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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 013 
l
2e SESSION 
l
43e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 1er février 2021

[Énregistrement électronique]

  (1110)  

[Traduction]

    Bonjour à tous. La séance est ouverte.
     Bienvenue à la 13e réunion du Comité permanent de la Défense nationale.
     La séance d’aujourd’hui va se dérouler en format hybride, conformément à l’ordre de renvoi de la Chambre daté du 25 janvier 2021. Cela signifie que les députés sont soit présents dans la salle, soit à distance, avec l’application Zoom, et que les discussions sont retransmises par le site Web de la Chambre des communes qui, comme vous le savez, montre toujours la personne en train de parler plutôt que l’ensemble des membres du Comité.
     Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le vendredi 11 décembre 2020, nous reprenons notre étude de l’accès à des services de santé mentale au sein des Forces armées canadiennes. Nous accueillons aujourd’hui, par vidéoconférence et pendant deux heures, les témoins suivants: Marie-Ève Archambault, Hinesh Chauhan et Lisa Cyr.

[Français]

     À tous, les témoins, je tiens à exprimer ma reconnaissance et celle du Comité. Nous vous remercions d'avoir accepté de nous faire part de vos réflexions et de votre expérience. Cela demande du courage et de l'engagement, et nous vous en sommes redevables. Merci beaucoup.

[Traduction]

    Chaque témoin dispose de six minutes pour sa déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions.
     Je signale à l’intention de nos témoins que je leur ferai signe une minute avant la fin du temps qui leur est imparti. Je les invite donc à me suivre de temps à autre sur l’écran.

[Français]

    Je veux d'abord souhaiter la bienvenue à Mme Marie-Ève Archambault. Je vous invite maintenant à livrer votre allocution, dont la durée devrait être au maximum de six minutes.
    Je suis la conjointe d'un militaire depuis 20 ans. Mon mari souffre d'un choc post-traumatique grave et d'une dépression majeure en comorbidité. Il a des pensées suicidaires et homicidaires. Je témoigne aujourd'hui en tant que famille qui subit les répercussions d'un système de prise en charge qui est, à mon avis, peu efficace. Je suis mère de trois enfants. Mon mari a été envoyé à deux reprises en terrain opérationnel. Nous avons aussi été mutés à l'extérieur du Canada. Malgré le fait que les symptômes étaient déjà présents, il a réussi le test de dépistage haut la main.
    En 2007, à son retour, il était volontairement allé chercher de l'aide en montant les fameuses marches qu'on appelle encore aujourd'hui, malheureusement, « les escaliers de la honte ». Nous avons vite compris que, si nous poursuivions le processus, il y aurait des répercussions sur sa carrière, c'est-à-dire qu'il aurait moins de promotions et qu'il n'y aurait plus de mutations. Il serait impossible pour lui de retourner sur le théâtre des opérations, ce qui était très important pour lui.
    Comme pour la majorité des membres des Forces armées canadiennes, l'identité de la personne devient un peu celle d'un membre des Forces. Mon mari a donc eu peur de perdre son identité. En fait, il a même obtenu de la psychologue des séances sans qu'aucune note soit inscrite à son dossier. Il a demandé de ne pas recevoir de médication ou de drapeau orange si jamais il recevait une promotion, ce qui lui a d'ailleurs été accordé. Ce n'est pas normal que les gens qui ont besoin de soins doivent choisir entre la honte de se faire pointer du doigt et des soins pour se sentir mieux avec leur famille et avec eux-mêmes.
    Ensuite, les symptômes ont empiré: cauchemars, irritabilité, dissociation, agressivité verbale, retours en arrière, migraines, dépression, hypervigilance, isolement, et le reste. Je pourrais continuer, mais je vais m'arrêter là. On va essayer de nous faire croire que c'est moins tabou, mais c'est faux.
    Le temps a passé et les répercussions sur ma famille ont été dérangeantes. J'ai donc amené mon conjoint à l'hôpital militaire. Il avait des symptômes physiques qui m'ont permis d'avoir une porte d'entrée. Une fois sur place, il a été vu à l'urgence. J'en ai profité pour me rendre en haut, aux services en santé mentale, pour demander de l'aide. De prime abord, on a refusé de m'aider parce que je n'étais pas un membre militaire actif. Il fallait que mon conjoint donne son consentement pour que je puisse parler de ce qui se passait chez moi. J'ai donc dit que je me dégageais de toute responsabilité si quelque chose se passait, parce que je parlais de risques pour sa vie. On a finalement pris mon conjoint en charge, bien qu'il n'ait pas donné son consentement.
    Finalement, ce que je pensais être salvateur était le début de la fin, dans notre cas. Il y a eu confrontation au sujet de ses symptômes et, tout de suite, dès la première journée, il a craqué de façon impressionnante. On a dû nous sortir de l'endroit. Des bureaux ont volé. Bref, nous sommes retournés à la maison avec un petit pamphlet sous le bras qui nous expliquait que mon conjoint était atteint d'un choc post-traumatique — c'était du jargon pour nous — sans nous donner d'autres indications.
    Mes enfants ont subi plusieurs dommages collatéraux. Quand j'ai demandé du soutien, on nous a dirigés vers un endroit qui était à plus d'une heure de route de mon domicile. Je vous rappelle que je suis mère de trois enfants et travailleuse sociale à temps plein dans le milieu de la santé. De plus, on nous disait que nous devions chacun avoir un intervenant différent, ce qui m'obligeait donc à faire trois fois trois heures de route dans la même semaine. C'était impossible pour moi.
    Comme il n'y a pas d'universalité des services dans toutes les régions, c'est difficile pour les gens qui ne vivent pas près des grandes bases d'y avoir accès. Ici, je parle des familles. C'est certain qu'il y a une prise en charge du militaire, mais pour la famille, les proches, les parents et les enfants, c'est plus difficile. De plus, il est très difficile, autant pour le membre des forces que pour la famille, d'avoir un service dans sa langue maternelle. C'est un élément auquel il faudrait vraiment travailler. Mon conjoint devait raconter son histoire dans une langue qui n'est pas la sienne. Ce n'est pas toujours évident d'essayer d'exprimer des émotions dans une langue qui n'est pas la sienne. Certaines choses étaient parfois mal comprises.
    On a donné beaucoup de médicaments à mon conjoint, mais on n'a jamais vraiment abordé le problème. C'était comme si on voulait étouffer les symptômes du membre des forces pour qu'il demeure fonctionnel jusqu'à sa libération pour raisons médicales, afin que le système civil le prenne en charge d'une façon un peu plus exhaustive.
    Les gens qui sont atteints du trouble de stress post-traumatique, ou TSPT, ne sont plus nécessairement utiles dans leur milieu de travail, alors on les met un peu de côté. D'ailleurs, il est arrivé quelque chose d'un peu choquant dans notre cas. Mon conjoint a fait plusieurs séjours en psychiatrie. Nous sommes allés au centre de Bellwood, à l'Institut Douglas et à Saint-Anne-de-Bellevue, dont on nous avait dit qu'il s'agissait d'un hôpital spécialisé pour les vétérans atteints de troubles de santé mentale.

  (1115)  

     Lors d'une crise, on m'a appelée en pleine nuit pour me dire que le cas de mon conjoint était trop lourd pour le centre spécialisé en santé mentale. La solution qu'on m'a proposée était qu'on le renvoie à la maison. Selon eux, mes trois enfants et moi étions mieux outillés que le centre, qui devait pourtant prendre le relai parce que son cas était trop lourd pour moi. Aujourd'hui, je l'ai encore un peu sur le cœur. La thérapie n'a jamais été complétée. On a renvoyé mon conjoint à la maison pendant la phase de stabilisation. Il n'y a jamais eu de traitement ou de phase de psychothérapie au cours de cette hospitalisation.
    Comment se fait-il que les familles ne soient pas au centre des plans de soins? Il faudrait au minimum tenir une consultation après un déploiement pour vérifier si le militaire présente des symptômes inhabituels ou des comportements anormaux. Comment se fait-il que, pendant les interventions, nous ne soyons pas vraiment consultés, alors que nous pourrions aider à dresser un portrait beaucoup plus réaliste de la situation?
    Parfois, la personne malade ne veut pas ou ne peut tout simplement pas faire comprendre l'importance de ses symptômes. De plus, ce genre de situation n'est pas toujours adaptée à la réalité des familles. On donne beaucoup de médicaments pour essayer de maintenir un niveau fonctionnel, comme je le disais tout à l'heure, mais il y a d'importantes conséquences sur l'entourage. Mon mari, par exemple, a développé un diabète. Nous avions consulté le psychiatre militaire, qui avait fait interagir des médicaments. La pharmacienne avait noté qu'un diabète pourrait en résulter, mais on nous a dit que non. Finalement, le diabète s'est déclenché. Après une hospitalisation dans un autre centre de psychiatrie, on a cessé cette médication et le diabète a disparu.
    En juillet 2020, mon mari n'allait vraiment pas bien. J'ai pris contact par courriel avec son médecin traitant, qui travaille au centre situé dans la région où nous vivons présentement. Je lui ai écrit que, bien que n'étant pas militaire — en effet, j'essaie en temps normal de ne pas m'immiscer là-dedans, étant donné que nous n'y avons pas vraiment de place —, j'exigeais qu'on me réponde, parce que je craignais vraiment pour la vie de mon conjoint. J'ai écrit ce courriel le 19 juillet et je n'ai reçu une réponse que plusieurs jours plus tard. Sans avoir vu mon conjoint, on m'a demandé si une augmentation de sa médication me convenait. C'est la solution qui a été proposée.
    Le 27 juillet, mon mari a fait une tentative de suicide. Il a voulu mourir. Il a été sauvé in extremis par des policiers alors qu'il allait sauter d'un pont de notre ville. À côté du pont i, y avait du matériel militaire qu'il avait apporté. Il avait plié ses vêtements, et sur la pile de vêtements, il avait déposé sa carte d'identité militaire. Pour lui, sortir en tenue de service no 3B était en effet inacceptable.
    Le lieutenant du service de police de mon secteur a voulu rejoindre les Forces canadiennes au téléphone pour faire un rapport, parce que les policiers avaient été déstabilisés par la détresse et les propos de mon mari. Bien sûr, cela n'a pas fonctionné. De mon côté, j'ai donné mon accord et le numéro de matricule de mon mari, mais le lieutenant n'a jamais pu faire de rapport à qui que ce soit.
    On a donc envoyé mon mari dans un centre civil pendant quatre mois, étant donné que personne chez les militaires ne pouvait nous aider à le diriger vers un autre centre. Il était trop en crise pour aller à Sainte-Anne-de-Bellevue. Il a donc fallu rester du côté civil, alors que ces gens ne sont pas du tout outillés pour traiter un choc post-traumatique de ce genre.
    J'ai demandé de l'aide psychologique pour mes enfants et moi. Or, après deux séances, on m'a annoncé qu'en fin de compte, vu que mon mari n'était pas encore un vétéran, je n'avais pas accès à des soins remboursables. On a exigé que je les rembourse et que je revienne pour une consultation lorsque mon mari serait un vétéran. Malheureusement, je n'ai pas choisi la date de la tentative de suicide de mon conjoint. Bien entendu, je me suis vraiment sentie seule, laissée à moi-même.
    Ce qui est plus choquant encore, c'est que j'ai découvert par la suite, après avoir fait une demande au Programme d'aide aux employés, qu'on n'avait pas permis à la travailleuse sociale qui avait reçu notre dossier de nous donner des soins parce que son mari fait partie des Forces canadiennes. Justement, elle connaissait un peu notre réalité. Elle a demandé une exemption pour pouvoir nous traiter, mais les gestionnaires la lui ont refusée. On lui a dit préférer que les services soient dispensés par des gens connaissant un peu moins la réalité militaire, de façon à maintenir l'impartialité. Selon moi, c'est un non-sens, parce que les intervenants du milieu régulier n’ont aucune idée de ce que sont la réalité militaire et celle des familles.

  (1120)  

    En décembre dernier, j'ai signalé à l'équipe de mon mari, lequel devait être libéré sous peu en vertu du paragraphe 3(b), qu'il soupçonnait avoir subi une agression à caractère sexuel pendant un déploiement en théâtre opérationnel. On m'a répondu que je devais désormais m'adresser à son médecin civil, parce que sa prise en charge n'était plus de leur ressort. On parle ici d'une agression à caractère sexuel. J'étais un peu abasourdie par cette réponse.
    Le nouveau médecin n'avait bâti aucune relation de confiance avec mon conjoint. C'était une nouvelle transition. J'ai trouvé cela complètement absurde. Ils s'en lavent les mains alors qu'ils ont détruit une vie et une carrière.
    Le retour à la vie civile est un enfer, spécialement pour les gens malades. Ils ne reçoivent pas assez de soutien. Mon conjoint est complètement invalide, et il ne peut pas remplir les 88 formulaires nécessaires pour passer d'une étape à l'autre. Nous n'avons pas d'aide, et je ne m'y connais pas du tout en ce qui a trait aux formulaires militaires. Cette démarche s'est révélée très laborieuse et difficile.
    Pendant le congé de maladie de mon mari, on a voulu le forcer à utiliser ses vacances. Il était inapte à prendre des congés, mais on n'a pas voulu les lui rembourser. Nous avons dû nous battre, et nous avons finalement gagné.
     Il faut toujours se battre. Il faut se battre avec Anciens Combattants Canada et les Forces armées canadiennes. Il faut se battre pour obtenir des médicaments. Il faut se battre pour obtenir des soins dans un institut axé sur les chocs post-traumatiques militaires. C'est très fatigant et cela pèse lourd sur les épaules des proches.
    Aujourd'hui, mon mari n'est plus un militaire, mais un ancien combattant depuis le mois de décembre. Or il avait voulu mourir parce qu'il avait honte de ne pas pouvoir poursuivre sa carrière militaire, ce n'est pas peu dire.
    La transition est difficile même pour les gens qui ne sont pas atteints d'un choc post-traumatique. Essayez de vous imaginer comment cela peut être difficile pour quelqu'un qui perd toute son identité en raison d'un trouble aussi sévère.
    Nous, les familles, devons impérativement participer davantage au processus de soins. C'est nous qui vivons avec les conséquences au quotidien. Nous sommes les yeux et les oreilles. Nous sommes de proches aidants.
    Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais le ou la conjointe du membre des Forces doit donner son autorisation avant que ce dernier puisse recevoir un service. À Valcartier, ils vont même jusqu'à demander au membre d'inscrire son ou sa conjointe en vue de sa participation aux soins. Pensez-vous vraiment que ceux qui souhaitent cacher leur trouble de santé, les conjoints violents ou tous ceux qui ont une quelconque indépendance vont donner leur accord au risque d'être démasqués? C'est non, évidemment.
    Je tiens cependant à mentionner qu'il existe un excellent service de soutien par les pairs, soit le groupe de psychoéducation sur la blessure de stress opérationnel, ou GBSO.
    La détresse au sein des familles est présente et tout aussi importante que celle des militaires. L'accès aux services doit être facilité. Parfois, la continuité des services est aussi un enjeu, que ce soit en matière de réaffectation ou de libération. Le choc post-traumatique, c'est comme un tsunami, cela entraîne tout le monde.
    Cette année, j'ai décidé de créer, sur les réseaux sociaux, un groupe de femmes qui vivent avec des conjoints aux prises avec des chocs post-traumatiques. Cinq minutes après la création du groupe, nous étions déjà 65 membres. Ce sont des femmes qui, comme moi, n'ont trouvé de services nulle part ailleurs. Nous nous sentons vraiment seules.
    Le manque de service, de soutien, d'accès et de concertation a raison de beaucoup trop de gens. Malheureusement, dans notre cas, les troubles de santé mentale de mon conjoint auront eu raison de 20 ans de vie commune. Sans être en conflit, nous sommes présentement en processus de séparation et il en comprend les raisons. Je ne peux plus continuer à supporter toute seule le poids du lourd travail qu'il doit faire sur lui-même.

  (1125)  

    Merci beaucoup, madame Archambault.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Votre déclaration était excellente.
     Je vais maintenant donner la parole à M. Hinesh Chauhan.
     Je vous souhaite la bienvenue et vous invite à faire votre déclaration liminaire. Vous disposez d’environ six minutes.
     Merci.
    Bonjour, madame la présidente, membres du Comité.
     Je m’appelle Hinesh Chauhan. J’ai passé 18 ans et demi dans les Forces armées canadiennes, la moitié à plein temps et la moitié à temps partiel, comme sapeur de combat puis comme officier du génie. J’ai une vaste expérience des différentes opérations. J’ai appris beaucoup pendant toutes ces années.
     Ensuite, je suis entré dans la fonction publique fédérale, d’abord comme analyste de programme principal au Secrétariat du Conseil du Trésor, où j’étais chargé de superviser le portefeuille défense des organisations, les projets haut risque, les achats, les acquisitions et les pratiques de gestion. À l’heure actuelle, j’occupe un poste de directeur au ministère des Pêches et des Océans, et à ce titre, je supervise les investissements et les projets d’acquisition de biens immobiliers ruraux.
     Je connais très bien la bureaucratie et la culture du ministère de la Défense et de la fonction publique fédérale. J’adore ce que je fais, surtout lorsqu’il s’agit de s’assurer que les deniers publics sont dépensés à bon escient.
     Comme responsabilité secondaire, je dirige un programme de mieux-être qui a permis d’accroître de 120 % en deux ans le niveau de satisfaction des employés, selon les résultats du sondage auprès des fonctionnaires fédéraux. Je suis fermement convaincu que l’évaluation influe sur le comportement et que les résultats doivent être quantifiés.
     Je suis ici aujourd’hui pour discuter des circonstances qui ont entouré la mort de mon frère unique. Adjudant, Sanjeev Chauhan s’est donné la mort le 17 octobre 2020. Il avait disparu la veille au soir, et on a retrouvé son corps le lendemain, sur un terrain de la base de Petawawa.
     Mon frère était un père, un mari et un opérateur des services de renseignement de l’armée, qui a participé à quatre missions des forces d’opérations spéciales en Afghanistan, à Bali, en Lettonie et en Irak. Il adorait l’armée. Il adorait ce qu’il faisait. Plus que n’importe quel autre militaire, il était fier de porter l’uniforme.
     Les circonstances qui ont conduit à son suicide ne sont pas complètement une surprise, quand on y regarde de près. Ce que savait la chaîne de commandement et ce qui était documenté dans les dossiers des RH auraient dû déclencher la sonnette d’alarme. En toute objectivité, je pense que le système l’a laissé tomber.
     Quand je lis le Rapport de 2019 sur la mortalité par suicide dans les Forces armées canadiennes, je constate que mon frère présentait la plupart des signes que le ministère considère comme des causes de suicide. Il avait participé à un grand nombre de missions en un court laps de temps. Il faisait partie des forces d’opérations spéciales. Il avait été blessé et avait une lésion au cerveau. Il souffrait de stress post-traumatique et d’autres problèmes psychologiques. On lui avait attribué une catégorie médicale. Il avait commencé à boire et avait eu plusieurs incidents liés à l’alcool. Il venait de se séparer. Il avait eu des problèmes disciplinaires et devait comparaître en cour martiale. Il avait déjà fait une tentative de suicide. Un membre de sa famille s’était suicidé. Après l’incident, il avait été mis en isolement, à l’écart de son unité, en attendant sa comparution en cour martiale.
     Cette comparution en cour martiale, suite à un incident en juin 2019, était comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de mon frère. Plusieurs fois reportée, elle était par conséquent loin de contribuer au règlement rapide et efficient du problème, comme le recommandait le vérificateur général dans son rapport de 2018 intitulé L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes.
     Le système de justice militaire a pour vocation de maintenir la discipline, l’efficience et le moral dans les Forces armées canadiennes. Ce qui est arrivé à mon frère est exactement le contraire. Je m’inquiète pour les autres militaires qui souffrent de la même négligence et des mêmes retards, contrairement à ce que recommande le Bureau du vérificateur général. L’évaluation influe sur le comportement.
     Sa chaîne de commandement avait aussi ordonné aux autres membres de son unité de ne pas communiquer avec lui, ce qui l’éloignait de tout ce qui constituait pour lui un but et une identité. Plusieurs études examinent l’impact de cette perte d’identité sur les militaires démobilisés. La mise à l’écart est un autre facteur important qui augmente les risques de suicide. Cette décision était à mon avis tragique et inexcusable, et elle allait à l’encontre de tous les principes de leadership. Elle a entraîné son ostracisation et l’aggravation de ses troubles mentaux. Elle l’a privé de sa dignité et je pense qu’elle a porté atteinte à ses droits humains.
     Pour essayer de comprendre cette décision, j’ai adressé une lettre au ministre de la Défense nationale dont j’ai fait parvenir une copie à votre comité. La réponse n’abordait pas le sujet, et une réfutation immédiate a été opposée à un journaliste qui avait écrit pour demander la même chose.
     Qu’un chef militaire puisse donner un tel ordre dépasse l’entendement. En tout cas, cela va à l’encontre de l’éthique militaire canadienne et de notre Charte des droits et libertés. Qu’un chef militaire puisse donner un ordre pareil et que cet ordre puisse être exécuté révèle l’existence d’une culture délétère au sein de l’organisation.

  (1130)  

    Tous les facteurs que j’ai énumérés sont considérés par le ministère de la Défense nationale et celui des Anciens Combattants comme des risques accrus de suicide. À partir de quel moment déclenchent-ils une sonnette d’alarme dans les services de santé et dans la chaîne de commandement? La majorité de ces facteurs figuraient dans son dossier personnel et dans le système des RH. Leur accumulation aurait dû déclencher une sonnette d’alarme dans la chaîne de commandement et dans les services de santé, pour qu’ils prennent des mesures.
     Une autre question se pose: à partir de quel moment la consommation abusive d’une substance, à cause de troubles psychologiques, déclenche-t-elle un examen plus poussé afin d’éviter des incidents plus graves? C’est une question qu’il faudrait examiner d’un point de vue causal, par opposition à un point de vue symptomatique. Un système de détection précoce, qui déclencherait proactivement ou automatiquement une sonnette d’alarme dès l’apparition de ces facteurs, permettrait de prévenir des suicides. Il permettrait au moins de détecter les militaires qui sont sur le point de basculer et qui ont besoin d’une attention immédiate.
     J’en ai parlé à des collègues de l’armée qui ont reconnu, dans leur grande majorité, que la santé mentale était encore un sujet tabou dans l’armée. Qu’on considérait encore cela comme une faiblesse et un fardeau pour l’organisation. Ceux qui souffrent de psychoses doivent attendre avant d’avoir accès à des services appropriés, à des soins médicaux et à une aide psychologique.
     À en juger par ce que j’ai lu dans le plan ministériel de la Défense nationale, les passages portant sur la santé mentale, qui n’est mentionnée qu’une seule fois et le suicide, deux fois, ne contiennent aucun indicateur précis, aucun objectif mesurable et clair. Même si c’est une priorité du greffier du Conseil privé, la santé mentale n’est mentionnée qu’une seule fois dans le plan ministériel, ce qui est très révélateur de l’importance qu’elle a pour l’organisation. De la même façon qu’il y a une vingtaine d’années on a commencé à faire suivre à tout le monde des cours sur le harcèlement, on devrait en faire autant avec des cours de premiers soins en santé mentale. De la même façon qu’on fait suivre aux employés des cours de premiers soins physiques — avec une remise à niveau chaque année —, on devrait en faire autant avec les cours de premiers soins en santé mentale, et cela devrait être intégré dans les évaluations de rendement des gestionnaires. Encore une fois, l’évaluation influe sur le comportement.
     J’aimerais vous faire part d’un constat très intéressant que j’ai fait. Les pays qui bordent la Méditerranée et la mer Rouge, ainsi que les pays d’Asie du Sud-Est et du Sud Pacifique enregistrent les taux de suicide les plus faibles. Qui plus est, l’armée israélienne a pris des mesures pour réduire son taux de suicide, à telle enseigne qu’il est maintenant inférieur au taux de suicide dans la population civile, ce qui n’est pas du tout la tendance dans les pays occidentaux ou dans les pays disposant d’une armée moderne.
     Quand un soldat est porté disparu, les Forces israéliennes de défense n’ont qu’à appuyer sur un bouton pour localiser le soldat. Elles estiment qu’au cours des 12 derniers mois, cela leur a permis de sauver la vie de quatre soldats. Si un tel système était appliqué au Canada, mon frère serait peut-être encore en vie et il aurait accès aux soins dont il avait besoin, mais la culture est une chose difficile à changer. Comme le dit l’adage, la stratégie s’appuie sur la culture.
     Le soldat est confronté à une redoutable dichotomie: faire la guerre et exécuter des actions qu’aucun autre Canadien ne veut accomplir, et ensuite, rentrer chez lui et se comporter comme tout le monde. Passer d’une persona à l’autre cause un stress mental considérable. Pouvoir en parler avec d’autres personnes, partager des expériences, aide grandement à gérer cette dichotomie. Mais il faut dire que les lieux d’échanges sont avant tout les mess et les légions, où l’on consomme beaucoup d’alcool.
     Bon nombre d’études montrent que le fait de se droguer pour oublier est à la fois contre-productif et très courant, et que l’exercice physique et les interactions sociales positives sont les moyens les plus simples et les plus efficaces d’atténuer les symptômes de la dépression et de l’anxiété, et d’améliorer la santé mentale et la résilience.
     Je suis fermement convaincu que votre comité, le ministère des Anciens Combattants, le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes devraient se pencher sur les façons d’encourager des interactions sociales plus saines, qui mettent en valeur la bonne forme physique et le mouvement. Cela contribuerait à infléchir la culture guerrière, afin que la maladie mentale soit considérée comme n’importe quelle autre maladie physique, qu’elle suscite moins d’ostracisme, et que les membres des forces armées et leur famille puissent appliquer des stratégies plus saines d’adaptation et de résilience. Le dialogue doit se poursuivre. Le travail de sensibilisation doit se poursuivre.
     Il faut aussi quantifier les objectifs et les résultats. Les chefs doivent être tenus responsables. Les rapports doivent se fonder sur des évaluations précises. Encore une fois, l’évaluation influe sur le comportement.

  (1135)  

    Merci, madame la présidente, de m’avoir invité.
    Merci beaucoup, monsieur Chauhan.

[Français]

     Notre dernier témoin est Mme Lisa Cyr.
     Je vous souhaite la bienvenue, madame, et je vous invite à prendre la parole pour six minutes.
    Bonjour à tous.
    Je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part de mon expérience.
    Je suis militaire. Je suis vétérane, actuellement. J'ai travaillé pendant 12 ans dans les Forces armées canadiennes à titre de technicienne en approvisionnement, où j'ai touché à plusieurs départements.
    Je souffre aujourd'hui du trouble de stress post-traumatique à cause de harcèlement psychologique. Au début, on m'a dit que j'avais un trouble d'adaptation, mais on voulait me faire suivre des programmes pour le trouble de stress post-traumatique. Je leur ai demandé pourquoi je ferais partie de tels programmes, si je ne souffrais pas de ce trouble. Il a fallu trois ans avant qu'on reconnaisse que j'en souffrais. J'ai subi du harcèlement psychologique pendant mes 12 ans de carrière.
    Quand on entre dans l'armée, on nous dit qu'on travaille toujours en binôme. On doit toujours se préoccuper de son partenaire. Mon partenaire a vécu un incident à la veille de la graduation, à la suite d'une manifestation de pouvoir du caporal-chef. Par la suite, c'est moi qui ai aidé ses parents à pouvoir faire reconnaître que l'incident impliquant mon partenaire avait été causé par les Forces armées.
    Après deux ans, un adjudant-maître est arrivé en face de moi et m'a dit que, si je voulais que ma carrière aille bien, je ferais mieux de laisser la famille de Plamondon tranquille et de m'en éloigner. Je me suis dit que cela allait à l'encontre de ce qu'on nous apprenait dans les forces et du principe du binôme. Il me demandait de m'éloigner de cette famille et de mon partenaire, que je soutenais, et je ne l'ai pas fait. Aujourd'hui, après 12 ans, je considère encore JP comme mon petit frère.
    Par ailleurs, au début de ma carrière, je me suis blessée au tendon d'Achille. En tant que recrue, on n'a pas le droit de se blesser. En fait, dans l'armée, on n'a pas le droit d'être blessé. Si vous n'étiez pas au courant, je vous en informe. C'est mal vu. Je n'étais pas une coureuse, parce que j'étais blessée à un tendon d'Achille. Dans l'armée, si l'on n'est pas un coureur, on est un moins que rien. C'est ainsi que j'étais perçue, même si j'étais capable de lever un poids de 200 livres sur le banc de musculation.
    Pendant ma carrière, on a saisi toutes les occasions de me harceler mentalement. Au début, je me disais que la personne n'allait pas bien et qu'on me tombait sur le dos. Quand on finissait à midi, le vendredi, il devait y avoir quelqu'un de garde. On décidait que j'allais rester et on me disait: que, comme j'avais un rendez-vous en physiothérapie le matin, je devais rester jusqu'à 15 heures l'après-midi. Je me demandais pourquoi j'étais pénalisée à cause d'un traitement de physiothérapie. Ce fut le cas pendant presque toute ma carrière, et ce, jusqu'à la fin, où l'on a vraiment tenté de m'atteindre dans mon estime personnelle. On m'a mentionné que cela me prenait 35 minutes à me rendre de la base à l'endroit où je devais travailler, alors que l'adjudant et un autre membre des forces le faisaient en 32 minutes. Il y avait une différence de trois minutes. On m'a dit que je prendrais dorénavant ma douche sur place plutôt qu'à la base après mon entraînement. Ce ne sont que quelques exemples qui ont eu lieu.
    En dernier, on écrivait de faux rapports à mon sujet. Je les ai contestés jusqu'au moment où j'ai été obligée de porter plainte. Vous savez, dans l'armée, on nous dit de belles paroles. Tous les ans, on doit participer à des programmes obligatoires qui nous parlent de santé mentale et de harcèlement. On nous dit qu'il faut le mentionner, lorsqu'on a des problèmes. C'est ce que j'ai fait, mais cela n'a pas été pour le mieux, dans mon cas. Le harcèlement a continué et il a empiré.
     On me refusait mes vacances. Mon major a refusé que j'aille visiter ma famille, alors que c'est ce que recommandaient mon médecin et la psychologue. À un certain moment, j'ai mentionné que j'allais faire de la magie, puisque c'était ce que voulait mon major. La personne-ressource du système de santé a demandé ce que je voulais dire par « faire de la magie ». Il faut savoir qu'on ne peut pas mentionner qu'on a des idées suicidaires, parce qu'on va nous enfermer ou nous tasser dans un coin. À Valcartier, c'est ce qu'on appelle « aller au deuxième étage ».

  (1140)  

     Aller au deuxième étage, c'est mal vu. Encore aujourd'hui, aller chercher de l'aide, c'est mal vu dans les Forces. J'ai quitté les Forces en 2019, c'est tout récent.
    Je me bats tous les jours. Tous les matins, c'est un combat pour moi de me lever. J'ai 43 ans. Je prends 11 pilules tous les soirs pour prévenir les cauchemars et l'anxiété, pour pouvoir dormir.
    Je me suis fait harceler. On n'a jamais pu prouver que c'étaient eux, mais des gens de la base m'appelaient trois fois par jour, après que le major a refusé la demande du médecin de me laisser passer du temps avec ma famille. On passait dans ma rue. Je reste dans un quartier où il faut vraiment vouloir venir chez moi pour trouver ma maison. J'en fais encore des cauchemars. On calculait mon temps...
    Je suis sortie des Forces canadiennes parce qu'on nous dit qu'il faut se soigner et avancer. Une de mes collègues a malheureusement encore des problèmes avec Manuvie. Le 31 décembre, elle s'est défoulée avec moi.
    J'ai acheté le café félin Ma langue aux chats, à Québec. C'est ma troisième thérapie. Il y avait déjà quatre chats et nous avons acheté 10 chats de race de plus pour nous distinguer des autres cafés. La chatte que vous venez de voir s'appelle Karine. Cinq de nos chats portent le nom de six de nos amis décédés au combat ou par suicide, dont Karine, en hommage à Karine Blais, morte au combat en Afghanistan.
    J'essaie aujourd'hui de me payer une troisième thérapie. Je veux partager mon café et mes chats et offrir de la zoothérapie à mes amis militaires et vétérans, de même qu'aux gens de la société, pour les aider à surmonter leurs problèmes de santé mentale. On n'en parle pas assez et c'est encore trop mal vu. Depuis le mois de juin, je parle de mon vécu au café en disant que c'est un combat de tous les jours.
    C'est très exigeant pour moi de vous parler, mais je suis fière de le faire pour faire avancer la cause. Le café est fermé maintenant, malheureusement, mais quand il était ouvert, j'y parlais tous les jours de l'expérience que j'avais vécue. Cela me motivait à me lever chaque matin. Je prends des pilules, mais je ne suis pas une toute croche de la vie.
    Aller chercher de l'aide, c'est ce qui est important. Dans l'armée, on n'en a pas. Ils ont beau dire ce qu'ils veulent, il n'y en a pas. Même quand on sort de l'armée, on n'est pas guidé. Je me suis fait dire par l'ombudsman que, quand on sort de l'armée, on ne nous prend plus par la main comme l'armée le fait. Je suis sortie de l'armée avec un post-traumatisme.
    Il y a des millions de formulaires à remplir et j'ai besoin d'aide. On n'est pas capable de le faire et on est laissé à soi-même. Si de l'aide existe, on nous envoie d'un endroit à l'autre. Tout le monde se relance la balle, que ce soit ACC, les Forces canadiennes ou Manuvie. Cette compagnie me demande de rembourser 27 000 $ parce que j'ai acheté une entreprise pour améliorer ma santé mentale et celle des gens.
    Je vais faire une parenthèse. Il semble que, quand on sort des Forces canadiennes, il faut s'occuper de faire une demande à ACC. Je viens d'apprendre que cela fait un an et quelques mois que j'ai perdu 15 % de mon salaire. On se demande maintenant qui va autoriser ACC à me rembourser mon année de salaire. Dans cette année de salaire, on inclut les 27 000 $ que je dois à Manuvie. ACC m'a dit que si j'avais fait partie du programme de réadaptation, il m'aurait remboursé ces 27 000 $ et on n'aurait pas amputé mon salaire de 15 % pendant un an.
    J'étais censée savoir tout cela. On me dit que j'ai pourtant suivi une formation. Effectivement, j'ai suivi une formation au mois de mars et je suis sortie de l'armée en septembre.

  (1145)  

     Je ne sais pas si vous le savez, mais quand on souffre du trouble de stress post-traumatique, on oublie des choses. On n'est pas tout à fait présent. La dame qui parlait de son conjoint, tantôt, en sait quelque chose. Aujourd'hui, j'ai des notes parce que, même si je sais ce que je veux vous dire, cela ne sort plus. Dans ma maison, c'est le fouillis. Je sais ce que j'ai à faire, mais je ne suis pas capable de l'appliquer.
    C'est ce qui arrive aux gens atteints du trouble de stress post-traumatique. Nous avons des idées suicidaires et notre famille essaie de nous comprendre, mais elle n'y arrive pas. Nous sommes méfiants et nous éprouvons une anxiété grave. Moi, je n'ai plus confiance en qui que ce soit. J'essaie de faire confiance aux autres de nouveau, mais j'en suis incapable. Je suis détruite à l'intérieur. On me dit que je dois me battre et avancer. C'est facile à dire, mais ce n'est pas facile à faire.
    Je me suis enrôlée dans l'armée en tant que technicienne en approvisionnement. J'ai un baccalauréat en psychologie, en français et en soins infirmiers. Pour moi, un leader, c'est quelqu'un qui essayait d'élever les autres. Je voulais m'enrôler dans l'armée en tant que soldate pour éventuellement devenir officière, parce que je voulais d'abord apprendre la base de l'armée. Cependant, ce que j'ai appris, c'est que l'armée est loin d'être ce qu'on pense. Des leaders, ce n'est pas ce qu'on trouve dans l'armée. Dans l'armée, ce sont des bandes. Si on ne fait pas partie de la bande, on t'écrase et on te tasse dans un coin. C'est cela, la réalité, dans les Forces armées canadiennes.
    Les problèmes de santé mentale ne sont pas bien vus. Aller au deuxième étage, ce n'est pas bien vu. C'est cela que les membres des Forces armées canadiennes vivent. On se fait pointer du doigt, on se fait tasser, on se fait regarder de travers et on se fait harceler. On parle beaucoup du harcèlement sexuel dans les Forces, mais on ne parle pas du harcèlement psychologique.
    Quand j'ai porté plainte, on m'a donné raison relativement aux six allégations. Tout ce que j'ai reçu des Forces armées canadiennes, c'est une lettre, qui ne m'a même pas été donnée par mon commandant. On me l'a envoyée dans une enveloppe. Elle disait qu'on avait tranché en ma faveur relativement aux six allégations et que je pouvais contester la décision si je n'étais pas contente. Personne ne m'a présenté des excuses de la part des Forces armées canadiennes pour le traitement que j'ai subi. Je n'en ai jamais reçu. On m'a pointée du doigt.
    Par la suite, quelqu'un a dit que j'allais me rendre là où les autres ne s'étaient pas rendus. Le harcèlement a donc continué, même après que j'ai eu gagné ma cause. C'est comme cela que ça se passe. Je n'ai donc pas voulu déposer de nouvelles plaintes contre les personnes qui continuaient de me harceler, parce que cela ne donnait rien. On a beau dire qu'on reçoit des programmes mandatés, qu'on est informé et qu'on encourage les membres à porter plainte, ce ne sont que des blablas. On a beau porter plainte, cela ne donne absolument rien.
    Quant au 5e Bataillon des services, à Valcartier, malheureusement, ces gens sont les champions du harcèlement. Ils prennent les gens pour des imbéciles et ils détruisent la vie de militaires et de familles. Ce sont des champions à cet égard.
    C'est difficile pour moi d'être ici aujourd'hui, mais je suis fière de pouvoir enfin le dire, et j'espère que vous m'aurez bien écoutée.

  (1150)  

    Je vous remercie beaucoup, madame Cyr.

[Traduction]

    Nous allons maintenant passer aux questions.
    Aujourd’hui, nous allons commencer par M. Benzen.
    Merci, madame la présidente.
     Je remercie tous nos témoins de nous avoir fait part de ces expériences tragiques, qui nous interpellent profondément et qui nous montrent qu’il y a beaucoup à faire. Manifestement, il y a des dysfonctionnements dans la façon dont nous traitons certains de nos militaires.
     J’espère que vous allez tous pouvoir me donner une réponse. S’agissant d’un militaire, il est crucial que toute la famille contribue à sa guérison. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure les Forces armées canadiennes ont essayé de mobiliser toute la famille — le conjoint, les frères et soeurs, les enfants, les grands-parents et les parents? Les ont-ils contactés, les ont-ils aidés, les ont-ils encouragés à faire partie de la solution? Quelle relation s’est instaurée entre la famille et les forces armées?
     Très souvent, les forces armées se cachent derrière la notion de vie privée. Elles refusent de divulguer des informations. Cela peut être délétère. Ne faudrait-il pas changer cela afin qu’elles donnent davantage d’informations et qu’elles fassent davantage participer la famille? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
     Je vous invite tous les trois à me répondre.
    Je vais vous répondre en commençant par le sens de la communauté. Plus la communauté est grande, plus les connexions sont fortes. De nombreuses études montrent une amélioration ou un renforcement de la santé mentale et une diminution du risque de suicide. Dans les pays que j’ai mentionnés, la culture communautaire est plus forte. Il est très important de faire participer les familles. Un militaire n’existe pas sans sa famille.
     D’après ce que j’ai pu constater et d’après ce qui est arrivé à mon frère, ce n’est pas ce qui s’est passé. En fait, le niveau de communication… À part les adjoints et le chapelain qui avaient été chargés d’accompagner ma belle-soeur, il n’y a pas eu d’autres communications. Le centre de transition n’a pas contacté notre famille. Il m’a fallu près d’une semaine pour savoir où était le cadavre de mon frère. Personne ne pouvait me le dire. C’est moi qui ai dû faire la recherche, pas le ministère.
     Les centres de ressources pour les familles des militaires n’existent qu’en titre. Ils sont limités, et leur financement diminue au fil du temps. L’existence d’une communauté et de services permettant de rapprocher les familles sont très précieux, mais ces services sont en recul depuis plusieurs décennies. Je l’ai constaté moi-même, au fur et à mesure des examens stratégiques, des coupures budgétaires et de notre réalité.

  (1155)  

    Merci.
     Les autres témoins veulent-ils répondre?

[Français]

     Oui. J'aimerais dire que, dans le cadre de ses traitements, mon conjoint a signé tous les documents relatifs au consentement sur le partage d'information. En outre, on s'était entendu avec l'équipe militaire. On avait décidé, avec son équipe de soins, de cesser toute communication directe avec mon conjoint, parce que cela agissait comme un déclencheur dans son cas.
     Or, malgré cela, on oubliait cet aspect et on passait quand même toujours par mon conjoint. Je devais moi-même rappeler constamment qu'il ne fallait pas communiquer avec lui. Même si j'avais tous les documents de consentement signés, j'avais beaucoup de difficulté à obtenir de l'information, peu importe laquelle. Il me fallait passer par plusieurs personnes, qui m'envoyaient toujours ailleurs, et cela ne fonctionnait pas. Il est difficile pour la famille d'accéder à l'information. C'est comme si on voulait demeurer dans le secret des dieux et s'assurer qu'aucune information ne circule. Tout est gardé. C'est le secret total.

[Traduction]

    Cela suffisait à vous causer du stress mental, en plus d’être la conjointe ou le frère, ce qui ne faisait qu’aggraver le problème, malheureusement.
     Il y a plusieurs choses qui m’ont étonné dans ce que vous avez dit. Premièrement, on ne pouvait pas traiter le cas au sein de l’armée et on vous a demandé de vous adresser à d’autres services civils. Il me semble qu’une organisation de la taille de l’armée canadienne devrait avoir toutes les ressources nécessaires pour traiter ce genre de cas.
     Avez-vous été choquée qu’on vous demande de vous adresser à des services extérieurs à l’armée?

[Français]

     Oui. Ce ne sont pas tous les intervenants dans le dossier de mon conjoint qui ont été inefficaces. Il y avait une personne sur laquelle nous pouvions compter; c'était une travailleuse sociale à l'Hôpital Montfort. Elle a envoyé mon conjoint suivre un programme au civil à l'hôpital Bellwood, à Toronto. Ce programme ne relève pas des Forces, mais ces gens sont habitués à traiter des chocs post-traumatiques. On m'a même permis, en tant que conjointe, de suivre une formation d'une semaine pour comprendre ce qu'est un choc post-traumatique. Même si je travaille dans le milieu de la santé en travail social, je ne connais pas bien les chocs post-traumatiques, surtout chez les militaires.
    Oui, cela m'a fâchée qu'une organisation comme les Forces canadiennes, qui dit prendre soin de ses membres, ne soit pas capable de prendre en charge un trouble directement lié au service militaire.

[Traduction]

    Je vous remercie de vos questions, monsieur Benzen.
     Je vais maintenant donner la parole à M. Robillard.
     Madame Cyr, je vous donnerai la parole au prochain tour.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Je voudrais commencer par remercier nos témoins d'avoir pris le temps de venir témoigner aujourd'hui. Je sais que ce sont des sujets extrêmement sensibles pour tout le monde. C'est la raison pour laquelle je suis extrêmement reconnaissant envers ce comité de pouvoir aborder ce sujet aujourd'hui.
    Ma première question s'adresse à Mme Archambault.
    Quels sont les programmes et les services de santé mentale supplémentaires que les Forces armées canadiennes devraient fournir? Quels mécanismes devrait-il y avoir pour que vous et votre famille puissiez contribuer à la conception et à la mise en oeuvre de ces programmes et services?
    Il serait important de faire participer les conjoints et les enfants au processus. Les Forces semblent oublier rapidement que les militaires sont aussi le père, le conjoint et l'enfant de quelqu'un. Il faut impliquer les conjoints et les enfants, et même les parents de ces militaires. Il faudrait aussi créer un outil pour valider les symptômes qu'éprouve la personne concernée. Au retour d'une mission, il arrive que les militaires aillent bien. Ils ont quelques semaines de congé et reprennent une vie normale.
    Toutefois, selon les statistiques, cela peut prendre jusqu'à 12 mois avant qu'un symptôme de choc post-traumatique se manifeste, mais à ce moment-là, il n'y a plus de suivi. Il devrait y avoir un outil pour vérifier s'il y a eu un changement après six mois ou un an. Il faudrait à tout le moins communiquer avec les proches de la personne concernée pour le vérifier. Pour le militaire, c'est facile de dire que tout va bien, qu'il a repris son service et qu'il va au gym. Or ce n'est pas vrai, ce n'est pas la réalité.
    Les enfants aussi auraient besoin de plus de soutien. Les gens qui se trouvent un peu loin des grandes bases n'ont pas accès à grand-chose. C'est compliqué et il ne faut pas prendre le même thérapeute que son conjoint. On n'a pas accès non plus à de la thérapie de couple. J'ai demandé une telle thérapie à plusieurs reprises et, à part une seule rencontre, nous n'avons jamais réussi à avoir quelqu'un. Évidemment, ce n'est pas suffisant.

  (1200)  

    Je vous remercie.
    Est-ce que vous ou des membres de votre famille avez utilisé le service téléphonique de relation d'aide du Programme d'aide aux membres des Forces canadiennes? Si tel est le cas, quelle a été votre expérience? Avez-vous des suggestions pour améliorer ce service?
    Comme je l'ai dit un peu plus tôt dans ma présentation, malheureusement, après avoir créé mon groupe de femmes qui sont dans la même situation que moi, j'ai appris que la travailleuse sociale assignée à notre dossier par ce programme avait été changée parce que son conjoint était un militaire. J'ai eu un appel après la tentative de suicide de mon conjoint parce que j'ai appelé pour demander de l'aide.
    J'ai aussi appelé la chaîne de commandement pour la mettre au courant. Dans le cas de mon conjoint, c'est un SSPT qui dure depuis plusieurs années. Cela faisait déjà trois ou quatre ans qu'il ne s'était pas présenté en personne au bureau et personne n'avait de lien avec lui. Il vivait sa vie chez nous, isolé. J'ai contacté ce service pour expliquer la tentative de suicide et j'ai reçu un appel par la suite. Un appel téléphonique pendant une grande crise comme celle-là, ce n'était pas approprié et ce n'est pas ce dont nous avions besoin.
    Vous avez parlé aussi de services de santé mentale dans sa langue maternelle. Pouvez-vous nous parler de l'accès à des soins de santé mentale dans la langue maternelle des patients?
     Je dirais que si on ne demeure pas à Valcartier ou ailleurs au Québec, il est extrêmement difficile d'accéder à des services en français. Pour nous, les problèmes ont débuté quand mon conjoint a été muté à Ottawa. Nous avons dû soumettre plusieurs demandes pour qu'il puisse avoir accès à des services en français. Il vivait une crise active très aigüe. À ce moment-là, il ne pouvait pas vraiment exprimer dans une langue qui n'était pas la sienne ce qu'il avait à dire. Cela nous a passablement mis des bâtons dans les roues au début de ses traitements. La situation était la même pour nous.
    Je ne voudrais pas oublier les deux autres témoins.
    Si vous voulez répondre aux questions que je viens de poser, n'hésitez pas.
    J'aimerais maintenant savoir s'il y a des sujets qui n'ont pas été abordés dans le cadre de mes questions et dont vous aimeriez parler devant ce comité. Ma question s'adresse aux trois témoins.
    J'aimerais ouvrir une parenthèse au sujet de la langue. J'ai des amis qui souffraient du trouble de stress post-traumatique et qui ne parlaient pas l'anglais. On les a envoyés sur une base militaire à Trenton, où il leur était impossible de s'exprimer en français. Ils ont subi du harcèlement à cause de leur langue. On a ri d'eux parce qu'ils parlaient le français et ne comprenaient pas l'anglais. Ils ont dû se battre pour recevoir des traitements en français. Ils devaient faire une heure et quart de route pour avoir accès à un thérapeute qui parlait le français.
    Cette situation est inappropriée et inacceptable dans les Forces armées canadiennes, dont on dit qu'elles doivent être bilingues. Les services devraient être offerts sur place. Les militaires ne devraient pas avoir à faire une heure et quart de route pour recevoir des soins. En fait, cela représente une heure et quart à l'aller et une autre heure et quart au retour. On leur a dit qu'on allait rembourser leur kilométrage. De telles réponses sont inacceptables de la part des Forces armées canadiennes.
    Madame la présidente, me reste-t-il un peu de temps?

[Traduction]

    Merci.
     Merci, monsieur Robillard.
     Je voudrais dire aux autres membres du Comité, à ceux qui disposent d’un temps de parole de cinq ou six minutes, que je vais devoir réduire ce temps d’environ une minute. Pour ceux qui disposent de moins de temps, je ne changerai rien. Mais tous les autres doivent s’attendre à avoir une minute en moins, parce que nous devons respecter notre horaire et donner en même temps à nos témoins le respect et la dignité qu’ils méritent.
     Allez-y, monsieur Bezan.

  (1205)  

    Madame la présidente, nous avons commencé la réunion avec une quinzaine de minutes de retard, par conséquent, au lieu de réduire notre temps de parole sur un sujet aussi important, je préférerais qu’on prolonge la réunion de 10 ou 15 minutes, afin que tout le monde ait la possibilité de poser des questions aux témoins et d’entendre leurs réponses. C’est important pour notre étude de la santé mentale dans les Forces armées canadiennes.
    Je veux bien, mais il est déjà prévu que nous dépasserons notre horaire de 15 minutes. Voulez-vous qu’on le dépasse de 15 minutes supplémentaires?
     Je vais faire de mon mieux, mais je sais que des députés doivent se rendre à d’autres réunions de comité ou à d’autres engagements. Je vais être aussi généreuse que possible, mais je vais appliquer rigoureusement la règle.
     D’accord? Merci à tous.
     Je donne maintenant la parole à M. Brunelle-Duceppe. Allez-y.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Tout d'abord, je tiens à remercier les trois témoins qui comparaissent aujourd'hui devant nous. Je pense que tous vos témoignages nous sont allés droit au cœur. Le mot qui me vient spontanément à l'esprit est « courage ». Il y a le courage qui vous a été nécessaire pour venir témoigner devant ce comité aujourd'hui, mais aussi le courage dont vous devez faire preuve quotidiennement, j'imagine. Franchement, vous avez toute mon admiration.
    J'aimerais poser ma première question à Mme Cyr.
     Le suicide est un problème très grave. Selon vous, est-ce que les Forces armées canadiennes traitent en amont les problèmes de santé mentale et de suicide ou est-ce que ce qu'elles interviennent seulement lorsqu'il est trop tard?
     Je vous remercie de votre question, monsieur Brunelle-Duceppe.
    On traite les gens beaucoup trop tard. On attend qu'ils soient au bout du rouleau. Personnellement, on a attendu que je dise que j'allais faire de la magie avant qu'on me prenne au sérieux. On disait toujours qu'on n'avait pas enfreint les règles des Forces armées canadiennes. Le harcèlement était toujours à la limite de ce qui est correct et ce qui ne l'est pas. J'ai été obligée de dire que j'allais m'enlever la vie si cela n'arrêtait pas. J'ai même mentionné ce que j'avais.
    Au début, on m'a même demandé pourquoi je parlerais aux médias. J'ai dit que, le jour où j'allais m'enlever la vie, j'écrirais une lettre pour dénoncer ce qui se passe dans les Forces armées canadiennes et qu'on n'aurait pas la chance de cacher tous les suicides qu'on cachait. Je leur ai dit que les médias seraient mis au courant de ce qui s'est passé dans les Forces armées canadiennes et de l'endroit où se trouverait mon corps si je faisais cela un jour. On m'a demandé pourquoi j'aviserais les médias. J'ai répondu que c'était parce qu'on cachait la réalité de ce que nous vivons.
    Alors, on agit beaucoup trop tard. Il y a des suicides pratiquement tous les jours parmi nos membres, qu'ils soient actifs ou non. C'est inacceptable. Quand on dit qu'on parle de la santé mentale tous les jours, qu'on fait tout ce qu'on peut pour prévenir les suicides et qu'on offre du soutien et des soins aux membres, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai que nous avons tout cela.
    Excusez-moi, mais je veux profiter au maximum du temps dont nous disposons.
    Vous venez de parler de cela, mais comment les supérieurs traitent-ils les constats des médecins liés à la santé mentale?
    C'est une très bonne question.
    Dans mon cas, lorsque je suis allée demander de l'aide au deuxième étage et qu'on m'a prise au sérieux, on m'a donné un billet du médecin. Dans les Forces armées canadiennes, lorsqu'on est en arrêt de travail, on ne peut pas s'éloigner de plus de 50 kilomètres de sa maison. Or ma famille est au Nouveau-Brunswick et je demeure à Québec. Mon autre famille est à Montréal. Je dois faire environ deux heures et demie de route pour aller à Montréal ou au Nouveau-Brunswick.
    Le médecin et les gens des services en santé mentale m'ont donné une note à envoyer à mes supérieurs afin qu'ils m'autorisent à visiter ma famille et que je puisse verbaliser mon problème, prendre l'air et, surtout, avoir du soutien. Moi, je suis toute seule à Valcartier, à Québec. Ma famille proche n'est pas ici. Qu'est-ce que j'ai reçu de mes supérieurs? Ils m'ont renvoyé ma note avec une réponse négative disant que je devais rester à Valcartier, parce que j'avais des programmes mandatés à suivre et que je devais aller à mes rendez-vous. Je n'avais pas de rendez-vous. J'étais en arrêt de travail et j'avais besoin du soutien de ma famille. Je n'ai absolument reçu rien. C'était zéro et une barre.
    On a plutôt commencé à m'appeler le matin, l'après-midi et le soir, sans parler au bout du fil. J'ai contacté la police, mais on m'a répondu que, puisque je n'avais pas reçu de menaces de mort, on ne pouvait pas vérifier qui était associé à ces numéros de téléphone. Cela coïncidait drôlement bien avec la note du major qui refusait que j'aille dans ma famille. Cela a duré des mois. Des gens passaient dans ma rue. C'est cela, le soutien que j'ai eu de mes supérieurs.

  (1210)  

    J'aimerais vous poser une dernière question, car je pense que je n'ai plus beaucoup de temps.
    Tout d'abord, je veux vous féliciter pour votre café.
    Merci.
    Cela doit faire du bien aux militaires et aux vétérans que vous ayez pris cette initiative.
    Selon vous, la santé mentale est-elle un tabou chez les militaires et les vétérans?
    C'est un énorme tabou dans les Forces armées canadiennes. Même entre collègues, on ne veut pas être étiqueté comme ayant un problème de santé mentale ou étant atteint de stress post-traumatique.
    Quand on me l'a dit, la première réflexion que j'ai eue, c'est que je n'étais pas allée en Afghanistan, donc je ne pouvais pas souffrir de stress post-traumatique. Cependant, on m'a fait comprendre que le harcèlement en était une des causes. Je me suis retrouvée avec des problèmes de santé physique, dont la fibromyalgie, qui découle du stress post-traumatique, et des migraines. Alors, en plus d'avoir un problème de santé mentale, cela m'a accablée d'avoir eu beaucoup de problèmes de santé physique.
     Merci, madame Cyr.
     Je pense que Mme Archambault voulait parler du fait que c'est tabou.
    Oui, c'est vraiment tabou. Le diagnostic de mon conjoint s'est fait rapidement. Une fois la valve ouverte, il n'est jamais retourné au travail. Nous sommes allés à l'hôpital une fois et il n'est plus jamais retourné dans son milieu de travail. On me demandait de dire qu'il avait un trouble cardiaque congénital dégénératif, pour que la chaîne de commandement ne sache pas qu'on était en train de voir s'il avait un choc post-traumatique. Des gens appelaient chez moi pendant plusieurs semaines et je devais donner des réponses farfelues.
    Merci beaucoup, madame Archambault.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Je donne la parole à M. Garrison.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
     Comme c’est notre dernière réunion sur le sujet de la santé mentale, je voudrais rappeler à la présidence que les Forces armées canadiennes nous avaient promis de nous faire parvenir un rapport sur le nombre de suicides en 2020. Je ne pense pas que nous l’ayons reçu. Je déplore également que, d’après ce qui a été dit tout à l’heure, ce rapport ne fournisse pas de chiffres sur une base annuelle, alors que ce qui nous intéresse, c’est de voir leur évolution d’une année à l’autre.
    Merci, nous allons vérifier.
    Deuxièmement, le contre-amiral Bernatchez nous a promis un document sur l’automutilation dans les codes de déontologie militaire d’autres forces armées. Je crois qu’il y a des différences importantes. Il me semble bien que nous ne l’avons pas reçu non plus.
     Je vais maintenant m’adresser aux témoins et les remercier chaleureusement de comparaître devant notre comité. Je sais qu’il vous est difficile de parler de situations personnelles, et à moi d’en avoir une compréhension parfaite. Deuxièmement, il y a la crainte d’être stigmatisé. Ce n’est pas seulement le tabou mais l’attitude des autres face à la santé mentale, aussi bien dans l’armée qu’en dehors, car on a tendance à croire que le problème se situe au niveau de la personne qui souffre de troubles mentaux alors qu’il concerne la façon dont nous réagissons à cette situation. Je vous remercie vraiment beaucoup de comparaître devant notre comité.
     Tout au long de ces audiences, nous avons constaté qu’il y avait un décalage entre les témoignages. D’un côté, les représentants des Forces armées canadiennes nous ont dit, à propos de l’accès, que 90 % des postes étaient comblés et qu’ils avaient des lignes directives sur les cas en attente, mais aujourd’hui, vous nous dites que les familles ont énormément de difficultés à accéder aux services. Dans leurs témoignages, les représentants des Forces armées canadiennes ne l’ont jamais reconnu. Je vous remercie de réitérer ce que nous ont dit toutes les autres familles.
     Il y a aussi un décalage sur la question de l’automutilation dans le code de déontologie. Le contre-amiral Bernatchez nous a dit que cela n’entraînait aucune poursuite et que ce n’était donc pas un problème, comme si le code de déontologie n’était pas la pierre angulaire du système disciplinaire au sein de l’armée.
     J’aimerais aujourd’hui vous poser une question au sujet de la réponse donnée par les Forces armées canadiennes au sujet de l’idéation suicidaire. On nous a dit à plusieurs reprises que le recours à la discipline était souvent la première réponse, et que si ce n’était pas une mesure disciplinaire officielle, c’en était fichtrement une pour la personne qui souffre de troubles mentaux.
     Permettez-moi de commencer par vous, madame Archambault. Avez-vous constaté que la mesure disciplinaire était le premier recours utilisé par les Forces armées canadiennes?

  (1215)  

[Français]

    Je ne peux pas dire que cela relevait de la discipline. Par contre, je peux dire que c'était mis de côté, que ce n'était pas toujours pris au sérieux. Dans notre cas, j'ai envoyé un signal parce que je craignais pour la vie de mon conjoint. J'avais fait des vidéos où il avait certains comportements, mais je n'ai pas eu de réponse pendant plusieurs jours. On a décidé de le médicamenter en pensant que cela allait passer, mais malheureusement, la tentative a eu lieu.
    Comme je l'expliquais tout à l'heure, nous sommes dans un processus de séparation. C'est sûr que je crains pour la suite des choses, car mon conjoint est toujours malade.

[Traduction]

    Merci beaucoup, madame Archambault.
     C’est très important que vous ayez parlé de ce groupe de 85 militaires sur Facebook. Les chefs ont tendance à dire qu’il s’agit de cas isolés. Je vous remercie de tout ce que vous faites pour rassembler les gens. L’union fait la force.
     Monsieur Chauhan, pourriez-vous me dire de quelle façon les militaires ont eu recours à la discipline dans le cas de votre frère?
    Je ne pense pas pouvoir répondre à sa place, et je ne sais pas non plus ce à quoi il a dû faire face quand on a reconnu qu’il avait des troubles psychologiques. Par contre, ses collègues m’ont dit que les soldats qui affichent ouvertement leur idéation suicidaire ne sont pas pris en charge immédiatement. Ils ont beau exprimer publiquement ce qu’ils ressentent, ils doivent attendre des mois avant d’être envoyés auprès d’un professionnel compétent. Dans leur lieu de travail, dans leur unité, ils hésitent beaucoup à en discuter ou à en parler à leur chaîne de commandement. La stigmatisation est encore très forte.
    Il me paraît évident que, lorsqu’une personne qui souffre de troubles mentaux est écartée de son lieu de travail et qu’elle est empêchée d’avoir des contacts avec d’autres, elle doit fichtrement ressentir cela comme une mesure disciplinaire.
    Je suis d’accord.
    Madame Cyr, pouvez-vous me dire à votre tour dans quelle mesure la mesure disciplinaire est la réponse des forces armées aux problèmes de santé mentale et aux plaintes pour harcèlement?

[Français]

     Exactement. C'est vu comme des mesures disciplinaires. On nous tasse dans un coin. Pour ma part, on m'a mise dans un local avec la personne qui me harcelait. Je n'étais pas sur les lieux avec elle, mais on m'a mise directement en ligne avec elle et on m'a fait sentir comme si c'était moi le problème, et non les Forces canadiennes.
     On nous tasse et on continue à nous taper dessus. Nous faisons l'objet de mesures disciplinaires et de mauvais rapports, qui n'ont pas lieu d'être. On nous fait vraiment sentir comme un numéro et — excusez l'expression — comme de la merde. C'est la réalité.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Monsieur Dowdall, vous avez la parole.
    Merci, madame la présidente.
     J’aimerais tout d’abord remercier nos trois témoins de leurs déclarations et de leurs réponses particulièrement émouvantes.
     Je voudrais me présenter brièvement pour vous dire que je suis député depuis un an et qu’auparavant, j’étais maire de la collectivité qui abrite la base de Borden, l’un des plus grands centres d’instruction militaire au Canada. À ce titre, j’ai eu l’occasion de travailler en étroite collaboration avec la base et j’ai constaté, comme beaucoup d’autres habitants de notre collectivité, que certaines des situations qui ont été dénoncées aujourd’hui sont bien réelles.
     La police militaire doit parfois intervenir hors de la base. Un grand nombre de soldats ne vivent plus sur la base. Ils se sont intégrés dans notre collectivité, et c’est fantastique. Ils sont entraîneurs de hockey, entraîneurs de soccer ou autres. Très souvent, ils quittent la base pour toutes sortes de raisons. Dans certains cas, malheureusement, il y a des suicides, mais il peut s’agir également de bagarres ou autres. Vous parliez tout à l’heure de toxicomanie, d’alcoolisme, etc. Même moi, en tant que maire, je n’étais pas informé quand il y avait des suicides, à moins que l’hôpital ne me le dise. Nous n'étions pas vraiment au courant dans la collectivité.
     La semaine dernière, nous avons eu la journée Bell Cause pour la cause. Il s’agissait essentiellement de discuter des problèmes mentaux dont souffrent les gens. En tant qu’ancien maire, je me demande comment nous pourrions être plus efficaces. Qu’en pensez-vous?
     Nous avons la stratégie de prévention du suicide de 2017, avec Anciens Combattants, et je remercie M. Garrison d’avoir posé la question, parce que c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup: où en sommes-nous? Est-ce que la situation s’améliore? Va-t-on atteindre les objectifs? Faut-il que nous trouvions une méthode pour mieux sensibiliser les autorités militaires aux difficultés de leurs soldats? Voilà pour ma première question.
     Je vais vous poser la deuxième en même temps, car nous n’avons que cinq minutes. Vous pourrez répondre aux deux.
    Ma deuxième question concerne le fait que vous avez dit avoir été souvent obligée d’aller loin pour trouver de l’aide. De chez moi, il faut compter 1 h 30 pour se rendre à Toronto, avec le trafic. Et quand on souffre de troubles mentaux, ce n’est pas une solution satisfaisante. Pensez-vous qu’on devrait faire appel à l’entreprise privée, par exemple, pour assurer une liaison avec la base?
     On pourrait investir dans des agences ou des institutions pour aider les soldats immédiatement, et les anciens combattants par ricochet, car un grand nombre d’entre eux continuent de vivre dans notre région. Pensez-vous que ce serait une solution qui pourrait contribuer à sauver des vies et sauver des relations également?

  (1220)  

[Français]

    Je peux répondre à cette question.
     En effet, il serait nécessaire d'établir des ententes avec des cabinets privés de façon à permettre aux gens de demeurer à une distance raisonnable de leur domicile. Nous sommes nombreux à avoir des enfants et à travailler. Il faut en plus prendre soin de nos conjoints qui sont malades. Mon conjoint, par exemple, ne peut plus conduire dans des lieux où il y a du trafic parce qu'il devient agressif au volant. Nous avons donc dû changer les heures des rendez-vous. Il a maintenant un chauffeur.
     La distance est un facteur important. Nous perdons beaucoup de temps sur la route et il nous en manque pour aborder les problèmes. Avoir cette marge de manœuvre et pouvoir nous aussi accéder à des services de consultation serait une très bonne chose.

[Traduction]

    Les autres témoins ont-ils quelque chose à dire là-dessus?
    Oui.
     Je ne pense pas que ce genre d’investissement fera une grande différence, car c’est la culture qu’il faut changer. Il faut qu’il soit possible de discuter ouvertement, au sein de l’armée, de problèmes mentaux, de suicide, d’idéation suicidaire. Les chefs militaires doivent se montrer plus ouverts, plus humbles et à l’écoute de leurs soldats. Ils doivent être plus humains et expliquer que les difficultés auxquelles on fait face à la maison et en milieu de travail sont comparables à celles des autres.
     À partir du moment où nous serons plus ouverts sur la question, où il y aura un changement de culture, nous serons moins pris par surprise car ce ne sera plus une surprise. Il faut encourager le dialogue entre les soldats et la chaîne de commandement et aider les soldats à obtenir les services dont ils ont besoin.
     C’est donc un changement de culture qu’il faut instaurer, en consacrant des ressources à la sensibilisation des gens, à des formations obligatoires et à des évaluations. Il faut fixer des cibles que les chefs doivent s’efforcer d’atteindre, car ils seront jugés là-dessus dans leur évaluation de rendement annuelle. C’est de cette façon que vous obtiendrez les meilleurs résultats.

[Français]

     Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Il faudrait aussi promouvoir un peu plus les organisations de soutien par les pairs de type SSBSO, tant entre militaires qu'entre conjoints et conjointes. Ce serait intéressant. Les programmes comme Bell Cause pour la cause, c'est bien beau, mais les gens n'ont pas envie de parler de leurs problèmes de santé mentale. Il faut que cela reste un peu à l'interne. S'il y avait une meilleure promotion et une meilleure acceptation chez les pairs militaires, c'est certain qu'on arriverait à en sauver quelques-uns dans le lot.

  (1225)  

[Traduction]

    Merci.
     Je donne maintenant la parole à M. Spengemann.

[Français]

    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Madame Archambault, monsieur Chauhan et madame Cyr, je vous remercie de votre présence et de vos témoignages. Je vous remercie aussi d'avoir pris la décision de nous parler aujourd'hui. Il est très important de vous écouter directement et personnellement pour bien comprendre l'ampleur du problème ainsi que les nuances.

[Traduction]

    Monsieur Chauhan, je vous prie, vous et les membres de votre famille, de bien vouloir accepter mes condoléances les plus sincères pour la perte de votre frère, l’adjudant Sanjeev Raman Chauhan. J’espère que notre discussion contribuera dans une certaine mesure à rendre hommage à sa vie et à ses années de service au sein des forces armées.
    Dans vos commentaires préliminaires, vous avez évoqué les défis systémiques auxquels nous sommes confrontés. Beaucoup de gens parlent des problèmes systémiques. Le Mois de l’histoire des Noirs débute précisément aujourd’hui. Nous nous penchons sur le racisme systémique dont sont victimes les Noirs au Canada. Nous abordons la dimension systémique de questions comme l’équité, la diversité et l’inclusion dans de nombreuses sphères différentes de nos existences. Nous nous intéressons tout particulièrement aux questions d’équité entre les sexes comme moyen de faire des Forces armées canadiennes un meilleur employeur pour tous les Canadiens.
    Si vous examinez l’ensemble du continuum de la santé mentale, du bien-être au pire résultat, comme celui dont votre frère a été victime, le suicide, et si vous mettez en parallèle l’ensemble des services offerts par les Forces armées canadiennes, du recrutement au retour à la vie civile, quels sont les plus importants changements systémiques qu’il faudrait apporter pour s’attaquer réellement à la racine de ce problème?
    Lors de témoignages antérieurs devant des collègues, certaines solutions très prometteuses ont été évoquées. Certaines d’entre elles sont déjà en cours d’application. Comment devrions-nous nous y prendre pour modifier ce que vous avez appelé une « culture » dans un échange précédent avec mon collègue, monsieur Benzen?
    Comment devrions-nous nous y prendre pour modifier le système afin de le rendre beaucoup plus sensible à ce problème, que l’apparition de symptômes rend probablement détectable, au lieu d’attendre que quelqu’un envisage de se suicider ou de s’automutiler?
    C’est une question très vaste.
    Étant donné les modalités de fonctionnement de la hiérarchie au sein des Forces armées canadiennes, il ne faut pas s’attendre à ce que les militaires de rang inférieur s’avancent et prennent la parole dans une assemblée publique ou dans n’importe quelle sorte de forum. Cela ne s’est jamais fait et ne se fera jamais.
    Il faudrait peut-être disposer d’un genre de questionnaire anonyme comportant des questions très précises, assez proche du Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux… Je pense que ce pourrait être un outil très efficace pour prendre connaissance de l’état actuel de la situation et pour cerner les domaines précis dans lesquels il nous faut améliorer les choses.
    Même si nous connaissions les points de vue d’un membre des forces armées à toutes les étapes de sa carrière, je ne crois pas qu’une seule et même mesure pourrait lui venir en aide à toutes les étapes de celle-ci. Je pense qu’il faudrait identifier les lacunes au sein du système et s’efforcer ensuite de les combler. Cela nécessiterait l’apport des militaires confrontés à ces défis pour constituer une base de référence permettant ensuite de procéder à des mesures, sans pour autant que leur contribution nuise à leur carrière.
    J’aimerais savoir ce qu’en pense Mme Archambault, ainsi que Mme Cyr.
    À votre avis, le système actuel repose-t-il, de façon excessive, sur la formulation d’une demande d’aide par un militaire, malade ou blessé, alors que, dans son état, il n’est pas en mesure de formuler une telle demande? Faudrait-il privilégier un système offrant de fournir des soins de santé physique et mentale?

[Français]

     Tout à fait. Les gens qui sont rendus à un point où ils pensent à se suicider ne sont pas du tout dans un état psychologique pour aller chercher de l'aide, et encore moins pour leurs proches. C'est impossible.
    Exactement. Quand on sort, on est déjà affecté par la prise de médicaments et on perd la mémoire.
    Dans mon cas, pour ce qui est des services des Forces canadiennes et d'ACC, c'est un flop monumental. On ne m'a pas accompagnée adéquatement dans ma transition. On m'a mis le blâme sur le dos en disant que j'aurais dû faire ma transition comme il faut. Nous manquons de soutien et on nous laisse carrément à nous-mêmes. En plus d'avoir des problèmes physiques et mentaux, nous devons nous occuper de la paperasse qui n'en finit plus. Nous ne savons plus ce qu'il faut faire. Ce n'est pas vrai que nous sommes guidés, il y a une grosse lacune à cet égard.
    Je dois me battre pour récupérer un montant de 27 000 $. Sinon, cela voudrait dire que je n'aurais pas eu de salaire pendant un an. J'ai donné 12 ans de ma vie aux Forces armées canadiennes, et je dois maintenant me battre pour avoir ce qui me revient. C'est impensable. À ACC, il devrait y avoir beaucoup plus de personnel compétent en la matière, quitte à employer d'anciens militaires qui connaissent le système pour pouvoir mieux nous guider.
    Souvent, le problème, c'est que ce sont des gens qui n'ont aucune connaissance du domaine militaire et des thèmes. Ils se fichent un peu de nous. C'est dommage, mais c'est comme cela. Nous sommes des numéros.

  (1230)  

    Merci beaucoup.
    Merci, madame la présidente.
    Merci.
    Monsieur Brunelle-Duceppe, vous avez la parole.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Les trois témoins ont tous mentionné qu'il était difficile, dès leur sortie des Forces canadiennes, d'avoir un suivi médical ou de savoir ce qu'il fallait faire pour obtenir les services sociaux et autres auxquels ils avaient droit. Je sais que c'est un grave problème et qu'il faudra améliorer la situation le plus rapidement possible.
    Madame Cyr, à qui doit-on s'adresser pour se plaindre du suivi? Est-ce à l'ombudsman? À quoi ressemble le service que vous recevez de l'ombudsman?
     On nous recommande toujours l'ombudsman, et ce, pour toutes sortes de choses. Il est comme notre outil ultime et il devient un peu notre avocat.
    Dans mon cas, j'ai appelé et j'ai demandé qu'on m'aide, parce que je devais 25 000 $ à Manuvie après avoir acheté une entreprise pour m'aider, en plus d'aider mes confrères et la société sur le plan de la santé mentale. On m'a répondu qu'on s'excusait, mais qu'un grand nombre d'éléments de mon dossier n'étaient pas acceptés et que d'autres l'étaient. J'ai demandé de quoi il était question, car je parlais des 25 000 $ dus à Manuvie, alors qu'on me parlait de détails de mon dossier. L'individu au bout du fil m'a répondu qu'il était aussi un ancien militaire et qu'on ne nous prenait pas par la main. Il m'a dit que je devais m'organiser toute seule et que je n'avais qu'à remplir ma demande.
    Heureusement, j'avais parlé avec mon intervenante d'Anciens Combattants Canada la veille et qu'elle m'avait dit que, la fibromyalgie n'étant pas encore reconnue par les forces, elle ne pouvait être incluse dans mon programme de réinsertion. C'était l'aspect négatif de ma situation. Toutefois, le lendemain, l'employé du bureau de l'ombudsman m'a présenté cela comme une montagne. Sincèrement, cette journée-là, si j'avais été dans une mauvaise passe ou dans une phase dépressive, comme je le suis parfois, je me serais suicidée tellement j'étais à l'envers. Il m'a tellement embrouillée au lieu de m'aider que je n'étais plus en contrôle de moi.
    J'ai dû valider les faits de nouveau auprès de mon intervenante. Elle m'a dit que c'était exactement ce dont nous avions parlé la veille. Je lui ai alors dit qu'au bureau de l'ombudsman, on venait de me dire autre chose.
     Cet individu est censé être un ancien militaire. Il faudrait peut-être faire attention à ceux qu'on engage et à leur capacité d'aider les gens.
    Ce n'était vraiment pas plaisant.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Nous vous écoutons, monsieur Garrison.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je tiens à mon tour à présenter mes condoléances à M. Chauhan pour la perte de son frère. Je vais également lui demander de faire ici quelque chose de difficile.
    Deux de mes électeurs, que je connais depuis une décennie, Sheila et Shaun Fynes, avaient un fils qui s’est suicidé il y a près d’une décennie alors qu’il était dans les forces armées. On nous a dit en comité que les procédures ont évolué depuis cette époque. Ses parents n’ont pas aimé la façon dont on les a prévenus et d’avoir eu du mal, après le suicide de leur fils, à obtenir des informations.
    J’ai été frappé par ce que vous nous avez raconté aujourd’hui. Il semble que la façon dont les familles sont traitées après un suicide n’a pas changé. Je sais que ce n’est pas facile pour vous, mais j’aimerais vous demander de nous en dire un peu plus sur la façon dont vous avez été prévenus, dont le corps a été mis à votre disposition et sur les autres types de difficultés ou d’entraves que les familles doivent affronter.
    Tout à fait.
    J’ai été prévenu immédiatement. Je me trouvais à Ottawa, tout comme mes parents, et ma belle-soeur était à Petawawa où se trouvait aussi mon frère. Son chef de corps et ma belle-soeur m’ont téléphoné pour me prévenir aussitôt après la découverte de son corps. Cela a été rapide et une équipe a été envoyée pour informer mes parents de ce qui s’était passé. Je me suis précipité chez mes parents pour leur dire ce qu’il était advenu avant que l’équipe n’arrive chez eux. C’est sans aucun doute la chose la plus dure que j’ai jamais eu à faire.
    Le lendemain, je me suis rendu à Petawawa pour aider ma belle-soeur. J’ai été accueilli par des représentants du ministère ou des forces armées, qui se sont révélés fantastiques. Ils se sont occupés de la paperasserie, de la bureaucratie, des procédures… C’était difficile. Ce n’était pas comme si quelqu’un nous avait dit de nous asseoir et nous avait donné la liste des choses à faire. Ce n’est que parce que j’étais moi-même militaire, et bureaucrate, et que je savais que la présentation des sites Web et des informations qui s’y trouvent n’est pas toujours très claire que je suis parvenu à trouver ce dont j’avais besoin en m’adressant à un ami pour obtenir un livret d’information sur la question, ce qui m’a permis de guider ma belle-soeur dans ses démarches.
    Nous avons été passablement frustrés par la difficulté à savoir où se trouvait son corps. Mon frère était décédé sur la base. C’est la police militaire qui était intervenue. Comme cela était de son ressort, elle aurait dû être en mesure de me répondre, mais personne n’a pu le faire.
    Venons-en maintenant aux procédures. La première chose que j’ai demandée, le premier jour, était les formulaires à remplir par ma belle-soeur pour qu’elle et ses enfants continuent à bénéficier du régime d’assurance-maladie. Il a fallu que j’écrive au bureau du ministre pour qu’elle reçoive ces formulaires, plus d’un mois plus tard. Nous n’avons à aucun moment trouvé un interlocuteur en mesure de nous guider dans tout ce processus et de s’assurer que tout était fait comme il se devait. Comprenez-moi bien; c’est le rôle des assistants qui avaient été désignés pour nous aider, mais il s’agissait de collègues de mon frère faisant le même genre de travail que lui. Ce ne sont pas des spécialistes de l’administration. Ils ne savent pas comment se déroule la remise d’un corps. Ils ont simplement un rôle d’intermédiaire. C’est difficile et frustrant. Lorsque j’ai moi-même été libéré des forces armées, pour des raisons médicales, on m’a rapidement montré la porte. Lorsqu’on a su que j’avais un emploi rémunéré, j’étais alors dans la Réserve, on m’a dit, grosso modo, « Oh, vous avez un bon emploi, alors nous vous disons adieu. »
    Dans le cas de mon frère, les choses se sont déroulées passablement de la même façon. Il y a eu d’autres complications. À titre d’exemple, il attendait de passer en cour martiale et n’avait donc pas été condamné. Son dossier ne s’était pas rendu jusqu’à la cour. J’ai demandé à ce qu’il puisse être enterré au Cimetière militaire national. On m’a répondu que ce n’était pas possible parce qu’il attendait de passer en cour martiale, mais il n’avait pas été condamné. Une fois encore, j’ai dû me battre pour qu’il y ait accès.
    Il n’y a pas vraiment d’interlocuteur, de personne-ressource à qui s’adresser, quelqu’un qui soit en mesure de vous remettre une liste des choses que vous devez faire, vous indiquant qui appeler. Pour telle question, vous devez vous adresser à l’Agence du revenu du Canada, pour telle autre au salon funéraire, pour telle autre encore à Anciens Combattants Canada, au Centre de transition pour la suivante. Vous devez vous adresser à tellement d’organismes différents… Il devrait y avoir au sein de l’administration fédérale un service auquel on pourrait s’adresser, connaissant bien les procédures à suivre. Cela résoudrait bien des difficultés.
    Désigner une personne pour vous aider est un pas dans la bonne direction, mais il faudrait en faire plus. Il n’y avait pas de travailleurs sociaux ni de psychologues qui auraient pu venir en aide à ma belle-soeur et à mes neveux. L’aumônier nous a accompagnés dans toutes nos démarches et, lui aussi, a fait preuve d’une extrême sollicitude, comme les assistants mis à notre disposition.

  (1235)  

    Merci beaucoup.
    Madame Gallant, nous vous écoutons.
    Madame la présidente, je vous remercie, et, par votre entremise, j’en fais de même pour les témoins.
    Je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir partagé avec nous ces souvenirs très douloureux et même les démarches pénibles que vous avez dû faire.
    Ma première question s’adresse à M. Chauhan. Pour commencer, j’aimerais savoir combien de temps s’est écoulé entre le dépôt d’accusations devant la cour martiale et le moment auquel votre frère est décédé.

  (1240)  

    L’incident en question est survenu en juin 2019, et il devait passer en cour martiale le 19 octobre 2020, soit plus d’un an plus tard.
    Votre frère était-il poursuivi devant la cour martiale pour des motifs relevant de la vie militaire ou de la vie civile?
    Je ne sais pas précisément de quoi il était accusé.
    Très bien.
    Votre frère avait-il été affecté au Groupe de transition des Forces armées canadiennes, le GT FAC, après avoir été retiré de son unité?
    Je ne sais pas.
    Était-il inscrit sur une liste d’attente pour consulter un psychologue, un psychiatre ou un autre professionnel?
    Il avait été examiné par des spécialistes. Il avait été classé dans une catégorie médicale. Il avait suivi un traitement et ne relevait plus alors d’une catégorie médicale. Il a ensuite été promu et a continué à être fortement médicamenté. J’ignore si, vers la fin de sa vie, il continuait à bénéficier des services d’un psychiatre ou d’un psychologue.
    Le risque de suicide est quelquefois minimisé lorsqu’on estime qu’une personne y est prédisposée du fait de ce qu’elle a vécu avant de se joindre aux forces armées.
    Avez-vous une raison quelconque de croire que votre frère était prédisposé à souffrir de maladie mentale?
    C’est un problème certainement présent dans ma famille. Comme je l’ai déjà dit, ma grand-mère s’est suicidée. Mon frère avait déjà fait une tentative en l’an 2000 lorsqu’il était basé à Edmonton.
    Je vous réponds donc par l’affirmative.
    Votre frère a-t-il vécu une expérience traumatisante sur un théâtre d’opérations ou savez-vous si son état était lié à des contradictions perçues entre son devoir et son éthique, éventuellement même en dehors des lois régissant les conflits armés? Avez-vous une idée de ce qui le préoccupait et de ce qui a déclenché son geste?
    Je crois que plusieurs choses ont contribué à sa décision finale. Quelque chose avait changé en lui quand il est revenu d’Afghanistan. C’est à cette époque qu’il a commencé à boire.
    Il a été libéré des forces armées en l’an 2000 et s'est engagé à nouveau en 2007, alors qu’il n’avait plus bu depuis plusieurs années. Après son séjour en Afghanistan, il a commencé à beaucoup boire. Il a perdu un ami en Irak. L’un de ses pairs a été tué dans ce pays et je crois que cela l’a vraiment changé.
    Madame Cyr, vous avez indiqué que les suicides sont souvent cachés ou camouflés. Comment cela se fait-il dans les forces armées? Si un suicide n’est pas rendu public dans les nouvelles ou évoqué dans sa nécrologie, s’il y a même une nécrologie, êtes-vous en train de nous dire que les suicides ne sont pas comptabilisés?

[Français]

     Souvent, les suicides ne sont pas comptés parce qu'on les fait passer pour autre chose, ou tout simplement parce qu'on dit que la personne s'est suicidée pour des raisons personnelles et non pour des raisons liées à ce qu'elle a vécu dans les forces. Souvent, aussi, on va camoufler cela en disant que c'était une mort accidentelle. On ne mettra pas le mot « suicide » sur l'avis de décès.
    Cela arrive même parmi nous, dans l'armée. Un de mes collègues s'est suicidé la veille de son retour d'Afghanistan, dans nos belles toilettes chimiques, et on a fait passer cela pour un accident en Afghanistan, ce qui n'était pas la réalité. Aujourd'hui, je vais quand même bien, mais c'est la raison pour laquelle j'ai dit que j'aviserais les médias si je décidais de le faire un jour. C'est pour démystifier cela.

[Traduction]

    À votre connaissance, existe-t-il une façon de répertorier les anciens combattants qui se sont suicidés?

[Français]

    On parle à la famille et aux amis de la personne et on observe son comportement. Il arrive qu'elle se confie à nous. Au café que j'ai acheté, à un moment donné, quelqu'un s'est mis à pleurer en flattant un de nos chats. Il a vidé son sac. Il avait des idées suicidaires. J'ai jasé avec lui et je lui ai fait part de ce que j'avais vécu dans les forces. Je lui ai dit que j'avais aussi eu des idées suicidaires. Finalement, j'ai réussi à lui remonter un peu le moral. Cependant, il faut vraiment que la famille et les amis soient à l'écoute de la personne.
    C'est très facile pour l'armée de cacher la situation des gens. On n'en parle pas. On dit que ce n'est pas un suicide ou que la personne s'est suicidée pour des raisons personnelles et non pour des raisons liées aux forces.

  (1245)  

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Je suis navrée, mais c’est maintenant à M. Baker de prendre la parole.
    Merci beaucoup, madame la présidente.

[Français]

     Je remercie les témoins de leur présence et de leurs témoignages.
    Je suis désolé de ce que vous avez dû vivre. Les événements que vous avez décrits sont épouvantables.
    Je n'ai que quatre minutes et peut-être les témoins ne pourront-ils pas tous répondre. Je vais commencer par m'adresser à Mme Archambault.
    Vous avez dit qu'il n'y avait pas de services de santé mentale en place et avez parlé des obstacles qui empêchent d'en obtenir. Pouvez-vous me décrire le système idéal? Qu'est-ce qu'on devrait mettre en place? Quelle expérience avez-vous vécue, votre famille et vous, quant au soutien des Forces armées canadiennes?
    Cela devrait commencer par la détection des problèmes. Comme je l'ai dit tantôt, le militaire qui revient chez lui après une mission est, pendant un moment, dans une sorte de zone tampon. Il va aller voir un travailleur social ou une personne qui fera un petit examen, mais ce n'est pas assez pour détecter des comportements problématiques. Ce qui est désolant, c'est que la famille n'est pas impliquée à cette étape. Si elle l'était, cela pourrait vraiment changer les choses. J'aurais pu dire, par exemple, que mon conjoint s'était levé la nuit dernière et qu'il grattait le mur, qu'il cherchait son fusil, que je l'ai touché, qu'il m'a attrapée par les cheveux, qu'il criait, pleurait, vomissait. Si j'avais donné ces informations, qu'il ignorait puisqu'il dormait, cela aurait pu changer les choses.
    Il y a aussi le fameux consentement. Il faut que le militaire donne son accord pour avoir accès à un service. C'est sûr qu'au début, mon conjoint m'en a beaucoup voulu. Il avait l'impression que je brisais sa carrière, que je voulais le piéger. Ce sont des gens qui développent une hyper vigilance et une méfiance extrême. La nécessité de ce fameux consentement a fait en sorte qu'au lieu que cela prenne un an avant d'avoir accès aux soins, nous avons enduré cela tout seuls chez nous pendant 10 ans. C'est le temps qu'il a fallu pour qu'il finisse par accepter de l'aide, car il ne voulait jamais en demander.
    De plus, il faut mettre la famille au centre, quand il y a un retour de mission ou même dans le cas d'un militaire qui ne va pas à l'étranger. Il peut y avoir toutes sortes de choses qui créent des chocs post-traumatiques. Quand on a une inquiétude ou qu'on vous rapporte un changement dans le comportement, il est important que ce soit considéré.
    Je vous remercie.
    Vous avez parlé des services en santé mentale que vous avez reçus au civil, dans un hôpital à Toronto. Je me demande quels services devraient être fournis par les Forces canadiennes. C'est ce que j'essaie de voir en tant que député. Des services comme ceux que vous avez reçus à Toronto devraient-ils être offerts aux gens comme vous et votre famille?
    Oui. C'est un peu ce qui m'a permis de mieux comprendre les choses. On a pris le temps nécessaire. Je suis demeurée là-bas pendant plusieurs jours et je suivais des formations avec toutes sortes de spécialistes. On pense qu'un choc post-traumatique amène les gens à devenir violents, mais cela va au-delà de cela. Il y a vraiment quelque chose de physique qui se passe dans le cerveau.
    Dans le cas de mon conjoint, des choses dans le lobe frontal ne fonctionnent plus à cause d'un niveau de cortisol trop élevé. Cela engendre des conséquences à vie et, parfois, on n'en est pas conscient. Comme proches, il faut bien comprendre et bien réagir à certaines conséquences du SSPT. Il faut savoir dans quoi on s'engage. Ce serait bien de pouvoir suivre une courte formation à plus petite échelle, car cela représente quand même des frais énormes. Il pourrait y avoir une journée d'information expliquant ce trouble aux familles et aux enfants. Ces derniers ne comprennent pas pourquoi, tout à coup, papa crie et n'a plus de patience. Il y a des livres sur le sujet et il faudrait les promouvoir un peu plus. Il faut avoir accès à un spécialiste qui va nous expliquer ce que c'est, parce qu'aller chercher de l'information sur Internet peut être très apeurant.

  (1250)  

     Je comprends.

[Traduction]

    Madame la présidente, me reste-t-il du temps de parole?
    Je crains que non, monsieur Baker.
    Merci beaucoup.

[Français]

     Merci beaucoup.

[Traduction]

    Nous allons maintenant écouter M. Bezan. Ce sera ensuite le tour de M. Brunelle-Duceppe, puis celui de M. Garrison.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Par votre entremise, je tiens aussi à remercier nos témoins pour leur franchise et pour leur contribution à cette étude très importante.
    Monsieur Chauhan, je vous offre mes condoléances les plus sincères pour la perte de votre frère. Votre capacité à nous faire part de votre expérience comme ancien combattant, comme soldat et comme membres d’une famille dont l’un des membres s’est suicidé est inestimable pour ce comité.
    Si nous avions disposé de plus de temps, j’aurais aimé m’informer davantage auprès de Mme Archambault sur le rôle des centres de ressources pour les familles des militaires et plus précisément sur ce qui pourrait être fait de façon différente. J’aurais aussi aimé m’entretenir avec Mme Cyr des possibilités offertes par la zoothérapie et de l’importance qu’elle pourrait avoir pour la santé mentale de nos anciens combattants et des militaires qui sont actuellement sous les drapeaux. J’aurais aussi aimé préciser avec elle comment nous pourrions nous y prendre pour offrir de meilleures possibilités de zoothérapie.
    Étant donné le temps dont nous disposons, je vais surtout interroger M. Chauhan afin de profiter de ses compétences en la matière.
    J’ai vraiment aimé les commentaires que vous avez faits précédemment. Vous nous avez parlé du cas des forums publics en nous disant si, à votre avis, les anciens combattants y prendraient ou non la parole. Lorsque j’étais secrétaire parlementaire du ministre de la Défense, nous avons organisé un certain nombre de ces forums publics à travers le pays. Ils étaient organisés à l’extérieur des bases militaires afin que les gens, aussi bien les anciens combattants que les personnes sous les drapeaux puissent venir y parler de leurs blessures, visibles et invisibles. J’avais alors été très surpris de la franchise dont ils faisaient preuve et du nombre de leurs plaintes. Je m’étais fait accompagner d’officiers supérieurs en civil qui entendaient alors pour la première fois énoncer les lacunes des programmes en vigueur.
    Vous nous avez entretenus de la façon dont le fait de prendre des mesures a des répercussions sur les comportements, et des caractéristiques de ces mesures. J’ai toujours cru qu’il est impossible de gérer quelque chose qu’on n’a pas mesuré. Si nous entendons apporter ces changements importants… Vous avez évoqué la façon dont les Forces armées israéliennes sont parvenues à faire baisser ces chiffres. En tenant compte des mesures qu’elles utilisent, que faudrait-il que nous fassions différemment au Canada, afin que les Forces armées canadiennes puissent elles aussi faire baisser le nombre de suicides?
    J’aimerais tout d’abord rappeler, au sujet des forums publics, qu’il est facile d’y parler des blessures physiques subies dans les Forces parce que c’est un phénomène bien compris, reconnu, visible et qui ne laisse pas place à la simulation. Par contre, un trouble psychologique, une névrose ou une maladie mentale sont, en règle générale, perçus comme des faiblesses. C’est la raison pour laquelle les personnes touchées n’en discutent pas en public.
    Je dirais simplement que cela s’est produit lors de nos rencontres. Nos discussions ont porté, pour l’essentiel, sur les troubles de stress post-traumatique, les TSPT. Quelques intervenants ont parlé de leurs blessures physiques, mais la plupart d’entre ont évoqué leurs TSPT qui, à cette époque, c’était il y a une décennie, étaient en cours de définition.
    Je pense aussi que les TSPT sont plus fréquents. Les militaires peuvent en parler ouvertement parce qu’ils y ont tous été confrontés. Ils sont ensemble sur les théâtres d’opérations. L’intensité de la dépression, de l’anxiété et de la façon de réagir à certaines pressions varie d’une personne à l’autre. Certaines y font face sans problème et d’autres non. Je crois que c’est là l’origine de la stigmatisation.
    Je ne suis pas parvenu à trouver quels sont les mesures et les moyens précis mis en oeuvre par les Forces israéliennes de défense. Je continue à chercher pour essayer de comprendre ce qu’elles ont fait. Elles ont signalé que cela fait maintenant quelques années qu’elles se sont attaquées à cette question et elles constatent maintenant que la situation s’est améliorée.
     Je tiens également à vous signaler que le Rapport sur les plans et les priorités du ministère de la Défense nationale ne consacre qu’une seule phrase à une stratégie en matière de suicide. Celle-ci indique simplement qu’il faudra embaucher davantage de ressources. C’est là le message que j’en ai retenu, au lieu d’annonces plus significatives visant à réduire le nombre de suicides d'un pourcentage donné. À mon avis, ce ne sont là que des mots. Je ne crois pas qu’on pourra parler d’initiative sérieuse tant que ce texte ne quantifiera pas les ressources affectées à cette question.

  (1255)  

    Vous avez aussi parlé des premiers soins en santé mentale. Vous étiez encore probablement militaire lorsque les Forces ont présenté En route vers la préparation mentale, qui visait essentiellement des militaires déployés sur les théâtres d’opérations. Bien évidemment, toutes les troupes suivent maintenant cette formation.
    Les premiers soins en santé mentale font-ils partie de ce programme, ou est-ce quelque chose qu’il reste encore à développer dans le cadre de consultations approfondies avec les professionnels de la santé?
    Il faut en faire encore beaucoup plus dans ce domaine. Il y a plusieurs niveaux de premiers soins en santé mentale. On n’y consacre qu’une seule journée et ce n’est même, parfois, qu’un seul des sujets abordés au cours de celle-ci. Il s’agit d’apprendre à reconnaître certains troubles ou certains comportements, et ensuite d’apprendre à réagir comme il convient avec les personnes présentant ces symptômes pour les éloigner du précipice ou simplement les orienter dans la bonne direction. Il s’agit de savoir comment faire preuve de plus d’empathie.
    Que penseriez-vous d’élargir cette formation aux familles des militaires? Trop souvent, les mesures prévues dans En route vers la préparation mentale s’intéressent aux soldats, et pas à leurs familles. Bien évidemment, ce sont les membres de la famille qui sont le mieux en mesure de relever les changements de comportement. Si nous voulons disposer d’une mesure du comportement, commençons par impliquer les familles et pas uniquement les personnes sous les drapeaux actuellement.
    Les militaires doivent bénéficier de ces services, mais les familles doivent aussi en avoir connaissance. Elles doivent tout d’abord être en mesure de reconnaître des comportements et de venir en aide au militaire, au partenaire ou au père. Ensuite, elles doivent savoir où orienter ou diriger le militaire ayant ce type de problème alors que la famille n’a pas les moyens ou le temps de faire ce qu’il faut.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Brunelle-Duceppe, nous vous écoutons.

[Français]

    Je vous remercie, madame la présidente.
    Monsieur Chauhan, j'aimerais tout d'abord vous offrir mes plus sincères condoléances pour le décès de votre frère. Votre présence parmi nous aujourd'hui prouve à quel point vous êtes fort et courageux, comme Mmes Cyr et Archambault, d'ailleurs.
    Comme c'est mon dernier tour de parole, j'aimerais vous donner 45 secondes à chacun pour répondre à cette question: si vous aviez un message à transmettre aux membres des Forces qui écouteraient votre histoire aujourd'hui, quel serait-il?
    Chers témoins, je vous donne 45 secondes chacun. Je vous remercie encore une fois d'avoir été là pour nous raconter votre histoire.
    Il ne faut pas avoir honte d'aller chercher de l'aide, parce que, une fois qu'on est dans le système, on en retire quand même du positif. Il faut que cela soit démystifié et il faut arrêter d'ostraciser les gens qui osent aller chercher de l'aide et qui mettent un genou à terre, comme vous le dites. Je pense qu'il faut insister sur cela et qu'il faut faire participer les familles au processus pour qu'elles puissent vous aider à détecter et à résoudre les problèmes avant qu'ils deviennent trop importants. On peut sauver des vies ainsi.
    Merci, madame Archambault.
    Madame Cyr, la parole est à vous.
    J'irais dans le même sens. Il faut vraiment aller chercher l'aide nécessaire et ne pas avoir honte de le faire. Il faut prendre son courage à deux mains et aller frapper aux portes. Si vous êtes à Québec, ou si vous y venez, vous pouvez visiter notre café. Vous pouvez également accéder à la page Web du Café félin Ma langue aux chats, et nous écrire en privé. Nous allons essayer de vous donner l'aide nécessaire et de vous guider vers les endroits où vous pourrez trouver de l'aide. Il ne faut jamais abandonner.
    Merci infiniment, madame Cyr.
    Monsieur Chauhan, la parole est à vous.

[Traduction]

    Je dirais qu’il faut amener les dirigeants à veiller à ce que leurs organismes prennent en compte ces défis, mettent fin à la stigmatisation et imposent aux commandants de pelotons, de troupes et de compagnies d’en parler à leurs hommes et de faire preuve de plus d’ouverture sur les défis que cela présente.

[Français]

    Je vous remercie infiniment, vous avez été merveilleux, et je salue encore une fois le grand courage que vous avez tous les trois.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Monsieur Garrison, c’est votre tour.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Au bout du compte, M. Brunelle-Duceppe et moi adoptons la même orientation.
    J’aimerais demander quelque chose de plus précis à chacun des trois témoins. Y a-t-il une chose en particulier qui soit absolument prioritaire à vos yeux, et je ne parle pas ici d’une question d’attitude ou d’une modification des procédures, que, sur la foi de votre expérience, vous aimeriez que nous recommandions au gouvernement? Si oui, quelle serait-elle?
    Je vous demande de me répondre dans l’ordre de vos témoignages.

  (1300)  

[Français]

    Je pense que ce serait le continuum de services entre la fin de la vie militaire et la transition vers la vie civile. Pour nous, c'est la goutte qui a fait déborder le vase en ce qui concerne la tentative de suicide de mon conjoint. Il y a vraiment un manque relatif au continuum. Il y a un espace tampon qui n'est pas pris en charge et je pense que c'est sur cela qu'il faudrait se pencher.

[Traduction]

    Nous devons choisir de la façon la plus judicieuse possible l’usage que nous allons faire de nos ressources pour obtenir les meilleurs résultats. La Stratégie conjointe de prévention du suicide, et ses deux sections intitulées Passer à l’action, élaborées par Anciens Combattants Canada et par la Défense nationale, comportent un certain nombre de bonnes idées, mais ne prévoient pas de mesures tangibles.
    Si nous examinons ce qu’on fait les Forces israéliennes de défense — parce que ce qu’elles ont fait, peu importe ce qu'il en est, n'a pas seulement réduit le nombre de suicides —, nous constatons qu'il y a manifestement eu une reconnaissance accrue et une plus grande sensibilisation aux problèmes de santé mentale pour parvenir à ce résultat.
    Merci beaucoup.
    Madame Cyr, c’est à vous.

[Français]

    J'irai dans le même sens. Il faut nous aider lors de notre sortie des forces. Il faut que quelqu'un soit là pour nous soutenir et que nous ne soyons pas laissés à nous-mêmes.
    Je recommanderais aussi que les commandants appliquent à la lettre les programmes mandatés présentés chaque année. Il faut aussi que des mesures disciplinaires soient imposées en cas de harcèlement. Dans mon cas, l'individu qui m'a harcelé était adjudant-maître et, aujourd'hui, il est premier adjudant-chef. Des promotions comme celle-là ne devraient pas exister, parce que cela démontre aux autres qu'il n'y a pas de problème, qu'ils peuvent harceler psychologiquement d'autres personnes et qu'ils seront tout de même promus. Cela ne devrait pas exister. Ces gens devraient être rétrogradés et peut-être même exclus des Forces armées canadiennes.
    Nous ne sommes pas assez soutenus.

[Traduction]

    Encore une fois, merci infiniment aux trois témoins.
    J’aimerais que la présidente nous dise si nous pouvons demander à nos analystes d’examiner ce qu’on fait les Forces israéliennes de défense pour réduire le nombre de suicides, et de transmettre l’information recueillie aux membres du Comité.
    Tout à fait, monsieur Garrison. C’est ce que nous allons faire.
    Monsieur Bezan, il nous reste quelques minutes si vous avez encore une question à poser.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Je tiens tout d’abord à remercier tous nos témoins des services qu’ils ont rendus à ce pays, aussi bien comme anciens combattants que comme membres de famille de militaires. C’était là un témoignage du sacrifice que chacun d’entre vous a dû faire.
    Madame Cyr, je m’adresse à nouveau à vous au sujet de la zoothérapie. Pourriez-vous aborder l’importance de cette approche? Vous nous avez dit avoir éprouvé des difficultés de programmation quand vous avez voulu mettre sur pied votre café félin.
    Madame Archambault, pourriez-vous nous dire si les centres de ressources pour les familles des militaires vous ont fourni ou non l’aide dont vous aviez besoin, ou vous ont au moins guidée vers les ressources adaptées, pour obtenir des conseils, ou vous ont indiqué une meilleure façon de faire face aux TSPT de votre mari?

[Français]

     Comme je vous l'ai expliqué plus tôt, la zoothérapie est vraiment une troisième thérapie que je me suis payée. En 2015, lorsque le harcèlement était à son sommet, un petit chien, un Yorkshire-terrier est entré dans ma vie. C'est lui que je remercie tous les jours de m'avoir sauvé la vie. Mon chien me suit partout. Il me permet d'aller magasiner et de faire quelques sorties.
    Ouvrir un café où il y a des chats était une belle occasion. C'est le seul café où il y a un chien parmi 14 chats. La zoothérapie nous a permis d'honorer nos amis qui ont perdu leur combat en se suicidant. Pour moi, il était très important d'offrir une pensée à mes amis ayant perdu leur combat en se suicidant ou en combattant en Afghanistan. Ils n'ont pas su ou pu trouver l'aide nécessaire au moment où ils en avaient besoin et ils ont alors commis l'irréparable.
    À mon avis, la zoothérapie devrait faire partie de la vie de tout le monde. Tous les gens devraient avoir dans leur communauté un café où il y a de la zoothérapie. De plus, nous donnons à de jeunes autistes l'occasion de faire des stages en travaillant avec nous. Nous donnons aussi à des vétérans qui sont en transition l'occasion de faire du bénévolat. Par la zoothérapie, nous prônons beaucoup l'absence de jugement. Dans notre café, vous avez le droit de tenir un chat dans vos bras et de pleurer si vous en avez besoin. L'important, c'est d'être vraiment ce que vous êtes et d'arriver à laisser aller vos émotions. C'est ce que nous prônons. Vous pouvez aussi prendre votre café, votre panini, votre soupe ou votre dessert, assis dans un coin.
    L'atmosphère que nous avons créée dans notre café ressemble un peu à celle d'un chalet. Il n'y a pas seulement des tables, comme dans un café ordinaire, mais aussi des causeuses, des chaises berceuses et des tables basses assorties de coussins. Quand vous entrez dans notre café, vous enlevez vos chaussures pour vous sentir comme chez vous. Déjà, on vous déstabilise pour que vous soyez encore plus vous-même, en contact avec vous-mêmes. Dans notre café, les horloges indiquent toujours 11 h 11. Pour quelle raison? C'est très important pour nous. Le 11 novembre à 11 heures, nous devons observer une minute de silence pour honorer les gens qui se sont battus pour nous. Dans notre café, vous pouvez donc voir deux horloges qui indiquent toujours 11 h 11.
    Il y a aussi une étoile lumineuse. Elle nous rappelle qu'une étoile brille pour nous au ciel. Quelqu'un est là pour nous, que ce soit nos confrères qui ont perdu leur combat ou encore des membres de notre famille. Elle peut aussi représenter simplement la petite lumière dont nous avons besoin pour continuer. C'est ce que nous voulons offrir dans notre café. Les gens aiment le fait que nos chats portent le nom de nos amis. Ils ont une histoire. Ce sont des chats de race, ce qui n'est pas le cas ailleurs. C'est bien de sauver des chats, mais il est difficile de faire correctement de la zoothérapie avec des chats qui viennent d'un refuge. Nous avons sauvé une chatte, qui s'appelle Karine. Karine souffre un peu du trouble de stress post-traumatique. Elle a vécu des choses difficiles et a un côté anxieux. J'aime bien faire le lien entre elle et nous. Nous pouvons nous identifier à elle. Nous pouvons voir en elle ce que nous ressentons nous-mêmes. Quand les gens viennent à notre café, ils peuvent créer un lien entre les chats et leurs émotions.
    Nous essayons de procurer un peu plus de paix, de soutien et de liberté aux gens qui viennent à notre café. Nous sommes connus dans plusieurs régions du monde, ce qui nous fait plaisir. Quand c'était permis, nous avons accueilli des gens de l'Australie, du Brésil et de bien d'autres endroits. Les gens venaient au café parce que c'était un concept vraiment hors du commun. Il existe beaucoup de cafés où il y a des chats, mais nous sommes fiers de dire que notre concept, notre mission et ce que nous faisons, c'est vraiment unique. C'est de la zoothérapie.

  (1305)  

     Par contre, puisque notre café est considéré comme un restaurant, nous n'avons pas le droit d'aller chercher les fonds nécessaires, c'est-à-dire des ressources gouvernementales, que ce soit en ce qui concerne la santé mentale ou autre chose, parce que nous n'avons pas encore créé de fondation ou d'organisme à but non lucratif. C'est un peu frustrant. Puisque notre café est considéré comme un restaurant, nous devons subvenir à nos propres besoins. Mes revenus de pension sont donc investis dans mon café, dans ma thérapie et dans la thérapie de mes clients.
    Merci. Excusez-moi de vous interrompre.
    Non, il n'y a pas de problème.
    C'est cela l'objectif, mais nous n'avons pas l'aide nécessaire. Par exemple, les Forces canadiennes pourraient dire que des vétérans ont créé quelque chose pour la communauté et qu'elles vont nous aider, mais malheureusement, nous n'avons pas cet appui. Alors, si vous êtes capables de faire quelque chose, je vous en prie.
    Merci beaucoup.
    Encore une fois, je remercie tous les témoins d'avoir eu le courage de nous raconter leur histoire aujourd'hui. Ces témoignages sont très importants. Je pense que c'est un exemple de leadership et d'altruisme dont le monde pourrait s'inspirer davantage.

[Traduction]

    Je crois que ce que vous nous avez dit nous a tous touchés et n’a fait que renforcer notre volonté d’améliorer les choses. C’est ce que vous avez fait ici aujourd’hui. Vous avez fait progresser les choses et vous continuerez à améliorer les conditions de vie de ces gens à l’avenir.

  (1310)  

[Français]

    Je vous remercie tous.

[Traduction]

    J’ai un dernier commentaire à faire qui s’adresse aux membres du Comité. La réunion de vendredi n’en sera qu’une de comité directeur au cours de laquelle nous discuterons de la portée de notre étude de la justice militaire à laquelle nous travaillons actuellement.
    Cela dit, il me reste à remercier l’ensemble de nos témoins pour les choses qu’ils nous ont permis d’apprendre et les membres du Comité pour les questions qu’ils ont posées. Je vous souhaite à tous la meilleure des chances dans vos entreprises. Prenez bien soin de vous.
    La séance est levée.
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