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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 2 mars 1999

[Traduction]

• 0907

Le président (M. Joseph Volpe (Eglinton—Lawrence, Lib.)): La séance est ouverte.

Pourrais-je avoir l'attention de mes collègues quelques minutes pendant que l'on prépare l'appareillage nécessaire pour les diapositives qui seront projetées en cours de matinée?

J'aimerais savoir ce que le comité pense de ce qui suit. Un grand nombre de témoins potentiels ont communiqué avec nous pour demander à participer à notre étude. En effet, lorsqu'un comité parlementaire décide de se pencher sur un sujet donné, il arrive souvent que les parties intéressées demandent à prendre part à la réflexion et à faire part de leur point de vue. À l'occasion, certaines des joueurs clés dans un domaine omettent de nous appeler, et c'est nous qui faisons les premiers par pour communiquer avec eux, comme le prévoit notre mandat.

Il y a deux semaines environ, certains témoins ont suggéré au comité d'étudier, à des fins de comparaison, le modèle que représentait la nouvelle agence qui a remplacé la Croix-Rouge, c'est-à-dire la société canadienne du sang. La Société canadienne du sang est en effet l'organisme le plus important au Canada qui récolte des tissus, si j'ose dire, et c'est le seul qui soit véritablement d'envergure nationale.

Nous avons donc tenté d'entrer en communication avec la Société le 5 février, mais il semble y avoir eu confusion dans les messages qui ont circulé entre la direction et le conseil d'administration de la Société canadienne du sang. On a fini par nous répondre que la Société ne pourrait sans doute pas venir nous rencontrer.

Je crois tout de même que la SCS pourra apporter une perspective précieuse aux travaux du comité, et j'aimerais savoir ce que mes collègues pensent que nous devrions faire.

Voici une première option: Nous pourrions écrire au conseil d'administration et lui demander d'envoyer comme témoin un des membres de la direction qui pourrait comparaître au jour et à l'heure que nous aurons déterminés.

En deuxième option, nous pourrions faire part à la direction de la SCS des dates des séances du comité qui sont encore disponibles. Je rappelle, pour le bénéfice de mes collègues, qu'aux fins de notre étude, nous entendrons les derniers témoignages le 24 mars prochain.

• 0910

La troisième option, ce serait de ne plus mettre de gants blancs et d'avertir la SCS qu'elle devra se présenter tel jour et à telle heure.

La greffière me signale que, pour appeler un chat un chat, nous pourrions «assigner à témoigner» la SCS.

Je voulais donc donner les trois options possibles, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Puisque personne n'a de commentaires, je crois comprendre que je devrais être le plus ferme possible et m'assurer de la présence de la SCS à notre comité. C'est ce que je ferai.

Mesdames et messieurs, merci d'avoir patienté. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous reprenons notre étude sur la situation des dons d'organes et de tissus au Canada.

Nous recevons, dans une première table ronde, les personnes suivantes que je vais brièvement vous présenter.

À ma gauche, se trouve le rabbin Reuven Bulka; devant moi se trouve le Dr Aaron Spital; à droite, vous avez le Dr John Yun et à l'extrême droite, se trouve le Dr John Beamish Dossetor.

Je viens de faire une présentation géographique des témoins, dénués de toute connotation politique.

Comme le rabbin Bulka doit nous quitter vers 10 h 30, nous pourrions peut-être lui céder la parole en premier.

Messieurs, nous avons l'habitude d'accorder cinq minutes pour l'exposé. Je vous accorderai une certaine marge de manoeuvre, mais j'espère que vous réussirez à vous en tenir le plus possible aux cinq minutes prévues. Nous consacrerons ensuite le reste de cette première partie de séance aux questions posées par mes collègues. Cette période de questions est parfois pour nous la plus intéressante, sans vouloir minimiser pour autant les connaissances d'experts que vous voudrez bien partager avec nous. Je vous laisserai donc ouvrir le dialogue avec les membres du comité.

Monsieur Bulka, vous avez la parole.

Le rabbin Reuven Bulka (témoignage à titre particulier): Merci de me permettre de partager ma réflexion sur ce sujet.

D'entrée de jeu, je vous félicite tous d'avoir pris cette importante initiative qui permettra de réfléchir à ce grand défi qui se pose dans le secteur de la santé et qui est également d'ordre moral, à mon avis.

Les Canadiens sont généralement des gens très gentils, mais il faudrait savoir ce que l'on entend par «gentils». On peut être gentils de façon passive, sans faire de mal, alors que l'on peut être également gentils de façon beaucoup plus délibérée, mais aussi beaucoup plus difficile à concrétiser dans le quotidien. Pour être gentils de cette deuxième façon, il faut aller au-delà du strict nécessaire.

Quel est le pointage des Canadiens en matière de gentillesse? Si on en juge d'après le don d'organes, nous tirons beaucoup de l'arrière par rapport à la plupart des pays industrialisés. Nous ne sommes pas non plus très forts en matière de don de sang, puisque seulement de 3 à 5 p. 100 des Canadiens donnent de leur sang. Voilà de ces gestes qui vous font aller plus loin que requis, et les Canadiens ne sont pas aussi forts dans ce domaine qu'ils pourraient et devraient l'être.

Des Canadiens meurent dans l'attente de dons d'organes. Autrement dit, la population canadienne ne répond pas à nos besoins les plus extrêmes.

Il est difficile de légiférer la bonté, cela va de soi, mais on pourrait inciter plus de gens à avoir des gestes de bonté. Pour y parvenir, il faut une stratégie polyvalente. Il faut attaquer de front les attitudes des Canadiens pour que signer la carte de don d'organes et donner de son sang deviennent pour eux des gestes quasi-automatiques.

Le gouvernement, mais aussi tous ceux qui ont une quelconque autorité dans la société, ont un rôle à jouer en ce sens. Notre section de l'est de l'Ontario de la Fondation du rein a ainsi décidé de réunir les chefs de différentes confessions religieuses pour qu'ils signent publiquement une carte géante de don d'organes. À cette occasion, nous avons organisé une conférence de presse et déboulonné le mythe voulant que certaines religions soient contre le don d'organes, puisque c'est justement le contraire. La religion permet, voire encourage, cette entreprise.

Avec l'aide de l'Ottawa Citizen, nous avons même publié une brochure sur les dons d'organes, dont j'ai fait tenir copie à votre comité.

Quel exemple merveilleux vous auriez si les politiciens de tous les paliers—fédéral, provincial et municipal—signaient tous leur carte de don d'organes de façon aussi publique!

Il faudrait que la signature de ces cartes de don d'organes par la population en général soit beaucoup plus facile. Les déclarations de don d'organes devraient se trouver sur les formulaires d'impôt, à l'arrière des billets de loto, dans les formulaires de demande de passeport, etc.

Voilà quelques-unes seulement des activités de promotion qui pourraient encourager les Canadiens à faire le don de leurs organes. Il y en a beaucoup d'autres.

Parlons également de grandes initiatives politiques qui, mise à part la nécessité de coordonner et de centraliser les efforts, pourraient être des plus utiles. Je serais tout à fait d'accord si le gouvernement offrait, par exemple, des incitatifs fiscaux aux Canadiens pour les encourager à signer leur carte de don d'organes et offrait un taux d'imposition réduit sur les successions à la famille d'un donneur d'organes décédé.

Je n'ai pas réfléchi en détail à ces propositions, mais il vaut la peine d'en étudier sérieusement le principe général.

• 0915

Le crédit d'impôt se justifie quand on songe aux économies considérables en soins de santé consécutif aux greffes de rein, par opposition aux traitements de dialyse.

D'aucuns feront valoir qu'en taxant de façon réduite leur succession, on retire au don d'organes son côté purement altruiste. Je veux bien, mais j'affirmerais pour ma part qu'il ne faut pas sacrifier sur l'autel de l'altruisme pur la vie de Canadiens dans l'attente d'un don d'organes.

Enfin, le don d'organes lui-même devrait peut-être faire l'objet d'un changement d'attitude. Par là, j'entends qu'il faudrait peut-être de façon spécifique—mais non officielle—se demander s'il faut toujours avoir l'accord de la famille avant d'exécuter les volontés du donneur et avant de prélever les organes à la suite du décès.

Il faut évidemment, et avec le plus de tact possible, informer la famille des volontés du donneur décédé; une fois cela fait, il convient peut-être plus d'honorer les volontés du décédé, même si la famille refuse de donner son consentement.

Devant la crise actuelle—soit la pénurie critique d'organes et la perte consécutive de précieuses vies de Canadiens—nous devons nous demander si le protocole actuel voulant que la famille donne son consentement se justifie.

Nous pourrions éviter toute controverse qui surgirait là-dessus en informant la population de ce changement de fond dans la politique destinée à honorer les volontés du donneur, et en expliquant la raison d'être du changement. Cela donnerait en effet toute une autre allure aux conversations qui auraient lieu entre le donneur et sa famille, la famille comprenant que les volontés du donneur sont irrévocables.

Une telle évolution n'est peut-être pas possible du jour au lendemain, mais peut-être est-elle nécessaire dans la situation d'urgence qui est la nôtre. Le nombre de vies qui seraient sauvées à long terme justifieront, nous l'espérons, les difficultés qui pourraient surgir à court terme.

L'objectif de votre comité est de sauver des vies et de faire comprendre à tous les Canadiens l'importance de la vie. J'espère que les idées que je viens de partager avec vous et qui viendront s'ajouter à d'autres, aideront à faire avancer votre précieuse entreprise.

Merci.

Le président: Monsieur Bulka, merci beaucoup. Vous avez été très généreux de votre temps. Vous m'avez pris au sérieux, j'ai l'impression, quand j'ai dit que j'allais vous interrompre si vous étiez trop verbeux et donner la parole au Dr Aaron Spital, de Rochester.

Mesdames et messieurs, j'aurais dû préciser plus tôt que nous nous penchons aujourd'hui sur l'aspect bioéthique et moral des dons et des greffes d'organes. Je suis d'ailleurs très heureux que le rabbin Bulka ait lancé notre réflexion en ce sens.

Nous souhaitons la bienvenue au Dr Aaron Spital, de l'unité de néphrologie de l'Université de Rochester, où il est professeur associé de médecine.

Docteur Spital, nous avons copie de toutes les diapositives que vous allez projeter sur l'écran.

Dr Aaron Spital (professeur associé de médecine, unité de néphrologie, Université de Rochester): Merci beaucoup, et c'est tout un honneur pour moi d'être parmi vous.

Cela fait 45 ans environ que la toute première greffe rénale réussie a été effectuée entre des jumeaux identiques. Depuis, notre expérience dans le recours à des donneurs vivants a crû de façon considérable. Toutefois, si précieuse que soit cette pratique, elle reste toujours controversée.

J'ai consacré une grande partie de ma vie professionnelle à étudier les enjeux déontologiques de ce dossier, et je répondrai avec plaisir à vos questions. J'aimerais toutefois consacrer mes commentaires à une stratégie destinée à inciter la population à autoriser le don d'organes cadavériques, et j'ai parlé de la stratégie du «choix autorisé».

La force motrice de cette stratégie, c'est évidemment la carence grave d'organes aux États-Unis, au Canada, et dans la plupart des pays.

Cette diapositive-ci—vous pouvez vous reporter à mes notes—illustre l'augmentation au fil des ans du nombre de personnes en attente d'une greffe rénale aux États-Unis; cette liste d'attente est aujourd'hui de presque 41 000 personnes, alors que le nombre de greffes rénales effectuées aux États-Unis est resté relativement constant.

• 0920

Cette situation fait augmenter le taux de morbidité et de mortalité chez de nombreux patients dont les organes défaillants en sont au stade terminal, mais ce qui est le plus tragique encore, c'est que cette morbidité et cette mortalité peuvent être réduites, puisque nous récupérons des organes d'au plus la moitié des donneurs potentiels. Autrement dit, on ne cesse de perdre quotidiennement de précieux organes qui pourraient être prélevés sur des cadavres.

Comment expliquer ce faible don de prélèvement d'organes? Il faut d'abord comprendre comment fonctionne notre système.

Au Canada comme aux États-Unis, notre système d'adhésion volontaire implique que l'on donne son consentement explicitement avant que ces organes puissent être prélevés et utilisés à des fins de greffes. Or, même si la loi nous donne à chacun le droit de faire une déclaration exécutoire concernant notre volonté de faire un don posthume de nos organes, la décision revient presque toujours en pratique à la famille; la nécessité d'aller chercher le consentement de la famille constitue l'un des principaux obstacles au don d'organes.

Les donneurs étant souvent des jeunes décédés accidentellement, les familles sont la plupart du temps en état de choc et complètement catastrophées. Il leur est donc souvent impossible de réfléchir comme il faut. De plus, les volontés du défunt ne sont pas connues, dans bien des cas. Enfin, il faut savoir qu'il est très difficile pour le personnel hospitalier d'aborder les familles endeuillées pour leur demander leur consentement.

Dans ces circonstances, c'est-à-dire en période de douleur et de confusion, on comprend aisément pourquoi plus de la moitié des familles, si ce n'est plus, refusent d'accorder leur consentement lorsqu'on leur demande.

Il est intéressant de noter que ce comportement sur le vif contraste avec les résultats des sondages d'opinion publique qui démontrent que la population est en grande majorité favorable au don d'organes. C'est en tout cas ce que démontrent les sondages effectués au Canada et aux États-Unis. En effet, la majorité des gens affirment souhaiter que leurs organes soient donnés après leur décès. Il ressort de cet écart entre ce qui se passe au moment du décès et la réponse fournie de façon abstraite que s'il était possible de ne pas avoir à prendre de décision dans ce moment de grande tension, les taux de consentement seraient plus élevés.

Comment y parvenir? On y parviendrait en supprimant carrément le consentement de la famille. Tout cela est faisable, si on laisse les gens compétents décider de la façon dont on disposera de leurs organes après leur décès et en s'assurant que leurs volontés sont respectées.

Est-il possible de justifier une orientation aussi individualiste que celle-là? Le Council of Ethical and Judicial Affairs affirmait que le droit des personnes de décider de la façon dont on disposera de leur corps et de leurs biens après leur mort laisse supposer que, sur le plan moral, il est préférable que la décision de faire don de ses organes soit prise par la personne elle-même plutôt que par sa famille. Ce point de vue est renforcé par la loi.

Le Dr Carl Cohen, de l'Université du Michigan, expliquait ce qui suit du consentement de la famille: «Nous présentons aux mauvaises personnes, au pire moment imaginable, une demande qui n'aurait jamais dû être faite de toute façon.»

Si le professeur Cohen a raison, comment concrétiser cette orientation individualiste? On la concrétise par le choix autorisé. En vertu du choix autorisé, toute personne capable de prendre une décision serait tenue de faire connaître sa volonté à l'égard du don posthume d'organes. On pourrait changer d'avis en tout temps, mais la décision serait exécutoire, et la famille ne pourrait déroger à la volonté du décédé, à moins que celui-ci n'ait donné de son vivant à sa famille le droit de veto.

Quels sont les avantages du choix autorisé? En premier lieu, puisque ni la famille ni le personnel hospitalier n'auraient à se préoccuper de cette question, cela éliminerait l'énorme pression qui s'exerce sur les épaules des familles et du personnel médical.

En deuxième lieu, la décision serait prise dans un cadre plus détendu, ce qui favoriserait la réflexion.

En troisième lieu, la population serait davantage sensibilisée au don d'organes, et à son caractère précieux, et cela pourrait constituer un des outils pédagogiques les plus efficaces que nous ayons eus jusqu'à maintenant. De plus, en n'étant pas obligé d'obtenir le consentement de la famille, l'hôpital n'aurait plus de raison de retarder le prélèvement des organes, tout retard pouvant nuire à la qualité de ceux-ci.

Enfin, on maintiendrait le principe de l'altruisme et on encouragerait l'autonomie, altruisme et autonomie étant les fondements philosophiques de cette stratégie.

Quelles sont les craintes que peut susciter cette méthode? On pourrait croire que cette méthode est quelque peu coercitive, car elle force les gens à prendre une décision au sujet d'un cas qui ne s'est pas encore posé à eux.

Il y a 15 ans, lorsqu'elle suggérait cette stratégie pour la première fois, Barbara Katz la justifiait de la façon suivante:

    La loi autorise souvent de légers risques dans les cas où les avantages obtenus seront importants. Étant donné que la population en bénéficiera sans doute grandement, nous pouvons, en tant que société, décider en toute légitimité de tolérer une infime atteinte au droit d'une personne à sa vie privée.

• 0925

Les familles accepteraient-elles d'être exclues de la décision? Le même Council of Ethical and Judicial Affairs signalait qu'il est peu probable que les familles des donneurs s'opposent à l'autonomie individuelle. La grande majorité des familles estiment qu'elles doivent faire respecter les volontés de leurs proches. La preuve, on signale que, d'après un sondage récent, 93 p. 100 des familles affirment qu'elles respecteraient la volonté d'un des leurs de faire don de ses organes.

Mais ce qu'il faut vraiment savoir, c'est si le choix autorisé peut donner de bons résultats. Nous n'en savons rien, étant donné que l'on n'a pas mis cette proposition à l'épreuve. Toutefois, des sondages montrent que les mentalités ont évolué et appuieraient cette façon de faire. En effet, la grande majorité des gens est d'avis que la personne elle-même est la mieux à même de prendre la décision, et que la famille ne devrait pas pouvoir déroger à celle-ci.

Deux études portent aussi directement sur la question du choix autorisé. Soixante-cinq pour cent des personnes interrogées dans le cadre de la première étude ont dit qu'elles appuieraient l'adoption d'une loi sur le choix autorisé. Dans la seconde étude, un pourcentage presque identique de gens ont dit qu'ils rempliraient leur formulaire de consentement si une telle loi était adoptée. Un pourcentage plus petit de répondants ont dit qu'ils n'étaient pas sûrs de la décision qu'ils prendraient. Si l'on parvenait à convaincre ce petit nombre d'incertains d'opter pour le choix autorisé, jusqu'à 75 p. 100 de la population pourraient être des donneurs d'organes potentiels.

En conclusion, le choix autorisé semble une méthode acceptable pour obtenir le consentement des gens pour des dons d'organes posthumes et cette méthode est susceptible d'accroître le taux de consentement en éliminant l'obstacle que constitue la nécessité d'obtenir le consentement de la famille, en permettant que la décision à cet égard soit faite de façon détendue, en mettant l'accent sur la grande valeur des dons d'organes et sur l'énorme besoin à cet égard et en protégeant l'autonomie individuelle.

Ces deux méthodes recueillent l'appui du Council on Ethical and Judicial Affairs de l'American Medical Association, du United Network Organ Sharing et de la Harvard Law Review. Bien que les sondages d'opinion aient tendance à fluctuer, je crois que les résultats de ces sondages sont suffisamment éloquents pour que nous menions au moins une étude pilote.

Je vous remercie beaucoup.

Le président: Docteur Spital, je vous remercie beaucoup. Je regrette que l'équipement audiovisuel nous ait donné du mal, mais nous avons survécu.

J'accorde maintenant la parole au Dr John Yun, de Richmond en Colombie-Britannique.

Dr John Woo-Sup Yun (témoignage à titre personnel): Je vous remercie.

Je serai sans doute la seule personne à venir tempérer cet enthousiasme pour les greffes. J'ai décidé de vous exprimer mes réserves concernant les greffes d'organes, en particulier du coeur et des poumons. Ce sont des expériences personnelles qui m'ont amené tout récemment à modifier mon opinion sur le recours aux greffes. D'emblée, je dois dire que je m'oppose aux greffes d'organes.

En 1988, alors que j'étais interne dans un centre de traumatologie fort occupé, j'avais comme fonction de garder en vie des personnes en état de mort cérébrale en attendant le prélèvement de leurs organes. À cette époque, il fallait exercer beaucoup de vigilance pour ajuster le réanimateur cardiorespiratoire et veiller à ce que l'urine s'écoule pour permettre l'arrivée aux reins des médicaments et des fluides administrés par perfusion. Les électrolytes devaient être surveillés avec minutie, sinon tous les efforts pour garder le malade en vie devenaient inutiles. Tout le personnel de l'unité de soins intensifs devait s'activer pour garder en vie un malade en état de mort cérébrale.

Je pratique maintenant une médecine tout à fait différente: l'oncologie. Je passe donc beaucoup de temps dans un centre de soins palliatifs. Les questions abordées avec les malades portent sur la vie et la mort. Surtout la mort que les personnes atteintes d'un cancer affrontent continuellement. Mais la plupart des gens, malgré des difficultés, trouvent la vie beaucoup trop précieuse pour y mettre un terme prématurément.

Je pratique la médecine dans une collectivité multiculturelle. Les gens que je soigne sont d'origines ethnique et religieuse très diverses: Caucasiens, Chinois, Indiens de l'Est, chrétiens, bouddhistes, sikhs, etc. Tous considèrent la vie comme un bien précieux qu'il faut protéger.

Récemment, je me suis mis à réexaminer toute la question des greffes d'organes. Les arguments en faveur des greffées reposent sur un principe louable: le don de vie. Il est assez réconfortant de penser que l'on peut donner une partie de soi-même pour sauver la vie de quelqu'un d'autre.

• 0930

C'est en pensant à la vie du donneur que j'ai commencé à me poser des questions. Par le passé, je supposais que le donneur était décédé. Qui s'opposerait à ce qu'on dispose dans le respect du corps d'une personne décédée? Aujourd'hui, cependant, je crois que les malades qui étaient sous ma surveillance dans une unité de soins intensifs étaient vivants.

Pour revenir à ce que je disais au début, je passais mes nuits dans une unité de soins intensifs à maintenir en vie des mourants. Objectivement, l'état de la personne n'était pas différent avant et après le diagnostic du neurologue qui avait déclaré la personne en état de mort cérébrale. Depuis j'ai pris conscience que la mort cérébrale est diagnostiquée selon certains critères établis pour favoriser les dons d'organes.

Il arrive souvent, lorsqu'on débranche le réanimateur cardiorespiratoire et que l'on cesse d'injecter des solutions intraveineuses, que la mort s'ensuit. Voilà où réside le problème: ce n'est que lorsque l'on a cessé de prendre des mesures pour maintenir une personne en vie que la mort a réellement lieu. Y aurait-il deux types de décès? Le décès par mort cérébrale et le décès par mort réelle?

D'après moi, la mort cérébrale n'est pas réellement la mort.

Une mort imminente n'est pas la mort.

Le consentement du mourant permet-il de justifier que l'on mette un terme à la vie? Ma réponse est non et j'ai la même opinion en ce qui concerne l'euthanasie.

Prenons le cas d'une personne que l'on a diagnostiqué en état de mort cérébrale. Objectivement, il existe une différence entre, d'une part, la mort qui suit lorsque l'on débranche le réanimateur cardiorespiratoire et, d'autre part, la mort causée par l'enlèvement d'un coeur ou d'un poumon, et ce, même si l'on a obtenu le consentement de la personne avant qu'elle devienne inconsciente et celui de sa famille. Dans la première situation (débranchement du réanimateur cardiorespiratoire), le corps suit son cours vers la mort; dans la deuxième situation (récupération d'un coeur ou d'un poumon), le corps subit une intervention directe.

On observe la même différence entre quelqu'un qui meurt dans un accident d'automobile et quelqu'un qui meurt après qu'on lui a enlevé son coeur et ses poumons. Dans le dernier cas, la mort est causée par une action directe.

Il est intéressant de constater que le Dr Kevorkian veut utiliser les organes de ses clients à des fins de transplantation. Dans son esprit, si un client donne son consentement pour qu'on lui enlève la vie (pour être tué par pitié), le prélèvement de ses organes ne pose aucun problème d'éthique. La plupart des gens trouveront son raisonnement insensé sinon contradictoire. Le dernier avocat de Kevorkian, partisan de l'euthanasie, a fini par se retirer de la cause parce qu'il ne pouvait plus supporter le zèle de Kevorkian pour la transplantation des organes provenant des personnes qu'il tue par pitié.

Prenons l'expression «cueillette d'organes». Quelle notion recouvre cette expression? Que le corps des donneurs est une sorte de plante dont les fruits—les organes—peuvent être cueillis?

J'estime qu'utiliser une personne comme un moyen—si bonne que soit la cause—est injustifiable. Nous devons traiter les personnes comme des fins en soi. Les donneurs ne peuvent pas être considérés comme des moyens de transplantation d'organes. Nous ne devons pas modifier la définition de la mort à la seule fin d'augmenter la disponibilité d'organes, ni conclure qu'une définition imprécise de la mort—la supposée mort cérébrale—nous permettra de déclarer morte une personne qui ne l'est pas vraiment.

Lorsque toutes les fonctions du cerveau cessent, quelqu'un est-il moins en vie? Qu'en est-il d'un cerveau qui ne fonctionne que partiellement? Est-il moins en vie?

Nous vivons dans une société multiculturelle. Parmi les malades qui me consultent, plusieurs ont une conception de la mort différente de la mienne.

Par exemple, les bouddhistes croient que même si tous les signes de vie—battement du coeur, respiration ou mouvements—ont disparu, de nombreuses heures peuvent s'écouler avant que l'esprit quitte le corps. Si quelque chose retient le mourant à la vie terrestre, comme le désir ou la douleur, ou s'il y a interférence, il sera privé de la paix éternelle.

C'est pourquoi on me demande parfois de laisser le corps dans la même position et dans la même pièce pendant des heures après la mort apparente. De nombreuses cultures s'opposent vigoureusement au suicide et à la mutilation du corps. Il ne faudrait pas s'imaginer que notre culture occidentale, proscientifique et protechnologique, est supérieure aux autres.

Je vous exhorte à ne pas élargir la définition de la mort dans le seul but d'augmenter la disponibilité d'organes pour la transplantation. Une personne est soit morte ou vivante. Je vous demande de respecter ce concept.

Les expériences personnelles que j'ai vécues et que je vous ai exposées dans les grandes lignes m'ont fait changer d'opinion sur les dons d'organes et m'incitent à remettre en question mes propres conceptions et les définitions préétablies. Après m'être rendu compte que la mort cérébrale n'est pas la mort, j'ai remis en doute tout le processus.

Je vous remercie.

• 0935

Le président: Je vous remercie, docteur Yun.

J'accorde maintenant la parole au Dr John Beamish Dossetor.

Docteur Dossetor, pendant que je consultais votre curriculum vitae, j'ai noté que vous aviez omis un renseignement très important, à savoir que l'un de vos enfants fait maintenant profiter le gouvernement de toute la sagesse que vous avez accumulée au fil des ans.

Dr John Beamish Dossetor (témoignage à titre personnel): Oui. Merci.

Je tiens à remercier le comité permanent de m'avoir offert cette occasion de lui dire quelques mots ce matin. C'est tout un privilège. J'ai consacré la plus grande partie de ma carrière à ce domaine, et ces problèmes m'intéressent et m'inquiètent fortement.

Je me suis occupé principalement de transplantation pour ceux qui souffraient d'insuffisance rénale, mais je suis passé à la bioéthique au milieu des années 80. Je suis devenu de plus en plus découragé face à notre impuissance à accroître le nombre de dons d'organes de personnes en état de mort cérébrale.

J'aimerais bien avoir l'occasion de discuter de cette question avec le Dr Yun.

Le président: Vous pourriez le faire ici, docteur Dossetor, sauf que le temps est assez limité.

Vous avez la parole.

Dr John Dossetor: J'ai vu certains des résumés des témoignages qui ont déjà été présentés à votre comité. Je ne répéterai pas les commentaires qui ont été faits et avec lesquels je suis parfaitement d'accord, et en fait j'appuie parfaitement ce qu'a dit le Dr Spital en ce qui a trait au choix autorisé, notion que j'appuie déjà depuis une vingtaine d'années.

Je crois sincèrement que votre comité représente en fait une occasion rêvée d'améliorer la situation qui prévaut actuellement au Canada. J'ai l'intention de prendre quelques minutes pour faire ressortir certaines des idées abordées dans le mémoire que j'ai déjà présenté au comité.

Je vais d'abord parler des dons provenant de personnes dont le décès n'était pas attribuable principalement à la mort cérébrale.

Je me souviens de la situation qui existait dans les années 60, avant que l'on adopte et précise la notion de «mort cérébrale». À l'époque, certains critères traditionnels étaient utilisés pour diagnostiquer un décès—arrêt de la respiration et du battement cardiaque. L'équipe responsable a étudié plusieurs cas de décès différents. Nous avons constaté qu'il y avait parfois jusqu'à 90 minutes entre la déclaration de décès et le prélèvement des reins, ce qui n'empêche aucunement les reins de bien fonctionner chez le récipiendaire par la suite.

Lorsque la notion de mort cérébrale a été acceptée entre 1968 et 1970, sur recommandation du comité du Massachusetts General, le prélèvement d'organes de mourants dont le coeur battait toujours est devenu pratique courante, sans réserve de certains critères. Nous avons alors cessé d'essayer d'obtenir des organes en les prélevant sur des personnes décédées en grande majorité—soit dans environ 90 p. 100 des cas—d'arrêt cardiaque et respiratoire, critères servant traditionnellement à établir le décès.

Je crois qu'il nous faut à nouveau chercher à prélever des organes de ce groupe plus important de personnes qui sont sur le point de mourir. On appelle les gens qui meurent de cette façon, en fait la majorité d'entre nous mourront de cette façon, des donneurs dont le coeur ne bat plus. Ces personnes ne sont plus utilisées en Amérique du Nord, mais le sont toujours en Europe comme source d'organes après le décès. Elles viennent s'ajouter à la liste de celles qui étaient en état de mort cérébrale.

Vous vous demanderez pourquoi nous nous sommes concentrés au cours des trois dernières décennies sur ce nombre beaucoup plus limité de donneurs qui respectaient les critères établis pour la mort cérébrale. Il existe plusieurs raisons.

Tout d'abord, les critères de mort cérébrale sont fiables et assez simples à utiliser.

De plus, après la mort cérébrale, les organes sont parfaitement irrigués jusqu'à leur prélèvement.

Troisièmement, les organes comme le foie et le coeur ne peuvent pas reprendre leur plein fonctionnement aussi bien que le foie en cas d'interruption de perfusion, comme c'est le cas des organes prélevés après le décès établi en fonction des critères traditionnels.

• 0940

Quatrièmement, il y a moins de dilemmes déontologiques—et le Dr Yun ne sera pas tout à fait d'accord avec cela—lorsqu'on prélève les organes de personnes en état de mort cérébrale.

Ce sont de très bonnes raisons qui nous poussent à privilégier le prélèvement des organes de personnes en état de mort cérébrale. Toutefois, les organes provenant de ces donneurs ne nous permettent pas de répondre à la demande, aux besoins de ceux qui sont sur la liste d'attente. C'est pourquoi, en plus de multiplier nos efforts pour prélever les organes de personnes en état de mort cérébrale, je crois qu'il nous faut songer à nouveau à prélever des organes de personnes beaucoup plus nombreuses qui mourront d'autres causes-peu importe le coût et cela coûtera très cher—si nous voulons pouvoir répondre à la demande.

Dans certains pays européens, plus de la moitié des donneurs d'organes et de tissus font partie du groupe de ceux dont le coeur ne battait plus.

Je tiens à faire ressortir cette question dans mon exposé ce matin puisque je crois que les autres témoins n'auront peut-être pas assez insisté sur cette question. Je sais que cela suscite une assez vive controverse, mais dès qu'il s'agit de transplantation il y a controverse.

J'aimerais maintenant signaler que j'appuie d'autres mesures qui permettront d'accroître le nombre de dons d'organes chez ces 85 p. 100 de la population—et je suis d'accord à cet égard avec le Dr Spital—qui feraient don de leurs organes pour la transplantation s'ils étaient en état de mort cérébrale, causée habituellement par un traumatisme cérébral primaire ou par une hémorragie intercérébrale grave et soudaine.

Il s'agit là d'une source d'organes viables si précieuse que je crois qu'il ne faudrait pas se contenter de dire qu'il faut attendre qu'on puisse les prélever en respectant tous les critères déontologiques; à mon avis, les organes viables qui pourraient être utilisés pour la transplantation au Canada ne devraient pas être enterrés.

Le gouvernement fédéral pourrait dans une certaine mesure régler le problème: tout d'abord, il pourrait appuyer le concept du choix autorisé qui a d'ailleurs été très très bien décrit, encourager le don d'organes dans le testament biologique, établir une liste d'attente nationale consultable en temps réel sur support électronique pour ceux qui ont un besoin urgent de greffe; enfin, en mettant sur pied une organisation nationale responsable du prélèvement d'organes qui collaborerait avec les provinces et dont des représentants occuperaient dans les principales institutions des postes à temps plein, financés par le gouvernement fédéral.

Un organisme national centralisé de prélèvement d'organes est apparemment ce qui a fait toute la différence du monde en Espagne. Je pourrais vous montrer ce tableau du doigt où l'on voit les chiffres de la période comprise entre 1990 et 1996. La colonne blanche donne le nombre de donneurs par million d'habitants en Espagne. La colonne un peu plus foncée montre le nombre en Ontario et la colonne grise donne le total pour l'ensemble du pays.

Vous voyez que le total pour le Canada et l'Ontario est d'environ 14 par million par année. Le nombre en Espagne a déjà atteint les 28 par million par année.

J'aimerais signaler que tout cela est attribuable à la réorganisation du système de prélèvement sur une base centralisée, et non pas à l'adoption d'un programme de consentement présumé, ce qui existait d'ailleurs déjà. Je ne dis pas que le consentement présumé n'a pas sont importance, mais ce concept existe déjà dans plusieurs pays d'Europe. L'Espagne où ce concept était accepté, les chiffres étaient de 15 à 17 par million avant cette réorganisation centrale.

Je propose donc que l'on adopte au Canada une norme pour les prélèvements, peut-être par le biais de l'ACNOR, qui a récemment élaboré des normes pour la sécurité, et ce pour tous les organes et tissus transplantés.

J'appuierais également la création d'un programme national de partage d'organes entre les provinces. Actuellement, même si les chirurgiens responsables de transplantations hépatiques se partagent déjà les organes d'une province à l'autre, cette pratique n'est pas vraiment généralisée.

Enfin, je recommanderais au gouvernement de financer la création d'un groupe de travail fédéral ou d'un forum national semblable à celui qui en décembre 1997 s'est penché sur la question de la xénotransplantation, sujet que nous n'aborderons pas aujourd'hui.

• 0945

Un tel groupe de travail pourrait étudier notre dépendance sur les sujets en état de mort cérébrale comme seules sources d'organes, ce qui est pratiquement le cas, et étudier d'autres options en s'inspirant de concepts déontologiques plus généraux, comme la participation des familles au processus décisionnel et le consentement en ce qui a trait aux mesures à prendre lorsqu'une personne est mourante.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, docteur Dessetor.

Nous passerons maintenant aux questions des députés de tous les partis en commençant par M. Martin.

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président.

J'aimerais remercier tous les témoins d'être venus aujourd'hui nous aider dans notre étude du don d'organes.

Ma première question s'adresse au rabbin Bulka.

Monsieur Bulka, vous avez bien su sensibiliser le public à cette question et je me demande si vous pourriez réitérer pour la gouverne du comité ce que vous et vos collègues d'autres groupes religieux avez fait lorsque vous vous êtes rencontrés pour signer des cartes de don d'organes.

Pourriez-vous s'il vous plaît expliquer au comité quelle a été la réaction des chefs des divers groupes religieux en ce qui a trait aux greffes d'organes.

Par ailleurs, docteur Spital, vous êtes aussi un chirurgien transplantologue actif à l'heure actuelle, n'est-ce pas?

Dr Aaron Spital: Je ne suis pas chirurgien transplantologue, je suis néphrologue.

M. Keith Martin: Très bien. Désolé. Peut-être que vous-même ou le Dr Dossetor pourriez expliquer au comité comment se fait le prélèvement d'un organe après que l'on a débranché le système qui maintient artificiellement en vie, et nous indiquer si ces organes seraient viables ou non et si, au moment de la chirurgie, vous auriez une meilleure chance de transplanter un organe viable si cet organe était prélevé d'une personne qui reçoit une assistance cardiorespiratoire plutôt que de débrancher le système d'assistance cardiorespiratoire, de laisser cette personne mourir et puis de procéder au prélèvement et à la transplantation de l'organe.

Vous pourriez peut-être parler au comité de la viabilité de l'organe transplanté dans le corps d'une personne qui en a besoin pour vivre.

Ce sont mes deux questions.

Le rabbin Reuven Bulka: Nous avons décidé qu'il n'était pas suffisant que les religions appuient l'idée du don d'organes. Il serait préférable que les chefs de file dans leurs communautés religieuses signent en fait des cartes de donneurs. Cela indiquerait à leurs communautés que c'est non seulement acceptable mais que c'est la chose à faire. Au lieu de se contenter de prêcher on se trouve ainsi à agir.

Donc nous avons invité les dirigeants des principales communautés religieuses. Ils ont tous dit qu'ils n'avaient aucune objection à recevoir des organes de personnes appartenant à d'autres religions. Les anglicans ont dit, «Je n'ai aucune objection à recevoir un rein d'un catholique si cela me sauve la vie.»

Des voix: Oh, oh!

Le rabbin Reuven Bulka: Donc nous avons eu une très bonne expérience à cet égard. Apparemment, la Fondation du rein indique que les demandes de cartes de dons d'organes a quadruplé au cours de la courte période qui a suivi.

De toute évidence, c'est le genre d'initiative dont il est difficile de soutenir l'élan. Quoi qu'il en soit, nous n'avons cessé d'en parler. Nous avons un film vidéo de l'événement. Nous avons tenu une conférence de presse à l'époque. À ma connaissance, personne n'a perdu son emploi pour cela.

Nous avons également installé une carte géante de don d'organes ici au Parlement, je pense l'année dernière. De nombreux parlementaires ont signé cette carte géante de don d'organes, qui est installée maintenant dans les locaux de la Fondation du rein, section de l'est de l'Ontario.

Je n'ai entendu que des choses positives au sujet de cette initiative. Il a été très instructif pour la collectivité de constater la quasi-unanimité à ce sujet des principales religions. Il n'y a pas vraiment d'objections bien que la question soulevée par le Dr Yun est une question légitime, à savoir que le donneur est bel et bien mort. C'est une préoccupation pour toutes les religions à savoir que nous ne devrions pas accélérer la mort de quelqu'un pour sauver la vie de quelqu'un d'autre.

Sauf cet aspect, il existait donc à cet égard un accord général, que je considère assez important.

M. Keith Martin: Quelles étaient les religions en question, monsieur Bulka?

Le rabbin Reuven Bulka: Si je me souviens bien, nous avions des représentants de neuf religions. L'archevêque catholique romain était présent. Nous avions les représentants de l'Église anglicane. Nous avions un représentant de la religion hindouiste. Je pense que nous avions un représentant de la religion musulmane et de la religion juive. Il y avait peut-être aussi des Baha'i mais je n'en suis pas tout à fait sûr.

Donc nous avions des représentants des principales religions.

M. Keith Martin: Très bien. Je vous remercie.

Docteur Dossetor, voudriez-vous répondre à la deuxième question, ou...?

• 0950

Dr Aaron Spital: À mon avis il ne fait aucun doute que les organes prélevés d'une personne dont le coeur bat toujours sont de meilleure qualité et en général fonctionneront mieux. Comme le Dr Dossetor nous l'a dit, les reins peuvent tolérer une absence de circulation sanguine plus longtemps que les autres organes.

Cependant, pour moi, il ne s'agit pas tant de déterminer si les organes de meilleure qualité fonctionneront mieux s'ils sont prélevés sur un sujet dont le coeur bat toujours, mais de déterminer si leur utilisation est justifiée sur le plan éthique.

En ce qui concerne les préoccupations du Dr Yun, si nous devions prélever des organes simplement parce qu'ils fonctionnent mieux, sans tenir compte des aspects éthiques, je pense que sur le plan éthique, cela serait injustifiable.

Donc pour moi la question qui se pose ce n'est pas qu'effectivement les organes sont de meilleure qualité—si le coeur bat toujours, effectivement, cela ne fait aucun doute—mais s'il est justifiable, sur le plan éthique, de prélever les organes d'un sujet dont le coeur bat toujours.

Je ne suis pas d'accord avec l'évaluation de la situation faite par le Dr Yun. Je pense qu'une personne en état de mort cérébrale est morte, donc je pense qu'il est acceptable sur le plan éthique de le faire. Mais pour ceux qui sont d'un avis différent, comme le Dr Yun, le fait que les organes soient de meilleure qualité s'ils sont prélevés sur un sujet dont le coeur bat toujours n'aurait aucune importance.

Le président: Madame Picard.

[Français]

Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Je vous souhaite la bienvenue. Tous les témoignages que vous nous avez apportés sont très intéressants. Cependant, comme je ne suis pas une scientifique, je me pose des questions.

L'exposé du docteur Yun m'a un peu ébranlée, et je voudrais demander au docteur Dossetor quelle est la différence entre la mort cérébrale et la mort. Il a une très grande expérience en bioéthique et en médecine. Par le curriculum vitae qu'on nous a distribué, on voit bien qu'il est un maître en la matière.

Vous avez dit que dans certains pays, on prélevait des organes sur des cadavres, sur des personnes dont le coeur ne bat plus. Ici, il semble qu'on se fie beaucoup plus à la mort cérébrale. Quelle différence y a-t-il entre prélever des organes sur des personnes dont le coeur ne bat plus et prélever des organes sur des personnes qui sont mortes sur le plan cérébral? La différence est-elle telle qu'il est préférable de prélever des organes sur quelqu'un qui vient de mourir sur le plan cérébral?

[Traduction]

Dr John Dossetor: Je vous remercie de votre question.

Il faut vraiment savoir ce que signifie mort cérébrale avant de pouvoir se convaincre que la personne est morte, même si son coeur continue de battre. C'est une notion difficile à accepter pour bien des gens, et je comprends l'argument du Dr Yun.

Au risque d'être légèrement macabre, je décrirai un cas dont a fait rapport le British Medical Journal d'une jeune femme qui a subi une forte hémorragie cérébrale alors qu'elle était enceinte. Elle s'est donc trouvée en état de mort cérébrale, parce qu'elle ne présentait aucun signe d'activité électrique cérébrale. On l'a donc maintenue en vie, si vous voulez utiliser cette expression, bien que je préfère parler de corps maintenu artificiellement en vie ou plutôt d'organes maintenus artificiellement en vie—pendant 10 semaines, je crois, avant qu'elle donne naissance à un enfant vivant.

Il y a eu un certain nombre de cas de ce genre. Il a été impossible de maintenir les fonctions cardiorespiratoires et d'autres aspects après l'accouchement, et elle a fait l'objet d'une autopsie différée, différée de 10 semaines.

• 0955

La raison pour laquelle on utilise ce type de terminologie c'est que lorsque l'autopsie a été effectuée et que l'on a ouvert la boîte crânienne, elle ne contenait que de l'eau. Le pathologiste décrit comment il a pu voir la partie supérieure du canal vertébral, parce qu'il n'y avait rien pour en bloquer la vue.

Un cerveau peut donc non seulement mourir mais aussi subir une nécrose de liquéfaction ou il se transforme en eau—tout en maintenant le reste de la préparation dans un état de fonction physiologique. Je ne veux pas utiliser le mot «vivant», parce que le corps n'est pas vivant.

Ce sont des notions très difficiles à saisir. J'ai pris un exemple extrême, qui j'espère n'a pas l'air trop affreux, mais je pense qu'il existe effectivement des moyens auxquels on peut se fier.

Il est également possible d'injecter du colorant dans l'artère des personnes dont la pression intercrânienne augmente énormément. Comme le cerveau est logé dans une boîte crânienne très serrée, une fois qu'il commence à enfler, il coupe sa propre circulation sanguine. Il est très facile de prouver, chez les personnes en état de mort cérébrale, qu'il n'y a plus de circulation de sang dans le cerveau. Donc le sang ne circule plus dans le cerveau même s'il circule ailleurs.

C'est en fonction de ce type de preuve que l'on arrive à convaincre les gens que la personne est en état de mort cérébrale. Quant à déterminer si le fait que le cerveau soit mort signifie que la personne est morte, comme je crois que c'est le cas, c'est jusqu'à un certain point une question de jugement philosophique et religieux. Je suis heureux que le rabbin Bulka ait signalé que toutes les principales religions croient qu'il est possible de diagnostiquer de façon fiable la mort du cerveau si l'on veut et que lorsque c'est le cas, la personne est déjà morte.

Le président: Je vous remercie.

Docteur Yun, vous vouliez faire un commentaire.

Dr John Yun: Je pense que ce genre d'exemple est précisément le type d'exemple que nous utiliserions pour soutenir qu'une personne en état de mort cérébrale n'est pas forcément morte.

Pourquoi ne demandons-nous pas à ceux qui croient que quelqu'un qui peut porter bébé pendant un certain nombre de mois est mort de lever la main?

J'ai beaucoup de difficulté à accepter qu'une personne en état de mort cérébrale soit considérée morte, comme vous le décrivez. Je comprends qu'il s'agit d'un aspect philosophique.

Je pense que l'une des raisons pour laquelle nous croyons qu'une personne en état de mort cérébrale est morte c'est que dans la culture occidentale, nous accordons de la valeur à la capacité intellectuelle. Nous apprécions davantage les gens qui ont une grande capacité de réflexion, ceux qui ont une fonction cérébrale plus développée.

Je ne pense pas que quelqu'un est mort tout simplement parce que cet organe vital ne fonctionne plus. C'est un argument que feront valoir le Dr Michael Brear et le Dr Ruth Oliver, qui ont beaucoup plus d'expérience de la recherche dans ce domaine.

Le président: Je sais que vous aimeriez en débattre entre vous et nous aimerions vous entendre, mais vous avez tous, dans vos exposés, susciter certaines questions de la part de nos collègues et j'aimerais passer plutôt à mes collègues, avec votre permission.

Madame Minna.

Mme Maria Minna (Beaches—York-Est, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

Ne m'en veuillez pas mais j'aimerais revenir à Dr Yun et peut-être à certains autres témoins.

Dans votre exposé, vous avez dit que «souvent» lorsque nous débranchons les machines qui maintiennent les patients artificiellement en vie et que nous cessons les soins intraveineux, la mort s'ensuit, mais vous ne dites pas «toujours» ce qui est intéressant. Voulez-vous dire que la mort, ce que vous appelez la mort véritable du corps, ne s'ensuit pas toujours? Qu'est-ce que cela signifie lorsque l'on a diagnostiqué qu'une personne est en état de mort cérébrale et quels sont les critères pour déclarer la mort cérébrale? J'ai entendu dire que cela signifie qu'il n'y a pas d'activité électrique cérébrale. Je suppose que vous vous fiez à des critères très avancés...?

Le Dr Dossetor nous a donné un exemple extrême mais ils ne sont pas tous de ce type.

Dr John Yun: C'est très intéressant. Je travaille comme oncologiste dans un petit hôpital périphérique. Deux fois par mois, je suis appelé au service de soins intensifs. On m'appelle pour prononcer la mort cérébrale d'un patient. J'ai trouvé cela fascinant. J'ai examiné les critères et ils ne comprennent pas l'activité électrique cérébrale.

Ce qu'il faut faire, c'est fermer le ventilateur pulmonaire c'est-à-dire l'appareil qui assure la ventilation pulmonaire et voir combien de temps il faut pour que la personne se mette à respirer d'elle-même. Il faut attendre dix minutes et si elle ne respire pas, c'est une étape. On appelle ça le test d'apnée.

• 1000

La prochaine étape consiste à vérifier l'activité du tronc cérébral. Par exemple, avec un petit bout de coton, vous vérifiez s'il cligne des yeux, et vous versez un petit peu d'eau froide dans leur oreille pour voir si leurs yeux bougent. Puis vous appliquez des stimuli douloureux au niveau du sternum, par exemple, pour voir si le corps bouge.

Il existe donc un protocole que l'on doit suivre pour déterminer toute preuve de réflexe du tronc cérébral et de respiration spontanée. Ce sont les tests que l'on effectue.

Le président: Avant de céder la parole au Dr Spital...

Mme Maria Minna: J'ai une autre question, mais allez-y.

Le président: Un instant.

Je tiens simplement à rappeler à mes collègues qu'il y aura dans le prochain groupe un témoin qui présentera un exposé traitant expressément de tous les protocoles liés à la mort cérébrale. Cela ne veut pas dire que vous ne pouvez pas poser des questions aux témoins ici présents. Je tenais simplement à vous indiquer que nous avons invité un témoin expressément dans ce but.

Docteur Spital.

Dr Aaron Spital: Je voulais simplement dire qu'à ma connaissance, bien que je ne prononce pas la mort cérébrale de façon courante, les critères utilisés pour prononcer la mort cérébrale sont extrêmement fiables. Ils ne se limitent pas à ce que le Dr Yun vient de décrire ici.

Par exemple, certaines des choses qui ont été décrites peuvent se produire dans les gens comateux susceptibles de se rétablir complètement. Il y a d'autres aspects dont il faut tenir compte. Lors de la mort cérébrale, il n'y a plus de circulation sanguine vers le cerveau. Il n'y a plus d'activité électrique. Il faut également constater l'absence de facteurs réversibles, comme l'intoxication médicamenteuse et l'hypothermie.

Je crois comprendre que les critères sont beaucoup plus rigoureux que ceux qui viennent d'être décrits ici. Il faut préciser que chez toutes les personnes déclarées en état de mort cérébrale par quelqu'un qui connaît vraiment les critères, on constatera, une fois que les systèmes de maintien en vie sont retirés, une cessation très rapide des fonctions cardiaques et pulmonaires. Ces personnes dépendent absolument et entièrement des systèmes qui les maintiennent artificiellement en vie.

Le président: Monsieur Bulka.

Le rabbin Reuven Bulka: J'aimerais ajouter une observation. La question de savoir si la mort cérébrale est un critère acceptable a fait l'objet d'un débat intense dans les milieux juifs de l'éthique médicale.

Dans les sources talmudiques originales qui en traitent, le critère utilisé pour déterminer la mort était essentiellement l'arrêt de la respiration. La conclusion générale que l'on a tirée, et le consensus plus ou moins accepté par la majorité, c'est que l'arrêt de l'activité cérébrale, mesuré de la façon décrite par le Dr Spital, est en fait l'équivalent de la décapitation. C'est la métaphore utilisée. Essentiellement, s'il n'y a plus interaction entre la tête et le corps, c'est comme si la tête avait été coupée du reste du corps. Bien sûr ce n'est pas ce qu'on voit mais effectivement cela revient au même.

L'hypothèse générale c'est que si une personne est décapitée, elle est morte, et ce serait donc l'équivalent d'une décapitation sans que la tête soit en fait coupée.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Elley.

M. Reed Elley (Nanaimo—Cowichan, Réf.): Il ne fait aucun doute que nous sommes entrés dans le vif du sujet ce matin. C'est fascinant.

Docteur Yun, vous avez apporté un nouvel élément à nos discussions qui n'était peut-être pas là déjà. Je pense que vous soulevez un problème assez grave dont nous n'avons peut-être pas tenu compte en tant que législateurs, dans bien des domaines mais pas uniquement dans le domaine de la transplantation d'organes... c'est-à-dire parfois le dilemme moral auquel nous faisons face lorsque nous créons une politique gouvernementale qui finit par avoir force de loi.

J'ai beaucoup de respect, entre autres, pour l'exemple que vous avez cité à propos des bouddhistes et leurs convictions à propos du départ de l'esprit après la mort. Je pense toutefois que les grandes religions du monde risqueraient de n'être absolument pas d'accord sur ce point.

Par exemple, les chrétiens considèrent qu'au moment de la mort, l'esprit quitte immédiatement le corps. Il existerait donc certaines différences qui, au moment où on formulerait une politique gouvernementale sur une question de ce genre, pourraient créer certains problèmes et nous confronter à un dilemme moral.

• 1005

En fait, ce que je me demande, c'est comment, en tant que législateurs, compte tenu des différences qui existent peut-être d'une religion à l'autre sur certains de ces éléments fondamentaux, faisons-nous alors pour concilier ces différences et la formulation d'une politique gouvernementale? Y en a-t-il parmi vous qui pouvez nous indiquer comment nous devrions procéder et si cela devient une question grave sur le plan d'un choix autorisé?

Est-ce que vous voyez où je veux en venir?

Le président: C'est une question assez générale monsieur Elley. Je vais donner l'occasion à chacun de nos témoins d'essayer d'y répondre.

Docteur Dossetor.

Dr John Dossetor: Je ne suis pas sûr qu'il soit possible de fournir une réponse entièrement satisfaisante à la question de savoir comment on formule une politique lorsque les vues de différentes religions ne coïncident pas. Je dirais toutefois que dans le contexte de la proposition de choix autorisé, il devrait y avoir trois réponses possibles à la question. La première, oui, je consens à ce qu'on utilise mes organes si je suis déclaré en état de mort cérébrale, parce que c'est implicite pour l'instant; la deuxième, non; et la troisième, je ne suis pas disposé à répondre à la question. Les gens ont l'option de rester simplement muets à ce sujet.

Je pense que cela se rapporte aux différences qui existent dans la population en ce qui concerne cette question difficile.

Le président: Docteur Yun.

Dr John Yun: Comment procéder? Avec une grande prudence. Je suppose que c'est en quoi consiste votre travail.

Je ne suis pas en mesure de faire d'observation particulière. Je suis simplement ici pour faire une mise en garde lorsqu'on autorise quoi que ce soit parce que la notion de choix autorisé est en soi une option très difficile.

L'unique raison pour laquelle nous envisageons le choix autorisé c'est parce qu'il y a une pénurie d'organes. Donc, pesez soigneusement vos intentions.

La plupart des données présentées—vous avez vu les tableaux—sont présentées sous l'angle du don d'organes, donc il y a d'une certaine façon un aspect d'intérêt personnel qui entre en ligne de compte. Et cela n'est pas fait de façon négative; tout le monde qui participe à cette entreprise fait preuve d'une grande compassion et a comme noble idéal de sauver des vies. Mais je pense que nous devons examiner la situation très soigneusement sous l'angle de la vie d'un donneur.

Le Dr Brear va parler dans un instant des diverses religions.

Le président: Docteur Spital.

Dr Aaron Spital: J'hésite à être en désaccord avec le Dr Dossetor car assurément, je respecte sa vaste expérience. J'ai toutefois un petit désaccord en ce sens qu'on ne devrait pas laisser aux gens le choix de reporter leur décision. Je pense que cela saperait énormément la valeur du programme. Je crains que bien des gens—comme on a pu le constater dans une certaine mesure en Virginie—choisissent donc de reporter leur décision, si on leur en donne la possibilité. Je crains qu'ainsi nous aboutissions au même résultat qu'actuellement.

Pour protéger les gens qui craignent de dire oui ou non, nous pourrions donner aux familles le pouvoir d'imposer leur veto. Je pense qu'il est important que les gens réfléchissent à la question, car si nous leur donnons cette possibilité, nombreux sont ceux qui choisiront la solution facile.

Je ne suis pas non plus d'accord avec le Dr Yun quand il dit que la seule raison pour laquelle nous parlons d'un choix autorisé, c'est à cause de la pénurie d'organes. Le choix autorisé pourrait avoir une autre fonction fort utile—car, beaucoup plus que n'importe quel autre régime de consentement, il permettrait que les souhaits de l'intéressé soient respectés.

Ainsi, mieux que tout autre système, il garantit l'autonomie. Nous ne savons pas si cela va nous procurer plus d'organes ou non. Peut-être que oui, peut-être que non, mais ce régime garantirait que les souhaits de chacun seraient respectés, quels qu'ils soient.

Le président: Monsieur Bulka.

Le rabbin Reuven Bulka: La question que vous soulevez nous force à réfléchir davantage à ce que représente vraiment ce régime. Nous ne forçons pas les gens à accepter de donner leurs organes, nous les forçons à faire un choix. Et ils peuvent parfaitement dire non, et leur choix sera alors respecté.

Pour ma part, et je crois que tous ceux qui sont ici présents sont du même avis que moi, je m'oppose à une loi qui donnerait au gouvernement plein pouvoir de s'approprier les organes des Canadiens, s'ils meurent.

Il y a des pays où c'est ainsi, soit dit en passant. Les pays musulmans ont de telles lois. Nous nous opposons à cela.

• 1010

Je pense qu'en signalant à la population en général qu'il faut faire un choix, qu'on peut dire oui ou non, on ne les force pas à dire oui. Nous pouvons les encourager à dire oui mais ils ont parfaitement le droit de dire non. Si pour des raisons religieuses ils ne peuvent pas dire oui, soit. Au Canada, il y a beaucoup de gens dont les croyances religieuses non seulement permettent le don d'organes mais reconnaissent que c'est une chose prodigieuse à faire.

Ainsi, je ne pense pas que nous bousculions qui que ce soit. Nous le ferions si nous forcions les gens à faire une chose qu'ils ne souhaitent pas. D'après ce que je vois, il n'en est rien. Loin de là.

Le président: Merci, monsieur Bulka.

Madame Ur.

Mme Rose-Marie Ur (Lambton—Kent—Middlesex, Lib.): Merci, monsieur le président. La discussion est des plus intéressantes.

Docteur Yun, je vais m'en prendre un peu à vous ce matin. Vous avez certainement apporté une autre dimension à nos discussions.

Pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé cette volte-face dans votre attitude à l'égard des greffes d'organes? Deuxièmement, puisque vous vantez les vertus d'autres moyens de procéder à des transplantations, vous devez être un tenant de la xénotransplantation, n'est-ce pas?

Dr John Yun: Mon expérience est très simple. J'ai tenu pour acquis bien des hypothèses pour aboutir à la conclusion qu'en cas de mort cérébrale, le patient est mort. Dans ma poche, mon permis de conduire signale que je donne mes organes. C'est l'été dernier que j'ai commencé à éprouver des difficultés car, en parlant avec un ami, il a soulevé la notion philosophique de l'âme qui quitte le corps, ce qui est une définition chrétienne.

Souvent, des bouddhistes me demandent de ne pas toucher leurs corps, sous aucun prétexte. Ils croient que l'âme continue de vivre dans le corps tant que la matière physique subsiste.

Cette réaction a soulevé la question de la mort éventuelle. Voilà donc le problème fondamental qui se pose à moi personnellement.

La semaine dernière, on m'a appelé pour que je déclare la mort cérébrale d'un patient. J'ai pu faire mon diagnostic sans angiogramme ou électroencéphalogramme. J'ai pu vérifier le tronc cérébral par procédé clinique. Cela fait, je me suis heurté au dilemme de devoir déclarer la mort cérébrale de cette personne. J'ai pu démontrer l'absence totale de réflexe du tronc cérébral. Je pouvais donc constater la mort cérébrale mais cette personne était-elle vraiment morte?

Voilà ce qui ne cesse de me hanter. Si cette personne est vivante, la question devient alors tout à fait différente.

Mon revirement est très simple quant au moment où une personne meure. Une personne meurt-elle plus d'une fois, la mort réelle suivant la mort cérébrale? Est-ce le cerveau qui abrite l'âme?

C'est en me posant cette question que j'ai changé d'attitude.

Mme Rose-Marie Ur: Autrement dit, ce sont les autres questions plutôt que des raisons médicales qui vous ont fait changer d'avis, n'est-ce pas?

Dr John Yun: En fait, c'est un peu pour des raisons médicales. Je ne m'occupe pas de cancéreux mais parfois quand on entre dans une pièce, on est étonné de se rendre compte qu'une personne qui peut sembler morte est encore vivante. C'est seulement en s'approchant qu'on se rend compte que la personne est malade, respire à peine, mais qu'elle est encore vivante. Je dois sans cesse me répéter que cette personne est vivante et qu'elle mérite tous les soins possibles. Parfois on est tenté de se dire: «Cette personne est presque morte, je vais la laisser aller».

Il y a donc en partie mon expérience personnelle, les soins que je donne aux agonisants. Un patient mort cérébralement est-il un agonisant ou un mort? Je vous fais part de mon expérience clinique personnelle.

Mme Rose-Marie Ur: En fait, ce que vous venez de dire—j'ai peut-être mal compris—c'est-à-dire que si une personne semble être sur le point de mourir, on l'abandonne et on la laisse mourir. Autrefois, j'étais infirmière, et ce n'est pas ainsi que je traitais mes patients. J'étais présente jusqu'au dernier instant. Même sachant qu'un patient allait mourir, je ne l'abandonnais pas.

Dr John Yun: Je suis ravi de vous entendre dire cela et c'est ce que j'essaie de faire moi-même.

Quelqu'un m'a un jour dit quelque chose de très intéressant. Disons qu'il y a deux personnes émaciées, très faibles, agonisantes. Dans un cas il s'agit d'un mendiant, trouvé dans la rue, et dans l'autre cas d'un millionnaire. On m'a demandé vers lequel je me tournerais en entrant dans la pièce. Je me suis senti coupable immédiatement car je poserais sans doute les yeux sur le millionnaire.

Pourquoi est-ce que je vous raconte cela? Nous sommes tous animés d'intentions pures mais en pratique, nos hypothèses, notre subjectivité, affectent la pureté de nos intentions.

• 1015

Je ne dis pas qu'un moribond cesse pour autant d'être une personne, mais il est très tentant de s'en désintéresser et de ne pas lui donner tous les soins auxquels il a droit.

Mme Rose-Marie Ur: Pour ce qui est de la xénotransplantation...

Le président: Madame Wasylycia-Leis.

Mme Rose-Marie Ur: Il n'a pas répondu à ma question. Je la lui reposerai plus tard.

Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD): Merci, monsieur le président.

Je voudrais revenir sur la question du choix autorisé quand il s'agit d'aller à l'encontre de l'opinion de la famille. Il semble que ce soit cet aspect qui crée le plus de dissensions et c'est en tout cas une question qui a donné lieu à un débat animé. Il y a une vaste gamme d'opinions à cet égard.

Mes questions s'adressent donc à l'ensemble des témoins, si le temps permet que chacun y réponde.

Le président: Madame Wasylycia-Leis, vous allez peut-être devoir vous en tenir à une seule question parce que je suppose que vous obtiendrez une réponse de plus d'un témoin et vous risquez de ne pas avoir le temps de poser toutes vos questions.

Mme Judy Wasylycia-Leis: D'accord. Je vais commencer par le Dr Spital. Je vais poser mes questions et si le temps le permet, les autres pourront répondre.

Quelle preuve avez-vous que le choix autorisé va en fait permettre d'augmenter le nombre des donneurs dans la société actuelle? Quelle preuve avez-vous que si le consentement de la famille a préséance, cela altérera l'augmentation des dons? Quel mécanisme réglementaire ou législatif faudrait-il prévoir pour concrétiser cela? Quel palier de gouvernement, fédéral ou provincial, devrait intervenir? Cela pourrait-il se faire grâce à un mécanisme fédéral-provincial, mixte, coopératif?

En terminant, nombre de témoins qui ont comparu devant le comité ont dit que notre société n'avait pas pris les décisions ou positions élémentaires permettant d'augmenter le nombre de donneurs d'organes au Canada. Avant même de se pencher sur la question du choix autorisé et de la préséance du consentement de la famille, il faut reconnaître que nous n'avons pas fait oeuvre éducative auprès de la population pour la sensibiliser à l'importance du don d'organe. Les centres de greffes d'organes ne disposent pas non plus des équipes de professionnels qui pourraient travailler au sein de la collectivité et avec les familles. Nous n'avons pas utilisé tous les moyens à notre disposition pour nous attaquer véritablement au problème.

Je me demande donc s'il ne serait pas important que nous franchissions les premières étapes élémentaires, que nous mettions en oeuvre les recommandations qui ont été faites à maintes reprises par d'autres comités, notamment par le Comité fédéral-provincial qui a étudié la question avant de songer au choix autorisé et à la préséance du consentement de la famille?

Le président: Docteur Spital, je sais qu'on vient de vous poser une question unique.

Dr Aaron Spital: Il me faudrait disposer de quelques heures pour y répondre.

Je dois dire tout d'abord que le choix autorisé n'est pas à vrai dire une suggestion radicale du point de vue de l'incidence sur la famille.

Robert Veatch qui est un éthicien bien connu de Washington, D.C., a signalé que le consentement de dons d'organes prélevés sur un cadavre reposait au Canada et aux États-Unis sur un fondement juridique individualiste. En effet il est prévu que les souhaits de l'individu seront respectés et le consentement de la famille intervient pour régler des situations où quelqu'un n'aurait pas exprimé ses souhaits, ou ne se serait pas prononcé. Le choix autorisé, en mettant l'accent sur la décision individuelle, ne fait qu'expliciter la loi qui prévoit déjà comment les choses devraient se passer.

En outre, les sondages d'opinions révèlent la même chose. Aux États-Unis, nous avons fait un sondage Gallup qui révèle que la majorité des gens pensent que c'est la personne individuelle plutôt que la famille qui devrait prendre la décision du sort des organes après la mort. Ainsi, le grand public appuie totalement l'intention de la Uniform Anatomical Gift Act, aux États-Unis, et de la Loi sur le don de tissus humains, en Ontario.

Vous m'avez demandé quelle preuve nous avions pour dire que le choix autorisé permettrait l'augmentation du nombre de dons d'organes, et que je sache, nous n'avons pas de preuve à cet égard. Ce sont là des suggestions que nous faisons après avoir réfléchi à certaines hypothèses. Bien sûr, tant que nous n'aurons pas essayé, nous ne saurons pas.

Voilà pourquoi je pense qu'il faut procéder à une étude pilote. Je pense que les hypothèses et le raisonnement sont solides et qu'une étude pilote est très justifiée.

• 1020

Je ne recommande pas que cela soit automatiquement mis en oeuvre à l'échelle de l'État, de la province ou du pays. Je pense qu'il faudrait voir le fonctionnement de cette méthode à l'échelle locale et décider ensuite si elle mérite qu'on lui donne une portée plus vaste.

Le président: Monsieur Bulka, vous voulez répondre.

Le rabbin Reuven Bulka: J'aimerais parler de la préséance de la décision de la famille. C'est une question épineuse. Je pense que nous nous sommes trompés à cet égard. Il y a ici un problème moral mais également un problème religieux, très épineux.

Par exemple, si une personne fait un testament, ses dernières volontés, parce qu'elle les a exprimées dans un testament, seront respectées. Maintenant, pour une raison quelconque, quand il s'agit d'organes, les choses sont déformées.

D'un point de vue religieux, si une personne souhaite faire don de ses organes pour permettre à quelqu'un d'autre de vivre, cela revient pour elle à dire qu'elle veut accomplir ainsi un acte méritoire. Pour ce que cela vaut, cela représente pour elle un meilleur passeport pour l'autre monde, et pour elle c'est absolument vital.

La question qu'il faut se poser est la suivante: comment en sommes-nous arrivés à donner à d'autres gens, peu importe qui ils sont, le droit de passer outre aux désirs d'une personne qui souhaite sauver la vie à quelqu'un?

Il y a certainement matière ici à arguer que c'est immoral, contraire à l'éthique et un sacrilège de faire cela à quelqu'un qui veut véritablement sauver la vie de son prochain et d'intervenir ainsi pour l'empêcher de le faire.

Donc pour ce qui est de cette question, je pense que nous faisons totalement fausse route. Il ne s'agit pas tout simplement d'amener la société à accepter l'idée car il faut bien dire qu'il n'y a aucun fondement logique, moral ou religieux justifiant qu'on ait adopté cette position au départ. Nous devrions très facilement évoluer vers une attitude différente à cet égard, car en tant que Canadiens, nous comprenons la notion de démocratie, à laquelle souscrivent les groupes religieux, et nous aurions dû naturellement respecter cela depuis toujours.

Cette question est donc tout à fait compréhensible mais je pense que nous devrions réfléchir pour nous demander comment il se fait que nous nous soyons mis dans ce pétrin. Nous devrions nous tirer de là car cela ne repose sur rien.

Il est indéniable—et le Dr Spital en a témoigné—que la préséance de la volonté de la famille est une question dominante quand il s'agit de l'approvisionnement en organes mais elle ne repose sur rien.

Dr Aaron Spital: Puis-je faire une brève remarque là-dessus? Je suis tout à fait d'accord avec le rabbin Bulka en effet.

J'ajouterai qu'actuellement, il est très rare, lorsque quelqu'un a déclaré vouloir donner ses organes après sa mort, et que sa famille s'y oppose, qu'il nous faille donc aller à l'encontre des voeux de la famille. Il est peu probable que ce genre de situation se produise. C'est possible, mais cela n'arriverait que rarement.

La vaste majorité des familles, lorsqu'elles connaissent les voeux de leurs proches, veulent s'assurer que ses voeux sont respectés. La question de la préséance du consentement de la famille ne se pose donc pas; il s'agit plutôt de renseigner les membres d'une famille sur ce que leurs proches souhaitaient. Ainsi, la plupart des familles se sentiront réconfortées car actuellement, elles doivent prendre leurs décisions sans pouvoir savoir ce que leurs proches auraient souhaité.

Le président: Merci beaucoup, docteur Spital. Je suis content que vous ayez soulevé ce dernier point car il y a là un volet juridique, concernant le sort des organes et concernant—vais-je oser utiliser le mot—«leurs propriétaires» après la mort.

Dr Dossetor—sans vouloir le pousser malgré lui dans cette discussion—signale dans son mémoire la zone grise que représente sur le plan juridique, la propriété des organes après la mort.

Permettez-moi, docteur Dossetor, de vous inclure dans la discussion.

Dr John Dossetor: Si je ne m'abuse, en droit, personne ne possède un cadavre. La famille du mort a la responsabilité de s'occuper du corps. Par testament, on ne peut pas laisser son corps à qui que ce soit parce que ce n'est pas une possession. Ainsi, en droit, le corps ne peut pas faire partie de la succession.

La propriété d'un corps n'est donc pas exprimée en droit. Ainsi, le corps n'appartient à personne. En fait, par exemple, en théorie, si on est sur le point de greffer un organe à quelqu'un dans un hôpital, et que quelqu'un vient d'un autre hôpital, voler l'organe en question, en droit, il n'est coupable que d'intrusion illicite. Cet objet-là ne peut pas être volé.

• 1025

Il y a donc une lacune étonnante dans la loi, si je comprends bien.

Le président: Merci, docteur Dossetor.

Nous n'avons plus de temps que pour deux questions. La parole est à Mme Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Docteur Spital, j'aimerais parler de la dernière question. Vous proposez de demander à la famille à un moment des plus pénibles, quelque chose qu'elle n'aurait jamais dû avoir à se demander. Nous nous sommes concentrés sur la question de savoir s'il y a lieu ou non d'autoriser le don d'organes.

Un intervenant qui m'a précédée, le Dr A. MacDonald, des Maritimes, a mentionné le fait que quand nous disposons d'équipes formées de façon adéquate, et il ne s'agit pas nécessairement du médecin qui a traité la personne à l'hôpital mais de quelqu'un qui a été formé pour s'occuper précisément de ces questions, le taux de refus est très bas. En fait, en Espagne, le taux de refus atteint les 40 p. 100. Ce n'est pas ce qui pose problème dans ce pays, mais plutôt le fait que nous n'avons pas suffisamment d'organes parce que nous n'avons pas en place les équipes qu'il faudrait pour poser la question.

Je comprends bien qu'il est ici question d'une autre façon d'envisager cette situation, mais j'aimerais mentionner à quel point il est utile d'avoir des équipes dans les hôpitaux pour effectivement demander aux familles si elles acceptent d'autoriser un don d'organes. Avez-vous examiné cet aspect?

Dr Aaron Spital: Je n'ai pas songé à la possibilité d'avoir des équipes dans les hôpitaux. En ce moment, aux États-Unis, une nouvelle loi fédérale dispose que toutes les personnes décédées ou sur le point de mourir doivent être signalées à des organisations de fourniture d'organes, et que les seules personnes qui seront autorisées à demander aux familles leur consentement seront ce qu'on appelle les demandeurs désignés. Ce sont des personnes qui ont la formation et l'expérience voulues pour demander un consentement en vue d'un don d'organes.

Selon ce point de vue, et d'après le peu d'expérience dont on dispose, comme vous l'avez souligné, c'est qu'ils s'y prendront mieux et que les taux de consentement augmenteront, quand les demandeurs désignés, des gens qui ont l'expérience de ce genre de choses, qui ne craignent pas de poser ces questions, seront ceux qui effectivement les poseront.

J'appuie ces efforts. Ils me semblent méritoires. Toutefois je n'estime pas que cela atténue le moindrement l'intérêt qu'il y a à recourir au choix autorisé, parce que je pense qu'il serait néanmoins très bon que la famille sache tout au moins ce qu'aurait souhaité celui ou celle qu'ils viennent de perdre.

En outre, même si nous pouvions ainsi faire augmenter les taux de consentement, nous devrions nous demander qui devrait vraiment être en mesure de prendre la décision. Quand nous nous posons la question, la plupart d'entre nous répondons que nous voulons prendre cette décision nous-mêmes. Nous ne voulons pas que quelqu'un la prenne à notre place.

Si c'est le sentiment que nous avons—et c'est d'ailleurs ce qu'indiquent les sondages d'opinions—je pense que ce sont là des questions que nous ne devrions pas trancher à titre individuel. Nous devrions discuter de ces questions puis demander à l'ensemble de la société ce qu'elle en pense. Elle touche véritablement aux valeurs auxquelles nous tenons. Je pense que la plupart des gens estiment vouloir prendre ces décisions eux-mêmes.

Encore là, même si nous pouvions faire augmenter les taux—et je crois que nous pouvons le faire par les mécanismes que vous avez décrits—il vaut quand même mieux sur le plan éthique de faire en sorte que les particuliers prennent ces décisions eux-mêmes.

Mme Karen Redman: Mis à part le testament biologique, à quel mécanisme songeriez-vous? Mis à part le permis de conduire, aussi, y a-t-il un autre moyen pour le particulier de faire état de son choix?

Dr Aaron Spital: On a suggéré plusieurs moyens. Le permis de conduire en est un. Bien sûr, je tiens à dire que je ne serais pas d'accord pour que lorsqu'on se présente à un bureau des permis de conduire on se fasse poser la question là sur place. Il faut pouvoir y réfléchir bien avant de se présenter là, savoir qu'on nous posera la question et qu'il faudra y répondre.

Certains ont suggéré qu'on pose la question aux contribuables dans les déclarations d'impôt. Ce que je redoute, c'est que les gens ne sentent pas particulièrement généreux à ce moment-là.

Des voix: Oh, oh!

Dr Aaron Spital: Dans certains pays, on a des cartes d'identité, et ce choix pourrait y figurer.

On a aussi suggéré certains mécanismes où pourrait figurer cette déclaration.

Le président: Merci.

Je donne la parole à M. Vellacott.

M. Maurice Vellacott (Wanuskewin, Réf.): Je vais poser une brève question et je demande à chacun des membres du groupe de répondre simplement par oui ou non.

D'abord, est-ce qu'un nouveau-né anencéphale—autrement dit, un bébé né sans cerveau mais doté d'autres organes et tissus viables—devrait être considéré comme un donneur?

Docteur Bulka, puis les autres ensuite, oui ou non. Pensez-vous qu'il devrait être considéré comme un donneur ou non.

Le rabbin Reuven Bulka: La question est épineuse. Je ne crois pas pouvoir répondre par oui ou non.

• 1030

Dans un cas de ce genre, c'est une zone très risquée où on ne souhaite pas voir l'État intervenir. Il faut qu'il existe un mécanisme par lequel, étant donné que l'enfant ne peut pas décider—j'aurais plutôt tendance à permettre à la famille décider pour l'enfant dans un tel cas. La solution de rechange serait de faire intervenir le gouvernement, mais on s'aventurerait alors sur un terrain glissant.

M. Maurice Vellacott: Bon. Ils sont donc en état de mort cérébrale.

Dr Aaron Spital: Je suis d'accord avec le rabbin Bulka.

M. Maurice Vellacott: Vous pensez que c'est une affaire de famille?

Dr Aaron Spital: Je pense que c'est quelque chose que les familles devraient pouvoir décider. Le diagnostic d'anencéphalie peut être posé avec un fort degré de certitude. C'est un diagnostic très fiable. Je pense que la famille devrait pouvoir prendre la décision.

M. Maurice Vellacott: Malgré le fait que la personne soit en état de mort cérébrale, qu'il n'y ait aucune réaction cérébrale ni rien d'autre.

Docteur Yun.

Dr John Yun: Je ne suis pas du tout d'accord avec les deux intervenants qui m'ont précédé. De nombreux bébés anencéphales respirent spontanément. Ils peuvent avaler. Ils réagissent aux stimulus. Ils ne sont pas en état de mort cérébrale, selon ce qu'on m'a enseigné, et ont tous les réflexes du tronc cérébral, et ainsi de suite.

Je n'essaie pas de personnaliser le débat—je regrette—mais nous avons déjà supposé qu'un bébé anencéphale, privé de cerveau, n'est pas une personne. À mon sens, c'est une erreur.

On a là quelqu'un de vivant... et quand quelqu'un vit, ce n'est pas parce qu'il est privé de cerveau qu'il n'est pas nécessairement une personne. Le siège de l'âme, dans la pensée chrétienne, n'est pas nécessairement le cerveau. Usez de la prudence à cet égard. Un être est soit mort soit vivant. Si un être est vivant, lui-même et sa famille doivent bénéficier de toute la protection que lui offre la loi.

Usez donc de la plus grande prudence dans le choix des suppositions que vous faites.

M. Maurice Vellacott: Bien.

J'ai une autre brève question à poser ici, et peut-être pourriez-vous, le premier, me donner une réponse, docteur Dossetor.

Dr John Dossetor: Je reformule la question, donneur ou pas?

M. Maurice Vellacott: Oui.

Dr John Dossetor: Non.

M. Maurice Vellacott: Ou devrait-on supposer qu'il s'agit là d'un donneur?

Dr John Dossetor: Je ne pense pas

M. Maurice Vellacott: D'accord.

Rapidement, peut-être pourrait-on évaluer pour moi qui serait, si l'on veut, le receveur idéal d'une greffe d'organes. Présentons les choses ainsi. Supposons que tous les receveurs éventuels ont un état de santé général comparable. Accorderiez-vous plus de points au candidat qui est plus jeune et se classerait-il le plus haut sur la liste des receveurs potentiels?

Ou supposons que ce receveur potentiel touche le principal revenu de la famille. Est-ce que cela le ferait grimper dans la liste des receveurs?

En outre, supposons que je suis quelqu'un qui...

Le président: Si vous ne vous arrêtez pas là, nous n'aurons pas suffisamment de temps pour répondre à la question.

M. Maurice Vellacott: Je veux simplement qu'on envisage sous différents angles la façon d'établir les critères.

Supposons aussi que j'ai un problème de tabagisme et...

Le président: C'est terminé dans environ 30 secondes, monsieur Vellacott, donc si vous voulez une réponse, vous devez vous arrêter.

M. Maurice Vellacott: Très bien.

Le rabbin Reuven Bulka: Rapidement, je veux simplement revenir à la première question et préciser que nous y avons répondu en supposant qu'il n'y avait aucune activité cérébrale chez le bébé dont vous parliez. C'est tout à fait...

M. Maurice Vellacott: Oui, mais je suis en fait passé à autre chose maintenant.

Le rabbin Reuven Bulka: Je comprends, mais je tenais simplement à le préciser.

Sur cette nouvelle question, nous pourrions en parler pendant des jours sans fin. A cause de notre tradition, nous fondons notre évaluation sur le critère suivant: nous demandons au médecin quelle personne parmi celles devant nous a la meilleure chance de survie.

Voilà, c'est notre critère.

M. Maurice Vellacott: Très bien.

Dr Aaron Spital: Je ne pense pas qu'il faille retenir l'âge comme critère d'affectation des ressources. Je n'y ai pas beaucoup réfléchi, mais ma première impression, c'est qu'il ne faut pas non plus tenir compte de la capacité de rémunération. C'est une chose qui, à mon avis, qui peut changer en tout temps.

Les gens doivent pouvoir se faire concurrence sur un pied d'égalité. Toute personne a une valeur intrinsèque et doit pouvoir tenter d'obtenir des organes sur un pied d'égalité avec les autres.

Le président: Docteur Yun.

Dr John Yun: Je n'ai rien à ajouter.

Le président: Docteur Dossetor.

Dr John Dossetor: Je pense que le critère doit être l'optimisation du résultat, la vie humaine. Ainsi, c'est très difficile, mais il va de soi qu'il faut complètement exclure la valeur sociale, la richesse et l'âge. Il faut mettre l'accent sur le résultat.

Le président: Merci, docteur Dossetor.

• 1035

Je voulais donner à tous les membres du comité la possibilité de poser une question. Nous avons dépassé le temps alloué, mais je vais donner la parole à deux derniers députés.

Je vais vous demander de vous en tenir à une question chacun. Veuillez préciser à qui vous voulez poser la question et ensuite je passerai immédiatement au second.

Monsieur Myers.

M. Lynn Myers (Waterloo—Wellington, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Vous avez parlé, docteur Spital, de choix autorisé. Je pense qu'en réponse à une question précédente, vous avez précisé quelques options et mécanismes.

Je veux vous demander, docteur Dossetor et rabbin Bulka, si vous avez une préférence quant au meilleur moyen de procéder. En d'autres termes, avez-vous une recommandation à l'intention du comité quant à la meilleure façon d'en arriver au choix autorisé?

Dr John Dossetor: J'aurais recours à un formulaire national tel que la déclaration d'impôt. Je préciserais également que ce choix est tout à fait distinct de la possibilité pour la famille de l'annuler. C'est là une question tout à fait distincte.

Comme je l'ai dit, je préconise une question à trois volets, mais un choix autorisé.

Le rabbin Reuven Bulka: J'opterai plutôt pour un formulaire de type signalétique. Je partage l'avis du Dr Spital que le moment de la déclaration d'impôt sur le revenu n'est pas le plus approprié. Après tout, je suis en train de donner tout mon argent au gouvernement, pourquoi donner aussi mes organes? C'est la mentalité des gens.

Je préconise très fortement un questionnaire semblable à celui du recensement. C'est ce qui est le plus raisonnable dans les circonstances. Il faudrait au préalable beaucoup d'éducation, car après tout nous tentons de modifier une attitude ancrée, ce qui n'est pas facile.

M. Lynn Myers: Merci beaucoup.

Le président: Monsieur Jackson.

M. Ovid L. Jackson (Bruce—Grey, Lib.): Je n'ai qu'une brève question rapide, monsieur le président.

J'aimerais savoir quel est le pronostic pour un enfant anencéphalique, en état de mort cérébrale. Combien de temps cet enfant peut-il vivre?

Le président: Adressez-vous la question à quelqu'un en particulier?

M. Ovid Jackson: J'attends une réponse de celui qui peut répondre. Que ce soit fait maintenant ou plus tard par écrit, je pense que c'est une bonne question.

Dr John Dossetor: Je pense pouvoir répondre.

Ces enfants meurent toujours, en général en quelques jours, mais comme l'a mentionné le Dr Yun, il se peut qu'ils respirent. Ainsi le tronc cérébral fonctionne. Qu'ils soient en état de mort cérébrale ou qu'il y ait manque de vie cérébrale devient une question philosophique.

Dr John Yun: Nombre de mes patients cancéreux meurent aussi en quelques jours, mais la question fondamentale n'est pas de savoir combien de temps ces patients vivent, mais plutôt sont vraiment vivants. Je reviens constamment à cette question fondamentale.

M. Ovid Jackson: À mon avis, c'est une question d'éducation.

Le président: J'ai une très brève question moi-même.

Docteur Dossetor, dans votre mémoire, vous parlez du fait que les greffes d'organes font maintenant partie «des soins médicaux normaux». Je pense que c'est l'expression que vous avez utilisée. Qu'entendez-vous au juste par là.

Est-ce une procédure qu'on exécute deux ou trois fois par semaine? Est-ce que cela répond à un ensemble de critères établis par quelqu'un ou est-ce que cela fait partie d'une autre catégorie?

Dr John Dossetor: Je voulais dire que lorsqu'on sort de l'étape expérimentale, cela devient un traitement normal. C'est le meilleur traitement dans les cas d'insuffisance rénale chronique et par conséquent, c'est la pratique médicale normale.

Le président: Généralement reconnu comme tel? Est-ce ce que vous voulez dire?

Dr John Dossetor: Oui. C'est reconnu universellement au Canada comme tel.

Le président: Très bien.

Dr John Dossetor: Le manque d'organes est un problème.

Le président: Je comprends.

Comme vous l'avez tous compris, les membres du comité aimeraient poser beaucoup d'autres questions. Je prends à mon compte le fait que j'ai dû mettre fin à la discussion.

Au nom des membres du comité et en mon nom, je tiens à vous remercier d'avoir su nous faire profiter de votre sagesse et de votre compétence. Il est regrettable que nous n'ayons pas plus de temps, mais d'autres sont tout aussi impatients de nous donner leur avis sur ce sujet.

Encore une fois, au nom de nous tous, merci beaucoup, docteur Dossetor, docteur Yun, docteur Spital et rabbin Bulka.

Nous allons nous arrêter deux minutes pendant que les autres témoins prennent place.

• 1039




• 1046

Le président: Chers collègues, nous poursuivons notre examen en matière de bioéthique et d'éthique en général associée aux dons et aux transplantations d'organes.

Ce groupe comprend, du Conseil médical de recherches du Canada, le Dr Francis Rolleston, directeur, Éthiques et relations internationales; le Dr Ruth Oliver, psychiatre, qui se présente à titre personnel;,de l'Université de Victoria, le Dr Eike-Henner Kluge, président du Département de philosophie; de l'Hôpital d'Ottawa, le Dr Robert Nelson, professeur en médecine neurologique et, à titre personnel, le Dr Michael Brear.

J'ai remarqué que certains d'entre vous étaient dans la salle au cours de la présentation du dernier groupe, donc vous connaissez le processus. Nous allons demander à chacun de faire un exposé d'environ cinq minutes. Je vous demanderai de ne pas prendre plus de temps. Ensuite, nous passerons aux questions provenant des collègues des deux côtés de la table.

Nous allons commencer par la Dr Ruth Oliver.

Dr Ruth Oliver (témoignage à titre personnel): Ce que j'ai de plus important à vous dire aujourd'hui, c'est que si vous pouvez me voir, m'entendre et comprendre ce que je dis, que vous me croyez ou non ou que vous partagiez mon avis ou non, il vous faut savoir qu'il y a 22 ans ce mois-ci, j'ai survécu à la mort clinique—certains diraient la mort cérébrale. Pendant une période de moins de 24 heures, j'ai atteint cet état deux fois et j'ai dû être réanimée trois fois.

Aujourd'hui, 22 ans plus tard, je suis le témoignage vivant que l'on peut survivre à ce que l'on appelle la mort clinique et la mort cérébrale et non pas seulement survivre comme un légume, terme dérogatoire, s'il en est, mais devenir tout à fait fonctionnelle, et contribuer à part entière à la société.

J'étais résidente en psychiatrie de troisième année lorsque cet événement est survenu. Dix-huit mois plus tard, j'ai passé mon examen de philo, mon examen de spécialité. Six mois plus tard, je me suis présentée à mon examen d'accréditation car en tant que médecin étranger, il fallait me faire accréditer pour pratiquer comme médecin indépendant. Ainsi, après cet événement, je me suis adonnée à plusieurs exercices intellectuels.

N'oubliez pas, vous avez vu et entendu une personne qui a vécu ce genre de chose et vous savez que l'on peut y survivre. Voilà le message le plus important.

• 1050

Permettez-moi de vous donner quelques antécédents cliniques. J'avais fourni l'information, malheureusement, le document n'a pas encore été traduit en français. J'ai laissé deux autres exemplaires en anglais ici, mais pas suffisamment tôt pour que la traduction soit faite à temps.

Cette histoire s'est passée pas très loin, à l'Hôpital général de Kingston. J'étais à l'Université Queen's, en troisième année de résidence en psychiatrie. J'avais 30 ans, j'étais enceinte pour la troisième fois. Tout se déroulait tout à fait normalement jusqu'à la 35e semaine de gestation. Je me suis rendue à l'urgence parce que j'avais des palpitations.

On m'a gardée à l'hôpital. Grâce à l'imagerie médicale et aux rayons-X, on a découvert que je souffrais d'hydropisie de l'amnios, une grande accumulation de fluide et que mon bébé était anencéphalique. On a provoqué les contractions le 25 mars. Mon fils mort-né, anencéphalique, est né tout juste après minuit, le 26 mars.

J'ai perdu entre 1 et 1,5 litre de sang lorsque le placenta a été expulsé. J'étais donc très anémique. Lors de ma première réanimation, il a fallu me transfuser, parce que vers 3 heures du matin le lendemain, le 27 mars, donc environ 26 heures après l'accouchement, je saignais continuellement. Mon état s'est détérioré jusqu'à la perte de conscience et, à 8 heures le matin, j'étais dans un état comateux, et j'avais le cou très raide. Ma tension artérielle était tombée à 70.

On m'a donc réanimée une première fois. Il a fallu me donner beaucoup de sang.

À ce moment-là on ne savait pas pourquoi j'étais inconsciente. On a fait un angiogramme. On a constaté que les vaisseaux sanguins avaient dévié et donc on a conclu à l'hématome ou hémorragie cérébrale, si vous voulez.

On a fait venir un neurochirurgien. On a effectué une craniotomie pour constater qu'il n'y avait rien au cerveau. Il n'y avait pas eu d'hémorragie. Lors de la procédure, le neurochirurgien n'a trouvé aucun problème, mais immédiatement ensuite, le cerveau a commencé à enfler rapidement et a saigné tout au long de l'incision, de façon incontrôlable.

Je suis alors tombée dans le coma et j'ai cessé de respirer. On m'a branchée à un respirateur artificiel. Mon mouvement oculaire s'était détérioré et je ne réagissais pas à la douleur très profonde. Je suis donc retournée aux soins intensifs dans un état critique car le saignement continuait.

Une heure après la chirurgie, et dans la salle des soins intensifs, j'ai commencé à manifester les symptômes irréversibles de la mort—pupilles fixes et dilatées, quadriplégie, aucune réaction à la douleur. Heureusement pour moi, sur place, mon neurochirurgien a ouvert le clapet, inséré une seringue et a retiré du sang. Immédiatement, mes pupilles ont repris leur taille et ont commencé à réagir, à devenir égales. On m'a ramenée immédiatement au bloc opératoire car l'hémorragie continuait.

Pendant qu'on me préparait pour la chirurgie, mes pupilles sont devenues fixes et dilatées, j'ai atteint un état de quadriplégie, j'ai cessé de réagir à la douleur et de respirer. On a dû me réanimer pour la troisième fois.

Encore une fois, j'avais perdu 220cc de sang. Lorsque l'on saigne, lorsqu'il y a oedème cérébral, la partie vitale du cerveau qui contrôle le pouls, la tension artérielle glisse dans la moelle épinière. C'est ce qu'on appelle une hernie tentoriale.

• 1055

Le neurochirurgien m'a dit plus tard que personne n'avait survécu à une hernie tentoriale. J'y ai survécu deux fois. Il m'a dit qu'on ne trouvait rien dans la documentation à ce sujet. Il n'en avait jamais vu, n'en avait jamais entendu parler.

Je vous raconte tout cela simplement pour vous montrer que ce qui peut sembler tout à fait critique, un arrêt de toutes les fonctions vitales... 24 heures plus tard, j'étais consciente. Le lendemain matin, j'étais intelligente, j'étais éveillée, je réagissais à la douleur. Vingt-quatre heures encore et on a enlevé le respirateur artificiel.

Le reste, c'est de l'histoire. C'était compliqué, je suis restée à l'hôpital trois mois et demi, mais je ne veux vous parler que de la période pendant laquelle on peut dire que j'étais en était dit de mort clinique. Certains prétendront que parce qu'il n'y a pas eu d'EEG, je n'étais pas en état de mort cérébrale, mais j'ai quelque chose à dire à ce sujet.

Lorsque j'ai été suffisamment consciente pour comprendre ma situation, de nombreuses personnes sont venues voir celle que l'on appelait la patiente miracle.

Après mon congé de l'hôpital, lorsque je me suis plainte à mon médecin d'une légère difficulté de prononciation, que vous avez peut-être décelée, il a tout simplement ri après ce que j'avais vécu. C'est la seule séquelle, un peu de dyslexie, un léger problème parfois à désigner quelque chose. Je sais dans ma tête ce que je veux dire, mais le mot ne sort pas clairement.

J'étais également épileptique. Je suis entrée en crise d'épilepsie pendant plusieurs jours, en plein pendant la phase aiguë. C'est le 1er avril de cette année que s'est écrit le dernier chapitre de mon épilepsie. À maintes reprises au fil des ans, on a tenté de me sevrer de mes médicaments. À chaque fois, je faisais une crise d'épilepsie et mon EEG redevenait anormal.

Le 1er avril, j'ai fait un acte de foi. Sans honte, je vais vous dire que j'ai prié pour cela, et lorsque mes médicaments ont été épuisés à la fin mars, je n'ai tout simplement pas renouvelé mon ordonnance. J'ai tout simplement cessé de prendre mes médicaments.

Maintenant 10 mois plus tard, je n'ai toujours pas eu de crise d'épilepsie, pas même un petit tremblement, rien.

Je n'ai donc aucun symptôme sauf—et je le dis en toute humilité—que j'éprouve parfois quelques problèmes à nommer les choses.

Le président: Puis-je vous demander de conclure votre exposé?

Dr Ruth Oliver: Vous savez, au cours de toutes ces années, il ne m'est jamais venu à l'idée de demander mon dossier médical. Vendredi dernier, par FedEx, j'ai reçu mes notes médicales de l'Hôpital général de Kingston. C'est volumineux, mais les documents ne portent que sur la période de crise. Cela donne plus de 500 pages pour tout mon séjour à l'hôpital, et il ne s'agit que des notes des infirmières et de la salle d'hôpital. Le neurochirurgien n'était pas dans le pays. Je ne sais pas exactement où il est. Donc je n'ai pas ses notes personnelles, mais j'ai tout ce qu'il a écrit à l'hôpital ici. Vous pouvez donc vérifier ce que j'ai dit. Je serais heureuse de vous laisser voir mes notes.

Le président: Merci, docteur Oliver.

Docteur Eike-Henner Kluge.

Dr Eike-Henner Kluge (président, Département de philosophie, Université de Victoria): Merci, monsieur le président.

Je tiens à remercier les membres du comité de l'occasion qui m'est donnée de comparaître. Le sujet à l'étude me tient à coeur.

Je vais diviser mon exposé en trois parties; des observations sur la situation actuelle, des remarques sur certaines propositions de modifications aux lois sur le prélèvement et des recommandations en vue de changer la situation. Puisque le temps prévu pour l'exposé est trop court pour entrer dans les détails, je renverrai les membres du comité à mon mémoire dont les trois chapitres ont été envoyés et qui seront disponibles, je pense, dans les deux langues.

Quand je parle de «mémoire», je dois préciser qu'il s'agit dans un cas d'une étude de 140 pages que j'ai effectuée en 1996 à la demande de la Direction de la protection de la santé de Santé Canada et portant sur la création d'une banque de tissus humains. Avec les documents à l'appui, cette documentation porte peut-être sur certaines des questions qu'examine le comité.

Quant à la situation actuelle, je dirais qu'un des grands facteurs qui contribue à la pénurie actuelle d'organes est le refus des sociétés de transplantation de suivre les désirs exprimés lorsque la proche famille s'y oppose.

• 1100

Les sociétés maintiennent que si elles choisissent de respecter les désirs des donneurs et respectaient l'éthique et la loi actuelle, la proche famille serait outrée, ce qui entraînerait une diminution dans le nombre de dons.

C'est ce que je qualifie dans mon mémoire de l'objection vampire. C'est l'expression utilisée par les sociétés de transplantation. Comme je le démontre dans mon mémoire, un tel raisonnement est logiquement bizarre.

En outre, le problème découle des protocoles inappropriés de prélèvements d'organes des sociétés elles-mêmes qui vont à l'encontre des normes morales et légales. Selon les propres données des sociétés de transplantation—tirées des données de MORE, le Programme de prélèvement et de greffe d'organes de l'Ontario, de PORT, le programme semblable en Colombie-Britannique, Pacific Organ Retrieval for Transplantation—on perd entre 30 à 35 p. 100 des organes lorsque l'on demande l'autorisation à la proche famille, même s'il y a une carte de dons d'organes en bonne et due forme.

En ce qui concerne les propos du Dr Spital, selon lesquels il n'y aurait pas de données, il existe en fait des données qui indiquent que 35 p. 100 des organes sont perdus lorsqu'on interroge la famille malgré une carte de donneur valide.

Je trouve cette situation contraire aux règles de la déontologie et de l'économie; elle entraîne le décès de patients qui figurent sur les listes d'attente. On devrait y remédier en mettant en oeuvre des normes nationales exécutoires définissant les limites déontologiques du consentement éclairé. Vous trouverez un développement plus complet de ce thème dans mon mémoire.

Divers groupes, notamment les sociétés de transplantation, estiment qu'on pourrait remédier à la pénurie en modifiant la loi. Elles proposent notamment de favoriser les dons par l'octroi du statut de receveur privilégié aux donneurs d'organes, d'offrir des incitatifs financiers, de légaliser le consentement présumé, de faire des prélèvements de routine et d'introduire le principe d'une réponse exigée, ou de ce qu'on appelle aux États-Unis la «réponse obligatoire» à une demande prévue dans la loi.

À l'exception de la réponse obligatoire, ces options m'inspirent de sérieuses réserves. Encore une fois, tout cela figure dans mon mémoire, auquel je renvoie respectueusement le comité.

Tout d'abord, elles enfreignent les principes déontologiques fondamentaux qui font partie intégrante du processus décisionnel dans le contexte canadien des soins de santé. Il me semble préférable de remédier à l'actuelle pénurie d'organes sans enfreindre ces principes.

En deuxième lieu, compte tenu de la réticence actuelle des sociétés de transplantation à mettre en oeuvre des lois et des principes déontologiques, on n'est guère porté à croire qu'elles vont observer les nouvelles lois. Même si ces lois étaient fondées sur les propositions des sociétés elles-mêmes, rien ne les empêcherait de les contourner par leur protocole.

Dans une perspective plus positive, je voudrais faire quatre recommandations. Encore une fois, elles sont développées aussi bien dans mon mémoire de 15 pages que dans mon étude de 140 pages sur la constitution d'une banque de tissus humains qui, comme je l'ai dit, m'a été commandée par la Direction générale de la protection de la santé de Santé Canada.

Mes recommandations sont les suivantes: Tout d'abord, que l'on constitue un service de prélèvement d'organes semblable à la Société canadienne du sang; deuxièmement, que l'on adopte des lois ou des règlements pour imposer la réponse obligatoire; troisièmement, que l'on crée un registre national informatisé des donneurs d'organes, auquel aura accès le service national des prélèvements d'organes; et quatrièmement, dans une note un peu différente, que le gouvernement lance un programme de recherches sur l'activation des mécanismes génétiques et cellulaires appropriés pour permettre la croissance sélective des systèmes d'organes.

Tout cela est du domaine du possible, comme l'indiquent déjà certains travaux de recherche. On pourrait non seulement résoudre définitivement la pénurie d'organes, mais une telle démarche aurait aussi l'avantage de placer le Canada à l'avant-garde à l'échelle mondiale en matière de sciences biologiques, ce qui n'est pas à négliger.

Il est superflu de dire au comité que l'actuelle pénurie d'organes est inacceptable pour des raisons humaines, médicales et financières. Il est ici question de décès que l'on pourrait prévenir, et dont les ramifications vont bien au-delà du cercle immédiat du donneur et du receveur éventuels, car elles déterminent la disponibilité de la santé en général, dont les membres du comité connaissent évidemment bien les aspects financiers.

Comment en sommes-nous venus à ce déficit de 35 p. 100 dont parlait tout à l'heure le rabbin Bulka? Je voudrais insister sur le fait que, à mon avis—et j'insiste sur ce point—cette pénurie tient partiellement à ce que je considère comme une atteinte fondamentale aux principes déontologiques du consentement éclairé dans les protocoles appliqués actuellement par les sociétés de transplantation. Selon ces protocoles, le don d'organes n'a aucune signification particulière, c'est la volonté des autres qui compte avant tout.

• 1105

Comme je l'ai indiqué il y a deux ans dans un article du Journal de l'Association médicale canadienne, je trouve étonnant que quiconque puisse souhaiter faire un don d'organe en sachant que ce souhait peut être contrecarré.

Je demande donc instamment au comité de ne pas considérer simplement le problème comme une question d'équilibre entre des préoccupations pratiques et morales. Un simple rééquilibrage entraînerait en fait une atteinte à un droit moral. Une solution fondée sur les principes, comme celle que je propose dans mon mémoire, offre du moins une aussi bonne chance de remédier à la pénurie qu'une modification de la loi.

Par ailleurs, les Canadiens y sont favorables, comment en témoignent les données des sociétés de transplantation. Les Canadiens veulent que leurs souhaits soient respectés à l'occasion de cet acte ultime et méritoire.

Merci beaucoup.

Le président: Merci, docteur Kluge.

Nous passons maintenant au Dr Nelson.

Dr Robert F. Nelson (professeur de médecine, neurologie, Hôpital d'Ottawa): Merci, monsieur le président.

Mon exposé porte essentiellement sur l'aspect biologique du prononcé de mort cérébrale.

On définit la mort cérébrale comme la perte irréversible de la faculté de conscience combinée à la perte de toutes les fonctions cérébrales, y compris la faculté de respirer. On dit qu'elle se produit lorsqu'il n'y a plus aucun signe de fonction des hémisphères du tronc cérébral.

Traditionnellement, la patient était considéré comme mort lorsqu'il cessait de respirer et qu'on n'apercevait plus de battements du coeur. Il y a environ 40 ans, on a mis au point des appareils respiratoires qu'on pouvait utiliser lorsque la respiration s'arrêtait. Ces appareils sont devenus de plus en plus efficaces et ont permis de maintenir indéfiniment le patient en vie. Les patients ne mouraient plus lorsque leur respiration cessait.

Plus récemment, on a réussi la réanimation cardiaque lorsque le coeur cessait de battre. Aujourd'hui, la réanimation après l'arrêt du coeur est une opération courante, même si la survie à long terme et le retour à une vie utile sont plus rares.

On constate donc qu'un simple arrêt de la fonction cardiaque ou de la respiration ne signifie pas invariablement la mort.

En 1968, un comité s'est constitué à Harvard; il a proposé que l'on considère le sujet comme mort lorsque le cerveau cessait de fonctionner, c'est-à-dire que la mort cérébrale équivaut à la mort de l'individu.

Des comités ultérieurs constitués dans différents pays du monde ont défini les critères opérationnels spécifiques permettant de diagnostiquer la mort cérébrale.

En 1987, un groupe de neurologues, de neurochirurgiens et de neurophysiologues canadiens ont proposé un ensemble de critères qui a été adopté par l'Association médicale canadienne et qui s'applique dans tout le pays depuis 10 ans. Un comité spécial de neurologues a publié une version mise à jour de ces critères opérationnels.

Je n'entrerai pas dans les questions déontologiques et philosophiques de la personnalité et de ce qui constitue l'essence de l'individu. Je souhaite plutôt mettre l'accent sur des faits biologiques et expliquer comment le médecin s'y prend habituellement pour déterminer la mort cérébrale.

Je veux tout d'abord parler du fondement biologique de la mort cérébrale. En termes simples, le cerveau se compose de deux hémisphères qui sont considérés comme le siège de la pensée et de la connaissance. Le tronc cérébral est la partie qui relie les deux hémisphères à la moelle épinière, que parcourent les messages nerveux jusqu'aux nerfs périphériques, qui contrôle les mouvements du corps et des membres, et par laquelle l'information revient au cerveau à partir des organes sensitifs périphériques.

Le tronc cérébral contient également les centres vitaux qui contrôlent la respiration, le rythme cardiaque, la tension artérielle, la température et les autres fonctions nécessaires à la vie. Si les hémisphères sont détruits, la pensée n'existe plus. Si le tronc cérébral est endommagé, certaines, sinon toutes les fonctions nécessaires à la vie disparaissent, même si quelques-unes, comme la respiration, peuvent être maintenues artificiellement.

Une lésion cérébrale localisée peut entraîner différents états cliniques. Il peut y avoir perte de conscience lorsqu'une partie importante des deux hémisphères est endommagée ou lorsque la partie supérieure du tronc cérébral, qui contient les voies d'accès à la fonction d'alerte, est détruite.

On dit alors que la personne est dans le coma. Ce coma peut être réversible, lorsque le cortex cérébral cesse temporairement de fonctionner à cause d'un produit anesthésiant, ou il peut être permanent, comme lorsqu'une hémorragie cérébrale massive a détruit une bonne partie des hémisphères.

Lorsque les hémisphères sont détruits lentement par la maladie, comme la maladie d'Alzheimer, le tronc cérébral peut être préservé, mais on dit que le patient est dans un état végétatif persistant. Ses processus mentaux sont grandement perturbés, mais il peut toujours respirer et conserve différentes fonctions.

Lorsque les hémisphères sont préservés mais que le tronc cérébral est endommagé, comme dans le cas d'un accident cérébrovasculaire, les messages du cerveau ne peuvent pas rejoindre la moelle épinière et le patient ne peut pas bouger les membres. On parle d'un état de blocage. Le cerveau est bloqué dans un corps qu'il ne contrôle plus.

Il faut pouvoir distinguer toutes ces situations de la mort cérébrale.

• 1110

Je m'apprêtais à décrire d'une façon générale la marche à suivre pour déterminer la mort cérébrale, mais je crois que je vais passer plutôt rapidement sur cet aspect. Vous trouverez les détails dans un document que j'ai préparé.

En règle générale, on peut déterminer la mort cérébrale par un examen simple. Lorsque nous avons mis au point nos critères, il y a une dizaine d'années, nous avons veillé à ce que l'examen puisse être effectué aussi bien dans un hôpital universitaire du centre-ville de Toronto que quelque part dans les Territoires du Nord-Ouest. Autrement dit, nous n'avons pas voulu dépendre de la technologie pour être en mesure de déterminer la mort cérébrale.

Comme l'ont déjà dit plusieurs conférenciers ce matin, il s'agit d'examiner les réflexes du tronc cérébral et de chercher les signes d'une persistance du fonctionnement du cortex cérébral.

Je n'entrerai pas davantage dans les détails. Cependant, certaines mises en garde importantes s'imposent.

La température du patient, au moment où il a perdu conscience, doit avoir été au moins à des niveaux normaux. Si, par exemple, on trouve quelqu'un dans la neige, il se peut qu'il soit en état d'hibernation et qu'il ne soit donc pas véritablement mort. Il se peut même que la personne reprenne conscience lorsqu'on l'aura réchauffée.

Un patient qui a consommé une surdose de médicaments peut sembler mort et pourtant survivre.

Dans de telles circonstances et dans d'autres, nous pouvons faire appel à des tests spéciaux et tenter, par exemple de détecter l'activité électrique cérébrale au moyen d'un électroencéphalogramme. Il existe d'autres tests qui nous permettent de déterminer s'il y a circulation sanguine cérébrale. Si la circulation sanguine n'arrive pas au cerveau à cause d'une augmentation de la pression intracrânienne qui empêche le sang d'arriver au cerveau, alors le cerveau ne peut évidemment pas survivre très longtemps. Dans un tel cas, c'est une question de minutes.

Le contexte dans lequel est posé le diagnostic de mort cérébrale est lui-même d'une très grande importance. Dans pratiquement tous les cas, on s'attend à un décès. Il se peut que le patient ait subi de très graves blessures à la tête, et que sa condition se soit détériorée durant plusieurs jours. Il se peut qu'il ait souffert d'une hémorragie massive au cerveau ou vers les cavités qui entourent le cerveau, entraînant un accroissement de tension qui empêche le sang d'atteindre le tissu cérébral.

Dans la plupart des cas, un décès à l'hôpital est attribuable à un arrêt cardiaque. Très peu de décès sont attribuables à la mort cérébrale.

Permettez-moi de proposer quelques mesures de prévention qui nous assureront de ne pas conclure prématurément à la mort cérébrale d'une personne. J'en proposerai six.

En premier lieu, on doit avoir une raison d'envisager la mort cérébrale au départ. Il doit s'agir d'une situation qui permet de croire que le cerveau est gravement endommagé ou dysfonctionnel et que la mort est imminente.

Le médecin qui effectue l'examen doit bien connaître les normes et les lignes directrices de l'AMC. Dans la plupart des hôpitaux, le médecin sera un spécialiste des soins intensifs, un neurologue, ou un neurochirurgien.

Le médecin ne doit avoir aucun avantage à tirer du décès du patient. Autrement dit, le médecin qui prononce la mort cérébrale d'un patient ne doit pas être le médecin traitant d'un greffé éventuel.

Dans la mesure du possible, un deuxième médecin doit effectuer un examen entièrement indépendant de celui effectué par le premier médecin. Il se peut dans bien des cas qu'un certain doute subsiste concernant le respect des critères, et le deuxième examen doit être effectué après un certain nombre d'heures seulement, ou même une journée complète. Il faut absolument éviter de prendre une décision hâtive simplement pour obtenir des organes à transplanter.

Il ne faut jamais prononcer la mort cérébrale avant d'avoir assuré la conformité à tous les critères. Normalement, à ce moment-là, le patient sera en hypotension artérielle, sa température corporelle sera en baisse et son excrétion d'urine sera réduite.

Enfin, la mort cérébrale n'a nullement à être établie en consultation avec les membres de la famille ou d'autres personnes. Cependant, il convient d'informer la famille de l'état du patient. En revanche, la famille a tout à fait le droit de décider des implications d'un diagnostic de mort cérébrale. Il se peut que la famille s'interroge longuement sur son droit de déterminer si les organes doivent être donnés ou non.

Certains groupes religieux et ethniques ont pris position contre le concept de la mort cérébrale, et le médecin qui déclare un patient en état de mort cérébrale doit toujours être sensible aux croyances de ce dernier et de sa famille.

Merci.

Le président: Merci, docteur Nelson.

Nous allons maintenant passer au Dr Rolleston.

Dr Francis S. Rolleston (directeur, Éthique et relations internationales, Conseil de recherches médicales du Canada): Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs.

Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à participer aux audiences d'aujourd'hui. Je suis ici en tant que représentant du Conseil de recherches médicales responsable des questions d'éthique.

Je crois comprendre qu'on m'a invité pour parler de l'Énoncé de politique des trois Conseils: Éthique de la recherche avec des êtres humains. Je crois que vous en avez tous reçu un exemplaire.

De tous les énoncés de principes du CRN, celui-ci est à mon avis le plus utile aux travaux actuels. Selon moi, l'énoncé de politique cherche essentiellement à définir des moyens de veiller à ce que la recherche soit conforme à un code d'éthique rigoureux. Toutes les nouvelles techniques, y compris en matière de transplantation, doivent faire l'objet de recherches avant d'être intégrées aux soins de santé courants. Ces recherches doivent porter sur des sujets humains.

• 1115

L'énoncé de principes remplace des politiques du Conseil qui existent depuis au moins 20 ans. Selon le principe fondamental accepté par de nombreux pays, les projets de recherche sur l'être humain doivent être approuvés par un comité d'éthique pour la recherche avant d'être mis en oeuvre. Il en est ainsi pour les recherches financées par le Conseil depuis la fin des années 70.

Le présent énoncé de politique témoigne d'une certaine évolution. Il est plus précis quant aux procédures et aux principes de révision déontologique que les documents précédents, et nous estimons qu'il est dans le droit fil d'autres pays avancés, ou même qu'il les devance.

Cependant, à moins d'être mises en oeuvre, les politiques ne sont que des mots vides. La mise en oeuvre de cet énoncé de politique soulève deux problèmes: son fondement et l'assurance qu'elle est effectivement mise en oeuvre.

Même s'il s'agit du seul énoncé de politique national au Canada, les conseils de financement de la recherche n'ont de pouvoir que sur les fonds que lui fournit le gouvernement du Canada. Ces fonds de recherche sont entièrement versés aux universités et aux hôpitaux d'enseignement affiliés, ainsi qu'aux instituts de recherche, qui effectuent au moins 60 p. 100 de la recherche médicale au Canada.

Si—et j'insiste sur le mot «si»—les conseils mettent en oeuvre la politique, nous serons en mesure de garantir aux Canadiens que la recherche financée par les conseils répond aux normes définies dans l'énoncé de politique.

En outre, étant donné que les instituts de recherche ne voudront probablement pas appliquer un système de deux poids deux mesures, nous pouvons être assurés dans une certaine mesure que tous les travaux de recherche menés dans le milieu universitaire, peu importe la source de financement, répondront aux mêmes normes élevées. Cela comprend la recherche universitaire parrainée par l'industrie.

Cependant, il n'est pas encore possible de donner l'assurance que la recherche effectuée à l'extérieur des instituts financés par les conseils répond à des normes acceptables. L'adoption de cet énoncé de politique par le gouvernement, ou d'un énoncé comparable pour la recherche que le gouvernement effectue, finance ou utilise dans ses activités de réglementation, marquerait un important pas en avant.

A cet égard, le comité voudra peut-être signaler le leadership exercé par le College of Physicians and Surgeons of Alberta, qui exige que son conseil d'éthique pour la recherche examine tous les travaux de recherche réalisés par les médecins albertains qui ne sont pas susceptibles d'être examinés par le conseil d'éthique pour la recherche des universités ou des hôpitaux d'enseignement.

Le deuxième élément clé, c'est l'efficacité avec laquelle l'énoncé de politique sera mis en oeuvre. Au cours des derniers mois, j'ai visité toutes les universités dotées d'une école de médecine, et je me réjouis de la très grande conscience professionnelle manifestée par tous ceux qui participent aux examens déontologiques dans le milieu de la recherche médicale universitaire au Canada.

L'atelier national que nous avons organisé il y a trois semaines le confirme. Cet atelier a réuni environ 100 représentants des organismes universitaires et industriels, qui ont discuté des mesures à prendre pour accroître l'efficacité des conseils d'éthique pour la recherche.

Cette réunion a également permis de mettre en lumière la volonté manifeste des différents secteurs, en particulier les milieux universitaire et industriel, de collaborer à l'échelle nationale en vue d'établir des normes rigoureuses en matière d'éthique et de recherche. Le Conseil de recherches médicales travaille d'arrache-pied pour faire fond sur cette base.

Merci.

Le président: Merci, docteur Rolleston.

Docteur Brear.

Le docteur Michael Brear (à titre personnel): Merci. Bonjour, mesdames et messieurs.

Je suis médecin généraliste, et j'essaye essentiellement de protéger mes patients contre l'enthousiasme et les modes lancées par les spécialistes.

Le premier fait important que je tiens à porter à votre attention, en votre qualité de législateurs, c'est que le soi-disant critère de la mort cérébrale utilisé au Canada ne répond pas à la définition légale de la mort. Le critère de la mort cérébrale ne répond pas à la définition de la mort sur le plan juridique.

Les soi-disant cadavres dont le coeur bat encore et qu'on utilise comme donneurs sont en fait des patients bien vivants. Ils sont malades, mourants, mais ils sont encore en vie. Mourant ne signifie pas mort. Peu importe la rapidité du processus, même s'il est irréversible, il s'agit de gens malades, mourants.

• 1120

Il existe des moyens de les maintenir en vie. Ces moyens sont artificiels. Ces gens sont toutefois bel et bien en vie. Ces moyens artificiels ne peuvent maintenir quelqu'un en vie que si la personne l'est déjà. Si notre organisme est vivant, nous le sommes aussi.

Le deuxième point important que je veux porter à votre attention, c'est que nous parlons de deux patients: un dont le coeur est malade, et l'autre dont le cerveau est malade. Nous avons les moyens d'aider l'un d'entre eux, mais pas l'autre. Quel critère utiliserons-nous pour définir la mort lorsque nous serons en mesure de les traiter tous les deux?

Chez un être vivant, le coeur, le cerveau et les poumons fonctionnent à l'unisson. Ils ne peuvent fonctionner indépendamment l'un de l'autre. Ces trois systèmes sont en fait codépendants. La mort de l'un de ces systèmes est rapidement suivie par la mort des autres. La mort implique la désintégration et la destruction, et je crois que la définition de la mort devrait comprendre ces trois systèmes codépendants: l'arrêt total ainsi que la destruction et la désintégration.

Je vous invite à vous reporter aux pages 2 et 3 de l'exposé. Vous y verrez mes arguments scientifiques contre le prélèvement d'organes en cas de mort cérébrale. Il s'agit d'arguments scientifiques.

D'abord, la mort cérébrale ne peut être prononcée qu'au moment de l'autopsie. Dans la plus importante étude menée par l'Institut national de la santé des États-Unis, en 1980, connue du corps médical depuis près de 20 ans, il a été impossible de vérifier qu'un diagnostic posé avant l'arrêt cardiaque chez quelqu'un en état de mort cérébrale selon certains critères pourrait être invariablement mis en corrélation avec un cerveau totalement détruit.

Comment un état qui ne peut être déterminé qu'après la mort peut-il servir de critère pour déclarer la morte d'une personne? Je crois que vous devez vous pencher sur cette question aujourd'hui.

On a recensé au moins sept cas de femmes en état de mort cérébrale qui ont donné naissance à des bébés en bonne santé. Cela prouve que l'hypophyse, le canal rachidien et les autres organes continuent de fonctionner. Cela illustre la croissance et le développement incroyables du foetus à partir des premiers stades de la grossesse chez les femmes en état de mort cérébrale.

On a décelé de l'activité corticale chez 20 p. 100 des personnes en état de mort cérébrale comme le montrent les électroencéphalogrammes. Des personnes en état de mort cérébrale se sont réveillées après avoir reçu des stimulus électriques. Dès 1977, le Dr Hassler a mené des expériences spectaculaires qui ont été rapportées dans le International Journal of Neurology.

Vous vous demandez peut-être pourquoi ces expériences n'ont pas été répétées. Je l'ignore.

Les personnes en état de mort cérébrale ont besoin d'une anesthésie contre la douleur. Elles réagissent notamment en bougeant les membres et le tronc. Réagissant au syndrome de Lazare, les malades vont s'asseoir ou mettre leurs bras en travers de leur poitrine. Cette réaction à la douleur entraîne aussi l'augmentation de la tension artérielle et une accélération du rythme cardiaque, qui reviennent à la normale uniquement après l'administration d'un anesthésique.

On décèle également chez ces personnes des mouvements de l'oesophage, qui sont centrés dans le tronc cérébral. Les personnes en état de mort cérébrale survivent même si l'on ne remplace pas la vasopressin-arginine, une hormone essentielle à la vie produite uniquement dans le tronc cérébral.

Des tissus cérébraux peuvent assumer les fonctions d'autres tissus cérébraux détruits ou absents. Des activités de type cérébral peuvent se produire à l'extérieur des hémisphères cérébraux.

Chez les jeunes enfants, l'hémisphère non dominant résiduel assume la fonction de l'hémisphère dominant qui a été amputé à cause d'un cancer. Un adulte peut se remettre en partie de la perte de l'hémisphère non dominant.

La survie de trois enfants anencéphales—c'est-à-dire nés sans hémisphères cérébraux—prouvent que l'activité cérébrale peut se produire à l'extérieur des hémisphères cérébraux, c'est-à-dire dans le tronc cérébral ou ailleurs.

• 1125

On a signalé le cas de personnes en état de mort cérébrale qui se sont entièrement rétablies. Une femme s'est mise en rapport avec moi il y a trois ans, et elle m'a décrit son expérience lorsqu'elle a souffert de cataplexie. Apparemment, on a dit à sa famille qu'elle était en état de mort cérébrale.

La conscience intérieure ne peut pas être mesurée. Si on ne peut pas le faire, il faut supposer qu'elle existe dans tous les cas d'inconscience et de coma. Par ailleurs, on observe un développement pubertaire et la production de cellules de procréation. Ce cas est le premier d'un patient transféré, en état de mort cérébrale, d'une unité de soins intensifs à un centre de soins de longue durée.

Il serait donc possible, grâce aux techniques modernes, qu'un homme en état de mort cérébrale féconde une femme en état de mort cérébrale et qu'elle donne naissance à un enfant.

Au Canada, un donneur en état de mort cérébrale doit avoir une température normale, qui ne peut être maintenue que grâce à un tronc cérébral actif. Ainsi, pour que quelqu'un soit déclaré en état de mort cérébrale, son cerveau doit être en vie. Les personnes en état de mort cérébrale réagissent normalement: elles ont de la fièvre, et des escarres, elles frissonnent et réagissent aux antibiotiques et aux traitements intraveineux, etc.

À la lumière de ces preuves scientifiques, bon nombre de médecins tentent de trouver une explication logique... dans leurs écrits et dans leurs conversations. Je peux vous donner un exemple.

Veuillez vous référer à l'exemple numéro 12. J'ai demandé à un jeune médecin qui effectuait des prélèvements de cerveau, des prélèvements d'organe, si ce qu'il faisait était bien ou mal. Il a répondu: «mal». Cela illustre le fardeau impossible à supporter pour les médecins.

La semaine dernière, vers 2 h 30 du matin, un jeune médecin à qui on a demandé de vérifier l'état de mort cérébrale, et qui devait suivre les protocoles de l'hôpital, m'a téléphoné pour me demander conseil. Il sait que les critères de mort cérébrale sont erronés. Il doit se plier à un nouveau mandat de l'hôpital, une nouvelle règle, qui l'oblige à discuter du don d'organe avec la famille.

Le président: Docteur Brear, je m'excuse de vous interrompre, mais je dois vous demander de conclure votre exposé. Vous pourrez aborder les autres éléments de votre exposé pendant la période des questions. Je vous signale en outre que nous avons déjà la documentation sous les yeux, et que nous nous en servirons pendant la période des questions.

Si je vous laisse poursuivre votre exposé—et je constate que vous en avez encore beaucoup à dire—nous n'aurons pas le temps de vous poser des questions. Êtes-vous d'accord?

Dr Michael Brear: Si vous me le permettez, j'aimerais lire deux citations.

Le président: Allez-y.

Dr Michael Brear: La première est une citation du Dr Truog de Harvard, où l'on a établi les critères il y a vingt ans. Le Dr Truog, un anesthésiste et professeur à Harvard, a dit ce qui suit:

    Le diagnostic de mort cérébrale n'est pas conforme à la théorie et vague dans la pratique. Cependant, il y a un précédent pour la mise à mort justifiée. L'idée ne révolte pas le public. Les sondages montrent qu'un tiers des médecins ne croient pas que les patients en état de mort cérébrale sont vraiment morts [...] mais ils justifient leurs gestes.

Selon lui, la tromperie au sujet de la mort cérébrale a atteint son objectif en amenant le public à tolérer la pratique du prélèvement d'organes chez les êtres vivants.

Depuis environ un an, dans le monde entier, on constate l'effritement du consensus autour de la mort cérébrale. Le Dr Tontifilippini, d'Australie, a écrit il y a à peine quelques mois: «affirmer qu'une personne en état de mort cérébrale est morte est de toute évidence une erreur».

Le président: Cela soulève une question, Dr Brear. J'aimerais vous demander quelque chose. Si le principe fondamental de la médecine est «tu ne feras aucun mal», pourriez-vous aider le comité en nous donnant une idée de la position du Collège des médecins et chirurgiens à cet égard?

Dr Michael Brear: Je suppose qu'il adopterait une attitude que l'on pourrait résumer par l'expression: «Tu ne tueras point».

Le président: Eh bien, permettez-moi de revenir à l'expression «Tu ne feras aucun mal». En supposant qu'on accepte toutes les positions que vous avez décrites, il semblerait pour le profane—c'est-à-dire pour le non-professionnel—que les médecins ont tendance à accélérer la mort, voire à la provoquer.

Je connais peu la science et la médecine, mais cela m'apparaît comme le pire mal que l'on puisse faire. Est-ce que quelqu'un a souligné ce fait au Collège des médecins et des chirurgiens?

• 1130

Dr Michael Brear: Je l'ignore.

Le président: Est-ce qu'il serait logique de demander aux médecins pourquoi ils n'ont pas soulevé cette question auprès du Collège?

Dr Michael Brear: J'ai soumis un article à ce sujet au Canadian Medical Journal, sur lequel mon exposé d'aujourd'hui est basé. Le rédacteur en chef l'a jugé inintéressant pour le lecteur et trop long, et il estimait qu'il pouvait être résumé dans une lettre à la rédaction.

Je crois qu'il y a une certaine attitude et une certaine croyance idéologique dans l'establishment médical aujourd'hui. Oui, je crois qu'il y a une certaine école de pensée, et que certaines opinions ne sont pas acceptables.

Le président: D'accord.

Nous allons maintenant passer aux questions de mes collègues.

Docteur Elley.

M. Reed Elley: Oh, vous m'appelez docteur!

Ceci est des plus intéressants. Je vais laisser les autres poser leurs questions au Dr Brear et au Dr Oliver sur les points qu'ils ont soulevés. Je vais plutôt m'adresser au Dr Kluge.

Docteur, votre exposé était assez énergique, et vous semblez laisser entendre qu'en tant que législateurs nous devrions adopter une loi qui ferait fi des objections de la famille au moment du prélèvement possible d'organes.

Je dois dire que j'ai des questions et des réserves à ce sujet. Nous parlons de la déontologie biomédicale.

Voyons quel genre de situation pourrait survenir si un tel projet de loi était adopté par le Parlement. Si les convictions religieuses des parents étaient entièrement différentes de celles du patient, et que nous avions alors instauré un régime en vertu duquel, aux termes de la loi, il était possible de ne pas tenir compte des objections de la famille; si le résultat de ce manque de respect à l'égard des objections morales et religieuses de la famille avait pour conséquence de causer chez la mère et le père des troubles mentaux et émotifs, une dépression, et un fort sentiment de culpabilité parce qu'ils n'ont pas réussi à empêcher le prélèvement d'organes au moment de la mort de leur fille ou de leur fils. Que se passerait-il alors?

Croyez-vous que nous avons le droit d'infliger ce genre d'angoisse émotive et mentale à la famille afin de pouvoir prélever des organes?

Dr Eike-Henner Kluge: Laissez-moi situer ma réponse dans son contexte en vous rappelant que les lois sur les dons de tissus humains ou leur équivalent—ce qui est décrit dans mon mémoire et l'étude qui l'accompagne—dans toutes les provinces renferment trois articles.

Le premier renferme des définitions. En tant que législateur, je suis convaincu que vous reconnaissez la nécessité de cet article. Le deuxième article porte sur le consentement. Le troisième porte sur les peines lorsque le consentement n'est pas respecté.

Dans toutes les provinces, le deuxième article stipule que le consentement du donneur constitue un plein pouvoir exécutoire. Je suis convaincu qu'en tant que législateur, vous savez que «plein pouvoir» signifie qu'aucune autre autorisation n'est requise, et que «exécutoire» signifie que le consentement est exécutoire, et que toute dérogation est punissable conformément au troisième article.

• 1135

Le troisième article des lois sur les dons de tissus humains stipule que si le don est fait, le consentement est donné conformément au deuxième article. Toute dérogation est punissable d'une peine d'emprisonnement et d'une amende.

Je crois que les législateurs n'agissent pas à la légère lorsqu'ils inscrivent ce genre de dispositions dans la loi. Autrement dit, l'article 3 a pour but, selon moi—et en tant qu'ancien directeur de la déontologie et des affaires juridiques de l'Association médicale canadienne je connais assez bien le sujet—de signaler que la loi doit être appliquée.

Par conséquent, pour répondre à votre question quant à savoir si la loi devrait être modifiée au niveau provincial, certainement pas. Il suffit de l'appliquer.

Au niveau national, il faudrait quelque chose de semblable à ce qui a été adopté par toutes les assemblées législatives provinciales et au fédéral, à l'exception des Territoires du Nord-Ouest, actuellement le Nunavut, ce qui représente une anomalie. C'est le seul en droit d'Amérique du Nord où l'on peut légalement vendre des organes étant donné que la loi reste silencieuse. Vous pouvez vous reporter à l'étude que j'ai réalisée pour la Direction générale de la protection de la santé.

Quant à votre question concernant les sentiments du plus proche parent, voici ce que je vous répondrais. Est-il raisonnable qu'un mourant subisse les affres de l'agonie en sachant ou en soupçonnant que son dernier voeu, qui signifie tout pour lui—car c'est la raison pour laquelle il l'a indiqué—risque d'être annulé par quelqu'un d'autre pour des raisons purement émotives?

M. Reed Elley: Je ne pense pas que vous ayez répondu à ma question. Vous m'avez servi beaucoup d'arguments juridiques.

Dr Eike-Henner Kluge: Je me ferai un plaisir d'y répondre, si vous êtes plus précis.

M. Reed Elley: Le Dr Oliver désire ajouter quelque chose.

Dr Ruth Oliver: J'aimerais faire une observation à titre de psychiatre. Ma spécialité est certainement celle qui s'intéresse à l'angoisse et à la dépression, surtout en rapport avec le décès d'un être cher.

Souvent, lorsqu'un décès survient dans ce genre de situation de crise, les gens se trouvent confrontés à beaucoup de notions nouvelles, telles que la mort cérébrale, etc. Ils n'ont pas l'occasion de comprendre pleinement ce qui se passe et quelles sont vraiment les répercussions de leurs décisions.

En tant que psychiatre, j'ai des patients qui sont victimes d'accidents d'automobile, par exemple. Il est typique que la compagnie d'assurance demande tous les anciens dossiers quelques années plus tard. Bien souvent, j'ai même des patients qui ont signé un consentement par l'entremise de leur avocat et pas seulement dans le cadre de leur assurance.

Quelle est ma politique? Depuis 20 ans j'ai appris qu'il fallait avant tout que le consentement soit «éclairé». C'est une chose que de dire, quand vous êtes bien portant, que vous donnerez tous vos organes, mais personne ne connaît les circonstances de sa propre mort. Personne ne peut prédire exactement quelles seront ces circonstances. Pour qu'un consentement soit éclairé, il faut avoir une certaine idée de ces circonstances avant de donner son consentement.

Par conséquent, j'appelle souvent des patients pour leur dire: «Vous avez signé un consentement; prenons rendez-vous et je vous informerai de ce qui figure dans votre dossier». Si ces personnes sont toujours d'accord pour que je communique leur dossier, je le fais.

Voilà ce que j'appelle un consentement éclairé. J'ai constaté dans d'autres contextes que, une fois qu'ils se rendent vraiment compte des conséquences, la plupart des patients renoncent à donner leur consentement.

Voilà pourquoi il est absolument inacceptable de ne pas tenir compte des membres de la famille. Ce sont eux qui connaissent le mieux les patients. Ils ont vécu avec eux et ces derniers ont confiance en eux. Par conséquent, même si quelqu'un désire, en théorie, faire don de ses organes—et c'est un désir qu'il faudrait respecter—si les conséquences de la mort diffèrent de celles que l'intéressé aurait pu prévoir, vous ne savez pas si ce dernier serait toujours d'accord. Peut-être que son plus proche parent qui connaît ses valeurs, ses croyances ou ses principes pourra dire que s'il avait su ceci ou cela, il n'aurait pas donné son consentement.

Je ne crois donc pas qu'il faudrait laisser la famille de côté.

Deuxièmement, il est facile de dire que l'on doit appliquer la loi, mais c'est avant tout une question de consentement éclairé et je ne pense pas que ce critère soit toujours rempli.

Le président: Merci, docteur Oliver.

Madame Picard.

[Français]

Mme Pauline Picard: Docteure Oliver, nous avons au Québec la carte d'assurance-maladie, à l'arrière de laquelle on peut indiquer si oui ou non on accepte de donner nos organes, et où on signe.

• 1140

Chaque fois qu'on se présente à l'hôpital ou chez le médecin, comme partout ailleurs dans chacune des provinces, on présente cette carte. Les médecins sont donc informés. Si j'avais un accident grave mortel, à l'hôpital, on demanderait ma carte d'assurance-maladie, sur laquelle on pourrait lire que je souhaite faire le don de mes organes.

Je pense que c'est un choix individuel. J'ai 50 ans et je suis bien informée, comme la plupart des gens qui signent cette carte-là. Pourquoi faudrait-il tenir compte du consentement de la famille? Personnellement, en tant qu'adulte responsable et réfléchie, j'ai pris la décision de donner mes organes. Vous semblez dire qu'il faut absolument qu'il y ait consensus au sein de la famille, des proches de la personne, pour pouvoir donner aux spécialistes l'ordre de prélever les organes d'un individu.

[Traduction]

Dr Ruth Oliver: J'aurais deux choses à dire à ce sujet.

Premièrement, même dans le cas du groupe précédent, la plupart des gens emploient l'expression «après la mort». Malheureusement, si vous examinez la documentation publiée sur le sujet dans le monde, on ne s'entend pas quant à la façon de déclarer l'état de mort cérébrale. Il faudrait un protocole international normalisé afin que, quel que soit le médecin qui examine le patient et prend une décision, il se serve exactement des mêmes critères que ses collègues.

Par conséquent, si l'on a le moindre doute que la personne est complètement morte lorsque ses organes sont prélevés, le principe en fonction duquel on signe la carte de donneur n'est pas respecté. Voilà pour le premier problème.

Je crois que la famille contribue largement à préserver l'honnêteté des médecins en veillant à ce que les organes soient prélevés uniquement si on est convaincu que c'est bien ce que voulait son proche parent.

Deuxièmement, comme je l'ai déjà dit, si quelqu'un signe cette carte, elle n'est pas suffisamment précise à moins que l'intéressé ne stipule: «Quelles que soient les circonstances de mon décès, je veux faire don de mes organes». En effet, si les circonstances sont très particulières, ce ne sera pas un consentement éclairé. Voilà ce que je tiens à dire.

Si vous ajoutez, dans un document juridique, que quelles que soient les circonstances du décès...

C'est comme pour la crémation. Cela peut causer des dissensions au sein d'une famille. Certains sont pour, d'autres pas, mais que la famille soit d'accord ou non, du moment qu'une personne a écrit noir sur blanc qu'elle veut se faire incinérer, la famille peut se dire que l'idée ne lui plaît pas, mais qu'elle respecte son choix.

En tant que psychiatre, j'ai souvent vu ce genre de cas. La famille dira que tel était son souhait et qu'elle a donc accompli ses dernières volontés.

Il faudrait signer une déclaration disant: «Quoi qu'il arrive, je veux faire don de mes organes». Je voudrais que ce soit aussi précis.

Le président: Merci, docteur Oliver.

Madame Minna.

Mme Maria Minna: Merci.

Plusieurs témoins ont parlé de la mort cérébrale. Plus tôt, il semblait y avoir un désaccord entre le Dr Yun et d'autres témoins, et même encore ce matin... quant au critère utilisé et à la façon de prendre cette décision. Le Dr Yun semblait penser que le test d'activité électrique cérébrale n'était pas toujours fait. Certaines personnes ici disent qu'il l'est.

Je voudrais d'abord savoir s'il existe des critères uniformes dans le milieu médical pour établir s'il y a ou non mort cérébrale. Je suppose que cela revient à dire que la mort cérébrale détermine... si la personne est morte ou non.

Docteur Nelson, vous avez dit tout à l'heure, je crois—et je veux vérifier si j'ai bien compris—qu'il faut attendre quelques jours. Voulez-vous dire que si une personne est déclarée morte aujourd'hui, il faudrait attendre quelques jours pour voir si ce diagnostic est exact ou non? C'est une question importante.

• 1145

D'autre part, on fait de la recherche dans toutes les sphères de la médecine. Quelle est l'étendue de la recherche actuelle dans le domaine de l'activité cérébrale?

J'aurais ensuite une deuxième question que j'adresserai au Dr Kluge.

Peut-être pourrais-je simplement les poser afin qu'on puisse y répondre...

Le président: Vous n'avez que cinq minutes, madame Minna. Vous pouvez donc parler pendant 4 minutes et 59 secondes si vous le désirez.

Mme Maria Minna: D'accord. Je vais m'arrêter là pour le moment et voir si je peux poser une autre question après.

Le président: Docteur Nelson.

Dr Robert Nelson: Les critères ont été acceptés par l'Association médicale canadienne et sont généralement les mêmes dans l'ensemble du pays. Je dois toutefois souligner—car je ne l'ai peut-être pas dit très clairement—que les critères indiquent généralement qu'un diagnostic peut être fait au chevet du malade.

En cas de doute, nous procédons à d'autres tests tels qu'un électroencéphalogramme, mais la plupart du temps, ce n'est ni obligatoire ni nécessaire. Je crois que les critères de base sont généralement les mêmes, du moins pour l'ensemble du pays.

Désolé, mais quelle était votre deuxième question?

Mme Maria Minna: Si vous faites simplement le diagnostic au chevet du malade, y a-t-il une marge d'erreur? Mon autre question concernait la recherche.

Dr Robert Nelson: Oui, pour ce qui est du moment du diagnostique.

J'essayais de souligner à ce propos que, si presque tous les critères sont remplis, mais que vous ne savez pas exactement si le patient pourra respirer ou non, par exemple, si vous débranchez le respirateur, si certains détails ne répondent pas à tous les critères, nous ne déclarons généralement pas qu'il y a mort cérébrale. Nous examinons le patient au bout d'un certain temps pour nous assurer que tous les critères sont remplis avant de déclarer la mort cérébrale.

Mme Maria Minna: Docteur Kluge, vous avez parlé d'un tas de choses, mais surtout du fait que le gouvernement devrait mettre en place un programme pour faire pousser certains organes. La première fois que j'en ai entendu parler c'était dans un documentaire médical diffusé en fin de soirée à la télévision.

À quel point cette technologie est-elle avancée et est-elle réaliste? Cela s'appliquerait-il au coeur, au foie et aux poumons qui semblent être les principaux organes?

Dr Eike-Henner Kluge: Ces recherches sont à la fine pointe de la technologie. Cela se fait en partie aux États-Unis et en partie au Japon. On est en train de régénérer des membres et d'essayer d'appliquer cette méthode aux organes.

Voilà pourquoi je souligne qu'il faudrait que le gouvernement fédéral finance un programme pour pousser plus loin la recherche dans ce domaine.

Oui, c'est viable. Oui, cela fonctionne.

Mme Maria Minna: Pourriez-vous faire pousser un cerveau?

Dr Eike-Henner Kluge: Non, certainement pas, dans les circonstances.

Je pourrais peut-être revenir sur une chose qui a été dite tout à l'heure. Certains témoins ont peut-être l'impression que la mort cérébrale n'est pas légale au Canada. Je rappelle au comité que cela a été établi en 1976, par la Cour d'appel du Manitoba, dans l'affaire de la Reine c. Kitching et Adams.

En fait, c'est sur cette base que l'Association canadienne de protection médicale a recommandé à l'Association médicale canadienne d'établir les critères dont le Dr Nelson a parlé.

Pour apporter un autre éclaircissement, deux concepts différents de la mort cérébrale circulent dans le milieu médical. L'un se fonde sur la mort cérébrale «complète» et l'autre, sur la mort «cérébrale» uniquement. La première englobe le tronc cérébral, selon la définition donnée dans l'affaire de la Reine c. Kitching et Adams. Il n'existe aucun précédent connu de survie à ce stade.

Le président: Madame Wasylycia-Leis.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Je voudrais poser une ou deux questions à propos de considérations déontologiques qui n'ont pas été abordées en détail ce matin.

Je commencerai par poser une question au Dr Kluge et si quelqu'un d'autre désire également y répondre, n'hésitez pas.

Je voudrais soulever la question de la déontologie en ce qui concerne la distribution des organes et des tissus. D'après ce que j'ai compris et d'après des témoignages précédents, le Canada ne semble pas avoir de méthode systématique pour la distribution des organes ou des tissus. Il semble y avoir un système de répartition pour la greffe du foie, mais pour ce qui est des autres domaines, je ne suis pas certaine.

• 1150

Que faut-il faire pour assurer l'égalité d'accès pour les receveurs d'organes?

Ma deuxième question concerne la commercialisation. Et étant donné la demande, je crois que les forces du commerce risquent de prendre le dessus. Certains diront que les forces du marché sont à l'oeuvre dans ce domaine. Cela soulève toutes sortes de questions de déontologie, de qualité et de sécurité.

Je voudrais savoir quel rôle le gouvernement doit jouer pour protéger le public contre les forces du marché et les caprices du marché dans ce domaine?

Dr Eike-Henner Kluge: Je pourrais peut-être commencer par votre dernière question car il y a des critères pour les organes autre que le foie.

Pour ce qui est de votre dernière question, je fais quelques suggestions à cet égard aux pages 5 et 6 de mon mémoire.

Sur le plan de la commercialisation, tous les pays occidentaux se sont prononcés contre. Dans certains pays, notamment le Brésil et l'Inde, il est parfaitement légal d'acheter et de vendre des organes. Mais la plupart des pays occidentaux s'y sont opposés considérant qu'un acte méritoire ne doit pas être motivé par un désir de profit.

En outre, si la notion de profit entre en jeu, cela posera des problèmes dans le cadre de l'ALENA étant donné que l'organe deviendra une marchandise à vendre.

Mes collègues me disent également qu'il faudrait peut-être réviser le Code criminel et la législation visant les infractions contre la personne, car vous feriez alors une distinction entre le corps et la personne. Si vous pouvez vendre le corps, une infraction contre la personne devient une infraction contre le corps, auquel cas toute la législation ne tient plus.

Cela peut sembler improbable, mais ce genre de choses soulèvent de sérieuses questions juridiques.

D'autre part, qui en tirerait profit? Doit-il s'agir du plus proche parent ou de l'intéressé?

Par ailleurs, certaines études ont été faites au sujet des ventes par anticipation, ce qui créerait un marché de contrats à terme pour les organes. Dans ce cas, qui garantira la qualité de ces organes? Faudrait-il créer une police pour veiller sur le mode de vie des gens afin que ceux qui vendent leurs organes fournissent des organes en bon état, une marchandise qui répondra aux attentes?

J'en parle également dans mon mémoire. Je me contente de le mentionner en passant.

Enfin, cela va à l'encontre du principe du droit à l'autodétermination de l'individu en tant que personne, un principe que nous avons reconnu en renonçant à l'esclavage. Personne ne peut être légalement propriétaire de corps humains, mais cela ne veut pas dire que nous n'avons pas le droit d'en disposer. Dès qu'il y a réification du corps humain, nous rétablissons le droit d'en disposer et d'en être propriétaire et cela nous ramène à l'esclavage.

Le président: Docteur Rolleston, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Vous préférez ne pas vous en mêler.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Madame Wasylycia-Leis, une brève question.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Docteur Rolleston, je voudrais vous poser une question au sujet de la réglementation pertinente par rapport aux questions de déontologie dans le domaine de la recherche.

D'après ce que j'ai compris, même si le Canada n'a pas un taux de donneurs actifs très élevé par rapport à d'autres pays, il semble être le chef de file mondial de la recherche sur la xénotransplantation. Sommes-nous parfaitement au courant de toute la recherche effectuée dans ce domaine et quelles sont les lignes directrices appliquées pour que nous soyons sûrs de procéder de façon déontologique et pour protéger le public contre tout excès?

Dr Francis Rolleston: C'est un domaine en plein mouvement. C'est un domaine nouveau. On suggère souvent d'imposer un moratoire jusqu'à ce que ces questions soient réglées. Le problème, c'est qu'elles ne seront pas réglées tant qu'on aura pas acquis une certaine expérience et une bonne base de renseignements.

Cela nous ramène à la question des animaux traités comme des produits, élément aussi très important. Il y a aussi la question du danger de transfert de maladies avec des implants greffés d'une espèce animale à une autre. Cela nécessite énormément de recherches.

Chez les humains, selon moi, les recherches sur les transplantations et les procédures de décision sont suffisantes pour que cela ne pose pas de problème à condition que la question du consentement soit réglée ce qui, bien entendu, est essentiel.

• 1155

Les autres problèmes de sécurité sont du domaine de la Direction de la protection de la santé et d'après ce que je crois savoir, on les examine de très près.

Le président: Docteur Rolleston, il ne reste pas beaucoup de temps. Je vais diviser ce qui reste entre Mme Ur et M. Vellacott.

Madame Ur.

Mme Rose-Marie Ur: Merci, monsieur le président.

Ma question concerne les problèmes d'éthique et s'adresse à vous, docteur Nelson. Pensez-vous que les problèmes éthiques que posent les transplantations peuvent être réglés, à condition d'avoir le personnel qualifié, par une décision concertée entre l'équipe soignante et l'équipe chirurgicale? Cela devrait régler certains des problèmes éthiques dont il a été question toute la matinée.

Dr Robert Nelson: Je ne suis pas tout à fait sûr de comprendre votre question sauf qu'à mon avis, la meilleure garantie, probablement—et c'est mon expérience personnelle en matière de dons d'organes—est le rapport entretenu par le médecin traitant avec le patient et la famille longtemps avant que le problème ou que la question du don d'organes ne se pose.

Je dois dire que je suis un peu surpris par certains des commentaires impliquant qu'il y a souvent désaccord entre ce que le patient aurait souhaité et ce que la famille souhaite. D'une manière générale, d'après mon expérience, la plupart du temps la position de la famille est la suivante: ma fille ou ma femme, par exemple, voulait donner ses organes et je tiens à ce que son voeu soit exaucé.

Je crois que le Dr Dossetor, ou quelqu'un d'autre un peu plus tôt ce matin, a parlé d'aborder les familles en équipe. Je crois que c'est une excellente idée car la plupart du temps ces équipes sont très en prise avec la réalité de ces familles et leur situation.

Je crois donc, si c'est bien ce à quoi vous faites allusion, que cet élément est une excellente idée. Cependant, je pense qu'il est très important de maintenir l'intégrité de l'équipe soignante et de l'équipe chargée de s'occuper du receveur éventuel. Je crois qu'il ne faut pas les mélanger.

Mme Rose-Marie Ur: C'est ce que je voulais dire. C'est à ce niveau que se pose le problème éthique, quand les deux équipes sont impliquées.

Dr Robert Nelson: Oui. Je crois qu'il ne faut pas les mélanger.

Mme Rose-Marie Ur: Vous venez de citer les familles. Je me demande souvent, quand j'entends des exposés sur la question, combien de fois les familles refusent d'accéder au souhait d'un donneur. Est-ce que c'est vraiment fréquent ou ne faisons-nous que le supposer?

M. Robert Nelson: Je n'en sais rien.

Dr Eike-Henner Kluge: D'après les données qui se trouvent dans mon mémoire, pour l'Ontario et le Québec le chiffre est de 35 p. 100.

Mme Rose-Marie Ur: Est-ce que je peux poser encore une question?

Le président: Non, je dois passer à M. Vellacott. Merci.

M. Maurice Vellacott: Je serai franc. Je me posais des questions à propos de l'état de mort cérébrale et maintenant je crois que j'ai probablement encore plus de réserves qu'avant. Apprendre qu'on anesthésie les soi-disant donneurs avant de prélever leurs organes m'a vraiment fait bondir.

Un petit commentaire, pour commencer, avant de passer à ma question. J'aimerais beaucoup avoir les critères de l'AMC que vous avez mentionnés, je crois, docteur Kluge.

Dr Eike-Henner Kluge: Ils sont cités par le Dr Nelson dans...

M. Maurice Vellacott: Très bien, merci.

Dr Eike-Henner Kluge: À propos de l'anesthésie, il serait peut-être important que vous sachiez que ces produits anesthésiants ne sont pas administrés pour calmer la douleur. Les anesthésiants servent aussi, comme le Dr Nelson vous le dira, de vasopresseurs, contrôlant toutes sortes de fonctions corporelles. En fait, c'est la raison principale...

M. Maurice Vallacott: Oui, je sais. Je connais un petit peu la question. Je trouve simplement intéressant que l'anesthésie est nécessaire, quelle qu'en soit la raison.

Très rapidement, docteur Kluge, répondez-moi simplement par oui ou par non, est-ce que j'ai raison de croire que les médecins ne prêtent plus, ou n'ont plus à prêter, le serment d'Hippocrate?

Dr Eike-Henne Kluge: J'ai personnellement rencontré quatre médecins dans ma carrière... et j'en ai rencontré des milliers qui ont prêté ce serment.

Je ne sais pas si mes collègues ici présents...

M. Maurice Vellacott: Ma question reste, un médecin doit-il toujours prêter le serment d'Hippocrate?

Dr Eike-Henne Kluge: Non.

M. Maurice Vellacott: Très bien. Merci.

J'ai eu l'honneur dans ma vie précédente—avant d'être député-de travailler comme infirmier. J'ai travaillé pour l'aumônerie et j'ai été élu à la Commission de santé du district de Saskatoon en 1995, premier district de ce genre dans l'histoire du pays, avec un budget d'environ 300 millions de dollars. Nous y discutions de temps en temps de ce concept de consentement éclairé.

J'aimerais avoir le sentiment de chacun des membres du panel sur cette question. À votre avis, est-ce que le fait de signer au bas d'un permis de conduire, comme je l'ai fait, l'autorisation ou non de prélever des organes, ou une carte de donneur d'organes, ou dans une déclaration d'impôt, de cette simple manière, correspond à un consentement éclairé si le donneur potentiel n'a pas eu vraiment l'occasion de se faire expliquer la procédure?

• 1200

Mon interprétation du consentement éclairé implique une explication des conséquences par quelqu'un de compétent, à l'aide de diapositives, de photos ou de vidéos afin de donner une idée plus graphique de la procédure.

À notre conseil de santé, nous discutions des suites juridiques éventuelles en cas de consentement insuffisamment éclairé et je vous demande si le simple fait de signer au bas d'un permis de conduire, oui ou non, constitue un consentement éclairé?

Vous pouvez répondre chacun votre tour en commençant par le Dr Brear.

Dr Michael Brear: Ma réponse est nette, c'est non. Je serais d'accord avec le Dr Oliver, il est extraordinairement difficile d'informer un patient de la totalité des circonstances applicables.

Par exemple, pour qu'un testament biologique soit véritablement éclairé, il faudrait que le document soit très long et aille en profondeur pour expliquer toutes les situations cliniques possibles applicables.

En conséquence, avoir simplement une carte qui dit, oui, je veux faire don de mes organes, signifie qu'il devrait avoir accès, ou qu'il devrait parler à quelqu'un qui a accès à tout ce qui a été écrit dans le monde entier sur la question car la confusion et la division sont totales dans le monde sur cette question des critères de mort cérébrale.

Par conséquent, je dirais que personne, au Canada, ne signe ces cartes de donneur en toute connaissance de cause. Absolument personne.

Le président: Docteur Rolleston.

Dr Francis Rolleston: Le consentement éclairé est à l'évidence essentiel pour la fonction de recherche. Nombre sont ceux qui estiment que le formulaire de consentement ne constitue pas à proprement parler un consentement éclairé. Le consentement éclairé est la procédure qui mène à la décision de signer ou de ne pas signer le formulaire de consentement.

M. Maurice Vellacott: Et cette procédure existe?

Dr Francis Rolleston: C'est la question critique.

En revanche, je crois qu'en terme de consentement éclairé, c'est la personne à qui on demande son consentement qui est probablement plus à même de déterminer si elle a ou non suffisamment de renseignements en sa possession pour prendre la décision appropriée.

Le président: Docteur Nelson.

Dr Robert Nelson: Comme le Dr Braer l'a mentionné, le consentement éclairé n'a que le poids qu'on lui donne. Cependant, selon mon interprétation, le consentement éclairé c'est quand l'information donnée au patient est l'information nécessaire pour qu'il prenne une décision concernant les implications de ce à quoi il consent.

M. Maurice Vellacott: Quand j'ai signé cette autorisation sur mon permis de conduire je ne savais rien du tout.

Vous comprenez quand même ce que je veux dire?

Dr Robert Nelson: Oui.

M. Maurice Vellacott: Je ne savais rien. Aucun médecin ne m'a expliqué. Je ne savais rien, en tout cas pas autant que maintenant.

Le président: Docteur Eike-Henner Kluge.

Dr Eike-Henner Kluge: Je me permettrais de vous faire remarquer qu'il ne s'agit pas ici de consentement éclairé pour un traitement, parce que la personne décédée n'a pas besoin de traitement quand l'organe est prélevé. C'est plutôt analogue au consentement éclairé sur les dernières volontés au moment de l'enterrement.

Le formulaire et la procédure de consentement éclairé pour, comme le dit le Dr Rolleston, disposer de vos restes humains ne sont pas assujettis à la même éthique de consentement que lorsqu'on souffre ou qu'on suit un traitement. Je parle en ma qualité de spécialiste en éthique médicale.

En vérité, il ne s'agit pas d'un long formulaire de consentement éclairé sur le traitement qu'on vous propose mais plutôt d'un formulaire qui vous demande si vous êtes d'accord avec ce genre de procédure de disposition de vos restes humains.

Le président: Docteur Oliver.

Dr Ruth Oliver: Pour revenir à la question de la mort cérébrale, nous ne savons pas si les gens sont morts. La majorité des gens se sentiraient mieux s'ils étaient sûrs que cela se fasse après.

Le président: Vérifier, ce n'est pas éclairer?

Dr Ruth Oliver: Non.

Le président: Très bien. Merci.

Je vous remercie infiniment mais je voudrais moi-même poser une ou deux petites questions.

Docteur Kluge, des témoins précédents nous ont indiqué que la notion de consentement exécutoire existait en Espagne à l'époque où ce pays avait un taux de dons très faible et qu'en conséquence cette notion n'a peut-être pas autant d'incidence sur la faiblesse du taux de donneurs que certains voudraient le faire croire.

Est-ce que vous partagez cette opinion?

Dr Eike-Henner Kluge: Je m'excuse, mais je n'ai pas bien compris votre question.

Le président: Une fois que quelqu'un a donné son consentement, la famille ne peut pas s'y opposer.

Dr Eike-Henner Kluge: Il y a une différence culturelle entre l'Espagne et le Canada. Je n'ai pas de données sur l'Espagne. J'ai des données sur le Canada. Les données émanent des sociétés de transplantation elles-mêmes—à savoir, qu'il y a 35 p. 100 de pertes dues à l'opposition des familles. Ce sont leurs chiffres.

• 1205

Les requêtes exécutoires ne peuvent donc marcher que si en même temps les protocoles sont changés afin que le plus proche parent ne puisse s'y opposer. Bien entendu, il faudrait que cela soit associé à des séances de conseils appropriés.

Je fais allusion à une expérience dont vous n'avez peut-être pas entendu parler. Elle s'est passée à Pittsburg et concerne un des pionniers de la transplantation, le Dr Starzl. Il avait le même problème et il a institué un programme de counselling. Il a suivi la requête du patient, mais il a aussi invité la famille à une réunion. Il a fait fi de leurs souhaits et les a simplement conseillés. Le taux de prélèvement était en fait presque identique à celui des dons. Cela n'a pas résolu le problème du manque d'organes, mais cela a certainement beaucoup amélioré les doses.

Il faut donc cette combinaison de requête exécutoire et de changement de protocole. Si les sociétés de transplantation continuent à ignorer ce qu'en fait elles devraient faire, nous continuerons à perdre ces organes.

Le président: Il y a ensuite la question des sanctions que vous avez évoquée. Vous avez parlé de sanctions législatives qui pourraient avoir des conséquences économiques ou autres.

À qui ces sanctions s'appliqueraient-elles? Vous avez identifié deux catégories—d'un côté, les familles qui s'opposent au consentement et de l'autre, les sociétés de transplantation elles-mêmes qui ne respectent pas le consentement. Qui visiez-vous?

Dr Eike-Henner Kluge: Les dernières.

Je vous renvoie à une affaire juridique de Vancouver qui n'a pas été jusqu'au bout de la procédure car il y a eu règlement à l'amiable. Dans ce cas, on savait qu'une personne avait fait don de ses organes. Le plus proche parent s'y est opposé. On n'a pas prélevé l'organe. Quelqu'un en est mort. On a essayé d'intenter une poursuite conformément à la loi en vigueur en Colombie-Britannique, mais il y a eu règlement à l'amiable.

Il faudrait poser la question aux personnes coupables de ne pas respecter les souhaits légaux, dans toutes les provinces à l'heure actuelle—à savoir, les sociétés.

Le président: Mais l'AMC et le Collège des médecins seraient d'accord pour que les sanctions soient imposées à leurs membres?

Dr Eike-Henner Kluge: Je me permettrais, monsieur, de vous rappeler que l'AMC, constituée en société en 1867 par une loi du Parlement, ne représente au mieux que 60 p. 100 des médecins canadiens. Son seul intérêt, en fait son seul mandat, est de promouvoir les intérêts privés des médecins et non pas la santé. C'est la raison pour laquelle l'AMC a contesté la Loi sur la santé.

Je trouve donc assez bizarre que vous me posiez cette question.

Le président: Nous sommes dans un endroit bizarre.

Docteur Rolleston, ma dernière question s'adressera à vous. Je consultais des statistiques sur le profil de santé de toutes les nations, classées sur une base annuelle. Nous arrivons toujours en tête. Quant au nombre de médecins pour 100 000 habitants, je remarque que le chiffre pour le Canada est de 221 et pour l'Espagne, de 400.

Dans vos études, vous êtes-vous aperçu si ces variables au niveau des chiffres avaient une incidence directe sur le nombre de donneurs?

Dr Francis Rolleston: Je m'excuse, mais je n'ai pas d'information sur cette question.

Le président: Très bien.

Donc tout ce qui me reste c'est la plaisante tâche de vous remercier au nom de tous les collègues du comité de cette séance fort instructive et de la franchise avec laquelle vous avez répondu à nos questions.

En leur nom et au mien, je vous remercie infiniment.

La séance est levée.