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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 mars 1999

• 0914

[Traduction]

Le président (M. Joseph Volpe (Eglinton—Lawrence, Lib.)): Merci de votre patience, mesdames et messieurs.

Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous reprenons notre étude sur la situation des dons d'organes et de tissus au Canada.

Nous avons organisé aujourd'hui deux tables rondes, car nous recevons beaucoup de gens. Mais nous essaierons de faire de notre mieux. Sachez que notre quorum est réduit, car quelques autres comités auraient, semble-t-il, happé au passage quelques membres de notre comité à nous. Nous ferons donc quelques ajustements en cours de route. J'annoncerai qui les remplacera, lorsque les députés de l'opposition feront leur apparition dans la salle.

• 0915

Entre-temps, j'aimerais présenter les membres de notre première table ronde. Pour la gouverne de notre auditoire et pour celle des membres du comité de part et d'autre de la table, sachez que nous nous intéressons principalement aujourd'hui aux questions de déontologie, de pratiques et de mesures législatives. Nous nous pencherons sur des thèmes que notre comité n'a pas encore abordés à fond.

Je me doute que nos témoins ne seront pas d'accord avec mon introduction, mais comme j'ai essayé de tout couvrir, j'imagine qu'ils pourront se reconnaître quelque part.

Je commencerai par présenter nos invités, et s'il y a quoi que ce soit à ajouter, je demanderais à nos témoins de le faire lorsque leur tour arrivera de présenter leur exposé.

Nous accueillons d'abord le Dr Sam Shemie, enquêteur principal à l'hôpital pour enfants malades de Toronto, et la Dre Diane Hébert, experte en transplantation à ce même hôpital. Bienvenue à tous les deux, qui venez d'une ville que je connais bien. Je connais aussi cet hôpital, malheureusement, non pas parce que ce n'est pas un magnifique hôpital, mais surtout parce que j'essaie d'éviter en général les hôpitaux.

Du «Delaware Valley Transplant Program» à Delaware, en Pennsylvanie...

M. Howard Nathan (directeur général, Delaware Valley Transplant Program): Philadelphie.

Le président: ...de Philadelphie, plutôt, nous accueillons Howard Nathan, qui en est le directeur général. Nous vous souhaitons une bienvenue toute particulière, puisque vous venez de l'extérieur du Canada. J'espère que vous aurez plaisir à rester parmi nous, et je sais que nous écouterons pour notre part avec beaucoup de plaisir votre témoignage.

Nous accueillons ensuite la Dre Carole Guzman, secrétaire générale associée de l'Association médicale canadienne. Bonjour, madame. La Dre Guzman est accompagnée du Dr Gordon Crelinsten, qui préside le Comité d'éthique de l'Association médicale canadienne.

De l'Association canadienne des soins de santé, nous accueillons Larry Odegard, qui en est le directeur général. M. Odegard nous vient de la Colombie-Britannique, et même si cela se trouve encore plus loin que la Pennsylvanie, cela reste tout de même à l'intérieur de nos frontières. M. Odegard est accompagné de Mme Kathryn Tregunna, directrice de l'élaboration des politiques à l'Association canadienne des soins de santé. Je ne sais si Mme Tregunna vient, elle aussi, de l'autre côté des montagnes.

Enfin, nous accueillons également Mme Colleen Shelton, spécialiste en clinique infirmière à l'Hôpital général de Toronto. À vous aussi, madame, bienvenue.

Pourrions-nous commencer par le Dr Sam Shemie? Pour la gouverne de tous nos invités, j'aimerais vous informer que vous avez environ cinq minutes pour nous faire un exposé. Je me rends bien compte qu'à cause du grand nombre de témoins ce matin nous ne pourrions pas couvrir beaucoup de terrain si je devais m'en tenir strictement à cinq minutes chacun. Je vais donc faire preuve de tolérance et vous donner une plus grande marge de manoeuvre, ce dont m'excuseront mes collègues, j'en suis sûr. D'ailleurs, qui ne dit mot consent.

Comme les diapositives que nous présentent les Drs Shemie et Hébert sont assez difficiles à suivre sur les écrans, ils en ont distribué également des photocopies. Malheureusement, elles ne sont pas dans les deux langues officielles, mais elles pourront nous servir pour suivre la discussion. Je vais donc en autoriser la distribution, et je vais également m'assurer que mes collègues qui parlent l'autre langue auront toutes les explications appropriées.

Je crois que la difficulté va se poser également pour les diapositives de M. Nathan. Pour que les membres du comité puissent suivre sur copie papier les graphiques qui sont sur diapositives, et comme M. Nathan nous vient des États-Unis, je vais autoriser que l'on distribue son document, même s'il n'est que dans une des deux langues officielles.

Mesdames et messieurs, lorsque vous aurez terminé vos exposés, nous commencerons la période de questions et réponses. Il y aura peut-être quelques allées et venues de la part des députés, mais ce n'est pas par manque de respect, et nous vous prions donc de nous en excuser. C'est typique du fonctionnement d'un comité.

Docteur Shemie, à vous l'honneur.

Dr Sam Shemie (enquêteur principal, The Hospital for Sick Children): Je vais céder la parole à la doctoresse Hébert.

Le président: La galanterie existe encore.

• 0920

[Français]

Dre Diane Hébert (experte en transplantation, The Hospital for Sick Children): Le but de notre présentation de ce matin est d'attirer l'attention du comité sur la transplantation pédiatrique, sujet souvent oublié lorsqu'on parle de transplantation en général.

Notre présentation est divisée en deux parties: d'abord, je vais vous présenter les aspects particuliers de la transplantation chez l'enfant et les conséquences du manque d'organes pour cette population; ensuite, mon collègue, le Dr Sam Shemie, vous présentera l'expérience du don d'organes à notre hôpital et vous fera des recommandations et des suggestions sur les méthodes pour augmenter le don d'organes chez les patients pédiatriques.

[Traduction]

Il y a différentes raisons pour lesquelles les enfants, les jeunes enfants et les adolescents ont besoin de transplantations. Il y a tout d'abord la maladie qui entraîne le non-fonctionnement de l'organe. En second lieu, il y a leur taille et leur âge. En fait, au départ, un fois que ces enfants sont inscrits sur la liste des candidats à la transplantation, il leur faut attendre pendant longtemps. La plupart du temps, s'ils ont besoin d'une transplantation, c'est en raison d'une maladie congénitale ou héréditaire. Ce sont les causes les plus fréquentes des défauts de fonctionnement des organes chez les patients pédiatriques.

Il peut arriver que dès la naissance l'insuffisance de l'organe ait atteint son stade final. En fait, certains enfants atteints de cardiopathie congénitale qui doivent subir une transplantation du coeur seront inscrits sur la liste avant même leur naissance, après 36 semaines de gestation, dès que l'on pose le diagnostic de cardiopathie congénitale grave in utero. Enfin, certains enfants seront tout simplement inscrits sur la liste des transplantations pendant leur petite enfance, leur enfance ou leur adolescence.

Que deviennent vraiment ces enfants pendant la période d'attente une fois qu'ils sont inscrits sur la liste des transplantations? Tout d'abord, bon nombre d'entre eux, s'il leur faut attendre très longtemps, seront très malades, et mourront même, faute d'avoir reçu un organe à temps. En second lieu, l'insuffisance terminale des organes se répercute sur la croissance et le développement psychomoteur de ces enfants, de sorte que même s'ils reçoivent une transplantation ils auront bien des problèmes à surmonter.

Comme vous l'ont dit les nombreux parents dont les enfants sont sur la liste d'attente qui ont comparu devant le comité, le fait d'attendre une transplantation a de nombreuses conséquences d'ordre psychosocial pour la famille et l'enfant concernés. Tout d'abord, il y a la maladie chronique et le fardeau croissant que représente pour ces parents le soin de l'enfant. Deuxièmement, il y a toujours la question qu'on se pose: mon enfant aura-t-il le temps d'obtenir un organe, ou va-t-il mourir? Enfin, étant donné que les transplantations chez les enfants exigent des soins spécialisés et ne sont offerts que dans un petit nombre de centres, bon nombre d'enfants et leurs familles doivent déménager pendant un certain temps vers des grands centres, ce qui crée toutes sortes de bouleversements dans une famille.

Il est intéressant de voir que, à notre époque, en raison du taux de succès des transplantations chez les enfants, le nombre d'enfants et d'adolescents qui ont besoin de transplantations est à la hausse, et la seule limite à l'heure actuelle semble être la disponibilité d'organes.

Je vais vous parler brièvement des résultats d'une transplantation chez les enfants, pour vous montrer que c'est en fait la meilleure façon de traiter de nombreuses maladies, faute de quoi les enfants mourront. L'issue varie selon la maladie qui a entraîné la défaillance de l'organe et l'âge ou la taille du receveur. Ce qui est vraiment important en pédiatrie, et c'est là la différence entre les patients enfants et adultes, c'est que pour certains graphiques il faut que l'enfant trouve un donneur de la même taille que lui. On ne peut pas greffer un coeur d'adulte dans un bébé. Il est donc très important d'examiner également la question des dons d'organes d'enfants.

Jusqu'en 1997, plus de 1 000 enfants ont été transplantés au Canada, et ce nombre augmente chaque année. Près de 100 enfants reçoivent des transplantations. Les résultats pour chaque organe transplanté figurent dans les documents que nous avons distribués. Le taux de succès s'est amélioré et est près de 80 p. 100 à l'âge d'un an et de 70 p. 100 à cinq ans.

Ce qui est toutefois plutôt troublant, c'est le nombre d'enfants qui meurent pendant qu'ils attendent qu'un organe soit disponible. Au cours des cinq dernières années, d'après les données provenant de l'Ontario, une dizaine d'enfants sont morts chaque année tandis qu'ils étaient sur la liste d'attente. Il faut espérer que l'étude effectuée par votre comité aura des résultats positifs.

Je vais maintenant laisser mon collègue, le Dr Shemie, parler des dons d'organes chez les patients pédiatriques. Je vous remercie.

Le président: Merci. Docteur Shemie, vous avez la parole.

Dr Sam Shemie: Lorsque nous nous sommes penchés sur la question de la pénurie d'organes pédiatriques au sein de notre établissement, nous avons cherché à déterminer ce qui allait bien et ce qui pouvait aller mieux. La Dre Hébert a parlé de certains problèmes liés aux dons d'organes d'enfants qui sont différents de ceux des dons d'organes adultes. Notamment, on a fait peu d'études sur les enfants par le passé.

Il y a la question du consentement des parents. Un enfant est un membre précieux de la famille, et lorsque cet enfant meurt et devient un éventuel donneur d'organes, les répercussions sur la famille sont énormes sur le plan affectif.

Il y a la question de la limite de la taille des donneurs et des greffons, comme l'a dit ma collègue, ainsi que le manque de choix dans les établissements. Il y a en général un établissement pédiatrique dans toutes les grandes villes du pays, tandis qu'il y a de nombreux établissements pour adultes qui peuvent s'occuper des donneurs d'organes.

• 0925

La logistique de l'organisation des dons d'organes d'enfants est beaucoup plus simple que pour les adultes, car le nombre d'hôpitaux auxquels on a affaire est beaucoup plus restreint.

J'aimerais vous présenter une chronologie type d'événements qui peuvent aboutir à un don d'organes de la part d'un enfant. Les conditions les plus courantes sont les traumatismes cérébraux à la suite d'un accident d'automobile, la noyade, ou la mort subite du nourrisson. Ce sont dans tous les cas des accidents imprévus, graves et soudains qui touchent des enfants jusque-là normaux. Le choc est énorme pour la famille en cause.

Ces accidents entraînent des lésions cérébrales catastrophiques qui exigent des soins intensifs et le recours aux appareils de réanimation. Si la lésion cérébrale est grave, cet enfant va malheureusement évoluer vers la mort cérébrale.

Permettez-moi de faire quelques remarques au sujet de la mort cérébrale pour vous rappeler qu'elle est définie comme l'interruption complète et irréversible de toute fonction cérébrale qui est équivalente à la mort, du point de vue médical et juridique, dans notre pays, en Amérique du Nord et dans bien d'autres pays du monde. En ce qui concerne le diagnostic de mort cérébrale, il faut d'abord reconnaître cette pathologie, en second lieu il faut poser le diagnostic, et troisièmement il faut le confirmer, et cette confirmation doit être faite par deux médecins distincts, à deux moments différents, en fonction de critères rigoureux.

Une fois le diagnostic de mort cérébrale posé, de deux choses l'une: la mort sans don d'organes ou la mort avec don d'organes. Il n'y a pas d'autre choix. Lorsqu'un enfant ou un adulte est en état de mort cérébrale, il va mourir. C'est incontestable. Reste à savoir s'il va mourir en faisant don de ses organes ou non.

Il y a très peu de choses qui sont claires et nettes dans la vie, mais la mort cérébrale en est un exemple. Le problème, c'est que nous ne pouvons rien changer aux événements qui ont entraîné l'état de mort cérébrale de l'enfant. Cela échappe à notre contrôle. En fait, si on considère le genre de blessures susceptibles d'entraîner la mort cérébrale, dans tous les cas elles sont de moins en moins fréquentes. Pour les traumatismes, c'est dû aux mesures de sûreté, à l'utilisation des ceintures de sécurité, à la sûreté des véhicules automobiles, et au nombre décroissant de cas de conduite en état d'ébriété. Le fait de mettre les enfants sur le dos a considérablement diminué le nombre de morts subites du nourrisson. Les conditions qui entraînent la mort cérébrale vont donc diminuer avec le temps. Nous ne pouvons rien y changer. Ce que nous pouvons changer, c'est la suite des événements, une fois que l'enfant est déclaré en état de mort cérébrale, dans la façon d'aborder la famille.

Étant donné le problème, nous avons demandé à la Fondation canadienne du rein de l'aide pour examiner précisément la question des dons d'organes chez les enfants. Nous avons fait une analyse sur une période de huit ans, soit de 1990 à 1997, à l'hôpital pour enfants malades. Il y a eu au cours de cette période 153 patients admissibles, soit environ 20 par an. Lorsque je dis admissibles, je parle d'enfants en état de mort cérébrale et admissibles au don d'organes, du point de vue médical. De ce nombre, 128 dons d'organes ont été demandés, ce qui signifie que l'on n'a pas demandé le consentement à 16 p. 100 des familles pour obtenir un don d'organes. Parmi les familles auxquelles on a fait la demande, 63 p. 100 ont dit oui, ce qui est excellent, et l'attitude de ces familles est héroïque. Toutefois, 37 p. 100 d'entre elles n'ont pas accepté. Les familles qui refusent leur consentement sont généralement celles dont l'enfant est en bas âge et pour lesquelles l'anglais n'est pas la première langue, ou encore qui viennent d'un milieu multiculturel. Il y a manifestement des problèmes de communication et d'écart culturel qu'il faut résoudre à ce sujet.

Après avoir obtenu le consentement pour 63 p. 100 de ces patients, la majorité d'entre eux, soit près de 80 p. 100, ont vraiment fait don de leurs organes. Toutefois, dans plus de 20 p. 100 des cas, il n'a pas été possible d'y donner suite en raison d'une instabilité médicale qui a entraîné une malfonction de leurs organes et ne leur a pas permis d'être admissibles à la transplantation.

Dans l'ensemble, si on va au fond des choses, le taux réel des dons, d'après notre expérience, est de 41 p. 100, ce qui est acceptable, mais cela signifie que 59 p. 100 des familles et des enfants qui pourraient donner leurs organes ne le font pas pour toutes sortes de raisons. Chaque enfant qui va jusqu'au bout offre quatre organes qui peuvent être transplantés et sauver la vie de quatre autres enfants, de sorte que les répercussions sont assez énormes.

En raison des lacunes que nous avons décelées après coup, nous avons mis en oeuvre une équipe de dons d'organes pour se pencher sur chacun de ces problèmes.

La première chose à faire, c'est de contacter toutes les familles et de leur permettre de consentir au don d'organes. Cela devrait être obligatoire.

En second lieu, il faut qu'il y ait une coordination autour du processus de consentement. Autrement dit, il faut une personne qui s'occupe uniquement de cette activité, qui soit compétente, sensible et humaine, et qui soit à même de faire venir des interprètes ou des personnes-ressources sur le plan culturel ou religieux pour mieux communiquer avec les familles au sujet des questions liées à la mort, au don d'organes et à la transplantation. Ce processus doit se faire sur une certaine période. Il ne faut pas attendre d'être en situation d'urgence. Il faudrait prévoir de nombreuses rencontres avec ces familles.

• 0930

La troisième chose—qui est très importante, à mon avis—c'est la gestion médicale agressive du donneur d'organes en puissance, pour s'assurer que ces organes sont dans un état de fonctionnement optimal en vue de la transplantation.

En résumé, nous estimons que la question des dons d'organes d'enfants et tout à fait différente de celle des dons d'organes d'adultes, et qu'il faut y apporter une attention particulière. Du point de vue d'une stratégie nationale, nous pensons qu'il faudrait prévoir la déclaration et la recommandation obligatoires de toutes les morts cérébrales dans tous les groupes d'âge de la population infantile, depuis les nouveau-nés jusqu'aux adolescents, et qu'une équipe de don d'organes, semblable au modèle mis sur pied à l'hôpital pour enfants malades, soit disponible dans tous les centres pédiatriques; il faudrait aussi prévoir une demande obligatoire à toutes les familles, la coordination de tous les aspects du processus de consentement et une gestion médicale particulière et agressive du donneur d'organes en puissance. Nous, à l'hôpital pour enfants malades, sommes volontaires pour aider le gouvernement par tous les moyens possibles en vue de mettre sur pied un programme national relatif aux dons d'organes dans le secteur pédiatrique uniquement.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, docteur Shemie et docteure Hébert.

Nous passons maintenant à M. Howard Nathan, directeur général du Delaware Valley Transplant Program.

Je rappelle aux collègues que certains des exposés ne sont pas dans les deux langues officielles, mais ils seront disponibles dans les deux langues dans le courant de la semaine prochaine.

[Note de la rédaction: présentation d'acétates]

M. Howard Nathan: Merci, monsieur le président Volpe.

J'aimerais remercier le comité de m'avoir permis de venir au Canada pour faire ce témoignage. Je voudrais vous parler brièvement de certaines lois en vigueur dans l'État de Pennsylvanie, où l'on applique le programme approuvé par le gouvernement fédéral aux États-Unis.

Comme l'a dit M. Volpe, le Delaware Valley Transplant Program est un programme de donneurs régional à Philadelphie. Nous représentons l'effort concerté de 12 hôpitaux qui procèdent à des transplantations et d'un réseau de 166 hôpitaux qui nous renvoient l'éventuel donneur d'organes. Cela représente une base de population de 9,8 millions d'âmes, et, en 1998, nous avons récupéré 30,4 donneurs par million d'habitants. J'y reviendrai dans un instant.

Pour vous donner une idée générale, dans notre région il y a 3 000 personnes en attente d'une transplantation. Environ les deux tiers sont des candidats à la greffe du rein. Il y a donc une véritable crise de la santé publique en Pennsylvanie et dans le reste des États-Unis. Il y a près de 65 000 personnes qui attendent une transplantation aux États-Unis, pour vous donner une idée de l'ampleur du problème.

Nous avons concentré notre attention, comme l'a expliqué le Dr Shemie, sur les enfants en attente d'une transplantation. Il s'agit dans ce cas-là de faire preuve de patience.

Le Dr Shemie vient de vous parler du cas des donneurs en puissance. Il s'agit là d'une étude réalisée dans le but de déterminer les possibilités aux États-Unis. S'il existe une pénurie générale, c'est parce qu'il n'y a pas assez de donneurs, un point, c'est tout, à cause du nombre de personnes en état de mort cérébrale. Sur les 2,2 millions de gens qui meurent aux États-Unis, un demi pour cent, sur le plan statistique, sont admissibles pour un don d'organes. Comme l'a dit le Dr Shemie en présentant ces données, environ un tiers le sont véritablement, 25 p. 100 ne sont jamais recommandés au programme de donneurs par les hôpitaux, et près de la moitié des familles auxquelles on présente la demande, ou environ un autre tiers, refusent leur consentement. J'aimerais parler précisément de ces deux questions—les familles qui refusent et le problème des hôpitaux qui ne recommandent pas les donneurs au programme des donneurs, qui sont d'ailleurs à l'origine de notre législation.

Permettez-moi de vous faire un petit topo de la question. Un législateur a proposé un projet de loi sur ce que l'on appelle le consentement présumé pour dire fondamentalement que tous les habitants de notre État étaient considérés comme des donneurs en puissance à moins d'indiquer leur refus. Je vais vous montrer dans un instant certaines manchettes que cette initiative a suscitées. Puis, après avoir fait cette étude sur les donneurs, nous avons extrapolé les données pour les États-Unis... Et surtout, au tout début du projet, nous voulions obtenir la collaboration de tous les secteurs qui sont représentés aujourd'hui autour de cette table, c'est-à-dire les médecins, les directeurs d'hôpitaux, les associations hospitalières et les programmes de donneurs de l'État.

Voici ce que disait cet article au sujet du consentement présumé: que cela ne fonctionnerait pas, que le gouvernement n'est pas là pour obliger les gens à faire un don obligatoire dans tous les cas, mais uniquement pour présenter des demandes aux familles. Nous avons donc profité de l'attention que suscitait la question pour modifier le projet de loi de la façon suivante.

• 0935

La loi a été adoptée en décembre 1994 et mise en oeuvre en mars 1995. Elle s'intitule Pennsylvania Act 102.

Fait intéressant à noter, le gouverneur de la Pennsylvanie, Robert Casey, avait reçu une transplantation du foie et du coeur un an et demi plus tôt, ce qui avait suscité quelques controverses dans l'État. Il a ensuite repris ses fonctions et a donné son aval à cette loi.

La loi poursuit trois objectifs, et je vais surtout parler de deux d'entre eux. Premièrement, elle renforce l'autonomie des patients. Pendant que les gens sont en bonne santé et en vie, ils peuvent choisir le don d'organes en signant leur permis de conduire ou un autre document prévoyant le don. Je n'en parlerai pas, mais je vais plutôt parler des campagnes de sensibilisation du public et des changements dans le rôle que peuvent jouer les hôpitaux dans le système du don d'organes.

Le premier exemple est un registre des permis de conduire où les gens peuvent dire oui au don d'organes, et je vais vous en montrer une copie dans un instant. On peut avoir accès 24 heures sur 24 à ce programme de donneurs. Dans les situations difficiles, pas nécessairement des enfants, mais plutôt des adultes, où il y a une personne en état de mort cérébrale, on peut appeler le registre et voir si cette personne s'est fait inscrire et vérifier que la famille est informée.

Ensuite, on a créé un fonds de sensibilisation dans le cadre duquel on pouvait payer un dollar de plus pour le permis de conduire et consacrer cet argent à un fonds destiné à l'éducation du public, à l'enseignement scolaire; cela s'est fait, et il y a en fait déjà plus d'un million de dollars dans ce fonds pour entreprendre une campagne d'éducation plus poussée.

Un aspect controversé dont je ne parlerai pas est le remboursement des frais d'enterrement engagés par la famille du donneur, ce qui fait l'objet d'un projet pilote d'un programme de prestations facultatif, tout cela venant de contributions volontaires.

Voici une reproduction du permis de conduire. La photo n'est pas très bonne. Personne n'aime sa photo sur le permis de conduire. On peut voir inscrite de façon électronique sous la photo la mention «donneur d'organes». Cela est inscrit dans un système informatique dans notre État, et plusieurs autres États américains ont désormais le même système, de sorte que les programmes de donneurs peuvent y avoir accès 24 heures sur 24.

Il y a à l'heure actuelle trois millions de conducteurs sur huit millions qui en moins de trois ans se sont inscrits, même sans qu'on ait fait la moindre publicité. Nous n'avons pas dépensé de fonds à l'égard d'une campagne publicitaire et de commercialisation. On constate donc qu'il existe déjà une grande sensibilisation de la part des gens qui sont prêts à s'inscrire au programme de donneurs.

La partie la plus importante de la loi dont j'aimerais parler porte sur l'évolution du rôle des hôpitaux. En fait, cette loi a changé tout le système. Au lieu d'identifier des donneurs en puissance, comme l'a dit le Dr Shemie, au lieu de faire porter le fardeau aux hôpitaux, aux médecins et aux infirmières, c'est le programme de donneurs qui est responsable de tout. Au lieu d'essayer de déterminer qui est donneur et qui ne l'est pas, en vertu du système, les hôpitaux doivent vérifier auprès de toutes les personnes qui décèdent, et pas seulement auprès des patients en état de mort cérébrale. Le programme de donneurs détermine les patients susceptibles de faire un don, et la demande est ensuite présentée par un professionnel dûment formé, qui généralement fait partie d'une équipe auprès d'un médecin et d'une infirmière de l'hôpital. L'équipe est dirigée par le coordonnateur du programme des donneurs.

Ensuite, le projet de loi prévoyait l'examen des dossiers médicaux afin d'évaluer la conformité en vue de déterminer quels étaient les donneurs en puissance, ceux qui ont échappé à l'attention des coordonnateurs, et il est même prévu une amende pour l'hôpital, soit 500 $ chaque fois que l'hôpital a omis de recommander un patient. L'amende n'a jamais été perçue, mais le principe voulait qu'il s'agisse d'un problème de santé publique et que les hôpitaux devaient se conformer à la loi. Cette mesure a suscité l'attention de responsables aux plus hauts niveaux, et depuis lors elle a fait l'objet d'en effort concerté.

Les recommandations, bien sûr—et vous pouvez voir cette ligne rouge—ont augmenté considérablement, passant d'environ 200 appels téléphoniques par mois par le biais du programme de donneurs à près de 4 000 appels par mois. Cela a eu deux effets. Premièrement, manifestement, le nombre de candidats a augmenté. Deuxièmement, les hôpitaux se sont habitués à l'idée que, lors du décès d'un patient, celui-ci peut être un donneur en puissance, quelle que soit la cause du décès. De toute évidence, bon nombre de ces patients ne sont pas retenus comme candidats au don d'organes au bout d'une minute ou deux en raison de leur âge ou d'autres facteurs, mais les hôpitaux ont estimé qu'il était tout à fait logique de laisser au programme de donneurs le soin de prendre ces décisions.

Il y a des gens qui trient les appels et les répartissent entre les professionnels compétents, et on peut obtenir une réponse dans les minutes qui suivent. Ensuite, si la personne est branchée à un appareil de réanimation et est un donneur en puissance, un coordonnateur des transplantations—un coordonnateur des donneurs—est envoyé sur-le-champ à l'hôpital, où dès son arrivée, dans l'heure qui suit, on peut mettre en branle le processus de coordination du don d'organes.

• 0940

Les résultats ont été phénoménaux. Les dons ont augmenté de 43 p. 100 au cours des quatre dernières années. Pour les greffes du rein, l'augmentation a été de 53 p. 100; pour les transplantations extrarénales, coeurs, foies, pancréas et poumons, de 62 p. 100. L'ensemble des transplantations a augmenté de 57 p. 100. Ces résultats sont sans précédent aux États-Unis et dans le reste du monde.

Quant au bilan général, vous pouvez voir qu'au cours des quatre dernières années le nombre de dons a augmenté continuellement, passant d'environ 200 par an à près de 300 par an à l'heure actuelle.

Par rapport au taux de dons, environ 3,1 organes sont transplantés par donneur. En outre, le nombre de donneurs par million d'habitants—ce qui est une mesure de rendement—est d'environ 30,4. Nous sommes passés de résultats à peine supérieurs à la moyenne à des résultats qui font de notre programme le premier ou le deuxième en importance dans le pays, avec le plus grand nombre de transplantations du pays.

S'agissant des tissus, les dons d'os et d'yeux ont augmenté de 35 p. 100 et de 10 p. 100 respectivement. C'est grâce à l'abaissement de l'âge. La qualité des tissus récupérés est importante, car nous sommes informés de tous les décès, et les dons d'os et d'yeux peuvent provenir de toute personne qui meurt avant l'âge de 65 ans environ, car ces tissus peuvent être récupérés même après que le coeur a cessé de battre, jusqu'à 24 heures plus tard.

Je m'excuse d'aller aussi vite.

Le programme modèle a suscité beaucoup d'attention dans les médias américains. Depuis sa mise en vigueur, d'autres États—environ sept autres entre 1995 et 1998—l'ont mis en oeuvre.

Dernièrement, en août 1998, tous les hôpitaux aux États-Unis ont été tenus—comme condition de participation au programme—de se conformer à ce mandat de recommandation automatique. Ils ont environ un an pour mettre le programme en vigueur. Là encore, l'initiative a suscité des questions et des préoccupations, mais on vise la collaboration entre les professionnels de la santé et les responsables des programmes de donneurs, qui sont en fait les experts, ceux qui font la même chose tous les jours.

En dissociant la demande—autrement dit, on dissocie la conversation de la perte d'un être cher, de sorte que les responsables du programme viennent parler du don en respectant les sentiments de la famille—les taux de consentement ont augmenté, mais peut-être pas autant que l'a dit le Dr Shemie. Les hôpitaux pédiatriques ont en général un taux de consentement plus élevé, mais notre taux global de consentement est actuellement proche de 60 p. 100.

Enfin et surtout, l'éducation du public. Qu'on l'aime ou non, Michael Jordan a prêté son image au don d'organes. Il l'a fait gratuitement, et c'est d'ailleurs la seule chose pour laquelle il n'ait jamais été payé. Cela fait l'objet d'une campagne nationale. L'idée est d'obliger les gens dans la rue à parler des dons et de faire accepter le principe par une majorité de gens. Nous voulons que les gens y réfléchissent et en parlent à table. Le slogan national aux États-Unis est donc «Share your life. Share your décision» (Partagez votre vie, partagez votre décision). Et surtout, parlez-en avec votre famille.

Merci beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Nathan.

Sans perdre de temps, nous passons maintenant aux Drs Carole Guzman et Gordon Crelinsten.

Je pense que c'est vous qui allez prendre la parole.

Dre Carole Guzman (secrétaire générale associée, Association médicale canadienne): Non, c'est le Dr Crelinsten qui le fera.

Le président: Très bien, allez-y, docteur Crelinsten.

Dr Gordon L. Crelinsten (président, Comité d'éthique, Association médicale canadienne): Merci, monsieur Volpe. Je suis accompagné aujourd'hui par ma collègue, la Dre Carole Guzman, secrétaire générale associée de l'Association médicale canadienne. Nous remercions le comité de nous avoir invités à participer à ces importantes délibérations sur la situation des dons d'organes et de tissus au Canada.

L'Association médicale canadienne est un organisme professionnel bénévole qui représente la majorité des médecins du Canada, et compte 12 divisions provinciales et territoriales et 43 organismes médicaux affiliés.

[Français]

L'Association médicale canadienne a pour mandat de jouer un rôle de chef de file auprès des médecins et de promouvoir les normes les plus élevées de santé et de soins de santé pour les Canadiens et les Canadiennes.

Comme elle l'a toujours fait, l'Association médicale canadienne continuera à défendre devant ce comité et les autres tribunes publiques les dossiers de santé qui sont dans l'intérêt de tous les Canadiens et Canadiennes.

• 0945

[Traduction]

Conformément au processus permanent d'examen de la politique entrepris par l'Association médicale canadienne et compte tenu des progrès actuels dans ce domaine, la politique de l'association relative au don d'organes et de tissus est actuellement en cours de modification. Néanmoins, nous aimerions vous faire part de certaines idées sur la question générale des dons d'organes et de tissus.

La transplantation d'organes est une option de traitement importante pour plusieurs maladies, et la pénurie d'organes disponibles est un obstacle important pour ceux qui veulent avoir cette option de traitement. Par conséquent, il faut poursuivre l'objectif louable qu'est l'étude de divers moyens d'accroître l'offre d'organes pour le traitement médical.

Même si l'objectif d'accroître le nombre d'organes disponibles pour les transplantations qui sont devenues un traitement médical courant est inattaquable du point de vue de l'éthique, on ne peut pas en dire autant de tous les moyens utilisés pour atteindre ce but. Le respect de l'autonomie ou du choix personnel est une valeur fondamentale de la société canadienne et de notre système de santé. Cette valeur sous-tend la médecine des transplantations dans la mesure où le don d'organes est enraciné dans la philosophie du «don». Plus ils revêtiront un caractère obligatoire, ou moins ils respecteront l'autonomie, le choix personnel et le principe du don altruiste, plus les moyens ou mesures pris pour collecter des organes seront douteux sur le plan moral.

L'AMC appuie le principe d'un registre national de donneurs d'organes dans la mesure où il permet de faire l'équilibre entre l'objectif poursuivi, à savoir accroître l'offre d'organes, et le respect des valeurs du choix personnel et du don spontané, tout en respectant le besoin de protéger la vie privée.

En évaluant les moyens et mesures pris pour collecter les organes et les tissus, il importe d'admettre que l'obligation principale des médecins, dans le cadre d'un rapport patient—médecin direct, est à l'égard des patients qu'ils sont responsables de soigner. Pour certains médecins, cette obligation va au receveur éventuel, tandis que pour d'autres elle va au donneur en puissance.

De par la nature de leur travail, les médecins créent également des liens professionnels avec la famille des patients, à l'égard de laquelle ils ont également des obligations, même après le décès du patient. Il sera sans doute plus difficile d'accroître l'offre d'organes si cela sape cette relation fiduciaire et remet en cause la capacité du médecin de défendre et d'assumer ses obligations à l'égard des patients et de leur famille.

C'est pourquoi l'Association médicale canadienne estime que pour augmenter le nombre d'organes disponibles il faudrait de préférence déployer moins d'efforts de persuasion pour obtenir une décision en temps de crise quand le patient est décédé ou à l'agonie, et intensifier les mesures nécessaires bien plus tôt, au moment où l'émotion des familles est moins exacerbée, de telle sorte que l'on peut apporter des précisions aboutissant à une décision correspondant davantage à un consentement éclairé.

Toute stratégie d'envergure de collecte d'organes repose bien entendu sur une oeuvre éducative auprès du public. Les médecins peuvent jouer un rôle très important à cet égard, mais en outre ils sont tout à fait prêts à offrir l'information nécessaire non seulement à leurs collègues et aux autres professionnels de la santé, mais aussi à leurs patients et à leur famille. Il se peut toutefois qu'il faille que les médecins eux-mêmes se renseignent davantage sur ces questions.

D'autres valeurs importantes doivent être prises en compte quand on réfléchit aux efforts et aux mesures qui aboutiraient à une augmentation du nombre de dons d'organes. La protection de la vie privée en est une. Lors de l'établissement de bases de données et de registres nationaux, il faudra prendre les dispositions qui s'imposent pour protéger la vie privée et le consentement des particuliers.

La transplantation soulève beaucoup d'autres questions que le comité devrait aborder. Même si nombre de transplantations comme les greffes de foie ou de coeur sont désormais pratique courante, d'autres sont encore plutôt expérimentales. L'évolution de la médecine de transplantation soulève des questions auxquelles les démarches de révision éthique ne conviennent peut-être pas. Les risques et les dégâts potentiels que comporte la xénotransplantation du point de vue du public comme du particulier sont par exemple énormes et difficiles à évaluer. Il est capital que ces questions soient discutées et débattues en public, de même que dans le contexte de la révision éthique traditionnelle.

• 0950

En conclusion, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, l'Association médicale canadienne vous remercie de l'avoir invitée aujourd'hui. Nous allons suivre de très près les délibérations du comité et nous vous tiendrons au courant de nos progrès dans l'examen de notre politique.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, docteur Crelinsten. J'aurais dû vous présenter comme membre de l'Association médicale canadienne dès le départ. Je ne l'ai pas fait, et j'espère m'être rattrapé à temps pour la gouverne du public qui nous regarde à la télévision.

Nous passons maintenant à l'Association canadienne des soins de santé. Larry Odegard et Kathryn Tregunna la représentent, mais si je ne m'abuse, c'est Kathryn Tregunna, directrice de l'élaboration des politiques, qui va faire l'exposé.

Allez-y, madame.

Mme Kathryn Tregunna (directrice, Élaboration des politiques, Association canadienne des soins de santé): Merci.

L'Association canadienne des soins de santé vous est reconnaissante de l'avoir invitée à comparaître devant le comité permanent aujourd'hui. Comme vous le savez, l'association est une fédération d'associations de santé provinciales et territoriales. Par le passé, l'association a été le porte-parole des hôpitaux. En 1995, nous avons changé la raison sociale de l'association, qui s'appelait autrefois Association des hôpitaux du Canada, pour tenir compte de l'élargissement des domaines où oeuvrent nos adhérents. Aujourd'hui, à cause de nos membres, nous représentons les hôpitaux, les établissements de soins prolongés, les agences de soins communautaires et à domicile, les services de santé communautaires, d'hygiène publique, de santé mentale, de toxicomanie, de logement, et les organismes professionnels et chargés de l'octroi des licences. La question du don d'organes et de tissus et de leur attribution touche tous les sous-secteurs du domaine de la santé.

Depuis 10 ans notre association participe à des initiatives concernant le don d'organes et de tissus. Notre mémoire en dresse la liste. Les adhérents à l'Association canadienne des soins de santé pensent que même si ces activités se sont révélées fructueuses, il faut maintenant envisager une stratégie nationale coordonnée pour le don et l'attribution d'organes et de tissus au Canada.

Larry Odegard va énumérer les éléments que l'association considère comme essentiels dans cette stratégie nationale. Larry m'accompagne aujourd'hui, car il est le PDG d'une de nos associations provinciales, l'Association des soins de santé de Colombie-Britannique. En outre, je vais faire un petit rectificatif, car, renseignements pris, Sharon Sholzberg-Gray est en fait notre PDG à l'association nationale. Je vous prie d'excuser ce malentendu.

Outre sa perspective du point de vue systémique, Larry ajoute à sa connaissance des questions concernant le don et l'attribution des organes et tissus une expérience administrative à l'hôpital de l'Université de l'Alberta, à Edmonton—qui est l'un des centres prépondérants de transplantation au Canada—et auprès de l'organisme albertain de gestion intégrée de la santé. Larry a aussi acquis une certaine expérience auprès du programme HOPE, qui est un programme d'échange et de collecte d'organes humains en Alberta.

M. Larry Odegard (directeur général, Association canadienne des soins de santé): Merci, Kathryn, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, et chers collègues.

L'Association canadienne des soins de santé a cerné certains éléments qui, du point de vue de nos adhérents, sont capitaux pour l'élaboration et la mise en oeuvre d'une stratégie nationale. D'autres initiatives, comme sensibiliser le public et faire la promotion du don d'organes, constitueront également des éléments essentiels à la stratégie nationale pour améliorer le don et l'attribution des organes et des tissus au Canada.

Pour l'association, il faut en priorité, tout d'abord, une approche fondée sur les normes qui garantisse la sécurité du don et de la transplantation d'organes et de tissus. L'Association canadienne des soins de santé appuie une telle approche pour garantir la sécurité du don et de la transplantation d'organes et de tissus et est impatiente de participer aux activités d'élaboration de ces normes. L'association exhorte Santé Canada à y inclure un groupe d'experts et d'intéressés, des experts en santé publique. Leur rapport est nécessaire afin de tenir compte des questions de transmission de maladies.

Deuxièmement, le programme des produits thérapeutiques de Santé Canada doit avoir un rôle actif sur le plan de la réglementation, car il s'agit de veiller à ce que ces normes nationales soient bien respectées grâce à une démarche transparente dont la responsabilité ultime est confiée au programme des produits thérapeutiques de Santé Canada. L'association estime que ce programme doit être doté des ressources nécessaires pour garantir une gestion des risques compatible avec les normes les plus exigeantes sans toutefois créer des entraves inutiles au déroulement d'une stratégie nationale.

• 0955

Troisièmement, il faut assurer un registre national pour enregistrer les souhaits des donneurs potentiels. L'association exhorte le Comité permanent de la santé à examiner les mérites des diverses options, que l'on a décrites notamment aujourd'hui et à d'autres réunions, et à proposer des mesures précises permettant l'instauration et la mise en oeuvre d'un registre national, ou d'un mécanisme efficace comparable, pour enregistrer les souhaits des donneurs potentiels. Ce registre devrait exister à l'échelle nationale et constituer un élément intégral d'une stratégie plus vaste de don et d'attribution d'organes et de tissus au Canada. Ce registre national peut être centralisé à l'échelle du pays ou constituer un réseau reliant divers systèmes provinciaux ou territoriaux.

Quatrièmement, il faudrait veiller à établir une liste nationale d'attente des personnes qui attendent une greffe. L'association appuie la constitution d'une telle liste, qui serait mise à jour quotidiennement suivant un système de cotation cohérent et clair du degré d'urgence. Le système actuel fondé sur une télérecherche au cas par cas serait amélioré si l'on avait recours à un système de repérage en temps réel, à une autorité en matière de décision, et à un algorithme de partage national.

Quant au cinquième élément, on en a parlé plus tôt. Il s'agit de faire oeuvre éducative auprès des professionnels de la santé. L'association exhorte le Comité permanent de la santé à envisager la formation des professionnels de la santé qui s'occupent du don et de l'attribution d'organes et de tissus comme une composante intégrale de toute stratégie nationale. Il faut que ces gens soient formés et renseignés sur la complexité de cette question importante.

Sixièmement, il faut un financement permanent et suffisant. L'association pense qu'il faut prévoir une approche nationale à cet égard.

Septièmement, il faut prendre des mesures immédiates pour certains aspects du plan de mise en oeuvre de la stratégie nationale-provinciale de don et d'attribution d'organes et de tissus au Canada, qui relève d'un comité national pour l'instant.

Nous exhortons le Comité permanent de la santé à recommander, au bas mot, que des mesures soient prises sur les éléments de la stratégie qui sont autonomes. Par exemple, les normes de sécurité nationales et le registre national peuvent être certainement réalisés sans qu'on attende le consensus de tous les autres éléments, car le cheminement vers une stratégie nationale se fera peut-être petit à petit. Toutefois, il faut avoir une vision d'ensemble des principales composantes si nous voulons offrir aux Canadiens l'accès aux dons d'organes et de tissus.

Dans l'ensemble, l'association exhorte le Comité permanent de la santé à recommander des mesures concrètes et propices à l'élaboration et à la mise en oeuvre d'une stratégie nationale coordonnée pour le don et l'attribution d'organes et de tissus au Canada. Les adhérents provinciaux et territoriaux de l'association s'engagent à travailler ensemble pour régler les problèmes éventuels de mise en oeuvre de cette stratégie nationale.

En résumé, pour réaliser les objectifs décrits aujourd'hui par nos collègues, nous demandons qu'on nous appuie dans l'élaboration d'une structure et d'un processus qui vont aboutir à l'instauration de normes de sécurité nationales; garantir la surveillance de la conformité; établir un registre national de donneurs; instaurer et maintenir une liste nationale d'attente; offrir l'information nécessaire aux professionnels de la santé; garantir un financement soutenu suffisant; apporter des mesures immédiates à l'égard de nombre de ces éléments; amorcer l'élaboration d'une stratégie nationale; et nous mettre à contribution dans la démarche.

Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion d'exposer notre point de vue, et nous sommes impatients d'en discuter avec vous.

Le président: Merci, monsieur Odegard.

• 1000

Notre dernière intervenante a été extrêmement patiente—comme tous les autres—et c'est Colleen Shelton, de l'Hôpital général de Toronto.

Mme Colleen Shelton (spécialiste en clinique infirmière, Hôpital général de Toronto): Merci, monsieur Volpe, et merci encore une fois de me donner l'occasion de parler de cet important sujet qu'est le don de tissus et d'organes au Canada.

Je suis spécialiste en clinique infirmière à l'Hôpital général de Toronto, où nous avons un programme de greffes multi-organes. Je suis donc dans un cadre et dans un poste tout désignés pour intervenir à toutes les étapes du processus de transplantation, dès l'évaluation des candidats, la consultation des patients hospitalisés, ou dans les centres de soins ambulatoires, où nous suivons plus de 2 000 patients avant qu'ils soient remis entre les mains de l'équipe de donneurs d'organes.

Le président: Excusez-moi. Je sais que vous voulez tout nous dire, mais nos interprètes ont du mal à vous suivre. Je vous prie de ralentir un peu votre débit.

Mme Colleen Shelton: Volontiers.

Outre le poste que j'occupe à l'Hôpital de Toronto, je suis aussi depuis 10 ans infirmière accréditée auprès des patients en phase critique. C'est dans un autre hôpital que j'exerce ces fonctions, où à l'occasion j'ai affaire à des donneurs d'organes et à leur famille.

À la réflexion, à propos du don d'organes au Canada, je dirais que toutes nos préoccupations tournent autour d'un élément essentiel: la bonne volonté altruiste. Le système actuel au Canada dépend entièrement de la bonne volonté, et chaque maillon de la chaîne, chaque personne impliquée, doit avoir de la bonne volonté pour garantir l'accès à l'organe d'un patient potentiel.

Les professionnels de la santé dans les unités de soins intensifs doivent avoir de l'empathie à l'égard d'un autre patient; il s'agit d'un patient inconnu qui attend un organe. Il leur faut de la bonne volonté pour contacter l'agence de prélèvement d'organes et faire les démarches nécessaires auprès de la famille, qui est en deuil, pour lui demander de penser à quelqu'un d'autre.

La famille doit avoir la bonne volonté de décider de renoncer aux organes d'un être cher afin de sauver une autre vie, quelqu'un de tout à fait inconnu. Je veux vous dire ici que la bonne volonté ne suffit tout simplement plus.

Je pense qu'il faut mettre en place quatre stratégies capitales. Je ne saurais pas vous dire comment faire la mise en oeuvre dans tous les cas, mais j'ai certaines suggestions à vous proposer. Vous savez sans doute que l'État de l'Arkansas a récemment abrogé sa loi concernant le port obligatoire d'un casque par les motocyclistes. C'est une mesure extrême. Je ne vais pas recommander cela pour le Canada. C'est la pression publique qui les a poussés à le faire, même si cette mesure va augmenter le nombre de donneurs—car c'est ce qui les attend. Il faut au Canada une exigence de question obligatoire ou encore de signalement obligatoire, du personnel formé et désigné à cette fin, une rémunération équitable pour les hôpitaux, et une campagne de sensibilisation.

Actuellement, dans une unité de soins intensifs, on ne donne pas à bien des familles le choix d'envisager un don d'organes ou de tissus. Le choix est essentiellement fait pour eux, car les professionnels de la santé ne leur demandent rien. Je pense que c'est ainsi parce que la plupart d'entre eux se sentent mal à l'aise de faire cette démarche auprès des familles dont les émotions sont exacerbées, et je le comprends. Dans mon travail, avant toute expérience en matière de transplantation, j'ai eu à prendre part à ce genre de discussions et c'est très pénible.

Je n'ai pas toujours eu toutes les réponses. Les patients et leur famille me posaient des questions très détaillées sur le processus. Que se passe-t-il? Quels soins donne-t-on au donneur? Je n'avais pas de réponses à donner à cette époque-là, et je suis sûr que notre taux de consentement n'était pas très élevé à ce moment- là.

Depuis que j'ai suivi une formation et que j'ai participé à d'autres demandes d'organes, les choses ont changé. Quand je travaille avec des patients en phase critique et que je parle aux familles, j'ai désormais des réponses à leur donner. Ma formation m'a appris que je ne suis pas là pour forcer qui que ce soit. Je suis là pour leur donner l'occasion de faire un don, pour les informer, et les laisser faire le choix qui leur convient. Le don d'organes ne convient pas à toutes les familles mais il faut donner aux gens le droit de choisir, et nous ne le faisons pas toujours.

Il faut donc du personnel formé et dévoué qui puisse intervenir au moment de la période de découplage dont M. Nathan a parlé et qui est essentielle dans tous les programmes de transplantation fructueux de par le monde.

Deuxièmement, il y a la question du signalement obligatoire. Comme M. Nathan le propose dans son modèle, il faut au Canada un régime qui exige le signalement une fois le décès constaté, une fois la mort cérébrale constatée, pour garantir que les décisions sont prises de façon opportune quant au don éventuel des organes du patient.

Je pense qu'il faut qu'il y ait une rémunération équitable pour les hôpitaux. Le don d'organes implique des coûts. Dans le mémoire que je vous enverrai ultérieurement, j'ai fait le décompte de ces coûts sous forme de tableau. Quand un donneur est repéré, il faut de six à 10 heures supplémentaires dans une unité de soins intensifs, et pendant ce temps un autre patient ne peut pas être accueilli dans cette unité. L'hôpital doit donc en assumer le coût. Il faut ensuite de quatre à six heures de chirurgie en salle d'opération. Ce coût-là doit également être inclus dans la rémunération.

• 1005

Une fois la ventilation faite—et nous avons fait l'analyse du point de vue de notre province—on constate que le coût d'un don d'organes, unité de soins intensifs et bloc opératoire compris, s'élève à 6 000 $ ou 7 000 $ par donneur. Cela couvre les soins infirmiers, le personnel médical, les ressources, le matériel, les médicaments, tout ce dont on doit disposer sur place pour la prestation de cet important service.

Pour les hôpitaux régionaux, pour les hôpitaux neurologiques et les centres de traumatologie, qui accueillent de 10 à 20 donneurs par année, le coût est énorme, et pour les centres qui n'accueillent qu'un ou deux donneurs par année, parce qu'ils sont très petits, cela représente une bonne portion de leur budget. Vous reconnaîtrez avec moi que depuis cinq ans nos hôpitaux voient leurs budgets amputés considérablement. Il n'est donc pas juste de leur demander d'avoir la bonne volonté d'absorber ces coûts dans leur budget ordinaire quand on leur demande de réduire les frais de photocopie. Comment trouver 7 000 $... comment les trouver ailleurs, rogner sur les soins donnés à quelqu'un d'autre, pour absorber le coût du don d'organes? On en arrive à cela. Il faut donc un remboursement correspondant au coût pour la prestation de ce service. Je ne pense pas que les coûts soient déraisonnables.

En dernier lieu, je vais parler de ce dont plusieurs autres de mes collègues ont parlé ce matin de la sensibilisation du public. Quand on parle aux membres de la famille, on constate, et c'est mon expérience, que les familles sont polarisées, pour ou contre le don. Il se peut que ces gens en aient parlé lors d'un repas ou à l'occasion d'une nouvelle ou autrement, et la décision a été prise en tant que famille, ou encore ils comprennent les voeux de chacun. Il faut une campagne, fédérale de préférence, qui va introduire le sujet à l'échelle du pays pour que les gens parlent de leurs souhaits, de sorte que quand arrive le moment, la famille est à l'aise, sachant qu'elle agit dans l'intérêt du patient et qu'elle permet de concrétiser ses volontés.

Voilà mes recommandations. Le système actuel doit être modifié, et je pense qu'il faut miser sur la bonne volonté des Canadiens et construire une assise plus solide pour soutenir les efforts visant à augmenter le don d'organes pour la santé de notre nation.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, Colleen Shelton.

Nous allons passer aux questions. Pour ceux qui ne connaissent pas notre façon de procéder, je signale que les députés qui siègent à ma gauche sont des membres des partis d'opposition et que ceux qui sont à ma droite sont membres du parti ministériel. D'habitude, nos délibérations ne sont pas partisanes, mais je voulais vous donner cet élément d'information. L'opposition a toujours la possibilité de poser ses questions en premier, et je vais donc donner la parole à M. Martin.

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Merci à vous tous d'être venus ici aujourd'hui. À mon avis, nous avons ce matin une des meilleures séances sur le plan de l'élaboration de solutions positives qui pourraient s'appliquer à l'échelle du pays.

Merci beaucoup d'avoir bien expliqué que le don d'organes est sécuritaire, que ce n'est pas une procédure à l'essai, mais que c'est le seul espoir de vie dans le cas de bien des patients.

Docteur Shemie, vous avez très bien expliqué la question de la mort cérébrale en faisant remarquer que quelqu'un qui est dans cette phase-là est effectivement mort. Pouvez-vous donner la liste des critères que vous utilisez à l'hôpital pour enfants malades au président du comité ou au greffier? Ce serait fort utile, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Monsieur Nathan, merci d'être venu des États-Unis pour nous rencontrer. L'Espagne a un taux très élevé, et on nous en a beaucoup parlé aujourd'hui. Mais votre taux à vous est beaucoup plus élevé que celui de l'Espagne. Pouvez-vous nous dire pourquoi le modèle espagnol n'est peut-être pas celui qui convient le mieux au Canada et ce que vous avez fait pour que votre modèle soit supérieur au leur?

Je voudrais dire deux choses en terminant. Docteur Crelinsten et docteure Guzman, si l'Association médicale canadienne envisageait de fournir aux médecins une trousse de formulaires ou de documents à l'intention des donneurs d'organes, pour que l'on verse au dossier de chaque patient canadien un de ces formulaires rempli... cela pourrait constituer une sorte de programme, si l'on veut.

Madame Shelton, merci d'avoir parlé du coût du don d'organes, mais même si cela coûte 7 000 $, il faut bien dire que le contribuable peut épargner 200 000 $ tous les quatre ou cinq ans.

• 1010

Le président: Merci, monsieur Martin. Il va falloir que je me montre un peu plus rigoureux pour ce qui est du temps de parole et de réponse.

Monsieur Nathan, je pense que vous êtes le premier.

M. Howard Nathan: Docteur Martin, le modèle espagnol fait appel à des médecins qui sont essentiellement des médecins travaillant dans une unité de soins intensifs. Une partie de leur salaire leur est versé parce qu'ils coordonnent la transplantation dans les hôpitaux. Essentiellement, ils jouent un double rôle, prodiguant des soins à leurs patients, et ensuite ils repèrent des donneurs. En fait, c'est une exigence pour que leur salaire leur soit versé.

Cela ne peut pas marcher en Amérique du Nord parce que je pense qu'en Espagne le régime de soins de santé est différent du nôtre. Tout d'abord, les médecins là-bas sont vénérés, et la population est beaucoup plus homogène que la nôtre. Que nous le voulions ou non, les gens sont un peu plus sceptiques ici, en Amérique du Nord, concernant les rapports entre patients et médecins. Très souvent, ces patients sont acheminés vers des centres de traumatologie où ils n'ont pas de rapports étroits avec le médecin. La rencontre est vieille d'une heure ou deux. Ce double rôle de prodiguer des soins à un patient et ensuite de devenir coordonnateur des dons peut parfois sembler menaçant pour les membres de la famille.

Nous proposons de changer l'infrastructure de sorte que les programmes de donneurs ne soient pas intégrés à l'hôpital, mais constituent un effort coopératif avec l'équipe de médecins soignants. Ainsi il y aurait un spécialiste dont l'unique travail serait de faire oeuvre éducative auprès des médecins et des infirmières des hôpitaux et qui serait disponible pour s'entretenir avec les membres de la famille, au pied levé, si l'on veut, pour faciliter un don lors de ce que l'on appelle une approche de découplage. L'équipe soignante prodigue des soins au patient et fait tous les efforts nécessaires pour le sauver, et malheureusement doit expliquer, avec beaucoup de doigté, ce qu'est la mort cérébrale. Ensuite, on fait appel à un expert qui se joint à l'équipe plus tard pour demander le don lors d'une conversation à part. Nous pensons que ce modèle vaut mieux. Nous ne pensons pas que l'autre système pourrait donner de bons résultats, peut-être sans doute parce qu'il serait plus coûteux, même si je dis cela sans avoir de données à cet égard.

Le président: Monsieur Nathan, je peux vous garantir que les médecins qui siègent à ce comité sont vénérés comme s'ils étaient des dieux par les autres membres du comité.

À propos de médecins, docteur Crelinsten, vous avez la parole.

Dr Gordon Crelinsten: Je pense que le Dr Martin a soulevé une question très importante. Je pense que les rapports entre les médecins et les patients peuvent devenir des rapports très intimes, et qu'il n'y a pas de meilleur moment pour amorcer ce genre de discussions visant à sensibiliser davantage les gens à l'importance d'être donneur que les échanges menés avec le plus grand tact entre médecins et patients. Quelqu'un l'a dit, il faudrait commencer bien avant à établir un rapport entre patients et médecins pour que le cheminement personnel des patients quant à l'importance de devenir donneur se déroule avant d'aboutir à des choix éclairés, conscients de l'importance du geste.

Les médecins prennent déjà le temps de discuter de santé publique avec leurs patients, comme par exemple des risques du tabagisme ou de ceux que comporte la conduite avec facultés affaiblies, de sorte qu'on pourrait les encourager à sensibiliser leurs patients à l'importance du don d'organes. Bien entendu, ces faits-là seraient inscrits à leur dossier. Qui d'autre que le médecin pourrait être le meilleur défenseur des souhaits d'un patient à un moment crucial de sa vie, son médecin qui connaît les moindres recoins de sa vie et l'expression de ces souhaits-là à un moment où le patient n'était pas confronté à la mort ou à l'agonie?

Comme d'autres l'ont dit, la récompense ultime de ce don altruiste revient à la personne, et non pas à la famille. Même s'il est important pour les membres de la famille de comprendre les souhaits de leur proche, ce n'est pas à elle qu'on devrait attribuer le mérite de ce geste altruiste, car il faudrait que cela reflète les souhaits de leur proche, que la famille sache que cet être cher a pu prendre cette décision. Qui mieux que le médecin peut aider un patient ou les membres de sa famille à comprendre cette décision et à prendre conscience de son importance, car il s'établit des rapports très intimes entre le médecin et son patient?

Le président: Docteur Crelinsten, merci.

Madame Shelton, une dernière remarque.

• 1015

Mme Colleen Shelton: Je voudrais ajouter quelque chose. Il est important qu'il s'établisse un lien de confiance entre le patient et le médecin quand le patient est en phase critique, afin de faciliter les entretiens concernant un don d'organes. Toutefois, d'après nos études et celles qui ont été faites à l'échelle de l'Amérique du Nord, on a constaté qu'il est capital, lors de ces conversations, que l'intermédiaire soit fermement convaincu de l'idéal que représente le don d'organes et qu'il ou elle ait l'expérience du processus.

On voit bien quand les médecins dans les hôpitaux pressentent les membres de la famille concernant un don d'organes... Ce sont des hommes et des femmes qui ont l'expérience de la chose. Vous savez ce que je veux dire. Il s'agit de gens qui ont un bon rapport, un lien de confiance avec leur patient et une bonne façon de mener l'entretien. Ils savent bien parler aux membres de la famille, et nous constatons ce que nous appelons la conversion, c'est-à-dire le consentement des membres de la famille à ce don d'organes.

Quand on fait appel à des coordinateurs ou à des spécialistes pour s'entretenir avec les membres de la famille—et encore une fois on a affaire ici à des gens d'expérience qui ont été formés—ils ont eux aussi un très fort taux de succès. Les familles comprennent l'enjeu. Ces gens ont le temps d'aider les familles au moment de leur deuil, ce qui est capital pour les aider à prendre la bonne décision qui leur convienne.

Toutefois, je vous mets en garde, car ce n'est pas n'importe quel médecin ou n'importe quel professionnel de la santé dans une unité de soins intensifs qui peut faire ces démarches. Nous savons que les gens qui, pour terminer leur apprentissage, ne passent que quelque temps dans une unité de soins intensifs n'obtiennent pas un très bon taux de conversion auprès des familles. Encore une fois, c'est à cause de l'inexpérience et du fait qu'ils n'ont pas l'habitude d'aborder avec les membres d'une famille un sujet pénible et délicat. Il faut donc des gens dévoués et expérimentés et, de préférence, formés.

Pour ce qui est des coûts des dons d'organes, nous savons qu'une partie disproportionnée du financement des soins de santé est consacrée aux soins aux patients qui souffrent de défaillance cardiaque, respiratoire et rénale. À l'heure actuelle, le coût d'une hémodialyse est de 25 000 $ à 35 000 $ par année.

Les transplantations coûtent cher, je ne le nie pas, mais il est beaucoup moins coûteux de greffer un rein à un patient et de le soigner ensuite aux traitements ambulatoires. Il n'en coûte que de 2 000 $ à 5 000 $ par année pour soigner les patients greffés, comparativement aux ressources, à l'équipement et à l'argent qu'il faut investir pour que ces patients survivent avec des organes défaillants avant la transplantation. Ce sont donc des facteurs importants dont il faut tenir compte, mais il ne faut pas oublier non plus que le maintien d'un donneur par l'hôpital entraîne également des coûts.

Le président: Merci, madame Shelton.

Avant de passer à la question suivante, je vais laisser un moment au Dr Shemie pour répondre également.

Dr Sam Shemie: Merci de vos commentaires, monsieur Martin.

Le problème de la mort cérébrale est le même chez les enfants que chez les adultes. Permettez-moi d'en répéter la définition. Il s'agit d'un arrêt complet et irréversible des fonctions cérébrales. Cela signifie que les patients sont inconscients, qu'ils ne peuvent penser, sentir, bouger, voir ou respirer, et que la reprise de ces fonctions est impossible.

Un témoin précédent a indiqué qu'une personne qui avait été déclarée en état de mort cérébrale auparavant est maintenant en vie et active. Ce n'est pas possible. Ou bien l'expression «mort cérébrale» a été mal utilisée, ou alors c'est que le témoin est mal informé.

Dans le cas des enfants, le diagnostic de mort cérébrale doit tenir compte de certains éléments et en exclure d'autres. Entre autres, il faut que l'état de la personne puisse s'expliquer par une cause qui a provoqué la mort cérébrale. S'il n'existe pas de cause explicable, on ne peut porter de diagnostic de mort cérébrale. Cela s'appliquerait par exemple à quelqu'un qui a subi un traumatisme crânien, qui est dans le coma et en état de mort cérébrale. La cause est explicable. Si une personne dans le coma arrive dans une salle d'urgence et qu'on ne sait pas si elle est en état de mort cérébrale, il faut que son état puisse être expliqué.

La température du patient doit être normale, et il existe des lignes directrices cliniques rigoureuses quant à l'examen qui doit être fait pour confirmer la mort cérébrale. Cet examen doit être effectué à deux moments différents par deux médecins différents, et il inclut des tests cliniques permettant de déterminer que le patient est inconscient, que les fonctions cérébrales nécessaires à la respiration et aux réflexes de ce qu'on appelle les nerfs crâniens sont interrompues, à quoi s'ajoute un test rigoureux permettant de vérifier l'absence de respiration en présence d'une teneur élevée de bioxyde de carbone dans le sang, condition qui stimule la respiration.

• 1020

Il faut donc qu'il y ait absence totale et irréversible de fonctions cérébrales, tant dans le cortex que dans le tronc cérébral, et il faut prouver que ces patients ne peuvent récupérer.

Le président: Merci, docteur Shemie.

Passons maintenant à Mme Wasylycia-Leis

Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Centre-Nord, NPD): Merci, monsieur le président. J'ai une question pour chacun des représentants de l'AMC et de l'ACSS.

Ma première question s'adresse au Dr Crelinsten. Dans votre mémoire, vous avez parlé de la xénotransplantation, qui a fait l'objet de beaucoup de discussions à notre comité. Nous avons appris qu'il y a énormément de recherche dans ce domaine au Canada. Même si notre taux de donneurs est plutôt faible, comparativement à d'autres, il semble que nous faisons énormément de recherche quant à l'utilisation d'organes d'animaux. Nous avons également appris, par contre, qu'il n'existe pas de lignes directrices dans ce domaine au Canada. Il n'existe pas de critères qui guident cette recherche, et, contrairement à ce qui se fait en Europe, nous avons lancé ces recherches à fond de train au lieu de prendre un peu de recul, de les situer dans le contexte éthique approprié et de permettre un débat public.

D'après vous, quel rôle le gouvernement ou la communauté dans son ensemble devraient-ils jouer pour garantir que ces recherches sont prudentes et fondées sur des principes éthiques solides?

Dr Gordon Crelinsten: Merci de poser cette question.

Comme vous le savez, la xénotransplantation est une technique relativement nouvelle, comme vous l'avez fait remarquer, qui commence à prendre de l'essor et sur laquelle sont effectuées de nombreuses recherches.

L'Association médicale canadienne est affiliée à des organismes qui travaillent de très près aux questions relatives à la xénotransplantation; il peut s'agir de sociétés spécialisées qui s'intéressent plus particulièrement à ce domaine et à d'autres domaines de recherche et qui étudient activement les lignes directrices qui devraient s'appliquer à la xénotransplantation.

Pour ce qui est de l'AMC, nous sommes en train d'examiner les aspects cliniques, éthiques et réglementaires du rapport du Forum national sur la xénotransplantation, rapport qui a été déposé et que nous étudions en vue de présenter des recommandations au Comité d'éthique.

Notre Comité d'éthique se réunit régulièrement. Il est composé de gens venant de tout le Canada, qui peuvent situer les enjeux dans une perspective nationale, discuter ces enjeux dans cette perspective et essayer d'en arriver à un consensus national. L'important, c'est que les membres de ce comité peuvent communiquer ces questions et ces idées dans leurs régions et dans leurs sociétés pour que les citoyens canadiens soient au courant de l'énorme importance de ces enjeux.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Seriez-vous d'accord pour qu'un moratoire soit imposé au Canada tant que n'auront pas été réglées toutes les questions qui entourent la xénotransplantation?

Dr Gordon Crelinsten: L'Association médicale canadienne n'a pas traité de cette question particulière en tant qu'organisme. Pour ma part, parce que j'exerce la médecine et que je soigne des patients, j'estime qu'un moratoire absolu n'est pas toujours une bonne idée. Il faut qu'il y ait discussion de tous les enjeux, qu'il s'agisse des aspects cliniques, éthiques ou réglementaires, dans un forum national très coopératif.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Combien de temps me reste-t-il pour ce tour de table?

Le président: Il vous reste une minute.

Mme Judy Wasylycia-Leis: Je reviendrai sur cette question plus tard. Je suppose qu'il y aura un autre tour de table.

Permettez-moi de poser une autre question au Dr Crelinsten, sur ses remarques concernant la participation des médecins à l'information du public sur les avantages des dons d'organes.

Jamais de toute ma vie je n'ai discuté de ce sujet avec un médecin lorsque je l'ai consulté pour un examen médical ou pour obtenir des conseils. Croyez-vous qu'un jour les médecins en sauront suffisamment sur tout ce système pour entreprendre des discussions avec leurs patients, à leur bureau, au sujet des avantages du don d'organes?

Dr Gordon Crelinsten: À mon avis, le médecin a un rôle essentiel à jouer dans l'information des patients sur toutes sortes de questions relatives aux soins de santé qui influent sur la santé de ses patients et sur celle de la société. À l'époque où j'étais président du comité d'éthique du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, qui témoignera devant vous plus tard cet après-midi, nous insistions sur l'importance d'enseigner l'éthique et d'évaluer son apprentissage en tant que partie intégrale de tous les programmes de formation des spécialistes au Canada. Enfin, ce cours d'éthique comporte des modules qui portent expressément sur les questions relatives aux transplantations.

• 1025

Deuxièmement, on met de plus en plus l'accent sur le développement des compétences en matière de communication dans les 16 facultés de médecine du Canada. Ces facultés ont donc reconnu l'importance de la communication entre les médecins et les patients, ainsi qu'avec les familles des patients, et elles ont pris l'initiative de voir à ce que les étudiants de médecine soient bien formés dans ce domaine et puissent être les bons vulgarisateurs dont Mme Shelton a parlé.

L'Association médicale canadienne, par le truchement de nombreuses initiatives de formation et d'information, dont le Journal de l'Association médicale canadienne et des programmes de perfectionnement professionnel, a consacré de plus en plus de temps à l'information sur la transplantation et son importance.

Le président: Merci, docteur Crelinsten. Je ne veux pas être sarcastique, mais votre réponse ne montre-t-elle pas que, jusqu'à récemment, on ne mettait pas l'accent sur l'éthique et les communications?

Dr Gordon Crelinsten: Les facultés de médecine ont toujours consacré une part importante de leur programme aux questions de décisions éthiques et des compétences en communication. On a appris qu'il était possible d'améliorer l'enseignement de l'éthique, des communications, de la chirurgie, du diagnostic et du traitement dans d'autres domaines. Les facultés écoles de médecine et les programmes de formation médicale se sont montrés progressistes en tirant profit des nouveaux moyens de perfectionner l'enseignement, l'évaluation de l'apprentissage et l'octroi des crédits dans ces domaines.

Le président: Merci, docteur Crelinsten.

Madame Caplan.

Mme Elinor Caplan (Thornhill, Lib.): Merci beaucoup.

J'ai beaucoup apprécié vos excellents exposés de ce matin.

J'ai un certain nombre de questions à poser. La première porte sur les questions de compétence. Comme l'ont mentionné un certain nombre de gens, nous savons que les provinces ont également un rôle important à jouer. Ce sont elles qui financent les hôpitaux, qui décident quels hôpitaux s'occuperont de la prestation des programmes et qui décident du niveau de financement de leurs budgets.

Des témoins nous ont dit qu'il existe, en Colombie- Britannique, une agence de transplantation qui possède tous les fonds du programme de transplantation et rembourse les hôpitaux. J'aimerais savoir ce que vous en pensez et si vous estimez qu'un tel système peut fonctionner, que cela vaut mieux que de confier aux hôpitaux le budget total des programmes de transplantation. Les hôpitaux qui n'ont pas de programme de transplantation souhaitent eux aussi être encouragés à identifier des donneurs, et c'est pour cette raison, je crois, qu'on a adopté cette méthode de financement.

Madame Shelton, je ne crois pas que vous vouliez conseiller aux provinces de financer les programmes au cas par cas, mais je trouve intéressant que vous estimiez nécessaire de traiter les programmes de transplantation et d'identification des donneurs d'organes dans un contexte autre que l'élaboration des priorités et la gestion des hôpitaux.

Ma question s'adresse à tous. D'après vous, quel degré de responsabilité devrait-on imposer pour ce qui est des rapports sur l'identification des donneurs, les conversions, et ce genre de choses? J'aurais voulu que M. Nathan nous explique les mécanismes de responsabilité du programme de la Pennsylvanie.

J'ai aussi des questions pour l'Association médicale canadienne. Premièrement, je n'ai pas bien compris dans votre exposé si vous proposez que la volonté des familles ne devrait pas avoir préséance sur ce que veulent les patients. Deuxièmement, vous avez parlé de protection de la vie privée; avez-vous des inquiétudes dans ce domaine à l'égard des personnes qui s'inscrivent à un registre ou à une liste d'attente nationale? Je n'ai pas compris ce que vous entendez dans votre mémoire par vie privée des patients. J'aimerais que vous me donniez cette précision.

Le président: Nous n'avons pas beaucoup de temps. Nous allons procéder rapidement et dans l'ordre. Monsieur Nathan, pour ce qui est de la question de la responsabilité, vous savez sans doute déjà la réponse et quels coûts y sont liés.

M. Howard Nathan: Oui. Aux États-Unis, la Health Care Finance Administration, ou l'assurance-maladie, homologue chaque programme de donneurs. En fait, le financement initial était extérieur à tous les autres processus budgétaires. Les organismes qui fournissent les organes se font rembourser leurs coûts. Cela signifie qu'ils remboursent d'abord tous les coûts de l'hôpital et qu'ils se font ensuite rembourser les coûts associés au donneur. Dans votre régime, cela se situerait à l'extérieur du budget de l'hôpital.

• 1030

Pour ce qui est de la responsabilité, il existe à l'échelle fédérale des normes de rendement à l'égard de chacun des 62 programmes de donneurs. L'État surveille également ce qui se fait dans les hôpitaux afin de garantir que ceux-ci respectent la loi.

Mme Elinor Caplan: Ces données sont-elles disponibles pour le public?

M. Howard Nathan: Tout à fait.

Le président: Monsieur Odegard.

M. Larry Odegard: Merci beaucoup, madame Caplan, de votre question. Permettez-moi de vous parler des points forts du programme de la Colombie-Britannique, dont vous avez entendu parler la semaine dernière, car des points forts, il y en a. J'ai également travaillé en Alberta, où l'on a adopté une approche bien différente. L'important, c'est d'établir un système à partir des points forts de chacun. Il n'y a pas de solution absolue. Le problème, c'est qu'il faut de nouveaux investissements pour ces nouveaux programmes. Il y a eu beaucoup de discussions sur les dépenses au titre des soins de santé. Je prie votre comité de voir ces dépenses davantage comme un investissement dans la vie, car c'est en fait de cela qu'il est question.

En ce qui concerne la reddition de comptes, c'est certainement là un des principaux avantages du programme de la Colombie- Britannique. Ces services étant coordonnés de façon centralisée, on est mieux en mesure de rendre des comptes et de faire rapport.

Le président: Madame Shelton.

Mme Colleen Shelton: À ce sujet, j'abonde dans le même sens. Au niveau fédéral, il faudrait prévoir des sanctions ou une façon de s'assurer que les donneurs sont bien identifiés; le programme devrait comporter une mesure incitative à cet égard.

Pour ce qui est du financement, à l'heure actuelle, dans les hôpitaux qui identifient un donneur, qu'ils soient un centre de greffe ou non, ce que la plupart ne sont pas, cela entraîne des coûts, mais ces coûts ne sont pas prévus au budget au début de l'année. Essentiellement, vous établissez votre budget en fonction du nombre habituel de patients sans prévoir un coussin additionnel pour les coûts associés aux dons d'organes. Ce n'est tout simplement pas possible, compte tenu des niveaux qui existent dans cette province. En Ontario, déjà, le nombre d'infirmiers est inférieur à la moyenne nationale. Nous avons à peine assez de ressources pour prendre soin des patients: nous ne pouvons pas investir dans le reste.

Mme Elinor Caplan: Vous dites que le programme de greffe n'indique pas combien de greffes seront faites dans une année?

Mme Colleen Shelton: Chaque année, nous avons une idée du nombre de greffes que nous ferons et nous recevons des fonds pour la greffe même et le suivi du receveur, ainsi que pour l'évaluation. Nous n'obtenons aucun argent pour le donneur. Nous avons des fonds pour encourager les dons d'organes dans la mesure où nous avons des coordonnateurs qui aident les hôpitaux dans ce processus. Mais nous ne pouvons rembourser l'hôpital, à l'autre bout, les coûts du personnel infirmier qui prend soin du donneur et de l'équipement et des ressources dont se servira l'établissement pour dispenser des soins à ce donneur. Ce sont des dépenses qui doivent être assumées à même un autre poste du budget, à moins que le budget ne les prévoie expressément.

Le président: Merci.

Je cède maintenant la parole au Dr Shemie, sur cette question.

Je demanderais ensuite au Dr Crelinsten de bien vouloir répondre. Je vous donnerai tout à l'heure l'occasion de répondre à l'autre question.

Dr Sam Shemie: J'aimerais préciser une chose: il y a une distinction bien claire entre le programme de greffe et le processus de don d'organes. Le programme de greffe existe de façon indépendante, du moins à notre hôpital. Les dons d'organes relèvent, eux, des praticiens des soins intensifs, des infirmières et médecins. C'est une fonction qui s'ajoute à leur fardeau actuel, par exemple, quand un enfant est en état de mort cérébrale et qu'il faut conseiller la famille et gérer le patient pour enfin en arriver à un don d'organes. Nos données montrent que, à moins qu'une personne ne se consacre à cette tâche, à moins qu'une personne n'estime que c'est sa responsabilité, les détails sont négligés, et il en résulte une réduction manifeste du nombre d'organes pouvant faire l'objet d'une greffe.

Le président: Merci.

Monsieur Grewal.

M. Gurmant Grewal (Surrey-Centre, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je me joins à mes collègues pour souhaiter la bienvenue aux témoins. J'aimerais aussi les remercier de leurs excellents exposés.

J'ai deux brèves questions à poser. M. Nathan a dit qu'en Pennsylvanie il y a environ trois millions de donneurs inscrits, et ce, pour une population d'environ huit millions, je présume. En Colombie-Britannique, ma province, la population est de six millions et le nombre de donneurs inscrits, de 180 000. Il y a donc plus de deux fois plus de donneurs inscrits par million d'habitants.

• 1035

En Colombie-Britannique, il existe une organisation qui s'appelle la British Columbia Transplant Society. Elle existe depuis 1986, et je crois, comme cette organisation le prétend, que la Colombie-Britannique a de l'avance sur les autres provinces du Canada en matière de don d'organes. Son budget est d'environ 28 millions de dollars. J'aimerais donc savoir comment vous faites dans votre État ce que nous n'arrivons pas à faire dans notre province, et combien cela coûte environ, en millions de dollars par année.

Ma deuxième question, monsieur le président, est la suivante: Ayant écouté tous les témoins qui sont venus ces derniers jours, j'ai constaté que le succès de tout programme de don d'organes dépend avant tout de la sensibilisation du public. Je me demandais donc s'il existe au pays une journée nationale du don d'organes. Est-ce que ce ne serait pas une bonne idée que de tenir une journée nationale du don d'organes pour sensibiliser la population et promouvoir les dons d'organes auprès du grand public?

Ce sont là mes deux questions, monsieur le président.

Le président: Monsieur Nathan.

M. Howard Nathan: Merci de votre question. Parce que c'est intégré au programme de permis de conduire, le coût initial de la modification de l'ordinateur qui produit les permis de conduire a été d'environ 300 000 $, ce qui représente essentiellement le coût total du programme pour toute sa durée, sauf pour les programmes d'éducation du public, qui s'ajouteront plus tard.

M. Gurmant Grewal: Est-ce là ce ça vous coûte par année?

M. Howard Nathan: Non. C'était une dépense ponctuelle qui a été faite en 1995. Les choses sont différentes chez nous, parce qu'en Pennsylvanie, lorsque vous faites prendre votre photo pour votre permis de conduire, vous vous trouvez devant un ordinateur qui vous demande de faire un choix. Dans le cas du programme des greffes de la Colombie-Britannique, on vous remet une brochure, vous l'apportez à la maison, vous en discutez et vous décidez ensuite de la renvoyer ou non à British Columbia Transplant. On veut ainsi permettre aux gens de prendre une décision éclairée et ils peuvent même, tous les quatre ans, repenser leur décision puisque nous renouvelons les permis de conduire tous les quatre ans.

Voilà donc la différence. Le public en est informé régulièrement et les gens posent des questions lorsqu'ils obtiennent leurs permis de conduire. On procède de la même façon pour les élections aux États-Unis. On peut s'enregistrer pour voter au moment de renouveler son permis de conduire, de la même façon, en appuyant sur un bouton.

Le président: Je suis désolé, mais M. Grewal vous a demandé ce qu'étaient les coûts de démarrage.

M. Howard Nathan: Environ 300 000 $.

Le président: En dollars américains, ce qui signifie 450 000 $ canadiens. Mais quels sont les coûts de fonctionnement?

M. Howard Nathan: Il n'y en a pas.

Le président: Il n'y en a pas?

M. Howard Nathan: Non, car tout se passe au centre de délivrance des permis de conduire, là où les gens reçoivent leurs permis de conduire. C'est déjà intégré au système. Il a seulement fallu modifier un des champs du permis de conduire pour y indiquer que certains voulaient faire un don d'organes. C'est là le coût total. Il n'y a aucun coût de fonctionnement, car c'est intégré au processus d'obtention du permis de conduire.

Le président: Qu'en est-il des coûts d'accès?

M. Howard Nathan: La police d'État et le ministère des Transports ont une ligne téléphonique directe et on peut appeler 24 heures sur 24; cette ligne sert habituellement à l'application de la loi. Lorsque nous avons un donneur éventuel, nous faisons ce numéro et nous recevons toutes les informations pertinentes au téléphone. Ça peut aussi se faire par télécopieur. Encore une fois, ces employés étaient déjà en place. Cela n'augmente pas beaucoup leur charge de travail, car cela ne se passe pas si souvent—peut- être dix fois par jour ou plus. Par conséquent, le travail que le programme de don d'organes entraîne était déjà à certains égards inhérents au système déjà en place.

Le président: M. Grewal a posé une question sur la sensibilisation du public. Voulez-vous y répondre?

M. Howard Nathan: Cela m'apparaît comme une excellente idée. Aux États-Unis, nous avons la semaine de sensibilisation au don d'organes et je crois que cela existe aussi au Canada. C'est la troisième semaine d'avril. Je suis certain que la Fondation du rein ou une autre organisation organise la même chose ici.

Le président: Docteur Hébert.

Dre Diane Hébert: Il y a au Canada une semaine du don d'organes. C'est aussi la troisième semaine d'avril et ce, depuis bon nombre d'années. Il faudrait peut-être la publiciser davantage et s'en servir comme tribune pour la sensibilisation du public. Mais la troisième semaine d'avril a bel et bien été désignée semaine de sensibilisation au don d'organe.

Le président: Docteur Crelinsten.

Dr Gordon Crelinsten: Me permettez-vous de répondre aux questions de Mme Caplan?

Le président: Si vous le voulez bien, vous pourriez répondre d'abord à la deuxième question de M. Grewal puis revenir à la question de Mme Caplan.

Dr Gordon Crelinsten: Je suis d'accord pour dire qu'il est important de sensibiliser le public et de promouvoir sa participation dans le cadre d'une journée ou d'une semaine du don d'organes. On vient de faire remarquer qu'une telle semaine existe déjà, mais qu'il faut qu'elle soit mieux connue.

J'aimerais maintenant revenir aux questions de Mme Caplan en commençant par celle portant sur la vie privée.

Le président: Un moment, docteur Crelinsten. La parole est à M. Grewal et il a une question complémentaire pour vous.

Dr Gordon Crelinsten: D'accord.

• 1040

M. Gurmant Grewal: Pourriez-vous nous préciser ce que nous pouvons réaliser dans le cadre d'une semaine du don d'organes? Est- ce une semaine nationale? En faisons-nous suffisamment dans toutes les provinces? Y a-t-il des efforts coordonnés?

Dr Gordon Crelinsten: Je ne suis probablement pas celui qui est le mieux en mesure de répondre à cette question, car l'Association médicale canadienne, qui reconnaît l'existence de la semaine nationale du don d'organes, n'a pas de données qui expliquent pourquoi elle n'est pas mieux connue ou promue.

Le président: Une brève remarque de Mme Shelton et du Dr Shemie.

Mme Colleen Shelton: Les centres qui comptent un programme de greffe tiennent habituellement de nombreuses activités locales autour de la semaine de sensibilisation au don d'organes, la troisième semaine d'avril, et ce, depuis longtemps. Le problème, c'est qu'aucun organisme national n'est chargé de promouvoir le don d'organes pendant cette semaine, de sorte que les activités sont très locales, de très petites envergures et ne sont pas sur une grande échelle comme il le faudrait au Canada.

Le président: Docteur Shemie.

Dr Sam Shemie: Je suis d'accord avec Colleen. Combien de gens ont entendu parler de la semaine de sensibilisation au don d'organes? J'ai l'impression qu'il y en avait très peu avant ce matin. Cela témoigne du fait que ces activités se font au niveau local et régional, et non pas au niveau national.

Le président: Docteur Crelinsten, je vous ai interrompu, mais si vous pouvez être bref, vous pouvez répondre à Mme Caplan.

Dr Gordon Crelinsten: Je traiterai d'abord de la protection des renseignements personnels. Les décisions en matière de soins de santé sont prises par chacun et sont donc personnelles. J'estime que le Canada et les Canadiens respectent la valeur du choix personnel et l'autonomie de chacun en ce qui a trait aux décisions relatives aux soins de santé que chacun doit prendre mais qu'il ne souhaite pas nécessairement communiquer à d'autres. Par conséquent, toute forme de prélèvement d'organes qui enfreint le droit de chacun de prendre cette décision personnelle de façon volontaire dans un cadre non coercitif serait contraire aux valeurs des Canadiens en général.

Mme Elinor Caplan: Je comprends que vous disiez que ce choix ne doit pas faire l'objet de coercition. Je ne suis toutefois pas certaine que vous ayez traité de la question de la vie privée.

Le président: Voulez-vous répondre, monsieur Nathan?

M. Howard Nathan: Je suis d'accord avec le Dr Crelinsten. Essentiellement, il faut s'assurer que chacun a la possibilité de prendre une décision éclairée, comme l'a indiqué Mme Shelton, pas seulement au moment du renouvellement du permis de conduire, mais aussi au moment d'une crise, car bien des gens n'en ont pas encore parlé à leur famille et n'ont pas encore pris de décision. En situation de crise, la question doit parfois être abordée, malheureusement, mais il faut que cela soit fait de façon délicate par des professionnels formés à cela.

Le président: Mme Tregunna.

Mme Kathryn Tregunna: J'aimerais revenir à la question des permis de conduire.

Le président: Je lui ai demandé s'il y a des mesures de protection des renseignements personnels dans le cas des permis de conduire. Allez-y.

Mme Kathryn Tregunna: Ma réponse ne touche pas directement à la vie privée. Je veux simplement vous faire savoir que notre membre en Nouvelle-Écosse nous a indiqué qu'on y éliminera progressivement le programme du consentement d'organes par le biais du permis de conduire pour préférer plutôt se servir de la carte d'assurance-maladie, et ce, pour différentes raisons, notamment parce qu'on toucherait ainsi davantage de gens. Avec le permis de conduire, la décision doit être prise sur-le-champ et si par la suite, après en avoir parlé avec votre famille, vous changez d'idée, vous devez payer pour faire modifier votre permis de conduire.

Dans notre mémoire, nous disons clairement que le registre national ne sera peut-être pas identique dans toutes les provinces, mais qu'il constituerait le lien entre les différents systèmes des provinces.

Le président: Pourriez-vous nous dire ce qui se passe, que ce soit pour les programmes de permis de conduire ou de carte d'assurance-maladie, lorsque le détenteur de la carte change d'idée un mois, une semaine ou un an après avoir pris sa décision. Votre système prévoit-il cela?

M. Howard Nathan: Bien sûr. À tout le moins, on peut obtenir un nouveau permis de conduire, et je crois que la première et la deuxième fois, c'est gratuit. Si on change d'idée, on peut obtenir un nouveau permis de conduire.

Le président: Que se passe-t-il si on se sert de la carte d'assurance-maladie?

Mme Kathryn Tregunna: En Nouvelle-Écosse, on ne vous encourage pas à obtenir un nouveau permis de conduire car cela entraîne des coûts, alors que s'il s'agit de la carte santé, chaque fois que vous allez chez le médecin ou à l'hôpital et qu'on vérifie votre adresse, vous pourriez indiquer que vous êtes revenu sur votre décision.

Le président: Madame Minna

• 1045

Mme Maria Minna (Beaches—East York, Lib.): Merci, monsieur le président. J'ai quelques questions pour M. Nathan puis pour l'AMC et l'ACS ensemble.

Premièrement, pour revenir à l'utilisation du permis de conduire, on a beaucoup débattu la question de savoir si le souhait indiqué par le patient est définitif ou si la famille a le droit de renverser la décision. Je n'ai pas bien compris si ce choix est définitif ou non dans votre système.

L'autre question concerne le remboursement d'une part des frais funéraires, qui fait l'objet d'un projet pilote. J'aimerais comprendre pourquoi on a choisi cela comme mesure d'encouragement. Cela soulève des questions d'éthique. On a déjà parlé des incitatifs, et cela a suscité des réactions autour de la table. Les hôpitaux doivent communiquer tous ces renseignements et je ne suis pas certaine si vous avez dit qu'une sanction était prévue s'ils ne le faisaient pas, mais s'il y a une sanction, quelle est-elle et comment s'applique-t-elle?

Ma dernière question qui s'adresse à vous porte sur l'obligation de référence des hôpitaux américains. Y a-t-il un organe de coordination national, outre vos organisations d'État, et quelles sont ses fonctions? Je n'ai pas bien compris si une telle agence existe.

Ma dernière question, monsieur le président, s'adresse à l'AMC et à l'ACS. Nous avons entendu de nombreux témoins de différents hôpitaux et associations du Canada, et certaines provinces ont de très bons programmes—c'est le cas notamment de l'Hôpital pour enfants, de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et de la Nouvelle-Écosse. Vos deux associations ont-elles discuté de ce qu'elles pourraient proposer ou des pressions qu'elles pourraient exercer en vue d'obtenir une structure nationale? Vos associations ont-elles examiné, séparément ou ensemble, la question des normes? Nous savons qu'il n'y a pas de coordination, mais étant donné que vos deux associations sont nationales, avez-vous pensé à des normes nationales ou à une forme de coordination quelconque? J'estime que vous pourriez très bien jouer ce rôle. Si une telle coordination existe, où en êtes-vous?

Le président: Voulez-vous commencer, docteur Crelinsten?

Dr Gordon Crelinsten: Les lignes directrices et normes nationales traduisent souvent l'état de la pratique, et je crois que l'Association médicale canadienne n'a pas pour fonction d'établir des lignes directrices, mais plutôt de servir de dépôt de ces lignes directrices qui lui proviennent de toutes les régions du Canada, par l'entremise de ses divers membres provinciaux et organismes affiliés. Ces lignes directrices sont à la disposition de tous les membres de l'Association médicale canadienne et du moins, lorsque notre comité de déontologie siège, nos membres d'un peu partout au Canada peuvent exprimer leurs opinions, ce qui nous permet de dégager un consensus national sur ces enjeux pour ensuite en parler aux localités et aux régions aux fins de discussion et de mise en oeuvre.

Le président: Monsieur Odegard.

M. Larry Odegard: Merci de votre question. Depuis des années, il existe un réseau de liens officieux entre les différents spécialistes et centres de greffe, et bien qu'il n'y ait pas de relations officielles sur ce sujet particulier—ces dernières années, d'autres questions de santé ont accaparé notre attention—, nous serions tout à fait disposés, autant au niveau provincial que national, à participer à des discussions de ce genre et à collaborer à l'élaboration de normes et de directives pour aider Santé Canada.

Le président: Madame Tregunna.

Mme Kathryn Tregunna: J'ajouterais que nos membres nous ont déjà indiqué qu'ils ne souhaitent pas que nous réinventions la roue. Beaucoup de travail a déjà été accompli dans le cadre de la stratégie nationale-provinciale, et je crois que l'élément 7 et d'autres se rapportent à nos discussions d'aujourd'hui. Nous pourrions tabler là-dessus et aller de l'avant en prenant des mesures concrètes. Certainement, l'AMC et l'ACS pourraient établir des partenariats avec d'autres organisations et les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux en vue de passer à l'action.

Le président: Madame Minna.

Mme Maria Minna: Excusez-moi, monsieur le président, mais j'aimerais que le Dr Nathan me réponde.

Le président: D'accord.

M. Howard Nathan: Au sujet du permis de conduire, c'est une décision définitive. La loi prévoit que c'est une décision définitive. C'est un document juridique, tout comme un testament euthanasique ou une carte de donneur. Toutefois, en pratique, je peux vous dire qu'on offre des informations mais que, si la famille s'oppose vivement au don d'organes, on respectera son souhait.

• 1050

Je crois que c'est Mme Shelton qui a indiqué que le système dans son ensemble est fondé sur la bonne volonté et la confiance du public. Si nous violons cette confiance, même si nous avons le droit de le faire, on jetterait les hauts cris et le programme de don d'organes s'effondrerait. Alors, à l'heure actuelle, nous n'agissons pas sans le consentement de la famille, sauf dans certains cas particuliers où nous ne trouvons aucun membre de la famille.

Pour ce qui est des mesures d'encouragement, c'est en effet une question très controversée. On en débat dans le milieu des greffes depuis 10 ans. C'est un législateur qui a fait cette suggestion. Elle n'a pratiquement pas fait l'objet de débat. Elle a maintenant force de loi, et nous devons l'appliquer. Il a fallu quatre ans et demi à des éthiciens pour rédiger les politiques qui seront mises en oeuvre cet été. Essentiellement, les familles qui consentiront à faire un don d'organe obtiendront une indemnisation d'environ 200 à 300 $, soit 10 p. 100 du total des fonds disponibles. On veut ainsi voir si cela encourage les familles à faire des dons d'organes. Dans certains cas, cela n'aura aucune incidence, mais dans les familles qui n'en ont pas encore discuté, cela pourrait faciliter la décision.

Nous allons étudier cela pendant trois ans auprès de tous les patients qui font un don et de toutes les familles à qui on fait la demande mais qui refusent; deux éthiciens de l'Université de la Pennsylvanie et de l'Université de Pittsburg mèneront une étude auprès de ces familles et des professionnels de la santé pour déterminer si cette indemnisation fait une différence.

Pour ce qui est des sanctions imposées aux hôpitaux... Je réponds à toutes les questions de Mme Minna, dans l'ordre.

Le président: Nous connaissons bien les peines imposées aux hôpitaux. Mais aujourd'hui vous avez de la chance, le président est patient.

M. Howard Nathan: Je vous en sais gré.

Au sujet des sanctions, encore une fois, la loi prévoit que, chaque fois qu'un patient ne nous est pas référé—il s'agit là de tous ceux qui meurent, et non pas seulement de ceux qui sont en état de mort cérébrale, soit environ 100 000 personnes dans l'État et 2,2 millions de personnes aux États-Unis—en Pennsylvanie, on pouvait imposer une peine de 500 $ chaque fois. Le département de la Santé n'a pas perçu ces amendes, mais il a établi des procédures et des politiques qui ont amené les directeurs et administrateurs des hôpitaux à prendre cette question très au sérieux et à mettre sur pied les programmes nécessaires et les mécanismes de formation au sein des hôpitaux pour s'assurer que le système fonctionnerait bien.

En ce qui concerne les organismes nationaux, je crois que vous entendrez la semaine prochaine un représentant de UNOS, United Network for Organ Sharing, l'organisme national des États-Unis régissant l'approvisionnement en organes et les greffes. Tous les centres de greffe, toutes les organisations d'approvisionnement en organes du pays doivent obtenir leur agrément de cette agence. En outre, c'est cette organisation qui a établi le régime de distribution des organes. Vous en saurez plus la semaine prochaine.

Il y a deux autres organisations nationales. La première s'appelle Coalition on Donation; c'est un organisme à but non lucratif constitué de tous les groupes de greffe du pays et de particuliers qui mènent des campagnes nationales de sensibilisation, telles que la campagne Michael Jordan. Par le biais de cette coalition, un message unique est transmis à la population du pays; tout le monde transmet le même message. Dans le passé, chacun créait son propre message. C'était coûteux et la diffusion était moindre. Dorénavant, nous communiquons un message unique.

La dernière organisation mais non la moindre, l'organe financier de notre gouvernement, la Health Care Finance Administration, régit le rendement des organisations d'approvisionnement en organe et contrôle leurs finances chaque année pour s'assurer que les coûts traduisent bien les dépenses engagées pour l'approvisionnement en organe.

Le président: Merci, monsieur Nathan.

Avant de céder la parole à M. Vellacott, je laisse M. Odegard faire une brève remarque.

M. Larry Odegard: Pour faire suite aux remarques de M. Nathan, j'exhorterais votre comité d'adopter la politique de sanction en dernier recours, seulement après avoir épuisé toutes les autres solutions qui offrent la sensibilisation du public, la formation et les possibilités de collaboration.

Le président: Je suis certain que le comité écoutera vos conseils. J'ai entendu parler d'un système qui prévoit des sanctions de dix fois supérieures à celles qui ont été mentionnées et qui doublent à chaque infraction ultérieure. Votre position est donc modérée, monsieur Odegard.

M. Larry Odegard: Me permettez-vous d'ouvrir un débat sur le financement des soins de santé?

Le président: Nous en avons déjà débattu, il y a trois ou quatre semaines.

Monsieur Vellacott.

M. Maurice Vellacott (Wanuskewin, Réf.): Pour en revenir à ce qu'a dit le Dr Shemie plus tôt à propos de cette personne qui avait été mal informée—je crois qu'il a employé un autre terme—celui qui a fait cette remarque était un médecin, un psychiatre qui, en fait, s'était spécialisé en psychiatrie par la suite. L'autre était un praticien qui est tenu de constater les décès dans une salle d'urgence de Vancouver.

• 1055

Ma question s'adresse donc à la fois au Dr Shemie et à Howard et porte sur toute la question de l'uniformité à l'échelle mondiale—peut-être que le Dr Crelinsten voudrait aussi répondre. Je crois savoir que la mort cérébrale n'est pas définie de la même façon partout au monde. Même dans notre propre pays, on a dit qu'il faut d'abord que certains tests de base soient administrés et que ceux qui nécessitent de l'équipement plus spécialisé... Dans les endroits éloignés, autres que les grands hôpitaux universitaires ou urbains, on n'a pas ce genre d'équipement. Par conséquent, même ici au pays, on n'a pas nécessairement partout l'équipement qu'il faut pour bien établir la mort cérébrale. Savez-vous si votre définition de la mort cérébrale est exactement conforme à celle de l'AMC, pour le Canada, ou à celle d'autres pays?

M. Howard Nathan: La mort cérébrale est en fait un diagnostic clinique posé par un médecin selon certains critères. La norme, si je puis m'exprimer ainsi, se fonde sur les études qui ont été faites, car ce sont ces études médicales qui expliquent ce qu'est la mort cérébrale. Je crois qu'en fait vous parlez de nos connaissances en matière de diagnostic de la mort cérébrale, et les deux médecins seront mieux en mesure de répondre à cette question. Le test clinique est le plus important—c'est l'examen du patient. Les tests de confirmation—l'EEG, l'étude des ondes cérébrales ou la circulation du sang vers le cerveau—ne sont pas exigés par ces études. Ces tests sont administrés seulement si le médecin le demande. Le plus important, ce sont les examens cliniques—habituellement deux examens faits à plusieurs heures d'intervalle. Si j'ai bien compris, ici, il semble que ces examens doivent être effectués par deux médecins.

M. Maurice Vellacott: Par conséquent, aux États-Unis, dans tous les États de l'Union, vous avez une sorte de... votre association médicale a mis en place un critère fondamental.

M. Howard Nathan: Généralement, les hôpitaux établissent des protocoles. Ils s'inspirent des travaux scientifiques et ils ont un comité de déontologie ou une commission hospitalière qui examine l'état de la recherche et établit les normes qui doivent être appliquées dans l'établissement. Généralement, les méthodes en vigueur peuvent varier d'un hôpital à l'autre. C'est aux médecins que revient la décision. C'est un médecin qui juge s'il y a mort cérébrale.

M. Maurice Vellacott: D'accord.

Docteur Crelinsten.

Dr Gordon Crelinsten: L'Association médicale canadienne a, comme on l'a dit, des organismes qui lui sont affiliés. Récemment, un comité baptisé le Canadian Neuro-Critical Group, qui est composé de membres de nos sociétés affiliées, soit la Société canadienne de neurologie, la Société canadienne de neurochirurgie, l'Association canadienne de neurologie pédiatrique et la Société canadienne de neurophysiologie clinique, a proposé une définition de la mort cérébrale qui est semblable au diagnostic clinique dont M. Nathan et le Dr Shemie vous ont parlé. Cette définition précise qu'il s'agit d'un diagnostic clinique fait au chevet du patient et que les tests de confirmation seront jugés nécessaires ou non par le médecin. Un délai, par exemple de 24 heures ou moins, peut également être fixé pour ce diagnostic. Mais généralement, le diagnostic de mort cérébrale est fait au chevet du patient et il s'agit d'un diagnostic clinique.

Le président: Docteur Shemie, voulez-vous également nous en parler?

Dr Sam Shemie: Oui. J'apprécie les observations du Dr Crelinsten, étant donné que nous procédons de la même façon. Le problème complexe de la mort cérébrale... comme vous le dites, au niveau international, certains pays se penchent encore sur la question de la transplantation et donc celle de la mort cérébrale. Le Japon, en particulier, est actuellement en train d'établir des critères pour la mort cérébrale pédiatrique et nous consulte en vue de l'établissement de critères officiels.

Il est généralement accepté, je crois, qu'un examen clinique suffit à poser un diagnostic de mort cérébrale. Lorsque vous faites des tests accessoires tels que des électroencéphalogrammes ou un examen des ondes cérébrales, c'est parce que vous n'êtes pas en mesure de procéder à un examen clinique normal, par exemple, en cas de traumatisme facial qui ne permet pas d'examiner les pupilles pour établir si le patient réagit vraiment ou non à la lumière ou, dans le cas des enfants ou des adultes dont la moelle épinière présente une lésion, vous ne pouvez pas faire d'examen neurologique en dessous de cette lésion. C'est en pareils cas, lorsque l'exactitude de l'examen clinique est incertaine, que l'on a recours à des tests supplémentaires, plus complexes, pour établir ce diagnostic. Toutefois, dans la majorité des cas, l'examen clinique au chevet du patient, qui ne fait pas appel à une technologie perfectionnée, est une méthode largement acceptée et utilisée pour déterminer la mort cérébrale.

Le président: Monsieur Odegard.

• 1100

M. Larry Odegard: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, j'ai constaté dans les régions rurales de la Saskatchewan et de l'Alberta que, dans des circonstances idéales, le donneur potentiel, qui est souvent branché sur un respirateur, est transféré vers les installations adéquates où le corps médical possède les compétences et les connaissances voulues pour faire ce diagnostic. Je crois donc également que c'est la méthode habituelle.

M. Maurice Vellacott: J'ai seulement une très brève question à poser à M. Howard Nathan. Connaissez-vous les médecins américains qui ont émis des doutes à cet égard? Je pense surtout au Dr Schumann, un neurologue. Son nom et plusieurs autres ont été signalés à mon attention. Reconnaissez-vous qu'en ce qui concerne la mort cérébrale, quand vous parlez de méthode largement acceptée, vous voulez dire qu'elles le sont par la majorité des médecins?

M. Howard Nathan: D'après ce que j'ai constaté dans notre État, qui compte environ 160 hôpitaux, il ne fait aucun doute que le diagnostic de mort cérébrale est couramment accepté. Certains prétendent avoir eu des patients qui ont survécu, et je crois que le comité en a entendu parler. J'exerce mon métier depuis 21 ans et je n'ai jamais vu une personne vivre après un diagnostic de mort cérébrale, qu'elle ait été donneur d'organe ou non. La mort de ces patients ne fait aucun doute.

Le président: Docteur Shemie.

Dr Sam Shemie: Je tiens à réitérer quelque chose que j'ai déjà dit. Indépendamment de la question des dons d'organes, une fois qu'il a fait l'objet d'un diagnostic de mort cérébrale, le patient en question va mourir. Ainsi, abstraction faite de la question des dons d'organes, il reste que le patient va mourir. La question est de savoir s'il va mourir et faire un don d'organes. Encore là, soyons bien clairs: il ne s'agit pas, en cas de mort cérébrale, de décider s'il faut continuer le traitement visant à maintenir le patient en vie s'il n'y aura pas de dons d'organes. Ce n'est pas là la question. Le traitement visant à maintenir le patient en vie à l'aide d'un appareil respiratoire est retiré de toute façon. Il s'agit de savoir s'il y aura ou pas en même temps don d'organes. C'est là la pratique courante en Amérique du Nord et dans bien des pays du monde.

Le président: Merci beaucoup.

Au nom de tous les membres du comité, je tiens à remercier la doctoresse Shelton, Mme Tregunna, M. Odegard, le Dr Crelinsten et la doctoresse Guzman. Êtes-vous docteur ou devons-nous vous adresser comme monsieur?

M. Howard Nathan: C'est monsieur Nathan. J'aurais dû corriger tout le monde.

Le président: Je vous ai appelé monsieur. Nous vous avions donné un statut moins élevé que celui de tous les autres qui sont médecins.

Merci beaucoup, doctoresse Hébert et docteur Shemie.

Je crois que vous avez déjà entendu tous les collègues du comité vous dire à quel point notre échange a été informatif. Nous vous remercions beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous parler de votre expérience et de nous faire profiter de votre expertise. Si vous craignez que nous n'ayons pas retenu tous vos propos, je peux que vous donner l'assurance qu'ils sont à jamais consignés dans le compte rendu de nos délibérations.

Je suspends la séance pendant une dizaine de minutes avant que nous ne passions à la table ronde suivante. Je vous invite à vous joindre à nous pour prendre du jus et un petit casse-croûte santé avant que nous ne passions à la table ronde suivante.

Merci beaucoup.

• 1103




• 1126

Le président: Le comité reprend ses travaux.

Je tiens à féliciter le personnel. Nous avons à notre comité les meilleurs attachés de recherche de la Colline, mais nous avons aussi la greffière, qui est une personne du monde et qui nous a manifestement gâtés avec ce casse-croûte qui, pour être petit, n'en a pas moins excité l'appétit, du moins par l'agrément de la présentation. Toutes mes félicitations, madame la greffière.

Nous passons donc à notre deuxième table ronde. Permettez-moi tout d'abord de présenter tout le monde.

Nous accueillons, de l'Association canadienne des infirmières(ers) en soins de phase aiguë, Rosella Jefferson, et, de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, Sharon Nield. Bonjour, mesdames.

Nous accueillons aussi, du Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada, les docteurs Michel Brazeau et James Hickey. Soyez les bienvenus, messieurs.

Nous accueillons, de l'Hôpital d'Ottawa, campus Civic, Liz Anne Gillam-Eisen, de Rose des Sables, Linda Peltier, et, de l'Université de Victoria, en Colombie-Britannique, Mme Rosalie Starzomski.

J'ai remarqué que la plupart d'entre vous étaient dans l'auditoire pendant notre première table ronde, de sorte que vous connaissez déjà notre façon de procéder. Nous permettons généralement à chaque participant de parler pendant environ cinq minutes, et je crois que c'est ce que vous a indiqué la greffière. Puis, nous passons aux questions des collègues des deux côtés.

Je sais que certains collègues et certains des témoins n'ont pas encore tout à fait fini leur petit casse-croûte, et je tâcherai de vous donner la parole à un moment opportun.

Nous avons donc expliqué aux Canadiens ce qui se passe et nous avons aidé à faire la lumière sur la façon dont les choses se passent. Commençons donc par Mme Rosalie Starzomski, de l'Université de Victoria. Elle est conseillère en éthique au Vancouver General Hospital and Health Sciences Centre. Soyez la bienvenue, madame.

Mme Rosalie Starzomski (conseillère en éthique, Vancouver General Hospital and Health Sciences Centre): Merci beaucoup. C'est un honneur d'être ici. J'ai écouté la table ronde précédente avec beaucoup d'intérêt.

Je veux prendre quelques minutes pour vous parler un peu de certaines des recherches empiriques que j'ai faites dans le domaine des dons d'organes et des greffes. J'ai travaillé dans ce domaine pendant 20 ans comme infirmière, et je suis passée du côté de l'éthique à cause de certaines des questions auxquelles je me suis heurtée dans l'exercice de ma profession d'infirmière, notamment en ce qui a trait à la transplantation.

Les questions d'éthique relatives à la transplantation se répartissent, selon moi, en trois grandes catégories: les questions de macro-échelle, celles qui se posent au niveau de la société toute entière quant aux ressources que nous voulons consacrer aux greffes; les questions de méso-échelle ou celles qui se posent au niveau des établissements, où il faut déterminer des critères de sélection pour la transplantation; et, enfin, les questions de micro-échelle, celles qui concernent les dons d'organes en particulier et les moyens à prendre pour élargir le bassin de donneurs, certaines de ces questions étant aussi des questions de macro-échelle et de méso-échelle.

Ma réflexion sur le sujet, de même que l'expérience que j'en avais, m'ont amenée à concevoir une étude d'envergure pour évaluer l'attitude du public et des professionnels de la santé à l'égard de l'attribution des ressources pour la transplantation d'organes. J'ai ainsi tenu des discussions avec 34 groupes témoins de la Colombie-Britannique, comprenant des professionnels de diverses disciplines dans le domaine de la santé ainsi que des membres de divers groupes sociaux, où nous avons abordé toute une série de questions d'éthique découlant d'études de cas sur la transplantation ainsi que de certaines pratiques existantes.

• 1130

Fait intéressant, j'ai notamment constaté que les groupes de consommateurs étaient très favorables à l'idée du don d'organes—et je sais que vous l'avez entendu dire dans les témoignages que vous avez recueillis ici. En fait, quelque 93 p. 100 de ces personnes étaient favorables à l'idée, et il y en avait 188 dans les 34 groupes témoins. Ainsi, 93 p. 100 de ces personnes appuyaient le don d'organes, comparativement à quelque 76 p. 100 des professionnels de la santé. Cette constatation était pour moi très intéressante, car faisant moi-même partie des professionnels de la santé en ma qualité d'infirmière, j'aurais pensé que l'appui aurait peut-être été plus fort parmi les professionnels de la santé.

Quand je me suis penchée sur certaines des raisons qui pourraient expliquer l'appui moins grand des professionnels de la santé, j'ai constaté qu'elles étaient surtout liées aux réserves qu'avaient les infirmiers et infirmières, notamment les infirmiers et infirmières en soins de phase aiguë au sujet de la façon dont les patients devant recevoir un organe étaient choisis, au sujet de la façon dont les décisions étaient prises quant aux noms qui devaient être ajoutés à la liste d'attente pour des greffes, autant de questions qui les préoccupaient quand ils ou elles devaient donner des soins aussi bien aux greffés qu'aux donneurs—il y avait là une source de stress importante pour les personnes en cause dans les diverses unités de soins aux patients en phase aiguë—et aussi au sujet du fait que la technologie avançait plus rapidement que nous ne pouvions nous y adapter, notamment sur le plan des principes.

Fait intéressant, parmi les professionnels de la santé, les moins favorables au don d'organes étaient les infirmiers et infirmières en soins de phase aiguë qui travaillaient dans des hôpitaux où l'on pratique des greffes. Il me semble qu'il s'agit là d'un facteur très important qui devrait nous alerter aux types de questions dont nous devons nous préoccuper quand nous envisageons d'apporter des changements au niveau des établissements ainsi qu'aux complexités des cultures dans lesquelles ces personnes travaillent.

Dans le cas des consommateurs, ce sont les convictions personnelles, culturelles et religieuses qui expliquent en partie que les gens ne veuillent pas devenir des donneurs d'organes. Il y a en fait très peu de recherches qui ont été faites sur les attitudes et les convictions ethnoculturelles afin de faire en sorte que nous soyons sensibles aux particularités culturelles dans toute cette question des dons d'organes. Il me semble qu'il s'agit donc là d'un domaine où il faudrait faire des recherches plus approfondies.

J'aimerais vous lire un extrait d'un texte préparé par une des infirmières qui travaille aux soins intensifs et qui fait état du stress que l'on éprouve à prendre soin des donneurs et des receveurs.

    Lorsque je travaillais dans un autre centre, la plupart du temps je m'occupais des receveurs, très peu des donneurs. Lorsque je travaille ici, un jour, il y a le donneur qui part et le lendemain, le receveur qui arrive. Je ne peux pas ajuster mes émotions. Je me sens très tendue parce que je songe toujours à la famille de la personne qui vient de mourir et que je dois ensuite penser à cette personne qui va recevoir une greffe. Je ne sais pas, cela ne me plaît pas beaucoup, je me sens très inquiète. Je ne peux pas étouffer mes émotions, vous comprenez?

Je pense que cela fait ressortir une partie du stress que ressentent les infirmières, les infirmières et les médecins, et cela nous ramène à certains des points soulevés plus tôt aujourd'hui, c'est-à-dire qu'il nous faut fournir un appui et l'éducation voulus dans les hôpitaux et dans le cadre de programmes de soins de phase aiguë de façon à ce que le personnel puisse en fait participer au don d'organes.

Dans les groupes de discussion, nous avons également abordé des sujets tel que le consentement en vue du don d'organes. Sans exception, les 188 participants à l'étude ont été absolument ébahis de constater que le moment venu, leur propre consentement ne serait peut-être pas respecté et que leur famille pourrait contrecarrer leur désir de faire un don d'organes. C'était une grande préoccupation. Je ne veux pas dire nécessairement que les familles ne doivent pas participer au processus, mais je pense que comme l'ont dit les intervenants précédents ce matin, la personne doit discuter du don d'organes avec sa famille avant de se retrouver dans cette situation, de façon à ce que nous sachions ce que veulent les gens avant de se retrouver dans cette situation tragique.

Nous avons également discuté des xénogreffes, comme nous l'avons mentionné plus tôt ce matin. Incontestablement, les membres de ces groupes de discussion étaient extrêmement préoccupés par le fait que la technologie évolue peut-être plus vite qu'il nous est possible de formuler une politique pour diriger cette évolution et ils ont préconisé plus de discussions au sein de la population.

• 1135

Les participants avaient des choses importantes à dire sur plusieurs autres sujets, et tout particulièrement en ce qui concerne la prise de décisions en matière de greffe. Certains se sont dits très préoccupés du fait qu'il n'y ait pas assez de transparence à tous les niveaux des décisions entourant les greffes, comme le souhaiterait le grand public. Je pense que c'est un point important.

Pour conclure, je tiens simplement à appuyer les observations qui, d'après ce que je sais, ont déjà été faites aux membres du comité au sujet de l'élaboration d'une approche nationale en matière de coordination, de normes et de réglementation, ainsi que de gestion des données dans le domaine des greffes au Canada. Dans le cadre de cette approche nationale, on doit également prévoir un comité consultatif en matière d'éthique, une commission d'éthique ou quelque chose du genre de façon à pouvoir discuter des problèmes d'éthique très complexes que soulève la transplantation.

Je pense qu'il faut également améliorer les systèmes institutionnels de don d'organes. Plus tôt ce matin, nous avons entendu quelques suggestions sur la façon d'y parvenir. Il nous faut élaborer un modèle canadien de don d'organes en adoptant les pratiques exemplaires de l'Espagne, du programme de greffes de la vallée du Delaware, etc., le genre de pratiques que nous pouvons mettre en place et qui nous permettront d'élaborer un système bien canadien mais qui inclut aussi certaines de ces pratiques exemplaires.

Il ressort clairement, à la lumière de mes propres recherches et de celles de mes collègues, qu'il faut améliorer l'éducation des professionnels et susciter la discussion sur les transplantations. Bien qu'il soit très important d'éduquer le public, et bien que l'on accorde une attention beaucoup plus grande aux questions ethnoculturelles, il est essentiel d'éduquer les professionnels.

L'une de mes collègues à l'Université de Victoria, la Dre Anita Molzahn, a effectué une étude qui révèle que la majorité des infirmières et des médecins au Canada ne sont pas bien renseignés sur des questions telle que la mort cérébrale. Ils ne savent pas du tout comment diriger un malade vers le don d'organes. Il s'agit là de questions dont ils doivent discuter davantage au sein de leurs propres groupes professionnels.

Quel que soit le genre d'organisation nationale que nous mettons sur pied—évidemment, il faudra la coopération des provinces—il nous faut inclure un appui à la recherche et à l'évaluation. La politique de santé dans ce domaine s'élabore d'une façon plutôt fragmentaire, ce qui me porte à croire qu'il nous faut examiner plus attentivement les meilleures pratiques et évaluer ce que nous faisons dans ce domaine.

Enfin, je suis favorable à certains travaux fait par le Comité consultatif sur les services de santé dans ce domaine. Je pense que le comité a présenté 11 ou 12 idées sur la façon de renforcer ce système.

Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître et j'ai hâte d'entendre vos commentaires.

Le président: Merci, madame Starzomski.

Nous allons maintenant entendre Rosella Jefferson, vice-présidente de l'Association canadienne des infirmières(iers) en soins de phase aiguë.

Mme Rosella Jefferson (vice-présidente, Association canadienne des infirmières(iers) en soins de phase aiguë): Merci beaucoup de m'avoir invitée à vous faire cette présentation au nom de l'Association canadienne des infirmières(iers) en soins de phase aiguë. Nous sommes un organisme spécialisé sans but lucratif dédié à améliorer la qualité des soins offerts aux patients en phase aiguë et à leur famille dans toutes les régions du Canada, et dans les centres hospitaliers d'enseignement et de santé communautaire, à tous les niveaux: soins directs, éducation, administration et recherche. L'Association est la seule organisation spécialisée dotée du mandat clair de promouvoir les soins infirmiers en phase aiguë.

On nous a invités ici pour aborder trois points essentiels: la position de l'Association sur les dons d'organes et de tissus, le rôle des infirmières de soins de phase aiguë dans le don d'organes et les attitudes et préoccupations des infirmières de ce domaine au sujet des dons d'organes. Je vais résumer les principaux points présentés dans notre mémoire.

Auparavant, j'aimerais prévenir les membres du comité que nous n'avons pas fait de sondage auprès de nos membres pour déterminer leurs points de vue sur ces questions. Plutôt, il s'agit des opinions des membres du conseil d'administration. Ces membres représentent toutes les régions du Canada, Halifax, London, Winnipeg, Regina et Vancouver. Ces opinions sont conformes à la philosophie, à la vision et aux normes de l'Association.

Quel est le rôle de l'infirmière de soins de phase aiguë? On évalue à 15 475 le nombre d'infirmières en soins de phase aiguë au Canada qui travaillent dans des centres hospitaliers d'enseignement et de santé communautaires. La priorité des infirmières de ce domaine consiste à prendre soin de patients, et de leur famille, qui ont une maladie ou une blessure qui les met en danger de mort. S'il devient évident que le patient ne survivra pas, la responsabilité de l'infirmière en soins de phase aiguë s'exerce alors au niveau du réconfort et de l'appui.

• 1140

À la lumière de la relation qui s'établit entre la famille et l'infirmière, celle-ci se trouve dans une situation privilégiée pendant cette période de transition pour aider la famille pendant la déclaration de mort cérébrale et la prise de décision concernant le don d'organes et le deuil.

L'Association estime que l'infirmière en soins de phase aiguë doit reconnaître les éventuels donneurs et participer au processus de don d'organes. Cela comprend le contact avec le centre de prélèvement et le prélèvement des échantillons nécessaires, ainsi qu'un appui soutenu à la famille et les meilleurs soins possibles aux donneurs, jusqu'à ce que l'infirmière soit remplacée ou accompagne le donneur au bloc opératoire ou à l'hôpital où a lieu la transplantation. L'infirmière en soins de phase aiguë est en mesure de promouvoir le don d'organes comme moyen de donner un sens à une perte tragique et imprévue.

Bien que l'infirmière en soins de phase aiguë soit essentielle au prélèvement réussi des organes, pour elle, le centre d'attention est le soin à donner au donneur et à sa famille. L'infirmière ne doit pas prendre position non plus pendant ce processus. Si, malgré l'éducation et la discussion appropriées, une famille refuse d'envisager le don d'organes, l'Association estime qu'il faut respecter les souhaits de la famille.

L'Association appuie l'élaboration de protocoles et de normes nationales visant le don d'organes, ainsi que d'initiatives qui visent à améliorer les compétences et l'aisance de ceux qui offrent des soins en phase aiguë et la collaboration entre les organismes.

Nous sommes préoccupés par le fait que l'impression semble exister que les équipes de soins en phase aiguë pourraient ou devraient faire preuve d'une plus grande coopération dans le cas des dons et des greffes d'organes et de tissus. Nous reconnaissons qu'il est impératif que tous les participants collaborent, même si les facteurs qui influencent le processus de dons d'organes et la greffe éventuels sont nombreux et complexes.

Nous avons l'impression qu'il semble difficile aux membres du comité de justifier une augmentation du financement de la recherche alors que nous semblons déjà détenir des preuves et que le besoin d'organes est si grand. Nous pensons toutefois qu'il faut mieux explorer et décrire l'expérience canadienne, en ciblant non seulement les connaissances et les attitudes des infirmières et des médecins en soins de phase aiguë, mais aussi les ressources, les pénuries de personnel, les questions d'éthique et la culture et l'engagement des organismes en matière de dons et de greffes d'organes.

L'Association serait heureuse d'avoir l'occasion de s'associer aux principaux intéressés dans des initiatives de recherche axée sur le don d'organes. Nous maintenons que l'engagement du centre, la culture de l'organisme et les pratiques médicales jouent un rôle considérable dans le processus de dons d'organes. Les organismes doivent valoriser et appuyer le don d'organe par l'élaboration de politiques et de pratiques qui témoignent de leur engagement.

Il faut un soutien financier afin de fournir l'orientation et les programmes à l'intention du personnel en soins de phase aiguë sur le processus de don d'organes et les compétences nécessaires pour approcher de façon efficace et sensible les familles d'éventuels donneurs.

Si un centre a des directives qui limitent la possibilité de l'infirmière d'amorcer la discussion ou si les infirmières ont l'impression qu'elles ne peuvent pas initier de discussions, la possibilité d'un don d'organes risque de disparaître. On doit reconnaître que l'infirmière en soins de phase aiguë est une collaboratrice essentielle des médecins lorsqu'il s'agit de don d'organes, qu'elle a la responsabilité d'identifier les éventuels donneurs et d'initier la discussion afin de découvrir quels sont les convictions et les désirs en matière de dons d'organes des membres de la famille.

D'autres facteurs contribuent peut-être à l'actuelle crise au niveau des dons d'organes. Il y a peut-être plus de receveurs éventuels grâce au changement dans la prestation des services de santé, mais il y a peut-être moins d'éventuels donneurs à cause de changement dans le niveau d'éducation et de mode de vie de la population. Par exemple, il y a lieu de se demander si la réduction marquée du nombre de traumatismes crâniens chez les Canadiens ne découle pas des programmes qui visaient à réduire l'incidence de l'alcool au volant et à augmenter l'utilisation des ceintures, des sièges d'auto et les casques de cyclistes.

Les infirmières en soins de phase aiguë jouent un rôle essentiel au niveau des initiatives qui visent à réduire la gravité des traumatismes crâniens, ce qui démontre notre engagement continu à la promotion de la santé, à la prévention des maladies et aux partenariats communautaires.

Afin de mieux cerner les préoccupations que nous décrivons dans notre mémoire et dans notre exposé d'aujourd'hui, l'Association recommande que le Comité permanent sur la santé invite les représentants qui offrent des organismes communautaires et tertiaires, des soins directs en phase aiguë et aux adultes et aux enfants, avec ou sans expérience en transplantation, à présenter leurs opinions et leurs points de vue.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, Rosella Jefferson.

Passons immédiatement à l'Association des infirmières et des infirmiers du Canada, représentée par Mme Sharon Nield qui est directrice, soutien à la politique des soins infirmiers et la réglementation.

Mme Sharon Nield (directrice, Soutien à la politique des soins infirmiers et la réglementation, Association des infirmières et des infirmiers du Canada): Merci.

Je suis très heureuse d'être ici ce matin afin de représenter l'Association des infirmières et des infirmiers du Canada, en compagnie de nos collègues de l'Association canadienne des infirmières(iers) en soins de phase aiguë. Nous sommes heureuses de participer à ce débat important sur le don et la greffe d'organes et nous apprécions le point de vue des autres infirmières qui participent à cet examen à divers titres.

• 1145

L'Association est une fédération de 11 associations provinciales et territoriales d'infirmières et infirmiers qui regroupent plus de 110 000 infirmières et infirmiers accrédités au Canada. En notre qualité de voix professionnelle des soins infirmiers au Canada, nous avons pour mission de faire progresser la qualité des soins infirmiers dans l'intérêt public.

Ces quelques dernières semaines, vous avez entendu les représentants de nombreux groupes de spécialistes sur la question des dons et des greffes d'organes. Mes collègues infirmières présentes aujourd'hui vous ont fourni un aperçu des questions précises auxquelles sont confrontées les infirmières qui sont directement touchées par cette question. Je vais limiter mes remarques à quelques questions fondamentales de politique nationale auxquelles nous pensons pouvoir apporter une contribution.

Comme vous l'ont dit d'autres témoins, les questions qui entourent le don d'organes et la greffe de tissus sont compliquées et englobent toute une gamme de facteurs, y compris des considérations d'éthique et d'organisation, d'éducation et de sensibilisation du public.

En 1994, l'Association a élaboré un énoncé de principes sur le rôle de l'infirmière dans le don d'organes et la greffe de tissus. Nous en avons des exemplaires à votre intention. Notre politique appuie le rôle de l'infirmière dans le don d'organes et la greffe de tissus. Les principaux éléments de notre politique comprennent le besoin d'information appropriée afin de permettre la prise de décisions, le besoin de communication ouverte et efficace et l'élaboration d'une collaboration constructive entre les membres de l'équipe de soins de santé.

Afin que les infirmières puissent jouer un rôle positif dans ce processus, il est essentiel qu'elles comprennent les politiques et procédures de l'organisme relatives à la greffe d'organes et de tissus, associées à une naissance des questions juridiques et éthiques tel que le consentement et la confidentialité.

Si nous réfléchissons au rôle de votre comité dans l'élaboration de recommandations de portée nationale, nous envisageons trois principaux domaines d'activité. Tout d'abord, il faut une intervention nationale sur le plan de l'éducation des professionnels de la santé. Je pense que vous avez déjà entendu ce thème et qu'il reviendra au cours de la discussion.

Nous avons entendu dire qu'actuellement, il y a peu d'incitations au niveau local pour appuyer le don et la greffe d'organes. On dépend beaucoup trop de la bonne volonté. La formation des professionnels doit évoluer de façon à inclure le don d'organes dans une approche axée sur les meilleures pratiques. Cela signifie à mon avis qu'il faut que le don d'organes devienne une partie intégrante et acceptée de l'approche du professionnel aux soins de santé.

On y parviendra si les professionnels en soins de santé connaissent et comprennent bien les avantages de la greffe d'organes et quels organes se prêtent au don et au prélèvement, les procédures à suivre au sein d'un établissement particulier, les techniques pour faire face aux sensibilités, les composantes culturelles, religieuses et éthiques du processus qui vise à communiquer avec les familles et à les encourager à songer au don d'organes, ainsi que le rôle du professionnel dans la sensibilisation du public.

Bien que chaque professionnel de la santé soit responsable de sa propre éducation, les associations professionnelles, les organismes de réglementation, les établissements d'enseignement, les organismes de soins de santé et des gouvernements ont un rôle à jouer en appuyant le modèle des meilleures pratiques. Nous recommandons une éducation plus poussée de tous les professionnels de la santé en ce qui concerne le don d'organes et la greffe de tissus et nous croyons que dans ce domaine, nous avons toute la latitude voulue pour des activités éducatives multidisciplinaires entreprises en collaboration.

Dans un deuxième temps, il faut mettre en oeuvre des mesures nationales afin de fournir le leadership voulu pour éliminer les approches régionales actuelles à la greffe d'organes et afin de mettre en place une structure nationale. Les exposés que vous avez déjà entendus nous disent ce qui doit être fait. Des plans et des recommandations clairs ont été présentés et acceptés, et pourtant, on a très peu avancé en ce qui concerne l'adoption d'un modèle national.

L'Association appuie la demande d'un registre national avec structure à l'appui comme moyen d'améliorer la gestion efficace, équitable et effective des dons d'organes et des greffes de tissus partout au Canada. Nous appuyons une approche nationale à l'intérieur du cadre de notre régime de santé public. Nous pensons que le moment est venu de s'engager à agir.

• 1150

Troisièmement, nous recommandons que des mesures nationales soient prises au niveau de la sensibilisation du public. Des messages réguliers sur l'importance de la greffe d'organes et ses avantages possibles feraient beaucoup pour augmenter la connaissance et le profil de ce processus. Les Canadiens y gagneraient à mieux comprendre le processus du don d'organes et de tissus et leurs droits et obligations à titre d'éventuels donneurs ou de décideurs de la famille. En outre, une campagne de sensibilisation contrerait certains des malentendus et des mythes qui persistent, par exemple en ce qui concerne la mort cérébrale.

Le gouvernement fédéral a fait ses preuves lorsqu'il s'agit de faciliter les campagnes coopératives de sensibilisation nationale du public dans les domaines de la promotion de la santé et de la prévention des maladies. Il conviendrait tout à fait que le gouvernement fédéral fasse des efforts semblables afin de sensibiliser le public et fasse preuve de leadership. L'Association appuierait toute initiative de ce genre et y participerait volontiers. Les infirmières, le plus grand groupe de professionnels de la santé, jouent un rôle important dans l'éducation de la population en matière de questions de santé.

Pour conclure, l'Association des infirmières et des infirmiers du Canada recommande que le comité se serve de cet examen pour lancer les mesures nécessaires en vue d'améliorer le bilan du Canada dans le domaine du don et de la greffe d'organes. Les infirmières accréditées de tout le Canada appuient le don d'organes et participent activement au processus. Les infirmières et les infirmiers défendent activement les droits des patients et de leur famille. Nous vous encourageons à appuyer un effort concerté d'éducation, des campagnes accrues de sensibilisation du public et la mise en place d'un registre national et d'une structure d'appui.

Mesdames et messieurs, nous avons hâte de voir comment votre engagement se traduira par des actions. Nous vous remercions de votre temps et nous vous souhaitons bonne chance dans vos délibérations. Merci.

Le président: Merci beaucoup de ces bons voeux.

Passons maintenant à Mme Liz Anne Gillam-Eisen, de l'Hôpital d'Ottawa, Annexe Civic.

Mme Liz Anne Gillam-Eisen (coordonnatrice don d'organes et traumatisme, Hôpital d'Ottawa, Annexe Civic): Merci.

J'aimerais remercier M. Volpe et les membres du Comité permanent de la santé d'avoir permis aux représentants du programme de collecte d'organes de l'Hôpital d'Ottawa, Annexe Civic, de partager leur expérience, leurs opinions et leurs préoccupations au sujet de la situation du don d'organes et de tissus au Canada. De nombreuses questions que je vais aborder ont déjà été mentionnées par les témoins précédents. Toutefois, j'aimerais entrer un peu plus dans les détails ici aujourd'hui. Je vous demande donc de faire preuve de patience.

Contrairement aux pays et aux programmes qui connaissent du succès, comme l'Espagne, le Canada n'a pas de système national coordonné ni de politique officielle visant à régir et à réglementer ce domaine des soins de santé. Le manque de continuité des organismes canadiens de collecte des organes en OPO, en témoigne. À l'heure actuelle, les procédures ne sont normalisées par aucune réglementation. Le mandat, les pratiques, la structure organisationnelle, les mécanismes de rapport et les méthodes de financement varient et sont uniques à chaque province ou même à chaque région au sein d'une province.

On utilise ce sigle OPO aux États-Unis afin de décrire un programme donné à contrat par le gouvernement fédéral qui offre des services de coordination et des installations de collecte d'organes. Au Canada, l'expression a été utilisée assez librement; toutefois, nous n'avons aucun organisme de réglementation qui encadre le processus de don et de greffe d'organes. Le programme de l'Hôpital d'Ottawa est l'un des 15 organismes de collecte d'organes au Canada. Au début, la responsabilité de coordonner le don d'organes revenait au personnel de l'unité de soins intensifs. L'infirmière chef, l'intensiviste et l'infirmière soignante responsables du patient sont chargés non seulement de diriger l'unité et d'offrir les soins directs à l'éventuel donneur et à sa famille, mais également de réserver le bloc opératoire, de coordonner les équipes à l'arrivée et de s'assurer que toutes les analyses et procédures ont été faites et que les résultats sont communiqués aux membres compétents de l'équipe. Le programme MORE de Toronto offre des directives par téléphone.

À l'instar de nombreux programmes, le programme d'Ottawa découle des programmes de greffes en place à l'hôpital. En 1986, on a attribué la responsabilité du processus à deux coordonnateurs des receveurs parce que le personnel en soins de phase aiguë de notre hôpital a jugé essentiel de faire la coordination sur place. Toutefois, étant donné que ces deux personnes s'occupaient directement de la gestion et du soin des receveurs, le milieu hospitalier estimait qu'il n'était pas approprié que ces personnes s'occupent également d'identifier les éventuels donneurs, de communiquer avec leur famille et de déclarer la mort cérébrale.

Le président: Excusez-moi, puis-je vous demander simplement...

Mme Liz Anne Gillam-Eisen: Je vais trop vite.

• 1155

Le président: Je peux vous suivre assez bien, mais si je veux vous suivre en français, je dois passer par un intermédiaire qui exige un rythme plus lent.

Mme Liz Ann Gillam-Eisen: Je devrais ralentir. Merci.

Le président: Merci.

Mme Liz Ann Gillam-Eisen: Ces étapes essentielles du processus ont été encore une fois laissées au personnel déjà surchargé des soins intensifs. Il y encore au Canada des hôpitaux et des programmes qui suivent ce modèle. En 1991, le comité des greffes de l'hôpital Civic d'Ottawa a proposé d'embaucher un coordonnateur des donneurs qui serait responsable de faciliter tout le processus de dons, depuis l'identification d'éventuels donneurs jusqu'à la constatation de la mort cérébrale, qui parlerait aux proches parents, obtiendrait le consentement, s'occuperait du donneur, de l'évaluation du donneur et de la répartition des organes et tissus du donneur, ainsi que du prélèvement lui-même.

J'ai reçu une formation d'infirmière en soins de phase aiguë et j'ai travaillé dans ce domaine, ce qu'on jugeait être l'une des qualités essentielles pour le poste. Depuis la création du rôle de coordonnateur des donneurs d'organes, le taux de donneurs à Ottawa a fluctué entre 17 et 30 donneurs par million d'habitants. L'année dernière, le taux de donneurs était de 24 donneurs par million d'habitants, soit 10 de plus qu'au niveau provincial et national.

Je voudrais parler un peu du consentement éclairé parce que je pense qu'il en a été question bien des fois pendant les six semaines à près de deux mois que vous avez consacré à ce sujet. Il s'agit de mes propres opinions et préoccupations relativement au consentement éclairé.

À titre de professionnelle des soins de santé et de membre de l'équipe chargé de coordonner le processus de dons d'organes, je dois faire les démarches auprès des familles et m'assurer qu'on obtient un consentement éclairé. Le donneur en puissance peut avoir averti ses proches qu'il voulait faire don de ses organes ou tissus. C'est cependant peu probable, à moins qu'il ait eu des rapports professionnels avec le secteur des greffes ou qu'il ait effectué beaucoup de recherches, qu'un simple profane ait les connaissances requises pour donner un consentement éclairé. Il faut assurer à la famille que l'on a fait tout le nécessaire pour leur proche. On passe beaucoup de temps avec chaque famille pour s'assurer qu'elle comprend ce qui est arrivé à leur proche et que la mort cérébrale veut vraiment dire la mort. Les tests effectués pour diagnostiquer la mort doivent être expliqués à plusieurs reprises au besoin. À moins que la famille comprenne que le décès est survenu, elle ne pourra jamais accepter de permettre le don d'organes et de tissus.

Il faut aussi faire part à la famille de tous les renseignements voulus relatifs au processus du don d'organes, y compris le moment du prélèvement, les organes et les tissus qui peuvent être donnés, l'aspect de la confidentialité, et la Loi sur le don de tissus humains, avant qu'on puisse obtenir une signature sur le formulaire de consentement. Je passe environ une heure avec chaque famille pour m'assurer qu'elle comprend le processus et ne regrettera pas sa décision.

Je voudrais aussi parler un peu du questionnaire sur les antécédents médicaux et sociaux et du fait que les familles doivent d'abord comprendre le processus, mais aussi devenir nos partenaires dans ce processus. Sans leur participation, il nous manquerait des renseignements utiles et nous ne pourrions pas aller de l'avant.

L'Hôpital d'Ottawa exige maintenant un questionnaire complet sur les antécédents médicaux et sociaux ou du donneur. Pour ceux d'entre vous qui avez donné du sang récemment, je signalerai que les questions ressemblent à celles de la Société canadienne du sang et comprennent des renseignements hautement personnels sur les comportements sexuels et sociaux, y compris l'utilisation de stupéfiants et les périodes récentes d'incarcération. Il est essentiel d'avoir la collaboration de la famille pour garantir qu'on obtient les renseignements les plus exacts possible et pour assurer la sécurité de notre système de greffes d'organes. Le coordonnateur des donneurs doit s'assurer que les renseignements fournis dans le questionnaire sont obtenus d'une façon humanitaire et fiable.

Malgré les leçons qu'on aurait dû tirer du scandale du sang, tous les programmes n'ont pas recours à un questionnaire complet sur les antécédents médicaux et sociaux. C'est un autre exemple de l'absence de normes nationales et de la nécessité d'établir une structure nationale pour garantir que les normes seront respectées.

Je voudrais maintenant passer en revue le système espagnol et certains autres modèles, même si je sais que votre comité a déjà entendu bien des choses à leur sujet. À titre de membre du comité de coordination national, notre service étudie ces modèles de très près pour voir si le Canada peut s'en inspirer. J'espère donc que vous ferez preuve de patience à mon égard.

• 1200

Le Canada devrait mettre sur pied une structure organisée pour les dons d'organes et de tissus, en se servant peut-être d'un système qui a fait ses preuves comme modèle et en l'adaptant aux besoins particuliers du Canada. Le système espagnol a été conçu pour s'attaquer à la principale lacune de l'ancien système, qui est aussi le principal problème pour nous, soit l'identification des donneurs. Ce modèle pourrait être adapté au système de santé du Canada vu que l'Espagne a décentralisé ses services de soins de santé vers les régions, comme nous l'avons fait pour les provinces. L'Espagne est même allée plus loin vu que le processus de dons a été délégué à des hôpitaux autorisés à pratiquer les dons et à des équipes spécialisées.

En Espagne, la structure de coordination nationale a permis d'élaborer des lois nationales, de même que des politiques, des documents et un mécanisme de discussion sur les questions d'éthique et de recherche. La loi nationale désigne l'autorité principale et les processus clés qu'il faut respecter pour garantir les meilleurs résultats possibles dans le cadre d'une approche normalisée et imputable des dons d'organes et de tissus.

Parmi les autres responsabilités de la structure nationale, mentionnons la coordination des médias de masse, les relations publiques et les stratégies de marketing social. La structure nationale facilite la collecte de données et l'échange d'information et coordonne les activités de recherche. Le ministère de la Santé assume une responsabilité conjointe pour les résultats à l'intérieur de la région.

Il était essentiel de préciser et de définir les responsabilités clés et les voies hiérarchiques au sein de cette structure à trois paliers. Le Canada pourrait, comme l'Espagne, identifier les hôpitaux qui devraient être autorisés à s'occuper des dons d'organes. On pourrait créer dans chacun de ces hôpitaux des équipes de dons pour faciliter le processus.

La formation normalisée est un autre élément essentiel prévu dans le cadre des programmes qui fonctionnent bien. Le personnel à tous les niveaux a reçu l'éducation et la formation voulues pour les activités et les responsabilités qu'il assume. Il existe un cours officiel pour les membres du personnel et l'on s'assure que les coordonnateurs sont toujours hautement compétents. La coordination des dons est considérée comme un travail spécialisé et financé comme tel. Ce n'est pas considéré comme un volet du service des greffes.

Le modèle espagnol a fait ses preuves et il a été couronné de succès, il a amélioré les taux de dons et réduit les listes d'attente, surtout pour les greffes du rein. L'année dernière, le taux de dons en Espagne a dépassé 30 donneurs par million d'habitants.

Pour terminer, je signale que le Canada est le seul des grands pays où l'on fait des greffes à ne pas avoir de système administratif central qui s'occupe des questions critiques pour les greffes, depuis la sensibilisation des donneurs d'organes et de tissus jusqu'au partage des organes, aux pratiques de sécurité et aux résultats des greffes. Il faut une structure globale ou une approche nationale pour garantir la reddition de comptes et la sécurité de ces importants programmes de soins de santé. Les gouvernements doivent investir des ressources considérables dans une telle structure, non seulement pour appuyer les dons, mais aussi pour garantir le plus possible la sécurité du public. Les gouvernements doivent appuyer une approche coordonnée à l'éducation du public comme élément essentiel du processus des dons. Si nous nous inspirons d'un modèle qui a fait ses preuves, nous pourrons élaborer un programme efficace de dons d'organes à l'intérieur du système de soins de santé du Canada.

Comme dernier point, je voudrais signaler une chose qui me tient vraiment à coeur comme coordonnatrice des dons, soit le fait qu'on ne reconnaît pas suffisamment la contribution des familles des donneurs, qui sont les véritables héros du processus. Il faut identifier des normes de soins pour les familles et il faut que les divers gouvernements et programmes reconnaissent constamment leur contribution. J'incite le gouvernement fédéral à appuyer et à financer la médaille d'honneur pour les donneurs. Cette médaille est un symbole concret précieux pour les familles des donneurs. Les donneurs et leurs familles ont fait une plus grande contribution à la société et à autrui, à un moment de tragédie, de décès et de deuil, que la plupart d'entre nous ne le ferons pendant toute notre vie.

Je tiens à remercier le comité de m'avoir permis de faire part de mes expériences, mes opinions et mes suggestions, et je serai heureuse d'essayer de répondre à vos questions à la fin des exposés.

Le président: Merci beaucoup.

Je donne maintenant la parole à Linda Peltier de Rose des Sables.

[Français]

Mme Linda Peltier (infirmière, consultante en deuil, Rose des sables): Bonjour. Merci beaucoup.

L'aube du troisième millénaire projette le dossier du don d'organes et de tissus au centre d'un tourbillon de nouvelles exigences et il représente pour Rose des sables, compagnie dont je suis la fondatrice, un tremplin vers l'atteinte d'objectifs d'implications sociales et de mission humanitaire à ce volet désormais essentiel de la médecine moderne qu'est le don d'organes et de tissus.

• 1205

Au cours des dernières années, j'ai minutieusement planifié mon implication au dossier afin d'avoir en main les outils nécessaires à l'avancement de la cause du don d'organes et de tissus: 15 années d'expérience en soins intensifs et en soins d'urgence dans les centres hospitaliers du Québec, cinq années et demie à titre de coordonnatrice et conseillère clinique chez Québec Transplant, obtention d'un diplôme de deuxième cycle en études sur la mort à l'UQAM et, plus récemment, la mise sur pied de ma compagnie de consultation en deuil, Rose des sables.

Je désire aujourd'hui déposer un témoignage qui porte sur un créneau tout particulier du dossier et qui cible spécifiquement les deux étapes préliminaires au processus: l'identification du donneur en état de mort cérébrale et les techniques d'approche de la famille du donneur d'organes et de tissus.

[Traduction]

En 1998, the Partnersphip for Organ Donation Inc. a mené une étude au Canada et aux États-Unis afin de comprendre les raisons associées au manque de donneurs. Les résultats du Medical Records Review Report indique que 51 p. 100 des donneurs ne sont pas référés à un organisme responsable de l'attribution des organes. Les raisons sous-jacentes à ce faible taux d'identification sont nombreuses.

Une première cause s'explique par le fréquent remaniement du processus de sélection des donneurs cadavériques. Les critères d'identification sont constamment élargis et la mise à jour des informations relatives aux nouvelles procédures est incomplète et stagnante.

Une deuxième cause réside en la complexité du message transmis aux équipes de professionnels de la santé. Le message devrait être clair et unique: tout patient en état de mort cérébrale est un donneur potentiel et doit être référé à l'organisme responsable de l'attribution. L'étape subséquente conférerait à chaque spécialiste en transplantation la décision finale selon les besoins de ses patients en attente de greffe.

[Français]

Le deuxième volet de mon témoignage touche les techniques d'approche de la famille du donneur afin d'obtenir son consentement. Tel que le Medical Records Review Report l'indique, seulement 63 p. 100 des familles de donneurs sont approchées pour l'obtention de leur assentiment. Et, encore ici, la problématique repose tant sur les épaules des intervenants en centre hospitalier que sur le processus établi.

Médecins, infirmières et infirmiers ont perdu une bataille: la mort a eu gain de cause sur les soins, la médication, les techniques de pointe. L'équipe de soins est confrontée à la mort du patient et, bien qu'elle ne l'avoue pas, à ses propres valeurs et à la panoplie d'émotions qui ponctuent le deuil. Ébranlés, les membres de l'équipe s'interrogent à savoir si la famille du patient, un donneur potentiel, est prête à ce qu'on lui adresse une demande de consentement au don.

Des études révèlent que les familles approchées confirment dans une proportion de 86 p. 100 que le don d'organes les ont aidées en apportant un côté positif à la mort et que 89 p. 100 d'entre elles referaient le même geste si l'occasion leur en était donnée.

La demande du consentement au don d'organes a donc sa place dans le processus du don, mais un protocole pour une procédure et une approche adéquate doit être mis en place.

À la suite de mon perfectionnement académique et surtout des situations auxquelles j'ai activement participé lors du processus de don, je me permets de vous soumettre le résumé d'un tel protocole d'approche de la famille:

1. Après l'annonce de la mort du patient par le médecin, une période de 15 minutes, dite «période de découplage», devrait s'être écoulée avant qu'on approche la famille pour le don, ce qui doublera le taux d'acceptation.

2. L'intervenant doit s'assurer que la famille comprenne et accepte le concept de la mort cérébrale, des examens médicaux exigés et du maintien mécanique du donneur cadavérique.

3. L'intervenant doit lui-même comprendre et respecter les valeurs, la décision et les questionnements de la famille.

4. L'intervenant doit expliquer le bien-fondé du don d'organes pour le deuil de la famille, pour le receveur et sa famille.

• 1210

[Traduction]

Le rapport final du comité Gélineau déposé en 1997 recommandait notamment des actions qui favoriseraient la concrétisation d'un meilleur taux d'identification des donneurs et une meilleure approche de la famille des donneurs. Il suggère ainsi de nommer un médecin ou une infirmière par centre hospitalier responsable du recrutement de donneurs potentiels d'organes et de tissus.

Pour ma part, je recommande fortement la création d'une équipe responsable composée de médecins et d'infirmières, ce qui résoudrait les problèmes de temps, de disponibilité, d'autorité et de relève.

[Français]

À partir de ce point, Rose des sables, à titre de spécialiste dans ce domaine, est prête à former et à outiller les multiples intervenants des centres hospitaliers impliqués dans le dossier du don d'organes et de tissus.

Aussi, afin de valider cette solution et les principes sur lesquels je fonde mon témoignage, j'ai entrepris un projet de recherche qui démontrera, j'en suis convaincue, qu'une formation précise sur l'identification des donneurs et sur l'utilisation des techniques adéquates d'approche à la famille du donneur augmentera substantiellement le nombre de transplantations possibles à court, moyen et long terme. Déjà, Novardis Pharma Canada inc., fabricant d'immunosuppresseurs, subventionne ce projet et d'autres compagnies pharmaceutiques démontrent un intérêt très marqué à vouloir elles aussi s'impliquer. Les médecins responsables des équipes de greffes des centres hospitaliers universitaires du Québec ont également donné leur appui au projet.

Permettez-moi de terminer mon témoignage en réitérant l'importance de permettre aux nombreux intervenants impliqués dans le processus du don d'organes et de tissus de mieux comprendre et d'accepter leur confrontation à la mort d'un patient, à son identification à titre de donneur potentiel et à son maintien. Quoi qu'on en pense, le thème de la mort demeure encore aujourd'hui un sujet tabou pour le public et pour le personnel hospitalier. Dans un deuxième temps, il y aura la transmission d'un processus clair et précis, l'élaboration d'outils permanents et performants et l'accès à un programme de formation pertinent à la dynamique multidisciplinaire du processus.

J'espère avoir convaincu les membres du comité que l'identification du donneur potentiel et l'approche à la famille des donneurs s'avèrent des étapes cruciales du processus et que la validation d'une telle prémisse s'avère impérative. Une procédure de suivi pour assurer la relève s'avérera sans aucun doute l'étape subséquente et nécessaire à cette entreprise.

Je désire également, par la présente, proposer au comité de lui soumettre les résultats de mon projet de recherche afin qu'il puisse en prendre connaissance et valider les éléments de mon témoignage de ce jour.

L'augmentation du nombre de donneurs identifiés et du nombre de transplantations est l'ultime objectif de ces audiences. Je vous remercie de m'avoir donné la chance de partager mes convictions profondes avec vous, et j'espère avoir pu participer concrètement à l'atteinte des objectifs du comité et de tous les intervenants dans le dossier du don d'organes et de tissus.

Le président: Merci. Je vous assure que vous avez réussi à le faire. Je ne sais pas si vous avez réussi à convaincre tout le comité, mais je vous assure que votre présentation aura un effet.

Nous passons aux Drs Michel Brazeau et James Hickey. Docteur Brazeau.

[Traduction]

Dr Michel Brazeau (directeur général, Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada): Merci, monsieur le président. Le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada est heureux d'avoir été invité à rencontrer le Comité permanent de la santé de Chambre des communes et de pouvoir contribuer à son examen de certaines questions de morale liées aux dons et aux greffes d'organes.

Pendant ses discussions préliminaires avec les représentants du comité, le Collège a signalé que, même si c'est lui qui établit les normes pour les soins spécialisés au Canada, il n'a pas de normes précises reliées aux questions qui vous intéressent. On nous a donc chargés de venir vous expliquer le rôle du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada dans le domaine des soins de santé, à vous dire pourquoi le Collège n'a pas de normes précises reliées aux questions comme les considérations d'ordre moral entourant les greffes d'organes, et à présenter les perspectives de la médecine spécialisée quant aux diverses interprétations qu'on peut trouver dans le domaine des soins de santé pour une norme, une ligne directrice ou un principe donné.

• 1215

Le Collège royal des médecins et chirurgiens est un organisme composé essentiellement de spécialistes médicaux qui s'occupent de garantir les normes et la qualité des soins spécialisés pour la communauté. Nous vous avons remis certains documents qui décrivent notre organisme dans les détails. Le Collège royal compte maintenant environ 30 000 spécialistes médicaux, dont la grande majorité se trouvent au Canada. Je suis très fier de vous signaler une caractéristique particulière de notre organisme, soit son travail en comité, qui est très important pour le Collège et qui continue essentiellement d'être une activité bénévole.

Le pouvoir ultime du Collège revient à son conseil. Les activités d'ensemble sont administrées par un comité exécutif et les activités quotidiennes, par le directeur général et quatre directeurs.

Le Collège établit des normes surtout pour l'enseignement médical postuniversitaire, c'est-à-dire que le Collège accrédite les programmes de formation en médecine spécialisée dans les 16 spécialités de médecine du Canada. Le Collège délivre les titres aux spécialistes médicaux et administre les examens pour l'accréditation de spécialistes médicaux à l'échelle nationale.

Nous établissons aussi des normes pour le perfectionnement professionnel. Le Collège a maintenant institué un programme obligatoire de maintien du certificat pour tous les associés du Collège. Le Collège reconnaît ainsi les nouvelles attentes du public quant à l'imputabilité des médecins et aide ses membres à prouver de façon explicite leur obligation morale de maintenir leur compétence pendant toute leur carrière.

Enfin, le Collège établit des normes dans le domaine plus vaste de la politique en matière de santé en contribuant à l'établissement d'une norme générale pour les soins spécialisés. À l'heure actuelle, nous nous concentrons tout particulièrement sur les effectifs de médecins, les rapports entre les effectifs de médecins et les autres services intégrés des professions de soins de santé et aussi la création de nouveaux modèles d'organisation pour les soins spécialisés au Canada.

Dans le cadre de ses activités, le Collège entretient des liens étroits avec les facultés de médecine et les sociétés spécialisées nationales pour maintenir constamment les plus hautes normes de l'enseignement médical postuniversitaire au Canada. Cela permet au Collège de faciliter l'adaptation au changement au point même où les jeunes Canadiens entrent dans le domaine de la médecine spécialisée. Les documents que nous vous avons remis contiennent un certain nombre d'exemples de la façon dont le Collège peut faciliter le changement et y contribuer au besoin grâce au processus d'accréditation des programmes de formation au Canada.

Il y a souvent confusion entre le Collège royal des médecins et chirurgiens et l'organisme parallèle en médecine familiale, le Collège des médecins de famille du Canada, et les organismes provinciaux d'accréditation, qui sont aussi appelés collèges. Il faut bien comprendre que ce sont les organismes provinciaux ou collèges provinciaux qui ont le pouvoir d'autoriser les médecins à pratiquer au Canada.

Le Collège royal délivre des certificats de spécialisation à ceux qui ont terminé la formation requise dans le cadre des programmes d'enseignement médical postuniversitaire qui correspondent aux normes du Collège royal. Il accrédite aussi ceux qui ont satisfait aux exigences d'accréditation et ceux qui ont réussi les examens appropriés. Les organismes d'accréditation autorisent les médecins à pratiquer, qu'ils aient ou non un certificat de spécialisation du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Cependant, les normes élevées rattachées à l'accréditation par le Collège royal rendent cette accréditation très attrayante lors du recrutement de spécialistes médicaux et le certificat délivré par le Collège royal constitue le critère établi pour l'inscription au registre des spécialistes du Canada.

• 1220

Le Collège reconnaît 53 spécialités et sous-spécialités au Canada. C'est justement pour cela qu'il n'essaie pas d'établir des normes précises pour chacun de ces domaines, mais préfère collaborer avec les sociétés spécialisées nationales, les facultés de médecine, les organismes d'accréditation et autres organismes. Pour être plus précis, le Collège royal n'établit pas de lignes directrices cliniques précises pour chaque domaine de la pratique médicale.

Enfin, pour ce qui est des différentes façons dont un spécialiste médical peut appliquer une norme, un principe ou une ligne directrice donnés, dans son activité quotidienne, il faut voir quel est l'ultime défi de la pratique médicale. Ce défi consiste à s'occuper des souffrances, de la maladie et des incapacités de patients, qui sont tous différents d'une certaine façon des autres patients et qui réagissent de façon très différente dans des situations différentes. Pour répondre le mieux possible aux besoins de chaque patient, le médecin doit assimiler tout l'éventail de considérations particulières liées à chaque patient et y réfléchir. Il ne faut donc pas s'étonner que ces principes, lignes directrices ou normes, ne sont pas appliquées de la même façon dans tous les cas à tous les patients.

Pour terminer, nous tenons à vous signaler non seulement le rôle que le Collège peut jouer pour faciliter le changement aux points d'entrée des jeunes spécialistes médicaux, mais aussi à l'un des principaux défis que pose la médecine de nos jours dans le domaine de considérations morales, c'est-à-dire qu'il faut aller plus loin que les simples rapports entre le patient et le médecin et examiner de plus près les rapports éthiques entre la médecine et la société. Ce n'est pas une question de choix. C'est une obligation que doit remplir le corps médical.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, docteur Brazeau.

Je donnerai tout de suite la parole à mes collègues à ma gauche, à commencer par M. Vellacott.

M. Maurice Vellacott: Je tiens tout d'abord à remercier les témoins de leurs exposés.

Premièrement, je veux poser une question à la Dre Rosalie Starzomski. Depuis que nous avons commencé nos délibérations il y a quelques semaines, je pense que nous avons toujours supposé que si les gens étaient mieux renseignés et prêts à collaborer, cela suffirait en soi pour faire augmenter de beaucoup le nombre de dons d'organes. Je pense qu'il en a été question encore aujourd'hui. Compte tenu de certains chiffres, je pense qu'il faudrait peut-être promouvoir une certaine exposition à la situation, par exemple, dans le cas des infirmiers et infirmières des soins intensifs, comme vous l'avez dit vous-même, parce que sinon le niveau de sensibilisation baisse. Est-ce bien cela?

Dre Rosalie Starzomski: Ce que je voulais dire, c'est que, quand on mène des études pour évaluer la sensibilisation du public et voir si les gens sont prêts à devenir donneurs, les chiffres sont très élevés. C'est aussi ce que j'ai constaté dans ma propre étude. Parmi ceux que j'ai interrogés, 93 p. 100 étaient prêts à faire un don d'organes. Il s'agit, bien sûr, de savoir si les chiffres peuvent rester les mêmes en pratique.

M. Maurice Vellacott: Était-ce 77 p. 100 pour les unités de soins pour patients en phase critique?

Dre Rosalie Starzomski: C'était pour le personnel prodiguant des soins aux patients en phase critique. Dans le cas du personnel médical général, c'était bien plus bas.

Je ne dis pas qu'il ne faut pas poursuivre la campagne de sensibilisation auprès du public. Cet effort est très important, surtout, comme je l'ai expliqué, auprès de toute une gamme de groupes ethnoculturels qui, actuellement, ne sont pas assez bien renseignés à cet égard.

Mais, à la vérité, là où il y a un goulot d'étranglement, c'est au niveau des institutions et des unités de soins intensifs mêmes. Tous les professionnels qui travaillent dans ces unités ne sont pas convaincus que la transplantation est bénéfique. Ils n'appuient pas tous la transplantation. Mon étude démontre que quantité d'infirmières affectées à ces unités ont décidé de ne pas être des donneurs d'organes à cause des inquiétudes que suscite chez elle le programme de transplantation en général. Je disais donc qu'il faut concentrer les efforts pour engager un dialogue avec ces professionnels afin de mieux comprendre l'origine de leur réticence, la réalité qu'ils vivent et pourquoi eux-mêmes croient qu'être un donneur d'organe n'est pas important pour eux.

Ainsi, il faut oeuvrer sur deux fronts, et je pense qu'on a accordé beaucoup d'attention au fait qu'il faut faire oeuvre éducative auprès du public, ce que je préconise. Mais le public, grâce aux diverses enquêtes qui ont été menées, nous signale qu'on veut bien être donneur d'organe, mais il faut qu'on demande aux intéressés, et comme l'ont dit nombre de mes collègues, il faut que cela soit fait dans un climat propice où la question est examinée comme il se doit.

• 1225

M. Maurice Vellacott: Si je pose la question, c'est que quelque part dans mon esprit, je me disais qu'on pourrait peut-être présenter une bande vidéo, expliquant exactement ce que signifie le don d'organe, ce à quoi les membres de la famille doivent s'attendre, quel scénario cela représente. À vous écouter, voilà le genre d'information que l'on donnerait au public, car logiquement, si quelqu'un est bien placé pour être témoin de ce qu'est le don d'organe et comprendre toute la situation, ce sont bien les infirmières qui travaillent dans les unités de soins intensifs et dans les unités pour patients en phase critique. Pourtant, on constate une certaine réticence, une hésitation là même, et un dialogue s'impose avec précisément ces personnes, je le reconnais.

Dre Rosalie Starzomski: Absolument. Ce personnel est certainement préparé et renseigné, c'est indéniable, mais il faut aller au-delà de ça, il faut une discussion plus ouverte concernant la transplantation en général.

Toute l'attention dans les unités pour patients en phase critique, et mes collègues vont certainement confirmer cela plus tard, porte sur le sauvetage des vies, et le don et la transplantation d'organes est un élément très minime du travail des infirmières.

M. Maurice Vellacott: Permettez-moi de poser rapidement deux autres questions parce que je pense que mon temps de parole tire à sa fin. Je vais poser une première question et avant que vous ne répondiez, je vais énoncer la deuxième.

Vous pensez que les médecins et les infirmières ne connaissent pas bien ce qu'implique la mort cérébrale. Je trouve cela étonnant car je pensais que l'attitude était plutôt uniforme, surtout chez les médecins.

Voici mon autre question, et chacun de vous peut y répondre. Préconisez-vous que l'on élargisse la définition de mort cérébrale—et j'en ai parlé avec les médecins du groupe de témoins précédent—de sorte que cette définition soit plus large, plus libérale—et, Joe, je parle de libéral, petit «l», de façon non partisane—de sorte que la mort cérébrale corresponde à la mort du cortex et que cela suffise pour déterminer qu'il en est ainsi? Le reste du cerveau pourrait toujours être vivant, le cortex exclu, et cela élargirait la définition.

Il paraît qu'on parle de cet aspect et certains médecins qui sont venus témoigner l'ont reconnu.

Dre Rosalie Starzomski: Pour répondre à votre question sur la connaissance des médecins et des infirmières de toute la question du don d'organes, ma collègue de l'Université de Victoria, le Dre Anita Molzahn, a fait une étude prolongée auprès des membres de l'Association des infirmières et des infirmiers canadiens et auprès de l'Association médicale canadienne, avec un échantillon de quelques milliers de membres; en conclusion, elle démontre que, en moyenne, environ 62,2 p. 100 des infirmiers et infirmières ont bien répondu aux questions, concernant la transplantation contre 63,3 p. 100 pour les médecins.

Les questions auxquelles la plupart ont répondu incorrectement avaient trait aux dispositions législatives concernant la mort cérébrale et aux barrières religieuses empêchant le don d'organe. Voilà donc les deux éléments les plus méconnus.

Pour ce qui est de l'élargissement de la définition de la mort cérébrale, je dirais que celle que nous avons actuellement est tout à fait appropriée. À la lecture de certains témoignages donnés ici devant le comité, et d'après les rapports des médias, je pense que les gens ont mal interprété la définition même. Je pense que nous devons être beaucoup plus clairs dans nos explications à l'intention du public quant à ce que nous entendons par mort cérébrale suivant la définition actuelle.

La discussion concernant l'élargissement de la définition doit sans nul doute prendre place mais pour l'instant, je ne suis pas prête à me prononcer dans un sens ou dans l'autre parce que je pense que nous n'avons pas assez analysé les conséquences que cela implique.

M. Maurice Vellacott: D'autres témoins veulent-ils répondre rapidement à mes questions?

Le président: Il faudra que ce soit bref.

Mme Linda Peltier: Je serai brève.

Bien entendu, si l'on entreprend de changer les critères définissant la mort cérébrale, l'effet dans les hôpitaux sera le même parce que tous n'ont pas les mêmes renseignements. Deuxièmement, le public va être effrayé parce que le changement visera quelques personnes de plus.

Ce qui est capital, c'est de changer l'attitude des professionnels de la santé concernant le deuil, la mort, et la façon de pressentir les membres de la famille. Donnons-leur les outils leur permettant de donner du soutien aux membres de la famille pour que ces derniers puissent prendre la décision et ainsi, on récupérera les 50 p. 100 de donneurs que nous perdons, sans rien changer, mais tout simplement en donnant de l'information circonstancielle.

Le président: Sharon Nield.

Mme Sharon Nield: Selon moi, il faudrait plus d'effort pour que les gens comprennent la définition actuelle, qui est tout à fait appropriée. Les résultats d'une enquête qui indique que 40 p. 100 des médecins et des infirmières d'ignorent les dispositions législatives, car si j'ai bien compris Rosalie, il en est ainsi pour ce qui est de la législation concernant la mort cérébrale, mettent en lumière le besoin de faire oeuvre éducative auprès des professionnels de la santé.

• 1230

M. Maurice Vellacott: Pour la définition, est-ce oui ou non?

Mme Sharon Nield: Selon moi, il n'est pas essentiel de l'élargir pour l'instant. Le cas échéant, il faudrait une discussion, plutôt sérieuse, à ce propos.

Le président: Liz Anne Gillam-Eisen.

Mme Liz Anne Gillam-Eisen: La mort cérébrale, telle que définie actuellement, c'est la mort. Le certificat de décès d'un donneur est signé et daté au moment où l'on constate la mort cérébrale du donneur, et non pas au moment où il est débranché. Si le cerveau fonctionne encore jusqu'à un certain point, la mort ne s'est pas produite. Le patient n'est pas mort. Il nous sera impossible de signer le certificat de décès avant d'avoir débranché le patient. Pour l'heure, la définition est le décès et c'est ce que nous avons essayé de transmettre aux professionnels de la santé. Manifestement, nous devons à cet égard faire des progrès et être plus efficaces.

M. Maurice Vellacott: Les milieux médicaux ont élargi cette définition et vous ne préconisez pas qu'on en fasse autant pour l'instant?

Mme Liz Anne Gillam-Eisen: Je ne préconise pas, non, que l'on prélève des organes sur un être vivant. Personnellement, je suis contre, car il faut respecter les critères du décès. Ces critères ont été définis par les professionnels de la santé et de la neurologie et les médecins, et je pense que la définition convient très bien.

Le président: Docteur Brazeau.

Dr Michel Brazeau: Je n'ai rien à ajouter.

Le président: Donc vous préconisez le statu quo, n'est-ce pas?

Dr Michel Brazeau: Ce n'est pas du tout ce que mon silence signifie.

Le président: J'interprète votre silence, alors...

Dr Michel Brazeau: Dans ces conditions, je vais me prononcer.

Le président: Très bien.

Dr Michel Brazeau: En fait, non, nous ne préconisons pas le statu quo, et pour l'instant, je vais dire deux choses. On aurait tendance à considérer cela comme une question d'information insuffisante, ou mal transmise. Très souvent, ce n'est pas la difficulté que nous rencontrons dans le milieu médical du fait de notre démarche pédagogique. On constate que très souvent l'information existe, qu'elle est accessible, mais qu'elle ne suffit pas à susciter le genre de discussion ou de modification de comportement que nous recherchons précisément actuellement. Il faut aller au-delà de cela, aller au-delà de la simple disponibilité de l'information.

Nous signalons que dans notre propre environnement, au Collège royal, étant donné la latitude dont nous disposons pour la pédagogie médicale, il y a assurément assez d'occasions qui nous permettent d'intervenir, de concert avec d'autres organisations, et d'amorcer les choses au moment propice, au point d'entrée, au moment où les jeunes spécialistes nous arrivent. Nous avons assurément la possibilité d'intervenir à ce niveau-là. Nous voulons toutefois intervenir auprès de la communauté médicale au-delà de l'information pure et simple. Nous avons bien dit que nous souhaitons un régime de soins de santé beaucoup mieux intégré pour réponde à ce genre de problèmes.

Nous n'avons pas procédé à un examen en profondeur qui nous permettrait de déterminer comment nos 30 000 adhérents envisagent la chose. Nous n'avons pas pu le faire par manque de temps. Toutefois, le Collège royal souhaite que les membres du comité sachent que nous sommes tout à fait favorables à poursuivre ces questions. Manifestement, au fur et à mesure de vos délibérations, je suis sûr que les sociétés nationales de spécialistes et d'autres groupes rechercheront votre collaboration pour garantir que les méthodes pédagogiques qui s'imposent seront instaurées afin de réaliser les modifications nécessaires.

Pour l'heure, nous n'avons pas de suggestions précises quant à ce que ces modifications devraient être.

Le président: Je vais sans doute vous poser une question un petit peu injuste, mais je la pose tout de même. Vous surveillez les normes et d'après votre exposé, j'ai compris que vous vous occupez de la surveillance des normes dans chaque spécialité et que vous veillez à garantir que les normes appropriées sont respectées. Ainsi, je me dis que vous avez sans doute toute une gamme de systèmes de données en place qui vous permettent de recueillir des renseignements, de les évaluer et de les appliquer. Est-ce que je trompe?

Dr Michel Brazeau: Non. Vous avez raison. Il faut toutefois préciser que nous envisageons des normes générales de régie, que nous ne surveillons pas par exemple, dans l'accréditation des programmes pédagogiques, les détails pratiques ou spécifiques des 53 spécialités et sous-spécialités qui existent au Canada. C'est là un nombre considérable de spécialités et de sous-spécialités. Nous veillons à ce qu'il existe des normes générales de régie, qui sont exposées dans les facultés de médecine, mais nous ne mêlons pas du peaufinage de ces normes pour chaque spécialité. À leur tour, les sociétés nationales de spécialités s'en occupent, les facultés de médecine également, et les départements qui négocient. Nous n'allons pas en profondeur, jusqu'à nous attarder à une question particulière, et nous travaillons de concert avec d'autres organisations. D'emblée, nous cherchons à établir des normes générales de régie.

• 1235

Le président: Peut-être que nous avons tort d'utiliser le mot «spécialité», mais pour nourrir la discussion, je vais m'en servir. Quand il s'agit d'une spécialité médicale, ce sont uniquement les praticiens de cette spécialité qui établissent les normes, et non pas le Collège royal, n'est-ce pas?

Dr Michel Brazeau: Non. Le Collège royal établit des normes générales de régie quant à la responsabilité, c'est-à-dire à la nécessité d'enseigner la déontologie médicale aux résidents dans tous nos programmes. Il existe des normes pour ce qui est de l'enseignement de la déontologie mais quant aux aspects plus précis, aux détails des considérations éthiques, nous ne les surveillons pas en particulier et le Collège n'intervient pas directement. Nous n'avons pas de normes précises quant aux considérations éthiques qu'implique la question de la transplantation d'organes.

Certains documents, et nous en avons inclus des exemples dans la trousse que nous vous avons fait parvenir, témoignent du fait que nous agissons en tant qu'organisme ressource pour garantir que ces questions sont discutées et traitées. Il existe des normes et des obligations générales, mais pour l'instant, nous n'allons pas aussi en profondeur que certains le croient. Nous le pourrions. Nous pourrions décider de le faire, si une orientation dans cette direction se dessinait. Le Collège royal peut certainement s'occuper de cette activité, accorder un soutien énorme et utiliser toute sa latitude auprès des facultés de médecine en l'occurrence.

Le président: Docteur Brazeau, je vous remercie de cette précision. Pour expliquer un peu pourquoi vous étiez perplexe quand nous vous avons demandé de venir témoigner, je dois vous dire qu'il y a quelques semaines, nous avons accueilli un représentant qui a laissé entendre que des normes pourraient être fixées seulement si tous les intéressés étaient réunis autour de la même table. À ce moment-là, on a évoqué bien entendu, la participation des médecins et spécialistes, et nous pas des organisations qui les représentent, car ces dernières protégeraient les intérêts matériels, si je me souviens bien, des praticiens. Ceux qui devraient s'occuper avant tout des normes, à la fois pour l'aspect clinique comme pour l'aspect déontologique, nous a-t-on dit, c'étaient les Collèges de médecins et chirurgiens. Voilà pourquoi le comité souhaitait vous entendre.

Pardonnez-moi—et je ne suis qu'un membre de ce comité—mais il semble que l'on nous ait renvoyé la balle.

Dr Michel Brazeau: Pas tout à fait.

Le président: D'accord.

Dr Michel Brazeau: Nous ne nous écartons pas de cette possibilité mais nous demandons que les gens aient des attentes raisonnables quant à ce que nous faisons actuellement à cet égard. Vous attirez l'attention sur des questions capitales qui préoccupent le corps médical. Effectivement, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada est le défenseur des soins spécialisés au Canada. Nous ne défendons pas les intérêts spécifiques à un groupe de spécialistes. Les organisations médicales sont parfois amenées à défendre les deux aspects—les intérêts des spécialistes individuels et ceux des patients qu'ils traitent.

Ces organisations en règle générale se débrouillent très bien. Il y a toutefois certaines difficultés et certaines inquiétudes mais il n'y aurait certainement pas d'entrave à réunir les représentants des diverses organisations, en particulier celles dont vous avez parlé auparavant, les sociétés nationales de spécialistes, le Collège royal, et les facultés de médecine, avec d'autres organisations comme l'Association médicale canadienne et encore bien d'autres, afin de constituer un front commun.

Pour l'instant, on s'attend à ce que le Collège royal s'investisse indubitablement davantage dans les questions quotidiennes qui préoccupent les Canadiens. Le Collège royal pour sa part accepte de s'investir davantage, mais nous ne pouvons pas nous mêler des normes détaillées qui s'appliquent à 53 spécialités et sous-spécialités. Nous n'avons pas les ressources pour le faire. Nous sommes toutefois un organisme prêt à collaborer.

Nous ne sommes pas indifférents à ce qui se passe. Nous essayons d'assumer le rôle d'organisme ne cadre et au besoin, de veiller à ce que les intéressés se réunissent. Concrètement, nous le faisons actuellement dans le cas par exemple du recrutement des médecins diplômés dans d'autres pays et dans le cas de la médecine rurale. Nous sommes prêts à nous occuper de ces questions. Nous ne pouvons pas tout faire en même temps et on ne peut pas s'attendre raisonnablement à ce que nous puissions dicter des normes précises en détail.

• 1240

Le président: Nous reviendrons sur ce point plus tard, si vous le voulez bien, docteur Brazeau.

[Français]

Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Bonjour. Je vous remercie de vous être déplacés pour nous livrer vos témoignages, tous fort intéressants.

À la suite de la question du président, pourriez-vous nous donner des précisions, docteur Brazeau? Votre collège forme des spécialistes, qui ont aussi un rôle à jouer dans l'étude faite actuellement sur les dons d'organes et de tissus; on parle aussi de xénotransplantation. Ai-je bien compris que dans la formation offerte à ces spécialistes, vous n'offrez pas de formation relative à des normes ou codes d'éthique et de déontologie?

Dr Michel Brazeau: Ce n'est pas tout à fait cela, madame.

Mme Pauline Picard: Non?

Dr Michel Brazeau: Premièrement, nous ne formons pas les médecins spécialistes. Nous établissons les normes canadiennes applicables dans les 16 facultés de médecine. Nous voyons également au développement professionnel de tous les médecins spécialistes qui sont membres de notre organisation. Une autre organisation, le Collège des médecins du Québec, exerce une activité similaire, et nous travaillons étroitement avec ce collège.

En ce qui concerne la question de l'éthique, nous avons effectivement un rôle à jouer et nous sommes très présents dans le domaine de l'éthique médicale. Nous ne le faisons pas en édictant des règles spécifiques applicables aux circonstances particulières, par exemple dans le cas de la transplantation. Comme organisme de normalisation ou de standardisation, nous faisons plutôt un énoncé général sur les responsabilités éthiques des médecins. Plus spécifiquement, nous endossons les normes de l'Association médicale canadienne et le code de déontologie qui prévaut dans la province de Québec.

En fait, il y a plusieurs codes de déontologie qui existent et nous n'en développons pas un de notre côté. Nous nous assurons que les facultés de médecine présentent et enseignent adéquatement les questions d'éthique et s'attaquent adéquatement aux questions qui surgissent.

Une des questions que je signalais un peu plus tôt aujourd'hui est non seulement celle de la responsabilité du médecin envers son patient, ce qui a toujours été amplement développé dans les codes d'éthique qui nous gouvernent au Canada actuellement, mais également celle de la ou des responsabilités respectives de la profession médicale, ou la médecine, et de la société tout entière. C'est une question fondamentale à laquelle la profession devra répondre et qu'elle a déjà commencé à étudier et à laquelle va certainement contribuer le Collège royal.

Non, nous ne nous abstenons pas, mais nous n'allons pas dans le détail. Nous nous assurons que les questions d'éthique fassent clairement partie de la responsabilité des facultés de médecine, qu'elles soient adéquatement enseignées sans pour autant prétendre définir en détail les règles qui gouvernent chaque spécialité.

Le président: Madame Picard.

Mme Pauline Picard: J'aimerais avoir votre avis sur les codes d'éthique et de déontologie actuels ou sur ce code en relation avec la transplantation de tissus, les dons d'organes et la xénotransplantation. Est-ce qu'à l'heure actuelle, on n'est pas dans une espèce d'impasse? N'est-il pas exact que les règles ne sont pas claires? J'ai l'impression que chaque organisme est de bonne foi, mais que les règles du jeu ne sont pas claires.

Dr Michel Brazeau: Je partage cette opinion voulant que chaque organisme qui participe soit de bonne foi. Je ne suis pas aussi convaincu que vous que les discussions sont toujours poussées autant qu'elles pourraient ou devraient l'être, mais je crois qu'on espère tous que cela devienne le cas.

• 1245

Je ne sais pas si vous voulez que je traite de cette question-là d'une façon plus particulière. Malheureusement, vous me demandez mon avis personnel. Je suis microbiologiste infectiologue. Ma participation aux activités de transplantation est donc bien particulière. Je ne suis probablement pas la meilleure personne pour vous répondre. Je crois que bien d'autres personnes qui sont passées devant vous pourraient vous donner un avis personnel plus éclairé pour répondre à votre question.

Mme Pauline Picard: Je voudrais adresser ma question à Mme Starzomski. Vous avez parlé de graves problèmes d'éthique et de déontologie, du fait que les infirmières s'inquiètent du choix pour la transplantation en ce qui concerne les soins des donneurs et des receveurs, de la question des croyances culturelles et du fait que cela n'était pas suffisamment transparent. Est-ce qu'aucune formation de principe au niveau de l'éthique et de la déontologie en ce qui concerne la stratégie de transplantation de dons d'organes et de tissus n'est donnée au personnel infirmier?

[Traduction]

Dre Rosalie Starzomski: Merci de votre question. Pour ce qui est de l'enseignement de base, j'enseigne dans une école de formation des infirmiers et infirmières de sorte que nous renseignons nos étudiants sur l'essentiel des questions de transplantation et d'éthique. Nous donnons également des renseignements à nos étudiants sur le genre de problèmes particuliers qui concernent les différences ethnoculturelles.

Il y a des unités de soins où un certain nombre d'infirmières ont suivi des programmes d'études différents. Elles sont prises par leur travail quotidien dans ces unités avec tous le stress, les soins aux patients, etc. que cela entraîne. Leur éducation présente souvent certaines lacunes et, par exemple, elles ne parlent pas beaucoup de la façon dont elles ressentent les questions déontologiques liées à la greffe d'organes. Les hôpitaux, en règle générale, en parlent peu. Nous sommes tous et toutes occupés à faire quelque chose, mais très souvent nous n'avons pas l'occasion de parler de ce que nous faisons.

Lorsque je faisais mon enquête, j'ai organisé trois groupes de discussion qui réunissaient des infirmières en soins de phase aiguë. Lorsque j'ai parlé à ces infirmières, elles m'ont dit que c'était la première fois qu'elles avaient l'occasion d'exprimer ensemble leurs opinions et leurs idées sur la greffe d'organes. Ce sont ces mêmes infirmières qui, tous les jours, administrent des soins aux donneurs et aux receveurs. Ainsi, il est très difficile, dans les hôpitaux, de consacrer du temps, après avoir été formées, à discuter de ces questions.

Lorsque je parlais du problème ethnoculturel, je voulais dire qu'il faut transmettre certains renseignements pour que, selon les unités des soins intensifs, le don d'organe soit présenté d'une façon à ne pas heurter ceux qui sont originaires de groupes culturels différents. D'après les recherches que nous avons effectuées, les membres de certains groupes culturels hésitent plus que d'autres à faire don de leurs organes.

Même si la recherche en la matière est très limitée et que nous devons poursuivre nos travaux dans ce domaine, tout dépend de la personne qui présente l'information, si la personne est originaire du même groupe culturel à qui l'organe sera donné ainsi que du type d'information présenté. Nous, occidentaux, venons d'une culture déontologique très autonome alors que d'autres groupes culturels proviennent d'une culture déontologique axée sur la famille. Le travail ne manque pas dans ce domaine. Là encore, nous n'y avons pas porté grande attention dans nos unités de soins intensifs.

[Français]

Le président: Une dernière question.

Mme Pauline Picard: Je m'intéresse beaucoup à la xénotransplantation. J'ai l'impression qu'on n'a pas eu beaucoup d'information là-dessus. Dans le cadre de la formation que vous donnez aux futurs professionnels des soins de santé, abordez-vous cette nouvelle pratique de la la xénotransplantation?

[Traduction]

Dre Rosalie Starzomski: Voilà une autre très bonne question. Personnellement, je le fais car je travaille dans le domaine de la greffe d'organes depuis 20 ans. Cette question m'intéresse au plus haut point et je veille à ce que les étudiants qui travaillent avec moi aient l'occasion d'en parler. Mais je ne crois pas que ce soit nécessairement le cas partout car tout le monde a des intérêts différents.

• 1250

Dans le domaine de l'éthique, c'est la même chose. J'ai été consultante en éthique à l'hôpital de Vancouver et lorsque j'en ai discuté avec mes collègues, j'ai constaté que certains étaient très peu au courant de ce qui se passait dans le domaine de la greffe entre espèces, tout simplement parce qu'ils s'intéressaient à autre chose.

Donc, en la matière, d'après ce que j'ai pu constater et d'après les observations dont m'ont fait part d'autres gens au cours des derniers mois, la xénotransplantation devrait faire l'objet de débats publics beaucoup plus nombreux. Il faut rédiger des articles là-dessus au sein de notre propre profession. Les infirmières doivent y réfléchir. Les médecins aussi. Nous pouvons étudier le document que nous avons reçu un peu partout dans le pays et qui a été publié à la suite du forum sur la xénotransplantation. Mais je crois qu'il faut en parler à un autre niveau, il faut que cela donne lieu à un plus grand nombre de débats publics.

Le président: Merci, madame Starzomski.

Madame Redman

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Pour revenir à la dernière observation faite par le docteur Starzomski, quel est le meilleur moyen ou la meilleure tribune qui nous permettrait de rendre ce débat public sans qu'il soit circonscrit à une discussion entre un petit groupe de professionnels?

Dre Rosalie Starzomski: Votre question est très intéressante. Je vais vous laisser une copie de mes travaux de recherche sur le débat public de ces types de questions éthiques. J'ai constaté que ces discussions intéressent toutes sortes de gens, où qu'ils soient ou quelles que soient leurs origines.

J'ai eu des discussions de type table ronde avec des gens dans un quartier du centre-ville de Vancouver qui ne connaissaient rien des greffes d'organes, sauf ce qu'ils avaient entendu dans les médias, mais ces questions ne les laissaient pas indifférents, en particulier la xénotransplantation.

J'ai parlé à des groupes confessionnels, à des élèves d'écoles secondaires et à des personnes âgées et c'était toujours la même chose. Une fois le débat lancé, ces personnes étaient intarissables.

Nous devrions adopter un mode d'action polyvalent, et nous pourrions organiser des discussions en petits groupes dans diverses villes un peu partout dans les provinces. Il faut que le gouvernement fédéral en discute davantage, de même que les médias, et les gens pourraient participer à la discussion de ces questions dans différents établissements d'enseignement. L'approche adoptée devrait donc être polyvalente.

Mme Karen Redman: Merci.

Docteur Brazeau, vous avez dit que l'éthique ne devrait pas être un débat qui se livre actuellement uniquement entre la société et la médecine. Là encore, ce débat devrait être porté sur la place publique. Pourriez-vous dire quel serait, à votre avis, le meilleur moyen de le faire?

Dr Michel Brazeau: Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que ce débat devrait être davantage public. Ce faisant, je critique peut-être un peu ma propre profession, mais nous avons de tout temps établi le contact avec le public en passant par les rapports que nous entretenons avec nos patients et nous avons également a porté certaines de nos inquiétudes plus spécifiques sur la place publique.

Dorénavant, nous devrons davantage engager le débat public et un des éléments qui rendra cette tâche plus facile à la profession médicale, c'est que, à mesure que les services médicaux et les services de soins de santé se développent en particulier dans le monde occidental, les gens auront dans un proche avenir ce qu'ils attendent de leurs médecins. Continueront- ils d'être ceux qui défendent avant tout les intérêts de leurs patients ou la société considérera-t-elle les médecins comme des individus qui offrent des services établis par les gouvernements ou les instances responsables, qui s'intègrent aux programmes adoptés?

Il est manifeste que les médecins estiment que c'est là un des débats publics les plus importants qui auront lieu. Ce ne sera pas le seul, mais cela nous amènera à participer davantage aux discussions et débats publics sur des sujets qui, espérons-le, s'apparenteront à celui dont nous discutons aujourd'hui.

Mme Karen Redman: À votre avis, quel rôle le gouvernement fédéral devrait-il jouer dans ces discussions? Y avez-vous pensé?

Dr Michel Brazeau: Nous y avons plus que pensé. Nous avons déjà entamé des discussions avec le gouvernement fédéral et ces discussions se poursuivent. Nous devons être disposés à entamer des discussions avec toutes les instances qui participent à la prestation des services de soins de santé.

Nous ne devons oublier aucun aspect. Ce n'est pas ce que nous avons fait par le passé. Dans une certaine mesure, les médecins se sont sentis laissés pour compte alors qu'un certain nombre de débats importants avaient lieu ces dernières années.

• 1255

J'ai également essayé d'indiquer aux médecins qu'à mon avis—et je crois que beaucoup de mes collègues sont du même avis—qu'ils se sont également soustraits des débats publics. Le moment est venu de changer notre fusil d'épaule et je pense qu'il est maintenant tout indiqué de se replacer au sein de ces débats publics. Et à mesure que nous le ferons, cela nous obligera à engager une discussion avec le grand public, avec ses représentants et avec les gouvernements, qu'ils soient fédéral ou provinciaux. Je sais fort bien que la santé est du ressort des provinces, mais je crois que toutes les instances et tous les participants devraient discuter de ces questions. Les médecins sont tout disposés à participer à ces discussions.

Mme Karen Redman: Madame Jefferson, vous avez parlé du rôle des infirmières en soins de phase aiguë qui doivent aborder les familles avec tout le tact voulu; vous dites aussi que vous êtes responsables d'un patient et, selon l'issue de la maladie, il se peut que les infirmières en soins de phase aiguë soient obligées de porter deux casquettes. Votre organisation sait-elle qui sont les mieux adaptés à cette situation? Les infirmières en soins de phase aiguë sont-elles les mieux placées pour aborder la famille d'un donneur éventuel?

Mme Rosella Jefferson: Non, l'ACISPA n'a pas créé de programme de recherche ou n'a pas fait d'enquête officielle à ce sujet. Mais nous ne manquons pas d'idées et nous en avons beaucoup discuté.

Nous avons entendu parler des préposés aux acquisitions d'organes. Cela nous inquiète un peu, je dois dire. Après tout, nous nous occupons du patient et nous voulons participer à ces discussions. Je crois que le rapport établi entre le préposé aux acquisitions d'organes et l'infirmière en soins de phase aiguë serait très important. Il faudrait qu'il y ait collaboration et qu'on se serve des liens établis entre l'infirmière et la famille.

Parfois ces liens ne durent pas très longtemps, mais parfois ils durent assez longtemps. Tout dépend du laps de temps que le donneur passe dans les services de soins intensifs avant la mort cérébrale.

Mme Karen Redman: Madame Nield, dans la dernière observation que vous avez faite, vous avez parlé d'un appel à l'action et il est agréable d'entendre que le gouvernement fédéral n'est pas le seul visé. Ce ralliement s'adresse à tous les intéressés.

Mme Sharon Nield: Merci.

Le président: M. Vellacott voudrait poser une question très brève.

M. Maurice Vellacott: Je regrette que nous n'ayons pas pu vous entendre plus tôt, Rosella, mais je voulais savoir si vous, infirmière en soins de phase aiguë, vous voudriez que la définition de la mort cérébrale soit plus laxiste ou si cette définition vous convient telle qu'elle existe maintenant.

Mme Rosella Jefferson: Merci de m'avoir posé cette question. J'y réfléchissais justement.

La définition de mort cérébrale comme norme régissant le don d'organes me convient, et lorsque je disais tout à l'heure qu'il fallait porter le débat à un autre niveau, c'est qu'on constate ici que cette question pose des problèmes à certains selon le niveau d'éducation, de sensibilisation et d'aisance; beaucoup de questions d'ordre éthique se posent également.

Si la mort est prononcée lorsque le cortex meurt, je crois que vous vous contenterez tout simplement de multiplier les débats et les incertitudes et qu'il faudra en débattre et en discuter ad infinitum sans parler de la collaboration. C'est déjà assez difficile de devoir aider une famille à composer avec la mort à l'heure actuelle, mais si vous changez la définition, je crois que le tout deviendra beaucoup plus compliqué.

Le président: Merci.

Je voudrais poser deux questions très brèves avant de mettre un terme à cette réunion. Je voudrais revenir au Dr Brazeau car vous avez soulevé une toute autre question lorsque vous avez parlé du rôle des médecins et des spécialistes dans la collectivité et j'ai tout de suite pensé évidemment à la question de responsabilité. Je crois que c'est ce à quoi pense pratiquement tout le monde, y compris les médecins. J'ai bien aimé la réponse que vous avez donnée à une question que vous avez vous-même posée sur ce qu'il fallait faire dans ce genre de situation.

Permettez-moi de vous donner un exemple très précis et je vous pose cette question pour que ce soit bien clair. Lors de la greffe de rein, si un chirurgien fait une faute professionnelle, je suppose qu'il faut s'adresser à l'ordre des médecins et chirurgiens provincial responsable de l'accréditation de ce chirurgien. Mais je me demande qui réglerait ces cas-là pour les greffes d'organes.

• 1300

Dr Michel Brazeau: Pourriez-vous répéter votre question? J'essaie d'écouter chaque mot qui s'y trouve.

Le président: Cela me rappelle ce dont on accuse les Américains, c'est-à-dire que chaque fois qu'on va voir un médecin, il faut être accompagné d'un avocat. C'est la première fois que quelqu'un fait attention à ce que je dis, alors un grand merci à vous, docteur Brazeau.

Pour reprendre la question que je vous ai posée, lorsque quelqu'un veut formuler une plainte contre, par exemple, un chirurgien ayant fait une greffe de rein, la première chose à faire, la première instance responsable, serait l'ordre des médecins et chirurgiens provincial. Mais je me demande s'il ne devrait pas y avoir un organisme national responsable des greffes d'organes et dans ce cas, qui le serait.

Dr Michel Brazeau: Avant de parler d'organisme national, et je pense que nous devons périodiquement nous pencher sur des questions comme celle-ci à tous les niveaux, je ne crois pas qu'il faille d'abord s'adresser à l'ordre des médecins et des chirurgiens d'une province. J'ai déjà été président d'un conseil des médecins dans un hôpital universitaire et président d'un comité d'évaluation dans un hôpital universitaire et je dois dire que, dans les hôpitaux eux-mêmes, il existe déjà des mécanismes qui permettent de régler ces problèmes. Les hôpitaux comptent des comités cofraternels d'évaluation, des comités d'éthique, et aussi d'ardents défenseurs au sein de la communauté. Ainsi, lorsque vous êtes confronté à un problème de ce genre, vous devez tout d'abord vous adresser à l'hôpital lui-même.

Si vous n'arrivez pas à résoudre votre problème, vous devez effectivement alors vous adresser à l'ordre des médecins et chirurgiens de votre province. L'ordre des médecins a pour mandat de protéger le public.

Devrions-nous prévoir autre chose? Grosso modo, je crois que nous constatons un peu partout et dans tous les aspects des services de soins de santé, que nous devons regrouper nos expériences, nos modèles et nos modes d'action. Seuls, nous n'avons pas une idée très claire de la réalité. Notre idée de la réalité est très subjective et il est manifeste que c'est en regroupant les divers éléments du puzzle, c'est-à-dire en présentant les diverses perspectives qui existent et en discutant, que nous ferons des progrès. J'y prête donc un appui total. En médecine, nous avançons toujours. Finalement, il n'y a pas de frontières; nous les dépassons tout le temps. Sur certaines questions importantes, nous nous adressons à la communauté internationale et nous ne voudrions pas que notre action soit freinée par des cadres limitatifs.

Cependant, je ne crois pas qu'il faille créer un organisme national chargé de résoudre tous les problèmes quotidiens. Nous verrions d'un bon oeil une augmentation progressive des ressources. Pour régler certains problèmes précis, je crois qu'il vaut mieux en général essayer de les régler sur place et il existe déjà des moyens au sein même des hôpitaux qui permettent de résoudre ces problèmes. Si une solution satisfaisante n'est pas trouvée, il appartient manifestement à l'ordre des médecins de chaque province de s'en charger. Mais il ne faudrait pas s'arrêter là. En sciences, en médecine, nous avons toujours eu l'occasion et l'avantage d'aller plus loin.

Le président: Merci, docteur Brazeau. Je vous ai rendu la pareille en écoutant chaque mot que vous avez prononcé également.

Je voudrais poser ma dernière question à Liz Anne Gillam-Eisen. Lors de la dernière table ronde, et dans d'autres également, nous avons parlé de consentement éclairé et de registre. Je pense que vous en avez également parlé et je me demande si le simple fait de consigner son nom dans le registre constitue, du moins à votre avis, un consentement éclairé.

Mme Liz Anne Gillam-Eisen: À mon avis, non. Je crois qu'il faut sensibiliser la population à la mort cérébrale, à son diagnostic, à la façon dont elle est diagnostiquée ainsi qu'aux organes et tissus qui peuvent être donnés sans parler de la durée de la procédure.

Ce n'est pas tout que d'apposer votre signature au dos de votre permis de conduire ou de signer un registre. Tous les renseignements ne s'y trouvent pas. Pour les besoins de la médecine, il faut qu'il y ait consentement éclairé, c'est-à-dire que l'information doit être transmise à la personne en question ou, en cas d'incapacité de cette personne, à ses proches. Je ne crois pas que ceux qui discutent de leur intention aient suffisamment de renseignements à leur disposition pour prendre une décision vraiment éclairée. Je pense que tous les renseignements sur les dons d'organes sont très importants. C'est très important à leurs yeux, mais cela ne constitue pas un consentement éclairé pour les besoins de la médecine.

• 1305

Ce n'est pas un gros problème s'ils connaissent les désirs de leur famille. Parmi les centaines de familles que j'ai connues, seules deux d'entre elles sont allées à l'encontre des désirs exprimés. Dans un cas cependant, c'était à cause du donneur. Lorsque j'ai expliqué le processus, on m'a répondu que cette personne se serait sentie mal à l'aise. Il ne se rendait pas compte qu'il devait passer en salle d'opération et être branché sur ventilateur, et s'il l'avait su, il n'aurait jamais consenti à faire un don d'organes. Il ne savait pas ce qu'on entendait par mort cérébrale.

Le président: Je vous remercie de cette explication.

Je suis sûr que tous les membres du comité ont trouvé cette séance fort intéressante. Chaque séance semble un peu plus instructive, vraisemblablement parce que nous sommes de plus en plus sensibles à la question.

Je voudrais remercier chacun de vous de votre temps et de votre patience, ainsi que de la franchise avec laquelle vous avez répondu à toutes nos questions. Au nom de tous les membres du comité, merci infiniment. Je peux vous assurer que cette discussion fera partie intégrante de nos débats.

La séance est levée.