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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 125 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 30 octobre 2018

[Énregistrement électronique]

  (1305)  

[Traduction]

    C'est avec grand plaisir que nous accueillons aujourd'hui au Sous-comité des droits internationaux de la personne une invitée de marque.
    J'aimerais souhaiter la bienvenue à Son Excellence Atifete Jahjaga, ancienne présidente du Kosovo.
    Elle est accompagnée aujourd'hui de l'ambassadeur Lulzim Hiseni.
    L'ancienne présidente a beaucoup travaillé sur le dossier des femmes et de la violence sexuelle dans les conflits; je crois que c'est le sujet dont elle va discuter avec nous aujourd'hui.
    Comme nous avons très peu de temps, j'inviterais Son Excellence à faire une déclaration préliminaire de sept ou huit minutes, après laquelle chaque parti aura droit à une question. J'espère que nous aurons une discussion très productive.
    Bienvenue.
    Merci beaucoup, Anita. Je suis vraiment ravie de vous voir. Je suis très honorée de me joindre aujourd'hui au Sous-comité des droits internationaux de la personne, en compagnie de l'ambassadeur Hiseni.
    Au nom de l'ensemble des institutions et de la population du Kosovo, permettez-moi de remercier sincèrement les institutions et la population du Canada pour son appui exceptionnel. Nous célébrerons bientôt le 10e anniversaire des relations établies entre le Canada et le Kosovo.
    Le Canada a été un partenaire stratégique pour les habitants et les institutions du Kosovo. Ce partenariat a été noué durant une période des plus éprouvantes pour mon pays et mes concitoyens. Nous serons éternellement reconnaissants envers le Canada pour le soutien qu'il nous a apporté, ainsi que pour le travail remarquable accompli par les hommes et les femmes qui ont participé aux missions, entre autres, de l'ONU dans le but d'établir et de maintenir une paix durable au Kosovo. D'ailleurs, la présence de la mission internationale a même dépassé la frontière du Kosovo. Les Canadiens et les Canadiennes ont contribué à instaurer une paix durable dans toute la région de l'Europe du Sud-Est.
    Parmi toutes les réussites des dernières années, je souligne toujours les trois étapes majeures que le Kosovo a franchies près de 20 ans après la fin de la guerre: nous sommes passés de la guerre à la paix, d'une économie contrôlée par l'État à une économie de marché libre, et d'une dictature à une démocratie.
    Sans le soutien que nos partenaires et nos alliés de taille nous ont apporté durant les 20 dernières années, nous aurions été incapables d'accomplir de tels progrès.
    Le Kosovo représente une belle réussite, surtout en ce qui touche les partenariats extrêmement importants qui ont été conclus entre la communauté internationale et les institutions du Kosovo. Cette réussite est aussi symbolisée par la composition de notre pays. C'est là une de nos plus grandes forces: tous les groupes ethniques et religieux du Kosovo ont les mêmes droits et les mêmes obligations. C'est également ce que prévoit notre constitution, à laquelle nous travaillons depuis la fin de la guerre il y a 20 ans et également depuis la déclaration d'indépendance du Kosovo il y a 10 ans. C'est aussi la plus grande force de notre pays depuis de nombreuses décennies et de nombreux siècles.
    Non seulement le Kosovo et le Canada ont noué de bonnes relations il y a 10 ans, mais nous avons aussi signé récemment le premier accord sur la protection des investissements entre le Canada et le Kosovo, ainsi que la déclaration commune sur le commerce progressiste et inclusif entre le Kosovo et le Canada. Ces ententes représentent de nouveaux éléments marquants dans les relations entre nos deux pays, et nous — le gouvernement du Kosovo et moi — aimerions que ces relations s'étendent jusqu'à d'autres domaines d'intérêt mutuel.

  (1310)  

    Le Kosovo est situé très loin du Canada, mais il se trouve presque au coeur de l'Europe. Nous avons réalisé des progrès remarquables dans les dernières années, mais nous avons encore besoin d'appui sur le terrain, principalement de la part de pays ayant pris les rênes dans certains domaines sur la scène internationale. C'est le cas du Canada et de sa politique d'aide internationale féministe, à laquelle le Kosovo n'a pas encore pris part. Nous n'avons pas obtenu de soutien en vertu de ce programme national d'aide, lancé par le pays amical qu'est le Canada.
    Au nom des institutions du Kosovo et de nos nombreuses organisations féminines, je vous demanderais de permettre au Kosovo de participer à votre programme d'aide. Votre expérience et votre expertise nous seraient extrêmement utiles. Je le répète, le Kosovo est au coeur de l'Europe, et la concurrence s'intensifie dans toute la région de l'Europe du Sud-Est, parfois de la part de pouvoirs défavorables. Votre présence nous aiderait à faire avancer des dossiers d'intérêt mutuel.
    D'après moi, en favorisant l'autonomisation des femmes, on investit non seulement dans la personne, mais aussi dans la famille et dans l'avenir de la société concernée. Les femmes représentent plus de 51 % de la population du Kosovo, et 61 % de la population est formée de jeunes de moins de 30 ans, dont la moitié sont des femmes. Un tel investissement jouerait donc un rôle capital dans l'avenir de notre pays.
    Je tiens à vous remercier tout particulièrement, madame la présidente, au nom des nombreuses députées kosovares avec lesquelles vous avez travaillé personnellement. Votre gouvernement a aussi bien récompensé vos efforts en vous remettant la médaille de la paix, qui est importante non seulement pour vous, mais aussi pour toutes les femmes du Kosovo que vous avez aidées. J'aimerais que d'autres députés se joignent à vous pour contribuer à accroître la reconnaissance de l'État du Kosovo sur la scène internationale et pour aider le Kosovo à prendre la place qui lui revient parmi les nations.
    Encore une fois, merci beaucoup. Je suis ravie d'être ici avec vous aujourd'hui.

  (1315)  

    Merci beaucoup.
    [La présidente s'exprime en albanais.]
    Nous sommes aussi absolument ravis que vous soyez des nôtres.
    Avant de continuer, j'aimerais souligner que nous recevons aujourd'hui une délégation de la sous-commission des droits de l'homme de l'Union européenne, notre comité allié. Le président et six autres membres de la sous-commission se joignent à nous aujourd'hui.
    Je tiens à vous remercier pour votre déclaration et à dire que l'expérience que j'ai vécue au Kosovo sur une période d'un an, au moment où le pays a déclaré son indépendance, a été très profonde. La relation entre le Canada et le Kosovo a toujours été très forte.
    Nous allons commencer la période de questions. Monsieur Anderson, vous avez sept minutes.
    Merci, madame la présidente, et merci aux témoins de leur présence.
    Vous avez beaucoup travaillé avec le National Council for the Survivors of Sexual Violence. Nous avons eu d'autres séances au sujet des événements qui se sont déroulés dans la région où l'État islamique, ou Daech, avait une très forte présence. Je me demande si vous avez des conseils à nous donner sur les manières dont nous pouvons aider les gens dans cette région à établir les structures nécessaires pour leur rendre justice.
    J'aimerais savoir quelle approche vous avez adoptée pour que justice soit faite, particulièrement dans les collectivités locales. Je sais que des gens ont été accusés et reconnus coupables devant les tribunaux internationaux, mais dans les collectivités locales et rurales, les gens se connaissent et savent qui a fait quoi.
    Avez-vous réussi à mettre en place des structures qui permettent d'obtenir justice aussi dans ces régions?
    Vous abordez un sujet qui m'a tenu à coeur durant les cinq années de mon mandat de présidente, de 2011 à 2016, et qui continue à être important pour moi depuis les trois dernières années.
    On estime que le nombre de victimes de violence sexuelle s'élève à environ 20 000 femmes et hommes ayant été violés durant la guerre du Kosovo par les forces paramilitaires et militaires de la Serbie.
    Malgré cela, je peux affirmer que même de notre côté, nous ne sommes pas très fiers, car durant les 15 années qui ont suivi la fin de la guerre, nous avons passé ce fait sous silence. Nous avons fait de ce sujet un tabou. Pendant 15 ans, nous avons renforcé les préjugés à l'égard des victimes de violence sexuelle simplement en ne parlant pas de ces crimes, qui ont été utilisés comme une arme de guerre contre les habitants innocents du Kosovo.
    Quand j'ai été élue en 2011, nous avons adopté la première approche institutionnelle visant à cerner et à prendre les mesures adéquates et nécessaires pour permettre la réadaptation et la réinsertion sociale des victimes. Cela comprend l'accès à des services de santé pour l'ensemble des victimes de violence sexuelle.
    Un dossier qui n'a pas été pris en main adéquatement est celui de la culture de l'impunité et du traitement insatisfaisant de la justice. En effet, seulement environ quatre affaires ont été portées devant la Cour internationale de Justice de La Haye; seules les audiences ont eu lieu, et les audiences et les accusations dans les affaires de viol n'ont pas donné de résultats satisfaisants. La plupart des affaires ont été traitées comme des crimes de guerre parce que ce sont des crimes de guerre, mais aucune n'a été désignée comme un cas d'utilisation du viol comme arme de guerre.
    La plupart des auteurs de ces crimes se trouvent déjà en Serbie. La Serbie refuse de collaborer avec l'État et les institutions du Kosovo sur le plan de la communication des données et des statistiques concernant les auteurs de ces affreux crimes. Toutes les victimes savent déjà qui étaient leurs agresseurs parce que c'était leurs voisins ou parce qu'elles se souviennent de leur surnom, de leur grade ou de leurs tatouages s'il s'agissait de membres des forces paramilitaires.
    Nous sommes aux prises avec le problème qu'une des parties n'est pas reconnue à l'échelle internationale, un problème qui commence avec l'ONU parce que le Kosovo n'est pas membre des Nations unies. Dans un sens, ne pas reconnaître que le viol a été utilisé comme une arme de guerre contre les citoyens innocents du Kosovo contrevient à la convention relative aux droits de l'homme. En même temps, les institutions du Kosovo se heurtent au manque de coopération de la part de leur voisin du Nord, la Serbie, dans une question de justice. Malheureusement, pendant les 20 dernières années, nous avons aidé à renforcer la culture de l'impunité.
    C'est une des exigences principales des victimes.

  (1320)  

    Je pense que mon temps de parole tire à sa fin, mais j'aimerais savoir si votre préoccupation principale est de combattre les préjugés. Tout porte à croire que vous serez incapables d'obtenir justice puisque la plupart des auteurs des crimes se trouvent à l'extérieur du pays. Comment combattez-vous les préjugés qui entourent les victimes de viol?
    Le problème a été soulevé également dans des conversations que nous avons eues avec d'autres nations.
    Depuis 2011, nous avons réalisé des progrès dans le dossier des préjugés; nous examinons le sujet, qui était considéré comme tabou depuis la fin de la guerre en 1999. Nous avons marqué un tournant non seulement pour l'institution, mais aussi pour les victimes en 2011 et plus précisément en 2014, lorsque j'ai créé le National Council for Survivors of Sexual Violence, qui m'a permis de présenter le dossier aux groupes de décideurs existants, au gouvernement du Kosovo, au Parlement du Kosovo, aux organisations internationales présentes au Kosovo, au corps diplomatique, à la société civile et aux médias. Rapidement, un mois après la création du conseil, on a proposé une loi visant à reconnaître le statut juridique des victimes civiles de la guerre. En même temps, nous avons mis en oeuvre tous les mécanismes institutionnels et de la société civile existants pour venir en aide aux victimes, en commençant par leur réadaptation et leur réinsertion sociale.
    Je vais vous répondre en adoptant la voix d'une victime de violence sexuelle. Toutes les fois, monsieur, où j'ai demandé à une victime de violence sexuelle ce que les institutions du Kosovo peuvent faire, en plus du statut juridique, des services de santé et de l'autonomisation économique, savez-vous ce que chacune a répondu? « Nous voulons que justice soit faite. Nous voulons que nos agresseurs soient traduits en justice. C'est la seule façon d'apaiser nos coeurs et nos esprits. »
    Elles ne retrouveront pas la paix avant que nous commencions à lutter efficacement contre la culture de l'impunité et avant que leurs agresseurs soient traduits en justice. Or, pour ce faire, nous avons besoin de la coopération de notre pays voisin, la Serbie. Un des fondements des relations internationales est la collaboration à l'égard de la justice, et depuis 20 ans, la Serbie refuse de coopérer.
    Merci beaucoup.
    Votre temps de parole est écoulé. Nous allons donc passer à M. Fragiskatos. Vous avez sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Merci à vous deux de votre présence.
    Votre Excellence, vous venez de parler de la justice. D'après moi, c'est un bon point de départ. J'aimerais que vous nous parliez des efforts déployés au Kosovo par des personnes d'ethnie albanaise et d'ethnie serbe dans le but de favoriser la justice et la réconciliation, particulièrement sur le plan de la violence sexuelle.
    Je trouve très important de reconnaître que durant les conflits ethniques, des personnes des deux côtés sont blessées. Comme vous le savez, des données très fiables montrent que lorsque les deux côtés travaillent ensemble en harmonie, les perspectives de paix sont améliorées.
    Pouvez-vous nous dire où vous en êtes actuellement au Kosovo à cet égard?

  (1325)  

    Comme je l'ai indiqué d'entrée de jeu, la constitution du Kosovo accorde des droits égaux à tous les citoyens du pays, quelle que soit leur origine ethnique ou leur confession. La constitution du Kosovo est l'une des plus progressistes du sud-est de l'Europe. En effet, nous avons reconnu, dans la constitution, les huit communautés qui se côtoient au Kosovo. Elles ont toutes les mêmes droits et les mêmes obligations.
    Il importe peu que la minorité serbe du Kosovo, par exemple, représente 8 à 10 % de la population; elle a les mêmes droits et les mêmes obligations que 90 % de la population du Kosovo. Même si les communautés rom ou ashkali représentent moins de 1 % de la population, elles ont, selon la constitution du Kosovo, les mêmes droits et les mêmes obligations que tous les autres.
    En ce qui concerne les crimes qui ont été commis pendant la guerre au Kosovo, toutes les politiques qui ont été établies, en particulier celles qui touchent les victimes de violence sexuelle, sont uniformes et très inclusives. Elles s'appliquent à tous, sans exception, car même des hommes ont été victimes de viol pendant la guerre. On compte un millier d'hommes parmi les 20 000 victimes de violence sexuelle. La violence sexuelle touche également d'autres communautés, notamment des Serbes d'origine bosniaque et des Roms d'origine turque. Les quatre organismes — les ONG agréées par le gouvernement du Kosovo — interviennent auprès de tous les groupes communautaires au pays, et ce, de façon très inclusive.
    Encore une fois, lorsqu'il est question de justice, il importe peu de savoir si on a affaire à un survivant du Kosovo ou de l'Albanie, une survivante de violence sexuelle, une Kosovare d'origine serbe, une Kosovare d'origine bosniaque ou ashkali: les exigences sont les mêmes pour tous, car nous avons besoin de justice. La question de la justice concerne tout le monde, dans tous les groupes communautaires, car des crimes ont été commis. Il n'y a d'amnistie pour personne, comme il se doit. Malheureusement, il existe déjà une amnistie, étant donné le manque de coopération de notre voisin du nord, la Serbie, où la plupart des agresseurs ont trouvé refuge.
    La coopération dans le dossier des personnes disparues est un bon exemple de coopération entre les groupes ethniques. Depuis la fin de la guerre, on compte toujours 1 600 personnes disparues réparties dans diverses fosses communes au Kosovo et en Serbie. Le Kosovo et l'Albanie ont maintenant une association commune pour les personnes disparues. L'organisme compte un Kosovar d'origine serbe à la vice-présidence, et des membres d'autres groupes ethniques. Ce modèle a été repris par des associations de femmes qui s'occupent des survivantes de violence sexuelle; tous les groupes communautaires du Kosovo y sont représentés.
    Merci beaucoup.
    C'est une question complémentaire, je suppose, qui ne se limite pas au Kosovo. Vous êtes manifestement bien connue sur la scène internationale en raison des efforts que vous avez dirigés au Kosovo. En général, la communauté internationale va-t-elle dans la bonne direction dans la mise en oeuvre d'initiatives pour lutter contre le recours à la violence sexuelle comme arme de guerre? Allons-nous dans la bonne direction? Je sais que c'est une question d'ordre général, mais je préfère vous poser ce type de question, en guise de résumé.
    C'est comme avancer d'un pas et reculer de dix. Malheureusement, c'est là l'approche généralisée à l'échelle mondiale.
     Après la guerre en Bosnie-Herzégovine — un conflit pendant lequel 44 000 femmes ont été victimes de viol —, la reconnaissance du viol comme arme de guerre a été un grand pas en avant. À l'échelle mondiale, la culture d'impunité était prédominante, pas seulement pour les crimes commis au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, au Rwanda, en Sierra Leone et ailleurs. On parle aussi des crimes commis pendant la Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale.
    On pourrait dire, par rapport aux victimes de violence sexuelle, qu'il y a une tendance généralisée qui contribue à renforcer la culture d'impunité à l'échelle mondiale. Il faut d'abord accroître le nombre de femmes dans les postes décisionnels, augmenter le nombre de femmes au sein des organisations internationales — en commençant par l'ONU —, faire de la participation accrue des femmes dans les négociations de paix et les tables rondes sur la paix une priorité. À l'échelle mondiale, il y a peut-être deux ou trois exemples de situations où les femmes participent aux pourparlers de paix. Or, ce sont les femmes et les enfants qui en subissent le plus les conséquences.

  (1330)  

    Le Canada est votre allié et...
    Je suis désolée, M. Fragiskatos, mais votre temps est écoulé.
    Nous n'avons pas beaucoup de temps aujourd'hui, malheureusement.
    Nous passons à Mme Hardcastle, pour sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Merci, Votre Excellence.
    Je vais poursuivre dans cette veine, car il y a un lien à faire entre la culture d'impunité et la recherche de la justice. Il y a une corrélation entre cet aspect et la condition féminine. Plus tôt, vous avez indiqué que le Canada pourrait miser sur ses programmes pour promouvoir l'autonomisation des femmes. Vous avez reconnu la corrélation entre l'amélioration de la condition féminine et l'amélioration de la justice, ce qui permettrait aussi, espérons-le, de lutter contre l'impunité.
    Je vous laisse tout le temps qui m'est accordé. Pourriez-vous nous dire comment, selon vous, nous pourrions tirer parti de cela au sein d'un partenariat? M. Hiseni pourrait aussi présenter des observations.
    Merci beaucoup. C'est une excellente question. Je saisis l'occasion pour ajouter à ce que j'ai dit dans ma déclaration préliminaire. Je vous demanderais d'intervenir en notre nom auprès du gouvernement du Canada pour qu'il élargisse la Politique d'aide internationale féministe du Canada. Cette politique devrait avoir une portée beaucoup plus large. Si je ne me trompe pas, je crois comprendre qu'elle est surtout axée sur l'Ukraine et le Rwanda. Je pourrais me tromper.
    Le Canada accorde une grande attention à l'Afrique et à l'Asie, mais il serait très bénéfique que ce programme d'aide ait une portée beaucoup plus large et soit beaucoup plus axé sur les sociétés qui ont connu la guerre et qui sont en transition en contexte post-conflit. J'aimerais m'attarder particulièrement sur le sud-est de l'Europe. Nous n'avons pu bénéficier de cette aide, mais nous avons tout de même bénéficié d'autres programmes d'aide sexospécifiques offerts par le Canada au cours des 15 dernières années, principalement par l'intermédiaire des ambassades canadiennes de la région.
    Le sud-est de l'Europe est sorti de la guerre il y a 25 ou 30 ans à peine. Cela a eu des conséquences énormes dans l'ensemble de la région, surtout pour les femmes, encore une fois. Dans trois pays seulement — la Croatie, la Bosnie et le Kosovo —, environ 70 000 femmes ont été violées. Cette statistique en soi témoigne de l'importance d'élargir le programme d'aide à la région. Je répète qu'on parle ici de sociétés en contexte post-conflit qui ont grandement besoin de cette aide pour terminer le processus de transition et de transformation qu'elles ont entrepris. Pour favoriser les changements et les progrès durables dans toute société d'après-guerre en transition, il faut investir judicieusement, ce qui signifie investir dans les femmes et dans la jeune génération.

  (1335)  

    Reste-t-il une minute?
    Il vous reste environ deux minutes et demie.
    Allez-y, monsieur Hiseni.

[Français]

     Si vous me le permettez, madame la présidente, je vais essayer de répondre en français, en espérant que vous ayez l'interprétation.
    Encore une fois, je vous remercie infiniment, madame Vandenbeld, ainsi que le Sous-comité de cette occasion d'échanger avec vous. Nous sommes très honorés d'avoir l'ancienne présidente ici et de pouvoir échanger avec vous. Je vous remercie aussi infiniment d'avoir demandé de quelle façon le Canada pouvait soutenir le Kosovo.
    Le Kosovo est reconnaissant envers le Canada pour tout ce qu'il a fait pour lui. Comme l'a dit l'ancienne présidente, il est intervenu au nom des valeurs humaines et des droits de la personne. Il a soutenu le Kosovo et reconnu son indépendance, et il a renforcé ses institutions jusqu'à maintenant, y compris sur la scène internationale. C'est grâce au soutien du Canada et de ses pays partenaires démocratiques que le Kosovo est aujourd'hui une société multiethnique et fière de l'être, qui promeut et protège les mêmes valeurs.
    Le Canada peut effectivement nous aider à promouvoir l'égalité des genres et à faire avancer la situation des femmes. L'ancienne présidente a dit qu'il y a eu certains progrès.
     Nous espérons aussi en faire davantage pour ce qui est des disparus, qui est une question fondamentale. Aujourd'hui, nous ne connaissons pas le sort de 1 600 personnes. Notre voisin du Nord, la Serbie, ne coopère pas suffisamment à cet égard. Nous souhaitons que le Sous-comité sensibilise les autorités canadiennes afin de faire avancer ce dossier.
    Il y a encore autre chose que le Canada pourrait faire pour nous aider. Nous considérons le Canada comme un modèle de diversité. Il a les valeurs d'une société multiethnique. Malheureusement, notre voisin du Nord fait pression pour que la communauté serbe quitte les institutions du Kosovo dont elle fait partie. Dernièrement, lorsque des membres des forces de sécurité du Kosovo se sont rendus en Serbie pour des raisons familiales, par exemple, les autorités serbes ont exercé de la pression voire procédé à des arrestations pour les décourager de faire partie des institutions du Kosovo. Nous avons donc besoin aussi que le Canada défende les valeurs d'une société multiethnique et nos valeurs communes.
    Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

    Merci beaucoup, Ambassadeur.
    Présidente Jahjaga, merci d'être venue au Comité aujourd'hui. Ce fut un honneur de vous accueillir. Nous vous remercions de votre très important témoignage.
    Avant de suspendre la séance, je tiens à lancer une invitation à tous les membres du Comité et à tout le personnel. Demain, le Groupe d'amitié parlementaire Canada-Kosovo présentera, en collaboration avec l'ambassade du Kosovo, le film Thinking of You, qui traite de l'utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre au Kosovo. La présentation débutera à 17 h 30, dans la salle 430 du 180, rue Wellington.
    J'espère que tous ceux qui veulent en apprendre davantage à ce sujet pourront être présents.
    Merci beaucoup à nos invités.
    Je vais suspendre la séance pour une minute, le temps de permettre au témoin suivant de prendre place.

  (1335)  


  (1340)  

    Nous reprenons. Bienvenue à tous.
    Je tiens à remercier notre prochain témoin d'être ici aujourd'hui. Nous traitons d'un autre sujet très important, soit la situation des droits de la personne au Cameroun. Nous accueillons M. Félix Nkongho, qui est avocat spécialisé en droits de la personne. Il est président du Cameroon Anglophone Civil Society Consortium et directeur général du Centre for Human Rights and Democracy in Africa.
    Nous n'avons pas beaucoup de temps. Je vous demanderais de commencer votre exposé immédiatement. Vous avez sept ou huit minutes; puis nous passerons aux questions.
    Allez-y.
    Mesdames et messieurs les députés, merci de me donner l'occasion de discuter de la situation des droits de la personne et de la situation humanitaire dans la partie anglophone du Cameroun.
    Des manifestations pacifiques menées par des avocats et des enseignants dans la partie anglophone du Cameroun en octobre 2016 ont engendré la crise que nous connaissons aujourd'hui. La lutte menée par les avocats, les enseignants et la société civile pour l'amélioration des systèmes de justice et d'éducation et pour empêcher l'érosion de la common law a dégénéré, sous la répression du gouvernement, pour devenir le conflit armé actuel. La plupart des dirigeants modérés ont été arrêtés et accusés de terrorisme, de sécession et d'incitation à la guerre civile devant un tribunal militaire. Entretemps, la lutte pour la création d'une fédération et l'amélioration des conditions de vie s'est transformée en mouvement indépendantiste.
    Le gouvernement n'a pas facilité la vie des modérés et de ceux qui croient à l'unité du pays, comme le démontrent les arrestations répétées et la détention des militants prodémocratie et des personnes qui réclamaient simplement le renforcement des droits des anglophones. L'incendie des villages et la destruction des moyens de subsistance ont entraîné une crise des réfugiés et une crise humanitaire dans la partie anglophone du pays. Des exécutions extrajudiciaires ont été commises. Près de 1 000 anglophones sont actuellement détenus dans diverses prisons du pays. Le processus judiciaire est très lent: il faut jusqu'à huit mois en moyenne pour avoir une audience. Je suis un témoin vivant. J'ai été détenu pendant huit mois. J'ai été libéré le 30, avec d'autres, par le président de la République. Toutefois, pendant cette période, la tension n'a fait qu'augmenter.
    Nous croyons qu'un dialogue inclusif s'impose. Le gouvernement doit discuter avec tous les Camerounais, avec tous les anglophones et avec ceux qui ont pris les armes contre le gouvernement, car la solution à la crise que nous traversons passe uniquement par la tenue d'un dialogue véritable et exhaustif.
    Le Cameroun est une région très intéressante du continent qui se situe à la croisée de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale. Il est à la frontière du CÉMAC et de la CEDEAO. Si le Cameroun s'effondre, le Tchad, le Gabon, le Congo et le Nigeria s'effondreront avec lui.
    Aujourd'hui, je témoigne devant cette Chambre pour trouver une solution. Les violations flagrantes des droits de la personne, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre qui sont perpétrés dans le pays doivent cesser. Les voix doivent être entendues. Nous sommes tous humains. Nous avons la responsabilité de protéger. Les députés canadiens, les gens d'affaires canadiens et les missions diplomatiques canadiennes ont, pour les Camerounais, le devoir de nous aider à trouver une solution à cette crise.
    À l'instar du Canada, le Cameroun est un pays bilingue, biculturel et bijuridique. Le français et l'anglais sont les langues officielles du pays, ce qui signifie que nous avons quelque chose en commun. Les deux pays sont membres du Commonwealth. Le Cameroun fait partie du Commonwealth, avec le Canada. Le Cameroun est aussi membre de la Francophonie, comme le Canada. Cela signifie donc que le Canada peut exercer des pressions au sein du Commonwealth et de la Francophonie pour nous aider à trouver une solution à cette situation.
    Au fil du temps, la mission canadienne au Cameroun a tantôt condamné la situation, tantôt appelé au dialogue, mais nous pensons que ce n'est pas assez. Le Canada doit aller au-delà de simples déclarations et condamnations. Nous pensons que ce comité peut condamner publiquement les violations flagrantes des droits de la personne qui ont lieu au pays, et condamner les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité perpétrés par les deux parties. En effet, il y a aussi des groupes armés qui commettent des atrocités au pays.
    Il est également important d'exhorter le gouvernement à créer un contexte favorable pour permettre à plus d'un demi-million de personnes déplacées à l'intérieur du pays et à plus de 50 000 réfugiés de retourner dans leurs villages, et à veiller à ce que les personnes actuellement détenues puissent consulter leur avocat. Le processus devrait être gratuit et équitable. En outre, les civils ne devraient pas être jugés devant un tribunal militaire. Dans une décision rendue en 2009, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a clairement indiqué que les anglophones arrêtés dans le sud-ouest et le nord-ouest du pays ne doivent pas être jugés devant un tribunal militaire. La plupart du temps, les procès se déroulent en français, une langue que la plupart des accusés ne comprennent pas.

  (1345)  

     Le tribunal militaire se fonde sur la loi antiterrorisme de 2014. Cette loi n'a pas vraiment comme objectif de lutter contre le terrorisme. C'est une loi qui a été adoptée pour lutter contre les dissidents, contre ceux qui réclament du changement. Quand la loi a été adoptée, la plupart des gens n'ont pas compris qu'elle allait servir à juger les anglophones. Tout le monde croyait qu'elle servirait à juger les infractions de Boko Haram.
    Les Canadiens et les députés doivent dire au gouvernement qu'il est inconcevable que des civils soient jugés devant un tribunal militaire. Il faut un dialogue. Il faut aussi que les députés, les Canadiens, pressent le gouvernement, si nous ne pouvons pas trouver de solution, de demander aux gens du Cameroun du Sud d'exercer leur droit à la tenue d'un référendum qui est prévu dans la constitution.
    Certains réclament une fédération, d'autres croient en l'indépendance du Cameroun du Sud. Nous sommes dans une démocratie, et la meilleure façon serait de donner aux Camerounais du Sud le choix entre demeurer dans la fédération ou se donner un État indépendant.
    Dans l'intervalle, étant donné que c'est un processus politique qui prendrait beaucoup de temps — c'est très lourd —, nous devons nous attaquer aux violations des droits de la personne qui sont commises. Nous devons nous assurer que la catastrophe humanitaire est portée à l'attention des communautés nationales et internationales. Le Canada peut soulever cette question au Conseil de sécurité, ou à l'Assemblée générale. Le Canada peut discuter de cela avec ses partenaires, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Union européenne, afin que nous puissions trouver une solution à cette catastrophe.
    Cela ne fait pas l'objet de la couverture médiatique qu'il faudrait, et c'est vraiment malheureux. Dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, qui constituent le Cameroun du Sud, la situation est déplorable. Les enfants ne vont plus à l'école, les gens ont peur, la population civile subit la terreur et les exécutions extrajudiciaires sont très fréquentes. Dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, il ne se passe pas une seule journée sans que de jeunes hommes soient abattus sans raison — simplement parce qu'ils ressemblent à des terroristes, ou parce qu'ils sont habillés comme des membres de l'un des groupes armés. Personne ne leur donne la possibilité de donner leur version.
    Nous avons une multitude d'exemples. Le 30 juillet, cinq jeunes hommes étaient assis dans un parc, à Buéa, autrefois la capitale du Cameroun allemand et du Cameroun britannique. Quatre d'entre eux ont été abattus, et le cinquième a survécu. Heureusement, nous passions par là, nous l'avons vu et nous l'avons amené à l'hôpital, mais des membres du BIR, le bataillon d'intervention rapide — les militaires — sont partis à sa recherche. Nous avons dû le sortir de l'hôpital, et il reçoit en ce moment des traitements. Nous avons d'autres exemples. Le mois dernier, 12 jeunes hommes ont été abattus dans une maison.
    Ces exécutions extrajudiciaires sont documentées. Personne ne les justifie. Parce qu'il y a une lutte armée, parce que le gouvernement prétend qu'il est censé protéger les civils, le gouvernement a entrepris de tuer des gens sans raison. Nous ne pouvons pas faire grand-chose au pays, car tout le monde a peur. Le président va demeurer au pouvoir encore sept ans, et si on ne trouve pas de solution au problème, nous allons nous enfoncer dans une guerre civile. Certains soutiennent que c'est déjà le cas. Une chose est sûre, et c'est qu'avec chaque jour qui passe, nous nous acheminons tout droit vers la guerre civile.
    Merci.

  (1350)  

    Merci beaucoup.
    Nous passons aux questions, et c'est M. Sweet qui commence.
    Monsieur Nkongho, j'aimerais que vous nous parliez des groupes séparatistes. Je ne veux diminuer en rien votre témoignage, mais j'aimerais en savoir plus à leur sujet: combien sont-ils, et combien sont actifs? J'aimerais aussi savoir si la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme est toujours là à battre de l'aile. Est-elle fonctionnelle? Est-ce qu'elle accomplit quelque chose?
    Oui. À cause des meurtres de civils non armés, des arrestations et de la mise à feu de villages, les groupes anglophones ont décidé de se rassembler pour se protéger... C'est de l'autodéfense. C'est ainsi que se sont créés divers groupes séparatistes et groupes armés qui sont maintenant actifs au pays.
    Ces mouvements séparatistes ont toujours existé. Ils existaient dans les années 1990... le Conseil national du sud du Cameroun. En raison de la façon dont les choses se sont faites au Cameroun, entre les Français et les Anglais, ainsi que du processus de réunification et de la constitution... La conférence de Foumban ne s'est pas vraiment passée comme prévu, et la plupart des anglophones croient que ce sont des tentatives pour les assimiler, les conquérir et les dominer. Il y a toujours eu des protestations venant de divers groupes du Cameroun anglophone qui réclament l'indépendance.
    Si vous posez la question à un anglophone, il vous dira que la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme n'a aucune utilité. Je sais qu'elle a été créée alors que nous étions en prison, mais c'était surtout pour plaire à la communauté internationale. C'était davantage pour montrer à la communauté internationale qu'ils agissaient. Les problèmes, pour les anglophones, ne sont pas liés au multiculturalisme ou au bilinguisme. L'anglophone moyen comprend et parle le français. C'est un problème culturel. C'est un problème d'assimilation. C'est un problème historique. C'est un problème de marginalisation, d'oppression et de suppression.
    Les gens estiment que la forme de l'État, la décentralisation unitaire, est un échec. Cela ne règle pas les problèmes particuliers aux anglophones du Cameroun. La décentralisation unitaire réalisée avec la constitution de 1996 et la modification apportée en 2008 ne peut résoudre ce problème. On réclame le retour à la fédération de deux États ou au mieux, l'indépendance du Cameroun du Sud.
    Vous demandez, avec raison, l'aide du gouvernement canadien. J'aimerais cependant vous demander s'il y a des gouvernements qui exercent en ce moment avec un certain succès des pressions de nature diplomatique sur le gouvernement du Cameroun.
    Nous discutons avec des gouvernements. La plus grande réussite de M. Biya a été de faire en sorte que personne ne parle du Cameroun. C'est parce que [Inaudible] six ans, alors personne ne parlait du Cameroun dans les médias grand public. On ne discutait pas du Cameroun au Parlement canadien ou à la Chambre des lords. Au moins, maintenant, on parle du Cameroun. Les gouvernements se sont mis à exercer de la pression. Récemment, le président français l'a félicité de sa victoire, mais il lui a aussi rappelé qu'il devait trouver une solution au problème des anglophones.
    Je sais que les Américains l'ont aussi fait. L'ambassadeur a dit à M. Biya de penser à ce qu'il allait léguer et d'essayer de trouver une solution. Le conseiller pour la prévention du génocide des Nations unies a aussi souligné à M. Biya qu'il doit trouver une solution à la crise.
    Si nous ne trouvons pas de solution — si la communauté internationale n'exerce pas de pression —, cela pourrait dégénérer jusqu'à devenir un conflit entre anglophones et francophones. Pour le moment, c'est une lutte entre les anglophones et les institutions de l'État. Si cela devient un conflit entre anglophones et francophones, il pourrait se produire la même chose qu'au Rwanda. N'oublions pas. Le principe du « plus jamais » sera gravement entaché si la situation au Cameroun dégénère comme elle l'a fait au Rwanda.
    Merci.
    C'est maintenant au tour de M. Tabbara.
    Merci beaucoup d'être venu. Encore une fois, je précise que j'ai très peu de temps.
    Je veux que vous me parliez de la situation de la presse et des journalistes avant l'élection et après l'élection, de l'incarcération par le gouvernement de certains journalistes pour des peines de 11 à 15 ans, et de la façon dont cela a entraîné la forte dégradation des institutions démocratiques et de la liberté de presse.
    Le gouvernement a toujours muselé la presse, au Cameroun. Malgré les mesures législatives sur la liberté des années 1990, qui ont marqué l'avènement de la liberté de la presse, de la démocratie et du respect des droits de la personne, c'est plutôt une application de façade. Le gouvernement ne les respecte pas vraiment.
    Nous avons Mancho Bibixy Tse, qui était journaliste et qui a écopé de 15 ans. Nous avons trois ou quatre journalistes anglophones en prison. Nous en avons d'autres qui ont récemment été arrêtés dans le cadre de protestations. Le gouvernement s'assure que vous serez poursuivi pour diffamation. On va vous retirer votre permis de journaliste. Vous savez que vous pouvez être suspendu.
    Dans le milieu de la presse, les gens sont très méfiants. Tout le monde essaie le plus possible de ne pas être perçu comme étant offensant pour le gouvernement. Les critiques sont très limitées. Le gouvernement a réussi à créer beaucoup de groupes médiatiques qu'il contrôle. Il sanctionne les groupes médiatiques qui les critiquent beaucoup. Quant aux groupes médiatiques qui tiennent des discours haineux, mais qui soutiennent le gouvernement, ils ne subissent aucune sanction. C'est vraiment deux poids deux mesures.
    Nous sommes inquiets. Nous craignons que la presse souffre vraiment des sept prochaines années de présidence de M. Biya. L'espace civique diminue, et ce n'est pas que la liberté de la presse, mais aussi la liberté d'expression et de réunion. Il est maintenant difficile d'obtenir l'autorisation de tenir un rassemblement, une réunion ou une conférence de presse. Nous avons vu ce qui est arrivé récemment aux dirigeants de certains des partis d'opposition; la conférence de presse a été interdite. La presse va vivre des moments très difficiles au cours des sept prochaines années du mandat de M. Biya.

  (1355)  

    Merci.
    Madame Hardcastle.
    Merci beaucoup.
    Pouvez-vous nous parler un peu de vous, de votre militantisme croissant et des perspectives que vous avez concernant les façons dont le Canada peut intervenir? Si je comprends bien, vous êtes un militant et vous avez d'abord été un avocat, dans la communauté juridique. Donnez-nous votre perspective, et utilisez le reste de mon temps pour nous parler un peu de la façon dont vous estimez que les choses se sont aggravées jusqu'au point où la république d'Ambazonie a été créée.
    Je suis avocat. J'ai étudié au Cameroun, au Nigeria et aux États-Unis. J'ai été reçu au barreau en 1996. Je pratique le droit depuis. J'ai travaillé aux Nations unies comme conseiller juridique auprès du Tribunal pénal international. J'ai ensuite travaillé comme conseiller en droits de la personne auprès de la mission des Nations unies en Afghanistan. J'ai déménagé au Congo et j'y ai travaillé comme conseiller juridique de la police des Nations unies en RDC, puis je suis retourné en Afghanistan à titre de conseiller juridique de la mission des Nations unies.
    Il y a trois ans, j'ai décidé de revenir au Cameroun, car je ressentais le besoin de voir comment je pourrais contribuer au processus démocratique. Pendant mon séjour aux États-Unis, en 2005, un groupe d'étudiants africains faisaient leur maîtrise en droit international et se concentraient sur les droits de la personne et le droit pénal. Nous avons fondé une organisation appelée le Centre for Human Rights and Democracy in Africa, et nous avons des bureaux au Cameroun, à la Sierra Leone et au Kenya. J'en suis le directeur général et le président fondateur. Quand je suis revenu, j'ai entrepris de gérer l'organisation tout en tenant un cabinet d'avocats.
    Il ne suffisait pas d'être un avocat et d'avoir une organisation de défense des droits de la personne. Comme nous étions des militants, nous avons décidé de nous regrouper avec d'autres avocats afin de créer le Cameroon Anglophone Civil Society Consortium, dont j'ai été le premier président. C'est le Consortium qui a ravivé la conscience, le nationalisme et le patriotisme des anglophones. Les gens se plaignaient depuis longtemps, mais ils avaient besoin d'un mouvement. Ils avaient besoin de leaders qui allaient avoir le courage nécessaire pour parler des problèmes au gouvernement.
    Nous avons de là entamé une forme de protestation pacifique, mais nous avons un gouvernement qui ne répond pas vraiment. Les avocats avaient rédigé quelque quatre mémoires à l'intention du gouvernement pour documenter les problèmes auxquels ils faisaient face, mais malheureusement, personne ne leur avait répondu. Personne n'avait même accusé réception de ces documents.
    Donc, en 2016, ils ont décidé de tenir un siège en guise de mesure de grève. Pendant un mois, le ministre de la Justice... Personne ne leur a répondu. Nous avons ensuite décidé de descendre dans la rue et de faire une marche, vêtus de nos toges et coiffés de nos perruques, afin d'attirer l'attention du gouvernement. S'ils dormaient, ils allaient comprendre que nous étions déterminés. Cependant, les avocats ont été brutalisés, battus, traînés dans la boue. On a saisi leurs perruques et leurs toges. En conséquence de cela, les enseignants et les étudiants les ont soutenus par des manifestations, lesquelles se sont cependant déroulées paisiblement.
    Malheureusement, le 17 janvier, Internet a été coupé pendant trois mois dans la partie anglophone du pays. Je ne sais pas si vous comprenez vraiment ce que cela représente, de ne pas avoir Internet pendant trois mois dans une partie du pays. C'était une punition collective, en quelque sorte. Il y avait la guerre avec Boko Haram dans le nord, et ce, depuis plus d'un an, mais jamais Internet n'avait été coupé.
    À cause des manifestations dans le Cameroun anglophone, Internet a été coupé pendant trois mois. On nous a arrêtés, bandé les yeux et menottés. Ils nous ont fait faire près de 10 heures de route, nous ont enfermés dans des conditions très déshumanisantes et nous ont informés des accusations qui pesaient contre nous devant un tribunal militaire. Pendant cette période, étant donné que les leaders modérés avaient été arrêtés, le mouvement s'est déplacé vers d'autres regroupements qui existaient déjà sans toutefois avoir une voix, et une plateforme a alors été créée.
    Les jeunes gens du Cameroun anglophone qui voulaient du changement avaient créé cette plateforme dont nous avions la chance d'être les leaders. Cependant, quand nous sommes partis... et à cause du traitement qu'ils avaient fait subir à ceux qui réclamaient une fédération et de meilleures conditions de vie dans le système de droit et d'éducation. La plupart des gens diraient que si vous préconisez la fédération et risquez la peine de mort, il vaut mieux préconiser la sécession et la suppression, et risquer la peine de mort. C'est ainsi que les positions se sont durcies — à cause de la façon dont des gens ont été tués ou arrêtés. C'est ainsi que les positions se sont durcies au point où on a maintenant un mouvement séparatiste.
    Le gouvernement avait la possibilité de trouver une solution. Il aurait encore été facile pour le gouvernement d'essayer au moins de s'attaquer au problème, mais il n'a jamais essayé de trouver une solution à la crise. Quand ils nous ont relâchés le 31 août, c'était l'occasion rêvée de relâcher tous ceux qui étaient détenus, mais ils ont choisi de ne libérer que trois personnes. Le juge Ayah, qui avait été juge à la Cour suprême, a été arrêté et détenu pendant sept mois sans procès. Ils ont relâché quelques personnes, dont moi, et ont laissé les autres en prison.

  (1400)  

    Tout cela a été imposé de telle sorte que, chez les Camerounais anglophones, la séparation est maintenant en vogue. La majorité des gens ne se contenteraient de rien de moins que la séparation. Ils demandent un référendum qui leur permettra de décider de leur sort, mais nous croyons toujours que quelque chose peut être fait. Malgré la situation, nous pourrions au moins avoir un dialogue — un règlement négocié. La diaspora au Canada aurait aussi un rôle à jouer, car elle exerce une forte influence. Ces gens ont de l'argent et une voix. Nous pouvons les inclure dans les efforts pour trouver une solution globale. Le problème ne peut pas être résolu à l'intérieur du pays seulement, sans inclure la diaspora.
    Je vais vous donner un exemple. Le Cameroun a tendance à inscrire sur une liste noire les Camerounais de naissance qui sont à l'extérieur du pays. Oui, certains ont la double nationalité, mais il est arrivé à des Camerounais de se présenter à l'aéroport avec un visa et de se faire renvoyer parce qu'ils encourageaient la dissidence à l'étranger.
    Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes du Cameroun sans nous pencher sur l'enjeu de la diaspora. Nous devons trouver un moyen d'obtenir l'amnistie ou la clémence pour ceux qui vivent à l'étranger et qui n'ont pas été accusés, mais qui ont été inscrits sur une liste noire du gouvernement. Ces gens ont de la famille au Cameroun. Leurs parents meurent, mais ils ne se rendent pas au Cameroun par crainte de se faire arrêter.
    Ces gens ne peuvent pas aller au Cameroun, mais nous savons qu'ils préféreraient aller en Ambazonie. Nous croyons que le gouvernement du Canada peut contribuer dans une grande mesure à créer un contexte propice et exercer de la pression sur le gouvernement pour tenir un dialogue, et au mieux, demander au peuple du Cameroun, au gouvernement, d'organiser un référendum.
    Merci.
    Malheureusement, nous n'avons plus de temps. Je sais que nous avons eu très peu de temps aujourd'hui, mais je vous remercie beaucoup de votre témoignage devant le Comité. Je remercie également les membres du Comité d'avoir été présents aujourd'hui.
    La séance est levée.
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