filles. C'est une grave lacune mondiale à l'heure actuelle. C'est peut-être le domaine où notre intervention pourrait être la plus rentable. Si nous voulons faire quelque chose pour les femmes et les filles, il faudrait au moins accroître sensiblement les investissements ciblant l'éducation secondaire des filles.
    Ma quatrième recommandation consiste à relier de façon plus explicite l'agriculture et la sécurité alimentaire et nutritionnelle à l'éradication de la pauvreté extrême. C'est le secteur qui a l'effet le plus direct sur l'éradication de la pauvreté extrême, un lien qui, à mon avis, a été sous-utilisé.
    La cinquième recommandation consiste à appuyer l'expérimentation en matière de technologie et de revenus de base. Nous avons fait des progrès dans les transferts inconditionnels en espèces, ce qu'on a appelé... un domaine où, nous le savons, l'Ontario a joué un rôle de pionnier et auquel on a eu recours après l'incendie de Fort McMurray. Nous disposons de très nombreuses données qui démontrent que les transferts inconditionnels en espèces sont un outil essentiel dans la lutte contre l'extrême pauvreté. On pourrait privilégier cette méthode dans des projets pilotes lancés dans tous les pays ciblés par le Canada, dans le monde entier, pour vraiment comprendre ce que veut dire le leadership.
    Un sixième point complémentaire; je dirais qu'il faudrait que le Canada renforce, en acquérant ses propres capacités, la recherche en politique appliquée dans ses universités, dans ses groupes de réflexion, et en fait, dans Affaires mondiales Canada; il pourrait ainsi contribuer plus efficacement aux débats en matière de politiques mondiales en intégrant directement nos débats nationaux aux débats internationaux.
    J'aurais deux derniers commentaires au sujet du financement. Je tiens simplement à signaler qu'il faut faire une distinction nette entre le financement relié au climat et les nouveaux engagements pris à Paris ainsi que l'aide publique au développement. En gros, le financement relié au climat ayant pour but d'atténuer les effets néfastes ne devrait pas faire partie de l'aide publique au développement, alors que l'adaptation est un élément qui peut fort bien en faire partie.
    Le dernier, dernier point que j'aimerais faire, est que j'estime que nous avons besoin d'une approche claire pour notre aide publique au développement et la façon dont elle intègre les formes publiques et privées de financement.
    Il n'y a pas de motif convaincant qui ait été présenté, à ma connaissance, pour expliquer le niveau actuel de nos investissements. Il y a eu un débat au sujet de la cible de 0,7 %. Je me ferai un plaisir de vous exposer la façon dont nous pourrions atteindre cette cible sur une période raisonnable de 10 à 15 ans, mais aucun argument n'a été présenté pour justifier le niveau actuel qui est de 0,24 ou 0,28 ou 0,3 %, quel que puisse être le chiffre exact, et je crois que la population doit vraiment comprendre qu'il s'agit là d'une grande stratégie qui touche le rôle de notre pays dans le monde. Cela concerne un peu tout, la façon dont nous choisissons les priorités que vous allons accepter comme acteur important, le rôle que nous allons jouer dans le cadre de ces priorités; il faut aussi lancer un débat au sein du secteur privé et une autre au sein du secteur public. Dans mon travail, j'ai appris qu'il y avait des pays qui ont réussi à le faire dans plusieurs secteurs et qui ont adopté de solides stratégies à long terme qui guident leur action au-delà des cycles politiques, et il faudrait que cela soit considéré comme un véritable investissement stratégique de notre pays dans le monde.
    Merci. Je vais m'arrêter ici.
    Merci, monsieur McArthur.
    Il nous reste peu de temps et nous allons tout de suite donner la parole à monsieur Kent.
    Merci, monsieur le président. Si nous voulons faire le tour de la table, je ne poserai qu'une seule question. C'est une grande question, mais elle est néanmoins relativement précise.
    Merci à tous pour vos témoignages. Nous étudions les pays ciblés et nous savons ce que font les pays ayant un niveau de développement semblable au nôtre. Nous savons que le Royaume-Uni, qui est le premier pays du G20 à atteindre la cible de 0,7 %, en 2011, a retiré 16 pays de sa liste de l'aide bilatérale pour en arriver à une liste contenant 28 pays, ce qui représente un nombre encore assez élevé. L'année dernière, le Danemark a réduit le nombre de ses pays prioritaires, les faisant passer de 21 à 14, et les 10 pays qui reçoivent prioritairement l'aide bilatérale de l'Australie font tous partie de la région, de la région indo-pacifique.
    Bien sûr, nous savons qu'il n'y a eu que huit pays qui ont toujours été compris dans la liste des pays cibles du Canada depuis 2002, et à part l'Afghanistan, avec la guerre et l'aide au développement associées à la politique étrangère, et Haïti avec l'aide qui a suivi la catastrophe qu'il a connue.
    Je me demande si chacun d'entre vous pourrait parler des avantages qu'il y aurait à réduire cette liste qui est de 25 à l'heure actuelle — nous venons récemment de l'augmenter alors qu'elle était de 20, il n'y a pas longtemps — à des chiffres qui se rapprochent davantage de ceux d'autres nations développées? Quels sont les chiffres que vous recommanderiez pour obtenir un meilleur rendement de nos investissements ou cibler davantage notre action dans les pays ciblés?

  (1715)  

    Je dirais encore une fois qu'il faut insister sur l'expertise, parce que c'est cet aspect qui permet de régler le problème d'un certain nombre de pays. Quel que soit le nombre de pays qui figurent sur cette liste, il y aura toujours des gens qui vont dire qu'il faudrait en ajouter ou en mettre d'autres. Cette discussion ne sert pas à grand-chose. Ce qu'il faut, c'est avoir quelque chose à vendre.
    Supposons que le Canada se spécialise dans les mécanismes novateurs pour la sécurité alimentaire. Bien sûr, ça ne va pas être une réussite dans tous les pays, et alors, les décisions vont dépendre de la qualité du projet. Elles vont également dépendre de la qualité de la relation établie avec ce pays. Poursuivre l'aide à Haïti ne se discute même pas, parce que notre relation avec ce pays remonte à des dizaines d'années.
    Si vous concentrez votre action sur ce que le Canada fait bien et limitez le nombre des thèmes — parce qu'on ne peut pas tout faire et que le Canada ne fait pas tout très bien — alors la question du nombre de pays se résout d'elle-même d'une façon plus satisfaisante: c'est une question de qualité et non pas de chiffre qui sera toujours arbitraire, peu importe qu'il y en ait 30, 40, 50 ou 60. Si le Canada disposait du même budget que le DSID, nous pourrions financer davantage de pays.
    Madame Busza.
    Je suis d'accord avec Philip. J'aimerais également revenir sur un commentaire qu'a fait John, qui est que, si nous nous intéressons à un pays, nous devrions nous efforcer d'être un des deux ou trois principaux donateurs pour être sûr que notre action ait un effet; il me paraît dangereux de commencer par un nombre choisi au hasard et d'essayer ensuite d'adapter notre aide à cette réalité.
    Dans la même veine, permettez-moi de dire que je suis certain que d'autres pays — le Royaume-Uni, par exemple, qui a réduit ce chiffre et le Danemark — en sont arrivés à réduire le nombre de pays en suivant votre suggestion qui consistait à prioriser les actions, ou c'est du moins ce que je crois.
    Monsieur McArthur?
    Je ne ferai qu’amplifier les commentaires qui ont été faits. Tout dépend de la quantité de ressources qu’il faut répartir. Si le Canada avait un budget trois fois plus gros, il pourrait établir des priorités et se concentrer sur les résultats. Tout, selon moi, devrait être axé sur les résultats. Il peut ensuite y avoir chevauchement avec des pays de différentes tailles.
    Il y a un parti pris qui joue systématiquement contre les grands pays, par exemple, alors que 100 millions de dollars, c’est toujours 100 millions de dollars, quel que soit le pays, même si l’un est dix fois plus peuplé que l’autre. Il faut par conséquent réfléchir à l’endroit où les ressources doivent être réparties, au meilleur emploi qui peut en être fait, et voir si leur répartition cadre avec les besoins.
    Si le Royaume-Uni décide d’intervenir dans un pays qui ne présente pas d’intérêt stratégique pour le Canada, la première question que je me pose, c’est pourquoi faudrait-il que le Canada y soit aussi, et peut-être comme partenaire bilatéral, parce qu'il est possible que quelqu’un d’autre fasse déjà le travail; on tirerait meilleur parti de notre avantage comparatif en agissant ailleurs.
    Je pense qu’il faut toujours opérer une triangulation entre les facteurs.
    Autre chose que je dirais, pour développer ce que disait Philip, c’est que l’une des principales motivations pour une programmation bilatérale, c’est la certitude que l’on dispose d’une robuste expertise canadienne adaptée aux besoins. Alors que lorsqu’on finance des programmes multilatéraux, on fait souvent appel à des experts extérieurs, et en fait — ce qui n’est pas toujours facile à faire — on doit, si on se préoccupe de sécurité alimentaire et nutritionnelle, s’assurer soigneusement que notre expertise ne se limite pas à la sécurité alimentaire et nutritionnelle; il faut encore que ce soient des secteurs de cette sécurité alimentaire et nutritionnelle dans lesquels le Canada bénéficie d’un avantage comparatif incroyablement fort.

  (1720)  

    Merci.
    Monsieur Saini.
    Merci beaucoup à tous d’être ici aujourd’hui.
    Je souhaite vous poser une question, monsieur McArthur, et à vous tout spécialement. Elle concerne quelque chose que vous avez écrit, il y a environ un an.
    Vous avez introduit l’expression « développement mondial durable ». En partant de ce commentaire, vous avez dit que la transition pour le Canada devrait consister à passer du rôle du Canada dans le monde au rôle des Canadiens dans le monde; vous disiez que toutes les parties prenantes devraient faire partie d’un écosystème, et vous citiez l’exemple des pays nordiques et de l’Angleterre; et vous ajoutiez que cela accroîtrait notre influence et protégerait notre intérêt national.
    Pourriez-vous commenter cela — parce que je trouve l’idée très intrigante — la façon dont on pourrait développer cet écosystème? Je sais que ce n’est pas spécifique, mais de manière plus générale, comment développer cet écosystème ici au Canada, en quoi cela augmenterait-il notre influence et protégerait mieux notre intérêt national?
    Tout d’abord, merci. Je suis heureux que quelqu’un ait lu notre rapport. C’est magnifique. Plus spécifiquement, je crois que l’idée que les Canadiens doivent s’engager, est liée à la compréhension de ce qu’un technocrate pourrait appeler « la désintermédiation du monde ». Lors de la création des Nations Unies, un appel téléphonique de trois minutes entre Londres et New York coûtait 50 $. Aujourd’hui n’importe qui, partout dans le monde, peut parler à n’importe qui gratuitement sur Skype. Il ne s’agit donc pas de savoir seulement comment les gouvernements se connectent, c’est comment les sociétés se connectent. Nos entreprises, nos universités et tous les aspects du multilatéralisme qui font la coopération mondiale vont bien au-delà du gouvernement.
    Je dirais même que dans le contexte canadien, lorsqu’on parle du rôle de l’entreprise dans le monde, qui est crucial — c’est cela l’économie mondialisée — il est réglementé au niveau provincial. Nos bourses et nos marchés sont réglementés au niveau provincial. Sur ce plan-là, par conséquent, nos gouvernements provinciaux sont de grands joueurs internationaux, en ce qui concerne par exemple, notre industrie extractive. On n’a pas l’habitude de se représenter les gouvernements provinciaux comme des joueurs mondiaux, mais ils le sont indubitablement. Nos gouvernements provinciaux assurent aussi le gros du financement de nos universités. Tous les étudiants, tous les professeurs, tous les stimulants à l’étude, à l’enseignement, à la recherche, sont tributaires des décisions prises au niveau tout à fait local en matière d’orientation et de budget. Puis, bien sûr, nous avons les organes nationaux de financement de la recherche, comme le CRSH, le CRSNG et le CRDI, qui entrent en jeu également.
    Pour abréger, j’ai participé à de nombreuses réunions dans le monde entier. Il y en a une, avec une coalition suédoise, qui m’a particulièrement touché. C’était lors d’une réunion du Forum économique mondial, et c’était le commentaire le plus sophistiqué que j’aie jamais entendu concernant les défis du développement durable. J’ai parcouru l’assistance du regard, et j’ai vu le PDG d’Ericsson, le PDG de Volvo, le PDG du régime de pension suédois et le chef du Stockholm Resilience Centre, les scientifiques. J’ai compris que c’était le résultat de 10 ans de réflexion et que le gouvernement travaillait avec les chefs d’entreprise et l’élite scientifique à chaque étape sur la question, « comment s’assurer que notre société soit en prise avec le monde? Parce qu’il y va de l’intérêt de chacun. »
    C’est pourquoi je souligne avec tant de force qu’au Canada, je crois, nous devons réfléchir à toutes ces questions avec un horizon à 10 ans. On ne change pas du jour au lendemain les stimulants de financement pour nos universités. On ne crée pas du jour au lendemain un corps entrepreneurial actif sur le marché mondial si toutes les conditions de son existence ne sont pas réunies. Il faut dialoguer, il faut collaborer à la solution des problèmes, et parfois il faut réglementer. La plupart du temps, toutefois, ce qu’il faut, c’est des acteurs qui s’engagent et qui s’engagent résolument sur le plan international, en plus de tout ce dont on a déjà l’habitude de parler. Cela ne se substitue pas au reste, cela s’y ajoute. C’est comme cela, je crois, que nous pouvons nous assurer que nous saurons être en tête de peloton dans toutes ces questions où une bonne partie du monde, je peux vous le garantir, souhaite voir le Canada à la tête du mouvement.
    Merci.
    Nous passerons à monsieur Aubin, je vous en prie.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    Je remercie également tous les invités de leur participation à la réunion de cet après-midi.
    La base de notre étude porte sur les pays ciblés. Très simplement, on comprend assez aisément l'idée d'une approche par pays ciblé qui nous permet probablement de faire des économies d'échelle dans l'administration et d'investir plus en programmes et moins en administration. Je dirais que l'expérience de nos gouvernements provinciaux et fédéraux dans l'histoire a très bien montré que ce n'est pas toujours le résultat. Est-ce que l'un ou l'une d'entre vous a eu l'occasion de lire une étude qui démontrerait l'efficacité de cette approche par pays ciblé ou d'être au fait d'une telle étude?

  (1725)  

[Traduction]

    Je n’ai pas connaissance d’une étude particulière sur le sujet, mais il nous faut, je crois, garder deux choses à l’esprit.
    Tout d’abord, qu’est-ce que nous attendons des ciblages? Nous voulons pouvoir dire voici ce que le Canada a fait. Mais ce que fait le Canada, ce que fait tout programme d’aide, par définition, c’est du développement local. Ce n’est pas avec une contribution sous forme d’aide, que l’on va changer un pays, grand ou petit, mais on peut aider les gens à vivre mieux et on peut améliorer le fonctionnement des tribunaux. Je dis cela parce que ce sont des projets: ça c’est la partie relations publiques, c’est le bon message. Qu’il soit grand ou petit, peu importe, c’est l’efficacité à ce niveau qui importe.
    Deuxièmement, avec tout le respect que je vous dois, je pense que l’analogie à propos de l’échelle est déplacée. Des projets sont des projets, n’est-ce pas? Si le Canada a de nombreux projets dans un pays, cela ne garantit pas nécessairement qu’il y aura une bonne coordination et des économies d’échelle juste parce qu’il y a davantage de projets. Les économies d’échelle sont à prendre au sens large, et vont au-delà du projet particulier. Il est plus important, je crois, de se concentrer sur l’impact et c’est pourquoi je souligne le facteur expertise: ce que le Canada peut faire bien. On pourra résoudre de nombreux problèmes en ciblant certains pays d’une façon plus objective et plus efficace. En fin de compte, c’est comme cela que l’on donnera au monde une bonne image du Canada.

[Français]

     Je vous remercie.
    Quelqu'un veut-il ajouter quelque chose?

[Traduction]

    Je voudrais seulement ajouter que je ne suis pas non plus au courant d’aucune étude qui aurait préconisé de ne retenir que le critère des pays ciblés. La plupart des études que j’ai vues disent qu’il faut concentrer ses efforts, que le saupoudrage des ressources est problématique, mais qu’il ne suffit pas de cibler un pays en particulier, et qu’il y a bien d’autres critères et mesures à prendre. Dans notre témoignage, nous avons parlé des autres conditions à remplir pour améliorer l’efficacité du ciblage.

[Français]

    Monsieur McArthur, je vous écoute.

[Traduction]

    Je voudrais simplement ajouter que je ne suis pas non plus au courant des détails, mais je pense qu’il y a beaucoup de critères qui sont compatibles avec le souci du ciblage. Il y a beaucoup d’évaluations, par exemple de la qualité des projets dans des pays donnés, pour s’assurer qu’ils sont de haute qualité. Une fois de plus, comme on l’a dit, si vous triplez le budget, vous pouvez faire trois fois le nombre de pays au même niveau par pays, mais la question est de savoir ce qui se fait dans chaque endroit, quelle est la taille du projet, l’échelle de l’empreinte, que le pays s’engage à prendre en charge à titre de responsabilité mondiale.
    Nous pouvons poursuivre la discussion face à face sur le débat relatif à l’échelle, mais à ma connaissance, il n’y a pas un seul ministre des finances d’un pays en développement qui veut davantage de petits projets à moins qu’il ne s’agisse de projets pilotes. Je pense que, grosso modo, ils veulent alléger la charge administrative, ils veulent la transparence dans ce qu’ils font — des deux côtés — et il s’agit de garantir qu’il y a une approche coordonnée assurant que l’approche des partenaires extérieurs correspond à la stratégie des partenaires locaux, et au bout du compte le problème qu’ils essaient de résoudre, dans certains cas, peut exiger une légère mise au point du dispositif de réglementation. Dans un autre cas, il s’agira de savoir combien de personnes ont accès à des médicaments essentiels, parce que des personnes meurent faute d’avoir un cachet. Chaque problème a ses implications propres concernant l’efficacité de l’aide qu’on fournit pour aider à le résoudre.

[Français]

    Merci, monsieur McArthur. Vous ouvrez la porte à ma deuxième question, qui va peut-être rallier les propos selon lesquels il faudrait que le Canada puisse arriver dans les pays qu'il souhaite aider avec sa grande expertise.
    Ne sommes-nous pas rendus à un moment où nous devrions abandonner l'aide bilatérale pour chercher à coordonner des programmes d'aide multilatérale, ce qui éviterait qu'il y ait redondance dans les pays où nous nous impliquerions? Est-ce que le Canada peut être cet agent coordonnateur qui favoriserait une aide multilatérale?
    La question est ouverte à tous. Premier arrivé, premier servi.

[Traduction]

    Les deux ont un rôle à jouer, je pense. Le Canada, comme vous le savez, apporte une grande contribution aux institutions multilatérales. Je ne sais pas si son rôle dans le système multilatéral correspond au volume de sa contribution, il est plus difficile de répondre à cette question. Si son influence n’est pas proportionnelle à son investissement, alors c’est un problème plus difficile à résoudre.
    L’action bilatérale présente de réels avantages. Ces avantages consistent dans les résultats concrets. Il ne faudrait pas confondre les montants dépensés avec l’efficacité. Je n’y ai pas participé, mais j’ai eu connaissance d’un projet tout à fait unique au Ghana, qui visait à améliorer la qualité de la fonction publique. C’est un certain Scott Serson qui dirigeait le projet, certains d’entre vous le connaissent peut-être. Il ne coûte pratiquement rien, quelques centaines de milliers de dollars, peut-être un million, mais s’il marche, cela change tout. C’est comme cela que l’on mesure les choses.
    Il y a d’autres exemples où l’efficacité est presque complètement indépendante du coût, et dépend réellement de la façon dont le projet est conçu. Si le Canada peut jouer un rôle plus grand dans la coordination des efforts multilatéraux, c’est très bien, mais je ne pense pas qu’il faille tout abandonner. Je pense que l’on ferait bien de conserver cette division entre le multilatéral et le bilatéral, parce qu’elle répond à des intérêts différents du Canada.

  (1730)  

[Français]

    Quel est votre avis, madame Busza?

[Traduction]

    Je suis assez d’accord. Je ne pense pas que nous devions abandonner l’aide bilatérale. Je pense qu’il nous faut examiner ce partage un tiers/deux tiers et examiner de près aussi nos contributions régionales. Cela pourrait conduire le Canada à intervenir seul ou par le biais des institutions multilatérales. C’est la première chose.
    En second lieu, sur le plan de la coordination, c’est l’une des choses que je voulais dire vers la fin. Je pense que nous cherchons plus à jouer le rôle d’une « puissance moyenne » dans la politique internationale. Pour moi, le Canada a tout le potentiel nécessaire pour jouer ce genre de rôle de courtier dans le domaine du développement international, je pense que nous serions bien accueillis dans ce rôle.

[Français]

     Monsieur McArthur, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

[Traduction]

    De nouveau, voilà, je pense d’excellents commentaires. Tout dépend du problème que l’on essaie de résoudre.
    En général, c’est un « oui et », pas un « ou », alors parfois les choses reposent sur l’efficience, parfois sur les ressources, parfois sur les politiques. Il s’agit de savoir à quel problème on s’attaque. Sur la question des droits de la personne, il est peut-être nécessaire de soutenir une réforme du droit ou du système judiciaire, mais c’est un problème très différent, de nouveau, de l’engagement déclaré en faveur de quelque chose comme les soins de santé pour les mères, les nouveau-nés, et les enfants, qui concerne la prestation des services de santé.
    C’est pourquoi je résiste à l’emploi de l’expression « développement international » parce que cela met tout dans le même sac, comme si tous les problèmes étaient du même type, ce qui n’est pas le cas. C’est un peu comme dire que l'on va choisir l’organe de votre corps qui vous plaît le plus, comme si c’était le plus important. Bon, j’aime mon cœur, mes poumons, j’espère que mon cerveau fonctionne à l’occasion. Je veux pouvoir respirer. Comment est-ce que tout cela s’imbrique dans chaque société? Le panachage est différent. Je veux que mon cardiologue — si, à Dieu ne plaise, je dois en consulter un — sache comment fonctionne mon cœur, j’ai donc besoin de cette expertise spécifique. Que cela repose sur une plate-forme bilatérale ou multilatérale, ce qui m’importe le plus, c’est d’avoir accès à cette expertise. Alors que, si j’ai un problème avec mes poumons, j’irai voir un pneumologue, parce qu’il a une expertise différente.
    Pour ce qui est de ces différentes priorités qui me préoccupent, je crois que pour le Canada il faut reconnaître que, dans certains domaines, nous nous engagerons à jouer le rôle de chef de file au plan bilatéral, ce qui suppose qu’il nous faudra une expertise en profondeur, pas simplement sur le plan du financement, mais pour pouvoir résoudre tous les problèmes techniques afin de pouvoir apporter des solutions durables. Je pense qu’il nous faut renforcer notre expertise technique dans la fonction publique en la matière, au moyen d’un département de la recherche, et de spécialistes des politiques. Peut-être faut-il dire aussi que, dans d’autres domaines, nous n’investirons pas autant sur le plan de l’aide bilatérale directe avec nos propres moyens, mais que nous sommes disposés à collaborer — par exemple, dans le cadre du programme mondial pour la sécurité alimentaire et l’agriculture, qui est un instrument fragilisé maintenant — pour renforcer l’approche multilatérale, parce que le monde n’a pas besoin de plus d’intervention bilatérale dans ce domaine actuellement; il a besoin de plus de cohérence au plan multilatéral. C’est un domaine où nous disposons d’une expertise non négligeable.
    Il suffit de penser aux différents assortiments possibles de priorités, de problèmes et d'expertises. L'un des problèmes auxquels le Canada est confronté, à cause de la petitesse de ses bugdets, par rapport à ceux d'autres pays comparables, tient au fiat que nous devons faire des choix plus difficiles que les autres. Avec le temps, l'un des problèmes est de savoir comment se dégager de cette contrainte, sachant que nous allons devoir faire des choix encore plus difficiles dans ce domaine parce que, justement, nos budgets se retrouvent en peau de chagrin.
    Chers collègues, ceci achève notre temps avec les trois témoins pour aujourd'hui.
    Monsieur McArthur, monsieur Oxhorn et madame Busza, merci beaucoup pour le temps que vous avez pu libérer. Nous avons eu de la matière aujourd'hui, ce qui est très important pour notre étude. Au nom de tous les membres de ce comité, je vous remercie pour votre participation.
    Chers collègues, merci. Je vous souhaite une bonne longue semaine de retour chez vous. On se voit dans plus ou moins une semaine.
    La séance est levée.
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