Passer au contenu
Début du contenu

JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 104 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 17 septembre 2018

[Énregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

    Bonjour tout le monde et bienvenue à la première réunion de la nouvelle session parlementaire du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, tandis que nous poursuivons notre étude du projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d'autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois.

[Français]

    C'est un grand plaisir d'accueillir notre nouveau greffier, M. Marc-Olivier Girard.
    Monsieur le greffier, c'est un plaisir de vous avoir parmi nous.
    Je veux aussi profiter de l'occasion pour remercier Mme Julie Geoffrion, notre ancienne greffière, qui a fait un travail extraordinaire lorsqu'elle a été des nôtres.
    C'est également un grand plaisir de recevoir M. Deltell comme invité à notre comité aujourd'hui.
    Bienvenue.

[Traduction]

    Le Tony Clement du jour...
    Mais vous êtes bien plus beau, vous avez de plus beaux cheveux.

[Français]

    Enfin, c'est aussi un grand plaisir de recevoir des témoins du ministère de la Justice.

[Traduction]

    Aujourd'hui, nous recevons Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques du ministère de la Justice. Bienvenue.
    Nous accueillons Matthew Taylor, qui est avocat-conseil principal par intérim, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques. Bienvenue.
    Shannon Davis-Ermuth, conseillère juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques, est avec nous. Bienvenue.

[Français]

    Nous avons également parmi nous Mme Paulette Corriveau, qui est avocate à la Section de la politique en matière de droit pénal, du Secteur des politiques, à qui je souhaite la bienvenue.

[Traduction]

    Nous souhaitons la bienvenue à Don Beardall, avocat général, Direction des poursuites en matière de drogues, de sécurité nationale et des territoires du Nord, du Bureau du directeur des poursuites pénales.
    Il s'agit du seul groupe de témoins qui ne présentent pas de déclaration préliminaire. Ils sont simplement ici pour entendre nos questions sur le projet de loi.
    Passons à notre tour de table habituel. Nous commencerons par M. Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les représentants d'être ici.
    Une des dispositions du projet de loi C-75 limite les enquêtes préliminaires. La raison invoquée pour limiter les enquêtes préliminaires, c'est le désir de gagner du temps et d'accélérer le processus.
    Je me demande si le ministère de la Justice a fait des calculs sur la réduction du temps des tribunaux que cette disposition particulière du projet de loi devrait permettre d'atteindre. Y a-t-il des statistiques qui appuient cette proposition?
    Selon les statistiques fournies par Statistique Canada, du Centre canadien de la statistique juridique, aucune période n'est allouée pour les procédures s'inscrivant dans le processus de justice pénale. Malheureusement, il n'existe pas de statistiques relativement au temps.
    Nous avons quelques statistiques fondées sur le nombre d'enquêtes préliminaires. Le rapport Juristat de février 2018 fournit ce chiffre, et celui-ci a trait aux accusations plutôt qu'aux affaires. Il y a 34 698 accusations, ce qui représente 3 % des accusations déposées par les tribunaux provinciaux.
    Merci.
    Il n'y a pas de statistiques sur le temps que cela permettra de gagner.
    La ministre a passé beaucoup de temps à dire que le gouvernement a mené de vastes consultations auprès des provinces et d'un certain nombre d'intervenants et d'acteurs du système de justice pénale. Je me demande si on pourrait déposer une liste des organisations et des personnes consultées dans le cadre de la rédaction du projet de loi C-75.
    Lorsque la ministre était ici, en juin, et qu'elle a reçu cette question, elle a fait savoir qu'elle avait largement consulté ses homologues provinciaux et territoriaux. Ils ont tous beaucoup participé à l'échelon ministériel. Des représentants de tout le spectre FPT ont participé.
    Je crois qu'elle a aussi mentionné que, dans le cadre de ses diverses tables rondes sur l'examen du système de justice pénale, elle a dialogué avec de nombreux intervenants, dans l'ensemble, au sujet d'un éventail d'enjeux, dont la façon de réagir aux retards du système de justice pénale.
    Assurément, les résultats de ces consultations issues des tables rondes sur l'examen du système de justice pénale ont été affichés sur le site Web du ministère de la Justice.
    Je peux fournir au greffier du Comité le résumé de ce que nous avons entendu, si cela peut aider.
    Ce serait un bon début.
    Maître Morency, j'aimerais donner suite à une question que j'avais posée dans une réunion précédente afin de mieux comprendre la reclassification de certaines infractions qui, d'infractions punissables par mise en accusation, deviennent des infractions mixtes. J'avais posé la question, mais je ne suis toujours pas sûr de la réponse. Peut-être pourriez-vous m'aider à clarifier tout cela.
    Par exemple, comment est-on arrivé à faire passer l'infraction de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles d'infraction punissable par mise en accusation à infraction mixte, où la peine maximale serait de 2 ans moins un jour, plutôt que de 10 ans, tandis qu'une infraction comme la conduite dangereuse d'un véhicule à moteur demeurerait une infraction punissable par mise en accusation?
    La question a été posée en juin, et oui, on propose que les deux infractions deviennent mixtes. En fait, toutes les infractions relatives au transport qui ont été examinées dans ce qui était le projet de loi C-46 comprenaient la conduite avec facultés affaiblies... Il y a eu une réforme des infractions. De l'infraction simple, on est passé au prochain niveau d'infractions causant des lésions corporelles jusqu'aux infractions causant la mort. Toutes les infractions qui entraînaient des lésions corporelles sont devenues des infractions mixtes dans le projet de loi C-46, y compris celles que vous avez mentionnées.
    Le projet de loi C-46 a aussi augmenté la peine maximale par mise en accusation pour ces infractions. Elle est passée de 10 ans, soit ce qu'elle était avant le projet de loi C-46, à 14 ans, puis, par déclaration de culpabilité par procédure sommaire, à 2 ans moins un jour.
    Le projet de loi C-75 propose... en gros, la proposition du gouvernement pour transformer les infractions en infractions mixtes contient des dispositions de coordination par rapport aux mêmes dispositions que celles qui figurent dans le projet de loi C-46 — encore une fois, tout dépend du projet de loi qui entrerait en vigueur le premier, mais l'effet est le même. Elles ont déjà été transformées en infractions mixtes par le projet de loi C-46. Toutes les infractions liées au transport qui causent des lésions corporelles ont été transformées en infractions mixtes, y compris le paragraphe 249(3) du Code criminel, que vous avez mentionné en juin, je crois.

  (1540)  

    Merci de ces précisions.
    Combien de temps me reste-t-il?
    Vous avez 20 secondes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup. Nous pouvons revenir plus tard pour de brèves questions.
    Monsieur Fraser, allez-y.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup à tous d'être ici aujourd'hui.
    Maître Morency, j'aimerais poser une question qui a déjà fait l'objet d'une certaine discussion dans le cadre du Comité. Il y a peut-être un résultat imprévu lié au fait de changer les peines maximales pour les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité en les faisant passer de six mois à deux ans, soit que les mandataires — les étudiants en droit et les stagiaires — ne sont plus en mesure de comparaître, parce que la peine maximale va changer.
    Pourriez-vous nous dire si on a réfléchi à cette conséquence imprévue et à la façon de remédier à ce problème?
    Bien sûr. Je peux commencer, puis je demanderai à ma collègue de poursuivre.
    Permettez-moi de vous donner quelques renseignements sur la raison pour laquelle le Code criminel limite actuellement le choix des personnes qui peuvent comparaître comme mandataire dans une instance. Cela découle d'une décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Romanowicz et de préoccupations — de l'appareil judiciaire en particulier, mais aussi du gouvernement de l'Ontario et du Barreau de l'Ontario — par rapport au fait que des mandataires soient en mesure de comparaître pour l'accusé, particulièrement dans des affaires où cela entraîne des conséquences graves, comme ce serait le cas d'un emprisonnement de six mois. En ce moment, il existe déjà dans le Code criminel des infractions sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire qui sont passibles d'un maximum de 12 mois; certaines prévoient 18 mois. Comme je viens de le dire, le projet de loi C-46 augmenterait cette durée pour toutes les infractions liées au transport avec facultés affaiblies à 2 ans moins un jour.
    Donc oui, dans le cadre de notre travail avec nos collègues des provinces et des territoires, nous avons réfléchi aux répercussions éventuelles. Le projet de loi contient aussi une disposition selon laquelle s'il y a une préoccupation par rapport à qui comparaît comme mandataire et à quel titre — et, comme vous l'avez décrit, cela aurait pour effet de les en empêcher — chaque province et territoire peut y réagir immédiatement, si ce n'est déjà fait, au moyen d'un programme approuvé qui permettrait à un mandataire de comparaître.
    Par exemple, en Ontario, le Barreau du Haut-Canada fournira des instructions relatives à la pratique aux stagiaires en droit qui travaillent sous la supervision d'un avocat. Toutefois, ces critères se trouvent toujours dans le Code criminel, à moins qu'une province choisisse d'agir autrement.
    Je ne sais pas si ma collègue aimerait ajouter quelque chose de plus sur les infractions mixtes et les mandataires.
    Sur cette question, une autre chose que le Comité doit garder en tête, monsieur le président, c'est que l'article 802.1 du Code criminel s'applique aux mandataires sans les définir. En ce moment, cela permettrait à quiconque de comparaître au nom d'un accusé; il n'autorise pas précisément les étudiants en droit et les stagiaires en droit. Cela voudrait dire qu'un membre de la famille ou une autre personne pourrait les représenter également. Si le Comité songeait à aborder cette question d'autres façons, en tout respect, monsieur le président, il devrait aussi garder à l'esprit que le terme « mandataire » ne s'applique pas seulement à certains de ces autres professionnels ou à des personnes supervisées par des avocats.
    Juste à titre de suivi, y a-t-il quelque différence que ce soit ou distinction au pays entre un étudiant en droit ou un stagiaire qui comparaît devant les tribunaux et un membre de la famille ou un mandataire ordinaire, pour ainsi dire, ou est-ce la même chose en ce moment?
    En ce moment, la distinction serait que, pour les provinces qui ont des décrets avec des programmes qui autorisent certaines personnes à faire des choses, ces programmes préciseraient de qui il s'agirait, que ce soit un conseiller parajudiciaire aux Autochtones, un étudiant en droit, un stagiaire en droit ou un technicien juridique en Ontario. Cela pourrait différer dans l'ensemble du pays. En ce moment, parce que n'importe qui peut comparaître relativement à des affaires datant de jusqu'à six mois, cela s'appliquerait uniquement aux infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité assorties d'une peine maximale de plus de six mois.
    J'aimerais obtenir quelques explications au sujet des infractions mixtes, de façon générale. Je pense qu'il y a beaucoup de confusion dans certains cercles, et peut-être pour les citoyens qui ne connaissent pas bien la façon dont le système de justice pénale fonctionne au Canada, quant à la différence entre une infraction punissable par mise en accusation et une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Il y a beaucoup de confusion: on dit que les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité sont cette nouvelle chose que le projet de loi instaure. J'espère que vous pouvez expliquer comment fonctionnent les infractions mixtes, qui peut faire un choix et comment cela s'insère en réalité dans le système. Pourriez-vous s'il vous plaît nous expliquer cela?

  (1545)  

    Les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité existent déjà dans le Code. Elles visent généralement des conduites moins graves, comme celles qui causent des perturbations ou l'intrusion de nuit, pour lesquelles la peine maximale actuelle est habituellement une amende de 5 000 $ et un maximum de six mois d'emprisonnement. Toutefois, comme Me Morency l'a mentionné, au fil des ans, on a imposé des peines maximales plus élevées pour ces infractions.
    Les infractions punissables par mise en accusation sont généralement des infractions plus graves. Un exemple serait des voies de fait graves, un vol qualifié ou un meurtre, et les peines maximales varient entre deux ans et l'emprisonnement à vie. Parfois, ces infractions peuvent être combinées dans une infraction hybride. Dans ce cas, la Couronne aurait le choix.
    S'il s'agit d'une infraction mixte, il reviendra à la Couronne de déterminer s'il convient de procéder par procédure sommaire ou par mise en accusation. Lorsqu'elle choisirait de procéder par déclaration sommaire de culpabilité, elle serait limitée et ne pourrait pas demander une peine plus longue que la peine maximale pour déclaration sommaire de culpabilité. Lorsqu'elle opte pour la mise en accusation, la peine maximale est différente.
    De façon générale, d'autres protections procédurales sont offertes à l'accusé qui fait l'objet d'une mise en accusation, comme des procès devant jury et des enquêtes préliminaires, et le processus peut être plus long parce qu'il s'agit d'infractions plus graves.
    Les modifications transformeraient en infractions mixtes toutes les infractions actuelles punissables par mise en accusation qui prévoient une peine maximale de 10 ans ou moins. Les modifications ne devraient être que purement procédurales. En ce qui concerne la peine maximale offerte à la poursuite, la peine par mise en accusation ne changera pas. Les modifications prévues dans le présent projet de loi ne visent pas à changer les peines qu'une personne se voit imposer pour une conduite donnée. Les principes de la détermination de la peine demeureraient les mêmes, et une peine proportionnelle à la conduite donnée aux délinquants dans les circonstances devrait entraîner le même résultat advenant l'adoption du projet de loi C-75. Les délinquants devraient recevoir les mêmes peines que ce qu'ils auraient reçu avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-75.
    Je sais que vous vouliez clarifier quelques aspects touchant les infractions mixtes. Y a-t-il une autre partie qui m'a échappé?
    Plus particulièrement, c'est juste que c'est un choix que la Couronne fait afin de déterminer la meilleure procédure à suivre pour ce cas particulier, mais si je vous comprends bien, cela n'a aucune répercussion sur les résultats de la détermination de la peine, à l'instar de situations qui existaient avant le projet de loi C-75.
    C'est exact.
    Merci.
    Monsieur Rankin, allez-y.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins d'être ici aujourd'hui. J'ai quelques questions d'ordre général, puis quelques questions précises. Je ne sais pas si le temps le permettra.
    Nous accueillons aujourd'hui deux groupes, les Aboriginal Legal Services et le Barreau de l'Ontario, qui ont soumis des mémoires donnant à penser que le projet de loi C-75 pourrait en réalité empirer la crise de la surreprésentation des Autochtones dans les populations carcérales. Les dispositions qui les intéressent concernent la mise en liberté sous caution et la réduction de la capacité en ce qui concerne la représentation des mandataires.
    Quelles mesures a-t-on prises pour s'assurer que la législation repose sur des politiques qui permettraient de réagir à cette crise de surreprésentation des Autochtones et de ne pas perpétuer leur victimisation?
    Permettez-moi de répondre à cette question. Cela revient peut-être à ma première réponse à la question de M. Cooper, c'est-à-dire que la ministre a pris part à un processus collaboratif important avec les ministres des provinces et des territoires, deux ministres FPT dédiés, pour examiner les enjeux. Ce travail s'est fait dans le cadre du Forum FPT au moyen d'un examen de tous les enjeux qui ont été envisagés ou ont été signalés par différents organes.
    Par exemple, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a terminé un rapport important contenant de nombreuses recommandations concernant des réformes qui permettraient de réagir aux retards. Ce rapport a été étudié. Les décisions de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Jordan elle-même, dans l'affaire Cody et dans la jurisprudence qui a suivi depuis ces cas ont également fait ressortir un certain nombre d'enjeux qui ont exigé des réformes. Bien sûr, une diversité de rapports et d'études ont été achevés. Nous avons examiné les données, et les membres du Comité peuvent entendre nos collègues du Centre canadien de la statistique juridique, ce qui peut aider à dissiper certaines des préoccupations. Assurément, en commençant par l'affaire Jordan, les ministres FPT ont cerné six priorités essentielles, des domaines où, selon eux, des mesures de réforme du droit pourraient avoir une incidence importante pour ce qui est de répondre à ces préoccupations.

  (1550)  

    J'ai devant moi un courriel de l'Association des juristes de justice, qui sont les avocats au ministère de la Justice, dans lequel on dit qu'on ne dispose d'aucune donnée probante selon laquelle les modifications vont permettre de raccourcir les procès. Mme Corriveau semble avoir confirmé l'absence de données à cet égard. Par exemple, le SPPC, qui est représenté ici aujourd'hui et qui est responsable de la poursuite des infractions en matière de drogue, des organisations criminelles, du terrorisme et des pollueurs environnementaux, ainsi que du Nord, affirme que les répercussions seront négligeables. On dit que le gouvernement fédéral n'a pas doté suffisamment en ressources le Service des poursuites pénales du Canada et, pendant que les provinces gardaient le rythme en embauchant des procureurs supplémentaires, il a en réalité sous-financé le SPPC; résultat: la plupart des bureaux ont dû amputer leur budget de 7,5 % et, dans les faits, bloquer l'embauche. Cela signifie moins de procureurs, et non plus, aucune répercussion, voire des répercussions négatives associées au respect de l'arrêt Jordan.
    J'aimerais entendre ce que vous répondez à cela.
    Permettez-moi de commencer par un commentaire général au sujet du projet de loi, puis mon collègue, M. Beardall, pourrait parler au nom du directeur des poursuites publiques.
    Histoire de rappeler aux membres du Comité les propos que la ministre a tenus devant le Comité en juin, le projet de loi C-75 propose un ensemble très large de réformes qui, ensemble, cherchent à réagir aux retards occasionnés dans l'ensemble du système de justice pénale à différents endroits du continuum. Je pense que tout le monde va reconnaître que, dans certaines administrations, des réformes auront des répercussions différentes ou plus grandes que dans d'autres. On a soulevé la question du nombre d'enquêtes préliminaires. Elles ne se tiennent pas très souvent dans de nombreux cas, mais elles se tiennent plus souvent dans certaines provinces que dans d'autres. Lorsque des réformes visent à limiter les enquêtes préliminaires, celles-ci auront quelques répercussions.
    À ce propos, le Barreau du Québec nous dit ce qui suit: « Aucune donnée probante, outre des événements anecdotiques, ne nous permet de conclure que les enquêtes préliminaires sont génératrices de délais indus sur le système judiciaire ni de la nécessité de modifier les règles actuelles les entourant. » Êtes-vous d'un autre avis?
    Je reviendrais aux propos de la ministre qui reconnaît qu'il y aura des répercussions différentes liées au fait de limiter les enquêtes préliminaires selon les régions du pays. Cela fait partie de l'harmonie du système de justice pénale fédéral et provincial. Les lois fédérales définissent un cadre; les provinces ont ensuite la flexibilité au sein de ce cadre d'adopter des pratiques et des approches qui correspondront davantage à leurs besoins.
    Je reconnais que certains témoins remettent en question le fait de savoir si les enquêtes préliminaires en soi vont permettre de gagner beaucoup de temps. Dans la mesure où il y a moins d'enquêtes préliminaires, particulièrement dans les provinces qui en tiennent davantage, cela aura des répercussions. Cela va libérer du temps dans les tribunaux provinciaux.
    Dans ce cas, rejetez-vous le témoignage de ceux qui disent que l'élimination des enquêtes préliminaires va simplement signifier moins de négociations de plaidoyer et moins de capacité pour régler les choses en amont du procès complet? Admettez-vous cela?
     J'admets qu'ils ont un point de vue différent. Ce que je dis, c'est que, au bout du compte, ce n'est peut-être pas, en soi, l'aspect le plus important dans tout le projet de loi C-75. C'est peut-être différent pour des provinces différentes.
    Quelles provinces profiteraient de la réduction?
    Si vous regardiez qui compte le plus grand nombre d'enquêtes préliminaires à ce jour, l'Ontario et le Québec en ont davantage, et les Maritimes en ont moins. L'Ontario et le Québec sont aussi de bons exemples à examiner, car une partie de l'harmonie de notre système tient au fait qu'elles ont adopté des processus extrajudiciaires qui peuvent aider à faciliter quelques enquêtes préalables hors cour, ce qui offre une autre façon de réagir à certains des enjeux qui sont parfois abordés dans le cadre des enquêtes préliminaires.
    Désolée, j'ai parlé davantage que mon collègue.
    Non, c'est bon. Merci. Je reconnais que ce n'est pas facile de répondre rapidement à des questions.
    J'aimerais vous poser une question au sujet de la disposition 389 du projet de loi, qui concerne la traite de personnes. Le projet de loi C-75 intègre des dispositions d'entrée en vigueur du projet de loi de la députée Maria Mourani, le projet de loi C-452, qui a obtenu la sanction royale en juin 2015, mais n'a jamais été adopté par décret du gouvernement fédéral. Une partie de ce projet de loi nous est renvoyée aujourd'hui.
    À votre avis, la combinaison des peines consécutives, avec la présomption d'exploitation, viole-t-elle des droits garantis par la Charte?

  (1555)  

    Comme le décrit l'énoncé de la Charte, la combinaison de l'imposition de peines consécutives obligatoires qui existe pour les infractions de traite de personnes et l'obligation du projet de loi de l'ancienne députée, le projet de loi C-452, d'imposer des peines consécutives obligatoires est ce qui soulève un problème lié à la Charte. C'est le résultat de l'accumulation de peines consécutives, qui sont aussi des peines obligatoires, qui soulève le problème lié à la Charte.
    Je pense que j'ai répondu à votre question, mais vous avez parlé aussi de la présomption.
    C'est exact.
    Vous pouvez y revenir au prochain tour.
    Oui. Merci.
    Merci.
    Monsieur McKinnon, c'est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous tous d'être ici de nouveau.
    Ma question concerne les récusations péremptoires.
    Nous savons que le processus de sélection des jurés du Canada, particulièrement dans le cadre de certaines affaires très médiatisées au printemps, a fait l'objet de discussions, particulièrement en ce qui a trait à la question de la sous-représentation des Autochtones et d'autres Canadiens marginalisés au sein des jurys. Le projet de loi C-75 propose des modifications en vue d'améliorer la sélection des jurés et d'éliminer les récusations péremptoires.
    Pouvez-vous dire ce qui explique ces changements et comment ils visent à créer des jurys plus représentatifs?
    Je répondrai aussi à cette question.
    Vous avez parlé d'affaires très médiatisées. Assurément, celles-ci ont mis en lumière la question des récusations péremptoires et de la représentativité dans le système de justice pénale du Canada. Il est important pour le Comité de savoir que la question des récusations péremptoires et du rôle qu'elles jouent dans notre système de justice est reconnue depuis de nombreuses années, en fait depuis de nombreuses décennies, soit depuis 1991 et l'Enquête publique sur l'administration de la justice et les peuples autochtones, dirigée par le sénateur Sinclair, qui recommandait l'abolition des récusations péremptoires.
    Vous avez demandé ce qui justifiait ce changement et si l'élimination des récusations péremptoires permettrait d'améliorer la représentativité. Certes, le but de la proposition visant à éliminer les récusations péremptoires est de faire en sorte qu'elles ne puissent être utilisées de manière discriminatoire. En permettant une certaine forme de récusation péremptoire, on crée la possibilité d'y recourir de manière discriminatoire. L'abolition élimine donc cette possibilité, et c'est conforme à ce que d'autres administrations ont aussi fait, notamment le Royaume-Uni, l'Écosse et l'Irlande du Nord.
    Il y a au moins quelques avocats, les avocats de la défense tout particulièrement, qui s'opposent à cette mesure, parce qu'ils estiment pouvoir obtenir un jury plus représentatif s'ils la contestent. Pourriez-vous vous prononcer à ce sujet également?
    C'est assurément le point de vue de quelques avocats. Ils ont dit que le recours à la récusation péremptoire peut jouer un rôle pour favoriser la représentativité du jury. Toutefois, par rapport à mes commentaires précédents, même si les récusations péremptoires sont maintenues, cela créé tout de même le risque de leur utilisation discriminatoire dans un cas particulier ou un autre.
    Merci.
    Je vais maintenant poursuivre sur l'inversion du fardeau de la preuve.
    Je fais référence au mémoire présenté par les Aboriginal Legal Services. Une de leurs préoccupations, c'est la disposition sur l'inversion du fardeau de la preuve lorsqu'une personne accusée d'une infraction de violence familiale demande la mise en liberté sous caution, alors qu'elle a déjà été trouvée coupable du même genre d'infraction. Ils soulignent qu'une des choses qui surviennent dans les cas de violence familiale, c'est qu'une personne va affirmer que c'est l'autre qui a commencé, et les deux finiront par être arrêtées. Parfois, les deux seront reconnues coupables. D'après le mémoire, un des effets de la mise en accusation double, c'est que des femmes se retrouvent accusées de voies de fait, alors qu'elles n'auraient jamais dû l'être. Si ces dispositions sont adoptées et que leur conjoint les accuse encore de violence, elles pourraient se buter à l'inversion du fardeau de la preuve. Par conséquent, elles seront détenues et risquent de plaider coupables, ce qui perpétuera le cycle encore et encore.
    J'aimerais entendre vos commentaires sur la raison pour laquelle nous avons besoin d'une disposition sur l'inversion du fardeau de la preuve. Quel en est l'avantage? Si vous pouviez vous prononcer précisément sur cette préoccupation, cela serait utile. Merci.
    Il y a deux aspects à votre question. Le premier concerne ce qu'on appelle la « double accusation »: les policiers arrivent, et il semble que les deux personnes ont été violentes et elles sont toutes les deux accusées. Le mémoire dont vous parlez donne à penser que c'est lié au manque de souplesse, et les policiers doivent donc porter des accusations de cette façon. C'est là quelque chose qui n'est pas tellement touché par les modifications apportées au Code criminel en tant que tel. Il s'agit plutôt d'un enjeu souvent abordé dans les principes régissant les poursuites. C'est un phénomène que les agents des poursuites connaissent, et ils ont des politiques pour composer avec ce genre de situation. C'est quelque chose qu'on gère différemment d'une administration à l'autre.
    Pour ce qui est de votre question au sujet du renversement du fardeau de la preuve dans les cas de violence conjugale, c'est en fait une question en partie abordée dans l'énoncé concernant la Charte. La justification fournie là explique l'objectif du point de vue de la constitutionnalité. Le renversement du fardeau de la preuve relativement au cautionnement s'éloigne de l'approche générale adoptée à cet égard. Cette position présume qu'il convient de refuser le cautionnement et que l'accusé doit être détenu en attendant son procès. Cette position exige que l'accusé démontre, selon la prépondérance des probabilités, pourquoi il devrait être libéré en attendant son procès en fonction des motifs réglementaires de détention avant le procès: risque de fuite, sécurité publique et confiance publique à l'égard de l'administration de la justice.
    Il y a d'autres cas d'inversion du fardeau de la preuve en ce qui a trait aux dispositions sur le cautionnement dans le Code criminel. Pour ce qui est de la raison pour laquelle le gouvernement propose de modifier le Code et d'ajouter une inversion du fardeau de la preuve dans les cas de violence conjugale, eh bien, pour commencer, en limitant l'inversion aux cas où le délinquant avait une condamnation antérieure, on en limite l'application de façon à ce que la mesure s'applique uniquement dans les cas les plus graves, aux délinquants qui ont été déclarés coupables de ce type de conduite et qui se retrouvent à nouveau devant les tribunaux, prétendument parce qu'ils ont récidivé. On a constaté que, en tant que groupe, ces personnes constituent un risque élevé de violence, ce qui fait augmenter le risque de récidive dont leur partenaire intime serait victime. Souvent, lorsque les accusations sont portées, la relation peut être en pleine période d'instabilité, à des moments où un partenaire intime peut être plus à risque. La mesure est proposée pour accroître la sécurité des personnes dans ces types de situations et dans ces moments extrêmement tendus.

  (1600)  

    Merci.
    Merci.
    En passant, j'ai négligé de souhaiter la bienvenue à M. Virani au nom du Comité en tant que nouveau secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada.
    Bienvenue, monsieur Virani.
    Merci, monsieur le président.
    Je vais maintenant me tourner vers les membres du Comité et demander qui a des questions complémentaires?
    Je vois que quatre personnes ont des questions complémentaires. Je vais y aller dans l'ordre qui suit: M. Cooper, M. Fraser, M. Rankin et M. Virani.
    Monsieur Cooper, allez-y.
    J'ai quelques questions, alors je vais tenter de toutes les réunir en une seule.
    Je vous en prie.
    Je vais essayer.
    J'ai demandé si le ministère a des statistiques en ce qui concerne la limitation des enquêtes préliminaires et la réduction de l'arriéré. La réponse, madame Corriveau, c'est qu'il n'y a pas de statistique. Vous pourriez peut-être nous fournir une estimation. Est-ce que certaines analyses ont été réalisées en ce qui a trait au temps qu'on prévoit sauver ou n'y a-t-il vraiment aucune donnée probante à cet égard?
    J'aimerais aussi poser une question relativement à un domaine tout à fait différent. La question concerne la façon dont se dérouleraient les comparutions pour manquement. Y en aurait-il seulement lorsque le procureur le demande? Pourriez-vous nous expliquer de quelle façon cela se présenterait? D'après ce que j'ai compris, les comparutions pour manquement visent à réduire le nombre d'infractions touchant l'administration de la justice. Avez-vous des chiffres ou des statistiques sur le temps que les tribunaux consacrent au traitement des infractions touchant l'administration de la justice?
    Je vais répondre à votre première question.
    Aux fins de précision et à l'intention du Comité, ce que j'ai laissé entendre plus tôt, c'est non pas que nous n'avons absolument aucune statistique sur les enquêtes préliminaires, mais plutôt que le Centre canadien de la statistique juridique ne compile pas de données temporelles, le nombre d'heures que dure une enquête préliminaire ou n'importe quelle autre procédure pénale dans le cadre du processus.
    Nous avons accès à quelques statistiques. Comme je l'ai mentionné tantôt, il y a deux publications Juristat, une datée de février 2018, et l'autre, de juin 2017, qui contiennent des résumés des statistiques fondés sur des années différentes.
    Par exemple, le résumé de février 2018 portait sur une analyse des données de 2015-2016 s'appuyant sur les accusations devant les tribunaux provinciaux et donnant accès à certains renseignements des cours supérieures. Malheureusement, le Centre canadien de la statistique juridique ne reçoit pas des données de tous les tribunaux supérieurs, et il y a donc des limites à cet égard. Le Comité devrait peut-être demander à un membre représentant Statistique Canada de comparaître.
    Il y a aussi les Précis des faits, une publication du ministère de la Justice produite par notre Division de la recherche et de la statistique. Encore une fois, l'information ne concerne pas le temps que les tribunaux consacrent à un quelconque processus, comme les enquêtes préliminaires, mais il est question du nombre de cas, du nombre d'accusations ainsi que du nombre d'enquêtes préliminaires réalisées durant une année donnée.

  (1605)  

    Je serai heureuse de fournir tout ça au Comité, le Précis des faits et les deux publications Juristat.
    J'avais une deuxième question.
    Je peux y répondre.
    Il y a deux choses à dire, ici. Premièrement, il y a l'aspect opérationnel et la façon dont tout ça fonctionnerait. Les modifications prévues dans le projet de loi feraient en sorte que, lorsque les agents de police interagissent avec un accusé qui, selon eux, a manqué à une condition de cautionnement, ils ont l'option de porter des accusations ou de délivrer une citation à comparaître.
    Sur la citation à comparaître, dans les formulaires modifiés, il y aurait une case que les policiers peuvent cocher pour indiquer que l'accusé doit participer à une comparution pour manquement. Il y aurait les mêmes choses qu'on trouve habituellement sur le comportement allégué et la raison pour laquelle les gens se retrouvent devant le tribunal. L'agent de police pourrait procéder au renvoi. Puis, la personne comparaîtrait devant un tribunal à cette fin. Le procureur de la Couronne présenterait la demande devant le tribunal.
    Aucune nouvelle accusation n'aurait été portée et aucune nouvelle dénonciation n'aurait été déposée, mais la personne comparaîtrait devant le tribunal, qui pourrait examiner la situation et les conditions de libération. S'il y avait plus d'un ensemble de conditions, on pourrait toutes les réunir afin qu'il soit plus facile de les respecter. S'il est impossible de respecter les conditions, le tribunal pourrait regarder la situation et déterminer ce qui est raisonnable dans les circonstances.
    Une des choses qu'il ne faut pas oublier ici, c'est qu'il y a des critères d'admissibilité quant au type d'infraction contre l'administration de la justice visée. Les critères prévoient que le manquement allégué ne doit pas avoir causé de préjudice à une victime, alors il ne s'agirait pas d'un type d'infraction contre l'administration de la justice pouvant faire intervenir la question de la sécurité publique, comme le non-respect d'une ordonnance de non-communication avec la victime alléguée ou quelque chose du genre.
    L'autre façon dont cela pourrait se produire, c'est si un avocat de la Couronne voit un dossier où les policiers ont porté une accusation, dossier dans lequel l'avocat de la Couronne sait plus de choses au sujet du cas ou du délinquant de façon générale. S'il estime qu'il serait plus approprié de procéder de cette façon, il pourrait aussi renvoyer le dossier à la cour.
    Est-ce que j'ai répondu à vos questions concernant l'aspect procédural et la façon dont tout ça fonctionnerait?
    Merci beaucoup, et la deuxième partie de votre réponse...
    Oui, la deuxième partie de la question...
    En ce qui concerne les statistiques, au fil des ans, le nombre de personnes accusées d'infractions touchant l'administration de la justice a augmenté, malgré une diminution constante de la quantité et de la gravité des crimes au Canada. Statistique Canada déclare que, en 2014, le nombre de personnes accusées d'infractions touchant l'administration de la justice avait augmenté de 8 % comparativement à 2004.
    Ma question portait précisément sur le temps des tribunaux. Je me rends compte...
    Je suis désolée. Pour ce qui est du temps des tribunaux, 40 % des affaires qui se retrouvent devant des tribunaux pénaux pour adultes incluent au moins une infraction contre l'administration de la justice.
    L'autre chose, c'est que, même si je n'ai pas de statistiques exactes à cet égard, les Autochtones et les membres de populations vulnérables qui sont surreprésentés au sein du système de justice ont tendance à faire l'objet de plus d'infractions contre l'administration de la justice. Ils ont tendance à se voir imposer plus de conditions au moment de leur libération et ils sont plus susceptibles de manquer à ces conditions. On estime que cette situation explique en partie le fait que se perpétue le problème de la porte tournante du système de justice pour certaines de ces personnes. C'est l'une des mesures du projet de loi qui visent à réduire la surreprésentation au sein du système de justice pénale.

  (1610)  

    Merci beaucoup.
    Monsieur Fraser, allez-y.
    Merci beaucoup.
    Je veux vous poser une question sur les éléments de preuve de routine présentés par la police et jugés recevables devant un tribunal au moyen d'un affidavit sans droit automatique de contre-interrogatoire. Puisque je suis une personne qui pratiquait le droit pénal en tant qu'avocat de la défense, c'est quelque chose que je trouve troublant, pour être honnête avec vous. J'aimerais comprendre la justification qui sous-tend cette disposition et aussi savoir ce que signifie « de routine ». De quelle façon pourrait-on savoir ce dont il est question? Lorsque je pratiquais le droit, nous trouvions souvent des ententes au sujet des éléments de preuve pouvant être présentés sans contre-interrogatoire ou sans qu'il soit nécessaire de les tester devant le tribunal, parce que les parties s'entendaient généralement pour dire que tout ça ne prêtait pas à controverse.
    En quoi pourrait-on vraiment réduire les délais si c'est quelque chose qu'on fait déjà? Et de quelle façon pourrait-on cerner la portée de l'expression « de routine »?
    Je vais commencer, et Me Beardall pourra peut-être poursuivre.
    Pour ce qui est de la raison pour laquelle c'est proposé, ou le contexte, il s'agit d'un autre des nombreux problèmes dont on a discuté dans le cadre des interactions entre les ministres FPT responsables de la justice, et ce, à tous les échelons, des fonctionnaires jusqu'aux ministres. On considérait la mesure comme un autre outil pouvant être utilisé avec tous les autres pour régler le problème des retards au sein du système.
    Vous avez soulevé la question de la recevabilité de la preuve et le fait que c'est quelque chose qui se produit déjà dans certains cas, et, assurément, c'est vrai. Vous avez aussi raison de dire que l'expression « élément de preuve de routine de la police » et sa signification semblent un peu nébuleuses. Pourrait-on inclure ici tout ce que les agents de police font? J'attirerais l'attention des membres du Comité sur les facteurs définis dans le projet de loi afin d'encadrer les processus décisionnels en ce qui a trait aux types d'éléments de preuve pouvant faire l'objet d'un affidavit et pouvant être jugés recevables par l'ensemble des parties. Dans le projet de loi, on parle de choses comme « l'observation ». Cela pourrait inclure, par exemple, le fait que des agents de police signent un affidavit concernant ce qu'ils ont observé sur les lieux du crime à leur arrivée, c'est-à-dire: « Je suis arrivé, il y avait d'autres voitures de police. Trois agents de police étaient là ». Ce serait des choses de cette nature. Un autre exemple, c'est la « manutention de la preuve ». Il s'agit là de la chaîne de possession des éléments de preuve dont on a déjà parlé. Un autre élément de la liste dans le projet de loi concerne les « autres activités d'un policier », et il peut s'agir ici de choses comme les mesures prises par un agent de police pour protéger la scène de crime.
    Par conséquent, ce sera propre au contexte. Les facteurs qui permettent au juge d'admettre des éléments de preuve par affidavit détermineront les types d'éléments de preuve pouvant être acceptés de la sorte. Si quelque chose est central à un point litigieux, il est peu probable qu'on l'admette par affidavit de l'agent de police. S'il s'agit de quelque chose de plus accessoire et que c'est un voir dire, plutôt que quelque chose qui touche des éléments essentiels de l'infraction, alors ce pourrait être admis. Le régime en tant que tel fournit le cadre permettant d'aider à encadrer les processus décisionnels. Au bout du compte, la façon dont le régime est appliqué sera une question de pratique au sein du système.
    Craint-on que la détermination de ce en quoi consiste un élément de routine et ce qui n'en constitue pas prendra en fait plus de temps que de simplement permettre à l'avocat de la défense de procéder à un contre-interrogatoire relativement à l'élément de preuve en question tout simplement?
    Vous avez tout à fait raison de dire que la définition d'« élément de preuve de routine » dans le projet de loi est potentiellement très générale, et tout cela est tout de même qualifié par l'utilisation du terme « de routine ». Comme mon collègue M. Taylor l'a souligné, il y a des facteurs établis dans le projet de loi dont le juge pourra tenir compte, et cela inclut une évaluation de la mesure dans laquelle l'élément de preuve est central pour la poursuite et, en fait, la défense.
    Vous avez aussi raison, monsieur Fraser, lorsque vous dites que, souvent, des choses comme la chaîne de possession des éléments de preuve ou les observations de routine formulées par les agents de police sont admises. Cependant, la réalité, c'est que, très souvent, ces admissions arrivent très tardivement dans le processus. Souvent, le jour du procès, l'avocat de la défense me dira: « je vais admettre la chaîne de possession de la preuve ». Eh bien, c'est parfait, et je peux renvoyer trois agents de police chez eux, mais ils touchent déjà un double salaire en raison de leur comparution devant le tribunal.
    On aurait ainsi accès à un mécanisme pour régler ces enjeux à une étape précédente.
    Voici la réalité de la situation: il reviendra toujours au juge de décider s'il faut admettre une preuve par affidavit. Aucun avocat de la Couronne sain d'esprit ne tentera d'utiliser ces dispositions pour admettre des éléments de preuve qui, selon nous, seront un tant soit peu litigieux du point de vue de la défense. De plus, bien sûr, il faut informer la défense de notre intention de présenter de tels éléments de preuve. Si elle s'y oppose, elle devra me le dire.
    Si, en fait, j'avise la défense et, elle décide de s'opposer — elle a un motif précis quelconque pour lequel elle veut que l'agent de police se présente au tribunal aux fins de contre-interrogatoire —, je ne vais pas m'y opposer. Je vais tout simplement retirer mon avis. Je crois que ce serait pas mal là la réaction de n'importe quel procureur de la Couronne, la seule exception étant si nous croyons que la défense s'oppose à l'admission de l'élément de preuve de mauvaise foi, tout simplement pour essayer de se jouer du système; alors on tentera peut-être de tuer immédiatement le stratagème dans l'oeuf en en parlant à un juge. Ce serait là une très rare exception.

  (1615)  

    Merci beaucoup.
    Monsieur Rankin, allez-y.
    Ma question est destinée à M. Taylor et elle concerne notre dernier échange.
    Il y a deux étés, deux jeunes hommes de Kitchener ont plaidé coupable à des accusations de traite de personne et d'avoir tiré profit de la vente de services sexuels. Ils vendaient des jeunes filles, âgées de 14 à 17 ans, dans des chambres d'hôtel de Windsor et de London, en Ontario. Ils interjettent maintenant appel. Il a été annoncé la semaine dernière qu'ils interjetaient appel de leur peine obligatoire de quatre ans.
    M. Kent Roach, lorsqu'on lui a posé la question au sujet du projet de loi C-75, a dit que tout ce que nous avions à faire, c'est d'ajouter une disposition selon laquelle les juges peuvent déroger à l'imposition des peines minimales obligatoires. Je le cite: « il devrait revenir à un juge de déterminer si une peine de quatre ans est appropriée ou non, mais puisque le gouvernement a maintenu les peines minimales obligatoires [dans le projet de loi C-75], ces peines sont contestées province par province, tribunal par tribunal ».
    Pourquoi n'avez-vous rien fait à ce sujet?
    Je vais répondre à la question.
    Cette question a été posée à la ministre lorsqu'elle a comparu en juin. C'est une question de politique. Elle a parlé de ce dossier et dit que le gouvernement cherche une approche qui pourrait résister à l'épreuve du temps et qui concernerait une intervention plus générale que simplement les PMO.
    Entretemps, comme le député l'a souligné, c'est vrai que la Cour suprême s'est prononcée dans certains de ces cas. Et ces cas fournissent maintenant une orientation à l'échelle du pays quant à la façon dont on traite les dossiers, même dans le contexte des poursuites par l'intermédiaire du Service des poursuites pénales du Canada.
    Eh bien, il y a une contestation fondée sur la Charte et la perte de temps, et ces deux jeunes hommes continuent d'être libres comme l'air malgré la perpétration de ces crimes odieux parce que vous n'avez pas voulu régler le problème avant de définir une approche globale. Est-ce bien ce que vous dites?
    Je crois avoir répondu à la question et je n'ai rien d'autre à ajouter.
    Monsieur Virani, allez-y.
    Merci de votre participation et du travail que vous avez fait.
    J'ai deux questions très simples, et je m'excuse si les réponses se trouvent dans l'un des documents que je n'ai pas encore pu consulter.
    En ce qui concerne la reclassification d'une infraction à une infraction mixte, est-ce que le choix de la Couronne — actuellement ou comme on l'envisage dans le projet de loi — est assujetti à une surveillance judiciaire? Un juge a-t-il son mot à dire et peut-il être en désaccord avec la Couronne sur le choix du poursuivant?
    Ensuite, et la question est adressée à M. Beardall et à M. Taylor — pour ce qui est de la question des éléments de preuve de routine, si on procède par affidavit, y a-t-il une possibilité ultérieure de procéder à un contre-interrogatoire relativement à l'affidavit en tant que tel ou faut-il choisir strictement entre un affidavit lié à des procédures de routine ou un contre-interrogatoire en personne devant le tribunal?
    Pour ce qui est de la première question, en ce qui concerne la reclassification d'une infraction en infraction mixte, actuellement, le choix revient uniquement à la Couronne, et le juge ne peut rien y changer. Le projet de loi n'y change rien non plus.
    Eh bien, M. Taylor peut me corriger si ma mémoire me joue des tours, mais je crois que le projet de loi envisage qu'il pourrait y avoir un contre-interrogatoire relativement à l'affidavit en tant que tel. Je doute qu'on le fasse très souvent, parce que, s'il faut s'assurer qu'un agent de police est présent devant le tribunal de toute façon, aussi bien le mettre à la barre et lui permettre de témoigner en interrogatoire principal. J'imagine qu'il pourrait y avoir des exceptions, mais la possibilité que vous envisagez existe bel et bien.

  (1620)  

    Quelqu'un veut-il ajouter quoi que ce soit?
    Chers collègues, si vous me le permettez, j'aimerais poser une question rapide. Pour ce qui est de la reclassification d'une infraction en infraction mixte, j'ai entendu un certain nombre de commentateurs et de personnes parler de la façon dont le choix est fait lorsqu'il y a des infractions similaires dans le Code criminel, des infractions assorties de sanctions similaires et le fait que certaines infractions n'avaient pas été reclassifiées tandis que d'autres l'avaient été. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire le mémoire du CCRJI, par exemple. On y parle des infractions liées aux crimes haineux, aux infractions liées au terrorisme et ainsi de suite, qui sont reclassifiées, tandis que d'autres infractions ne le sont pas. Pouvez-vous nous parler des critères liés à ce choix?
    Bien sûr. Le projet de loi adopte une approche purement procédurale en matière de reclassification d'une infraction en infraction mixte. Certaines des préoccupations soulevées sont fondées sur la crainte que le fait d'ériger des infractions en infractions mixtes revient à se prononcer sur la gravité de l'infraction. Cependant, comme la ministre l'a mentionné, il s'agit d'une approche purement procédurale. Il s'agit de trouver des façons de rendre les tribunaux plus efficients. On a pris toute une catégorie d'infractions, sans les examiner une à une, et on a tout reclassifié les infractions qui étaient passibles d'une peine d'emprisonnement maximal de 10 ans ou moins. C'est l'approche générale utilisée.
    L'idée, comme la ministre l'a mentionné, c'est qu'on ne change rien au résultat en matière de peine imposée, alors le processus n'est pas vraiment fondé sur la gravité des différentes infractions: il vise plutôt simplement à accorder à la Couronne le pouvoir discrétionnaire de maximiser les gains d'efficience du tribunal en choisissant la bonne tribune pour un cas donné en fonction de la gravité.
    L'une des choses que je n'ai pas mentionnées précédemment lorsque j'ai parlé des différents types d'infractions, c'est qu'une infraction mixte, de façon générale, est une infraction qu'on sait associée à toute une gamme de conduites. C'est la raison pour laquelle elles doivent être traitées de différentes façons. Et maintenant, pour ce qui est d'un certain nombre d'infractions qui n'ont pas été transformées en infractions mixtes, même si la Couronne vise un résultat relevant de la procédure sommaire, si c'est clairement une infraction punissable par voie de mise en accusation, il faut procéder de cette façon, et toute la gamme des protections procédurales s'appliqueront.
    Je comprends tout à fait. La ministre a été très claire à ce sujet. Dites-vous que toutes les infractions prévues dans le Code criminel qui sont assorties d'une pénalité de 10 ans ou moins sont maintenant des infractions mixtes? J'entends constamment dire qu'elles ne le sont pas. J'ai vu de nombreux exemples de cas où on affirme qu'elles ne sont pas constituées en infraction mixte dans le projet de loi. Je n'ai rien trouvé, alors vous pourriez peut-être me dire si c'était là l'intention.
    C'était l'intention. En ce qui a trait à certaines infractions qui n'ont pas été reclassifiées en infractions mixtes par le projet de loi — et mon collègue M. Taylor pourrait peut-être vous en dire plus à ce sujet — puisque le projet de loi n'aborde pas la question des peines minimales obligatoires, il peut être compliqué de reclassifier en infraction mixte certaines infractions si, par exemple, la peine minimale obligatoire actuelle est supérieure à celle pouvant être imposée en cas de déclaration de culpabilité par procédure sommaire. On a déterminé que ces infractions ne devaient pas être classifiées en infractions mixtes pour l'instant tandis que se poursuit l'examen de la détermination de la peine.
    La seule chose que j'ajouterais, ici, c'est que, comme vous le savez, le projet de loi C-51, qui se trouve devant le Sénat à l'heure actuelle, propose d'abroger un certain nombre d'infractions désuètes ou redondantes en raison d'autres infractions d'application générale. Je n'ai pas la liste ici. Le projet de loi ne les reclassifie pas en infractions mixtes non plus. Si le Comité est intéressé, nous pouvons vous fournir la liste des infractions précises qui sont abrogées par le projet de loi C-51.
    Bien sûr, faites-le, s'il vous plaît.
    Chers collègues, aviez-vous d'autres questions? Dans la négative, je tiens à remercier tous les témoins d'avoir été là et d'avoir répondu à nos questions. Nous vous en sommes très reconnaissants.
    Le greffier m'a dit que nous avons un problème de sous-titrage, alors nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes avant d'accueillir le Barreau du Québec, pendant qu'on tente de régler le problème. La réunion est suspendue pour cinq minutes.

  (1620)  


  (1635)  

     Nous sommes ravis de vous accueillir à nouveau devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne tandis que nous poursuivons notre étude du projet de loi C-75.
    Avant de passer à nos prochains témoins, je tiens à mentionner à mes collègues que deux mémoires présentés par des témoins qui comparaissent plus tard aujourd'hui sont revenus de la traduction. Je demande à mes collègues d'examiner les mémoires de Acumen Law et de Ron Rosenes lorsqu'ils pourront le faire.

[Français]

    C'est un grand plaisir de saluer nos témoins du Barreau du Québec.
    Aujourd'hui, nous comptons parmi nous M. Paul-Matthieu Grondin, qui est le bâtonnier du Québec.
    Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Grondin.
    Il y a aussi M. Pascal Lévesque, qui est président à la section criminelle du Barreau du Québec.
    Bienvenue.
    De plus, nous avons parmi nous M. Nicolas Le Grand Alary.

[Traduction]

    C'est un avocat du Secrétariat de l'Ordre et Affaires juridiques.

[Français]

    Je vous souhaite la bienvenue. C'est un grand plaisir de vous recevoir.
    En tant que membre du Barreau du Québec, je suis très content d'en recevoir des représentants ici.
    Je connais aussi M. Deltell.
    Je ne suis pas membre du Barreau.
    Non, mais vous êtes sûrement content que le Barreau du Québec soit représenté ici.
    Monsieur Grondin, la parole est à vous.

[Traduction]

    Je vais présenter ma déclaration en français, pour ceux qui devront peut-être utiliser un écouteur.

[Français]

    Monsieur le président, messieurs les vice-présidents, chers membres du Comité, je m'appelle Paul-Matthieu Grondin et je suis bâtonnier du Québec.
    Comme M. le président l'a dit, je suis accompagné de Me Pascal Lévesque, qui est président du Comité en droit criminel du Barreau du Québec, un comité consultatif, et de Me Nicolas Le Grand Alary, qui est avocat au Secrétariat de l'Ordre et affaires juridiques du Barreau du Québec.
    Nous vous remercions de l'invitation.
    C'est avec beaucoup d'intérêt que le Barreau du Québec témoigne devant vous aujourd'hui relativement au projet de loi C-75.
    En tant qu'ordre professionnel, le Barreau du Québec a pour mission la protection du public. Les modifications d'envergure, tant à la procédure criminelle qu'à l'administration de la justice criminelle au Canada, interpellent le Barreau dans l'exercice de cette mission.
    Cela étant dit, nous vous remercions d'avoir convié le Barreau à partager avec vous sa position sur les sujets qui suivent.
    Premièrement, le Barreau rappelle son opposition aux peines minimales d'emprisonnement, sauf pour les cas les plus graves, comme le meurtre. Les peines minimales enlèvent aux intervenants judiciaires de première ligne — par exemple le procureur de la poursuite, les avocats de la défense ou le juge de première instance — la flexibilité nécessaire pour bien appliquer le principe de proportionnalité des peines. Conséquemment, le Barreau aurait aimé voir des mesures concernant les peines minimales obligatoires d'emprisonnement dans ce projet de loi.
    Le fait d'imposer des peines minimales permet peut-être, à court terme, d'assurer un certain sentiment de sécurité chez les citoyens, mais, à long terme, ces mesures sont contre-productives pour le système de justice. Les procureurs de la poursuite perdent une mesure incitative pour amener un accusé à plaider coupable lorsque les circonstances entourant la commission de l'infraction justifient une peine qui irait en deçà du minimum obligatoire. À l'inverse, lorsque la poursuite demande une peine dans un dossier pour lequel il serait justifié d'imposer légèrement plus que la peine minimale, les tribunaux ont tendance, dans ce cas, à s'y tenir.
    Le projet de loi aurait été une bonne occasion d'abandonner ce type de peines, qui ne favorise pas une administration efficiente et flexible du système de justice pénale. Malheureusement, nous prenons acte du fait qu'il faudra attendre une prochaine fois.
    Le Barreau du Québec croit qu'il est important que le gouvernement modifie le Code criminel afin de conférer au tribunal un pouvoir discrétionnaire résiduel qui lui permet de ne pas imposer une peine minimale obligatoire.
    Nous notons d'ailleurs le dépôt de deux projets de loi visant à donner cette discrétion au tribunal: le projet de loi S-251, Loi modifiant le Code criminel (indépendance des tribunaux) et apportant des modifications connexes, et le projet de loi C-407, Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine). Les mesures prévues dans ces projets de loi pourraient être reprises dans le projet de loi C-75 afin de régler la question des peines minimales obligatoires.
    Les justiciables ont le droit à cette protection constitutionnelle. De plus, chaque accusé ou chaque partie n'aurait plus à supporter le lourd fardeau d'une contestation constitutionnelle jusqu'en Cour suprême.
    Les peines minimales obligatoires peuvent s'avérer profondément injustes dans certains cas, car la seule peine envisageable est l'emprisonnement, alors que, parfois, d'autres solutions sont susceptibles de favoriser la réhabilitation et donc de réduire le risque de récidive. Il faut faire confiance aux juges pour appliquer la loi de manière juste et équitable, de sorte que les peines imposées soient proportionnelles à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.
    Quant à la suppression de l'enquête préliminaire, qui est notre deuxième sujet, le projet de loi propose de limiter la tenue d'une enquête préliminaire aux seuls cas des infractions passibles d'un emprisonnement à perpétuité. Il renforce également les pouvoirs du juge de paix afin de limiter l'enquête à des questions données et le nombre de témoins qui peuvent y être entendus.
    Le Barreau du Québec s'oppose à cette modification. Certains affirment qu'en limitant le recours à l'enquête préliminaire, on pourra accélérer les procédures judiciaires et ainsi réduire les retards. Nous croyons que cette limitation de l'enquête préliminaire serait inefficace, voire contre-productive.
    Il est important de savoir que, selon Statistique Canada, seulement 3 % des dossiers admissibles ont fait l'objet d'une enquête préliminaire et que, parmi les cas qui ont causé des retards au-delà des seuils établis par les arrêts Jordan et Cody, seulement 7 % comprenaient une enquête préliminaire. Aucune donnée probante, outre des événements anecdotiques, ne nous permet de conclure que les enquêtes préliminaires sont génératrices de retards indus dans le système judiciaire ni qu'il est nécessaire de modifier les règles actuelles.
    Il est aussi important de mentionner que, dans certains dossiers, l'enquête préliminaire peut permettre de tester la solidité de la position des parties. Cela favorise le règlement des dossiers, ce qui évite un procès au fond et contribue à la réduction des retards. Par exemple, la preuve d'une infraction peut reposer sur une preuve testimoniale. L'enquête préliminaire peut être bénéfique tant à l'accusé qu'à la poursuite, car ils pourront évaluer la crédibilité de ces témoins, ce qui pourrait inciter une partie comme une autre à vouloir régler le dossier par le dépôt d'un plaidoyer de culpabilité ou par le retrait des accusations.
    Nous sommes conscients que certains pourraient abuser de cette étape et ainsi allonger indûment les procédures. Le Barreau du Québec tient toutefois à souligner que les juges possèdent déjà de nombreux pouvoirs de gestion de l'instance et qu'ils ont été invités par la Cour suprême à les utiliser encore et encore. Ces pouvoirs doivent être utilisés afin de baliser la portée de l'enquête et de prévenir les abus. Autrement, nous risquons d'abandonner une étape de l'instance criminelle qui conserve sa pertinence dans la recherche d'une justice plus efficiente.
    En outre, le Barreau du Québec propose une mesure additionnelle. En effet, c'est bien beau de mettre en évidence les problèmes, mais parfois il faut aussi parler des solutions. Cette mesure additionnelle consiste à ajouter au Code criminel la possibilité de remplacer, avec le consentement de l'accusé, la tenue d'une enquête préliminaire par des interrogatoires hors cour. Des projets pilotes en ce sens ont été mis en place dans plusieurs districts judiciaires au Québec et ont fait leurs preuves. Cela permet de ne pas avoir à faire face à la lourdeur de l'appareil judiciaire. La codification de ces pratiques permettra de les étendre partout au Canada et contribuera à la réduction des retards en matière criminelle ainsi qu'à l'efficacité du système judiciaire.
    Je vais maintenant aborder la suppression des récusations péremptoires lors de la composition d'un jury.
    Le projet de loi abolit la récusation péremptoire de jurés. Cette mesure semble s'inspirer d'un procès fortement médiatisé en Saskatchewan pour lequel le jury constitué ne reflétait pas la diversité de la communauté où était tenu le procès.
    Le Barreau du Québec considère que la mesure proposée par le projet de loi rate sa cible. Bien entendu, nous trouvons déplorable la tactique de certains avocats — cela se produit parfois, en effet — consistant à utiliser les demandes péremptoires pour écarter systématiquement des candidats jurés pour un motif discriminatoire, notamment la race ou l'origine ethnique.
    Nous considérons toutefois qu'abolir simplement les récusations péremptoires n'est pas la solution. Les récusations péremptoires ont toujours eu leur utilité pour l'ensemble des plaideurs rompus aux procès devant jury. Voici pourquoi. Les avocats perçoivent en effet dans l'apparence, dans les propos et dans le langage non verbal d'un candidat juré qu'il ou elle n'aura pas la capacité d'écoute objective suffisante pour entendre la preuve qu'ils comptent présenter et pour poser un jugement impartial quant à celle-ci. Elles permettent aussi de s'assurer que l'accusé accepte la légitimité du jury et, par extension, le verdict et la sentence qui seront prononcés. Il est également important de mentionner que les récusations péremptoires se font souvent en vertu d'un consentement entre les deux parties. Il est important de garder cela en tête.
    Le Barreau du Québec est toutefois d'accord que la composition des jurés doit refléter la diversité de la société canadienne. Ainsi, nous proposons que le Code criminel soit modifié afin de prévoir que l'une ou l'autre des parties puisse demander au juge d'aiguiller la composition du jury lorsqu'une partie semble de mauvaise foi dans l'utilisation des demandes péremptoires ou lorsque le jury, pour des raisons autres, n'est pas représentatif de la communauté. Le juge, en tenant une audition à cet effet, pourrait nommer des jurés pour que certains soient issus de la diversité. Encore une fois, je considère important de mentionner que l'immense majorité des avocates et des avocats sont, bien sûr, de bonne foi lorsque des récusations péremptoires sont utilisées.
    Je vais maintenant parler des conséquences des modifications sur la division d'appel de la Cour supérieure.
    Le Barreau du Québec craint que le fait d'augmenter de manière importante le nombre d'infractions mixtes et de repousser à un an la période de prescription des infractions sommaires n'ait des répercussions potentielles sur la Cour supérieure, celle-ci agissant en appel dans ces dossiers.
    Nous souhaitons donc nous assurer qu'il y aura plus de ressources pour les cours supérieures afin qu'elles puissent traiter cette hausse de volume des dossiers sans augmenter les retards, que l'on souhaite par ailleurs réduire. Je pense qu'il est important de préciser que nous sommes en général d'accord pour qu'il y ait davantage d'infractions mixtes. C'est une très bonne chose.
    Quant au remplacement de certains termes dans les dispositions constitutives d'infractions, nous remarquons que, pour plusieurs infractions, l'adverbe « volontairement » ou l'expression « dans l'intention de » ont été remplacés par « sciemment ». Nous nous interrogeons sur la portée de ces modifications.
    S'agit-il d'un simple exercice de sémantique, comme le laisserait entendre la décision dans R. c. Sault Ste. Marie, qui emploie comme des synonymes les termes « volontairement » et « sciemment »? S'agit-il plutôt d'une volonté de modifier ces infractions pour qu'elles passent d'infractions à intention spécifique à des infractions à intention générale?
    Le changement des termes laisse croire qu'il existe une intention de modifier les critères applicables, puisque, comme l'affirme la Cour suprême, le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Ainsi, ces modifications sont de nature à engendrer des difficultés quant à leur interprétation et à soulever des litiges.
    Je vais maintenant aborder la proposition de permettre uniquement à des procureurs de déposer des accusations.
    En complément de ce qui est prévu par le projet de loi, le Barreau du Québec propose que les accusations pour des infractions prévues au Code criminel puissent être déposées uniquement par des procureurs. Il arrive souvent que des accusations soient abandonnées faute de preuve ou en présence de faits disculpatoires portés à la connaissance des autorités. De plus, des accusations peuvent être portées malgré leur caractère technique ou peu important, ou malgré le fait qu'il ne soit pas opportun de le faire eu égard à la justice. Pour diminuer ce risque, la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick et le Québec ont fait le choix d'octroyer uniquement aux procureurs le pouvoir de porter des accusations.
    Au Québec, cette mesure est d'autant plus efficace que les procureurs ont discrétion, lorsque les circonstances s'y prêtent, pour appliquer une solution autre que la judiciarisation, notamment le traitement non judiciaire du dossier ou un programme de mesures de rechange, lorsque la personne admet sa responsabilité.
    Ainsi, la vérification préinculpatoire par les procureurs permet de réduire les retards en désengorgeant le système d'une partie des cas qui peuvent être traités autrement sans nuire à l'intérêt public ou qui n'auraient vraisemblablement pas tenu la route au procès. En effet, comme l'affirme la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Sciascia, cette pratique permet d'aider le système judiciaire particulièrement surchargé.
    Avec l'accord des provinces et des territoires, puisqu'il s'agit d'administration de la justice, cette règle devrait être inscrite dans une loi pour uniformiser cette pratique partout au Canada. Au minimum, elle devrait favoriser le recours à ces vérifications préinculpatoires, comme le fait le paragraphe 23(1) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
    Voilà qui fait le tour des enjeux principaux que le Barreau du Québec voulait aborder avec vous, monsieur le président et membres du Comité, dans le cadre des consultations sur le projet de loi C-75. Des explications plus détaillées sur les différents enjeux que nous venons de présenter se retrouvent dans le mémoire que nous vous avons soumis, lequel est également disponible sur le site Web du Barreau. Nous espérons que notre présentation va contribuer à votre réflexion.
    Dans cette réflexion, nous avons relevé volontairement les parties du projet de loi que nous voudrions qu'on modifie. J'aimerais quand même préciser qu'il y a beaucoup de bonnes choses dans ce projet de loi. Cela dit, pour alimenter la réflexion et utiliser notre temps efficacement, nous avons concentré nos réflexions sur les endroits où nous croyons que des modifications devraient être apportées.
    Nous pouvons maintenant répondre à vos questions.
    Merci, monsieur le président.

  (1645)  

    Merci beaucoup.
    Votre mémoire précise clairement les parties du projet de loi que vous appuyez.
    Monsieur Cooper, vous pouvez commencer.

[Traduction]

    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins.
    Maître Grondin, vous avez parlé des enquêtes préliminaires et souligné que le pourcentage de cas exigeant des enquêtes préliminaires s'élève seulement à environ 3 %. En d'autres mots, on parle d'un aspect restreint du système de justice pénale global au chapitre du temps des tribunaux. Vous avez ensuite laissé entendre que rien n'indique que les enquêtes préliminaires font partie du problème causant l'arriéré.
    Je suis d'accord avec vous, mais convenez-vous du fait que, en limitant la portée des enquêtes préliminaires, plutôt que de réduire les retards, on pourrait en fait les augmenter? L'une des préoccupations qui ont été mentionnées, par exemple, concerne le processus de communication relativement aux requêtes présentées avant l'instruction. Comme la plupart des enquêtes préliminaires sont pratiquement éliminées, ce sont des choses qu'on fera maintenant durant le procès, et cela pourrait entraîner des délais dans le cadre des procès.

  (1650)  

[Français]

    Vous posez une très bonne question. Évidemment, nous nous sommes aussi posé cette question: s'il y a des enquêtes préliminaires dans seulement 3 % des dossiers, pourquoi ne pas les éliminer?
    Ce qu'il faut savoir, c'est que les enquêtes préliminaires ont un côté positif en ce qu'elles favorisent souvent les règlements. De plus, aucune étude empirique ne nous permet de dire que certaines mesures réduiraient ce nombre à 2 % ou à un pourcentage quelconque. Il y a vraiment un autre facteur à considérer dans cette équation. Le fait de garder les enquêtes préliminaires favorise souvent un règlement plus tôt dans le procès. À quel point est-ce le cas? Bien honnêtement, il est difficile pour nous de le dire.
    Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne les enquêtes préliminaires, nous voulions vous avertir de faire attention. Nous suggérons de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

[Traduction]

    J'aimerais vous poser une question sur la position du Barreau du Québec relativement aux éléments de preuve de routine de la police. Vous avez peut-être des choses à dire à ce sujet.

[Français]

    Monsieur le député, concernant les éléments de preuve de routine de la police, nous comprenons la volonté de faciliter le travail des policiers. Or notre comité, lorsqu'il a considéré la notion d'élément de preuve de routine de la police, était d'avis qu'elle pouvait porter à confusion quant à ce qui est demandé et ce que cela implique. Les gens qui étaient autour de la table et qui voyaient cela dans la perspective des avocats de la défense ont dit à plusieurs reprises qu'il pourrait y avoir de sempiternels débats. En effet, une personne faisant partie de la poursuite pourrait dire que c'est tout à fait routinier et qu'il n'y a aucun problème. Or c'est un accroc à la règle voulant qu'un témoin dont le témoignage repose sur ses propres documents vienne témoigner avec ses documents. Il ne suffit pas de déposer un document, car on ne peut pas contre-interroger un document.
    À notre comité, nous nous sommes dit qu'un avocat de la défense percevrait assurément les choses d'une façon différente et qu'il aurait tendance à limiter l'interprétation de ce qui constitue un élément de preuve de routine. Nous avions aussi l'impression que les tribunaux risqueraient de se demander ce qu'incluent les éléments de preuve de routine et qu'il y aurait un accroc au principe de base voulant que la personne qui a confectionné des documents soit présente pour en témoigner.
    On peut aussi s'interroger sur ce qui est conservé en tant qu'éléments de preuve de routine. Par exemple, lors d'un barrage routier où l'on fait passer un alcootest à un individu, la façon de traiter celui-ci constitue-t-il un élément de preuve de routine? Au cours de cette intervention policière, qu'est-ce qui est un élément de preuve de routine pour le policier? Celui-ci doit aller témoigner.
    Nous comprenons l'intention qui est derrière cela, à savoir faciliter le travail des policiers, qui doivent souvent se présenter en cour. On veut alléger leur tâche et rendre la justice plus efficiente. En contrepartie, cela peut comporter un risque.

[Traduction]

    Mais il me semble, Me Lévesque, qu'il s'agit d'une solution à la recherche d'un problème qui n'existe pas. Dans la mesure où la disposition créera en fait un nouvel obstacle relativement à l'exigence de demander une autorisation, quand je regarde les facteurs dont le tribunal tiendrait compte, ils comprendraient des éléments comme la nature de l’instance, la mesure dans laquelle l’élément de preuve constitue un élément essentiel ou périphérique de la question en litige, si l’élément de preuve est susceptible d’être contesté et dans quelle mesure, le droit de l’accusé à une défense pleine et entière, et ainsi de suite. Il me semble qu'il pourrait y avoir beaucoup de litiges au moment de démêler cela.

[Français]

    Cela pourrait se produire. Je me fais un peu l'avocat de l'autre partie: quelqu'un pourrait dire aussi qu'un avocat de la défense ne fera pas cela systématiquement, pour chacun des dossiers. Certaines informations de base du policier vont probablement être considérées quand même. Cependant, vous savez comme moi que seule une très petite part des dossiers génèrent un grand débat, pour ce qui est du litige, et sont susceptibles d'engorger le processus.
    Nous nous demandons aussi pourquoi on ne parle que des éléments de preuve de routine des policiers. Ne pourrait-il pas s'agir d'un comptable, par exemple, d'un expert de ce genre ou d'une personne qui est dans son domaine?
    Il nous est difficile de dire maintenant quelle vie aura cette disposition, si tant est que le Parlement décide de l'adopter et de la mettre en vigueur. Nous ne savons pas comment cela sera utilisé. Toutefois, nous nous doutons que, dans certains cas, la poursuite aura son idée sur ce qui constitue un élément de preuve de routine et la défense aura la sienne, et elles ne s'accorderont pas nécessairement.

  (1655)  

    Merci, monsieur Cooper.
    Monsieur Boissonnault, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
    Ma question est plutôt d'ordre philosophique, mais elle touche les fondements de la démocratie. Vous êtes les premiers représentants d'un barreau que nous recevons lors de cette étude. Dans votre mémoire, vous dites ceci:
[...] le Barreau du Québec accueille favorablement toute initiative législative qui a pour effet de renforcer l’indépendance des tribunaux, favoriser la discrétion judiciaire et ultimement, donner plein effet au principe de proportionnalité des peines.
     Pourquoi le Barreau du Québec considère-t-il que ces trois éléments sont très importants, voire critiques?
    Cela fait longtemps qu'il en est ainsi. C'est aussi une question constitutionnelle. Beaucoup de ces éléments sont communs au Barreau du Québec et aux autres barreaux du Canada. Il faut le savoir et le dire: notre système de justice est complexe et coûteux. Nous essayons toujours de nous améliorer à cet égard. Cependant, s'il y a quelque chose que nous faisons très bien au Canada, c'est avoir une magistrature impartiale et indépendante.
    Concernant les peines minimales, il faut donner aux juges la discrétion d'imposer une peine qui n'est pas minimale, une peine qui rend justice et qui favorise la réhabilitation de l'accusé. Ce sont les juges qui ont cette fine connaissance des dossiers. On parle de proportionnalité des peines. Les juges sont plus à même d'appliquer ce principe, car ils entendent des causes chaque jour. Ils ont une bonne expérience dans ce domaine. En général, il y a de belles statistiques à cet égard au Canada et au Québec.
    C'est très bien d'essayer d'améliorer notre système de justice, que je qualifie encore une fois de complexe et de coûteux. De beaux projets en ce sens sont entrepris un peu partout. Cela dit, s'il y a une chose que nous faisons très bien dans tout notre système de justice, c'est assurer l'indépendance et l'impartialité de la magistrature.
    C'est l'une des raisons pour lesquelles nous disons cela dans ces mots.
    Selon vous, pourquoi est-ce important pour les citoyens qu'il y ait cette indépendance des tribunaux?
    Évidemment, c'est l'un des remparts de notre démocratie. Je ne saurais jamais trop insister sur l'importance de cette impartialité, qu'on considère parfois comme acquise, mais qui ne l'est pas tout à fait à certains autres endroits, d'où l'importance de préserver cette impartialité.
    Merci. On peut même penser à la province voisine, mais passons à autre chose.
    Pourquoi est-ce important que le projet de loi abroge l'article 159 du Code criminel, qui fait de la discrimination envers les jeunes hommes en ce qui a trait au consentement des personnes de même sexe?
    Nous appuyons cette mesure, qui avait été proposée dans deux projets de loi précédents. Elle a été reprise pour des raisons d'efficacité parlementaire. C'est un article du Code criminel qui a été déclaré inconstitutionnel par plusieurs cours d'appel au Canada, dont la Cour d'appel du Québec, dans la cause Roy c. R. Effectivement, on a soulevé le caractère discriminatoire de cet article. C'est sûr que nous appuyons l'abrogation de l'article 159 du Code criminel.
    C'est parfait. Selon le Barreau du Québec, c'est donc une question d'égalité qu'il faut soulever dans le projet de loi.
    Oui. Comme les tribunaux l'ont soulevé, cet article pose un problème de discrimination envers les hommes homosexuels.
    C'est parfait.
    En ce qui concerne les infractions mixtes, vous y êtes favorables. Pouvez-vous nous dire pourquoi les nouvelles infractions mixtes sont avantageuses pour les personnes devant les tribunaux?
    L'élargissement du champ des infractions mixtes donne plus de flexibilité aux intervenants de la justice de première ligne, notamment aux procureurs de la Couronne.
    Pour un procureur aux poursuites, les nouvelles infractions mixtes offrent certaines possibilités. Supposons qu'une infraction soit traitée à titre d'acte criminel, mais que l'avocat de la défense soit prêt à ce que son client plaide coupable si cela devenait une infraction mixte. Si les faits s’y prêtent, cela donne une flexibilité. Évidemment, on ne parle pas ici de faits très graves pour lesquels l’accusé mériterait une lourde peine d'emprisonnement. Si les faits s'y prêtent, la personne peut renoncer au délai de prescription et le procureur accepte alors que ce soit une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. À ce moment, on va devant le juge et on trouve un terrain d'entente quant à la peine à suggérer au tribunal. Cela permet de désengorger le système, tout en sauvegardant l'intérêt public.
    En somme, le Barreau est en faveur de toutes les mesures qui permettent de donner de la souplesse aux intervenants de première ligne.

  (1700)  

    Les infractions mixtes permettent donc d'être plus juste et de traiter plus d'infractions.
    Tout à fait.
    C'est le rôle du Parlement du Canada de définir le droit criminel, mais il ne peut pas prévoir tous les cas de figure qui peuvent survenir lors de son application. Il appartient donc aux intervenants de la justice, qui relèvent de la responsabilité des provinces, d'essayer de l'appliquer le plus justement du monde.
    Je vais faire une analogie qui est souvent évoquée. En matière de peines ou d'infractions, il faut être le plus juste possible. Il faut que ce soit taillé sur mesure le plus possible. Il y a aussi des particularités locales. Dans les régions éloignées en particulier, les juges finissent par connaître les gens qui se présentent devant eux. Plus on donne d'outils aux intervenants de première ligne, ce qui comprend les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense, les agents de probation et les policiers, plus on aide les juges à faire en sorte que la société soit plus juste.

[Traduction]

    Ainsi, l'offre de défenses hybrides permet non seulement une détermination de peines plus exacte, mais aussi des accusations d'infractions plus exactes. Le retrait de l'article 159 est une mesure pour l'égalité. Le fait d'assurer l'indépendance de l'organe judiciaire est fondamental pour la démocratie, puis nous pourrons tout amener au XXIe siècle grâce à la vidéoconférence.

[Français]

    Pourquoi est-il important d'avoir recours à la vidéoconférence?
    C'est important, évidemment. C'est même une question de justice territoriale ou régionale. Tous ces éléments sont très importants. Bien sûr, si nous étions en 1950, nous n'aurions peut-être pas cette discussion, mais maintenant la technologie le permet. Je réponds donc oui à votre question en général. Il est important que certaines auditions se fassent encore en personne, mais je dis oui à la vidéoconférence en général.
    Merci, messieurs.
    Merci, monsieur Boissonnault.
    Monsieur Rankin, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Messieurs les représentants du Barreau du Québec, je vous souhaite la bienvenue et vous félicite pour votre mémoire, qui est très utile au Comité. Je vous dis bravo et merci.
    J'ai deux questions.
    La première concerne la suppression de l'enquête préliminaire. À la page 6 de votre mémoire, vous dites ceci:
En outre, le Barreau du Québec propose, à titre de mesure additionnelle, d'ajouter au Code criminel la possibilité de remplacer, avec le consentement de l'accusé, la tenue d'une enquête préliminaire par des interrogatoires hors cour. Des projets pilotes en ce sens ont été mis en place dans plusieurs districts judiciaires du Québec et ont fait leurs preuves.
    Quels sont les résultats de ces projets pilotes? Est-il vrai qu'ils permettent à la fois de gagner du temps et de sauvegarder les droits de l'accusé?
    Voici comment cela fonctionne. L'accusé va accepter d'être cité automatiquement à procès, donc de ne pas faire l'objet d'une enquête préliminaire, puis on va tenir des interrogatoires hors cour. C'est bien important de noter que ces interrogatoires sont faits dans des locaux autres que ceux du palais de justice, donc hors de la présence de l'accusé. Quand le dossier s'y prête et quand il s'agit d'un dossier avec une preuve testimoniale, on peut recueillir un témoignage qui pourra être utilisé au procès. Cela permet souvent de réduire les délais et de mieux préparer le dossier.
    Étant donné que ces projets pilotes sont en cours, on n'a pas encore fait le bilan ni compilé de données statistiques sur le traitement des dossiers afin de savoir combien ont été réglés. Dans les districts où cela s'applique, nos membres trouvent que c'est une excellente idée et que c'est une bonne avenue pour remplacer ou, à tout le moins, compléter l'enquête préliminaire.
    Merci.
    Ma deuxième question concerne la page 8, où il est question de la définition de « partenaire intime ». On dit ce qui suit:
Nous croyons que des campagnes de sensibilisation et d'information doivent continuer à être mises sur pied, afin d'informer les victimes de violences conjugales des ressources qui existent pour les aider. Les ressources communautaires, en retour, devraient inciter les victimes à dénoncer leur agresseur à la police. Enfin, pour prévenir les gestes ou du moins la récidive, on doit également se pencher sur le développement de ressources pour les personnes ayant de la difficulté à gérer leur agressivité. La violence conjugale, à titre de problématique sociétale, devrait être l'affaire de tous.
    Je suis d'accord là-dessus.
    Quelles sont les ressources auxquelles vous pensez? S'agit-il de mesures préventives? Si oui, relèvent-elles du fédéral ou de l'administration de la justice provinciale?

  (1705)  

    Nous le mentionnons dans le mémoire. Par le passé, nous avons déjà participé à des auditions pour le Plan d'action gouvernemental en matière de violence conjugale 2018-2023, qui est un projet d'initiative provinciale.
    La violence conjugale ou la violence familiale dans un sens plus large doit être l'affaire de tous, tant au palier provincial ou territorial qu'au palier fédéral.
    Dans le respect des compétences constitutionnelles, chaque ordre de gouvernement devrait prendre des mesures pour faciliter cela. Il peut s'agir autant de financement à des groupes que de mesures plus structurantes, par exemple le projet de loi C-78, qui modifie la Loi sur le divorce et qui contient tout un volet sur la violence familiale. C'est une mesure du gouvernement fédéral dans un autre domaine de droit que le droit criminel, mais il reste que le fédéral a certainement sa place avec les provinces et les territoires.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Rankin.
    Nous passons maintenant à M. Fraser.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous tous de votre présence aujourd'hui et de votre mémoire, qui est très utile au Comité.
    J'ai lu dans votre mémoire que vous étiez en faveur de la reclassification de certaines infractions. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les procureurs vont choisir de procéder par voie sommaire? Pourquoi est-il utile aux procureurs d'avoir cette option? J'espère que vous serez d'accord pour dire que cela réduira les retards dans notre système actuel. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet?
    Je vais revenir à ce que je disais tantôt. Supposons qu'un procureur se retrouve dans une situation où des accusations par acte criminel ont été portées et que le délai de six mois a été dépassé. On pourrait également penser à un cas où le délai n'est pas dépassé, mais où il s'agit d'une infraction pour laquelle la seule option était auparavant une accusation par acte criminel. Si l'on procède par acte criminel, la procédure n'est pas la même. Cela implique que, si l'accusé décide qu'il veut voir sa cause être entendue en cour supérieure, elle va l'être. Or dans les régions, ce n'est pas tous les jours que la cour supérieure entend des causes en matière criminelle. En ayant la possibilité de procéder par voie sommaire ou par acte criminel, le procureur peut décider, bien que l'infraction soit un acte criminel objectivement grave, de confier la cause à la cour provinciale si les faits s'y prêtent.
    En outre, comme je le disais tantôt, il est possible de revenir à l’autre option. Si les délais sont dépassés, l'avocat de la défense peut renoncer au délai de prescription, en échange de quoi on revient à la voie sommaire, pour donner compétence au juge de la cour provinciale. Cela constitue une autre possibilité.
    En faisant cela, on donne un outil supplémentaire au procureur de la Couronne, qui peut moduler le type d'accusation en fonction des faits. Lorsqu'il dispose de ce pouvoir discrétionnaire, il peut porter une accusation soit par acte criminel, soit par voie sommaire. Quand c'est par juridiction absolue à la cour supérieure, ce pouvoir discrétionnaire est un peu limité.
    Pensez-vous qu'il va y avoir des répercussions sur les peines, même si les faits et les principes du Code criminel sur lesquels on s'appuie pour imposer des peines demeurent les mêmes? Pensez-vous qu'il va y avoir des changements? Certaines personnes disent que, pour les mêmes faits, les peines seront inférieures. Croyez-vous que cela est vraiment un aspect préoccupant?

  (1710)  

    Me Le Grand Alary pourra ajouter ses commentaire à ce sujet, mais je dirais pour ma part que, si les faits et les principes de base quant aux facteurs aggravants et aux facteurs atténuants sont les mêmes, les peines resteront les mêmes. En matière de peines, il est évident que le juge de la cour supérieure a plus de pouvoir que celui de la cour provinciale. Cela dit, si le procureur est convaincu que le juge de la cour provinciale a le pouvoir d’imposer des sanctions suffisantes et qu’il utilise son pouvoir discrétionnaire pour que la cause soit traitée par voie sommaire, je ne pense pas que cela change grand-chose aux peines. Par contre, le processus qui mènera à la peine sera différent.
    Merci.
    Avez-vous une opinion sur le problème que cause l'une des modifications ou sur les répercussions que subiront les étudiants et les stagiaires en droit ainsi que les parajuristes, à qui il ne sera pas permis de représenter des clients accusés d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire?
    Croyez-vous que nous pouvons faire quelque chose pour traiter ce problème?
    C'est une très bonne question.
    Puisque la question des étudiants, des parajuristes et des représentations concerne surtout d'autres provinces, principalement l'Ontario, le Barreau du Québec a préféré ne pas commenter cela.
    Je ne sais pas si Me Le Grand Alary aimerait dire quelque chose.
    Je veux simplement préciser que nous avons été mis au courant de ce problème en suivant l'évolution du projet de loi. Par contre, cela ne touche pas le Québec, étant donné la nature de la profession juridique et la façon dont nous sommes organisés. C'est pourquoi nous ne nous sommes pas penchés sur cette question.
    Il n'y a pas de parajuristes titulaires d'un permis au Québec; cela n'existe pas.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    D'autres collègues aimeraient-ils poser des questions?
    Commençons par M. Deltell.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Messieurs du Barreau du Québec, soyez les bienvenus à votre Chambre des communes. C'est très agréable de vous rencontrer. Il trouve cela fort intéressant. Je suis très heureux de remplacer le député de Parry Sound—Muskoka. Je me ferai un plaisir de le remplacer n'importe quand. C'est vraiment intéressant.
    Il y a deux points que je veux aborder avec vous: je parlerai de la question des peines minimales, mais tout d'abord de la diversité canadienne.
    Il va de soi que nous sommes en faveur du principe de la diversité canadienne, mais il reste à savoir comment l'appliquer. Que suggérez-vous? Est-ce qu'on applique la statistique sur la diversité canadienne partout au Canada ou par district?
     Selon Statistique Canada, un peu plus de 20 % des Canadiens sont nés ailleurs qu'au Canada, mais à Toronto, ce pourcentage est supérieur à 50 %.
     Doit-on refléter la réalité locale, provinciale ou nationale?
    C'est une très bonne question, monsieur Deltell.
    Dans notre mémoire, nous suggérons de laisser cela à la discrétion du juge du procès. C'est lui qui est le mieux placé pour connaître la réalité canadienne, certainement, mais aussi la réalité locale. C'est au juge du procès de prendre cette décision. Nous n'avons pas de propositions quant à la directive elle-même. Si nous nous étions aventurés là-dedans, nous nous serions dirigés vers des eaux un peu troubles, bien honnêtement.
    S'il n'y a pas de diversité représentative ou si des parties agissent de mauvaise foi en utilisant la récusation péremptoire pour écarter une catégorie donnée de Canadiens, nous aimerions qu'une partie puisse demander au juge de donner des directives afin qu'il y ait une plus grande diversité dans le jury.
    J'aimerais ajouter que cette règle doit quand même faire preuve de souplesse. Par exemple, on pourrait décider de refléter la diversité propre au district ou à la communauté locale, mais le lieu du procès ne serait peut-être pas là où l'infraction aurait été commise ou d'où proviendrait l'accusé. Par conséquent, il faut qu'il y ait une marge de manoeuvre.
    L'objectif est davantage de refléter la diversité dans des circonstances où il y a carrément de la mauvaise foi ou un manque de diversité dans le lieu en question. Il s'agit davantage de permettre à un juge de régler le problème en tenant une audition et en nommant un ou deux jurés issus de la diversité, que de procéder simplement en fonction de tableaux et de statistiques. Cela réglerait davantage le problème soulevé.
    Selon vous, cela devrait-il être établi en fonction de l'identité de la personne accusée?

  (1715)  

    C'est probablement ce qu'on essaie d'éviter, dans un certain sens. On essaie d'éviter qu'une question de diversité avantage ou défavorise l'une ou l'autre des parties. Il faut garder à l'esprit que les jurés, peu importe leur origine, peuvent certainement être de bonne foi, entendons-nous.
    Ce sont des questions difficiles, monsieur Deltell, et nous le concevons aisément. C'est pour cela que nous souhaitons nous en remettre au juge qui préside le procès.
    Je comprends très bien votre prudence. Comme vous l'avez dit, on est en eaux troubles; on sait très bien de quoi on parle.
    Vous laissez aux juges la liberté d'agir, mais les juges n'ont-ils pas déjà cette liberté d'agir? Donc, qu'est-ce que cela change?
    Maître Lévesque, corrigez-moi si je me trompe, mais l'accusé peut déjà faire une telle requête au juge, si la poursuite utilise la récusation péremptoire pour exclure une certaine communauté ou catégorie de Canadiens, comme Me Grondin l'a mentionné. Nous proposons essentiellement d'étendre ce mécanisme aux deux parties, dépendamment des circonstances. Cela ratisse plus large que si l'on ne tient compte que de la situation et de l'origine de l'accusé ou de la victime ou d'autres circonstances.
    J'en comprends que vous laissez aux juges toute la liberté nécessaire afin d'orienter le choix des jurés, tout en disant respecter la diversité canadienne.
    Habituellement, il y a une réserve du juge sur ces questions. Les gens utilisent la récusation. Cette question ne se poserait pas tout le temps, mais s'il le fallait, on demanderait au juge d'utiliser sa discrétion.
    Supposons qu'un accusé fasse partie d'un groupe racisé et que, parmi les 12 jurés, aucun ne vienne de cette communauté ou que, au contraire, ils viennent tous de cette communauté. Qui aurait raison?
    C'est une bonne question, monsieur Deltell.
    À ce sujet, je le dis ouvertement, vous allez me permettre de botter en touche. Ce sont effectivement des questions auxquelles il est difficile de répondre. C'est pour cela que nous demandons que l'une ou l'autre des deux parties puisse demander au juge de prendre en compte cette diversité et de prendre une décision. C'est vraiment difficile pour nous d'utiliser un cas type, et c'est volontairement que nous ne le faisons pas.
    Avant d'en arriver là, il y a un processus de sélection des jurés. Selon notre suggestion, si, après le sixième ou le septième juré, on s'aperçoit qu'on va se retrouver avec un jury qui ne sera pas représentatif de la communauté ou d'une composante du dossier, l'une ou l'autre des parties devrait pouvoir signaler au juge que la composition du jury s'en va dans une certaine direction et lui demander d'orienter le jury quant à la sélection des deux, trois ou quatre derniers candidats, par exemple, pour s'assurer qu'il y a quelqu'un qui représente cette partie de la communauté.
    Un juré n'arrive pas comme cela...
    Je suis désolé, mais je dois maintenant donner la parole à M. Rankin.
    J'ai une brève question.
    Je veux parler encore une fois de la suppression de l'enquête préliminaire.
    À la page 6 de votre mémoire, vous en arrivez à la conclusion suivante:
Aucune donnée probante, outre des événements anecdotiques, ne nous permet de conclure que les enquêtes préliminaires sont génératrices de délais indus sur le système judiciaire ni de la nécessité de modifier les règles actuelles les entourant.
    Puis-je en conclure que le Barreau du Québec s'oppose aux modifications proposées à cet égard dans le projet de loi et n'appuie pas les modifications visant la suppression de l'enquête préliminaire? Si c'est vrai, pouvez-vous développer votre pensée à ce sujet?
    La réponse facile est oui. C'est ce que nous disons dans le mémoire. Cela dit, nous proposons une solution. C'est bien beau de mettre en évidence ce qui, selon nous, pourrait être changé, mais il faut aussi proposer une solution. C'est ce que nous avons expliqué tantôt.
    En ce moment, il y a plusieurs projets pilotes au Québec où, lorsqu'un accusé accepte d'être cité à procès, des interrogatoires sont tenus au préalable pour tester la preuve et la crédibilité, entre autres choses. Nous suggérons cette modification et nous aurons bientôt des données statistiques là-dessus.
    Seulement 3 % des dossiers admissibles ont fait l'objet d'une enquête préliminaire. Dans les arrêts où les délais ont dépassé ceux prévus dans l'arrêt Jordan, il y a eu une enquête préliminaire dans seulement 7 % des dossiers. Nous ne voulons pas dire que le problème est plus gros qu'il ne l'est réellement, d'autant plus que les enquêtes préliminaires permettent de réduire certains délais dans les cas où il y a un plaidoyer de culpabilité par la suite, un retrait des accusations ou quoi que ce soit d'autre. Il y a une raison aux enquêtes préliminaires. Cependant, on ne sait pas non plus jusqu'à quel point cela améliore le système. Il faut donc faire attention.

  (1720)  

    Historiquement, l'objectif de l'enquête préliminaire était la communication de la preuve, mais maintenant, compte tenu des règles de communication de la preuve élaborées par la Cour suprême du Canada, cela n'a plus cette importance. L'enquête préliminaire en revêt par contre une autre, comme l'a mentionné le bâtonnier, qui est d'encourager les plaidoyers de culpabilité.
    L'enquête préliminaire avait sa raison d'être, et cette raison historique n'existe peut-être plus, mais il y a d'autres raisons de la maintenir.
    D'accord, merci.
    Merci beaucoup, monsieur Rankin.
    J'ai une question qui fait suite à celle de M. Deltell sur les récusations péremptoires.
    Des gens du ministère de la Justice nous ont dit que cela pourrait être utilisé de manière discriminatoire et qu'on avait supprimé le recours à la récusation péremptoire au Royaume-Uni, par exemple. Quoi qu'il en soit, je suis certain que, encore aujourd'hui, on pourrait refuser un juré pour un motif valable.
    Quelles sont les raisons pour lesquelles on pourrait refuser un juré, outre les motifs valables? Quels moyens un avocat de la défense ou un procureur pourrait-il utiliser, s'il n'avait pas de raisons précises, pour refuser un juré? Pourquoi est-ce important de garder cela?
    Grâce à son expérience et à son instinct, un plaideur peut ne pas vouloir d'un certain candidat juré, sans toutefois pouvoir mettre le doigt sur le problème ou être capable d'expliquer au juge pourquoi. C'est parfois quelque chose dans le langage non verbal de la personne ou sa façon de répondre ou de se comporter qui lui indique qu'elle n'aura pas la capacité d'écoute nécessaire pour le procès devant jury vers lequel on se dirige. C'est la raison pour laquelle on utilise la récusation péremptoire.
    Il peut arriver que, par la suite, on réussisse à mettre le doigt sur la raison pour laquelle on a utilisé la récusation péremptoire. Cela dit, la sélection des jurés se fait souvent rapidement, et c'est un peu pour cette raison que la récusation péremptoire est utile aux plaideurs, surtout à ceux qui ne font que des procès devant jury.
    Je ne sais pas si vous la regardez en français, mais il y a une nouvelle émission de télévision, Bull, dans laquelle une personne est responsable d'un groupe qui sélectionne des jurés. Dans cette émission, il y a cette perception selon laquelle certaines personnes ne seront pas sympathiques à la cause, par exemple les femmes ou encore ceux qui n'aiment pas la couleur rouge, et on ne veut pas de ces personnes dans le jury.
    De telles raisons existent-elles vraiment, dans la pratique, ou les avocats de la défense donnent-ils des raisons beaucoup plus étroites et pures pour refuser des jurés?
    Les États-Unis sont très avancés quant à l'étude des candidats jurés. Au Canada, nous n'en sommes pas là. Le droit que nous présente la culture populaire vient souvent des États-Unis. Il y a une nuance à faire pour ce qui est du Canada.
    On peut penser que les gens d'une certaine tranche d'âge seront moins réceptifs à un genre particulier de causes, par exemple, mais c'est souvent une question d'instinct. C'est une décision qui se prend rapidement. Il n'y a pas de fine analyse ou d'étude sociologique en provenance du département de sociologie d'une université qui déterminera qu'un candidat donné sera plus réceptif. Non. Habituellement, le plaideur écoute son instinct.
    Prenons l'exemple d'une personne qui dit au juge qu'elle peut sans problème s'acquitter de cette tâche, mais qui regarde ses pieds, s'exprime à voix très basse et est très renfrognée. Cette personne ne veut peut-être pas être là, en réalité.
    À propos de l’émission dont vous parlez, je préciserais que bon nombre des exemples qui sont donnés sont inspirés de ce qui se fait dans les procès civils aux États-Unis. Au Québec et au Canada, il y a très peu de jurés en matière civile et, en matière criminelle, des directives encadrent tout de même assez bien les jurés, donc cette logique s'applique peut-être un peu moins. On pourrait résumer la chose en disant que c'est en bonne partie l'instinct du procureur ou de l'avocat qui est déterminant. Me Lévesque parlait d'une personne qui regarde ses pieds lorsqu'elle parle. Il s'agit de situations de ce genre.
    En ce qui concerne les récusations péremptoires, le procès devant jury est peut-être un processus imparfait. Ce sont des non-juristes qui doivent statuer sur le fond d'un litige, sur une accusation qui peut mettre en jeu la liberté d'une personne, de là l'importance de s'assurer que l'accusé et la société acceptent la légitimité du jury et du verdict ultime.

  (1725)  

    Pour plus de clarté, je dirai que les émissions ou les séries gravitant autour des avocats, notamment la série Suits, représentent très rarement la réalité de cette pratique. Je comprends que vous tiriez votre exemple d'une émission de ce genre, mais il reste que nous devons souvent nous battre contre ce qui est véhiculé par les arts et la littérature.
    Je vous remercie de la question, monsieur le député.
    Je voulais simplement soulever cette question parce qu'à mon avis, les gens ont une mauvaise impression des récusations péremptoires à cause de cela.
    Je vous remercie tous. C'était fort intéressant. Je crois que nous étions tous très contents de lire votre mémoire et d'écouter vos témoignages.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup à vous.

[Traduction]

    Je vais faire une courte pause pendant que nous demandons au prochain groupe de témoins de s'avancer.

  (1725)  


  (1730)  

    Nous allons reprendre notre séance sur le projet de loi C-75.
    Nous allons maintenant passer à Acumen Law Corporation — notre prochain témoin —, représentée par M. Paul Doroshenko et Mme Kyla Lee. L'Association canadienne des libertés civiles est représentée par Mme Abby Deshman, directrice du Programme de justice criminelle.
    Bienvenue, tout le monde.
    Je sais que des témoins de ce groupe pourraient avoir un avion à prendre après la séance, alors je veux que nous commencions le plus tôt possible. Je vais céder la parole à Acumen Law.
    Bonjour. Merci beaucoup de nous permettre de témoigner au sein de ce groupe. Je m'appelle Paul Doroshenko. Je suis avocat de la défense en droit pénal, à Vancouver. Kyla Lee est ma collègue et probablement l'avocate en matière de conduite avec facultés affaiblies la plus occupée de la Colombie-Britannique, et elle dirige la Canadian Impaired Driving Lawyers Association.
    Nous sommes bien placés pour parler de trois choses aujourd'hui, et nous voudrions présenter des données probantes à leur sujet. La première, c'est le changement lié au fardeau de la preuve relativement à la remise en liberté provisoire dans le cas des personnes qui sont accusées de voies de fait contre un membre de la famille. La deuxième, c'est la modification de la prescription pour déposer une accusation en ce qui a trait aux infractions sommaires, laquelle passera de six mois à un an. La troisième, qui — comme nous l'avons déjà entendu dire — est très litigieuse, c'est la question des agents de police qui fournissent des éléments de preuve au moyen d'affidavits. À nos yeux, cette disposition pose un problème important, car, si on l'examine, en ce qui nous concerne, il semble que les policiers peuvent essentiellement présenter l'ensemble de leurs moyens par affidavit.
    Si vous jetez un coup d'œil à la disposition qui a déjà été mentionnée — les éléments de preuve de routine présentés par la police —, elle contient une définition de ce terme, laquelle est censée orienter les juges ainsi que, je suppose, les procureurs et les avocats de la défense en ce qui concerne ces demandes et la présentation des éléments de preuve au moyen d'affidavits. Si vous regardez la liste, de ce qui constitue des éléments de preuve de routine présentés par la police, qui y figure, il s'agit de l'ensemble d'une enquête policière: la collecte des éléments de preuve et les observations des agents de police. Ce sont des activités qui ont lieu dans le cadre de la plupart des enquêtes sur des infractions sommaires. Si on s'occupe, par exemple, d'une affaire de conduite avec facultés affaiblies, le fait pour un agent de police d'intercepter la personne et d'exiger un alcootest au moyen d'un ADA constitue un élément de preuve de routine présenté par la police. C'est aussi le cas lorsque la personne interceptée échoue à l'alcootest routier par analyse d'haleine au moyen d'un ADA, tout comme la formulation d'observations d'éléments de preuve concernant l'état d'une personne, comme si elle a la langue empâtée. Toutes ces situations sont des éléments de preuve de routine présentés par la police.
    Je crains particulièrement que la présentation d'éléments de preuve de cette manière n'entraîne des poursuites injustifiées, plus particulièrement dans les cas où les accusés se représentent par eux-mêmes et ne connaissent pas toute la procédure consistant à présenter une demande aux tribunaux afin de s'opposer à celle de la Couronne qui souhaite se fonder sur des éléments de preuve présentés au moyen d'un affidavit. Du point de vue d'un avocat de la défense, évidemment, c'est quelque chose que nous allons contester, mais, depuis que j'ai lu l'article en question, je tente de me rappeler une seule affaire dans ma carrière — et elle s'étend sur 18 ou 19 années — dans laquelle un agent de police a témoigné lors d'un procès et où je n'avais aucune question à lui poser sur le fondement de son témoignage. J'essaie d'imaginer une affaire dans laquelle les éléments de preuve de routine seront présentés par la police dans des circonstances qui ne seront aucunement litigieuses ou sur lesquelles je ne fonderai pas, d'une manière ou d'une autre, les arguments que je voudrais utiliser pour la défense de mon client.
    En réalité, le problème se résume — il s'agit de l'un des problèmes fondamentaux que pose l'article — au fait que nous devons présenter le plaidoyer de notre client au tribunal. Nous devons présenter notre version des événements aux témoins qui comparaissent devant le tribunal. Alors, si la Couronne arrive et procède ainsi, au moyen de cet affidavit seulement, comment pouvons-nous donner notre version des événements à la personne en question? Comment le juge peut-il faire une constatation des faits? Comment peut-il évaluer la crédibilité des éléments de preuve dans les situations où tout ce dont il disposera est un affidavit provenant d'un agent de police? Eh bien, il pourra procéder de deux façons différentes. En tant que juge, il pourra se contenter d'accepter tout ce que les agents de police ont mis dans l'affidavit, et je peux vous affirmer que je ne pense pas que cela va se produire. L'autre possibilité est qu'il dira tout simplement: « eh bien, d'accord, une autre personne affirme que quelque chose n'a pas eu lieu de cette manière ». L'agent de police ne s'est pas présenté pour témoigner. Il n'y a eu aucun contre-interrogatoire ni aucune vérification de ces éléments de preuve, alors, au bout du compte, il admettra seulement le témoignage qu'il aura entendu des personnes qui contredisent ce qu'aura présenté l'agent de police dans l'affidavit.
    Ce sont des situations que nous avons déjà observées en Colombie-Britannique dans le cas du régime d'interdiction immédiate en bordure de la route, et c'est quelque chose dont Mme Lee s'occupe tout le temps.
    Voulez-vous prendre la parole?

  (1735)  

    En Colombie-Britannique, nous avons constaté l'érosion du contre-interrogatoire dans le cadre de notre régime d'interdiction immédiate en bordure de la route. Je me suis occupée personnellement d'affaires portées devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique; à deux occasions, le témoignage de la police présenté au moyen d'un affidavit — par ce mécanisme —a amené une instance supérieure à conclure qu'un agent avait, soit présenté des éléments de preuve manifestement fallacieux, soit commis un parjure évident... Fait intéressant: il s'agissait du même agent dans les deux cas.
    J'ai également eu la possibilité de contre-interroger des agents en dehors du contexte de l'interdiction immédiate en bordure de la route au sujet de l'affidavit d'éléments de preuve qu'ils avaient présenté dans des affaires d'interdiction immédiate en bordure de la route; il s'agissait d'accusations collatérales à l'interdiction immédiate en bordure de la route, notamment des affaires de « conduite en situation d'interdiction ». Dans ces affaires, une fois confrontés à des choses qui constitueraient des éléments de preuve manifestement fallacieux et à l'apparence d'un parjure dans les éléments de preuve présentés par la police, les témoins policiers se sont rendu compte de l'erreur qu'ils avaient commise grâce à mon contre-interrogatoire, et des changements radicaux ont été apportés à la pratique policière liée à la présentation d'éléments de preuve au moyen d'affidavits en conséquence du contre-interrogatoire qui avait eu lieu. Si on élimine le contre-interrogatoire, on empêche les policiers d'apprendre que leur façon de faire ne répond pas à la norme de véracité qu'on exige d'eux.
    Dans notre mémoire — et je comprends que le Comité ne l'a reçu que cet après-midi et que vous êtes probablement nombreux à ne pas avoir eu la possibilité...
    Madame Lee, puis-je vous demander de ralentir un peu? Les interprètes ont de la difficulté.
    Oui. Je m'excuse.
    Mme Lee tient ces audiences par téléphone. Elles durent 30 minutes, et elle doit parler très rapidement.
    Bien sûr.
    Des voix: Oh, oh!
    Elle s'est essentiellement habituée à plaider sa cause très rapidement. Nous devons tous deux faire cela.
    J'ai inclus dans notre mémoire une citation de l'arrêt Innisfil Township c. Vespra Township de la Cour suprême du Canada au sujet de l'importance des contre-interrogatoires. Elle figure à la page 9 de notre mémoire.
    Il est question du fait que « le système contradictoire, fondé sur le contre-interrogatoire et le droit de réfuter la preuve apportée par la partie adverse, au civil et au criminel, est la structure procédurale autour de laquelle la common law elle-même s’est édifiée ». La Cour poursuit en affirmant ce qui suit: « Depuis deux siècles, il est de règle, dans le système anglo-américain de preuve, de considérer l’obligation d’éprouver une déposition par contre-interrogatoire comme un élément essentiel du droit. » Cela doit rester une fonction essentielle de notre système judiciaire.
    Le mécanisme proposé dans le projet de loi C-75 pour traiter des témoignages de la police présentés au moyen d'un affidavit n'établit même pas un système qui permettra de déterminer si un contre-interrogatoire est nécessaire. Il énonce les facteurs à prendre en considération, mais n'impose aucun délai relativement aux avis et ne précise pas si ces avis arriveront le jour du procès, le jour qui le précède, s'il faudra y répondre, ni quand les contre-interrogatoires demandés seront instruits. De la demande de qui est-il question? S'agit-il de la demande de la Couronne voulant que l'agent ne témoigne pas, ou bien celle de la défense voulant qu'il témoigne? Rien de cela n'est précisé. Si la capacité, le droit, de procéder à un contre-interrogatoire dans le cadre d'un procès criminel doit être accordé, il faudra au moins que des lignes directrices claires soient établies dans le projet de loi pour les situations où cela pourra être évité afin que les avocats de la défense sachent ce qui se passe.
    Le dernier argument que je formulerai très brièvement concerne le renversement du fardeau de la preuve dans le cas des enquêtes sur le cautionnement relatives à des voies de fait contre un membre de la famille. Je pense que le projet de loi néglige les conséquences que cette disposition aura sur les familles, et pas seulement parce qu'elle séparera des gens de leurs enfants, et les conséquences négatives qu'elle aura sur ces relations familiales. Il néglige également les répercussions sur le signalement des cas de violence familiale. Nous avons observé des situations semblables aux États-Unis, lors d'incidents mentionnés dans le mémoire, où l'incarcération de délinquants familiaux a entraîné une réduction du nombre de signalements, parce que les gens craignaient de perdre la principale source de revenus ou bien la mère ou le père de leurs enfants en conséquence de l'incarcération. Les conséquences sur les familles ne sauraient être minimisées.
     Mon collègue et moi-même répondrons avec plaisir à toute question que nous poseront les membres du Comité.

  (1740)  

    Merci beaucoup.
    Passons à l'Association canadienne des libertés civiles.
    Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant Le Comité aujourd'hui. Il s'agit d'un projet de loi volumineux, c'est pourquoi, pour économiser du temps, je ne vais pas me présenter, ni présenter mon organisation.
    Nous appuyons les objectifs du projet de loi C-75 et saluons le fait que le gouvernement a pris des mesures pour régler bon nombre de problèmes touchant le système de justice qui font qu'une réforme s'impose. Nous nous réjouissons en particulier de l'attention portée au nombre astronomique d'affaires relatives aux infractions contre l'administration de la justice portées devant nos tribunaux de juridiction criminelle; au système de cautionnement, fondé sur une trop grande prudence à l'égard des risques et qui entraîne la détention d'un trop grand nombre de personnes et trop de mises en liberté assorties de conditions trop restrictives; à la discrimination fondée sur la race touchant le système de jurés; et à la grande iniquité qu'entraîne l'imposition obligatoire d'une suramende compensatoire. Nous sommes d'avis qu'une réforme touchant, entre autres, un grand nombre de ces aspects s'impose depuis longtemps.
    Aujourd'hui, mon exposé portera sur le cautionnement et les infractions contre l'administration de la justice, car je crois que ces points ne seront peut-être pas beaucoup abordés par d'autres témoins. Nous appuyons l'objectif de ces modifications, mais nous sommes d'avis qu'elles ne suffisent pas. Un grand nombre des modifications proposées codifient des lois en vigueur. Les avocats, les juges et les juges de paix doivent connaître ces lois. Il est utile d'inscrire des précisions dans un texte législatif, mais pour modifier de façon véritable notre système de cautionnement et son fonctionnement, nous croyons qu'il est nécessaire d'appliquer des réformes plus fondamentales. Je vais en présenter un certain nombre dans les propositions.
    Toutefois, je souhaite d'abord souligner trois aspects touchés par ce projet de loi qui nous causent d'importantes préoccupations: le traitement réservé aux éléments de preuve présentés par la police, la nouvelle peine maximale proposée pour les infractions punissables par procédure sommaire et les limites quant au recours aux enquêtes préliminaires. Je serai brève, mais c'est avec plaisir que je répondrai à des questions sur ces sujets.
    Premièrement, nous sommes d'avis que les articles 278 et 294, qui contiennent les dispositions relatives à l'admissibilité d'éléments de preuve présentés par la police, sont, pour le moins, superflus. Le Code criminel contient déjà des dispositions permettant de présenter des déclarations de fait devant les tribunaux. Ces articles sont, au pire, une grave atteinte à la présomption d'innocence et au droit à un procès équitable. Ils devraient être entièrement supprimés.
    Deuxièmement, en ce qui concerne le fait de faire passer la peine maximale pour les infractions punissables par procédure sommaire de six mois à deux ans moins un jour, je ne crois pas que l'intention du législateur était d'augmenter la sévérité des peines imposables au titre du Code criminel. Nous sommes très préoccupés par le fait que ce serait là l'incidence collatérale de cette modification. Il y a des conséquences importantes dans le domaine de l'immigration du fait d'augmenter les peines maximales. En raison de la définition de « grande criminalité » énoncée dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, cette modification aurait pour effet d'accroître considérablement les risques juridiques pour les personnes trouvées coupables d'infractions punissables par procédure sommaire. Cela signifie aussi qu'un nouveau groupe de personnes pourraient être interdites de territoire aux États-Unis uniquement en raison de la peine maximale dont ils seraient passibles. Nous sommes d'avis qu'on ne devrait pas adopter ces modifications relatives aux peines sans apporter des modifications connexes du moins à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
    Pour terminer, nous avons examiné des rapports dont les conclusions favorisent la suppression des enquêtes préliminaires, et, selon nous, les avis divergent à ce sujet. Certains soutiennent que ce changement aura des incidences. Selon l'étude universitaire la plus récente, la suppression des enquêtes préliminaires n'aurait aucune incidence sur l'efficience du système de justice pénale. Nous avons entendu nos experts parmi les avocats de la défense et l'exposé présenté par la Criminal Lawyers Association. Nous sommes préoccupés par les incidences sur le nombre de condamnations injustifiées et d'échec de procès en raison de la suppression de cette étape du système judiciaire. Les enquêtes préliminaires se déroulent de façon différente d'une province à l'autre, donc les effets varieront en fonction du lieu de pratique. Nous ne croyons tout simplement pas que les preuves à l'appui des avantages apportés par cette modification l'emportent sur le risque touchant le processus judiciaire.
    Cela dit, je vais utiliser le reste du temps qui m'est alloué pour aborder l'aspect du cautionnement et des infractions contre l'administration de la justice. Nous proposons huit amendements distincts — je vais passer brièvement sur certains d'entre eux — qui, selon nous, auront un effet plus global pour rétablir l'équité, le respect de la présomption d'innocence et l'imposition de cautionnements raisonnables au Canada.
    Tout d'abord, nous recommandons avec insistance une plus grande harmonisation du texte contenu dans ce projet de loi. Les dispositions de la loi sont très claires quant aux formes restrictives de mise en liberté et aux conditions qui ne doivent être imposées que lorsque cela est nécessaire en raison de motifs de détention prévus dans la loi. Si nous examinons, par exemple, les dispositions relatives aux conditions pouvant être imposées par la police qui figurent dans le projet de loi C-75, on constate qu'un agent de la paix peut imposer des conditions « pour empêcher que l’infraction se poursuive ou se répète ou qu’une autre infraction soit commise ». Cela est beaucoup plus large que les motifs de détention prévus par la loi actuellement. J'ose espérer que ce n'était pas l'intention du gouvernement d'accroître le pouvoir des agents de la paix quant à l'imposition de conditions au moment de la mise en liberté d'un accusé. Il s'agit d'un pouvoir très important permettant d'imposer des conditions restrictives.

  (1745)  

    Il y a d'autres endroits dans ce projet de loi où il est mentionné que des conditions peuvent être imposées s'il est estimé qu'elles sont indiquées. Ce genre de formulation doit être harmonisée de façon systématique avec la jurisprudence relative à la Charte et les arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur la légalité des conditions imposées en tenant compte du droit à un cautionnement raisonnable garanti par la Charte.
    Nous sommes aussi d'avis qu'il est possible d'apporter des améliorations importantes en traitant la question de la procédure des audiences sur la libération sous caution. En Ontario, par exemple, c'est pratique courante de présumer qu'il est nécessaire d'exiger une caution, et, quand les avocats de la défense font des observations pour faire valoir une contestation dans le cadre d'une audience sur la libération sous caution, ils ressentent fréquemment le besoin de communiquer avec une caution possible avant de connaître la forme appropriée de mise en liberté, même si le fardeau appartient à la Couronne, parce que, si l'avocat de la défense ne communique pas avec une personne en mesure d'agir à titre de caution et qu'il est estimé qu'une caution est nécessaire, son client sera alors détenu.
    Dans la décision Tunney, rendue en février, le tribunal a utilisé l'arrêt Antic de la Cour suprême du Canada et a affirmé qu'il est nécessaire de scinder la procédure relative à la libération sous caution dans nos tribunaux afin de maintenir le deuxième principe relatif à la caution. Cela signifie que, avant qu'il soit nécessaire pour la défense de faire appel à une caution, le tribunal doit décider de la forme de mise en liberté qui doit s'appliquer. Dans les situations où le fardeau lui appartient, la Couronne doit prouver qu'il n'est pas nécessaire à ses yeux d'exiger une caution pour la personne en cause, et ce n'est qu'après que le prévenu doit présenter, ou qu'on l'invite à présenter, des éléments de preuve relativement au type de cautionnement qui est approprié.
    Il s'agit d'un important changement dans les tribunaux ontariens saisis de demandes de libération sous caution. Cette nouvelle pratique s'impose lentement à l'échelle de la province, mais le changement est toujours une chose difficile, en particulier dans le domaine des cautionnements. Le Comité a une occasion incroyable de renforcer cette pratique de façon importante et de véritablement changer les choses, en particulier en Ontario, en ce qui concerne les décisions en matière de cautionnement.
    Troisièmement, je recommande vivement aux membres du Comité d'examiner les situations dans lesquelles des personnes seront possiblement maintenues en détention avant le procès pour une période plus longue que celle qu'elles auraient purgée si elles étaient déclarées coupables. Il n'est pas inhabituel qu'une personne maintenue en détention avant le procès doive faire un choix. Elle peut demeurer en détention et attendre son procès. Elle peut attendre l'audience dans les cas de contestation de la libération sous caution, ou elle peut plaider coupable et être mise en liberté plus rapidement. C'est une situation dans laquelle personne ne devrait se trouver. Notre processus qui précède le procès ne devrait pas être plus punitif que les peines pouvant être imposées. Actuellement, il n'y a aucune disposition dans le Code criminel relativement à cette situation. Selon Mme Marie-Eve Sylvestre, il faut ajouter une disposition qui prévoit que, si une personne était vraisemblablement condamnée à une certaine période d'emprisonnement, elle ne devrait pas subir une détention avant le procès plus longue que la période d'emprisonnement qui pourrait lui être imposée.
    Nous proposons deux amendements au projet de loi — j'ai en main un mémoire que je distribuerai après mon témoignage — qui, à notre avis, permettraient véritablement de régler cette situation et d'accroître l'équité pour les personnes touchées.
    Quatrièmement, il y a la question des motifs secondaires de mise en détention. Il s'agit des motifs de détention les plus fréquemment liés à la sécurité publique. Dans l'arrêt Morales, la Cour suprême a examiné le droit à la mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable et a affirmé que les motifs secondaires de détention doivent être interprétés de façon restrictive pour assurer le respect des droits garantis par la Charte. Ce ne sont pas tous les risques pour la sécurité publique ni tous les risques qu'une personne commette une infraction criminelle qui justifient le maintien en détention ou l'imposition de conditions restrictives. Il doit exister un risque important que la personne commette une autre infraction et que ce geste ait une incidence sur la sécurité publique ou la sécurité d'une personne.
    Toutefois, les motifs secondaires sont interprétés de façon assez large par les tribunaux saisis de demandes de mise en liberté sous caution; c'est pourquoi il est tentant — et je crois que nous pouvons le constater, de fait, dans le texte de ce projet de loi qui porte sur les conditions de mise en liberté imposées par un agent de la paix — d'affirmer que tout risque qu'une personne commette une autre infraction justifie une forme de mise en liberté restrictive ou l'imposition de conditions restrictives. Nous sommes d'avis qu'il est possible de modifier le libellé des dispositions du Code criminel pour mieux refléter la Charte ainsi que les arrêts de la Cour suprême à ce sujet, et nous avons des propositions à faire en ce sens.
    Je vais terminer rapidement le reste de l'exposé. Nous sommes d'avis qu'il serait très utile d'élargir la portée de la révision de l'ordonnance relative à la mise en liberté sous caution. Actuellement, les possibilités sont plutôt restreintes pour que la défense puisse contester une décision relative à une mise en liberté sous caution. En ce qui concerne le renversement du fardeau de la preuve prévu dans le Code criminel, de nombreuses personnes ont recommandé d'abroger les dispositions relatives à ces renversements de fardeau de la preuve. On ne fait pas cela dans ce projet de loi. On ajoute plutôt un nouveau renversement du fardeau de la preuve qui, à nos yeux, pose grandement problème. Nous souhaiterions plutôt voir accroître la flexibilité en ce qui concerne l'endroit où un prévenu peut être renvoyé après la première audience. Cela donnerait plus de souplesse aux autorités provinciales au moment de traiter les cas des personnes de collectivités éloignées.

  (1750)  

    Nous souhaitons qu'une condamnation antérieure ne soit pas un facteur aggravant au moment d'examiner une demande de mise en liberté sous caution; il conviendrait donc de supprimer l'alinéa 515(3)b), dont le libellé mentionne spécifiquement que le fait qu'une personne a antérieurement été condamnée pour une infraction criminelle constitue l'un des deux facteurs qui doivent être pris en compte dans le cadre d'une demande de mise en liberté sous caution.
    Je vais m'arrêter ici. Nous allons distribuer notre mémoire; je suis consciente que ces propositions étaient détaillées.
    Je répondrai avec plaisir aux questions sur la procédure liée aux mesures de rechange relatives aux infractions contre l'administration de la justice, que je n'ai pas abordées, mais à l'égard de laquelle nous avons des préoccupations importantes.
    Je remercie les témoins de leur témoignage.
    Monsieur Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins. Je n'ai pas eu l'occasion de lire votre mémoire, mais je suis impatient de le faire.
    Je souhaite aborder les éléments de preuve de routine présentés par la police. Madame Deshman, vous avez mentionné que cela porte atteinte au droit de procéder à un contre-interrogatoire et au droit à un procès équitable. La ministre de la Justice a déclaré que, à son avis, cette modification respecte la Charte. Partagez-vous son avis?
    Non, j'ai lu l'énoncé concernant la Charte du gouvernement. De toute évidence, ce document ne fournit pas une explication détaillée ni complète des raisons pour lesquelles le gouvernement est d'avis que ce projet de loi est conforme à la Charte. Par exemple, les points soulevés concernant l'article 294 tiennent au fait qu'un prévenu aurait eu l'occasion d'être présent lors de contre-interrogatoires antérieurs menés dans le cadre d'une enquête préliminaire ou d'un voir-dire. Il s'agit de deux processus qui sont complètement différents d'un procès sur les fondements de l'accusation portée.
    Pour pouvoir procéder à un contre-interrogatoire dans le cadre d'un voir-dire, il faut porter son attention sur un très petit nombre de questions. Il peut s'agir d'une violation d'un droit garanti par la Charte ou d'une question concernant les fouilles ou les saisies, ou encore du caractère volontaire d'une déposition. Le témoignage d'un policier sur ce point sera pertinent dans le cadre d'un procès pour un grand nombre de questions qui n'étaient pas du tout soulevées ou pertinentes dans le cadre d'un voir-dire. De la même façon, l'enquête préliminaire a été conçue dans un but précis. Elle ne sert pas à vérifier la crédibilité des témoins de la Couronne.
    La question de la crédibilité est fréquemment soulevée dans le cadre d'un procès. Nous ne devrions pas croire qu'un contre-interrogatoire effectué dans le cadre de ces procédures distinctes menées avant le procès équivaut à un contre-interrogatoire effectué dans le cadre d'un procès. Vu qu'il existe déjà un mécanisme pour admettre des déclarations de fait mutuellement convenues, le seul moment où je peux voir l'utilisation de ce type de procédure, c'est quand la défense n'est pas d'avis que ces faits ne sont pas contestés et qu'elle ne souhaite pas procéder à un contre-interrogatoire, auquel cas je suis d'avis qu'il s'agit d'une atteinte grave à la Charte.
    Non seulement il s'agit d'une atteinte grave à la Charte, mais en plus, l'objectif déclaré de ce projet de loi est d'accroître l'efficacité et de réduire les délais.
    Monsieur Doroshenko, vous avez souligné que la définition de ce qui constitue des éléments de preuve « de routine » est très vaste, couvrant pratiquement tout.
    Vous avez souligné, madame Deshman, que lorsqu'il n'y a pas d'accord sur quelque chose comme un exposé des faits, vous pourriez maintenant devoir demander cette autorisation à la cour.
    Ensuite, lorsque vous parcourez le projet de loi et examinez les différents facteurs que l'on désire soumettre aux tribunaux, comment diable cela peut-il accroître l'efficacité?
    C'est une très bonne question. Je n'ai rien vu qui prouve que les éléments de preuve de routine contestés retardent indûment les procès.
    Comme je l'ai souligné, nous avons déjà un processus, et je pense que l'étendue des éléments de preuve de routine et le caractère vague de ces dispositions vont mener à plus de litiges et grugeront beaucoup de temps durant le procès.

  (1755)  

    Dans un autre ordre d'idées, je ne pense pas qu'un témoin ait abordé ce sujet, mais j'aimerais connaître votre opinion sur l'abolition de la récusation péremptoire de jurés et savoir si vous prévoyez des conséquences imprévues d'une telle abolition.
    Oui. Je ne m'occupe pas de procès devant jury dans ma pratique, mais j'ai grandement prêté attention aux procès controversés du printemps dernier. Je me suis également attachée au processus de récusation péremptoire aux États-Unis et à ce qui s'y passe à ce sujet. Je pense que l'on ne rendrait vraiment pas service à notre système de justice en abolissant la récusation péremptoire et en choisissant les jurés parmi les personnes qui se présentent, en gardant en tête que lorsqu'on se trouve dans de petites collectivités ou des collectivités ayant une grande population autochtone en particulier, la probabilité que des gens répondent à leur assignation de juré, qu'ils se présentent pour cela, puis qu'ils siègent au jury diffère énormément de ce qui se passerait dans un grand centre urbain, où les avis sont envoyés à un groupe de personnes plus diversifié.
    Différents problèmes empêchent les personnes autochtones de répondre à leur assignation de juré et de se présenter pour faire partie du jury. Éliminer la capacité de l'avocat de la défense ou de l'avocat de la Couronne, s'il y a lieu, de faire en sorte que les jurys soient plus représentatifs, avec l'utilisation judicieuse de la récusation péremptoire, est extrêmement problématique en raison des difficultés sociétales supplémentaires qui empêchent les gens de se présenter. Nous pourrions nous inspirer des États-Unis, où les juges ont le pouvoir de questionner les avocats à propos de leur utilisation de la récusation péremptoire s'ils ont l'air de constituer le jury en se fondant sur la race ou la situation économique, ou de toute autre façon. Il vaudrait peut-être mieux donner plus de pouvoir au juge pour qu'il puisse jauger les motifs qui sous-tendent la récusation péremptoire s'il semble que quelque chose ait été fait de mauvaise foi plutôt que d'abolir cette capacité purement et simplement.
    D'accord.
    Pour poursuivre dans cette veine, certains disent qu'au lieu d'aborder la question de la diversité, si on abolit le tout, l'inverse pourrait se produire. Je sais que Michael Spratt, par exemple, est de cet avis.
    Êtes-vous d'accord?
    Je suis d'accord. J'ai beaucoup de respect pour M. Spratt.
    Cela a effectivement pour effet d'éliminer la diversité, puisqu'on ne peut utiliser la récusation afin de créer un jury plus diversifié, plus intégré et qui représente mieux la société lorsque vous avez une sélection de personnes qui ne se présentent qu'en raison de leur situation socioéconomique.
    Selon nous, cela fait ressortir des problèmes plus vastes. Le fait que les récusations péremptoires constituent un outil que l'on utilise afin de tenter de créer des jurys égaux n'est pas un problème en soi.
    Pour nous, cela ne veut pas dire que cette réforme particulière a besoin d'être réévaluée. Cela veut plutôt dire que nous devons en faire plus avec ce projet de loi. Il existe d'autres outils législatifs que nous pouvons mettre en place. J'ai trouvé que M. Kent Roach avait soumis un mémoire fantastique au Comité à propos des autres réformes qui doivent être faites pour régler le problème sous-jacent. Si nous ne faisons qu'abolir la récusation péremptoire, nous n'allons ni nous attaquer au problème ni le résoudre.
    Merci beaucoup.
    Madame Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à tous les témoins de leur témoignage aujourd'hui.
    J'aimerais aborder en particulier les retards dans le système de justice et la réforme de la mise en liberté provisoire, qui alimentent les conversations depuis très longtemps devant les tribunaux et dans les instances comme la vôtre.
    L'alinéa 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés garantit aux personnes accusées le droit de ne pas être privées sans juste cause d'une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable. Il s'agit d'un droit protégé, mais selon Statistique Canada, il y a eu une augmentation marquée de — 35 % — du nombre de personnes accusées qui se trouvent en détention provisoire depuis les 10 dernières années. Au cours de cette période, la population en détention provisoire a constamment dépassé le nombre de personnes en détention après condamnation dans les prisons provinciales ou territoriales.
    Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
    Madame Deshman, je crois que vous avez abordé le sujet en mentionnant que le projet de loi C-75 ne va pas assez loin. Je crois que vous avez proposé quelques modifications relatives à la façon dont nous pouvons affronter le problème de la libération sous caution et désengorger le système, lesquels, je pense, sont les objectifs visés par la réforme prévue par le projet de loi.
    Pourriez-vous nous en dire plus?

  (1800)  

    Si vous examinez les études portant sur ce qui se passe réellement devant les tribunaux de libération sous caution — nous avons également fait une étude qui portait sur les tribunaux de libération sous caution partout au Canada — vous pouvez y constater que certaines pratiques ne sont pas conformes au droit. De nombreux arrêts de la Cour suprême expliquaient très clairement en quoi consistent les dispositions législatives concernant la libération sous caution. Un principe de l'échelle est inscrit dans la loi depuis plusieurs dizaines d'années, et pourtant, nos tribunaux de libération sous caution exigent encore des garants, en Ontario ou, en Alberta, une caution en espèces, ce qui contrevient à la loi. La plupart des enquêtes sur le cautionnement se font avec consentement. Il s'agit d'affaires menées rondement. Généralement, les accusés ne sont pas représentés par un avocat. La plupart des accusés vont dire à peu près n'importe quoi pour être libérés sous caution dans la même journée.
    En vérité, on traite ici d'une pratique qui s'est considérablement éloignée de la loi, donc lorsque je vois une réforme juridique qui renforce la loi et la rend plus claire, je crains qu'elle ne s'attache ni à cette culture ni à cette pratique. Si vous lisez les suggestions de Mme Webster qui portent sur ce qui doit être fait afin de changer les dispositions législatives concernant la libération sous caution, lesquelles se fondent sur son expérience du système de justice pénale pour les adolescents et ont permis de le réformer avec succès, vous constatez que la culture entière a été changée: pour ce faire, il a fallu mettre en place un nouveau programme législatif, puis affirmer haut et fort « Non, les choses sont différentes maintenant. »
    Je pense vraiment que certaines des modifications que nous avons proposées pourraient apporter de réels changements pratiques, puisqu'il s'agit de changements concrets et importants, mais lorsque je m'adresse aux avocats de service pour savoir si Antic a changé les choses sur le terrain, par exemple, ils me disent que ce n'est pas le cas. Selon eux, les juges de paix affirment que c'est déjà inscrit dans la loi et qu'ils l'appliquent déjà. Ils sont d'accord pour dire que c'est la loi, qu'ils n'ont pas à changer et que les choses continuent telles qu'elles. Le simple fait de renforcer la loi est, selon moi, malheureusement insuffisant. Nous devons à coup sûr envoyer des signaux plus forts et utiliser davantage d'outils pratiques pour régler les déséquilibres de pouvoirs qui surviennent devant les tribunaux de libération sous caution.
    Merci.
    Madame Lee, vous avez également abordé l'alinéa 11e) de la Charte dans votre mémoire. Je ne l'ai pas encore examiné en profondeur. Pourriez-vous expliquer en quoi consiste votre argument? Il me semble que vous parlez spécifiquement de l'inversion du fardeau de la preuve. Ma crainte est que si nous avons peur de l'inscrire dans la loi et de dire, oui, il y a une inversion du fardeau de la preuve pour les récidivistes, pour les agresseurs et pour les partenaires intimes qui sont reconnus coupables ou condamnés pour violence, quelles mesures pouvons-nous prendre alors? S'il s'agit d'une atteinte aux droits, ne pensez-vous pas qu'il y a juste cause s'il y a déjà eu condamnation?
    Je ne pense pas, parce que vous devez prendre en considération la nature de l'allégation sous-jacente et la condamnation antérieure, ainsi que le degré de gravité de la condamnation antérieure par rapport au second incident: le comportement s'est-il aggravé. Quel est le rôle du plaignant dans celui-ci... C'est malheureux, mais dans de nombreuses affaires de violence conjugale, les deux parties sont impliquées. Il ne s'agit pas de jeter le blâme sur qui que ce soit, mais souvent, la situation s'envenime en raison de l'alcool et de malentendus au sujet de la relation.
    Si vous traitez toutes ces personnes comme si elles étaient — pour parler de façon familière — des batteurs de femmes en série et les traitez comme des personnes dangereuses qui devraient probablement être incarcérées en raison de leur propension pour ce type de violence... Voilà qui porte atteinte à la protection garantie par l'article 11 sur le cautionnement raisonnable.
    Je trouve qu'une chose qu'on fait en Colombie-Britannique et qui aide énormément est que l'on applique aux infractions contre l'administration de la justice et à ces violations une directive de pratique provinciale qui fixe la date du procès dans les 60 jours suivant. Cela permet de réduire grandement l'arriéré, puisque les affaires sont entendues très rapidement et si, plus tard, ces personnes sont acquittées ou que les accusations sont abandonnées, la révision du cautionnement peut avoir lieu. Cela fait en sorte que moins de gens se trouvent sous garde à attendre que des accusations sur un fait matériel précis soient portées en raison de ces allégations de violation. J'estime que la mise en place de délais plus clairs pour les procédures liées à ce type de délit pourrait atténuer certaines des préoccupations que vous avez exprimées quant au nombre de personnes sous garde.
    Merci. C'est tout.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Rankin.
    Merci à tous de votre présence.
    Puisque la question de la récusation péremptoire a été soulevée, j'aimerais commencer par vous faire part de ce que la Criminal Lawyers Association a recommandé afin de trouver des jurys plus représentatifs. Elle suggère simplement l'ajout suivant à l'article 629 du Code criminel:
L'accusé ou le procureur peut contester le tribunal en raison de la non-représentativité de la collectivité d'où il provient.
    Qu'en dites-vous? Est-ce que cela suffirait?

  (1805)  

    Je crois que cela serait extrêmement utile. Cette proposition reprend en d'autres mots le mémoire de M. Roach également.
    Monsieur Doroshenko.
    Nous sommes à la recherche d'une solution simple ici. La solution simple présentée dans le projet de loi est d'éliminer tout simplement les récusations. Je pense que nous pouvons faire preuve d'un peu plus de créativité. La solution qui a été proposée est sensée, donc pourquoi pas?
    J'ai beaucoup de questions, alors je veux m'assurer d'avoir l'occasion d'en poser au moins quelques-unes.
    Tout d'abord, madame Deshman, pour l'Association des droits civils, je tiens à comprendre clairement votre perspective sur la récusation péremptoire. Si j'ai bien compris, vous avez dit: « d'un côté... mais d'un autre côté ». Vous avez mentionné que c'est différent en Ontario, où, semble-t-il, ce processus est utilisé plus fréquemment que dans les autres provinces. Peut-être ai-je mal compris. C'est ce que nous a dit un fonctionnaire du ministère de la Justice plus tôt aujourd'hui.
    L'Association canadienne des libertés civiles estime-t-elle que les enquêtes préliminaires doivent être maintenues ou non?
    Je crois en effet qu'elles doivent être maintenues. Si j'étais convaincue qu'il y avait un avantage considérable à les abolir pour obtenir une certaine efficacité, il serait encore plus difficile de répondre à la question. Cela est dû en partie au fait qu'on s'en sert de manière différente partout au pays. Rien ne prouve que le fait de les éliminer aiderait le système judiciaire de manière significative.
    J'aimerais maintenant parler du mémoire très provocant et très percutant qu'a fourni la Acumen Law Corporation.
    Vous parlez pour commencer des enquêtes sur le cautionnement, des déclarations de culpabilité par procédure sommaire et des limites imposées aux contre-interrogatoires qui, selon vous, ont une portée trop vaste et limitent sérieusement les droits de l'accusé. Vous dites que les « propositions de modifications auront des répercussions disproportionnées sur les groupes marginalisés et sur les personnes de couleur et décourageront les gens de signaler des cas de violence conjugale ». Vous affirmez qu'il est peu probable que ces modifications « résistent à l'examen rigoureux des tribunaux et soient validées par l'article 1 ». Cela remet sérieusement en cause cette loi.
    J'aimerais ensuite approfondir plus particulièrement la question de la disposition portant sur « l'inversion du fardeau de la preuve dans les enquêtes sur le cautionnement ». Vous dites que, selon l'expérience des États-Unis, les obstacles aux signalements, lesquels s'expliquent par la méfiance à l'égard des forces de l'ordre et par la pauvreté, vous amènent à conclure que ces dispositions seront régressives et feront en sorte que les femmes seront moins en sécurité. J'aimerais que vous en disiez plus à ce sujet.
    L'une des études que j'ai citées ici provenait du Women of Colour Network du U.S. National Resource Center on Domestic Violence et portait sur l'incarcération des personnes accusées de violence conjugale; elle a mené à la conclusion que l'incarcération de ces personnes conduisait au signalement insuffisant de ce type d'infraction. Cela s'explique par le fait que, dans bien des cas, — pour simplifier à l'extrême cet enjeu par souci de concision — il existe dans les relations un rapport d'inégalité qui fait en sorte que la personne accusée de voies de fait est également le pourvoyeur de la famille, la personne qui a un emploi. On suppose que la victime des mauvais traitements est celle qui reste à la maison, qui veille aux tâches ménagères et s'occupe des enfants, ou celle qui voit sa liberté sévèrement entravée par un conjoint violent.
    Pour veiller au bien-être de leur famille, et parce qu'elles sont décidées à protéger leurs enfants, les victimes sont plus susceptibles de se maintenir dans des situations de danger afin d'avoir accès aux ressources financières dont elles ont besoin pour offrir à leurs enfants un toit, de la nourriture et des souliers pour l'école. Sans vouloir nommer qui que ce soit en particulier, je connais certaines femmes très influentes qui se sont retrouvées dans la même situation, qui ont été victimes de violence conjugale et ont gardé le silence pendant des années, par crainte de perdre tout cela.
    Je trouve très intéressante la deuxième partie de votre mémoire, laquelle porte sur la disposition concernant les éléments de preuve de routine recueillis par la police. Vous donnez une définition. Vous dites qu'elle est trop générale. Après avoir examiné les quatre facteurs, vous concluez que « cela résume bien le déroulement de l'enquête policière. » Ensuite, vous vous prononcez, de façon plutôt éloquente à mon avis, sur la fonction du contre-interrogatoire. Dans les remarques que vous venez tout juste de faire, vous avez fait allusion aux cas d'interdiction immédiate de conduire dans la province de la Colombie-Britannique, et je crois que vous avez tiré des conclusions très convaincantes à cet égard.
    Que faut-il en conclure? La disposition relative aux éléments de preuve recueillis par la police peut-elle être modifiée ou, selon vous, doit-on l'éliminer complètement?

  (1810)  

    Je crois qu'elle devrait être éliminée complètement. Il existe déjà en Colombie-Britannique un procédé selon lequel les agents de police présentent un affidavit relatif à une suspension de permis d'une durée de 90 jours lorsqu'une personne est accusée de conduite avec facultés affaiblies, que son taux d'alcoolémie est supérieur à 0,08 % ou qu'elle refuse de se soumettre à un test d'alcoolémie. Nous obtenons cet affidavit et nous l'examinons. Des mois plus tard, nous nous retrouvons devant les tribunaux avec l'affidavit, issu de ce procédé, que nous allons alors utiliser durant le procès relatif aux accusations sur un fait matériel précis.
    Il nous arrive souvent de constater que l'agent de police a fourni des éléments de preuve qui induisent en erreur le tribunal, qui sont tout simplement faux ou que nous considérons même parfois comme étant un parjure. Les agents de police comprennent leurs obligations. Ils se sentent tenus de dire certaines choses, ou ils relèvent d'un superviseur, etc. Cela est extrêmement... Il nous arrive très souvent d'obtenir à un endroit des éléments de preuve par voie d'affidavit, lesquels sont ensuite présentés dans le cadre d'une affaire au criminel. Nous constatons que c'est ce qui se produit, nous pensons donc que cette disposition devrait être rejetée. Cela n'est tout simplement pas...
    Dans votre mémoire, vous avez donné des exemples, qui étaient à mon avis excellents, de cas que je qualifierais, pour être poli, de « désinformation », dans le cadre de mandats de perquisition et d'autres choses. Vous avez donné un exemple tiré de Kenyon c. Colombie-Britannique où le juge McEwan dit: « Cependant, il demeure que si vous créez un système uniquement fondé sur la présentation de documents et qui n'offre pas la possibilité de contre-interroger, vous créez un système où on peut [adapter un récit]. » Il poursuit en disant que cette restriction fait en sorte qu'il devient « impossible, en fonction de principes, de déterminer [...] ce qui s'est passé. Peu importe la prétendue efficacité de ce type d'audience, des inconvénients y sont aussi étroitement liés. »
    Je présume que vous voulez dire que cette analyse s'appliquerait à la disposition relative aux éléments de preuve de routine recueillis par la police.
    Oui, absolument.
    D'accord.
    J'aimerais poser une autre question, monsieur le président, si c'est possible.
    Vous dépassez un peu le temps prévu, mais ce n'est pas grave.
    C'est une question ouverte. Je vais la poser parce que Mme Deshman nous a invités à le faire.
    Vous avez manqué de temps pour aborder le sujet des procédures parallèles et des dispositions concernant l'administration de la justice. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
    Je comprends très bien l'objectif. Il s'agit de créer une procédure permettant de régler les infractions liées à l'administration de la justice de manière à ce que la personne concernée ne fasse pas l'objet d'une accusation au criminel ou d'une condamnation au criminel. Ce qui me préoccupe vraiment, par contre, c'est que nous présentons cette procédure dans le contexte d'un système visant à atténuer les risques. Nous savons que l'un des principaux problèmes tient au fait que la police cherche déjà à éviter des risques lorsqu'elle prend des décisions en matière de mise en liberté. Les tribunaux des cautionnements évitent de prendre des risques en ce qui concerne les conditions qu'ils imposent, les formes de mise en liberté et les ordonnances de maintien en incarcération. Il n'y a rien, dans cette procédure, qui ferait en sorte que des personnes déjà susceptibles d'être arrêtées et criminalisées se retrouveraient dans cet autre processus. Le déclenchement de ce processus est laissé à l'entière discrétion de la police et des procureurs de la Couronne.
    Ce qui me préoccupe réellement, c'est que l'absence de mesures qui pourraient amener les gens à descendre dans les échelons de la criminalité entraînera un élargissement du filet. Aujourd'hui, des agents de police relâchent des personnes en faisant des mises en garde. Ils disent: « Vous avez passé l'heure du couvre-feu. C'est un délit mineur. Rentrez à la maison. Ne le refaites pas. Je ne veux pas vous voir après l'heure de votre couvre-feu. » Eh bien, maintenant, ils ont un autre outil. Ils peuvent dire: « D'accord, je ne veux plus vous revoir. Je ne porterai pas d'accusation, mais je vous envoie comparaître devant un juge de paix afin qu'il revoie les conditions de votre mise en liberté sous caution. Nous vous imposerons des conditions plus sévères. »
    En l'absence de mécanisme d'atténuation des risques, une telle façon de faire entraînera plus de gens vers la procédure de cautionnement et vers un processus décisionnel plus officiel, plutôt que le contraire. Nous pensons que le vrai problème ici est la criminalisation excessive de comportements relativement inoffensifs. Ce ne sont pas aux processus qu'il faut s'attaquer, mais aux accusations relatives à l'administration de la justice elles-mêmes. Il faut réduire la portée de ces infractions criminelles aux seuls cas où elles représentent un risque ou une menace pour une autre personne. Il faut cesser de criminaliser les personnes dont le comportement n'est pas inhabituel, celles à qui il n'aurait jamais fallu imposer certaines conditions ou celles dont le comportement ne menace pas réellement une autre personne ou l'administration de la justice.
    Excellent. Merci beaucoup.
    La parole est maintenant à M. Ehsassi.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins d'être venus. Cela a été très utile.
    Je pourrais peut-être commencer mes questions en revenant sur ce que disait M. Rankin. Ce dernier a affirmé que vous avez fait une observation plutôt « percutante ». Il y avait certaines choses avec lesquelles vous n'étiez pas d'accord. Comme vous le savez, l'objectif de ce projet de loi est de régler la question des longs délais dans le système judiciaire. À votre avis, existe-t-il dans ce projet de loi un élément pouvant aider à réduire ce problème?

  (1815)  

    C'est intéressant, car je ne crois pas que les dispositions dont nous sommes en mesure de parler, comme celles qui prévoient le prolongement du délai de prescription pour prouver le bien-fondé d'une accusation dans le cadre d'une procédure sommaire, pourront régler ce problème. Enfin, il s'agit en quelque sorte d'une manière cynique de contourner l'arrêt Jordan. Il s'agit essentiellement d'une tentative de contourner l'arrêt Jordan.
    À l'heure actuelle, le délai de prescription est de six mois. En Colombie-Britannique, il est courant qu'un agent de police attende cinq mois et deux semaines avant de présenter un rapport relatif à un cas de conduite avec facultés affaiblies. Le client se demande s'il sera accusé, si l'affaire sera portée devant les tribunaux. Dorénavant, cela prendra 11 mois et deux semaines avant que le dossier ne soit présenté, et ce, uniquement parce que le délai a été prolongé et que cela est une possibilité de plus. Et pour quelle raison? Pourquoi faites-vous cela? C'est pour tenter de duper le tribunal. On peut tenter de faire valoir qu'on respecte le délai prévu dans l'arrêt Jordan, puisque ce délai commence au moment où une accusation est approuvée, et non au moment de l'incident.
    Je peux vous assurer que le tribunal s'en rendra compte assez rapidement et fixera une autre date. À mon sens, le délai prévu par l'arrêt Jordan a été fixé arbitrairement. Ils ont défini la durée de façon arbitraire, car ils en avaient assez de ces délais. En gros, ils nous imposent un délai arbitraire, et ils nous en imposeront un autre tout aussi arbitraire, à compter de la date de l'incident. Pensez-y: une personne devra attendre un an avant de savoir si elle est inculpée, elle devra interrompre ses études, sa carrière ou je ne sais quoi parce qu'elle aurait commis une infraction. Cela prendra des mois avant qu'elle ait la possibilité de se présenter devant un tribunal.
    Cela est-il vraiment une façon de régler la question des délais? Non. Ce ne l'est pas.
    Donc, à votre avis, il n'y a rien dans ce projet de loi...?
    Je ne dirais pas qu'il n'y a rien. Cela dépasse mes connaissances en ce qui concerne le projet de loi. Je dois vous dire qu'il s'agit d'un projet de loi omnibus et qu'il faut prendre le temps de lire, même les passages qui choquent. C'est pour cette raison que nous sommes ici.
    Je dois dire que dans certains cas la reclassification des infractions est en fait un bon moyen de réduire les délais, particulièrement dans mon domaine de pratique, les infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles. À mon avis, il est plus probable que cela permette un règlement, dans un contexte où les infractions ne sont plus strictement des actes criminels, mais des infractions mixtes, et que cela facilite l'imposition de différents types de peines.
    Je trouve toujours frustrant de constater que, dans les cas de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles, le type de peines infligées ne varie pas beaucoup entre une personne qui s'est cassé le poignet et une femme qui est plongée dans le coma depuis quatre mois. Grâce à la reclassification des infractions, je serais mieux à même de négocier un règlement et d'éviter un procès dans une affaire qui aurait monopolisé les tribunaux durant plusieurs jours ou plusieurs semaines.
    Par simple curiosité, étant donné qu'il ne s'agit pas d'une hypothèse ni dans l'arrêt Cody, ni dans l'arrêt Jordan, pouvez-vous nous faire part de vos suggestions touchant la réduction des délais qui n'ont pas été mentionnées ici?
    Nous n'avons pas de problème de délai en Colombie-Britannique. L'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas ce problème, c'est que l'approbation des accusations relève des procureurs de la Couronne. Je me suis occupé de différentes affaires en Ontario et en Alberta, où l'approbation des accusations relève des agents de police, et, dans certains cas, il n'y aurait pas dû avoir de processus d'approbation de l'accusation. Si ces affaires avaient été soumises à un avocat et au bureau d'un procureur de la Couronne, en Colombie-Britannique, ils en auraient pris connaissance et les auraient refusées. Ils n'y auraient pas donné suite ou auraient engagé des poursuites pour des accusations différentes.
    Il s'agit d'un problème fondamental dans les provinces où ils ne procèdent pas ainsi et où les agents de police s'occupent des approbations de l'accusation. Les agents de police n'ont qu'un seul point de vue: la personne est coupable. Les procureurs examinent l'affaire et se demandent quel est l'état du droit, que peuvent-ils prouver, qu'est-ce qui est admissible et qu'est-ce qui ne l'est pas, et ils tranchent.
    Il est beaucoup plus judicieux pour les procureurs d'utiliser la norme que nous utilisons en Colombie-Britannique, selon laquelle il y a une grande probabilité de réussir une poursuite. Autrement, ils n'approuveraient pas l'accusation. Vous faites perdre énormément de temps aux tribunaux à faire des procès et des choses qui n'ont que peu de probabilités de réussite. De plus, il n'est pas bon de faire endurer cela à un accusé. Il ne s'agit pas seulement de la probabilité de réussite, mais de savoir s'il est juste pour nos concitoyens de les faire comparaître lorsqu'il n'y a aucune probabilité de réussite.
    Merci.
    J'aimerais aborder une autre question, celle des récusations péremptoires.
    Madame Deshman, nous avons entendu à ce sujet le témoignage de Me Lee. Comme vous devez le savoir, il y a diverses options. Une des options qui a été proposée, c'est que le juge ait le pouvoir de diriger le comité. Pensez-vous que cela soit acceptable?
    Je dois dire que cela n'est pas mon domaine de compétence, je n'ai malheureusement pas assez étudié la question pour avoir une opinion, à l'heure actuelle.

  (1820)  

    D'accord.
    L'autre question que vous avez abordée, qui m'a assez choqué et consterné, dont je n'avais pas entendu parler auparavant, est celle des personnes qui passent plus de temps en détention avant le procès qu'elles n'auraient pu prévoir passer en détention si elles avaient été condamnées. Est-ce que c'est courant?
    Nous n'avons pas de données actuellement pour savoir à quel point cela est courant. La plupart des personnes dans cette situation plaideront coupables, tout simplement.
    Ce que nous savons, et ce que nous disent régulièrement les avocats commis d'office, c'est qu'ils ne feront pas de plaidoyers de culpabilité lorsqu'ils pensent que les faits n'étayent pas ce plaidoyer. Cela est très commun. Vous pourrez demander aux avocats commis d'office à quelle fréquence ils renoncent à aider une personne qui veut plaider coupable, car ils pensent que les faits n'étayent pas un plaidoyer de culpabilité. Cela arrive fréquemment. Nous savons que cette pression agit sur notre système de justice. Nous savons que les gens plaident coupable.
    Il y a des cas où les gens insisteront sur leur droit à un procès équitable. Ils disent: « Non, je ne l'ai pas fait, et je vais rester ici à attendre mon procès, même si cela veut dire que je passerai plus de temps derrière les barreaux que ce à quoi je serais probablement condamné. » Mais cela est exceptionnel. Cela ne devrait pas arriver.
    Merci beaucoup.
    Chers collègues, il nous reste environ huit minutes pour ce groupe de témoins. Est-ce que quelqu'un aurait des questions courtes?
    Nous entendrons M. Fraser, puis M. Rankin et enfin M. McKinnon.
    Je vous remercie d'être venus. J'apprécie vos témoignages.
    Monsieur Doroshenko, en réponse au dernier point de la question de mon collègue touchant le délai de prescription, vous avez dit que, pour les infractions punissables par procédure sommaire, vous considérez l'augmentation du délai de prescription de six mois à un an comme une manière de contourner l'arrêt Jordan, et que cela n'aide en rien en ce qui concerne les délais. J'aimerais néanmoins vous dire que, dans le système de justice pénale, nous constatons souvent que la Couronne manque de temps pour procéder par procédure sommaire et par conséquent doit procéder par mise en accusation. Le choix le plus approprié est fort probablement la procédure sommaire; cependant, la Couronne n'a pas cette option en raison du délai de prescription.
    Ne seriez-vous pas d'accord pour dire que le fait de prolonger le délai de prescription à une année donne à la Couronne plus d'occasions de procéder par procédure sommaire, la procédure la plus correcte, plutôt que par mise en accusation uniquement en raison de la période de prescription, et que le fait de procéder par voie sommaire ferait gagner un temps précieux aux tribunaux?
    Cela fait 19 ans que je suis dans ce domaine, il n'est arrivé qu'une fois que la Couronne a dépassé le délai de six mois et a approuvé une procédure par voie de mise en accusation. D'un commun accord, nous avons décidé de recourir à la procédure sommaire. Nous avons décidé de renoncer au délai de prescription, car nous savions que nous pouvions nous entendre. C'était la seule fois. Je m'occupe chaque année de 50 à 100 affaires de conduite avec facultés affaiblies, nous parlons donc de centaines et de centaines d'affaires. À quelle fréquence dépassent-ils les délais? Presque jamais. Lorsque je devais remettre un travail à l'université, je rédigeais habituellement le document la veille; nous voyons souvent que les agents de police font de même. Ce n'est pas le cas de tous les agents. Beaucoup d'entre eux le feront tout de suite.
    Cependant, si vous prolongez ce délai, vous ne réussirez qu'à le prolonger encore plus, et je vous le dis tout de suite, les éléments de preuve ne s'améliorent pas avec le temps. Le seul résultat, si vous prolongez le délai à une année, c'est que vous compliquez les choses pour la Couronne, et vous nous donnez plus de munitions, à nous, avocats de la défense, étant donné que nous allons interroger les témoins 24 mois plus tard, pendant le procès. La mémoire s'efface et vous ne vous souvenez plus aussi bien.
    Vous donnez un certain avantage aux avocats de la défense. Vous causez du tort aux personnes accusées. Tout ce que vous faites, c'est de reporter quelque chose que vous êtes supposé bien faire dès le départ, c'est-à-dire préparer vos arguments et approuver l'accusation, s'il y a lieu.
    Merci.
    Monsieur Rankin.
    Merci.
    Madame Deshman — et j'invite également les autres à intervenir —, vous avez parlé des répercussions de l'augmentation de la peine maximale de six mois à deux ans moins un jour. Vous avez parlé desdits effets collatéraux. Je serais curieux d'en savoir plus au sujet de deux ou trois effets, dont je n'avais franchement pas du tout connaissance: l'augmentation du risque juridique, pour la LIPR et aussi l'incapacité d'aller aux États-Unis, la possibilité d'être désormais interdit de territoire. J'aimerais que vous parliez un peu plus de ces sujets.
    Aussi, nous avons entendu dire que l'article 802.1, avec l'augmentation de la peine maximale, empêchera à un grand nombre d'étudiants en droit et de parajuristes de représenter les accusés. Dans ma province, en Colombie-Britannique, le dernier rapport annuel de la cour provinciale mentionne que 21 % des criminels accusés n'avaient pas d'avocat. Ils se représentaient eux-mêmes. N'est-ce pas un autre sujet de préoccupation?

  (1825)  

    Oui, tout à fait, et cela devrait être le troisième point de ma liste, mais je suis allée très vite. Les conséquences sur l'immigration n'ont pas reçu une grande attention, mais je pense qu'elles sont assez graves. Selon la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, une déclaration de culpabilité et une peine de plus de six mois sont considérées comme un acte de grande criminalité. La durée a été réduite par un précédent gouvernement, et les conséquences sont énormes. On peut vous retirer votre résidence permanente et vous expulser bien plus facilement.
    L'augmentation de la peine maximale infligée sur une condamnation ne signifie pas que les gens écoperont de peines de plus de six mois, mais cela augmente énormément le risque pour toutes les personnes qui commettent une infraction punissable par procédure sommaire. Compte tenu du nombre d'accusés non représentés, et du nombre de personnes qui plaident coupable pour écoper d'une peine d'emprisonnement égale à la durée déjà purgée et même obtenir une reconnaissance du temps passé en détention préventive, qui peut même être supérieure à six mois, il y a déjà beaucoup d'affaires dans lesquelles les accusés qui ont un avocat ne se rendent pas compte de toutes les répercussions de la situation en ce qui concerne l'immigration. Certains tribunaux d'appel ont déclaré que, en raison du délai des six mois, une personne ne pouvait pas être expulsée, même s'il y avait des accusations multiples et que le juge qui imposait la peine ne comprenait pas tout à fait les conséquences en matière d'immigration. Ce délai de six mois a de réelles répercussions. Nous privons les gens d'une protection, ce qui a de graves conséquences. Je ne pense pas que cela a été examiné en profondeur.
    Je ne suis pas une experte des critères d'admissibilité des États-Unis, mais vous avez reçu un mémoire d'un avocat spécialisé en immigration à ce sujet, et les crimes de turpitude morale sont exemptés dans la loi américaine. Vous n'êtes généralement pas admissible si vous avez commis certaines infractions criminelles au Canada, mais la loi américaine prévoit une exemption si la peine maximale n'est pas supérieure à six mois.
    Cela représente une grande partie des infractions contenues dans notre Code criminel, et nous sommes à présent en train de nous priver de l'exemption prévue dans la loi américaine et d'élargir considérablement la catégorie des personnes présumées interdites de territoire aux États-Unis. Ce n'est pas facile à changer. Je pense qu'on pourrait régler les deux autres questions en modifiant la LIPR ainsi que le Code criminel. J'avais proposé, si vous allez dans ce sens, d'apporter ces modifications aux autres lois, mais, même si vous faites cela, ne mettez pas en vigueur cet article ou ces modifications avant d'avoir négocié quelque chose avec le gouvernement américain pour en atténuer les conséquences.
    Merci.
    Voulez-vous continuer sur le même sujet?
    Je voulais juste demander si vous vouliez ajouter autre chose.
    Nous pourrions ajouter des choses, mais je pense que nous n'avons plus le temps. Nous avons un vol à prendre. Merci beaucoup.
    Vous pouvez poser une dernière question, monsieur McKinnon.
    Oui, ma question est pour Mme Deshman. Je souhaiterais revenir sur la question posée par M. Ali Ehsassi en ce qui concerne la détention avant le procès plus longue que la peine. C'est assez inquiétant, et le fait que cela mène à de faux plaidoyers de culpabilité est également dérangeant. Des gens se retrouvent avec des casiers judiciaires pour des infractions qu'ils n'ont probablement pas commises. Je me demande si vous avez une solution pour cela. Allez-y.
    Oui, j'ai deux amendements proposés. Le premier prévoirait simplement que s'il n'y a, pour ainsi dire, aucune probabilité qu'une personne soit condamnée à une peine d'emprisonnement, elle ne devrait pas être détenue avant le procès. Notre processus de détention avant le procès ne devrait pas être plus punitif que la peine dont une personne écoperait en cas de condamnation.
    Le second vise à modifier l'article 525 du Code criminel. Il s'agit d'un processus d'examen ciblant les personnes qui sont détenues avant le procès. Si une personne est détenue depuis trois mois et que cette durée approche la fourchette probable des peines qu'elle peut encourir pour l'infraction qu'elle a commise, elle peut demander au tribunal une forme de habeas corpus, en disant essentiellement, c'est à peu près la peine que vous pourriez m'infliger si les faits qui sous-tendent mon affaire étaient prouvés, et je ne devrais pas être en prison à attendre mon procès.
    Au moins, le premier amendement faisait en fait partie à l'origine de la réforme en bloc du cautionnement. C'était un problème. C'est toujours un problème. Il ne s'agit pas d'une nouvelle idée, mais cela doit être absolument réglé.
    Diriez-vous, en ce qui concerne ces amendements à l'article 525, que si vous êtes en détention provisoire pour une période égale ou supérieure à celle qui vous serait imposée si vous êtes condamné, les accusations devraient alors être automatiquement rejetées ou annulées d'une manière ou d'une autre?
    Non, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'aller aussi loin. Je crois qu'il faudrait reconnaître que la personne est demeurée en détention probablement aussi longtemps que la peine qu'elle aurait à purger, mais ce n'est pas une raison pour retirer les accusations. Selon moi, il est important de déterminer si quelqu'un est coupable ou non.
    Une solution serait de suspendre les accusations, mais, à dire vrai, je crois qu'on pourrait simplement mettre la personne en liberté jusqu'à son procès; cela interférait un peu moins avec le système de justice pénale.

  (1830)  

    S'il suffisait de mettre une personne en liberté jusqu'à son procès, parce qu'on tient pour acquis qu'elle va se présenter à l'audience, alors pourquoi était-elle en détention provisoire en premier lieu?
    Elle était probablement en détention provisoire parce que certains craignaient qu'elle ne se présente pas à son procès. Au bout du compte, cependant, si la personne ne se présente pas à l'audience, alors elle sera sans doute déclarée coupable. Elle n'est pas là pour témoigner, mais elle aura déjà purgé la peine infligée pour le crime dont elle a été reconnue coupable, puisqu'elle a déjà passé suffisamment de temps derrière les barreaux. Selon moi, cela n'aura pas une très grande incidence sur l'équité du procès.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Merci à tous nos témoins, et je vous souhaite un bon vol de retour. Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus ici nous présenter vos témoignages.
    Chers collègues, nous allons prendre une courte pause. J'aimerais inviter les prochains témoins à prendre place.

  (1830)  


  (1835)  

    Reprenons. C'est avec un grand plaisir que nous poursuivons notre étude sur le projet de loi C-75 avec le quatrième groupe de témoins d'aujourd'hui.
    Nous sommes très heureux d'accueillir M. Jonathan Rudin, directeur des programmes, Aboriginal Legal Services. Bienvenue.
    Nous accueillons également M. Malcolm Mercer, trésorier, ou président, et Mme Suzanne Clément, qui est « lay bencher ». Bienvenue à vous deux.
    Nous aimerions savoir quel est l'équivalent français de « lay bencher ».

[Français]

    C'est « conseillère ».

[Traduction]

    Parfait.
    Nous accueillons aussi, à titre personnel, M. Ronald Rosenes, qui est expert-conseil en santé communautaire. Bienvenue.
    Nous allons respecter l'ordre du jour et commencer par les Aboriginal Legal Services.
    Nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de présenter au Comité permanent de la justice et des droits de la personne notre point de vue sur le projet de loi C-75. Faute de temps, je ne vous parlerai pas en détail des Aboriginal Legal Services, mais je soulignerai que notre nom ojibway est Gaa kinagwii waabamaa debwewin, ce qui signifie « Tous ceux qui disent la vérité ».
    Nous allons axer notre témoignage aujourd'hui sur quatre aspects du projet de loi qui nous semblent constituer clairement des avancées; sur deux dispositions qui sont, selon nous, des reculs importants; et sur une omission flagrante, qui représente une promesse brisée envers les peuples autochtones.
    Commençons par les quatre dispositions du projet de loi que nous appuyons. Premièrement, nous appuyons totalement l'abolition de la récusation péremptoire dans les procès avec jury. Depuis plus de 10 ans, nous avons considérablement travaillé sur la question de la représentation autochtone dans les jurys, ou plus précisément de la sous-représentation. La négligence du gouvernement et le recours à la récusation péremptoire ont eu un effet corrosif sur les efforts destinés à encourager les Autochtones à se porter volontaires pour être jurés. Nous savons que le Comité entendra demain le témoignage du professeur Kent Roach à ce sujet; nous avons déjà lu ses mémoires, et souhaitons d'ores et déjà affirmer que nous appuyons de tout coeur ses positions.
    Pour cette raison, nous ne nous étendrons pas davantage sur la récusation péremptoire et passerons au deuxième aspect pour lequel nous croyons que le projet de loi constitue un réel pas en avant, c'est-à-dire la véritable décriminalisation d'un grand nombre d'infractions contre l'administration de la justice. L'une après l'autre, les études montrent que les Autochtones sont largement surreprésentés parmi les personnes accusées d'infractions contre l'administration de la justice, pour lesquelles ils reçoivent souvent une peine d'emprisonnement.
    Et, tout aussi souvent, ces condamnations elles-mêmes restreignent la mise en liberté sous caution en cas de nouvelle arrestation, et bien des personnes décideront de plaider coupables à des infractions qu'elles n'ont pas commises simplement pour éviter une détention avant procès. Vous en avez déjà entendu parler. Le problème sous-jacent, dans ce cas, est le recours excessif à d'inutiles conditions de mise en liberté sous caution par les juges et les juges de paix devant l'insistance, il faut le dire, des procureurs de la Couronne. Espérons que le recours à ces conditions diminuera quand il deviendra clair que leur non-respect ne mènera pas à de nouvelles déclarations de culpabilité ni à l'emprisonnement.
    La question de la mise en liberté sous caution nous mène à la troisième modification que nous appuyons vivement, c'est-à-dire celle qui intègre les principes de l'arrêt Gladue à la mise en liberté sous caution. Même si les tribunaux de la plupart des régions du pays en sont arrivés eux-mêmes à cette conclusion, cette modification fera en sorte que la loi s'appliquera uniformément partout.
    Enfin, il y a la suramende compensatoire. Il y a déjà longtemps qu'on aurait dû redonner aux juges le pouvoir discrétionnaire d'imposer ou non une suramende compensatoire. Il s'agit là d'un changement important et très nécessaire.
    Je vais maintenant vous parler des deux dispositions qui, selon nous, devraient être réexaminées. La première est celle qui renverse le fardeau de la preuve lorsqu'une personne accusée d'une infraction liée à la violence familiale demande sa mise en liberté sous caution alors qu'elle a déjà été reconnue coupable du même genre d'infraction. Les Aboriginal Legal Services prennent la violence familiale très au sérieux et en connaissent trop bien les conséquences sur les femmes et les filles autochtones.
    En même temps, nous savons aussi très bien que bon nombre de tentatives bien intentionnées visant à contenir le fléau de la violence familiale non seulement seront vaines, mais pourraient avoir des conséquences néfastes inattendues sur les personnes mêmes qu'elles sont censées aider. Dans ce contexte, nous voulons souligner le phénomène de la mise en accusation double, qui survient quand un homme accusé de voies de fait contre sa conjointe insiste pour dire que c'est elle « qui a commencé » et qui devrait être accusée. Cela a eu pour conséquence que de plus en plus de femmes se retrouvent empêtrées dans le système de justice pénale. La mise en accusation double a entre autres pour effet que des femmes se retrouvent accusées de voies de fait alors qu'elles n'auraient jamais dû l'être. Si ces dispositions sont adoptées, et que leurs conjoints les accusent encore de violence, elles pourraient se buter à l'inversion du fardeau de la preuve. Par conséquent, elles seront détenues et risquent de plaider coupables, ce qui perpétuera le cycle encore et encore.
    Vous devez savoir que plus de 40 % des femmes actuellement détenues sont autochtones. Cette disposition du projet de loi ne fera qu'aggraver une situation déjà honteuse. Si une personne qui a déjà été accusée de violence familiale l'est de nouveau, et que l'on juge qu'elle présente un risque pour la sécurité publique, pour quelqu'un d'autre ou pour la collectivité en général, il convient de refuser la mise en liberté sous caution. Il n'est pas nécessaire de recourir à l'inversion du fardeau de la preuve, car cela ne permettra pas d'atteindre l'objectif visé et aura plutôt des conséquences tragiques pour beaucoup de femmes autochtones.
    Nous sommes également préoccupés par l'augmentation du nombre d'« infractions » dites punissables par procédure très sommaire. Nous avons plus de 25 ans d'expérience de travail avec les Autochtones devant les tribunaux pénaux, et nous savons ce qui arrivera si la durée de la peine maximale est augmentée pour la plupart des infractions punissables par déclaration sommaire de culpabilité: les procureurs insisteront pour que ces peines supérieures soient imposées, et les juges les imposeront, parce que ce sera justifié par la volonté du Parlement.

  (1840)  

     C'est un exemple parfait de ce que les criminologues appellent un « élargissement du filet ». S'il est nécessaire d'avoir des « super infractions » de ce type pour les cas où des infractions punissables par voie sommaire deviendraient des accusations mixtes — et j'ai bien dit « si » —, alors peut-être que leur utilisation est justifiable. Présentement, cependant, la promesse d'augmenter le nombre d'infractions mixtes sert de cheval de Troie et vise à faire augmenter largement et de manière injustifiée la peine maximale imposée pour les infractions punissables par déclaration sommaire de culpabilité.
    Pour terminer, permettez-moi de vous parler un peu de ce qui manque dans ce projet de loi. Comme il se veut exhaustif et qu'il touche déjà de nombreuses questions, petites et grandes, nous trouvons renversant qu'on évite d'y mentionner ce qui saute aux yeux, soit la prolifération des peines minimales obligatoires et les restrictions injustifiées à l'accès aux peines d'emprisonnement avec sursis. Il s'agit du plus grand changement apporté au système de justice pénale au Canada au XXIe siècle.
    Le gouvernement actuel sait bien que les peines minimales obligatoires sont inefficaces. La ministre de la Justice elle-même en a parlé. Il y a presque un an exactement, le 29 septembre 2017, pour être précis, elle a déclaré ce qui suit à propos des peines minimales obligatoires:
Il ne fait absolument aucun doute que les peines minimales obligatoires ont un effet disproportionné sur les Autochtones, de même que sur les autres populations vulnérables. Les données sont claires. L'accroissement du recours aux peines minimales obligatoires depuis une dizaine d'années a contribué à la surreprésentation des Autochtones, des membres des communautés racialisés et des femmes dans notre système carcéral. Les juges sont bien outillés pour évaluer les contrevenants qui comparaissent devant eux et pour veiller à ce que la peine soit proportionnelle au crime.
    L'un des objectifs de ce projet de loi est d'accroître l'efficacité et de désencombrer les tribunaux. Pourtant, il y a beaucoup, beaucoup de contestations fondées sur la Charte devant le tribunaux en ce moment, et beaucoup d'autres sont envisagées pour contester les peines minimales obligatoires. J'ai pris part à un certain nombre de ces contestations, et je peux vous dire qu'elles prennent beaucoup de temps aux tribunaux. Chaque jour où le gouvernement tarde à se pencher sur l'incidence des peines minimales obligatoires, des gens sont emprisonnés inutilement. Je dis bien: tous les jours.
    Si vous vous demandez quelle est l'incidence des peines minimales obligatoires sur les Autochtones, vous n'avez qu'à regarder le nombre de contestations déposées par des contrevenants autochtones et à écouter les mots mêmes de la ministre de la Justice. Le gouvernement au pouvoir a promis de légiférer afin d'honorer toutes les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation qui relèvent de sa compétence. Le 32e appel à l'action se lit comme suit: « Nous demandons au gouvernement fédéral de modifier le Code criminel afin de permettre aux juges de première instance, avec motifs à l’appui, de déroger à l’imposition des peines minimales obligatoires de même qu’aux restrictions concernant le recours aux peines d’emprisonnement avec sursis. »
    Mesdames et messieurs les membres du Comité, il est plus que temps de répondre à cet appel à l'action. Si le projet de loi n'est pas modifié pour rectifier le tir en ce qui concerne les peines minimales obligatoires et les restrictions au recours aux peines d'emprisonnement avec sursis, rien n'arrivera avant les prochaines élections, et si rien n'arrive avant les prochaines élections, il faudra encore attendre des années avant que quelque chose ne se passe.
    Le gouvernement actuel ne croit pas à l'utilité des peines minimales obligatoires. Le gouvernement croit non seulement qu'elles sont inefficaces, mais qu'elles contribuent aux inégalités dans le système de justice, et il a parfaitement raison à ce sujet. Rien ne peut justifier d'attendre plus longtemps; il n'y a pas d'excuse. Nous savons ce qu'il faut faire et nous savons qu'il faut le faire maintenant.
    Merci. Meegwetch

  (1845)  

    Merci beaucoup pour votre témoignage.
    C'est maintenant au tour du Barreau de l'Ontario.
    Comme on l'a déjà dit, je suis le président élu du Barreau de l'Ontario. Mme Clément est conseillère attitrée. Derrière moi se trouve John Callaghan, conseiller élu. Nous vous remercions de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui.
    Le Barreau de l'Ontario réglemente plus de 53 000 avocats ainsi que 8 500 parajuristes titulaires d'un permis. La loi nous oblige à protéger l'intérêt public, à promouvoir la cause de la justice, à assurer la primauté du droit et à faciliter l'accès à la justice. Nous sommes un organisme qui réglemente les services juridiques dans l'intérêt du public.
    La portée du projet de loi C-75 est très large, c'est pourquoi nos commentaires sont axés sur les dispositions qui relèvent de notre compétence comme organisme juridique indépendant. Nous allons aborder également les importantes conséquences néfastes potentielles sur l'accès à la justice que nous jugeons importantes. Nous croyons qu'il s'agit de conséquences inattendues des dispositions proposées dans le projet de loi C-75 et qu'il serait possible de les corriger.
    Comme vous le savez, en vertu du Code criminel, les agents réglementés peuvent comparaître pour des affaires d'infractions simples. C'est pourquoi les parajuristes, en Ontario, sont réglementés depuis une dizaine d'années. La Cour d'appel de l'Ontario a reconnu il y a de nombreuses années à quel point cela était important, et des mesures ont été prises en conséquence en 2007.
    Les parajuristes, les étudiants en droit, les stagiaires en droit et les candidats à un permis d'exercice d'avocat sont des agents. Ils peuvent comparaître pour des questions de déclaration sommaire de culpabilité. Or, l'article 802.1 interdit à un agent réglementé de comparaître si la partie défenderesse est passible d'un emprisonnement de plus de six mois. La conséquence est ce que M. Rudin a décrit il y a un petit moment: les agents ne peuvent pas comparaître devant les tribunaux pour les infractions très sommaires parce que la nouvelle peine par défaut sera supérieure à six mois d'emprisonnement.
    Comme vous le savez — et le groupe de témoins précédent vous en a parlé —, l'élimination des peines de six mois pour les infractions mineures et le fait d'imposer une peine maximale par défaut de deux ans moins un jour d'emprisonnement aura la conséquence inattendue — mais très importante — d'empêcher les étudiants en droit, les stagiaires en droit, les candidats à un permis d'exercice, les parajuristes et les agents des autres provinces de comparaître dans les affaires d'infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
    En Ontario, les agents réglementés jouent un rôle important dans le système de justice pénale. Les parajuristes sont des professionnels du droit indépendant qui sont agréés et réglementés par le Barreau de l'Ontario. Ils fournissent un ensemble précis de services réglementés, par exemple lorsqu'ils comparaissent pour des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Dans l'ensemble, en Ontario, les parajuristes fournissent la plus grande partie des services juridiques visant des affaires d'infractions criminelles ou quasi criminelles. Beaucoup d'entre eux affirment qu'une très grande part de leurs activités consiste à représenter des clients accusés d'infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
    Les stagiaires et les étudiants en droit participent aux audiences devant les tribunaux. Les stagiaires en droit assistent fréquemment aux audiences des cours ou des tribunaux et prennent la parole à propos de questions administratives de routine, par exemple, les ajournements sans opposition, les motions de consentement, les notions non contestées et la fixation des dates. Les stagiaires tiennent également régulièrement ou fréquemment des audiences ou des procès autorisés. Leur participation aux affaires de déclaration de culpabilité par procédure sommaire fait partie de ces activités. Il est donc très important que ces services puissent continuer d'être offerts par ceux qui les offrent actuellement.
    Nous sommes conscients que nous tous ici présents, le gouvernement y compris, avons un objectif commun, c'est-à-dire de faciliter l'accès à la justice, de réduire les retards judiciaires et de renforcer l'équité. Nous reconnaissons que le projet de loi comprend certaines dispositions élaborées dans ce but et à cet effet. Cependant, la disposition qui fera passer de six mois à deux ans moins un jour la durée des peines pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire entraîne trois problèmes importants.
    Mme Clément abordera les deux premiers.

  (1850)  

[Français]

    Tout d'abord, en rendant des peines potentiellement plus longues en matière de déclaration sommaire de culpabilité, on réduit les possibilités de représentation, ce qui nuit à l'accès à la justice.
    À l'heure actuelle, les Ontariennes et les Ontariens qui ne peuvent pas se payer un avocat et qui ne sont pas admissibles à de l'aide juridique peuvent recourir à une représentation plus abordable auprès d'un parajuriste, d'un stagiaire ou d'un étudiant en droit dans les cliniques juridiques. Si cette option est éliminée, il est probable que les personnes les plus vulnérables qui font face à des peines plus longues ne seront pas représentées. Non seulement cela réduit l'accès à la justice, mais, parce que les accusés non représentés connaissent généralement moins bien les procédures judiciaires, ils ont tendance à ralentir les procédures, ce qui aggrave les retards judiciaires.
    Deuxièmement, le changement proposé pourrait nuire aux groupes autochtones et racisés, comme notre collègue l'a mentionné tantôt. Ces groupes sont déjà surreprésentés dans le système de justice.
    La recherche montre que, lorsque le Parlement augmente les peines, les tribunaux en déduisent que cela signifie qu'ils devraient imposer des peines plus longues. Cela est inquiétant, étant donné que les personnes autochtones et racisées présentent déjà des taux d'incarcération beaucoup plus élevés.

[Traduction]

    Laissez-moi rendre tout cela un peu plus concret. L'année dernière, ma fille était étudiante en droit. Elle a représenté une personne accusée d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Elle était accusée d'avoir remplacé l'étiquette d'une bouteille de shampoing par une autre et de vol en vertu de... Ma fille faisait partie d'une clinique juridique étudiante, et elle a donc pu offrir ses services juridiques à cette personne, qui n'aurait pas pu s'en prévaloir autrement. Si on interdit aux étudiants en droit, aux stagiaires en droit et aux parajuristes de représenter les gens dans cette situation, ils risquent fort de ne pas avoir droit à l'aide juridique et de ne pas pouvoir se payer un avocat et seront donc non représentés dans le système de justice pénale.
    Pour donner suite à ce qui a été dit relativement à l'immigration par le précédent groupe de témoins — et c'est le genre de choses qui est peu probable dans ce contexte en particulier —, si la peine imposée était de sept mois au lieu de six, la personne ne pourrait pas interjeter appel d'une mesure de renvoi devant la Section d'appel de l'immigration. Elle n'aurait plus ce droit.
    Notre système prévoit différents niveaux de gravité pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Nous risquons d'empêcher les personnes accusées d'être représentées et d'alourdir les conséquences pour elles lorsqu'il s'agit d'infractions qui, même si elles demeurent importantes, sont moins graves.
    Une de nos préoccupations touche particulièrement l'Ontario. Nous avons conçu et mis en oeuvre un système de représentation parajuridique. Nous avons mis en place un système d'éducation, de formation et d'agrément fondé sur les peines de six mois. Nous avons créé un système où les parajuristes qualifiés peuvent fournir ce genre de services, même si le régime d'accréditation n'est pas axé sur cette limite de six mois. S'il fallait concevoir un système axé sur une limite de deux ans, dans lequel toutes les personnes accusées d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire étaient passibles d'une peine maximale de deux ans, nous aurions à revoir — ou plutôt, le gouvernement provincial, pour autant qu'il en ait le pouvoir, aurait à revoir — le système parajuridique ontarien dans son ensemble pour veiller à ce que les gens puissent être adéquatement représentés.
    Nous croyons qu'il est extrêmement important que les gens — à moins qu'il n'y ait une bonne raison — aient le droit d'être représentés et que les populations vulnérables ne soient pas exposées à des préjudices plus grands; nous croyons aussi que ce système bien établi et qui fonctionne ne doit pas être bouleversé sans une bonne raison apparente.
    En résumé, nous vous recommandons de maintenir le statu quo en laissant à six mois la peine maximale pour cette catégorie d'infractions. Selon nous, cela ne nuira pas à vos efforts visant à diminuer les retards. Du point de vue des politiques publiques, nous croyons que cela ne nuira aucunement à l'atteinte de votre objectif. En maintenant le statu quo, nous pourrons continuer d'aider comme nous le faisons déjà les gens qui se retrouvent face au système de justice pénale.

  (1855)  

    Merci beaucoup.
    La parole va à M. Rosenes.
    Merci et bonsoir. Je vous suis très reconnaissant de m'avoir invité à témoigner devant vous ce soir.

[Français]

    Je voudrais remercier les membres du Comité de cette invitation.

[Traduction]

    Voici ce que j'ai à dire.
    Si je suis ici ce soir, c'est surtout pour vous parler en particulier des conséquences des dispositions législatives concernant les maisons de débauche sur les personnes de la communauté LGBTQ au fil des années. Même si j'approuve la proposition d'abroger les dispositions sur les relations sexuelles anales du Code criminel, je tiens à préciser que ce n'était pas les seules dispositions qui ont été utilisées injustement contre les personnes LGBTQ de ma collectivité.
    J'aimerais tout d'abord vous raconter les événements qui ont eu lieu la nuit du 5 février 1981. Cette nuit est restée gravée à tout jamais dans ma mémoire, malgré tous mes efforts pour l'oublier.
    Cette nuit-là, j'étais dans un sauna de Bay Street. Pour ceux qui ne le savent pas, il s'agit d'un endroit fréquenté par les hommes cherchant à avoir des relations sexuelles consensuelles avec d'autres hommes. J'y avais déjà été plusieurs fois. J'avais 34 ans, j'étais sorti du placard et je voulais profiter de ma nouvelle liberté sexuelle dans un endroit que l'on disait sécuritaire. Malheureusement, ce qui s'est passé en réalité, cette nuit-là, c'est que j'ai fait connaissance pour la première fois avec l'État et avec la police qui avait pris l'initiative d'appliquer la loi archaïque sur les maisons de débauche, encore en vigueur sur papier et dans la loi, même aujourd'hui. J'espère vivement que ces dispositions seront abrogées dans le projet de loi C-75.
    Cette nuit-là, la police nous a brutalement arrêtés et nous a traités de « sales pédés ». Nous avons été arrêtés parce que nous nous trouvions « dans une maison de débauche d'après la loi ». La police soupçonnait peut-être qu'il y avait eu échange d'argent contre des services sexuels, mais cela n'a jamais été prouvé devant les tribunaux. Tous les saunas de la ville ont été saccagés cette nuit-là, et en résultat, plusieurs ont fermé leurs portes définitivement ensuite.
    L'automne dernier, lorsque le premier ministre a présenté ses excuses à la communauté LGBTQ, il a mentionné les descentes dans les bains publics et les dispositions sur les maisons de débauche en particulier. Malgré tout, ceux d'entre nous qui se sont fait arrêter à cause de ces dispositions sont restés ignorés dans le plus récent projet de loi, le projet de loi C-66, le projet de loi sur la radiation. J'ai également témoigné devant les sénateurs, qui, avec le recul, m'ont paru réticents à l'idée de s'attaquer au problème. Peut-être — et nous pourrions en discuter — étaient-ils préoccupés par la possibilité que le projet de loi ne soit pas adopté avant que le Parlement n'ajourne pour l'été. Nous pensons — je pense — que nous avons raté l'occasion avec le projet de loi C-66 d'abroger les dispositions relatives aux maisons de débauche.
    J'aimerais rappeler à tous ici présents que plus de 1 300 hommes ont été accusés de ce type d'infraction, entre 1968 et 2004, parce qu'ils se trouvaient dans un sauna. J'ai l'impression de parler en leur nom ici.
    Nous avons été traînés devant les tribunaux et humiliés publiquement. J'ai dû comparaître à la barre, où j'ai admis que je me trouvais au sauna cette nuit-là. Oui, j'ai témoigné à la barre et j'ai dit la vérité. J'ai été l'un des quelque 36 hommes sur les 300 qui ont été arrêtés, qui ont été reconnus coupables et qui ont dû payer une amende. En ce qui me concerne, le montant n'était pas important par rapport à la honte que de nombreux autres hommes et moi-même ressentions lorsque nos noms étaient lus à haute voix en audience publique et rapportés dans les journaux de l'époque.
    J'ai eu de la chance, car j'ai réussi à préserver mon estime personnelle. J'ai bénéficié de nombreux avantages: l'amour de ma famille et de mes partenaires et une bonne éducation. Malgré tout, je n'oublierai jamais ce qui s'est passé cette nuit-là. J'ai été arrêté et condamné injustement. Je n'avais commis aucun crime.

  (1900)  

    D'autres n'ont pas eu cette chance. Cette nuit-là, la vie de bien des gens a été gâchée par l'exposition devant le tribunal et dans la presse. À l'époque, les bains publics étaient souvent fréquentés par des hommes vivant dans des familles dont les membres n'avaient aucune idée de l'orientation sexuelle de leur conjoint, de leur père ou de leur frère, et bon nombre étaient issus de cultures au sein desquelles l'homosexualité était mal vue.
    Ceux d'entre nous qui ont été arrêtés lors des descentes dans les bains publics dépendent maintenant de l'abrogation des dispositions sur les maisons de débauche. Encore aujourd'hui, je suis choqué de constater à quel point cette nuit-là a été traumatisante et stigmatisante, tout comme l'ont été les descentes dans les bains publics. Au moins deux hommes se sont suicidés. Je continue d'être l'une des rares personnes parmi celles, qui ont été arrêtées à être prête à parler publiquement des descentes dans les bains publics et de cette nuit-là.
    Le pouvoir implacable de la stigmatisation continue de jeter une ombre sur de nombreuses vies. C'est pourquoi je suis ici aujourd'hui pour demander aux législateurs de veiller à ce que les gens comme moi, ceux qui ont des casiers judiciaires et qui ont été condamnés à tort pour avoir été trouvés dans une maison de débauche, soient traités sur un pied d'égalité dans le projet de loi. Nous sommes passés à côté dans le projet de loi C-66, mais j'aimerais être traité de la même façon que toutes mes consoeurs et tous mes confrères LGBTQ, qui ont été chassés de la fonction publique ou exclus de l'armée pour cause d'indignité.
    Comme je l'ai dit, notre capacité à demander la radiation de nos condamnations injustifiées et, dans certains cas, de nos casiers judiciaires dépend maintenant de l'abrogation des dispositions sur les maisons de débauche. Le projet de loi C-66 mentionnait clairement qu'une infraction devait d'abord être abolie avant que l'on puisse l'ajouter à la liste des infractions admissibles à la radiation; les dispositions doivent donc être abrogées.
    J'ai été assez surpris de constater, à la suite d'une demande d'information présentée par le Service de police de Toronto en décembre 2017, qu'on pouvait encore trouver dans leurs archives un dossier de mon arrestation ainsi qu'un rapport supplémentaire. Je suppose que si c'est vrai pour moi, c'est vrai pour d'autres. Par conséquent, je suis en fait ici aujourd'hui en notre nom à tous pour m'assurer que nous sommes maintenant inclus dans le projet de loi C-75. Les personnes qui ont été arrêtées à tort lors des descentes dans les bains publics ont, à mon avis, tout à fait le droit de demander elles aussi à être incluses dans le projet de loi qui offre la radiation à d'autres personnes et de se sentir visées par les excuses présentées par le gouvernement. Les dispositions sur les maisons de débauche étaient, entre autres, celles qui étaient utilisées « afin de victimiser systématiquement les personnes LGBTQ2S+ », pour citer correctement le député Randy Boissonnault.
    Le projet de loi C-75 vous donne l'occasion de corriger cette omission. Je crois que ce serait une grave erreur judiciaire de faire fi de cette occasion et de nous priver, nous tous, de notre droit à l'égalité devant la loi. Je pense qu'il est temps que les notions d'indécence du XIXe siècle deviennent chose du passé. Seuls les actes qui ne sont pas consensuels ou qui causent du tort à autrui devraient faire l'objet de poursuites en vertu de dispositions plus appropriées du Code criminel.
    J'aimerais aussi dire que je suis solidaire avec les travailleurs du sexe parce que je suis bien placé pour comprendre les torts causés par les dispositions sur les maisons de débauche. Je me joins également à d'autres pour recommander que le projet de loi soit amendé afin que soient abrogées les dispositions qui ont été injustement utilisées contre nos communautés, y compris celles qui concernent l'obscénité, la représentation théâtrale immorale, l'exposition indécente et la nudité. Je sais que, la semaine prochaine, mes collègues aborderont plus en profondeur certaines de ces questions.
    À mon avis, il est essentiel que nous tournions la page en ce qui concerne ces moments douloureux de notre histoire. Certains diront que les descentes sont le fruit des attitudes et des opinions, c'est-à-dire des préjugés et des craintes à l'égard des homosexuels et de l'homosexualité qui prévalaient dans la société à l'époque et qui persistent encore aujourd'hui. Les dispositions législatives ne modifient pas nécessairement les attitudes prédominantes, mais elles sont absolument nécessaires, selon moi, pour la protection des droits de la personne. Elles représentent une étape nécessaire dans la lutte continue pour promouvoir la tolérance et le respect des différences dans la société canadienne.

  (1905)  

    Pendant que vous vous occupez des retards dans le système judiciaire et que vous examinez la question de façon très générale dans ce projet de loi, j'espère que vous saisirez l'occasion de vous rappeler ceux d'entre nous qui ont été arrêtés en 1981 et au fil des ans, de 1964 jusqu'aux années 2000, et que vous ferez en sorte que, cette fois-ci, les dispositions sur les maisons de débauche soient abrogées dans le projet de loi C-75.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup d'être venu nous raconter cette histoire très touchante et d'avoir eu le courage de le faire.
    Nous allons maintenant passer à la question de M. Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à M. Mercer ou à Mme Clément et elle concerne ce qui, à mon avis, constitue un grave problème pour les parajuristes et les étudiants en droit, qui ne pourraient plus agir dans presque toutes les affaires criminelles en raison des modifications qui sont apportées au projet de loi C-75. Je veux juste me faire une idée de l'ampleur de la situation. En Ontario, combien y a-t-il de parajuristes et d'étudiants en droit qui représentent actuellement des personnes faisant face à des accusations criminelles?
    Ce serait bien de pouvoir vous fournir de bonnes statistiques fiables. Ce qui est malheureux dans notre système, c'est que nous ne disposons pas de très bonnes statistiques.
    Nous savons que les avocats criminalistes de la défense ont très souvent recours aux stagiaires en droit. Je suis persuadé qu'une très grande partie du travail effectué en ce qui concerne l'établissement des dates et d'autres questions est actuellement effectué par des étudiants.
    Nous savons qu'il existe des services d'aide juridique importants et très utiles, des sociétés étudiantes d'aide juridique, qui sont établis dans toutes les facultés de droit de l'Ontario: Toronto, Osgoode, Windsor, Western, Queen's, Ottawa et Lakehead. J'espère n'en avoir oublié aucune, mais rien qu'avec celles-là, vous avez un aperçu du nombre de services vraiment utiles fournis par des étudiants en droit sous la supervision d'avocats.
    Nous avons de 100 à 150 parajuristes qui disent qu'une partie importante de leur travail relève du droit criminel. J'aimerais être en mesure de vous dire ce qu'ils font exactement, mais nos données ne sont pas suffisantes pour répondre à cette question.
    Nous pensons certainement, soit dit en passant, que les étudiants et les parajuristes ont ensemble une incidence importante. C'est tout ce que je peux vous dire.

  (1910)  

    Merci de votre réponse.
    Je présume que, si nous ne réglons pas la question de l'article 802.1, l'une des conséquences que vous avez mentionnées sera la réduction de l'accès à la représentation, mais également, du point de vue des arriérés et des retards, je présume que chaque étudiant en droit qui agit dans une affaire devrait s'adresser au tribunal et demander à se retirer; on se retrouverait donc également avec ce problème, n'est-ce pas?
    Le problème le plus important, je suis bien sûr d'accord avec vous, c'est que, si l'on parle avec des juges, on se rend compte que les personnes qui se représentent elles-mêmes, que ce soit dans le système de justice pénale ou dans le système de droit civil, nuisent au processus. Elles causent des retards. C'est évident. Non seulement elles ne sont pas en mesure d'obtenir un résultat juste, nous savons bien que c'est vrai, mais elles engorgent le système, font perdre du temps et gaspillent les ressources des tribunaux qui pourraient autrement être disponibles. Il me semble complètement ironique que, en essayant de régler le problème des retards, on prive les personnes de la représentation qui, en fait, rend le système plus efficient.
    Selon le Barreau de l'Ontario, il faut maintenir le statu quo. En d'autres termes, nous établirions une catégorie d'infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire pour lesquelles la peine maximale serait de six mois. Je comprends votre point de vue à cet égard et, étant entendu que vous préférez cette option, une deuxième option pourrait-elle être de modifier l'article 802.1 afin de prévoir que les représentants qui agissent sous la supervision d'un avocat en exercice puissent représenter des clients dans des affaires criminelles?
    Ce ne serait pas du tout la meilleure option, parce que, en fait, on placerait sous la supervision d'avocats des parajuristes indépendants qui sont assujettis à une réglementation différente et suivent une formation distincte. La raison pour laquelle on ferait cela me dépasse complètement.
    D'accord.
    Il est vrai que les étudiants sont sous la supervision d'avocats; l'option permettrait donc de régler cet aspect du problème, mais nous avons depuis longtemps recours à des parajuristes, qui n'étaient pas réglementés auparavant, mais qui le sont maintenant, et vous élimineriez cette représentation.
    Je comprends votre point de vue et je suis d'accord avec vous. J'ai soulevé la question simplement parce que c'était un amendement recommandé dans un certain nombre de mémoires.
    Alors, si on laisse les peines à un an au lieu de six mois, avez-vous une suggestion ou une proposition d'amendement qui pourrait être présentée pour permettre aux représentants de continuer de représenter des clients dans des affaires criminelles?
    Tant que le Code criminel limite le recours aux représentants aux peines de six mois et qu'il n'y a pas de peines de six mois, il n'y a pas moyen de s'en sortir.
    La seule possibilité est d'avoir des régimes provinciaux distincts, mais cela ne fonctionne pas pour plusieurs raisons. Tout d'abord, en tant que Barreau, nous croyons en l'indépendance des professions juridiques et nous pensons qu'il serait inapproprié que la province, qui est l'organe de poursuites, soit également le décideur en ce qui concerne le champ d'activité pour la défense.
    Je pensais que l'accent que nous mettions sur l'indépendance du Barreau n'avait pas tant d'importance, parce que nous vivions dans une grande société libre et démocratique. Si on regarde autour de nous, je pense que l'on devrait se préoccuper davantage de la fragilité de nos libertés démocratiques et que l'on devrait continuer de mettre l'accent sur l'indépendance des professions juridiques par rapport à l'État.
    Il serait possible de faire en sorte que ce soit le Barreau qui détermine qui devrait pouvoir pratiquer en ce qui concerne la catégorie des infractions passibles d'une peine de deux ans moins un jour, s'il n'y avait plus que cette catégorie. Le problème, c'est que nous avons conçu un système de délivrance de permis, un programme de formation pour les parajuristes titulaires de permis en fonction de peines maximales de six mois. Le gouvernement provincial devrait donc se demander s'il devrait modifier la nature des permis, délivrer des permis spécialisés, modifier la formation... Une multitude de choses différentes seraient nécessaires si la personne risquait d'écoper de deux ans moins un jour au lieu de six mois.
    Voilà où résiderait la difficulté, possiblement insurmontable, de créer une nouvelle catégorie de parajuristes qui pourraient faire le travail, mais l'autre question qui se pose est la suivante: pourquoi le faire? Il n'y a pas de problème à régler. Nous avons un bon système qui fonctionne pour la catégorie des peines de six mois.

  (1915)  

    Merci.
    Nous allons maintenant passer à M. Boissonnault.
    Merci, monsieur le président.
    Ron, merci beaucoup d'être venu. Je suis vraiment heureux que le pays ait jugé bon d'honorer votre service en vous décernant le prix de l'Ordre du Canada, non seulement pour votre excellent travail dans le domaine du VIH et du sida, mais également pour avoir transformé votre amour et votre passion pour votre partenaire, Kimble, en toute une vie de travail au nom de la communauté. Je vous remercie.
    Je sais que vous êtes un activiste, et l'activisme ne s'arrête pas, n'est-ce pas? Vous devez donc être ici de nouveau. Je comprends cela.
    J'ai une question technique à vous poser.
    Certains juristes disent que, si nous pouvions tenir un vote d'exclusion pour la communauté LGBTQ, nous y aurions déjà pensé, et que, si nous abrogions les dispositions sur les maisons de débauche, nous en abrogerions également certaines parties qui sont encore applicables dans la société d'aujourd'hui.
    Que diriez-vous à ceux qui affirment qu'il faut préserver les dispositions sur les maisons de débauche et qu'il nous est impossible de déterminer le libellé pour exclure les personnes LGBTQ?
    Je vais commencer par dire que je ne suis pas avocat.
    Toutefois, il me semble que les dispositions législatives sont devenues archaïques par manque d'utilisation et d'application. Je crois que les dispositions relatives aux maisons de débauche n'ont été utilisées qu'une ou deux fois au cours des deux dernières années.
    Je vais poser une question, et probablement vous l'adresser: quels autres recours existe-t-il dans la loi?
    Lorsqu'on regarde les autres domaines dans lesquels j'interviens, comme la criminalisation, on constate vraiment le recours abusif général aux dispositions. Personnellement, je pense que nous devons nous assurer d'utiliser uniquement les dispositions législatives qui peuvent être appliquées dans des situations où il y a une cause véritable: le consentement n'a pas été donné, des préjudices sont causés, il y a des activités non consensuelles, etc. Je ne vois plus beaucoup d'utilité aux dispositions concernant le travail sexuel, mais je pense qu'il y a lieu d'envisager d'autres dispositions législatives, incluant possiblement l'agression sexuelle grave dans les cas de non-consentement.
    Je ne suis pas certain d'avoir répondu à votre question, mais je crois qu'on peut utiliser d'autres dispositions en vigueur et que ces dispositions archaïques doivent disparaître.
    Vous avez en effet répondu à la question, je vous en suis reconnaissant. Maintenant, j'aimerais vous poser une question personnelle, puis je reviendrai aux aspects techniques.
    Qu'est-ce que cela signifierait pour vous de voir votre casier judiciaire effacé des archives du Service de police de Toronto?
    Cela ferait disparaître un souvenir très difficile et lointain, mais je ne viens vraiment pas témoigner en mon nom. Je me fais la voix de toutes ces autres personnes. Je m'exprime au nom d'un groupe beaucoup plus important de personnes qui ont été lésées, et dans de nombreux cas, dont la vie a été ruinée. Il n'est vraiment pas question de moi. Cela concerne un vaste groupe de gens qui ont souffert de préjudices beaucoup plus importants que ceux dont j'ai souffert.
    Je prends au sérieux ma responsabilité à l'égard de la communauté, dans la mesure où je peux soutenir la communauté LGBTQ. Je crois aussi comprendre que l'abrogation des dispositions législatives serait avantageuse pour de nombreuses personnes de la communauté LGBTQ qui travaillent dans le commerce du sexe.
    Vous avez soulevé deux enjeux. L'un concerne l'abrogation des dispositions législatives ce qui est une partie, mais laissez-moi vous poser une question au sujet de la radiation, car je sais que vous en avez discuté avec de nombreux collègues et que Gary Kinsman et d'autres témoigneront la semaine prochaine.
    Si nous sommes capables d'abroger les dispositions et de modifier le projet de loi sur la radiation, serait-ce important pour vous et les gens avec qui vous avez parlé qu'il y ait également une disposition prévoyant un processus posthume, afin que la famille puisse présenter une demande au nom d'une personne accusée par le passé, mais qui n'est plus de ce monde?
    Je crois qu'il y a deux aspects importants. J'estime que cette disposition à titre posthume est importante. Je l'appuierais sans hésiter.
    En outre, j'ai beaucoup travaillé avec des historiens, qui présenteront un exposé ultérieurement. Lorsque nous avons comparu au sujet du projet de loi C-66, j'ai aussi dit: « Je ne veux plus avoir de casier judiciaire au Service de police de Toronto ou au tribunal de Scarborough, mais je ne souhaite pas qu'il disparaisse de la surface de la terre, car je crois qu'il est important de préserver notre histoire ». J'ajouterais donc à ce que vous avez dit que j'aimerais beaucoup que l'on conserve, avec ma permission expresse et mon accord, nos documents dans des archives historiques comme les archives canadiennes sur les lesbiennes et les gais à Toronto.
    Ce n'est qu'un exemple. J'aimerais que les dossiers soient conservés de cette façon, si possible, et avec notre permission expresse.

  (1920)  

    J'en prends bonne note. C'est une façon de faire, avec la permission expresse des gens, si cela figure dans la loi. L'autre façon de procéder avec les dispositions en vigueur est de présenter une demande d'accès à l'information avant que le casier judiciaire soit effacé, et ainsi, vous avez les deux ensembles de données. Aucun changement législatif ne serait alors nécessaire dans la forme actuelle.
    Merci, Ron, j'ai vraiment aimé votre témoignage.
    Monsieur le président, est-ce qu'il me reste une minute? J'aimerais m'adresser à M. Rudin.
    Monsieur Rudin, j'aimerais comprendre en quoi la décriminalisation des dispositions administratives aide la communauté du point de vue des services juridiques pour les Autochtones. En outre, en ce qui concerne l'application des principes Gladue à la mise en liberté provisoire, dans quelles sphères cela pourra-t-il être appliqué de façon uniforme? Je fais référence précisément aux infractions liées à l'administration de la justice.
    Il y a deux aspects.
    Ce que nous savons, c'est qu'il y a utilisation massive des conditions de mise en liberté sous caution inutiles. L'une des plus répandues est celle qui interdit à une personne alcoolique de consommer de l'alcool.
    Comme l'a dit Mme Deshman, les gens diront n'importe quoi pour sortir de prison. On leur impose des conditions qui ne sont pas réellement liées à des préoccupations concernant la sécurité publique ni à l'infraction en soi, mais qui font en sorte qu'ils vont continuellement être arrêtés et que leur casier judiciaire va s'épaissir de plus en plus. Comme je l'ai dit, les données— et il y en a beaucoup — montrent que les Autochtones non seulement font face à des restrictions de plus en plus nombreuses, mais sont aussi arrêtés à cause de ces restrictions. Si nous éliminons l'option d'emprisonnement, cela fait une énorme différence. En définitive, j'aimerais qu'on arrête d'imposer aux gens des conditions ridicules.
    En ce qui a trait à l'arrêt Gladue, on reconnaît, dans certaines provinces, que les dispositions de l'arrêt Gladue s'appliquent à la mise en liberté sous caution. La cour de la Saskatchewan est divisée quant à leur application. Ce n'est pas clair au Québec. Il n'y a pas eu non plus au Québec d'affaire importante sur la question. Cela permettrait d'éclaircir la situation. Ce serait très important, car nous savons qu'en Ontario, où les principes Gladue s'appliquent clairement à la mise en liberté sous caution, les Autochtones obtiennent une mise en liberté sous caution parce que les infractions antérieures liées à l'administration de la justice, par exemple, ne sont pas retenues contre eux.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    M. Rankin est le suivant.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Rosenes, je n'ai pas beaucoup de temps, car nous sommes en retard, mais j'aimerais également saluer votre bravoure. Je veux vous féliciter d'avoir défendu les intérêts des gens, ce qui vous a amené à recevoir le prix de l'Ordre du Canada, le plus prestigieux au pays. J'ai trouvé votre témoignage d'aujourd'hui très touchant et très efficace.
    Toutefois, je dois dire que je suis très préoccupé par la capacité du Comité de faire ce que vous nous demandez à juste titre de faire. J'aimerais que nous puissions recommander l'abrogation du paragraphe 210(1) du Code criminel. En effet, dans l'article 75 du projet de loi C-75, l'infraction est passible d'une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour. On pourrait croire que nous serions en mesure de faire ce que vous suggérez, ou à tout le moins de le recommander. Le conseiller législatif m'a dit qu'il pourrait être impossible pour nous de le faire, nous allons donc nous adresser au président pour savoir si nous pouvons en effet faire ce que vous recommandez à juste titre.
    J'aimerais consacrer le temps qu'il me reste à M. Rudin, si vous me le permettez.
    J'ai trouvé très percutant votre témoignage sur le renversement du fardeau de la preuve lors d'une demande de mise en liberté sous caution, particulièrement le phénomène de double accusation dont vous nous avez parlé. Je dois répéter ce que vous avez dit: plus de 40 % des femmes actuellement détenues sont autochtones. Vous dites qu'il s'agit d'une « statistique honteuse qui ne fera qu'empirer » avec la disposition du projet de loi.
    C'est une chose scandaleuse à nous dire. Par conséquent, nous devons corriger la situation, comment allons-nous procéder?
    La question a été soulevée à maintes reprises, et il est certain que, dans le cadre de l'enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la commission a entendu beaucoup de témoignages au sujet de l'incidence de la double accusation. Cela revient sans cesse dans le cadre de nos travaux.
    Un homme est accusé. Il dit: « Oh, elle l'a fait aussi », puis, la femme est accusée également. Si la femme n'a pas accès à des ressources juridiques, si elle a déjà un casier judiciaire, si elle ne veut pas rester incarcérée, elle plaidera coupable, et elle aura une épée de Damoclès au-dessus de la tête: chaque fois qu'un partenaire voudra alléguer qu'elle a été violente, elle fera face à un renversement du fardeau de la preuve. Ce sera très difficile pour elle de s'en sortir.
    C'est ce qui se passe. C'est la réalité à laquelle nous ne pensons pas par rapport aux politiques de mise en accusation obligatoire. De nombreux services de police ont une politique de mise en accusation obligatoire pour la violence conjugale. Nous ajoutons cela, car les policiers n'accusaient pas les hommes, mais ce qui en résulte, c'est que, chaque fois qu'un homme dit qu'une femme l'a frappé, la police n'enquête pas; elle porte des accusations. Elle accuse d'abord et laisse les tribunaux résoudre l'affaire ultérieurement. Cependant, si vous restez en établissement carcéral ou en détention, les tribunaux ne vont pas s'en occuper plus tard, car vous n'allez pas attendre tout ce temps.

  (1925)  

    Par conséquent, que pensez-vous qu'il faut faire par rapport à cette disposition législative?
    Je pense que vous n'en avez pas besoin. Il y a déjà des dispositions.
    Le deuxième motif, c'est si une personne constitue un danger pour une autre personne ou pour la collectivité en général. Si la personne a déjà été condamnée pour violence conjugale, alors la Couronne peut dire qu'elle s'oppose à sa mise en liberté parce qu'elle a déjà été condamnée. On n'a pas besoin d'un renversement du fardeau de la preuve pour le faire. Il suffit que les procureurs de la Couronne fassent leur travail.
    Un autre aspect très touchant de votre témoignage aujourd'hui, c'est lorsque vous avez parlé — j'utilise vos mots — « de la prolifération des peines minimales obligatoires ». Vous avez dit que c'était l'éléphant dans la pièce en ce qui a trait au projet de loi, en soulignant, je crois, que la lettre de mandat de la ministre de la Justice lui demande de se pencher sur la question. Nous ne voyons rien dans le projet de loi à cet égard, puis vous l'avez citée il y a pratiquement un an, alors qu'elle reconnaissait... soulevait essentiellement les mêmes points que vous quant à son incidence sur les communautés raciales,particulièrement les peuples autochtones.
    L'honorable Irwin Cotler, qui était le procureur général libéral, a suggéré en 2015 d'intégrer ce qu'il a décrit comme une clause échappatoire, qui donne simplement aux juges le pouvoir discrétionnaire, en fournissant des motifs écrits, d'examiner les peines minimales obligatoires et d'en imposer des plus raisonnables, s'ils jugeaient que l'imposition des peines minimales obligatoires risquerait de heurter la conscience des Canadiens.
    Est-ce quelque chose que vous pourriez appuyer?
    C'est certainement quelque chose que nous pourrions appuyer.
    L'avantage de cette approche, c'est que, en raison des motifs écrits, il y aurait un examen en appel. C'est en fait la norme qu'utilisent les juges actuellement lorsqu'ils invalident des peines minimales obligatoires. La difficulté réside dans le fait que nous invalidons les peines minimales obligatoires une à la fois. Cela fonctionne pour la peine invalidée, mais toutes les autres demeurent en vigueur.
    Je crois que les fonctionnaires du ministère de la Justice ont dit aujourd'hui qu'ils veulent attendre que tout soit prêt et qu'il y ait un gros changement, alors que nous pourrions assurer la justice maintenant, mais ils ne semblent pas vouloir se rendre là.
    Nous ne pouvons pas attendre. La situation est la suivante: tous les jours, nous voyons des clients qui font face à des peines minimales obligatoires et qui ne devraient pas être emprisonnés. Combien de temps faut-il attendre?
    Je pense que c'était très convaincant. Vous avez cité les paroles de la ministre de la Justice à ce sujet, et pourtant, voilà où nous en sommes.
    Je vous remercie de votre témoignage.
    Monsieur Mercer, ce que vous avez dit au sujet de l'article 802.1, à propos de l'incapacité des parajuristes et des étudiants en droit de représenter des gens, j'imagine que ce n'était pas l'intention du projet de loi, mais cela a néanmoins une grande incidence, comme vous le dites. Je me rappelle lorsque j'étais étudiant en droit à l'Université de Toronto combien de gens nous étions fiers de pouvoir aider, mais ce n'est plus possible, à cause du projet de loi. Ce ne peut être l'intention du gouvernement. Nous pouvons assurément trouver un moyen d'arranger les choses.
    Je suis d'accord avec vous pour dire que cela ne peut pas relever du Barreau. C'est tout simplement incompatible avec un barreau indépendant, nous devons donc faire notre travail pour corriger ce qui, selon moi, était un oubli dans le projet de loi. Je peux vous assurer que, dans la province de la Colombie-Britannique — nous entendrons des témoignages plus tard —, les mêmes enjeux ont également été soulevés et portés à mon attention, je vous remercie donc d'en parler aujourd'hui.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    M. Virani est le suivant.
    De combien de temps est-ce que je dispose, monsieur le président?
    Vous avez six minutes.
    Six minutes, c'est parfait. Merci.
    Merci et bienvenue à tous. Je suis désolé d'avoir manqué une partie des témoignages, mais j'ai lu bon nombre des mémoires.
    J'aimerais accueillir un électeur. Monsieur Mercer, merci d'être ici et d'avoir présenté vos mémoires.
    Monsieur Rudin, nous avons entendu certains témoignages plus tôt aujourd'hui au sujet des récusations péremptoires. Selon votre mémoire, l'abolition des récusations péremptoires est l'une des bonnes choses que propose le projet de loi. Tous les avocats du pays connaissent l'ACLC. Cette dernière demande l'abolition des récusations péremptoires, ce qui n'est pas appuyé.
    Pouvez-vous nous dire pourquoi il est important pour la communauté autochtone que vous servez les récusations péremptoires soient éliminées?

  (1930)  

    Nous savons que les Autochtones sont sous-représentés dans les jurys. Ils n'en font pas partie pour de nombreuses raisons; l'une d'elles, c'est qu'au moment de se présenter pour un procès, ils souhaitent y prendre part, mais on les exclut, car ils sont autochtones. Nous le savons non seulement en raison du récent procès de Gerald Stanley, mais également à cause du procès des personnes qui ont été accusées du meurtre de Helen Betty Osborne, dans les années 1980. Dans le cadre de l'Enquête publique sur l'administration de la justice et les peuples autochtones du Manitoba, on recommandait précisément l'élimination des récusations péremptoires en 1991 pour cette raison. Les gens ne voudront pas prendre part à un processus judiciaire s'ils ont le sentiment qu'ils se feront exclure du jury s'ils présentent un intérêt parce qu'une personne aurait commis des actes de violence contre un Autochtone.
    Votre appui à l'élimination des récusations péremptoires s'applique-t-il aussi à d'autres communautés raciales, particulièrement la communauté noire du Canada, dont les membres sont également surreprésentées?
    Je ne sais pas si vous avez déjà vu des gens recourir à la récusation péremptoire... J'en ai vu qui avaient l'habitude d'exclure chaque personne noire d'un jury. La Couronne refusera une personne noire. Il est impossible d'exclure les Blancs d'un jury, ils sont trop nombreux, mais vous pouvez exclure n'importe qui d'autre. C'est donc faux que les récusations péremptoires mènent d'une certaine manière à des jurys diversifiés.
    Puis-je vous poser une question qui s'éloigne un peu de l'enjeu? Avez-vous des idées créatives en matière de diversification du bassin de jurés?
    Kent Roach en parlera abondamment. Le bassin de jurés est un enjeu souvent provincial, ce sont donc les règles de chacune des provinces qui mènent à ce problème.
    En Ontario, le problème tenait au fait que, pour être membre du jury, il fallait faire partie du cadastre municipal. Les membres des Premières Nations ne figurent pas sur le cadastre municipal; un autre système a donc dû être créé, et il n'a pas fonctionné. C'est un problème que doit examiner chaque province, mais je pense — et Kent en parlera demain — que les juges et nous-mêmes pouvons prendre des mesures pour nous assurer d'avoir des jurys représentatifs et faire en sorte que le tableau des jurés soit plus représentatif.
    Je suis désolé si vous avez abordé la question pendant votre témoignage, mais en début d'après-midi, nous avons beaucoup entendu parler des agents de police et des éléments de preuve de routine présentés au moyen d'un affidavit par opposition au contre-interrogatoire d'un agent dans le cadre d'une procédure pénale. Savez-vous ce qu'en pensent les clients autochtones ou les autres communautés raciales que vous représentez?
    Certes, nous partageons ces préoccupations en ce qui a trait aux éléments de preuve de routine. Si vous pouvez soumettre un agent à un contre-interrogatoire, vous obtiendrez beaucoup de renseignements que vous n'auriez pas nécessairement pu obtenir dans le cadre du processus de collecte d'éléments de preuve de routine. Vous pourriez lui demander, par exemple, pourquoi il a choisi d'arrêter la personne ou de la fouiller.
    D'accord.
    Vous avez une autre minute et demie, si vous voulez.
    Merci.
    Pour cette dernière minute et demie, j'avoue que ça demande un effort intellectuel, mais en ce qui a trait au renversement du fardeau de la preuve et ce que nous essayons de faire pour nous attaquer au problème de violence conjugale, c'est un énorme engagement de notre gouvernement, de même que dans ce que nous essayons de faire dans le projet de loi. Comme M. Rankin l'a souligné, ce que vous dites, c'est qu'il y aura une importante conséquence inattendue. Je comprends ce que vous venez tout juste de dire et j'ai lu votre mémoire.
    Vous avez parlé du concept de double accusation. Toutefois, d'après ce que je comprends du projet de loi, le renversement du fardeau de la preuve s'appliquerait s'il y avait une condamnation antérieure. Il existe une différence subtile entre le fait d'être accusé et le fait d'être condamné, mais dans le contexte de la mise en accusation obligatoire, diriez-vous que les femmes accusées obtiennent aussi, par conséquent, une condamnation, ce qui peut mener au refus de leur mise en liberté sous caution au bout du compte, lors d'une deuxième fois?
    C'est tout à fait exact. Dans le dernier groupe de témoins, vous avez entendu Mme Deshman. Pour de nombreuses femmes autochtones, le simple fait d'être libérée sous caution présente un défi.
    Pensez-y. Si vous avez des antécédents judiciaires pour quelque chose d'autre, que vous êtes accusée d'une infraction, de voies de fait, au même titre que votre partenaire, vous n'allez pas obtenir de mise en liberté sous caution. Que faites-vous alors? Vous plaidez coupable parce que vous voulez sortir de prison, mais vous avez maintenant une accusation de violence conjugale qui pèse contre vous. Si vous voulez porter des accusations de violence contre votre partenaire la prochaine fois, s'il y en a une, il peut dire: « Oh, elle l'a fait aussi ». Vous faites alors face au renversement du fardeau de la preuve. Vous n'arriverez jamais à sortir de ce cercle vicieux.
    La difficulté que pose le renversement du fardeau de la preuve, c'est qu'à bien des égards, il y a une certaine paresse. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut faire le travail: s'il y a une préoccupation pour la sécurité publique, il faut faire valoir ce point. Le renversement du fardeau de la preuve rend cela trop facile de garder les gens incarcérés, et encore une fois, ce sont souvent les mauvaises personnes. Voilà ce qui en est de toutes les tentatives — très bien intentionnées — visant à régler le problème de violence conjugale. Il en résulte que de plus en plus de femmes autochtones ont des démêlés avec le système de justice. Nous devons nous arrêter et prendre le temps de réfléchir aux répercussions réelles que cela aura sur le terrain. De notre point de vue, ce sera très dommageable pour les femmes autochtones.

  (1935)  

    Merci.
    Merci beaucoup.
    Étant donné l'heure — il est passé 19 h 30 —, j'aimerais remercier les membres du groupe de témoins d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Encore une fois, cela nous a été extrêmement profitable.
    Chers collègues, je vous remercie de votre patience aujourd'hui. Nous allons reprendre l'étude à notre prochaine réunion, demain à 15 h 30.
    La séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU