Passer au contenu
Début du contenu

JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 108 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 25 septembre 2018

[Énregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

     Bonjour, chers collègues. Bonjour à nos témoins.
    Nous allons maintenant reprendre notre étude du projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d'autres lois.
    Je suis heureux d'accueillir nos témoins du premier groupe.

[Français]

     Nous recevons Me Yves Gratton, qui est de l'Aide juridique de Montréal | Laval.
    Bienvenue, monsieur Gratton.

[Traduction]

    De la Pivot Legal Society, nous accueillons deux avocats de la Colombie-Britannique, Naomi Moses et Caitlin Shane. Bienvenue au Comité. Comme nous tâchons d'entendre en premier lieu les témoins qui comparaissent par vidéoconférence, nous allons commencer par vous. Nous entendrons ensuite Me Gratton, après quoi nous passerons aux questions.
    Pivot, la parole est à vous.
    Bonjour, monsieur le président et membres du Comité. Je m'appelle Caitlin Shane et je suis avocate à la Pivot Legal Society. Je suis accompagnée aujourd'hui de Naomi Moses, avocat et membre du conseil d'administration de Pivot.
    Pivot est un organisme de parrainage juridique et de défense des droits de la personne basé dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. Nous recevons nos mandats directement de nos clients, c'est-à-dire de travailleuses du sexe, de consommateurs de drogues, de sans-abri et de gens qui, dans l'ensemble, vivent bien en dessous du seuil de la pauvreté.
    Au nom de nos clients, nous exhortons le Comité à appuyer les propositions de modification des dispositions relatives à la suramende compensatoire. Il est essentiel de redonner le pouvoir discrétionnaire aux juges qui, aux termes de la loi actuelle, ne peuvent pas exempter de cette amende les accusés qui n'ont pas les moyens de la payer. Nous avons quelques recommandations mineures à formuler. Je laisserai à Naomi le soin de vous les exposer.
    À titre d'information, dans son intervention devant la Cour suprême du Canada dans une contestation de la constitutionnalité de la suramende compensatoire, Pivot a fait valoir que la suramende obligatoire équivalait à une peine cruelle et inhabituelle. Nous avons expliqué ce que cela signifiait pour les accusés indigents de se présenter devant le tribunal et de se voir imposer une amende qu'ils ne pourront pas payer. Je voudrais aujourd'hui expliquer au Comité certains des effets néfastes que nous avons signalés à la Cour suprême.
    Pour le défendeur qui réussit à payer la suramende, cela signifie avoir 100 $ de moins sur les 335 $ qu'il touche chaque mois à titre d'aide au revenu pour se nourrir, se vêtir et payer les nécessités de subsistance. Dans le cas du défendeur qui ne paie pas, cela signifie faire l'objet de recours civils de recouvrement, et il importe de signaler qu'en Colombie-Britannique le montant de la suramende peut être prélevé sur les prestations de protection sociale, les comptes bancaires et les salaires. Pour le défendeur qui demande une prolongation du délai de paiement — paiement qu'il pourrait ne jamais être en mesure de faire —, cela signifie qu'il doit s'engager à répétition dans un processus de demande qui est long, inaccessible et non soutenu par le programme provincial d'aide juridique.
    Dans le cas du défendeur qui manque à ses obligations de paiement, cela signifie qu'il vit constamment dans la crainte des conséquences de son défaut de paiement, y compris l'arrestation. Il importe peu que l'arrestation soit probable. La Cour suprême du Canada a conclu, pour ce qui est des travailleuses du sexe et des toxicomanes, que la crainte d'une arrestation peut mener à des situations réellement dangereuses, à savoir être coupé des fournisseurs de services, ne pas risquer d'appeler la police lorsqu'il y a une urgence et qu'une aide est nécessaire, vivre dans l'isolement au milieu des crises du logement et des opioïdes.
    Nous estimons que la suramende aboutit au même scénario. Il demeure pertinent. Une personne qui vit dans la crainte d'être emprisonnée est exposée aux mêmes risques et n'aura pas nécessairement recours à l'aide dont elle a besoin.
    Partout en Colombie-Britannique, des juges ont reconnu ces effets néfastes et, malgré les précédents de common law, condamnent régulièrement les contrevenants à une journée d'emprisonnement en défaut de paiement. Cette pratique peut paraître alarmante, mais elle ne procède pas d'un esprit de malveillance. Nous dirions qu'elle tient plutôt à la compassion et à la reconnaissance du fait que tel défendeur ne peut pas payer. Dans un tel cas, il n'y a pas d'autres options.
    Je terminerai en disant que le Parlement a maintenant une belle occasion de remédier aux dommages causés par le caractère obligatoire de la suramende compensatoire. Nous demandons seulement que les dispositions soient formulées de façon à créer un régime qui soit, autant que possible, accessible et adapté aux besoins des groupes à faible revenu.
    Je cède maintenant la parole à Naomi, qui pourra mieux que moi vous les expliquer.
    Merci de votre attention.

  (1535)  

     Bonjour, monsieur le président et membres du Comité. Je suis avocat chez Rosenberg Kosakoski Litigation, à Vancouver, et je comparais aujourd'hui au nom de la Pivot Legal Society.
    Je suis d'accord avec ma collègue pour dire que ce projet de loi est un pas important dans l'amélioration du vécu des clients de Pivot, dont beaucoup vivent dans une pauvreté extrême dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver et qui ont été très durement touchés par le caractère obligatoire de la suramende compensatoire. Nous avons également des recommandations concrètes pour améliorer les modifications proposées.
    Je m'attarderai sur une seule partie des modifications proposées, soit le nouveau paragraphe 737(5). Dans son libellé actuel, cette disposition permet aux contrevenants d'être exemptés du paiement de la suramende compensatoire, pourvu qu'ils puissent convaincre le tribunal que cela leur causerait un préjudice injustifié. La personne doit demander une exemption au tribunal.
    Nous croyons que le libellé du paragraphe 5 devrait refléter ce que les juges faisaient en pratique avant les modifications apportées en 2013 à ces dispositions, qui ont rendu la suramende compensatoire obligatoire. La pratique générale, en cour provinciale, voulait que le juge, souvent de sa propre initiative et sans qu'il y ait demande officielle, exempte le contrevenant, au moment de la détermination de la peine, après que celui-ci a eu l'occasion de faire état de sa situation financière.
    En supprimant de ce paragraphe les passages « le contrevenant le convainc que » et « sur demande du contrevenant », on rétablirait le pouvoir discrétionnaire du juge de prononcer ces exemptions au besoin, tout en conservant la présomption qu'une suramende sera imposée.
     Une révision comme celle-ci ferait en sorte que l'exemption pour préjudice serait accessible aux personnes qui en ont le plus besoin. Ce sont des gens qui vivent dans la pauvreté. Ils ne sont généralement pas représentés par un avocat et ils sont souvent reconnus coupables d'infractions relativement mineures, comme le vol à l'épicerie, le non-respect des conditions et le défaut de comparaître, tous des accusations criminelles très courantes dans le quartier Downtown Eastside.
    De plus, nous exhortons le Comité à examiner la façon dont ce projet de loi pourrait être élargi de manière à exempter les personnes à qui une suramende à été imposée et qui ne peuvent pas la payer. Ce sont des gens qui ont déjà demandé des prolongations de délai de paiement, car c'est le seul allégement prévu par la loi actuelle. Nous proposons que cette loi soit modifiée de façon à ce que ces suramendes soient rayées des dossiers des personnes qui vivent dans la pauvreté et qui ne peuvent pas les payer sans compromettre sérieusement leur bien-être, leur sécurité, voire leur survie.
    Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au Comité aujourd'hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup.

  (1540)  

[Français]

     Nous allons donner la parole à Me Gratton, de l'Aide juridique de Montréal | Laval.
     Bonjour, messieurs et mesdames.
    Je ne répéterai pas ce que viennent de dire les deux avocates de l'organisation Pivot Legal Society. J'ai aussi eu l'occasion d'entendre leurs plaidoiries à la Cour suprême.
     Permettez-moi un bref historique. Une des raisons de ma présence aujourd'hui est une cause que j'ai portée en appel au Québec, l'affaire Alex Boudreault c. Sa Majesté la reine, et al.. Cette cause concernait le pouvoir discrétionnaire du juge d'imposer ou non une suramende compensatoire, pouvoir qui avait été retiré par le Parti conservateur en 2013. La cause a été entendue par la Cour suprême en avril 2018, et nous attendons son verdict. Trois dossiers de la Cour d'appel d'Ontario se sont greffés à la cause de M. Boudreault, que je défendais et qui émanait de la Cour d'appel du Québec. Il y avait donc des intervenants de partout au Canada.
    En premier lieu, je tiens à dire que nous ne nous attardons pas à certains arguments juridiques comme, par exemple, prétendre que l'imposition d'une suramende compensatoire enfreint l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Sans aller jusqu'à ce niveau de détail, nous voulons rassurer les gens et leur dire que nous, en tant que représentants des accusés, ne nous opposons pas au principe de la suramende compensatoire. Cette dernière a sa raison d'être et elle est importante dans le système pénal canadien. Tous les intervenants, les procureurs et les avocats au Canada sont d'accord sur ce point.
    Là où nous ne sommes plus d'accord, c'est sur le retrait du pouvoir discrétionnaire du juge. Nous suggérons que ce pouvoir discrétionnaire soit rétabli, entre autres pour les raisons mentionnées par mes deux consoeurs. Un des principes fondamentaux du Code criminel oblige le juge à s'enquérir de la capacité de payer de l'accusé avant de lui imposer une amende. Nous croyons et nous plaidons respectueusement que ce raisonnement devrait également s'appliquer dans le cas d'une suramende compensatoire. Il faut comprendre ici que la suramende compensatoire s'applique non seulement à tous les dossiers, mais aussi à tous les chefs d'accusation contenus dans une dénonciation ou un acte d'accusation.
    Je vous donne un exemple simple: dans le cas de cinq chefs d'accusation liés à un acte criminel et pour lesquels la personne est condamnée à une peine de prison, la suramende compensatoire va s'élever à 1 000 $. Cela pourrait résulter en une peine disproportionnée, car le juge ne tiendra pas compte de la suramende compensatoire qu'il est obligé d'imposer et qui sera gérée par le greffe du tribunal, et que le contrevenant ne paiera même pas parce qu'il n'a pas d'argent.
     S'il écope d'une peine de prison, certains se diront que le contrevenant aura l'option de faire des travaux communautaires comme punition de son défaut de paiement. Or, dans les provinces qui permettent ces travaux, le délai est de deux ans. À ma connaissance, mais je n'en ai pas la preuve et je n'y vois pas de solution, il est impossible pour un détenu de faire des travaux communautaires. Si sa peine d'emprisonnement est de trois ans, la seule solution dans son cas sera alors de prolonger son incarcération, comme l'ont mentionné mes consoeurs. Il s'agit ici d'un exemple parmi tant d'autres dans le cas de défaut de paiement.
    Il est possible qu'un certain laxisme ait eu cours dans les tribunaux canadiens de première instance avant l'abolition du pouvoir discrétionnaire des juges en 2013. En exerçant leur pouvoir, les juges ne faisaient peut-être pas le même genre d'enquête avant d'imposer une suramende compensatoire que celle qu'ils effectuaient avant d'imposer une amende, je suis d'accord. Depuis 2013, les avocats et les tribunaux se sont rendus compte qu'ils feraient preuve de plus de rigueur dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire si celui-ci était rétabli, car l'imposition d'une suramende compensatoire ne serait plus automatique.

  (1545)  

     Comme je le disais, il y a peut-être eu un certain laxisme: sans remettre en question l'importance de la suramende compensatoire, certains choisissaient de ne pas l'imposer si, par exemple, le contrevenant venait d'écoper d'une peine d'emprisonnement de cinq ans. Advenant le rétablissement du pouvoir discrétionnaire, les tribunaux pourront et devront peut-être poser certaines questions sur le bien-fondé d'une suramende compensatoire — je le souhaite —, et j'ose imaginer que les avocats de la défense sauront y répondre adéquatement.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    J'apprécie énormément le témoignage de tous les témoins.
    Nous allons commencer la période de questions.
    Monsieur Cooper, la parole est à vous.

[Traduction]

     Merci, monsieur le président.
    Merci également à nos témoins.
    Si je comprends bien, en 2000, il y a eu un changement à la suramende compensatoire pour donner aux juges un pouvoir discrétionnaire en cas de préjudice injustifié.
     Maître Gratton, vous avez dit dans votre témoignage que vous croyez que les juges seront beaucoup plus judicieux lorsqu'ils exempteront de la suramende compensatoire, du fait que leur pouvoir discrétionnaire leur avait été retiré. Je pense qu'il serait utile, aux fins du compte rendu, de comprendre, en partie — et vous y avez fait allusion dans votre témoignage — certains des chiffres que nous avons vus.
     Au Nouveau-Brunswick, selon un rapport publié en 2008, la suramende compensatoire avait été annulée dans les deux tiers d'à peu près 62 000 cas. Même si les juges étaient censés justifier leur décision d'exempter de la suramende, cette information n'a pas été incluse dans 99 % des 861 dossiers examinés pour cette étude de 2008 au Nouveau-Brunswick. À la lumière d'une tendance constante à exempter de la suramende compensatoire alors que, dans bien des cas, il n'y avait rien d'autre qu'une simple allégation de préjudice injustifié, qu'est-ce qui nous permettrait de penser qu'il n'y aura pas un retour à la même pratique, celle qui a amené le gouvernement conservateur précédent à rendre cette suramende obligatoire? Il convient de faire remarquer que cette pratique a entraîné des coûts considérables sous la forme de fonds consacrés aux services et aux programmes d'aide aux victimes.

[Français]

    Je comprends les préoccupations que vous soulevez. Par contre, sauf votre respect, je ne pense pas que cet angle soit la meilleur pour aborder le problème.
    Lorsque je dis qu'il faudrait faire confiance au système de justice, je le crois. Les intervenants sont à l'affût et au courant de ce qu'ils devront faire à l'avenir. Lorsqu'on a retiré aux juges leur pouvoir discrétionnaire, en 2013, toutes ces questions et tous ces chiffres ont été présentés à tous les comités et lors des débats parlementaires. J'en ai beaucoup entendus, mais l'on peut faire dire ce que l'on veut à ces chiffres.
    Bien sûr, certaines personnes auraient peut-être dû payer une suramende mais elles en ont été dispensées. Par ailleurs, lorsqu'une personne paie cette suramende, on est en droit de se demander si la totalité de la somme va réellement au fonds d'indemnisation des victime d'actes criminels, ce dont je doute.
    Cependant, je ne pense pas que ce soit la bonne question à se poser. Il faut plutôt se demander si le juge va être au courant du fait qu'il doit poser des questions. Je crois que oui, et que le juge va respecter ses obligations. J'ajouterais à ce que disaient les deux avocates qui ont présenté leurs arguments tout à l'heure qu'un tribunal d'instance trouvera assez simple de faire le tour des questions à poser sur les revenus d'une personne. Quand quelqu'un reçoit des prestations d'aide sociale, peu importe la province, il ne lui reste normalement plus rien une fois déduits les coûts de son loyer et de sa nourriture.
     Je pense que les juges vont davantage poser ce genre de questions pour mieux éclairer leurs décisions. Il faut faire confiance au système de justice plutôt que d'obliger les tribunaux à imposer des suramendes compensatoires.

  (1550)  

[Traduction]

     Je vous en remercie.
    Maître Gratton, madame Moses et madame Shane, j'ai bien entendu vos témoignages au sujet de la suramende compensatoire. Vous êtes tous criminalistes. Avez-vous des observations à faire sur d'autres aspects de ce projet de loi ou préférez-vous vous en tenir à la suramende compensatoire?
     Je suis tout à fait disposé à entendre toute autre observation que vous pourriez faire, en tant qu'avocats praticiens, concernant des aspects positifs ou des autres préoccupations que vous pourriez avoir ou ne pas avoir au sujet du projet de loi C-75.

[Français]

     Dois-je répondre le premier? Je pense que la question s'adresse à nous trois.
    Elle s'adresse à vous trois. M. Cooper vous a demandé si vous aviez des commentaires sur les autres dispositions du projet de loi.
    Maître Gratton, voulez-vous répondre rapidement?
    Je vais répondre à la question, mais j'aimerais d'abord obtenir une précision. Nous demande-t-on si nous avons des commentaires sur les autres dispositions du projet de loi concernant le recouvrement de la suramende?

[Traduction]

    En deux mots, la réponse est oui. Je vous demande si vous avez d'autres observations à faire en tant que praticien.

[Français]

    D'accord.
    La Cour suprême a stipulé qu'une personne indigente ne pouvait pas être incarcérée parce qu'elle n'avait pas payé les amendes ou la suramende qui lui avaient été imposées. L'article 734.7 du Code criminel prévoit que, dans un tel cas, la personne revienne devant le juge et demande une prolongation du délai de paiement de la suramende.
    Au Québec, le délai prévu par le gouvernement est de 45 jours. C'est sûr que c'est prévu dans le Code criminel. De façon réaliste, on retourne devant le juge et on demande un délai supplémentaire de deux mois. Si on ne paie pas l'amende, on retourne devant lui deux mois plus tard et on refait une demande. Le juge ne peut pas émettre un mandat d'incarcération pour une personne indigente. La Cour suprême l'a stipulé et les tribunaux respectent cette décision.
    Si la personne se présente devant le juge et demande un délai supplémentaire, en théorie, elle n'ira jamais en prison. Or dans les faits les gens ne se présentent pas devant le juge, que ce soit parce qu'ils sont négligents, qu'ils ont peur ou qu'ils ne savent pas à qui s'adresser. Les personnes sans domicile fixe et celles sans revenus ne se présenteront pas devant le juge. Si le juge n'a pas reçu une demande de délai supplémentaire, il émettra un mandat d'incarcération. Peut-on dire, alors, qu'un mandat d'incarcération atteint l'objectif visé par l'imposition d'une suramende? Sauf votre respect, la réponse est non.
    Finalement, la société canadienne va devoir payer pour l'incarcération supplémentaire de la personne et la suramende n'aura jamais été payée. C'est l'une des conséquences. En théorie, la personne peut se présenter devant le juge et demander un délai de paiement. C'est ce que la Cour d'appel du Québec a aussi stipulé dans l'affaire Chaussé, en précisant qu'on pourrait demander un délai indéfini pour le reste de sa vie. Effectivement, on peut demander un délai, mais qui le fait? Personne.
    D'autre part, il y a la suspension d'un permis de conduire ou d'un autre type de permis parce qu'on n'a pas payé une suramende. On ne peut pas faire de demande de pardon tant qu'on n'aura pas payé la suramende.
    Il y a aussi l'application de la loi au civil, comme dans l'affaire Boudreault. Cet homme avait été remis en liberté et on lui a demandé de verser une caution. Il avait déposé de l'argent à la cour pour respecter les conditions. Lorsqu'il a commis de nouveaux crimes, il a été incarcéré à nouveau. Lorsque que M. Boudreault a été condamné, le greffe civil du Palais de justice de Montréal a simplement prélevé de l'argent de la caution pour payer une partie de la suramende. La personne qui avait déposé cette caution, soit sa mère, a perdu son argent parce que le greffe civil a prélevé de l'argent de la caution pour payer la suramende, puisque M. Boudreault était incarcéré et ne l'avait pas payée.

  (1555)  

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Le temps est écoulé.
    Monsieur Ehsassi.
    Tout d'abord, j'aimerais remercier les deux témoins qui ne pouvaient pas être ici en personne, mais qui se joignent à nous de la Colombie-Britannique.
     Je suppose que c'est la meilleure façon de procéder, parce que cette occasion vous a été enlevée. Comme M. Cooper l'a dit, vos arguments portant sur la suramende compensatoire et les préjudices qui en découlent ont été très convaincants. Vous êtes en faveur d'accorder plus de pouvoir discrétionnaire aux juges. À part cette question, y a-t-il d'autres aspects de ce projet de loi qui vous intéressent et que vous aimeriez commenter?
     Aujourd'hui, nous limiterons nos observations à celles qui concernent la suramende compensatoire.
    Je crois que le Comité entendra Marie-Ève Sylvestre parler de certaines des répercussions du projet de loi sur les travailleurs du sexe et des conditions de mise en liberté sous caution. Elle est probablement beaucoup mieux placée que moi pour vous en parler, et sa position sur ces questions concorderait avec celle de Pivot.
    Merci.
    J'ai une question pour Me Gratton. Vous avez dit qu'il y a une disposition applicable dans les tribunaux criminels qui ne permet pas de toujours forcer les indigents à payer la suramende.
    Vous avez dit que beaucoup de gens ne sont pas au courant et ne savent pas exactement comment tirer parti de cette disposition. Je suppose qu'il incomberait à l'avocat de service d'informer les gens. N'est-ce pas généralement lui qui guide les personnes qui n'ont peut-être pas les moyens de se payer un avocat? Ne serait-il pas leur première ligne de défense, en les informant de leurs droits?

[Français]

     Oui, absolument. Selon moi, le rôle de l'avocat ne se limite pas à la représentation auprès du tribunal. Je suis convaincu que mes consoeurs seront d'accord.
     Notre rôle est tout d'abord d'informer la personne du montant de la suramende, car celui-ci n'est pas précisé en salle d'audience. En effet, les juges disent « plus la suramende » ou « avec la suramende », et l'accusé n'a alors aucune idée de l'importance du montant qu'il doit payer. S'il est en liberté, nous devons le diriger vers le greffe criminel afin qu'il puisse recevoir ses documents. Une fois que l'accusé a signé ses papiers sur la suramende qu'il doit acquitter dans un délai de 45 jours, je ne pense pas avoir l'obligation de l'appeler 45 jours plus tard pour lui demander s'il l'a payée: il sait ce qu'il doit faire.
    Cependant, comme je le mentionnais, notre rôle peut être aussi simple que de dire que cette personne n'a pas l'argent pour payer la suramende, ne la paiera pas, et ne sait pas à qui s'adresser par la suite. Sur le papier qui dit combien il faut payer, il n'est pas clairement indiqué que la personne doive aller à telle salle devant tel juge pour demander une prolongation de délai. Quant aux personnes sans domicile fixe, elles égarent ou perdent souvent leurs papiers. Pour les personnes toxicomanes, ces papiers peuvent être secondaires. Je ne dis pas que cela excuse qu'on ne la paie pas; je dis simplement que l'imposition obligatoire d'une suramende compensatoire peut entraîner des complications que le législateur n'avait peut-être pas prévues. J'informe donc les gens du mieux que je peux, mais ma marge de manoeuvre a ses limites.

[Traduction]

    Tout à fait.
    Outre la suramende, y a-t-il d'autres aspects du projet de loi que vous aimeriez commenter? Tous vos commentaires ont porté là-dessus.

[Français]

    Non. En fait, je me concentre aujourd'hui sur l'article 737 du Code criminel.
    Comme je ne vous ai pas remis de mémoire, j'inviterais les gens qui le désirent à lire mes mémoires à la Cour suprême du Canada, qui sont publics. J'ai écrit un mémoire pour obtenir la permission d'en appeler et un mémoire pour les juges, que je vous invite à consulter.
    Tous les intervenants soulèveront principalement les conséquences indirectes de l'imposition obligatoire de la suramende compensatoire.

[Traduction]

    Monsieur Ehsassi, avez-vous quelque chose à ajouter?

  (1600)  

    Non. Je vous remercie.
    Monsieur Rankin.
    Merci, j'aimerais remercier tous les témoins.

[Français]

    Merci beaucoup, Me Gratton.

[Traduction]

    Je tiens aussi à saluer particulièrement Caitlin Shane et Naomi Moses. J'ai visité Pivot à quelques reprises et j'ai vu le travail remarquable que vous faites auprès de certaines des personnes les plus vulnérables au Canada. Je suis tout simplement émerveillé par ce que vous faites. Merci de votre travail et merci de votre témoignage ici aujourd'hui.
    J'aimerais toutefois en savoir un peu plus sur la nature de l'affaire dans laquelle vous êtes intervenus. Si je vous ai bien compris, vous avez dit que votre principal argument portait sur le caractère cruel et inhabituel de la suramende pour les personnes qui ne pouvaient pas la payer, à qui il était tout simplement impossible de s'en acquitter. Je ne comprends pas très bien ce que l'un d'entre vous a dit au sujet d'une journée d'emprisonnement au lieu du paiement. Je n'arrive pas à comprendre le lien. J'aimerais que vous nous en parliez.
    Je suppose que vous êtes entièrement en faveur des modifications contenues dans le projet de loi C-75. Cependant, vous avez dit au départ que vous aviez des propositions de modification. J'aimerais savoir, au-delà de votre position favorable, quelles sont les modifications que vous proposez.
     Certainement. Je signale que Naomi a formulé un certain nombre de recommandations dans son mémoire. Si vous voulez, Naomi pourrait les répéter.
    J'aimerais bien les connaître.
    Bien entendu, si nous acceptons ce que vous proposez, nous aurons pour tâche d'en faire la rédaction, de l'exprimer en termes légaux, si bien que toute aide que vous pourriez nous donner serait appréciée.
    Certainement. Après les observations de Naomi, je vais répondre à votre question concernant la journée en prison.
    Et merci du compliment. Nous vous en sommes reconnaissants.
     Les modifications que nous proposons d'apporter au paragraphe 737(5) visent simplement à supprimer du libellé actuel les passages « le contrevenant le convainc que » et « sur demande du contrevenant ».
    Nous considérons qu'il s'agit de rétablir le pouvoir discrétionnaire qu'avaient les juges dans la pratique — c'est ce qu'ils faisaient dans la pratique devant la cour provinciale —, c'est-à-dire de parler, à la fin de la détermination de la peine, avec le contrevenant au sujet de la suramende compensatoire et de lui donner l'occasion de faire état de sa situation financière. Nous savons que bon nombre de ces personnes, en particulier les clients de Pivot, ne sont généralement pas représentées. Elles n'ont peut-être même pas accès à un avocat de garde. Étant donné que la suramende compensatoire est imposée à la toute fin de la détermination de la peine, il est très difficile pour ces personnes de présenter une demande officielle au tribunal et de s'acquitter du fardeau de convaincre le tribunal qu'il y aurait un préjudice injustifié.
    L'adoption de ces modifications aurait essentiellement pour effet de codifier le pouvoir discrétionnaire du juge dans chaque cas. C'est l'objectif?
    C'est exact.
     Cela est tout en conservant la présomption que la suramende sera imposée à moins que le juge n'exerce ce pouvoir discrétionnaire et que le contrevenant devant lui indique qu'il y a préjudice injustifié.
    Vous ne contestez pas cette présomption. Vous êtes d'accord.
    Oui. Pivot appuie sans réserve l'importance des services aux victimes et l'importance de les financer adéquatement. Bon nombre des personnes que représente Pivot se retrouvent devant les tribunaux, et pas seulement en tant que défendeurs.
    M. Murray Rankin: Ce sont des victimes.
    Naomi Moses: Certaines d'entre elles ont été victimes d'actes criminels. C'est donc une présomption importante prévue dans le Code criminel. Nous ne nous opposons pas à l'existence de la suramende.
    Madame Shane, vous alliez ajouter quelque chose.
    Vous avez soulevé une question au sujet de la pratique courante en Colombie-Britannique, qui consiste à condamner un contrevenant à une journée de prison pour défaut de paiement. Dans nos mémoires à titre d'intervenants, nous avons en annexe une liste de plus de 100 cas en Colombie-Britannique dans lesquels le juge chargé de prononcer la peine a ordonné qu'une suramende soit payée sur-le-champ, puis, devant un défaut de paiement, a condamné le contrevenant à une peine d'emprisonnement d'un jour.
    Je tiens à dire très clairement que je ne cherche aucunement à dénigrer les juges de la Colombie-Britannique en soulevant cette question. C'est tout le contraire. Nous reconnaissons que le projet de loi, dans sa forme actuelle, place les juges de la Colombie-Britannique dans une position intenable où ils sont en présence d'un contrevenant qui, ils le savent, ne peut pas payer et où il n'existe aucun autre moyen raisonnable ou proportionnel de le condamner. C'est vraiment, comme nous l'appelons dans notre mémoire, un acte de compassion plutôt que de malveillance.

  (1605)  

    Je respecte ce que vous dites et je comprends vos motifs, mais si quelqu'un est toxicomane et qu'il se retrouve en prison pour une journée, cela pourrait constituer pour lui une situation très pénible. Ce que vous dites, c'est que le juge n'a pas de pouvoir discrétionnaire à l'heure actuelle, alors c'est le mieux qu'il peut faire, et que les juges de la Colombie-Britannique ont fait preuve de compassion. Bien sûr, cela changera avec les modifications, si elles sont adoptées, dans le projet de loi C-75.
    Tout à fait. C'est une reconnaissance de tous les préjudices que j'ai mentionnés. Pour ce qui est de choisir entre les différentes possibilités, c'est malheureusement le moindre des maux.
    Merci.
     Madame Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur le président, je vais céder environ une minute de mon temps de parole à M. Sikand, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
    Je remercie les témoins de leur excellent témoignage.
    J'adresse ma question à Caitlin Shane et Naomi Moses. Si vous prenez un peu de recul, quel est, à votre avis, l'objectif de la suramende compensatoire? Pourquoi existe-t-elle?
     L'objectif, tel que nous le voyons, est de financer les services aux victimes, et ce sont des services très importants qui méritent d'être financés. Notre objection ne porte pas sur l'existence de la suramende ou sur le financement de ces programmes, mais plutôt sur l'imposition obligatoire de la suramende aux personnes qui ne peuvent pas la payer. Il est tout simplement impossible de demander à quelqu'un qui ne reçoit que 335 $ par mois en prestations d'aide au revenu de payer une suramende qui, dans bien des cas, représente les deux tiers de son revenu mensuel.
    Bien que l'objectif de la loi soit louable, nous sommes d'avis que ce sont essentiellement les gens en mesure de payer la suramende qui contribuent à l'atteindre, et non pas les clients de Pivot ou autres personnes qui luttent pour survivre.
    Pensez-vous que les modifications contenues dans le projet de loi C-75 aident à offrir ces services aux victimes? Y a-t-il des entrées d'argent?
    Nous pensons que l'argent entre. Nous devons être prudents lorsque nous parlons de recettes et de la façon dont elles sont produites parce que nous ne pouvons pas supposer que toutes les suramendes qui sont imposées seront payées. Ce n'est tout simplement pas possible.
    Je fais remarquer qu'à la faveur de la dernière série de modifications en 2013, les montants des suramendes ont été doublés. Toute personne reconnue coupable d'un crime paie maintenant deux fois plus qu'auparavant. Même si beaucoup de ces gens ne peuvent pas payer, ceux qui paient se trouvent à payer deux fois plus. Dans beaucoup de provinces, il y a eu des augmentations, mais, encore une fois, il est très difficile de savoir exactement d'où vient cette augmentation des recettes, si elle est attribuable au doublement des suramendes ou des efforts d'application de la loi.
    Si je vous ai bien compris, vous voulez que ce soit plus équitable et non pas applicable généralement aux personnes qui sont plus vulnérables dans le système de justice. Il serait injuste qu'elles aient à payer ces suramendes, et le juge devrait avoir plus de latitude pour faire cette distinction. Ai-je raison?
    C'est exact, oui.
    Dans sa version actuelle, le projet de loi ne prévoit aucun pouvoir discrétionnaire. Nous préconisons simplement le rétablissement de ce pouvoir discrétionnaire.
    Merci.
    Maître Gratton, avez-vous quelque chose à dire au sujet des modifications proposées par Pivot au projet de loi C-75?

  (1610)  

[Français]

     Non, je n'ai absolument rien à ajouter aux représentations de mes consoeurs.
    Toutefois, j'aimerais clarifier un point par rapport à la question de M. Rankin, tout à l'heure, lorsque ma consoeur parlait d'emprisonnement d'une journée à défaut de payer la suramende. Au Québec, les juges ne font pas cela parce que la Cour d'appel du Québec a décrété que c'était illégal et qu'ils devaient accorder le délai statutaire de la province, qui est de 45 jours. Les juges ne peuvent pas ne pas donner de délai. La raison pour laquelle la situation est différente en Colombie-Britannique, malgré que je ne sois pas allé vérifier sur place, tient au fait qu'une image vaut mille mots. Là-bas, les juges voient ces personnes démunies, et ils savent qu'elles ne paieront jamais leur suramende. Ils préfèrent donc leur imposer une journée de prison et clore le dossier. Je voulais simplement illustrer l'exemple de ma consoeur et répondre plus précisément à la question de M. Rankin.
    Pour revenir à votre question, je n'ai rien à ajouter sinon qu'il me semble essentiel de rétablir le pouvoir discrétionnaire des juges, comme le stipule le projet de loi C-75.

[Traduction]

    Monsieur Sikand, si vous prenez le reste du temps de parole, allez-y.
    Ma question s'adresse aussi à Pivot.
    Je vais m'écarter du sujet, mais, à la lumière de votre témoignage, j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'interaction entre vos clients et le tribunal, plus précisément de la revictimisation et de la façon dont cela touche les personnes que vous représentez.
     Certainement. C'est un peu ironique, le fait que nous parlions d'une suramende compensatoire destinée à offrir un financement et une protection aux victimes d'actes criminels et qu'il arrive si souvent que nos clients, comme d'autres personnes à faible revenu au Canada, commettent des crimes mineurs, manquent aux conditions de leur mise en liberté sous caution, sont coupables de la possession simple de substances illicites... Je ne veux pas du tout rabaisser ou, franchement, victimiser ces gens — parce qu'ils sont incroyablement forts et résilients —, mais une loi de ce genre, qui interdit au juge de tenir compte du vécu réel de la personne qui est devant lui, est en soi un instrument de victimisation.
    Il est certain que la liste de résultats éventuels dont j'ai parlé, que ce soit chez les personnes qui doivent renoncer au tiers ou aux deux tiers de leur maigre aide financière ou chez les personnes vivant dans la crainte constante d'être arrêtées, montrent que la loi est utilisée pour victimiser davantage les gens. Encore une fois, nous insistons vraiment pour que les juges aient le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de ce que les gens vivent au quotidien. Ce sont des gens qui sont criminalisés par leur existence même.
    Merci beaucoup.
    M. Rankin a demandé du temps pour poser une petite question supplémentaire.

[Français]

     J'ai simplement une brève question de clarification à poser à Me Gratton. J'aimerais en savoir davantage sur l'arrêt Boudreault.
     Quels étaient les principaux arguments? Tournaient-ils surtout autour de la notion de peine cruelle et inusitée? Était-ce surtout cela ou y avait-il d'autres arguments?
    C'était principalement cela. Parce que le législateur avait retiré le pouvoir discrétionnaire d'imposer ou non la suramende, des situations pouvaient engendrer une peine disproportionnée qui s'avérait cruelle et inusitée, contrevenant ainsi à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. En résumé, c'est ce dont il s'agissait.
    J'aimerais remercier Me Gratton.

[Traduction]

    Je tiens à remercier nos deux témoins de Pivot. Nous vous en sommes très reconnaissants. Votre témoignage a été très utile. Je sais que c'est difficile par vidéoconférence — vous ne pouvez pas voir les gens dans la salle, vous ne pouvez pas connaître leur réaction —, mais encore une fois, je vous remercie de ce que fait votre organisme. Nous vous en sommes très reconnaissants.

[Français]

    Me Gratton, nous avons vraiment apprécié votre témoignage.

[Traduction]

    Nous allons maintenant faire une courte pause.
    Je demande aux membres du prochain groupe de témoins de s'approcher parce que j'aimerais commencer un peu plus tôt, si possible. Comme nous avons un vote, nous devrons partir à 17 h 30. Je veux m'assurer de pouvoir entendre vos témoignages dans leur intégralité.

  (1615)  


  (1620)  

     C'est un grand plaisir de reprendre la séance, car nous allons maintenant entendre notre deuxième groupe de témoins sur le projet de loi C-75.
    J'aimerais souhaiter la bienvenue à ce deuxième groupe distingué.
    Nous commençons par M. Steve Coughlan, professeur à la Schulich School of Law de l'Université Dalhousie. En tant que représentants des historiens homosexuels, nous accueillons M. Tom Hooper, professeur dans le programme sur le droit et la société à l'Université York, et M. Gary Kinsman, professeur émérite de sociologie à l'Université Laurentienne. Du Centre canadien de la diversité des genres et de la sexualité, nous accueillons Mme Calla Barnett, présidente du conseil d'administration.
    Nous accueillons également M. Robert Leckey, du Fonds Égale Canada pour les droits de la personne, qui vient de se joindre à nous. Il est professeur de droit et doyen de la faculté de droit de l'Université McGill et ancien président d'Égale Canada.
    Bienvenue à tous.
    Comme je le disais à nos premiers témoins, nous commençons toujours par les témoins qui comparaissent par vidéoconférence parce que nous ne voulons pas, au cas où la communication serait coupée, perdre leur témoignage. Je sais que vous venez d'entrer dans le studio, mais si vous êtes prêt, je vais commencer par vous. Vous avez huit minutes, mais je ne vous interromprai pas avant 10 minutes.
    La parole est à vous, professeur Leckey.
    Nos communautés LGBTQI2S apprécient grandement l'intérêt manifesté de toutes sortes de façons par le gouvernement fédéral, allant jusqu'au premier ministre.
    Pendant le temps qui m'est alloué cet après-midi, j'ai l'intention de soulever quatre points. Tout d'abord, je vais exposer notre perspective ou notre approche générale. Deuxièmement, j'exprimerai l'accord d'Égale Canada avec le mémoire de Gentile, Hooper, Kinsman et Maynard, que vous entendrez après moi.
    Je demande que le texte législatif soit modifié pour deux raisons. La première, c'est que le projet de loi C-75 ne règle pas le problème des interventions chirurgicales sur les enfants intersexués. La deuxième tient à une difficulté que posent les efforts, par ailleurs bien accueillis, déployés jusqu'ici pour renverser les effets de la discrimination passée à l'endroit de nos communautés.
    Permettez-moi de commencer, brièvement, par la perspective globale.
    À Égale Canada, nous abordons ces questions selon une approche générale qui tient compte de l'égalité, de la dignité et de l'inclusion des LGBTQI2S. Nous sommes fort conscients de la longue histoire des infractions sexuelles et morales au droit pénal qui visaient nos communautés de façon discriminatoire, arbitraire et disproportionnée. Nous insisterons sur l'intersectionnalité, conscients que les membres de notre communauté sont désavantagés par le fait d'être des personnes homosexuelles handicapées, par exemple, ou d'être racialisés ou des personnes autochtones transgenres. J'insiste sur l'importance symbolique du droit pénal dans les questions touchant nos communautés.
    Les interdictions de l'époque victorienne relatives à la sodomie, aux maisons de débauche, aux actions indécentes — et j'en passe — ont des répercussions qui vont au-delà de leur simple application et des condamnations qui en résultent. La simple menace de les appliquer peut avoir de puissants effets, tout particulièrement chez les personnes les plus vulnérables qui pourraient ne pas avoir accès à de bons conseils juridiques, ni la moindre idée de la façon de réagir.
    En deuxième lieu, et très brièvement, je tiens à signaler que nous avalisons entièrement le rapport de Kinsman et al., que vous allez entendre. Nous appuyons leurs demandes pour que le projet de loi C-75 aille plus loin, et ce, de plusieurs façons. Nous reprenons à notre compte leur appel à l'adoption de lignes directrices claires et fondées sur des données probantes lorsqu'il est envisagé de recourir au droit pénal dans les poursuites pour non-divulgation du VIH.
    Permettez-moi maintenant de parler de deux modifications du texte législatif qu'il est peu probable que d'autres personnes vous proposeront.
    La première concerne les enfants intersexués. Le paragraphe 268(1) du Code criminel établit le crime de voies de fait graves et le paragraphe 268(3) traite de l'excision. Il précise que « l'excision, l'infibulation ou la mutilation totale ou partielle des grandes lèvres, des petites lèvres ou du clitoris » constituent une « blessure » ou une « mutilation », mais il prévoit une exception pour le cas où l'opération chirurgicale est pratiquée « pour la santé physique de la personne ou pour lui permettre d'avoir des fonctions reproductives normales, ou une apparence sexuelle ou des fonctions sexuelles normales ». L'autre exception à l'application de cette définition de voies de fait graves intervient lorsque la personne concernée est âgée d'au moins 18 ans.
     Autrement dit, l'alinéa 268(3)a) détourne les protections du droit pénal visant les enfants de ceux d'entre eux qui subissent une intervention chirurgicale dans le but de leur donner « une apparence sexuelle ou des fonctions sexuelles normales ». L'idée de normalité appliquée à l'apparence ou aux fonctions sexuelles constitue un véhicule pour les suppositions cisnormatives au sujet des corps médicalement corrects ou normaux.
    Je ne peux pas entreprendre une analyse complète fondée sur la Charte cet après-midi, mais le paragraphe 268(3) soulève des préoccupations sur le plan de la sécurité de la personne et de l'égalité. De plus, les organismes internationaux de défense des droits de la personne ont reconnu que la prétendue chirurgie corrective des enfants dont les organes génitaux sont considérés comme anormaux porte atteinte à leur autonomie et à leur intégrité personnelle. Nous vous exhortons donc à modifier le paragraphe 268(3) du projet de loi C-75.
    Le dernier point porte sur les dispositions législatives en vue de mettre fin à une discrimination historique.
    Deux mesures correctives — l'article 156 proposé dans le projet de loi C-75 et le mécanisme de radiation déjà adopté dans le projet de loi C-66 — reposent de façon injuste et discriminatoire sur l'âge actuellement défini du consentement sexuel.
    En premier lieu, l'article 156 proposé préserve la possibilité de poursuites pour conduite transgressive dans le cas d'infractions, auparavant condamnables, qui ont été abrogées, pourvu que la conduite demeure criminelle aujourd'hui.

  (1625)  

     En deuxième lieu, l'alinéa 25c) du projet de loi C-66 prévoit des demandes d'ordonnance de radiation des déclarations de culpabilité pour les infractions de nature homosexuelle qui sont énumérées, mais à certaines conditions, notamment que les personnes participant à l'activité en question étaient âgées de 16 ans ou plus à l'époque.
    Les deux dispositions visent à mettre fin aux effets néfastes de la criminalisation du comportement homosexuel, mais de façon discriminatoire, tout en préservant la faculté de punir un comportement qui demeure manifestement criminel selon les normes actuelles. Mais les deux sont problématiques. Les efforts pour assurer un traitement égal ne doivent pas reposer, comme c'est le cas ici, sur l'âge actuel du consentement de 16 ans. Il faut plutôt tenir compte du fait que, même si l'âge de consentement à la sodomie était de 21 ans, puis de 18 ans, l'âge de consentement pour les relations sexuelles entre personnes de sexe différent était de 14 ans jusqu'en 2008.
    L'article 156 proposé permettrait toujours d'intenter des poursuites pour sodomie consensuelle commise avec un jeune de 14 ou 15 ans parce que, de nos jours, celui-ci ne peut consentir valablement à des relations sexuelles qu'avec une personne d'à peu près le même âge que lui. La disposition sur la radiation, quant à elle, ne permettrait pas la radiation d'une condamnation pour sodomie, même consensuelle, pratiquée avec un jeune de 14 ou 15 ans. Quelles que soient les bonnes intentions, ces dispositions perpétuent involontairement la discrimination contre nos communautés dans la mesure où il n'y a aucun motif permettant de poursuivre un hétérosexuel qui a eu des relations sexuelles vaginales consensuelles avec une personne de 14 ou 15 ans à l'époque où l'âge du consentement était de 14 ans.
    Par conséquent, l'énoncé de Justice Canada concernant la Charte est inexact en ce qu'il affirme que « l'adoption de l'article 156 proposé aurait pour effet de limiter les poursuites à celles qui ne soulèvent pas de préoccupations relatives à la Charte ».
    Je vous remercie de votre attention.

  (1630)  

    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à M. Coughlan.
    Je suis heureux d'avoir été invité à vous parler aujourd'hui des parties du projet de loi C-75 qui visent à supprimer les dispositions désuètes du Code criminel, en particulier celles qui ont été invalidées par les tribunaux, plutôt que d'être simplement devenues caduques.
    C'est une question qui me préoccupe depuis des décennies et que je soulève auprès du ministère de la Justice depuis plusieurs années. Nous semblons être sur le point de prendre enfin des mesures nécessaires, qui se font attendre depuis longtemps. Je suis bien sûr en faveur de cela. En fait, il est difficile d'imaginer les raisons pour lesquelles quelqu'un pourrait s'y opposer.
    En septembre 2016, un juge de première instance en Alberta, comme vous le savez tous, a reconnu Travis Vader coupable de meurtre en se fondant sur l'infraction prévue à l'article 230 du Code criminel. Bien sûr, l'article 230 du Code criminel est au nombre des dispositions sur le meurtre imputé et il a été invalidé par la Cour suprême du Canada il y a 25 ans. Malheureusement, malgré sa présence dans le Code criminel, il ne fait pas partie du droit pénal canadien.
    C'est précisément l'une des faiblesses du Code criminel qu'un grand groupe d'universitaires en droit pénal ont portée à l'attention de la ministre de la Justice dans une lettre en décembre 2015. C'est la même omission de mettre à jour le Code afin d'abroger le délit de meurtre imputé qui a amené la Cour d'appel de la Colombie-Britannique à faire remarquer, dans un arrêt rendu en 2010:
Je ne saurais conclure les présents motifs sans me demander pourquoi on n'a pas pris de mesures pour modifier le Code criminel afin de se conformer à l'arrêt Martineau rendu il y a maintenant 20 ans par la Cour suprême du Canada, selon lequel le libellé de l'alinéa 229c) est inconstitutionnel. Le droit qui est consigné dans le Code criminel, sur lequel chaque citoyen a le droit de compter, ne représente pas la loi du pays. Une question comme celle qui surgit dans la présente affaire ne devrait pas avoir sa raison d'être. Cela crée le risque d'une erreur judiciaire et le besoin potentiel d'engager des frais importants pour corriger une erreur devant un tribunal d'appel, en raison notamment d'un nouveau procès, en supposant qu'il soit pratique d'y recourir. À mon avis, le fait de ne pas régler ces questions comme il se doit en mettant à jour le Code criminel afin d'abroger les dispositions jugées contraires à la constitution ne rend pas service à la justice.
    Comme je l'ai dit, cette décision — l'arrêt Townsend — a été rendue en 2010. Les signataires de la lettre en sont arrivés à cette conclusion en citant d'autres affaires, datant de 1997 à 2008, où précisément la même chose s'était produite, à savoir qu'on avait indiqué aux jurys que le droit régissant l'homicide était tel qu'énoncé dans le Code criminel, alors que ce n'était manifestement pas le cas. Même si ce point est déjà passablement évident, il vaut néanmoins la peine de le souligner.
    L'article 19 du Code criminel dit qu'on ne peut invoquer l'ignorance de la loi comme excuse. Cette approche — qui consiste à s'appuyer sur l'hypothèse fictive selon laquelle tous les membres du public connaissent la loi — n'est justifiable que s'il est au moins possible pour une personne de connaître la loi. C'est pourquoi « aucun crime, aucune peine sans un texte de loi », c'est-à-dire la règle selon laquelle la loi doit être connue, constitue l'un des principes clés de la justice fondamentale, garanti par l'article 7 de la Charte. C'est la raison pour laquelle la règle de l''interprétation rigoureuse de la loi existe. C'est pourquoi l'article 9 du Code a effectivement aboli le crime de common law. C'est la raison pour laquelle des lois peuvent être invalidées si elles sont vagues; si elles ne sont pas suffisamment claires, elles sont alors inconstitutionnelles.
    Nous avons toutes sortes de règles fondamentales et importantes qui insistent pour que le libellé du Code criminel soit aussi clair que possible. Pourtant, malgré cela, nous retrouvons des dispositions qui énoncent sans ambiguïté ce qui ne correspond manifestement pas à la loi et nous permettons que telle situation perdure pendant des décennies. Franchement, c'est ahurissant.
    Le juge de première instance de l'affaire Vader a essuyé certaines critiques. À son niveau, cela se comprend. En effet, on peut s'attendre à ce que les juges aient une compréhension plus poussée du droit que le grand public, qui lui n'a pas accès à un exemplaire annoté du Code criminel. Pour s'informer, les gens ordinaires iront en ligne. Ils se rendront sur le site Web du ministère de la Justice, le site Web officiel du gouvernement du Canada, où ils consulteront le Code criminel, qui les trompera sur ce qu'est le droit pertinent.
     Bien sûr, il ne s'agit pas seulement du public; il y a la police aussi. La police devrait pouvoir consulter un libellé législatif qui correspond réellement à la loi canadienne. Lorsque ce n’est pas le cas, nous nous retrouvons dans la situation que nous avons connue au Canada, soit des dizaines de personnes accusées au criminel d’une infraction qui n’existe pas — l’interdiction des relations sexuelles anales à l’article 159.
    Bien sûr, de telles accusations finissent par être rejetées, mais c’est loin de réconforter la personne qui a subi l'embarras d'une telle poursuite et les frais qui en découlent. On aura beau dire: « Eh bien, vous savez, la police n'aurait pas dû croire que le droit pénal était bien ce que le Code criminel disait que c'était », cela ne règle rien.
    Revenons au blâme adressé au juge dans l’affaire Vader, qui ne savait pas que l’article 230 avait été invalidé. D’accord, oui, il aurait dû le savoir.
    Par contre, tout ce que cela veut dire, c’est qu’il n’a pas su échapper à un piège qui lui avait été tendu. Il y a certainement lieu de se demander pourquoi nous tendons des pièges à nos juges. Si une personne chute parce qu’elle ne remarque pas que ses lacets ont été attachés ensemble, une grande partie du blâme doit aller à la personne qui les a attachés. Si un juge ne remarque pas la présence d'un piège dans la loi, alors une bonne partie du blâme doit aller à l'auteur du piège. Et l'auteur du piège, en l'occurrence, c’est le Parlement. C’est vous. Il n’y a aucune raison valable de laisser cette situation perdurer pendant des décennies, mais le Parlement l’a laissée perdurer.
    Qu'aurait-il fallu pour éviter l'écueil dans l’affaire Vader et ceux qui pourraient surgir d'autres dispositions inconstitutionnelles? À vrai dire, un étudiant d’été du ministère de la Justice aurait pu régler cela en deux heures de travail un après-midi. Il est difficile de voir comment la rédaction ou l’adoption d’un tel projet de loi aurait pu occuper à ce point le législateur, puisque la Cour suprême du Canada avait déjà fait tout le travail de politique en décrétant que les dispositions étaient inconstitutionnelles.
    Il est vrai que toutes les situations ne sont pas les mêmes. Lorsque les dispositions sur le meurtre imputé ont été invalidées, il était clair qu’il n’y avait pas lieu de les remplacer. Lorsque l’alinéa 179(1)b) concernant le flânage a été invalidé, la Cour suprême a donné des indications sur la forme que devrait prendre la nouvelle disposition, de sorte qu’il vous aurait fallu un peu de temps pour rédiger un nouveau projet de loi qui soit conforme à la Constitution. Lorsque les dispositions sur l’avortement ont été invalidées en 1988, la Cour suprême n’a pas dit qu’il ne pouvait plus y en avoir, seulement que celles-ci n’étaient pas bonnes, alors oui, il aurait peut-être fallu un certain temps pour décider de faire autre chose à la place, et si oui, quoi?
    Ce qu’il faut retenir ici, cependant, c’est que la deuxième étape est la seule qui peut varier. La première étape, l'invalidation, est immuable et tout à fait non discrétionnaire. La loi actuelle n’en est pas une et il faut la retirer du Code criminel. Peu importe la suite, il n’y a aucune raison de ne pas le faire au plus tôt.
    Cela m’amène à ma principale préoccupation ici aujourd’hui. Comme je l’ai dit, il n’y a aucune raison valable, après des décennies, de ne pas retirer ces dispositions inconstitutionnelles du Code criminel. Il semble pourtant exister une réelle possibilité que cela ne se fasse pas durant la présente législature.
    Les dispositions visant l'abrogation des dispositions inconstitutionnelles se trouvaient auparavant dans leur propre projet de loi. C’était le projet de loi C-39. Pour une raison ou une autre, les dispositions de ce projet de loi, qui ne contenaient rien d’autre et que ne risquaient pas vraiment de susciter la controverse, ces dispositions sensées et non litigieuses se retrouvent maintenant dans le projet de loi C-75, qui lui contient de nombreuses dispositions sensées et de nombreuses litigieuses.
    Personnellement, je pense que certaines des autres propositions sont très bonnes et que d’autres n’ont tout simplement pas été mûrement réfléchies. Il est donc difficile de dire si elles sont sages ou non. Ce projet de loi doit faire l’objet d’un débat approfondi et être adopté par les deux chambres alors qu'il reste à peine un an avant les prochaines élections. Il ne serait pas étonnant qu'on n'y donne pas suite.
    Nous devons donc choisir entre, d'une part, précipiter l’adoption de réformes qui pourraient avoir une grande portée sans tenir suffisamment compte du prix à payer pour résoudre un problème fondamental de longue date ou, d'autre part, continuer à payer le prix de ce problème fondamental de longue date pour ne pas en créer d’autres plus importants. Ce n’est pas un choix facile, et il n’est pas évident non plus de savoir pourquoi nous y sommes maintenant forcés, ou pourquoi le projet de loi C-39 n’aurait pas pu être adopté tout seul.
    Au bout du compte, je vous recommande les parties du projet de loi C-75 qui ont le mérite de supprimer ces dispositions inconstitutionnelles, et j’espère qu’il y aura moyen de le faire, que le reste du projet de loi soit adopté ou non.
    Merci.

  (1635)  

     Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant entendre M. Hooper et M. Kinsman.
     Merci de nous avoir invités à prendre la parole ici aujourd’hui. Je vais partager mon temps avec M. Kinsman.
    Nous représentons un groupe d’historiens gais et lesbiennes spécialisés dans le traitement policier des orientations altersexuelles. Nous sommes ici pour donner suite au 10e rapport du comité sénatorial des droits de la personne, qui demandait au gouvernement de s’attaquer aux lois archaïques invoquées pour criminaliser la commmunauté LGBTQ2 au Canada. Elles sont vraiment archaïques: actes indécents, vagabondage, maisons de débauche... on dirait une tournée des antiquités du Code criminel.
    Le projet de loi C-75 abroge l’article 159, sur les relations sexuelles anales, et fait suite essentiellement aux excuses que le premier ministre a présentées récemment aux membres de la communauté LGBTQ2, où il mentionnait expressément la disposition pénale contre la sodomie et le préjudice qui en découle. Conscient de ce préjudice, le gouvernement a adopté le projet de loi C-66, qui permet aux personnes reconnues coupables de cette infraction de demander qu'elle soit rayée de leur dossier dans certaines conditions.
    L’abrogation des dispositions concernant les relations sexuelles anales s'inscrit dans un effort plus vaste pour éliminer ce qu’on appelle les lois « zombies ». Ces lois sont toujours dans les textes même si les tribunaux les ont déclarées inconstitutionnelles. Le premier ministre s’est aussi excusé auprès des personnes arrêtées lors de descentes dans des bains publics, en relevant expressément l’injustice causée par la loi sur les maisons de débauche, mais il n'en est pourtant pas question dans le projet de loi C-66 ni dans celui que nous étudions aujourd’hui. C’est parce que la loi sur les maisons de débauche ne correspond pas exactement à la définition étroite d’une loi zombie selon le gouvernement. Elle n’a pas été déclarée explicitement inconstitutionnelle par les tribunaux. Ce n’est pas une loi zombie. C’est un autre genre de monstre. C’est une loi Frankenstein.
    Pourquoi est-ce que je me sers de cette référence culturelle populaire pour décrire la loi sur les maisons de débauche? Eh bien, je vais vous donner trois raisons.
    Premièrement, comme Frankenstein, la loi sur les maisons de débauche est une relique du XIXe siècle. Elle a été incluse dans le Code criminel original de 1892 afin d'interdire les bordels et autres lieux de travail du sexe. Elle a été modifiée en 1917 pour inclure les lieux d’indécence, dans le but de fermer les salons de massage. Cette loi est anachronique et doit être abrogée.
    La deuxième raison pour laquelle je l’appelle une loi Frankenstein, c’est que, comme le monstre de Frankenstein, elle est connue pour causer du tort. Dans l’arrêt Bedford de 2013, la Cour suprême a conclu que la loi sur les maisons de débauche causait aux travailleuses et travailleurs du sexe un préjudice nettement disproportionné par rapport à ses objectifs. Par conséquent, en 2015, le terme « prostitution » en a été retiré en vertu de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, la LPCPVE.
    La LPCPVE a maintenu de nombreuses lois injustes, y compris celle sur les maisons de débauche et ses clauses d'actes indécents, dont se servait la police pour faire des descentes dans les bains publics. De 1968 à 2004, plus de 1 300 hommes ont été accusés de la sorte. Vous avez entendu la semaine dernière comment cela a pu nuire à des homosexuels comme Ron Rosenes, un membre de l’Ordre du Canada qui, à ce jour, a un casier judiciaire pour avoir été arrêté lors des descentes de 1981 dans les bains publics de Toronto.
    Le gouvernement s’est expressément excusé de cette loi injuste. Comment se fait-il que nous soyons ici pour demander son abrogation? Des hommes comme Ron Rosenes méritent que leur dossier soit effacé.
    La troisième raison pour laquelle j’appelle cela une loi Frankenstein, c’est que, comme le monstre de Frankenstein, la loi sur les maisons de débauche ne correspond pas à l’intention de son créateur. Elle a été créée par le Parlement pour criminaliser les bordels et autres lieux de travail du sexe en fonction d’une norme sociale de moralité.
    À la suite de l'arrêt Bedford de 2013, le travail du sexe a été retiré de cette loi, ce qui laissait derrière la vague notion d’indécence, qui a été considérablement modifiée par la Cour suprême dans l’affaire Labaye de 2005. La loi n’a pas été déclarée inconstitutionnelle; elle a plutôt été réécrite par la cour. La définition d’indécence est passée d'une norme sociale de moralité à une norme fondée sur un préjudice non consensuel.
    Cette nouvelle définition d'une maison de débauche constitue une infraction très grave et tout à fait méconnaissable par rapport à l’intention première du Parlement. Ce qui était autrefois une loi de moralité contre les bordels est devenu un crime odieux et violent. Quelle sorte d’établissement permettrait de tels actes de préjudice non consensuel? Une loi du XIXe siècle sur la moralité est-elle le meilleur outil pour lutter contre de tels endroits?
    Ces actes sont visés par d’autres articles plus pertinents du Code criminel. Il est étrange que l’article 75 du projet de loi C-75 modifie la loi sur les maisons de débauche afin de permettre la possibilité d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, qui entraîne une peine réduite. Cela va à l’encontre de la gravité de cette infraction telle que les tribunaux l’ont maintenant définie.

  (1640)  

     En 1982, le ministre de la Justice de l’époque, Jean Chrétien, disait au Comité: « Par principe, je crois que si des articles du Code criminel sont tombés en désuétude ou deviennent désuets, il n’y avait aucune raison de les maintenir. » Aucune accusation n’a été portée en vertu de la loi sur les maisons de débauche en 2017. Le Parlement n’a pas besoin d’attendre que les tribunaux abrogent cette loi désuète, surtout une loi pour laquelle le premier ministre a présenté des excuses.
    J’exhorte le Comité à abroger non seulement les lois zombies, mais aussi les lois Frankenstein et toutes les autres qui ont été élaborées suivant la morale du XIXe siècle et qui ont criminalisé les personnes LGBTQ2 et les travailleuses et travailleurs du sexe.
    Merci.

  (1645)  

    Je remercie également M. Leckey pour l’appui de McGill à la position que nous défendons aujourd’hui devant le Comité.
    L’article sur l’indécence dans la loi sur les maisons de débauche est lié à une interprétation juridique plus large des relations entre personnes de même sexe, comme étant indécentes dans l’histoire du Canada. C’est aussi le cas de l’infraction d’actes indécents. Ces articles ont été et continuent d’être invoqués pour caractériser des pratiques LGBTQ2S comme étant plus indécentes que leurs équivalentes chez les hétérosexuels, ce qui provoque de la discrimination envers nos communautés.
    Dans mon exposé, je m’appuie sur des recherches et des écrits exhaustifs que j’ai faits, avec d’autres membres de notre groupe, sur la réglementation et la surveillance policière des activités sexuelles consensuelles au Canada. Depuis la fin du XIXe siècle, on invoque l’infraction d’actes indécents pour arrêter des personnes LGBTQ2S dans des bars, des clubs, des parcs et des toilettes. Les personnes impliquées ont construit pour elles-mêmes des relations de vie privée et d’intimité, dissimulées derrière des arbres ou des buissons, dans des cubicules aux portes verrouillées ou fermées, sans vouloir déranger les autres. Souvent, elles ont été piégées par la police qui empiétait sur leur vie privée.
    La police invoquait souvent des actes indécents plutôt que la grossière indécence ou la sodomie parce que c'était une infraction moins grave et qu’il était plus facile d’en faire la preuve en cour. Lors de la purge effectuée au nom de la sécurité nationale, pour laquelle le premier ministre s’est excusé auprès des personnes LGBTQ2S, la GRC menaçait d’utiliser l’accusation d’actes indécents pour inciter les gais et les bisexuels à dénoncer leurs amis de la fonction publique et de l’armée, afin de pouvoir les expulser.
     En Ontario, après la résistance massive aux descentes dans les bains publics au début des années 1980, la police a fait de la surveillance ciblée, y compris avec de l'équipement de surveillance vidéo, pour procéder à des arrestations pour actes indécents. Ces arrestations ont eu lieu à St. Catharines, à Welland, à Oakville, à Oshawa, à Mississauga, à Guelph, à Kitchener-Waterloo et à l’opéra d'Orillia. Les noms des accusés ont été divulgués par la police aux journaux, ce qui a poussé un homme de St. Catharines à se suicider.
    Rien qu'entre juillet 1982 et avril 1983, selon le Right to Privacy Committee, 369 hommes ont été arrêtés à Toronto pour des actes indécents commis avec d’autres hommes. Des milliers de personnes ont été arrêtées injustement au motif de l’infraction d’actes indécents.
    L’article 60 du projet de loi C-75 modifie certaines parties de la disposition sur les actes indécents. Cette disposition doit être entièrement abrogée. Cela permettrait aussi aux personnes injustement reconnues coupables d’actes indécents de demander la radiation de leur condamnation, ce qui leur est actuellement refusé en vertu du projet de loi C-66. Ce n’est pas inscrit dans ce projet de loi et c’est toujours dans les textes. Le Comité peut faire l'effort de s’attaquer à cette infraction historiquement injuste.
    Le vagabondage aussi est une infraction générale, mal définie. On s'en est toujours servi contre les travailleuses et travailleurs du sexe, mais aussi pour surveiller les genres et les expressions sexuelles des gens. Des personnes portant les vêtements ou affichant d'autres attributs du « mauvais » sexe ont été accusées de cette infraction. En 1994, la Cour suprême a statué que l'infraction de vagabondage était inconstitutionnelle et contraire à la Charte. L’article 62 du projet de loi C-75 supprime une partie de la loi sur le vagabondage, mais comme pour les maisons de débauche et les actes indécents, l’infraction demeure intacte. Il faut l'abroger entièrement.
    Le recours sélectif aux dispositions fondées sur la moralité et le piégeage par la police ont créé des liens historiques et des affinités entre les luttes des communautés LGBTQ2S et des travailleuses et travailleurs du sexe. Nous appuyons entièrement la position qui vous a été présentée par l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe.
     En 2015, la ministre de la Justice déclarait: « Je suis fermement déterminée à revoir les lois sur la prostitution. » Trois ans plus tard, il est plus que temps d’agir. Dans le contexte plus large de l’abrogation des lois qui criminalisent le travail du sexe, nous joignons notre voix à celles qui demandent l’abrogation des infractions relatives à l'avantage matériel et à la publicité, parce qu'elles créent des conditions de travail et des conditions de vie dangereuses pour les travailleuses et travailleurs du sexe.
    Il y a beaucoup d'autres lois qui ont servi à criminaliser les activités consensuelles des personnes LGBTQ2S, mais qui ne sont pas mentionnées dans le projet de loi C-75. Nous espérons certainement qu’on y remédiera bientôt. Il s’agit notamment des lois sur l’obscénité qui ont été utilisées contre des librairies et des publications LGBT et pour faire en sorte que des représentations sexuelles non conformes aient l'air plus obscènes et indécentes que leurs équivalentes hétérosexuelles.
    Nous appuyons également sans réserve les préoccupations soulevées par le Réseau juridique canadien VIH/sida et de nombreux autres intervenants au sujet des articles du Code criminel qu'on invoque pour criminaliser injustement les personnes porteuses du VIH.

  (1650)  

     En conclusion, nous vous exhortons à ne plus compter sur le Code criminel pour faire respecter la moralité, au moyen de divers articles qui définissent notre sexualité comme étant indécente et criminelle. Au lieu de cela, les infractions pénales devraient viser leur véritable objet, c’est-à-dire la violence et le harcèlement.
     La démarche des excuses à nos communautés exige que les lois sur les maisons de débauche et les dispositions sur les actes indécents et le vagabondage soient entièrement abrogées dans le projet de loi C-75. Autrement, ces excuses demeurent imparfaites et inachevées. Vous avez maintenant l’occasion de corriger la situation. Nous espérons que vous la saisirez.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Madame Barnett.
    Je suis heureuse qu'on nous offre une tribune, à moi et à mon organisme, pour que nous puissions nous faire entendre et donner une voix à ceux qui n'en ont pas. Je suis ici pour eux, pour moi et pour tous les Canadiens qui ont à coeur la justice et l’égalité. Nous sommes solidaires avec les historiens LGBT et nous appuyons entièrement les arguments soulevés par Égale Canada et M. Leckey.
    Avant de commencer, j’aimerais souligner que ces délibérations se déroulent sur un territoire algonquin non cédé.
    Comme l’ont indiqué mes collègues aujourd’hui et la semaine dernière, le projet de loi C-75 est une excellente occasion pour nous de saluer les excuses présentées par le premier ministre et de dénoncer la criminalisation continue de la communauté LGBTQ2SIA et le manque d’autonomie corporelle dont souffrent certains de nos membres.
    Avant de formuler mes critiques et mes recommandations, je tiens à vous féliciter d’avoir inclus les relations sexuelles anales parmi les infractions criminelles à abroger. C'est un pas en avant et un changement attendu depuis longtemps. Merci.
    Toutefois, si nous nous arrêtons là, nous aurons raté une occasion d'apporter tant d’autres changements souhaités depuis longtemps et qui apporteraient justice et égalité à la communauté LGBTQ2SIA et à tous les Canadiens. Nous sommes tout le monde et nous sommes partout.
    Le défaut d'abroger la loi sur les maisons de débauche et les lois sur le vagabondage, la nudité, la représentation théâtrale immorale et l'exposition indécente demeure un point de litige sérieux entre notre communauté et le gouvernement. Les excuses présentées l’an dernier par le premier ministre dénoncent explicitement le recours à la loi sur les maisons de débauche pour criminaliser la communauté LGBTQ2SIA; pourtant, aucune mesure n’a été prise à ce sujet.
    Les effets de ces lois continuent de nuire à nos communautés. Les gens qui ont été accusés et condamnés ont perdu leur famille, leurs proches et leur carrière. Ils vivent dans la précarité. Certains se sont enlevé la vie. Ceux qui sont encore parmi nous ne verront pas leur dossier effacé tant que ces lois n’auront pas été abrogées. Ils continuent de vivre dans la honte d’un tel traitement, certains depuis plus de 30 ans. Le premier ministre lui-même a reconnu ce préjudice causé par l’État et on continue pourtant à ne pas s'en occuper.
    La criminalisation du travail du sexe a été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême, notamment dans l’affaire Bedford de 2013. Malheureusement, la LPCPVE a rétabli un certain nombre de ces crimes jugés inconstitutionnels, notamment l'obtention de services sexuels moyennant rétribution, la communication dans ce but, l’avantage matériel tiré des services sexuels d'une autre personne, le proxénétisme, la publicité et l’avantage matériel dans la publicité. Toutes ces infractions se conjuguent pour isoler les travailleuses et travailleurs du sexe, qui ne peuvent pas filtrer les clients ou engager des services de sécurité ou de soutien administratif. Ces lois continuent de les mettre en danger.
    Les services de police locaux, provinciaux et fédéraux continuent d’invoquer les lois en vigueur pour harceler et traiter en criminels des gens qui devraient pouvoir faire leur travail avec le soutien et la protection de l’État. Nous recommandons fortement que le projet de loi C-75 prévoie clairement la décriminalisation du travail du sexe.
    Le projet de loi C-75 ne protège pas les enfants intersexués contre les interventions chirurgicales non consensuelles. En juin 2017, le CCDGS a présenté son « programme rose », indiquant clairement que nous sommes solidaires des membres des communautés intersexuées et de leur droit de décider ce qui est le mieux pour leur corps. Or, aujourd’hui, le paragraphe 268(3) du Code criminel du Canada autorise les médecins à pratiquer de telles interventions non consensuelles sur des bébés et de jeunes enfants dont ils jugent l'identité sexuelle ambiguë, c’est-à-dire intersexuée.
     Ce faisant, l’État, les parents et les médecins qui prennent ces décisions et qui effectuent ces interventions se trouvent à priver ces enfants de leur autonomie corporelle, et à leur causer préjudice en raison des problèmes qui en résultent. Par exemple, Kimberly Mascott Zieselman, qui a publié un article d’opinion dans la revue USA Today en 2017, s'est fait enlever ses testicules sans son consentement à l’âge de 15 ans. Cette opération l’a condamnée à prendre des hormones de substitution pour le reste de sa vie.
     On ne lui a même pas dit qu’elle avait subi cette opération avant qu'elle ait 41 ans. Imaginez-vous apprendre qu’une partie de votre corps vous a été enlevée sans votre consentement. Imaginez que cela ait entraîné un problème de santé permanent et des frais médicaux pour le reste de votre vie. Voilà ce que cette loi autorise. Nous recommandons fortement que l’abrogation du paragraphe 268(3) soit incluse dans le projet de loi C-75.
     Le projet de loi C-75 ne limite pas les lois qui permettent la criminalisation du VIH. Nous avons demandé des éclaircissements à ce sujet. À ce jour, peu importe ce qu'en dit le rapport même du gouvernement, la réponse du système de justice pénale à la non-divulgation du VIH est qu'il s'agit d'une agression sexuelle grave, alors qu'on affirme que la transmission du VIH est une question de santé publique plutôt qu’une question pénale.

  (1655)  

     Dans ce même rapport, il est démontré que l’activité sexuelle avec une personne porteuse du VIH qui suit le traitement prescrit et qui a maintenu une charge virale supprimée « présente un risque négligeable de transmission ». Qu'on puisse continuer de criminaliser la non-divulgation du VIH va directement à l’encontre d'un rapport du gouvernement appuyé sur des données probantes.
    Le projet de loi C-75 peut servir à limiter cette loi, à garantir que la non-divulgation du VIH ne soit pas traitée comme un acte criminel et que les membres de la communauté LGBTQ2SIA soient à l'abri de la discrimination exercée par des procureurs de la Couronne homophobes, transphobes ou autrement véreux. Mais dans sa forme actuelle, il ne le fait pas.
    Mon dernier point, c’est que le projet de loi C-75 omet de définir correctement la notion de personne marginalisée. Il obligerait les juges à tenir compte de la situation d’un accusé appartenant à un groupe marginalisé au moment d'imposer les conditions de sa mise en liberté sous caution, mais l’absence de définition peut être interprétée comme une exclusion de la communauté LGBTQ2SIA. Nous recommandons fortement l’inclusion explicite des LGBTQ2SIA dans la définition de « personnes marginalisées ».
    Merci beaucoup de m’avoir écoutée.
    Merci beaucoup de votre témoignage. Il nous est utile parce que beaucoup de questions soulevées par votre groupe de témoins sont nouvelles et n’ont pas été abordées par les témoins précédents. C’est tout à fait bienvenu.
    Nous allons passer à la première ronde de questions.
    Monsieur Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Coughlan, je vous remercie de votre exposé sur les lois zombies. Vous avez mentionné l'affaire de Travis Vader, qui a assassiné Lyle et Marie McCann, un couple de personnes âgées de ma ville natale de St. Albert. À la suite de la décision du juge Thomas et sous la direction de notre président, le Comité a écrit une lettre à la ministre de la Justice pour demander au gouvernement de présenter un projet de loi visant à abroger les articles « zombies » du Code criminel. Bret McCann, le fils de Lyle et Marie McCann, m'a approché peu après, et lui et moi avons tenu une conférence de presse, en compagnie de son épouse Mary-Ann, à St. Albert en décembre 2016.
    Vous avez tout à fait raison. En mars 2017, la ministre de la Justice a présenté le projet de loi C-39, qui n'a pas dépassé le stade de la première lecture. Rien n’a été fait depuis. J’ai demandé à maintes reprises à la ministre pourquoi on tardait tant à traiter un sujet qui ne prête pas à controverse. Comme vous l’avez souligné, il n’y a aucune raison que des articles inconstitutionnels du Code criminel demeurent dans le Code criminel, rédigés en noir sur blanc, comme s'ils avaient force de loi. Par conséquent, nous voici aux prises avec cette situation. Un projet de loi très simple, qui aurait pu être adopté à l’unanimité, se trouve maintenant lié à un énorme projet de loi omnibus.
     Je suis en contact avec la famille McCann, et elle est très bouleversée. Elle ne s'est pas gênée pour exprimer sa frustration au sujet de l’incapacité du gouvernement à agir.
    Vous avez mentionné l’article 159 du Code criminel concernant les relations sexuelles anales. Comme il l'avait fait pour l’article 230, le gouvernement a présenté un projet de loi distinct, le C-32, à l’automne 2016. Il en a fait tout un plat, c’était tellement prioritaire pour lui que c'est resté bloqué à l’étape de la première lecture. Aucune suite n'a été donnée. Puis le gouvernement a ramené l’abrogation de l’article 159 en présentant le projet de loi C-39 le 8 mars 2017. Encore une fois, c’était tellement prioritaire que c'est bloqué en première lecture. Nous avons maintenant le projet de loi C-75.
    Vous avez tout à fait raison de dire qu'il ne s'agit pas seulement du gouvernement actuel. Les gouvernements précédents n’ont pas abrogé les articles inconstitutionnels. À l’avenir, si nous pouvons faire abroger ces articles, que suggérez-vous pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise? On peut supposer que le projet de loi sera adopté et que ces articles seront supprimés, mais il y aura inévitablement de nouveaux articles qualifiés d’inconstitutionnels. Quelles mesures le Parlement devrait-il prendre pour être proactif à l’avenir?

  (1700)  

     J’aimerais souligner deux choses.
    D’abord, je ferai remarquer que, même si les mesures du projet de loi C-39 sont reprises dans le projet de loi C-75, le projet de loi C-39 existe toujours. Il n’y a aucune raison qu'il ne puisse pas être adopté, même si le projet de loi C-75 ne l’est pas.
    Pour ce qui est de l’avenir, il me semble que rien n'empêche le ministère de la Justice de rédiger tous les deux ans un projet de loi d'épuration en vertu de la Charte. Le projet de loi C-75 sera celui de 2018, mais pourquoi pas un projet de loi d'épuration 2020, un projet de loi d'épuration 2022? Ce ne sont que de petites tâches d’ordre administratif et, comme toujours dans ce cas, il suffit de s’en occuper un peu à la fois et cela ne devient pas écrasant.
    Il n’est probablement pas nécessaire de le faire chaque année. Ce n’est pas comme si les contestations en vertu de la Charte portaient fruit aussi souvent que cela, mais si le ministère de la Justice examinait simplement tous les deux ans s’il y a de ces ajustements de base à apporter au Code criminel, nous garderions le dessus.
    Comme nous l’avons vu dans le cas de Travis Vader, les conséquences de l’inaction sont réelles. Il ne s’agit pas d’une question théorique abstraite. La famille McCann a attendu six ans pour obtenir justice. Au moment même où elle pensait l'obtenir enfin, lorsque Travis Vader a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation de meurtre au deuxième degré, précisément cet après-midi-là, elle s'est aperçue qu’il pourrait y avoir un problème avec ce verdict.
    Quelques années plus tôt, je crois savoir qu’il y a eu une affaire de meurtre en Colombie-Britannique, où le juge de première instance avait remis au jury une copie d’un article zombie du Code criminel, et l’affaire a été portée devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. La condamnation pour meurtre n’a pas été annulée. Elle a été maintenue uniquement à cause des instructions impeccables que le juge avaient données au jury.
    En ce qui concerne le cas du juge Denny Thomas, qui a mal appliqué l’article 230, ce n’est pas la première fois que cela se produit.
    Non, pas du tout, et je pense que vous parlez de l'affaire Townsend.
     Au moins trois fois, à ma connaissance, à la fin d’un procès pour meurtre, le jury s'est retiré pour délibérer et a fait la demande tout à fait raisonnable qu'on lui remette une copie des parties du Code criminel se rapportant à l'affaire. Quelqu’un a pris la décision tout à fait raisonnable d'accéder à cette demande. Il n'est jamais venu à l'idée de personne que la disposition du Code criminel était inconstitutionnelle et n'avait donc pas force de loi.
     Il est ahurissant qu'une telle situation puisse se produire, non pas que les gens à ce moment-là se comportent de cette façon, ce qui est tout à fait compréhensible. Ce qui est stupéfiant, c’est que nous ayons pu créer les conditions qui rendent cela possible.
    Merci.
    Monsieur Boissonnault.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins pour leur passion et leur plaidoyer.
    Monsieur Coughlan, j’ai très hâte de me débarrasser des dispositions zombies, dont l’article 159 et d’autres que vous avez mentionnés. Je vous remercie de votre témoignage très lucide à ce sujet.
    Madame Barnett, je tiens à préciser que le Comité examinera une étude sur la criminalisation excessive du VIH plus tard cet automne, dès décembre ou au plus tard au début de 2019. J'en ai fait la demande au Comité et elle a été acceptée, alors cette étude s’en vient.
    La question que j’aimerais vous poser, brièvement — parce que j’utilise mes sept minutes judicieusement pour m’adresser à vous quatre —, c’est: pourquoi est-il si important d’inscrire les LGBTQ2 dans la définition des personnes marginalisées?

  (1705)  

     C’est parce que ce n'est pas toujours évident que nous sommes des LGBTQ2SIA. Cela ne se voit pas sur notre personne, alors nous devrions le divulguer à un juge en premier lieu.
    Cela pourrait nous mettre en danger si nous ne sommes pas expressément protégés par la définition de personne marginalisée. Le comportement à risque élevé qu'a pu adopter une personne LGBT en raison de la discrimination dont elle fait l’objet dans la société pourrait ne pas être pris en considération alors qu’il devrait l’être autrement.
    Merci.
    Aux fins du compte rendu, est-il vrai que vous utilisez le sigle LGBTQ2SIA pour désigner les populations lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queer, bispirituelles, intersexuées et asexuelles?
    Oui, c’est exact.
     Merci beaucoup.
    Monsieur Leckey, j’aimerais revenir à vos propos sur la communauté intersexuée, à l’alinéa 268(3)a). Avant de vous poser une question pointue, je précise à l'intention de mes collègues que nous parlons de bébés nés avec des organes génitaux portant à équivoque. Ils ne se présentent pas comme des garçons ou des filles. Autrefois, on les appelait des hermaphrodites, mais la société a évolué. Les gens de la communauté utilisent le terme « intersexué ». C’est une communauté très importante et marginalisée.
     Nous sommes allés au secrétariat de la communauté LGBTQ2, où travaillent des gens comme Morgan Holmes et d’autres, pour bien comprendre ce qui se passe. Imaginez que vous êtes parents et que vous avez un bébé qui vient au monde avec des organes génitaux qui sèment un doute sur son identité sexuelle. Les professionnels de la santé au Canada peuvent décider du sexe de votre enfant à la naissance. Ils ont 50 % de chances de se tromper ou 33 % de chances de se tromper, selon l’endroit où se situe le bébé dans le spectre du genre.
    Des amis à moi, sur l’île de Vancouver, ont eu un enfant avec des organes génitaux équivoques il y a 15 ans. Ils ont trouvé un professionnel de la santé qui leur a dit de laisser l’enfant grandir. C’était exactement ce que voulaient les parents. Il y a deux mois, cette personne qui a maintenant 15 ans a organisé une fête de dévoilement de sexe et en a choisi un. Je ne vous dirai pas ce que c'est, parce que cela n’a pas d'importance.
    Ce qui est important, c’est que personne n’a poussé cette jeune personne de 15 ans, qui a grandi dans un parfait bonheur et qui s'est maintenant choisi un sexe. Nous donnons à des médecins le pouvoir de faire essentiellement du tort à des bébés. Ce n’est pas génial. Nous ne devrions pas permettre cela.
     Monsieur Leckey, quel libellé utiliseriez-vous dans cet article pour empêcher que cela se produise?
    Je vous remercie de la question.
    Je garderais peut-être l’exception d’une intervention pour raison de santé. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de conserver le passage « dans le but d’avoir des fonctions reproductives normales ou une apparence ou une fonction sexuelle normale ».
    Dans le cas des enfants intersexués, si je comprends bien, la chirurgie ne va pas susciter une capacité de reproduction que la personne n’a pas. Souvent, une intervention bâclée peut détruire la capacité de plaisir sexuel d’une personne, et ainsi de suite.
    J’éliminerais toute la notion de l'apparence ou de la fonction sexuelle normale s'il n'y a pas d’urgence médicale, qui serait le seul motif d'intervention.
    Merci. Nous avons hâte de recevoir un mémoire de votre part à ce sujet.
    C’était une petite demande à mon ami et collègue Robert Leckey.
    Ma question s’adresse à M. Leckey et à M. Hooper, ainsi qu’à vous, monsieur Kinsman, si vous voulez. Supposons que le gouvernement puisse formuler les dispositions sur les maisons de débauche en fonction d’une norme sociale qui garderait dans les textes de loi les clauses relatives au préjudice non consensuel — telles que réécrites par le tribunal — et qu’il fasse rédiger à l'intention du Cabinet une annexe qui pourrait faire partie des mesures de radiation de la loi pour le bien des gens comme Ron Rosenes et les quelque 1 300 personnes qui, selon M. Kinsman et d’autres, se sont retrouvées avec un casier judiciaire entre 1968 et 2004 pour avoir été arrêtées en vertu des lois sur les maisons de débauche...
    Si le gouvernement pouvait faire cela et joindre cette annexe aux mesures de radiation qui permettraient à ces hommes de faire annuler leurs dossiers, serait-il possible alors, d'après vous, de garder dans les textes de loi le reste des dispositions sur les maisons de débauche comme des infractions de préjudice non consensuel?
    Les lois sur les maisons de débauche remontent à une époque lointaine et continuent d’avoir une connotation d'application de la moralité. Il pourrait y avoir des problèmes dans les situations que vous décrivez, où il vaudrait beaucoup mieux appliquer les dispositions du Code criminel portant sur le préjudice, la violence et le harcèlement. C’est ce que nous devons viser. Pour des raisons historiques et politiques, il faut absolument abroger intégralement les lois sur les maisons de débauche si nous voulons donner suite aux excuses de Justin Trudeau.

  (1710)  

    Monsieur Leckey.
    Cela me paraît aussi poser un problème. D’après ce que je comprends des autres infractions qui ont été abrogées et qui ont un mécanisme de radiation, l’infraction pourrait être radiée sous toutes ses formes.
    Essentiellement, vous proposez de remonter aux vieilles condamnations de présence dans une maison de débauche ou d'exploitation d'une maison de débauche, puis de distinguer lesquelles découlaient d'interventions policières mauvaises, inappropriées, victoriennes ou homophobes de celles qui étaient permissibles. Je pense que ce serait compliqué à exécuter, parce que ce ne serait pas une catégorie de condamnations. Il faudrait examiner les détails de chacune.
    Je vous remercie.
    Monsieur Hooper.
    Il existe un principe selon lequel cette loi ne devrait pas exister. Qu'est-ce qui justifie le maintien de la loi sur les maisons de débauche dans sa forme actuelle?
    Elle n'est pas utilisée, alors elle dort là. En écoutant M. Coughlan, il me semble très clair que si une disposition se trouve dans le Code criminel, elle doit avoir une raison d'y être. La seule lecture du Code criminel devrait, en soi, être un indicateur de la nature d'une loi.
    Cela devrait être la loi.
    Exactement.
    Que quelqu'un d'entre vous aille lire la loi sur les maisons de débauche et me dise ce qu'elle signifie. Vous verrez que son sens est bien loin de l'interprétation qui en est faite dans l'affaire Labaye.
    Après avoir parlé de zombies et de Frankenstein à Ottawa aujourd'hui, je n'aurai pas de mal à être sur la même longueur d'onde que mes deux jeunes de 15 et 17 ans, que mes neveux et nièces de 11 ans, même.
    Merci beaucoup à vous tous.
    Je dois passer à M. Rankin.
    Monsieur Rankin.
    Je vais vous donner l'occasion de revenir sur le sujet, monsieur Hooper.
    Je veux simplement dire, aux fins du compte rendu, que le simple fait que vous soyez ici aujourd'hui pour nous parler de l'historique de ces lois — un aspect dont, honnêtement, je n'avais pas conscience — illustre très bien l'importance de l'histoire juridique. Je trouve tout cela tout à fait convaincant et je vais proposer au Comité l'abrogation de trois articles repris dans le projet de loi C-75, à savoir les dispositions relatives au vagabondage, aux actions indécentes et aux maisons de débauche.
    J'accepte votre analyse sans réserve. S'il reste des questions non traitées, elles peuvent l'être par d'autres articles du Code, ou nous pouvons les adapter à la réalité du XXIe siècle. Je tiens à vous féliciter d'avoir utilisé l'histoire de manière aussi efficace.
    Monsieur Coughlan, j'ai bien aimé votre exposé. Je l'ai trouvé très lucide. Pendant que vous y êtes, je me demande si vous pourriez éliminer les décimales du Code criminel. Est-ce que cela pourrait faire partie de la révision? C'est impossible de se souvenir de quoi que ce soit dans ce code. Je suis peut-être en train de trahir mon âge, mais je pense que cet aspect devrait faire partie des préoccupations du groupe de travail. Pourrait-on l'ajouter à la description de poste du stagiaire d'été en droit dont vous avez parlé?
    J'ai une réponse à cela, et je pense que vous soulevez une question importante. La raison pour laquelle il existe des subdivisions comme, par exemple, alinéa 487.011b.1), c'est que nous apportons constamment des modifications au Code criminel et qu'il est impossible, bien sûr, de tout renuméroter. J'aimerais établir une corrélation entre le dernier point que vous avez soulevé et cette réalité, parce que je crois qu'une question plus large est en jeu.
     D'une part, puisque tous les témoignages des experts que j'ai entendus aujourd'hui m'ont semblé tout à fait persuasifs, je me dis: « Dans ce cas, pourquoi tel aspect ne fait-il pas lui aussi partie du projet de loi? » Sauf que lorsqu'on examine un projet de loi et qu'on se demande: « Comment se fait-il qu'on n'ait pas mis cela dans le projet de loi? », c'est tout simplement parce que le projet de loi vise autre chose. La plupart des projets de loi ne visent pas à faire tout ce qui pourrait être fait. En réalité, ce projet de loi est si volumineux qu'il est parfaitement compréhensible que l'on réagisse en disant: « Vous y avez déjà mis tellement de choses qui n'ont rien à voir, alors pourquoi ne pas y inclure ceci ou cela, qui en plus serait une bonne chose? » Cela m'amène à la question essentielle: pourquoi ne pas simplement prendre le taureau par les cornes et entreprendre une réforme fondamentale du Code criminel?
    C'est exact.
    Autrefois, nous avions une commission de réforme du droit...
    C'est ça qu'il faut faire. C'est ce que nous aurions dû faire faire depuis des décennies — et pas seulement pour des questions de moindre importance comme celle-là, pas seulement parce que la numérotation des alinéas est devenue trop complexe pour qu'on s'en souvienne, mais parce que nous avons besoin d'une réforme fondamentale du Code criminel. En 1979, le ministre de la Justice avait dit qu'il était temps d'entreprendre un examen systématique du Code criminel, et nous ne l'avons toujours pas fait.
    De toute façon, c'est presque le cas maintenant. Ce projet de loi touche tellement de points. Faisons ce qu'il faut une fois pour toutes.
    C'est ce qu'on appelle des projets omnibus. Ils englobent tellement d'éléments qu'il est difficile d'y voir clair. On y jette tout pêle-mêle. Nous n'avons plus de commission de réforme du droit, il n'y a pas de...

  (1715)  

    Et nous devrions en avoir.
    ... pour reprendre les termes du gouvernement, il n'y a pas de centre de responsabilité pour faire le ménage là-dedans. En Colombie-Britannique — et dans d'autres provinces, j'en suis sûr —, il y a ce qu'on appelle des projets de loi correctifs. Chaque année, on passe tout au peigne fin, de A à Z, et on y met tous les articles jugés désuets ou inconstitutionnels. Ces projets correctifs sont adoptés sans cérémonie le dernier jour de la session, systématiquement, sans débat. Je ne comprends pas pourquoi nous ne pouvons pas faire cela ici aujourd'hui.
     Je pense que M. Cooper a très bien expliqué ce que l'affaire Travis Vader voulait dire. Je ne voudrais pas être dans la peau du juge Denny Thomas, qui a commis cette erreur parce qu'il a eu la témérité de se fier au texte écrit du Code criminel. C'est un lourd fardeau à assumer. Je compatis avec lui.
    Vous avez utilisé le mot « ahurissant ». Ce mot me laisse pantois. En tant que Canadien, j'utiliserais le terme « embarrassant ». Honnêtement, je trouve embarrassant de voir que nous avons laissé les choses aller jusque-là. Comme M. Boissonnault l'a souligné, vous avez parlé de manière très lucide et très convaincante sur toute la ligne.
    Avons-nous le consentement unanime du Comité pour continuer jusqu'à ce que nous ayons fini de poser nos autres questions?
    Des députés: D'accord.
    Le président: Merci.
    Monsieur Leckey, si vous le permettez, j'aimerais poursuivre sur les propos de M. Boissonnault.
    Je sais que vous n'avez pas fait l'analyse détaillée de la Charte — qu'il serait nécessaire de faire —, mais vous avez clairement affirmé que selon vous, l'énoncé préparé par le ministère de la Justice concernant la Charte se rapportant à certaines dispositions était inadéquat. Je ne sais plus si vous faisiez allusion à l'alinéa 268(3)a) du Code, qui traite des enfants intersexués et de leur protection, ou à l'alinéa 25c) du projet de loi C-66.
    Je vais vous demander de répéter.
     C'était en fait une troisième option. L'analyse de la Charte effectuée par le ministère de la Justice portait sur l'article 156 proposé.
    D'accord. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Je sais que vous n'avez pas fait l'analyse, mais en quoi l'énoncé pourrait-il ne pas être conforme à la Charte?
    C'est que l'article 156 proposé a pour objectif de préserver le pouvoir d'intenter des poursuites pour des infractions historiques que nous jugeons encore répréhensibles aujourd'hui. Ces infractions comprennent la violence faite aux enfants de même sexe par des prêtres dans les orphelinats et d'autres pratiques de ce genre. L'abrogation de l'article 159 ne vise aucunement à exclure ces infractions du champ d'application du droit pénal.
    Le problème avec l'article 156, c'est qu'il se fonde sur l'âge actuel du consentement à 16 ans pour décider si une condamnation constituant une injustice historique peut être radiée ou non. Il me semble injuste que par le passé, alors que l'âge du consentement à des relations sexuelles « ordinaires » était à 14 ans... Je trouve problématique que nous soyons en train d'abaisser l'âge du consentement à des activités sexuelles anales pour le fixer à 16 ans seulement. Il y a en fait beaucoup de jeunes de 18 ou 19 ans qui ont été condamnés pour avoir eu des relations sexuelles avec des jeunes de 14 ans, alors que s'il s'était agi d'un garçon et d'une fille, ces comportements auraient été parfaitement légaux.
    S'il s'agit de deux hommes, et si l'article 156 est adopté dans sa forme actuelle, il est possible que des poursuites pour sodomie ou relations sexuelles anales soient intentées, parce qu'en vertu de la loi actuelle, un jeune de 14 ans ne peut donner son consentement à une personne de plus de 2 ans son aînée.
    Merci. Je comprends.
    Me reste-t-il du temps ou ai-je terminé?
    Vous avez terminé.
    Je veux simplement m'assurer de pouvoir faire le tour avant la sonnerie.
    Monsieur Fraser.
    Merci. Je serai très bref parce que je sais que la sonnerie va retentir dans quelques instants.
    Je tiens à remercier tous les témoins d'avoir comparu aujourd'hui. Cette série de questions a été très intéressante, et j'ai beaucoup aimé les exposés.
    Monsieur Coughlan, j'ai beaucoup apprécié la façon réfléchie dont vous avez présenté votre argument. Vous l'avez fait de manière logique et rationnelle. J'aimerais vous demander: croyez-vous qu'il existe une possibilité que des projets de loi visant à dépoussiérer la Charte soient présentés tous les deux ou trois ans? Compte tenu du fait que les décisions des tribunaux ont parfois une incidence sur une partie d'un article, ou sur certaines dispositions d'un article du Code criminel, j'imagine qu'il serait sage de tenir des consultations pour s'assurer que ces projets de loi reflètent réellement la décision des tribunaux. Qu'en pensez-vous?
    Vous avez dit qu'à l'échelon fédéral, une commission de réforme du droit était nécessaire pour essayer de donner une certaine orientation, peut-être, aux législateurs qui rédigent ces textes. Sous quelle autre forme pouvez-vous envisager la tenue de consultations avec la communauté juridique au sujet de projets de loi destinés au dépoussiérage de notre code, au fur et à mesure?
    De manière informelle, ces consultations existent déjà. Comme je l'ai mentionné, un grand nombre d'universitaires en droit pénal ont envoyé une lettre à la ministre de la Justice en décembre 2015. Ce geste a suscité une certaine collaboration informelle sur un bon nombre de questions. Nous avons fourni au ministère et au cabinet de la ministre les noms de personnes qui s'intéressent à différents domaines, ainsi que les noms d'experts en la matière. Je sais, par exemple, que vous avez eu l'occasion d'entendre Marie-Eve Sylvestre vous parler des questions de mise en liberté sous caution. Elle fait justement partie de la liste d'experts en matière de mise en liberté sous caution. Donc, de manière informelle, ce type de consultation existe.
    Il n'y aurait certainement pas de mal à se doter d'un mécanisme plus officiel, cependant. Personnellement, je suis favorable à l'idée d'une commission de réforme du droit, parce que nous aurions quelque chose de permanent. Mais la dernière fois que le Code criminel a été modifié — je dois dire avec embarras que je n'étais pas encore né —, une commission royale avait été constituée, une commission royale chargée de modifier le Code criminel a mené ce genre de consultations auprès des communautés concernées. Pas seulement auprès d'universitaires, mais aussi, bien sûr, avec les personnes directement concernées. Ces consultations ont été menées soit par l'intermédiaire, disons, de la Pivot Legal Society, pour obtenir les commentaires de cette communauté, ou par l'intermédiaire d'organismes comme ceux ici présents aujourd'hui. Nous voulons que ces consultations soient vastes, qu'elles ne se limitent pas au milieu universitaire et qu'elles engobent les personnes touchées.

  (1720)  

    Excellent, merci.
    Je sais que mon collègue a une question.
    Merci de m'accorder le reste de votre temps, monsieur Fraser.
    J'ai trois petites questions, alors je vous demanderais de répondre brièvement.
    Monsieur Leckey, vous avez dit que l'article 156 proposé posait problème. Vos préoccupations portent-elles sur le fait qu'aujourd'hui, les hommes qui ne bénéficient pas de l'exemption reposant sur la proximité d'âge seront accusés pour des activités sexuelles qu'ils ont eues avant 2008 avec des jeunes de 14 ou 15 ans, ou est-ce que vous craignez plutôt que les infractions pour lesquelles ils ont été reconnus coupables avant 2008 — avoir eu des relations sexuelles avec une personne de 14 ou 15 ans — ne soient pas radiées?
    Les deux. Je pense qu'il est relativement peu probable que de nouvelles accusations soient portées. Plus concrètement, je vois une lacune en ce sens. Je ne pense pas que la disposition concernant la radiation aille aussi loin que ce qui était prévu dans le projet de loi C-66. Étant donné que nous savons que le droit pénal peut être utilisé à des fins que nous n'imaginons même pas, vous devriez, selon moi, régler les deux questions, mais de façon réaliste, je pense aussi qu'il y a un problème réel avec la radiation.
     C'est parfait.
    Monsieur Hooper, monsieur Kinsman, au sujet des modifications apportées à la suite de l'arrêt Bedford et de l'arrêt Labaye, si j'ai bien lu les dispositions sur les maisons de débauche dans leur libellé actuel, elles ne correspondent pas du tout à ce que dit le jugement Labaye, de sorte que personne, à la simple lecture des dispositions sur les maisons de débauche, ne saurait ce qui est illégal.
    Êtes-vous d'accord avec cela?
    Absolument, monsieur le président.
    Oui, la loi sur les maisons de débauche utilise des termes comme « actes d'indécence », des termes qui sont incroyablement vagues et qui n'ont aucune signification concrète.
    À la lumière de votre lecture de la loi actuelle et des décisions rendues, que vous relatez dans le cadre de votre analyse historique, seriez-vous en mesure de confirmer qu'absolument aucune disposition n'est censée être touchée par les mesures concernant les maisons de débauche, disposition qui n'apparaîtrait pas ailleurs dans le Code et qui demeurerait en vigueur selon l'interprétation de la cour dans l'arrêt Labaye?
     Je ne sais pas à quoi ressemblerait une maison de débauche en 2018 et je ne sais pas si elle a jamais existé.
    C'est parfait, et...
    Si le problème était la violence et les préjudices, d'autres articles du Code criminel sont beaucoup plus appropriés.
     Je suis tout à fait d'accord.
    Madame Barnett et monsieur Leckey, en ce qui concerne la dernière question que vous avez soulevée au sujet des enfants intersexués, je comprends tout à fait les problèmes que vous et M. Boissonnault avez soulevés. Je veux simplement m'assurer que l'interprétation que vous faites relativement aux médecins et aux parents qui choisissent le sexe à la naissance ne pourrait aucunement porter atteinte, dans le futur, au droit des parents de circoncire leur enfant pour des motifs religieux ou autres. Vous ne prétendez pas que les parents devraient perdre ce droit, n'est-ce pas?
     Non, ce n'est pas ce que je dis.
     Je ne crois pas non plus que M. Leckey ait indiqué que cela devrait être supprimé, le libellé, il n'y a pas...
    Je suis d'accord, ce qu'il a dit ne s'applique pas à la circoncision. Je veux simplement m'assurer que nous ne sommes pas en train de présenter un argument visant à criminaliser la pratique de la circoncision.
    Monsieur Leckey.
    Non, je ne crois pas. De nos jours, la circoncision est permise même si elle n'a pas uniquement pour but de permettre à une personne d'avoir des fonctions reproductives normales ou une apparence sexuelle normale.
    C'est parfait. Je vous en suis très reconnaissant.
    Merci, chers collègues, et merci à nos experts.
    Nous rencontrerons notre prochain groupe après les votes.
    La séance est suspendue.

  (1720)  


  (1805)  

     Bonjour, chers collègues. Je demande à notre troisième groupe d'experts de bien vouloir excuser mon retard. Les votes à la Chambre des communes font partie des choses que nous ne pouvons pas contrôler.
    Je suis heureux d'accueillir notre troisième groupe de témoins de la journée au sujet du projet de loi C-75. Nous recevons aujourd'hui M. Joel Hechter, avocat, et M. Rick Woodburn, président de l'Association canadienne des juristes de l'État. Par vidéoconférence, de Kelowna, en Colombie-Britannique, nous accueillons M. John Sewell, qui représente la Toronto Police Accountability Coalition.
    Bienvenue.
    Monsieur Sewell, puisque vous témoignez par vidéoconférence, nous allons commencer par vous. Vous avez huit minutes. Je vous cède la parole.
    Je vis à Toronto, mais comme ma femme et moi sommes en visite chez des amis dans le centre de la Colombie-Britannique, je suis ici, à Kelowna, où il fait très beau.
    Je suis le coordonnateur de la Toronto Police Accountability Coalition, une organisation fondée en 2001. Notre travail consiste à proposer des politiques progressistes à la Commission des services policiers de Toronto et à la Police de la communauté urbaine de Toronto.
    Au cours de ces 17 années d'existence, nous avons eu à composer avec des cas de toutes sortes. Les plus récents concernent le contrôle d'identité, la façon d'intervenir auprès de personnes en situation de crise de santé mentale, les fouilles à nu, le profilage racial, la surveillance policière, la formation et le recrutement de policiers. La Toronto Police Accountability Coalition publie un bulletin électronique bimestriel gratuit contenant un résumé de ce qui se passe à Toronto et de ce que nous en pensons.
    La Toronto Police Accountability Coalition a présenté à la Commission des services policiers de Toronto des mémoires à l'appui d'une politique obligeant les procureurs de la Couronne à lui signaler les cas où un juge a conclu qu'un agent ne disait pas la vérité sous serment. De tels cas se produiraient trois fois ou plus par an à Toronto. La Commission a maintenant adopté cette politique.
    Aujourd'hui, nous tenons à exprimer notre inquiétude concernant l'article 657.01 du projet de loi, qui permet la présentation d'une preuve reçue au moyen d'une déclaration sous serment. L'article prévoit qu'une preuve déposée sous forme d'affidavit peut être utilisée dans la présentation des « éléments de preuve de routine » recueillis par la police.
    J'aimerais parler de ces pratiques que l'on dit « de routine » à l'heure actuelle, du moins à Toronto, et dans d'autres villes, je suppose.
    La première est le contrôle d'identité selon lequel un policier interpelle, à sa discrétion, une personne qu'elle oblige à fournir certains renseignements. Jusqu'à tout récemment, jusqu'à ce que la loi soit modifiée, le contrôle d'identité était considéré comme une pratique policière « de routine » à Toronto et en Ontario. Or, nous savons que le contrôle d'identité vise essentiellement les jeunes Noirs, et il est démontré qu'il s'agit de discrimination raciale. Nous pensons qu'il est déraisonnable de laisser entendre que des éléments de preuve obtenus de cette façon devraient être produits devant le tribunal sous forme d'affidavit.
    Une autre activité policière courante, l'arrestation pour possession de marijuana, est elle aussi empreinte de discrimination raciale. Trois fois plus de Noirs que de Blancs sont arrêtés. Une fois de plus, nous trouvons inacceptable que de tels éléments de preuve soient reçus sous forme de déclaration sous serment.
    Une troisième pratique considérée comme étant une activité « de routine » à Toronto est la fouille à nu. Au moins 40 % des personnes arrêtées pour infraction criminelle, quelle que soit la nature de l'infraction, font l'objet d'une fouille à nu, et ce, malgré que la Cour suprême ait déclaré, dans sa décision de 2001, que de telles fouilles doivent être rares — ce qui, selon notre interprétation, devrait représenter moins de 10 % des cas. Il est bien connu que dans certains cas, le seul fait que des fouilles à nu aient été menées suffit pour que le juge lève les accusations.
    L'autre point que nous aimerions mentionner, c'est qu'il y a des cas, comme je l'ai dit tout à l'heure, où l'authenticité de la preuve présentée par la police devant les tribunaux est contestée. Il arrive que les agents présentent des preuves qu'ils savent mensongères, et que les tribunaux doivent rétablir la vérité. Souvent, c'est en se fondant sur le seul comportement de l'agent que les tribunaux en arrivent à cette conclusion, chose qui ne serait pas possible avec une preuve sous forme d'affidavit.
    Nous reconnaissons qu'il y a des cas où la preuve par affidavit déposée par la police peut être contestée, mais nous ne sommes pas convaincus que c'est une bonne façon de procéder. C'est un peu comme agir après le fait. Nous croyons que cette disposition devrait être éliminée du projet de loi.
    Nous aimerions insister sur le fait que nous souhaitons appuyer des mesures qui raccourcissent la durée des procès afin de faire gagner un temps précieux aux tribunaux et économiser leurs ressources. C'est une question sur laquelle notre organisation s'est penchée. Nous croyons que la bonne façon de procéder est d'instaurer un processus d'approbation des accusations, dans le cadre duquel les procureurs de la Couronne rencontrent les agents pour déterminer quelles accusations devraient être portées.

  (1810)  

    Cela se fait maintenant dans trois provinces canadiennes: en Colombie-Britannique, au Québec et au Nouveau-Brunswick. En fait, le filtrage pré-inculpation permet aux tribunaux de gagner beaucoup de temps. En Ontario, le nombre d'accusations pourrait être réduit de 93 000 à 70 000 si la province utilisait la procédure de filtrage pré-inculpation et les mêmes règles qu'au Québec.
    Cette pratique a également permis de réduire considérablement le nombre d'affaires suspendues ou retirées. Au Québec, où la procédure de filtrage pré-inculpation est en place, ce pourcentage est de 9 %, comparativement à 46 % en Ontario. Si vous voulez faire gagner du temps aux tribunaux, oubliez la preuve par affidavit des agents de police, utilisez plutôt le filtrage pré-inculpation.
    Ce sont là les recommandations que nous présentons respectueusement au comité.
    Je vous remercie beaucoup.

  (1815)  

    Merci beaucoup, monsieur Sewell.
    Nous entendrons maintenant M. Hechter.
    Merci de m'avoir invité à vous faire part de mes propositions.
    De nos jours, on a parfois l'impression que le monde court à sa perte et qu'on ne peut rien faire pour l'en empêcher. Je suppose que vous avez tous décidé de faire de la politique pour améliorer les choses. Vous voulez améliorer la situation de vos familles, tout comme moi. Je serais un piètre politicien, mais en tant qu'avocat et père de famille, je suis ici pour faire en sorte que mon fils grandisse dans un Canada doté du meilleur système de justice pénale possible.
    Comme je n'ai que quelques minutes pour vous faire part de mes propositions, veuillez me pardonner si je vais direct au but. Le projet de loi C-75 contient quelques bonnes mesures, mais de mon point de vue, une bonne partie d'entre elles me semblent arbitraires. Je suis très inquiet à l'idée qu'il soit adopté dans sa forme actuelle, car il fera beaucoup plus de mal que de bien, ce qui serait vraiment dommage.
    Aux fins de cette consultation, j'ai pris connaissance d'une partie des témoignages que vous avez entendus ici et lu une partie des mémoires qui vous ont été adressés. Si vous aviez tenu cette consultation avant le dépôt du projet de loi, je pense que son contenu aurait été fort différent. Le gouvernement aurait pu s'appuyer sur des mémoires sérieux présentés par des avocats criminalistes qui composent quotidiennement avec ces questions. Depuis l'adoption de ce projet de loi en deuxième lecture, le gouvernement y a investi une bonne dose de capital politique et, malgré votre engagement à faire ce qui est bien, j'ai bien peur que vous fassiez la sourde oreille à ce que je vais vous dire.
    Ma principale recommandation est la suivante: ne précipitez pas les choses.
    Quand vous examinez ce projet de loi avec un peu de recul, vous voyez émerger une tendance. Le projet de loi C-75 confère plus de latitude aux agents de police et aux procureurs de la Couronne, il restreint la marge de manoeuvre des accusés et de leurs représentants, sans redonner aux juges le pouvoir discrétionnaire qui leur a été retiré lors de la réforme des peines minimales obligatoires par le gouvernement Harper.
     Sur ce dernier point, nous savons tous qu'il y a plusieurs mois, la sénatrice Kim Pate a proposé, dans le projet de loi S-251, une solution qui me paraît assez simple pour régler le problème des peines minimales obligatoires. Si vous supprimez le préambule et les notes explicatives, ce projet ne fait que trois pages, dans les deux langues officielles. Il est simple, élégant et rédigé de manière à résister à l'épreuve du temps. Comme vous le savez, une semaine plus tard, votre collègue Sheri Benson, députée néo-démocrate de Saskatoon-Ouest, a proposé une solution similaire au moyen du projet de loi C-407.
     Je suis vraiment déçu de voir qu'après trois ans à étudier cette question, le gouvernement ne propose rien dans ce projet de loi pour régler le problème des peines minimales obligatoires. Je le dis avec une certaine tristesse, mais aussi avec respect. Je pense que les actes du gouvernement sont probablement plus éloquents que les mots qu’il utilise pour décrire ce projet de loi. Que dit exactement ce projet de loi C-75? Il dit que le gouvernement place une grande confiance dans les agents de police et les procureurs de la Couronne, ce qui est tout à fait raisonnable dans certaines circonstances.
    Mais voyons ce que cela signifie exactement. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, les agents de police auront beaucoup plus de latitude pour traiter les infractions, par exemple. Les autoriser à témoigner par écrit, comme vient de le dire M. Sewell, sans être soumis à un contre-interrogatoire, est une preuve de confiance incroyable. Les procureurs de la Couronne, de leur côté, auront la tâche de déterminer les protections procédurales qui seront offertes aux accusés dans une gamme plus large de cas.
    Cette question de confiance ne sort pas du néant. En tant que secrétaire parlementaire, M. Mendicino , qui était jusqu'à récemment membre de votre comité, a clairement fait savoir à la Chambre que le projet de loi C-75 vise à accroître la capacité de la Couronne à exercer son jugement éclairé au cas par cas. C'est l'une des principales raisons pour laquelle le gouvernement procède à l'hybridation d'un si grand nombre d'infractions.
    C'est ce qu'il a affirmé peu après avoir laissé entendre, le même jour à la Chambre des communes — c'était le 5 juin 2018, en réponse à une question de Mme Elizabeth May sur les éléments de preuve de routine présentés par des policiers —, que les avocats de la défense exercent un mauvais jugement et se chicanent sur des détails sans importance.
    Comprenez-moi bien. Je ne dis pas que le pouvoir discrétionnaire de la Couronne est une mauvaise chose. Nous savons que c'est un élément essentiel de tout système judiciaire qui fonctionne bien, de tout système de justice pénale. Or, comme la Cour suprême l'a clairement affirmé dans l'affaire Bain, en 1992, la protection des droits fondamentaux ne doit pas reposer sur la confiance à l'égard du comportement exemplaire permanent de la Couronne. Il est intéressant de noter que cette affaire portait sur des récusations péremptoires et la mise à l'écart de jurés. À l’époque, la Couronne avait beaucoup plus d'influence sur la composition du jury que la défense. La Cour suprême a statué que cela était contraire à l’alinéa 11d) de la Charte.

  (1820)  

    Par contraste avec tous ces nouveaux pouvoirs discrétionnaires conférés aux agents de l’État, le projet de loi C-75 prive mes collègues et moi-même des outils de base que nous utilisons pour nous assurer que justice est rendue équitablement. Notre rôle de contrepoids aux abus est considérablement restreint. Soyons clairs, des abus, il y en a parfois. C'est pourquoi je recommande dans mon mémoire, que vous avez tous reçu ce matin, mais que vous n'avez peut-être pas encore eu le temps de lire, d'établir une infraction criminelle pour non-communication de la preuve.
    Les motifs justifiant ce projet de loi énoncés dans le hansard n'ont pas beaucoup de sens dans une société libre et démocratique. Prenez l'idée d'éviter aux témoins de témoigner deux fois. Si vous allez au bout de ce raisonnement, il serait possible de mieux épargner les plaignants si nous passions directement de l’arrestation à la déclaration de culpabilité, sans tenir de procès. Cela permettrait d'économiser beaucoup de temps et d'argent, mais ce n'est pas là le rôle d'un système de justice équitable.
    Chez nos voisins du Sud, la Cour suprême des États-Unis a évoqué la nécessité de garantir l'intégrité du processus d'établissement des faits au moyen notamment d'un contre-interrogatoire efficace. Dans sa décision dans l'affaire Coy c. Iowa, rendue en 1988, la Cour affirme que même si le processus peut malheureusement choquer la victime sincère d'un viol ou un enfant maltraité..., il peut aussi confondre et mettre à jour le faux accusateur ou révéler qu’un enfant est sous l'emprise d'un adulte malveillant. Le tribunal conclut en disant que c'est une lapalissade d'affirmer que les protections constitutionnelles ont un coût.
    Notre système de justice criminelle n'est pas tout à fait similaire à celui des Américains et ne devrait pas l'être, mais la question soulevée dans cette cause est universelle. Nous ne décidons pas d'instruire des procès parce que c'est une solution pratique. Ce n'est pas vrai. Et ce n'est pas non plus une partie de plaisir pour les gens qui y participent. Les procès peuvent être coûteux et, dans de rares cas, ils peuvent être très longs.
    Malgré ce que vous avez pu entendre, je vous assure que les avocats de la défense ne sont pas complaisants à cet égard. La vaste majorité des personnes inculpées souhaitent que le processus soit le plus rapide possible, mais pas au prix d'une injustice.
    Les cas nécessitant une enquête préliminaire sont souvent plus longs à régler que les autres, mais ce n'est pas une raison pour abolir la plupart des enquêtes préliminaires. Cela veut tout simplement dire que les affaires plus complexes ont tendance à nécessiter des examens préalables pour s’assurer que le procès subséquent est équitable. Tous les Canadiens accusés d'un délit, pas seulement ceux qui sont condamnés à une peine d'emprisonnement à perpétuité, s'attendent à juste titre à avoir un procès équitable.
     La perfection sera toujours inaccessible, mais les procédures qui garantissent l'équité d'un procès sont essentielles pour prévenir toute condamnation injustifiée. Dans de nombreuses affaires criminelles au Canada, une enquête préliminaire bien menée sera un gage de procès équitable. Le droit à un contre-interrogatoire est la pierre angulaire de l'équité dans toutes les sociétés libres et démocratiques du monde. Je vous exhorte donc à examiner attentivement les conséquences de l'adoption du projet de loi C-75 dans sa forme actuelle. Il faudra des années de coûteux litiges pour réparer les dommages et, d'ici là, des personnes innocentes risquent d'être privées de leur liberté à cause de ce projet de loi. En le modifiant dès maintenant, vous pourrez éviter cette situation.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Woodburn, c'est à vous.
    Je sais que vous ne tarderez pas à savoir que je dois prendre un vol. Cela ne m'inquiète pas. L'important, c'est de bien faire les choses ici. N'hésitez donc pas à me poser des questions.
    Je m'appelle Rick Woodburn et je suis président de l'Association canadienne des juristes de l'État. Nous représentons quelque 7 500 avocats de la Couronne de partout au pays, des 10 provinces et du gouvernement fédéral, tant des procureurs que des juristes. Nos propositions prennent donc en compte un vaste éventail d'opinions.
    Je n'ai pas déposé de mémoire. J'ai toutefois réduit le nombre de propositions que nous formulerons, et nous entendrons bien entendu vos questions.
    Je remercie le Comité de nous avoir invités. Je vous en suis reconnaissant. Il se peut que certains de nos commentaires soient un peu à contre-courant. Je ne veux dénigrer personne, ni les rédacteurs du projet de loi, ni quiconque y a travaillé avec diligence, mais nous aimerions l'examiner plus en détail.
    Notre rôle ne sera pas d’appuyer ou de rejeter le projet de loi en soi. Nous souhaitons toutefois vous faire part des arguments pour et contre et vous donner une idée de ce que les procureurs et les avocats de la Couronne pensent de ce projet de loi sur le terrain.
    Les avocats de la Couronne ne sont évidemment pas tous d'accord avec tous les articles du projet de loi. Certains sont pour, d'autres contre, et j'espère arriver à vous en faire part aujourd’hui, à tout le moins à vous transmettre de l'information qui vous permettra peut-être de faire marche arrière; lorsque vous réfléchirez à d'éventuelles modifications et aux différents articles, j'espère que ces renseignements vous aideront à savoir ce qui se passe sur le terrain.
     Le premier point que nous aimerions examiner est la réforme du cautionnement, en particulier le remplacement des articles 523 et 524 par le nouvel article 523.1.
    Mon interprétation du nouvel article 523.1, qui précéderait directement l'article 524 et qui reprend l'article au complet, c'est que l'article 523 n'est pas supprimé, si j'ai bien compris. Par conséquent, la Couronne a toujours la possibilité de demander la révocation de la mise en liberté sous caution d’une personne. Pour les procureurs de la Couronne, cette procédure supplémentaire ne fait que rajouter, dans certains cas, à une autre audience administrative pour non-respect d'une ordonnance et ainsi de suite. Ce nouvel article est donc redondant à bien des égards. Notre but à tous ici est d'éviter les retards, et l'ajout d'un article redondant dans le Code criminel ne nous aide pas nécessairement à atteindre ce but.
    Je m'explique.
    Conformément à l'actuel article 523, la Couronne peut, à la discrétion, faire tout ce que dit le nouvel article 523.1. Nous pouvons laisser tomber l'accusation, demander la révocation du cautionnement et ainsi de suite. Nous pouvons déjà faire tout cela. Le nouvel article 523.1 présuppose que les avocats de la Couronne ne prennent pas connaissance des accusations lorsqu'ils interviennent une première fois pour évaluer le bien-fondé de la cause, mais nous le faisons. En tant qu'avocats de la Couronne, il est important pour nous de nous assurer que ces infractions, ce non-respect des conditions de libération sous caution, soient prises en compte. Nous disons que c'est seulement là une étape de plus qui n'est pas nécessaire en réalité parce que les avocats de la Couronne font déjà leur travail à cet égard.
    L’autre point intéressant à relever au sujet des infractions contre l'administration de la justice ou des cas de non-respect des conditions de mise en liberté, c'est qu'on semble beaucoup insister sur leur nombre et sur l'engorgement du système qui en découle. Je peux vous dire d'expérience que ces cas n'engorgent pas le système et ne causent pas de retards. Le non-respect d'une ordonnance judiciaire est très facile à prouver, même lorsque cela conduit à un procès, ce qui est très rare. N'oubliez jamais que ces infractions n'engorgent pas le système. Elles sont nombreuses, mais elles n'engorgent pas le système.
    L'autre chose qu'il faut savoir au sujet de ces infractions, de ces non-respects d'une ordonnance du tribunal, c'est qu'il est important que tout le monde comprenne que c'est une pierre angulaire de notre système de cautionnement: toute personne mise en liberté sous caution est censée respecter les conditions et, si elle ne le fait pas, elle sera alors arrêtée et conduite devant le tribunal. Il doit avoir une pénalité pour ces manquements. D'après ce que je comprends du nouvel article 523.1, s'il est appliqué, ce sera davantage une tape sur les doigts. Croyez-moi, les contrevenants vont vite comprendre qu'ils peuvent tirer profit de cette nouvelle disposition. Ils seront de plus en plus nombreux à enfreindre leurs conditions de mise en liberté sous caution.
    Ce ne sont là que quelques arguments au sujet de la réforme du cautionnement. Nous répondrons, bien entendu, à vos questions à ce sujet.

  (1825)  

    Concernant les enquêtes préliminaires, beaucoup de choses ont été dites. J'ai entendu certains témoignages et lu une partie des mémoires. Les opinions sont très divergentes sur la suppression des enquêtes préliminaires pour les infractions non punissables d'une peine d'emprisonnement à perpétuité.
    Les avocats de la Couronne sont également divisés sur cette question et j'aimerais vous faire part des arguments pour et contre. Premièrement, l'un des avantages les plus évidents concerne les victimes d'agression sexuelle. Bien sûr, comme l'a fait remarquer un témoin ici même, le fait que ces victimes doivent témoigner deux fois les victimise doublement, comme je l'ai moi-même constaté. Supprimer cette obligation encouragera peut-être certaines victimes à se manifester dans les procès pour agression sexuelle, sachant qu'elles seront appelées à témoigner qu'une seule fois. Quand nous parlons de témoins, j'inclus également les enfants.
    Pour une raison ou une autre, le projet de loi n’inclut pas les agressions sexuelles graves. Dans ces cas, bien sûr, le droit à une enquête préliminaire existe.
    Du point de vue de la Couronne, les actuelles dispositions sur les enquêtes préliminaires posent problème. Je parle notamment de ce qu'on appelle les audiences de préparation à l'enquête au cours desquelles les avocats de la Couronne et de la défense se présentent devant le tribunal et tentent de circonscrire les points en litige. La plupart du temps, nous constatons que nous n'arrivons pas à le faire. Nous finissons par tenir des mini-procès au cours desquels nous devons défendre notre cause conformément au critère établi dans l'affaire Sheppard, bien entendu. Les audiences préalables à l'enquête dont il est question dans le Code criminel ne fonctionnent pas nécessairement comme on vous l'a expliqué.
    L'autre point consiste à présenter notre cas par écrit ou à ajouter les déclarations des témoins et ainsi de suite. Chaque administration a sa propre manière de procéder, mais d'après ce que j'entends, la plupart des tribunaux n'autorisent pas cette pratique et les avocats de la défense n'acceptent pas que la Couronne procède à une enquête préliminaire sur dossier. Les choses se passent différemment d'un tribunal à l'autre. Nous constatons que la suppression de l'enquête préliminaire présente des avantages, je suppose, dans certains cas.
    Le côté négatif, c'est que les parties, tant la Couronne que la défense, n'ont pas la possibilité d'analyser le cas, de rencontrer les témoins, de voir comment les éléments de preuve se présentent. Cela ne permet pas aux avocats de la Couronne et de la défense d'en arriver à un règlement après l'enquête préliminaire. Ce sont quelques-uns des éléments manquants qui ressortent lorsque nous discutons de la question.
    Il y a des avantages et des inconvénients, et nous avons déjà entendu parler de certains. Il est donc important de les garder à l'esprit.
    Un autre point important, ce sont les récusations péremptoires des jurés. J'ai probablement plaidé dans plus d'une cinquantaine de procès devant jury et assisté à de nombreuses récusations motivées; cette procédure dure entre une journée et une journée et demie dans le cas des procès pour homicide. C'est donc un long processus actuellement, surtout si vous devez en plus tenir compte des exemptions générales, des particularités, des récusations péremptoires et, parfois, des récusations motivées dépendant de l'importance du cas.
    Je constate, dans les nouveaux articles 638 et 640 du projet de loi, que malgré la suppression des récusations péremptoires, l’article sur la récusation motivée est toujours là. Si vous regardez le nouveau paragraphe 640(2), vous verrez que ni l'avocat de la défense ni l'avocat de la Couronne ne peuvent mettre en doute l'impartialité d'un juré. Selon l'interprétation qui en est faite, le terme « juré » signifie le jury. Pour une récusation motivée, c'est donc cet article-là qui est invoqué. Si vous l'examinez attentivement, vous constaterez que l'aboutissement logique de cet article, c'est que nous risquons d'avoir des récusations motivées dans un plus grand nombre de procès, ce qui exige beaucoup de temps. Cela pose donc un problème.

  (1830)  

    L'autre point, c'est que la décision ultime concernant chaque juré sera prise par le juge.
    Si vous regardez comment cela se traduira dans le cas d'une récusation motivée, certaines questions sont soulevées et tranchées par la Couronne et la défense. Chaque juré est convoqué et interrogé. La manière dont cela se passera, selon nous, c'est que les jurés seront convoqués et interrogés et que la Couronne et la défense auront la possibilité de s'adresser à eux; le juge prendra ensuite une décision quant à l'impartialité de chaque juré, jusqu'à ce que nous en ayons 12, 14 ou 16, en fonction du déroulement du procès, ce qui en allongera de beaucoup la durée, par exemple, d'un, deux ou trois jours, selon les cas.
    Cela nous paraît très problématique parce que ce qui était un petit cas au départ devient un cas beaucoup plus important; c'est du moins ce que nous pensons, mais nous pouvons comprendre la logique de cela.
    Bien entendu, il y a les affaires. La Cour suprême du Canada a affirmé qu'un juge doit rester à l'écart des audiences sur l'impartialité afin que sa décision sur l'impartialité d'un juré le place directement dans le processus de sélection du jury. La Cour suprême du Canada dit que cette pratique pourrait être inconstitutionnelle et c'est justement là que cette partie du projet de loi pourrait être contestée après quelques procès devant jury. Selon nous, c'est problématique.
    Où en sommes-nous pour le temps?

  (1835)  

    Votre temps est écoulé.
    Vous pouvez aussi bien conclure.
    Concernant l'hybridation des infractions, nous avons deux choses importantes à dire. Bien entendu, un délai de prescription de12 mois pour une infraction punissable par procédure sommaire, cela nous convient. Le prolongement de la peine de six mois à deux ans ne pose pas de problème parce que, d'une certaine manière, les avocats de la Couronne doivent déterminer si une personne reconnue coupable d'une infraction punissable par procédure sommaire écopera de plus de six mois, ou de moins. Nous avons souvent opté pour la mise en accusation lorsque nous étions convaincus que, compte tenu de la nature de l'infraction, du dossier de l'accusé et d'autres facteurs, nous devions procéder par voie de mise en accusation. C'est l'un des problèmes que nous avons eus. Maintenant que la période passe à deux ans, il y a une zone grise qui nous permet, pour les auteurs d'un délit punissable d'une peine de plus de six mois, mais de moins de deux ans, d'opter pour la procédure sommaire. C'est l'avantage. Le désavantage, c'est que les tribunaux provinciaux risquent d'être inondés de cas beaucoup plus complexes.
    Je vous remercie de votre attention. Je suis désolé d'avoir dépassé le temps qui m'était imparti.
    Pas de problème. Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant aux questions.
    Monsieur Cooper.
    Merci, monsieur le président. Ma première question est pour vous, monsieur Sewell.
    Vous avez mentionné différents éléments de preuve de routine présentés par la police. L'un des problèmes posés par le projet de loi C-75, c'est que ces éléments de preuve sont définis de manière plutôt générale. La définition comprend tout élément relatif à l'observation, à l'identification et à l'arrestation d'un accusé et à l'obtention de tout élément de preuve matérielle. À mon sens, ce ne sont pas là des éléments de preuve de routine présentés par la police. Cela ressemble plutôt à la preuve entière.
    Oui. Je ne suis pas en désaccord avec vous. J'ai donné quelques exemples de ce qui a été considéré comme des éléments de preuve de routine à Toronto, mais en fait, la définition est très large et je pense que cela pose problème. C'est pourquoi l'article devrait être supprimé.
    Souhaitez-vous donner votre avis à ce sujet?
    Oui, je pense que la définition est non seulement trop large, mais elle est problématique en ce sens que vous et vos collègues de la Chambre n'êtes pas des devins. Il est impossible de savoir, avant qu'une accusation soit portée ou même qu'un crime soit commis, quels seront les points importants à soulever en contre-interrogatoire durant un procès. Dans le cadre de mon travail d'avocat de la défense, il m'arrive souvent de construire ma défense en contre-interrogeant différents agents de police pour essayer de comprendre ce qui est vraiment important. J'y réfléchis à l'avance, mais cela aide le juge ou le jury à déterminer ce qui est vraiment important.
    En tant qu'avocats, et je parle des avocats de la Couronne et de la défense, il nous arrive souvent d'établir des exposés conjoints de faits — vous en avez certainement entendu parler — parce que les faits ne sont parfois pas contestés, et cela renforce le cas, comme nous le constatons tous. Comme je l'ai dit, nous ne sommes pas complaisants au sujet des retards. Nous voulons que les choses se passent rondement, mais s'il faut déterminer à l'avance qu'une catégorie d'éléments de preuve ne sera pas abordée au contre-interrogatoire ou présenter une demande pour contre-interroger un témoin, cela n'a aucun sens. Il n'existe aucun précédent dans aucun pays de common law au monde où vous devez demander la permission de contre-interroger un témoin, un droit protégé par le PIDCP, comme je l'explique dans mon mémoire. Si un fait est vraiment futile, il peut figurer dans un exposé conjoint des faits, mais vous ne pouvez savoir à l'avance — avec tout le respect que je vous dois parce que vous êtes manifestement tous très brillants et vous prenez ce sujet très à coeur — ce qui est litigieux ou important ou ce qui ne l'est pas.
    Un agent de police qui contredit un collègue peut être le début du fil qui détricotera toute la poursuite. Cela change le point de vue du tribunal. Cela peut mener à un acquittement ou justifier une condamnation. Vous ne pouvez pas le savoir avant de connaître l'ensemble des faits.
    Voilà ma réponse à votre question.

  (1840)  

    Je vous remercie.
    Pouvez-vous également nous dire ce que vous pensez de cette distinction entre d'un côté les infractions pouvant être admissibles à une enquête préliminaire, c'est-à-dire celles dont la peine maximale est la prison à perpétuité, et toutes les autres infractions pour lesquelles une enquête préliminaire n'est pas possible. Dans le cas d'un vol pouvant justifier une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité, par exemple, l'enquête préliminaire serait une option, mais pour une autre infraction, comme le trafic de drogue, le juge pourrait imposer la même peine, mais dans ce cas, il n'y aurait pas d'enquête préliminaire. Cela vous semble-t-il logique?
    Ce n'est pas très logique. Cela me paraît très arbitraire. Je comprends que les rédacteurs du projet de loi essayaient probablement de trouver le moyen de faire cesser cette pratique et d'essayer... Dans les cas les plus graves, nous avons besoin d'une enquête préliminaire, mais ce n'est pas de cette façon que les enquêtes préliminaires fonctionnent et ce n'est pas le rôle qu'elles jouent dans les vrais procès criminels.
    Nous décidons de mener une enquête préliminaire au cas par cas. Très souvent, je vais porter une affaire punissable par mise en accusation directement devant un juge de la Cour de justice de l'Ontario parce que l'enquête préliminaire ne servirait à rien. Je veux seulement aller de l'avant. Le cas n'est pas complexe et je veux en finir au plus vite et mon client aussi.
    Dans le cas d'infractions pour lesquelles la peine maximale est d'environ cinq ans, il peut arriver que l'enquête préliminaire soit absolument nécessaire. Dans mon mémoire, j'aborde brièvement la question de l'article 278 parce que je pense que l'une des conséquences non voulues de ce projet de loi, c'est que vous aurez des cas plus complexes relevant du régime Mills prévu à l'article 278. J'en parle dans mon mémoire, mais pour ceux et celles qui n'ont pas encore eu l'occasion de le lire, il s'agit, en gros, de dossiers de tiers comportant des allégations de rapports sexuels. Il y a un ensemble spécial de protections et l'un des plus importants dans le régime, c'est que la plaignante ou le témoin n'est pas contraint de témoigner à la suite d'une demande de communication de dossiers présentée par une tierce partie.
    Cela signifie que, pour établir l'existence de dossiers et présenter une demande d'accès à ces dossiers avant le début du procès, je dois passer par l'enquête préliminaire parce que la plaignante sera présente. Elle n'est pas contrainte d'être présente à la présentation de la demande. C'est durant l'enquête préliminaire que nous bâtissons le dossier en vue de la demande d'accès. Si cette étape n'est pas possible, nous nous retrouvons soudainement à la Cour supérieure, s'il s'agit d'une affaire complexe, possiblement devant jury. La partie plaignante est appelée à la barre et je lui pose des questions au sujet des dossiers dont j'ai besoin pour que le tribunal puisse établir les faits. Je dépose ensuite la demande au milieu du procès. La plaignante est autorisée à retenir les services d'un avocat. Les détenteurs des dossiers, que ce soit des médecins ou des institutions, ont aussi droit à un avocat. Nous avons ensuite un long ajournement pour traiter les dossiers. Le procès sera peut-être vicié, parce que nous avons un jury sur place qui se demande ce qui se passe. Ces conditions ne favorisent pas un système de justice rapide et efficace.
    Ma réponse à cette question est sans doute plus longue que vous le souhaitiez, mais c'est pour vous démontrer à quel point ce projet de loi, dans le contexte d'un code criminel qui contient des dispositions comme celles-là, risque de faire dérailler les choses.
    Oui, merci. Votre réponse est utile.
    Madame Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leurs témoignages.
    Monsieur Hechter, si vous me permettez, dans une autre vie, j'ai été procureure à la cour provinciale, aussi appelée le tribunal des contraventions.
    Des infractions provinciales...
    Oui. À ce titre, nous avons reçu plus d'une cinquantaine de dossiers d'un coup et nous avions de nombreux agents de police qui attendaient leur tour pour témoigner.
    D'après ce que je comprends des éléments de preuve policière de routine, c'est qu'il revient encore au juge de décider s'il y a lieu de faire venir des agents pour un contre-interrogatoire ou un examen.
    D'après votre expérience — et je vous demanderais à tous les deux d'exposer votre point de vue —, dans quelle mesure le témoignage d'un policier est-il nécessaire? Si ce n'est pas 9 fois sur 10 et s'il revient au juge de déterminer qu'un contre-interrogatoire est nécessaire pour l'administration de la justice, ne pensez-vous pas que cela permettrait de réduire les retards dans notre système judiciaire de même que les problèmes des forces policières qui doivent déployer leurs agents dans les rues?

  (1845)  

    Je vous signale que je ne passe pas beaucoup de temps au tribunal des contraventions. Je traite des affaires où les témoignages des policiers vont au-delà des problèmes de trafic automobile.
    Cela étant dit, je suis certain que mon ami sera d'accord avec moi pour dire que les avocats de la Couronne et de la défense cherchent généralement à circonscrire les questions avant le procès. Si le témoignage d'un agent n'est pas absolument nécessaire et si nous pouvons l'intégrer à un exposé conjoint des faits qui sera déposé devant le tribunal, ou si ce témoignage n'est pas vraiment important pour aucun d'entre nous et si nous pensons que les éléments de preuve que l'agent pourrait fournir ne changeront rien au procès, nous pouvons nous passer de ce témoignage. Cela se fait très souvent.
    J'ai eu un procès pour meurtre qui a duré très longtemps, mais nous avions 14 exposés conjoints de faits distincts portant sur différents points, que nous avons soumis au jury. Ce système fonctionne bien et les avocats eux-mêmes, sachant ce qui est important et ce qui ne l'est pas, peuvent le contrôler pour faire en sorte que le tribunal a tout ce dont il a besoin pour tirer une conclusion sûre et solide.
    Je reconnais qu'il peut arriver que des agents passent pas mal de temps à attendre. Ce système n'est peut-être pas aussi efficace que nous le voudrions. L'ancien procureur général de l'Ontario, Michael Bryant, a signé un article dans lequel il dit que rendre justice efficacement, c'est comme réussir une oeuvre musicale ou une circoncision — ce n'est vraiment pas une bonne idée. À un certain moment, l'efficacité risque parfois de fausser la justice. Nous ne devons jamais chercher à atteindre l'efficacité au point d'empêcher que justice soit rendue.
    Il faut qu'il y ait une raison quelconque. À mon avis, obliger un avocat de la défense à présenter une demande pour faire témoigner un agent de police afin qu'il puisse être contre-interrogé et, dans certains cas, l'obliger à révéler la raison pour laquelle il souhaite contre-interroger cet agent de police alors qu'il tente d'établir un point, par exemple, une infraction à la Charte ou autre chose... Dans nos avis de demande fondée sur la Charte, nous énonçons les principaux points que nous alléguons, mais c'est parfois... Dans l'affaire Evenson, en Alberta, on évoque le danger de donner trop d'information à l'avance à un témoin, même à un témoin bien intentionné, parce que cette information peut changer en rétrospective. Il se peut que la mémoire du témoin lui fasse défaut et qu'il soit incapable de se souvenir de certaines choses.
    Le contre-interrogatoire est un exercice ardu que nous devons préserver et protéger. Par conséquent...
    D'après ce que comprends et selon la lecture que je fais de cette disposition, il revient à l'avocat et au juge de prendre cette décision, et non à l'agent de police.
    Oui, mais si l'avocat doit présenter une demande, il divulgue alors à la cour et à la poursuite — et ultimement au public, à moins que la demande soit sous scellé — tous les renseignements qu'il cherche à obtenir et la raison pour laquelle il souhaite que l'agent de police soit présent. Rien n'empêche l'agent de police d'obtenir cette information.
    Monsieur Woodburn, voulez-vous faire un commentaire?
    Pas vraiment, mais mon ami a raison sur certains points.
    Écoutez, nous avons toujours des exposés conjoints des faits. Cela ne pose aucun problème en ce qui concerne cet article. Si nous devons appeler un agent de police à la barre, nous le ferons. Parfois, ils doivent attendre leur tour. C'est normal. Dans bien des cas, lorsque deux agents de police peuvent intervenir sur le même sujet, nous n'en appellerons qu'un seul. C'est plus facile et plus rapide d'appeler l'agent avant de rédiger une demande d'autorisation et de faire tout le reste. Au bout du compte, nous allons finir par appeler l'agent.
    J'aimerais clarifier ce point à nouveau parce que je veux comprendre correctement. En gros, cette disposition sur les éléments de preuve de routine retire à l'avocat son pouvoir discrétionnaire et le confère au juge à qui il reviendra de décider si un agent de police sera interrogé et contre-interrogé et en quoi consiste l'exposé conjoint des faits.
    C'est vrai à certains égards, parce que quand la Couronne présente une demande d'affidavit et que la défense dit qu'elle veut un contre-interrogatoire, c'est le juge qui décide au bout du compte. En réalité, toutefois, ce n'est pas comme ça que les choses se passent sur le terrain. Ou nous allons nous entendre entre nous pour que les choses se passent ainsi, ou je vais simplement appeler l'agent de police. C'est assez simple. Cette procédure va paralyser le processus, et ce n'est pas ce que nous voulons. Nous recherchons l'efficacité. Nous allons simplement finir par appeler l'agent de police.

  (1850)  

    Si nous sommes obligés d'aller devant les tribunaux, cela prendra beaucoup de temps et cela ne fera que ralentir le processus au lieu de l'accélérer.
    Ai-je le temps de poser une autre question?
    Bien sûr, si elle est brève.
    Merci. Je m'adresse à vous, monsieur Sewell.
    Vous avez brièvement évoqué les problèmes de racisme et d'inclusion au sein du système de justice. Ce ne sont pas des enjeux sur lesquels nous pouvons légiférer, à mon avis. Selon vous, jusqu'où pouvons-nous aller pour offrir une formation aux agents de police, aux juges et au personnel des tribunaux pour mettre fin de manière efficace aux problèmes comme le fichage, par exemple, dont vous avez parlé?
    Pour mettre fin au fichage en Ontario, le gouvernement a adopté un règlement qui restreint grandement cette pratique. Je pense qu'il est très complexe de traiter le problème du racisme au sein de la force de police. Je ne pense pas qu'il soit possible de légiférer là-dessus. Selon moi, cela dépend grandement de la manière dont les agents de police sont recrutés et formés et de la façon dont les forces policières sont gérées. Tout cela doit changer.
    Nous pourrions avoir un débat très intéressant sur les changements qui devraient avoir lieu; par exemple, nous devrions cesser d'embaucher des agents au bas de l'échelle et de les laisser gravir lentement les échelons. Nous devrions afficher des descriptions de travail faisant état des tâches que les recrues auront à accomplir et des postes qu'ils occuperont, comme dans n'importe quelle autre entreprise canadienne. Je pense que ce serait là un bon point de départ pour lutter contre le racisme. Un autre moyen de réduire le racisme dans les forces policières consisterait à recruter des personnes de l'extérieur pour des postes de direction. Par exemple, si les forces policières recrutaient des dirigeants de banque pour des postes de direction, il y aurait un changement majeur dans ce qui est permis et ce qui ne l'est pas au sein de la force. Lorsque la culture interne ne change jamais parce que tout le monde commence au bas de l'échelle et fait son chemin dans la hiérarchie, cela ne fait qu'accentuer les problèmes comme le racisme. Cela doit changer.
    Je conviens qu'on ne peut provoquer le changement au moyen d'une loi, mais il est certainement possible d'insuffler un vent de changement par la pratique et grâce à l'influence que des leaders gouvernementaux comme vous doivent exercer. C'est de cette façon que les forces de police se transformeront.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Rankin.
    Merci à tous les témoins.
    Si vous me le permettez, j’aimerais commencer par vous, monsieur Hechter. Merci de nous rappeler la réalité des erreurs judiciaires. Dans votre excellent mémoire, vous avez formulé quatre recommandations, dont l’une porte sur la divulgation, et plus particulièrement sur la condamnation injustifiée de James Driskell. J’aimerais aborder cette question, mais je veux commencer par ce que je crois être la première recommandation que nous avons reçue à ce sujet. Vous en avez fait quatre, comme je l’ai dit, mais tout d’abord, vous nous recommandez d'établir une infraction criminelle pour non-communication de la preuve. Vous dites que le Code criminel devrait prévoir une peine pour non-communication de la preuve.
    J’aimerais que vous nous parliez un peu plus longuement de cette suggestion. Êtes-vous d’avis que la Couronne et la police font fi de leurs obligations à un point tel qu’une telle disposition serait nécessaire?
    Le Code criminel contient une disposition sur la trahison. Ce n’est pas parce que la trahison est très fréquente, mais parce que c’est extrêmement grave. La non-communication de la preuve a été identifiée, dans de nombreux cas, comme la principale raison des condamnations injustifiées dans presque toutes les études sur les erreurs judiciaires au Canada et ailleurs. Cet été, au Royaume-Uni, un comité très semblable à celui-ci a fait une étude. Le comité de la justice de la Chambre des communes du Royaume-Uni a mené une enquête importante sur une série de manquements concernant la communication de la preuve qui ont mené à la suspension ou au retrait de centaines d'accusations. Alison Saunders, directrice des poursuites pénales, a témoigné devant le comité et a dit que des gens avaient été emprisonnés à cause de manquements sur le plan de la communication de la preuve.
    Cela a des répercussions extrêmement tragiques sur la vie des gens, et cela continue. Je cite dans mon mémoire une cause que je viens de conclure. J’ai obtenu un verdict, en janvier, sur un triple homicide. La juge Dawson de la Cour supérieure de l’Ontario, à Brampton, a conclu à la non-communication de la preuve, au camouflage et au parjure. C’est inhabituel — comprenez-moi bien —, mais lorsque cela se produit, les agents concernés ne devraient pas être promus, et pourtant, ils l'ont été. C’était au service de police régional de Peel. Je ne nommerai pas les agents en question. Ils sont tous nommés dans la décision, et la décision est citée dans mon mémoire. Les principaux enquêteurs ont tous été promus au sein de ce service. Cela ne peut pas continuer ainsi.
    Merci.
    Pour gagner du temps, j’aimerais passer aux autres recommandations. Vous avez fait référence au juge LeSage, en disant qu’il avait abondamment parlé de l’importance des enquêtes préliminaires dans son rapport sur la condamnation injustifiée de James Driskell, en partie parce qu’il y avait de graves manquements à la communication de la preuve dans cette affaire.
    J’aimerais demander à M. Sewell de nous dire également s'il serait utile d'avoir cette disposition pénale pour la non-communication de renseignements importants.
    Hier, M. Daniel Brown a également cité le juge LeSage dans l’affaire Driskell. Vous pourriez peut-être nous expliquer pourquoi vous pensez que l’élimination des enquêtes préliminaires entraînera davantage de condamnations injustifiées. Certains soutiennent que les mêmes éléments de preuve seront présentés au procès, à une date ultérieure. Pourriez-vous nous en dire davantage?
    Est-ce à moi ou à M. Sewell de répondre?
    C’est à vous d’abord.

  (1855)  

     D’accord.
    Nous entendrons ensuite M. Sewell.
    Il y a vraiment une idée fausse qu’il faut dissiper. L'enquête préliminaire et le procès sont deux choses très différentes. Le travail qu'on y fait n'est pas le même et l'enquête préliminaire n'a pas la même fonction que la communication de la preuve. L'enquête préliminaire constitue un processus d’interrogatoire préalable pour la défense autant qu’un processus de vérification des accusations pour le tribunal et la Couronne.
    Prenons, par exemple, les cas d’agression sexuelle. Nous savons que les policiers — et j’en parle dans mon mémoire également — ont reçu une formation qui les incite à assurer aux plaignants qu’ils peuvent porter plainte sans crainte, que c’est la meilleure chose à faire et qu’on va les croire. En fait, le site Web du service de police de Toronto, sur sa page d’information sur les agressions sexuelles, dit que même si aucune accusation n'est portée, cela ne veut pas dire qu’on ne vous a pas cru. Même si l’accusé est acquitté, cela ne veut pas dire qu’on ne vous a pas cru, et bien sûr, c’est vrai.
     La police pose des questions pour appuyer son enquête et aider à valider les sentiments du plaignant. Nous posons des questions lors de l'enquête préliminaire pour une raison très différente, parce que nous allons faire une enquête plus poussée pour nous préparer au procès. C’est l’une des choses dont je parlais au sujet des dossiers de tiers. Il y a d’autres façons d’enquêter pour nous assurer que nous sommes prêts pour le procès afin que le juge des faits, qu’il s’agisse d’un juge ou d’un jury, soit en mesure d’obtenir la meilleure information possible pour en arriver à un verdict. Les rôles de la police et de l’avocat de la défense sont très différents, et c’est pourquoi la communication de la preuve et la fonction d’interrogatoire préalable de l'enquête préliminaire sont deux choses très différentes.
    Le fait de nous priver de cet élément de la divulgation risque de nous empêcher de présenter tous les faits pertinents devant le tribunal et peut mener à des condamnations injustifiées, comme le juge LeSage l'a constaté dans l’affaire Driskell.
    J’aimerais avoir votre avis, monsieur Sewell. À la lumière de votre excellent mémoire, pensez-vous qu’il devrait y avoir une sanction pour les policiers et la Couronne qui ne respectent pas leurs obligations élémentaires à l'égard de la communication de la preuve? Est-ce que ce serait utile?
    Le rôle de la police ne devrait pas être d’obtenir une condamnation, mais plutôt de veiller à ce que justice soit faite. Trop souvent, je pense que la police croit avoir pour mission d’obtenir une condamnation et que, dans cette optique, certains agents omettent parfois de révéler toutes les preuves qu'ils ont réunies. Je pense qu’une pénalité pour non-communication de la preuve est une bonne idée.
    D’accord. Pour terminer, monsieur Hechter, votre troisième recommandation est que nous fournissions des preuves à l’appui de l’abolition des enquêtes préliminaires. Cela veut-il simplement dire qu'il faut démontrer que la décision prise se fonde sur des données probantes?
    Oui.
    De plus, pour le compte rendu, votre quatrième recommandation, à laquelle souscrivent de nombreuses autres personnes, est que nous devrions supprimer les dispositions relatives aux éléments de preuve de routine présentés par les agents de police — non pas les modifier, mais simplement les supprimer. C'est bien cela?
    Absolument.
    M. Fraser devait prendre ce tour, mais comme il est absent, il m’a demandé de le faire à sa place.
    Mesdames et messieurs, je vais vous poser des questions. Je vais essayer d'en poser beaucoup, alors si vous pouviez me donner des réponses succinctes, je vous en serais très reconnaissant.
    Monsieur Sewell, en ce qui concerne les éléments de preuve de routine présentés par la police, je suis déjà convaincu que cela pose un problème. Je ne vais probablement pas vous poser de questions parce que j'en ai déjà assez entendu à ce sujet.
    En ce qui concerne votre témoignage, monsieur Hechter, j’ai été très frappé par le commentaire que vous avez fait au sujet de l’exemple de la Cour supérieure, où vous demanderiez des preuves à une tierce partie et où vous devriez interroger la victime présumée au risque de retarder le procès, et obliger cette personne à revenir, peut-être à plusieurs reprises, pendant que vous continuez d’enquêter.
    Vous avez mentionné dans votre témoignage, monsieur Woodburn, que l’un des avantages potentiels était d’éviter à la victime de témoigner à la fois à l’enquête préliminaire et au procès proprement dit. Voyez-vous la préoccupation soulevée par M. Hechter et par d’autres témoins selon laquelle cela pourrait, en fait, aggraver le problème en causant des retards excessifs au procès et en obligeant la victime à revenir plusieurs fois puisque vous procédez essentiellement à l’interrogatoire préalable dans le cadre de votre contre-interrogatoire du plaignant?

  (1900)  

    Chaque situation est examinée au cas par cas, et d’après mon expérience, ce dont parle mon collègue est rare. Ce n’est pas quelque chose qui arrive souvent. Dans la plupart des procès pour agression sexuelle, il n'y a qu'un seul témoin et peut-être quelques témoins collatéraux, après quoi la procédure suit son cours. Pour ce qui est des dossiers de tiers, d’après mon expérience, lorsqu’il y a eu un problème et qu’il n’y a pas eu d’enquête préliminaire, comme nous l’avons déjà dit, cela fait partie du processus préalable au procès, où nous examinons ce dont nous avons besoin à ce moment-là, et si le plaignant doit témoigner, ce qui n'est presque jamais le cas, en ce qui concerne les dossiers de tiers, nous pouvons alors le mettre à la barre, mais je ne pense pas que cela pose de problème.
     Parfait.
    Pour ce qui est des enquêtes préliminaires, pour revenir encore une fois à M. Hechter, je ne pense pas que les sanctions visant la non-communication de la preuve pourraient être ajoutées à la loi. Je ne pense pas que ce soit recevable en tant qu’amendement, parce que ce n’était pas envisagé dans l’ébauche initiale.
    Devrions-nous permettre un plus grand nombre d’enquêtes préliminaires, par exemple, pour toute infraction punissable de plus de cinq ans d’emprisonnement ou lorsque les deux parties sont d’accord? Ou encore, par exemple, si vous pouviez demander une enquête préliminaire lorsque c'est dans l’intérêt de la justice, cela répondrait-il à vos préoccupations quant à la limitation du nombre d’enquêtes préliminaires permises en vertu du Code criminel?
    Je vais être aussi bref que possible, parce que c’était en quelque sorte une question tripartite.
    Tout d’abord, je ne pense pas qu’il soit approprié d’utiliser la durée de la peine pour déterminer la nécessité d’une enquête préliminaire. Ce sont deux questions différentes. Vous dites: « Voici une pomme; qu’est-ce que cela nous apprend sur les oranges? » Cela ne nous apprend rien, et je ne crois donc pas que ce soit utile.
    Je ne me souviens pas de la deuxième question, mais la troisième...
    La deuxième, c’est lorsque les parties sont d’accord.
    Lorsque les parties sont d’accord, alors oui, je pense que ce devrait être le cas.
    Une disposition d’autorisation serait peut-être mieux que rien, mais à mon humble avis, je ne pense pas qu'il faudrait limiter les enquêtes préliminaires, parce que s'il y en a une, nous avons déjà la possibilité, par exemple, de concéder la citation à comparaître.
    Un de vos collègues à la Chambre, dont le nom m’échappe en ce moment, a laissé entendre que l'interrogatoire préalable est un moyen de contourner le problème. Mais en Ontario, du moins, la pratique est que s’il y a un interrogatoire préalable, nous fixons une date pour l'enquête préliminaire, mais je concède les citations à comparaître, de sorte que nous n’avons pas besoin d’un juge dans la salle. À l’heure actuelle, le Code criminel ne prévoit pas la possibilité de procéder à un interrogatoire préalable sans que l'enquête préliminaire soit le genre de cadre procédural qui s’y rattache.
    Il y a toutes sortes de choses que nous pouvons faire pour favoriser les interrogatoires préalables. Je ne pense pas que nous devrions limiter les enquêtes préliminaires alors qu’il y a d’autres choses que nous pouvons faire.
    Monsieur Woodburn, j’ai compris ce que vous vouliez dire au sujet des récusations péremptoires. Que penseriez-vous si, par exemple, nous introduisions au Canada le test Batson qui existe aux États-Unis, où les récusations péremptoires pour un motif discriminatoire ne sont pas autorisées dans les procès, et si vous y avez recours, vous pouvez être appelé à le justifier?
    C’est une question difficile parce qu'aux États-Unis, le système de jury est considéré comme un tout , et il s'agit de s'y conformer. Pour le moment, nous sommes en train d'insérer des éléments à la pièce et, à notre avis, cela ne fonctionnera pas. Le problème est que l'audition d'une demande de récusation motivée nous rapproche de ce modèle en ce sens que les questions sont posées au juré, puis nous débattons au sujet du juré, après quoi le juge rend une décision. C’est très proche de ce qui se passe actuellement aux États-Unis.
    Dans ce cas, si vous y avez recours, si vous faites des récusations péremptoires, il incombera à l’autre partie de dire: « Hé, je pense que vous y avez recours pour des motifs discriminatoires », et cela limitera peut-être le nombre de fois où vous pourriez envisager de le faire, parce qu’on pourrait vous demander de vous justifier.
    Est-ce que ce serait une meilleure solution pour vous que de les éliminer de la liste des recours à votre disposition?
    Je ne peux pas vraiment me prononcer là-dessus, parce que cela n’a toujours pas de sens dans notre système, de mon point de vue. Ce n’est tout simplement pas le cas.
    Voilà qui termine mes six minutes. Quelqu’un d’autre a-t-il une brève question à poser avant que nous passions à notre prochain groupe de témoins?
    Sinon, je remercie nos témoins. Monsieur Sewell, merci d’être venu de la Colombie-Britannique. Je suis sûr que M. Rankin était ravi que vous soyez en vacances dans sa province. J’apprécie également tous les témoignages. Cela a été très utile au Comité.
    Je voudrais demander aux témoins suivants de s’avancer. Chers collègues, nous allons rassembler les deux prochains groupes de témoins afin de pouvoir entendre un seul groupe, et ce sera le dernier de la journée.
    Nous allons faire une courte pause.

  (1905)  


  (1905)  

     C’est avec grand plaisir que nous accueillons notre dernier groupe de témoins de la journée.
    Chers collègues, les groupes de témoins inscrits à l'ordre du jour de 18 h 30 à 19 h 30 et de 19 h 30 à 20 heures sont réunis. Nous accueillons aujourd’hui, à titre personnel, Mme Maureen Basnicki ainsi que M. Christian Leuprecht, professeur au département de sciences politiques du Collège militaire royal. Bienvenue.

  (1910)  

[Français]

[Traduction]

    Mme Julia Beazley, directrice des politiques publiques à l'Alliance évangélique du Canada.

[Français]

    De l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues, nous recevons Mme Nancy Roy, directrice générale, et M. Bruno Serre, secrétaire du conseil d'administration.
    Bonjour.

[Traduction]

    Nous entendrons Mme Karen Wiebe, de la Manitoba Organization for Victim Assistance, par vidéoconférence, à partir de Winnipeg.
    Bienvenue, madame Wiebe.
    Normalement, nous commençons par la personne qui témoigne par vidéoconférence au cas où nous perdrions la connexion.
    Madame Wiebe, si vous êtes d’accord, je vais vous demander de commencer. Vous avez huit minutes.
     Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser au comité permanent sur des questions qui revêtent une importance particulière pour les victimes d’homicide.
    MOVA est un organisme de soutien constitué de familles de victimes d’homicide, dont le seul but est de soutenir d’autres familles de victimes d’homicide.
    J’aimerais vous parler aujourd’hui de quatre questions pressantes qui revêtent une importance particulière pour des gens comme moi. Vous voyez, moi aussi, je suis mère d’un enfant assassiné. Mon fils, T.J., s’est fait tuer le 3 janvier 2003. Les problématiques dont je vous parle aujourd’hui ne sont pas seulement celles que je connais par expérience, mais aussi celles que j’ai recueillies auprès d’autres familles.
     Le premier sujet que je voudrais aborder est la faible représentation des victimes, non seulement dans l’ensemble du système de justice comme cela a toujours été le cas, mais aussi dans le cadre du processus d’examen judiciaire.
    Le point de vue de ceux qui demandent des changements pour l’accusé a été défendu de façon disproportionnée, comparativement à celui des victimes, et pourtant, pour chaque délinquant, il y a entre 1 et 10 victimes qui sont directement touchées et dont les besoins ne sont traités que de la façon la plus sommaire. Les victimes sont de nouveau victimisées par un processus qui ne leur accorde aucune place, et pourtant, ces victimes et co-victimes doivent essayer de reprendre leur vie en main, pratiquement sans aucun soutien. Cela a pour effet de drainer les systèmes de soins de santé et de services de police, pour n’en nommer que quelques-uns.
    Nous entendons constamment parler des droits de l’accusé et des droits du délinquant, et le système judiciaire fait tout en son pouvoir pour respecter ces droits. Nous discutons rarement des droits de la victime et des co-victimes. Les mesures de soutien qui leur sont offertes sont presque inexistantes. Dans le cadre de la réforme de notre système de justice pénale, nous devons mettre davantage l’accent sur les droits et les besoins des victimes et co-victimes, c’est-à-dire les personnes et les citoyens du Canada dont la vie a été volée par les actes d’une ou de plusieurs autres personnes sans que ce soit leur faute ou qu’elles l'aient voulu.
    Au Manitoba, un jeune homme a été assassiné à bord d’un autobus Greyhound. Ce jour-là, 15 des personnes qui étaient dans l’autobus et qui ont assisté au drame ont été interrogées. Sur les 15, toutes souffraient encore de séquelles 10 ans plus tard. Une personne s’est suicidée et une nouvelle mère s’est fait enlever son enfant par les services sociaux parce qu’elle n’était pas en mesure de bien s’en occuper. D’autres souffraient de TSPT, d’autres n’étaient plus capables de garder un emploi et avaient besoin de l’aide sociale.
    Où sont les soutiens pour ces personnes, et aussi pour leur famille — quelques dollars de la province pour le counselling? Où peut-on parler d’eux et de leurs besoins? Qui se soucie même de ce qui leur arrive?
    Sont-elles un fardeau pour les systèmes publics? Absolument. Même du point de vue économique, il est logique de soutenir ces personnes après l’incident, de les reconnaître et de les aider à reprendre une vie à peu près normale.
    La deuxième question dont j’aimerais parler est la reclassification des infractions. À l’heure actuelle, les accusations de meurtre au premier et au deuxième degré sont souvent réduites à un homicide involontaire coupable. Je sais qu'il y a diverses raisons à cela. Il faut établir une distinction entre les cas où une personne est accusée de mort accidentelle et où une personne négocie un plaidoyer d’homicide involontaire coupable. Ce n’est pas la même chose. Cependant, nous avons eu plusieurs cas au Manitoba où, parce que le temps passé en détention présentencielle est réalisé à temps et demi, le délinquant purge une période minimale après sa sentence et parfois, sa peine est même entièrement purgée au moment de la détermination de la peine.
    Dans les cas où l'acte de tuer quelqu’un a été délibéré, la période présentencielle ne devrait pas être comptée à temps et demi. Elle devrait être comptée de la même façon que la peine à purger pour meurtre ou meurtre au deuxième degré.
    La question pourrait être résolue si l’homicide involontaire coupable pouvait être divisé en deux catégories, l’une où le plaidoyer de culpabilité pourrait être négocié et l’autre où la mort accidentelle serait acceptable. Un facteur commun pour toutes les victimes est que la personne qui a délibérément enlevé la vie à un être cher doit être tenue responsable. Nous ne voulons pas que la mauvaise personne soit poursuivie, mais nous voulons que le vrai coupable soit tenu responsable. Lorsqu’une accusation initiale de meurtre au premier ou au deuxième degré est portée, l’accusation est fondée sur un acte délibéré. Il faut le reconnaître dans la détermination de la peine.
    La troisième question dont j’aimerais vous parler est celle de la non-responsabilité criminelle. Les familles des victimes d’homicide comprennent les répercussions des conclusions de la non-responsabilité criminelle plus que quiconque, exception faite du délinquant.

  (1915)  

     La question de la maladie mentale fait, à juste titre, l’objet d’énormément de discussions dans de nombreux ministères et établissements au Canada. Les familles des victimes dont la vie a été enlevée par quelqu'un qui est ensuite jugé non criminellement responsable trouvent sidérant que lorsqu’une personne est déclarée non criminellement responsable dans une affaire de meurtre, il ne soit pas obligatoire de la suivre pour s’assurer qu’elle respecte les directives des médecins qui veilleront à ce qu’elle prenne les médicaments nécessaires pour rester sur la bonne voie. En pareil cas, c’est comme si le système de santé et le système de justice pénale laissaient tomber non seulement la victime, mais aussi le délinquant. Si cette personne récidive parce qu’elle a cessé de prendre ses médicaments pour une raison ou une autre, elle se retrouvera de nouveau dans le système de justice pénale et laissera plus de victimes dans son sillage. Tout cela pourrait être évité si l’on exigeait que ceux qui ont commis un meurtre et qui sont déclarés non criminellement responsables soient suivis pour s’assurer qu’ils continuent de prendre leurs médicaments.
    La dernière question dont j’aimerais vous parler est celle des longs délais de procès. Je sais que beaucoup de travail a été fait à ce sujet partout au Canada. Justice différée est justice refusée. C’est vrai pour l’accusé, mais c’est aussi vrai pour les victimes. Dans le cas d'une affaire au Manitoba, il s’est écoulé huit ans entre la date de l’infraction et la date du rejet de l’appel. Deux accusés ont été reconnus coupables de meurtre au premier degré. Ils avaient tous deux obtenu leur mise en liberté sous caution avant leur procès. Ils sont maintenant incarcérés depuis quatre ans et l’un d’eux demande déjà des sorties avec escorte. Certes, la famille a été victimisée par les assassins de leur fils, mais elle a été victimisée de nouveau par le système judiciaire pendant les huit années qu’il a fallu pour que les procédures judiciaires soient réglées, et la revictimisation se poursuit à cause d'un processus qui reconnaît les droits du délinquant, mais seulement des droits limités pour la famille de la victime.
    Les victimes de partout au Manitoba et, j’en suis sûr, partout au Canada, sont reconnaissantes des réformes qui accélèrent le processus judiciaire. Il faudrait des mois pour raconter ce qui est arrivé aux victimes d’homicide, et les problèmes de revictimisation sont beaucoup trop nombreux pour que j'aie le temps d'en faire le tour ici. Cependant, je suis reconnaissante au Comité d’avoir accepté d’entendre les questions que je vous soumets aujourd’hui.
    Merci.
    Merci beaucoup, madame Wiebe. Bien sûr, nous vous offrons tous nos condoléances pour ce que vous et votre famille avez vécu.
    Comme je pense que Mme Roy et M. Serre parlent de la même question, nous allons peut-être leur donner la parole.

[Français]

     Madame Roy et monsieur Serre, c'est maintenant votre tour.
    L'Association des familles de personnes assassinées ou disparues est un organisme sans but lucratif qui intervient dans toutes les régions du Québec et dont la mission principale est de briser l'isolement vécu par les familles des victimes en proposant des ressources et des outils variés pour les aider à reconstruire leur vie. Le premier mandat de l'AFPAD est d'accompagner et de soutenir les familles touchées par un homicide ou une disparition d'apparence criminelle.
    Depuis 2005, nous avons aidé plusieurs centaines de personnes touchées par un homicide ou un drame, et ce, dans tout le Québec, pour qu'elles reçoivent un soutien moral, psychologique et juridique à la suite du drame, pour être en mesure de faire face à leur deuil et de reprendre le cours de leur vie.
    L'AFPAD tient à remercier le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l'occasion qu'il nous donne de présenter notre avis. L'AFPAD tenait particulièrement à présenter cette opinion afin que les législateurs soient interpellés au sujet du sort des victimes d'actes criminels et de leurs proches et qu'ils donnent à ce projet de loi une portée plus grande sur le plan de la sécurité des victimes qui, malheureusement, est grandement affaiblie par les changements proposés dans ce projet de loi.
    Les victimes sont souvent les oubliés des changements législatifs. Nous ne voulons pas intervenir sur tous les points aujourd'hui, mais nous attirons votre attention sur deux points majeurs, le premier étant que nous retenons et saluons la proposition d'ajout de la notion de « partenaire intime » à l'article 2 du Code criminel du Canada.
     Les paragraphes 227(3) et 227(6) proposés modifiant l'article 515 présente un changement majeur, à notre avis, en imposant un renversement de la preuve lors d'une demande de remise en liberté provisoire lorsqu'un prévenu est accusé d'une telle infraction. Par contre, cette disposition ne s'applique qu'à un récidiviste condamné auparavant pour une infraction perpétrée contre un partenaire intime. La notion de récidive nous inquiète grandement puisque plusieurs de nos familles se sont vu arracher un proche par assassinat lors de violences faites dans un contexte conjugal sans être nécessairement répétitives. Il faut comprendre qu'une situation de violence entre partenaires intimes est délicate et souvent gardée sous silence, ce qui devrait pousser les législateurs à une plus grande prudence envers les victimes potentielles et se traduire par de l'interventionnisme politique et judiciaire. Ainsi, quel choix s'oppose à la protection d'une vie, celle d'un agresseur? Cette interprétation trop prudente face à la récidive arrive trop tardivement dans le processus de protection des victimes. Ces mêmes victimes ont pourtant droit à la protection évoquée dans la Charte canadienne des droits des victimes. Il faudrait donc s'en prévaloir. Il faut retirer la notion de récidive si l'on veut atteindre des objectifs louables de protection des victimes.
    Le deuxième point qui nous semble important est l'intention du projet de loi de moderniser les pratiques et la procédure en matière de remise en liberté provisoire. Le projet de loi C-75 apporte plusieurs modifications visant à moderniser les pratiques et la procédure en matière de remise en liberté provisoire. Le projet de loi réorganise plusieurs dispositions et modifie certaines procédures afin de favoriser la mise en liberté rapide des inculpés selon les conditions les moins lourdes qui conviennent dans les circonstances. Permettez-moi de ne pas adhérer à ces principes, qui viennent fragiliser la protection des victimes. Pouvez-vous identifier un seul prévenu ou accusé qui avouera au juge qu'il n'a pas l'intention de respecter les conditions, si contraignantes soient-elles?
    La volonté de réduire les délais et d'administrer la justice le plus efficacement possible vient occulter la protection des victimes. Nous sommes déçus aujourd'hui de constater que les législateurs n'ont pas saisi l'occasion de protéger les victimes. Le droit consenti dans la Charte au présumé agresseur, semble-t-il, prédomine, aux dépens de la protection et de la sauvegarde d'une vie et des droits consentis dans la Charte canadienne des victimes. Comment avez-vous prévu de protéger davantage ces victimes vulnérables et fragilisées par cette notion de remise en liberté rapide et la moins contraignante possible? Je suis aujourd'hui inquiète, puisque ces victimes n'ont pas eu, malheureusement, de deuxième chance.

  (1920)  

     Je vais continuer sur le même sujet.
    Mon nom est Bruno Serre. Je suis aussi le père de Brigitte Serre, qui a été assassinée le 25 janvier 2006 sur son lieu de travail, à Montréal, à l'âge de 17 ans.
    Je milite à l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues depuis près de 10 ans et je fais partie du conseil d'administration. Je suis ici de façon bénévole afin de vous sensibiliser au vide législatif en ce qui a trait aux victimes.
     Pourtant, j'ai souvent comparu ici au sujet de la Charte des droits des victimes et des changements à la loi que nous voulions pour les victimes. Toutefois, dans ce projet de loi, je ne sens pas l'influence de la Charte canadienne des droits des victimes.
    Comment comptez-vous protéger toutes ces victimes qui ont peur et qui dénoncent leur agresseur, alors qu'on remet rapidement ces derniers en liberté dans les conditions les moins sévères et les moins contraignantes, à moins qu'il ne soit un récidiviste?
    Voyons! Pensez-vous que Brigitte Serre, Daphné Huard-Boudreault, Cheryl Bau-Tremblay, Gabrielle Dufresne-Élie, Francine Bissonnette et toutes les autres ont eu une deuxième chance? Non. Elles ont toutes été assassinées, et par des personnes qui n'étaient pas des récidivistes.
    Je vous implore de retirer la notion de récidive et d'ajouter plus d'éléments visant la protection des victimes. Le renversement du fardeau de la preuve pour obtenir une remise en liberté devrait être systématique lorsqu'il y a eu de la violence envers une victime. Sinon, comment protéger ces victimes? Il faudrait peut-être leur construire une tour d'ivoire, sinon, vous serez passés à côté du sujet. Demandez à ces victimes terrorisées ce qu'elles en pensent.
    Je peux vous dire que, depuis 10 ans, j'ai fréquenté des familles qui ont vécu ces drames. Ce n'est pas facile pour elles et elles ne reçoivent aucune aide. Elles sont terrorisées et elles ont peur. Quand il y a des crimes passionnels comme ceux-là, avec de la violence, c'est nous qui nous retrouvons ensuite avec les familles des personnes assassinées.
    Nous vous remercions de prendre le temps de nous écouter. Il faut que cela change, car il faut changer la tendance qui fait que nous voyons trop d'homicides qui auraient pu être évités.
    Je vous remercie.
    Merci. Je vous remercie de votre travail.

[Traduction]

     Nous allons maintenant revenir à l’ordre du jour. Je m’excuse de cette diversion.
    Madame Basnicki, vous avez la parole.
    Bonsoir, et merci de votre invitation à discuter du projet de loi C-75.
    Je m’appelle Maureen Basnicki. Je suis la cofondatrice de la Coalition canadienne contre le terrorisme. Je suis également la fondatrice de la Fondation canadienne de la Journée nationale du service.
    Au fil des ans, j’ai eu l’occasion de m’adresser aux comités de la Chambre et du Sénat sur de nombreux sujets concernant le terrorisme, les initiatives antiterroristes et la défense des victimes de crimes violents, y compris les Canadiens victimes de terroristes. J’ai été l’une des premières récipiendaires de la Médaille du jubilé de diamant de la reine pour mon dialogue continu sur le terrorisme, et c’est dans cette optique que je présente un mémoire aujourd’hui. Je vous remercie de me donner l’occasion de le faire.
    Le 11 septembre 2001, ma vie a changé à jamais lorsque mon mari, Ken, a été assassiné lors des attentats du 11 septembre. C’était un fier Canadien qui travaillait chez lui à Toronto. Ken en était à son premier voyage à New York pour faire du réseautage. À la suite des horribles attaques, j’ai décidé que je voulais faire quelque chose pour m’assurer qu’aucune famille n’ait à subir ce que la mienne a subi, et j’en ai parlé avec d’autres victimes.
    Je suis très fière d’être Canadienne, tout comme Ken, mon défunt mari. Même si Ken a été assassiné à l’extérieur de notre frontière, il est important pour moi que mon pays envoie un message clair à la communauté internationale, à savoir que mon Canada ne tolérera personne, qu’il s’agisse d’un citoyen canadien ou d’un citoyen d’un autre pays, qui tente délibérément de blesser ou de tuer des civils innocents. C’est pourquoi j’ai cofondé C-CAT avec mon ami et collègue Danny Eisen. Pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas, la Coalition canadienne contre le terrorisme est un organisme non partisan de recherche en politiques et de défense des intérêts qui s’est engagé à rechercher des stratégies juridiques et publiques novatrices pour la lutte contre le terrorisme.
    Dans ce contexte, j’aimerais vous parler de certaines dispositions du projet de loi qui me préoccupent beaucoup.
    Le gouvernement a utilisé le terme anodin « hybridation » pour faire référence à plus d’une centaine de changements apportés aux dispositions du Code criminel relatives à la détermination de la peine. Cependant, il est clair que ce qui se passe ici, c’est simplement une réduction des peines. J’aimerais particulièrement parler des articles 16, 17 et 20 à 23. Ce sont toutes des dispositions relatives au terrorisme.
    À l’heure actuelle, la fourniture de biens ou de services à des fins terroristes pourrait être punie de 10 ans de prison. En vertu de ce projet de loi, la peine pourrait être une simple amende. À l’heure actuelle, l’utilisation ou la possession de biens à des fins terroristes pourrait entraîner une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans. En vertu de ce projet de loi, la peine pourrait être une simple amende. À l’heure actuelle, la participation à une activité d’un groupe terroriste pourrait entraîner une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans. En vertu de ce projet de loi, la peine pourrait être une simple amende. À l’heure actuelle, la participation à des activités terroristes pourrait être passible de 10 ans de prison. En vertu de ce projet de loi, la peine pourrait être une simple amende. À l’heure actuelle, le fait de quitter le Canada pour participer à une activité terroriste pourrait entraîner une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans. En vertu de ce projet de loi, la peine pourrait être une simple amende. À l’heure actuelle, le fait de préconiser ou de fomenter le terrorisme pourrait entraîner une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans. En vertu de ce projet de loi, la peine pourrait être une simple amende. Enfin, héberger un terroriste est actuellement passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans. En vertu de ce projet de loi, la peine pourrait être une simple amende.
    La justification fournie par le gouvernement est qu’il faut accélérer le système judiciaire. Sur ce point, je ne suis pas en désaccord. Il y a des retards déraisonnables dans les poursuites contre les criminels, et ces retards ont souvent mené à la libération des criminels pour une raison technique. Cependant, on peut se demander si le fait de traiter un terroriste de la même façon qu’une personne qui a reçu une contravention de stationnement est la meilleure façon de réparer un système défectueux. Je dirais que non, absolument pas. Il envoie le mauvais message aux victimes et à l’ensemble de la société canadienne. Il envoie le mauvais message aux autres pays et aux terroristes potentiels, qu’ils soient d’origine intérieure ou étrangère.
    Les terroristes, les membres de groupes terroristes et ceux qui en tirent profit devraient faire face à toute la rigueur de la loi. Je me demande, puisque le gouvernement actuel est souvent très porté sur la consultation, quels groupes ont demandé cela. Je ne peux pas imaginer qu’un député membre de votre comité ait frappé à une seule porte où on lui a dit craindre que la peine imposée aux terroristes soit tout simplement trop sévère.

  (1925)  

     Je recommande au Comité d’abroger toutes les dispositions du projet de loi qui réduisent les peines imposées aux terroristes. Désengorger les tribunaux est certainement un objectif noble, mais il y a de bien meilleures façons d'y parvenir que ce qu'on tente de faire ici. Les victimes ont tout intérêt important à ce que le système de justice pénale ne soit pas retardé. Il faut trouver des solutions qui mettent l’accent à la fois sur les droits de l’accusé et sur ceux des victimes.
     J’aimerais terminer en reprenant les paroles du premier ministre Justin Trudeau lorsque des Canadiens de partout au pays lui ont reproché de verser 10,5 millions de dollars pour satisfaire au règlement concernant la violation des droits d’Omar Khadr. Il a dit:
La mesure d’une société — une société juste — n’est pas de savoir si nous défendons les droits des peuples quand il est facile ou populaire de le faire, mais si nous reconnaissons les droits quand c’est difficile, quand c’est impopulaire... Nous sommes une société qui défend les droits des peuples et lorsque les gouvernements ne respectent pas les droits des peuples, nous finissons tous par payer et c’est la leçon que les gouvernements futurs tireront de ce règlement.
    Je voudrais vous rappeler que la sécurité des citoyens est la responsabilité première de notre premier ministre. Il est essentiel pour le Canada de veiller à ce qu’il y ait des lois et des sanctions qui envoient un message clair de condamnation et de dissuasion. Je suis une Canadienne victime du terrorisme. Je joins ma voix à celle de nombreuses autres victimes de crimes violents pour dire qu'à notre avis, le fait de réduire la peine au minimum dans le cas de crimes odieux commis par des terroristes, des récidivistes, des conducteurs en état d’ébriété, etc., diminue les droits des victimes.
    La justice et la reddition de comptes ne sont pas possibles pour toutes les victimes. Cependant, lorsque nos forces de sécurité attrapent le coupable, j’espère que notre système judiciaire infligera la peine appropriée, qui sera juste à la fois pour le délinquant et pour la victime. Je revendique mes droits en tant que Canadienne et victime. S’il vous plaît, ne détruisez pas nos lois criminelles. Cela enverra le mauvais message.
    Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions plus tard.

  (1930)  

    Merci.
    Encore une fois, comme je l’ai dit à Mme Wiebe, je suis désolé de ce que vous avez vécu.
    Monsieur Leuprecht, c’est à votre tour.

[Français]

     Bonsoir, mesdames et messieurs.
    Je vous remercie de votre invitation et du privilège que j'ai de témoigner devant le comité.

[Traduction]

    J’ai quelques réserves. Je ne suis pas avocat et je ne suis qu’un politicologue. On m’a également demandé de parler précisément de la question de l’hybridation, et je limiterai donc mes observations à cette question particulière.

[Français]

    Je serai heureux de répondre à vos questions dans les deux langues officielles.

[Traduction]

     D’après ce que je peux voir, la stratégie globale en matière d’hybridation consiste à inciter les gens à plaider leur cause. Si, dans le cadre d’une mise en accusation, vous êtes passible d’une longue peine, vous n’avez pas grand intérêt à plaider. Si, dans le cas d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, la peine est beaucoup plus courte, vous êtes fortement incité à plaider votre cause. Cet incitatif est renforcé par des programmes comme la justice sur la bonne voie qui offre une récompense financière aux procureurs de la Couronne pour plaider les causes. Les procureurs de la Couronne seront heureux, parce que cela leur rapportera plus d’argent, mais j’ai quelques inquiétudes.
    Tout d’abord, comme je l’ai dit dans mon mémoire, la grande majorité des cas passent par les tribunaux provinciaux. Un nombre minuscule de cas passent par les cours supérieures, de sorte que ce projet de loi risque de désengorger le système des cours supérieures aux dépens du système des cours provinciales. Bien sûr, cela porte aussi bon nombre des peines maximums possibles à deux ans moins un jour. Cela risque également de renforcer le nombre de personnes qui se retrouvent dans des systèmes provinciaux où, dans l’ensemble, elles n’ont pas accès au genre de programmes qu’elles obtiennent en Cour fédérale. Je ne suis pas certain que le fait d’avoir encore moins de cas traités par les cours supérieures que nous en avons déjà sera particulièrement efficace pour ce qui est du système correctionnel que nous avons en place.
    Deuxièmement, il y a déjà des gens qui retardent délibérément le processus judiciaire parce qu’ils profitent du temps mort. Le temps mort, qui était crédité à deux pour un, est maintenant à la discrétion du juge. Il peut maintenant être crédité, et c'est souvent le cas, à raison d’une fois et demie. Maintenant, votre motivation est de faire traîner le processus le plus longtemps possible, car plus vous pouvez le faire traîner en longueur, moins vous risquez de faire de la prison en vertu de cette nouvelle proposition si l’infraction est punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Cela réduira le nombre de personnes qui purgeront une peine d’emprisonnement.
    Troisièmement, très peu de cas font l’objet d’un procès. Je vous donne ici quelques données. Plus de 90 % des affaires sont classées par d’autres moyens que le procès. Dans quelle mesure l’hybridation permettra-t-elle vraiment d’atteindre l’objectif de désengorger le système judiciaire?
    Quatrièmement, de nombreuses infractions sont déjà hybrides. Ce qui est particulièrement intéressant ici, bien sûr, c’est la longue liste d’actes et violations qui ne sont pas actuellement des infractions au Code criminel, mais d’autres formes d’infractions. Je signale une chose particulièrement curieuse, c’est-à-dire que la loi énumère les conséquences pour chaque infraction, sauf une, c’est-à-dire l’exploitation et la traite des personnes, où la seule référence est à un autre projet de loi qui est actuellement à l’étude au Parlement.
    J'ai choisi cet exemple particulier parce que je ne sais pas dans quelle mesure le public canadien tolérera l’hybridation des peines qui sont actuellement assorties d’une peine maximale de 10 ans. Je suppose que les peines maximales de 10 ans visent à signaler qu’il s’agit d’infractions graves. Si ces infractions sont maintenant hybrides, le message que nous envoyons est que ces infractions ne sont plus aussi graves qu’elles l’étaient auparavant. Nous devrons vérifier cela auprès de l’opinion publique.
    Cinquièmement, l’élargissement de la marge de manoeuvre des procureurs de la Couronne a d’importantes répercussions procédurales qui n'ont peut-être pas été soigneusement envisagées. J’énumère ces répercussions, les répercussions en ce qui a trait aux mandats, en ce qui a trait à la prescription pour le dépôt d'accusations, en ce qui a trait aux empreintes digitales, au droit de choisir un procès devant juge et jury, et au moment où vous pouvez demander un pardon. On parle ici de changements de procédure assez importants.
    Sixièmement, la Couronne ou la police porte vraisemblablement des accusations pour une bonne raison. C'est parce qu’ils croient avoir une chance raisonnable d’obtenir une condamnation. Ne devrait-on pas laisser le système de justice suivre son cours? Ne rendons-nous pas un mauvais service aux organismes d’application de la loi et à la Couronne qui croient qu’il y a lieu de porter des accusations? À quoi sert, au bout du compte, d’avoir un système de justice quand notre seul objectif est de régler le plus grand nombre de cas possible avant qu’ils ne fassent l’objet d’un procès?
    Septièmement, je m’inquiète des conséquences pour les enquêteurs du fait que, si moins de cas sont portés devant les tribunaux, cela signifie que seuls seront portés les cas très graves qui seront très complexes.

  (1935)  

     Si nous avons moins d’enquêteurs ayant une vaste expérience qui sont interrogés par des avocats de la défense agressifs et très talentueux, je pense qu’il y a un plus grand risque que ces affaires particulièrement complexes et notoires échouent par la suite en raison de l’inexpérience de certains membres des forces de l’ordre qui se présentent pour témoigner.
    Huitièmement, ce point a déjà été abordé d'une façon beaucoup plus éloquente que je ne saurais le faire par les familles des victimes ici présentes. Même si nous avons une Charte canadienne des droits des victimes, je soupçonne que les victimes sont seulement consultées pour la forme. Il ne semble pas que les changements proposés ici vont rassurer la confiance des gens dans le système de justice pénale. Ils sont probablement assez mal vus par les victimes.
    En résumé, je conclus que l’hybridation semble faire passer les avantages du processus judiciaire avant les intérêts des victimes, des enquêteurs, des procureurs, des provinces, du public, de l’intégrité du système de justice et de la primauté du droit. Je m’inquiète de toute modification législative qui ferait passer le mérite du processus avant le mérite du fond.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Madame Beazley.
    Monsieur le président, chers membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de participer à cette étude.
    L'Alliance évangélique du Canada — soit l'AEC — est l'association nationale des chrétiens évangéliques au Canada. Nos filiales comprennent 45 confessions religieuses, plus de 65 organismes ministériels et 35 établissements postsecondaires. Établie en 1964, l'AEC constitue un forum national pour les quatre millions d'évangélistes du Canada. Elle fait entendre une voix positive pour les principes bibliques de la vie et de la société.
    Notre approche à l'égard des questions que nous aborderons dans le projet de loi C-75 est fondée sur des principes bibliques qui enseignent le respect de la vie et de la dignité humaines, les soins aux personnes vulnérables et la liberté de religion, principes qui se reflètent également dans les lois et les politiques canadiennes.
    Le projet de loi C-75 propose un nombre important de modifications au Code criminel, y compris le reclassement d'un certain nombre d'infractions en infractions mixtes. Vous n'êtes pas sans savoir que cela ouvrirait la voie à ce que certains actes criminels graves soient traités comme des infractions sommaires relativement mineures à la discrétion de la Couronne. On m'a demandé de m'exprimer au sujet de cet élément du projet de loi. Nos préoccupations en cette matière relèvent de quelques domaines importants.
    Les lois pénales mettent en mots des normes qui sous-tendent la société. Elles expriment et renforcent les engagements fondamentaux qui sont le liant de la société. On dit souvent que le droit a valeur d'enseignement. Les modifications au Code criminel peuvent suggérer un changement dans les principes fondamentaux de notre société ou dans leur interprétation. Ce peut être approprié, mais nous devons examiner attentivement les répercussions de tout changement que nous apportons.
    La catégorisation d'une infraction criminelle tend à indiquer la gravité du comportement en cause. Le reclassement en infraction mixte suggère que l'infraction en question peut désormais être vue comme un acte moins dommageable pour les personnes vulnérables et moins apparenté à une violation de la dignité humaine ou encore à une menace à la société ou à la cohésion sociale. Avec toute la déférence qui s'impose, nous estimons que le fait de reclasser certaines des infractions proposées dans ce projet de loi enverrait le mauvais message. Nous comprenons que l'un des objectifs du reclassement des infractions en infractions mixtes est de réduire les retards dans le système de justice pénale, mais pour paraphraser ce que M. Geoff Cowper a dit au Comité la semaine dernière, notre objectif ne devrait pas être de réduire les retards, mais bien d'administrer la justice en temps opportun, en tenant compte de l'intérêt public ainsi que des besoins de la victime et de la collectivité dans son ensemble.
    Lorsque le projet de loi C-75 propose une peine maximale plus sévère pour la violence répétée entre partenaires intimes — j'entends les préoccupations de mes collègues au sujet de la récidive —, cela signifie qu'il s'agit d'une infraction que le gouvernement juge très grave, que la violence est inacceptable et qu'elle doit être dissuadée au moyen de peines sévères. On envoie ainsi le bon message.
    À l'inverse, lorsque le projet de loi propose de créer des infractions mixtes liées à la traite de personnes, à l'exploitation sexuelle ou à l'agression d'officiants religieux, il envoie le message, de manière intentionnelle ou non, que de telles infractions sont moins graves. Le projet de loi C-75 propose de reclasser en infraction mixte le paragraphe 176(1) du Code criminel, qui parle de l'acte de gêner ou arrêter un ministre du culte, ou lui faire violence. L'acte de gêner ou de faire violence à un responsable religieux qui est sur le point d'exercer des fonctions religieuses est une atteinte directe à la croyance et à la pratique religieuses. Dans l'exercice de leurs fonctions religieuses, les officiants ne se contentent pas d'agir individuellement; ils représentent la communauté religieuse élargie.
    L'an dernier, plus de 65 chefs religieux de différentes confessions ont écrit au ministre de la Justice pour lui faire part de leurs vives préoccupations au sujet de l'abrogation des protections prévues à l'article 176 tel que proposé dans le projet de loi C-51. Nous avons écrit ceci: « L'agression délibérée d'un représentant religieux à l'extérieur d'un lieu de culte est un type d'infraction différent des autres genres de troubles publics, d'agressions, de menaces ou d'incitation à la haine. Une infraction commise contre des personnes dans des lieux de culte se répercute dans l'ensemble de la communauté et touche chaque membre. »
    Les infractions contre les représentants religieux et les personnes dans des lieux de culte ont un caractère et une signification uniques et ils découlent de motifs différents. Dans un climat de plus en plus marqué par la haine, particulièrement dans les lieux de culte, lesquels sont pris pour cible, nous croyons qu'il est essentiel de maintenir la protection ciblée que l'article 176 offre aux chefs religieux. Nous nous réjouissons du fait que le Comité a entendu les préoccupations des Canadiens de confession religieuse et qu'il a recommandé que l'article 176 ne soit pas abrogé, mais qu'il soit plutôt révisé pour inclure tous les responsables religieux. Dans le même esprit de compréhension et d'écoute des préoccupations des Canadiens religieux, nous demandons au Comité de recommander que cette infraction ne soit pas transformée en infraction mixte dans le projet de loi C-75.
    Hier soir, vous avez entendu des témoignages très convaincants sur la réalité de la traite des personnes et de toutes les formes d'exploitation sexuelle, ainsi que sur les effets dévastateurs de ces crimes sur leurs victimes. Ces actes criminels constituent une grave violation des droits de la personne, ce qui comprend le droit des femmes et des enfants de vivre à l'abri de la violence. Il est essentiel que la gravité de ces infractions soit reflétée de manière cohérente dans nos lois et dans nos politiques. Nous savons depuis des années qu'au pays, ce sont surtout les femmes et les filles canadiennes qui sont victimes de la traite des personnes et qui sont exploitées dans le commerce du sexe.

  (1940)  

     Au Canada, 95 % de tous les cas où des accusations de traite de personnes ont été portées au cours des 12 dernières années relevaient de la sphère domestique et constituaient principalement de l'exploitation sexuelle. Selon le dernier rapport de Statistique Canada, 95 % des victimes de la traite de personnes sont des femmes, 72 % ont moins de 25 ans et une victime sur quatre a moins de 18 ans.
     Nous sommes heureux que le gouvernement prenne des mesures pour lutter contre la traite des personnes et mène des consultations sur l'élaboration du nouveau plan d'action national. Nous attendons également avec impatience le rapport du Comité sur l'étude de la traite des personnes.
    Le fait que le projet de loi C-75 propose de rendre mixtes certaines infractions liées à la traite des personnes et à l'exploitation sexuelle est cause de déception pour nous. Les autres initiatives montrent bien que, au gouvernement, l'on estime que ces crimes doivent faire l'objet de mesures législatives et de politiques, mais le reclassement proposé des infractions en infractions mixtes semble envoyer un message contradictoire.
    Dans le projet de loi, nous soulignons en particulier les reclassements en infraction mixte suivants:
    Il y a d'abord l'article 210 portant sur la tenue d'une maison de débauche. Cette disposition permet aux organismes d'application de la loi de se pencher sur la propriété et l'exploitation des maisons de débauche, qui sont souvent déguisées en spas, en centres holistiques ou en salons de massage. Des personnes sont souvent détenues, exploitées ou victimes de trafic dans de tels endroits. La désignation et le maintien de ce genre de lieu dans le Code criminel sont importants, parce que l'existence et le fonctionnement de tels endroits peuvent légitimer l'emprise d'un proxénète, d'un trafiquant ou d'un exploitant, qui exerce son pouvoir et son influence sur les personnes exploitées.
    En préparation de mon témoignage, j'ai parlé avec une collègue et amie qui connaît bien le fonctionnement des maisons de débauche. Elle m'a expliqué que les proxénètes et les trafiquants utilisent des adresses comme des centres holistiques et des salons de massage en toute connaissance de cause. Le fait de placer les filles dans un établissement autorisé donne au proxénète ou au trafiquant la légitimité d'une entreprise. Les personnes qui exploitent ces lieux le font de manière intentionnelle, en suivant un plan déterminé.
     Dans les maisons de débauche, l'exploitation est endémique. Nous devons pouvoir accéder à ces endroits. De plus, nous devons éviter de restreindre la capacité des organismes d'application de la loi à surveiller et à fouiller ces lieux et à intenter des poursuites au besoin.
    Plutôt que d'abroger cet article, comme certains l'ont demandé, ou de le reclasser en infraction mixte, comme le fait ce projet de loi, nous suggérons au Comité d'envisager de clarifier la définition de « maison de débauche » dans le Code criminel. La définition actuelle est imprécise et cette imprécision camoufle l'exploitation qui nous préoccupe. Nous appuierions une définition qui indiquerait clairement que l'infraction cible des situations d'exploitation sexuelle où des personnes sont détenues, gardées ou exploitées en un lieu où quelqu'un d'autre contrôle leurs déplacements, leurs activités et, bien souvent, leurs finances.
    Il y a ensuite le paragraphe 279.02(1), qui porte sur l'avantage matériel découlant du trafic, ainsi que le paragraphe 279.03(1), qui a trait à la rétention ou à la destruction de documents. Ces infractions relatives à la traite de personnes âgées de moins de 18 ans demeurent des actes criminels. Nos lois accordent à juste titre des protections particulières aux enfants, qui sont particulièrement vulnérables à plusieurs égards.
     Toutefois, ce projet de loi ferait de ces infractions des infractions mixtes en ce qui concerne les victimes adultes. L'ennui, c'est que les adultes exploités, ce sont souvent des enfants exploités qui ont atteint l'âge de 18 ans. Souvent, rien n'a changé à part leur âge. Or, la gravité des mauvais traitements qu'ils subissent ne diminue pas.
    Déjà, lorsqu'elles deviennent des adultes selon la loi, les victimes peuvent se sentir laissées pour compte, parce que le système leur offre moins de soutien et de services et traite les crimes commis contre elles comme des crimes moins graves. J'ajouterais que, même si l'exploitation commence lorsque la victime est à l'âge adulte, nous voulons éviter d'envoyer le message que ce comportement est moins grave. La traite des personnes et les infractions criminelles connexes doivent être considérées comme très graves et traitées comme telles. Par conséquent, nous recommandons que ces infractions ne soient pas reclassées en infractions mixtes.
    Enfin, il y a le paragraphe 286.2(1) portant sur l'avantage matériel tiré des services sexuels. Cette disposition vise clairement les individus qui profitent, comme le dit la loi, de la vente des services sexuels de quelqu'un d'autre — je soupçonne qu'elle s'applique presque exclusivement à de tels cas. Il est évident que les lois actuelles visent à prévenir l'exploitation d'une personne par une autre.
    Cette infraction et les autres infractions visées par la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation ne devraient pas être transformées en infractions mixtes. Cette loi a induit un changement très important dans la façon dont nous approchons la prostitution au Canada en décriminalisant les activités de ceux qui sont vendus ou qui vendent des services et en déplaçant l'attention vers les acheteurs et ceux qui profitent de l'exploitation. Nous croyons que ces lois constituent un outil essentiel dans la lutte contre la traite et l'exploitation sexuelle parce qu'elles visent à réduire la demande de services sexuels rémunérés, demande qui alimente le trafic sexuel et entraîne les femmes dans la prostitution.

  (1945)  

    La loi prévoit un examen quinquennal obligatoire. Nous recommandons fortement au gouvernement de maintenir les lois actuelles sur la prostitution en l'état et de procéder tous les cinq ans à un examen approfondi de ces lois et de leur efficacité pour déterminer comment les renforcer ou les améliorer, dans le but d'éliminer l'exploitation sexuelle.
    Merci.
     Merci beaucoup.
    Merci à tous les témoins.
    Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par M. MacKenzie.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins.
    Je suis vraiment impressionné. Je ne suis qu'un vieux policier. Je ne suis pas avocat. Je n'ai pas passé ma vie à défendre des clients, mais j'ai passé ma vie à défendre tout le monde, d'un côté comme de l'autre. C'est ainsi que doivent agir les policiers.
    Cela dit, madame Wiebe et monsieur Serre, vous avez tous les deux parlé de la douleur réelle que représente la perte d'un être cher lorsqu'elle est causée par une autre personne. Pouvez-vous nous expliquer — je ne doute pas que vous le ferez — les étapes de la détermination de la peine et de l'incarcération dans le procès, ainsi que ce qui se passe lorsque les gens sont libérés plus tôt?
    Madame Wiebe, vous pouvez commencer.

  (1950)  

    Les besoins des victimes d'homicide sont très précis, comparativement à bien d'autres types de crime, parce qu'on ne revient pas d'un meurtre. Lorsqu'une personne est assassinée, elle est partie. Il n'y a pas de solution. Il n'y a aucun moyen de remédier à la situation. On ne peut pas changer les choses ou rendre au criminel la monnaie de sa pièce. C'est pourquoi nous devons revoir l'expression « justice réparatrice », par exemple, parce qu'il ne peut y avoir de réparation dans le cas d'un homicide.
    Les covictimes — les familles et autres — de ceux qui ont perdu la vie par suite d'un acte délibéré commis par quelqu'un d'autre sont souvent très en colère. Elles sont victimisées au départ par le crime, mais elles se sentent également victimisées de nouveau par le système. Ensuite, lorsque le système les laisse tomber en permettant au criminel d'obtenir une libération conditionnelle plus tôt ou de négocier un plaidoyer en vue d'obtenir une peine plus clémente qui comprend très peu de temps de prison, elles ressentent encore plus de colère, un sentiment qui se retourne souvent vers le système de justice.
    Tout au long du processus, les personnes touchées sont victimisées de nouveau de différentes manières et les droits des contrevenants passent devant ceux des victimes. À titre d'exemple, je mentionnerai une anecdote qui concerne les audiences de libération conditionnelle. Lorsque, en tant que victime, l'on assiste à une audience de libération conditionnelle, c'est une expérience choquante. Je me rappelle avoir été en état de choc lors d'une audience de libération conditionnelle, face au meurtrier de mon fils, et avoir oublié une grande partie de ce qui s'était passé. Après coup, le meurtrier a obtenu une transcription de l'audience, mais moi, je n'ai pas reçu cette transcription parce que j'étais présente. Or, je ne m'en souvenais pas.
    Ce n'est qu'un petit exemple parmi beaucoup d'autres qui montre comment les gens sont victimisés de nouveau.
    Il est peut-être temps de laisser l'autre personne parler.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Serre.

[Français]

     J'aimerais continuer sur la même lancée.
    Quand on est une victime, on n'a pas beaucoup de droits. La première fois qu'on va en cour et qu'on passe devant un juge, c'est une première et on veut que ce soit la dernière. Personne n'est intéressé à y retourner. C'est vraiment une première et on n'est au courant de rien. On n'a aucun droit, mais on voit que l'accusé, de son côté, a tous les droits. Même moi, je me suis fait avertir que, si je n'arrêtais pas de regarder et d'intimider les accusés, le juge me ferait sortir de la cour et je n'aurais plus le droit d'assister au procès.
    Comment une victime se sent-elle quand elle est là? J'ai vu, sur Facebook, la photo d'une statue dont le centre était vide. C'est cela, une victime. Quand elle perd un être cher, il y a un très gros vide dans le centre; l'être cher n'est plus là.
    Je ne peux pas vous expliquer la douleur qu'une victime peut vivre. Je comprends les autres victimes, et quand je les rencontre je sais ce qu'elles vivent; c'est dans les tripes. Il n'y a pas deux victimes pareilles. Parmi toutes celles que j'ai rencontrées, personne n'a vécu le drame de la même façon; ce n'est jamais pareil. C'est toujours à recommencer et à expliquer. Ce n'est pas la même douleur; personne ne le vit pas de la même façon. L'approche est différente.
    Malheureusement, les victimes sont souvent mal informées. Il faudrait qu'elles soient mieux informées. On accorde beaucoup d'importance aux accusés et pas beaucoup aux victimes. Cela ne prend pas grand-chose. Il faut donner de l'information aux victimes, s'en occuper et les protéger.
    Tantôt, j'ai dit que les victimes de drames conjugaux n'étaient jamais protégées. Si elles ont le malheur de faire une dénonciation, ce sont elles qui souffriront parce que les accusés se vengeront. Elles n'ont aucune protection.

[Traduction]

     Merci.
    Il vous reste une minute.
    Monsieur Cooper.
    Il faut vraiment s'interroger sur les priorités de ce gouvernement. Il a fallu plus d'un an au gouvernement pour pourvoir le poste d'ombudsman des victimes. Des députés ministériels ont voté contre une mesure législative visant à renforcer l'indépendance de l'ombudsman. Comme Mme Basnicki l'a souligné, nous sommes en présence d'un gouvernement qui a enrichi Omar Khadr en lui donnant 10,5 millions de dollars. Maintenant, il y a ce que nous voyons à présent.
    On reclasse en infractions mixtes des infractions qui, si elles ne sont pas les plus graves que l'on puisse imaginer, sont parmi les plus graves du Code criminel. Voilà qui comprend des infractions liées au terrorisme, des infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies et des avantages matériels dans le contexte de la traite des personnes. Pourquoi? En quoi est-il logique de transférer ces affaires aux tribunaux provinciaux qui sont déjà débordés et surchargés et qui disposeront désormais de 18 mois plutôt que de 30 mois en vertu de l'arrêt Jordan?
    Que celui qui veut réponde le fasse.

  (1955)  

    Il s'agit plutôt d'une question de pure forme que d'une question pour les témoins. Nous avons dépassé les six minutes et demie, alors si quelqu'un veut répondre brièvement, il peut le faire.
    Quelqu'un veut-il répondre à cette question?
    Écoutez, je pense que ce serait...
    Désolé. Allez-y.
    Quelqu'un veut-il répondre?
    Oui. Je peux répondre à cette question.
    Il s'agit d'une lacune très importante. Il est très difficile d'aborder ce sujet, parce que les victimes souffrent énormément tout le restant de leur vie. Il y a des procès qui durent huit ans, comme dans l'exemple que j'ai mentionné. Dans ce cas, les parents étaient également témoins. Par conséquent, ils ne pouvaient même pas assister au procès avant d'avoir livré leur témoignage. Ils ne connaissaient donc pas tous les détails du procès.
    C'est absurde lorsque les choses traînent en longueur à ce point. Dans un délai de 18 mois, ou dans un délai beaucoup plus court, on peut se demander s'il est possible de traiter tous les aspects d'un cas. On peut se demander si justice peut être rendue dans un tel délai. Qui fait le travail? S'il n'y a pas d'enquête préliminaire, l'affaire sera-t-elle traitée de manière appropriée, autant que faire se peut?
    Excusez-moi, il y a de l'écho et je n'entends pas bien.
     Il est très difficile de déterminer une durée précise pour tous les procès. Se décharger de ses responsabilités sur les tribunaux provinciaux n'est pas la solution. Cependant, je crois que les systèmes de justice fédéral et provinciaux doivent travailler ensemble pour faire en sorte qu'aucun procès ne dure huit ans, tout en s'assurant qu'il existe un processus approprié pour de tels cas afin que justice soit rendue pour toutes les personnes touchées.
    Merci.
    Monsieur Boissonnault.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins qui sont venus ici ce soir.
    Je vais m'adresser à Mme Roy, puis je vais céder une minute à M. Virani à la fin du temps dont je dispose.
    Madame Roy, avez-vous vu qu'on a ajouté la définition de « partenaire intime » au paragraphe 1(3) du projet de loi, ce qui vient modifier l'article 2 du Code criminel? Êtes-vous contente de cet ajout?
    Évidemment, et c'est ce que nous sommes venus vous dire aujourd'hui. Nous accueillons cet ajout favorablement, mais malheureusement, il est restreint pour ce qui est des récidives.
    Oui, c'était très clair.
    Je ne sais pas comment cela se passe ailleurs au Canada, mais au Québec, malheureusement, de semaine en semaine, il y a une épidémie de jeunes femmes qui se font assassiner, et elles ne le sont pas nécessairement par des récidivistes. C'est pour cela que nous demandons qu'on ait aujourd'hui le courage de bien représenter les victimes. On s'est donné une charte et si je peux faire...
    Je dois vous interrompre ici, car j'ai trois autres questions à poser et il me reste cinq minutes et demie.
    Les termes « partenaire amoureux » utilisés en français sont-ils équivalents aux termes anglais « dating partner »? Sinon, pourquoi ne le sont-ils pas?
     Je ne suis pas spécialiste en traduction.
    Vous n'avez pas besoin de l'être. Dites-nous ce que cela signifie pour vous.
     Pour nous, cela englobait tout de même la définition ou le problème, mais nous avons buté sur la récidive. Cela ne représente pas la réalité. C'est pourquoi nous voudrions que ce soit enlevé.
    À ce sujet, précisément, vous avez salué le renversement du fardeau de la preuve. Le document que vous avez soumis l'indique clairement. Vos réserves ne s'appliquent qu'à la récidive.
    Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez des réserves à ce sujet?

  (2000)  

    Selon nous, le renversement de la preuve protégerait les victimes. Cela équivaut presque à ce que nous demandions au début, à savoir des arrestations préventives, qui auraient comme effet de calmer les agresseurs.
    Si on renverse le fardeau de la preuve, toute l'attention est ciblée, non pas sur la victime, mais sur l'agresseur. C'est à lui de prouver qu'il n'est pas dangereux. Ainsi, on protège davantage les victimes. Pour nous, c'est très important. C'est majeur. Cela équivaut presque à une arrestation préventive. C'est ce que nous voulions, mais cela n'aurait jamais été jugé constitutionnel?.
    J'ai débuté trop rapidement mon intervention. Je voulais d'abord vous remercier de votre travail. J'ai perdu ma soeur Lisa quand j'avais 27 ans. Elle était de sept ans ma cadette. Or même trente ans plus tard, le milieu scientifique ne connaît toujours pas la cause du décès de Lisa. Je n'avais personne contre qui diriger ma colère ou intenter une poursuite. Je ne peux pas imaginer le fardeau des victimes. Je salue donc votre travail. Cela s'adresse aussi à vous, monsieur Serre, et concerne tout ce que vous avez fait pour la communauté.
    Nous avons une question très délicate, qui touche les enquêtes préliminaires. Lors de notre étude sur la traite de personnes, nous avons entendu dire que, le plus souvent, une personne qui sortait du réseau de la traite de personnes et voulait intenter un procès devait témoigner, dans le cadre d'enquêtes préliminaires, non pas une fois, mais deux, trois ou même quatre fois, et que cela avait toujours comme effet de victimiser cette personne ou les témoins.
    Est-ce que cela correspond à votre expérience et à celle des victimes auprès de qui vous travaillez?
    Je peux répondre à cela. C'est effectivement très difficile pour les victimes de revivre plusieurs procès ou plusieurs enquêtes préliminaires. Si, après avoir subi un procès, on en subit un autre deux ans plus tard — ou des enquêtes préliminaires —, on revit encore un deuil. On revit les mêmes états, les mêmes troubles. C'est comme Le jour de la marmotte. C'est exactement la même chose. Les victimes ressentent cela et voudraient éviter que les procès se multiplient. Il est toujours préférable qu'il y ait le moins de procès possible.
    Selon vous, madame Roy, éliminer les enquêtes préliminaires protégerait davantage les victimes. C'est exact?
    À notre avis, oui. Lorsque les victimes traversent un processus judiciaire, elles sont souvent dissuadées de revenir témoigner ou de continuer à le faire. Il faut les protéger le plus possible et faire en sorte qu'elles ne soient plus vulnérables lorsqu'elles doivent témoigner.
    Je vous remercie tous deux. C'était bien gentil de votre part.

[Traduction]

     Madame Beazley, au sujet de l'article 75 sur l'abrogation des lois sur les maisons de débauche, croyez-vous que votre suggestion de clarification permettrait toujours l'effacement des dossiers des hommes gais arrêtés dans les maisons de débauche et les bains lors de descentes policières des années 1980 aux années 2000?
    Si cela pouvait être clarifié, nous pourrions nous occuper de cette autre mesure législative. Votre recommandation n'empêcherait pas l'effacement des dossiers. Ce n'était pas votre intention, n'est-ce pas?
    Ce n'était pas du tout notre intention. Comme je l'ai dit, notre intérêt pour cette disposition tient à l'attention que nous portons aux endroits où des personnes, très souvent victimes de la traite, sont détenues et exploitées. La définition est très imprécise. Nous pouvons accomplir beaucoup de progrès en rendant cette définition plus précise et en indiquant clairement les problèmes que nous ciblons.
    Merci beaucoup.
    Il me reste une minute pour M. Virani.
     Nous allons passer à M. Virani à la prochaine série de questions, je l'espère. Peut-être que M. McKinnon lui laissera la parole pendant la première partie de la prochaine série de questions.
    Monsieur Rankin.
     Merci, monsieur le président.
    Merci à tous les témoins.
     Monsieur Leuprecht, vous avez eu l'amabilité d'énumérer une à une les conséquences imprévues que vous observez. Vous en avez mentionné huit, je crois.
    J'aimerais commencer par celle qui a attiré mon attention, c'est-à-dire la question des infractions mixtes selon laquelle on transférerait les retards des cours supérieures vers les tribunaux provinciaux. J'ai l'impression que le gouvernement fédéral se décharge ainsi de ses responsabilités.
    J'ai trouvé très inquiétantes vos statistiques selon lesquelles 99,6 % des affaires criminelles se retrouvent déjà devant les tribunaux provinciaux. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, en raison du reclassement des infractions en infractions mixtes, moins d'affaires se retrouveraient à la cour supérieure, ce qui entraînerait des dépenses supplémentaires énormes pour les provinces.
    Dans les recherches que vous avez menées, y a-t-il des données empiriques qui indiquent le montant des coûts supplémentaires?

  (2005)  

    J'ai rédigé un livre sur la Constitution canadienne et les questions qui en découlent. De plus, je suis un spécialiste du fédéralisme et un collaborateur à l'institut le plus connu au pays, institut qui s'occupe des questions de fédéralisme et de relations intergouvernementales.
    Tout cela pour dire que je parle en connaissance de cause des inquiétudes au sujet du délestage des responsabilités qu'effectuent tacitement les gouvernements fédéraux, non seulement au Canada, mais aussi dans d'autres pays, aux dépens d'autres ordres de gouvernement qui partagent la souveraineté du Canada et subissent les conséquences qui en découlent. La capacité d'assumer de telles responsabilités varie d'un ordre de gouvernement à l'autre, rappelons-le. Une province comme l'Île-du-Prince-Édouard n'a pas la même capacité que le Québec ou l'Ontario.
    Je me ferai un plaisir de chercher une étude portant sur les coûts réels de la chose et de revenir devant le Comité pour en parler. Si j'étais premier ministre d'une province, je ne voudrais rien savoir de tout cela à moins de recevoir une indemnisation suffisante et un calcul, provenant du gouvernement fédéral, des coûts supplémentaires que ces mesures entraîneront.
    Vous avez tout à fait raison. J'ai parlé à des procureurs généraux qui nous ont dit qu'ils étaient abasourdis de constater que le gouvernement fédéral, au nom des retards dans les cours supérieures et au nom de l'arrêt Jordan — ce serait là le motif à l'origine de ce projet de loi de 302 pages dont nous sommes saisis —, entend simplement repasser les dépenses et le fardeau supplémentaire aux tribunaux provinciaux déjà surchargés. Comme vous le dites, c'est déjà là que sont traitées plus de 99 % des affaires criminelles. C'est dire que les procureurs généraux mesurent bien les conséquences de tout cela.
    J'ai trouvé votre remarque très pertinente.
    Ce ne sont pas mes chiffres. Ce sont les chiffres de Statistique Canada qui sont présentés en annexe de mon mémoire.
    Tout à fait. Je vous remercie d'avoir porté cette réalité à notre attention.
    Je voudrais maintenant vous poser une question sur le sixième de vos huit points. Je vous rappelle qu'il s'agit des dispositions relatives à l'inculpation en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick et au Québec.
    Des témoins ont parlé devant le Comité d'un processus d'approbation des accusations que les procureurs de la Couronne sont tenus de suivre. Comme la Couronne doit être convaincue qu'il y a une forte probabilité d'obtenir une condamnation, cela a entraîné une diminution du nombre de procès. Bien souvent, les procureurs de la Couronne disent qu'il n'y a pas de probabilité de condamnation et l'affaire s'arrête là.
    En soi, il me semble que ce serait un excellent moyen de s'attaquer au problème. D'autres ont suggéré de régler le problème de l'engorgement de nos tribunaux en effectuant une vérification entre l'étape de la police et l'étape du tribunal. Avez-vous des observations à formuler à ce sujet? Le numéro six indique ceci:
Habituellement, la Couronne ou la police (selon la province) ne porte des accusations que lorsqu'elle croit qu'il existe une probabilité raisonnable d'obtenir une condamnation. On peut supposer que le système de justice devrait suivre son cours. À quoi sert d'avoir un système de justice lorsque l'objectif premier de l'État est de régler le plus grand nombre d'affaires possible avant qu'elles ne soient portées devant les tribunaux?
    Selon moi, il ne doit pas s'agir d'une probabilité raisonnable d'obtenir une condamnation; il faut qu'il y ait une forte probabilité d'obtenir une condamnation. Si nous adoptions cette norme plus élevée, ne pensez-vous pas que cela aurait pour effet de faire diminuer le nombre d'affaires dans les tribunaux du pays?
     Comme vous le savez — votre propre expérience juridique en témoigne —, il y a déjà différents types de normes en matière de mandats, par exemple. Il serait donc logique d'adopter ce genre de normes. Voilà qui, par ailleurs, serait conforme à la pratique qui est de plus en plus appliquée aux affaires complexes, y compris par le Service des poursuites pénales du Canada, à savoir que nous disposons de procureurs de la Couronne qui mènent les enquêtes. Ainsi, la Couronne nous fournit des instructions et des orientations utiles tout au long de l'enquête — et non pas seulement quand la police la conclut —, afin que nous puissions respecter la norme que vous proposez au terme de l'enquête.

  (2010)  

    D'accord, monsieur Virani, vous deviez avoir une minute. Je suppose que M. McKinnon vous accordera sa première minute afin que vous disposiez de ce temps.
    J'ai une question précédée d'une observation.
    M. Cooper et l'un des témoins, Mme Basnicki, ont mentionné l'affaire Khadr. M. Cooper a demandé pour la forme quelles étaient les priorités du gouvernement. Il a dit qu'on semblait avoir un certain a priori et qu'il y avait donc lieu de mettre en doute les priorités du gouvernement.
     Je dirais simplement que la priorité va à la défense et au respect de la Charte des droits et libertés. Aussi, lorsque le gouvernement est complice de torture et de violation des droits d'une personne, il devrait assumer la responsabilité de ce comportement complice. Il est important de ne pas confondre, ni au Comité ni devant les témoins ici présents, le terrorisme qui a eu lieu en Afghanistan et la torture dont le gouvernement s'est fait le complice à Guantanamo. Après deux défaites consécutives à la Cour suprême du Canada sur cette question, il y a lieu de se demander pourquoi on devrait retourner devant les tribunaux — lesquels, nous en convenons tous, sont engorgés — avec une autre revendication liée à la Charte qui risque fort d'être déboutée, surtout lorsque l'on sait que le parti de M. Cooper croit nécessaire de réduire les arriérés et les retards dans les tribunaux.
    Madame Basnicki, si nous convenons que l'élimination des arriérés judiciaires est un élément important du projet de loi, le règlement des dossiers constitue-t-il une façon d'y arriver?
    Je répondrai que la Charte, dans sa forme actuelle, ne définit pas les droits des victimes. J'ai travaillé sur la Charte des droits des victimes et je demande seulement que mes droits soient reconnus au même titre que ceux de M. Khadr. Je ne suis pas ici pour enlever des droits à Khadr; je dis seulement que, comme victime, je devrais avoir des droits moi aussi.
    M. Khadr a confessé être un terroriste, non pas en commettant un acte au... peut-être était-ce en Afghanistan. Il a été reconnu coupable et il s'est confessé aux États-Unis. Je suis citoyenne canadienne. Il a commis son crime — ce ne sont pas des allégations; il a été condamné — à l'extérieur du Canada. J'ai comme lui la citoyenneté canadienne et je demande que l'on reconnaisse que j'ai des droits moi aussi. Dans la situation actuelle, il ne semble pas y avoir d'équilibre
    Il faisait partie de l'organisation même — Al-Qaïda — qui s'est faite complice du meurtre de mon mari. Imaginez ce que je ressens lorsque je vois mon gouvernement lui donner 10,5 millions de dollars pour une violation de ses droits alors que je supplie mon pays de m'accorder des droits en tant que victime et citoyenne canadienne mariée à un Canadien qui vivait au pays.
    Je cède la parole à Ron. Je veux simplement m'assurer que le compte rendu indique que M. Khadr est également citoyen canadien, madame Basnicki, mais je vous ai bien comprise.
    Oui, j'ai souligné cela. J'aimerais vous rappeler que je suis citoyenne canadienne. Merci.
    Merci.
    Monsieur McKinnon, vous avez trois minutes.
    Messieurs, arrêtez. Vous enfreignez le Règlement. Nous observons un certain décorum à ce comité. Je reconnais votre passion, d'un côté comme de l'autre, mais le témoin a parlé et s'est très bien défendu. Je ne pense pas que nous ayons besoin de votre contribution.
    Monsieur McKinnon.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais adresser ma question à Mme Wiebe pour commencer.
    Vous avez parlé du procès qui a duré huit ans et vous avez dit que vous aimeriez que tous les ordres de gouvernement se réunissent pour déterminer ce qui est approprié en fonction des nécessités. D'après les témoignages que j'ai entendus au Comité, c'est précisément l'objectif des infractions mixtes. La limite maximum est conservée, alors l'effet dissuasif, s'il y en a un, demeure le même, mais la poursuite peut décider, dans un cas donné, de la meilleure façon de procéder. Dans certains cas, on choisira d'intenter une poursuite pour une infraction punissable par procédure sommaire plutôt que pour un acte criminel parce que cela semble être la meilleure façon d'administrer la justice. Aussi, cette procédure a pour conséquence que, parfois, on intentera une procédure pour l'infraction précise qui est en cause plutôt que de porter des accusations pour une infraction différente qui pourrait être plus susceptible de faire l'objet de poursuites.
     J'aimerais savoir ce que vous en pensez. J'invite tous les autres à se joindre à la discussion.

  (2015)  

     C'est une question à volets multiples.
    Parlons d'abord de l'audience préliminaire, du procès préliminaire et de la possibilité que les deux paliers de gouvernement s'en occupent. La cour provinciale...
    Excusez-moi. Je suis désolé, mais je n'ai pas beaucoup de temps.
    Je ne parlais pas des audiences préliminaires. Je parlais des infractions mixtes. D'après les témoignages que j'ai entendus, l'administration de la justice s'en trouve facilitée puisque la poursuite peut choisir une voie plus appropriée, selon les circonstances, ce qui lui permet de se focaliser sur une infraction précise, qu'il s'agisse de terrorisme ou d'un autre genre d'infraction, plutôt que de cibler une autre infraction qui lui semble plus susceptible d'entraîner une condamnation.
    Pourriez-vous, je vous prie, aborder la question des infractions mixtes?
    Je pense que les procureurs de la Couronne ont déjà le droit de décider quels types d'accusations seront portés. D'après mon expérience au Manitoba, lorsqu'une personne est arrêtée pour un crime, le service de police transmet la preuve au procureur de la Couronne, qui l'examine. Je suppose, peut-être à tort, que le procureur de la Couronne examine les infractions qui contreviennent à nos lois. C'est sur la base de cet examen qu'il décide quelles accusations seront portées. C'est ce que j'ai constaté.
    Je ne suis peut-être pas la personne la mieux placée pour répondre à votre question. Selon ce que j'en comprends, la poursuite porte des accusations en vertu des lois qui ont été enfreintes.
    D'accord.
    M. Leuprecht voulait dire quelque chose à ce sujet.
    Ce sera une intervention de 20 secondes seulement.
    Comme je l'ai dit sur plusieurs tribunes au cours des derniers jours, la violence liée aux armes à feu est un problème complexe, parce que nous avons réintroduit le pouvoir discrétionnaire dans un processus qui prévoyait auparavant une peine minimale obligatoire de 10 ans. Des données probantes montrent — il ne s'agit pas de mon opinion, mais bien de recherches — que, tant au Canada qu'à l'étranger, les peines minimales obligatoires ont un effet dissuasif important sur ce type de violence.
    Ces données probantes indiquent que, dans certaines situations, le pouvoir discrétionnaire n'est sans doute pas la meilleure façon d'obtenir les résultats escomptés en matière de sécurité publique.
    Nous ne parlons pas ici de peines minimales obligatoires, mais bien de peines maximales.
    Ces infractions mixtes sont assorties d'une peine maximale, mais comme elles sont mixtes, justement, la poursuite peut choisir la voie sommaire plutôt que la voie de l'acte criminel.
    D'accord, mais lorsqu'un criminel sait qu'il aura le choix de la façon dont il sera poursuivi — pour diverses raisons —, je pense que l'effet dissuasif sera moindre. L'effet sera plus important s'il sait qu'il n'aura pas de choix et qu'il risque une peine maximale.
    Le défendeur n'a pas le choix. C'est la poursuite qui décide.
    Oui, mais le contrevenant est conscient que la poursuite possède un tel choix. Je pense que cela a une incidence sur la structure incitative dans laquelle les contrevenants s'inscrivent. Des recherches le montrent.
    D'accord.
    Si vous me permettez...
    Le temps de parole de M. McKinnon est écoulé, mais si vous avez une brève remarque à formuler, madame Wiebe, allez-y.
    J'aimerais simplement ajouter que je parle d'homicide. Il n'y a pas beaucoup de marge de manoeuvre dans le cas des homicides, contrairement à bien d'autres types d'infractions. Quand quelqu'un tue une autre personne, une accusation pour homicide est portée.
    C'est tout à fait clair.
    J'espère que mes collègues me permettront de poser une brève question.
    Mesdames Basnicki et Beazley, supposons que le Comité décidait que le reclassement des infractions en infractions mixtes, sous une forme ou une autre, est souhaitable, et qu'il décidait de conserver les dispositions qui y sont liées. Votre témoignage n'indique-t-il pas que, même si certains éléments sont mixtes, il existe des infractions dont, pour des raisons morales ou philosophiques, ou parce que certains crimes sont vus comme des actes odieux, nous devrions examiner attentivement la liste, des infractions, comme celles liées au terrorisme ou, dans votre cas, celles perpétrées contre des responsables religieux, que nous devrions exclure?
    Est-ce bien ce que vous recommandez? Je pense que c'est le cas.

  (2020)  

    Tout à fait.
    J'ai passé en revue ce très long projet de loi. Il se peut qu'un certain nombre d'infractions puissent tout à fait être transformées en infractions mixtes, mais dans le cas d'autres infractions, c'est tout simplement inapproprié, et cela envoie un message extrêmement négatif.
     Merci beaucoup.
    J'aimerais rappeler aux membres du Comité que les décisions qu'ils prennent ne concernent pas seulement le Canada, mais qu'elles envoient également un message à la communauté internationale. Des crimes comme ceux liés au terrorisme doivent être reconnus pour ce qu'ils sont. Voilà qui dépasse nos frontières.
    Je souhaite que l'on donne l'exemple au Canada. J'aimerais être fière de mon pays.
    Je vous comprends tout à fait.
    Merci mille fois aux témoins.

[Français]

     Merci beaucoup. J'ai énormément apprécié vos témoignages.

[Traduction]

    Madame Wiebe, merci de vous être jointe à nous par vidéoconférence. Je vous en sais gré.
    La séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU