HESA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la santé
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 21 novembre 2017
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Mesdames et messieurs, la séance est ouverte.
Bienvenue à la 79e réunion du Comité permanent de la santé. Il s'agit de la quatrième séance consacrée à l'étude sur la résistance aux antimicrobiens.
Nous souhaitons la bienvenue à nos témoins d'aujourd'hui. Nous recevons Jane Kramer, de l'Alliance for the Prudent Use of Antibiotics, qui se joint à nous par vidéoconférence depuis Boston, au Massachusetts. Nous accueillons, également par vidéoconférence, Willo Brock, vice-président principal des affaires extérieures au sein de TB Alliance. Nous avons aussi parmi nous le Dr Timothy Evans, du Groupe de la Banque mondiale, où il est directeur principal de la division de la santé, de la nutrition et de la population. Enfin, nous entendrons le témoignage, à titre personnel, de Gerard D. Wright, professeur au département de biochimie et de sciences biomédicales de l'Université McMaster.
Bienvenue à tous.
Nous donnerons à chacun de vous l'occasion de faire une déclaration préliminaire d'au plus 10 minutes, après quoi nous passerons aux questions des députés.
Madame Kramer, vous pouvez commencer; vous avez 10 minutes.
Merci, monsieur le président.
C'est un honneur pour moi de prendre la parole devant le Comité aujourd'hui. Je tiens à féliciter le personnel et à remercier le greffier de son amabilité.
Tout d'abord, permettez-moi de prendre un instant pour expliquer la raison d'être de notre organisation. Fondée en 1981, l'Alliance a fait oeuvre de pionnière en étant la première organisation à considérer la résistance aux antibiotiques comme un problème et à prévoir la situation de crise qui est, je crois, largement reconnue aujourd'hui. Notre organisation a été créée en tant que groupe de sensibilisation et de défense d'envergure mondiale. Notre mission est de reconnaître la nécessité... de mettre au point de nouveaux médicaments et d'élaborer de nouvelles techniques de diagnostic rapide pour détecter les microbes dans le milieu environnant.
Parlons des perspectives à l'échelle internationale. L'OMS propose un excellent modèle sur son site Web; il s'agit d'un guide, étape par étape, pour l'élaboration d'un plan d'action national. Je n'entrerai pas dans les détails, mais je vous invite fortement à en prendre connaissance. Tous les éléments qui y sont décrits correspondent à ce que nous préconisons, à savoir l'intendance, la collaboration, la nécessité de mettre au point des médicaments et des diagnostics inédits et novateurs. Toutefois, le guide ne tient pas compte de la production d'aliments d'origine animale ni de l'ingrédient secret qui est indispensable au succès de tout pays dans ce domaine, et j'y reviendrai vers la fin de mon bref exposé.
L'intendance, ou la gestion rationnelle des antibiotiques, se veut un effort systématique pour sensibiliser les prescripteurs aux antimicrobiens et les persuader de suivre des pratiques d'ordonnance fondées sur des données probantes pour contrer la surconsommation d'antibiotiques et, par le fait même, la résistance aux antimicrobiens. Nous devons continuer d'élaborer des mécanismes de communication internationale permettant de signaler les nouvelles tendances en matière de résistance lorsqu'il y a des répercussions sur la santé des humains et des animaux à l'échelle planétaire. C'est d'ailleurs pourquoi notre groupe a établi, depuis déjà longtemps, des chapitres un peu partout dans le monde, lesquels facilitent les communications sur le plan régional dans le but de déceler les tendances en matière de résistance.
En ce qui concerne l'objectif essentiel d'encourager la mise au point de nouveaux médicaments et techniques de diagnostic rapide, conformément à ce qui est énoncé dans le plan d'action national des États-Unis, mentionnons le partenariat mondial CARB-X. Il s'agit d'un partenariat public-privé destiné à financer l'innovation. CARB-X se veut un accélérateur biopharmaceutique pour combattre les bactéries résistantes aux antibiotiques. C'est un projet de 250 millions de dollars sur cinq ans.
Le groupe est composé des organismes suivants: Wellcome Trust, l'AMR Centre, la faculté de droit de l'Université de Boston, l'Allergy and Infectious Disease Centre, qui relève du NIH, le Broad Institute et la BARDA, que vous connaissez peut-être. Après seulement quelques années d'existence, le groupe compte déjà à son actif un portefeuille remarquable d'entreprises en démarrage dans le secteur des produits pharmaceutiques et de la biotechnologie.
Passons maintenant à la production alimentaire et animale. Comme vous le savez peut-être, l'utilisation d'antibiotiques pour stimuler la croissance des volailles est à la baisse aux États-Unis et, dans une certaine mesure, en Europe, mais on s'attend à ce que les pays BRIC stimulent la consommation auprès de leur classe moyenne florissante en misant sur leur préférence pour la viande dans leur régime alimentaire.
La vente de viande sans antibiotiques ici, aux États-Unis, est le résultat de la demande des consommateurs, mais ce qui se passe à l'étranger nous touche également. Il s'agit d'une tragédie des ressources d'usage commun. C'est un peu effrayant d'y penser. Même si l'utilisation d'antibiotiques dans la production de volaille est en baisse ici, elle connaît une forte croissance à l'étranger.
Permettez-moi de conclure en faisant une observation qui risque de ne pas sembler tout à fait..., mais le Portugal a réussi à éliminer presque complètement l'hépatite C. Quel est l'ingrédient secret dont j'ai parlé tout à l'heure? C'est quelque chose dont le Canada dispose déjà. Quand je songe au paradoxe de la résistance aux antimicrobiens, je me rends compte que le Canada est un chef de file en matière de responsabilité sociale grâce à sa diversité, à sa profondeur intellectuelle, à ses ressources, à son rayonnement et à son système national de santé progressiste.
Le Canada peut devenir un modèle mondial pour gérer l'interaction complexe de causes qui risquent autrement de perturber la biodiversité. Je pense que le Canada est particulièrement bien placé pour régler, une bonne fois pour toutes, le problème de la résistance aux antibiotiques.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Merci.
Bonjour, distingués membres du Comité. Merci de m'avoir invité à parler de la résistance aux antimicrobiens et de son lien avec la tuberculose. Je vais commencer par un bref résumé de cet enjeu à l'échelle mondiale.
La tuberculose est la seule infection pharmacorésistante d'importance majeure qui se transmet par l'air. Ainsi, il suffit de respirer pour la contracter. En 1993, la tuberculose a été déclarée comme une urgence sanitaire nationale et mondiale. Depuis, 50 millions de personnes en sont décédées. En plus, 28 millions d'autres personnes en mourront d'ici 15 ans, soit le délai fixé pour éliminer cette maladie à l'échelle planétaire selon l'objectif de développement durable. Toutefois, au rythme où vont les choses en ce moment, il faudra 10 fois plus de temps pour en arriver là.
Les efforts pour éradiquer la tuberculose et la résistance connexe aux antimicrobiens s'accompagnent de répercussions dévastatrices sur le plan humain et économique, d'où la première leçon à tirer: le prix de l'inaction dans le dossier de la résistance aux antimicrobiens est énorme.
Parmi les maladies infectieuses, la tuberculose est la principale cause de décès au monde; ainsi, en 2016, 1,7 million de personnes en sont mortes. De ce chiffre, et c'est un fait pertinent pour notre discussion, 240 000 personnes ont succombé à la tuberculose pharmacorésistante. Un autre aspect inquiétant de la tuberculose, c'est que la plupart des nouveaux cas de résistance aux médicaments sont maintenant causés par l'infection primaire, ce qui signifie que les patients ayant un profil de résistance aux médicaments infectent directement les nouveaux patients. Enfin, je tiens à signaler que la tuberculose est à l'origine de près du tiers des décès causés par la résistance aux antimicrobiens dans le monde entier.
De nouveaux outils de diagnostic et stratégies de dépistage s'imposent pour repérer et traiter les millions de cas de personnes atteintes de tuberculose. Selon les estimations de l'OMS, à l'heure actuelle, près de 40 % des patients tuberculeux et 75 % de tous les cas de tuberculose pharmacorésistante passent inaperçus, sans jamais être bien diagnostiqués ni traités. Le recours au diagnostic présomptif, plutôt qu'au dépistage confirmé de la tuberculose, entraîne une utilisation inappropriée de médicaments, ce qui contribue à l'augmentation du nombre de souches pharmacorésistantes de cette maladie. Donc, une autre leçon à retenir dans le débat sur la résistance aux antimicrobiens, c'est que le dépistage et le traitement vont de pair.
Le traitement de la tuberculose au moyen d'antibiotiques est très compliqué, contrairement à beaucoup d'autres infections. Il faut une période de six à neuf mois, pendant laquelle on administre au moins quatre médicaments différents — quatre antibiotiques différents — dont le dosage doit être ajusté en fonction du poids corporel. Le traitement n'est pas toujours compatible avec les antirétroviraux du VIH, ce qui constitue un grave problème puisque la tuberculose est la principale cause de mortalité des personnes atteintes du VIH. Le traitement de la tuberculose multirésistante exige, pour sa part, presque 14 000 pilules et 240 injections. Même là, l'OMS rapporte un taux de succès de seulement 50 % à l'échelle du globe. En raison de cette complexité, le traitement offert aux patients qui résistent le plus aux médicaments peut coûter jusqu'à 1 million de dollars pour un pays comme le Canada.
En plus des effets dévastateurs sur les personnes pendant la période la plus productive de leur vie, la tuberculose met en péril le développement économique et social. Selon une analyse publiée la semaine dernière par KPMG, sur une période de 15 ans, soit de 2000 à 2015, la mortalité attribuable à la tuberculose a fait perdre 616 milliards de dollars dans l'économie mondiale. Si rien n'est fait, la mortalité future reliée à la tuberculose pourrait entraîner une perte supplémentaire de près de 1 billion de dollars. Je le répète, le coût de l'inaction est énorme.
Par ailleurs, aucun pays n'y échappe. Les prévisions révèlent que la tuberculose fera le plus grand nombre de victimes dans les pays à revenu faible ou moyen en Asie du Sud-Est et en Afrique; toutefois, les pays du G20 seront les plus touchés sur le plan économique, car ils assumeront presque les deux tiers des ravages économiques de cette maladie. On estime que, d'ici 2050, la tuberculose pharmacorésistante pourrait causer des pertes de production économique de près de 10 billions de dollars au sein du G20 et de 6 billions de dollars partout ailleurs.
Dans ses derniers rapports publiés en 2016, l'OMS montre clairement que les progrès sont trop lents pour que nous puissions atteindre nos objectifs d'éradication, mais grâce à un engagement mondial renouvelé à l'égard de la recherche et du développement, je crois que nous pouvons mettre au point de nouveaux diagnostics et médicaments contre la tuberculose — des solutions hautement novatrices qui pourront mettre fin à la maladie la plus dévastatrice de l'histoire. C'est justement pour cette raison — soit la mise au point de nouveaux médicaments et schémas posologiques pouvant guérir toutes les formes de tuberculose — que TB Alliance, l'organisme où je travaille, a vu le jour en 2000.
J'aimerais prendre une minute pour vous informer des progrès que nous avons réalisés dans la lutte mondiale depuis 2000 et pour expliquer ce que nous pouvons accomplir ensemble au cours des 5 à 10 prochaines années.
TB Alliance coordonne maintenant, dans le cadre d'un partenariat public-privé, la plus grande filière de médicaments, allant des candidats au stade initial jusqu'aux traitements prêts à être homologués au cours des cinq prochaines années. D'ailleurs, nous sommes sur le point de réaliser un progrès décisif dans le traitement de toutes les formes de tuberculose, y compris les formes pharmacorésistantes. Une fois que nous aurons obtenu des investissements suffisants, nous pourrons administrer à chaque personne atteinte de tuberculose un traitement efficace qui ne prend pas plus de six mois, même pour traiter les formes les plus résistantes de la maladie, et ce, sans les effets secondaires, les risques de mortalité et les taux d'échec que nous observons actuellement dans les programmes de traitement.
Nous avons également fait des progrès importants en vue de souligner la voie à suivre au cours des 10 prochaines années pour soigner tous les patients, peu importe leur diagnostic de résistance, en trois mois ou moins grâce à un même traitement très efficace, sûr et abordable contre la tuberculose, à administrer une fois par jour par voie orale.
Cela signifie que nous pouvons éradiquer la tuberculose pharmacorésistante au cours des 10 prochaines années. Ce n'est pas la science qui nous met des bâtons dans les roues, mais bien le manque de financement et de volonté politique. L'extrême lenteur actuelle du financement de la recherche sur la tuberculose est bien attestée, et cette situation a des conséquences mortelles.
Pour réussir, je crois que nous pouvons tirer un certain nombre de leçons sur la résistance aux antimicrobiens en général parce que nous luttons contre la tuberculose depuis très longtemps.
Tout d'abord, je voudrais mentionner en guise de conclusion que nous ne pouvons pas régler le problème de la résistance aux antimicrobiens sans lutter contre la tuberculose. La riposte mondiale à ce problème sera foncièrement incomplète si elle néglige la tuberculose.
Nous devons également coordonner et mettre en commun des investissements mondiaux pour la recherche. Le développement de produits coûte cher, et la meilleure façon d'y parvenir, c'est de déployer des efforts coordonnés à l'échelle mondiale pour partager les risques et accroître la transparence. Il faut un plan d'action et des investissements d'envergure mondiale, plutôt que des subventions et des plans nationaux en matière de recherche et de développement, dont la plupart se limitent strictement à la capacité nationale en recherche et développement et aux intérêts économiques nationaux.
Même si la tuberculose est reconnue comme la pierre angulaire de la lutte mondiale contre la résistance aux antimicrobiens, elle a souvent été exclue des programmes de financement de la santé; c'est le cas, par exemple, du nouveau programme CARB-X, dont ma collègue a parlé tout à l'heure. Toutefois, j'aimerais mentionner le programme JPI-AMR, qui est un mécanisme de financement pour les premiers stades de la recherche sur la résistance aux antimicrobiens et auquel le Canada participe en tant que bailleur de fonds; d'après ce qui a été annoncé, pour la première fois en 2018, on inclura la tuberculose parmi la gamme de maladies pouvant être admissibles au financement du programme. Je tenais à le souligner, et j'aimerais ajouter que la tuberculose doit être incluse dans tous les programmes de ce genre à l'avenir.
Il y a un autre point sur lequel je voudrais insister: la recherche universitaire est évidemment très importante, mais elle n'est pas la même chose que le développement de produits. De nombreux gouvernements croient que les sommes considérables qu'ils investissent dans la recherche universitaire et les découvertes préliminaires seront transformées en produits grâce à un recours efficace à l'industrie pharmaceutique. Or, la tuberculose est une maladie liée à la pauvreté, qui n'a pas de marché. Une des mesures que nous voulons prendre pour contrer la résistance aux antimicrobiens, c'est de réduire le plus possible l'utilisation des antibiotiques dont nous disposons. Voilà qui est exactement le contraire de ce qu'une société pharmaceutique recherche sur un marché, d'où le très peu d'intérêt que l'industrie manifeste à l'égard de ce créneau.
En plus des avantages directs pour les patients, nous devons investir dans le remède de demain comme impératif éthique. Pour lutter contre la tuberculose et la résistance aux antimicrobiens, il est essentiel d'offrir un système universel de soins de santé et de stimuler la prospérité économique. Les nouvelles technologies permettront non seulement de sauver des millions de vies, mais aussi d'accroître la prospérité économique. Cela réduira nettement les coûts pour les systèmes de soins de santé, par rapport au prix que nous payons actuellement pour enrayer la tuberculose pharmacorésistante. Par ailleurs, cela allégera considérablement le fardeau des fournisseurs de soins de santé débordés, en plus de libérer des ressources pour les budgets gouvernementaux surchargés.
En terminant, j'aimerais parler du rôle crucial du Canada pour ce qui est d'adopter, de remplir et de concrétiser les engagements pris en 2017 au sein du G7 et du G20, justement pour appuyer des investissements accrus dans la recherche et le développement de produits. En 2018, le Canada accueillera le sommet du G7, d'où l'importance de miser sur les engagements antérieurs et de prendre les moyens nécessaires pour que la recherche et le développement de produits fassent partie intégrante de la quête de solutions à la résistance aux antimicrobiens. Il s'agit notamment d'appuyer de nouveaux mécanismes ou d'élargir la portée des mécanismes existants pour le développement de nouveaux médicaments, diagnostics et vaccins contre la tuberculose. Les recommandations contenues dans le récent rapport de l'OCDE, intitulé Tackling Antimicrobial Resistance: Ensuring Sustainable R&D, devraient servir de lignes directrices. Selon le rapport, pour améliorer les activités de recherche et de développement et commercialiser quatre nouveaux antibiotiques au cours des 10 prochaines années, nous avons besoin d'un fonds commun supplémentaire de 500 millions de dollars américains par année à l'échelle mondiale, et la tuberculose devrait être incluse dans un tel plan.
En conclusion, je suis convaincu que le principal facteur nécessaire pour un monde sans tuberculose, c'est un engagement plus ferme de la part de la communauté internationale, y compris de vous tous. Sans un investissement suffisant, nos efforts conjugués n'aboutiront pas au résultat escompté: éradiquer la tuberculose une bonne fois pour toutes.
Je tiens à vous remercier, vous et le Comité, de nous donner l'occasion de participer à ce dialogue et, bien entendu, je serai à votre disposition pour répondre à vos questions.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre le Dr Timothy Evans, qui représente le Groupe de la Banque mondiale; vous avez 10 minutes.
Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant le Comité dans ce dossier et de vous fournir une perspective internationale.
En tant que Canadien qui a grandi sur une ferme, a fait des études supérieures en économie agricole, a pratiqué la médecine et a passé les deux dernières décennies à travailler en santé mondiale aux frontières de l'Afrique de l'Ouest et de l'Asie du Sud, de même qu'avec des organisations multilatérales comme l'Organisation mondiale de la Santé et la Banque mondiale, je dois dire que c'est un grand privilège et un grand honneur d'être de retour au Canada pour discuter de ce sujet.
Il va sans dire, mais je vais le dire quand même, que les antimicrobiens sont une des plus grandes merveilles de la médecine moderne. En moins d'un siècle, ce sont des milliards de personnes sur la planète qui ont pu en profiter et des centaines de millions qui ont eu la vie sauve grâce à eux. Les avantages, toutefois, sont loin d'avoir été répartis équitablement, et ils sont beaucoup trop nombreux, en particulier dans les pays et les collectivités pauvres, à ne pas pouvoir profiter de ces précieux produits qui sauvent des vies. Leur nombre n'est pas négligeable. En effet, plus de deux millions d'enfants meurent de pneumonie et de diarrhée chaque année, et beaucoup d'entre eux pourraient avoir la vie sauve si les systèmes de santé pouvaient leur fournir en temps opportun des antimicrobiens de bonne qualité et à bas prix.
Le déficit d'accessibilité qui nous préoccupe tous pour sauver des vies est même en train de se creuser en raison de la résistance aux antimicrobiens. Nous venons d'entendre parler du cas de la tuberculose, qui est vite devenue la cause célèbre de la RAM dans le monde. Au sujet des inquiétudes que la RAM soulève, la Banque mondiale, avec l'appui de l'Agence de la santé publique du Canada ainsi que d'autres gouvernements, a mené une étude sur les coûts économiques et les répercussions de la RAM intitulée « Drug-Resistant Infections: A Threat to Our Economic Future », qui a été publiée en mars 2017.
Dans le rapport, on simule les coûts de la RAM dans l'économie mondiale à l'aide de scénarios, et dans le scénario optimiste d'une faible incidence, on prévoit qu'en 2050, la RAM aura réduit le PIB mondial de 1,1 %. En 2030, la diminution du PIB mondial serait d'environ un billion de dollars par année. Dans le scénario d'une forte incidence, la réduction du PIB mondial en 2050 serait de 3,8 %, et le manque à gagner annuel serait de 3,4 billions de dollars à partir de 2030.
À titre de comparaison, dans le pire des cas, les coûts pourraient égaler les pertes subies pendant la crise financière de 2008-2009. Toutefois, l'incidence de la RAM est bien pire pour deux raisons: la baisse du PIB ne serait pas ponctuelle, mais annuelle entre 2030 et 2050, soit pendant 20 ans, et elle toucherait de façon disproportionnée les économies à faible revenu.
Un aspect crucial des coûts est lié au commerce international, en particulier pour le bétail et les produits du bétail, car la baisse prévue est de 11 % dans les pays à faible revenu. On prévoit en outre, en parallèle, une augmentation des coûts des soins de santé — les patients étant plus difficiles à traiter — pouvant atteindre 25 % dans ces pays.
Maintenant, si on pense à l'objectif principal de la Banque mondiale qui est d'éliminer l'extrême pauvreté, cela veut dire que dans le scénario à incidence élévée, d'ici 2050, la RAM aura poussé vers la pauvreté 28 millions de personnes, en grande majorité dans les pays à faible revenu.
La RAM n'est pas seulement un problème de santé; c'est aussi un problème de développement qui, si on ne tente pas de le régler, menace de faire dérailler des économies, de même que l'objectif de développement le plus fondamental de la Banque mondiale, soit l'élimination de l'extrême pauvreté.
Dans le rapport, on ne brosse pas seulement un portrait très sombre des coûts qu'engendrera l'inaction, mais on se penche aussi sur les raisons d'investir dans la lutte contre la RAM. Nous avons utilisé deux paramètres standards pour évaluer les interventions. Il s'agit d'abord de la valeur nette actuelle. Nous avons trouvé qu'un investissement mondial de 0,2 billion de dollars de 2017 à 2050 pourrait permettre d'en tirer des avantages se situant entre 10 et 26 billions de dollars. Quand on examine l'autre paramètre — le taux de rendement économique prévu — le pourcentage se situerait entre 31 et 88 % selon le niveau d'efficacité des interventions à la suite d'un investissement annuel de 9 milliards de dollars. C'est un très bon TRE, ou taux de rendement économique prévu.
Si les avantages d'agir sont très sensés du point de vue économique et sanitaire, quel est le plan de match? Sachant que le consensus politique s'accroît pour tenter de régler le problème de la RAM, permettez-moi de vous parler de quelques domaines où la Banque mondiale joue un rôle actif.
Dans le domaine de la santé, nous faisons activement la promotion d'un programme d'assurance-santé universelle en collaboration avec l'OMS. Ce programme serait bon pour lutter contre la RAM pour trois raisons.
La première est l'immunisation universelle. Si tous les enfants de la planète recevaient le vaccin conjugué contre le pneumocoque, non seulement sauverait-on des millions de vies, mais on procéderait ainsi à un investissement incroyablement rentable pour contrer la résistance aux antibiotiques des pneumocoques. La Banque mondiale, à titre de cofondateur de Gavi, l'Alliance du Vaccin, dont le gouvernement du Canada est un important donateur, a instauré en 2008 un mécanisme de garantie de marché pour encourager les fabricants de vaccins à produire des vaccins conjugués contre le pneumocoque en quantités suffisantes à un prix garanti. Le mécanisme de garantie de marché a eu pour effet d'accélérer l'introduction du vaccin dans les pays à faible revenu. Toutefois, nous sommes encore loin d'un taux de vaccination de 100 %.
La deuxième raison est de procéder à un examen de notre façon de financer nos systèmes de santé. Une assurance-santé universelle signifie passer d'un système de financement où les patients paient pour des soins, à un système où on met en commun des ressources pour prépayer les soins par l'assurance ou l'impôt. Ce système de financement est équitable et efficace pour de nombreuses raisons, mais en plus, il est efficace pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens.
Quand on compare les pays entre eux, on constate que dans un système de financement à l'utilisation, les taux de résistance aux antimicrobiens sont beaucoup plus élevés que dans ceux où les ressources sont mises en commun. Nous examinons les façons d'accélérer la mise en place des systèmes de prépaiement dans un programme d'assurance-santé universelle, notamment par l'entremise du Mécanisme de financement mondial pour « Chaque femme, chaque enfant », une autre initiative qui bénéficie de l'appui du gouvernement du Canada et qui vise à transformer le mode de financement des systèmes de santé dans les pays à faible revenu.
La troisième raison est de faire en sorte que nous puissions disposer d'une capacité en soins de santé essentiels partout dans le monde. La crise de l'Ebola qui a sévi en Afrique de l'Ouest en 2014, tout comme celle du SRAS en 2003, a alerté la communauté internationale sur les dangers de fermer les yeux sur la mise en place des systèmes nécessaires pour assurer la santé de la population. Les laboratoires de surveillance des maladies arrivent en tête de liste des installations indispensables pour y arriver. Nous avons constaté que les réseaux régionaux de laboratoires en Afrique sont des façons très rentables d'accroître la capacité de surveillance de la RAM.
Il y a deux semaines, j'étais en Ouganda et j'ai vu un laboratoire de référence pour la tuberculose qui recevait des échantillons d'expectoration provenant d'aussi loin que le Libéria et la Somalie. On effectuait des tests de sensibilité médicamenteuse très sophistiqués pour surveiller la résistance aux antituberculeux dans ces pays. L'IDA se concentre notamment sur les gains d'efficacité qui découlent de la création de réseaux d'installations offrant des soins de santé publique essentiels. L'IDA est le fonds du Groupe Banque mondiale pour les pays les plus pauvres, dont le Canada est un important donateur.
Outre la santé, nous investissons également par l'entremise de notre organisation Agricultural Global Practice, et nous sommes conscients de l'utilisation omniprésente des antibiotiques pour favoriser la croissance du bétail et des poissons. En nous inspirant des principes d'Une seule santé, nous avons adopté une stratégie à trois volets pour l'agriculture: limiter pour réduire l'utilisation, adapter pour réduire les besoins, et innover pour optimiser l'utilisation. Nous nous réjouissons des preuves récentes voulant qu'en limitant l'utilisation des antibiotiques chez les animaux destinés à l'alimentation, on réduise également la RAM. Nous sommes également motivés par l'utilisation novatrice des vaccins chez les saumons qui ont permis de réduire la dépendance aux antimicrobiens dans l'industrie salmonicole en Norvège.
Toutefois, compte tenu des réalités complexes des systèmes d'aquaculture et d'élevage du bétail dans les pays à faible revenu, nous croyons qu'il faut obtenir plus d'information de base et stimuler l'innovation. À cet égard, nous travaillons en étroite collaboration avec le CRDI, le Centre de recherches pour le développement international, afin d'expérimenter un programme de recherche interdisciplinaire qui permettrait de mieux comprendre les méthodes et les tendances actuelles en matière d'utilisation des antimicrobiens dans l'élevage du bétail, et d'encourager l'innovation pour réduire ou éliminer leur utilisation dans les pays à faible revenu.
Sur ce, j'aimerais remercier le gouvernement du Canada de m'avoir donné l'occasion de témoigner. Je félicite le Comité de se pencher sur les façons d'accroître la concertation dans la lutte contre la RAM, tant au pays qu'à l'étranger.
Merci.
Merci. Je vous sais gré du chronomètre.
Nous passons maintenant à M. Wright.
Selon mes notes, quand vous n'enseignez pas à Harvard ou à McMaster, vous jouez de la batterie dans un groupe rock, alors nous avons hâte de vous entendre.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, et merci de l'invitation à venir témoigner aujourd'hui.
À titre d'information, je ne suis pas seulement batteur dans un groupe rock. Je suis aussi directeur du Michael G. DeGroote Institute for Infectious Disease Research à l'Université McMaster, où nous réunissons une équipe multidisciplinaire constituée de plus de 30 cliniciens, microbiologistes, chimistes, biochimistes et mathématiciens, et de plus de 200 jeunes étudiants dans ces domaines qui sont au premier cycle, diplômés et aux études postdoctorales. Notre objectif est de relever les défis que vous ont si éloquemment décrits les témoins précédents.
Je travaille dans ce domaine depuis 27 ans. J'ai commencé comme postdoctorant à la Harvard Medical School, où j'ai travaillé sur la résistance à la vancomycine lorsqu'elle est apparue pour la première fois dans la région de Boston, et j'ai fait partie de l'équipe qui en a découvert le mécanisme biochimique. Auparavant, la vancomycine était connue comme un « antibiotique irrésistible », c'est-à-dire que nous pensions qu'aucune bactérie ne pourrait y devenir résistante. Il s'est révélé, bien sûr, que c'était faux, et c'est le cas pour tous les antibiotiques. Ils sont tous vulnérables à la résistance. Il n'existe pas d'antibiotique irrésistible.
Depuis mon retour au Canada, mon équipe et moi avons publié plus de 250 articles sur le sujet. Nous travaillons d'arrache-pied pour trouver une solution. Nous avons également découvert un tout nouveau composé dans un échantillon de terre au Nouveau-Brunswick qui inhibe la résistance aux carbapénèmes, et nous en sommes à l'étape du développement préclinique. Nous essayons de tout couvrir à McMaster.
Les antibiotiques ont changé notre façon de mourir. Avant leur avènement, près de la moitié des gens mouraient d'une maladie infectieuse. De nos jours, seulement 3 ou 4 % en meurent. C'est une réalisation remarquable.
Les antibiotiques sont aussi des molécules très particulières d'une autre façon. Pour faire une analogie, on les compare souvent à un extincteur. Les extincteurs sont très efficaces pour éteindre des feux, et nous utilisons les antibiotiques de la même façon lorsque nous avons une infection aiguë. Toutefois, les extincteurs sont aussi très utiles juste en cas de feux. De la même façon, les antibiotiques nous permettent de faire toutes sortes de procédures incroyablement risquées en médecine que nous n'aurions pas pu faire avant leur découverte. Nous ne pouvions pas supprimer le système immunitaire d'un patient pour traiter un cancer, transplanter un coeur, remplacer une hanche, et prendre soin de nouveau-nés prématurés sans contrôler les infections — en particulier sans le contrôle des infections aiguës que nous permettent les antibiotiques.
Ce qui rend les antibiotiques particuliers également, c'est qu'ils sont uniques parmi les médicaments. Ils sont susceptibles de muter. Vous ne développerez jamais une résistance aux antihypertenseurs, aux anovulants ou aux médicaments qui réduisent le taux de cholestérol, mais les bactéries développeront toujours une résistance aux antibiotiques. C'est inhérent au monde de la biologie. Dans mon laboratoire, nous avons découvert que les antibiotiques remontent à la nuit des temps. Nous avons découvert des éléments de résistance dans le pergélisol au Yukon. C'est un problème qui date de très longtemps et nous ne pourrons jamais le régler complètement. C'est une lutte que nous devrons toujours continuer à mener régulièrement.
Voilà donc d'où vient la crise. Les médicaments qui ont pour la plupart été découverts dans les années 1950 et 1960 et sur lesquels nous comptions ne font plus effet.
Je peux vous parler d'une expérience personnelle. J'ai contracté une infection sanguine qui a été causée par une Salmonella résistante à la ciprofloxacine, soit le premier médicament qu'on m'a donné quand on a découvert ce que j'avais. Je sais exactement ce que cela fait lorsqu'un antibiotique ne fait pas effet. Je sais aussi exactement ce que cela fait d'avoir un antibiotique en intraveineuse qui fait effet, et la différence que 24 heures font dans une situation pareille est incroyable.
Au Canada, nous devons lutter contre cette crise avec toute l'énergie nécessaire.
Vous avez entendu parler des répercussions futures que cela pourrait avoir sur l'économie, des répercussions actuelles, et des répercussions sur les vies humaines, mais je vais vous raconter une histoire qui se déroule maintenant. Dans notre hôpital à l'Université McMaster, un de nos cliniciens, à qui je parlais hier, a un patient chez qui des « isolats de Pseudomonas multirésistants » ont été détectés dans les poumons et qui a également contracté dernièrement une « infection à Klebsiella multirésistante ». Le patient va probablement mourir. Il va mourir parce que les médicaments ne font plus effet. Cela ne serait pas arrivé auparavant, mais la résistance est à l'origine de ce problème.
Qu'allons-nous faire? Le fait est qu'on ne peut se fier aux compagnies pharmaceutiques, comme vous l'avez entendu précédemment, pour régler le problème. Nous allons devoir le régler nous-mêmes.
Le cadre sur la RAM de Santé Canada est une excellente feuille de route. Il met l'accent sur l'intendance, la surveillance et l'innovation par la découverte. J'aimerais vous parler en particulier du volet innovation par la découverte. Juste pour vous donner une idée de grandeur, en Europe, les efforts pour stimuler la découverte d'antibiotiques sont financés dans le cadre de l'Initiative Médicaments innovants à hauteur de 700 millions d'euros. Nous avons aussi entendu parler de CARB-X, une stratégie de 500 millions de dollars américains. Le Canada est loin du compte, et nous devons remédier à la situation.
Pour le faire, mon collègue Bob Hancock, de l'Université de la Colombie-Britannique, et moi avons trouvé des chercheurs et des universitaires au sein de petites et moyennes entreprises, des gouvernements ou d'organisations à but non lucratif partout au Canada qui travaillent dans ce domaine. Nous appelons ce réseau le réseau canadien de l'innovation antimicrobienne. Notre objectif est d'accroître la sensibilisation à ce problème et de paver la voie à des investissements dans des domaines où nous excellons.
Une des découvertes faites au Canada a été le composé appelé tazobactam, un inhibiteur de résistance aux médicaments. Il a été découvert à l'Université de l'Alberta dans les années 1980. Le tazobactam est donné aux patients partout dans le monde. Il a été découvert ici même au Canada, et je parierais que vous n'en aviez jamais entendu parler.
Nous avons besoin de plus de découvertes de ce genre. Nous excellons dans les inhibiteurs de résistance. Nous excellons dans la découverte de solutions de rechange aux antibiotiques. Nous excellons dans la découverte de nouveaux vaccins et dans l'utilisation de la génomique moderne pour régler ce problème, en particulier dans la surveillance.
À McMaster, nous avons créé la base de données complète sur la résistance aux antibiotiques que les chercheurs et les cliniciens utilisent chaque jour partout dans le monde. C'est la base de données sur la résistance aux antibiotiques la plus consultée dans le monde, et elle n'est pas financée.
Avant de vous quitter, j'aimerais aussi souligner l'importance de continuer à investir pour que le Canada prenne sa place sur la scène mondiale dans ce domaine. Nous avons la possibilité de jouer un grand rôle. Nous avons le talent. Nous avons de jeunes gens qui veulent faire avancer les choses. Nous avons l'infrastructure héritée d'initiatives comme la Fondation canadienne pour l'innovation. Nous avons tout ce qu'il faut pour aller de l'avant.
Comme l'a dit Churchill au gouvernement américain au début des années 1940, donnez-nous les outils. Donnez-nous les outils et nous réaliserons de grandes choses.
Je termine ici. Merci.
Merci beaucoup.
Nous allons amorcer notre série de questions à sept minutes. Certaines vous seront posées en anglais, d'autres, en français. Nous avons des dispositifs de traduction, au cas où vous en auriez besoin.
Nous allons commencer par M. Eyolfson, pour sept minutes.
Merci, monsieur le président. Merci à vous tous de votre présence. C'est un sujet très intéressant.
J'ai travaillé dans des urgences pendant près de 20 ans en tant qu'urgentologue. Je suis au courant de la plupart des choses dont vous avez parlé. Cette vague, il y a un certain nombre d'années que je la vois venir.
Madame Kramer, vous avez dit dans votre exposé qu'il y a un certain nombre de pays qui utilisent encore des antibiotiques. Je n'ai pas très bien compris le mot que vous avez dit après « pays ».
Merci beaucoup.
Savez-vous si l'Amérique du Nord importe de grandes quantités de viande de ces pays?
Merci.
À votre connaissance, le secteur agricole nord-américain utilise-t-il les antibiotiques destinés aux humains à d'autres fins que pour le traitement des maladies des bêtes?
Voilà qui est intéressant, puisque d'autres témoins — surtout des intervenants du secteur de l'agriculture — nous ont dit qu'en Amérique du Nord, on n'utilise pas d'antibiotiques importants pour la biologie humaine.
J'ai eu un peu de la difficulté à avaler cela, mais vous venez de confirmer ce que je soupçonnais.
Ce pourcentage est encore plus élevé dans la production porcine. Assurément, ces produits sont utilisés à grande échelle pour stimuler la croissance des porcs. La façon d'élever ou de produire ces bêtes — le confinement à l'étroit — est très controversée. Je sais que vous avez entendu les témoignages d'éleveurs, ainsi que ceux de vétérinaires; j'ai lu ces témoignages et les mémoires. Lorsqu'ils sont élevés en confinement étroit, les risques de maladie augmentent. On se sert donc des antibiotiques pour éviter les maladies. Toutefois, la réalité c'est que les antibiotiques servent surtout à stimuler la croissance des bêtes.
D'accord. Connaissez-vous les sortes d'antibiotiques qui sont utilisés en Amérique du Nord, notamment dans l'industrie porcine?
Ne vous en faites pas. Encore une fois, je parle de mon expérience en médecine humaine. Ma connaissance de la médecine vétérinaire est très limitée, mais je sais que, de façon générale, à part des cas rares et très particuliers, le fait de recourir aux antibiotiques à des fins prophylactiques n'est pas une bonne pratique sur le plan médical.
Par exemple, s'il y a épidémie d'une maladie bactérienne dans une garderie, en général, vous n'allez pas donner des antibiotiques à tous les enfants qui sont là. Nous savons que cette façon de faire ne fonctionne pas et qu'elle cause plus de problèmes qu'elle n'en règle. Dans le cas de bêtes élevées en confinement étroit, l'utilisation d'antibiotiques pour éviter la maladie s'appuie-t-elle sur quelque preuve scientifique?
Nous sommes sceptiques à cet égard. L'industrie canadienne de la production alimentaire est une industrie considérable. Vous pourriez organiser une rencontre entre les gens de l'industrie et la communauté des vétérinaires afin de parler de tout cela en détail. C'est ce à quoi je faisais référence. C'est quelque chose de faisable et de gérable. Je crois que, dans votre pays, ce problème est généralement gérable. En collaboration avec Guelph, les autres universités et les membres de l'industrie, vous seriez en mesure de gérer cette question de manière productive et efficace.
C'est un sujet qui doit être débattu. Si vous le voulez, nous pourrions vous aider à l'organiser — peut-être avec d'autres organismes à but non lucratif et d'autres organismes non gouvernementaux —, ne serait-ce que pour l'établissement du programme. Les membres du Comité pourraient peut-être s'investir eux aussi.
Très bien. Merci beaucoup.
Monsieur Brock, vous avez parlé d'une tuberculose résistante aux antibiotiques. Avez-vous une idée de l'incidence de ce type de tuberculose au Canada?
Je ne connais pas les chiffres exacts. Je sais que les cas de tuberculose résistante aux antibiotiques sont très peu nombreux au Canada. Il n'y en a pas plus qu'une poignée. Cependant, comme je l'ai mentionné, étant donné la complexité et le coût du traitement de la tuberculose, même s'il ne s'agit que de quelques cas — 25 par année —, ces soins exercent une pression incroyable sur le système de santé. Comme je l'ai expliqué, les gens suivent des traitements qui durent deux ans. Ils doivent être hospitalisés et il n'est pas rare qu'on doive les envoyer dans des centres spécialisés. Ils sont donc séparés de leur famille et de leurs sources de revenus. C'est un fardeau considérable. La question de ces patients qui résistent à tous les médicaments et dont le traitement peut atteindre le million de dollars canadiens est de toute évidence un enjeu colossal.
Outre le fait que cette maladie soit un enjeu pour la santé publique, la nature infectieuse de la tuberculose soulève des préoccupations quant au confinement des patients. En plus, pour éviter la propagation, il faut partir à la recherche des membres de la famille ou de la collectivité qui pourraient avoir été infectés par ces patients avant qu'on ne les ait diagnostiqués.
C'est un problème relativement marginal, mais nous en sommes déjà au point où une seule poignée de cas s'avère être une grave problématique.
Merci, monsieur le président. Merci à tous nos présentateurs de leur présence.
Monsieur Wright, vous avez retenu mon attention lorsque vous avez dit que vous vous êtes retrouvé avec une sorte d'infection et qu'il vous a fallu un bon moment avant de vous en débarrasser. Il m'est arrivé quelque chose de très semblable il y a environ trois ans. À force de serrer des mains — oui, notre métier est un métier dangereux —, j'ai eu une infection sanguine et il m'a fallu deux mois d'antibiotiques pour m'en guérir. Les antibiotiques m'étaient injectés grâce à une pompe à perfusion qu'on m'avait attachée à la hanche.
Non, ce n'est pas ce qui est arrivé. J'aurais dû le préciser tout à l'heure. C'est une contamination alimentaire qui est à l'origine de mon infection. Cela a commencé par une gastro-entérite, et je me suis retrouvé avec une infection du système sanguin. Lorsque nous sommes dans le laboratoire, nous sommes tous très prudents. Nous n'avons jamais eu de problème de ce côté.
Les médecins ont cru bon de commencer mes traitements avec de faibles doses. Constatant que cela ne faisait pas effet, ils ont graduellement augmenté les doses jusqu'à ce qu'ils se mettent à m'injecter le super-antibiotique qui m'a finalement guéri. Il a néanmoins fallu deux mois pour y arriver. N'aurait-il pas été plus efficace de commencer tout de suite avec l'artillerie lourde?
Eh bien, disons qu'il n'est pas nécessairement souhaitable de faire cela tout de suite en commençant, parce que ces médicaments ont des effets secondaires. Au début, ce que l'on vise, c'est le médicament le plus apte à réussir avec le moins grand nombre d'effets secondaires possible.
Cependant, votre cas ressemble beaucoup au mien, à savoir que l'un de nos défis en ce qui concerne le traitement des infections résistantes aux médicaments, c'est la question des diagnostics. Bien souvent, les infections, comme une infection du système sanguin, se traduisent par des symptômes généraux, contrairement à un microbe particulier qui vous donnerait une infection particulière. C'est ce qui explique pourquoi le traitement est en grande partie empirique. On se retrouve donc avec ce problème, cette énigme à élucider, surtout lorsqu'il est question d'infections qui résistent aux médicaments.
Comme l'ont mentionné presque tous les intervenants, le diagnostic moléculaire est la voie de l'avenir, du moins, pour les situations de ce type. De toute évidence, c'est quelque chose qu'il sera difficile d'appliquer dans les régions où les ressources sont limitées, mais c'est assurément un domaine qui offre un formidable potentiel d'innovation, avec des métadonnées et tout ce qui vient avec.
Voilà qui est intéressant.
Vous avez aussi dit que vous travaillez en collaboration avec d'autres chercheurs du pays à quelque chose qui s'appelle le Réseau Innovation Anti-infectieuse Canada. L'organisme est-il réservé à la recherche canadienne? Qu'en est-il du reste du monde? Collaborez-vous avec d'autres chercheurs à l'échelle internationale? Y a-t-il des échanges en matière d'études et de résultats?
Oui, bien entendu. Fondamentalement, la science est un effort de collaboration. Nous avons des partenaires à l'échelle de la planète — au Nigeria, en Europe et aux États-Unis — et nous travaillons avec eux. L'idée derrière le Réseau Innovation Anti-infectieuse Canada est de regrouper les chercheurs et les intervenants qui travaillent dans ce domaine au Canada, de leur donner une voix, de faire savoir que ce problème est très sérieux et de dire que nous avons des gens formidables qui peuvent aider à le résoudre.
Formidable.
Vous avez aussi parlé du Cadre pancanadien sur la RAM, que le gouvernement du Canada a élaboré plus tôt cette année. Avez-vous participé à la mise au point de ce cadre?
Absolument. Le cadre couvre tous les aspects. Tout ce qui lui manque, c'est une stratégie de mise en oeuvre.
Très bien, alors ce sera Mme Kramer. Sur votre site Web, vous expliquez que votre organisation travaille avec un certain nombre d'organismes américains — dont l'Infectious Diseases Society of America, l'American Medical Association et d'autres encore — afin de promouvoir des politiques publiques et des lois susceptibles de soutenir la mise au point d'antibiotiques pharmaceutiques et leur utilisation appropriée.
Pouvez-vous nous décrire certaines des mesures incitatives qui existent présentement pour soutenir la mise au point d'antibiotiques pharmaceutiques et leur utilisation appropriée aux États-Unis?
Oui. Dans mon exposé, j'ai parlé du projet CARB-X. Il y a aussi le GAIN Act ou, si vous préférez, la loi GAIN, qui offre une prolongation de la propriété intellectuelle et diverses mesures incitatives de remboursement pour les antibiotiques. C'est quelque chose qui mérite d'être examiné. C'est un peu complexe, mais en essence, ce sont les mesures incitatives que cette loi propose. GAIN est un acronyme, mais je ne me souviens plus exactement ce qu'il cache. Je vais vous envoyer cette information une fois la séance terminée afin que tout le monde sache de quoi il retourne.
Voilà essentiellement ce dont il s'agit. C'est une propriété intellectuelle prolongée et un mécanisme de remboursement amélioré. La loi demande de ne pas utiliser les médicaments ou de les utiliser extrêmement judicieusement. On veille en cela à assurer la gestion rationnelle des antibiotiques.
Comme vous le savez peut-être, il y a une nouvelle classe d'antibiotiques. M. Wright pourra le confirmer pour moi, mais je crois qu'il n'y a pas eu de nouvelle classe d'antibiotiques depuis les années 1980. Nous avons besoin de nouvelles classes de médicaments pour combattre les nouveaux microbes qui circulent et pour stopper les microbes en devenir. C'est ce que visent ces mesures incitatives. Nous voulons encourager les fabricants de médicaments et les sociétés de biotechnologie à continuer d'essayer d'innover.
Je suis bien consciente qu'avec votre système de santé — que j'appuie fortement —, il est nécessaire de limiter le remboursement des médicaments au Canada. Nos mesures incitatives vont en quelque sorte à l'encontre de votre système, mais c'est une avenue que vous devriez prendre en considération, examiner. Réfléchissez-y. C'est l'équilibre qu'il vous faut atteindre.
Merci, monsieur le président.
Merci à tous nos témoins de leur présence.
Monsieur Brock, j'aimerais revenir un moment sur le sujet de la tuberculose. Je crois comprendre que cette maladie nous donne du fil à retordre, surtout dans le Nord et dans nos collectivités autochtones. Il y a là une dimension nationale que j'aimerais explorer avec vous.
Quelle différence y a-t-il entre une tuberculose multirésistante et une tuberculose ultrarésistante? Quelle est l'incidence de ces deux types de tuberculose?
D'entrée de jeu, je tiens à préciser, à l'instar de Mme Kramer, que je ne suis pas médecin. Je suis, tout au plus, un administrateur. Il y a une différence entre la résistance à de multiples médicaments, ou multirésistance, et l'ultrarésistance aux médicaments. Avec les traitements de première ligne actuels, les personnes atteintes de tuberculose ordinaire reçoivent quatre médicaments par jour pendant six mois. Ces quatre médicaments ont été développés en 1976, lorsque ce schéma posologique a été mis au point. Ce traitement est celui que nous appliquons depuis les 50 dernières années.
Si vous résistez à au moins deux des médicaments de première ligne, vous êtes considéré comme étant multirésistant aux médicaments. Il y a un profil de monorésistance, et ce que l'Organisation mondiale de la Santé reconnaît actuellement, c'est que les chances de réussite du traitement des personnes qui sont résistantes à un seul de ces quatre médicaments sont déjà bien moins bonnes que celles des patients qui sont résistants à au moins deux médicaments. Sauf que si le patient est résistant à deux médicaments, il tombe dans le profil de multirésistance et se voit dès lors administrer ce que l'on appelle les médicaments de deuxième ligne. Il s'agit de médicaments qui ont un certain effet pour combattre la tuberculose, mais qui sont beaucoup plus difficiles à prendre. Comme je l'ai dit, le patient doit recevoir des injections quotidiennes durant six mois. Votre distingué collègue a dit tout à l'heure qu'il avait dû se déplacer pendant deux mois avec une pompe à injection. Les patients qui ont un profil de multirésistance doivent se rendre à leur clinique tous les jours pendant six mois pour recevoir une injection, puis faire suivre cela par l'ingestion des cinq ou six comprimés. L'image que vous voyez derrière moi est celle d'une main qui tient l'équivalent d'une journée de médicaments pour lutter contre une tuberculose multirésistante.
Si l’on constate que le patient a aussi une résistance à l’un de ces médicaments de deuxième ligne, sa tuberculose est qualifiée d’ultrarésistante aux médicaments. C’est la troisième couche de résistance, celle où même les médicaments de deuxième ligne — ces médicaments de rechange qui ne sont pas particulièrement efficaces et dont le taux de réussite pour le traitement des patients n’est que de 50 % à l’échelle mondiale — ne font plus effet. Les patients qui sont dans cette situation se font donner une pléthore d’antibiotiques susceptibles de donner des résultats, ce qui signifie que l’on pourra peut-être prolonger leur vie de trois à cinq ans. À l’échelle de la planète, environ 30 % des patients arriveront à se remettre d’une tuberculose ultrarésistante, ce qui signifie que 70 % en mourront. Ce sont les trois profils.
Maintenant, quelle est la prévalence de ces différents profils? À l’échelle mondiale, environ 9 % des patients ont une tuberculose multirésistante. Comme je l’ai dit, le nombre de morts est d’environ 240 000, mais des 10 millions de personnes qui sont infectées chaque année, le nombre de nouveaux patients est d’environ 600 000. C’est environ 6 %. Au sein de ce groupe, environ 30 000 personnes seront atteintes d’une tuberculose ultrarésistante, la pire forme qui soit. Ces patients sont les plus infectieux et ils le resteront parce que nous n’avons aucune façon de les traiter.
Au Canada, les cas de tuberculose ultrarésistante sont extrêmement rares. Je crois qu’il n’y en a eu qu’un ou deux dans les cinq ou six dernières années. La tuberculose multirésistante est un peu plus fréquente. On dénombre une poignée de cas chaque année. Toutefois, compte tenu de la complexité des traitements, il est extrêmement difficile de composer avec cela. Comme vous l’avez dit, une collectivité autochtone des Territoires du Nord-Ouest connaît un taux de prévalence de la tuberculose très comparable à ceux constatés dans certaines parties de l’Afrique.
C'est seulement parce que le Canada est un si grand pays et parce que le système de santé y est, dans l’ensemble, si efficace, que le nombre de patients dans les collectivités autochtones n'est pas pris en compte avec tout le sérieux qui s'impose. Les collectivités se trouvent dans une situation assez grave, et votre collègue précédent a mentionné que l'un de ces problèmes était d’essayer de faire un vrai diagnostic de la situation, de diagnostiquer les patients, puis de diagnostiquer leur profil de résistance afin de nous permettre de les traiter comme il faut.
Je crois comprendre qu’il pourrait y avoir un lien entre la tuberculose ultrarésistante aux médicaments et le VIH-sida. Pourquoi la tuberculose ultrarésistante aux médicaments est-elle liée au VIH-sida à certains endroits?
La tuberculose, indépendamment de sa résistance aux médicaments, est liée au VIH parce que le VIH affaiblit le système immunitaire. C’est là un environnement idéal pour la tuberculose. Il s’ensuit qu’un système immunitaire affaibli accroît les risques de tuberculose. À peu près un tiers de la population mondiale est atteinte d’une forme latente de la tuberculose. Un système immunitaire normal vous permet de combattre cette forme latente de la maladie, qui pourrait ne jamais se développer. Mais lorsque vous êtes infecté par le VIH et que votre système immunitaire s’affaiblit, la bactérie se réveille, et vous développez la tuberculose.
Évidemment, si vous souffrez d’une infection tuberculeuse multirésistante ou ultrarésistante, il vous est plus difficile de la combattre. Dans les endroits comme l’Afrique où il y a une très grande quantité de gens vivant avec le VIH qui n’ont pas été décelés — parce qu’ils n’ont pas été diagnostiqués —, l’immunité de ces gens s’affaiblit parce qu’ils ne prennent pas d’antirétroviraux. On constate alors qu’il y a beaucoup plus de patients atteints de la tuberculose. Les soins prodigués pour combattre le VIH et la tuberculose doivent donc être harmonisés très soigneusement.
Quelles mesures conseilleriez-vous que le gouvernement du Canada prenne pour contribuer à lutter efficacement contre la tuberculose, et en particulier ses formes résistantes aux médicaments, tant à l’échelle nationale qu’en tant qu’acteur sur la scène internationale?
Je ne suis pas un expert en matière de lutte contre la tuberculose dans les pays à revenus élevés, loin de là. Toutefois, d’après ce que j’ai lu, il est très clair qu’à l’échelle nationale, un problème d’équité existe dans les collectivités du Nord et qu’il peut être difficile de déceler et de diagnostiquer les personnes qui vivent avec la tuberculose là-bas. J’estime qu’il est largement reconnu qu’un dépistage accru des formes latentes et actives de la tuberculose ainsi que des services de traitement de la maladie sont requis dans ces genres de collectivités éloignées et mal desservies.
Comme l’une de mes collègues l’a mentionné, le Canada a un rôle à jouer à l’échelle mondiale, en tant qu'investisseur dans l’innovation, la recherche et le développement, qui sont nécessaires pour obtenir de nouveaux produits. Nous ne pouvons pas compter sur l’industrie pharmaceutique à cet égard. En général, les gens atteints du VIH sont pauvres. C’est le cas au Canada, ainsi que partout dans le monde. Il faut donc regrouper les investissements à l’échelle mondiale pour éviter de dédoubler les investissements dans de nouveaux médicaments et de nouveaux diagnostics.
Le Canada a joué un rôle important dans le financement et la mise en oeuvre de programmes de lutte contre la tuberculose à l’échelle mondiale, mais il a toujours hésité à investir des sommes importantes dans la recherche et le développement de produits. J’espère pouvoir prier le gouvernement canadien d’envisager d’investir dans ce secteur.
Je souhaite simplement clarifier vos propos. Selon vous, quel pourcentage de personnes atteintes de la tuberculose sont porteuses du...?
Quel pourcentage de personnes...? Vous avez dit qu’un certain pourcentage de gens étaient atteints de la tuberculose.
On croit qu’un tiers de la population mondiale a une infection tuberculeuse latente. Ce pourcentage est évidemment considérablement plus faible dans les pays à revenus élevés, parce que si la tuberculose a été contrôlée dans un pays comme le Canada, de nombreuses générations ont maintenant grandi sans être exposées à la tuberculose. La probabilité qu’elles aient une infection tuberculeuse latente est beaucoup plus faible, mais, dans des régions comme l’Afrique ou l’Asie, au moins un tiers de la population risque de développer la tuberculose parce que les gens ont déjà une infection tuberculeuse latente.
Merci, monsieur le président.
Je suis maintenant cette étude depuis un certain nombre de semaines, et je dois dire que nous avons appris beaucoup de choses au sujet des antimicrobiens. J’ai appris que la résistance aux antimicrobiens existe depuis aussi longtemps que les antimicrobiens eux-mêmes ou, du moins, depuis aussi longtemps que nous connaissons leur existence. Nous parlons ici de décennies. Toutes sortes d’organisations mènent des recherches et éduquent la population. Je suppose que je m'efforce en ce moment de découvrir le rôle que nous jouons à cet égard. En tant que membres d’un comité du Parlement du Canada, nous ferons des recommandations au Parlement qui, nous l’espérons, orienteront les politiques de santé qui seront élaborées ultérieurement.
Quel est le meilleur rôle pour nous? Monsieur Wright, quelle est la première chose que vous aimeriez que nous recommandions en matière de politiques?
Je pense que le cadre de lutte contre la résistance aux antimicrobiens adopté par Santé Canada est une feuille de route exceptionnelle en vue de régler ce problème. Toutefois, les mesures à prendre doivent dépasser la publication d’un brillant document sur un site Web. En fait, ce document doit être accompagné de plans d’action et, en particulier, des ressources nécessaires pour réunir les travaux réalisés par les enquêteurs de tous les secteurs qui travaillent dans ce domaine. Cela comprend également le secteur privé naissant qui tente de mettre au point, par exemple, des médicaments, des technologies et des diagnostics nouveaux pour contribuer à la lutte contre ce problème.
L’un des domaines dans lesquels le Canada n’a pas très bien réussi comparativement à d’autres pays, c’est celui de l’aide apportée en particulier aux petits pays afin qu’ils puissent traverser la vallée de la mort. La vallée de la mort, c’est la réponse à la question suivante : « Que faut-il faire une fois qu’on a découvert quelque chose, et comment peut-on en fait mettre au point cette chose? ». La mise au point de médicaments est un processus très long et incroyablement difficile et coûteux à gérer.
D’autres pays ont élaboré… comme je l’ai indiqué auparavant, l’Initiative Médicaments innovants en Europe et le programme CARB-X aux États-Unis. Ces initiatives en particulier attaquent ce problème de front parce que, dans le passé, nous obtenions les médicaments auprès de l’industrie pharmaceutique. Toutefois, cette dernière ne nous rendra plus ce service. À moins qu’elle puisse trouver un moyen de réaliser autant de profits en commercialisant un antibiotique qu’en commercialisant un nouveau médicament contre l’hypertension artérielle, nous ne la verrons pas investir des sommes considérables dans cette entreprise. Nous devons contribuer à développer un écosystème qui facilitera la mise au point de médicaments.
Je pense que le cadre est un document exceptionnel qui nous aidera à accomplir cela, mais nous avons besoin d’innovations dans tous les secteurs, c’est-à-dire dans les domaines de l’intendance, de la surveillance et de la découverte.
En vous entendant, cela m’a rappelé que nous faisons cela pour la tuberculose. Nous faisons cela depuis 15 ans. Ce que vous pourriez faire, entre autres choses, c’est de vous assurer que le Parlement est conscient des longues périodes de temps qui sont requises pour mettre au point ces médicaments et ces nouveaux diagnostics. En raison de la façon dont la mise au point pharmaceutique fonctionne, ces processus peuvent exiger de 10 à 15 années. C’est le cas pour les entreprises pharmaceutiques, et c’est ce que nous avons vécu en tant qu’organisation sans but lucratif mettant au point des produits dans le cadre d’un partenariat. Je crois qu’il importe de ne pas s’étonner de la durée de ces processus et de planifier essentiellement en fonction des investissements qui devront être effectués pendant ces périodes afin de s’attaquer à cet enjeu.
Diriez-vous que la prolongation des droits de propriété intellectuelle sur les antibiotiques, en particulier, contribuerait à résoudre ce problème?
Voilà une discussion intéressante. Ma collègue des États-Unis abordera probablement cette question. Le problème associé à la prolongation des droits de propriété intellectuelle, c’est que vous serez forcés de verser beaucoup plus d’argent lorsque cet antibiotique sera couvert par votre système de soins de santé canadien. Cette mesure inciterait bien sûr les entreprises pharmaceutiques à s’intéresser davantage à ce marché. En même temps, si vous ne vous reposez pas sur un système de soins de santé privé, je ne suis pas certain que des analyses ont été effectuées afin de déterminer si, à long terme, vous obtiendriez un bon rendement en retour de votre investissement.
Je pense qu’il faut plutôt envisager d’offrir des bourses et des subventions pour aider à financer la recherche et d’exiger en retour une bonne intendance et des prix plus bas pour les produits finaux que les contribuables paieront de leur poche.
Merci.
Docteur Evans, vous avez mentionné qu’un investissement de 0,2 billion de dollars à l’échelle mondiale pourrait nous permettre de réaliser des bénéfices d’une valeur nette actualisée de 10 billions de dollars. Comment pourrions-nous réunir une telle somme? Quel genre d’organisation assumerait cette responsabilité? Comment cette organisation serait-elle gérée et surveillée?
Il s’agit là d’une évaluation générale des investissements qui sont considérés comme une bonne optimisation des ressources en vue d’enrayer ou de régler le problème de la résistance aux antimicrobiens. Vous devez replacer cette somme dans son contexte. Premièrement, les dépenses en santé totalisent de huit à neuf billions de dollars par année à l’échelle mondiale. Cette étude couvre une période qui s’étend jusqu’en 2050. Si vous examinez le montant total dépensé en santé seulement pendant cette période, vous constaterez qu’il s’agit d’une somme extrêmement élevée. Cet investissement représente une fraction du coût total des soins de santé.
L’ensemble des interventions qui font l’objet d’investissements sont liées à des aspects particuliers du secteur des soins de santé, comme une bonne surveillance, un approvisionnement plus judicieux en médicaments de bonne qualité, la formation de cliniciens dans l’application de bonnes pratiques de prescription, et d’autres mesures de ce genre. En ce qui concerne l’ensemble des interventions qui ont été estimées, elles sont prises en charge à divers degrés par la plupart des systèmes de soins de santé. Le problème, c’est qu’elles ne sont pas universellement prises en charge à grande échelle. Par conséquent, la couverture est très inégale. Il se peut que le système de soins de santé de l’Université McMaster possède un centre d’excellence à Hamilton, en Ontario, qui prend toutes les mesures requises, alors que vous pourriez découvrir qu’à Stoney Creek ou Burlington, ces mesures ne sont pas prises d’une façon conforme ou uniforme.
Y a-t-il une organisation internationale qui serait peut-être bien placée pour coordonner un tel effort?
Je pense qu’il y en a plusieurs. J’estime que la résolution visant à améliorer les mesures prises pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens, qui a été adoptée par les Nations unies en septembre 2016, est un excellent point de départ. La résolution permet de regrouper les efforts de l’Organisation mondiale de la santé, ce qui est très important, mais aussi ceux de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et ceux d’un organisme appelé l’OIE, qui s’occupe de problèmes de santé animale. Je crois qu’il y a un ensemble d’institutions qui recommandent de bons plans visant à entreprendre des démarches sur une plus grande échelle afin de s’attaquer au problème.
À mon avis, le fait est que ces mesures représentent une excellente optimisation des ressources. En tant que députés, qu’est-ce qui constitue pour vous une bonne optimisation de l’aide au développement? Je pense qu’il serait bon que vous posiez la question suivante : « Dans quelle mesure l’aide canadienne au développement sert-elle à enrayer le problème de la résistance aux antimicrobiens? ».
Je pose cette question en partie parce qu’il y a 120 diasporas au Canada et, comme nous l’avons constaté dans d’autres parties du monde, les gens et les membres de leur famille vont et viennent. La résistance aux antimicrobiens est un problème mondial, et les frontières canadiennes ne sont nullement imperméables aux microbes transportés par voie aérienne.
Je crois que vous devriez examiner la façon dont le budget d’aide au développement est utilisé, en reconnaissant que certains de ces investissements représentent d’infimes pourcentages des dépenses qui devraient être engagées pour s'attaquer au problème comme s’il devait être réglé uniquement au Canada.
Nous allons maintenant passer à notre série d’interventions de cinq minutes, en commençant par M. Van Kesteren.
Merci. Cela ne pose pas de problème.
Je ne m’attendais pas à être le prochain intervenant sur la liste, mais je suis prêt.
Je vous remercie tous de votre participation. J’ai écouté vos témoignages avec intérêt.
Monsieur Wright, vous avez mentionné la « vallée de la mort ». Bien entendu, vous faisiez allusion au financement providentiel. Pour ceux d’entre vous qui se demandaient ce dont il parlait, il s’agit de la période où vous vous trouvez lorsque vous mettez au point des médicaments et que plus personne ne vous finance. Dans le passé, nous appelions ceux qui finançaient ces gens des membres de la famille, des amis ou des fous. Je ne sais pas si vous étiez au courant de cela.
C’est le dilemme auquel fait face l’industrie des médicaments. Bien entendu, les grandes entreprises pharmaceutiques sont celles qui produisent nos médicaments. Les fabricants de médicaments génériques sont ensuite en mesure — dès l’expiration du brevet — de copier en somme ces médicaments. Ils peuvent les décomposer.
Nous ne cessons de parler de l’urgence de mettre au point de nouveaux médicaments, mais, dans quelle mesure, est-ce vraiment un problème auquel nous faisons face en ce moment? Le marché pour ces médicaments n’est simplement pas assez important pour que les grandes sociétés pharmaceutiques les produisent. Certains de ces médicaments coûteraient des milliards de dollars. Si nous souhaitons distribuer ces médicaments rapidement, les entreprises pharmaceutiques ne réaliseront pas de bénéfices.
Je pense que cela s’est produit en Afrique relativement à la lutte contre le sida. De vraies pressions ont été exercées pour obtenir les médicaments nécessaires pour éliminer la situation en Afrique. Bon nombre des grandes sociétés pharmaceutiques ont fait marche arrière en déclarant : « Écoutez, nous n’allons certainement pas mettre au point ces médicaments, s’ils ne nous permettent pas de toucher des revenus adéquats ». À combien s’élèvent ces revenus adéquats?
Je tiens à vous interroger, monsieur Brock, parce que je crois que vous avez mentionné ou, du moins, quelqu’un dans la vidéo a mentionné que notre nation devait intervenir. En dépit de sa petite taille, le Canada est relativement prospère. Il fait partie des pays du G7, mais il n’est pas l'égal des États-Unis d’Amérique, ni même de la Chine ou d’autres pays qui produisent ces médicaments.
Vous pourriez peut-être formuler des observations à ce sujet. Dites-nous ce que font aussi d’autres pays.
Monsieur, êtes-vous originaire des Pays-Bas?
Votre nom semble indiquer la même origine.
Inversement, parmi les grands pays qui investissent dans la recherche sur la tuberculose et les médicaments antituberculeux, il y a le Royaume-Uni, qui s'est notamment donné une règle intéressante, l'obligeant à consacrer 3 % du budget général de développement à l'innovation et à la R-D. Tous les programmes, que ce soit en santé, en agriculture ou dans un domaine semblable y affectent 3 % de leur budget total de développement. En chiffres, vu les montants que même un petit pays comme le Canada consacre à la coopération en matière de développement, ce serait un financement notable.
D'autres pays s'y sont résolument engagés à la suite du Royaume-Uni: l'Irlande, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Australie et les États-Unis. Nous comptons beaucoup sur les fondations, particulièrement la fondation Gates, un acteur vraiment de premier plan dans ce domaine.
La tuberculose présente une période cruciale, une vallée de la mort, qui commence littéralement dès la détermination de pistes de recherche et qui se rend jusqu'aux patients. Bonne nouvelle! Nous y sommes habitués. Nous avons démontré qu'un partenariat public-privé, suffisamment appuyé par l'État et bénéficiant de l'initiative du secteur privé permet de créer une nouvelle chaîne de valeurs favorable à l'innovation que, traditionnellement, nous comptions exclusivement obtenir des sociétés pharmaceutiques.
Ça ne donne pas assez d'arguments pour plaider en faveur ou contre l'exclusion du secteur pharmaceutique. Il s'agit plutôt de savoir nous organiser à l'échelle planétaire, renforcer le milieu universitaire — comme par le genre d'innovations dont on a parlé pour McMaster — grâce aux connaissances pharmaceutiques d'un organisme à but lucratif ou pas, aux biotechnologies et à des PME, puis de recruter des donateurs comme Affaires mondiales Canada.
Comme je l'ai dit, l'OCDE a estimé les besoins en argent contre une maladie comme la tuberculose à 500 millions de dollars par année pour créer quatre nouveaux antibiotiques. Dans le contexte du G20, c'est 25 millions de dollars par année. C'est franchement peu, même pour un petit pays, à investir dans l'innovation et la recherche sur la résistance aux antimicrobiens, mais cela pourrait déjà produire de grands effets.
Merci.
Nous savons qu'une grande partie de l'infection est transmise sexuellement, mais qu'en est-il de la consommation de la chair d'animaux qui permet aussi la transmission? Nous en avons aussi longuement parlé. Qu'en est-il aussi, par exemple, du manque d'eau propre? Quel serait le pourcentage? De quels endroits plutôt la plus grande partie de l'infection provient-elle? Des salles d'opération? Ou de la façon dont nous traitons nos animaux?
Quelqu'un? Monsieur Evans?
C'est une excellente question qui, comme vous le dites, porte sur les principaux facteurs, à l'échelle mondiale, de la résistance aux antimicrobiens. C'est d'abord la méthode de lutte contre la tuberculose dans les pays à faible revenu: en effet, leurs systèmes de santé ne sont pas adaptés à toute la durée de traitement des patients. Ces pays n'ont pas retenu la leçon que nous avons apprise ici, qui est que le malade doit cracher, mais, pour cracher, il doit vendre la ferme. C'est ce qui a conduit, en 1962, à la loi de la Saskatchewan sur le régime d'assurance-maladie, pour éviter cette éventualité.
Le Canada a adopté un régime de paiement par anticipation, tandis que dans tellement d'autres pays, les malades doivent trouver l'argent pour payer, et que cette recherche d'argent, pour s'offrir quatre médicaments antituberculeux pendant six mois, est presque impossible. Mais si le message est que tous les pays doivent adopter un système universel de soins de santé, que préconise l'Organisation mondiale de la Santé, alors, la probabilité de voir les patients se procurer des médicaments pendant une semaine et s'en priver la suivante — le moyen le plus rapide d'accélérer l'acquisition de cette résistance — diminuera.
D'après moi, l'ascendant du Canada est... Tout le monde, à l'échelle du globe, adore le système de soins de santé du Canada. Je suis fier de proclamer que je suis canadien. À l'étranger, on me félicite pour notre excellent système. Mais nous devrions le vanter à l'étranger, auprès des gouvernements, pour qu'ils s'engagent dans les mêmes réformes que les nôtres des années 1960, pour assurer l'accès des citoyens aux soins, parce que la corrélation internationale est très nette. Plus un système favorise l'accès universel, plus le taux de résistance aux antimicrobiens diminue.
L'autre facteur, ensuite, est l'emploi généralisé des antibiotiques comme activateurs de croissance. Nous le constatons non seulement au Canada, mais dans le monde entier, et c'est dangereux, vraiment dangereux, parce que nous avons vu, en Chine, le saut, à l'espèce humaine, de souches résistantes à des antibiotiques très importants comme la colistine, officiellement en 2011.
Si on ne perçoit pas la nécessité de passer à des méthodes d'élevage et d'aquaculture sans antibiotique, c'est qu'on est aveugle à un autre facteur très important.
L'occasion qui se présente est extraordinaire. Le programme qui se dessine ici pour l'acquisition de connaissances — et Gerard le représente le mieux dans notre groupe — est peut-être la frontière scientifique la plus stimulante qui existe, mais elle ne se limite pas géographiquement à McMaster. Le défi est lancé au monde entier. Si, comme vous dites, nous devons résoudre ce problème collectivement, il faut mobiliser les Instituts de recherche en santé du Canada, l'Institut canadien de recherches avancées et d'autres organismes pour qu'ils s'unissent à l'alliance pour la découverte de médicaments antituberculeux et à d'autres efforts et employer les ressources du Canada non seulement à l'avantage des Canadiens, mais aussi à celui de l'ensemble du genre humain.
Je pense qu'il se présente une occasion extraordinaire de diriger l'effort scientifique sur ce front, ce qui serait un troisième effort visant à résoudre ce problème.
Merci, monsieur le président. Merci pour cette séance très instructive.
Je pose ma question au Dr Evans.
Docteur Evans, d'après vous, que connaît le public de la résistance aux antimicrobiens? Faut-il y sensibiliser davantage le secteur agricole? Quelles mesures faut-il alors prendre?
Excellente question! C'est notamment ce que nous constatons, et je pense que nos premiers témoins en ont parlé, c'est-à-dire un changement dans la demande, qui privilégie désormais les aliments sans antibiotique. Je pense que ça sensibilise davantage la population au fait que les aliments additionnés d'antibiotiques ne sont pas nécessairement une bonne chose. Je pense qu'il est extrêmement important d'y sensibiliser les consommateurs et de les instruire aux risques que présente l'emploi généralisé d'antibiotiques.
Ensuite, il importe beaucoup que les consommateurs comprennent mieux que, parfois, ne pas demander d'antimicrobien à son médecin contre une fièvre est effectivement la meilleure voie à suivre. Le diagnostic d'une fièvre qui ressemble à une infection virale, laquelle tendra à la guérison spontanée, pose un problème très difficile quand le patient réclame à tout prix un antibiotique. La sensibilisation des consommateurs sera particulièrement importante.
Enfin, il faut apprendre au consommateur à se rendre fidèlement au bout du traitement antibiotique qu'il se fait prescrire. Le manque de persévérance est fréquent, et je m'en rends moi-même coupable. Dès qu'on commence à se sentir mieux, on pense pouvoir se passer de ces médicaments, mais nous savons qu'un traitement mal suivi est un autre facteur.
Voilà trois points sur lesquels il serait efficace de sensibiliser les consommateurs et de les amener à exiger des changements.
Monsieur Wright, existe-t-il au Canada des populations particulières ou...?
Quel type de recherche faut-il financer pour combattre la résistance aux antimicrobiens au Canada et sur le reste de la planète?
Quel type de recherche? Je pense que nous avons déjà entendu une grande partie de la réponse, et c'est vraiment sur le plan du diagnostic. Le Dr Evans vient tout juste de mentionner qu'il faut commencer par se demander si on souffre d'une infection virale ou bactérienne. A-t-on vraiment besoin de tel antibiotique? En réalité, il arrive souvent aux médecins de famille, qui se trouvent en première ligne et qui voient 30 patients par jour, de ne pas vraiment le savoir. Nous avons besoin d'innovation dans ce domaine.
Quel genre de lacune existe-t-il dans la surveillance de la résistance aux antimicrobiens et dans celle de l'utilisation des antimicrobiens au Canada? Pouvez-vous décrire les données supplémentaires qu'il faut rassembler à l'échelle nationale?
Actuellement, on collecte dans tout le pays une mosaïque de données de surveillance, et, vous le savez, j'en suis sûr, à cause du partage des compétences propre à notre pays. Grâce à des initiatives volontaires, des provinces et des hôpitaux communiquent à l'administration fédérale des renseignements sur beaucoup de manifestations de la résistance aux antimicrobiens. Mais elles ont vraiment besoin de plus de rigueur. Nous devons connaître la nature des microbes qui circulent. C'est essentiel. C'est indispensable à notre santé et, souvent, nous négligeons tout simplement de le faire.
Docteur Evans, nous avons un cadre pancanadien. Vous avez parlé de financer le système de santé. La surveillance de la résistance aux antimicrobiens se sert d'un échantillon de crachat en Ouganda. Quel genre de test diagnostique devrait constituer la première étape au Canada, si nous devions en appliquer un?
Je ne crois pas pouvoir donner de conseils sur l'éventuel système de surveillance. Je crois qu'un tel système profite, comme je l'ai dit, des efficacités d'échelle. Plutôt que de doter chaque province de laboratoires particuliers de surveillance de la résistance aux antimicrobiens, la division du travail et des laboratoires de référence seraient peut-être un moyen beaucoup plus économique de faire des diagnostics chers, pour vérifier la sensibilité d'un médicament à la résistance aux antimicrobiens.
L'important dans la conception des réseaux de laboratoires est de réfléchir à la façon de profiter d'efficacités d'échelle et des technologies modernes, qui sont instantanées dans l'ère numérique actuelle, et d'éviter de créer des infrastructures coûteuses, difficiles à maintenir à long terme et qui n'utiliseront pas nécessairement de la façon la plus judicieuse les ressources publiques.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tous nos invités d'être ici.
Madame Kramer, vous avez dit que vous aviez l'impression que le Canada, particulièrement, était bien placé pour réagir contre la résistance aux antimicrobiens. Je tiens à en savoir un peu plus. Pourquoi le croyez-vous si bien positionné?
Parce que, au risque de vous flatter bassement, le Canada possède, culturellement, une qualité particulière. Comme je l'ai dit, vous êtes un chef de file de la responsabilité sociale, vous possédez des qualités intellectuelles et scientifiques. Vous êtes manifestement déterminés à vous attaquer au problème. Vous y consacrez beaucoup de temps. Vous faites maintenant appel à différentes ressources.
Ce qu'il faut, c'est un partenariat public-privé entre le milieu universitaire, le milieu scientifique, les entreprises commerciales du secteur, les producteurs d'aliments, les agriculteurs, parce que c'est vraiment... C'est un problème très complexe. Notre fondateur, Stuart Levy, je suis convaincue que M. Wright le sait, a écrit Le paradoxe des antibiotiques : Comment le miracle tue le miracle. Ce problème est un paradoxe. Les antibiotiques sont un miracle, mais ils ont provoqué une crise. C'est d'elle dont nous parlons et, si nous ne faisons rien, elle finira par nous tuer. Nous entrerons dans une ère postantibiotique.
L'un des problèmes que vous avez tous saisis, j'en suis sûre, est que, si nous résolvons le problème en Amérique du Nord, il restera quand même le reste du monde. J'ai parlé de l'initiative mondiale CARB-X, qui n'est pas centrée sur les États-Unis. Elle est d'envergure planétaire. Des organisations et des entreprises de partout dans le monde peuvent y participer s'ils ont les bonnes inventions.
Pour répondre à votre question, je pense que le Canada est à la fois assez petit et assez grand pour corriger le problème. J'ai fait allusion au Portugal, pays minuscule, mais qui possède l'équivalent de Santé Canada. Son petit système national de santé lui permet d'identifier chaque patient sur son territoire, où il peut combattre le virus de l'hépatite C et l'éliminer.
Vous savez qu'il a réussi à décriminaliser les toxicomanies, ce qui explique que, essentiellement, on n'y compte plus de toxicomanes. Il peut s'attaquer à certains problèmes de santé grâce à ses registres, ce que d'autres pays n'ont pas. Le Canada est beaucoup plus étendu que le Portugal, mais il peut s'attaquer à des problèmes quelque peu plus graves et offrir un modèle qui lui est propre parce que, en vérité, il est plus évolué que d'autres pays. De plus, je pense que sa conscience est plus développée que celle d'autres pays et, comme je l'ai dit, il abrite une diversité inconnue dans beaucoup de pays. Elle est une bénédiction merveilleuse et magnifique.
J'ai cherché le mot qui désignerait les non-Canadiens qui aiment le Canada. Je ne l'ai pas trouvé, mais c'est moi. C'est ainsi que je me sens à l'égard du Canada.
Merci beaucoup.
Je suis désolé, mais votre temps est écoulé. Je vous félicite pour votre contribution.
Monsieur Ayoub.
[Français]
Je vous remercie, monsieur le président.
C'est moi qui suis honoré d'entendre vos témoignages. Vous êtes des spécialistes, des sommités en la matière, et vous avez travaillé à ces questions pendant de nombreuses années. Cela dit, j'ai l'impression qu'il s'agit de travaux en cours dont on ne verra jamais la fin. Il faut apprendre à apprivoiser ce phénomène et à établir un plan d'attaque. C'est ce que nous tentons de faire ensemble. Les témoignages que nous avons entendus jusqu'à maintenant m'ont tous donné l'impression que le travail se faisait beaucoup en vase clos. C'est très difficile sur le plan des communications et des interrelations, que ce soit ici, au pays, ou ailleurs. En effet, j'ai l'impression qu'il s'agit d'un fléau mondial.
Quelles sont les conséquences, à l'échelle mondiale, du fait de ne pas traiter ou de traiter de façon inadéquate la résistance aux antibiotiques?
Je dirais, dans mes propres termes, qu'il y a à l'échelle mondiale des foyers, possiblement dans le tiers monde, où l'on déclenche la résistance aux antibiotiques.
Le Canada est l'un des pays développés qui ont des stratégies à cet égard. Or j'aimerais savoir ce qu'il nous en coûte de ne pas aider les pays en développement qui ont des stratégies déficientes et des plans d'action qu'ils n'arrivent pas à mettre en vigueur de façon efficace. Comme vous nous le disiez plus tôt, les gens ne prennent pas au complet les médicaments qui leur ont été prescrits, ou alors ils en prennent trop parce qu'ils veulent trouver une solution rapide à leurs problèmes, qui pourraient être résolus autrement.
Ma question est assez large, mais j'aimerais bien que MM. Wright et Evans, en particulier, y répondent. Si les autres témoins veulent ajouter quelque chose, j'aimerais qu'ils se sentent bien à l'aise de le faire.
[Traduction]
Votre question est intéressante. Vous avez absolument raison. Nous le savons parfaitement bien. Nous avons affronté le SRAS. Nous avons très bien vu ce qui est arrivé. Un seul vol commercial nous sépare de ces problèmes, et notre laboratoire et notre groupe se trouvent dans le sud de l'Ontario. Nous sommes à 40 minutes de l'aéroport Pearson, l'une des plus grandes plaques tournantes du Canada, qui accueille de très nombreux visiteurs de partout, des vecteurs de leurs microbes au Canada.
Le Dr Evans l'a dit, les pratiques d'autres pays posent de grands problèmes. La colistine, par exemple, est un antibiotique découvert dans les années 1950. C'est un médicament épouvantable, mais nous avons épuisé tous les autres. C'est notre dernière cartouche. La production porcine chinoise s'en sert en quantités phénoménales. Comme je l'ai dit, les microbes développent des résistances.
Je pense que nous avons déjà entendu beaucoup de solutions possibles. La position du Canada est exceptionnelle. Il fait partie du G7 et du G20. Il peut contribuer à l'élaboration de politiques. Ici, nous pouvons élaborer des contre-mesures, les exporter dans ces pays, faire circuler cette information. Rien ne s'oppose à ce que nous fassions du travail vraiment fécond, puis à le faire connaître directement au moyen de ces entreprises ou collaborer avec elles et orienter les organismes à qui nous sommes déjà liés.
[Français]
C'est une très bonne question. Je vais, moi aussi, éviter de faire souffrir les membres du Comité. En effet, mon accent laisse un peu à désirer.
[Traduction]
C'est une excellente question. Je pense que c'est un peu ce qu'on a tenté de faire dans ce rapport. Le coût de l'inaction est énorme. Au bout du compte, le coût des mesures à prendre n'est pas si élevé, surtout lorsqu'on examine le rendement des investissements.
Premièrement, quel que soit le point de vue économique... vous présentez un plan d'action à votre ministre des Finances, et vous constatez qu'il fait concurrence à d'autres mesures dont le taux de rendement sur l'investissement est élevé et, par conséquent, à d'autres priorités budgétaires.
Deuxièmement, je pense qu'il est important de défendre nos intérêts politiques. Mme Kramer a fait valoir que le Canada était très bien perçu partout dans le monde. En tant qu'expatrié canadien, je peux vous dire que le Canada jouit d'une excellente réputation, et particulièrement en ce moment, où les dirigeants se font entendre. Par conséquent, il faut travailler avec les hauts dirigeants canadiens pour défendre cette idée, en préconisant, dans tous les pays, un système universel qui permet aux gens d'avoir accès à des soins sans devoir les payer au point de service. C'est une excellente cause politique. Je considère que cela fait partie de notre fier patrimoine canadien, et je crois que c'est un message absolument fondamental du point de vue de l'optimisation des ressources.
Tout d'abord, il est plus efficace et équitable de payer par anticipation que de payer lorsqu'on est malade. C'est un message simple, et les gouvernements doivent reconnaître cette responsabilité partout dans le monde. Aucun pays n'est trop pauvre pour ne pas adopter un tel régime universel de paiement par anticipation. C'est une cause politique simple, et je pense que le Canada est l'un des pays les mieux placés dans le monde pour faire valoir cette cause.
Ensuite, il faut miser sur le multilatéralisme intelligent, en reconnaissant qu'ensemble, nous pouvons réaliser des choses au chapitre de la sécurité sanitaire mondiale. C'est peine perdue que d'essayer de faire cavalier seul. Il faut examiner la façon dont non seulement le plan d'action canadien sur la résistance aux antimicrobiens, mais aussi le plan d'action de l'OMS peuvent attirer l'attention de l'ONU en 2018 et se concrétiser. Il y a beaucoup de gens qui peuvent intervenir et faire avancer ce dossier. Cela exige un engagement et des ressources substantielles, sans que ce soit nécessairement trop coûteux, pour alimenter ces projets qui sont prêts à être mis en branle.
Selon Willo Brock, de TB Alliance, on a ici l'occasion de faire des investissements très rentables. Cinq ou dix millions de dollars de la part du Canada, dans le cadre d'un consortium des pays du G20 et d'autres pays — l'OCDE —, je crois que c'est un très bon investissement qui va permettre de faire progresser le dossier sans que les donateurs se sentent trop sollicités.
Je pense que c'est une situation gagnante.
[Français]
fléaux. Ceux-ci ne disparaîtront pas.
[Traduction]
Merci.
Madame Kramer, j'ai l'impression, à certains égards, que je ne suis pas plus avancé que je ne l'étais au début de cette étude. Je ne suis pas encore certain de l'étendue du problème de la résistance aux antimicrobiens et de ses véritables causes.
Pourriez-vous quantifier le problème et aussi cerner les principales causes de la résistance aux antimicrobiens ainsi qu'aux antibactériens?
À ce stade-ci, nous considérons qu'on a clairement abusé des antimicrobiens pour stimuler la croissance des animaux d’élevage. C'est ce qui a entraîné une augmentation de la résistance aux antimicrobiens. Les bactéries résistantes sont ensuite transmises à l'humain par la consommation d'aliments. Pendant longtemps, il y a eu une prescription excessive d'antimicrobiens. Les médecins y sont donc pour quelque chose, mais ils sont désormais plus prudents relativement à leur utilisation.
Cependant, cela se retrouve assurément dans nos aliments.
À quel point ce problème est-il sérieux? Devrions-nous être en état de panique? Est-il urgent d'agir et de s'attaquer à ce problème? Il y a des gens qui s'inquiètent du fait qu'ils pourraient contracter une infection pour laquelle il n'y a pas d'antibiotique efficace. Cela dit, nous pourrions nous retrouver avec un problème de santé extrêmement grave et généralisé. Est-ce une crainte raisonnable?
Tout à fait. Il faut garder à l'esprit que l'ONU a tenu une réunion à ce sujet, il y a environ un an et demi, et ce n'était que la quatrième fois dans l'histoire de l'ONU qu'elle avait une réunion concernant un problème de santé. La fois précédente, c'était au sujet de l'Ebola. L'ONU n'examinerait pas un problème de santé s'il n'avait pas de graves conséquences. Le VIH était l'un de ces problèmes. Donc oui, je crois que c'est la raison pour laquelle vous êtes saisis de ce dossier.
Willo, je vais vous adresser ma dernière question. Je vais tout d'abord soulever un point négatif. M. Stephen Lewis, l'ancien délégué spécial des Nations unies pour le VIH-SIDA, a ouvertement critiqué les efforts de lutte contre l'épidémie résurgente de tuberculose dans le monde. Il a particulièrement critiqué les pays développés d'avoir fait des promesses qu'ils n'ont pas tenues en ce qui concerne l'aide internationale et la santé publique mondiale.
Sur une note plus positive, à l'échelle mondiale, on semble vouloir lutter contre la tuberculose et la résistance aux antimicrobiens, si je songe notamment à la déclaration du G20 en juillet dernier et à la récente déclaration ministérielle sur la tuberculose à Moscou, où on a pris l'engagement de s'attaquer à la tuberculose et à la RAM. Comment le Canada peut-il poursuivre sur cette lancée, à l'approche du sommet du G7 et de la réunion de haut niveau de l'ONU sur la tuberculose qui se tiendront l'an prochain?
J'aimerais faire quelques remarques.
Premièrement, le Canada a toujours beaucoup accompli sur la scène mondiale. Je pense que son niveau actuel de financement pour le développement mondial n'a jamais été aussi bas. Il serait important, selon moi, d'accroître la solidarité dans le monde, tout en investissant dans ce domaine. Tout d'abord, j'estime que le Canada a la possibilité d'intervenir. Je sais qu'il y a eu une manifestation d'amour envers le Canada, mais permettez-moi de formuler quelques critiques. Je considère qu'il y a encore du travail à faire dans certains domaines.
Le Canada, l'an prochain, accueillera le sommet du G7. Cette année, le G7 et le G20 se sont engagés, y compris le Canada, à intensifier leurs efforts, à établir une coordination mondiale et à accroître leurs investissements dans la lutte contre la RAM et la tuberculose. Le Canada jouera ce rôle de leadership et sera celui qui ira de l'avant. Si nous mettons de côté ces déclarations...
Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration, en 1993, l'OMS a déclaré que la tuberculose était une urgence sanitaire mondiale, semblable à la crise provoquée par le virus Ebola il y a quelques années. Nous avons perdu 50 millions de personnes à cause de l'inaction, parce que tout le monde a présenté de nobles déclarations politiques sans aucun plan d'action ni aucun suivi. Personne n'a assumé ses responsabilités. Je pense que le Canada peut créer cet environnement de responsabilisation. Il doit jouer un rôle de premier plan et donner l'exemple dans ce domaine en joignant le geste à la parole.
Comme vous l'avez mentionné, nous avons de nouveaux médicaments contre la tuberculose. Nous avons un nouveau traitement. Nous pouvons maintenant traiter les patients atteints de tuberculose ultrarésistante, sur une période de six mois et avec un taux de réussite de 90 %, comme nous l'avons fait pour les traitements de première ligne actuels. Les solutions sont là. Nous devons simplement agir.
Je suis désolé, monsieur le président, mais je ne crois pas que le rapport de 2017 du Groupe de la Banque mondiale ait été présenté et fasse partie de la documentation pour cette séance. Pourrions-nous en recevoir une copie afin que nous puissions en tenir compte dans notre rapport?
Merci beaucoup.
Je tiens à féliciter les membres du Comité. Vous avez proposé d'entreprendre cette étude. Au départ, je dois admettre que je ne savais même pas de quoi il s'agissait. Vous avez soulevé un enjeu très important. Tout à l'heure, Mme Kramer a parlé de crise, mais cette crise n'est pas sur les radars. Le défi du Comité est donc de rédiger un rapport qui va sensibiliser la population et la mettre au diapason de nos témoins dans ce dossier.
La rédaction de ce rapport est prévue pour jeudi prochain, alors tout le monde devra présenter ses idées. Je souhaite que notre rapport reflète la gravité de la situation.
Je tiens à remercier nos témoins. Votre contribution est tellement importante. Notre comité est celui qui reçoit toujours les meilleurs témoins, et nous en avons encore eu la preuve aujourd'hui.
En terminant, je rappelle aux membres du Comité que demain est la dernière journée pour proposer des témoins pour l'examen du Guide alimentaire. Si vous souhaitez entendre des témoins en particulier, vous devez soumettre leurs noms au plus tard demain.
Encore une fois, je remercie nos témoins. Vous nous avez fourni beaucoup de renseignements clairs et utiles, et nous vous en sommes reconnaissants.
La séance est levée.
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