La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
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Attribution de temps

La règle relative à l’attribution de temps prévoit la possibilité d’attribuer une période précise à l’étude d’une ou de plusieurs étapes d’un projet de loi d’intérêt public [72] . L’expression « attribution de temps » évoque une idée de gestion du temps plutôt que de clôture, mais le gouvernement peut se servir d’une motion d’attribution de temps comme d’une guillotine. En fait, même si le Règlement permet au gouvernement de négocier avec les partis d’opposition en vue d’adopter un calendrier pour faire étudier par la Chambre un projet de loi à une ou à plusieurs étapes (y compris l’étude des amendements apportés par le Sénat) [73] , il lui permet aussi d’imposer au débat des limites de temps strictes [74]. Alors que l’attribution de temps est devenue le mécanisme le plus largement utilisé pour limiter le débat, elle demeure en soi un moyen de réunir les partis pour négocier une répartition acceptable du temps de la Chambre.

Historique

Comme dans le cas de la clôture, les dispositions sur l’attribution de temps ont vu le jour au lendemain d’une controverse. Au cours du débat sur le pipeline, en 1956 [75] , la clôture était pour le gouvernement le seul recours pour faire progresser l’étude de ses mesures législatives. Or, la clôture était alors perçue comme un moyen trop peu souple, compte tenu des exigences de la démocratie parlementaire moderne, et comme un outil inadéquat pour diriger les affaires de la Chambre. Tant à la Chambre que dans les comités, les parlementaires se sont mis à la recherche de moyens pour allouer le temps de la Chambre à l’étude de mesures législatives particulières et pour planifier les travaux de la session, ce que les dispositions sur la clôture ne permettaient pas de faire, car le processus comprenant l’avis, la présentation de la motion et le vote devait être repris à chacune des étapes d’un projet de loi donné [76] .

Tout au long de la période pendant laquelle des gouvernements minoritaires se sont succédé, dans les années 1960, la Chambre a tenté, mais en vain, d’établir une procédure qui aurait structuré le temps de la Chambre pour faciliter la conduite efficace des débats. Les députés étaient conscients que le volume et la complexité des travaux de la Chambre augmentaient et que des mesures s’imposaient pour expédier les travaux dans des délais raisonnables [77] . Tout au long de ces années, la Chambre a accepté de créer des comités spéciaux chargés d’étudier la procédure de la Chambre et de proposer des moyens de faciliter l’étude des mesures d’intérêt public [78] .

Dès le tout début, les comités ont étudié des mesures qui devaient permettre la coopération entre les partis. Dans le dixième rapport du Comité spécial de la procédure et de l’organisation, présenté à la Chambre en 1964, il est fait mention de la difficulté de parvenir à un accord entre tous les partis sur une proposition portant sur la question fondamentale de l’attribution de temps [79] . Le Comité a écrit : « Nous continuerons de rechercher comment le Parlement peut utiliser le temps dont il dispose », mais il n’a pas présenté d’autre rapport sur la question. Très tôt au cours de la session suivante, le gouvernement a pris l’initiative en proposant une motion qui, entre autres propositions, traitait de l’attribution de temps. La motion prévoyait un nouvel article du Règlement qui établissait un « comité des travaux de la Chambre » composé d’un représentant de chacun des partis à la Chambre. À la demande d’un ministre, ce comité devait examiner la possibilité d’attribuer une certaine période à l’étude d’une affaire ou à une étape de son étude et, s’il parvenait à une entente, présenter une recommandation dans un rapport présenté à la Chambre dans les trois jours de séance. Le ministre pouvait alors présenter sans préavis une motion d’adoption du rapport, motion sur laquelle la Chambre devait se prononcer sans débat ni amendement. Toutefois, si le Comité des travaux de la Chambre était incapable de parvenir à un accord unanime ou s’il ne présentait pas son rapport dans un délai de trois jours, un ministre pouvait, pendant les Affaires courantes, donner avis que, à la séance suivante, il proposerait une motion attribuant une certaine période à l’étude de l’affaire ou de l’étape visée [80] .

La motion a été débattue à la Chambre pendant 12 jours [81], et, tout au long du débat, des préoccupations précises se sont exprimées au sujet de la proposition visant le comité des travaux de la Chambre. La proposition a donc été retirée de la motion principale et renvoyée à un comité spécial pour plus ample examen [82] . Le comité spécial a recommandé dans son rapport à la Chambre une autre version de la proposition d’attribution de temps. Le rapport ayant été agréé, un article provisoire du Règlement, le 15-A, a été adopté [83] . L’article n’a été invoqué que trois fois entre 1965 et 1968, mais il est devenu évident que les partis d’opposition en étaient mécontents, et il y a eu de nombreux rappels au Règlement au sujet de l’interprétation de certaines de ses dispositions. En 1967, par exemple, le Président a statué qu’un avis verbal suffisait aux fins de l’application de l’article sur l’attribution de temps et qu’il n’était pas nécessaire que cet avis soit publié au Feuilleton des Avis [84] .

Lorsque la 28e législature a été convoquée, en septembre 1968, la Chambre a décidé que l’article provisoire 15-A du Règlement ne serait plus en vigueur [85] . Peu après, un comité spécial de la procédure était mis sur pied [86]  pour étudier, entre autres choses, la question de l’attribution de temps. Dans son quatrième rapport, ce comité recommandait une nouvelle règle sur l’attribution de temps [87] . Le 20 décembre 1968, la Chambre décidait de renvoyer encore une fois la question au nouveau Comité permanent de la procédure et de l’organisation pour plus ample examen [88] .

Les tensions subsistaient entre gouvernement et opposition au sujet de l’équilibre à trouver entre un débat prolongé et la limitation du débat que semblaient permettre les règles provisoires. Ce n’est qu’en 1969 que la Chambre a adopté un rapport recommandant une mesure d’attribution de temps, précurseur des dispositions actuelles [89] . Dans sa forme la plus simple, le nouvel article prévoyait trois possibilités d’attribution de temps, allant d’un accord entre tous les partis à une décision unilatérale du gouvernement, les négociations n’ayant pas permis d’obtenir le soutien de quelque autre parti. Les députés de l’opposition ont exprimé plus tard leur mécontentement devant l’interprétation qui était faite de cet article du Règlement [90] . Le fait que des négociations devaient se dérouler entre les partis, ce qui avait pour effet d’écarter les députés indépendants, a également été soulevé [91] .

En novembre 1975, le président du Conseil privé a signifié son intention de soumettre au Comité permanent de la procédure et de l’organisation des propositions qui touchaient l’attribution de temps [92] . Le Comité n’a pas fait rapport à la Chambre, mais il a mis sur pied un sous-comité chargé d’étudier l’utilisation du temps qui a examiné entre autres choses un nouveau texte de l’article portant sur l’attribution de temps [93] .

Le libellé de l’article suscitait toujours des inquiétudes au plan de la procédure. En décembre 1978, en réponse à un rappel au Règlement, le Président Jerome statuait qu’il était possible de proposer une motion d’attribution de temps visant à la fois l’étape du rapport et la troisième lecture, même si la troisième lecture n’avait pas encore commencé [94] . Un énoncé de principes sur la réforme parlementaire déposé par le gouvernement en novembre 1979 signalait l’ambiguïté du libellé de l’article du Règlement et proposait qu’on le révise [95] . En mars 1983, le Président Sauvé confirmait que l’avis de motion d’attribution de temps pouvait être donné à tout moment au cours de la séance [96] . En octobre 1983, elle statuait que, une fois la motion d’attribution de temps mise à l’étude, la Chambre devait passer au vote deux heures après le début des délibérations et que toutes les motions de remplacement proposées pendant cette période devaient être tranchées à la fin des deux heures de débat et avant le vote sur la motion d’attribution de temps [97] .

À compter de mai 1985, un nouvel usage s’est implanté : les motions d’attribution de temps étaient présentées et débattues à la suite de l’inscription, par le gouvernement, d’avis de motions sous la rubrique des Ordres émanant du gouvernement. Cet avis écrit s’ajoutait à l’avis donné verbalement de l’intention de proposer une motion de cette nature, pour satisfaire aux exigences du Règlement. Le Président Bosley a confirmé que c’était là une façon acceptable de procéder [98] .

En juin 1987, des modifications étaient adoptées prévoyant que les motions d’attribution de temps, après avis donné verbalement seulement, seraient proposées sous la rubrique des « Ordres émanant du gouvernement » plutôt que sous celle des « Motions », pendant les Affaires courantes, comme le voulait l’usage jusque-là. Les révisions prévoyaient également que le débat sur l’affaire à l’étude au moment de la proposition de la motion serait automatiquement ajourné [99] .

En août 1988, le Président Fraser a jugé que l’avis verbal devait seulement signifier l’intention de proposer la motion et non donner le texte même de la motion. Dans la même décision, le Président a ajouté que l’initiative d’annoncer un accord (ou l’absence d’accord) sur l’attribution de temps revenait à un ministre, qui devait être partie à cet accord [100] .

En 1991, après une nouvelle modification du Règlement, la motion d’attribution de temps proposée sans l’accord de tous les partis a cessé de faire l’objet de débat ou d’amendements [101] . Jusque-là, cette motion pouvait être modifiée et débattue pendant un maximum de deux heures, après quoi la présidence devait mettre aux voix toutes les questions nécessaires pour en disposer.

Trois options

La règle sur l’attribution de temps se subdivise en trois parties distinctes. Chacune précise les conditions qui s’appliquent à l’attribution de temps, dépendant du degré de soutien recueilli auprès des représentants des partis reconnus à la Chambre [102] .

  1. Accord de tous les partis : La première partie porte sur les cas où il y a entente entre les représentants de tous les partis reconnus à la Chambre pour attribuer un certain temps à l’une des étapes de l’étude d’un projet de loi public, ou à toutes les étapes [103] . Aucun avis n’est nécessaire. En proposant la motion, le ministre dit tout d’abord qu’il y a eu accord [104]  et il précise ensuite les dispositions de l’accord, indiquant le nombre de jours ou d’heures de débat ainsi attribués [105] . Le Président soumet alors la question à la Chambre, qui se prononce sans débat ni amendement.
  2. Accord de la majorité des partis : La deuxième partie porte sur le cas où il y a accord entre la majorité des représentants des partis reconnus à la Chambre [106] . Dans ces circonstances, comme dans le cas des accords entre tous les partis, le gouvernement doit être partie à l’accord [107] . La motion ne peut viser plus d’une étape du processus législatif. Elle peut toutefois s’appliquer à la fois à l’étape du rapport et à la troisième lecture, pourvu que soit respectée la règle exigeant une journée distincte pour le débat à l’étape de la troisième lecture lorsqu’un projet de loi a été débattu ou modifié à l’étape du rapport [108] . Aucun avis n’est exigé là non plus. Avant de proposer la motion, le ministre déclare que la majorité des représentants des partis se sont entendus sur une attribution de temps [109] . La motion précise le nombre de jours ou d’heures affectés au débat. Le jour où la motion est adoptée compte alors comme un jour de séance, si la motion a été proposée et adoptée au début des Ordres émanant du gouvernement [110] .
  3. Aucun accord : La troisième partie permet au gouvernement de proposer unilatéralement une attribution de temps [111] . Cette fois, il faut donner verbalement avis de l’intention de proposer la motion [112] . La motion ne peut proposer l’attribution de temps que pour une étape du processus législatif, soit l’étape qui est en cours. Elle peut toutefois porter à la fois sur l’étape du rapport et la troisième lecture, pourvu que soit respectée la règle exigeant une journée distincte pour le débat de troisième lecture lorsqu’un projet de loi a été débattu ou modifié à l’étape du rapport [113] . La période attribuée à une étape ne peut être inférieure à un jour de séance.

Avis

Un avis verbal est exigé lorsque le gouvernement souhaite imposer son propre échéancier, en l’absence d’accord d’attribution de temps entre les représentants de la totalité ou de la majorité des partis reconnus [114] . L’avis ne peut être donné qu’après que le débat a débuté sur l’étape du projet de loi visé par la motion d’attribution de temps [115] . C’est un ministre qui, de son siège à la Chambre, doit donner cet avis [116] , à n’importe quel moment de la séance [117] ; la motion d’attribution de temps peut alors être proposée au cours de toute séance ultérieure de la Chambre, même plusieurs jours ou semaines plus tard.

L’avis stipule qu’il a été impossible de parvenir à un accord aux termes des autres dispositions de l’article et que le gouvernement entend donc proposer une motion d’attribution de temps à l’égard d’une étape donnée d’un projet de loi particulier [118] . Il suffit que l’avis signifie l’intention du gouvernement; il n’a pas à donner le contenu de la motion à venir [119] . Une fois donné, l’avis de motion peut être retiré; de la même manière, l’avis peut être donné sans qu’une motion soit proposée par la suite.

Motion d’attribution de temps

Le libellé d’une motion d’attribution de temps doit préciser les conditions de l’attribution de temps. Dans la plupart des cas, c’est un certain nombre de jours ou d’heures de séance qui est attribué, mais il est arrivé au moins une fois qu’une durée établie en fractions d’heure soit attribuée à chaque étape du projet de loi visé [120] . Dans tous les cas, la motion d’attribution de temps doit être proposée par un ministre à la Chambre, et elle ne peut faire l’objet d’aucun débat ni amendement [121] .

Quand il y a accord entre les représentants des partis, il a été d’usage que la motion soit proposée à la rubrique des « Motions », pendant les Affaires courantes. Lorsque l’appui de la majorité a été obtenu pour l’attribution, ou qu’il n’y a pas eu accord, la motion est proposée sous les Ordres émanant du gouvernement. Quelle que soit l’affaire à l’étude, le débat interrompu par la proposition d’une motion d’attribution de temps est réputé ajourné [122] . La motion est mise aux voix aussitôt proposée.

Après l’adoption de la motion d’attribution de temps, le débat à l’étape ou aux étapes de l’étude du projet de loi en question est soumis aux limites de temps prévues par la motion. Le jour où la motion est adoptée peut alors être compté comme un jour de séance, mais seulement si la motion est proposée et adoptée au début des Ordres émanant du gouvernement et si l’étude du projet de loi est entamée immédiatement [123] . L’étude du projet de loi peut aussi être entamée à une séance ultérieure de la Chambre [124] . Les règles normales du débat s’appliquent. À l’expiration de la période prévue pour une étape donnée, la présidence interrompt les délibérations et met aux voix toutes les questions nécessaires pour disposer du projet de loi à cette étape. Si un vote par appel nominal est exigé, la sonnerie d’appel convoquant les députés ne peut durer plus de 15 minutes [125] . Normalement, les votes par appel nominal sur les projets de loi soumis à l’attribution de temps ne sont pas reportés, mais ils peuvent l’être en vertu d’un ordre spécial [126] , par report automatique du vote conformément aux règles de la Chambre [127] , ou par accord entre les whips de tous les partis reconnus [128] . Lorsque le débat se termine avant la fin de la période attribuée et si un vote par appel nominal est exigé, la sonnerie d’appel retentit pendant un maximum de 30 minutes, et le vote peut être reporté par le whip en chef du gouvernement ou le whip en chef de l’Opposition [129] .

Il est arrivé que des objections s’élèvent au sujet des circonstances dans lesquelles un accord avait été conclu ou de la nature des consultations menées par le gouvernement. Comme dans le cas de la clôture, la présidence a statué qu’elle ne possédait aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant de refuser de mettre à l’étude une motion d’attribution de temps si toutes les exigences de la procédure avaient été respectées [130] . Le Président a déclaré que le libellé de la règle ne définissait pas la nature des consultations que devaient avoir le ministre et les représentants des autres partis; il a ajouté que la présidence n’avait pas le pouvoir d’établir si des consultations avaient eu lieu ou non ni de se prononcer sur ce qui constitue une consultation entre les représentants des partis [131] .


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