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SCRA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON CORRECTIONS AND CONDITIONAL RELEASE ACT OF THE STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

SOUS-COMITÉ SUR LA LOI SUR LE SYSTÈME CORRECTIONNEL ET LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITION DU COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 8 mars 1999

• 1537

[Français]

Le président (M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): Le Sous-comité sur la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition reçoit comme témoins Me Brosseau et Me Normandeau du Barreau du Québec. On prévoit une présentation d'une quinzaine de minutes, et après cela, il y aura des questions de la part des députés. Qui commence la présentation?

Me Carole Brosseau (avocate, Comité en droit criminel, Barreau du Québec): Je vais commencer la présentation. J'aimerais vous remercier d'avoir accepté de nous entendre aujourd'hui. Je vous indique que le greffier, Me Préfontaine, a déjà reçu copie de notre mémoire et que le mémoire a été envoyé à la traduction. Vous devriez le recevoir bientôt.

Pour ceux qui nous voient pour la première fois, j'aimerais vous dire que le Barreau du Québec fonctionne par comités de travail sur lesquels siègent des experts dans le domaine. Pour les fins de l'analyse de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, on a fait appel à des experts dont vous trouverez la liste au début de notre mémoire. Ce mémoire, ou la position que nous vous présentons aujourd'hui, a été approuvé par l'exécutif du Barreau du Québec. Je représente donc le Barreau du Québec au nom du bâtonnier, qui vous demande d'excuser son absence d'aujourd'hui, devant procéder à l'assermentation d'un juge.

Je suis accompagnée de Me Jacques Normandeau, un avocat spécialisé dans le domaine du droit carcéral au Québec. Je ferai une partie de la présentation et Me Normandeau la complétera.

La révision de la loi vise actuellement trois domaines: le Service correctionnel, l'enquêteur correctionnel et la Commission nationale des libérations conditionnelles.

En ce qui concerne le Service correctionnel, on aimerait attirer votre attention sur deux difficultés qui se présentent. La première touche à la procédure de classement des détenus. Actuellement, le classement des détenus prend un certain temps, mais il demeure la pierre angulaire du système lui-même. Si un détenu est bien classé, s'il va dans le pénitencier qui lui convient, on lui offrira des services pour lui permettre de se réadapter et de réintégrer éventuellement la société, d'être un risque moindre pour la société en général.

• 1540

Actuellement, lors du classement d'un détenu, on considère que l'information transmise est parfois inégale ou incomplète et que la qualité de l'information est déficiente. Faute de formation des agents de cas, l'information est souvent non vérifiée, ce qui affecte, à long terme, la réadaptation du détenu.

Cela est dû, en grande partie, au manque de valorisation de la fonction d'agent de cas. Ce sont souvent de jeunes professionnels récemment sortis de l'université qui n'ont pas une grande expérience du marché du travail et du milieu carcéral lui-même. Ces jeunes manquent de soutien, d'information et de formation aussi. Ils sont souvent laissés à eux-mêmes. Le fort taux de roulement de ce personnel explique partiellement le mauvais classement de certains détenus.

Le deuxième point qu'il est important de retenir quant au Service correctionnel est la réinsertion. L'objectif du Service correctionnel est de préparer le détenu à réintégrer éventuellement la société, en faisant en sorte qu'il ne présente aucun risque pour la société. On note actuellement une absence de programmes qui est troublante. Ces programmes touchent et visent principalement les détenus qui en ont le plus besoin, soit les plus difficiles ou les plus violents. On reviendra de façon plus spécifique sur la polarisation problématique qui existe entre les crimes violents et ceux non violents. Mon collègue, Me Normandeau, en parlera lorsqu'il abordera la question de la Commission des libérations conditionnelles.

Dans la réinsertion, tout n'est pas absolu et le Service correctionnel essaie de faire de son mieux. Il faut au moins essayer d'avoir des programmes qui permettent aux détenus de réintégrer la société. Aujourd'hui on peut affirmer que cela fait défaut. Il faut savoir que le taux de réussite qu'on peut évaluer par les statistiques révélées dans le document de consultation ne tient pas compte de la réalité. Les taux de réussite devraient mesurer la récidive d'un détenu même après son incarcération et la fin de sa peine, ce qu'on ne peut constater à l'heure actuelle puisque les statistiques dévoilées dans le document de consultation ne le révèlent pas.

Le Système correctionnel doit, au niveau de la réinsertion, offrir des programmes aux détenus ainsi qu'un soutien aux agents de cas pour qu'il y ait un meilleur classement des détenus. C'est ce qui devrait être analysé et réévalué.

Je vais céder la parole à mon collègue. Il abordera les deux aspects suivants: le rôle de l'enquêteur correctionnel ainsi que le rôle et le fonctionnement actuel de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

Me Jacques Normandeau (avocat, Barreau du Québec): On peut constater, en pratique, que l'enquêteur correctionnel a un statut particulier qui le place dans une position adéquate pour régler des problèmes particuliers. Il est le mieux placé pour jouer le rôle de chien de garde du système. Mais dans la réalité et même s'il est rempli de bonne volonté, il n'est pas en mesure de répondre à la demande. Son manque de ressources et de contrôle—parce qu'on parle toujours du pouvoir de recommandation—dans la poursuite de ses recommandations fait que même si on a là un outil considérable pour faire avancer les choses et voir à ce qu'on applique correctement les principes de droit, dans la mécanique de tous les jours, il est tout simplement incapable de le faire. Ce n'est pas par manque de volonté mais certainement par manque de ressources et parce qu'il n'est pas en mesure de faire valoir clairement son point de vue.

• 1545

Lorsqu'on regarde les rapports annuels de l'enquêteur correctionnel, on constate en grande partie toujours les mêmes problèmes. Je pratique dans le milieu depuis 12 ans. J'étais tout d'abord au niveau de la Commission des services juridiques du Québec. Les problèmes qu'on soulevait il y a 12 ans et qu'on notait dans les rapports de l'enquêteur correctionnel étaient sensiblement les mêmes qu'aujourd'hui. On n'a pas noté d'améliorations malgré le fait que la loi est mieux faite sur le plan mécanique. Les outils sont disponibles mais, au niveau de l'application, la problématique est la même qu'il y a 12 ans; c'est regrettable. J'aurais préféré vous dire le contraire, mais j'ai travaillé à de nombreuses reprises avec des gens du Bureau de l'enquêteur correctionnel et je peux vous dire que ces personnes constatent le problème, veulent des changements mais ne sont pas en mesure de les faire appliquer.

On corrige parfois un problème mais pour une période de courte durée. Cela peut durer six mois ou un an, mais la problématique est à la source et elle revient. À cet égard, on parle souvent des cas de transfert. Le personnel change. Il y a beaucoup de roulement au niveau de la gestion de cas et au niveau de la sécurité, et la problématique revient régulièrement. On ne peut pas noter de véritable progrès bien qu'on aie les outils nécessaires. On a une loi qui permettrait de régler le problème, mais on n'est pas capable de la mettre en oeuvre. On a la mécanique nécessaire, mais on n'a pas d'essence pour la faire avancer.

Il est regrettable qu'on ne soit pas capable d'utiliser les correctifs que préconise le Bureau de l'enquêteur correctionnel, qui sont assez souvent très près de la réalité. Ces gens sont postés à Ottawa et doivent se déplacer régulièrement. La plupart du temps, ils font leurs enquêtes par téléphone. Ils se rendent dans un pénitencier particulier peut-être une fois aux deux mois. Ils passent là deux journées et rencontrent 40 détenus. Évidemment, dans ces circonstances, il est très difficile de vérifier ce qui se passe et d'apporter des correctifs qui puissent évoluer avec le temps. Les mesures sont souvent très limitées dans le temps et les mêmes problèmes reviennent constamment par la suite. C'est ce qu'on a toujours constaté et c'est déplorable.

Je reviens aux propos de Mme la juge Arbour, qui disait que l'enquêteur avait un poste très important et qu'on devait voir à ce qu'il ait les outils nécessaires pour amener les gens à modifier des erreurs trop souvent commises dans le passé, qui se répètent continuellement au niveau de l'enquêteur.

Voici un dernier petit point au sujet de l'enquêteur correctionnel. Au Barreau, on a souvent noté une pratique du système qui est celle-ci. Lorsqu'une plainte est faite par des détenus au niveau du Service correctionnel, on a la fameuse procédure de grief. Dans la pratique courante des choses, on constate, surtout après plusieurs années de pratique, que lorsque le grief est sérieux, le système de grief est totalement inefficace. On ne parle pas de quelqu'un qui réclame un savon dermatologique ou qui n'aime pas ses vêtements; on parle de cas majeurs où les plaintes peuvent avoir une influence sur le degré de sévérité et la durée de l'incarcération. Donc, dans de tels cas, le système de grief est, très honnêtement, tout à fait inefficace.

On a trois différents paliers d'appel, mais aucun de ces paliers n'est en réalité efficace. Selon nous, il ne sert absolument à rien d'avoir trois paliers de grief où on n'a pas les coudées franches et où on n'a pas vraiment le temps d'étudier la situation. Nous préférerions qu'il y ait un seul niveau de grief et que ce niveau de grief soit vraiment en mesure d'évaluer un dossier d'une façon indépendante et de prendre une décision. La personne qui doit évaluer la question en jeu devrait être en mesure d'être indépendante. L'enquêteur correctionnel est peut-être la personne la plus apte ou la mieux placée pour évaluer le dossier.

Je voudrais qu'on parle des transferts. On a souvent des griefs pour des raisons de transfert ou des raisons de placement en isolement. En 12 ans de pratique, je n'ai jamais vu un seul transfert se gagner au moyen d'un grief. Je suis dans les pénitenciers fédéraux presque tous les jours depuis 12 ans et je n'en ai jamais vu un seul se gagner de cette manière. Par contre, j'ai vu des délais de six à sept mois avant qu'un détenu puisse se rendre au troisième palier pour obtenir une réponse ou pour simplement se faire dire qu'on avait bien évalué le dossier en première instance et qu'on ne voyait pas de problème. Les réponses sont très courtes et on n'évalue pas vraiment les questions posées.

• 1550

Au Québec, plusieurs avocats se sont spécialisés en matière de transfert. Bien souvent, ils font des griefs pour des personnes détenues. Si les détenus sont parfois découragés par la réponse qu'ils reçoivent, les avocats s'arrachent les cheveux lorsqu'ils constatent la qualité de la réponse. On pose des questions très précises, très pertinentes, et on nous répond des choses tellement banales qu'on se demande pourquoi on a fait un grief.

On constate tout simplement que c'est inutile, que c'est une perte de temps. Cela augmente les coûts parce qu'à chaque palier, on doit nommer des gens. Cela n'est pas efficace, cela ne règle pas les vraies questions et, finalement, on a l'impression que chaque palier explique pourquoi on s'est peut-être trompé en première instance, en couvrant les choses. Finalement, rien ne change et rien n'évolue.

Au lieu d'aider les personnes détenues à se prendre en main et à prendre leur avenir en charge... Le but de ce processus est de permettre aux gens d'être entendus et de s'expliquer. Tout ce qu'on a, ce sont des gens de plus en plus frustrés. Imaginez ce que pense un avocat en lisant une réponse à une question qu'il a mis beaucoup de temps à formuler. Il a la chance de vivre à l'extérieur et lorsqu'il lit les réponses, il se demande ce que cela peut bien être. C'est frustrant et même choquant. C'est une insulte à l'intelligence. Excusez-moi, mais il y a eu des cas très choquants. On se met dans la peau de l'individu qui est derrière les barreaux. On dit de faire des programmes et d'investir. Eh bien, il y a des gens qui s'investissent pendant deux à quatre ans, et on peut briser tout ce que nous avons fait simplement en nous sortant une réponse qui a un impact majeur sur l'individu mais qui, en réalité, ne traite pas de la question. On répond des banalités. On dit qu'on ne voit pas d'erreur dans le dossier.

S'il y a une chose que je changerais dans le processus actuel, c'est bien la procédure de grief. Si vous demandez aux détenus ce qui constitue la plus grande perte de temps dans le système, ils vous répondront quasiment à l'unanimité que c'est le système de grief. C'est un élément de frustration pour les gens derrière les barreaux et cela n'atteint pas du tout le but dans lequel cela avait été créé: pour que les gens puissent s'expliquer et se prendre en main. On a le contraire en bout de ligne.

Dans notre document, nous proposons que l'enquêteur correctionnel soit celui qui réponde aux griefs parce qu'il est beaucoup plus indépendant. On n'a pas besoin d'avoir trois paliers de grief quand on peut en avoir un seul qui est efficace. Voilà pour l'enquêteur correctionnel.

Pour ce qui est de la Commission des libérations conditionnelles, il s'agit d'une question à développement. Au Québec, au cours de la dernière année, on a eu énormément de problèmes avec la nouvelle loi. Ce n'est pas parce que les instruments d'évaluation ne sont pas bons. Le problème qui se pose est un problème d'indépendance des commissaires. Dans certains dossiers, on a constaté que les commissaires n'avaient pas les coudées franches pour prendre une décision éclairée, sans pression.

Je vais préciser ma position. On a constaté que certains commissaires—on parle des commissaires contractuels par opposition aux commissaires permanents—à cause de leur statut précaire... De plus en plus, les commissaires sont nommés pour de courtes durées. Ils ont un contrat d'un an ou deux, à titre contractuel ou permanent. Il arrive souvent que ces commissaires ne se sentent pas à l'aise pour prendre une décision lorsque leur position est différente de celle de l'administration de la commission.

Dans notre mémoire, nous citons deux cas où la Cour supérieure a fait des commentaires très virulents contre la commission. Si on avait pensé à l'époque que le problème pouvait se régler de cette façon, on a vite compris qu'on avait soulevé seulement la pointe de l'iceberg, le début du problème. Aujourd'hui, les praticiens demandent qu'il y ait des changements à ce niveau, les commissaires demandent des modifications et même les juges de la Cour supérieure demandent des modifications.

• 1555

Le problème qu'on constate dans la pratique courante, c'est que plusieurs commissaires contractuels, lorsqu'ils prennent des décisions, en appel ou en révision d'une décision prise par un autre commissaire plus haut gradé, en subissent certaines conséquences. Cela ne vient pas de nous, mais des gens qui siègent et qui doivent prendre ces décisions. Il y a plusieurs commissaires qui ne se sont pas gênés pour dire qu'ils réclamaient beaucoup plus d'indépendance et qu'ils n'avaient pas l'indépendance requise pour statuer. Lorsqu'on étudie la loi, on constate que le problème existe effectivement, et je vais vous expliquer pourquoi.

Le vice-président est la personne qui nomme les commissaires, qui détermine qui va siéger et qui ne siégera pas, et à combien de reprises ces gens vont siéger chaque semaine. Le vice-président détermine aussi quels dossiers spécifiques les commissaires vont étudier. En même temps, il se trouve à être la personne qui évalue le commissaire, fait les recommandations sur le commissaire en question à Ottawa, demande le renouvellement de son contrat ou recommande qu'un nouveau membre soit nommé. Enfin, il évalue le travail du commissaire.

Ce qui peut paraître étrange, c'est que ce même vice-président siège parfois lors de l'étude de dossiers en première instance et demande par la suite à des commissaires contractuels de siéger lors de la révision. Prenons l'exemple des cas d'examen expéditif. On a une première audition sur dossier. Le vice-président peut siéger et recommander ou ne pas recommander la libération. Il envoie par la suite le dossier pour audition devant deux commissaires, et là on se retrouve avec deux commissaires contractuels qui sont présentement en évaluation par la personne qui leur renvoie le dossier et qui a elle-même statué en première instance sur le dossier.

En droit, au niveau criminel, une telle situation serait tout à fait inacceptable, mais au niveau des libérations conditionnelles, c'est fréquent. On avait noté ce problème en cours de pratique, mais il s'est accentué lorsque des commissaires, dans le cadre d'audiences ou à la fin d'une audition, ont eux-mêmes indiqué que, dans certains cas, ils avaient eu l'impression de ne pas avoir les coudées franches pour prendre une décision.

Des gens nous ont donné des exemples très clairs, très faciles. Il y a des commissaires permanents, qui donc sont rémunérés annuellement, qui ne siègent pas pendant une année parce qu'ils n'ont pas suivi la décision de l'un des vice-présidents, et il y a a des commissaires contractuels qui sont payés à l'acte et qui siègent sept jours semaine. Il y a quelqu'un qu'on paye et qui est chez lui à attendre parce qu'il ne partage pas les vues de son vice-président. De l'autre côté, il y a une personne contractuelle qui est peut-être nommée pour deux ans seulement et qui peut être en période d'évaluation, qui, elle, siège sept jours. Je parle de sept jours, parce que lorsqu'on siège une journée, il faut une autre journée pour étudier le dossier.

Les commissaires ont eux-mêmes constaté qu'il y a un problème majeur en ce moment. Au Québec, on l'a noté. La cour l'a noté. Pour corriger le problème, il faudrait que les commissaires soient indépendants. On ne doit pas pouvoir s'ingérer dans le processus de leurs décisions. Également, ils doivent recevoir une formation. On n'insistera jamais assez sur la qualité d'un commissaire ou sur son professionnalisme, parce que c'est la base de la réussite du Service correctionnel et des libérations.

On peut constater un autre problème. Nous ne vous disons pas qu'on ne libère pas assez de personnes. Nous constatons cependant que certaines des personnes qui sortent ne répondent pas aux critères alors que certaines des personnes qui ne sortent pas répondent aux critères. Il y a un problème de formation.

Il ne faut pas oublier que depuis la cause Mooring, entre autres, il y a beaucoup d'aspects juridiques et techniques dans le cadre d'une audition. Je pense qu'aujourd'hui, le commission ne devrait pas se permettre de faire une audition sans qu'il y ait au moins un juriste qui comprenne très bien la mécanique en matière de procédure, la Charte, les droits et l'équité pour s'assurer que le processus soit bien suivi et afin qu'on puisse pouvoir avoir recours aux services de quelqu'un qui a la compétence nécessaire pour compléter tout ce qui se fait là. Je pense que c'est important.

Le président: Monsieur Normandeau, je vais être obligé de vous arrêter afin que les députés aient le temps de vous poser des questions.

• 1600

Me Jacques Normandeau: Pas de problème.

[Traduction]

Le président: Monsieur Gouk, s'il vous plaît, vous avez sept minutes.

M. Jim Gouk (Kootenay—Boundary—Okanagan, Réf.): Merci, monsieur le président. Je ne prendrai peut—-être pas tout ce temps. Nos témoins ont parlé d'une grande variété de sujets.

L'un des problèmes des législateurs qui envisagent d'affronter des changements, c'est la perception du public. Je ne sais pas si le contenu du mémoire que nous recevrons plus tard est essentiellement le même que votre exposé.

Si les témoins sont en faveur d'un programme qui fait passer des détenus d'une prison à sécurité maximum, à une prison à sécurité moyenne ou minimum, ou à des programmes de semi-liberté, de libération quelconque, notre problème, c'est de vendre l'idée au public. Ainsi, si un délinquant violent est condamné à huit ans d'emprisonnement et qu'après quatre, il est libéré pour une raison ou pour une autre, le public sera exaspéré. De même, si un détenu en libération, conditionnelle ou autre, commet une infraction, le public est furieux.

Il nous faut donc un système qui justifie la libération, ou le passage de la sécurité maximale à la sécurité moyenne ou minimale, qui justifie la libération anticipée et qui impose des peines très précises pour les délinquants qui enfreignent les conditions de ce genre de privilège. J'aimerais beaucoup que les témoins nous présentent un court commentaire en réponse à cela et davantage encore, s'ils le veulent bien, qu'ils nous préparent une réponse par écrit sur ce sujet.

[Français]

Me Carole Brosseau: Monsieur Gouk, je vais répondre à votre question. Notre mémoire va beaucoup plus loin et est beaucoup plus précis. Il traite de tous les sujets. Cependant, compte tenu du temps qui nous était imparti pour la présentation, nous nous sommes limités aux trois sujets qui nous apparaissaient les plus importants.

Il y a effectivement un problème de perception qui est principalement attribuable à l'examen expéditif des demandes. C'est aussi attribuable à une autre difficulté qu'on constate actuellement. On ne traite plus un délinquant. Il y a une forte polarisation entre les délits violents et les délits non violents. Malheureusement, cette façon de faire profite beaucoup au crime organisé. Souvent, au sixième de leur peine, les cas des gens dits non violents sont traités non pas à la Commission nationale des libérations conditionnelles, mais sur dossier, et ces personnes sont mises en liberté. Cela pose un problème et nous préconisons l'abolition du traitement expéditif sur dossier. À cet égard, le Barreau du Québec est du même avis que le public.

Également, il faut penser que toute la libération conditionnelle repose essentiellement sur le processus de réadaptation du détenu et la protection du public. On doit assurer la protection du public au moment où le détenu réintégrera la société.

Lors de l'étude des dossiers, la Commission nationale des libérations conditionnelles doit évaluer la situation du détenu ainsi que le risque qu'il pose pour la société. C'est à ce moment-là que la commission doit prendre la décision de libérer ou non la personne en question.

Le processus actuel de libération nous semble adéquat, mais il n'en demeure pas moins que c'est vraiment à la commission d'évaluer le risque. S'il y a une bonne évaluation du risque, il n'y aura pas de problèmes. C'est ce qu'il faut faire. Mais pour évaluer le risque, il faut avoir accès à l'ensemble du dossier et il faut qu'il y ait une meilleure communication de l'évaluation elle-même. Il faut aussi traiter le délinquant. Quelqu'un a dit jeudi que l'échec du système carcéral se constate au moment où on est obligé de faire sortir un détenu à la fin de sa peine. À ce moment-là, il n'aura pas appris à avoir des comportements sociaux adéquats lui permettant de réintégrer la société. L'objectif est de permettre la réadaptation, et c'est ce qui va faire en sorte que la société tout entière sera plus en sécurité. Je ne sais pas si vous pouvez me suivre. Mon collègue pourrait sans doute continuer.

• 1605

Me Jacques Normandeau: Il ne faut pas oublier une chose. Lorsque quelqu'un récidive alors qu'il est en période de libération conditionnelle, les médias en font évidemment grand état, mais il faut toujours remettre cela dans la perspective du nombre de personnes qui sont en libération conditionnelle et du nombre de personnes qui auraient pu récidiver.

Il y a aussi une autre problématique qu'il ne faut pas oublier. À la suite de l'imposition d'une peine d'emprisonnement, les citoyens sont toujours portés à en analyser la réussite en rapport avec la date d'application de la sentence et la date de la fin de la sentence, mais il ne faut pas oublier une chose. Au niveau fédéral, la moyenne des sentences est peut-être de trois ou quatre ans. La population doit savoir que, si la personne récidive en dehors du mandat d'incarcération, un an ou deux après la fin de sa sentence de quatre ans, écope et purge une nouvelle sentence de quatre ans, et récidive après cette autre sentence de quatre ans—cela existe dans la vie de tous les jours—dans les statistiques, on indique que trois individus différents ont réussi leur sentence. On ne comptabilise pas la réussite réelle du cas. Mais n'oubliez pas une chose si vous voulez que les citoyens de l'extérieur comprennent la réalité. Moi, je suis père de famille et je me mets dans la peau de mon voisin ou de n'importe qui d'autre. Quand quelqu'un récidive, qu'il ait récidivé pendant qu'il était sous mandat de libération ou qu'il ait récidivé après la fin de sa sentence, pensez-vous que cela change quelque chose pour la personne qui a subi un vol qualifié? Cela ne change rien.

[Traduction]

M. Jim Gouk: Je comprends ce que vous dites, et je suis tout à fait d'accord avec vous. Ce que j'aimerais savoir, et je ne sais pas si c'est dans votre mémoire...

Le président: Un instant, monsieur Gouk. Nous avons le mémoire. Il est actuellement à la traduction.

M. Jim Gouk: Bien. Je comprends. Mais comme je ne l'ai pas lu, je ne peux pas en parler.

Le président: Bien, continuez.

M. Jim Gouk: Notre problème c'est que dans un établissement donné, disons un établissement à sécurité maximale hébergeant de 200 à 300 prisonniers, comment peut-on les faire passer systématiquement et d'une manière bien planifiée à des établissements à sécurité moyenne ou minimale, à la semi-liberté ou un autre type de libération? Y a-t-il des conditions précises, comme sur une liste de vérification? Ainsi, le détenu, saurait, pour commencer, ce qu'il doit faire pour profiter de toutes les possibilités de réadaptation.

Deuxièmement, pourrions-nous élaborer une grille très précise des pénalités à imposer pour chaque bris de condition? S'il y a des avantages pour les détenus à se réadapter, il doit aussi y avoir des conséquences s'ils ne répondent pas à nos attentes. Il ne doit pas y avoir que des avantages.

[Français]

Me Jacques Normandeau: Présentement, les outils nécessaires existent, et c'est cela qui est peut-être le plus pénible ou frustrant dans la situation actuelle. On constate que les outils existent, mais que l'assimilation au niveau du processus d'évaluation n'a pas été faite.

Vous posez une question très pertinente. Comment fait-on pour décider si quelqu'un qui est en maximum doit aller en médium ou en minimum? C'est ça, le nerf de la guerre. C'est la gestion de cas. La gestion de cas doit débuter techniquement et débute dans les faits au centre de réception. Lorsque la personne commence sa sentence, une évaluation est faite. Dans les faits, tout est là pour qu'il y ait une bonne évaluation, mais l'information n'est pas divulguée correctement. Souvent, on manque de précision dans l'information qui est donnée, et cela peut pénaliser quelqu'un. On peut tomber sur des gens qui, même s'ils n'ont pas été condamnés pour un délit violent, ont par contre tendance à être violents. Si on avait évalué le dossier correctement, si on était allé chercher toute l'information disponible, on se serait rendu compte qu'on a affaire à quelqu'un qui peut être violent. Cela joue des deux côtés, tant pour permettre à quelqu'un d'obtenir plus de programmes ou une meilleure cote de sécurité que pour donner une cote de sécurité plus élevée à quelqu'un qui nécessite une cote plus élevée.

C'est là que le bât blesse. D'ailleurs, nous en traitons beaucoup dans notre mémoire. Il faut absolument qu'on soit en mesure, dès le centre de réception, au moins durant les trois premiers mois, de bénéficier de toute l'information. Quand je parle de toute l'information, il ne s'agit pas seulement des commentaires téléphoniques faits par un corps policier ou un procureur de la Couronne. Il s'agit d'information concrète: l'information au niveau de la cour, les notes sténographiques et ainsi de suite. Souvent, tout ce qu'on reçoit au service, ce sont les commentaires de la Couronne pendant les procédures. On ne reçoit pas les commentaires de la défense, ou vice versa. On voit la même chose dans le cas des rapports de police. Parfois, ce n'est pas l'enquêteur au dossier qui envoie les rapports ou fait les recommandations, mais peut-être le dixième policier à avoir travaillé sur ce dossier-là, qui donne simplement une opinion personnelle sans aller vérifier plus loin.

• 1610

Dans la pratique, il arrive souvent que des gens du corps policier nous disent qu'ils n'ont pas de restrictions quant à tel monsieur, que tout était correct, mais qu'au bout de quatre ans, à deux jours d'une audience, alors qu'on pense avoir affaire à tel genre d'individu, nous recevons du corps policier un rapport qui est tout à fait contraire. C'est choquant parce que vous avez investi de la mauvaise manière dans un individu pendant quatre ans. Vous avez peut-être mis en danger la sécurité des gens parce qu'il n'était pas au bon niveau de sécurité, ou vice versa. Cependant, les outils sont là.

Le président: Merci, monsieur Normandeau.

Monsieur Marceau.

M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Merci de votre présentation. C'est toujours trop court. On a toujours trop de choses à dire pour le temps qui nous est accordé, mais c'est un problème avec lequel on doit vivre.

J'ai écouté votre présentation et j'ai aussi regardé rapidement le mémoire que vous avez présenté. Bien sûr, je n'ai pas eu le temps de le lire, mais avant d'aller dans les détails, j'aimerais vous situer dans un spectre. D'un côté, on dit que la loi est parfaite et que tout va bien et de l'autre, on dit que la loi n'est pas correcte du tout et qu'il faut l'abolir. Où vous situez-vous? Doit-on faire des ajustements ou plutôt un changement important à la loi?

Me Carole Brosseau: C'est une loi qui est relativement jeune. On parle de 1992. Il y a eu deux modifications majeures à cette loi depuis son adoption, en 1992. L'application de cette loi nous apparaît déficiente dans certains cas, mais il y a aussi certainement des modifications à y apporter, entre autres la clarification du statut de la Commission nationale des libérations conditionnelles pour vraiment la camper dans un rôle de tribunal administratif. Cela nous apparaît tout à fait essentiel. À cela s'ajouterait l'indépendance de cette commission ainsi que l'indépendance des gens qui y siègent.

M. Richard Marceau: Dans le sens de l'arrêt Valente.

Me Carole Brosseau: Oui, dans le sens de l'arrêt Valente et de l'arrêt Mooring. C'est assez étonnant quand on lit toute la documentation qui entoure cette loi-là. On annonce parfois de façon claire qu'il s'agit d'un tribunal administratif. L'arrêt Mooring, selon qu'il s'agit de la dissidence ou non, le campe dans un camp ou l'autre. Donc, il n'y a pas de clarification à l'égard de ce rôle. À notre avis, la clarification éliminerait une partie de l'ingérence ou du manque d'indépendance des commissaires.

Naturellement, ce n'est pas tout. Il y a aussi la formation. On en parlait plus tôt. Je pense qu'au niveau législatif, tout y est quant au Service correctionnel. Il n'y a que la compétence des gens qui y sont qui laisse parfois à désirer. À l'évaluation, il y a un manque de valorisation. Au niveau de l'enquêteur correctionnel, il y aurait lieu de clarifier son rôle, et je pense qu'on le proposait même dans le rapport de Mme la juge Arbour. On allait même jusqu'à parler d'un contrôle judiciaire accru parce que l'enquêteur correctionnel ne pouvait pas exercer son rôle. Donc, il y aurait lieu d'apporter des modifications à ce niveau.

Évidemment, il y a des modifications à apporter à la loi. Elles sont substantielles, mais il ne s'agit pas de jeter le bébé avec l'eau du bain.

M. Richard Marceau: Voilà. C'est ce que je voulais savoir.

Vous avez mentionné certains problèmes quant à la procédure d'examen expéditif. Évidemment, je suis convaincu qu'il y a un nom qui vous saute à l'esprit.

Me Carole Brosseau: On ne le nommera pas.

M. Richard Marceau: À la suite de l'affaire Lagana—prononçons ce nom—j'ai déposé un projet de loi pour éviter que des blanchisseurs d'argent puissent sortir de prison au sixième de leur peine, projet qui avait été repris, si ma mémoire me sert bien, dans le projet de loi C-51 déposé par le gouvernement.

Cela étant dit, le seul endroit de votre mémoire où vous mentionnez la procédure d'examen expéditif est dans la conclusion.

Me Carole Brosseau: On reprend les éléments importants, mais c'est développé plus tard.

M. Richard Marceau: C'est développé? Très bien.

Me Carole Brosseau: C'est développé à plusieurs endroits dans le mémoire.

M. Richard Marceau: Donc, si vous voulez éliminer la procédure d'examen expéditif, ce n'est pas simplement pour une question de perception, comme disait mon collègue Gouk. Cela va beaucoup plus loin.

• 1615

Me Carole Brosseau: Quand nous avions présenté notre mémoire sur le projet de loi C-45 en 1994-1995, si je ne m'abuse, nous disions que nous étions contre cette procédure parce qu'elle allait profiter au crime organisé. À ce moment-là, c'était seulement sur dossier. Le constat que nous en faisons est encore pire.

M. Richard Marceau: Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais la semaine dernière, plusieurs membres de ce comité sont allés en Colombie-Britannique et en Alberta pour visiter les pénitenciers et parler à des gens qui sont dans le système, que ce soit des prisonniers ou encore des gardiens ou des agents de libération conditionnelle. L'une des choses dont on nous a parlé à plusieurs reprises est le problème de la libération pratiquement automatique aux deux tiers de la peine. Plusieurs personnes nous ont dit que cela ne devrait pas être automatique, que les prisonniers devraient plutôt mériter la possibilité de sortir aux deux tiers de leur peine. On a eu des arguments assez forts en faveur de cela. C'est peut-être un retour à ce qu'il y avait avant. D'autres disaient qu'au contraire, il fallait garder ce qu'on a à l'heure actuelle. Quelle est la position du Barreau du Québec à ce sujet?

Me Jacques Normandeau: L'ancien système prévoyait des évaluations mensuelles du comportement de l'individu. Dans la pratique, dans le même pénitencier, où on avait quatre ou cinq secteurs et donc quatre ou cinq responsables, selon l'officier qui était en charge de l'évaluation, on avait des critères complètement différents d'un secteur à l'autre. Par exemple, un avis de rendement négatif pour un agent voulait dire une journée de réduction de peine non méritée. Pour un autre agent, quand on avait deux avis de rendement négatif, cela devenait une journée. Pour un autre, il fallait trois avis de rendement négatif pour donner une journée. Dans le même pénitencier, les gens étaient traités de façons tout à fait différentes, tout à fait arbitraires et, pourtant, on se fondait sur les mêmes principes de droit. Cela ne faisait que créer des problèmes.

Aujourd'hui on s'est ajusté. C'est vrai qu'on donne la liberté automatiquement aux deux tiers de la peine. On dit aux gens qu'ils ont mérité leur bon temps et on les libère aux deux tiers de leur peine, mais cela doit être tempéré. Le mémoire en fait mention. De plus en plus, la commission et le Service correctionnel font appel au nouveau processus qu'on a adopté lors de la dernière modification à la loi, qui permet de mettre un individu en transition ou en surveillance intensive à partir des deux tiers de sa peine. C'est venu compléter ce qu'on appelait le maintien en incarcération pour les cas lourds, aux deux tiers de leur peine. On a ajouté, et c'est de plus en plus employé, les ordonnances d'hébergement en transition et de contrôle. Je vous dirai qu'on les applique principalement à des gens qui arrivent aux deux tiers de leur peine et qui sont toujours en maximum, entre autres, ou encore qui sont en médium mais qui ont encore un comportement qui laisse à désirer et qui indique que le risque de récidive est présent.

Dans notre mémoire, nous disons avoir un problème à ce niveau, non pas à l'égard de cette mesure, qui peut être intéressante, mais à l'égard du fait que, si on implique le détenu dans le processus aux deux tiers de sa peine, on attend souvent à la dernière semaine avant sa libération pour établir les conditions, sans même le consulter. Ainsi, les gens sortent sans comprendre pourquoi, sans vraiment prendre conscience de l'impact de la décision. À ce moment-là, on a l'effet inverse, l'effet boomerang. La personne n'accepte pas ce qu'on lui impose et se sent victime. Dès l'instant où la personne se sent victime, même si elle ne l'est pas en réalité, elle devient un cas problématique à l'extérieur et peut donc récidiver. À ce moment-là, on n'atteint pas l'objectif, qui était de protéger la société et de tenter par tous les moyens d'amener cet individu à changer son comportement.

Je vous dis que l'outil existe présentement, mais qu'on note un problème au niveau de l'application. On décide tardivement d'avoir recours à cette mesure et on ne travaille pas assez avec la personne détenue avant de l'appliquer. Mais l'outil est là si on veut l'utiliser. Si les gens l'utilisent dans 1 p. 100 des cas, ce n'est peut-être pas la loi qu'il faut changer, mais la façon de procéder. Nos critères sont peut-être trop larges. On hésite peut-être à utiliser ce moyen alors qu'en réalité, on pourrait l'utiliser plus souvent mais mieux dans l'évaluation du risque et de l'individu.

Le président: Merci, monsieur Normandeau. Merci, monsieur Marceau.

[Traduction]

Monsieur MacKay, vous avez sept minutes.

• 1620

[Français]

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Madame Brosseau, monsieur Normandeau, merci beaucoup de votre présentation.

[Traduction]

Vous nous avez donné une analyse très fouillée et manifestement, vous avez une connaissance approfondie de la question.

Vous avez formulé quelques commentaires qui m'ont donné des idées de questions, particulièrement au sujet du système de règlement des griefs à trois paliers. D'après ce que vous avez dit, il faut simplifier ce système, ou tout simplement éliminé des paliers.

S'il est vrai que dans ce système actuel, il y a redondance dans les paliers, l'information est simplement transmise d'un palier à l'autre et les décisions sont confirmées plutôt que vraiment examinées, est-ce que vous recommandez de télescoper le système—comme le proposait, je crois, M. Normandeau—en un seul palier, qui serait préférable notamment parce qu'il éliminerait la répétition, le double emploi et nous ferait gagner du temps? Il semble en effet que la question du temps soit cruciale lorsqu'il s'agit d'un détenu qui attend l'issue d'un grief ou une décision à son sujet. Il purge une peine et il est là, dans les limbes, en attendant la décision.

Ai-je bien présenté votre position?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Oui, très bien. C'est exactement ce qu'on propose. On est convaincus qu'un palier de grief efficace vaut mieux que trois paliers différents qui, finalement, ne changent rien.

Le problème, c'est que présentement, tous les griefs sont mis dans le même panier. Comme je l'expliquais plus tôt, on a des situations qui sont importantes, notamment lorsqu'on parle de transfert à un degré de sécurité plus élevé ou de renseignements confidentiels dans des rapports de sécurité qui vont empêcher une libération conditionnelle, amener un reclassement vers le haut ou empêcher un déclassement vers un niveau plus bas. Pour avoir du succès au niveau du service, il ne faut pas qu'on se trompe sur l'individu qu'on évalue, et cela à tous les niveaux. Il ne faut pas le placer trop haut et il ne faut pas non plus le placer trop bas.

Lorsque les gens ont à se plaindre de décisions importantes, il faut un vrai système de grief administré par une personne indépendante, et non par le directeur, ou encore le sous-commissaire ou le commissaire en troisième niveau. Ces gens-là se tirent dans le pied. Je vois mal un directeur de prison dire que son officier a eu tort et que le détenu a raison. Ce n'est pas que le directeur ne veuille pas le faire, mais la dynamique des pénitenciers fait qu'il mettrait ainsi son officier dans une position très précaire vis-à-vis de la personne détenue. Si un officier fait une seule erreur en 25 ans de carrière et qu'il a le malheur de la faire au bout de cinq ans seulement, cela va se répandre dans le milieu. L'individu sera catalogué par la population. On voit cela couramment. Cela fait partie de la dynamique du pénitencier.

Vous devez donc permettre à quelqu'un d'indépendant de bien évaluer un dossier et de ne pas se sentir pris entre l'arbre et l'écorce. C'est une solution qu'on proposait: il pourrait y avoir un autre système indépendant. Quant à faire un système de vérification, aussi bien en faire un qui est efficace, ce qui réduirait les coûts et les délais. C'est ce qu'il y a de plus important dans un pénitencier. S'il faut huit mois pour évaluer un dossier alors que la personne, entre-temps, a été libérée en fin de sentence, cela ne donne pas grand-chose. Tel est notre gros problème.

Deuxièmement, pour empêcher que les gens soient débordés de griefs, parce qu'on sait que le nombre de griefs est parfois énorme et que certains d'entre eux ne sont pas importants, nous proposions qu'il y ait un autre palier, c'est-à-dire un palier de requête. N'oubliez pas que quand le détenu fait un grief, c'est comme s'il disait qu'il se plaint. Parfois ce n'est pas en réalité une plainte qu'il fait. Il n'aime pas une situation ou il aurait une idée à soumettre ou une correction à proposer. Lorsque c'est toujours vu comme une plainte, l'officier qui reçoit la plainte se sent attaqué personnellement dans son travail, dans son évaluation par ses supérieurs. Au lieu d'amener les gens à se parler pour régler des problèmes qui sont parfois mineurs, cela crée exactement le contraire, soit une tension, et on ne règle rien. Donc, nous proposions qu'il y ait un palier de requête pour régler les choses qui sont de nature administrative.

On peut prendre un pénitencier au hasard, l'Institut Leclerc à Québec. Il y a des choses qu'on doit être capable de régler sur place, en impliquant les administrateurs du pénitencier et les officiers qui sont à ce niveau. Je n'appellerais pas cela un grief, mais une requête. Ainsi, les gens pourraient communiquer et régler un problème qui n'est pas de nature à modifier les conditions d'incarcération de l'individu. On limiterait alors le trop grand nombre de griefs à un autre palier, et ces problèmes pourraient très bien se régler à ce niveau si les gens avaient une formation.

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur MacKay, avez-vous d'autres questions?

M. Peter MacKay: Oui. Dans la même veine, brièvement.

• 1625

Si je comprends bien, ceux qui ont pour tâche de responsabiliser le système carcéral évitent essentiellement, eux-mêmes, de rendre des comptes.

En gardant cela à l'esprit, revenons à ce que vous avez dit au sujet des commissaires eux-mêmes, de leur indépendance et de leur capacité ou de leur réticence à prendre des positions fermes lorsqu'ils ne sont là que temporairement. Le processus de nomination que vous envisagez prévoit-il un comité ou l'élimination des commissaires temporaires?

J'aimerais savoir pourquoi vous estimez que c'est une solution que d'avoir des commissaires permanents, alors qu'il y a des problèmes dans les deux cas. S'il n'y a pas actuellement un système qui tient les commissaires responsables de leurs décisions ou de la lenteur avec laquelle ils traitent les dossiers, comment l'élimination des commissaires temporaires réglera-t-elle ce problème?

[Français]

Me Jacques Normandeau: La seule façon de régler le problème est de voir à l'indépendance des commissaires et à leur formation au niveau de leurs compétences. Vous avez raison de dire que le problème ne réside pas seulement dans le fait d'être temporaire ou d'être permanent, parce que quand quelqu'un est permanent, on peut se permettre de le mettre dans la glacière pendant un an. Il faut se demander pourquoi il a été nommé et pourquoi il est là. Pourquoi les citoyens paient-ils quelqu'un à rester chez lui? S'il est compétent, il devrait siéger normalement.

[Traduction]

M. Peter MacKay: Puis-je vous interrompre un instant? Proposez-vous de modifier la procédure de nomination, en éliminant l'aspect politique et en imposant des critères très stricts quant au choix des commissaires?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Je vous dirais que oui. C'est la meilleure façon de protéger la société et de ne pas commettre d'erreurs. Même si ces gens-là sont de bonne foi, certains, sans le vouloir, peuvent être limités dans certains domaines de compétence et font des erreurs de bonne foi. Cependant, cela peut avoir par la suite des conséquences assez graves pour les citoyens. Vous avez parfaitement raison de dire que c'est une question de compétence. Mieux les gens sont formés, plus le choix est minutieux à ce niveau et plus leur indépendance est assurée. À ce moment-là, vous auriez de meilleurs résultats et les gens auraient beaucoup plus confiance dans les décisions de la commission. Il ne faut jamais oublier cela. La qualité des décisions est un élément majeur et il faut effectivement les gens les plus compétents possible. On joue avec la sécurité des gens en bout de ligne, et c'est très important.

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur Wappel.

M. Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest, Lib.): Merci, monsieur le président.

Merci pour votre exposé. J'ai quelques questions très précises. Comme elles sont nombreuses, j'apprécierais que vous me répondiez par un seul mot. Ce serait fantastique. S'il faut plus d'un mot, une phrase conviendra.

Vous parlez de la procédure de règlement des griefs. Je présume qu'il s'agit de l'article 90.

[Français]

Me Carole Brosseau: Il faudrait que je regarde la loi, mais c'est fort possible.

Me Jacques Normandeau: Oui, c'est cela.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Bien. S'il s'agit de l'article 90, alors la procédure de règlement des griefs est énoncée dans les règlements, n'est-ce pas? Ce n'est pas la loi qui la définit.

[Français]

Me Jacques Normandeau: Pouvez-vous répéter la deuxième partie de votre question? Je pense l'avoir mal comprise. Excusez-moi.

[Traduction]

M. Tom Wappel: La procédure dont vous parliez, à trois paliers, est énoncée dans les règlements d'application de la loi, n'est-ce pas, et non dans la loi elle-même?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Il faudrait que je le vérifie pour en être sûr. Je ne peux pas vous le confirmer.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Je vous dirai que oui. Si vous constatez que j'ai tort, laissez-nous le savoir plus tard.

Deuxièmement, j'aimerais maintenant me concentrer sur l'enquêteur correctionnel. Vous dites qu'en pratique, il ne peut répondre à la demande. Sur quels faits repose cette affirmation? Une brève explication, s'il vous plaît.

[Français]

Me Jacques Normandeau: Sur les rapports annuels de l'enquêteur et de leur aveu même. On les rencontre régulièrement dans les pénitenciers et ils savent fort bien que, malgré leur bonne volonté, ils sont plutôt limités au niveau du temps pour vérifier les renseignements qui leur sont transmis ou les plaintes. Le nombre de plaintes est tellement élevé qu'effectivement...

• 1630

[Traduction]

M. Tom Wappel: Bien, monsieur Normandeau. Quand il viendra, nous lui demanderons s'il a du mal à répondre à la demande. Je voulais simplement savoir, et vous avez répondu à la question.

Dans l'interprétation, vous utilisiez le mot «commissioners». J'aimerais obtenir une précision. Quand vous parlez des «commissaires», parlez-vous des membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles? Est-ce d'eux que vous parlez, lorsque vous parlez de commissaires?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Oui.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Bien, parce que même en français, il s'agit des membres, et non des «commissaires». C'est un peu mêlant, puisqu'il y a aussi un commissaire du Service correctionnel du Canada et des sous-commissaires qui n'ont rien à voir avec la CNLC. Je voulais m'assurer que vous parliez bien de la Commission lorsque vous parliez des commissaires; c'est bien cela?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Oui.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Merci.

Ai-je bien compris qu'à votre avis, les membres de la CNLC ne sont pas indépendants? En avez-vous des preuves?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Je ne dis pas que le problème existe dans tous les cas, mais il existe. Au Québec, il y a eu, depuis un an, des cas très clairs qui ont été notés à la cour, ou encore des commissaires permanents ont eux-mêmes fait une demande d'enquête au solliciteur général. Ils ont demandé une enquête parce qu'ils se plaignaient de ne pas disposer de l'indépendance nécessaire à l'exercice de leurs fonctions. Alors, le problème a été noté.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Monsieur Normandeau, qui compromet leur indépendance? Qui, exactement?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Écoutez, je vais répondre plus personnellement. Je ne veux pas impliquer le... On est au courant de la situation, et je ferais allusion à ce moment-là...

[Traduction]

M. Tom Wappel: Monsieur, je ne connais pas la situation; je ne vis pas au Québec.

[Français]

Me Jacques Normandeau: Eh bien, il y a une réponse facile. Je peux vous envoyer le rapport qui a été fait par l'Association des avocats et avocates en droit carcéral du Québec, qui a clairement établi où était le problème, d'où il venait et de quelle façon cela procédait. Tout est là.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Bien, pourriez-vous le faire?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Ça va me faire plaisir de vous l'envoyer. Il est très précis.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Bien, excellent.

Avez-vous déclaré que le Barreau du Québec est contre la procédure d'examen expéditif sur examen du dossier seulement ou que vous êtes contre la procédure d'examen expéditif, point?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Je vous dirai que nous sommes contre l'examen expéditif, point. Nous n'avons rien contre le fait qu'une personne puisse être évaluée au sixième de sa peine, mais elle doit être évaluée au mérite. Nous sommes contre l'idée qu'une personne puisse être libérée d'une façon automatique, sans évaluation précise.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Bien. Excusez-moi. Je veux que cela soit très clair. Le Barreau du Québec est contre les articles 125 et 126. Est-ce bien là ce que vous dites? Il s'agit de la procédure d'examen expéditif.

[Français]

Me Jacques Normandeau: Le Barreau est contre le critère d'automatisme à partir du sixième de la peine.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Non, il y a deux articles.

[Français]

Me Jacques Normandeau: Oui.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Les articles 125 et 126. Voici le titre: procédure d'examen expéditif. Ma question me semble toute simple. Le Barreau du Québec est-il contre ces articles ou contre l'examen sur présentation du dossier seulement? Que faut-il comprendre?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Il est contre l'examen sous sa forme actuelle. C'est clair. Il est contre l'examen expéditif.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Vous n'êtes donc pas du tout en faveur de la procédure d'examen expéditif décrite dans ces articles, ou voulez-vous qu'il y ait chaque fois une audience?

[Français]

Me Jacques Normandeau: Dans l'examen expéditif, il y a deux choses. Ces articles 125 et 126 permettent de sortir... On fait une audience automatique, comme vous l'avez si bien dit, et elle permet au détenu d'être libéré automatiquement, obligatoirement lorsqu'il répond à des critères spécifiques; le détenu n'est pas libéré au mérite.

Nous sommes contre cette obligation. Nous croyons qu'il devrait y avoir une audition dans tous les cas. Nous ne parlons pas de deux auditions, mais d'une audition qui permette aux commissaires de juger de la personne. Dans un cas de fraude, par exemple, la personne n'est pas violente, mais on a tout ce qu'il faut dans le dossier pour être sûr qu'il va y avoir récidive la semaine suivante. Présentement, on est obligé de libérer quand même la personne. C'est contre cela qu'on en a. Donc, on devrait permettre une évaluation au sixième de la peine, mais toujours avec les vrais critères.

• 1635

[Traduction]

M. Tom Wappel: Voici ma dernière question, monsieur le président.

L'article 105 fixe les critères de choix des membres de la commission. Le Barreau du Québec s'oppose-t-il au paragraphe 105(1)? Pour vous faciliter les choses, précisons que la loi prévoit que les membres sont choisis parmi des groupes suffisamment diversifiés. Autrement dit, il ne peut s'agir de 45 avocats ayant représenté des criminels; ils doivent être diversifiés, en vertu de la loi. Je veux savoir si le Barreau du Québec s'oppose à cela ou s'il l'accepte.

[Français]

Me Carole Brosseau: Nous ne sommes pas contre la diversification au niveau de la formation. Nous croyons que sur le banc, quand deux membres de la Commission nationale des libérations siègent, au moins une des deux personnes devrait être juriste. L'idéal serait d'avoir, comme dans différents tribunaux administratifs, des gens qui aient des compétences diversifiées en criminologie, en travail social, etc. Elles peuvent être complémentaires, mais il faudrait qu'il y ait un juriste. Le régime de 1992 a transformé un système de privilège en un système de droit. La loi a été complètement modifiée. La mentalité de droit a été modifiée. D'ailleurs, ce n'est pas nous qui l'avons dit, mais la Cour suprême.

Il faudrait donc qu'un des deux membres ait une formation juridique. Nous ne disons pas que nous sommes contre la diversification.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Je veux comprendre. Il y a 45 membres à la commission et vous dites que la moitié d'entre eux, devraient d'après la loi, avoir une formation juridique. Est-ce votre position?

[Français]

Me Carole Brosseau: Si vous faites un quota, oui, mais il n'y a pas de quota. Le banc est composé de deux ou trois personnes.

[Traduction]

M. Tom Wappel: Je suis désolé, mais l'article 103 prévoit que la commission est composée de 45 membres. Vous dites qu'il devrait y avoir au moins un membre par comité. Par conséquent, ou bien moins de la moitié seront des avocats, et ils siégeront à plus d'un comité pour répondre au critère d'un juriste par comité, ou bien ils constitueront la moitié de la commission.

Puisque c'est un article de la loi, et que nous examinons cette loi, je vous demande si vous recommandez que la loi prévoit que la moitié, ou une certaine proportion, des 45 membres permanents de la Commission nationale des libérations conditionnelles soient des avocats ou aient une formation juridique.

[Français]

Me Carole Brosseau: Vous pourriez le faire non pas en parlant en termes de nombres, mais en faisant comme on fait dans le cas de nombreuses lois qui prévoient des tribunaux quasi judiciaires: vous pourriez dire que les membres qui siègent en première instance et en appel doivent être des membres différents et qu'en plus, un des deux membres doit avoir une formation juridique. Quant au nombre, je ne pourrais pas le déterminer. Cela dépend des gens qui y siègent, mais vous pourriez le préciser de cette manière en termes de rédaction législative.

M. Tom Wappel: Merci, madame. Merci, monsieur.

Me Jacques Normandeau: Nous ne pouvons pas être contre la diversité de la provenance des gens au niveau de la commission, parce que dans la pratique courante, on a vu à maintes reprises que c'était très pertinent. Il ne faudrait pas revenir là-dessus, car je pense que ce serait une erreur épouvantable. J'ai souvent vu des commissaires qui n'étaient pas des juristes, qui étaient peut-être des professeurs de musique, mais qui avaient une approche fort compétente, fort consciencieuse. C'étaient des gens très professionnels. Il ne faut pas enlever ça.

Cependant, de plus en plus, étant donné les décisions de la Cour suprême et à cause de la Charte, il y a des points de droit sur des questions précises au niveau de la qualité de l'information, ce qui fait que des commissaires qui sont compétents dans l'analyse globale d'un dossier sont amenés à se pencher sur des problèmes juridiques. Vous n'avez qu'à penser à la cause Mooring de la Cour suprême. Isolez les 45 commissaires permanents que vous avez au Canada, demandez-leur de vous expliquer dans leurs mots ce que veut dire la cause Mooring et vous allez avoir le portrait de la situation. C'est peut-être la cause la plus importante. On le constate sur le terrain.

• 1640

Il ne serait peut-être pas nécessaire que cette personne soit un avocat, mais il faudrait qu'elle ait une formation juridique. On peut prendre un ancien pompier ou un ancien policier et lui donner une formation juridique qui lui permettra d'être très à l'aise devant ces notions. Les commissaires eux-mêmes ne se sentent pas toujours à l'aise devant une question très minutieuse. Ils sont de bonne foi, mais ils se demandent s'ils doivent aller dans ce sens-là et si la preuve présentée est sûre. Quelle est la définition d'une preuve sûre et convaincante, d'un élément sûr et convaincant dans l'analyse d'un dossier? Posez la question et vous obtiendrez 20 réponses différentes.

Il ne s'agit pas de les diminuer, mais, bien au contraire, de les aider. Un membre du panel qui a une formation juridique va guider ses collègues et leur éviter certaines erreurs. D'autre part, la diversification de la provenance des gens, de leur culture et de leurs connaissances personnelles est certainement primordiale au niveau de la commission. Sans cela, on va se détacher des gens, de M. Tout-le-Monde, au niveau des décisions. La meilleure façon de garder le contact avec la réalité est d'avoir beaucoup de diversité. Je suis entièrement d'accord là-dessus.

[Note de la rédaction: Inaudible]

Le président: ...

Me Carole Brosseau: Oui, je vais vous en envoyer des exemplaires.

Le président: Vous pouvez nous envoyer ces décisions?

Me Carole Brosseau: Sans problème. Je vais vous les envoyer cette semaine.

Le président: Merci.

[Traduction]

M. Grose a une dernière question.

M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci. Ce n'est pas tellement une question. Peut-être que ce témoignage va trop vite ou que j'ai l'esprit trop lent pour comprendre. La dernière hypothèse est probablement la bonne. Mais tous les autres témoignages n'étaient pas aussi approfondis pour ce qui est de l'indépendance des membres de la CNLC. J'ai très hâte d'entendre la réponse à la question de M. Wappel, puisque j'estime que c'est très important.

[Français]

Le président: Merci, monsieur Grose.

Je remercie les témoins. Je sais que vous avez des engagements. Merci beaucoup de votre présence.

Nous allons faire une pause de deux ou trois minutes pendant le changement de témoins.

• 1643




• 1647

[Traduction]

Le président: Nous recevons maintenant les témoins de l'Association du Barreau canadien, soit M. Michael Jackson, M. Allan Manson et Mme Tamra Thomson.

Allez-vous tous présenter un exposé; avez-vous décidé de la façon dont se déroulera votre témoignage? Allez-y, madame Thomson.

[Français]

Mme Tamra L. Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): L'Association du Barreau canadien est un organisme national qui représente plus de 4 000 juristes au Canada. Parmi les principaux objectifs de l'association figure l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans cette optique que nous faisons notre commentaire d'aujourd'hui.

[Traduction]

Je suis aujourd'hui accompagnée par deux membres du Comité sur l'emprisonnement et la libération de l'Association du Barreau canadien. Ce comité travaille depuis plus de 12 ans sur toutes les questions se rapportant au droit carcéral et a participé activement à chacun des examens par le gouvernement des lois correctionnelles au Canada.

Le professeur Manson et le professeur Jackson sont non seulement professeurs de droit, ils exercent aussi le droit dans le domaine carcéral. Je vais demander au professeur Manson de vous présenter les aspects les plus importants du mémoire que nous vous avons remis.

Me Allan Manson (professeur et avocat, Comité sur l'emprisonnement et la libération, Association du barreau canadien): Merci beaucoup, Tamra.

Merci, monsieur le président et membres du comité, de nous avoir invité cet après-midi.

En chemin, Michael et moi-même bavardions et nous nous souvenions avoir comparu en 1976 comme témoins du prédécesseur de votre comité, alors présidé par feu Mark MacGuigan, et qui avait rédigé un très important rapport sur l'histoire du droit carcéral et de la libération conditionnelle au Canada: le rapport du sous-comité parlementaire de 1977. Michael avait comparu à Vancouver.

Vous aviez six ans à l'époque? Nous aussi!

Je vous prie de vous reporter à la page 11 de notre mémoire où vous verrez des extraits de ce rapport:

    Il est vraiment ironique que l'emprisonnement, le produit fondamental de notre système de justice pénale, suscite lui-même des injustices. Nous pensons à l'absence générale dans les pénitenciers d'un système de justice qui protège la victime autant qu'il punit le contrevenant; un système de justice qui s'appuie sur une base rationnelle et permette d'administrer une collectivité, y compris l'ensemble des détenus d'une prison, suivant des normes et des règlements acceptables; un système de justice qui est appliqué selon des procédures équitables et impartiales, observé rigoureusement; un système de justice qui découle de règlements qu'on ne peut pas violer délibérément; un système de justice auquel tous sont assujettis sans crainte ou sans faveur.

C'est ce que disait en 1977 le Comité de la justice de l'époque.

En 1979, la Cour suprême du Canada a reconnu l'obligation pour les autorités carcérales d'agir avec équité. En 1982, le Parlement canadien et d'autres assemblées législatives canadiennes ont inscrit la Charte des droits et libertés dans notre Constitution.

• 1650

Au milieu des années 80, le Bureau du solliciteur général a lancé le Projet de révision du droit correctionnel. Notre comité a commencé à travailler sur le sujet à la même époque et a présenté un rapport en 1988, pour participer à ce projet. Ce rapport qui comportait trois volets principaux s'intitulait «Justice derrière les murs». Les décisions relatives au système carcéral et aux libérations conditionnelles devaient être justes. Il était essentiel de se conformer au cadre juridique. Troisièmement, un examen par des tiers était manifestement nécessaire.

Quoi qu'on pense des gens étiquetés comme criminels au Canada, tous conviennent du fait que les institutions publiques doivent être gérées de manière équitable, humaine et licite. Nous avons participé au projet de révision du droit correctionnel et d'ailleurs—je suis persuadée que c'est aussi le cas de Michael—je vois dans certaines dispositions de la loi des petites phrases que j'ai moi-même concoctées. Elles sont là, dans la loi.

Malheureusement, à la toute dernière minute, avant la mise en oeuvre de la loi, des impératifs opérationnels ont été invoqués. Dans bien des cas où le pouvoir discrétionnaire des autorités avait été structuré, il a été rouvert pour s'assurer, je présume, que les autorités carcérales avaient plus de marge de manoeuvre. Cela nous avait alors fort préoccupés. Nous craignons que la structure qu'il fallait nécessairement à notre avis imposer à ce pouvoir discrétionnaire n'existait plus. Nous pensions que le système n'aurait pas l'ouverture et l'intégrité que nous avions souhaité trouver dans la loi de 1992.

En revenant cinq ans en arrière, nous constatons malheureusement que nos craintes étaient fondées. On le constate dans le rapport de la Commission Arbour de 1995 sur les événements survenus à la prison des femmes, en 1994. La culture des services correctionnels canadiens ne respecte pas la primauté du droit.

Plutôt que d'examiner bon nombre de questions dont nous traitons dans notre mémoire, nous nous concentrerons sur une question interne qui à notre avis montre bien la nature du régime carcéral au Canada et la nécessité d'un arbitrage indépendant. Mon collègue le professeur Jackson vous parlera dans un instant de la question de l'isolement préventif qui a causé les problèmes de 1994 à la prison des femmes et de la façon dont le gouvernement a réagi depuis.

Ensuite, si vous avez des questions, nous pourrons vous parler de la libération conditionnelle. Nous en parlons dans notre mémoire. À notre avis, la commission actuelle n'est pas capable de s'acquitter de son mandat. Nous pourrons vous en reparler si vous avez des questions précises à ce sujet. Je ne prendrai pas tout le temps qui nous est imparti et je donne la parole à mon collègue.

Le président: Merci, monsieur Manson.

Me Michael Jackson (professeur et avocat, Comité sur l'emprisonnement et la libération, Association du barreau canadien): Merci, monsieur le président et membres du comité.

Dans notre rapport de 1988 intitulé «Justice derrière les murs», qui était notre contribution à la préparation de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, l'une de nos principales recommandations—je dirais même la grande recommandation—voulait qu'il y ait un arbitrage indépendant et un examen externe des décisions qui se touchaient aux droits et aux libertés résiduelles des détenus, afin de s'assurer que la primauté du droit était respectée dans l'enceinte des prisons.

Le comité parlementaire avait dit en 1977 que c'était l'un des éléments essentiels à la justice pour tous les Canadiens, y compris les détenus. C'était une chose essentielle à l'approbation de la Cour suprême du Canada, en 1977. Cette recommandation était particulièrement importante en ce qui a trait à l'isolement préventif.

Le comité parlementaire de 1977 était convaincu de la nécessité d'un arbitrage indépendant dans les dossiers disciplinaires, au point de demander la nomination par le système carcéral de présidents indépendants pour traiter des questions disciplinaires.

• 1655

M. Gouk se préoccupe des conséquences applicables à la mauvaise conduite des détenus; c'est un sujet que le SCC prend au sérieux. Il y a un régime disciplinaire. L'idée que ce régime, parce qu'il pouvait avoir pour résultat, et cela s'est produit, que des détenus soient envoyés en isolement préventif ou en isolement solitaire, perdant ainsi leur liberté... Il fallait que quelqu'un d'autre que le gardien ou son délégué examine la preuve, l'évalue dans le cadre des accusations portées et rende une décision. C'est ce qui a été fait.

Par contre, on n'a pas répondu au besoin d'arbitrage indépendant dans les cas d'isolement préventif. Avant la LSCMLC, et après, le directeur peut placer un détenu en isolement préventif en fonction de critères très larges, sans qu'il y ait un arbitrage indépendant. Le comité parlementaire de 1977 disait qu'il y avait bien là un besoin d'arbitrage indépendant, mais qu'il fallait accorder au SCC la possibilité de faire avancer les choses lui-même, de mettre au point ses propres procédures pour se conformer à la loi. Cette capacité du SCC de veiller elle-même à l'observation de la loi, d'avoir ses propres systèmes de reddition de comptes, a été mise à l'épreuve à maintes reprises depuis lors, pour ne montrer que son insuffisance.

L'Association du barreau canadien recommande que la LSCMLC soit renforcée du point de vue du respect de la primauté du droit, du respect des droits des détenus, du respect du droit à la justice de tous les Canadiens, par un système d'arbitrage indépendant dans les cas d'isolement préventif. Rappelons que lorsqu'un détenu est en isolement préventif, il peut y rester des semaines, des mois, voire des années. C'est la façon la plus brutale, la plus agressive de s'attaquer aux droits d'un Canadien, au Canada.

La LSCMLC ne prévoit pas d'arbitrage indépendant dans les cas d'isolement préventif. À l'époque, le Service correctionnel du Canada et le commissaire ont assuré aux parlementaires que les dispositions de la LSCMLC se rapportant à l'isolement préventif et les procédures qui y étaient prévues pour l'examen administratif par le SCC, étaient suffisantes et garantiraient en fait que les abus passés ne se répéteraient pas dans les années 90.

Le rapport Arbour lui-même est le test décisif de la façon dont la LSCMLC a pu garantir la conformité à la loi. D'ailleurs, ce rapport risque de devenir un mauvais souvenir de notre histoire. Si j'ai bien compris, il n'est plus imprimé. Pourtant, comme je le dis à la page 18 de notre mémoire, le rapport Arbour marque un point tournant dans l'histoire correctionnelle du Canada, en mettant au jour des pratiques et des attitudes comme jamais n'auraient pu le faire les dénonciations du système judiciaire isolées et peu divulguées de la part de prisonnières et de prisonniers. Sous de nombreux aspects, le rapport propose pour les années 90 le même genre de recommandations que le rapport du comité parlementaire sur le système pénitentiaire du Canada avait proposées dans les années 1970. Les constatations du rapport Arbour nous permettent de mesurer à quel point le système correctionnel a (ou n'a pas) réussi à adapter ses méthodes à deux des principes fondamentaux édictés dans le rapport du comité parlementaire, à savoir que «la primauté du droit a préséance à l'intérieur des pénitenciers canadiens» et que «la justice constitue un droit pour les détenus ainsi qu'une condition essentielle de leur socialisation et de leur réhabilitation».

Comme les membres du comité le savent sans doute, le rapport Arbour a constaté des violations systémiques de la loi pour chaque domaine et chaque procédure examinée—les fouilles à nu, les fouilles des cavités corporelles, les transfèrements, les griefs et l'isolement préventif. C'est au sujet de l'isolement préventif que madame la juge Arbour a exprimé les critiques les plus acerbes, faisant du Service correctionnel du Canada un exemple de système correctionnel où la primauté du droit cédait souvent le pas à la réalité des opérations, à l'efficacité administrative.

Madame la juge Arbour a fait des recommandations au sujet de la LSCMLC et du SCC. Elle estimait qu'on ne pouvait faire confiance au SCC pour veiller lui-même à son observation de la loi. Elle a insisté sur le fait que la LSCMLC n'était pas un document étranger, imposé au Service correctionnel. Les fonctionnaires du SCC ont participé à la rédaction, à la création et à la mise en oeuvre de cette loi. Ce n'est pas une loi qui lui a été imposée par les tribunaux ou par l'Association du barreau canadien. Le SCC devrait donc être en mesure de s'y conformer.

• 1700

Elle a constaté qu'on ne s'y était pas conformé et elle a recommandé que l'isolément préventif fasse l'objet d'un arbitrage indépendant, soit par des juges ou par des arbitres indépendants, qui pourrait être quelqu'un d'autre qu'un juge, mais certainement pas le directeur de l'établissement; ce devait être quelqu'un à l'extérieur du système carcéral. Le directeur peut certainement prendre la décision au départ, mais à un moment donné, cette décision doit être examinée, avec ses preuves et ses raisons, que ce soit 5, 14 ou 30 jours plus tard, par une personne indépendante. Cette recommandation a été faite en 1996.

Comme de nombreux employés du CSS prétendaient que le cas de la prison des femmes était isolé dans le temps et dans l'espace, n'était pas représentatif du SCC ailleurs au pays, le commissaire du service correctionnel a nommé un Groupe de travail chargé de visiter chacune des unités d'isolement préventif des pénitenciers fédéraux du pays pour parler au personnel, pour évaluer leur compréhension de la loi et pour prendre les mesures nécessaires pour que l'incident décrit dans le rapport Arbour ne se reproduise jamais dans une unité d'isolement préventif de compétence fédérale.

On m'a demandé de participer à ce groupe de travail et j'étais l'un des trois membres de l'extérieur. Les autres étaient le professeur Monture-Angus, un Mohawk, professeur de droit de l'Université de la Saskatchewan et M. Todd Sloan, que vous recevrez peut-être, qui est conseiller juridique à l'établissement carcéral que nous avons examiné. Nous étions membres avec droit de vote du groupe de travail chargé de cet examen national.

Le groupe de travail a notamment constaté que les observations de la juge Arbour à la prison des femmes étaient valables dans certaine mesure, dans certains cas dans une large mesure, pour chacun des établissements.

Nous avons constaté une attitude cavalière par rapport à la loi. Ce n'est pas que le SCC faisait des efforts pour enfreindre la loi, mais lorsqu'il y avait un conflit entre la loi... souvent, la loi n'était pas bien comprise, mais même lorsqu'elle l'était, la réalité des opérations avait préséance. Il y avait un droit coutumier propre au SCC qui l'emportait sur la LSCMLC.

Il y a eu une discussion animée au sein du groupe de travail sur la façon de corriger la situation, de s'assurer que nous nous acquitterions du mandat que nous avait confié le commissaire, c'est-à-dire de veiller à ce que les événements de la prison des femmes ne se reproduisent plus jamais. Aucun commissaire n'aurait plus à vivre l'humiliation d'une démission, ni d'être tenu responsable par le public canadien de ce qui s'était produit à la prison des femmes.

Le groupe de travail a recommandé deux voies principales de réforme et il y a eu de très vives discussions au sien du groupe de travail entre ses membres qui travaillaient pour le SCC et les autres, comme moi-même, qui étaient des observateurs de l'extérieur. Les deux voies de réforme prévoyaient que le SCC prendrait des mesures pour s'amender. Il devrait mettre au point une meilleure formation juridique pour son personnel. Il devrait s'assurer que chacun de ses employés comprenne bien la loi, du gardien au directeur. Il devrait améliorer les communications et s'assurer que les employés connaissent bien les exigences de la loi et que celles-ci devaient devenir la réalité des opérations. C'était là la première voie de réforme.

La deuxième voie de réforme était de prévoir un arbitrage indépendant. Parce que certains employés du SCC étaient sceptiques... si vous êtes avocat, vous jugerez naturellement que les avocats feront un meilleur travail. Cela nous ramène à la préoccupation de M. Wappel. Les avocats sauveront-ils le monde? Les avocats règlent tous les problèmes. Demandez-le à tout professionnel—je suis sûr que les parlementaires ne font pas exception—et il vous dira, s'il est travailleur social, que davantage de travailleurs sociaux parviendraient à régler les problèmes. Les avocats ont la même attitude, et moi-même j'ai souvent l'impression que ceux qui me ressemblent peuvent faire mieux que ceux qui ne me ressemblent pas.

• 1705

Bien sûr, ce rapport comporte ses limites, et parce que les membres du groupe de travail retenu par le SCC se sont demandés si en fait des gens ayant une formation juridique feraient un meilleur travail... comprendraient-ils la dynamique d'une prison, qu'il est difficile de prendre en compte les témoignages provenant d'informateurs dans les établissements? En raison de ces préoccupations, le groupe de travail dans son ensemble, y compris les représentants nationaux et régionaux, les directeurs de prison et le personnel hiérarchique, après un débat exhaustif, a fait valoir la nécessité de tenter l'expérience de l'arbitrage indépendant. Ils ont proposé qu'on choisisse deux établissements du pays où l'on ferait l'exemple de l'arbitrage indépendant afin de déterminer si ce que l'Association du barreau canadien avait dit en 1988 et ce que Mme la juge Arbour avait dit en 1996 était juste, à savoir qu'un arbitrage indépendant assurerait un niveau d'équité que le SCC n'avait pu apporter à son application de la LSCMLC.

Nous avons aussi recommandé, sachant que cet examen avait lieu, que l'on accélère le déroulement de l'expérience afin que vous puissiez l'évaluer vous-mêmes et déterminer si ce processus assurait l'équité et le respect de la loi mieux que ce que prévoit la loi actuellement.

C'est la recommandation qui a été faite au commissaire en 1997. Peu de temps après, le commissaire a reçu un rapport de Max Yalden, l'ancien commissaire en chef de la Commission canadienne des droits de la personne, qui avait été chargé d'examiner les droits de la personne au SCC et de suggérer des façons d'assurer le respect des conventions internationales et des documents canadiens confirmant les droits de la personne. M. Yalden a approuvé la recommandation du groupe de travail sur l'isolement préventif voulant que soit mis sur pied un projet-pilote sur l'arbitrage indépendant.

Mme la juge Arbour avait recommandé sans équivoque au commissaire non pas qu'on mène un projet-pilote, mais bien qu'on modifie la loi. Le groupe de travail du commissaire avait proposé un projet-pilote, suggestion qu'avait avalisée le plus grand spécialiste des droits de la personne du pays. Que s'est-il passé? Le commissaire a dit: «Je ne mènerai aucune expérience de ce genre; j'améliorerai simplement les procédures existantes car je suis convaincu que nous pouvons faire mieux.»

Voilà où nous en sommes. Il n'y a pas eu de projet-pilote, vous n'avez pas été en mesure de l'évaluer, et l'Association du barreau canadien continue de maintenir que l'isolement préventif et la légalité et l'équité de ce processus constituent le critère décisif de la légalité de l'autorité carcérale au Canada. L'arbitrage indépendant en est un aspect absolument fondamental.

Aucune expérience n'a été menée que nous pourrions examiner. D'après l'Association du barreau canadien, nous n'avons même plus besoin de tenter l'expérience. La LSCMLC devrait être modifiée de façon à prévoir l'arbitrage indépendant à un moment ou l'autre du processus, sans plus tarder, afin que se concrétise la promesse du comité parlementaire et la promesse de la loi même qui était censée créer un système correctionnel juste et efficace.

Le président: Merci, monsieur Jackson. Nous passons maintenant aux questions.

Monsieur Gouk, vous avez sept minutes.

M. Jim Gouk: Merci, monsieur le président, et merci à vous tous de tous ces renseignements que vous nous avez donnés. Je n'ai pas encore eu la chance de lire tous ces documents, je n'ai pu que les feuilleter pendant que vous faisiez vos remarques liminaires.

Vous avez entre autres choses parlé de la violation des droits des prisonniers, notamment lorsqu'il y a transfèrement et fouille à nu. Pourriez-vous développer?

Voulez-vous laisser entendre, premièrement, que les prisonniers ne devraient pas être soumis à des fouilles à nu et, de même, en ce qui a trait au transfèrement, que les autorités carcérales ne devraient pas avoir le droit de transférer les prisonniers lorsque cela leur semble indiqué et que ce devrait être aux détenus de choisir l'endroit où ils veulent être incarcérés?

Je vous prierais de me répondre brièvement car j'ai d'autres questions à vous poser.

M. Michael Jackson: Non, je ne prétends pas que les établissements ne devraient pas être en mesure de transférer des détenus. Plutôt, nous estimons que cela doit se faire dans un cadre juste. D'après notre propre expérience et celle des autres praticiens qui travaillent sur le terrain, le processus n'est pas en pratique aussi juste que le prévoie la LSCMLC, encore une fois, parce qu'il n'y a pas d'arbitrage indépendant.

• 1710

M. Jim Gouk: Autrement dit, si un détenu est transféré contre son gré, il devrait avoir le droit d'en appeler de cette décision.

M. Michael Jackson: Oui, surtout dans le cas des transferts imposés. Je n'entrerai pas dans les détails, mais je m'occupe en ce moment d'une affaire impliquant un détenu qui pourrait perdre cinq ans de travail dans le cadre de différents programmes parce qu'on allègue qu'il a participé à une attaque au couteau à l'établissement de William Head. La police a mené une enquête. Les policiers m'ont dit personnellement qu'ils ne croient pas que mon client ait été mêlé à cette attaque. Toutefois, le directeur de la prison, se fiant à ses propres sources, compte transférer ce détenu dans un établissement à sécurité maximale. Je prétends—et je suis convaincu que, si je pouvais plaider ma cause, vous seriez d'accord avec moi—que rien ne justifie le transfèrement. Mais je ne pourrai justement plaider ma cause.

M. Jim Gouk: D'accord. Je croyais que, lorsque vous parliez de transfèrement, vous parliez du déplacement d'un endroit à un autre, par opposition à un établissement d'un certain niveau de sécurité à un autre. Avez-vous les mêmes préoccupations au sujet des transfèrements d'un endroit à un autre?

M. Michael Jackson: Habituellement, lorsqu'on transfère un détenu d'un endroit à un autre, c'est qu'on l'envoie dans un établissement où le niveau de sécurité est plus élevé. Mais nos préoccupations sont les mêmes concernant les transfèrements d'un établissement à sécurité maximale tel que celui que vous avez vu la semaine dernière à Kent, à un autre tel que Port-Cartier, 3 000 milles plus loin.

M. Jim Gouk: S'il y a une douzaine de Hell's Angels dans une province—disons au Québec—et que les autorités pénitentiaires décident de les séparer, de les envoyer dans plusieurs établissements, pourquoi cela serait-il un problème? Ces détenus devraient-ils avoir les mêmes droits?

M. Michael Jackson: Notre proposition ne rendrait pas ces transfèrements impossibles, mais ferait en sorte que la décision soit prise compte tenu de toutes les incidences sur les autres principes de la LSCMLC, à savoir le retour dans la famille et le maintien d'un contact avec la collectivité. On peut déroger à ces principes dans certains cas particuliers, mais nous souhaitons qu'on institue une procédure qui permette de tenir compte de tous ces facteurs sans qu'aucun ne prime l'autre.

M. Jim Gouk: Quelle objection voyez-vous à la fouille à nu?

M. Michael Jackson: Nos objections à la fouille à nu... Nous n'en traitons pas précisément dans notre mémoire, mais M. Morin vous a présenté un exposé très convaincant. On a parlé du cas de M. Morin à plusieurs reprises cet après-midi. Vous vous êtes entretenu avec lui à l'établissement de Kent, c'est le type barbu qui vous a dit qu'il avait peut-être l'air d'un hippy, mais qu'il n'était pas un drogué. Il s'oppose—tout comme le barreau—à la fouille à nu systématique des détenus, cette sorte de fouille prévoyant que le détenu se penche pour permettre une inspection visuelle de son rectum, une mesure si envahissante et humiliante qu'elle ne devrait pas se faire de façon habituelle. Cela ne devrait se faire que pour un motif bien précis. M. Morin ne vous a pas menti lorsqu'il vous a dit que l'on aurait pu légalement exiger qu'il se soumette à une fouille à nu après vous avoir rencontré. On ne l'a pas exigé, mais on aurait pu le faire.

M. Jim Gouk: À votre avis, la libération conditionnelle est-elle un droit dont jouissent les détenus ou un outil correctionnel?

M. Michael Jackson: Vous devriez peut-être répondre.

M. Allan Manson: Vous posez-là une question très vaste...

M. Jim Gouk: J'aimerais avoir une réponse brève.

M. Allan Manson: Il n'y a pas de réponse brève à cette question. En 1987, la commission de la détermination de la peine a publié un rapport dans lequel elle recommandait l'abolition de la libération conditionnelle. L'Association du Barreau canadien a répondu en disant qu'il ne fallait abolir la libération conditionnelle, mais plutôt prévoir un régime présomptif. Ce n'est pas ce que prévoit la partie 2 de la LSCMLC. Peut-être que maintenant, 12 ans plus tard, puisque nous avons déjà la procédure d'examen expéditif, le maintien en incarcération et une baisse radicale des libérations conditionnelles—comme l'indique les chiffres bruts et le taux d'octroi des libérations conditionnelles—il serait temps de revoir les éléments essentiels du régime de détermination de la peine du Canada et de se poser quelques questions difficiles sur le rôle de la supervision, que ce soit dans le cadre d'une libération discrétionnaire ou autre. Le temps est peut-être venu de mener un examen très vaste. Je ne suis pas certain que vous puissiez le faire dans le cadre de votre étude de la LSCMLC.

M. Jim Gouk: J'ai une dernière question à vous poser.

M. Allan Manson: Nous sommes convaincus que l'aide fournie par l'État peut améliorer la réinsertion sociale. Mais il reste à déterminer quelle forme devrait prendre cette aide. Un régime de libération conditionnelle n'est peut-être pas essentiel pour ce faire.

M. Jim Gouk: J'ai une dernière question à vous poser.

• 1715

Le président: Est-ce une courte question d'ordre général?

M. Jim Gouk: La question sera brève, mais je n'ai aucun contrôle sur la réponse.

À votre avis, les détenus devraient-ils jouir des mêmes droits que les citoyens respectueux des lois qui ne vivent pas en prison, sauf pour la liberté de mouvement?

M. Allan Manson: La Cour suprême du Canada a confirmé...

M. Jim Gouk: Je veux votre avis, pas celui de la Cour suprême.

M. Allan Manson: Je suis d'accord avec la Cour suprême du Canada. Les détenus devraient jouir des mêmes libertés civiques et autres droits que les autres citoyens, sauf ceux qui leur sont refusés par la loi expressément ou implicitement, du fait qu'ils sont incarcérés. C'est la position de l'Association du Barreau canadien.

M. Michael Jackson: Monsieur Gouk, si je peux me le permettre, je vous renvoie à la page 22 de notre mémoire. Vous y trouverez-là une réponse à bien des questions que vous avez posées—des questions très pénétrantes. Mme la juge Arbour a tenté de répondre à cette question très pertinente et très logique de savoir pourquoi les prisonniers devraient avoir des droits. N'ont-ils pas renoncé à ces droits? Je renvoie le comité à la citation des propos de Mme Arbour qui est au bas de la page 22, en caractères gras:

    On doit résister à la tentation de banaliser la violation des droits des détenus soit en la considérant comme étant insignifiante soit parce que ce sont les droits de personnes qui ne méritent pas mieux. Lorsqu'un droit est accordé en vertu de la loi, son respect est tout aussi important en dépit du fait qu'il s'applique à un détenu. De toute façon, il est toujours plus important que l'application stricte des droits soit effectuée dans les cas où le droit est le plus significatif.

L'Association du Barreau canadien est d'avis que ces droits et leur défense sont des plus importants là où ils sont les moins visibles pour la population canadienne.

Le président: Merci.

[Français]

Monsieur Marceau.

M. Richard Marceau: Je vous remercie de votre présentation. J'ai trouvé cela très intéressant. C'est intéressant que vous soyez venus témoigner juste après le Barreau du Québec. Est-ce que les propos des avocats du Barreau du Québec sont partagés par l'Association du Barreau canadien?

[Traduction]

M. Allan Manson: Nous sommes certainement d'accord avec leurs remarques sur le processus interne de traitement des griefs. Il ne fonctionne pas. Il ne prévoit pas de recours en cas de plainte comme ce devrait être le cas pour un environnement contrôlé comme les pénitenciers.

En ce qui a trait aux autres remarques—au sujet de la procédure d'examen expéditif, par exemple, je ne suis pas d'accord.

[Français]

M. Richard Marceau: C'est principalement cela que je voulais savoir. C'est votre vue personnelle. Maître Jackson et maître Thomson, êtes-vous d'accord avec Me Manson sur la procédure d'examen expéditif?

[Traduction]

M. Michael Jackson: L'Association du Barreau canadien n'a pas adopté de position officielle à ce sujet. Pour ma part, j'estime que la procédure d'examen expéditif répond à un but précis, mais je m'oppose à tout examen qui se fait sur dossier seulement. À cet égard, je partage les préoccupations du Barreau du Québec concernant l'indépendance de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

Outre les critères prévus à la LSCMLC sur la diversité—qui m'apparaissent importants—j'aimerais qu'on prévoie aussi d'autres critères pour s'assurer que les membres de la Commission des libérations conditionnelles sont compétents et ont toute la confiance et le soutien dont ils ont besoin pour assumer les risques inhérents aux décisions qu'ils prennent. Ces décisions sont certainement tout aussi importantes que celles prises par les autres fonctionnaires. Par conséquent, on pourrait prévoir des critères semblables à ceux prévus pour les juges des cours supérieures. Cela ne veut pas dire que les membres de la commission devraient avoir la même formation juridique que les juges des cours supérieures, mais ils devraient jouir de la pleine confiance du public pour ce qui est de rendre des décisions qui auront une incidence sur les Canadiens.

• 1720

M. Allan Manson: J'aimerais ajouter une chose. En ce qui a trait à l'indépendance, ce n'est pas tant une question structurelle—autrement dit, ce n'est pas fonction du processus de nomination—qu'une question de transparence, comme l'a dit Michael. Il faut que les commissaires comprennent ce que cela signifie que de remplir un mandat législatif et qu'ils aient la confiance et la compétence nécessaires pour remplir ce mandat. Mais il n'est pas nécessaire d'être avocat pour cela, loin s'en faut.

Un peu partout au pays, on constate qu'il y a de moins en moins d'aide juridique pour les prisonniers. Nous écoutons les enregistrements des audiences de libération conditionnelle où il n'y avait pas d'avocat. Je ne dis pas qu'un avocat devrait toujours être présent, mais je suis fermement convaincu que les commissaires agissent différemment selon qu'un avocat est présent ou non. S'il n'y a pas d'avocat, les commissaires font peu de cas du détenu, et ce n'est pas juste. Les membres de la commission devraient respecter leur mandat législatif, le comprendre et rendre des décisions dans le cadre d'un processus juste pour tous. Ce n'est pas le cas actuellement.

[Français]

M. Richard Marceau: J'ai lu votre mémoire en diagonale. C'est toujours le même problème: on n'a pas le temps de lire les mémoires avant la séance. On vient tout juste de l'avoir et j'essayais de le lire pendant que vous faisiez votre présentation. J'ai été un peu surpris en lisant votre recommandation numéro 6 et j'aimerais que vous me l'expliquiez. Elle se lit comme ceci:

    ...toute assertion d'une prisonnière ou d'un prisonnier, si elle est plausible et crédible, doit être acceptée et reconnue comme véridique, sans qu'il soit nécessaire de la corroborer.

Qu'est-ce que cela veut dire?

[Traduction]

M. Allan Manson: Sans qu'il soit nécessaire de la corroborer?

[Français]

M. Richard Marceau: Oui.

[Traduction]

M. Allan Manson: Je vous explique, brièvement.

Cela me ramène à ce que je disais tout à l'heure sur le manque d'aide juridique. Les détenus devraient pouvoir—pas toujours, mais parfois—intenter des poursuites contre la commission, demander aux tribunaux de surveiller le fonctionnement de la commission. Les causes entendues par la Division de première instance de la Cour fédérale sont très rares, et pour ce qui est de limiter l'habeas corpus, c'est encore plus rare.

Ça découle d'un cas particulier et d'une interprétation erronée de remarques qui ont été faites dans l'arrêt Mooring, où la question était de savoir si la Commission nationale des libérations conditionnelles est un tribunal compétent aux fins de l'article 24 de la Charte et si elle peut exclure des éléments de preuve. M. le juge Sopinka décrit la différence entre le processus d'audience des libérations conditionnelles et la procédure judiciaire, et il souligne que les tribunaux se prononcent sur l'admissibilité de la preuve et peuvent rejeter des éléments pour diverses raisons, y compris des motifs relevant de la Charte. En revanche, la commission agit sur la foi de renseignements.

J'ai entendu un enregistrement d'une audience où cet énoncé a été interprété de façon tout à fait erronée par les commissaires. Il s'agissait d'une affaire où il était allégué que le prisonnier avait utilisé un faux nom. Le détenu a tenté d'expliquer que lorsqu'il était arrivé au pénitencier, on avait fait une erreur et mal épelé son nom. Il a tenté de faire valoir qu'il pourrait montrer comment s'écrivait en fait son nom s'il avait ses documents de naturalisation et son certificat de naissance. Il n'employait pas de faux nom; il utilisait le nom que ses parents lui avaient donné à la naissance.

Les commissaires ont dit à ce détenu qu'ils étaient bien désolés, mais qu'ils ne pouvaient agir que sur la foi de renseignements, qu'ils ne pouvaient entendre de témoignages et qu'ils ne pouvaient donc tenir compte de ce qu'il leur avait dit. Lorsque vous lisez la recommandation no 6, elle vous semble probablement superflue. Un organisme, tel que la Commission des libérations conditionnelles, devrait pouvoir entendre le témoignage de quelqu'un—que ce soit vous, monsieur MacKay ou M. Jackson—et décider de le croire ou non. La commission a déclaré qu'elle ne pouvait même pas l'entendre.

Voici donc où nous voulons en venir: s'il n'y a pas d'examen externe plus approfondi et si les tribunaux ne peuvent exercer une plus grande surveillance de la commission, nous devons structurer les processus de la commission de façon à inclure une disposition stipulant que les commissaires doivent écouter les détenus avant d'accepter ou de rejeter leurs témoignages.

[Français]

M. Richard Marceau: Quand je le lis, cela me paraît beaucoup plus large que l'exemple un peu ridicule que vous m'avez donné. Je ne dis pas que ce que vous me dites est ridicule, mais il faut vraiment manquer de jugement pour dire qu'on a utilisé un autre nom, etc. C'est manquer de jugement. Quand je lis cela, il me semble que c'est essayer de tuer une mouche avec une bombe nucléaire.

• 1725

[Traduction]

M. Allan Manson: C'est un énoncé simple, mais lorsque les tribunaux se penchent sur ce que font les commissions, les tribunaux inférieurs, et lorsqu'ils se demandent si les principes de justice naturelle ou le devoir d'équité ont été respectés, ils tiennent compte de différents facteurs: la nature des intérêts en jeu; les règles internes de la commission ou de l'organisme; la façon dont le Parlement a conféré ses pouvoirs et fonctions à l'organisme. La LSCMLC ne nous donne aucun indice sur la façon dont la commission devrait tenir ses audiences. Nous sommes d'avis qu'il faut structurer même les choses aussi simples que cela, afin d'assurer le bon fonctionnement de la commission.

Le président: Merci, monsieur Manson.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Messieurs, je vous remercie de votre témoignage qui a été très édifiant. Comme M. Marceau et d'autres, je n'ai pas eu moi non plus le temps d'assimiler tous les renseignements que vous nous avez fournis, mais, à première vue, j'ai l'impression que votre mémoire nous sera très utile et nous donnera matière à réflexion.

Dans toutes vos recommandations et dans vos remarques, j'ai eu l'impression que vous préconisiez une application plus régulière de la loi au sein même du SCC et de la CNLC. Il va sans dire que cela s'accompagne d'une meilleure reddition de comptes et d'une indépendance accrue.

Je lis votre première recommandation:

    L'Association du Barreau canadien recommande que la LSCMLC modifiée intègre une disposition visant la réduction de peine en cas de violation des droits d'un prisonnier...

Je crains qu'il ne soit difficile pour le public d'accepter cette idée, surtout qu'elle ne tient pas du tout compte de la victime. Essentiellement, vous récompensez le détenu parce qu'il est devenu une victime au sein du système. Vous souhaitez qu'on réduise la peine du détenu et qu'on le libère plus tôt au détriment du grand public et, dans une certaine mesure, au détriment de la première victime du crime pour lequel le détenu purge sa peine. Qu'en pensez-vous?

M. Michael Jackson: La meilleure façon pour moi de répondre à votre question est de passer en revue étape par étape le raisonnement de Mme la juge Arbour. Voici ce qu'elle a dit. Lorsqu'un juge dit à une personne qu'il la condamne à trois ans d'emprisonnement pour le crime qu'elle a commis, en fonction de la gravité du crime, du casier judiciaire de l'accusé et de tous les autres principes de la détermination de la peine, cette peine d'emprisonnement de trois ans est imposée en toute légalité. Mme la juge Arbour signale que dans certains cas, l'incarcération devient illégale. L'incarcération ne devient pas illégale pour des motifs insignifiants—le détenu n'a pu regarder ses émissions de télévision préférées pendant cinq jours, ou n'a pas eu la nourriture qui lui plaît—mais bien lorsqu'il y a eu une violation de la loi qui remet en question et même compromet l'intégrité de la peine. Lorsqu'une telle violation de la loi se produit, comme ce fut le cas à la prison des femmes, où des femmes ont été soumises à des actes de violence et humiliants et gardées en isolement pendant neuf mois—pas neuf jours, neuf mois—ce serait une façon d'indemniser ces femmes pour ce dont elles ont été privées, à savoir une peine légale. Ce serait une façon de rendre justice.

Il n'y aurait donc pas réduction de peine pour toute violation de la loi, mais seulement pour les infractions graves. La réduction de peine ne constituerait pas une récompense pour le détenu, mais plutôt une façon de traduire le fait que la peine est devenue illégale et, dans certains cas, inconstitutionnelle. Comme l'a dit Mme le juge Arbour, il ne s'agit pas d'un dividende pour le prisonnier. C'est en fait une façon d'assurer l'intégrité du système de justice.

M. Peter MacKay: Mais c'est en fait un dividende. De plus, c'est une façon de réprimander les autorités pour n'avoir pas agi comme elles le devaient. D'ailleurs, qui prendrait cette décision?

• 1730

J'estime qu'il serait prématuré de mettre en oeuvre votre première recommandation sans d'abord mettre sur pied le système d'examen indépendant dont vous avez parlé qui ferait que ce genre de décision ne serait plus du ressort des gardiens de prison ou du commissaire.

Vous avez dit une autre chose que je voudrais commenter. Monsieur Manson, je crois que vous avez laissé entendre qu'il y a de moins en moins de libérations conditionnelles qui sont accordées au pays. J'ai consulté des statistiques très récemment et il semble que c'est faux et que, en fait, de plus en plus de détenus sont libérés dans le cadre du plan d'ensemble du SCC. Il y a moins de révocations de la libération conditionnelle et le commissaire a même déjà dit ouvertement qu'il a pour objectif de libérer 50 p. 100 de la population carcérale d'ici l'an 2000.

Ces données semblent donc contraires à ce que vous nous dites.

M. Allan Manson: Sauf en 1996-1997, année où le taux d'octroi a augmenté, le taux d'octroi baisse progressivement depuis l'adoption de la LSCMLC. Je peux vous donner des chiffres bruts: en 1992-1993, 2 575 libérations conditionnelles totales ont été accordées; 2 598 en 1993-1994 et, la dernière année complète pour laquelle nous avons des statistiques, en 1996-1997, 1 707 libérations conditionnelles totales ont été accordées. Il y a donc eu une baisse énorme.

Parallèlement, il existe maintenant le processus de maintien en incarcération qui fait que certains détenus qui auraient ordinairement été libérés à la date prévue pour leur libération d'office sont maintenus en incarcération jusqu'à la date d'expiration du mandat. Il y en a presque 500 par année.

M. Peter MacKay: Si vous regardez des statistiques plus récentes—mais comme vous le savez, on peut leur faire dire toutes sortes de choses—des statistiques de juin de l'an dernier indiquent que le taux d'octroi de la libération conditionnelle est en hausse et que les révocations sont en baisse.

M. Allan Manson: Comme je l'ai dit, le taux d'octroi a diminué de 1992 à 1995 pour ensuite remonter en 1996-1997, mais je me fonde sur les chiffres bruts. De moins en moins de détenus présentent une demande. En outre, ils présentent leur demande plus tard au cours de leur peine. De moins en moins de prisonniers sont mis en liberté. Voilà pourquoi la population carcérale a augmenté depuis cinq ou six ans. Elle a fluctué l'an dernier, mais elle atteint maintenant près de 15 000, alors que les admissions sont en baisse. Comment expliquer cela? La libération conditionnelle n'est plus, comme elle l'était dans les années 80, une méthode de mise en liberté, mais plutôt une méthode de maintien en incarcération.

M. Peter MacKay: À votre avis, c'est donc une question de conception. Êtes-vous d'accord avec le commissaire du SCC qui voudrait libérer 50 p. 100 de la population carcérale d'ici l'an 2000, ce qui ferait fi des critères prévus par la loi?

M. Allan Manson: Je trouve malheureux que la libération des détenus devienne un expédient ou le produit d'une formule numérique. Elle perd alors sa raison d'être. J'ignore d'où vient ce chiffre de 50 p. 100, mais il y a des endroits dans le monde où, lorsque les prisons sont surpeuplées, quelqu'un au gouvernement demande aux autorités carcérales de libérer davantage de détenus, car ils sont trop nombreux. Cela est fondamentalement mauvais.

M. Peter MacKay: Je vous remettrai un document portant sur le sujet. Je ne m'étendrai pas plus longtemps là-dessus.

Le président: Une dernière question, monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Le rapport du commissaire Ingstrup datant de juin 1998 mentionne que l'atteinte de l'objectif de 50 p. 100 d'ici l'an 2000 est un défi professionnel qui est toutefois réalisable. Je suis d'accord avec ce que vous dites. En fixant un objectif arbitraire de 50 ou de 60 p. 100, on relègue au second plan l'approche individuelle qui avait été adoptée jusqu'ici. Cela relègue également au second plan les décisions indépendantes qui ont été prises ainsi que l'obligation de rendre compte.

M. Allan Manson: Nous avons parlé de la procédure d'examen expéditif. D'après les dernières statistiques qu'il m'a été donné de voir, 60 p. 100 des libérations conditionnelles totales qui ont été accordées l'ont été dans le cadre de la procédure d'examen expéditif. C'est une grande part du processus. Je ne m'y oppose pas, mais c'est un changement important par rapport au système que nous avons examiné il y a 10 ou 12 ans. Si ma mémoire est bonne, 85 p. 100 des demandes de libération dans le cas de la procédure d'examen expéditif sont acceptées et 15 p. 100 sont rejetées. Cela a peut-être quelque chose à y voir. Seul M. Ingstrup pourrait nous expliquer la raison d'être de cet objectif de 50 p. 100.

• 1735

Le président: Nous pourrons lui demander des explications lorsqu'il comparaîtra devant nous.

Monsieur Wappel.

M. Tom Wappel: Je vous remercie, monsieur le président.

Mes remarques et mes questions s'adressent surtout à M. Jackson. J'aimerais cependant d'abord m'adresser aux fonctionnaires du solliciteur général.

Je recommande aux fonctionnaires de présenter au commissaire la transcription des remarques de M. Jackson, parce que je peux vous assurer, monsieur Jackson, que je lui poserai des questions au sujet de la commission qui a été nommée et je lui demanderai pourquoi on n'a pas donné suite à ces recommandations.

Comme vous le savez, nous avons visité l'établissement de Kent avant de venir ici. On m'informe qu'un ordre permanent datant de février 1999 prévoit l'isolement préventif dans cet établissement. Avez-vous vu cet ordre permanent? Avez-vous quelque chose à nous dire à ce sujet?

M. Michael Jackson: J'ai vu l'ébauche d'un ordre permanent. Je ne pense pas en avoir vu la version finale. Je peux répondre à vos questions. Avez-vous une question complémentaire?

M. Tom Wappel: Vous attendez-vous à voir cette version finale?

M. Michael Jackson: Oui.

M. Tom Wappel: Comme le comité a visité l'établissement de Kent, nous aimerions savoir quelle est votre position à cet égard.

J'ai trouvé très intéressant que l'Association du barreau canadien nous fasse l'historique de la situation. J'aimerais que nous remontions en arrière, mais pas aussi loin que cela. J'aimerais que nous revenions au 26 mars 1992 lorsque l'Association du barreau canadien a comparu pour la dernière fois. Vous étiez là, monsieur Jackson.

Voici ce que vous avez alors dit. Je vais essayer de résumer du mieux possible vos propos.

M. Allan Manson: La Loi sur la preuve s'applique-t-elle?

M. Tom Wappel: Non.

M. Allan Manson: Devez-vous attirer l'attention du témoin sur tout le contexte?

M. Tom Wappel: Il s'agit de votre recommandation no 6.

Le président: Il s'agit du contexte.

M. Tom Wappel: Voici ce que vous disiez au sujet du projet de loi:

    ... le fait de passer de simples directives administratives à des règlements constitue une amélioration... un premier pas vers une réforme.

    On ne considérera pas qu'il s'agit d'un premier pas. Cette question sera réexaminée dans cinq ou 10 ans. Les dispositions portant sur le système correctionnel et la libération conditionnelle seront celles auxquelles devront se rapporter la prochaine génération de prisonniers, de juges et de victimes. Dans cette mesure, nous estimons que le projet de loi revient au statu quo... ce n'est pas le genre de plan qui peut vraiment mener à une réforme.

    ...

    ... Je n'ai pas beaucoup confiance dans le réexamen législatif. ... le réexamen législatif ne semble pas mener à des changements fondamentaux.

Ma question est relativement simple. Étant donné que la loi est en vigueur depuis cinq ans, pensez-vous toujours de la même façon?

M. Michael Jackson: Oui. Je n'en suis pas très heureux. J'aurais espéré m'être trompé.

M. Tom Wappel: Très bien.

J'ai deux dernières questions à poser, monsieur le président.

M. Conroy comparaissait avec vous à ce moment-là. Je présume que c'est la même personne que celle qui a comparu devant nous à Vancouver. Il a dit, et il était alors président...

M. Michael Jackson: Il est toujours président de notre association.

M. Tom Wappel: Je lui ai posé cette question: «... êtes-vous d'avis que les délits disciplinaires prévus dans le Code criminel ne devraient pas être assujettis à l'article 40?» Je parlais de délits disciplinaires. M. Conroy a répondu ceci: «Si ma mémoire est bonne, c'est effectivement la politique qu'a adoptée le Barreau canadien.» Je crois qu'il a dit la même chose lorsqu'il a comparu devant le comité jeudi dernier.

Pourriez-vous nous dire si c'est bien la position de l'Association du barreau canadien, à savoir qu'un délit prévu dans le Code criminel ne devrait pas figurer à l'article 40? Est-ce toujours la position du barreau?

M. Michael Jackson: Je crois que c'était la position de M. Conroy à l'époque et que c'est aussi celle qu'il vous a exposée jeudi dernier à Vancouver. C'est également la position du barreau qui part du principe que comme un prisonnier a droit à l'aide juridique, il vaut mieux qu'il puisse se défendre d'une accusation criminelle devant un tribunal que d'être accusé d'une infraction disciplinaire puisqu'il n'aura pas droit à la représentation d'un avocat devant un tribunal. Voilà le principe sur lequel repose la position du barreau.

M. Tom Wappel: Je crois que vous avez très bien résumé la situation. Je suis d'accord avec vous. C'est aussi ce que j'ai compris.

• 1740

Enfin, M. Conroy a également dit ceci au nom de l'Association du barreau canadien:

    ... on devrait permettre aux victimes, à leurs représentants et aux médias de participer aux audiences portant sur la libération conditionnelle... Toutes sortes de mesures peuvent être prises pour répondre aux exigences en matière de protection des renseignements personnels.

L'Association du barreau canadien propose-t-elle que les audiences en vue de la libération conditionnelle soient ouvertes à tous?

M. Michael Jackson: Nous songions au type de processus qui a été mis en place dans le cadre de la LSCMLC, lequel prévoit la participation du public et d'observateurs sous réserve du respect des droits du principal intéressé.

Nous n'avons pas vraiment traité de la question dans notre mémoire, mais nous estimons que le processus actuel fonctionne assez bien et qu'il donne aux victimes l'occasion de se rendre compte qu'on tient compte de leurs intérêts. Cela permet aussi de s'assurer que les décisions qui sont prises portent sur la situation actuelle.

M. Tom Wappel: Je vous remercie beaucoup.

M. Michael Jackson: J'ai échangé une correspondance volumineuse avec le commissaire sur cette question de l'arbitrage indépendant et je vous la transmettrai volontiers.

Le président: Nous vous en saurions gré.

Je vous remercie, monsieur Jackson.

Il reste une minute dans ce tour de questions. Monsieur Myers, avez-vous une brève question à poser ou voulez-vous passer votre tour?

M. Lynn Myers (Waterloo—Wellington, Lib.): Je passerai mon tour.

Le président: Très bien. Deuxième tour. Vous avez peut-être trois minutes, monsieur Gouk.

M. Jim Gouk: J'ai vraiment besoin d'examiner plus à fond votre mémoire.

Je voudrais revenir au concept des droits des prisonniers. Vous avez parlé d'une réduction de la peine, ce que je trouve difficile à concevoir. Je ne vois pas comment on pourrait faire accepter la chose au public.

Il faut bien que ceux qui commettent des crimes en prison en subissent les conséquences même si c'est le système correctionnel qui doit y voir. Je ne sais pas comment on peut le faire en libérant un prisonnier à qui quelqu'un s'en est pris presque par chance serait-on porter à dire. Cela me semble tout à fait impensable.

Où s'arrêtent les droits des prisonniers? Vous dites essentiellement qu'ils jouissent de tous les droits sauf du droit de liberté de circulation, ce qui semble évident étant donné qu'ils sont incarcérés. Ils reçoivent 5 $ par jour. S'ils travaillent, devraient-ils avoir droit au salaire minimum? Devrait-on cotiser en leur nom au régime de pensions du Canada? Ces gens avaient le choix de respecter la loi ou de l'enfreindre. S'ils ne voulaient pas être incarcérés, ils auraient dû respecter la loi. Ils ont décidé de ne pas le faire.

Je conviens qu'on doit traiter les prisonniers de façon humaine et qu'on doit aussi favoriser leur réinsertion sociale. Du fait que je fais partie de ce sous-comité, et que j'ai visité des établissements pénitenciers, j'ai tendance à croire que la libération anticipée peut favoriser la réhabilitation. Je crois que cependant qu'on accorde peut-être aux prisonniers trop de droits d'office. Je ne parle pas de droits en soi, mais de droits qui leur seraient accordés d'office. Ces droits ne s'accompagnent pas toujours de conséquences ou de responsabilités.

Peut-être les prisonniers accorderaient-ils plus d'importance à ces droits s'ils devaient les mériter. Peut-être pourrions-nous faire en sorte que le système favorise davantage la réhabilitation et que le taux de récidive diminue chez les prisonniers qui jouissent d'une libération conditionnelle anticipée ce qui est dans leur propre intérêt.

En essayant de court-circuiter le processus, n'allons-nous pas vraiment à l'encontre de l'objectif visé qui est la véritable réhabilitation du prisonnier?

Le président: Vous avez mis deux minutes quarante-cinq secondes à poser cette question alors que vous avez trois minutes.

M. Jim Gouk: Je pensais avoir trois minutes pour poser ma question.

Le président: Bonne chance.

M. Michael Jackson: J'enseigne un cours sur les droits des prisonniers à la faculté de droit de UBC. Il y a quelques années, un agent de la GRC a suivi mon cours. J'ai demandé à tous les étudiants pourquoi ils suivaient ce cours. L'agent de la GRC m'a dit qu'il voulait que je lui démontre pourquoi il faudrait accorder certains droits aux prisonniers. Il a dit qu'il ne pensait pas que c'était possible. Le défi qu'il m'a lancé est à peu près comme celui que vous m'avez lancé vous-même.

• 1745

J'ai interviewé un bon nombre des détenus de l'établissement Kent. J'ai interviewé des prisonniers comme Daryl Bates que vous avez rencontré la semaine dernière et qui vous a dit qu'il avait dû subir une fouille à nu parce qu'il avait refusé de se pencher. Ce prisonnier est derrière les barreaux depuis presque l'âge de onze ans. Toute sa vie, il s'est opposé à l'autorité et toute sa vie on lui a dit qu'il ne valait rien et que tout ce qu'il méritait c'était d'être traité de cette façon. C'est un cercle vicieux.

Nous accordons des droits aux prisonniers, des droits qu'ils ne nous reconnaissaient pas lorsqu'ils vivaient en société, pour leur montrer qu'il faut respecter la loi et respecter les droits des autres lorsqu'on vit en société. On ne peut pas leur renseigner cela en les privant de leurs droits en prison. Ce n'est pas la façon de leur inculquer les valeurs que nous aimerions qu'ils respectent, une fois libérés.

Nous devons les traiter mieux qu'ils ne nous ont traités. Nous devons adopter un comportement qu'ils n'ont pas pu adopter. C'est de cette façon que nous respectons la loi et que notre société montre qu'elle est prête à respecter même ceux qui ont violé les droits des autres. Il s'agit d'une question de conception.

Le président: Monsieur Manson, vous avez une brève remarque à faire.

M. Allan Manson: J'aimerais mentionner deux points. Premièrement, les prisons constituent un milieu contrôlé. Ce qui peut être permis le lundi peut être interdit le mardi. Regardez l'enregistrement portant sur la prison pour femmes datant de 1994. C'est l'exemple le plus imagé de ce que j'avance.

Deuxièmement, demandez-vous qui est en prison. Oui, on trouve de très mauvais éléments en prison, des êtres intrinsèquement mauvais, mais dans la majorité des cas, il s'agit de représentants des groupes les plus défavorisés au pays. Je n'accepte pas votre position, monsieur Gouk.

Le président: Je vous remercie, monsieur Manson.

Monsieur Myers.

M. Lynn Myers: Je vous remercie, monsieur le président.

Premièrement, permettez-moi de vous remercier de votre très intéressant témoignage. J'aimerais revenir à la question des griefs. Je crois vous avoir entendu dire que vous étiez d'accord avec ce qu'a dit la délégation du Québec qui a comparu avant vous. À la page 17, vous faites remarquer que les critiques les plus acerbes de Mme le juge Arbour portaient sur la procédure des griefs. Elle faisait valoir que certains besoins urgents n'étaient pas satisfaits.

À votre avis, la situation s'est-elle améliorée ou a-t-elle empiré depuis lors? Deuxièmement, quelle serait la meilleure façon de corriger ce qui semble être une situation terrible?

M. Michael Jackson: C'est une très bonne question.

Dans ses recommandations au comité, auxquelles M. Wappel a fait allusion, l'ABC a recommandé une procédure de règlement des griefs semblable à celle qu'avait recommandée la Révision du droit correctionnel. Je note la présence parmi nous aujourd'hui de Mme Paula Kingston, qui appartient maintenant au ministère de la Justice, mais qui a été membre de la Révision du droit correctionnel.

Cet organisme a vivement recommandé que le système de règlement des griefs à la RDC soit un système qui fasse appel à un arbitre indépendant. Tout grief rejeté pourrait être soumis à un arbitre indépendant dont la décision serait exécutoire à moins qu'un tribunal fédéral ne décrète que cette décision pourrait mettre en danger la vie et la sécurité de personnes dans les prisons ou aurait des conséquences financières énormes. C'est ce qu'a recommandé la Révision du droit correctionnel, c'est-à-dire le Secrétariat du Service correctionnel du Canada. Cette recommandation a été rejetée par le Service et par le Parlement.

Nous avons réitéré cette recommandation parce qu'on a constaté—la LSCMLC existe depuis cinq ans et le rapport Arbour remonte à deux ans—et les rapports de l'enquêteur correctionnel le prouvent—ce système, pour les raisons données par le Barreau du Québec, ne fonctionne pas. Comme Mme la juge Arbour l'a dit, le fait de déceler une lacune semble équivaloir à un constat d'échec. On ne semble pas prêt à se demander comment on pourrait améliorer le système. Le fait de prévoir qu'on puisse faire appel à un arbitre indépendant ne signifie pas qu'on le fera dans tous les cas.

• 1750

L'un des grands avantages qu'il y a à adopter la solution proposée par la juge Arbour en cas de violation flagrante de la loi, à savoir la possibilité de recourir à un arbitre indépendant, est qu'on essaiera du mieux possible de ne pas avoir recours à cette procédure. Si l'on sait que sa décision peut être portée devant un arbitre indépendant, on fera de son mieux pour trouver une solution juste.

L'existence de ce genre de recours incite les gens à se conformer à la loi. Il n'est pas question que tous les cas soient soumis à un organisme extérieur pas plus que tous les différends se retrouvent devant les tribunaux.

M. Lynn Myers: J'ai une brève question complémentaire à poser. N'y a-t-il pas un risque que le système que vous préconisez n'entraîne une augmentation des griefs et des plaintes non fondées?

M. Michael Jackson: J'ai fait partie d'un comité de règlement des griefs. Ces comités conformément à une disposition des règlements se composent de prisonniers et d'employés des pénitenciers qui après examen doivent soumettre une recommandation au directeur de la prison. Les prisonniers sont les premiers à rejeter les griefs non fondés parce qu'ils attachent beaucoup d'importance à ce moyen de protéger leurs droits et ils voient d'un très mauvais oeil les détenus qui en abusent. Les prisonniers eux-mêmes reconnaissent que les griefs non fondés ne sont pas dans leur intérêt. Je ne crains donc pas une augmentation de ce genre de griefs.

M. Lynn Myers: Je vous remercie beaucoup.

Le président: Je vous remercie, monsieur Jackson.

Monsieur MacKay, avez-vous d'autres questions?

M. Peter MacKay: Si vous me le permettez, j'aimerais poser une question qui va dans le même sens. Une bonne part des décisions qui doivent être prises porte sur la répartition des ressources et les priorités qu'il faut accorder au traitement des prisonniers par opposition au respect des droits des victimes. En préconisant un système qui exigera, de toute évidence, une injection de ressources et la nomination d'arbitres indépendants... Le système que vous proposez exigera des ressources supplémentaires.

Il s'agit pour les législateurs de trouver une justification à cette injection de ressources supplémentaires. Comme M. Gouk l'a dit, je crois que ce sera difficile. On peut se demander s'il convient de libérer un prisonnier plus tôt parce qu'on s'en est pris à lui en prison pendant qu'il purgeait sa peine. C'est aussi troublant que lorsqu'on exclut de la preuve certains éléments en raison de la Charte et qu'une personne est ainsi reconnue innocente à tort.

Il est très difficile de trouver les arguments voulus pour convaincre le public d'accepter cette injection de nouvelles ressources. C'est à cela que cela revient. Or, il nous faut le faire. Voilà la réalité. Il nous faut convaincre la population qu'il est dans l'intérêt général de mieux protéger les prisonniers et de leur accorder davantage de droits. Même s'ils sont isolés de la société, les prisonniers continuent d'avoir droit aux mêmes droits, aux mêmes libertés, exception faite du droit à la mobilité, que les citoyens respectueux de la loi. Comment parvenir à convaincre la population de cela?

M. Allan Manson: Permettez-moi d'intervenir. Je ne pense pas qu'on devrait exagérer les droits dont jouissent les prisonniers. En vertu du droit, les prisonniers ont droit aux mêmes droits que les autres citoyens, sauf pour ce qui est de ceux qui leur ont été enlevés par la loi ou en raison de leur détention.

• 1755

En réponse à votre autre question, je crois qu'il convient de bien informer le public. Je ne veux pas blâmer qui que ce soit, mais je pense qu'on n'a pas bien servi le public en ne le renseignant pas davantage au sujet du système de justice pénale et au sujet des pénitenciers.

Des études menées tant en Angleterre par Hough et Walker qu'au Canada par Doob et Roberts révèlent notamment que le public pense que la criminalité violente est beaucoup plus répandue qu'elle ne l'est. Deuxièmement, ces études révèlent également que le public pense que les tribunaux et que les instances chargées d'accorder la libération conditionnelle sont beaucoup plus cléments qu'ils ne le sont.

Troisièmement, lorsqu'on donne plus de détails au public sur certains cas réels et sur la loi elle-même, il a tendance à mieux comprendre le fonctionnement du système. Je pense qu'il incombe donc au solliciteur général, au ministère de la Justice et au Parlement de mieux faire connaître le système de justice pénale.

Quant à la suggestion faite par la juge Arbour, Michael et moi avons participé à une réunion il y a de cela environ un an au cours de laquelle le solliciteur général a demandé un avis de la part du ministère de la Justice. On nous a demandé de participer à une discussion portant sur la façon dont ce mécanisme pourrait être mis en oeuvre. Je ne sais pas quelle a été l'issue de cette discussion. Vous pourriez peut-être poser la question au commissaire ou aux représentants du solliciteur général lorsqu'ils comparaîtront devant vous.

Au cours de cette discussion, un certain nombre d'entre nous ont fait valoir qu'il serait possible de créer un processus judiciaire qui imposerait des peines qui seraient considérées comme des peines cruelles et inhabituelles pour des violations flagrantes de la loi. Dans le jugement principal de la Cour suprême portant sur la façon de définir les peines cruelles et inhabituelles, le juge en chef Lamer a statué qu'une peine d'incarcération de trois mois pourrait même être considérée comme étant une peine cruelle et inhabituelle selon la façon dont elle doit être purgée. Si l'on jette quelqu'un dans un donjon, on comprendra qu'on peut considérer qu'il s'agit d'une peine cruelle et inhabituelle.

On pourrait donc prévoir des cas de violation de la loi qui iraient jusque-là. Il ne s'agirait pas de violations courantes. Je pense que tous ceux qui ont vu la bande vidéo portant sur la prison des femmes ont été choqués. C'est le genre de situation à laquelle faisait allusion Mme la juge Arbour. Il est vrai que le prisonnier tirerait parti de la situation, mais ce serait aussi une façon de faire savoir aux administrateurs qu'ils ne peuvent pas faire fi de la loi.

Le président: Je vous remercie, monsieur Manson.

Monsieur Jackson.

M. Michael Jackson: Je me demande si je peux répondre à cette question en citant l'un de vos collègues. Le comité MacGuigan a énoncé en 1977 l'un des principes dont vous parlait M. Manson. Le comité a fait valoir que les détenus ont droit à ce qu'on les traite avec justice et que c'est une condition essentielle de leur socialisation et de leur réhabilitation. Vos collègues parlementaires ont exprimé l'avis que la meilleure façon d'amener les prisonniers à respecter la loi était de les traiter avec justice et équité. C'est la meilleure façon de protéger le public. Les gens qui sont traités avec justice sont plus enclins à traiter les autres de la même façon. C'est ce que peuvent espérer les citoyens respectueux de la loi, c'est-à-dire qu'on respectera à l'avenir leurs droits parce que nous aurons respecté les droits de ceux que nous emprisonnons.

C'est l'appel qui a été lancé par les parlementaires en 1977. J'espère que vous y répondrez en 1999.

Le président: Je vous remercie, monsieur Jackson.

Monsieur Grose, avez-vous des questions à poser?

M. Ivan Grose: Oui. J'aimerais vous remercier, monsieur Jackson, d'appuyer ce processus d'arbitrage. Dans un procès interne qui a lieu dans une prison, le directeur de la prison a parfois accès à de l'information ou à des éléments de preuve dont on peut dire qu'ils ne sont pas fiables. Comme l'arbitre ne disposerait pas de ces mêmes renseignements et éléments de preuve, il serait mieux à même de prendre la décision qui convient.

• 1800

Vous avez fait une observation qui a attiré mon attention. Vous avez dit que le processus de règlement des griefs pourrait prendre 5, 10 ou 30 jours. Je pense qu'il faudrait entendre le grief le plus rapidement possible pour qu'aucun détenu n'ait à purger une peine injuste.

J'aimerais savoir si vous êtes d'accord ou non avec ce que je vais dire. Si la peine imposée était trop longue et que l'arbitre n'était parvenu à y mettre fin qu'après 30 jours—à supposer que la peine initiale est de 60 jours—peut-être pourrait-on songer à un système de crédits; 29 jours de plus pour un délit mineur.

Si l'on étouffait le problème dans l'oeuf, je pense qu'on ferait bien comprendre qu'il est inutile d'imposer une peine qui ne convient pas. Êtes-vous de cet avis?

M. Michael Jackson: C'est une question qu'a étudiée le groupe de travail sur l'isolement préventif. Si l'on doit avoir recours à un arbitre indépendant, quand sa décision va-t-elle commencer à s'appliquer? Je me mets à la place du directeur de prison. Si on l'informe qu'un prisonnier a été poignardé et si on lui dit que les soupçons se portent sur trois prisonniers en particulier, il voudra intervenir immédiatement pour ne pas compromettre l'enquête en cours. Il serait difficile de faire intervenir immédiatement un arbitre de l'extérieur.

Je suis prêt—et je crois que le Barreau l'est également—à accorder une certaine latitude au directeur de prison et à ses agents pour qu'ils entreprennent une enquête dans les plus brefs délais. En 1982, j'ai écrit un ouvrage sur l'isolement intitulé Prisoners of Isolation: Solitary Confinement in Canada. À l'époque, j'ai proposé un code de l'isolement qui comportait la révision du dossier tous les cinq jours par un arbitre indépendant. Je crois toujours que c'est le meilleur modèle, et c'est également le modèle qu'a adopté Mme la juge Arbour. C'est celui qui garantit le meilleur équilibre.

M. Ivan Grose: Merci. Cela me semble satisfaisant.

Le président: Merci beaucoup. Je voudrais poser une question avant de donner la parole à M. Jackson. Nous avons fait référence aux propos tenus par M. Conroy à Vancouver jeudi dernier, et je crois qu'en plus de l'aide juridique qui est disponible à l'extérieur alors qu'elle ne l'est pas à l'intérieur, il a parlé aussi des peines pour les infractions au Code criminel qui devraient être appliquées selon le Code criminel. On devrait considérer par principe qu'il ne peut pas y avoir deux systèmes de justice pénale parallèles. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Michael Jackson: Je ne pense pas que le Barreau en soit venu à un avis définitif sur cette question. On peut l'envisager de deux façons. Prenons le cas d'une agression entre deux détenus. S'il s'agit d'attouchements non désirés, sans consentement, c'est une agression. Voulez-vous que la moindre bousculade dans un pénitencier soit soumise à un tribunal provincial avec une accusation d'agression? C'est généralement un agent qui règle ce genre de cas en disant aux détenus d'arrêter. D'autres cas sont soumis au tribunal disciplinaire pour infraction mineure et donnent lieu à une mise en garde. Il ne me semble pas souhaitable d'exiger que le système pénitentiaire fasse une infraction criminelle de tous les types d'agression.

Il est avantageux de prévoir un certain pouvoir discrétionnaire permettant de déterminer que certains cas qui, techniquement, relèvent de la définition de l'infraction pourront malgré tout être réglés sans entraîner des conséquences graves ou incapacitantes.

Le président: Merci. Je tiens à remercier de leur présence les témoins du Barreau canadien, monsieur Jackson, monsieur Manson et madame Thomson. Merci beaucoup de votre aide. Nous allons maintenant ajourner la séance.

Chers collègues, voulez-vous rester quelques instants? Nous devons discuter à huis clos de nos projets de voyage.

[Note de la rédaction: La séance se poursuit à huis clos]