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CIIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent du commerce international


NUMÉRO 021 
l
2e SESSION 
l
43e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le vendredi 26 mars 2021

[Enregistrement électronique]

  (1310)  

[Traduction]

    La séance est ouverte. Bienvenue à la 21e séance du Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes.
    La séance d'aujourd'hui est diffusée sur le Web et se déroule dans un format hybride, conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 25 janvier 2021.
    Conformément à l'article 108 du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le 23 octobre 2020, le Comité entreprend une étude sur les mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États, ou RDIE.
    Je souhaite la bienvenue au formidable groupe de témoins qui est avec nous aujourd'hui. Ces experts de très haut calibre nous fourniront suffisamment d'information sur les mécanismes de RDIE, en vue du débat qui s'ensuivra.
    Il me faudrait l'après-midi entier pour énumérer les réalisations des experts qui constituent notre groupe de témoins. Cependant, comme je ne veux empiéter ni sur le temps qui leur est alloué ni sur celui du Comité, je me limite à accueillir l'honorable Yves Fortier, du Cabinet Yves Fortier; Barry Appleton, professeur à la New York Law School; Charles-Emmanuel Côté, professeur à l'Université Laval; Armand de Mestral, professeur émérite de droit à l'Université McGill; et Patrick Leblond, professeur agrégé à l'Université d'Ottawa.
    Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie tous de nous faire bénéficier de votre expertise et votre temps aujourd'hui.
    Monsieur Fortier, vous avez la parole.

[Français]

    Madame la présidente, distingués membres du Comité, confrères invités, bonjour.
    Permettez-moi d'abord de remercier le Comité de l'invitation à témoigner aujourd'hui en ma qualité d'arbitre et d'avocat spécialisé en arbitrage international.
    Je suis devant vous aujourd'hui pour témoigner du vif succès du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, le RDIE.
    Si je n'ai qu'un message à vous livrer aujourd'hui, que ce soit celui-ci: le RDIE fonctionne. Le Canada doit continuer de préconiser cette option dans le cadre de ses traités bilatéraux et multilatéraux.

[Traduction]

    Madame la présidente.
    Je suis désolée, monsieur Fortier. Pourriez-vous attendre juste un instant?
    Oui, monsieur Arya.
    J'arrive à peine à entendre la traduction. Le français est nettement plus fort et l'anglais est en sourdine.
    D'accord. Donnez-moi juste un instant.
    De mon côté, tout va bien.
    Ici ça fonctionne. Comment est-ce pour les autres?
    Chez moi, ça fonctionne.
    Chez moi aussi, madame la présidente.
    D'accord.
    Christine, avez-vous signalé le problème aux interprètes?
    Un technicien de la TI est sur place et se penche sur le problème.
    D'accord. Ne retardons pas les travaux... Veuillez continuer.
    D'accord.
    Monsieur Fortier, vous pouvez reprendre, s'il vous plaît.
    Souhaitez-vous que je recommence au début?
    Non. Le temps que vous nous accordez est très précieux; veuillez poursuivre.
    Très bien.

[Français]

    Le RDIE, comme vous le savez, offre aux investisseurs étrangers une protection contre les agissements de l'État dans lequel l'investissement est fait. Les traités de promotion et de protection des investissements confèrent aux investisseurs étrangers une protection contre l'expropriation illégale, ainsi qu'un traitement juste et équitable. Ils obligent l'État à offrir les mêmes conditions aux investisseurs étrangers qu'à ses propres ressortissants. En somme, ils offrent un environnement dynamique et accueillant pour les investissements étrangers.
    La politique canadienne pour la promotion et la protection des investissements étrangers, depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA en 1994, a été marquée d'un vif succès. Il est essentiel, selon moi, que le Canada continue d'offrir la protection du RDIE aux investisseurs étrangers, afin de maintenir l'attractivité économique et le rayonnement international du Canada.
    Les récents accords commerciaux conclus par le Canada sont globaux, modernes et détaillés. Un retrait du RDIE des accords pourrait laisser croire que le Canada n'est pas un partenaire commercial fiable ou sérieux.
    J'en ai d'ailleurs parlé lors d'une conférence au Washington College of Law de l'American University en octobre 2019, avant la pandémie.

[Traduction]

     Le débat sur les mérites de l'arbitrage n'est pas nouveau. L'arbitrage international suscite depuis longtemps de l'hostilité et enflamme les débats. Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements de la Banque mondiale a souvent été la cible de critiques. Les opposants à cette institution l'accusent de faire preuve de partialité envers les grandes sociétés. Ils en déplorent également les coûts prohibitifs et l'absence de mécanisme d'appel.
    À mon humble avis, la plupart de ces critiques illustrent une méconnaissance de l'arbitrage international. Les opposants réclament la disparition des mécanismes de RDIE en soutenant que ceux-ci n'offrent pas les mêmes mesures de protection qu'un système judiciaire en bonne et due forme. En dépit qu'il a été établi à maintes reprises que les États ont souvent gain de cause dans les différends en matière d'investissement, les détracteurs continuent à affirmer que le système défavorise les États et, partant, les incite à éliminer les mécanismes de RDIE.
    Toutefois, ces détracteurs ne proposent généralement aucune solution de rechange. Certains envisagent la création d'un tribunal multilatéral des investissements qui offrirait un mécanisme d'appel et auquel siégeraient des membres permanents. Dans un récent mémoire présenté à la Commission des Nations unies pour le droit commercial international, ou CNUDCI, l'Union européenne fait état de trois grandes catégories de préoccupations relatives au RDIE. La première porte sur le manque d'uniformité, de cohérence, de prévisibilité et d'exactitude des décisions arbitrales. La deuxième porte sur les arbitres et les décideurs et, la troisième, sur les coûts et la durée des procédures d'arbitrage entre investisseurs et États.
    Ce tribunal permanent ressemblerait au système juridictionnel des investissements prévu dans l'AECG, mais qui n'a pas encore été mis en place. L'Union européenne propose la création d'une entité permanente comportant deux niveaux, soit un tribunal de première instance et un tribunal d'appel. Ces deux tribunaux compteraient sur les services d'arbitres à temps plein assujettis à des exigences strictes en matière d'éthique et de diversité.

  (1315)  

[Français]

    Je vais me référer à la proposition européenne, dans mon témoignage, afin de souligner les avantages du RDIE, tout comme les propositions de réforme existantes.

[Traduction]

    À la fin de 2019, j'ai déclaré à Washington que l'arbitrage international s'est développé et s'est amélioré pendant des décennies et permet de réussir dans de nouveaux marchés à une échelle toujours grandissante. En 2018, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, ou CIRDI, a été saisi de 56 cas, c'est un record. Deux mille dix-huit a également été une année record pour la Cour d'arbitrage international de Londres et la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale.
    Je souligne qu'au cours de cette même année, 97 % des répondants à un vaste sondage auprès d'acteurs du milieu, d'universitaires, de juges, de bailleurs de fonds tiers et de hauts fonctionnaires ont indiqué privilégier l'arbitrage international pour le règlement des différends transfrontaliers.
    Pourtant, depuis des décennies, des voix s'élèvent pour dire qu'il faut cesser de recourir à l'arbitrage. Récemment, les critiques se sont intensifiées. Vous en avez entendu certaines récemment. D'aucun soutiennent notamment que le système actuel de règlement des différends entre les investisseurs et les États, ou RDIE, devrait être soit éliminé complètement, soit entièrement refait.

[Français]

    Le débat sur les mérites de l'arbitrage n'est pas nouveau et il dépasse les frontières canadiennes. Il s'agit d'un sujet qui enflamme les débats. Les plus violentes critiques dénoncent sans cesse un système injuste qui tranche toujours en faveur des multinationales et qui rend des décisions contradictoires, le tout à un coût prohibitif. Bien souvent, ces critiques proviennent, du moins en partie, de ceux qui ne profitent pas des avantages de ce système. La réalité est bien plus nuancée.
    Selon moi, le Canada se doit de maintenir le RDIE dans ses accords. Je rapporte encore une fois les propos que j'ai tenus à Washington.

  (1320)  

[Traduction]

     La popularité de l'arbitrage n'est pas le fruit du hasard. Elle découle des avantages qu'offre ce moyen de régler les différends. L'arbitrage international a résisté et continuera de résister aux attaques de ses détracteurs parce qu'il fonctionne bien.
    Heureusement, au cours des dernières années, de nombreux acteurs du milieu de l'arbitrage international ont vigoureusement réagi à ces attaques. Gary Born, éminent arbitre américain qui évolue sur la scène internationale, a récemment affirmé que pour assurer sa propre survie, il faut mettre l'accent sur les cinq grands principes de l'arbitrage, soit l'efficacité, la rapidité, l'expertise, l'impartialité et la force exécutoire.

[Français]

    Je vais rappeler brièvement les avantages du RDIE et, du même coup, les raisons pour lesquelles ce mécanisme doit continuer, selon moi, de faire partie de l'arsenal de la politique commerciale et étrangère du Canada.
    Comme vous le savez tous, l'arbitrage est un mécanisme fondé sur le consentement. Il permet la sélection d'un arbitre neutre et respecté, qui règle les conflits définitivement. La possibilité pour les parties de choisir leur propre arbitre, spécialisé dans le domaine, est un élément fondamental de l'arbitrage. Une fois la sentence définitive rendue, celle-ci peut être reconnue dans la vaste majorité des pays, grâce à la Convention de New York.

[Traduction]

    Je reviens de nouveau à la conférence que j'ai prononcée à Washington. Certains affirment que ce sont les caractéristiques fondamentales de l'arbitrage qui sont à l'origine des problèmes liés à ce mécanisme de règlement des différends. Les critiques soutiennent plus particulièrement que les arbitres nommés par les partis risquent de ne pas être impartiaux. Or, la résolution de différends sans le recours à un processus d'appel risque de forcer les parties à subir les conséquences de décisions erronées. À mon avis, les critiques confondent les avantages et les désavantages de l'arbitrage. Les caractéristiques fondamentales de l'arbitrage en assurent l'efficacité, ce ne sont pas des lacunes à corriger.
    Examinons d'abord le choix des arbitres. Dans son mémoire, l'Union européenne fait état d'une possible partialité de l'arbitre, de la lenteur des procédures et de l'inégalité entre les sexes, problèmes qui, selon elle, tiennent au fait que les parties choisissent elles-mêmes l'arbitre. Il s'agit effectivement d'une des principales différences entre l'arbitrage et le litige. En arbitrage, chaque partie désigne un arbitre.
    Certains soutiennent que la création d'une entité permanente pourrait assurer l'impartialité du processus de RDIE. J'estime ce point de vue contestable et à courte vue. Un organisme permanent serait censé mettre les arbitres à l'abri de puissants intérêts privés et éviter qu'ils rendent des décisions visant à inciter les parties à les reconduire dans leurs fonctions. Quant à savoir si un organisme d'arbitrage permanent serait plus indépendant que des arbitres nommés par les parties, c'est une question de point de vue.
    Est-on disposé à nier aux parties qui recourent à l'arbitrage le droit de choisir les arbitres en fonction de la compétence, de l'expérience et des qualités considérées essentielles pour un règlement équitable des différends? Est-on disposé à remplacer les femmes et les hommes d'une institution quasi-judiciaire possédant des qualifications générales, plutôt que spécialisées? Je ne pense pas. Le système actuel fonctionne bien. L'élimination du choix des arbitres par les parties n'améliorerait pas nécessairement le système.

[Français]

    Je vais maintenant aborder très brièvement le second aspect souvent critiqué du RDIE, soit l'absence de possibilité d'appel. Dénoncée comme une faiblesse du mécanisme, elle constitue plutôt, selon moi, l'une de ses plus grandes forces. En effet, la finalité des décisions et l'absence de délais occasionnés par un processus judiciaire sont des éléments essentiels du mécanisme.

[Traduction]

    Dans le système arbitral que nous connaissons, on ne devrait pas nécessairement conclure que les divergences entre les décisions constituent un problème. Il va de soi que les divergences dans les conclusions peuvent tenir aux différences dans les antécédents, l'expérience ou l'expertise des arbitres. Par surcroît, les trames factuelles peuvent différer. Chaque différend est unique et ce qui peut être considéré comme une erreur aujourd'hui pourrait se justifier demain comme distinction valable correspondant à la matrice factuelle unique d'un cas.

  (1325)  

[Français]

    Alors que certaines personnes continuent de fomenter des querelles sur les méfaits supposés de l'arbitrage, on ne peut que constater la vitesse à laquelle ce système s’est développé et continue de le faire au-delà des frontières canadiennes. En Asie, que ce soit à Hong Kong, à Singapour ou en Chine, toutes les récentes statistiques montrent des nombres records de cas enregistrés auprès des institutions arbitrales.
    En témoigne aussi l'inclusion du RDIE dans l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, tout comme dans la nouvelle route de la soie, c'est-à-dire le projet « une ceinture, une route » de la Chine. Cette dernière a indiqué qu'elle créerait un tribunal international pour les litiges liés à ce projet. D'ailleurs, l'intérêt confirmé de la Chine pour l'arbitrage est un argument supplémentaire pour le maintien du RDIE.
    En conclusion, permettez-moi de formuler des commentaires sur les récents développements géopolitiques qui vous confirmeront la nécessité de maintenir le RDIE dans les traités du Canada. En tant que parlementaires, vous êtes sûrement très bien au courant de la situation.
    Certains pays se sont récemment déclarés opposés au commerce international. L'imposition des tarifs et le trumpisme en font foi. L'attrait de l'arbitrage ne s'en trouve que grandi, puisqu'en contrepartie, celui des tribunaux nationaux diminue. Le Brexit ou les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine auront peu ou pas d'effets sur l'arbitrage.

[Traduction]

    Voici ce qu'Eric Tuchmann a récemment déclaré: « Dans un monde en pleine turbulence, l'arbitrage international offre une solution sûre aux différends commerciaux ». La seule perception que certains pays puissent être hostiles aux investissements étrangers incite carrément les entreprises à placer leurs capitaux ailleurs ou à éviter les tribunaux nationaux pour s'en remettre plutôt à des instances neutres où il est possible de régler les différends avec l'aide de facilitateurs impartiaux et qualifiés.
    La réussite de l'arbitrage n'est pas le fruit du hasard. Ce mécanisme de règlement gagne en popularité en dépit des critiques dont il fait l'objet: il a fait ses preuves pour régler des différends complexes qu'il était difficile de porter devant des instances judiciaires nationales. Compte tenu de son bilan positif ainsi que de l'incertitude et des risques grandissants qui existent sur notre fragile planète, l'arbitrage devrait continuer à être un mécanisme efficace.

[Français]

    Le Canada, selon moi, devrait continuer d'inclure le RDIE dans ses accords bilatéraux et multilatéraux.
    Madame la présidente, messieurs et mesdames les membres du Comité, je vous remercie.

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Fortier.
    Nous passons à M. Appleton, s'il vous plaît.
    M. Appleton vient tout juste d'arriver. Pouvons-nous passer au prochain témoin, s'il vous plaît?
    Nous attendrons une minute pour que M. Appleton s'installe.
    Allez-y monsieur Côté, s'il vous plaît.

[Français]

    Je vous remercie, madame la présidente.
    Je remercie à mon tour les membres du Comité de leur invitation à comparaître cet après-midi pour discuter du RDIE. Je suis honoré de partager cette tribune avec des personnes que j'ai eu le plaisir de croiser durant ma carrière, soit M. Fortier, M. de Mestral et M. Leblond.
    Ma perspective est celle d'un universitaire qui s'intéresse à la question du RDIE depuis une vingtaine d'années. J'aimerais prendre un peu de recul et mettre en perspective quelques aspects du RDIE. D'emblée, j'aimerais dire que j'abonde généralement dans le sens de M. Fortier.
    Il est important de rappeler que l'investissement étranger existait auparavant, qu'il existe encore aujourd'hui et qu'il continuera d'exister, peu importe qu'il y ait ou non un mécanisme de RDIE. Les flux d'investissement étranger vont exister et les décisions seront prises sur la base du rendement attendu de l'investissement. Le RDIE est une considération parmi d'autres lors d'une décision d'investissement. Si le RDIE devait disparaître, l'investissement étranger ne disparaîtrait pas pour autant. L'investissement étranger continuera toujours d'exister, tout autant qu'il continuera d'y avoir des différends liés à l'investissement étranger, que le RDIE existe ou non. La disparition du RDIE ne fera donc pas disparaître ces différends. Au fond, le RDIE apparaît comme un outil ou un instrument pour régler ces différends, qui existent depuis toujours et qui existeront de toute manière.
    Il faut par ailleurs considérer l'importance des montants en cause, toutes proportions gardées: le montant des réclamations présentées dans le cadre du RDIE, le montant réel des dommages accordés au bout du compte, ainsi que le montant des stocks d'investissements étrangers dans un État. Lorsqu'on met ces chiffres en perspective, on voit que, sauf quelques exceptions assez connues, les dommages accordés représentent une très petite fraction des capitaux qui sont investis dans les États et dont ceux-ci ont besoin pour faire croître leur économie.
    J'aimerais aussi parler de l'évolution de la posture du Canada à l'égard du RDIE, mais surtout à l'égard de l'investissement étranger de façon générale.
    Jusqu'aux années 1990, le Canada était essentiellement un importateur net de capitaux étrangers. Depuis les années 1990, le Canada est un exportateur net de capitaux étrangers. Le Canada s'est joint tardivement au mouvement des accords d'investissement et au RDIE. Ce n'est qu'à la fin des années 1980 qu'il a signé ses premiers accords en la matière. Il s'est par contre rattrapé rapidement, en pratique, puisque le RDIE, bien qu'il ait été prévu dans des traités dès le début des années 1960, n'a connu son envol qu'au cours des années 1990. Le Canada a donc été l'un des pionniers de l'utilisation du RDIE. J'entends ici une utilisation du RDIE contre le Canada, puisqu'il a fait l'objet d'un nombre important de réclamations de la part d'investisseurs américains.
    Hier encore, je regardais les chiffres. Parmi les pays les plus poursuivis au titre du RDIE, le Canada se classe au septième rang. En tout, 30 réclamations ont été faites contre le Canada, dont 29 de la part d'investisseurs américains. Ces derniers n'ont pas toujours été victorieux; nous pourrons y revenir plus tard. Par ailleurs, les investisseurs canadiens arrivent au cinquième rang parmi les plus grands utilisateurs du RDIE au monde. Il ne faut pas oublier cet aspect quand on s'intéresse à la posture du Canada relativement au RDIE. Jusqu'à maintenant, 55 réclamations ont été faites par des investisseurs canadiens à l'étranger.
    J'aimerais parler brièvement de l'origine du mécanisme de RDIE.
    Comme je le disais plus tôt, les différends relatifs à l'investissement étranger vont continuer d'exister, qu'il y ait ou non un mécanisme de RDIE. Tous les États du monde sont liés par la coutume internationale qui prévoit des normes minimales de traitement de la personne et des biens étrangers. En l'absence d'un accord d'investissement détaillant les protections offertes et d'un mécanisme de RDIE prévoyant l'arbitrage entre l'investisseur lésé et l'État qui l'aurait lésé, le système de droit international fonctionne de la manière suivante: c'est l'État de nationalité ou l'État d'origine de l'investisseur étranger qui doit faire une réclamation sur le plan international contre l'État qui a causé le préjudice à l'investisseur étranger. C'est ce qu'on appelle la protection diplomatique. Il s'agit d'un système qui existe depuis très longtemps.

  (1330)  

    Le désavantage de ce système, c'est qu'un différend entre un investisseur privé et un État étranger se transforme en un différend entre deux États souverains. Au cours de l'histoire, cela a contribué à la détérioration des relations internationales. De plus, il y a eu toutes sortes d'abus en lien avec la protection diplomatique, surtout avant le XXe siècle, mais aussi au cours de celui-ci.
    Les États ont donc cherché des moyens d'éviter cette politisation du règlement des différends liés à l'investissement. C'est ainsi qu'est apparue l'idée de créer des recours internationaux directs et mixtes entre l'investisseur lésé et l'État où il a investi, plutôt que d'impliquer son État de nationalité. Plusieurs institutions ont été mises en place, notamment des commissions mixtes d'arbitrage et des tribunaux mixtes, jusqu'à ce qu'on en arrive au système de RDIE prévu dans les accords d'investissement.
    En fin de compte, je ne saurais trop insister sur le fait que, au-delà de ses avantages techniques, le RDIE présente principalement un avantage politique: il contribue à dépolitiser le règlement des différends liés à l'investissement. Ainsi, un État n'est pas obligé de se mêler des problèmes que subissent ses investisseurs à l'étranger. Cela évite d'envenimer les relations entre l'État d'origine de l'investisseur et l'État étranger où il investit.
    Par exemple, de nombreux investisseurs canadiens ont présenté des réclamations contre le Venezuela, pour toutes sortes de raisons. Toutes ces affaires sont canalisées dans le processus de RDIE, et le Canada, comme État, n'a pas à déclencher une avalanche de réclamations sur le plan international contre le Venezuela. Chacun de ces différends reste cantonné entre l'entreprise qui a subi le préjudice et l'État en question, en l'occurrence le Venezuela.
    Je vous donne un autre exemple, soit celui du projet d'oléoduc Keystone XL, dont on a beaucoup parlé. En ce moment, il est toujours possible de faire une réclamation au titre de l'ancien chapitre 11 de l'ALENA. Toutefois, si cette situation se produisait dans un cadre où il n'y avait plus de RDIE, une fois les recours internes épuisés, à supposer qu'il y en ait aux États-Unis, le Canada subirait des pressions politiques et il lui reviendrait de décider de faire ou non une réclamation contre les États-Unis sur le plan international, que ce soit sur le plan diplomatique ou devant une instance. Le problème d'une entreprise deviendrait donc le problème du Canada. C'est un aspect important à garder en tête.
    En ce qui concerne les problèmes liés au RDIE, ils ont été évoqués très souvent, donc je ne reviendrai pas là-dessus. Nous pourrons y revenir lors de la discussion, au besoin.
    J'aimerais regarder quelques éléments de solution ou quelques recommandations pour le Canada.
    Premièrement, il serait opportun que le Canada se dote d'une politique juridique étrangère plus en phase avec le RDIE. Il faut dire que le Canada a embrassé à peu près tous les scénarios qui circulent sur le RDIE. Tout d'abord, il y a eu l'abandon complet du RDIE dans le cadre de l'Accord Canada—États-Unis—Mexique. Ensuite, il y a eu la réforme en profondeur du système proposée par l'Union européenne, qui prévoyait l'établissement d'un tribunal d'investissement et d'une cour d'appel. Enfin, dans le cadre de ses accords bilatéraux et de l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, le Canada a maintenu le statu quo. Il n'a apporté que des améliorations ponctuelles au système existant.
    On a donc de la difficulté en ce moment à voir quelle est la réflexion derrière tous ces choix. Il me semble que le Canada devrait avoir une approche plus raisonnée et plus systématique. Quelle devrait être cette approche? À mon avis, il est impératif de définir tout d'abord les besoins des investisseurs canadiens à l'étranger. On ne peut pas décider d'une approche en ignorant les besoins des entreprises canadiennes qui investissent à l'étranger. Il faut aussi déterminer si Ottawa souhaite avoir la responsabilité de régler les différends de toutes les entreprises canadiennes à l'étranger, si l'on décide d'abandonner le RDIE. Il est important de tenir compte de cette réalité.

  (1335)  

    Enfin, y aurait-il lieu d'adopter une approche qui s'adapte au niveau de développement du partenaire avec lequel on traite? C'est un peu ce qu'on semble faire, sans le dire. Si c'est ce qu'on souhaite, il me semble qu'il faudrait prendre cette décision en se fondant sur une analyse, au lieu de simplement suivre la demande du partenaire de négociation. Une approche réfléchie et cohérente à ce sujet semble faire défaut.
    Certaines solutions de fond s'imposent, à mon avis.
    L'un des problèmes découlant de cette espèce d'approche kaléidoscopique du Canada, c'est que le Canada n'attache pas tous les fils; il y a des fils qui dépassent. Par exemple, malgré l'adoption de l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, le Canada maintient en vigueur ses accords bilatéraux, y inclus un mécanisme de RDIE, avec certains États qui sont également ses partenaires dans le cadre du PTPGP. C'est un drôle de choix qui fait coexister des jeux de traités avec des obligations distinctes. Finalement, l'investisseur pourra choisir le traité le plus moderne ou le traité le plus ancien, selon ce qu'il veut.
    Il faut savoir que d'autres États, comme l'Australie, abrogent systématiquement les traités antérieurs lorsqu'ils concluent un traité multilatéral couvrant les mêmes parties. Il est étonnant que le Canada n'ait pas fait ce travail.
    Le Canada l'a fait, par contre, avec l'Union européenne. Ainsi, si le chapitre de l'AECG sur l'investissement entre pleinement en vigueur, il est prévu que les six ou sept traités bilatéraux que le Canada a toujours avec des États européens seront abrogés.
    Il me semble particulier de suivre deux approches différentes en la matière. Je trouve encore une fois que l'approche du Canada manque de cohérence.
    L'autre problème que nous avons, c'est que le Canada a encore de vieux traités bilatéraux qui traînent. Ils ont été négociés à une époque où l'on définissait moins soigneusement l'étendue des protections, les règles de procédure applicables ou la transparence du processus. Ces anciens traités sont encore dans le paysage et pourraient revenir hanter le Canada. En effet, il est possible que des investisseurs essaient d'invoquer une protection plus avantageuse offerte par un traité avec d'autres États, en vertu de la clause de la nation la plus favorisée. Nous courons donc un risque réel de voir les efforts pour améliorer le système au moyen de traités plus modernes être neutralisés par l'invocation de vieux traités.
    Plusieurs États dans le monde ont entrepris la modernisation des anciens traités. Il me semble que le Canada devrait aussi s'atteler à cette tâche.
    En conclusion, la fin du RDIE ne signifie pas la fin du règlement des différends avec des investisseurs étrangers. Ces différends continueront d'exister; c'est seulement qu'ils devront être réglés autrement. En fin de compte, qu'ils soient réglés d'abord devant les tribunaux nationaux ou non, une pression va s'exercer sur l'État canadien, qui devra décider s'il épouse ou non les réclamations des entreprises canadiennes à l'étranger. C'est un élément qui n'est pas à négliger dans un scénario d'abandon du RDIE.
    Le Canada n'est pas le seul pays à envisager l'abandon du RDIE. On parlait de la Chine tout à l'heure. La Chine semble avoir laissé de côté le RDIE dans le récent chapitre sur l'investissement du Partenariat régional économique global, conclu entre les 10 États membres de l'Association des nations du Sud-Est asiatique. Dans un accord avec l'Union européenne, on semble aussi vouloir laisser tomber le RDIE. Certains États vont donc dans cette direction. Il ne faut cependant pas oublier que les différends vont continuer d'exister. Un abandon du RDIE aura peut-être pour effet de tout simplement politiser de nouveau le règlement de ces différends.
    Par ailleurs, il faut faire attention à la possibilité que, à l'aide d'une planification d'entreprise bien pensée, des investisseurs étrangers investissent au Canada par le truchement de filiales situées dans des États avec lesquels le Canada a des accords d'investissement. Finalement, il peut être relativement aisé pour un investisseur de contourner l'abandon du RDIE. Cela illustre de nouveau le problème causé par la démarche un peu incohérente du Canada, qui n'a pas une approche systématique de la question. Dans certaines circonstances, une bonne planification d'entreprise pourrait permettre à des investisseurs privés de bénéficier du RDIE prévu dans le cadre de traités avec d'autres États. Je répète que ce n'est pas possible dans tous les cas, car il faut respecter certaines conditions, mais c'est une possibilité.

  (1340)  

    Je m'arrêterai ici pour le moment. Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

     Merci, monsieur Côté.
    Vous avez la parole, monsieur Appleton. Je vous en prie.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je tiens à vous remercier ainsi que le Comité de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui au sujet du processus de règlement de différends entre les investisseurs et l'État.
    J'étudie la question et je participe au processus depuis plus de 25 ans. J'espère donc offrir au Comité un point de vue utile et pratique qui saura l'informer davantage sur différents aspects de la question.
    J'ai eu l'occasion d'entendre le témoignage de certains de mes estimés collègues. Il y a eu un petit problème technique, alors j'ai entendu une grande partie, mais pas tout. J'essayerai de ne pas répéter ce qu'ils ont dit, et de mettre l'accent sur ce qui serait le plus utile pour le Comité.
    Permettez-moi de me présenter. Je suis un avocat canadien et étatsunien. Je suis codirecteur du Centre de droit international de la New York Law School. Je co-préside le Comité sur l'arbitrage international de la section du droit international de l'American Bar Association. J'ai écrit de nombreux livres sur le droit économique international, dont deux sur l'ALENA, l'Accord de libre-échange nord-américain. Je suis le rédacteur en chef des rapports sur les différends entre les investisseurs et l'État et de la série sur les traités d'investissements de Westlaw. J'ai été conseiller auprès de plusieurs gouvernements au Canada sur les questions liées à l'ALENA et à l'Organisation mondiale du Commerce, notamment la défense des poursuites invoquant les dispositions investisseur-État. De plus, j'ai souvent représenté des investisseurs dans les actions intentées contre le gouvernement du Canada en vertu de l'ALENA, comme associé directeur d'Appleton & Associates International Lawyers LP, qui a son siège à Toronto.
    Bien sûr, aujourd'hui, je témoigne seulement en mon nom personnel. Mon témoignage ne représente pas l'avis des institutions, des organisations ou des clients pour lesquels j'ai travaillé. Ce sont mes remarques personnelles et j'en assume l'entière responsabilité.
    Maintenant que ce détail est réglé, je veux souligner que l'arbitrage investisseur-État prévoit un mécanisme dépolitisé et indépendant qui permet d'appliquer la règle du droit en matière de différends entre les États et les investisseurs. C'est ce dont parlait le professeur Côté; il en a donné un excellent aperçu. Comme le sait le Comité, les Canadiens réussissent en affaires et en investissements sur la scène internationale. Ils savent être concurrentiels. Ils sont une force novatrice, ils sont résilients et ils peuvent très bien négocier au sein d'une diversité de systèmes linguistiques, culturels et juridiques.
    Le Canada n'est pas doté d'un pouvoir économique, militaire ou politique démesuré. Pour réussir, nous devons apprendre à être ingénieux plutôt que puissants. Nous réussissons en respectant les règles et en les établissant, ainsi qu'en veillant à ce que nos entreprises offrent une meilleure proposition de valeur. Nous nous attendons à ce que nos entreprises gagnent, c'est-à-dire qu'elles réussissent à l'étranger, ou qu'elles perdent exclusivement en fonction de l'application équitable des règles. Le Canada gagne grâce à l'application des droits en matière de commerce plutôt que grâce à l'application de sa puissance économique. Pour ce qui est de la puissance économique, nous n'en avons tout simplement pas, alors nous devons être en mesure de nous servir des règles commerciales.
    Puisqu'on a besoin d'un système fondé sur des règles, le Canada a toujours fait ressortir la nécessité d'avoir des institutions multilatérales fondées sur des règles. Nous appuyons l'Organisation mondiale du Commerce et les Nations unies. C'est la façon canadienne de faire les choses. Le règlement des différends entre les investisseurs et les États est un autre élément d'un système multilatéral fondé sur les règles.
    Comme le professeur Côté et d'autres témoins vous l'ont dit, nous sommes signataires de l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne, de l'Accord Canada—États-Unis—Mexique et de l'ALENA, ainsi que beaucoup d'autres traités bilatéraux relatifs à l'investissement. Comme l'a fait valoir le professeur Côté, l'arbitrage investisseur-État empêche l'intensification des différends internationaux de faible ampleur; il est capital parce qu'il assure ainsi le compartimentage et la désescalade des différends. L'arbitrage investisseur-État permet d'assurer que les décisions sur l'application de traitements discriminatoires, inadéquats, injustes ou même corrompus contre les Canadiens puissent être réglées sans que le Canada soit obligé de s'engager dans une escarmouche diplomatique. Bref, l'arbitrage investisseur-État assure l'application du principe de protection diplomatique dont on a déjà entendu parler au Comité.
    La plupart des demandeurs d'arbitrage investisseur-État que j'ai représentés sont des PME. Ce ne sont pas les grands groupes de Fortune 100. Les protections prévues dans les traités sont en fait plus importantes pour les petites entreprises, car celles-ci n'ont pas accès aux réseaux d'influence ni à de grandes sommes d'argent. Or il faut que la justice soit accessible aux petits comme pour les grands.
    De nombreux témoins ont attiré l'attention du Comité sur la possibilité d'un gel réglementaire à l'égard de l'arbitrage investisseur-État. J'aimerais consacrer le reste de mes observations à l'arbitrage investisseur-État au Canada. Je veux me concentrer sur des mesures pratiques que le Comité peut prendre lorsqu'il surveille et qu'il examine les enjeux.

  (1345)  

    L'arbitrage investisseur-État fait partie de notre réseau d'investissement et d'accords de libre-échange. Essentiellement, il s'agit d'une entente de réciprocité. Nous demandons aux autres pays d'assurer aux investisseurs du Canada un traitement de qualité et, en contrepartie, nous leur garantissons la même protection pour les sommes étrangères investies au Canada. C'est aussi simple que cela. Nous obtenons des avantages des autres, mais nous devons leur offrir les mêmes avantages.
    À notre avis, notre pays est remarquable. Nous avons de formidables institutions et un système juridique rigoureux. Nous devrions facilement être en mesure d'offrir ces assurances.
    Les restrictions sur la politique publique canadienne découlent des textes des traités, et non du processus d'arbitrage investisseur-État. Nombre de plaintes en matière d'arbitrage investisseur-État affirment à tort que la source du problème est le tribunal plutôt que le contenu du texte même du traité. Nos traités sont souvent libellés de manière à accorder une longue liste d'exceptions sur la base des politiques publiques. Ils accordent un pouvoir de réglementation étendu à la politique publique. Cependant, les fonctionnaires canadiens doivent se fier scrupuleusement aux exceptions existantes.
    Le Comité joue un rôle essentiel dans la supervision et la modification des traités commerciaux. Dans vos travaux futurs, vous voudrez peut-être examiner tout particulièrement les répercussions des exceptions prévues dans les traités.
    J'aimerais présenter quelques exemples de choses que nous pourrions mieux faire.
    Tout d'abord, la prudence est mère de sûreté. Qu'est-ce que je veux dire par là? La grande partie des difficultés du Canada découlent de son incapacité de juger quelles batailles valent la peine d'être livrées. Chaque jour, un avocat-conseil de la Couronne doit décider, avant le début des audiences, quelles causes défendre et lesquelles régler hors cour. Les causes ne méritent pas toutes d'être défendues.
    Le Canada défend toutes les causes d'arbitrage investisseur-État. Nous voudrons peut-être repenser notre façon de faire, car les États perdent lorsqu'ils se défendent contre une mauvaise politique publique. Ils perdent l'imprimatur de l'État, c'est-à-dire l'autorité qui leur revient en tant qu'État. Il faut régler très tôt les causes qui sont fondées sur une mauvaise politique. Cela permettrait d'économiser des sommes considérables aux contribuables. De plus, il y a très peu d'intérêt public à promouvoir une mauvaise politique publique. Ce que nous voulons faire, c'est promouvoir une politique publique rigoureuse.
    Le Canada a déjà défendu de mauvaises politiques publiques; il n'est pas surprenant qu'il n'ait pas connu beaucoup de succès en faisant cela. C'est là un défaut de l'approche du Canada pour régler les disputes entre les investisseurs et l'État. À mon avis, cela explique pourquoi le Canada est l'État qui connaît le moins de succès dans les poursuites entre les investisseurs et l'État dans le cadre de l'ALENA. Il faut choisir les causes qu'on peut gagner. La prudence est mère de sûreté.
    J'aimerais maintenant aborder la question du gel réglementaire. En tant que conseiller du gouvernement, je n'ai jamais vécu de situation où la politique gouvernementale m'aurait contraint à cause du risque d'une poursuite entre un investisseur et un État. En général, les traités sont libellés pour offrir une grande latitude à la politique gouvernementale. Rien n'empêche les gouvernements de protéger leurs citoyens. C'est leur devoir. Ils sont là pour cela.
    Cependant, dans chaque situation à laquelle j'ai participé — et je me suis retrouvé dans un certain nombre de situations où il fallait tenir compte de ce genre de choses —, j'ai constaté que les gouvernements allaient de l'avant avec une politique et qu'ils s'attaquaient aux problèmes potentiels par la suite. C'est ce que fait d'habitude le gouvernement pour ce qui est des préoccupations de l'Organisation mondiale du Commerce sur les politiques et, de plus en plus, c'est ce qu'il fait pour régler les préoccupations concernant la réglementation des plateformes numériques.
    Ce sont toutes des questions qui sont maintenant du ressort du Comité permanent du commerce international. À mon avis, le pouvoir de supervision du Comité a été restreint par certaines actions du gouvernement.
    J'aimerais proposer au Comité des questions qu'il voudrait peut-être examiner.
    Premièrement, le Canada a pris des mesures pour restreindre l'accès public aux documents des disputes et limiter ainsi la connaissance publique en matière des disputes liées à l'ALENA. À titre d'exemple, le Canada n'accorde pas au public l'accès aux preuves déclassifiées des tribunaux de l'ALENA. Tous ces documents ont été déclassifiés et il existe un processus. À mon avis, le Parlement et le grand public devraient y avoir pleinement accès. La transparence est une valeur très importante que nous défendons à l'étranger. Pour que le Parlement puisse assurer une surveillance convenable, nous devons assurer le plein accès à ces documents.
    Dans une poursuite au titre de l'ALENA qui est actuellement en cours et où je suis avocat, Tennant Energy c. Canada, dans un précédent dossier de l'ALENA, des titulaires de charges publiques avaient admis avoir eu des comportements répréhensibles à l'étranger. Incroyablement, ces admissions racontent la manière dont les procédures publiques canadiennes ont été contournées par un groupe secret de fonctionnaires de haut niveau pour aider les amis et les partisans du gouvernement. Cela constitue des preuves. Le Canada a affiché un hyperlien sur Internet vers une vidéo de tout ce contenu. C'était assez scandaleux.

  (1350)  

    C'était accessible au public pendant cinq ans, puis le Canada a pris des mesures dans l'affaire d'arbitrage Tennant dans le cadre de l'ALENA pour empêcher le public et le Parlement d'obtenir ces documents, alors qu'ils étaient en ligne depuis cinq ans. Le Parlement et les Canadiens n'y ont pas accès en raison de la décision du gouvernement de supprimer ces renseignements.
    C'est peut-être embarrassant, mais c'est ce qui pourrait expliquer pourquoi le Canada n'a pas très bien fait. Ce n'est pas à cause des dispositions investisseurs-États. C'est en raison des décisions que nous avons prises au fil du temps. J'aurais tendance à penser que les Canadiens ont le droit de savoir. Je crois que le Comité devrait avoir le droit de savoir ce qui se passe, surtout qu'on parle de quelque chose qui a été publié il y a cinq ans et demi sur Internet. Je ne vois simplement pas comment on peut penser que ces renseignements sont confidentiels.
    Une autre solution très pratique qui améliorerait les chances de réussite du Canada dans les affaires de différends entre des investisseurs et l'État serait de mener hâtivement de véritables consultations. L'ACEUM et l'ALENA comptent tous deux des dispositions qui l'exigent, mais le processus de consultation au pays est passé de véritables consultations à de l'écoute active. J'ai l'impression qu'on pourrait régler les affaires beaucoup plus rapidement et beaucoup plus facilement si nous changions cette approche.
    Laissez-moi vous donner un exemple. J'étais avocat dans le cadre d'une affaire dans les débuts de l'ALENA dans laquelle le Canada n'avait pas eu gain de cause. C'était l'affaire S.D. Myers. Une petite entreprise avait porté plainte contre le Canada. Elle voulait que le Canada la consulte véritablement. Si le Canada avait tenu des consultations sérieuses, je crois que l'affaire aurait pu être réglée. Le gouvernement a perdu et a eu à verser des millions de dollars des contribuables, mais tout ce que souhaitait l'entreprise au fond, c'était qu'on l'écoute en amont et qu'on lui présente des excuses pour quelque chose qu'elle considérait injuste.
    D'après moi, ce sont toutes ces choses que nous pourrions faire pour être meilleurs et pour améliorer la gestion que nous faisons des différends entre les investisseurs et l'État. Ce sont les pouvoirs spécifiques et les approches que le Comité, je crois, peut préconiser.
    Cette déclaration préliminaire vous donne quelques suggestions pratiques et spécifiques quant à la façon pour le Canada d'améliorer ses chances de réussite lors de différends entre des investisseurs et l'État. J'ai beaucoup étudié le système relatif aux dispositions de règlement des différends entre investisseurs et États, son fonctionnement et les réformes qui sont en cours. Je remercie le Comité de me donner l'occasion de venir témoigner aujourd'hui et je serai heureux de répondre aux questions au sujet des nouvelles ramifications et des nouvelles approches, entre autres, mais je ne voulais pas rater l'occasion de mentionner certaines des choses que le Comité pourrait, à mon avis, étudier pour améliorer la situation.
    C'est quelque chose qu'on peut faire, mais on ne peut le faire sans les informations. Il faut obtenir ces renseignements du gouvernement; il faut qu'ils soient produits. Tous les Canadiens en sortiront gagnants, et vous serez en bien meilleure posture et vous aurez un processus bien meilleur et plus significatif si vous pouvez obtenir ces renseignements.
    Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui. Je suis prêt à répondre aux questions.

  (1355)  

    Je vous remercie, monsieur Appleton.
    Nous passons à M. de Mestral.

[Français]

     Madame la présidente et distingués membres du Comité, je vous remercie de cette invitation.
     Je dois dire que, de façon générale, j'abonde dans le même sens que mes distingués collègues.
    Plus tôt, nous avons entendu M. Yves Fortier. Je me permets de dire qu'il est l'arbitre le plus respecté au monde, ce qui est remarquable. Nous sommes chanceux d'avoir pu entendre son point de vue, même si je ne suis pas totalement d'accord sur certains points.
    Puisque mon temps de parole est très limité, je vais strictement m'attarder à la question posée. Est-ce que l'arbitrage entre un investisseur et un État va à l'encontre des intérêts du Canada? Tout comme mes collègues, je dirai que ma réponse générale est certainement non. Cela ne va pas à l'encontre des intérêts du Canada, au contraire. Bien que je vais émettre quelques réserves, je note que ces réserves sont déjà largement inscrites dans la pratique canadienne de ces récents accords.
    Tout d'abord, je vais parler des critiques et des réponses aux critiques. Ensuite, je vais me poser la question suivante: y a-t-il des solutions de rechange à l'arbitrage entre un investisseur et un État? Enfin, je vais dire quelques mots sur la proposition de créer un tribunal arbitral international.
    Il y a certainement eu des critiques, tout au long de l'histoire. On se plaint parfois que des décisions contradictoires ou de mauvaises décisions ont été rendues. Comme il y en a près de 700, c'est possible que cela se produise en cours de route.
    On se pose des questions sur la nomination des arbitres. Au départ, on s'est demandé si certains arbitres n'abordaient pas cette procédure comme des arbitres strictement commerciaux, c'est-à-dire s'ils voyaient ces différends essentiellement comme des décisions commerciales. Comme vous le constatez, il y a à la fois des intérêts commerciaux et des intérêts publics et politiques. Je crois que, aujourd'hui, la plupart des arbitres comprennent ce fait.
    Qui sont les arbitres? Au départ, les arbitres étaient surtout des Canadiens, des Américains et des Européens. Petit à petit, on a élargi le giron, mais la crainte initiale des États en voie de développement était fondée. On dit que certaines demandes sont carrément frivoles ou très délicates sur le plan politique. Le problème le plus fondamental, ou du moins le problème examiné par de nombreux universitaires, c'est le fait que l'État a beaucoup de peine à répondre à certaines réclamations. Par exemple, lors d'un différend dans le domaine minier, si une compagnie reproche à un État de violer certaines normes d'un traité, les États sud-américains voudraient bien répondre à la compagnie qu'elle a violé les normes fondamentales des droits de la personne, qu'elle a rendu la vie terriblement difficile à des communautés autochtones et j'en passe. Sur le plan procédural, c'est très difficile pour une compagnie de présenter ce genre de défense.
    Y a-t-il des réponses à ces critiques? À mon avis, oui, il y en a à la fois sur les règles et sur la procédure.

  (1400)  

     Certainement, beaucoup a été fait sur le plan de la nomination des arbitres. Il y a des codes de conduite. On procède à la nomination des arbitres avec beaucoup plus de soin. On essaie petit à petit de nommer des femmes ainsi que des gens en Asie qui, jusqu'à présent, n'ont pas été nommés, et cela commence à porter ses fruits. Sur ce plan évidemment très important, il y a de plus en plus de diversité au sein de la communauté des arbitres. Je peux vous dire que ceux qui peuvent nommer M. Yves Fortier sont très heureux.
    Sur le plan de la procédure, plusieurs traités, y compris les traités signés par le Canada, l'Union européenne et les États-Unis, permettent maintenant d'exclure certaines formes de réclamation. Cela ne fait peut-être pas le bonheur de ceux qui déposent les réclamations, mais les réclamations déclarées frivoles ou manifestement non fondées seront exclues au moyen de certains traités, y compris les traités canadiens. Donc, sur le plan de la procédure, il y a une réponse.
    Si vous examinez les traités bilatéraux ou les chapitres en matière d'investissement dans certains grands traités de commerce du Canada, vous constaterez que des réformes procédurales ont été ajoutées. Ce processus est donc largement entamé et il n'est certainement pas terminé.
    Y a-t-il d'autres possibilités? Certains disent qu'on peut abolir le système. Mon collègue M. Côté a bien expliqué que les gouvernements ne veulent pas prendre la responsabilité de beaucoup de ces affaires. Nous n'avons pas de canonnières, malheureusement. Ce n'est plus le temps des canonnières. Les États préfèrent que ces différends soient cantonnés sur un plan beaucoup moins politique.
    On entend souvent l'argument selon lequel toutes les affaires peuvent être envoyées aux tribunaux nationaux. C'est une solution de facilité. À ce sujet, j'ai écrit un livre dont le premier chapitre traite en profondeur de cette question pour le Canada. Si l'on envoyait 80 % des affaires contre le Canada aux tribunaux canadiens, on finirait devant les tribunaux administratifs, où justice serait certainement rendue sur la forme, mais ces tribunaux administratifs ne donnent pas la compensation. Pour les compagnies plaignantes, c'est donc une solution tout à fait inadéquate.
    Si l'on retourne à la situation où tous ces différends sont renvoyés devant les tribunaux nationaux, il y aura 189 solutions différentes. Ce n'est pas ce qu'on veut. L'avantage manifeste de l'arbitrage du système tel qu'il existe est que, d'une part, un traité crée les règles applicables. D'autre part, un tribunal arbitral jouit de tous les avantages d'un tel tribunal quant à la procédure et à l'exécution de la sentence. Ce système tient. Par contre, s'il y avait 180 systèmes différents, cela ne tiendrait pas. Ces soi-disant solutions ne tiennent donc vraiment pas la route, malheureusement.
    Finalement, je tiendrai des propos qui différeront peut-être un peu de ceux de mon collègue M. Yves Fortier.

  (1405)  

     Après de longs débats politiques au sein de l'Union européenne, cette dernière a proposé un système, soit la création d'un tribunal d'arbitrage d'investissement international. Dans un tel tribunal, les juges seraient connus et sans doute choisis parmi les grands experts du monde en la matière. Ce tribunal n'abolirait pas le droit de l'État investisseur. Au contraire, il appliquerait les traités. Le droit serait donc toujours appliqué, mais par un tribunal connu et, espérons-le, dont les membres jouiraient d'un grand respect.
    Serait-il préférable d'avoir un système tel que nous le connaissons actuellement, où les parties nomment leurs propres juges, c'est-à-dire leurs arbitres? C'est difficile à dire. D'abord, il y a une question politique. Combien d'États suivront le Canada en suivant l'Union européenne? Il y en aurait quelques-uns, mais pas énormément pour l'instant. Il est probable que le tribunal serait établi, mais combien d'États consacreraient leurs intérêts en matière d'investissement aux décisions de ce tribunal? Cela reste à voir et c'est une solution pour certains États, mais peut-être pas pour d'autres.
    N'oublions pas le grand succès du tribunal d'appel de l'Organisation mondiale du commerce, ou OMC, qui a tellement bien réussi que les États-Unis ont eu peur, sous le gouvernement Trump, et stoppé les travaux de ce tribunal. Cependant, on ne peut pas nier que ce tribunal a consolidé la jurisprudence de l'OMC et donné beaucoup plus de cohérence à un système strictement arbitral. Ainsi, quant à moi, je donnerais la chance au coureur et je comprends pourquoi le Canada a suivi l'Union européenne. Je pense qu'on ne devrait pas avoir peur de ce système.
    Nous risquons évidemment d'avoir un système à deux vitesses, arbitral et soumis aux décisions de ce tribunal, à cause des quelque 3 000 traités de commerce ou bilatéraux en matière d'investissement. C'est peut-être le plus grand problème qui reste pour les pays comme le Canada, qui essaient de moderniser le système. Il existe au moins 2 000 traités qui ne seront probablement pas renouvelés dans un avenir proche.
    Nous vivrons donc de toute façon dans un système où les traités, mais pas tous, seront beaucoup plus modernes, comme la plupart des traités canadiens, comme l'a dit le professeur Charles-Emmanuel Côté. Il y a beaucoup d'États où les traités n'auront pas été modernisés, ce qui pourrait faire en sorte que certaines dispositions laissent place à des interprétations, parfois sujettes à des critiques. Nous vivrons donc fort probablement dans un système qui restera, pour l'instant, à plus ou moins deux vitesses. Cependant, à mon avis, le Canada a intérêt à avancer et à essayer de clarifier les règles et les procédures. Nous avons intérêt à essayer d'appuyer le modèle de tribunal d'arbitrage en matière d'investissement international.

  (1410)  

[Traduction]

    Si vous me permettez, en conclusion, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faut aussi s'assurer que la température de l'eau convienne au bébé. En outre, ce qui convient à un bébé ne conviendra peut-être pas à un autre.
    Il y a encore d'importants problèmes, mais j'ai personnellement beaucoup de respect pour la façon dont le gouvernement du Canada a tenté de moderniser les choses le plus possible. Il a modernisé ses propres traités, il a modernisé le système et il a encouragé la modernisation. C'est, selon moi, la meilleure façon pour le système d'évoluer.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup, monsieur le professeur.
    Passons maintenant au professeur Leblond. La parole est à vous.

[Français]

    J'ai l'honneur et le plaisir de m'adresser aux membres du Comité aujourd'hui.
    Mon intervention, cet après-midi, portera sur la logique des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, ou RDIE, et sur le choix auquel vous, chers membres du Comité, êtes confrontés dans le cadre de cette étude. Il est donc nécessaire de rappeler que l'objectif des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États est de rassurer les entreprises, c'est-à-dire les investisseurs, lorsqu'ils vont faire des affaires à l'étranger.
    Ces mécanismes, que nous retrouvons dans les accords de libre-échange et les accords de protection des investissements étrangers, servent à fournir un cadre de résolution de conflits neutre, c'est-à-dire non politisé ou impartial, et efficient, pour juger une situation où un investisseur aurait subi une perte d'actifs, par exemple, dans le cas d'une expropriation, ou une perte de valeur de ses actifs à cause d'actions discriminatoires d'un gouvernement envers cet investisseur et son investissement.
    En échange d'un environnement d'affaires plus prévisible où les investissements étrangers sont mieux protégés, on s'attend à ce que les entreprises étrangères investissent plus. Le but de ces accords est d'encourager les investissements dans l'espoir que cela contribue à la croissance économique. Cela veut donc dire que, dans la mesure où un pays offre un tel cadre de protection des investissements étrangers sur le plan national, en principe, du moins, un tel mécanisme n'a plus de raison d'être. Autrement dit, si les entreprises qui font des affaires à l'étranger peuvent se fier aux tribunaux nationaux et que ceux-ci sont efficaces et impartiaux, à ce moment-là, en principe, elles ne devraient pas avoir besoin de se fier à des accords internationaux qui les protègent et à un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.
    Le professeur de Mestral a mentionné que, dans certains cas, il y a la question de la compensation, mais logiquement, ce mécanisme existe parce que les entreprises étrangères font souvent des affaires dans des pays où les tribunaux sont peu fiables. Elles préfèrent donc avoir cette protection supranationale, pour ainsi dire.
    Ainsi, au Canada, en principe, nonobstant les éléments mentionnés par le professeur de Mestral, nous pouvons offrir un tel cadre aux investisseurs étrangers. En fait, le problème ne se trouve pas chez nous. La question que vous devez vous poser, mesdames et messieurs les membres du Comité, c'est si vous voulez protéger les intérêts, c'est-à-dire les actifs, des entreprises canadiennes et des Canadiens qui investissent à l'étranger.
    Si la réponse est oui, à ce moment-là, il faut des accords avec des mécanismes de RDIE. Cela requiert, bien sûr, une réciprocité entre les parties signataires. Si on demande à d'autres de participer à ce genre de mécanisme, ils vont aussi nous demander, en tant qu'État, d'y participer. On doit aussi offrir ces mécanismes de protection aux investisseurs étrangers qui viennent au Canada. C'est le monde dans lequel on se trouve en ce moment. Il y a cette notion de réciprocité. Nous voulons protéger les actifs de nos entreprises à l'étranger et, en contrepartie, bien sûr, lorsque nous négocions et signons des accords de protection des investissements étrangers, on nous demande de faire la même chose pour les entreprises étrangères.
    Si la réponse est non, les entreprises canadiennes feront alors face à plus d'incertitude lorsqu'elles feront des affaires à l'étranger, mais c'est un coût de transaction parmi tant d'autres. Le professeur de Mestral disait qu'elles allaient faire face à 189 règles différentes, c'est-à-dire une règle pour chaque pays. C'est vrai, mais la réalité, c'est que tous les jours, les entreprises qui font des affaires à l'international font face à des règles, des façons de faire, des systèmes juridiques et des systèmes culturels qui sont différents d'un pays à l'autre.
    En principe, s'il n'y avait pas de mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, les entreprises auraient une autre décision à prendre lorsqu'elles font des affaires à l'étranger. Elles devraient se demander comment cela affecterait leurs ventes, leurs coûts de production ou, dans certains cas, leur accès à des intrants, à des marchés, et le reste.
    Par contre, si les investissements des entreprises canadiennes à l'étranger n'étaient pas aussi bien protégés que ceux de leurs concurrents dans d'autres pays, parce que ceux-ci seraient protégés par les mécanismes de RDIE négociés par leur gouvernement, elles seraient désavantagées par rapport à eux.

  (1415)  

     Si nous décidons de laisser le marché opérer et de laisser les entreprises se débrouiller elles-mêmes, parce que nous pouvons protéger les investisseurs étrangers qui viennent au Canada et les entreprises canadiennes qui vont à l'étranger, c'est à elles d'intégrer ce risque additionnel dans leurs décisions d'affaires. C'est ainsi.
    Le problème, dans ce cas, c'est que, comme les autres pays risquent de protéger leurs entreprises à l'aide de ces mécanismes de règlement des différends, nos entreprises, elles, font alors des affaires avec des risques, ce qui entraîne des coûts additionnels. Elles deviennent donc moins compétitives.
    Nous sommes dans une situation où nous sommes un peu touchés par ce manque de coordination. En effet, on parle à la base d'un problème de manque de coordination entre les États. Si vous retirez le Canada de ce genre de mécanisme, les entreprises canadiennes seront alors laissées pour compte et feront face à une compétitivité internationale beaucoup plus grande. Elles seront elles-mêmes moins compétitives sur ces marchés, et même au Canada.
    Ainsi, en présumant qu'il est peu probable que les gouvernements du monde s'entendent pour éliminer ces accords, le problème se retrouve de l'autre côté. Nous sommes alors pris avec la nécessité de focaliser les énergies du gouvernement canadien et des autres gouvernements sur l'amélioration des mécanismes RDIE pour les rendre plus justes, transparents et accessibles à toutes les entreprises canadiennes et internationales.
    Mes éminents collègues vous ont bien sûr donné plusieurs idées quant à la manière d'améliorer ces mécanismes et de faire en sorte que, justement, les entreprises canadiennes soient compétitives face à leurs concurrents internationaux.
    Je m'arrête ici. C'est tout ce que j'ai à dire, puisque les autres ont été beaucoup plus éloquents que moi sur les défis spécifiques liés à ces mécanismes.
    Merci, madame la présidente.

  (1420)  

[Traduction]

    Merci beaucoup, professeur Leblond.
    Passons maintenant à M. Aboultaif. Vous avez six minutes, s'il vous plaît.
    Merci, madame la présidente.
    Je remercie les excellents témoins de leurs merveilleux témoignages. Nous avons beaucoup appris.
    Les entreprises, les investissements de capital et les investissements en général, d'ailleurs, recherchent la sécurité, la certitude; autrement, il n'y a pas moyen de faire affaires. Les mécanismes de règlement de différends entre investisseurs et États marchent car ils vont dans les deux sens. Ils marchent pour les investissements au Canada, et ils marchent pour nos entreprises qui investissent à l'étranger.
    Nous avons entendu les témoins — MM. Fortier, Côté et Appleton et les autres excellents témoins qui ont comparu aujourd'hui —, et j'aimerais maintenant dire quelque chose. Dans la vie, on dit qu'on n'a pas ce qu'on mérite, on a ce qu'on négocie. Nous savons qu'il y a différents modèles de mécanisme de règlement de différends entre investisseurs et États, qui sont adaptés aux marchés pour lesquels ils sont conçus ou selon les modalités des accords que l'on cherche à mettre en œuvre.
    J'aimerais demander à nos témoins — en commençant par M. Fortier, pour ensuite passer à M. Côté et M. Appleton — s'ils peuvent nous donner des exemples concrets de cas ou de situations où le règlement de différends entre investisseurs et États était la bonne solution et a servi les intérêts du Canada et des entreprises canadiennes.

[Français]

    Madame la présidente, voulez-vous que je commence?

[Traduction]

    Si cela vous va, j'aimerais commencer par M. Fortier, et nous passerons ensuite à M. Côté et M. Appleton,
    J'aimerais tout d'abord vous remercier pour la question.
    Je m'en voudrais de ne pas reconnaître et remercier mon ami, le professeur de Mestral, pour les généreux propos qu'il a tenus au long de son excellente présentation. Venant d'Armand de Mestral, une véritable sommité en la matière, c'est un grand compliment.

[Français]

    Merci, monsieur le professeur.

[Traduction]

    Monsieur Aboultaif, je ne sais pas trop où commencer. Il y a tellement d'exemples de cas sur lesquels j'ai travaillé, que ce soit en tant qu'avocat ou arbitre, qui ont été réglés dans l'intérêt de sociétés canadiennes.
    Si je dois vous donner un seul exemple, ce serait l'affaire sur laquelle je travaille présentement en tant que membre d'un tribunal international. Je n'entrerai pas dans les détails, bien entendu, puisque l'affaire est en cause. Il s'agit d'une société minière britanno-colombienne qui a une filiale en Pologne. Il y a quelques années, un ministère du gouvernement de la Pologne lui a accordé certaines concessions d'exploration. Cette société fait concurrence à une société minière polonaise. Lorsque la décision a été rendue, le président de la Pologne s'en est plaint, demandant à savoir pourquoi la société canadienne avait obtenu gain de cause plutôt que la société polonaise. Un certain nombre de personnes influentes au pays se sont jointes à sa cause, et la concession minière a finalement été révoquée.
    Le Canada et la Pologne sont parties à un traité bilatéral d'investissement, et la société canadienne actionnaire de la société polonaise en a invoqué une disposition, entamant un processus d'arbitrage contre la Pologne. L'affaire s'est déroulée à Varsovie il y a quelques années, quand on pouvait encore voyager.
    Mes collègues et moi sommes en délibération, et quel que soit le résultat au bout du compte... Bien entendu, je ne me prononcerai pas sur le fond de l'affaire, mais il s'agit néanmoins d'une affaire où une filiale d'une société canadienne a bénéficié de l'existence d'un traité bilatéral d'investissement assorti d'une disposition d'arbitrage et a intenté des poursuites devant un tribunal international. J'ai été nommé par la société canadienne. Le président du tribunal est suisse, et l'arbitre nommé par la Pologne est un éminent juriste allemand.
    Voilà une courte réponse, monsieur Aboultaif, à votre très importante question.

  (1425)  

    Merci.
    Passons maintenant à M. Côté.
    Je suis vraiment désolé, monsieur Aboultaif, mais il vous reste 26 secondes.
    D'accord.
    C'est ma faute. Veuillez m'excuser.
    C'était une excellente réponse très pertinente.
    Passons maintenant à Mme Bendayan.

[Français]

     Je vous remercie, madame la présidente.
    J'aimerais également remercier tous les témoins présents aujourd'hui. Je suis très fière de voir autant d'experts québécois parmi nous afin de clarifier pour nous cette importante question.
    Évidemment, j'ai plusieurs questions à poser, mais mon temps de parole est court.
    Pour commencer, je vais m'adresser à M. Fortier.
    Il y a quelques minutes, le professeur M. Côté a dit que les différends dont nous parlons aujourd'hui restent cantonnés et que c'était une bonne chose que les pays et les gouvernements n'aient pas à intervenir. Je dois admettre que je suis d'accord sur cela.

[Traduction]

    Nous avons également entendu M. Appleton nous parler d'une plus grande divulgation d'information et de la participation accrue des parlementaires au processus de règlement de différends.
    Je me demandais si vous pourriez nous dire deux mots sur quel devrait être le rôle du gouvernement, selon vous, surtout lorsqu'il est question de... C'est un différent processus de règlement de différends, mais cela reste un processus de règlement de différends, et il faut le respecter.
    Vous avez la parole, monsieur Fortier.

[Français]

     Madame Bendayan, comme vous le savez fort bien, il est important d'être au bon endroit au bon moment. Lorsque vous pratiquiez le droit dans un certain cabinet avec un certain avocat, qui a le plaisir de vous revoir aujourd'hui, vous étiez au bon endroit au bon moment. C'est encore le cas aujourd'hui, alors que vous êtes députée d'Outremont et que vous siégez au Parlement et à ce comité, dont la mission est précisément d'apporter des réponses à ces nombreuses questions.

[Traduction]

    Vous m'avez souvent entendu dire qu'il est très important d'être au bon endroit au bon moment.

[Français]

    Vous l'avez été à ces deux occasions et je vous en félicite.

[Traduction]

    Merci beaucoup, monsieur Fortier.
    J'aimerais également profiter du peu de temps qu'il me reste pour poser une question au professeur de Mestral. Par souci d'entière transparence, je précise que c'est mon ancien professeur.
    J'ai lu votre livre, Second Thoughts. Je le recommanderais d'ailleurs à tous les membres du Comité.
    Vous mentionnez dans votre ouvrage que, à l'origine, le règlement de différends entre investisseurs et États était considéré par les pays occidentaux comme une façon de rappeler à l'ordre les pays en développement. Il n'a pas fallu longtemps avant que les pays occidentaux se fassent poursuivre par les pays en développement, ce qui les a plutôt surpris.
    Pourriez-vous nous parler du fait que les pays en développement se prévalent des mécanismes de règlement de différends entre investisseurs et États et que ces mécanismes peuvent en fait être un moyen d'uniformiser les règles du jeu? Je m'intéresse également à toute autre observation faisant valoir l'importance du règlement de différends entre investisseurs et États à l'échelle internationale.

  (1430)  

    Je pense que vous avez raison de dire que... Le traité d'origine, le tout premier que l'on cite tout le temps, entre l'Allemagne et le Pakistan, a certainement été créé pour protéger les investissements allemands au Pakistan. Il n'y en avait pas beaucoup dans les années 1950, 1960 ou 1970, mais ils ont commencé à se multiplier par la suite — surtout à partir de l'ALENA, en fait.
    L'ALENA a en quelque sorte sonné le réveil au Canada. Tout le monde disait qu'on préconisait l'arbitrage entre investisseurs et États en vertu du chapitre 11 parce qu'il nous fallait un moyen de nous protéger contre les Mexicains, que l'on considérait imprévisibles. Qui est-ce qui s'est fait poursuivre en premier, au bout du compte? C'est le Canada. Qui s'est fait poursuivre en deuxième? C'est le Canada. Ensuite, quelqu'un a eu la bonne idée de poursuivre les États-Unis, et puis après cela a fait boule de neige.
    En fait, à bien des égards, en termes de la réflexion qu'on a consacrée à la structure juridique et à la prise de décisions par les arbitres, l'ALENA était certes un moment important dans le développement. Il y avait certainement un phénomène où les pays plus développés se faisaient poursuivre, mais je pense qu'au cours des 15 à 20 dernières années, les choses se sont équilibrées. Les gens se demandaient si la Chine jouerait un jour au jeu. Finalement, elle a accepté de se faire poursuivre et maintenant elle intente elle-même des poursuites. L'Inde s'est montrée récalcitrante, mais maintenant les investisseurs indiens intentent des poursuites contre toutes sortes de pays, développés et moins développés.
    Je pense que la théorie comme quoi ce n'est qu'une façon de garder les pays en développement en position d'infériorité n'est plus crédible. Les investisseurs de pays en développement se poursuivent entre eux, et puis il y a Tata en Europe et en Grande-Bretagne qui a poursuivi certains gouvernements européens.
    Je pense que les choses se sont considérablement équilibrées. Il y a plus de 700 affaires en instance, et les parties poursuivantes représentent un échantillon vraiment étonnant de pays. Comme l'a fait remarquer Barry Appleton, ce n'est pas seulement les grandes sociétés. Un grand nombre de petites sociétés se prévalent elles aussi du système.
    Merci beaucoup, monsieur le professeur.
    Je vais me taire maintenant, madame la présidente.
    Merci beaucoup, monsieur le professeur.
    Je suis désolée, mais votre temps de parole est écoulé.
    J'invite maintenant M. Savard-Tremblay à prendre la parole.

[Français]

     Je vous remercie, madame la présidente.
    Je salue mes collègues et je remercie les témoins de leur présence.
    Mes questions s'adressent à M. Côté.
    Monsieur Côté, je vous remercie de votre présentation. Bien que je n'aie pas été professeur, je me suis intéressé tout particulièrement à cette question durant mon ancienne vie universitaire. Vous avez fait un survol des facteurs politiques et juridiques ayant mené à la création du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Cependant, il me semble qu'on ne peut faire fi du contexte idéologique dans lequel ce mécanisme a été créé.
     Lorsque le concept a commencé à se généraliser et que ce mécanisme a été mis en place dans le cadre de l'ALENA, c'était à l'époque du néolibéralisme et de la mondialisation. On parlait alors de la fin des États et des nations. Le but de ce mécanisme était de protéger les investisseurs et les multinationales contre certaines décisions politiques. Cela me semble être un retour à cette vieille idée de la main invisible, selon laquelle plus on libère les intérêts privés, plus la collectivité en sort gagnante. On ne peut pas faire fi de cela en se demandant aujourd'hui si cette idée est toujours pertinente.
    Vous parliez tout à l'heure de la dépolitisation de certaines décisions économiques et de certaines façons de faire. Je crois qu'il faudrait plutôt refaire de la politisation. D'ailleurs, avant l'ALENA, il y avait l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, l'ALE, dans le cadre duquel une entreprise qui voulait poursuivre un État devait passer par son État hôte.
     Il y a un certain temps, je vous ai entendu dire dans les médias que le fait que l'ACEUM ne contienne plus ce mécanisme était une bonne chose pour le Canada. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
    Ma deuxième question est tout à fait connexe à la première. Vous avez dit que vous étiez prêt à parler plus longuement des défauts du mécanisme durant la période de questions. Je vous donne donc la tribune pour le faire.

  (1435)  

     Merci beaucoup.
    Je vais essayer d'être concis.
    Je parlerai d'abord du premier élément que vous avez soulevé, soit le contexte politique. Le hasard fait que l'expansion du RDIE a eu lieu au moment de la chute du mur de Berlin. Cependant, ces traités et l'idée d'arbitrage mixte précèdent largement tout cela. Par exemple, la Convention CIRDI a été adoptée au milieu des années 1960, alors que les traités bilatéraux d'investissements européens ont été négociés et signés à partir de la fin des années 1950 et dans les années 1960 et 1970.
    Pourquoi le RDIE n'a-t-il pas été mis en application? La première affaire date de 1990, et elle mettait en cause le Sri Lanka. Ensuite, en 1997, une autre mettait en cause le Zaïre, comme on l'appelait à l'époque. Enfin, en 1998, une autre s'élevait contre le Canada.
    Comme le disait M. Fortier, fondamentalement, dans l'arbitrage, il y a le consentement des parties à l'arbitrage. Or un des traits caractéristiques du RDIE est la dissociation du consentement. En somme, les États donnent leur consentement à l'avance, alors que les investisseurs le donnent quand ils font une réclamation.
     Jusqu'à ce que ce soit testé, il n'était pas clair que cette technique était compatible avec la Convention CIRDI, par exemple. C'est à la faveur de deux ou trois affaires qu'on a finalement vu que cela fonctionnait et que l'État n'avait pas besoin de donner une autorisation au cas par cas. L'arbitrage a donc pris son envol.
    Par la suite, les traités se sont multipliés. Je ne suis pas un économiste, mais j'ai lu sur le sujet et j'ai étudié la question. Ainsi, je crois savoir que cela correspond à un moment où les pays en développement frappaient un mur et avaient vraiment besoin de capitaux étrangers. Ils ont complètement changé leur approche relativement à l’investissement étranger. Ils se sont eux-mêmes lancés dans une course au traité bilatéral d'investissement, justement pour réussir à attirer chez eux les investissements dont ils avaient besoin pour se développer. C'était la réalité économique du moment.
    Pour ce qui est du retour à la politisation, j'en aurais parlé volontiers, mais mon temps de parole est limité. Est-ce que le RDIE est adapté à tous les différends? C'est la question qui se pose. Certains différends devraient-ils plutôt être réglés sur le plan des États? Il s'agit d'une question légitime. Au-delà d'un certain montant de dommages-intérêts, cela ne devient-il pas un différend trop important pour être réglé de cette manière? La question se pose encore.
    Il y a aussi les cas d'inexécution d'une sentence. Comme on l'a dit, les sentences sont exécutoires, mais encore faut-il que l'État, s'il ne veut pas offrir d'indemnisations, ait des biens qui puissent être saisis. Une politisation est donc toujours possible. Si le système du RDIE ne fonctionne pas, l'État nationalité revient, réapparaît et peut intervenir.
    Un autre élément où il peut y avoir retour à la politisation, c'est par l'intervention de l'État nationalité, qui n'est pas partie prenante au différend. Il peut intervenir de deux manières, soit dans les procédures arbitrales, s'il veut faire valoir un point de droit sur l'interprétation du traité, par exemple, ce qui arrive régulièrement. Il peut parfois être d'accord avec l'État visé par la réclamation, contre son propre investisseur, pour dire que « expropriation indirecte », par exemple, ne veut pas dire cela dans tel cas. C'est une forme de retour à la politisation.
    Par ailleurs, les États peuvent s'entendre...

  (1440)  

[Traduction]

    Je suis désolée de vous interrompre, professeur, mais votre temps de parole est écoulé.
    J'invite maintenant M. Blaikie à prendre la parole.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je remercie les témoins de leur comparution aujourd'hui.
    Personne — certainement pas les membres du Comité et peut-être les témoins non plus — ne sera surpris d'apprendre que, à l'instar de tous mes collègues néo-démocrates, je me compte parmi ceux qui dénoncent fortement les dispositions investisseur-État des accords commerciaux que l'on conclut d'année en année.
    Je vais résister à la tentation de présenter certains des arguments plus polémiques de cette critique aujourd'hui, parce que j'estime que c'est une bonne discussion. Comme on l'a indiqué plus tôt, le Canada est aujourd'hui partie à beaucoup d'accords. Ce sont des faits qu'il faut apprendre à accepter, même s'ils nous déplaisent.
    J'adresse avant tout mes propos à M. Appleton, mais j'invite également les autres témoins à participer, le cas échéant.
    J'ai trouvé intéressantes vos observations comme quoi les réserves à l'égard des chapitres sur le règlement des différends entre investisseurs et États représentent en fait une opposition plus générale aux accords commerciaux. Je pense qu'il y a peut-être du vrai dans ce que vous dites, mais il me semble néanmoins qu'il y a une corrélation, et que la prolifération de dispositions investisseur-État est reliée à la propagation d'une vision particulière du commerce international où les accords font primer les intérêts des grandes sociétés et des investisseurs au détriment de ceux des travailleurs canadiens. C'est certainement ma position; le lien est difficile à nier.
    Je pense que si les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États — qu'il faudrait d'ailleurs renommer s'ils cessent de s'intéresser uniquement aux droits des investisseurs — avaient également le pouvoir de faire respecter les normes environnementales communes ou les normes communes en matière de droits de la personne, dont la négociation collective, ces mécanismes d'application jouiraient d'un bien plus large appui. Il est difficile de ne pas remarquer à quel point les mécanismes d'application vraiment efficaces font toujours valoir les droits des investisseurs, jamais ceux de quelque autre partie, ni d'autres objectifs stratégiques importants.
    Lorsque j'entends dire, par exemple, que le premier ministre de l'Alberta devrait invoquer les dispositions investisseur-État en réponse à la récente décision de la nouvelle administration américaine à l'égard du projet Keystone XL, je trouve que cela reflète bien le genre de frustration qu'éprouvent les gens par rapport aux mécanismes de règlement de différends. Personnellement, j'estime que, que l'on soit pour ou contre, la décision américaine concernant le projet Keystone XL touche à l'environnement et à toute une gamme d'autres questions importantes comme la façon dont non seulement le Canada, mais aussi les États-Unis dans ce cas-ci, traitent leurs peuples autochtones et communiquent avec leurs peuples autochtones, et la mesure dans laquelle ils respectent leurs droits dans le cadre de grands projets d'exploitation de ressources naturelles.
    De telles décisions n'ont pas lieu d'être contestées devant un tribunal commercial international. Ce sont des décisions importantes. Il y a toutes sortes de valeurs différentes qui entrent en jeu, et dans une démocratie il convient de discuter ouvertement de ces questions-là et de prendre des décisions qui reposent sur le fruit de ces discussions, qui devraient idéalement se dérouler au Parlement; à tout le moins, ces décisions devraient être prises par un gouvernement qui soit sensible à ces questions et qui s'efforce de régler les différends de la meilleure façon possible. Ce n'est pas là le mandat d'un arbitre ou d'une instance investisseur-État.
    Mon but, c'est de vous faire comprendre le point de vue des détracteurs. Tout cela s'inscrit nettement dans le cadre d'un système conçu pour défendre les droits des investisseurs. Ce faisant, on étouffe tout débat et toute possibilité de prendre d'autres décisions sur d'autres questions de première importance. Je pense que les citoyens en général devraient se soucier de la protection de leur droit de délibérer de la sorte et du droit des gouvernements de prendre des décisions en ce sens. Le système de règlement de différends entre investisseurs et États accorde une importance disproportionnée aux soucis par ailleurs légitimes des investisseurs, qui souhaitent avoir l'assurance que leurs investissements sont protégés. Les mécanismes de règlement des différends accordent une si grande importance à cet intérêt-là que toute autre question finit par échapper à la portée de l'instance.
    Quelles dispositions peut-on prendre pour faciliter la prise de ce genre de décisions lorsqu'on signe des documents quasi constitutionnels qui ont pour effet de rétrécir la portée de la conversation à l'extrême pour s'intéresser seulement aux droits des investisseurs, alors que ces décisions ont des répercussions considérables sur bien d'autres questions?

  (1445)  

    Je suis conscient que c'est une longue question, et que j'ai utilisé une bonne partie du temps de parole qui m'était alloué, mais si vous pouviez avancer quelques éléments de réponse, monsieur Appleton, je vous en serais reconnaissant.
    Monsieur Blaikie, je vous remercie de votre question très pertinente. Je consacre beaucoup de temps à ces enjeux.
    Je vais tâcher de répondre de mon mieux aux principaux points que vous avez soulevés, compte tenu du peu de temps dont je dispose.
    En ce qui concerne les peuples autochtones... sachez que je m'intéresse beaucoup aux questions qui touchent les peuples autochtones. En fait, je tiens à vous féliciter, vous et tous les habitants du Manitoba pour le nouveau centre d'art inuit Qaumajuq du Musée des beaux-arts de Winnipeg, qui a été inauguré hier et avant-hier.
    Ces questions sont en grande partie exclues. Le Canada a prévu de vastes exclusions dans l'ALENA, l'ACEUM et d'autres accords afin d'éviter ce genre de conflit.
    J'aimerais parler des droits des travailleurs. J'ai toujours été un ardent défenseur des droits des travailleurs et j'étais en fait très inquiet lorsque le gouvernement du Canada a exhorté la Commission de libre-échange de l'ALENA à limiter le sens de l'article 1105 de l'ALENA, qui accorde des droits précis en ce qui concerne le respect des droits des travailleurs. J'ai eu des discussions approfondies à ce sujet avec des membres du Congrès américain, ainsi qu'avec de nombreux parlementaires et législateurs au Canada.
    Le problème — c'est comme la question de l'œuf et de la poule —, c'est que nous avons pris de nombreuses mesures parce que nous étions préoccupés par des dossiers. Je crois que M. de Mestral a fait allusion aux deux premières affaires dans le cadre de l'ALENA. J'en ai parlé. Dans le premier cas, le Canada a perdu sa cause, et dans le deuxième cas, comme je l'ai dit, l'affaire aurait pu être réglée si le Canada avait présenté des excuses ou s'il avait tenu...
    Monsieur Appleton, je suis désolée.
    Pas de problème. Merci.
    Vous pourriez peut-être répondre par écrit à M. Blaikie.
    Je cède maintenant la parole à Mme Gray. Vous disposez de cinq minutes.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Je remercie tous les témoins de leur témoignage très instructif. On s'entend généralement pour dire que le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États ou RDIE, contribue à dépolitiser les différends commerciaux. C'était très intéressant.
    J'ai deux questions, et je pense que la façon la plus simple de procéder serait de les énoncer d'abord toutes les deux, puis de demander aux témoins d'y répondre. Si vous pouviez répondre rapidement, nous pourrions entendre un plus grand nombre de témoins.
     Premièrement, on entend souvent dire que les mesures liées au RDIE ont coûté cher au Canada et qu'elles menacent notre programme national, mais lundi dernier, un des témoins nous a dit que, dans le cadre du RDIE, le Canada avait gain de cause dans un ratio d'environ trois pour un. Il a aussi précisé que la plupart des réclamations visent en fait à obtenir un traitement juste et équitable et que lorsque le Canada n'a pas gain de cause, c'est souvent le processus qui est responsable parce qu'une administration municipale ou un gouvernement provincial a agi de façon arbitraire. Que pensez-vous de ce ratio de trois pour un?
    Deuxièmement, nous savons que le Canada mène actuellement des consultations en vue de conclure un accord de libre-échange avec l'Indonésie, qui selon le World Justice Project, a un indice de la primauté du droit nettement inférieur à celui du Canada. Recommanderiez-vous que le Canada négocie des dispositions sur un quelconque mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États dans un éventuel accord de libre-échange Canada-Indonésie?
    Nous pourrions d'abord entendre M. Côté.
    Je vous remercie pour vos questions. Je vais tâcher d'être bref.
    Il est vrai que le Canada a une fiche gagnante; il n'a pas perdu beaucoup de causes. Chaque fois qu'une affaire s'est soldée par une défaite, si on examine la situation de plus près, on constate que c'est parce que le Canada n'avait pas respecté l'accord. À ma connaissance, tous les cas étaient fondés. Le ratio se maintient. Je crois que le Canada avait effectivement contrevenu aux accords. Dans les dernières décisions, le Canada a plus souvent obtenu gain de cause, alors je dirais que la tendance se poursuit.
    En ce qui concerne l'Indonésie, on a mentionné qu'il faut songer aux dispositions sur le règlement des différends entre investisseurs et États ainsi qu'aux dispositions de fond. Ce sont deux choses différentes. Il est important de continuer à avoir des dispositions très bien rédigées, circonscrites et substantielles, possiblement avec des exceptions, comme M. Appleton l'a indiqué, et à tirer parti de ce que nous avons fait avec le PTPGP et l'AECG.
    Comme je l'ai dit, nous devrions gérer le RDIE de façon claire et cohérente, et nous devrions sans aucun doute maintenir le mécanisme de RDIE avec l'Indonésie. Quant à la forme qu'il devrait prendre, j'estime que nous l'avons graduellement amélioré dans nos accords bilatéraux et que nous devrions continuer dans cette voie. Par conséquent, je continuerais d'utiliser la dernière version de nos accords bilatéraux avec l'Indonésie.

  (1450)  

     Excellent. Merci beaucoup.
    J'aimerais poser ces deux mêmes questions à M. Appleton.
    Merci beaucoup. Je vais répondre rapidement.
    Pour répondre à la première question, oui; cela découlait de lacunes sur le plan de la réglementation.
    Ma réponse à votre deuxième question est un peu plus détaillée. Le Canada a eu gain de cause. Des entreprises canadiennes ont obtenu gain de cause contre le Venezuela, par exemple, avec qui nous avions conclu des accords. Lorsque nous avons investi dans le secteur minier dans ce pays, nous ignorions qu'il y aurait un problème. Au bout du compte, cela s'est traduit par de grandes réussites. Grâce au mécanisme de RDIE, les Canadiens étaient protégés. Autrement, nous aurions eu de graves problèmes ici.
    Par conséquent, j'estime qu'il faut envisager sérieusement d'inclure des dispositions sur les différends entre investisseurs et États dans tout accord que nous pourrions conclure avec l'Indonésie.
    Excellent. Merci.
    Monsieur de Mestral.
    Il vous reste 28 secondes pour répondre sur un sujet complexe.
    Cela n'aide certainement pas d'avoir un ministre de l'Environnement qui souhaite aider les Canadiens et cesser les importations américaines, donc oui.
    En Indonésie, je pense que nous devrions essayer, et même essayer très fort. Les Canadiens y sont présents, et je pense que c'est l'un des cas où les Canadiens ont probablement un plus grand intérêt que les Indonésiens.
    Merci beaucoup, monsieur.
    Nous allons maintenant entendre Mme Bendayan, qui dispose de cinq minutes.
    Allez-y, je vous prie.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    J'aimerais poser une question à M. Côté.
    Avez-vous des statistiques sur les petites et moyennes entreprises canadiennes qui utilisent notre système de RDIE? On a souvent l'impression que ce sont des multinationales qui utilisent ce système, mais il serait intéressant pour le Comité de voir votre recherche à ce sujet.
     J'aimerais également entendre vos commentaires sur une question que M. Fortier a soulevée tantôt.

[Traduction]

    Monsieur Fortier, si je ne me trompe pas, a cité quelqu'un au sujet des répercussions qu'entraînerait le fait de ne pas prévoir de mécanisme de RDIE. Les entreprises pourraient notamment être incitées à placer leurs capitaux ailleurs.

[Français]

    Évidemment, nous avons intérêt à garder nos investissements au Canada.
    Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet, monsieur Côté?
     Je vous remercie beaucoup de votre question.
    Je n'ai pas de statistiques précises sur les PME. Il faudrait aussi s'entendre sur une définition claire de ce qui constitue une PME. Je pense que c'est là un angle mort problématique du système, en ce moment.
    Je connais personnellement un très petit entrepreneur qui a un différend avec le Venezuela et qui n'a tout simplement pas les moyens de se lancer dans un arbitrage, dont le coût est totalement disproportionné à l'enjeu en question. Le Venezuela ne lui offre aucun recours interne. Il a donc demandé à Ottawa de lui offrir une bonne vieille protection diplomatique, ce qu'on lui a refusé sous prétexte qu'un traité existe. Ottawa s'en lave les mains. C'est un vrai problème.
    Ce problème a même été épinglé par la Cour de justice de l'Union européenne, qui a rendu un avis sur la conformité de l'AECG avec le droit de l'Union européenne. Elle a mentionné que le droit de l'Union européenne incluait un droit d'accès à un tribunal. L'accès à la justice est donc un droit garanti. La Cour de justice de l'Union européenne a déterminé que si rien n'était fait pour les PME, le droit d'accès à la justice arbitrale serait violé. Elle s'est fiée aux garanties données. En effet, lors de déclarations communes, le Canada et l'Union européenne ont promis d'améliorer l'accès à la justice arbitrale.
    C'est un sujet qui pourrait vous intéresser. J'avais prévu de vous en parler, mais je n'ai pas eu le temps de le faire. Je pense qu'il s'agit vraiment d'un sujet de préoccupation. Cependant, je n'ai malheureusement pas de statistiques à vous offrir à ce sujet.
    Je ne suis pas un économiste, mais une chose est sûre: le Brésil est un excellent exemple de pays où, malgré l'absence de traité prévoyant le RDIE, des investissements étrangers se font. Y aurait-il plus d'investissements au Brésil si ce pays avait un traité qui prévoit le RDIE? On ne le sait pas.
    Je suis de ceux qui disent que l'avantage du RDIE n'est pas d'attirer des capitaux étrangers. Selon moi, c'est l'un des facteurs qui influencent une décision d'affaires. Or la décision de faire des investissements étrangers se base sur plusieurs facteurs, dont l'évaluation de la possibilité de rendement. Bien sûr, le RDIE peut rassurer les investisseurs. Cela dit, je ne pense pas que les Américains vont arrêter de faire des investissements au Canada à partir de maintenant.
     Je ne crois pas qu'on se dirige forcément vers un mur, sur le plan économique, si on n'a pas de RDIE. L'aspect le plus important, c'est la dépolitisation du règlement des différends.

  (1455)  

     Merci, monsieur Côté.
    En terminant, je vais poser une question sur le même thème à MM. de Mestral et Fortier.
    Nous avons parlé du fait que ces différends portent souvent sur des questions très pointues, ce qui oblige les parties à demander à des experts d'agir en tant que juges ou arbitres. Dans plusieurs cas, les parties peuvent nommer leur propre arbitre.
    Pensez-vous que c'est un élément important de ce système? Sans le RDIE, pourrions-nous perdre cette possibilité?
    La réponse est oui...

[Traduction]

     Je vous prierais de répondre brièvement, monsieur.

[Français]

    La réponse est oui, sans aucune nuance ni réserve.

[Traduction]

    Il est tout à fait possible qu'un tribunal international d'arbitrage finisse par être constitué à parts égales d'hommes et de femmes. Ce n'est pas le cas actuellement, bien que cela soit en train de changer. La situation évolue considérablement. Le monde de l'arbitrage est de plus en plus ouvert aux femmes, mais c'est un changement qui prend du temps.
    En effet, c'est très long, beaucoup trop long.
    Je siège actuellement à deux tribunaux, composés de trois personnes, dont moi et deux femmes. Je tenais à le dire.
    Nous sommes sur la bonne voie.
    Je remercie nos brillants témoins de s'être joints à nous. Je vous remercie infiniment de votre témoignage fort utile et du temps que vous nous avez consacré aujourd'hui. Je crois que je peux donner congé aux témoins.
    Pour la gouverne du Comité et de la greffière, on a approuvé le programme de nos travaux futurs. Par conséquent, le 12 avril, nous examinerons les deux rapports provisoires que nous ont transmis les analystes puis nous étudierons la motion de M. Blaikie sur le commerce et les vaccins au Canada.
    Je vous souhaite à tous de très joyeuses Pâques. Prenez soin de vous et restez en sécurité. Respectez toutes les consignes afin que nous puissions surmonter cette épreuve ensemble.
    La séance est levée.
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