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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 149 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 14 mai 2019

[Enregistrement électronique]

  (0845)  

[Traduction]

    Je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous reprenons notre étude sur la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité.
    Le premier groupe que nous accueillons ce matin se compose de quatre témoins. Nous recevons Mme Fanta Ongoiba, directrice exécutive des Africains en partenariat contre le SIDA. Elle se joint à nous par vidéoconférence de Saskatoon. Nous accueillons ensuite M. Haran Vijayanathan, directeur exécutif de l'Alliance for South Asian AIDS Prevention. À titre personnel, nous accueillons M. Eric Mykhalovskiy, professeur à la York University. Enfin, nous recevons Duane Morrisseau-Beck, président et directeur général de l'Ontario Aboriginal HIV/AIDS Strategy.
    Bienvenue à tous.
    Comme tout le monde le sait, vous disposez de huit minutes chacun pour nous présenter votre déclaration préliminaire.

[Français]

     Vous pouvez le faire en anglais ou en français.

[Traduction]

    Madame Ongoiba, comme vous comparaissez par vidéoconférence, nous commencerons par vous. Nous ne voudrions pas perdre la connexion avec vous.
    Madame Ongoiba, la parole est à vous.

[Français]

    Bonjour à tous.
     Je vous remercie de m'avoir invitée à cette réunion.
    Je suis vraiment remplie de fierté et de joie de m'adresser à vous et de m'engager dans la lutte, pour toutes les personnes concernées, au sujet de la non-divulgation de la séropositivité, et de parler de l'impact de cela sur les Africains, les Antillais et les Noirs vivant au Canada, et spécialement en Ontario.
    C'est une priorité pour nous de pouvoir parler de ce dilemme qui touche tout le monde, surtout la population marginalisée. En fait, cela fait belle lurette que nous parlons de la loi et de la punition imposée, en quelque sorte, aux gens qui vivent avec le virus. Nous pensons donc qu'il est temps que la loi change à cet égard, de manière positive, pour pouvoir aider les gens à avoir une vie saine et une sérénité, pour vivre en paix, comme tout le monde.
    Aussi, il s'agirait de normaliser le visage du VIH-sida pour que les gens puissent savoir que ce n'est pas une maladie discriminatoire. Elle n'est basée ni sur la couleur de la peau ni sur le visage d'une personne, qu'elle soit riche ou pauvre. Le VIH-sida pénètre partout. Étant donné ce dilemme ou cette perspective, il serait préférable que tout le monde soit sur la même longueur d'onde afin de pouvoir travailler ensemble, main dans la main, pour lutter contre tout fléau qui pourrait entraîner des positions négatives et pour travailler à la prévention de cette maladie. Les gens pourront au moins vivre joyeusement, comme tout le monde, et se sentir aimés et acceptés par tout le monde.
    Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps pour faire une présentation, mais c'est mon plaidoyer à l'égard de cette maladie qui touche toute la couche sociale. Je pense que c'est très important pour nous de voir la loi d'une autre façon pour que les gens puissent redevenir normaux.
    Les personnes marginalisées et vulnérables dans cette situation, ce sont des femmes. Les femmes sont vraiment vulnérables devant cette maladie qui ne les épargne pas, parce que ce sont elles qui donnent naissance aux enfants. Aussi, les femmes prennent soin des enfants et des hommes. Actuellement, la criminalisation empêche les gens de se dévoiler et d'être vus comme des personnes normales. Ils se voient actuellement comme des personnes anormales.
    Aujourd'hui, nous sommes tous réunis pour la même cause. Je pense que c'est une bonne idée de votre part d'avoir organisé un débat d'une telle envergure pour que nous puissions nous comprendre, les gens qui font la loi aussi bien que ceux qui travaillent dans la communauté, pour le bien de tout le monde. Nous savons que dans notre communauté, comme Africains, Antillais et Noirs, la loi nous touche beaucoup, spécialement les femmes.
    Il faut aussi considérer le problème de l'immigration. Les gens sont un peu lésés. Les gens quittent leur pays en guerre pour trouver une vie meilleure ici. Ce n'est pas tout le monde qui arrive avec le virus, mais certaines personnes sont infectées ici même, au Canada.
    Étant donné tout ce fléau, il est impossible de dire que les gens amènent la maladie ici. La loi criminalise les personnes qui ont le VIH-sida. En général, ce sont surtout des hommes hétérosexuels africains, antillais et noirs. C'est médiatisé, leurs photos sont affichées partout. S'ils vont en prison, ils laissent leur famille. L'image de ces personnes est ternie et elles n'ont donc plus de vie. Il y a beaucoup d'isolement et de suicides, vu que l'image de ces personnes est ternie à cause de la loi. C'est la parole de l'un contre celle de l'autre. L'un peut affirmer que l'autre ne lui avait pas dit qu'il était infecté, alors qu'il l'avait dévoilé. Or la loi ne reconnaît pas cela. La personne qui porte plainte la première aura toujours raison. On peut se le dire, c'est la personne qui s'est plainte contre l'autre.

  (0850)  

    Il y a donc plusieurs façons de voir cette criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité. Je pense que la situation actuelle fait plus de mal que de bien sur le plan de la prévention comme telle. Si on criminalise la non-divulgation de la séropositivité, les gens se cacheront et n'iront pas faire de test. Cela diminuera le nombre de personnes qui se soumettront à un dépistage et qui suivront des traitements. Comment fournir des traitements à quelqu'un si la personne ne connaît même pas son statut sérologique?
    De plus, comment pouvons-nous atteindre l'objectif de l'ONUSIDA qui est de 90-90-90? Il faut, en même temps, connaître la condition de la personne, lui fournir un traitement et la maintenir en traitement. Si l'on criminalise le VIH-sida, je pense qu'on va perdre la possibilité d'atteindre cet objectif de 90-90-90.
     Au Canada, les statistiques montrent que 86 % des personnes infectées sont dépistées, 91 % reçoivent un traitement et 81 % sont maintenues en traitement. C'est donc une bonne chose. Cependant, quand on rassemble ces chiffres 86-91-81, en réalité cela ne donne que 73 %. Cela veut dire que l'on est encore un peu loin d'atteindre le but et l'objectif de 90-90-90. Cependant, la situation évolue. Les chiffres que nous avons maintenant sont encourageants surtout en ce qui concerne le maintien des gens en traitement. C'est une bonne chose au Canada.
    Néanmoins, en ce qui concerne la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité, je pense vraiment qu'il faut revoir la loi, l'alléger et prendre des exemples d'autres pays, si je peux me permettre de le dire. À Cuba, par exemple, on n'a pas criminalisé la non-divulgation et il y a eu beaucoup de progrès relativement à l'infection du VIH-sida.
    Le Canada a le pouvoir de considérer d'autres angles aussi. On sait que par rapport à d'autres pays, comme les pays d'Afrique où la situation est endémique — ce n’est pas sur tout le continent mais, dans quelques pays sur le continent, la maladie est endémique —, on a fait beaucoup de progrès. La non-divulgation n'est pas criminalisée là-bas. On fait tout ce qui est possible pour aider les gens qui vivent avec le virus et les soutenir en même temps.
    Si l'on criminalise la non-divulgation ici, je pense que cela empêchera les gens de vivre, cela les empêchera de se dévoiler et il sera fait plus de mal que de bien.
    Je ne veux pas monopoliser l'attention — je ne sais pas si j'ai écoulé mes huit minutes ou non —, mais c'est ce que je voulais dire. Il faut alléger la loi et la revoir de façon à ce que nous puissions travailler main dans la main et de façon positive.
    Je vous remercie.

  (0855)  

    Merci beaucoup de votre présentation.
    Nous passons au prochain témoin.

[Traduction]

    Nous entendrons ensuite le représentant de l'Alliance for South Asian AIDS Prevention.
    Bonjour, monsieur le président; bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui.
    Je m'appelle Haran et je suis directeur exécutif de l'Alliance for South Asian AIDS Prevention, qu'on connaît aussi sous l'acronyme ASAAP, depuis nos modestes débuts en 1989. Aujourd'hui, nos programmes visent non seulement les personnes originaires de l'Asie du Sud, mais également beaucoup de personnes originaires du Moyen-Orient. Cette année, l'ASAAP célébrera son 30e anniversaire de service à une population racialisée aux caractéristiques démographiques de plus en plus vastes, qui vit avec le VIH-sida, y est confrontée ou est à risque de le contracter. C'est véritablement pour servir cette population que l'ASAAP a été constituée.
    Pendant notre première année d'existence, nous avons vécu une tragédie lorsqu'un couple d'Asie du Sud est mort de complications liées au sida. Ces deux personnes sont décédées directement faute d'avoir eu accès aux traitements et aux soins médicaux qui auraient pu leur sauver la vie, en raison de la barrière linguistique et de leur difficulté à s'orienter dans notre système de santé.
    Après leurs décès, un groupe de militants LGBT d'Asie du Sud a fondé l'ASAAP pour que jamais une telle crise ne se reproduise. Nous avons un taux de succès très élevé, puisque 95 % de nos clients arrivent à maintenir une charge virale supprimée, ce qui signifie que le VIH ne peut pas être transmis par contact sexuel. De plus, l'Agence de la santé publique du Canada considère désormais le VIH comme un problème de santé chronique gérable, ce qui est une excellente nouvelle.
    Cependant, l'attitude des gens à l'égard des personnes séropositives n'a pas évolué au même rythme que la science. La stigmatisation et la discrimination des personnes séropositives est monnaie courante, et elles se heurtent fréquemment à des obstacles juridiques alourdis par leur séropositivité. Même si 95 % des clients de l'ASAAP ont une charge virale supprimée, tous ont déjà vécu de la discrimination en raison de leur séropositivité: perte d'emploi, abandon par la famille, éviction, refus de soins de santé ou de soins dentaires, agression physique après divulgation de la séropositivité, refus du statut d'immigrant, exclusion par les membres de la famille ou les anciens partenaires, ou encore ils sont traités comme des criminels, même s'ils n'ont commis aucun crime.
    Au cours des deux dernières années, pendant que nous nous réjouissions du fait qu'une charge indétectable signifie qu'elle n'est pas transmissible, le groupe tricoté serré des survivants de longue date qui font partie de l'ASAAP a assisté aux funérailles de plusieurs des siens, dont la moitié se sont suicidés ou ont refusé des traitements ou des soins médicaux. Imaginez cela. À l'ère de la non-détection et de la non-transmission, il y a encore des gens qui meurent de complications liées au sida.
    La criminalisation de la séroposivité assombrit le tableau. Outre les cas flagrants d'injustice contre la personne, la surcriminalisation de la séropositivité nuit à la lutte contre le VIH au Canada. Nous savons que les personnes originaires de l'Asie du Sud et du Moyen-Orient évitent le dépistage par peur de recevoir un diagnostic de VIH qui les exposerait à toutes sortes de répercussions, comme la stigmatisation et la discrimination, la criminalisation, l'incarcération, le rejet et l'isolement extrême.
    La criminalisation de la séroposivité favorise et perpétue la stigmatisation. Elle renforce la peur et l'ignorance à l'égard du VIH et des personnes séropositives. Les clients de l'ASAAP nous répètent constamment que ce n'est pas le VIH en tant que tel, mais la stigmatisation qui tue leurs camarades trop tôt, bien avant la limite de l'espérance de vie des personnes séropositives.
    Manifestement, les personnes vivant avec le VIH ou le sida au Canada ne jouissent pas de la qualité de vie améliorée à laquelle ils devraient pouvoir aspirer dans l'un des pays les plus riches au monde et ce, malgré l'accès à des médicaments très efficaces contre le VIH, aux effets secondaires à long terme minimes. Si le Canada, qui est signataire des objectifs 90-90-90 de l'ONUSIDA, souhaite vraiment honorer ses engagements, il doit immédiatement procéder à une réforme du Code criminel pour en éliminer l'infraction d'agression sexuelle liée à la séropositivité et mettre plutôt l'accent sur la transmission intentionnelle et réelle.
    En 2016, 86 % des Canadiens avaient subi un test de dépistage du VIH; 81 % des Canadiens infectés étaient traités et 91 % des Canadiens touchés avaient une charge virale supprimée. Même si nous sommes bien partis pour atteindre les objectifs 90-90-90, le Canada serait mieux placé pour atteindre ces objectifs et même les surpasser s'il cessait de criminaliser la séropositivité, puisque c'est une cause importante de stigmatisation qui limite l'accès aux soins, aux traitements, à du soutien et nuit à la prévention.
    La directive du procureur général du Canada relativement aux poursuites en matière de non-divulgation du VIH, qui s'applique dans les territoires où les procureurs fédéraux sont saisis des affaires criminelles est un pas dans la bonne direction, mais il faut en faire plus, notamment réformer le Code criminel pour limiter l'étendue actuelle de la criminalisation fondée sur la séropositivité au Canada.
    Il est impératif d'enclencher une réforme fondée sur les principes MIPA, soit sur les principes de la participation réelle des personnes vivant avec le sida, une réforme qui doit commencer par une consultation à laquelle pourront participer réellement les personnes séropositives, avec les juristes et les experts scientifiques, de même qu'avec les dirigeants des organisations de services pour les personnes vivant avec le VIH ou le sida qui reçoivent l'appui de la communauté séropositive en général. Ces réformes doivent viser deux choses. Premièrement, elles doivent permettre de mettre un terme à l'utilisation des dispositions sur l'agression sexuelle pour criminaliser la non-divulgation de la séropositivité et deuxièmement, elles doivent limiter l'utilisation de ces dispositions aux cas de transmission intentionnelle ou réelle du VIH à une autre personne.

  (0900)  

    La transmission intentionnelle et délibérée sera au coeur des délibérations de la communauté et du gouvernement pour mettre un terme à la criminalisation de la séropositivité et déterminer de quel article du Code criminel ce type d'infraction devrait relever. Ce gouvernement montre continuellement qu'il se soucie du bien-être de tous, donc je vous encourage à essayer de faire du Canada le premier pays à adopter une politique d'éducation nationale contre la stigmatisation et la discrimination des personnes séropositives.
    Vous serez bien informés et pourrez surveiller la santé de ces personnes au moyen des tests périodiques, et grâce à de vastes campagnes d'éducation, nos jeunes qui sont les leaders de demain se feront une image plus positive de la séropositivité, ce qui nous libérera de la honte, du secret et de la peur que chacun peut avoir au moment où il reçoit son diagnostic.
    Je vous suis reconnaissant de m'avoir permis de m'exprimer devant vous au nom de l'ASAAP pour défendre les droits de ceux et celles qui continueront de frapper à votre porte tous les jours et qui vous font confiance pour les représenter avec dignité, attention et grâce.
    J'exprime maintenant l'espoir que dans vos délibérations sur cette question, vous reconnaîtrez que la surutilisation du droit criminel à l'encontre des personnes qui vivent avec le VIH nuit beaucoup aux progrès que nous avons réalisés et continuera de priver toutes les personnes séropositives de ce qui favorise la vie, la liberté et la santé.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Mykhalovskiy.
    Bonjour et merci de cette occasion de comparaître devant vous aujourd'hui sur cet enjeu important.
    En 2010, j'ai été l'auteur principal du premier rapport sur les options stratégiques pour contrer la criminalisation du VIH en Ontario. Ce rapport présente les préoccupations qui demeurent au cœur des grandes discussions sur la criminalisation du VIH au Canada aujourd'hui.
    Nos principaux arguments, à l'époque, étaient les suivants: premièrement, l'obligation de divulgation prescrite en droit criminel, au Canada, ne permet pas aux personnes vivant avec le VIH de déterminer avec certitude quand elles s'exposent à une peine criminelle pour cause de non-divulgation de leur séropositivité; deuxièmement, les peines imposées pour non-divulgation sont inégales, et les populations marginalisées et racialisées ont le sentiment d'en souffrir disproportionnellement; troisièmement, l'approche du système de justice pénale ne se fonde pas assez sur les études scientifiques les plus récentes relatives au risque de transmission du VIH, ce qui cause des poursuites injustes; quatrièmement, le recours excessif au droit pénal empire la stigmatisation et nuit à la prévention du VIH et à l'aide aux personnes séropositives; cinquièmement, nous avons besoin de directives en matière de poursuite qui soient fondées sur des données probantes pour corriger ces nombreux problèmes.
    Beaucoup de choses ont changé depuis le jour un. Il y a plus de recherches qui se font, plus de défense des droits et plus de dialogue avec les autorités provinciales et fédérales. Il y a eu des développements judiciaires importants, certains troublants, comme l'arrêt rendu par la Cour suprême en 2012, d'autres, plus prometteurs, comme la directive fédérale, le rapport produit par Justice Canada en 2017 sur la non-divulgation du VIH et la politique provinciale de l'Ontario annoncée en réponse à ce rapport.
    Le changement le plus important est assurément celui suscité par les études sur la transmission du VIH. Comme d'autres témoins l'ont dit sans équivoque avant moi, il y a désormais consensus scientifique dans le monde, selon lequel les personnes portant une charge virale supprimée ne peuvent pas transmettre le VIH. Les effets extraordinaires de ce changement de paradigme tardent encore à se faire sentir.
    Cependant, il semble clair qu'à partir de maintenant, la non-divulgation de la séropositivité ne sera plus la même source de préoccupation pour les autorités. L'État, qu'on parle de l'appareil de justice pénale ou des organismes de santé publique, aura sûrement des questions plus urgentes à prendre en délibéré que d'essayer de régir la conduite de personnes séropositives ne pouvant pas transmettre le virus.
    Même si bien des choses ont changé, il y en a aussi beaucoup qui restent les mêmes. Le concept de la possibilité réaliste de transmission perpétue la tradition d'incertitude juridique qui entoure la non-divulgation de la séropositivité. Les personnes séropositives demeurent incertaines de leur responsabilité en droit pénal, et les tribunaux interprètent le concept de manière différente, de telle sorte que le traitement judiciaire peut différer d'un endroit à l'autre au pays.
    Il faut dire aussi que le concept juridique de la possibilité réaliste de transmission a pris plus de retard que jamais par rapport aux dernières percées scientifiques sur la transmission du VIH. De même, l'imposition de sanctions pour non-divulgation de la séropositivité demeure biaisée.
    Avec le temps, les études menées au Canada sur les conséquences pour la santé publique de la criminalisation du VIH s'accumulent. Elles portent à croire que la criminalisation du VIH nuit gravement au dépistage, aux soins et au soutien. Deux études canadiennes ciblent justement la relation entre la criminalisation du VIH et la prévalence du dépistage. Elles concluent que certaines personnes risquent de ne pas vouloir subir de test par crainte d'être criminalisées pour leur séropositivité.
    Ces deux études ont été menées selon une méthodologie visant à étudier les hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. Dans l'une d'elles, réalisée à Toronto, 7 % des répondants ont affirmé que la crainte de poursuites les rendait moins ou beaucoup moins susceptibles de subir un test de dépistage du VIH. Les auteurs ont ensuite utilisé la modélisation pour estimer que la réduction du nombre de tests réalisés pourrait causer une augmentation de la transmission du VIH de 18,5 %.
    Selon l'autre étude, réalisée à Ottawa, 17 % des hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes affirment que la criminalisation du VIH a une incidence sur leur volonté de se soumettre au dépistage. Ce groupe de participants était aussi beaucoup plus susceptible de n'avoir jamais subi de test de dépistage du VIH et déclarait un nombre de partenaires sexuels plus élevé au cours de la période de deux mois précédant l'étude, ce qui porte à croire que les personnes hésitantes à se soumettre au test par peur d'être criminalisées en cas de séropositivité pourraient être plus susceptibles de courir un risque de transmission du VIH et par conséquent, qu'elles seraient les plus susceptibles de ne pas connaître leur statut sérologique positif.
    Divers autres sujets ont été abordés dans d'autres études sur la criminalisation du VIH, comme la probabilité de divulgation, les effets de la prise de risques sexuels, la connaissance et la perception des lois, les expériences de stigmatisation, les conséquences de la criminalisation sur les services de prévention et les relations cliniques liées au VIH et ses conséquences sur les services professionnels des travailleurs des domaines de la santé publique et de la prestation de soins.
    Les conclusions de ces études sont très pertinentes pour analyser l'effet de la criminalisation sur l'accès aux soins et le maintien des soins. Les chercheurs sont nombreux à conclure que certaines personnes vivant avec le VIH ont peur de parler ouvertement de leurs activités sexuelles avec les professionnels de la santé et de la santé publique. Ces études montrent que la criminalisation peut éroder la confiance envers la confidentialité des relations professionnelles et nuire considérablement à l'aptitude des intervenants à établir une relation avec le patient dans laquelle celui-ci se sentira à l'aise de parler de ses activités sexuelles et de sa difficulté à divulguer son état.

  (0905)  

    Trois revues de cette littérature abondante à l'échelle internationale font ressortir que la criminalisation du VIH ne favorise pas sa prévention et qu'elle a des effets involontaires considérables qui nuisent aux efforts des organismes de santé publique pour prévenir la transmission du VIH. On commence à voir ressortir de la littérature que la criminalisation du VIH est source de stigmatisation des personnes vivant avec le VIH et que par conséquent, c'est un obstacle structurel à la prévention, à la participation et à la cascade de soins, qui est la méthode la plus importante pour endiguer l'épidémie de VIH.
    Compte tenu de ce que nous apprennent ces études, on pourrait décrire la situation actuelle comme une forme perverse d'injustice par laquelle l'obligation de divulgation imposée par l'État en droit criminel punit les gens en fonction de la charge virale qu'ils portent dans leur corps et nuit même à leur aptitude à la supprimer autant que nécessaire.
    Que pouvons-nous faire? La directive fédérale est un pas important dans la bonne direction, mais elle n'a pas une assez grande portée géographique. L'une des options viables consisterait à tenter de susciter un changement durable et répandu grâce à une réforme du droit criminel. Le gouvernement fédéral pourrait continuer de faire preuve de leadership en établissant les grands principes de base qui guideront cette réforme. Le premier serait qu'elle se fonde sur un processus de consultation auquel participeraient des juristes, les organisations de services aux personnes vivant avec le VIH/sida, les groupes touchés, les fournisseurs de soins médicaux et de santé et le personnel des organismes de santé publique. Deuxièmement, il faudrait soustraire la non-divulgation de la séropositivité de l'infraction d'agression sexuelle prévue au Code criminel. Troisièmement, il faudrait n'invoquer le droit criminel que dans les circonstances les plus répréhensibles, c'est-à-dire quand une personne en infecte intentionnellement une autre du VIH.
    Enfin, la question de la collaboration entre les organismes de santé publique et l'appareil de justice pénale doit être considérée comme une question complexe et délicate. Les systèmes de santé publique et de justice pénale sont des systèmes différents conçus pour régir le comportement humain à l'aide de pouvoirs officiels différents, de conventions, de cultures et d'histoires récentes différents. Il ne faut plus voir la santé publique comme une simple forme de maintien de l'ordre, et les directives en matière de santé publique doivent mettre l'accent sur le dépistage volontaire, la thérapie et le soutien pour gérer l'épidémie. Devrait-il y avoir collaboration entre les organismes de santé publique et le système de justice pénale et quelle forme devrait-elle prendre? Par exemple, il serait impératif d'étudier attentivement les protections et les directives sur la communication d'information sur la charge virale, et il devrait y avoir de vastes consultations à ce sujet.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous entendrons maintenant M. Morrisseau-Beck, président de l'Ontario Aboriginal HIV/AIDS Strategy.
    J'aimerais d'abord reconnaître que nous nous trouvons sur le territoire non cédé du peuple algonquin.
    Je m'appelle Duane Morrisseau-Beck et je suis président de l'Ontario Aboriginal HIV/AIDS Strategy. Je suis une personne autochtone vivant avec le VIH, et ce, depuis 27 ans. Je tiens à déclarer, concernant cette approche législative intrusive, que je ne suis ni juriste, ni avocat.
    Comme beaucoup d'autres Autochtones vivant avec le VIH, je suis sur la ligne de front pour combattre cette maladie et toutes les autres violations coloniales du Canada contre les peuples autochtones depuis 1995. Je comprends les conséquences de la loi, sur le plan professionnel comme personnel.
    Selon la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH, la criminalisation du VIH, telle qu'elle est définie dans la déclaration de consensus communautaire intitulée « End Unjust HIV Criminalization », est l'application injuste du droit pénal aux personnes vivant avec le VIH exclusivement en raison de leur séropositivité. Elle comprend le recours à des dispositions générales et criminelles ciblant spécialement les personnes atteintes du VIH, pour les poursuivre en cas de transmission non intentionnelle du VIH, d'exposition possible ou perçue au VIH et de non-divulgation de la séropositivité connue. La criminalisation du VIH est un phénomène en croissance dans le monde, qui brime les droits de la personne et nuit à la politique publique, ce qui affaiblit d'autant nos efforts de lutte contre le VIH.
    William Flanagan, professeur à l'Université Queen's a dit ce qui suit aux membres du comité le 9 avril:
La criminalisation mine la confiance à l'égard des approches volontaires de prévention et de dépistage du VIH. Cela fait en sorte que de fausses informations continuent de se répandre à propos de la nature du VIH et de ses modes de transmission. L'utilisation excessive du droit criminel nuit à la capacité des personnes vivant avec le VIH d'obtenir les soins qu'elles requièrent par crainte que leur état sérologique vis-à-vis du VIH et leurs échanges avec des professionnels des soins de la santé puissent être utilisés contre elles dans le cadre de poursuites criminelles.
    Bien que nous croyions que la criminalisation du VIH touche les personnes autochtones de tous les genres qui en sont atteintes, l'OAHAS aimerait attirer l'attention du Comité sur les effets traumatisants de cette criminalisation sur les femmes séropositives.
    Selon les données de surveillance nationale de 2017, 31 % des personnes ayant reçu un nouveau diagnostic de séropositivité seraient des femmes autochtones. En 2016, on estimait à 14 520 le nombre de femmes atteintes du VIH, et c'est chez les femmes de 30 à 39 ans qu'on trouve le plus grand nombre de diagnostics de séropositivité. Selon les estimations, la prévalence du VIH chez les femmes serait passée depuis de 22,2 % à 23,4 %.
    Dans l'exposé qu'il a présenté devant le Comité le 9 avril, M. Alexander McClelland a parlé de ses études doctorales sur l'expérience des personnes vivant avec le VIH au Canada qui ont été accusées, poursuivies ou menacées de poursuites criminelles parce qu'elles n'auraient pas divulgué leur séropositivité. Il a découvert que leurs expériences différaient beaucoup et que l'application du droit criminel, particulièrement des dispositions sur l'agression sexuelle, était ce qui leur causait plus de tort, ce qui aggravait souvent une vie marquée par la stigmatisation, les traumatismes, la honte et la discrimination.
    De même, M. Richard Elliot, directeur général du Réseau juridique canadien VIH-sida, l'a dit clairement au comité le 9 avril: « La criminalisation du VIH a également des répercussions disproportionnées sur un certain nombre de populations différentes. [...] Parmi les femmes accusées, les femmes autochtones sont surreprésentées. » L'OAHAS et toute la communauté autochtone jugent la situation très alarmante.
    L'Agence de la santé publique du Canada estime qu'entre 5 100 et 8 000 femmes vivent avec le VIH en Ontario. Les femmes autochtones représentent 4 % des personnes ayant récemment reçu un nouveau diagnostic. Il n'y a pas de statistiques sur les femmes transgenres, puisqu'on ne recueille pas de données à leur égard, comme le soulignait le Réseau ontarien de traitement du VIH en 2015, lors d'une séance d'information.
    Les femmes autochtones sont diagnostiquées plus tard, souvent au stade du sida. Les femmes autochtones sont touchées par le VIH d'une façon unique à leurs identités culturelles et de genre. Les facteurs déterminants qui prennent racine dans la colonisation créent une pauvreté persistante, une marginalisation sociale et des traumatismes non résolus qui augmentent l'exposition de ces femmes au VIH-sida. Pour ces raisons, il faut comprendre la situation des femmes autochtones à l'intersection de la violence fondée sur le sexe et du VIH-sida dans le contexte de peuples colonisés.
    Nous étions optimistes quand nous avons appris, en 2016, que l'ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada, Jody Wilson-Raybould, une femme autochtone, comprenait que la surcriminalisation de la non-divulgation de la séropositivité posait problème et qu'elle stigmatisait d'autant les personnes vivant avec le VIH ou le sida.
    En 2018, elle a produit une directive à l'intention de la directrice des poursuites pénales, qui ne s'applique qu'au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Bien que cette directive soit considérée comme un pas dans la bonne direction, elle a causé de la confusion chez les Autochtones atteints du VIH en Ontario.
    Depuis toujours, les relations que les peuples autochtones entretiennent avec le Canada sont entachées par les entraves aux droits de la personne. Ces entraves prennent leur source dans de mauvaises politiques publiques comme celles émanant de la Loi sur les Indiens, celle sur les pensionnats et celle qui a justifié l'enlèvement d'enfants dans le cadre de la rafle des années soixante. On doit à ces piètres politiques publiques la surreprésentation des Autochtones dans les systèmes de protection de l'enfance, les prisons, parmi les hommes et les femmes assassinés et disparus et la prévalence élevée de maladies chroniques et infectieuses chez les Autochtones.

  (0910)  

    Seule organisation autochtone s'occupant du VIH en Ontario, l'OAHAS assure la mise en oeuvre d'un plan stratégique quinquennal qui prendra fin en 2024. L'un de nos cinq objectifs consiste à fournir de l'information et des mesures de soutien pour prévenir la transmission du VIH et des autres ITSS aux Autochtones et dans leurs communautés. Comment allons-nous atteindre cet objectif alors même que la criminalisation mine nos efforts de sensibilisation et de prévention au sein des collectivités autochtones de l'Ontario? Comment allons-nous atteindre l'objectif 90-90-90 d'ONUSIDA ou mener la campagne de prévention I=I alors même que nous devons composer avec des mesures d'application de la loi qui entravent tous nos efforts en même temps que ceux du Canada? Une telle application beaucoup trop large du droit pénal a des effets catastrophiques. Elle dissuade les gens de se soumettre à un test de dépistage, d'obtenir des soins de santé lorsque les résultats du test sont positifs ou d'accéder au traitement antirétroviral.
    Jamais un problème de santé n'a été criminalisé de la manière dont le VIH continue de l'être. Si vous ne dites pas à votre partenaire que vous avez le VIH, on peut vous accuser de voies de fait graves et inscrire votre nom au registre des délinquants sexuels. Comme les membres de la communauté autochtone doivent déjà composer au quotidien avec les préjugés, les traumatismes, la honte et la discrimination, une telle mesure ne fait qu'exacerber la méfiance qu'ils nourrissent envers les lois, les politiques et les institutions du gouvernement. L'application de cette loi aux femmes autochtones séropositives devrait être considérée comme une forme structurelle de violence fondée sur le sexe. La criminalisation non justifiée a un effet dévastateur non seulement sur ceux qui sont accusés et reconnus coupables. Elle a aussi une incidence très négative sur les initiatives globales de prévention et de traitement du VIH. L'application injustifiée du droit pénal est un véritable drame pour les femmes autochtones séropositives ainsi que pour la communauté séropositive dans son ensemble.
    En tant qu'État membre des Nations unies, le Canada s'est engagé à promouvoir un environnement social et juridique propice à la divulgation sans risque et volontaire du VIH, conformément à la Déclaration politique sur le VIH et le sida de 2006. Le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, ONUSIDA et la Commission mondiale sur le VIH et le droit ont aussi recommandé expressément au Canada qu'il limite la portée de l'application du droit pénal aux seuls cas où il y a eu transmission intentionnelle du VIH.
    À l'occasion de la Conférence internationale sur le sida de 2018 à laquelle j'ai assisté, le Journal of the International AIDS Society publiait une déclaration de consensus d'experts sur la connaissance scientifique relative au VIH dans le contexte du droit pénal. Cette déclaration a été appuyée par la Société internationale sur le sida, l'Association internationale des fournisseurs de soins de santé en VIH (IAPAC) et ONUSIDA, les trois organisations scientifiques de pointe pour le VIH à l'échelle planétaire. Nous tenons à remercier la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH qui, de concert avec ses organisations partenaires, mène la charge dans cet important dossier pour la défense des droits de la personne.
    Comme des élections se tiendront en octobre prochain, nous vous recommandons d'intervenir sans tarder auprès du procureur général du Canada et de ses homologues des provinces et des territoires afin qu'ils prennent les mesures nécessaires, dans leurs sphères de compétence respectives, et en consultation avec les personnes vivant avec le VIH et les organisations oeuvrant auprès de ces personnes, les fournisseurs de services, les militants pour les droits des femmes et les experts scientifiques, pour limiter le recours injustifié au droit criminel à l'encontre des personnes vivant avec le VIH. L'OAHAS recommande en outre que toute réforme entreprise fasse en sorte que la notion d'agression sexuelle ne soit plus prise en compte dans l'application de la loi en pareilles circonstances.
    Voici ce qu'écrivait le premier ministre en 2015 dans la lettre de mandat du ministre de la Justice et procureur général du Canada:
En votre qualité de ministre de la Justice et de procureur général du Canada, votre objectif primordial consistera à veiller à ce que notre législation respecte les normes les plus élevées en matière d'équité, d'impartialité et de respect de la primauté du droit. Je m'attends à ce que vous preniez les dispositions nécessaires pour vous assurer que nos initiatives sont conformes à la Constitution du Canada et aux décisions des tribunaux, et qu'elles s'inscrivent dans les traditions juridiques qui font toute notre fierté. Vous devrez veiller à la protection des droits des Canadiens et des Canadiennes, faire en sorte que nos travaux respectent le plus possible la Charte canadienne des droits et libertés et veiller à ce que notre gouvernement tente d'atteindre ses objectifs stratégiques d'une manière qui, dans la mesure du possible, ne porte pas atteinte aux droits des Canadiens et des Canadiennes, ni à leur vie privée.
    Cet énoncé traduit assez bien les sentiments véritables qui sont exprimés aujourd'hui. Le Canada doit respecter ses engagements envers ses citoyens et les personnes qui résident au pays. Comme nous sommes titulaires de droits reconnus par l'article 35 de la Constitution, il faut absolument que le Canada cesse de s'en prendre inutilement et de façon très invasive à nos communautés et qu'il continue de travailler dans le sens de la réconciliation. C'est ainsi qu'il pourra assurer la protection des Autochtones vivant avec le VIH, maintenant comme dans les années à venir.
    L'époque où l'on empiétait sur les droits et la vie privée des Canadiens devrait être révolue. Nous vous exhortons d'agir d'une manière qui assurera le maintien des traditions juridiques qui font notre fierté aussi bien au Canada qu'à l'échelle internationale.
    Meegwetch.

  (0915)  

    Merci beaucoup.
    Alors que nous amorçons la période consacrée aux questions des membres du Comité, je vous signale que nous avons perdu momentanément la communication avec Mme Ongoiba. Nous allons garder un oeil sur l'écran pour voir quand elle sera de retour. D'ici là, je vous prierais d'adresser vos questions à nos trois autres témoins.
    Nous débutons par M. Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    Je vais poser ma première question à MM. Vijayanathan et Mykhalovskiy.
    Vous avez tous les deux indiqué qu'une réforme du droit pénal ferait en sorte que deux éléments, à savoir l'intention et la transmission, seraient requis pour qu'une personne soit reconnue coupable dans un cas de non-divulgation du VIH. J'aimerais savoir comment vous justifiez une telle approche. En effet, il serait ainsi possible qu'un individu commettant des actes répréhensibles sans toutefois transmettre le virus s'en tire impunément alors qu'un autre se retrouverait derrière les barreaux parce qu'il y a eu effectivement transmission. Comment justifiez-vous cela?

  (0920)  

    À la lumière de mon expérience des 19 dernières années auprès de personnes vivant avec le VIH, je peux vous dire que la vaste majorité d'entre elles ne souhaitent pas transmettre le virus. En fait, les gens qui reçoivent le diagnostic ont plutôt tendance à se replier sur eux-mêmes. Les cas de transmission intentionnelle sont très rares. Je crois que l'établissement de la preuve dans le cadre du processus judiciaire permet généralement de déterminer si c'était intentionnel ou non.
    Je peux vous dire que les gens qui s'adressent à nous sont plutôt craintifs et hésitants. Leur relation a pris fin lorsqu'ils ont appris à leur conjoint qu'ils étaient séropositifs ou quand celui-ci l'a découvert. Ils ont en fait décidé de ne plus avoir de relations sexuelles avec leur partenaire de crainte de lui transmettre le virus. Compte tenu de tous les préjugés associés au VIH et des comportements que l'on constate dans la plupart des cas, je dirais qu'il serait plutôt facile de prouver devant un tribunal canadien qu'il y a eu intention dans un cas de transmission.
    Nous ne sommes pas en train de dire que le droit pénal ne devrait intervenir d'aucune manière dans les cas de non-divulgation du VIH. Nous soutenons plutôt qu'il devrait s'appliquer uniquement aux comportements les plus répréhensibles dans les circonstances où il y a à la fois intention et transmission. Cette application doit être guidée par les meilleures connaissances scientifiques à notre disposition au sujet des risques de transmission. Si l'on examine les suites de l'arrêt Mabior, on note une augmentation de la proportion de causes où il n'y a pas transmission, alors que l'on aurait pu penser que les choses allaient s'améliorer. J'estime qu'il faut s'efforcer d'inverser cette tendance.
    D'accord, mais j'essaie de comprendre ce qui arrive dans les situations où il n'y a pas eu transmission bien que le prévenu ait eu une conduite vraiment répréhensible, soit parce qu'il ne s'est pas conformé aux directives de la santé publique, qu'il a tiré avantage délibérément de la vulnérabilité d'une personne, ou qu'il a menti quant à sa séropositivité et qu'il ne suivait pas un traitement antiviral. Je ne parle pas ici de l'une des trois ou quatre situations, comme le sexe oral, où les données scientifiques indiquent très clairement que les risques de transmission sont à peu près nuls. Dans les cas où le risque est considérable et qu'un individu a un comportement répréhensible sans qu'il y ait toutefois transmission, comment justifiez-vous le fait que des accusations criminelles ne seraient pas portées, alors qu'un autre individu agissant exactement de la même manière serait inculpé parce qu'il y a eu effectivement transmission? J'essaie simplement de comprendre la distinction.
    Je veux qu'une chose soit bien claire. Il vaudrait sans doute mieux poser la question à un spécialiste du droit ou à un avocat, ce que je ne suis pas.
    Je vais plutôt vous répondre à titre de sociologue qui s'intéresse aux schémas et aux tendances. Nous pouvons ainsi constater que les poursuites judiciaires prennent une direction qui s'éloigne des indications à notre disposition concernant les risques de transmission du VIH. Dans ce contexte, il serait préférable de nous réorienter vers un recours moins large au droit pénal en nous limitant aux seules circonstances où...
    Désolé, mais je dispose de très peu de temps.
    En quoi le droit pénal a-t-il fait fausse route? Pouvez-vous nous citer quelques cas?
    Depuis l'affaire Mabior, le Réseau juridique VIH/sida a recensé en Ontario 10 causes où des accusations criminelles ont été portées et des poursuites ont été intentées dans certains cas alors même que la charge virale était indétectable ou qu'il n'y avait aucun risque de transmission.
    Nous pouvons désormais heureusement compter sur la directive fédérale, que j'appuie, soit dit en passant, qui préciserait les choses en pareil cas, si bien que de telles interprétations ne seraient pas envisageables, n'est-ce pas?
    L'Ontario a sa propre directive...
    Non, elle n'a pas sa propre directive. Il y a eu seulement un énoncé de politique de la part de la procureure générale. La directive fédérale s'applique seulement aux territoires. Elle ne s'applique pas dans les provinces.

  (0925)  

    Vous avez tout à fait raison, mais si l'on devait appliquer cette directive, cela éliminerait cette possibilité.
    Pour répondre à votre question, je vous dirais qu'il y a un certain nombre de cas où des personnes ont fait l'objet de poursuites pénales et ont été reconnues coupables alors que leur charge virale était faible et indétectable. D'après ce que j'ai pu comprendre à la lecture...
    Pour que les choses soient bien claires, permettez-moi de vous rappeler l'affaire Aziga. L'individu en question a eu des relations sexuelles avec 11 victimes sans leur révéler sa séropositivité. Deux d'entre elles sont mortes après avoir été infectées par le VIH. Cinq autres ont contracté le virus. Les quatre victimes restantes ont été exposées à un risque élevé de transmission. C'est le genre de situation dont nous parlons ici.
    Merci, monsieur Cooper.
    Il y a eu dans le cas que vous citez transmission du virus, si bien qu'il y aurait par conséquent des poursuites pénales.
    Les témoins n'ont pas pu m'expliquer la distinction à faire entre les cas où il y a transmission ou non lorsqu'un individu a un comportement répréhensible.
    Je comprends.
    Peut-être y aurait-il d'autres questions dans le même sens.
    Madame Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos invités de leur présence ainsi que de leurs témoignages.
    J'aimerais obtenir des précisions concernant certaines questions qui ont été posées et je vais d'abord m'adresser à vous, monsieur Mykhalovskiy.
    Peut-on affirmer qu'il n'est pas très courant que quelqu'un propage intentionnellement ce virus?
    Oui.
    Avons-nous un relevé du nombre de cas semblables en l'espace d'un an ou depuis un certain nombre d'années? Combien y a-t-il eu de cas où quelqu'un a intentionnellement transmis le VIH à une victime qui n'était pas au courant?
    Je ne crois pas qu'il soit possible de répondre à cette question, car cela ne fait pas partie des éléments utilisés pour porter des accusations.
    D'accord, mais vous avez bien dit qu'il était très rare que des gens transmettent intentionnellement un virus en vue de causer du tort à d'autres personnes.
    Comme mon collègue l'indiquait, il ne fait aucun doute que les personnes vivant avec le VIH prennent généralement toutes les précautions nécessaires pour assurer la santé et la sécurité de leurs partenaires sexuels.
    Croyez-vous alors que ces craintes de voir des gens s'employer intentionnellement à propager le VIH sont liées aux préjugés associés à la maladie ainsi qu'aux considérations démographiques qui entrent en jeu?
    Les reportages médiatiques au sujet des causes criminelles contribuent certes à alimenter ce genre de perceptions au sein de la population. Il y a quelques années, j'ai eu l'occasion de lire tous les articles que nous avons pu trouver dans les journaux concernant les causes criminelles de non-divulgation du VIH depuis les tout débuts jusqu'aux environs de 2016. Il y avait au total quelque 1 600 articles. Dans presque tous les cas, on dépeignait le prévenu comme un individu ignoble, impitoyable et n'ayant aucune considération pour qui que ce soit. C'est d'ailleurs conforme à la façon dont un de vos collègues du Comité vient de présenter les choses.
    Alors que je citais un cas précis?
    Pour répondre à la question, je dirais que c'est effectivement ce que font les médias.
    Ils ont concentré leur attention sur un petit nombre de cas — quatre en fait — impliquant des prévenus noirs d'origine africaine ou antillaise. Je pense qu'environ 60 % des articles portaient exclusivement sur ces cas-là. Il en ressort un profil des personnes ne divulguant pas leur séropositivité qui les présente comme des individus appartenant à une minorité raciale qui sont très sexualisés, irresponsables et insensibles. C'est le genre de portrait que l'on en brosse dans les médias, ce qui contribue selon moi à alimenter ces stéréotypes.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Vijayanathan, certaines de vos recommandations traitaient également des préjugés et de leur impact sur les communautés d'origine sud-asiatique, ou les minorités visibles d'une manière générale. Je vais aussi poser la question aux deux autres groupes représentant des minorités, mais j'aimerais que vous nous expliquiez d'abord une ou deux choses... Nous traitons de réforme juridique, mais comment pouvons-nous lutter contre les préjugés afin de vraiment nous assurer que les gens seront de moins en moins nombreux à transmettre le virus?
    Pouvez-vous nous parler de certaines des répercussions pour les minorités touchées et peut-être même du racisme dont elles sont victimes en nous indiquant quelles mesures pourraient être prises, outre la réforme juridique, pour atteindre l'objectif 90-90-90?

  (0930)  

    Comme Eric le mentionnait, il y a des stéréotypes qui sont véhiculés quant à savoir qui contracte le VIH, comment il est contracté et comment il se propage. C'est malheureusement la forme qu'ont pris les reportages publiés à la suite de l'épidémie que nous avons connue au départ, un phénomène que nous constatons encore aujourd'hui. En traitant de la criminalisation du VIH en tant que virus, on continue de l'associer à une condamnation à mort dans la honte comme si cela n'allait jamais changer et comme si les gens n'allaient pas pouvoir profiter d'une longue vie active et en santé, comme c'est le cas actuellement grâce au traitement et aux technologies qui sont accessibles.
    À titre d'exemple, lorsque des membres de la communauté sud-asiatique obtiennent un résultat positif pour le test de dépistage du VIH, un de nos employés les accompagne à la clinique d'aide juridique pour le VIH-sida ou à la clinique d'aide juridique pour la communauté sud-asiatique de l'Ontario immédiatement après leur diagnostic. On le fait avant même qu'ils obtiennent les soins médicaux requis, simplement parce qu'ils ont besoin de conseils juridiques quant à la façon dont ils doivent déclarer leur situation, au moment où ils doivent le faire et aux personnes qu'ils doivent informer. Chacun obtient ainsi le soutien dont il a besoin, car nous ne voulons pas que les préjugés relatifs au VIH viennent s'ajouter au racisme dont les gens de ma communauté sont victimes en raison de la couleur de leur peau.
    Nous avons un important problème sur les bras. En raison de cette notion de criminalisation et compte tenu des quelques cas qui sont relatés dans les médias, bien des gens craignent de passer un test de dépistage compte tenu des répercussions qui pourraient s'ensuivre pour eux. Au Canada, plusieurs des nôtres ont perdu leur emploi, quand ce n'est pas leur famille et leurs amis, ce qui contribue à dissuader les gens de se soumettre à un test de dépistage. Nous sommes donc prêts à envisager la possibilité de considérer qu'il s'agit d'une maladie chronique gérable, comme l'a indiqué l'Agence de la santé publique du Canada. Nous devrions agir de façon responsable en ne portant pas d'accusations d'agression sexuelle grave et en nous en remettant à ce qui est prévu quant à la façon dont un individu ayant commis un crime doit répondre de ses actes.
    Il faudrait vraiment que nous puissions aborder la problématique des préjugés et de la discrimination et en arriver à comprendre pourquoi les gens agissent de la sorte. Nous pourrons ainsi les inciter à faire plus rapidement pour subir un test de dépistage, avoir accès au traitement et maintenir une charge virale indétectable. Ils deviendront du même coup un fardeau moins lourd aussi bien pour notre système de santé que pour notre système judiciaire.
    Monsieur Garrison.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens à remercier nos témoins de leur présence aujourd'hui. Comme les Canadiens marginalisés font souvent l'objet de poursuites, de nombreux membres du Comité souhaitaient que nous puissions entendre leurs représentants, et il est vraiment bénéfique que nous puissions le faire aujourd'hui.
    J'aurais d'abord une question dans le contexte des entraves au dépistage. D'après ce que j'ai pu moi-même constater, les personnes marginalisées font déjà face à de nombreux obstacles lorsque vient le temps de subir un test de dépistage, et voilà que l'on en ajoute un autre.
    Je vais d'abord m'adresser à M. Morrisseau-Beck.
    J'ai eu l'occasion de discuter du traitement du sida lors de visites dans certaines communautés nordiques, et les gens m'ont parlé de facteurs comme la réticence à consulter des professionnels de la santé dans les petites collectivités en raison des préjugés et du fait que tout le monde se connaît. J'aimerais que vous nous disiez un mot des problèmes d'accès au dépistage et au traitement qui existent déjà, sans même parler des effets éventuels de la criminalisation.
    C'est une excellente question à laquelle je vais essayer de répondre très brièvement. Notre organisation s'intéresse déjà à cette problématique, car l'accès aux soins de santé pose une nouvelle série de difficultés dans nos communautés nordiques où les gens font déjà l'objet de préjugés et de discrimination.
    De concert avec nos partenaires dans différents secteurs où nous offrons des services, nous essayons de trouver des moyens pour éliminer quelques-uns de ces obstacles. Il y a notamment un effort de sensibilisation qui est fait auprès des Autochtones eux-mêmes.
    C'est une situation qui perdure depuis de trop nombreuses années, soit depuis l'épidémie que nous avons connue au départ. Lorsque j'ai obtenu un résultat positif à mon test de dépistage, je me rappelle à quel point il a été difficile d'avoir accès aux différents services et programmes offerts. C'est dans ce contexte que nous amorçons à peine un processus qui devrait nous permettre de définir la nature des obstacles qui se dressent devant nous pour tenter de les éliminer.
    Merci.
    Monsieur Vijayanathan, voudriez-vous nous parler de la situation des communautés sud-asiatiques en répondant à la même question?

  (0935)  

    Ce phénomène du « tout le monde se connaît » se manifeste également au sein des communautés de l'Asie du Sud et du Moyen-Orient, particulièrement pour les nouveaux arrivants au pays et ceux qui essaient de s'y retrouver dans notre système.
    Il arrive souvent que l'argent soit un obstacle au dépistage, surtout pour les ressortissants étrangers et les étudiants internationaux tout particulièrement, car ils doivent assumer des droits de scolarité deux fois plus élevés. Ces gens-là ne bénéficient pas d'une couverture d'assurance suffisante pour avoir accès au dépistage et au traitement, notamment. Voilà autant de barrières qui se dressent devant eux.
    Pour ceux qui sont reconnus coupables d'avoir commis un crime, la situation se complique encore davantage. En tant qu'organisme de services sociaux, nous pouvons aider les personnes qui s'adressent à nous à surmonter une partie de ces obstacles en les aiguillant vers les services qui sont disponibles. L'exercice devient toutefois plus périlleux quand l'obstacle est de nature criminelle, et nous devons alors faire appel aux cliniques juridiques pour le VIH-sida.
    Merci beaucoup. J'ai l'impression que le Parlement est maintenant déterminé à procéder à une véritable réforme.
    J'ai une autre question qui s'articule autour des deux volets de cette problématique, à savoir l'aspect juridique et l'aspect santé publique. Y a-t-il d'autres dispositions du Code criminel ayant pour effet de criminaliser certains comportements qui peuvent contribuer aussi à cette crainte du dépistage? J'inclurais dans ce contexte la criminalisation du travail sexuel et celle de la consommation de drogues.
    Je vais demander d'abord à M. Vijayanathan de répondre.
    Voilà les choses auxquelles nous devons faire face tous les jours. Bon nombre des gens avec lesquels nous travaillons se sont livrés au commerce du sexe dans le passé ou consomment régulièrement de la drogue pour diverses raisons. On criminalise le comportement plutôt que de regarder la personne et ses problèmes et de trouver un moyen de les aider à avancer. Dans bien des cas, il faut éduquer les gens. Je le répète, nous réussissons bien à ce chapitre, mais là, on ne se soucie pas de leur santé, alors qu'on devrait. Nous sommes aux prises avec un problème juridique. Si nous emmenons les gens à une clinique juridique avant même de consulter un professionnel de la santé, nous les décourageons encore plus de suivre un traitement ou de demander activement des soins de santé.
    Monsieur Morrisseau-Beck, avez-vous des commentaires sur les autres aspects du droit pénal qui pourraient avoir une incidence sur l'accès aux services ou au dépistage?
    Nous travaillons avec des populations marginalisées, les sans-abri et les personnes qui se livrent au commerce du sexe. Il devient très difficile de s'approcher de ces gens menacés par la criminalisation lorsqu'ils sont déjà aux prises avec des procédures criminelles. Ce n'est pas facile. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, nous avons du mal à établir un climat de confiance avec ces gens si la criminalisation est un facteur.
    Merci.
    Il vous reste 20 secondes, monsieur Garrison.
    J'allais juste poser la même question à Mme Ongoiba sur les obstacles au dépistage dans la communauté afro-canadienne et antillaise.

[Français]

     Je vais répondre en français.
    Oui, absolument. Vous pouvez répondre en français.
    D'accord, merci.
    J'ai écouté les buts poursuivis par les uns et les autres. Comme je l'ai dit dans mon plaidoyer, la criminalisation joue beaucoup sur la réussite de la prévention du VIH-sida.
    Avant d'arriver au Canada, les Africains ont fait le test de VIH-sida dans leur pays. S'ils sont infectés, ils ne peuvent même pas obtenir de visa. Même les étudiants qui viennent au Canada ne doivent pas être infectés.
    Quand les gens viennent nous voir, à Africains en partenariat contre le sida, une association de Toronto, nous leur donnons de l'information sur la situation au Canada. Dans le pays de ces gens, des panneaux ou des pancartes les informent bien au sujet du sida. Ils connaissent l'existence de cette maladie et ils se protègent; ils en discutent entre eux. Par contre, dès qu'ils mettent les pieds au Canada, rien ne les informe que le sida existe aussi ici. Donc, la plupart du temps, les gens seront infectés ici même, au Canada. Nous faisons de notre mieux pour leur rappeler que le sida existe partout, au Canada comme en Afrique, et qu'il faut prendre des précautions.
    Nous avons commencé à travailler avec le Centre francophone de Toronto pour donner de l'information aux points d'entrée, par exemple à l'aéroport. S'ils viennent au Canada pour la première fois, ils passent par l'immigration. Des feuillets d'information font maintenant partie de la trousse qu'on leur remet. Ils savent comment naviguer dans tout cela et avec qui communiquer.
    Nous les éduquons au sujet du VIH-sida, afin d'éviter qu'ils soient infectés. Si cela arrive, nous leur disons où ils peuvent s'adresser pour avoir accès aux soins et aux services dont ils ont besoin.

  (0940)  

     Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à M. Virani, qui va partager son temps de parole avec moi, s'il en reste.

[Traduction]

    Je crois que le Comité aurait intérêt à examiner le concept de tentative à la lumière de certaines des questions posées. La notion de tentative est décrite à l'article 463 du Code criminel, et cela pourrait répondre aux préoccupations soulevées par M. Cooper. De plus, s'il est question d'agressions sexuelles, il existe des dispositions qui précisent les cas où le consentement est invalidé à cause de la fraude. Le Code criminel contient déjà des dispositions qui pourraient permettre de répondre aux questions soulevées.
    J'aimerais commencer par M. Vijayanathan.
    Haran, je vous connais de réputation par l'entremise de mon épouse qui a été présidente de votre conseil. Je constate votre travail à la fois ici et à Toronto. Vous êtes bien évidemment fort modeste, parce que vous avez négligé de mentionner votre rôle de leader dans le cadre de l'enquête sur Bruce McArthur et les meurtres en série au sein de la communauté LGBTQ2 à Toronto. Vous avez occupé un grand rôle de leader en assurant la liaison avec les dirigeants municipaux, notamment les forces de l'ordre.
    Je vous en félicite, mais j'aimerais savoir dans quelle mesure cela est pertinent ici, car on nous a dit aujourd'hui mais également lors d'autres séances que c'est bien beau d'avoir des directives, il faut encore qu'elles soient appliquées sur le terrain.
    Pouvez-vous nous parler du travail qui devra être fait afin de s'assurer que les policiers et les procureurs de la Couronne comprennent bien la science et s'en servent pour étayer leurs décisions quant aux chefs d'accusation et aux poursuites?
    Tout à fait.
    Lorsqu'il y a enquête sur une personne disparue, les policiers, les gens de première ligne, ne comprennent pas comment les gens procèdent pour faire un signalement. Lorsque ces policiers mènent leur enquête, ils s'appuient sur des lois qu'ils ne comprennent peut-être pas, qui ont changé, et ainsi de suite. Par exemple, on dit actuellement aux policiers de l'Ontario de communiquer avec la Couronne avant de porter des accusations. C'est en fait une excellente nouvelle, mais seule une poignée de policiers le savent.
    On travaille là-dessus; c'est positif. Toutefois, les lois et les principes directeurs existants ouvrent la voie à une mauvaise représentation et interprétation au sein des communautés. Si seulement quelques personnes ont les connaissances nécessaires, ces connaissances sont mal utilisées, et du temps qu'une personne passe par le système et en ressort, on en fait des reportages biaisés dans les médias et beaucoup plus de gens en subissent les conséquences. Ces gens n'iront pas faire des tests de dépistage ou remettront ça à plus tard et attendront avant de suivre un traitement et demander un soutien.
    Voilà comment ça se passe dans la vraie vie. Je le répète, notre système juridique est équitable et juste. Du moins, j'aimerais bien le croire. Nous avons des processus, mais comme je l'ai dit dans ma déclaration, si nous n'arrivons pas à communiquer avec les gens et les appuyer en travaillant ensemble dans la communauté, si les gens, les conseillers juridiques et les fonctionnaires ne se rencontrent pas et évitent de regarder ce qui se passe à l'échelle locale, d'en discuter et de prévoir comment les choses se dérouleront, il sera très difficile de mettre en oeuvre la politique. Cependant, si tout le monde s'y met, la tâche devient plus facile.
    Il me reste environ deux minutes, et j'aimerais poser une question à vous-même et à M. Morrisseau-Beck. Mme Ongoiba et d'autres personnes nous ont parlé des répercussions disproportionnées sur la communauté noire canadienne, mais également sur les peuples autochtones, et vous nous parlez des communautés LGBTQ de l'Asie du Sud et du Moyen-Orient.
    Si l'on écarte la notion d'un agresseur sexuel violent des dispositions de mise en accusation, quelle en sera l'incidence sur vos clients, à ASAAP et au sein de la communauté autochtone desservie par l'organisme de M. Morrisseau-Beck?
    Il y aurait une incidence majeure, car à ce moment-là, on enlèverait la sévérité de la loi. Beaucoup de gens ont peur d'aller en prison, ils ont peur de toute interaction avec le système juridique pénal.
    Si nous retirons ces termes qui inspirent la crainte, les gens pourront alors venir se faire expliquer la loi et être renseignés et soignés comme il faut. J'en suis sûr, compte tenu de l'histoire de la communauté LGBT dans ce pays, de l'illégalité de son existence, notamment l'homosexualité qui a été criminalisée à une époque et ensuite décriminalisée. Malheureusement, les maisons de débauche sont encore visées par certaines lois dans le système juridique. Toutefois, parce que leur existence a été décriminalisée en 1969, nous avons pu éduquer les gens et travailler auprès d'eux.

  (0945)  

    Monsieur Morrisseau-Beck, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Oui, j'abonde dans le même sens que mon collègue.
    Les peuples autochtones ont été écrasés et opprimés par l'État du Canada, et nous éprouvons beaucoup de difficultés dans nos efforts de prévention et de sensibilisation dans les communautés autochtones. En retirant ce langage et en reformulant la disposition, nous pourrions travailler avec nos communautés de façon plus ciblée et, espérons-le, commencer à faire baisser le taux de séropositivité dans nos communautés.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Je cède la parole à M. Housefather.
    Merci beaucoup.
    J'aimerais revenir au but de notre étude, c'est-à-dire si nous devons ou non recommander la réforme du droit pénal.
    Ma prochaine question est destinée à M. Mykhalovskiy.
    Dans votre réponse à M. Cooper, vous avez dit que c'était une question d'ordre juridique. À mon avis, c'est plutôt une question éthique et j'aimerais y revenir. Le droit pénal repose sur l'éthique. J'y vois deux problèmes particuliers. De un, quel critère utilisons-nous pour porter des chefs d'accusation contre quelqu'un? Est-ce s'il y a ou non transmission de l'infection? De deux, il y a la question de l'intention. Il me semble que vous dites tous les deux qu'il devrait y avoir à la fois intention et transmission de l'infection.
    Permettez-moi de soumettre à vous, qui êtes sociologue, un autre scénario de nature éthique. Vous avez quelqu'un dont la charge virale est élevée, qui ne prend pas de médicaments antiviraux et qui sait qu'il est infecté. Cette personne s'adonne à des comportements sexuels qui pourraient mener à la transmission de la maladie, que ce soit des rapports vaginaux ou anaux avec une autre personne. Cette personne se trouve dans un couple où il y a des rapports entre égaux, sans coercition, et son partenaire demande: « Es-tu séropositif? J'aimerais le savoir avant que je couche avec toi. » La personne ment et répond: « Non, je ne le suis pas », auquel cas le partenaire décide de ne pas utiliser de préservatif ou de se livrer à des actes sexuels qu'il n'aurait pas acceptés si la réponse avait été oui, et le virus est transmis de l'un à l'autre.
    Il y a donc transmission de l'infection et un comportement irresponsable. La personne n'a pas voulu transmettre le virus, mais elle s'est comportée de façon irresponsable et a transmis le virus. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi cette personne ne devrait pas faire l'objet de poursuites?
    Décider si des comportements irresponsables doivent être interprétés comme étant une tentative relève du domaine juridique. Il faudrait discuter du recours au droit pénal dans de telles circonstances. Je ne pense pas que l'on puisse affirmer qu'il n'y a pas de conséquences pénales dans les cas de comportements irresponsables graves, ou quel que soit...
    C'est exactement ce que je cherche à savoir, plutôt que de parler d'« intention », terme utilisé par tout le monde, le critère pourrait être l'« irresponsabilité ».
    Je ne peux répondre à votre question parce que j'ignore quelles seraient les répercussions juridiques de la définition d'« irresponsabilité » aux yeux de la loi. Vous avez reçu des juristes pendant toute la semaine.
    Nous leur avons posé la question.
    À ce moment-là, je ne sais pas trop ce que je pourrais ajouter. Vous me posez une question sur... j'ignore quelle serait la définition d'« irresponsabilité » aux yeux de la loi et comment on pourrait l'appliquer de façon générale. Ce que nous avons vu dans le passé, c'est que les procureurs utilisent le chef d'accusation qui leur convient pour obtenir une condamnation. Je crois qu'il faut plutôt encourager un recours sélectif et éclairé au droit pénal et discuter des critères à retenir.
    Je vois. Je voulais juste m'expliquer.
    Merci beaucoup. Je vous remercie tous.

[Français]

     Merci beaucoup.
    J'espère que ce n'était pas trop difficile de nous parler depuis Saskatoon.

[Traduction]

    Encore une fois, je vous fais part de mes remerciements. Vos témoignages nous sont très utiles.
    Nous prendrons une courte pause avant d'accueillir le prochain groupe de témoins.
    Je prie le prochain groupe de témoins de venir s'installer.

  (0945)  


  (0955)  

    Reprenons. Nous accueillons notre deuxième groupe de témoins de la journée.
    Monsieur Shannon Ryan, directeur exécutif de la Black Coalition for AIDS Prevention, témoignera de Toronto. Soyez le bienvenu, monsieur Ryan.
    Madame Kate Salters témoignera depuis Vancouver. Elle représente le British Columbia Centre for Excellence in HIV/AIDS. Bienvenue à vous.
    Ici à Ottawa, nous accueillons Jennifer Klinck, présidente du comité juridique du Fonds Égale Canada pour les droits de la personne. Bienvenue.
    Nous commençons par les gens qui témoignent par vidéoconférence par crainte de perdre la connexion. Nous commencerons donc par M. Ryan.
    Monsieur Ryan, vous avez la parole.
    Bonjour à tous. Je remercie les membres du Comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.
    Je m'appelle Shannon Thomas Ryan et je suis directeur exécutif de la Black Coalition for AIDS Prevention, qui s'appelle également Black CAP. Nous sommes un organisme à but non lucratif voué à la lutte contre le VIH dans les communautés africaines, antillaises et noires de Toronto. Nous offrons nos services depuis 30 ans et nous sommes le plus grand organisme qui cible le VIH chez la population noire. Chaque année, nous travaillons auprès de plus de 300 personnes noires séropositives.
    Je suis à la tête de l'organisme depuis presque 13 ans, et au fil du temps, j'ai vu les lourdes répercussions de la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité sur les Canadiens séropositifs et plus particulièrement les Canadiens noirs séropositifs.
    Vous avez entendu bon nombre de témoins bien qualifiés sur la question, et je ne m'aventurerai pas dans les domaines scientifique ou juridique. D'autres témoins ont bien parlé des progrès au chapitre du traitement, de l'aspect scientifique de la transmission du virus, de la nature injuste de la loi dans ce domaine et des nouvelles idées quant aux réponses à la non-divulgation.
    Black CAP appuie fortement ces positions. Nous appuyons également le mémoire portant sur la décriminalisation du VIH au Canada que vous a soumis récemment le Réseau juridique canadien VIH/sida. Il tient compte de l'opinion de notre secteur et de la réalité des personnes séropositives au Canada.
    J'aimerais vous parler aujourd'hui de l'incidence particulière et unique de la criminalisation de la non-divulgation sur les personnes noires au Canada. Comme vous le savez peut-être, les Noirs sont particulièrement touchés par l'épidémie de VIH au Canada. Selon l'Agence de la santé publique du Canada, les personnes noires représentent presque 22 % de tous les cas de séropositivité au pays, alors qu'elles ne représentent qu'environ 3,5 % de la population. Les Noirs ont également un taux d'incidence fortement disproportionnée, soit environ 6,4 fois plus que les personnes d'autres groupes ethniques vivant au Canada.
    Nous savons aussi qu'entre 2012 et 2016, environ la moitié des personnes accusées de ce crime étaient des hommes noirs. Il est également important de souligner le portrait dressé dans les médias des Noirs au Canada accusés de ce crime. Selon un rapport publié en 2016, les communautés noires sont décrites de façon différente que les autres dans les médias. Le rapport indique que les hommes africains, antillais et noirs séropositifs sont fortement représentés parmi les accusés racialisés, et tandis que les hommes noirs représentent environ 20 % de ceux accusés de non-divulgation du VIH au Canada, ils font l'objet de 62 % des articles qui portent sur ces cas. Le rapport mentionne également qu'il y a plus de 2,5 fois le nombre d'articles qui portent sur des accusés noirs que blancs. C'est énorme.
    Nous savons que bon nombre de Noirs ont été injustement accusés d'agressions sexuelles et ont été déportés vers leur pays d'origine en raison des chefs d'accusation, qu'ils soient fondés ou non.
    Cela nous en dit long sur la façon dont les Canadiens noirs séropositifs sont visés par la loi portant sur la non-divulgation. Cette réalité appuie notre affirmation selon laquelle les personnes noires au Canada portent un fardeau lourd et disproportionné lié à l'épidémie de VIH et aux chefs d'accusation de non-divulgation.
    J'aimerais citer le rapport récent du CACVO intitulé « Criminals and Victims? ». Le rapport souligne l'incidence de la racialisation ou du processus selon lesquels les groupes qui ne sont pas blancs sont désignés comme étant différents et reçoivent un traitement inique à cause de leur race, ethnicité, langue, religion ou culture. Il va sans dire que la criminalisation de la non-divulgation du VIH est un problème fortement racialisé si l'on tient compte des expériences des personnes noires vivant avec le VIH au Canada. Cette racialisation est créée par un racisme soutenu et institutionnel anti-noir au Canada. Afin de comprendre comment la criminalisation de la non-divulgation du VIH est un problème racialisé et de concevoir des interventions et des réponses convenables, nous devons reconnaître le legs historique du racisme et de l'injustice dans le cadre de la criminalisation contemporaine de l'exposition au VIH. Un racisme profond et institutionnel à l'égard des Noirs figure depuis longtemps dans les interactions des personnes noires avec la police, les tribunaux et les prisons, et des croyances et pratiques racistes perdurent dans le système de justice pénale du pays depuis des centaines d'années.
    Aujourd'hui, les rapports entre la police et le système pénal et les personnes noires au Canada sont tout aussi perturbants. Nous le savons tous. Les communautés racialisées sont victimes d'un zèle policier, et le profilage racial est très bien documenté. Les personnes racialisées ont tendance à être sous-représentées parmi les avocats, les juges et les jurys, ce qui amène bon nombre d'accusés à croire que justice ne sera pas faite parce que le système ne les comprend pas ou ne les représente pas.
    On critique également les avocats et les juges qui entretiennent des attitudes et des opinions stéréotypiques à l'égard des minorités raciales et négligent de reconnaître les problèmes liés à la race et au racisme ou ne savent pas comment les aborder. Par conséquent, même si le système de justice canadien cherche à offrir un processus de jugement impartial afin de dispenser la justice, quelle que soit la race, il n'arrive pas souvent à assurer l'égalité promise, et contribue souvent à la marginalisation des personnes de couleur au Canada.

  (1000)  

    De plus, le droit éprouve des difficultés à tenir compte des obstacles et des limites que doivent surmonter les personnes noires dans la société canadienne. Le processus pénal est un système accusatoire. Des événements complexes, qui peuvent être interprétés de diverses façons, sont réduits à de simples déclarations. Il y a un agresseur et une victime. Une personne est responsable et l'autre demande des réparations. Il est très difficile dans cette tradition d'en arriver à une compréhension nuancée et contextuelle de la divulgation du VIH, ainsi que des rapports sexuels et des rencontres intimes, avec en plus les rôles sexospécifiques.
    Nous aimerions également répéter que la criminalisation de la non-divulgation du VIH dans toutes ses formes va à l'encontre des objectifs en matière de santé publique que défend notre organisme. Déjà, le VIH est fortement stigmatisé dans les communautés canadiennes noires. Black CAP éprouve de la difficulté à entamer des discussions sur les éléments de base de la prévention et du traitement du VIH, de l'importance du dépistage et de la valeur de la divulgation. Toutefois, les craintes légitimes de poursuites des personnes noires au Canada qui sont séropositives découragent fortement les gens à subir des tests de dépistage, à se faire soigner et à faire des divulgations.
    La criminalisation du VIH peut également décourager l'accès aux soins et au traitement en minant le travail de Black CAP auprès des personnes séropositives. Les clients prospectifs ont tout simplement choisi de ne pas consulter les professionnels de la santé en raison de ce climat, ce qui rend notre travail d'autant plus difficile.
    Nous croyons fortement que des approches en matière de santé publique, surtout des approches qui prônent la collaboration entre les organismes œuvrant sur le terrain et dans leurs communautés et les équipes de santé publique, sont beaucoup plus indiquées pour ce qui est de la non-divulgation. Nous obtenons les meilleurs résultats lorsque le personnel de Black CAP, qui ressemble beaucoup aux personnes séropositives noires, collabore avec les travailleurs de la santé publique afin d'offrir des soutiens, faciliter la divulgation, gérer la charge virale et réduire la probabilité de la transmission à un partenaire séronégatif. C'est l'une des façons de gérer efficacement et réellement les causes de la non-divulgation. Toutefois, nous reconnaissons d'autres facteurs qui limitent la capacité de certaines personnes d'atteindre une charge virale non détectable, telle que le statut de l'immigration, le logement, les soins de santé et l'accès au traitement.
    Vous avez aussi demandé aux témoins de parler de la meilleure façon d'améliorer la coopération entre le système de justice pénale et les autorités de santé publique. Nous sommes convaincus qu'il existe un besoin énorme et pressant d'examiner la réalité du racisme pernicieux et bien ancré contre les Noirs au Canada et dans les institutions. Nous cherchons votre leadership dans ce domaine.
    Nous croyons également qu'il faut réformer de façon urgente le Code criminel, en consultant la communauté séropositive afin de retirer l'infraction des dispositions sur les agressions sexuelles. Nous sommes grandement préoccupés du fait que le Canada a la malheureuse distinction d'être chef de file mondial au chapitre de la persécution et des poursuites à l'égard des personnes séropositives et nous demandons au gouvernement fédéral d'utiliser tous les moyens à sa disposition afin de réparer les torts commis à ceux qui vivent avec le VIH. Pour ce faire, il faudrait suivre les directives des réseaux juridiques ayant fourni des mémoires à votre comité, dans lesquelles on demande la création de lignes directrices axées sur la preuve pour les poursuites, la réforme du Code criminel et des ressources pour la formation, entre autres.
    Nous demandons aussi que la formation comprenne un volet sur la lutte contre le racisme et son incidence particulière et prononcée sur les communautés noires et autochtones au Canada. Ces efforts devraient être déployés de concert avec des organismes tels que le Réseau juridique canadien VIH-sida, HALCO et Black C.A.P., des chercheurs et des universitaires, et, surtout, les personnes vivant avec le VIH.
    En terminant, je tiens absolument à souligner le travail de militants comme Richard Eliot du Réseau juridique canadien VIH-sida, Ryan Peck de HALCO, et Jonathan Shime qui ont si bien représenté le secteur du VIH dans les différentes collectivités. Leurs efforts ont permis la tenue d’un véritable débat sur la question. Mais nous devons surtout rappeler que des personnes noires séropositives ont été accusées de ces crimes de façon injuste et honnies publiquement. Elles ont ainsi vu leur vie être chamboulée et ont purgé des peines en prison. Ces personnes ont souffert de façon injuste de lois injustes. Nous vous demandons d'agir.
    Encore une fois, merci de m'avoir donné la possibilité de m'exprimer sur la question. Nous vous sommes reconnaissants.

  (1005)  

    Je vous remercie beaucoup, monsieur Ryan.
    Il semble que nous ayons des problèmes avec la connexion de Mme Salters, alors je vais demander à Mme Klinck de faire son exposé, et ensuite, nous allons revenir à Mme Salters.
    Madame Klinck, la parole est à vous.
    Merci.
    Au nom d'Egale Canada, je tiens à remercier le président et les membres du Comité de me donner l'occasion de m'exprimer aujourd'hui au sujet de cet enjeu fondamental lié aux droits de la personne et à la santé publique.
    En 2017, le comité pour une société juste d'Egale Canada a publié un rapport portant sur le système de justice pénale du Canada et mettant en lumière les dispositions du Code criminel qui ont un effet discriminatoire sur les Canadiens LGBTQ2SI et qui doivent par conséquent être modifiées.
    Le rapport indiquait que la criminalisation au Canada de la non-divulgation de la séropositivité était l'un des principaux éléments devant faire l'objet d'une modification. Conformément aux recommandations formulées dans le rapport, Egale Canada appuie pleinement la déclaration de consensus communautaire de la Coalition canadienne pour réformer la criminalisation du VIH.
    En particulier, Egale Canada est d'avis que, premièrement, le recours au Code criminel devrait être limité à la transmission réelle et intentionnelle du VIH. Deuxièmement, conformément à la déclaration de consensus d'experts sur la science du VIH dans le contexte du droit pénal, il ne faudrait pas avoir recours au Code criminel en ce qui concerne les personnes atteintes du VIH qui utilisent un condom, qui pratiquent le sexe oral ou qui n'utilisent pas de condom alors qu'elles ont une charge virale faible ou indétectable lorsqu'elles n'ont pas divulgué leur séropositivité à leur partenaire. Troisièmement l'infraction d'agression sexuelle ne devrait pas s'appliquer dans les cas de non-divulgation de la séropositivité dans le contexte d'une relation sexuelle entre deux adultes consentants, car cela constitue une utilisation à mauvais escient et stigmatisante de cette infraction. Les modifications apportées ne doivent pas contribuer à stigmatiser davantage les personnes séropositives ou à affaiblir les dispositions de protection contre la violence sexuelle.
    La position d'Egale Canada est fondée sur le fait que la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité est une mesure discriminatoire. Elle touche de façon disproportionnée des groupes déjà marginalisés et renforce leur marginalisation.
    Premièrement, la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité ne peut pas être dissociée des préjugés discriminatoires reliés à la séropositivité. Il est important de se rappeler le contexte historique. L'homophobie a été la réaction à la séropositivité dès le début, lorsque les premiers cas de la maladie ont été signalés en 1981. À l'époque, on a appelé cette maladie le syndrome d'immunodéficience des personnes gaies.
    En outre, la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité a une incidence négative de façon disproportionnée sur les personnes marginalisées, y compris les membres de la communauté LGBTQ2SI. Ce qui est troublant, c'est que certaines des inégalités se sont amplifiées depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire R. c. Mabior.
    Comme le souligne le rapport intitulé La criminalisation du VIH au Canada: Tendances clés et particularités, qui faisait partie des documents présentés au Comité par le Réseau juridique canadien VIH-sida, les hommes noirs sont surreprésentés dans les poursuites pour non-divulgation de la séropositivité, particulièrement depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Mabior. Ils sont également considérablement surreprésentés dans les médias, ce qui contribue à accentuer la stigmatisation et les préjugés.
    Près de la moitié des femmes inculpées pour cette infraction sont autochtones.
    La criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité cause du tort aux hommes gais, aux hommes bisexuels et à ceux qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes. Selon le rapport de surveillance sur le VIH au Canada de 2017 de l'Agence de la santé publique du Canada, les hommes gais, les hommes bisexuels et ceux qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes représentent près de la moitié de tous les adultes séropositifs, à savoir 46,4 %. Par conséquent, les hommes gais, les hommes bisexuels et ceux qui ont des relations avec d'autres hommes sont confrontés à un risque d'accusations criminelles de façon disproportionnée.
    On souligne dans le rapport sur les tendances clés et les particularités que les hommes qui ont des relations avec d'autres hommes représentent 25 % de tous les hommes inculpés entre 1989 et 2016, et qu'à la suite de la décision dans l'affaire Mabior, cette proportion a augmenté considérablement pour atteindre 38 %.
    Enfin, jusqu'à maintenant, on a très peu tenu compte des répercussions de la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité sur les personnes transgenres au Canada. Pourtant, il existe de solides indications selon lesquelles une telle criminalisation fait du tort aux femmes transgenres en particulier.
    Dans le rapport d'étape sur le VIH-sida et les populations distinctes de 2012 de l'Agence de la santé publique du Canada, on souligne qu'il n'existe pas de données canadiennes sur la prévalence de la séropositivité chez les femmes transgenres, mais qu'une méta-analyse a permis d'estimer un taux de prévalence de la séropositivité particulièrement élevé chez les femmes transgenres en Amérique du Nord, à savoir 27,7 %.
    En outre, les recherches universitaires sur les expériences vécues par les femmes transgenres qui ont des relations sexuelles avec des hommes ont révélé que la violence subie, la transphobie, la stigmatisation, la dépression, la toxicomanie, la précarité du logement et la pauvreté extrême contribuent à l'adoption de comportements sexuels à risque. Ces facteurs sont souvent tous présents.

  (1010)  

    Egale Canada partage les préoccupations à l'égard du fait que les politiques sur la séropositivité ne tiennent pas compte du point de vue des personnes transgenres et des expériences qu'elles ont vécues. Ces préoccupations ont été soulevées par la militante Nora Butler Burke, le professeur Zack Marshall et la professeure Viviane Namaste, titulaire de la chaire de recherche sur le VIH-sida et la santé sexuelle à l'Université Concordia.
    En résumé, les personnes qui sont déjà marginalisées sont confrontées à un risque disproportionné de contracter le VIH. Les facteurs de risque du VIH sont souvent des comportements interreliés qui contribuent à la marginalisation. Par exemple, parmi les membres de la communauté LGBTQ2SI, il y a des utilisateurs de drogues injectables et des travailleurs du sexe. La criminalisation de ces personnes déjà marginalisées ne fait qu'accentuer leur exclusion sociale et la stigmatisation et nuit aux initiatives de santé publique.
    La communauté LGBTQ2SI connaît très bien les torts que cause la criminalisation fondée sur des comportements qui contribuent à l'exclusion sociale. Ainsi, la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité est un enjeu qui revêt une importance critique pour cette communauté.
    Egale Canada est encouragé par la directive à l'intention du Service fédéral des poursuites et estime qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction. Toutefois, il reste du travail à faire. Sur le plan du contenu, cette directive fédérale ne tient pas entièrement compte des principes énoncés dans la déclaration de consensus communautaire. Par exemple, on demande que les procureurs fassent preuve de jugement en ce qui concerne les types d'activités qui permettent d'attribuer une responsabilité criminelle ainsi que l'utilisation de l'infraction d'agression sexuelle.
    En outre, puisqu'elle sert de guide aux procureurs, la directive n'établit pas des critères clairs pour déterminer ce qui constitue un comportement criminel.
    De façon plus importante, la directive, qui s'applique uniquement dans trois territoires, fait très peu pour réduire significativement les poursuites. Même si la directive constitue un pas dans la bonne direction, des modifications législatives s'imposent pour s'assurer que le Code criminel soit appliqué de façon claire et uniforme à l'échelle du pays, pour limiter l'application du Code criminel aux personnes qui ont réellement transmis le VIH de façon intentionnelle et pour améliorer et conserver cette mesure positive que représente cette directive.
    Enfin, même si Egale Canada est d'avis que des modifications au Code criminel s'imposent, il estime qu'il est essentiel que ces modifications soient élaborées soigneusement en collaboration avec des personnes séropositives, des experts en médecine et des intervenants dans la communauté. Ces amendements tant nécessaires doivent éviter de perpétuer les préjugés à l'égard des personnes séropositives et d'entraver les initiatives de santé publique.
    Pour ce qui est des mesures à prendre dans l'immédiat, en attendant que les modifications législatives soient élaborées, Egale Canada demande au gouvernement fédéral d'encourager activement les provinces à adopter une directive similaire à la directive fédérale ou une directive qui concorde davantage avec la déclaration de consensus communautaire.
    Merci.
    Je vous remercie beaucoup.
    Nous n'avons toujours pas réussi à rétablir la connexion vidéo ou audio avec Mme Salters. Je propose donc que nous passions aux questions et, si nous rétablissons la connexion avec Mme Salters, nous lui accorderons huit minutes pour faire son exposé.
    Monsieur Cooper, la parole est à vous.
    Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie les témoins.
    Ma première question s'adresse à M. Ryan.
    Vous avez dit que la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité ne favorise pas le dépistage. De quelles preuves disposez-vous pour appuyer cette affirmation?

  (1015)  

    Les preuves dont je dispose sont principalement des preuves anecdotiques, mais je suis certain qu'il existe des recherches universitaires sur le sujet. Tous les jours, des gens nous parlent d'articles qu'ils ont lus et d'histoires publiées dans leurs journaux locaux. Nous discutons souvent avec des membres de notre communauté de leur compréhension de la loi sur la non-divulgation. Le portrait brossé dans les médias, qui porte souvent sur des hommes noirs séropositifs, fait en sorte que les gens n'ont pas tendance à procéder au dépistage, à se faire traiter et à divulguer leur séropositivité. C'est ce que nous disent souvent nos clients.
    Je crois qu'Eric Mykhalovskiy, entre autres, a parlé des preuves qui existent à cet égard, mais malheureusement, je n'ai essentiellement que des preuves anecdotiques.
    Madame Klinck, en ce qui concerne les modifications à apporter au Code criminel, vous avez affirmé, à l'instar d'autres témoins, que le Code criminel devrait tenir compte de l'intention et de la transmission réelle.
    J'essaie encore de comprendre les situations où une personne qui ne prend pas d'antirétroviraux, qui risque fort bien — si je puis dire — de transmettre le VIH et qui ne divulgue pas sa séropositivité ne fait pas l'objet d'accusations s'il n'y a pas eu de transmission, alors qu'une autre personne qui a le même comportement répréhensible fait l'objet d'accusations. Pourquoi une personne ne ferait pas l'objet d'accusations, alors que ce serait le contraire pour une autre personne simplement en fonction du fait qu'il y a eu transmission, même si elles ont toutes les deux eu le même comportement répréhensible?
    Pour répondre à cette question, je crois qu'il faut d'abord nous demander pourquoi cela n'est pas considéré comme un enjeu de santé publique d'abord et avant tout. La position d'Egale Canada, qui concorde parfaitement avec la déclaration de consensus communautaire, est fondée sur l'opinion d'experts en médecine et en droit et de membres de la communauté quant à ce qui contribuerait le mieux à l'atteinte de résultats optimaux en matière de santé et qui concorderait avec le point de vue général selon lequel on devrait avoir recours au Code criminel dans des cas exceptionnels, et encore.
    Donc, cela ne vous pose pas de problèmes lorsqu'il y a une fausse représentation et un risque important de transmission. C'est correct, selon vous?
    Ce n'est pas vraiment la position qu'Egale Canada ferait valoir, mais il faut faire la distinction entre ce qui devrait figurer dans le Code criminel et les types de sanctions pénales qui devraient être imposées en fonction d'un comportement qui pourrait être considéré comme moralement douteux. C'est pour cette raison que nous nous appuyons sur la déclaration de consensus communautaire, qui a fait l'objet d'une réflexion approfondie, et sur l'opinion d'experts en médecine quant à ce qui donnerait probablement les meilleurs résultats.
    Je crois que, lorsque nous prenons comme exemple des cas extrêmes, il peut s'agir de situations où ce qui est intentionnel et ce qui est irresponsable peuvent correspondre, du point de vue de l'interprétation juridique. Nous pourrions discuter davantage de certains de ces cas marginaux, mais, en ce qui nous concerne, nous appuyons la déclaration de consensus communautaire pour ce qui est de la meilleure approche à adopter en ce qui concerne la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité.
    Monsieur Ryan, avez-vous quelque chose à dire en réponse à cela?
    Nous aussi, nous appuyons fermement la déclaration de consensus.
    En tant que membre de la communauté, je dirais que la fausse représentation est étrange dans le contexte des relations sexuelles. Elle peut avoir lieu de diverses façons. Nous avons tous, sans doute, fait une fausse représentation à un moment donné dans notre vie et dans le cadre de nos relations. Orienter le débat sur la séropositivité précisément et uniquement sur ce sujet est problématique.
    Je le répète, nous appuyons le contenu de la déclaration de consensus. Nous devons vraiment envisager d'avoir recours au Code criminel uniquement dans les cas les plus extrêmes, lorsque toutes les autres approches en santé publique ont été épuisées. Du point de vue de notre organisme, pour amener les gens à divulguer leur séropositivité, il vaut mieux travailler étroitement avec eux en collaboration avec des équipes du milieu de la santé publique avant que ces personnes se retrouvent avec des accusations criminelles.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    On m'a dit que Mme Salters est maintenant au téléphone.
    Madame Salters, m'entendez-vous?
    Je crois que nous n'avons pas la connexion en fin de compte.
    La parole est maintenant à M. Boissonnault.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie les témoins qui comparaissent aujourd'hui.
    Je vais m'adresser rapidement à Mme Klinck, d'Egale Canada.
    La semaine dernière, le Dr Tyndall, du Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique, a affirmé que les autorités de la santé publique au pays sont tout à fait en mesure de... lorsqu'une personne a un comportement irresponsable, les autorités de la santé publique peuvent avoir recours à différentes lois pour interdire les contacts ou même ordonner la mise en quarantaine, qu'il soit question de la tuberculose ou de l'Ebola. Est-ce que les autorités de la santé publique ne devraient-elles pas intervenir dans une situation comme celle qu'a décrite M. Cooper?

  (1020)  

    C'est une très bonne question. Les lois et les règlements en matière de santé publique constituent déjà un cadre pour la gestion de situations qui concernent réellement la santé publique et ils comportent des dispositions visant l'application de mesures et l'intervention de l'État concernant ce qu'il faut faire. Nous nous demandons réellement pourquoi on criminalise la non-divulgation de la séropositivité.
    Nous sommes tous les deux d'accord, et j'irais plus loin en disant que c'est discriminatoire.
    Oui.
    Monsieur Ryan, êtes-vous d'accord avec moi lorsque je dis que les autorités de la santé publique sont en mesure de gérer le cas d'une personne qui fait ce qu'a mentionné M. Cooper tout à l'heure?
    Tout à fait. Cela ne fait aucun doute.
    Merci.
    Je dispose de six minutes, alors je vais poser rapidement mes questions à vous deux.
    Monsieur Ryan, combien de clients votre organisme voit-il quotidiennement, environ?
    Des clients séropositifs?
    Combien de clients?
    Probablement entre 20 et 30 clients.
    Vous voyez entre 20 et 30 clients, ce qui signifie que vous en voyez entre 100 et 150 par semaine.
    Oui.
    Quel pourcentage de ces personnes diraient que la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité ne les incite pas à procéder à un dépistage — un pourcentage approximatif?
    C'est probablement 100 % de ceux qui sont au courant de la criminalisation...
    Donc, de 100 à 150 clients multipliés par 50 semaines, cela donne 5 000 personnes qui ne procèdent pas à un dépistage en ce moment en raison de la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité. Est-ce exact selon vous?
    Oui, la criminalisation n'incite pas du tout les gens à procéder à un dépistage.
    Je vous remercie beaucoup.
    J'ai maintenant une question pour vous. Je vais alterner.
    Madame Klinck, premièrement, croyez-vous que la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité empêche les gens de procéder à un dépistage?
    Oui.
    Monsieur Ryan, vous avez déjà affirmé que c'est le cas, n'est-ce pas?
    Oui.
    Madame Klinck, croyez-vous que, si la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité était éliminée, davantage de personnes effectueraient un test de dépistage?
    Oui.
     Monsieur Ryan.
    Tout à fait, cela contribuerait à faire augmenter les tests de dépistage, ainsi que l'accès aux traitements.
    C'est ma prochaine question.
    Croyez-vous que si davantage de personnes savaient qu'elles sont séropositives, davantage de gens seraient traités au Canada?
    Oui, tout à fait.
    Madame Klinck, croyez-vous que ce serait le cas?
    Oui, il est vrai que la criminalisation et la stigmatisation ne favorisent pas l'accès aux traitements.
    Soyons très clairs aux fins du compte rendu. Si davantage de personnes savaient qu'elles sont séropositives, est-ce que davantage de gens auraient des traitements au pays?
    Oui.
    Est-ce que cela nous aiderait à passer de 90-90-90 à 100-100-100, monsieur Ryan?
    Oui, si un certain nombre de mesures importantes étaient mises en place, notamment l'accès universel aux traitements et d'autres éléments.
    Merci.
    Madame Klinck.
    Est-ce que cela aiderait?
    Est-ce que cela nous aiderait à atteindre des chiffres plus élevés?
    Oui.
    C'est très bien. Je ne dis pas que c'est une panacée.
    Permettez-moi de poser la question suivante: croyez-vous que la non-divulgation de la séropositivité ne devrait plus être considérée comme une agression sexuelle dans le Code criminel?
    Oui.
    Monsieur Ryan.
    Tout à fait.
    Ce ne devrait plus être considéré... Merci.
    Je vais vous demander votre avis au sujet de quatre points.
    Compte tenu des données scientifiques dont nous disposons actuellement, croyez-vous qu'aucune personne ne devrait être poursuivie en justice dans les situations suivantes: la charge virale est indétectable; un condom a été utilisé; le partenaire infecté a recours à la PPrE ou à un traitement préventif similaire; et, enfin, le type d'activité sexuelle, comme le sexe oral, comporte un risque négligeable de transmission? S'agit-il de situations, selon vous, où les personnes ne devraient pas faire l'objet de poursuites?
    Monsieur Ryan.
    Oui.
    Madame Klinck.
    Oui.
    Permettez-moi de vous poser la question suivante: si nous disions que le fait de mentir à propos de sa séropositivité constitue un acte irresponsable, et que ce comportement donne lieu à la transmission réelle du VIH, s'agirait-il d'une situation qui devrait être visée par le Code criminel?
    Madame Klinck.
    Je ne suis pas prête à prendre position là-dessus sans...
    Il n'y a pas de problème.
    ... avoir consulté la communauté, car je sais qu'il y a un consensus en ce qui concerne l'intention.
    Oui.
    C'est pourquoi — et je vais m'adresser à vous dans un instant, monsieur Ryan — l'intention est un élément problématique dans ce cas-ci, n'est-ce pas? Nous entrons dans des questions de moralité lorsque nous commençons à parler de l'intention.
    Ce que nous essayons de faire, c'est différencier un comportement irresponsable, qui est visé par des dispositions... M. Virani a parlé de fausser le consentement en agissant de manière frauduleuse.
    L'intention nous amène à dire « Vous êtes une mauvaise personne, car vous êtes séropositif et vous avez menti, alors vous aviez l'intention de transmettre le virus. » Il y a beaucoup de jugements de valeur qui sont très difficiles à prouver en droit, alors, ce que nous devons faire de notre côté, c'est comprendre la définition d'un comportement irresponsable.
    Je vais vous donner mon opinion personnelle. Je pense qu'un comportement irresponsable auquel s'ajoute la transmission devrait être le critère. C'est un critère élevé dont il faudrait faire la preuve.
    Monsieur Ryan, quel est votre point de vue à cet égard?

  (1025)  

    Je dirais qu'un comportement irresponsable dont on a démontré qu'il a été adopté intentionnellement à répétition après que toutes les approches de santé publique ont été épuisées me semble pouvoir constituer un critère.
    Eh bien, je vous remercie.
    Je dirais également qu'au cours de ma carrière à la coalition, j'ai travaillé auprès de centaines de Noirs vivant avec le VIH, et l'une de leurs plus grandes craintes, c'était de transmettre le VIH à une personne séronégative. Les gens vivant avec le VIH sont souvent décrits comme étant des personnes irresponsables et résolues à nuire à la santé publique. Je dirais que rien n'est plus loin de la vérité. Les gens ont peur de transmettre le VIH à une personne séronégative et se soucient grandement de la santé de leurs partenaires.
    Merci. Je dois vous interrompre ici. Il me reste 15 secondes.
    Madame Klinck, est-ce que la tenue d'une réunion des ministres de la Justice fédéral, provinciaux et territoriaux portant sur l'application de la directive dans un plus grand nombre de provinces serait utile, à votre avis?
    Oui, absolument.
    Merci beaucoup.
    Nous allons vérifier une fois de plus s'il est maintenant possible de communiquer avec Mme Salters par téléphone.
    M'entendez-vous, madame Salters?
    D'accord. On nous a dit qu'elle était là, mais j'imagine que ce n'est pas le cas.
    C'est maintenant au tour de M. Garrison.
    Allez-y, monsieur Garrison.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Après les questions que M. Boissonnault a posées rapidement, je crois que nous avons tous besoin de prendre une grande respiration.
    Je veux dire que je sais que le comité de la justice doit se pencher sur des cas extrêmes, mais je ne crois pas que ce soit à ce moment-ci des délibérations qu'il doive le faire. Ce que nous essayons de faire, à ce stade-ci, je crois, c'est de concevoir à quoi ressemblera la réforme et la façon dont elle pourrait être mise en œuvre. Je crois qu'en nous concentrant sur les cas marginaux, nous risquons involontairement de contribuer à la stigmatisation et à la marginalisation.
    Comme je l'ai déjà dit, je suis un homosexuel d'un certain âge, et toute ma vie, on m'a dit que les homosexuels essaient de faire le mal dans la société, et c'est particulièrement vrai pour la communauté noire également.
    Madame Klinck, vers la fin de votre exposé...
    Madame Salters, M. Garrison est en train de poser des questions. Nous reviendrons à vous dans environ cinq minutes, si nous sommes capables de bien vous entendre.
    Monsieur Garrison.
    Merci beaucoup.
    Madame Klinck, je crois que, vers la fin de votre exposé, vous avez parlé de la criminalisation du travail du sexe et de la possession de drogues pour usage personnel.
    Pourriez-vous revenir sur la question et parler un peu plus longuement de lien que vous faites entre cela et la criminalisation de la non-divulgation?
    Le point important ici, c'est que les déterminants sociaux de la santé sont souvent interreliés. L'un des points sur lequel nous avons essayé d'attirer l'attention, c'est le fait qu'on ne tient pas compte de l'expérience de femmes transgenres en particulier concernant le VIH. Nous voulons également souligner que pour les membres de la communauté LGBTABI qui peuvent aussi être des travailleurs du sexe, ou des utilisateurs de drogues injectables, la criminalisation de ce comportement tend également à contribuer à leur exclusion sociale, à leur marginalisation et à leur difficulté à accéder aux soins de santé.
    Monsieur Ryan, voulez-vous intervenir sur la même question, soit le lien entre la criminalisation du travail du sexe et l'utilisation de drogues injectables? Je sais que vous travaillez à la prévention du VIH-sida. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur ce sujet?
    Je suis vraiment d'accord avec l'autre témoin à cet égard. Je ne crois pas avoir beaucoup de choses à ajouter.
    Excusez-moi, avez-vous dit que vous étiez d'accord?
    Oui.
    D'accord.
    Encore une fois, vers la fin de son intervention, M. Boissonnault a parlé d'une réunion fédérale-provinciale et vous a demandé de répondre très rapidement.
    Madame Klinck, compte tenu du caractère limité de la directive actuelle, nous nous trouvons maintenant dans une situation où les gens peuvent être traités bien différemment selon l'endroit où ils vivent au pays. Pouvez-vous donner votre point de vue là-dessus et nous dire en quoi une réunion fédérale-provinciale pourrait permettre de résoudre ce problème?
    Oui. Il est absolument préoccupant que dans sa forme actuelle, la directive ne s'applique que dans les trois territoires. En fait, cela pourrait faire en sorte que les gens comprennent mal à quel point ils risquent d'être criminalisés.
    Accroître la coopération avec les provinces pour étendre l'application de la directive, qui est certes imparfaite et doit aller plus loin, mais dans l'immédiat, essayer de faire en sorte que cela s'applique de façon plus cohérente au pays constitue une mesure importante.

  (1030)  

    Qu'est-ce qui résulterait de cette réunion, à votre avis? Pourrait-il s'agir, par exemple, d'une déclaration ou d'une directive s'appliquant à toutes les provinces selon laquelle, jusqu'à qu'il y ait une réforme, les poursuites ne devraient porter que sur l'intention de transmettre? Est-ce que c'est le résultat que nous pouvons nous imaginer?
    Les provinces pourraient adopter des directives similaires pour améliorer grandement la cohérence avec la directive fédérale, ou elles pourraient la refléter ou aller plus loin.
    Monsieur Ryan, pensez-vous que la directive fédérale a eu des répercussions dans votre communauté? Les gens des territoires connaissent-ils la directive ou ce n'est pas le cas et ils croient toujours, en fait, qu'ils seront poursuivis?
    Je crois que bon nombre des gens ont de fermes convictions. Nous essayons d'informer les gens le plus possible de la nature souvent changeante de la loi à cet égard. Nous essayons de les aider à mieux comprendre, mais ils ont tellement d'idées toutes faites sur ce que la loi énonce et n'énonce pas. Il règne une grande confusion, et ces différences régionales contribuent sans aucun doute à cette situation à ce moment-ci.
    Pour bien des gens, c'est un sujet obscur. C'est vraiment le cas. Les personnes font face aux réalités complexes du traitement, et dans le cas de bon nombre de nos clients, de l'établissement au Canada. C'est un autre aspect complexe pour les gens. Il y a beaucoup de confusion et il faut beaucoup éclaircir les choses.
    Diriez-vous que dans les communautés racialisées de Toronto, un meilleur accès à, par exemple, une analyse hors laboratoire, et peut-être à l'autodiagnostic, aiderait particulièrement les hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes à connaître leur situation?
    Oui, tout à fait. Nous savons qu'un grand nombre de gens séropositifs n'ont pas reçu de diagnostic. Un accès accru au dépistage nous aiderait dans notre travail à cet égard.
    Nous voulons vraiment faire participer les gens à ce qu'on appelle la cascade. Nous voulons que les gens reçoivent un diagnostic. Nous voulons qu'ils suivent un traitement, qu'ils en suivent de façon continue. Nous voulons qu'ils atteignent une charge virale indétectable. Cela réduit le fardeau global que représente le VIH dans toutes les communautés, y compris celle des hommes homosexuels.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Garrison.
    M'entendez-vous, maintenant, madame Salters?
     Oui.
    Parfait.
    Avant que nous commencions notre dernière série de questions, nous allons vous donner l'occasion de présenter votre exposé au Comité.
    La parole est à vous, madame Salters.
    Merci. J'espère que vous m'entendez. Si ce n'est pas le cas, veuillez me le dire ou m'interrompre.
    Bonjour à tous.
    Je m'appelle Kate Salters. J'ai une formation doctorale en épidémiologie des maladies infectieuses. Je travaille en tant que chercheuse scientifique au centre d'excellence sur le VIH-sida de la Colombie-Britannique et en tant que membre du corps professoral à l'Université Simon Fraser, à la faculté des sciences de la santé.
    Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à témoigner, malgré les difficultés techniques.
    J'aimerais tout d'abord reconnaître les terres et les territoires sur lesquels nous nous trouvons aujourd'hui. Il est essentiel de réfléchir au rôle du colonialisme dans le fardeau disproportionné que représente le VIH pour les populations autochtones de tout le pays.
    Pendant le bref moment que je passerai avec vous, j'espère être en mesure de vous présenter les preuves accablantes qui remettent en question la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité d'une personne. J'expliquerai en quoi la loi constitue un obstacle direct et important à nos efforts de prévention et aux soins cliniques pour les personnes vivant avec le VIH.
    Je comparais au nom de nombreux autres scientifiques, membres de la communauté et cliniciens que j'ai consultés et qui ont été témoins des répercussions qu'ont ces lois sur nos communautés et de la façon dont elles menacent nos efforts de santé publique.
    À vrai dire, la loi ne reflète ni la réalité ni la science. Des preuves scientifiques accablantes démontrent que lorsqu'une personne vivant avec le VIH suit un traitement, une thérapie antirétrovirale, non seulement sa santé s'améliore et sa longévité augmente, mais cela empêche la réplication du VIH. La thérapie antirétrovirale fait en sorte que la charge virale devient indétectable dans les liquides biologiques, notamment le sang, le sperme et les sécrétions vaginales. Atteindre une charge virale indétectable est l'objectif de la thérapie antirétrovirale et signifie que le VIH ne peut être transmis à un partenaire sexuel. Je sais que vous avez déjà entendu cela, mais il est très important de le répéter. Ce double avantage de la thérapie antirétrovirale correspond au traitement comme moyen de prévention, une stratégie canadienne officiellement approuvée par l'Organisation mondiale de la santé, l'ONU et le gouvernement du Canada depuis 2015.
    Mon organisation a postulé la stratégie du traitement comme moyen de prévention en 2006. Mise en œuvre en Colombie-Britannique, elle a par la suite entraîné la plus forte baisse du nombre de nouveaux cas de VIH au pays. Ce phénomène n'est pas nouveau. En 2014, 70 scientifiques canadiens ont signé une déclaration commune affirmant la possibilité négligeable de transmission sexuelle du VIH par une personne vivant avec le VIH qui suit une thérapie antirétrovirale ou utilise un condom. C'était il y a cinq ans. Il y a eu au moins 12 cas de non-divulgation depuis.
    C'était en 2017, selon le Réseau juridique canadien VIH-sida. Depuis, d'importantes études internationales ont confirmé de façon définitive qu'une thérapie antirétrovirale soutenue empêche la transmission ultérieure du VIH. Plus récemment, l'étude PARTNER a évalué la transmission du VIH entre des couples homosexuels dont l'un des partenaires vivait avec le VIH et suivait un traitement et l'autre était séronégatif.
    Les chercheurs ont évalué plus de 77 000 épisodes de relations sexuelles durant lesquelles les partenaires n'ont pas utilisé de condom. Combien de cas de transmission entre les participants à l'étude ont été observés? Il n'y en a eu aucun. De plus, des études PARTNER précédentes n'ont montré aucun cas de transmission du VIH chez les couples homosexuels et hétérosexuels dont l'un des partenaires vit avec le VIH et l'autre non, et il s'agit ici de plus de 58 000 relations sexuelles sans condom. Autrement dit, si la charge virale est indétectable, cela signifie que le VIH est non transmissible.
    L'honorable Ginette Petitpas Taylor a tenu compte des données scientifiques concernant le message « indétectable = non transmissible » pour éliminer la stigmatisation et, en 2018, elle est devenue la première ministre de la Santé à appuyer officiellement la campagne, démontrant ainsi le leadership du Canada en matière de politiques de santé fondées sur la science.
    Ce qui tranche nettement avec ces efforts, c'est que le Code criminel perpétue la stigmatisation liée au VIH, ce qui entraîne des retards importants ou l'absence totale de dépistage. Par conséquent, les personnes vivant avec le VIH n'entreprendront pas un traitement en temps opportun, ce qui éliminerait le risque de transmission ultérieure du VIH. Le virus se réplique rapidement lors d'une infection aiguë ou précoce. L'élimination des retards dans le diagnostic et l'accès aux soins sont les étapes nécessaires pour éradiquer l'épidémie de VIH au Canada.
    Les femmes sont particulièrement exposées au risque de retards dans l'accès et les soins. C'est lié à de nombreux facteurs, notamment la stigmatisation liée au VIH, la pauvreté et la mauvaise compréhension des besoins des femmes vivant avec le VIH.
    Une étude menée par notre organisation a révélé que sur près de 1 000 participants, beaucoup plus d'hommes que de femmes vivant avec le VIH, soit 65 % contre 45 %, ont déclaré satisfaire à l'exigence légale actuelle de présenter une faible charge virale et d'utiliser un condom avec un nouveau ou une nouvelle partenaire, et ce, malgré le fait que près de 100 % des participants ont déclaré l'un ou l'autre. Cela signifie qu'en dépit des mesures établies qui sont nécessaires pour garantir l'élimination des risques de transmission, plus de la moitié des participantes à notre étude auraient pu être accusées d'agression sexuelle grave.

  (1035)  

     La loi actuelle ne tient pas compte de la façon dont les femmes, en particulier les femmes cisgenres et transgenres, peuvent ne pas être en mesure de négocier en toute sécurité l'utilisation du condom avec leurs partenaires. Ces risques réels, sexospécifiques, ne sont pas reflétés dans l'interprétation actuelle de la loi. Une recherche menée par mes collègues et moi-même a révélé que plus de 80 % des femmes vivant avec le VIH en Colombie-Britannique ont déclaré avoir été victimes de violence dans leur vie. Des études similaires ont été publiées, concernant la cohorte nationale de plus de 1 400 femmes vivant avec le VIH, et les statistiques sont très similaires. Plus récemment, nous avons montré que plus de 60 % des femmes vivant avec le VIH ont été victimes de violence sexuelle ou physique de la part de leur partenaire intime, ce qui tend à indiquer qu'il y a des inégalités énormes dans les relations sexuelles. Des femmes ont déclaré avoir été menacées, agressées, abandonnées et déclarées séropositives après avoir révélé leur séropositivité à leurs partenaires. Les femmes vivant avec le VIH peuvent donc choisir de prendre des mesures afin d'éliminer le risque de transmission du VIH en maintenant une charge virale indétectable ou en utilisant des condoms.
    Il est naïf et inapproprié de supposer que les femmes vivant avec le VIH devraient être légalement tenues de s'assurer que leurs partenaires sexuels masculins utilisent des condoms. Selon l'interprétation actuelle de la loi, une femme ayant une charge virale indétectable qui est incapable de convaincre son partenaire sexuel masculin d'utiliser un condom peut être accusée d'agression sexuelle grave. Elle serait alors considérée comme une délinquante sexuelle violente bien qu'elle n'ait aucune intention de transmettre le VIH et qu'il n'y ait aucun risque de transmission. Cela dit, nos recherches montrent que les femmes vivant avec le VIH font tout ce qu'elles peuvent pour éliminer le risque de transmission ultérieure en suivant un traitement antirétroviral et en maintenant la suppression virale.
    Atteindre et maintenir une charge virale indétectable est un moyen efficace pour les femmes vivant avec le VIH de réduire le risque pour elles-mêmes et pour les autres. L'agression sexuelle grave est l'une des infractions les plus graves du Code criminel et devrait être appliquée lorsque l'auteur blesse, mutile, défigure ou met en danger la vie de la personne plaignante. Cette loi a été utilisée par d'anciens partenaires mécontents comme une forme de représailles violentes contre des personnes vivant avec le VIH. Cette loi stigmatise les personnes vivant avec le VIH. Elle empêche les gens de subir un test de dépistage et de suivre un traitement. Il est impératif que nous cessions d'utiliser à tort cette loi pour criminaliser le comportement sexuel des personnes vivant avec le VIH.
    Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé.

  (1040)  

    Merci beaucoup. Je suis vraiment ravi que nous ayons enfin réussi à rétablir la connexion.
    Il nous reste une intervention, et elle appartient à M. McKinnon.
    La parole est à vous, monsieur McKinnon.
    Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins d'être ici.
    Merci, madame Salters, de rester avec nous pour livrer votre témoignage. Malheureusement, je poserai la plupart de mes questions à d'autres.
    Voici d'abord une question que M. Boissonnault m'a demandé de poser à M. Ryan.
    Vour croyiez qu'il n'y aurait plus de questions très rapides. Erreur!
    Dans les statistiques que vous rassemblez, monsieur Ryan, sur le nombre quotidien de vos contacts, combien de jours par semaine votre service est-il ouvert?
    Cinq jours par semaine.
    Merci.
    Je poursuis avec Mme Klinck.
    Vous avez dit que la directive fédérale est trop timide. Il est sûr qu'elle ne s'applique qu'aux territoires. Mais en supposant qu'une directive semblable s'appliquerait ailleurs, dans les provinces, vous avez déploré son imperfection et recommandé qu'elle exige davantage.
    Comment devrait-on la modifier?
    Les principales difficultés qu'elle pose sont d'encore exiger l'appréciation, par la Couronne, des types d'activités qui engagent la responsabilité criminelle, ce qui donne une certaine latitude pour les poursuites fondées sur le comportement, par exemple une relation sexuelle protégée, en fonction du vague sentiment de l'existence d'autres facteurs de risque, que la directive ne définit pas. Ça laisse l'impression qu'elle est nébuleuse et qu'elle va à l'encontre du consensus de la collectivité selon lequel, comme un condom a été utilisé, il ne devrait pas y avoir de responsabilité criminelle.
    La directive envisage encore la possibilité d'invoquer des infractions d'agression sexuelle, encore une fois d'après l'appréciation de la Couronne, à partir de facteurs nébuleux. Comme le consensus de la collectivité s'oppose à ce qu'on invoque l'infraction d'agression sexuelle pour le simple fait de ne pas avoir déclaré sa séropositivité, voilà certaines des lacunes actuelles de la directive. Bien sûr, le simple fait qu'une directive est moins claire que les modifications du Code criminel, parce que c'est seulement un guide pour la Couronne, cause plus de souci à long terme. Si nous pouvions faire appliquer la directive ou une version améliorée, à l'échelle nationale, ce serait un progrès. Mais, en fin de compte, la réforme législative est la seule façon d'assurer clarté et cohérence dans l'application du droit pénal.
    Pour le moment, je me focalise sur la directive concernant la séropositivité, parce que, en ce moment même, au Parlement, la probabilité de pouvoir modifier la loi est nulle. Il serait plus rapide d'améliorer la directive, et les autres procureurs généraux pourraient diffuser la version améliorée dans l'ensemble du pays.
    Je vous remercie de votre réponse. Je passe à Mme Salters.
    Je sais que ce n'est pas votre domaine, mais savez-vous si le procureur général de la Colombie-Britannique s'appuie sur une directive ou un texte analogue pour la séropositivité?
    Oui, une telle directive est en vigueur dans la province.
    Est-elle semblable à la directive fédérale? La croyez-vous appropriée?
    C'est un premier pas, mais encore timide.
    Comme les autres témoins l'ont dit, il faut l'appliquer de façon cohérente. C'est un premier pas, mais nous avons fait valoir que les objectifs de santé publique ne justifient pas des sanctions pénales contre le comportement sexuel.
    Y a-t-il des circonstances dans lesquelles le droit pénal devrait s'appliquer? Je suis d'accord avec les témoins, c'est-à-dire que, essentiellement, les dispositions visant les agressions sexuelles ne devraient pas s'appliquer dans tous les cas. Je me demande si, de toute façon, il ne conviendrait pas mieux d'invoquer la négligence criminelle causant des lésions corporelles. Dans quelles circonstances pourrait-on le faire?
    Madame Klinck.
    M. Boissonnault a déjà déclaré que les lois de santé publique prévoient déjà des mesures. Égale Canada est très préoccupé par la criminalisation de la non-divulgation de la séropositivité, en général, et, en particulier, dans un autre contexte que celui d'une transmission réelle et intentionnelle.

  (1045)  

    Êtes-vous en train de dire qu'on ne devrait appliquer le droit pénal dans aucune circonstance?
    Il faudrait sérieusement s'interroger avant de l'envisager, et la seule circonstance dans laquelle on devrait même l'envisager, c'est celle d'une transmission effective et intentionnelle.
    Monsieur Ryan, êtes-vous d'accord?
    Oui. La transmission intentionnelle, comme je l'ai dit, après avoir épuisé toutes les autres méthodes de protection de la santé publique. Nous avons le mieux réussi à vaincre les obstacles à la divulgation à la séropositivité par la collaboration de notre organisation avec les unités de santé publique et par des discussions sérieuses, qui tenaient vraiment compte du terrain culturel, avec les personnes que la divulgation stressait. D'après mon expérience, la transmission intentionnelle est incroyablement rare. Elle est très peu courante, sinon inexistante. Elle est rarissime.
    Madame Salters, êtes-vous d'accord?
    Oui. Les fonctionnaires de la santé disposent de règles pour déceler les très rares cas de transmission intentionnelle et y réagir. J'en conviens, contre mon travail d'épidémiologiste pour dépasser les objectifs de 90-90-90 et contre nos efforts de diagnostic et de traitement des personnes séropositives, qui visent aussi à favoriser leur santé et leur gagne-pain, la criminalisation de la non-divulgation érige un obstacle direct et très important. Elle irait directement à l'encontre de notre effort de protection de la santé publique.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur McKinnon.
    Je tiens à remercier les témoins, qui nous ont tous été très utiles. Madame Klinck, nous nous revoyons jeudi, dans une autre de vos comparutions régulières devant notre comité.
    Nous nous retirons sous peu pour discuter à huis clos. J'accorde trois minutes à ceux qui ne sont pas membres du Comité pour partir. Merci encore.
    La séance est suspendue.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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