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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 052 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 21 mars 2017

[Enregistrement électronique]

  (0935)  

[Traduction]

    Nous passons maintenant à la discussion sur un avis de motion déposé par M. Kmiec. Je demanderai à Tom de présenter son avis de motion, de le lire tout haut pour le Comité, puis de nous faire part de son analyse — s'il désire procéder ainsi. Nous en discuterons ensuite et, comme d'habitude à titre de président, je vais indiquer au Comité les prochaines étapes à suivre.
    Tom, à vous la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je vais donc lire la motion. La voici:
Que, conformément aux articles 110 et 111 du Règlement, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international invite l'honorable Stéphane Dion et l'honorable John McCallum à comparaître devant lui pour discuter de leurs nominations par décret avant le 15 mai, soit le dernier jour où le Comité peut examiner ces nominations aux termes du Règlement.
    J'ai appris cela — comme vous tous d'ailleurs — en lisant le décret d'Affaires étrangères ainsi que le courriel que j'ai reçu le 28 février 2017, et je vous le lis:
... le Comité peut examiner un décret annonçant une nomination pendant une période durant au plus trente jours de séance à partir de la publication dudit décret. Le Comité pourra examiner les qualités et les compétences que possède la personne ainsi nommée pour accomplir les fonctions du poste prévu.
    J'ai aussi des copies des décrets annonçant ces nominations au titre, je crois, de conseillers spéciaux à la ministre des Affaires étrangères, et non aux pleines fonctions d'ambassadeurs.
    Je désire très évidemment l'adoption de cette motion et leur comparution devant le Comité, parce que je voudrais qu'ils nous décrivent leur perception du rôle qu'ils vont assumer. Les ambassadeurs et les conseillers spéciaux qui ont de bonnes relations politiques ne sont habituellement pas envoyés en Chine, et l'on n'a jamais partagé une nomination entre deux pays du G7. Je voudrais vraiment qu'ils nous décrivent leur perception de leur rôle et ce qu'ils comptent y apporter, d'autant plus que dans le contexte européen, nous n'avons jamais partagé ce rôle entre deux envoyés spéciaux. Nous ne faisons pas cela dans les pays du G7.
    Les médias ont aussi suggéré qu'un second décret les nommerait plus tard à leurs pleines fonctions d'ambassadeurs. Je me demande donc ce qu'ils vont faire entretemps. D'autres reportages ont suggéré qu'ils allaient suivre de la formation diplomatique ou qu'ils assumeraient ce que les journalistes ont appelé « d'autres fonctions consultatives ».
    Je voudrais aussi savoir de quelle manière ils comptent appliquer les qualités et les compétences qu'ils possèdent à leur rôle de conseillers spéciaux et non d'ambassadeurs, si je comprends bien.
    J'ai consulté des décrets qu'Affaires étrangères avait déposés pour nommer d'autres ambassadeurs, et je n'ai rien trouvé de similaire à ceux qui concernent M. McCallum et M. Dion. Je voudrais bien comprendre quels rôles ils ont assumés jusqu'à présent, quelles qualités ils ont apportées à ces rôles, quelle formation ils ont suivie exactement et en quoi ces antécédents les qualifient aux rôles qu'ils vont assumer.
    C'est très simple. Je saisis l'occasion qui se présente pour le faire. Cette occasion est offerte à notre comité. Je crois qu'il nous serait très utile de les inviter à nous décrire la perception qu'ils ont de leurs rôles et des qualités qu'ils y apportent.
    Comme vous le voyez, c'est tout simple.

  (0940)  

    Je vous dirai que M. McCallum vient de recevoir l'approbation de ses titres de compétences. Il est donc ambassadeur. Si j'ai bien compris, M. Dion recevra ce même titre dans la semaine qui vient. Il nous serait cependant utile de discuter de la structure. Je sais en quoi elle consiste, mais je préférerais ne pas entamer ce débat aujourd'hui.
    Tout cela pour préciser qu'en général — et M. Kent le sait très bien —, lorsqu'on nomme une personne qui travaille déjà dans la fonction publique, il n'est pas nécessaire de la nommer à un poste de conseiller spécial ou autre. Les députés qui quittent leurs fonctions ont un écart d'emploi. Par conséquent, si l'on envisage de leur remettre des documents confidentiels à examiner, il faut publier un décret qui leur permette de lire ces documents. C'est ce qui explique ces décrets, vous comprenez; c'est aussi ce que ces messieurs vous expliqueront, parce que c'est ainsi que se font les choses. Le Cabinet devait les certifier en attendant qu'ils obtiennent leur pleine qualité d'ambassadeurs.
    De plus, pour mieux éclairer notre discussion, sachez que M. McCallum se trouve déjà en Chine. Si nous décidons d'inviter ces messieurs à comparaître devant le Comité, j'envisagerais de le faire par téléconférence. Il coûterait autrement trop cher de ramener M. McCallum de Chine — nous avons le droit de le demander, comme vous le savez. Je tenais à vous dire ces choses pour éclairer notre discussion.
    Y a-t-il d'autres interventions à ce sujet?
    Peter.
    Monsieur le président, il me semble qu'habituellement, nous confions ce genre de choses au Sous-comité du programme et de la procédure. Quoi qu'il en soit, je suggère que nous lui confiions cette tâche.
    Nous pouvons faire cela de deux façons. Nous pouvons voter sur cette requête par un oui ou par un non. Ou alors, nous pouvons l'envoyer à notre sous-comité, qui discutera des paramètres à y appliquer, puis qui présentera sa recommandation au Comité. Ces deux solutions sont acceptables.
    Vous vous souviendrez que j'ai suggéré dès le début au Comité que quand on nous présente des avis de motion, il serait bon d'en discuter un peu en sous-comité à huis clos — parce qu'ils ne sont pas toujours déposés en audience publique — pour être sûrs que nous sommes tous sur la même longueur d'onde. C'est à vous, membres du Comité, de décider de la solution que nous adopterons.
    Il nous est arrivé — l'avis de motion d'Hélène en est un bon exemple — de discuter d'un avis de motion au sujet d'un sujet d'étude en comité. Donc, il est tout à fait possible de le faire.
    Hélène.

[Français]

    Je soulèverais un point relativement à ce que M. Fragiskatos vient de dire.
    Je me souviens que, dans ma vie précédente, des gens nommés ambassadeurs, par exemple, étaient effectivement appelés à se présenter devant le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Cela me semble être le comité le plus pertinent pour ce genre de choses, puisque, après tout, nous y parlons de politique étrangère et de nos représentants à l'étranger.
    En règle générale, je soutiens la motion proposée par mon collègue. Si l'ancien ministre McCallum est déjà en Chine et s'il a effectivement reçu son agrément, j'imagine qu'on devra procéder sur la base de l'autre décret, celui qui le nomme ambassadeur, plutôt que celui qui le nomme conseiller spécial. Je pense que, dans les deux cas, cela peut fonctionner.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Hélène, je ne suis pas sûr de bien vous comprendre. Vous voulez que nous discutions du décret qui le nomme conseiller spécial au lieu de... C'est ce qu'indique cette motion, n'est-ce pas? Elle ne précise pas du tout cela, alors vous pourrez poser ces questions à M. McCallum et à M. Dion.
    Je vais présenter au Comité mon opinion personnelle de président et de parlementaire. Notre comité devrait saisir l'occasion de poser quelques questions aux personnes nommées à des fonctions gouvernementales très en vue, quel que soit le gouvernement au pouvoir. Je suis tout à fait d'accord que nous invitions M. McCallum et M. Dion à comparaître devant le Comité. Ces messieurs ont beaucoup d'expérience et sont des témoins chevronnés qui se sont présentés maintes fois devant des comités au cours de ces 20 dernières années, alors je n'y vois aucun problème.
    Je voudrais être sûr de pouvoir obtenir les services de vidéoconférence, parce que nous ne devrions pas nous attendre à ce que M. McCallum revienne au Canada alors qu'il vient d'arriver en Chine. Si nous nous entendons là-dessus, nous enverrons l'invitation et nous exécuterons cette motion, à moins que quelqu'un suggère une autre raison de ne pas le faire. Je suppose que M. Dion sera ambassadeur d'ici à ce que ces messieurs se présentent devant le Comité, donc il pourra répondre à des questions sur la structure. Je sais en quoi elle consiste, mais aux fins du compte rendu, il vaudra mieux qu'il vous l'explique lui-même.
    Peter, vous avez une observation à faire?

  (0945)  

    Je voulais juste préciser que quand j'ai suggéré que nous envoyions cette question au Sous-comité du programme et de la procédure, je ne pensais pas aux discussions. Je voulais dire que cette question bien particulière devrait être confiée au Sous-comité pour qu'il l'examine et qu'il en discute. C'est mon opinion.
    Vous parlez de notre sous-comité, n'est-ce pas?
    Le Sous-comité, oui, c'est cela.
    Est-ce que quelqu'un a une opinion à ce propos? Sinon, si nous insistons pour en discuter ici, alors oui, nous devrions parler à M. McCallum et à M. Dion. Tous deux ont un curriculum vitae qui remplirait cette salle, et je vous dirai franchement qu'avec tout ce qu'ils ont accompli, nous aurions intérêt à leur demander dans quelle direction ils comptent orienter leurs nouvelles fonctions. Mais il me semble que nous aurons de la peine à fixer une date, parce que notre programme est déjà très rempli. Je le répète, je ne m'oppose pas du tout à ce que nous les invitions, mais il sera extrêmement difficile de le faire dans des délais serrés.
    C'est vrai. J'en reviens à ce que je disais plus tôt. Comme les dates sont fixées dans le Règlement, nous devrions laisser tomber certains travaux pour accueillir ces messieurs, Peter. Nous ne pouvons pas modifier le Règlement; il fait partie de la procédure. Notre seule autre solution serait de rejeter la motion. Autrement, nous les rencontrerons dans le délai prescrit de 30 jours. Je vous dis cela pour que vous en soyez conscients.
    Comme nous venons de réussir à approuver à l'unanimité un rapport qui portait à controverse, je me demande si nous pourrions nous unir pour régler cette question de la façon suivante: comme nous ne pouvons pas fixer une date définitive à cause de tout le travail qui nous attend au cours de ces prochaines semaines, ne pourrions-nous pas nous entendre par consensus sur le fait que M. Dion et M. McCallum comparaîtront devant le Comité à une date ultérieure, au lieu de fixer une date précise?
    Peter, je vous remercie pour vos observations.
    Peter.
    Monsieur le président, je crois que nous perdons du temps en confiant cela à un sous-comité. Comme le délai est serré, on enverrait habituellement une demande, et le Comité accepterait la date qui conviendrait le mieux aux deux témoins, mais selon moi, il faut que nous votions là-dessus aujourd'hui. Nous n'avons pas suivi ce processus depuis que ce gouvernement est arrivé au pouvoir il y a 18 mois, mais c'est une façon de faire relativement habituelle. Le Règlement est là pour nous aider. Je crois que ces deux nominations importantes ont beaucoup à nous apprendre. Si l'Allemagne a accordé l'agrément à M. Dion, il sera ambassadeur à ce moment-là. C'est ce qu'ils attendent; est-ce que l'Allemagne a confirmé son acceptation?
    Quoi qu'il en soit, à mon avis il est important que nous examinions leur vision sur les postes auxquels ils ont été nommés.
    Sachez que le Comité est libre le 9 mai. Et si nous n'avons pas à nous déplacer, toute la première semaine de mai sera libre. Cela nous laisserait assez de temps pour que nos collègues puissent entamer leur examen. Nous pourrions facilement organiser cela. En général, je ne pense pas qu'il nous faille plus d'une heure, donc ce serait faisable.
    Bon. Je pense que nous en avons bien discuté. Tom, voulez-vous clore la discussion? Oui, Hélène? Alors nous allons passer au vote.
    Hélène, d'abord. Allez-y.

  (0950)  

[Français]

    Je veux juste préciser, aux fins du compte rendu, que nous pensons que toutes les motions devraient être discutées en public.
    Merci.

[Traduction]

    Nous le faisons toujours.
    Vous avez exprimé ma pensée. Si nous n'allons pas aux États-Unis, le Comité aura du temps libre. Comme vous l'avez dit, ces messieurs sont des politiciens chevronnés. Je me souviens de M. Dion quand il vivait au Québec, et j'ai survécu le référendum de 1995. Je me souviens qu'on le voyait constamment à la télévision. C'est un politicien chevronné qui se comporte aussi magnifiquement dans les débats, il comprend les dynamiques de la vie et il nous apporte sa précieuse expérience. Si, à l'avenir, nous sommes appelés à visiter d'autres pays pour produire des rapports, ces deux hommes ont une expérience extraordinaire des secteurs public et privé. À mon avis, ils nous présenteront des points de vue intéressants qui enrichiront les débats du Comité.
    Très bien.
    Je crois que nous en avons amplement discuté. Je vais vous présenter la motion, puis nous voterons, en pensant à respecter les exigences du Règlement.
    Voici donc la motion:
Que, conformément aux articles 110 et 111 du Règlement, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international invite l'honorable Stéphane Dion et l'honorable John McCallum à comparaître devant lui pour discuter de leurs nominations par décret avant le 15 mai, soit le dernier jour où le Comité peut examiner ces nominations aux termes du Règlement.
    Monsieur le président, pourrions-nous voter par appel nominal?
    D'accord, mais ce n'est pas vraiment nécessaire. Voyons comment les choses se dérouleront.
    Pouvons-nous voter par appel nominal?
    Oui, bien sûr.
    (La motion est adoptée. [Voir le Procès-verbal])
    Le président: Très bien. C'est adopté à l'unanimité. Nous effectuerons le suivi. Je vous remercie pour cette discussion.
    Nous allons maintenant prendre une pause de quelques minutes pendant que nos témoins s'installent. Nous revenons dans cinq minutes.

  (0950)  


  (0955)  

    Chers collègues, nous allons poursuivre notre étude.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la situation en Europe orientale et en Asie centrale 25 ans après la fin de la guerre froide. Notre témoin aujourd'hui nous vient du Center for Strategic and International Studies. Elle s'appelle Olga Oliker et elle est conseillère principale et directrice du Programme de Russie et Eurasie. Elle nous parle de Washington par vidéoconférence.
    Merci de venir nous parler aujourd'hui, et merci pour votre patience.
    Comme nous le faisons toujours, chers collègues, je vais passer la parole à notre témoin pour qu'elle nous présente son allocution. Nous passerons ensuite aux rondes de questions.
    Madame Oliker, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président et membres du Comité, de m'avoir invitée à vous parler.
    Je crois que j'ai sept minutes pour vous faire cette présentation. Je vais donc me concentrer sur la Russie et sur l'Ukraine, que j'ai récemment visitées, mais je me ferai un plaisir de répondre à des questions plus générales.
    Commençons par la Russie. Je dirais que depuis longtemps, sa politique étrangère vise à développer son prestige, qu'elle considère comme un atout précieux en soi. Pour la Russie, le prestige apporte l'influence et la capacité nécessaires pour atteindre ses objectifs avant même de les avoir définis clairement.
    Cela dit, la Russie démontre depuis longtemps ses intentions face aux autres États postsoviétiques. Elle les a toujours considérés comme sa propriété puisqu'ils faisaient partie intégrante de l'empire russe établi avant la création de l'Union soviétique. À l'encontre des pays du Pacte de Varsovie comme la Pologne et la Roumanie, ces pays — qui à l'époque étaient des régions — étaient intégrés à l'URSS et gouvernés par Moscou. Les pays baltiques se trouvent dans une situation quelque peu différente. Nous pourrons en parler plus tard.
    Au cours de ces 25 dernières années, depuis l'écroulement de l'Union soviétique, les pays que l'on appelle « occidentaux » se sont considérés comme unis dans leur mission de propager la démocratie libérale dans les pays qui faisaient partie de l'URSS et dans ceux du Pacte de Varsovie. Au cours des débats sur l'expansion de l'OTAN et de l'Union européenne, l'une des raisons les plus alléguées était le fait que l'adhésion de nouveaux membres encouragerait la réforme qui, à son tour, permettrait à ces pays de libérer leur statut politique et économique.
    On considérait cela comme un avantage pour ces États, qui — tout au moins en principe — désiraient appliquer des réformes, mais avaient de la difficulté à le faire pour des raisons politiques. On considérait aussi cela comme un avantage pour l'Occident et pour le reste du monde, parce que bien des gens étaient convaincus que cela favoriserait la paix et la stabilité dans le monde, principalement parce qu'ils pensaient que les États démocratiques sont moins portés à se faire la guerre.
    La Russie, qui au début participait de plein gré à ces processus, s'est vite aperçue qu'ils visaient en fait à restreindre l'influence de Moscou, et donc le prestige qui lui était dû. Acceptant de perdre les États du Pacte de Varsovie et les pays baltiques, le Kremlin s'est accroché aux pays postsoviétiques. D'ailleurs en 2008, le premier ministre actuel, Dmitry Medvedev, alors qu'il était président et que la Russie était en guerre contre la Géorgie, considérait ces pays comme une zone d'intérêts privilégiés pour Moscou.
    Dans ce contexte, l'Ukraine a toujours porté à controverse. Bien des Russes comprennent mal son désir d'indépendance. On y parle une langue très similaire au russe; de toute son histoire, l'Ukraine n'a été que très rarement indépendante, et la population de ces régions est tellement uniforme qu'il est difficile d'affirmer que l'Ukraine ne fait pas partie de la Russie. Je soulignerais que même les Russes libéraux, qui s'opposent à l'annexion de la Crimée, considèrent l'Ukraine comme un modèle de ce que l'on pourrait réaliser en Russie en imitant son peuple qui, à leurs yeux, est exactement comme le peuple russe.
    Pour bien des gens de l'extérieur, les actes commis par la Russie en 2014 semblent terriblement exagérés face aux plans d'association à l'UE qui avaient déclenché cette crise. D'un autre côté, la réaction de l'Occident et de l'Ukraine a surpris les Russes. À mon avis, cette réaction a forcé le Kremlin à reconnaître que l'influence naturelle qu'il pensait avoir sur l'Ukraine était limitée. Il a aussi dû reconnaître qu'en allant trop loin, il ferait face à une forte résistance et que la communauté internationale lui ferait subir toujours plus de pression.
    Mais la Russie a aussi découvert les avantages qu'elle retirait de son affrontement politique avec les États-Unis. Cet affrontement lui donnait plus de prestige aux yeux du monde. Elle a jeté ses gants blancs en commettant d'autres actes, comme de s'ingérer dans la crise de Syrie et en mêlant les cartes des élections américaines. La Russie aurait agi ainsi de toute façon, mais j'ai l'impression qu'elle n'aurait pas été si loin.
    Je vous dirais qu'à l'heure actuelle, l'atmosphère en Russie frise un optimisme prudent. Bien que la plupart des Russes ne se soient pas attendus à l'élection de Donald Trump, les médias et le public de la Russie — et même de certains pays postsoviétiques où les médias russes prévalent — ont beaucoup aimé ses déclarations de soutien pour Vladimir Poutine.
    De leur côté, les experts s'inquiètent du manque de clarté politique à la Maison-Blanche et prédisent que la lune de miel entre Trump et Poutine ne durera pas longtemps. Cela dit, de nombreux spécialistes espèrent voir un rapprochement. Mais il est difficile de déterminer si le Kremlin y voit un intérêt, et dans quelles conditions cela pourrait se produire.

  (1000)  

    Quand j'étais à Moscou en octobre et en novembre derniers, la plupart des Russes avec lesquels je discutais considéraient l'expédition dans l'Est de l'Ukraine comme une grave erreur. Mais le mois dernier, en février, je n'ai presque pas entendu parler de l'Ukraine. Les gens passaient leur temps à spéculer sur la politique américaine. Ce n'était pas surprenant du tout.
    Quand les combats à Avdiïvka ont éclaté, j'étais en Russie. Les Russes suggéraient que les Ukrainiens avaient déclenché ces hostilités pour attirer l'attention. Je suis allée en Ukraine peu de temps après, et évidemment, j'y ai entendu un tout autre son de cloche. Les Ukrainiens soulignaient la rapidité et l'efficacité de leur intervention humanitaire et la perfidie des Russes.
    Les Ukrainiens essaient de prédire de quelle manière la présidence de Trump influencera leur situation. Ils craignent beaucoup que les États-Unis signent des ententes avec la Russie. Mais l'Ukraine fait face à de grandes difficultés à l'intérieur du pays. Plusieurs dirigeants ukrainiens et représentants occidentaux parlent de lassitude à l'égard des réformes. Ils soulignent qu'au début de la crise, on a pu apporter des changements rapides et efficaces, mais qu'à l'heure actuelle, les intérêts particuliers entravent la mise en oeuvre des éléments clés des réformes dans les domaines de l'économie, de la sécurité et de l'énergie. Les gens se disputent sur tout, du comptage du gaz aux rôles et responsabilités du service de renseignements/sécurité de l'État, le SBU.
    Au sein des partis, les tendances moins réformistes gagnent du terrain. Le refus de l'UE d'accorder à l'Ukraine les droits d'entrée sans visa qu'elle avait promis exacerbe la frustration. Même si peu de gens affirment publiquement qu'il ne vaut pas vraiment la peine de se battre pour conserver les zones occupées du Donbass, la résolution récente du blocus des trains de charbon qui font la navette entre le pays et ces territoires illustre clairement l'attitude hésitante des Ukrainiens face à cette crise, qui dure depuis trois ou quatre ans. Après avoir rejeté les demandes des manifestants pendant des semaines, le gouvernement a subitement fait volte-face pour se ranger de leur côté en interrompant ses échanges commerciaux avec les territoires occupés. Cette façon d'agir est particulièrement intéressante, puisque le gouvernement n'avait jamais accédé aux demandes des manifestants qui désiraient hâter le progrès des réformes.
    Je vous dirais qu'au cours de ces 25 dernières années, l'histoire de l'Ukraine ne cesse de se répéter. Les engagements sincères à la réforme se laissent vaincre par la corruption et le cynisme. Cette tendance s'est manifestée dans tous les domaines de la gouvernance. L'Ukraine épuise ainsi ceux qui l'appuient, et ensuite ouvre la porte à d’autres acteurs qui n'ont pas encore vécu cette expérience décevante.
    C'est aussi ce qui a créé la situation actuelle. Si la réforme avait mieux réussi, la crise actuelle ne se serait pas déclenchée. Quelles que soient les politiques occidentales, l'Ukraine a besoin de réformes. Mais je pense que l'Occident ne peut l'aider qu'en lui fixant des conditions et en lui donnant des conseils éclairés. Je pourrai vous donner plus de détails à ce sujet en répondant à vos questions. J'ajouterai que bien que le succès de l'Ukraine soit important, il est extrêmement dangereux d'essayer de la relever alors qu'elle n'est pas viable et qu'elle n'y contribue pas comme elle le devrait.
    Je crois que le temps qui m'était alloué tire à sa fin, alors je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de poursuivre cette conversation.

  (1005)  

    Merci beaucoup, madame Oliker.
    Nous passons directement à la ronde de questions, car nous avons ici une excellente occasion de vous demander en détail dans quel sens cette situation semble évoluer. Nous commencerons par M. Kent.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Oliker, je vous remercie de nous consacrer de votre temps pour témoigner devant nous.
    Je voudrais vous demander ce que vous pensez qu'il se passe en Biélorussie. Après une longue période de répression, l'atmosphère se détend un peu. On délivre des visas, et les frontières s'ouvrent aux touristes. On a toléré des manifestations, mais certaines d'entre elles semblent être sur le point de déclencher une nouvelle révolution de fleurs. La Russie a réagi en resserrant le contrôle de ses frontières. Est-ce que cette situation est réglée, ou est-ce que la réaction de l'Occident à la situation de l'Ukraine influencera l'orientation de la politique de la Biélorussie?
    Ce sont des questions monumentales. Il est très intéressant de surveiller la Biélorussie, parce qu'à mon avis, Loukachenko pense avoir efficacement ménagé la chèvre et le chou en prenant soin de ses relations avec la Russie. Les manoeuvres militaires entre les deux pays, Ouest-2017, vont commencer très bientôt. Nous n'avons aucune raison de penser qu'elles vont être annulées. D'un autre côté, je crois que la crise ukrainienne lui a donné l'occasion d'attirer l'Occident en lui démontrant que son pays n'est pas semblable à la Russie. Il ménage la chèvre et le chou et pense maîtriser ainsi la situation.
    J'ai entendu aux nouvelles ce matin que l'on accusait la Russie d'essayer de lancer une invasion de « petits hommes verts » en Biélorussie. Le reportage suggérait que les Ukrainiens, les Polonais et d'autres groupes avaient lancé cette rumeur, mais je ne pense pas que ce soit le cas. D'après moi, cette rumeur fait partie du petit jeu que joue le gouvernement Loukachenko. Je crois que l'Occident ne devrait pas faire trop confiance au gouvernement Loukachenko. Il ne nous sera pas utile de piquer ainsi les Russes sans avoir une bonne raison, parce que Loukachenko ne s'éloignera pas beaucoup de Moscou. Son style de gouvernement ne tend pas vers une démocratie libérale, même si tous nos gouvernements continuent à promouvoir cette orientation politique.
    Il est évident que nous voulons assister à la libération des prisonniers politiques et à la tolérance des manifestations. Mais ne nous laissons pas emporter par cet espoir. Je crois que les gens de la Biélorussie comprennent mieux ce qui se passe en Ukraine que nous avons tendance à le faire en Occident. Ils se tournent de notre côté pour saisir des occasions, et non pour que nous les aidions à instaurer la démocratie.
    Je n'ai qu'une autre question. Passons plus à l'ouest. Quelles sont, selon vous, les ambitions de la Russie dans les Balkans? Elle n'a pas du tout besoin de faire de la propagande en Serbie, qui ne pense qu'à obtenir ses faveurs en agissant de manière toujours plus provocante au Kosovo. Nous avons le Monténégro, l'accession à l'OTAN, les problèmes avec tous les autres anciens pays de la Yougoslavie. Je me demandais ce que vous avez perçu, pendant vos visites en Russie et au cours de vos conversations avec vos contacts dans ce pays, au sujet des ambitions de la Russie dans les Balkans.

  (1010)  

    Je crois que la Russie considère les Balkans comme une autre région qui lui permettrait de déstabiliser l'unité européenne. En fait, ce projet lui a très bien réussi — je ne pense pas qu'elle se soit attendue à avoir un tel succès dans les Balkans et ailleurs en Europe —, et elle va continuer à pousser cette stratégie.
    Il est intéressant de constater, en observant la politique future de la Russie, à quel point son succès repose sur une stratégie perturbatrice. Elle n'a en fait aucun autre programme positif. Son programme repose sur le fait qu'elle n'aime pas la conjoncture qui s'est développée après la guerre froide. Elle la tâte pour en déceler les faiblesses et pour trouver des moyens de la détruire — les Balkans en sont un, l'ingérence dans les élections en est un autre. Elle va essayer d'agir sur tous ces fronts.
    Mais je ne crois pas qu'elle s'attendait à y parvenir. Alors si elle réussit, qu'a-t-elle à offrir en retour? Certains affirment qu'elle veut rétablir les conditions du XIXe siècle, mais je ne suis pas sûre qu'elle désire elle-même retourner à cet état de choses. Je crois qu'elle a aimé faire contrepoids aux États-Unis. Je me demande une chose: si les États-Unis disparaissaient de la scène internationale, ou s'ils y devenaient inefficaces, est-ce que la Russie serait obligée d'élaborer un programme plus constructif?
    Nous ne voyons encore rien apparaître dans les Balkans, mais il sera intéressant de surveiller cette région pour voir si la Russie a vraiment quelque chose à offrir. Elle jouit d'un grand soutien public dans ces pays. Je ne sais pas d'où vient ce soutien, autre que d'une certaine affinité historique.
    Merci.
    Merci, monsieur Kent.
    Nous passons à M. Fragiskatos.
    Merci, monsieur le président.
    Merci de nous avoir consacré du temps aujourd'hui.
    Ma question porte sur les minorités russes en Europe de l'Est. Comme vous le savez, notre comité est allé visiter l'Europe de l'Est. J'ai l'impression que c'était hier, mais en fait nous avons fait ce voyage il y a assez longtemps. C'était en janvier. Nous nous sommes arrêtés par exemple en Lettonie, et nous avons remarqué que les minorités russes qui se trouvent en Lettonie, en Estonie et en Lituanie ont des points de vue politiques assez contrastants. Pourriez-vous nous en parler un peu?
    Par exemple, les Russes qui vivent dans les régions rurales semblent plus portés à appuyer la présence, ou l'influence, de la Russie en Europe de l'Est — ils y sont en fait très favorables — que ceux des régions urbaines. Ces derniers participent plus à la vie politique, sociétale et économique des pays où ils vivent, qu'il s'agisse de la Lettonie, que nous avons visitée, de l'Estonie ou de la Lituanie.
    Je dirais que l'éducation, l'intégration et les médias ont beaucoup d'influence à ce sujet. Je vous dirais que les pays baltiques se sont plus ou moins efforcés d'intégrer ces communautés et qu'ils leur font plus ou moins confiance. Moins on leur fait confiance, moins ils s'intègrent, et plus ils se tournent vers des sources d'information et des médias russes, parce que les pays dans lesquels ils vivent ne leur donnent pas d'informations.
    Cela dit, un grand nombre de ces gens visitent la Russie, où il leur reste de la famille. Ils savent quelles sont les conditions de vie en Russie, et ils savent ce qu'elles sont en Europe. Ils comprennent que jusqu'à un certain point, les conditions de vie sont meilleures là où ils sont. J'hésite beaucoup à comparer l'Ukraine aux pays baltiques, parce que leurs situations sont très différentes, mais je vous dirai qu'il est intéressant de constater qu'en Ukraine, dans des villes comme Kharkiv, une bonne partie de la population qui se disait russe se dit maintenant ukrainienne, à cause de tout ce qui s'est passé. Même si au début de la crise, en 2014, ils pensaient qu'ils auraient intérêt à se tenir près de la Russie, parce qu'ils pensaient que leur prospérité économique en dépendait, leur point de vue a changé depuis. Il a changé à cause de la politique russe, et non à cause de ce que l'Ukraine a fait pour lui résister.
    Je crois qu'il n'est pas juste de considérer les résidents d'ethnie russe qui vivent dans les pays baltiques comme une cinquième colonne. À mon avis, il est très important de continuer à offrir des programmes d'intégration et de sensibilisation. Il faut aussi tenir compte des générations. Je serais moins inquiète de voir les jeunes ou les habitants des régions urbaines s'intégrer que d'observer une tendance à idéaliser la Russie dans la jeune génération. Mais cela varie d'un pays à l'autre. Les pays baltiques ne sont pas monolithiques. Leurs gouvernements devraient faire plus d'efforts pour intégrer ces populations.

  (1015)  

    Ce que vous dites est très intéressant. L'intégration se déroule de diverses façons. Elle réussit souvent, mais il lui arrive aussi d'échouer, avouons-le.
    Je ne voudrais pas vous acculer au pied du mur, mais auriez-vous un exemple de belle réussite d'intégration à nous présenter?
    Tout cela dépend des lois sur la citoyenneté et sur la langue. Ces pays réussissent mieux quand ils... On peut plus ou moins comparer tout cela. Il y a toutes sortes de facteurs en jeu. Il faut tenir compte du degré dans lequel les populations sont mixtes et des politiques en vigueur. On ne peut pas ignorer tout cela, alors il est impossible de mener des études parfaitement contrôlées.
    Je dirais que les politiques qui favorisent plusieurs langues, la citoyenneté, l'accès, seront plus efficaces parce qu'elles mettent les générations plus âgées à l'aise. La jeune génération apprendra la langue de toute façon, mais ces politiques mettent leurs parents plus à l'aise, ce qui facilite la transition. C'est le genre de facteurs dont je parlais.
    Quels pays ont bien fait les choses, et lesquels n'ont pas si bien réussi?
    Je n'ai pas étudié cette question. L'Estonie a eu des relations tendues avec sa population russe. La Lituanie et la Lettonie ont des modèles différents, parce que les proportions ne sont pas les mêmes. Pour bien répondre à votre question, je devrais placer les chiffres côte à côte, et ce sont les facteurs que je surveillerais.
    Je ne voulais vraiment pas vous acculer au pied du mur. Je vais passer la parole à mon collègue, M. Saini, parce que je ne pense pas qu'il aura le temps de poser une question puisque nous procédons par ordre alphabétique de ce côté.
    Vous aurez assez de temps. Utilisez-le comme vous le désirez.
    Allez-y, monsieur Saini. Je vous redonnerai la parole tout à l'heure.
    Merci beaucoup, madame Oliker, d'être venue nous parler.
    J'ai lu dans vos articles que vous pensez que la Russie désire rétablir un monde bipolaire et retrouver son prestige. Vous avez aussi écrit que sa stratégie nationale vise ces idéaux, mais qu'elle ne sait pas très bien comment s'y prendre pour les atteindre.
    Ma première question ne porte que sur l'économie. Nous observons la montée de la Chine, surtout en Eurasie. L'initiative « une ceinture et une route » a isolé Moscou. La communauté économique eurasienne est plus influencée par la Russie que par d'autres pays. On observe maintenant en Russie une économie équivalant à celle de la ville de New York.
    La stratégie nationale de la Russie vise de grands idéaux. La Russie a des désirs impérieux. Vous avez écrit qu'elle veut s'opposer à Washington, mais dans bien des cas, elle a besoin de Washington. Après l'élection de Trump, les médias russes ont présenté quatre thèmes sur lesquels ils voudraient que la Russie entame des négociations avec les Américains: mener des opérations conjointes contre le terrorisme, convenir que le Monténégro est le dernier pays membre de l'OTAN, maintenir l'influence des « étrangers proches » et considérer la Crimée comme faisant part intégrante de la Russie.
    Ces enjeux illustrent son désir de créer un monde bipolaire, mais elle a aussi besoin de Washington. Toutefois, il lui faut plus que tout développer son économie de manière à financer ces ambitions.
    Pourriez-vous nous expliquer de quelle manière elle devra s'y prendre? Il me semble qu'en fin de compte, la Chine jouera un rôle beaucoup plus important en Russie que dans tout autre pays.
    Je discerne trois questions en une ici.
    En ce qui concerne la bipolarité, je dirais que la Russie a besoin des États-Unis parce qu'elle veut occuper le pôle Nord, n'est-ce pas? La Russie parle en fait de multipolarité. La Chine en constitue un élément, l'Europe peut-être un autre. Cet univers idéal nous ramène à la guerre froide, États-Unis contre la Russie. Si les États-Unis devenaient moins actifs et qu'il en découlait une vraie multipolarité, je ne pense pas que la Russie sache exactement ce qu'elle ferait. Je ne sais pas si elle chercherait à élaborer un programme dans ces circonstances.
    Depuis longtemps, la Russie subit des tensions entre la coopération avec les États-Unis et la lutte contre les États-Unis. Le plus dangereux depuis environ trois ans est le fait que la Russie pense retirer de grands avantages en s'engageant à lutter au lieu de coopérer. En coopérant avec la Syrie, elle s'unit pour bombarder la même population. Cette coopération ne contribue pas vraiment à stabiliser la Syrie, mais elle n'apporte pas non plus de solution au problème fondamental. C'est une coopération intéressante qui donne à toutes les parties la possibilité de blâmer les autres pour les échecs. Mais le programme de la Russie en Syrie est positif, car il vise à maintenir le gouvernement syrien au pouvoir. Je vous dirai honnêtement que ce programme est probablement plus clair que celui des États-Unis. Après cela, il n'y a plus de plan, et personne d'autre n'en a prévu. Cette idée de coopérer en poursuivant les bombardements est plutôt incomplète.
    Du côté économique, la Russie est tout à fait capable de se démarquer. Il lui suffit d'encourager le désir qu'a sa population de faire face aux épreuves et à les accepter, d'accepter d'investir plus d'argent dans la défense même quand l'économie faiblit. C'est ce qu'elle a fait. Sa croissance économique a commencé à chuter en 2009 quand son budget de la défense a englobé une plus grande part de son PIB. Les Russes défendent Poutine en affirmant qu'il est le seul président sous lequel leur économie s'est accrue et grâce auquel ils ont vécu une période de prospérité.
    Les Russes ne sont pas habitués à vivre dans la prospérité. Ils ont toujours fait face à des conditions de vie très difficiles. Poutine est le seul qui ait amélioré ces conditions. Le retour à la normale n'est pas nécessairement dû à un échec de Poutine. Les Russes reconnaissent encore qu'il a réussi à améliorer leurs conditions de vie après les années 1990. Pour ces raisons historiques, la Russie a une meilleure capacité que bien d'autres pays d'investir moins dans ses infrastructures — comme l'éducation et les soins de santé — et plus dans la défense. Elle a bien sûr un point de rupture, mais il n'est pas économique. À mon avis, sa faiblesse découlera d'un engagement exagéré en Ukraine. Si la crise ukrainienne empire, si la Russie y engage plus de capacité militaire et que son armée s'y enlise, alors elle subira un échec. Elle court peut-être le même risque dans le Nord du Caucase.
    Le cas de la Chine est intéressant. En effet, je crois que les Russes l'ont toujours crainte, mais de nos jours il n'est pas poli de le dire ouvertement. La Chine est une solution envisageable après l'Europe, mais il n'a pas été aussi facile de s'y engager économiquement qu'on ne l'aurait espéré. La Chine est aussi pour la Russie la porte par laquelle elle pourrait devenir une grande puissance en Asie. Toutefois, en poursuivant ces ambitions, la Russie comprendra que les vraies grandes puissances n'imitent personne d'autre. En cherchant à se rapprocher du Japon et des pays du Sud de l'Asie, elle se heurtera à des enjeux qui bousculeront sa relation avec la Chine. Cela ne se manifestera pas subitement, mais je suis certaine que la Chine ne verra pas d'un bon oeil la Russie se rapprocher sérieusement du Japon.
    Selon moi, cette question provoquera de fortes tensions au sein de cette relation. En parlant du Traité FNI, Vladimir Poutine affirme que la Russie ne l'enfreint pas, mais il souligne aussi que bien que certains pays avoisinants possèdent des capacités similaires, la Russie ne développe pas ses capacités à cause du Traité. Je ne pense pas qu'il ne parle ici que de l'Europe.

  (1020)  

    Merci.
    Madame Laverdière, la parole est à vous.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Madame Oliker, je vous remercie de votre présentation.
    Dans votre réponse à la dernière question, vous êtes revenue sur cet enjeu que, sauf erreur, vous avez mentionné lors de votre présentation, à savoir que plusieurs personnes en Russie pensent que l'aventure ukrainienne était une erreur et que cela peut devenir un boulet à porter.
    Je me demandais jusqu'à quel point cette perception était répandue au sein de la population russe en général.

[Traduction]

    C'est une excellente question.
    Ce que j'ai dit, c'est que lorsque j'étais là-bas en novembre, j'ai entendu un certain nombre de personnes dire que c'était une erreur. Cette erreur a toutefois été caractérisée de différentes façons. Certaines personnes ont estimé que l'erreur avait été de ne pas envahir Kiev; d'autres ont estimé que l'erreur avait été de mettre le pied dans l’engrenage. J'ai entendu les deux points de vue.
    Je ne connais pas bien les états d’âme de la population russe dans son ensemble. Je pense que globalement, l'annexion de la Crimée continue d'être perçue très favorablement, et que ce que la Russie fait ou ne fait pas en Ukraine continue de susciter le débat, même si j'ai remarqué que parmi l’élite, les gens admettent de plus en plus facilement que les forces russes combattent effectivement en Ukraine.
    Selon moi, les opinions exprimées en octobre-novembre avant les élections aux États-Unis, pour être honnête, avaient beaucoup à voir avec la réaction de l'Ukraine et celle de l'Occident. D’après moi, l'élection de Donald Trump a amené la Russie à croire que cette situation était plus récupérable qu’elle ne l’était en réalité, et l'incapacité continue qu’a l'Ukraine de résoudre certains problèmes y contribue certainement. Je n’y suis pas retournée pour leur demander s'ils avaient reconsidéré leurs positions depuis. L’exercice pourrait être intéressant.
    La Russie a un problème différent, dont personne ne parle, et il ne se limite pas seulement à l'armée russe en Ukraine. Il y a des volontaires russes, des gens qui décident simplement de prendre un fusil et de se rendre en Ukraine. Une certaine classe de Russes, des hommes pour la plupart, et quelques femmes, dont les perspectives économiques sont limitées, et qui en éprouvent une grande frustration. Certains se rendent en Syrie, et d’autres vont en Ukraine.
    S'ils sont allés en Syrie, ils auront du mal à revenir. S'ils reviennent, ils seront arrêtés. S'ils vont en Ukraine, ils rentrent en Russie avec leurs armes, et ils peuvent adhérer à ce moment à l'aile droite russe. Ils peuvent faire partie de groupes frustrés que le gouvernement russe ne soit pas plus ferme en Ukraine, qu’il ne se porte pas à la rescousse de l'Ukraine, et qu’il ne les appuie pas. Ils ne reçoivent pas de prestations d’anciens combattants, et je pense que c'est un problème auquel la Russie devra faire face tôt ou tard.

  (1025)  

[Français]

    C'est très intéressant. Je vous remercie.
    Vous avez parlé aussi d'une reform fatigue, c'est-à-dire d'une lassitude à l'égard des réformes en Ukraine. On a l'impression, à vous entendre, que les efforts pour faire des réformes sont ressentis comme une demande de la part de l'Occident, plutôt que comme une nécessité qui vient de l'intérieur du pays lui-même.
    Pourriez-vous faire de plus amples commentaires là-dessus?

[Traduction]

    Oui, c'est exact. Il y a une tendance chez les réformateurs à présenter les choses de cette façon, parce que c'est plus facile ainsi de rallier l'opposition, plutôt que de dire qu’il faut faire face à la situation en raison de ce voisin qui est plus fort. Cela a bien fonctionné au début, mais je crois qu'ils ont vraiment commis une erreur en présentant les réformes comme une façon de se faire accepter au sein des institutions occidentales, plutôt que comme une façon de devenir un pays durable et efficace que la Russie n'aurait pas été en mesure d’envahir si ces réformes avaient été menées plus tôt.
    J'ai travaillé le plus étroitement à la réforme du secteur de la sécurité, et j'ai constaté que l'opposition à ce travail de nettoyage vient en grande partie de l’intérieur. Nous parlons d'intérêts acquis, mais cet aspect n’est pas au premier rang des priorités. Ce n'est pas le fait que des gens ont une tonne d'argent. Il y a des gens qui gagnent très peu d'argent, mais ils ont tout de même besoin de cet argent. Cela concerne les sous-traitants dans le secteur de la défense qui ont leurs relations, et le système fonctionne bien pour eux. Si tout cela disparaît à cause du nettoyage, la même chose se produit pour eux. Comment vont-ils continuer?
    Ils ont un régime qui est inefficace, et ils le savent. C'est un régime incroyablement inefficace. Un régime qui envoie des jeunes gens vers la mort dans l'Est de l'Ukraine, mais qui leur permet aussi de payer le loyer et les dépenses ménagères, et les gens en ont très peur. En partie en raison de l'échec des réformes par le passé, la réforme est maintenant très difficile à mener. Ils n'ont pas de compteur de gaz, ce qui signifie que lorsque les prix du gaz augmentent, l'électricité n'est pas efficace et les gens doivent payer en fonction de la superficie de leur maison, ou d’une autre mesure de la sorte, alors ils deviennent frustrés et ils se fâchent. Les personnes plus âgées qui reçoivent une pension ne peuvent trouver l'argent nécessaire, et certaines personnes reçoivent des subventions et d’autres n’en reçoivent pas, si bien que cela devient un cercle vicieux.

[Français]

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Merci, madame Laverdière.
    Monsieur Levitt, je vous prie.
    Merci, monsieur le président.
    L'activisme russe et l'ingérence dans la politique intérieure d'autres pays sont monnaie courante pour les populations d’Europe de l'Est depuis plusieurs années, mais ils sont récemment apparus dans notre paysage, au sud de la frontière et aussi tout récemment au Canada.
     J’aimerais citer ce que vous avez écrit, dans un article de la publication The National Interest paru en juillet 2016, qui donnerait à peu près ce qui suit en français
... la survie des institutions européennes et l'internationalisme des États-Unis reposent davantage non pas sur la réaction à l'ingérence russe, mais sur le renforcement de la viabilité des valeurs et des systèmes menacés. Ceux qui aspirent à les préserver doivent donc les renforcer, les adapter et les rebâtir, de façon qu'ils répondent plus efficacement aux besoins actuels.
    Vous avez écrit cet article en juillet 2016. Il s’est passé beaucoup de choses, et il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts depuis ce temps. Comment voyez-vous cette situation, et comment percevez-vous l’ingérence de la Russie de nos jours?

  (1030)  

    J’estime que nous faisons fausse route quand nous accusons les Russes d'exploiter nos faiblesses. Notre véritable problème réside dans ces faiblesses, et non dans le fait que les Russes les exploitent.
    En tant qu'Américaine, laissez-moi vous dire que si notre système peut être si facilement... Écoutez, je ne crois pas que les Russes ont fait élire Donald Trump aux États-Unis. Ce sont les Américains qui ont élu Donald Trump. Les Russes ont été extrêmement ravis de ce résultat, et nous pouvons trouver des preuves d'ingérence de la Russie, mais de là à dire que l'ingérence de la Russie a mené à ce résultat, il y a un grand pas que l’on ne peut franchir. Il est important de le souligner.
    Il existe un réel danger, si les Russes se mettent à penser que le mérite de ce résultat leur revient, et qu’ils croient en conséquence pouvoir en arriver aux mêmes résultats ailleurs et deviennent de plus en plus frondeurs et confiants. Je ne sais pas si cette confiance les rend plus efficaces, mais je sais qu’elle assombrit la perspective d'une meilleure relation entre l'Est et l'Ouest.
    J’estime aussi que nous faisons face à une crise des démocraties libérales. Nous sommes confrontés au pays à un mouvement d’opposition à ces démocraties. Nous sommes confrontés à des incertitudes au sujet de ces démocraties en Europe, aux États-Unis et, quoique dans une moindre mesure, ici aussi au Canada. Les Allemands et vous êtes peut-être ceux qui vont le mieux vous en tirer. Nous allons tous ressentir les contrecoups de cette opposition.
    Il y a un défi à relever pour tous ceux qui croient en ces démocraties, et il s’agit de les défendre et de les présenter sous un jour plus favorable. J'ai été très impressionnée par l’utilisation des institutions par la société civile et les tribunaux américains. Il s'agit d'utiliser les institutions pour défendre ces démocraties, en faisant valoir les libertés, et en utilisant à bon escient les mécanismes d’équilibre des pouvoirs.
    Je crois également qu'il faut renforcer les médias, à la fois pour diversifier les opinions et comme mécanisme de contrôle démocratique, sur le modèle du « quatrième pouvoir ». Nous avons encore fort à faire pour bien comprendre comment ce mécanisme s’applique en cette ère de l'information, mais je ne prétends pas avoir toutes les bonnes réponses.
    Encore une fois, je ne crois toujours pas que la Russie constitue le problème en soi. Elle ne fait qu’exploiter le problème.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Levitt.
    Monsieur Kmiec.
    Je suis heureux que les questions aient penché dans cette direction, à savoir les faiblesses que le gouvernement russe exploite.
    J’aimerais parler d’une enquête qui a été menée par la Commission européenne, l'Eurobaromètre spécial 451 « L'avenir de l'Europe ». Dans de nombreux pays d'Europe centrale et de l’Est, comme la Croatie, la Lituanie, la Roumanie, la Lettonie, la Bulgarie et la Pologne, la population, si l’on en croit les résultats de cette enquête, considère que son principal problème est celui du niveau de vie des citoyens de l'UE. On leur a présenté des choix comme la bonne entente entre les États membres de l'UE, et la puissance industrielle et commerciale, mais ils ont mis l’accent sur les niveaux de vie en Europe de l'Est et en Europe centrale. Lorsque vous y regardez de plus près, l'enquête porte sur le principal problème perçu par ces populations. La majorité des États, soit 16 sur 28, ont déclaré que le chômage constitue le principal problème. La population d’un seul pays a parlé du terrorisme et des questions de sécurité comme étant sa principale préoccupation, et c'était celle des Pays-Bas.
    Pouvez-vous parler de ces faiblesses que nous observons? Même l’enquête menée par la Commission européenne révèle que la principale préoccupation des gens, dans des pays pourtant beaucoup plus proches du conflit qui se déroule aux frontières de la Fédération de Russie, est l'économie et leur situation personnelle et individuelle. Vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide, les gens demeurent surtout préoccupés, même dans les régions très proches du conflit, par leur niveau de vie, leur famille et la façon d’améliorer leur sort personnel. Qu’en pensez-vous?
    Est-il donc vrai que la faiblesse est de nature économique? Si c'est le cas, dans quels secteurs de l'économie se trouve cette faiblesse continue? Comme vous l'avez dit vous-même, ce n'est pas comme si la Fédération de Russie offrait un niveau de vie vraiment élevé et comparable à ce que l'Union européenne peut ou pourrait être en mesure d’offrir.

  (1035)  

    Vous soulevez un excellent point. Je pense que les perceptions et que l'actualité des difficultés économiques sont des terreaux fertiles pour diverses formes de populisme et de réponses faciles. C'est ce qui explique la popularité croissante des partis qui exploitent ce genre de réponses en Ukraine, et c’est aussi ce qui explique l’attrait croissant exercé par ce type de solutions aux États-Unis, et évidemment en Europe. Des gens viennent dire aux populations...
    Il existe différents types de réponses faciles, mais aucune d’elles ne répond véritablement à la question. Ces réponses ne règlent pas le problème, car même s’il y a une croissance économique d’une année à l’autre, si vous examinez la situation au fil des ans, elle se détériore d’une génération à l’autre. Le pouvoir d'achat a diminué, quoique pas partout. La situation est différente en Europe de l'Est, parce que les générations antérieures ont vécu sous un régime communiste, et elles ne connaissent cette nouvelle démocratie libérale que depuis 25 ans. Il est intéressant de se demander en quoi les attentes de ces populations sont différentes de celles des Pays-Bas, par exemple, qui ont une histoire économique fort différente.
    L'économie n'est pas mon principal domaine d'expertise. Je suis politologue. Je crois que bon nombre d'entre nous ont mal servi nos populations dans ce contexte. Il y a un prix à payer pour la mondialisation, et ce prix n’a pas été pris en compte dans la mesure où il aurait dû l'être. Je pourrais pencher vers une série de solutions, et d'autres personnes pourraient pencher vers d’autres. Dans des régimes démocratiques, il est du ressort des politiques publiques de trouver des moyens de soutenir ceux qui s’estiment lésés par les ralentissements économiques, et de veiller à ne pas affaiblir une couche de la population en tentant d’en renforcer une autre. Il ne s'agit pas de soutenir les privilégiés d’autrefois face aux nouveaux privilégiés, mais bien d’assurer une prospérité qui profite à tous.
    Puis-je vous interrompre un instant? Pendant que vous parliez, une question m’est venue à l’esprit.
    Plus loin dans la même enquête, il est question d’un aspect dont vous avez parlé. Cinquante-six pour cent des répondants croient que les perspectives d’avenir de la génération de leurs enfants sont plus sombres que celles qui se présentaient à leur génération. C'est vrai pour les populations d'Europe de l'Est, d’Europe centrale et d’Europe de l'Ouest. C'est presque une constante. Est-ce la même chose en Russie? Les parents russes croient-ils que les perspectives d’avenir de leurs enfants se sont assombries par rapport à leur génération?
    Vous avez dit que leur capacité de souffrir est peut-être plus élevée qu'en Europe. S’ils n’ont pas cette capacité d’endurer plus longtemps la misère, c’est du moins la perception que nous avons. Dans le contexte russe, croient-ils que leur gouvernement actuel les mènera vers un avenir économique meilleur, moins de chômage, d'inégalités sociales et de problèmes de migration?
    C'est une excellente question. Je ne suis pas certaine d'avoir lu de bons sondages à ce sujet. Tout d'abord, il est difficile de faire de bons sondages en Russie, pour de nombreuses raisons. Je vais vérifier si quelqu'un a pensé poser cette question aux Russes, et quels genres de réponses il a obtenues.
    J'imagine que la plupart des Russes ne croient pas que leurs enfants auront une meilleure vie qu'eux. Ce serait ma première supposition. Je ne suis toutefois pas prête à affirmer qu’ils croient que l’avenir de leurs enfants sera pire que le leur. Je crois aussi que l'attente selon laquelle chaque nouvelle génération aura une meilleure vie que la précédente n'existe pas en Russie comme on l’observe en Occident.
    Merci, monsieur Kmiec.
    Monsieur Saini, la parole est à vous.
    J'ai juste une dernière question.
    De nombreux universitaires et analystes occidentaux ont parlé de la stratégie nucléaire de la Russie comme d’une façon d’amorcer pour mieux désamorcer, et ont signalé qu'une tentative d’abaisser le seuil nucléaire pouvait être observée.
    Je sais que vous pensez différemment à ce sujet, mais j’aimerais simplement savoir comment vous voyez les choses, dans l’actuel contexte d’augmentation des dépenses consacrées à la défense aux États-Unis. Même dans la stratégie nucléaire nationale mise au point par la Russie en 2015, sa politique en matière de stratégie nucléaire était, comme vous l'aviez écrit, plus vigoureuse que par le passé. Je me demande simplement, à la lumière des principales déclarations des analystes occidentaux et dans le contexte de l’augmentation des dépenses consacrées à la défense aux États-Unis, comment vous envisagez l'avenir de la stratégie nucléaire russe?
    La Russie ne veut pas se fier à ses armes nucléaires entièrement à titre dissuasif. Comme je l'ai dit, les Russes ont maintenu à un niveau élevé le seuil d'utilisation du nucléaire dans le cadre de leur doctrine officielle. L'utilisation des armes nucléaires n'est admissible qu'en cas de menace à l'existence de l'État, d’une menace existentielle pour la Russie. Nous ne pouvons que spéculer sur le sens de cet énoncé.
    D'autres soutiennent que la Russie prévoit une utilisation à petite échelle du nucléaire. Ils ont tendance à s'appuyer pour cela sur des écrits de la fin des années quatre-vingt-dix, soit la période où l'utilisation nucléaire à petite échelle a pu être associée à la doctrine russe. Ils s'appuient aussi sur le déploiement par la Russie de capacités à double usage, de systèmes permettant d’utiliser des armes nucléaires ou conventionnelles, et sur une certaine tendance, de la part du gouvernement russe, d’en faire l'étalage.
    Je soutiens que le gouvernement russe ne commence à souligner ces aspects que quand les représentants et les experts occidentaux commencent à s'inquiéter publiquement à ce sujet. Selon moi, les Russes aiment mettre le doigt sur ce qui inquiète les Occidentaux pour mieux les provoquer.
    Je crois que la Russie continuera de faire étalage de sa capacité nucléaire parce que cela rend l'Occident nerveux et parce que c’est une façon de rappeler à tous que la Russie est l'une des grandes puissances nucléaires. Je pense que les Russes préféreraient développer leurs capacités conventionnelles. La majeure partie de l'argent sera consacrée à leurs capacités conventionnelles.

  (1040)  

    Pour continuer sur le même sujet, s’ils affichent la supériorité ou le rendement de leurs systèmes d'armes nucléaires, cela ne revient-il pas aussi en même temps à diminuer la puissance de leur stratégie conventionnelle?
    Ils n’affichent pas leur supériorité. Ils se contentent de souligner froidement qu'ils sont, soit dit en passant, une puissance nucléaire et ils nous montrent par la même occasion les systèmes dont ils disposent. Ils parlent des capacités de leurs systèmes de vaincre les défenses antimissiles. Évidemment que leurs systèmes sont capables de vaincre les défenses antimissiles, puisque ces défenses n'ont pas pour objet de vaincre leurs systèmes. Les défenses antimissiles existantes ne peuvent bien sûr pas faire obstacle à tous les systèmes existants. Ils parlent de nouvelles technologies, mais c'est pour l'avenir. Ils parlent de modernisation, mais les États-Unis en font autant.
    Il s'agit essentiellement pour eux de rappeler à tout le monde que la Russie est une puissance nucléaire, et cela découle en partie d’une crainte des capacités conventionnelles occidentales. Les Russes continuent de considérer les capacités conventionnelles de l'OTAN comme largement supérieures à tout ce qu'ils ont. Comme ils s’en inquiètent, leur premier réflexe consiste à faire observer qu'ils possèdent aussi des armes nucléaires.
    Merci.
    Merci, monsieur Saini.
    Monsieur Sidhu, c'est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Oliker, je vous remercie de votre témoignage.
    Ma question porte sur la question de la sécurité dans cette région. Pensez-vous que l'État islamique et d'autres groupes terroristes sont actifs dans cette région? S’ils le sont, dans quelle mesure cette présence est-elle grave pour la sécurité, ou pensez-vous que les gouvernements de cette région s'en servent pour accentuer les mesures de sécurité à leurs frontières?
    C'est un peu différent dans chaque partie de la région.
    L'État islamique, ou Daech, est en Russie. Il y avait un groupe local, l'Émirat du Caucase, qui a été très actif pendant un certain nombre d'années. Ce groupe s’est effondré récemment, en partie en raison de la pression du gouvernement russe, et en partie en raison de pressions internes. Daech a pour ainsi dire repris le flambeau, et mène certainement le combat islamiste radical violent en Russie, même si d'autres groupes vont et viennent aussi.
    En Asie centrale, les affiliations ne sont pas aussi claires. Ce qui est intéressant là-bas, c'est qu'un bon nombre de gens qui finissent par se radicaliser et éventuellement se rendre en Syrie le font en migrant d'abord en Russie en tant que travailleurs, et en se radicalisant en Russie.
    Tous ces pays jouent la menace à fond et la perçoivent comme plus élevée qu'elle ne l'est en réalité. En approfondissant la question, on constate qu’il est question ici d'un très petit nombre de personnes. Ils mènent des attaques occasionnelles. On observe aussi, en particulier en Russie, qui est le pays que je connais le mieux, des situations qui sont qualifiées d'attaques islamistes radicales violentes, alors qu'il peut s’agir en fait de toute autre chose, parce que c'est un moyen facile de se débarrasser de ces gens.
    Le problème existe. Le problème est probablement moins grave qu'il semble l’être aux responsables, et il est moins grave que ce que l’on nous fait croire. À certains égards, cela contribue à faire grandir le problème, parce que lorsque vous réprimez tous les musulmans pratiquants, vous forcez toujours plus de gens à adopter des comportements plus radicaux et potentiellement plus violents que s'ils avaient le droit de pratiquer leur religion librement.

  (1045)  

    Je vous remercie.
    Merci beaucoup, monsieur Sidhu.
    Madame Oliker, au nom du Comité, je vous remercie beaucoup. Nous pourrions probablement passer une autre heure à étudier ce sujet. La structure et la machine des communications en Russie m’intéressent beaucoup. Les Russes ont la ferme intention de nous convaincre qu'une crise existe bel et bien. J'ai trouvé vos commentaires très pertinents dans le contexte de notre étude des relations entre la Russie et le bloc de l'Est en particulier, et de l’influence russe dans cette région. Au nom du Comité, je tiens à vous remercier de votre témoignage d'aujourd'hui.
    Merci de m’avoir invitée. Si des gens ont des questions, ou s’ils veulent plus de détails, ils n’ont qu’à me le faire savoir et je ferai de mon mieux pour y répondre.
    Merci beaucoup, madame Oliker.
    En terminant chers collègues, je tiens à vous rappeler que nous accueillerons jeudi deux témoins du Congrès ukrainien canadien. Dans la dernière partie de notre réunion de jeudi, nous recevrons le ministre des Affaires étrangères de la Lettonie, qui viendra devant le Comité pour nous parler de la Lettonie. S'il reste du temps, nous parlerons aussi un peu de nos activités futures, comme je vous l'ai dit au début de la réunion d'aujourd'hui.
    Merci beaucoup pour le travail bien fait qui a mené à notre rapport. J'attends avec impatience qu’il soit déposé à la Chambre au début du mois d'avril.
    La séance est levée.
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