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SCRA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON CORRECTIONS AND CONDITIONAL RELEASE ACT OF THE STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

SOUS-COMITÉ SUR LA LOI SUR LE SYSTÈME CORRECTIONNEL ET LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITION DU COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 13 mai 1999

• 0910

[Traduction]

Le président (M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): La séance est ouverte. Se réunit aujourd'hui le sous-comité du Comité permanent de la justice et des droits de la personne qui a été chargé d'examiner la Loi sur le système correctionnel et la mise en libération sous condition.

Nous accueillons devant nous des témoins. M. Scott Newark est conseiller spécial au Bureau pour victimes de violence de la province de l'Ontario. Bienvenue, monsieur Newark. Je suis certain que vous avez de nombreuses fois déjà comparu devant des comités et des sous-comités. Notre façon de procéder prévoit que vous disposiez d'environ dix minutes pour faire votre déclaration, ce qui nous laissera 20 minutes pour les questions des députés.

M. Scott Newark (conseiller spécial, Bureau pour victimes de violence, Ministère du Procureur général de l'Ontario): Oui, monsieur. Je suis très heureux d'être de retour. C'est en fait la première fois que je comparais devant le comité dans ma nouvelle vie, si vous voulez, celle de conseiller juridique spécial. J'avais au départ pensé qu'en me retrouvant au sein d'une grosse organisation comme un gouvernement, je disposerais d'une capacité administrative accrue. Malheureusement, témoin le fait que j'ai failli ne pas trouver l'hôtel et, comme certains d'entre vous l'ont remarqué, que j'étais toujours en train de trier mes documents avant d'entrer dans la salle, ce n'est pas ce qui est arrivé. J'ai néanmoins une copie du mémoire qui a été remis au greffier du comité ce matin, et dont la traduction n'est pas encore prête mais vous sera transmise dès que nous l'aurons.

Il y a un document auquel je compte me reporter ce matin qui, si j'ai bien compris, n'a pas encore été officiellement déposé auprès du comité. Il s'agit d'un document interne du Service correctionnel du Canada (SCC) et que j'essayais d'organiser dans le hall, et qui, lui aussi, vous sera transmis dès qu'il sera complet. Il se pourrait cependant que je m'y reporte. Vous pourrez donc suivre dans le document une fois qu'il sera arrivé.

Le président: Excusez-moi, monsieur Newark. S'agit-il bien d'un document interne du Service correctionnel du Canada?

M. Scott Newark: Oui.

Le président: Et comment ce document vous est-il parvenu?

M. Scott Newark: Dans une enveloppe brune.

Le président: C'est la meilleure sorte.

M. Scott Newark: Cela est ironique, car j'avais justement compté dire quelques mots là-dessus. C'est pourquoi je demandais si M. Wappel allait être ici ce matin. J'ai pour la première fois comparu devant un comité de la justice en 1989 ou en 1990, il me semble. Je pense que M. Rosen est en train de chercher lui aussi dans ses souvenirs. Ma comparution découlait de l'obtention par moi d'autres documents internes du Service correctionnel du Canada. Cela avait débouché sur une série d'audiences du Comité de la justice sur ce qui se passait du côté des pratiques du Service correctionnel du Canada. Il semble, malheureusement, que beaucoup de ce qu'a examiné le comité et de ce sur quoi il a posé des questions recommence. Le document dont je parle est une lettre qui a en fait était citée publiquement et dont ont parlé des journalistes. Je suis certain qu'il n'y a plus rien de confidentiel dans ce document.

Le président: Très bien. Si je vous pose la question, c'est que cela me préoccupe lorsque nous recevons des documents dont les sources sont inconnues. Nous allons cependant rencontrer plus tard des représentants du Service correctionnel du Canada alors nous pouvons prendre cela pour argent comptant, à condition de pouvoir interroger les porte-parole du Service correctionnel du Canada sur ce document une fois que nous l'aurons en mains.

M. Scott Newark: Parfait. Il porte la signature d'une personne qui est un vieil ami, ou en tout cas qui l'était.

Le président: Très bien.

M. Scott Newark: Si vous permettez, j'aimerais commencer par dire que le document que nous avons préparé pour vous contient plusieurs recommandations de fond visant des améliorations qui devraient, selon nous, être apportées à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ainsi qu'à des textes de loi auxiliaires traitant de questions relatives au système correctionnel. Je vais très brièvement les passer en revue. Vous pourrez parcourir le document à votre guise. Il n'y aura sans doute rien de tout à fait nouveau là-dedans pour quiconque. Nombre de ces idées flottent dans l'air depuis longtemps. Peu importe que vous choisissiez d'adopter, d'explorer, de modifier ou d'envisager quelque chose, je vous soumets qu'il y a ici une question beaucoup plus vaste dans le contexte de la loi que vous êtes en train d'examiner en tant que pouvoir législatif du gouvernement, que cette loi et que les modifications que vous lui apportez soient ou non en fait administrées par le pouvoir exécutif du gouvernement.

J'ai parlé tout à l'heure de ma comparution originale devant le comité. Ce qui s'est passé, en fait, c'est qu'en tant que procureur, en Alberta, j'avais été contacté, comme cela vient tout juste de se passer encore une fois, par des gens du Service correctionnel du Canada qui étaient préoccupés par ce qui se passait au sein de leur institution, qui m'ont fourni des renseignements et qui se sont adressés au Comité de la justice, presque naïvement, à l'époque, en ce sens qu'étant donné qu'il s'agissait d'une loi fédérale, il aurait fallu faire appel aux législateurs du Comité de la justice. C'est en fait un député du nom de Willie Littlechild, qui siégeait au comité, qui s'était occupé d'organiser ma comparution devant celui-ci.

J'avais déposé des documents troublants sur ce qui s'était en fait passé dans le cas de l'évasion de prison d'un détenu de grand renom, qui avait fini par tuer une ou deux personnes. Vous vous souviendrez peut-être que la documentation qui avait été fournie par le Service correctionnel du Canada avait été très largement censurée. Et cela avait été fait non seulement pour le grand public mais également pour les députés. Ce qui avait révolté les députés c'est qu'ils avaient bien vu qu'en tant que législateurs s'efforçant de s'acquitter de leurs responsabilités relativement à l'étude de lois, on les privait des renseignements dont ils avaient besoin.

• 0915

Ce qui s'est en fait passé, je pense, c'est que la documentation originale que j'ai apportée ne faisait que poser certaines questions. Ce qui était important était que le Comité de la justice—et cela remonte aux environs de 1990 ou 1991—même si le gouvernement à l'époque était d'une autre couleur, a, chose ironique, mené la charge. Soit dit en passant, le comité a poursuivi en déposant 15 rapports unanimes. Parmi les personnes qui ont mené la charge, c'est-à-dire qui ont posé les questions et qui sont allées là où la vérité les a amenés, on retrouve l'actuel premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Russ MacLellan. Une autre de ces personnes, je pense, est un juge, George Rideout, de Moncton. Il y avait John Nunziata; Derek Lee, qui a tout récemment fait une étude sur l'importance pour le pouvoir législatif d'obtenir les renseignements dont il a besoin; et l'autre, dont j'espérais la présence ici aujourd'hui, était M. Wappel.

Ce que j'essaie de dire, dans cette longue introduction, c'est que le comité, lorsqu'il a été saisi de ces renseignements, a choisi de poser des questions et de continuer d'en poser jusqu'à ce qu'il obtienne suffisamment de réponses. Le comité avait au départ été entravé et il lui avait fallu recourir à un autre comité de la Chambre pour obtenir une décision selon laquelle on reconnaissait aux députés, en tant que pouvoir législatif du gouvernement, le droit de connaître la vérité. Ils ont obtenu cette décision et ils ont obtenu les renseignements et, sauf tout le respect que je vous dois, depuis lors, on a apporté des améliorations à l'administration et à la loi en matière de services correctionnels et qui ont bénéficié à tous les Canadiens.

Peu importe quelle est votre philosophie en matière de système correctionnel, de libérations sous condition, et ainsi de suite. Au fond, la question était et demeure, je pense, encore aujourd'hui la suivante: qui est responsable? Je vous dirais, et je vais approfondir un petit peut cet aspect-là, que les documents qui ont été déposés relativement à l'administration ne serait-ce que de l'actuelle loi soulèvent des questions troublantes. Je vous exhorte donc, avant toute chose, à prendre les mesures nécessaires pour déterminer la vérité.

Très rapidement, dans les documents que nous déposons auprès de vous, nous faisons état d'un certain nombre d'améliorations qui pourraient être apportées relativement aux renseignements fournis par les victimes lors des auditions de contrevenants, ainsi qu'au niveau du rôle de l'enquêteur correctionnel, ce que j'avais déjà suggéré lors de ma comparution dans le cadre de l'étude du projet de loi C-36, tel qu'on le connaissait à l'époque, et qui est la loi dont vous êtes aujourd'hui saisis. Comme vous le savez, à l'heure actuelle, c'est dans une grande mesure une route à sens unique. Vous faites surtout enquête sur les plaintes des détenus. Nous pensons que ce bureau était une si bonne idée qu'il faudrait peut-être l'autoriser à enquêter sur les plaintes d'employés ou de simples citoyens, au lieu de placer les victimes de crimes... Comme c'est beaucoup trop souvent le cas, les personnes qui ont souffert des actes d'un détenu ayant obtenu une libération conditionnelle d'un genre ou d'un autre... que ce service soit élargi, qu'il ait les mêmes pouvoirs, mais qu'il se penche sur ce genre de plainte, au lieu d'imposer, comme je sais que vous savez que c'est le cas, une multiplication de poursuites au civil et même d'enquêtes. On sait qu'il y en a de plus en plus, au moins au palier fédéral.

Des suggestions ont été faites en matière de règlements et de politiques visant à empêcher le contact entre le contrevenant et les victimes de son crime lorsque celui-ci n'est pas souhaité. Si vous permettez que je résume, tout cela s'inscrit dans la façon dont le système fonctionne et il s'agirait de voir comment la loi sur le système correctionnel pourrait être modifiée pour mieux traiter avec les personnes victimes de crime.

Le deuxième volet du mandat de mon bureau—et je pense que cela vaut pour la prévention de la criminalité dans son ensemble—est non seulement de quelle façon traiter avec les gens qui ont été victimes de crime, mais également quelles mesures prendre pour empêcher que des personnes soient victimes à l'avenir? C'est là le revers de la prévention criminelle. En ce sens, nous vous soumettons que vous voudrez peut-être envisager de modifier la méthode de calcul des peines.

Encore une fois, je veux être juste. À mon avis, et j'ai une certaine expérience de la chose, nous avons fait d'énormes progrès législatifs depuis 1993. Je me souviens d'une affaire que j'avais portée à l'attention du Comité de la justice, qui examinait ces cas de façon plus routinière. Il y avait deux types: Foulston et Crews. Je pense que ce devait être en 1993, car c'était juste avant les élections. Le Comité de la justice a déposé son 14e rapport. Celui-ci renfermait une série de recommandations découlant de l'étude de cette affaire. La conférence de presse avait eu lieu dans l'ancienne pièce 130-S, et le président, Bob Horner, Tom Wappel et Derek Lee, et, je pense, Ian Waddell du NPD, avaient conjointement tenus la conférence de presse en vue de déposer le rapport et de faire ces recommandations très précises. M. Wappel avait traversé la rue et s'était rendu à une conférence donnée par le chef de l'opposition d'alors, qui est aujourd'hui le premier ministre, pour annoncer que cela faisait partie de la plate-forme du Parti libéral. J'avais écouté bien sagement, j'avais tout pris en note et lorsque ce parti a pris le pouvoir, je lui ai demandé: vous souvenez-vous de cela? Qu'on distribue tout cela. Une bonne partie, mais pas tout, figurait dans le premier projet de loi C-45.

• 0920

Nous avons donc fait des progrès, par exemple en ce qui concerne le calcul de la peine. Il reste cependant des choses à faire. Nous pensons qu'il serait possible et souhaitable de renforcer les sanctions dans le cas de crimes commis en libération conditionnelle. En d'autres termes, que l'on fasse une distinction entre les personnes, fort heureusement pas trop nombreuses encore, qui abusent de notre confiance en commettant d'autres crimes lorsqu'elles sont en liberté sous condition, et les autres. Que l'on maintienne, bien évidemment, le processus d'ensemble pour les libérations conditionnelles, mais qu'on applique différentes mesures aux différentes catégories de contrevenants.

Je pense, comme je l'ai dit, que nous avons fait certains progrès sur ce plan, mais nous avons ici la possibilité de faire plus encore. La création d'un délit de violation de libération conditionnelle est une question qui a fait l'objet de nombreux projets de loi d'initiative parlementaire. La logique suivie m'échappe complètement. Si c'est un crime de violer une condition de probation par suite d'une condamnation pour vol à l'étalage, pourquoi n'est-ce pas un crime de violer une condition de libération conditionnelle suite à une condamnation pour meurtre? Je n'ai jamais reçu de réponse satisfaisante à cette question. Peut-être que quelqu'un pourrait m'en fournir une.

Cela en étonnera peut-être certains, mais j'aimerais suggérer un élargissement des pouvoirs de la Commission nationale des libérations conditionnelles. En fait, ce que je suggère véritablement ici c'est que vous envisagiez sérieusement de supprimer la nature statutaire de la liberté d'office afin de permettre que cela fasse tout simplement partie du processus décisionnel discrétionnaire en matière de conditions suivi par la Commission nationale des libérations conditionnelles. De la même façon, si vous estimez que cela ne mérite pas votre attention, je vous suggérerais... et vous voudrez peut-être vous pencher sur certaines affaires en particulier, et je pourrais certainement vous fournir des noms. Comme vous le savez, à l'heure actuelle, la détention ne peut se faire que si le SCC demande l'incarcération. Il y a eu de nombreux cas que je connais dans lesquels la Commission nationale de libérations conditionnelles n'a eu aucun choix, et il se pourrait fort bien que si elle avait pu dire, que cette personne soit recommandée pour détention ou non, nous avons des questions au sujet de... Je dis cela à la lumière, surtout, de certaines des suggestions troublantes contenues dans les documents internes et selon lesquels il y aurait un mouvement actif de la part des dirigeants du SCC en vue de réduire le nombre de personnes renvoyées pour incarcération.

Je dirais donc qu'il nous faut d'une façon ou d'une autre élargir les pouvoirs de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

D'après ce que j'ai compris, vous aviez devant vous il y a quelque temps un projet de loi qui n'avait pas très bien réussi. Je vous recommanderais d'examiner l'une des dispositions qu'il contenait. Elle visait les peines consécutives. Je ne parle pas de la première partie de l'article, qui prévoit des peines consécutives obligatoires pour les infractions sexuelles, mais plutôt d'une chose dont M. Rock et moi-même avons d'ailleurs discuté, lorsqu'il était ministre de la Justice, lors d'un débat venimeux sur l'article 745: il s'agissait de ce petit groupe de contrevenants, les personnes jugées coupables d'homicides multiples, et de permettre une période discrétionnaire consécutive d'inadmissibilité pour cette catégorie de contrevenants. Cela ne relève pas strictement de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libération sous condition, mais il s'agit manifestement d'une question connexe. Je vous la soumets afin que vous puissiez l'examiner.

Je suppose que dans le cadre des audiences en cours—et je demande votre indulgence, car cela fait quelque temps que je ne suis plus dans la boucle fédérale—le comité va envisager d'étendre l'application du projet de loi C-3 aux banques de données relatives à l'ADN. Je pense que dans mon mémoire je vous encourage à retourner en arrière examiner les arguments déposés à l'époque de l'étude du projet de loi C-3, qui disait que ce serait une très bonne idée et qu'il serait éminemment justifiable de permettre la prise d'échantillons étant donné que cela est déjà autorisé en vertu de la Loi sur l'identification des criminels, même si cela se limite aux infractions énumérées dans le projet de loi C-3, mais sans utiliser les restrictions franchement artificielles qui y figurent à l'heure actuelle. Il n'y a sans doute rien de plus efficace pour trouver les coupables de crimes graves non encore résolus et pour prévenir des crimes futurs.

Enfin, chose qui a une pertinence provinciale... Comme vous le savez, il y a un écart entre l'application des dispositions de la Loi sur les prisons et maisons de correction et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il n'y a aucun pouvoir de détenir dans le cadre de l'administration provinciale d'une peine. C'est là une question que l'un des représentants de la Commission ontarienne des libérations conditionnelles ici présent voudra peut-être examiner de plus près, mais je vous dirais, avec tout le respect que je vous dois, que vous voudrez peut-être regarder cela de plus près. Il s'agit en fait d'étendre l'application des dispositions de la LSCMLC à la Loi sur les prisons et les maisons de correction pour les peines de moins de deux ans. Il me semble que ce serait logique.

J'aimerais maintenant conclure en revenant sur certains documents et en vous donnant un petit peu la chronologie de toute cette question de savoir si la LSCMLC est ou non en train d'être administrée d'une façon qui est fidèle et à la lettre et à l'esprit de la loi.

• 0925

Nous avons pour la première fois pris connaissance de cela, comme beaucoup d'autres, dans le courant de l'été 1998 lorsque, encore une fois, et je rappelle cela aux gens, il ne s'agissait pas tout simplement de documents déposés au Parlement. Cela n'a pas été déposé auprès du comité; cela n'a été transmis à personne sauf sous enveloppe brune par des gens à l'intérieur du système et qui s'inquiétaient de ce qui se passait.

Récemment, comme vous le savez peut-être, il me semble, il y a eu une conférence dans l'Ouest au cours de laquelle on a pour la première fois discuté de la réalisation d'un système de traitement égal pour les détenus sous garde et les détenus non sous garde. Cela a été suivi par un éditorial interne et, là encore, je vous rappellerais qu'il ne s'agit pas là d'une chose que d'autres personnes ont plus ou moins interprétée. Il s'agit littéralement d'un éditorial du commissaire du Service correctionnel du Canada, paru dans la publication de ce dernier, et que vous avez, je le présume, vu. Il n'y a aucun doute que figurent dans cet éditorial une cible numérique et une date à laquelle cette cible devrait être atteinte.

• 0930

Lorsque cela a été rendu public, il y a eu immédiatement, ou presque immédiatement, réfutation par le ministre d'alors. Je peux vous dire que pour moi, personnellement, et je connais plusieurs autres personnes—j'ai discuté avec une de ces personnes hier soir, Mme de Villiers, qui avait eu une conversation avec le solliciteur général au sujet de cette réfutation. Je dois avouer que cela m'a au moins amené à me demander pourquoi, si une telle politique était réfutée, l'on n'interrogerait pas l'auteur du document pour déterminer comment les choses s'étaient passées, car il s'agit d'un écart assez sérieux par rapport au modus operandi du gouvernement.

Cependant, cela a été suivi par la réception par nous de la note de service dont j'ai fait état, datée du 3 juillet, de l'administrateur le plus important du service correctionnel en Ontario, Brendan Reynolds. Il y parle de ce qu'on a appelé Operation Bypass, et traite en des termes très précis de la question de l'égalisation. On y fixe des cibles numériques. Il s'agit à toutes fins pratiques d'un plan détaillé sur la marche à suivre pour réduire le nombre de détenus. On y trouve...

Le président: Pour votre gouverne, monsieur Newark, M. Reynolds a comparu devant le comité hier, et M. Wappel a examiné cette question dans le détail avec lui.

Je constate que votre recommandation 11 dit que le commissaire devrait être convoqué de nouveau.

M. Scott Newark: Oui.

Le président: Le commissaire n'a pas encore comparu. Il va comparaître devant le comité le 31 mai. Cette question a été examinée de façon approfondie avec chacun des sous-commissaires que nous avons rencontrés dans le cadre de notre tournée.

M. Scott Newark: Très bien. J'apprécie que vous me disiez cela.

Le président: Je peux vous assurer que le comité est sensible à la question et qu'il l'examine.

M. Scott Newark: Dans ce cas, je vais dire quelques mots, en guise de conclusion, au sujet de questions qui devraient à mon avis vous préoccuper très sérieusement.

J'ai constaté que dans le rapport du vérificateur général qu'il semble y avoir en annexe une liste de quelque 60 contrevenants qui, au cours des quelque dix dernières années environ ont eu droit à une forme ou une autre de libération conditionnelle et ont, pendant leur libération, tué. Je peux vous assurer que si nous parcourions cette liste, vous y repériez des cas qui reflètent certains des principes et des moyens de réalisation des quotas qui figurent dans la note de service de M. Reynolds: ne pas renvoyer un détenu même s'il a violé les conditions imposées; transférer des détenus à des établissements à sécurité minimale alors que leur comportement ne le justifie pas; ne pas renvoyer des personnes pour détention lorsque leur comportement indique pourtant que ce serait la chose à faire.

Je m'occupe de cela depuis bien plus longtemps que je n'aurais jamais souhaité. Je m'y suis intéressé parce que des personnes dont les enfants avaient été tués me demandaient comment le système judiciaire pouvait agir de la sorte. Je veux vous dire qu'au cours des dix dernières années environ que j'ai consacrées à ce travail, rien ne m'a donné plus de frissons que de lire cela, car je croyais qu'on avait réussi à vaincre cette façon de penser. Je peux vous assurer que si l'on ne met pas fin à cela, il y a des gens qui vont mourir—un avocat qui représente nombre de ces familles, un type du nom de Tim Danson, que vous connaissez peut-être, dit que «cela arrivera aussi sûrement que le soleil se lèvera demain». Sauf le respect que je vous dois, je ne vois rien de plus clair que cela.

Mises à part les questions de sécurité publique qui interviennent, je vous dirais qu'au fond il s'agit de la question de l'importance du pouvoir législatif du gouvernement. Bien franchement, vous pourriez mettre en oeuvre tous les changements que je propose ici, ce qui serait fort bien, mais si leur administration par le pouvoir exécutif du gouvernement contrecarrait la fin visée, cela ne donnerait pas grand-chose.

Encore une fois, cela en étonnera peut-être certains, mais je pense qu'il serait terrible qu'il nous faille en bout de ligne prendre des mesures pour supprimer l'aspect discrétionnaire dans la façon dont notre système d'ensemble fonctionne, mais si c'est cela qu'il faut pour que cette marge de manoeuvre discrétionnaire ne soit pas exploitée ou manipulée pour obtenir des résultats artificiels, ce qu'une lecture en diagonale de cette note de service fait ressortir comme étant la fin expressément visée, alors c'est cela qu'il faudrait faire. Je vous soumets que ce serait un pas en arrière monumental, qu'on devrait pouvoir éviter.

Le comité a littéralement exigé des comptes du pouvoir exécutif du gouvernement relativement au système correctionnel et à la libération sous condition au début des années 90. Il me faut vous dire que je pense qu'il est temps que le comité prenne sur lui de jouer de nouveau ce rôle, et je suis très encouragé de constater que vous avez réinvité M. Ingstrup à comparaître en tant que témoin.

• 0935

Merci beaucoup.

Le président: Il va comparaître devant nous. Ce sera sa première comparution.

M. Scott Newark: Oui, monsieur.

Voilà qui met fin à mes remarques liminaires, et je ferai de mon mieux pour répondre aux questions que vous voudrez me poser.

Le président: C'est bien. Merci, monsieur Newark.

Monsieur Abbott, afin de nous en tenir à l'horaire prévu, il faudra que nous ayons des tours de cinq minutes.

M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Réf.): Très bien. C'est malheureux, mais tant pis.

Monsieur Newark, j'aimerais tout simplement confirmer, aux fins du procès-verbal, que vous travaillez présentement pour le gouvernement de l'Ontario.

M. Scott Newark: C'est exact, monsieur.

M. Jim Abbott: À quel titre?

M. Scott Newark: Je suis conseiller spécial auprès d'un bureau créé il y a environ un an qui a pour nom Bureau pour victimes de violence.

M. Jim Abbott: Vous parlez donc en fait au nom du gouvernement de l'Ontario.

M. Scott Newark: Non, je parle au nom du Bureau pour victimes de violence.

M. Jim Abbott: Très bien. Je constate que je suis en accord avec vous sur la majeure partie de votre mémoire. Vu l'heure, j'aimerais qu'on se concentre très rapidement sur une ou deux choses.

À la page 11, vous parlez de votre période d'inadmissibilité consécutive pour meurtres multiples, ce qui, bien sûr, interviendrait au niveau de la date de libération en vertu de la LSCMLC—il y a ici un argument que je n'accepte pas, et j'aimerais vous interroger là-dessus. Il y a un argument selon lequel l'incarcération de ces personnes pendant des périodes prolongées n'accomplit rien. Qu'en dites-vous?

M. Scott Newark: Tout dépend de ce que vous voulez accomplir. Notre régime de justice pénale a une histoire qui a vu l'élaboration de principes d'établissement de peines sur plusieurs centaines d'années. La réadaptation n'est qu'un principe de la détermination des peines. En fait, si vous regardez la plupart des jugements de cours d'appel, vous verrez que dans des affaires allant de vol à l'étalage au meurtre il y a en règle générale une phrase qui dit que toutes les peines sont un sage mélange de principes. Compte parmi ces principes l'espoir de réadaptation, la dissuasion spécifique—c'est-à-dire visant l'intéressé et demandant qu'il ne refasse jamais la même chose—la dissuasion générique—voyez ce qui lui est arrivé à lui—et la dénonciation, qui permet à la société d'exprimer franchement sa révulsion face à un comportement donné. Ce qui est tout aussi important—et cela nous vient de John Stuart Mill, en fait—est que l'on renforce de façon positive l'importance de la vie et de tout le reste. Chaque peine est un mélange de tout cela.

En règle générale, on a une grande marge de manoeuvre quant à la détermination du mélange de principes. Dans les cas de meurtre, c'est différent. On a en fait—vous autres ou vos prédécesseurs—établi un cadre. Le peuple canadien a dit quel devrait être le mélange de principes.

Il n'y a bien franchement pas de magie dans le fait de dire qu'une seule période d'inadmissibilité est pour quelque raison meilleure que des périodes d'inadmissibilité différentes. Il s'agit, sauf le respect que je vous dois, d'une chose qu'il revient à vous de décider. Le fait qu'une personne ne soit pas mieux réadaptée ne répond pas à la question fondamentale qui est la suivante: quel est le but de la peine? Je vous soumettrai respectueusement que si quelqu'un a tué plus d'une personne, il est normal que sa peine reflète cela et qu'il y ait, littéralement, reconnaissance de chacune des vies perdues. Je pense donc qu'on pose en définitive la mauvaise question.

M. Jim Abbott: Permettez, encore une fois, que je me fasse l'avocat du diable, car je ne prétends pas que les questions que je pose sont les miennes; ce sont plutôt celles qu'on me pose à moi. Si l'on prend les personnes coupables de meurtres multiples, surtout celles qui ont beaucoup fait parler d'elles, et qu'on les enferme chacune dans un espace de 50 pieds carrés pour les laisser sortir une heure par jour seulement, à quoi cela sert-il?

M. Scott Newark: J'ai quelques idées quant à des solutions de remplacement de ce genre de peine, mais je ne pense pas que ce soit là...

Le président: Ce n'est pas vraiment cela qui est sur la table.

M. Scott Newark: Je ne pense pas que ce soit cela qui est sur la table.

C'est une question tout à fait légitime. Je pense, comme je le disais, que cela sert à montrer aux autres que c'est vraiment très mal de tuer, et que c'est encore pire de tuer beaucoup de gens, et que les conséquences pour le coupable sont assez désagréables. Le style dans chaque affaire pénale c'est Regina contre un tel. Ce n'est pas parce que tout est arrivé en Saskatchewan; c'est à cause du fait que ce qui est en jeu ici ne se limite pas au seul intérêt du contrevenant. Nous tous y avons un intérêt. Cela inclut les victimes de crime qui, je peux vous le dire, en tout cas d'après mon expérience, ont beaucoup de difficulté à comprendre un système judiciaire qui dit qu'il y a une pénalité et que les deux choses sont en quelque sorte collées ensemble. Ils trouvent cela vexant, bien franchement.

• 0940

M. Jim Abbott: Quant à la crise du quota 50-50—bien sûr, on nie qu'il existe un quota—l'argument a été que si l'on examine toutes ces affaires, ce sera là le résultat probable. Acceptez-vous cet argument?

M. Scott Newark: Non, parce que j'ai lu la note de service de M. Reynolds et elle est très claire. En fait, elle est presque menaçante. Il faut comprendre à qui elle s'adresse. Elle s'adresse à des personnes qui ne semblent pas se plier à l'Operation Bypass. Vous voudrez peut-être demander à M. Ingstrup ce qu'on contourne ici. Je pense pour ma part que c'est la loi.

L'important est qu'il est très clair que cela est assorti de cibles numériques. Parfois les choses sont un petit peu confuses avec le rapport du vérificateur général, qui laissait entendre qu'on ne traitait pas suffisamment rapidement les dossiers. Je l'ai parcouru hier soir, et, sauf le respect que je vous dois, j'y ai trouvé un certain nombre de conclusions bizarres. On va apparemment maintenant traiter les plans de libération des gens avant même qu'ils ne soient incarcérés, ce qui me dépasse carrément.

Au cas où quelqu'un pense que l'Operation Bypass ne soit plus en vigueur, je vous recommanderais de lire le rapport du vérificateur général. Je pense que cela se trouve à la page 4. Le rapport du Vérificateur dit que l'Operation Bypass est entrée en vigueur en février 1999.

Le président: Ce sont là les renseignements que nous avons reçus.

M. Scott Newark: La question est la suivante: qu'est-ce que l'Operation Bypass? Je vous dirais que lorsque vous lirez la note de service de M. Reynolds, portant sur l'Operation Bypass, vous verrez qu'il n'y a aucun doute que le but est l'établissement de cibles en matière d'égalisation et de cibles numériques. Je suppose que l'on pourrait discuter des termes employés pour se demander s'il s'agit ou non d'un quota, mais lorsqu'il y a établissement d'une direction numérique, alors je vous dirais que si ça ressemble à un canard et que ça marche comme un canard, alors c'en est sans doute un.

Le président: Merci, monsieur Abbott.

[Français]

Monsieur Marceau, vous avez cinq minutes.

M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Monsieur Newark, il me fait plaisir de vous revoir aujourd'hui; nous nous sommes déjà rencontrés dans le passé.

Monsieur Newark, je dois dire que j'ai été un peu surpris de ne pas trouver dans le document que vous nous avez présenté votre point de vue sur la procédure d'examen expéditif. C'est un enjeu depuis le début des audiences.

Plusieurs personnes nous ont fait part des problèmes qu'elles avaient face au caractère automatique de la procédure d'examen expéditif. Si, après avoir purgé un sixième de sa peine, un individu n'a pas commis certaines infractions prévues dans l'annexe 1 de la loi, il y a libération. J'aimerais avoir votre opinion sur ce point.

[Traduction]

M. Scott Newark: Je conviendrai de façon générale qu'il faut être très prudent pour tout ce qui est rendu automatique lorsque vous parlez d'une chose qui est, en théorie, un privilège qu'il faut mériter. Cela étant dit, cependant, là où je travaillais autrefois, nous avions une revue, et nous y avons un jour publié un article au sujet du système correctionnel et des libérations conditionnelles. Nous avions interviewé un certain nombre de gardiens, de chargés de cas, etc. L'une des observations qui m'avait frappé était sortie de la bouche de quelqu'un qui avait été gardien dans un établissement assez dur: il avait dit que le pire endroit pour essayer de réadapter une personne était sans doute les prisons fédérales.

Un élément tout à fait légitime et important du système correctionnel est de viser la réadaptation. Je pense que la clé de la réussite est de choisir les bonnes personnes, et je ne suis pas convaincu que des mécanismes automatiques soient la bonne façon de faire.

[Français]

M. Richard Marceau: Tout à l'heure, vous nous avez dit que cela pouvait surprendre certaines personnes, mais que vous croyiez avoir une bonne connaissance du système.

Ne croyez-vous pas qu'au lieu de rendre la procédure d'examen automatique, on devrait laisser cela à la discrétion de ceux qui sont capables de juger de la question, qui sauraient si telle personne peut bénéficier de la procédure d'examen expéditif? Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'un pénitencier fédéral est probablement la meilleure université du crime qu'on puisse trouver.

• 0945

Ne vaudrait-il pas mieux laisser cela à la discrétion d'une personne compétente? Elle saurait qui on peut laisser sortir et qui on doit garder à l'intérieur de l'institution. Est-ce que ce ne serait pas mieux pour la protection du public et pour les détenus que d'avoir quelqu'un qui décide si la personne concernée peut bénéficier ou non de la procédure d'examen expéditif?

[Traduction]

M. Scott Newark: Oui. Pour ajouter quelque chose à cela, la restriction que j'aimerais, je pense, prévoir, et cela remonte aux principes de la détermination des peines, est qu'il faudrait veiller à ce que cela ne s'applique que dans le cas de certaines catégories d'infractions. Si vous le voulez bien, j'aimerais vous donner un exemple.

Admettons qu'une personne est condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier fédéral pour une accusation de conduite en état d'ivresse. Il faut avoir fait quelque chose d'assez grave pour se faire envoyer dans un pénitencier fédéral. D'après mon expérience, il faut avoir un casier judiciaire plutôt chargé, avec une dizaine de condamnations environ. Je vous garantis que si une personne est envoyée dans un pénitencier fédéral par suite d'une seule accusation de conduite en état d'ivresse, sans morts et sans blessés, vous lirez dans les remarques du juge quelque chose du genre «le public a le droit d'être à l'abri de votre comportement sur la route».

Ce qui m'a toujours préoccupé relativement à ce genre de libération extrêmement accélérée est que si l'on libère une personne aussi vite que cela, cela va en fait à l'encontre de l'objet de la peine au départ. Je reviens aux principes dont j'ai parlé tout à l'heure. La réadaptation n'est pas le seul: il y a toujours la notion de dissuasion générale et celle de dissuasion spécifique.

Je pense que ce qui est vraiment important... Je suis de votre avis lorsque vous dites que ce devrait être discrétionnaire par opposition à obligatoire. Si ça semble être indiqué au bout des deux tiers de la peine, c'est certainement indiqué au bout du sixième. Mais je pense que ce sur quoi il importe vraiment de se pencher c'est la question des infractions qu'il faudrait exclure...

[Français]

M. Richard Marceau: Justement, je voudrais savoir...

[Traduction]

M. Scott Newark: ...comme les infractions liées au crime organisé.

[Français]

M. Richard Marceau: Oui. Il y a ce problème mais il y en a d'autres aussi. Je vais vous donner un exemple.

Il y a quelques semaines, j'ai été amené à commenter de façon assez détaillée un cas qui s'est produit à Sherbrooke, au Québec. Un importateur de cocaïne ou d'autres drogues dures avait été condamné à quelque chose comme 18 ou 20 ans. Il a pu sortir au bout de trois ans, ce qui avait causé de fortes réactions parce que ce que vendait cette personne se retrouvait finalement dans la communauté assez tranquille qu'est Sherbrooke.

Il y a plusieurs mois, j'ai déposé un projet de loi d'initiatives parlementaires, et les gens de Sherbrooke en étaient assez contents. Par ce projet de loi, on voulait rendre plus complète la liste des infractions en vertu desquelles un condamné ne peut bénéficier de la procédure d'examen expéditif. Vous avez mentionné le crime organisé; j'avais inclus dans ce projet de loi le trafic de drogue et le blanchiment d'argent.

Est-ce qu'un élargissement de la liste qui inclurait ces deux infractions serait une bonne idée? Deuxièmement, pourriez-vous nous mentionner d'autres infractions qui, selon vous, si elles étaient commises, empêcheraient la personne de bénéficier de la procédure d'examen expéditif?

[Traduction]

M. Scott Newark: Je pense que la réponse aux deux questions est oui, bien que je n'aie pas eu le temps de regarder cela d'assez près, bien franchement, pour vous donner une réponse intelligente. Je vous encouragerais à y réfléchir, et je serais heureux de le faire moi-même et de vous communiquer plus tard le fruit de la réflexion.

Permettez-moi d'ajouter tout simplement que ce qui consterne le plus le public dans tout le régime judiciaire, ce sont précisément les genres de cas que vous avez mentionnés. Quelqu'un lit un jour dans le journal un article sur une affaire très connue et constate que l'accusé a une longue peine d'emprisonnement. Puis, au bout d'une période de temps relativement courte, sans explication ni préavis, voilà que le type est de nouveau libre. Cela est particulièrement frappant, je pense, dans le cas de personnes qui ont une longue histoire de démêlés avec la police.

La caractéristique marquante de notre système judiciaire—et je sais qu'en tant que procureur, M. MacKay est au courant de cela lui aussi, et c'est sans doute le cas de quiconque travaille dans le domaine—est qu'il y a un nombre disproportionnellement faible de contrevenants qui sont responsables d'un nombre disproportionnellement élevé de crimes.

Je pense que nous avons fait de réels progrès, sur le plan législatif, depuis 1993, en ciblant en définitive certains éléments de ce groupe. Avec tout le respect que je vous dois, je pense qu'une partie du travail du comité par le passé, surtout relativement à la question de la détention, qui nous a véritablement permis de garder plus longtemps derrière les barreaux les pires criminels, a été tel que ce n'est pas un accident... Si vous regardez les chiffres, vous verrez qu'au fur et à mesure de l'augmentation du taux de détention—et lorsque j'ai vérifié la dernière fois, il était d'environ 4 p. 100; mais il avait été aussi bas que 1 p. 100—parce qu'on gardait enfermés pendant plus longtemps les pires contrevenants, alors l'incidence des crimes les plus graves a elle aussi baissé.

Ce n'est pas vraiment compliqué, et il est clair qu'à partir d'un certain point, le taux de rendement marginal plafonne et il n'y a plus d'avantages à en tirer, mais ce genre d'approche fonctionne vraiment lorsque vous ciblez le bon groupe de délinquants.

• 0950

Comme je le disais, je pense que nous avons fait de réels progrès depuis 1993. J'estime qu'on pourrait en faire davantage encore, tout en conservant—et je tiens à ce que cela soit bien clair ici—la valeur fondamentale évidente des libérations conditionnelles. Le truc a toujours été, dans le cas des libérations conditionnelles, de choisir les bonnes personnes et de veiller à assurer une supervision adéquate. Je vais me pencher là-dessus, monsieur, et je vous reviendrai.

Le président: Merci. Merci, monsieur Marceau. La parole est maintenant à M. MacKay, pour cinq minutes.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président, et merci à vous, monsieur Newark. Vos remarques très éclairées viennent de nouveau renseigner le comité et nous offrir une perspective unique. Vous avez une expérience très variée dans ce domaine.

Vous parlez de cibler le bon élément criminel et le bon groupe de personnes responsables de la perpétration de ces crimes. Est-il juste de dire qu'il est extrêmement important d'avoir également en place les bonnes personnes, par exemple à la Commission nationale des libérations conditionnelles et au SCC, c'est-à-dire de trouver les personnes qui ont la bonne philosophie, je suppose, à l'égard des effets de la réadaptation? Cela paraîtra peut-être un petit peu sévère, et ce n'est pas une opinion populaire dans certains milieux, mais reconnaissant le fait qu'il y a dans notre société certaines personnes qui ne peuvent pas être réadaptées...

Lorsque vous parlez de principes de détermination de la peine, tous ces principes que vous avez expliqués au comité—et le fait qu'il faille avoir une approche équilibrée—sont à mon avis assujettis au plus important principe en matière de détermination de la peine, soit la protection du public, des personnes qui choisissent de vivre dans le respect de la loi par opposition à celles qui choisissent le contraire.

Je suppose que cette longue question que je vous pose peut être résumée comme suit: que pouvons-nous faire, en tant que comité, pour veiller à ce que ceux qui prennent véritablement la décision, ceux qui appliqueront les lois rédigées ou modifiées par nous, agissent conformément aux bons principes et aux bonnes philosophies?

M. Scott Newark: Il y aurait plusieurs choses à dire à ce sujet. Pourquoi ne pas examiner tout cela dans l'ordre que vous avez vous-même suivi? Vous avez mentionné la Commission nationale des libérations conditionnelles. On m'a repris là-dessus il y a quelque temps, lorsque certains cas du genre survenaient, et je pense qu'en règle générale la Commission nationale des libérations conditionnelles attirerait le gros de l'attention du public. Mais à y regarder de plus près—et l'ancien président de la commission me l'a rappelé de façon plus directe un soir à un dîner—l'on constate que la Commission nationale des libérations conditionnelles prend des décisions en s'appuyant sur les renseignements fournis par le Service correctionnel du Canada: si ce qui rentre est de qualité, ce qui sortira le sera aussi; mais le contraire est également vrai. C'est là la vérité fondamentale que tout le monde doit comprendre. Plus particulièrement, si la commission reçoit des renseignements qui s'alignent sur un parti pris donné, alors il me semble que ce sera préoccupant pour elle.

Vous vous intéressez à la philosophie des personnes en poste. Franchement, je ne recommanderais qu'une seule caractéristique: que ces personnes sachent comment exécuter des ordres. J'exagère un petit peu, pour faire passer le message, et peut-être que cela fait un petit peu vieux jeu, mais nous adoptons bel et bien des lois et nous nous attendons à ce que les gens les respectent au lieu de chercher à les contourner. C'est là la qualité que je rechercherais chez les cadres supérieurs—des personnes qui suivent ce que dit la loi.

Ce que vous avez dit au sujet du principe de la protection du public est tout à fait juste. En fait, je me souviens d'un débat qu'a eu ce même comité là-dessus, en 1991, je pense, lorsque c'était le projet de loi C-36 qui était à l'étude. Il y avait eu toute une discussion sur l'inclusion dans le projet de loi de ces principes. Il est là, ce principe; si vous regardez la LSCMLC, vous verrez qu'il est là.

Le président: C'est exact.

M. Scott Newark: En fait, la documentation que j'ai fournie à mes nouveaux employeurs est si claire en ce qui concerne cette obligation, tant dans le cadre du processus décisionnel que dans celui des actes à exécuter et des tâches prévues dans la loi, que l'utilisation de tout quota artificiel ou de tout facteur extérieur artificiel serait non seulement mal avisé, mais bien illégal.

Comme vous le savez, si l'on vous accorde quelque pouvoir discrétionnnaire administratif et si l'on vous donne une liste de choses dont vous êtes censés tenir compte, si vous sortez de cette liste pour y intégrer autre chose, c'est illégal. Peu importe que les textes disent qu'aucune personne aux cheveux blonds ne doit bénéficier d'une libération conditionnelle. L'important est que la loi fixe les critères, sur la base d'une évaluation du risque, de la gestion du risque et d'un sage mélange des facteurs qui sont, je pense, généralement en place, et non pas quelques références numériques ou objectifs souhaités.

• 0955

Voilà ce que je recommanderais. Il vous faudrait peut-être—et cela fait d'ailleurs l'objet d'une de mes recommandations—examiner cela et veiller à ce que les obligations et les tâches soient établies de façon un petit peu plus claire.

Permettez-moi d'ajouter encore un élément à cela. J'ai commencé à examiner l'effet du non-respect de la loi. En vertu de l'article 126 du Code criminel, quiconque contrevient à une loi du Parlement, autre que le Code criminel, en accomplissant volontairement une chose qu'elle défend ou en omettant volontairement de faire une chose qu'elle prescrit, commet un crime. Vous voudrez peut-être faire en sorte que soient claires comme de l'eau de roche les obligations prévues dans la loi et la nécessité d'inclure dans le dossier tous les renseignements pertinents, et de ne rien exclure, de quelque façon que ce soit, tout simplement pour éviter tout malentendu.

M. Peter MacKay: Monsieur Newark, vous étiez vous-même autrefois procureur. Lorsque vous examiniez cette affaire d'un prétendu système de quota—dont l'existence a été vigoureusement niée à tous les niveaux depuis que cela est sorti—dans les documents que vous avez déposés ici aujourd'hui et dans d'autres rédigés par le commissaire lui-même, Ole Ingstrup, il est question d'un partage 50-50, avec 50 p. 100 des détenus dans la communauté, de programmes de réintégration, d'égalisation, de la population en établissement et dans la communauté, de la réduction de la population des prisons, d'objectifs, de ratios et de cibles. Ce sont tous là des termes que j'ai retrouvés dans les documents rédigés ou par M. Reynolds ou par M. Ingstrup.

Si vous présentiez une affaire au tribunal et que vous possédiez des documents renfermant ce genre de preuve—peu importe les termes employés—cela ne constituerait-il pas pour vous une indication que non seulement ce système de quota a été proposé mais qu'il est bel et bien en vigueur au moment même où l'on se parle?

M. Scott Newark: J'ai décrit le document de M. Reynolds comme étant un plan détaillé pour la mise en oeuvre d'objectifs en matière d'égalisation. Je l'ai lu de nombreuses fois. Cela me dépasse complètement que l'on puisse nier... En fait, nous avons écrit... Cela figure dans les documents, sous forme d'annexe. Je pense que ce qu'il faut, si l'on veut changer les choses, c'est ceci: tous les détails contenus dans ce document du 3 juillet devraient être réfutés, comme l'a été la déclaration originale.

Quelqu'un du pouvoir exécutif du gouvernement pourra peut-être alors demander ce qui se passe avec les cadres supérieurs du SCC pour les amener à faire ces choses. Mais ce n'est pas forcément là une question pour vous. Ce qui est, je pense, une question pour vous est la suivante: vous devriez obtenir une réfutation claire et catégorique—ou une confirmation claire et catégorique—du contenu de ces documents.

Le président: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur Grose, vous disposez de cinq minutes.

M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur Newark, j'aimerais vous féliciter. Il semble que vous réussissiez toujours à me faire avancer plus loin sur la route que n'importe qui d'autre avant que je ne me dise: attendons un petit instant.

Passons à la recommandation 7. C'est là le récif vers lequel je ne cesse de diriger mon bateau. Cela m'intéresse. Il semble que ce soit une autre façon de contourner ce à quoi je m'oppose farouchement, et je veux parler ici des peines consécutives obligatoires.

Vous insérez le mot «peut», ce qui me ravit. Mais je me demande pourquoi... Dans la mesure où le juge peut déjà maintenant, s'il le veut, imposer des peines consécutives, et où il peut toujours imposer l'inadmissibilité à la libération conditionnelle s'il le veut, je me demande quelle est la mécanique de la chose. Si vous avez commis plusieurs meurtres et que vous purgez une peine, comment diable pourrait-on vous imposer l'inadmissibilité à la libération conditionnelle si vous avez purgé la première peine?

M. Scott Newark: Je ne suis pas certain de comprendre. Voulez-vous dire par là...

M. Ivan Grose: Eh bien, je ne comprends pas...

M. Scott Newark: ...quelqu'un qui est trouvé coupable de meurtres multiples commis à une seule et même occasion.

M. Ivan Grose: Oui.

M. Scott Newark: Utilisons un cas réel à titre d'exemple. Lorsque le juge LeSage a condamné M. Bernardo conformément à ce qui est prévu dans la loi, il a dit: «Je vous condamne à l'incarcération à vie sans admissibilité à une libération conditionnelle pendant 25 ans». Je crois que nous savons tous que ce n'est pas tout à fait vrai, qu'il peut demander un examen judiciaire après 15 ans, mais je suis très heureux de voir cette modification à la loi fédérale en ce qui concerne les victimes, car il faudra maintenant—à vous de choisir—«permettre» ou «exiger» que le juge dise la vérité, car ils vont dire: «mais il peut faire une demande au bout de 15 ans»...

M. Ivan Grose: Oui.

M. Scott Newark: Tout ce qui se passerait c'est que le juge dirait...

Le président: Excusez-moi, monsieur Newark. Les modifications apportées à l'article 745 visaient les tueurs de victimes multiples et...

M. Scott Newark: Mais cela ne s'appliquerait pas à lui.

Le président: Car son affaire est venue avant ces changements?

M. Scott Newark: C'est exact.

Le président: Dommage.

M. Scott Newark: Comme vous vous souviendrez, nous avons essayé de faire en sorte que cela soit rétroactif, mais quelqu'un a dit que ce n'était pas possible.

Tout ce qui se passerait, c'est que le juge dirait: «J'ai examiné tous les éléments de preuve fournis et je vous condamne à l'incarcération à perpétuité, et étant donné les circonstances de cette affaire...» Nous pouvons même définir... Les Américains, par exemple, ont des circonstances aggravantes. Le juge dirait: «J'ordonne que vous ne soyez admissible à la libération conditionnelle qu'après avoir purgé deux peines de 25 ans chacune, pour un total de 50 ans», ou 25 plus 10, ou autre chose encore. Mais lors de la détermination de la peine, le juge pourrait prévoir une période d'inadmissibilité pour chaque mort causée par l'intéressé. Je pense que c'est ainsi que cela fonctionnerait, du point de vue mécanique.

• 1000

M. Ivan Grose: C'est en fait exactement la même que des peines consécutives.

M. Scott Newark: En effet. La différence à l'heure actuelle est que la loi, comme vous le savez... Remontons au projet de loi C-251. L'idée dans le premier article de ce projet de loi était de rendre l'imposition de peines consécutives obligatoire pour les crimes sexuels. À l'heure actuelle, c'est discrétionnaire, et le tribunal peut, s'il le veut, imposer des peines consécutives... sauf pour meurtre, auquel cas le tribunal ne peut pas le faire. Il y a une condamnation à perpétuité, et c'est exclu; que la personne ait tué une fois, deux fois ou cinq fois, c'est la même peine.

• 1005

Tout ce que ferait cette modification—et vous avez tout à fait raison; c'est discrétionnaire—serait de permettre à la cour, dans une affaire comme celle de Bernardo, dans le cadre de laquelle il y a des crimes distincts et très séparés par opposition à un seul geste qui fait plusieurs victimes, de dire: «Très bien; ayant entendu tous les éléments de preuve, je vais imposer une peine distincte—et parlons carrément, la pénalité ici, ou, si vous voulez, la portion punitive, c'est le temps passé sous garde—je vais dire qu'il y a une pénalité supplémentaire consécutive correspondant à chacune des personnes que vous avez tuées».

M. Ivan Grose: Très bien. Nous allons nous arrêter là. Je comprends maintenant ce que vous essayez de faire.

Ce qui va suivre est sans doute davantage une observation qu'une question. Cette affaire de quota ne cesse de revenir sur le tapis et de nous faire perdre notre temps. En ce qui nous concerne, si nous réalisons ce ratio 50-50, les conséquences seront si minimes, comparativement à la situation en Europe où il s'agit plutôt de 80-20 ou de 90-10, que cela n'est vraiment pas important. Cela ne changera rien. Notre ratio à l'heure actuelle, comme nous l'avons appris hier, est d'environ 60-40. J'aimerais que quelqu'un essaie d'atteindre le rapport européen de 75-25 ou 80-20.

M. Scott Newark: Monsieur Grose, bien franchement, ce ne sont pas les chiffres qui m'ennuient. Pour être parfaitement franc avec vous, je surveillais autrefois ces questions—notamment, la proportion de ceux à l'intérieur et à l'extérieur. La première fois que j'ai vu cela, je ne savais pas si l'on était déjà arrivé à 50-50. Ce ne sont pas forcément les chiffres ou les résultats qui devraient nous préoccuper.

Par ailleurs, sauf le respect que je vous dois, j'estime que cette question n'est pas un perte de temps ici. Il est question de l'autorité d'ensemble du pouvoir législatif du gouvernement.

La question ici est celle des moyens que vous utilisez pour réaliser cet objectif. Si, en suivant les bonnes méthodes d'évaluation des risques et de contrôle de la qualité du processus décisionnel, vous obtenez pour résultat final 50-50 ou 40-60, je ne pense pas qu'il y aurait lieu pour l'un quelconque d'entre nous de se plaindre. La question, cependant, se pose lorsqu'on largue ces principes, ces principes établis dans la loi, en vue d'atteindre ce résultat. Voilà à mon avis, monsieur, dans quelle circonstance l'on aura de graves problèmes.

M. Ivan Grose: C'est là la réponse que j'espérais. Merci beaucoup.

M. Scott Newark: Très bien.

Le président: Merci, monsieur Grose.

Monsieur Newark, merci encore.

J'aimerais apporter un petit éclaircissement au sujet de la comparution du commissaire. Le commissaire a comparu devant le Comité permanent des prévisions des dépenses, mais il n'a pas comparu devant le comité ici réuni. Je suis certain que toute cette question de quotas sera examinée dans le détail avec lui.

M. Scott Newark: J'espère en tout cas que vous aurez plus de temps pour l'interroger que vous n'en avez eu avec moi.

Le président: Eh bien, la journée d'aujourd'hui est très chargée.

M. Scott Newark: Merci beaucoup.

Le président: Merci.

Les témoins suivants représentent la Commission ontarienne des libérations conditionnelles. Il s'agit de MM. Louis Théorêt et Dennis Murphy.

• 1010

[Français]

Je vous accorde une dizaine de minutes pour votre présentation, et les membres du comité auront une vingtaine de minutes pour vous poser des questions.

M. Louis Théorêt (membre supérieur, Commission ontarienne des libérations conditionnelles): Je suis très au courant pour ce qui est du temps. Je pense que l'autre témoin a eu plus d'une demi-heure. Nous serons le plus concis possible.

[Traduction]

Bonjour, et merci d'avoir invité la Commission ontarienne des libérations conditionnelles à venir comparaître devant le sous-comité pour le saisir de nos préoccupations relativement à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Dennis Murphy et moi-même, en tant que membres supérieurs de la commission, comparaissons devant vous au nom de Ken Sandhu, qui est le président de la commission. Il avait malheureusement déjà pris un engagement à l'extérieur de la province et n'a donc pas pu venir aujourd'hui.

La Commission ontarienne des libérations conditionnelles (COLC) est convaincue que le système de mise en liberté sous condition du Canada pourrait être amélioré grâce à des modifications significatives de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je vais traiter des questions qu'a abordées le président dans sa lettre du 5 janvier 1999 au sous-comité, et qui ont fait l'objet d'une réponse officielle du ministère du Solliciteur général et des Services correctionnels de l'Ontario.

Avant de passer en revue nos préoccupations, j'aimerais porter à votre attention l'énoncé de mission de la Commission ontarienne des libérations conditionnelles:

    La Commission ontarienne des libérations conditionnelles, qui fait partie du système canadien de justice pénale, a le pouvoir légal de mettre en liberté conditionnelle et surveillée des adultes condamnés à purger des peines dans des établissements correctionnels ontariens. La commission, composée de représentants de la collectivité, accueille la participation des victimes de crimes aux décisions qu'elle doit prendre d'un point de vue indépendant, juste et objectif. Son objectif primordial est de protéger la population en ne libérant que les détenus considérés comme représentant un risque contrôlable.

Nous avons reformulé notre énoncé de mission l'an dernier pour traduire notre désir de faire une plus large place à la participation des victimes au processus de libération conditionnelle et de protéger la population. Nous estimons que ces aspects doivent également être mis en valeur dans la LSCMLC.

Permettez-moi d'être plus précis.

La COLC est favorable au principe directeur selon lequel la Commission des libérations conditionnelles doit «tenir compte de toute l'information pertinente disponible». Conformément à ce principe, il y aurait lieu de renforcer la responsabilité d'autres institutions, comme la police, les tribunaux, les établissements correctionnels et les fournisseurs de services de santé, qui devraient être tenus de fournir aux commissions fédérales et provinciales des libérations conditionnelles les renseignements leur permettant de fonctionner plus efficacement.

En d'autres termes, il y aurait lieu de modifier la législation eu égard à la police, aux tribunaux, aux établissements correctionnels et aux fournisseurs de services de santé de façon que ces institutions comprennent leurs responsabilités à cet égard. Il ne suffit pas que la LSCMLC déclare simplement, d'un point de vue unilatéral, que les commissions devraient disposer de toute l'information nécessaire.

Nous recommandons également que soit modifiée la LSCMLC pour garantir que les commissions aient accès aux dossiers médicaux pertinents, dans le cas surtout de contrevenants ayant une propension à la violence sexuelle et(ou) physique. Nous nous intéressons à l'information dont pourraient disposer les services de santé—externes aux établissements correctionnels—concernant les antécédents psychologiques et psychiatriques des détenus eu égard à la sécurité de la population ou de certaines personnes, afin de procéder à une évaluation plus efficace des risques.

Nous recommandons également de modifier le Code criminel du Canada, qui exige que les tribunaux communiquent de l'information au Service correctionnel du Canada, de telle sorte que cela englobe les services correctionnels provinciaux. Notre expérience montre que ce genre d'information nous aide à rendre des décisions plus éclairées en matière de libération.

La formulation du principe directeur selon lequel «le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible» pose un problème pour la COLC. Elle peut donner lieu à des interprétations diverses et pourrait être contraire au paragraphe 101(a) qui dit que «la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas».

• 1015

L'idée d'un «règlement le moins restrictif possible» est peut-être davantage un problème aux premières lignes de la chaîne du système de justice pénale—police et juges—qu'au stade des décisions prises par les établissements correctionnels et les commissions des libérations conditionnelles. La COLC recommande que ce principe soit retravaillé ou alors carrément supprimé.

Les détenus fédéraux dont on estime qu'ils sont susceptibles de commettre un crime entraînant la mort ou des blessures graves à une autre personne, un crime sexuel à l'égard d'un enfant ou une infraction grave associée à la drogue avant l'expiration de leur peine peuvent être gardés en prison par la Commission nationale des libérations conditionnelles jusqu'à l'expiration finale du mandat, conformément aux articles 129 à 132. Ces dispositions en matière de détention ne s'appliquent pas aux détenus qui purgent leur peine dans des établissements provinciaux. La COLC a déjà fait part de ses préoccupations à l'égard de la mise en liberté de détenus provinciaux du même genre qui ne sont pas assujettis à des conditions de libération et qui constituent un risque très grave pour la société lorsqu'ils ne sont plus surveillés.

C'est en raison de sa détermination à protéger la population que le gouvernement de l'Ontario a, en 1996, adopté la Loi sur la sécurité communautaire. Cette loi donne à la police et aux agents des services correctionnels, et notamment à la COLC, le pouvoir légal de communiquer des renseignements à d'autres sphères de compétences juridiques, aux victimes et à la population au sujet de tels contrevenants à risque élevé.

Si l'on intégrait des dispositions analogues à la LSCMLC, l'on inciterait plus vigoureusement toutes les parties du système de justice canadien à prendre des mesures, notamment en partageant l'information, dans l'intérêt du but commun qui est de garantir la sécurité publique. La Commission ontarienne des libérations conditionnelles s'inquiète de l'actuel système de libération d'office et du taux de succès relativement faible, selon le document de consultation, des détenus fédéraux relâchés dans la collectivité dans ces conditions.

Nous pensons que l'intérêt de la collectivité est mieux servi par un système de libération fondé sur une évaluation approfondie et globale des risques, avec supervision par la collectivité en fonction des besoins du détenu et des risques qu'il représente jusqu'au terme final de la peine.

Les articles 125 et 126 de la LSCMLC prévoient une procédure d'examen expéditif et la libération des détenus qui purgent leur première peine fédérale et qui n'ont pas été condamnés pour une infraction énumérée à l'Annexe I ou à l'Annexe II, si l'admissibilité à la libération conditionnelle est reportée à la mi-temps de la peine. Nous pensons que ces dispositions laissent entendre que ces détenus ont peut-être moins d'expérience criminelle ou qu'ils sont moins dangereux pour la collectivité. En fait, ces détenus purgent peut-être leur première peine fédérale, mais il est plus que probable qu'ils ont purgé plusieurs peines dans des établissements provinciaux ou dans la collectivité.

J'ajouterais ici que je siège à des auditions, et c'est le cas également de mon collègue ici présent, Dennis, et nous avons vu des cas où des gens arrivent dans le système et se présentent devant la commission avec à leur bilan 60 condamnations, sans compter les accusations qui ont été retirées. Lorsque ces personnes arrivent dans le système fédéral, donc, elles sont pour la première fois contrevenants fédéraux et elles sont admissibles à la procédure d'examen expéditif, selon, bien sûr, l'annexe dans laquelle figure le crime commis, et cela nous pose des problèmes.

Il y a peut-être lieu d'instaurer des procédures administratives plus expéditives pour le traitement de ces cas, mais il n'y a peut-être pas lieu de modifier les procédures d'examen. Nous croyons que cela se trouve reflété dans le faible taux de succès des procédures d'examen expéditif dont fait état le document de consultation.

Par ailleurs, nous pensons que la procédure d'examen expéditif ou «libération conditionnelle présomptive» invoque la consternation chez les citoyens, qui ont le sentiment que les détenus obtiennent automatiquement leur mise en liberté conditionnelle sans une évaluation complète des risques. La COLC recommande donc de supprimer les dispositions relatives à la procédure d'examen expéditif de la LSCMLC.

Enfin, la COLC appuie vigoureusement l'idée d'augmenter le rôle des victimes dans la procédure des libérations conditionnelles. Nous recommandons d'élargir les dispositions de la loi pour uniformiser et structurer les procédures fédérales et provinciales concernant les droits des victimes, la participation des victimes aux auditions et l'information des victimes en cas de mise en liberté sous condition. Nous recommandons instamment l'inclusion dans la loi de dispositions destinées à protéger la confidentialité des renseignements fournis par les victimes, car l'on estime que leur divulgation pourrait faire du tort à ceux qui les ont fournis.

En conclusion, nous croyons que l'on devrait apporter des améliorations générales à la LSCMLC pour permettre un meilleur échange d'information entre les partenaires dans l'appareil de justice pénale, favoriser une évaluation exhaustive du risque à tous les niveaux du processus décisionnel relatif à la libération conditionnelle et élargir la participation des victimes.

• 1020

Merci de nous avoir donné la possibilité de faire part au sous-comité de nos préoccupations à l'égard de la LSCMLC et de notre point de vue sur la façon d'en améliorer l'efficacité. Nous nous ferons un plaisir de répondre aux questions que vous voudrez nous poser au sujet de nos préoccupations ou du processus de libération conditionnelle en Ontario.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Théorêt.

Monsieur Abbott, vous disposez de cinq minutes.

M. Jim Abbott: Merci.

J'aimerais consacrer le gros de mes cinq minutes à la question de la libération d'office, mais j'aimerais auparavant revenir sur cette déclaration que vous faites: «Nous recommandons instamment l'inclusion dans la loi de dispositions visant à protéger la confidentialité des renseignements fournis par les victimes...» Qu'en est-il de renseignements confidentiels fournis à une victime?

D'après vous, ou d'après votre expérience, y aurait-il moyen de resserrer ou de modifier la loi de façon à ce que lorsqu'il y a des renseignements confidentiels au sujet du contrevenant au moment de sa libération conditionnelle, si ces renseignements font partie de l'audition, l'on ne voie pas un embrouillement ou une violation de la confidentialité à l'intérieur du processus? Comment pourrait-on faire cela sur le plan pratique?

M. Louis Théorêt: Je pense, monsieur Abbott, que tout ce que nous pourrions faire pour protéger et rehausser le droit des victimes serait à notre avis tout à fait bienvenu. Nous n'avons pas traité de cet aspect particulier de la notification des victimes, si vous voulez, mais je conviens qu'il serait utile de prévoir dans la loi quelque chose qui assurerait une protection en matière d'interaction, de contact ou de communication d'information à la victime.

M. Jim Abbott: Il faut qu'il y ait pleine divulgation pour que la situation soit équilibrée et paraisse juste. L'apparence est un facteur en l'occurrence. Je me demande tout simplement si vous avez réfléchi à la façon de veiller au mieux à ce que le système ne déraille pas avec l'inclusion de...

En passant, mon parti et moi-même serions tout à fait en faveur de votre recommandation voulant que l'on prévoie une plus grande participation des victimes. Que cela figure au procès-verbal. Cependant, en même temps, il nous faut convenir que cela entraîne un autre wagon. Nous voulons être certains que ce wagon ne va pas faire dérailler tout le train du fait que des renseignements qu'il ne faudrait pas livrer à la population générale le soient.

Tout ce que vous pourriez recommander au comité à ce sujet, peut-être ultérieurement, par écrit, serait, j'en suis certain, très apprécié.

M. Louis Théorêt: J'apprécierais l'occasion de faire cela, monsieur.

M. Jim Abbott: Pour revenir maintenant à la question de la libération d'office, c'est une chose qui inquiète beaucoup mon parti et moi-même, mais vous parlez de la nécessité d'une évaluation approfondie des risques, ce qui bien sûr est tout le processus de libération sous condition après un tiers de la peine. Puis on arrive aux deux tiers de la peine où, même si la Commission des libérations estime que le détenu n'a pas suffisamment progressé pour que sa libération soit indiquée, il semble qu'on veuille malgré tout le pousser vers la porte.

J'ai de graves inquiétudes à cet égard, mais je me demande également comment l'on répondrait à l'argument suivant: «C'est donc l'option de garder le détenu jusqu'à la fin de sa peine puis de le pousser vers la porte à la fin de son mandat?»

Que fait-on de cela?

M. Louis Théorêt: Dans le système provincial, nous avons des dispositions en matière de libération sous condition qui peuvent être imposées à la fin de la peine véritable.

Je suppose que je peux répondre à votre question en deux parties. Tout d'abord, changez radicalement les choses, éliminez la libération d'office, si vous voulez. À l'heure actuelle, la Commission des libérations peut s'occuper des cas de personnes qui lui ont été renvoyées par le Service correctionnel du Canada pour détention jusqu'à la fin de leur peine. Peut-être qu'il devrait faire autre chose que tout simplement renvoyer ces personnes dont le dossier devrait être examiné en vue de leur libération conditionnelle éventuelle. Si un type ne satisfait pas les critères pour la libération après avoir purgé le tiers de sa peine, et qu'on le libère aux deux tiers, cela nous préoccupe certainement du côté provincial. Il n'y a pas de conditions. Nous n'avons pas de contrôle sur ces personnes.

Peut-être que ce qu'ils devraient faire serait d'imposer certaines conditions. Si le détenu ne les accepte pas, il n'est pas libéré.

M. Jim Abbott: Songez-vous à une annexe particulière d'infractions à laquelle cela s'appliquerait?

M. Louis Théorêt: Je ne le pense pas. Je pense que cela pourrait se faire pour l'ensemble des délits. Il est certain que les contrevenants à besoins supérieurs devraient être identifiés.

Mais vous me demandez ici de réfléchir à voix haute.

• 1025

M. Jim Abbott: Que fait-on d'une personne qui s'est vue imposer une peine de 12 ans, ce qui est sérieux, pour un crime particulièrement violent et qui se comporte mal en prison? Vous dites, eh bien, au bout de la douzième année, au bout de ce dernier mois, on va lui donner un dollar et une valise...

M. Louis Théorêt: Non.

M. Jim Abbott: ...et le planter devant la porte. Je veux dire, comment s'éloigne-t-on de cela?

M. Louis Théorêt: Peut-être qu'il me faudrait être plus clair.

Vous finissez par aggraver encore davantage la situation si vous vous contentez tout simplement de garder cette personne en prison pendant quatre années de plus. Ce que nous disons c'est qu'une évaluation complète et globale des risques devrait avoir lieu aux deux tiers. Il n'y a pas de problème à ce niveau-là. Ces personnes devraient être équipées de façon à être moins susceptibles de récidiver.

Le problème est celui de savoir comment repérer les personnes qui vont récidiver ou aux deux tiers de leur peine ou à la fin de celle-ci.

M. Jim Abbott: La seule chose que cela accomplirait—et c'est cela qui me préoccupe—selon les défenseurs du maintien de la libération d'office, serait de retarder la commission d'un autre délit pour la durée correspondant au dernier tiers de la peine. Êtes-vous d'accord avec moi là-dessus?

Le président: Il faudra que ce soit la dernière réponse, monsieur Abbott.

M. Jim Abbott: Merci.

M. Louis Théorêt: Encore une fois, je pense que cela dépend des outils d'évaluation de risque que vous utilisez. Je pense que ce que nous préconisons c'est qu'on ne libère pas les gens à moins qu'il y ait une procédure ou un processus qui puisse intervenir pour faire une évaluation complète et globale des risques au lieu de libérer les gens d'un seul coup aux deux tiers de leur peine.

M. Jim Abbott: Merci.

M. Louis Théorêt: Je ne sais pas si cela répond à votre question, monsieur.

M. Jim Abbott: Non, pas vraiment, mais...

Le président: Monsieur MacKay, vous avez cinq minutes.

M. Peter MacKay: Messieurs Théorêt et Murphy, nous vous sommes reconnaissants de votre présence ici aujourd'hui ainsi que de votre exposé et des renseignements que vous nous avez fournis.

J'aimerais enchaîner sur certaines des questions qui ont été posées par mon collègue. Il est certain que la détermination de la peine n'est pas une science exacte. Souvent, vous avez raison, l'on va voir une personne qui arrive pour la première fois dans le système fédéral, mais qui n'est pas un étranger dans le cadre du système judiciaire pénal dans son ensemble. Ces personnes sont très au courant et, pour une raison ou une autre, elles n'ont jamais eu à faire plus que deux années et un jour.

Par ailleurs, l'un des problèmes, que vous connaissez très bien, est qu'au niveau provincial, il y a très peu, voire pas du tout de programmes dans les établissements. Un grand nombre d'établissements provinciaux font tout simplement de l'entreposage de personnes.

M. Louis Théorêt: Je réagirai plus tard. Je vais vous laisser terminer, monsieur.

M. Peter MacKay: Je suppose que cela m'amène à la question plus vaste des ressources à l'intérieur de notre système pénal. Ce n'est jamais très populaire sur le plan politique de dire que l'on devrait faire plus pour mettre en place des programmes dans les établissements fédéraux—ou même dans les établissements provinciaux—mais je pense que cela se rattache à une préoccupation qu'ont tous les membres du sous-comité: dans quelle mesure peut-on réadapter efficacement une personne si tout ce qu'on lui demande c'est de purger sa peine. On parle du temps que la personne passera en prison par rapport à la peine totale imposée.

Une expression très simpliste que l'on entend souvent ces jours-ci est «la vérité avec les peines»—c'est-à-dire que si le juge dit 18 mois, alors vous faites 18 mois. Encore une fois, j'imagine que cela se rattache à l'aspect réadaptation et à la façon dont le détenu doit se comporter en prison.

Je vous demanderai de nous dire quelques mots au sujet des points que j'ai soulevés, et plus particulièrement au sujet des programmes, ainsi que sur la capacité de déterminer, lorsqu'une personne arrive à cette étape, si elle est ouverte à la réadaptation, sans même parler du reste.

M. Louis Théorêt: Merci, monsieur. Je pense que je vais laisser M. Murphy se prononcer sur l'aspect programmes.

M. Dennis Murphy (membre supérieur, Commission ontarienne des libérations conditionnelles): Merci, monsieur le président.

Monsieur MacKay, je ne peux pas me prononcer au sujet d'autres provinces, mais en Ontario, il existe de nombreux programmes dans les centres correctionnels, tout particulièrement dans des établissements comme l'Institut correctionnel de l'Ontario et le Centre Vanier pour les femmes.

Ces personnes participent à ces programmes. Il est vrai qu'elles n'en profitent que pendant une courte période avant leur libération, mais dans notre système, les gens ne sont pas tout simplement entreposés.

Je pense donc qu'il existe des programmes à ce niveau-là. Je tenais tout simplement à ce que cela soit clair.

M. Peter MacKay: Je suis heureux d'entendre cela.

• 1030

M. Louis Théorêt: En ce qui concerne l'autre point, soit la capacité de déterminer le potentiel de réadaptation d'une personne, si je puis m'exprimer ainsi, cela se ramène en fait à la question fondamentale de l'évaluation des risques et au rôle joué par les programmes et, bien sûr, aux antécédents de l'intéressé.

Nous avons des contrevenants qui laissent passer les possibilités de participation à des programmes, et qui préfèrent s'asseoir là, purger leur peine et courir leurs chances avec la Commission des libérations conditionnelles. Je peux vous dire que les contrevenants qui n'ont pas suivi ou terminé un programme ont moins de chances de réussir, d'obtenir une décision positive suite à leur comparution devant la commission.

Par ailleurs, je pense que ce qui est extrêmement important est le plan de libération pour ces contrevenants qui quittent l'établissement carcéral pour réintégrer la communauté. Quel filet est là, si vous voulez, pour les appuyer? Souvent, on cherchera des éléments comme des programmes continus dans la communauté, car je pense que les données montrent que ces programmes communautaires, s'ils les suivent une fois libérés, sont très efficaces. C'est sans doute plus efficace que ce qu'ils auront commencé en établissement, mais au moins ils commencent quelque chose lorsqu'ils sont en prison.

Selon mon expérience, il existe dans certains des établissements différents types de programmes—par exemple, le centre de traitement correctionnel juste à côté de mon bureau offre des programmes de cinq, dix et quinze semaines. Je ne vais pas rester assis ici devant vous et vous induire en erreur en disant que cela changera de fond en comble la vocation d'une personne, mais je pense que dans de nombreux cas, c'est sans doute la première fois que l'intéressé a l'occasion d'approfondir certains de ces problèmes qui ont causé son comportement criminel au départ.

Un pourcentage énorme des personnes que nous voyons—je n'ai pas de données précises, mais je devine que c'est le cas d'au moins 75 p. 100 à 85 p. 100 d'entre elles—ont des problèmes liés à l'abus de substances intoxicantes. Ces problèmes ont un lien avec leur comportement criminel. Je pense que si ces personnes parvenaient à terminer un programme en établissement pour le poursuivre dans la collectivité, avec une bonne supervision par un agent de libération conditionnelle, cela améliorerait leurs chances de mener une vie normale et davantage prosociale, ce que nous visons, et elles risqueraient moins de retourner dans le système. Il y a en général une fenêtre d'environ six mois. En règle générale, si elles tiennent bon pendant ces six mois, elles ont de bonnes chances de ne pas sombrer de nouveau pendant un assez bon moment.

M. Peter MacKay: Vous avez dit que l'échange d'information est l'un des problèmes clés qui est implicite dans le système à l'heure actuelle. Si j'ai bien compris vos propos, vous appuyez l'idée d'une plus grande participation des victimes à toutes les étapes dans le système, y compris des parents, si j'ai bien suivi, lors des audiences de la Commission des libérations. Est-ce bien cela?

M. Louis Théorêt: Oui. Nous n'avons pas tout à fait finalisé cela encore. Nous oeuvrons à l'heure actuelle à une politique en vue de déterminer les rôles que pourraient jouer les victimes. Nous entendons faire de la consultation auprès de victimes. Je ne pense pas que l'on envisagerait un processus de type contradictoire dans le cadre duquel une victime s'en prendrait au contrevenant, si vous voulez, mais il nous faudrait certainement avoir un système dans le cadre duquel les victimes ont le sentiment qu'elles peuvent participer, influer sur le cours des choses et être habilités—pour utiliser un cliché, ce que je n'aime pas beaucoup—si vous voulez, dans le cadre du processus.

Ces personnes n'ont jamais demandé d'être dans le système et elles en font partie sans jamais l'avoir voulu. Parfois, pendant l'enquête, le procès, et tout le reste, les victimes se sentent impuissantes et négligées. Nous aimerions donc avoir un processus dans le cadre duquel elles auraient la possibilité de prendre la parole lors d'une audition de demande de libération pour fournir des renseignements sur l'incidence que l'événement traumatisant a eu sur elles à l'époque et continue d'avoir sur elles et dire quelles conditions spéciales elles aimeraient voir imposer au contrevenant en vue de contrôler son comportement.

M. Peter MacKay: J'ai une très petite question à poser au sujet de l'une des nombreuses considérations dont je sais que vous tenez compte. Quelle importance, si vous pouvez quantifier cela, accordez-vous au rapport original pré-condamnation et aux recommandations en matière de peine du juge et(ou) du procureur? Dans quelle mesure cela est-il à votre disposition lors de votre décision finale? Cela vous est-il toujours disponible?

M. Louis Théorêt: En bref, cela a énormément de valeur. Il s'agit là de documents de base sur lesquels nous nous appuyons véritablement lorsque nous faisons notre évaluation des risques, car certains renseignements sont fournis par les motifs donnés par le juge lorsqu'il prononce sa sentence. Obtenons-nous toujours les motifs du juge dans la détermination de la peine? Non. Bien franchement, nous aimerions les avoir de façon beaucoup plus fréquente. Cela va venir, les choses s'améliorent, mais nous n'y sommes pas encore.

• 1035

J'ai récemment rencontré le président de la commission ainsi que les juges de l'Est de l'Ontario pour essayer de souligner cet aspect et d'en faire la promotion auprès des juges. Le rapport présentence est un autre document utile. Il vous donne une idée, un aperçu, de ce qui se passait à l'époque, du continuum du délit, si vous voulez, au moment de sa commission. Cela vous fournit donc des renseignements. Tous les renseignements que nous pouvons obtenir sont utiles. Cela est évident.

Le président: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur Grose, vous disposez de cinq minutes.

• 1040

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président.

J'aimerais vous assurer...

[Note de la rédaction: Difficultés techniques]

...les délinquants fédéraux qui n'ont à leur dossier aucune accusation ou condamnation antérieure, et ce groupe est peut-être celui qui est le plus admissible à une libération anticipée. La seule raison pour laquelle je dis cela est que j'ai souvent entendu ou lu cela. Je sais qu'on utilise toujours le mot «majorité», mais comme l'a dit Herr Goebbels, si vous répétez assez souvent quelque chose qui n'est pas vrai, cette chose devient la réalité, et les gens finiront par laisser tomber le mot «majorité».

L'autre chose qui m'ennuie avec cette divulgation de renseignements est que c'est un petit peu comme un pansement qu'on met sur le système. On prend plaisir à appliquer des pansements partout sur le corps jusqu'à ce qu'on ne le voie même plus, et on oublie alors quel était le but original du corps. Si cette personne va être remise dans la collectivité et si elle est toujours dangereuse, pourquoi diable la libère-t-on? Pourquoi ne lui a-t-on pas au départ imposé une peine appropriée? C'est là la responsabilité du juge, ou de celui qui la trouve coupable: c'est à lui de lui imposer une peine appropriée. S'il lui donne une peine d'incarcération et que le reste de la responsabilité retombe sur la collectivité ainsi que sur la police et les agents de libération, chargés de la surveiller, je ne pense pas que cela tienne debout. Qu'on lui impose la peine adéquate au départ. Si elle va être dangereuse toute sa vie durant, alors qu'elle soit incarcérée à perpétuité. Ces solutions partielles ne fonctionnent pas. Et ce pansement ne fonctionne pas non plus. Cela divise les collectivités, et je ne pense pas que cela serve à grand-chose. Je vois la photo du type accroché sur un poteau et cinq minutes plus tard je ne le reconnaîtrais pas si je le croisais.

Quoi qu'il en soit, j'aimerais bien connaître votre opinion là-dessus, étant donné que vous avez dit que le fédéral devrait s'adresser au provincial.

M. Louis Théorêt: Je présume, monsieur, que lorsque vous avez parlé des pansements, vous songiez à la notification.

M. Ivan Grose: Oui.

M. Louis Théorêt: Les photos sur les poteaux...

M. Ivan Grose: C'est un mauvais exemple.

M. Louis Théorêt: Oui. Ce que nous disons, c'est qu'il y a des degrés de notification lorsqu'on va libérer un détenu.

M. Ivan Grose: Mais si le public a besoin d'être averti, alors pourquoi libère-t-on le détenu? Pourquoi ne lui a-t-on pas imposé au départ la peine appropriée?

M. Louis Théorêt: Nous, et les responsables des services correctionnels, sommes chargés de l'administration de la peine, et une fois qu'on a le type, alors on doit administrer la peine prévue. S'il est libéré à une étape dans sa peine, aux deux tiers ou encore à la fin de son mandat, je pense que le responsable de l'établissement a la responsabilité et le devoir de prendre les mesures appropriées pour essayer d'avertir les autorités de la libération éventuelle de l'intéressé là où il va être libéré.

M. Ivan Grose: Je ne me suis manifestement pas fait comprendre. Je ne pense pas qu'il faille le libérer.

M. Louis Théorêt: Je vois.

M. Ivan Grose: S'il est libéré à la fin de la peine qu'on lui a imposée, alors pourquoi ne lui a-t-on pas au départ imposé la peine appropriée?

M. Louis Théorêt: Je suis d'accord avec vous, et je pense que c'est là une question dont vous devriez discuter avec les juges.

M. Ivan Grose: Très bien. C'est là la fin que nous devrions viser. Coller un pansement par-dessus ne règle pas le problème. Mais, quoi qu'il en soit, je pense que vous et moi nous comprenons.

Vous avez mentionné qu'il n'y a pas libération si le contrevenant n'accepte pas certaines conditions. Parliez-vous de ce qui se passe à l'expiration du mandat?

• 1045

M. Louis Théorêt: Non. Il est question ici de ce qui se passe pendant la peine, et non pas au-delà du mandat.

M. Ivan Grose: Alors ce sera pendant la durée de la peine, peut-être au moment où le détenu devient admissible à la libération conditionnelle.

M. Louis Théorêt: Oui, ce sera une exigence de résidence ou quelque chose du genre.

M. Ivan Grose: Oui, cela paraît logique. Je pense que cela couvre assez bien ce que je voulais savoir. Merci.

Le président: Merci, monsieur Grose.

J'aimerais dire quelque chose au sujet de la question de la participation des victimes à l'audition de la demande de libération conditionnelle. Nous avons eu une séance hier avec des représentants de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Ceux-ci ont dit craindre que la présence des victimes lors de ces auditions en fassent des situations contradictoires et que cela débouche sur la revictimisation des victimes lors du contre-interrogatoire. Comment réagissez-vous à ces deux craintes?

M. Louis Théorêt: Nous sommes très sensibles à cela. C'est pourquoi nous prenons toutes les mesures nécessaires pour qu'il y ait consultation exhaustive. Nous allons travailler avec le Bureau pour victimes de violence en vue de l'élaboration d'une politique exhaustive sensible aux besoins et aux préoccupations des victimes.

Nous ne souhaitons aucunement retraumatiser ces personnes ni entraver le processus d'audition des demandes de libération. Comme je l'ai dit à M. MacKay, nous ne voulons pas créer un système contradictoire. Nous aimerions que ces personnes puissent avoir leur mot à dire et participer et que soit présenté tout renseignement supplémentaire qui pourrait être utile. Nous nous efforçons d'élaborer un système qui tienne compte de leurs préoccupations et qui respecte les règles et procédures régissant les auditions de demande de libération conditionnelle.

Le président: Très bien.

[Français]

Merci beaucoup. J'ai bien apprécié votre comparution d'aujourd'hui.

M. Louis Théorêt: Je vous remercie.

[Traduction]

Je vais revenir à M. Abbott avec les questions dont nous avons parlé.

M. Jim Abbott: Ce serait utile.

Le président: Merci.

Les témoins suivants sont M. Thomas Mann et M. Rowbotham de PrisonLife Media. On me dit que Valerie Phillips va les accompagner. Venez vous installer, je vous prie. Si vous pouviez faire votre exposé en l'espace d'une dizaine de minutes, cela laisserait environ 20 minutes aux membres du comité pour qu'ils vous posent des questions.

M. Robert Rowbotham (président, PrisonLife Media): Formidable. Je m'appelle Robert Rowbotham et c'est mon collègue, Tom Mann, qui va faire notre déclaration. J'espère qu'on fera appel à moi pendant les 20 minutes de questions et réponses qui suivront notre exposé. Mesdames et messieurs, je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de venir comparaître devant vous.

Le président: Tout le plaisir est pour nous. Merci.

Monsieur Mann.

M. Thomas Mann (directeur, PrisonLife Media): Merci et bonjour. J'aimerais moi aussi vous remercier très sincèrement du privilège que vous avez accordé à moi-même et à mon collègue en nous autorisant à comparaître devant le comité. J'aimerais, avant de commencer, souligner une chose. Bien que nous ayons passé pas mal de temps derrière les barreaux d'établissements fédéraux, nous avons de bien des façons connu des privilèges qui ne sont pas typiques de la plupart des hommes et des femmes qui purgent des peines fédérales. Nous avons grandi dans des foyers de classe moyenne qui nous appuyaient et nous avons toujours eu le sentiment d'avoir un avenir. Malheureusement, nous avons, du fait de nos actes, causé ennuis et tourments à nos familles et à la société dans son ensemble, bien franchement. Pourtant, nos familles ont toujours été une source de soutien et des modèles positifs pour nous.

Une fois libérés, nous avions un endroit où aller et l'encouragement constant qu'on nous a donné nous a permis de mener des vies positives et prosociales. Malheureusement, ce n'est pas le cas de la majorité des contrevenants fédéraux. C'est dans cet esprit que nous sommes ici, non pas pour représenter la population incarcérée, mais en tant que Canadiens.

Nos pairs viennent souvent de familles éclatées et souffrent de graves problèmes de toxicomanie. Or, ils ont également des frères, des soeurs, des maris, des femmes et des enfants. Nombre d'entre eux ont déjà vécu dans des écoles résidentielles, des foyers pour jeunes délinquants ou des orphelinats, mais ils seront un jour nos voisins dans des localités partout au Canada. De nombreux Canadiens incarcérés souffrent de maladies mentales et ont des problèmes de toxicomanie, mais ils finiront par être libres de se déplacer n'importe où, comme bon leur semble. La plupart des détenus canadiens sont sous-éduqués, n'ont pas de compétences en demande et devront lutter pour subvenir à leurs besoins au sein de collectivités canadiennes.

• 1050

Ce que je veux dire c'est que les détenus canadiens ne sont pas juste cela. Ce sont des frères, des soeurs, des enfants et des parents de Canadiens. Ils seront un jour nos voisins, nos associés et collègues de travail. Ce n'est pas juste eux et nous. Les prisonniers, les libérés conditionnels et les personnes qui ont un casier judiciaire ne sont pas un sous-groupe ni une sous-culture. Nous sommes tous Canadiens. Nous appartenons tous à une seule et même société.

Il y a un si grand nombre de questions dont nous aimerions traiter que, préférant ne pas en parler de façon superficielle seulement, nous avons choisi de nous concentrer sur deux aspects qui nous préoccupent vraiment. Tout d'abord, les soins de santé, et je pense qu'il s'agit là encore d'une préoccupation importante pour tous les Canadiens.

Ce qu'il y a de commun entre le détenu et le responsable des prisons, et, certainement, la population générale, c'est la question très contemporaine et très controversée de la santé publique. Quel que soit son gagne-pain, quelle que soit sa peine d'emprisonnement, l'accès à des soins de santé professionnelle et la confiance à l'égard de son environnement sont des droits fondamentaux, et non pas des privilèges. Avec l'augmentation de l'incidence de maladies potentiellement fatales comme le VIH, la tuberculose et diverses souches d'hépatites, il importe de se pencher sur un certain nombre de très graves préoccupations. Ces réalités ne vont pas disparaître et, tristement, les nombres vont très certainement augmenter.

La sécurité publique, liée à l'obtention, grâce au système correctionnel, de résultats positifs ou à la réduction du récidivisme après une période d'incarcération, est déjà un défi difficile en soi. Passer par ce processus en craignant de contracter une maladie potentiellement fatale peut créer énormément de tension au lieu de travail. Chose regrettable, mais c'est une éventualité statistique, il y a des employés du SCC atteints de maladies dangereuses. Il est à espérer que ces maladies ne seront pas contractées au lieu de travail, mais de toute façon, la présence de maladies infectieuses est une donnée de départ. Ces employés doivent-ils être renvoyés, confinés à des établissements spéciaux ou identifiés publiquement? Les détenus partagent ces mêmes craintes et préoccupations.

Bien qu'il y ait un nombre élevé de travailleurs professionnels de soins de santé extrêmement consciencieux et dévoués oeuvrant pour le Service correctionnel du Canada, ces personnes sont trop souvent surchargées, ne disposant que de peu de ressources et d'un personnel de soutien limité. Leurs clients ont un passé commun d'origines socio-économiques défavorisées, de peu d'estime de soi et de toxicomanie, tous éléments qui contribuent à une mauvaise santé mentale et physique générale.

Le stress au travail des professionnels de soins de santé en milieu correctionnel est souvent extrême, ce à cause du contexte physique, de la clientèle, de la tension avec d'autres employés des prisons et administrateurs, ainsi que du tourment de savoir que des Canadiens sont en train de mourir par suite de politiques inefficaces.

Pour le détenu, il est très difficile de se concentrer sur le changement prosocial tout en luttant contre une maladie potentiellement fatale ou la crainte d'en contracter une. Dans certaines prisons canadiennes, près du tiers des détenus ont été infectés à l'hépatite C tandis que le taux d'infection par le VIH est de plus de 2 p. 100. Des professionnels médicaux disent que ces chiffres sont indicatifs d'une crise de proportion épidémique. Il est évident qu'avec les politiques en place à l'heure actuelle, ces chiffres vont continuer d'augmenter de façon dramatique.

Le problème de traitement inadéquat ne se limite pas aux maladies infectieuses, mais est monnaie courante. L'on pourrait vous fournir des centaines d'exemples de cas où des prisonniers ont été sérieusement mis en danger du fait de mauvaises politiques ou de mauvaises applications de celles-ci. La solution typique et courante pour l'ensemble des problèmes au SCC est de donner du Tylenol 2. C'est peut-être très bien pour un petit mal de tête occasionnel, mais il y a des cas documentés d'hommes et de femmes sidatiques, en phase terminale, souffrant atrocement, à qui on refuse une alimentation adéquate et des soins palliatifs ainsi que des analgésiques. Les victimes d'infarctus doivent attendre quatre à six heures avant d'être vus par un médecin. Dans le cas d'os cassés, certaines personnes ont dû attendre pendant plusieurs semaines des rayons-X. Les gens peuvent attendre des mois pour des lunettes, des soins dentaires, des rendez-vous chez des spécialistes et des médicaments sur ordonnance. Un accès facile à des cachets de Tylenol 2 ne va pas régler l'un quelconque de ces problèmes.

• 1055

Dans la plupart des établissements, dont bon nombre abritent plus de 500 détenus, il n'y a pas d'accès à des soins de santé, quels qu'ils soient, entre 22 heures et 6 heures. Dans certains cas, l'accès à des services d'urgence peut demander plusieurs heures. Les équipes squelettiques de personnel n'ont aucune formation médicale et ne cessent de rétrécir. Il y a récemment eu plusieurs morts causées par des overdoses d'héroïne qui, tragiquement, auraient pu être évitées avec l'administration du médicament appelé Narcanon. Or, les employés des prisons ne sont pas autorisés à administrer ce médicament; seuls des professionnels de la santé peuvent le faire, et dans les cas qui ont été dénombrés, il n'y en avait pas sur place.

Une question évidente qui vient à l'esprit est la suivante: comment les détenus canadiens peuvent-ils envisager de changer leur vie si leur santé physique est menacée ou en déclin?

Parlons maintenant de la consommation de drogues. Dans les années 70 et 80, une guerre internationale contre les drogues a été lancée et encouragée par le monde occidental. Au lieu de limiter le commerce de drogues, cela a donné lieu à une véritable épidémie de toxicomanie à la cocaïne et à l'héroïne et à la tragédie et à la violence qui sont liées à ce fléau. Des générations de Canadiens ont été et continuent d'être détruits par le crack, la cocaïne et l'héroïne. Les professionnels des soins de santé et les responsables gouvernementaux s'efforcent aujourd'hui grâce à des programmes d'intervention de réduire le nombre de victimes.

La guerre contre les stupéfiants a résulté en un véritable génocide et est clairement un échec total. Si seulement nous pouvions retourner en arrière et ne nous inquiéter que de la marijuana, dont l'Association canadienne des chefs de police a récemment recommandé la décriminalisation. Dans les années 60, le monde de la drogue était dominé par des hippies. Aujourd'hui, avec la guerre contre les stupéfiants, il y a des narco-terroristes, des cartels et des bandes internationales de motards. L'existence de ces groupes fait clairement ressortir l'échec enregistré.

Pendant que les professionnels des soins de santé partout dans le monde luttent pour réduire la transmission de maladies infectieuses en mettant en place des méthodes de réduction des préjudices, le SCC est clairement en train de favoriser la transmission de maladies grâce à sa stratégie de tolérance zéro des stupéfiants. Des Canadiens meurent et des maladies sont en train d'être transmises d'un bout à l'autre du pays, tout cela encouragé par la politique gouvernementale.

L'utilisation de drogues illicites ne sera jamais autorisée dans les prisons canadiennes et ne sera certainement jamais encouragée. Cependant, les prisons ne seront jamais libres de drogues. Selon les estimations, plus de 80 p. 100 des détenus sont concernés par les questions d'abus de substances psychoactives et nombre d'entre eux sont des trafiquants et des importateurs. Il existe quantité de méthodes pour faire entrer clandestinement dans les prisons des substances illicites. Des douzaines de personnes et de groupes entrent et sortent des prisons tous les jours. Tant que l'on n'aura pas supprimé l'utilisation de drogues dans la société, il y aura des drogues dans les prisons. Le défi est de réduire les dommages à long terme causés par l'abus d'intoxicants, de réduire les taux de toxicomanie, afin que les périodes d'incarcération soient plus productives et plus efficaces et qu'il y ait moins de récidivisme.

Avec l'actuel programme de dépistage de drogues par analyse d'urine qui est en place au SCC, des pénalités sont imposées dans les cas de dépistage d'utilisation de marijuana, d'héroïne et de cocaïne. Cependant, les responsables des prisons ainsi que les détenus savent que les tests ne sont pas aussi efficaces dans le cas de l'héroïne et de la cocaïne. Les détenus sont nombreux à vouloir échapper à leur désespoir ou à composer avec leur toxicomanie en recourant à des drogues dures. La réalité est que de nombreux détenus qui sont arrivés en prison en étant des consommateurs de marijuana et d'alcool sortent de prison et retournent dans la société en tant que consommateurs d'héroïne et de cocaïne, et souvent atteints de maladies infectieuses dangereuses.

Le fait de ne pas tester pour la marijuana dans le cadre des programmes d'analyse d'urine n'inspirerait pas l'utilisation de drogue, mais découragerait les toxicomanes d'utiliser et, souvent, d'essayer pour la première fois des drogues potentiellement fatales comme l'héroïne et la cocaïne. L'accès à des seringues hypodermiques et à des condoms n'encourage pas la consommation de drogues mais réduit le coût économique et humain infligé à tous les Canadiens par les toxicomanes.

Les statistiques montrent clairement que les programmes de traitement à la méthadone ont donné des résultats très positifs dans la lutte contre l'héroïnomanie. Cependant, les héroïnomanes doivent bénéficier de traitement où qu'ils aient acquis leur toxicomanie. On refuse aux prisonniers l'accès aux programmes de traitement à la méthadone partout au pays. Cela a résulté en de nombreux décès dus à des overdoses, à de la violence liée aux drogues, au suicide et aux maladies. Un projet pilote Nouveau départ a été lancé dans l'établissement de Joyceville, mais des programmes semblables doivent être accessibles partout au pays. Si l'on tarde à le faire, cela multipliera les coûts humains et économiques.

• 1100

Une autre question qui nous préoccupe beaucoup est l'éducation dans les prisons. Comme nous l'avons déjà mentionné, la plupart des détenus ont en commun des origines socio-économiques défavorisées et des problèmes d'estime de soi. Ils ne sont pas très instruits et possèdent peu d'aptitudes commercialisables. Ils sont nombreux à avoir passé des années dans divers établissements gouvernementaux et ont eu affaire à de nombreux organismes d'aide sociale. Très peu d'entre eux ont eu le privilège de faire des études secondaires et encore plus rares sont ceux qui ont fait des études de niveau postsecondaire.

Il y avait autrefois en place des programmes positifs destinés à aider les détenus à poursuivre activement l'avancement de leur niveau d'éducation pendant leur détention. On leur proposait des programmes primaires, secondaires, collégiaux, et même certains programmes universitaires. L'actuel mandat du SCC est que tous les détenus doivent faire des études jusqu'au niveau de la dixième année. Malheureusement, cela ne les munit pas de compétences en demande.

Une statistique remarquable est que plus de 95 p. 100 de tous les détenus qui ont fait des études postsecondaires pendant leur incarcération—historiquement, j'ajouterais—n'ont pas récidivé. Il s'agit là d'un indicateur fantastique de la possibilité de réussite des détenus. Or, ce programme n'existe plus.

L'interruption des programmes de formation professionnelle, par exemple en électricité, en charpenterie, en tôlerie, en soudage et en carrosserie, à la place de programmes de réadaptation, n'a pas été productive non plus. Il est vrai que les prisonniers doivent s'occuper de leurs méfaits, et s'attaquer à leurs problèmes de colère et de toxicomanie, par exemple, mais il leur faut également avoir les moyens de gagner leur vie à leur sortie de prison. Leur donner des aptitudes nécessaires à cela ne revient pas à les gâter; cela les prépare à être des membres prosociaux de la société.

Nous avons quelques recommandations à la fin de notre mémoire, et j'aimerais vous les lire rapidement.

Nous souhaiterions: une étude immédiate des lacunes actuelles des services de soins de santé aujourd'hui offerts aux prisonniers à l'intérieur du SCC et la rapide mise en place des ressources nécessaires pour amener les services à un niveau humain; la mise en oeuvre immédiate de méthodes socio-médicales de réduction des préjudices pour soigner la toxicomanie, par opposition à la politique de tolérance zéro présentement en place; la distribution immédiate de seringues hypodermiques dans les établissements fédéraux—cela diminuerait sensiblement la propagation des maladies infectieuses; la mise en oeuvre immédiate de programmes de désintoxication à la méthadone à l'intérieur des établissements fédéraux; la création d'établissements fédéraux volontairement sans drogue; l'annulation de la fermeture du centre de traitement très efficace de Sault Ste. Marie; la suspension immédiate des programmes de dépistage de marijuana par analyse d'urine; le rétablissement des programmes d'éducation et de formation professionnelle; la promotion de programmes de travail à la libération au sein des établissements fédéraux; et l'adoption des lois nécessaires pour que l'enquêteur correctionnel rende compte au Parlement et non pas au solliciteur général.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions.

Monsieur Abbott, vous disposez de cinq minutes.

M. Jim Abbott: Merci.

Premièrement, permettez-moi de dire que ce sur quoi je suis tout à fait d'accord avec vous est la situation des personnes qui se trouvent dans différents stades de vie, y compris celles qui, par leurs propres actes, se retrouvent dans le système de justice pénale. Comme vous l'avez dit, ce sont des Canadiens, et je dis souvent, grâce à Dieu, je ne suis pas de leur nombre. Je suis d'accord avec vous là-dessus.

J'ai vu des statistiques selon lesquelles jusqu'à 10 p. 100 des Canadiens ont eu des démêlés avec la loi, c'est-à-dire avec le système de justice pénale, dans le courant de leur vie. J'ai vu ces statistiques, bien que je ne puisse pas en confirmer la source ici, mais je suis d'accord avec vous et je comprends ce que vous dites.

J'aimerais parler surtout de la question de la consommation de drogues. Tout d'abord, à la page 6, vous dites:

    Si seulement nous pouvions retourner en arrière et n'avoir à nous inquiéter que de la marijuana, dont l'Association canadienne des chefs de police a récemment recommandé la décriminalisation.

• 1105

Je pense que le public n'a pas très bien compris cela et ce qui a été proposé. S'il y avait décriminalisation, cela voudrait dire que ce ne serait plus un acte criminel, mais ce serait néanmoins une infraction pouvant donner lieu à une amende. En fait, la pénalité serait plus facile à administrer s'il était prévu une pénalité financière—100 $ pour la première fois, 300 $ pour la deuxième fois, 1 000 $ pour la troisième fois, ou autre chose encore. De l'avis de certains—moi-même compris—le fait que cela permette d'éviter de passer par les tribunaux mérite qu'on s'y penche, qu'on en examine les ramifications. Cela ne veut cependant pas dire que la marijuana sera tout d'un coup en vente libre dans la rue. Je me demande dont si l'inclusion de cela dans votre mémoire n'envoie peut-être pas un message contradictoire.

M. Robert Rowbotham: Je vais répondre à votre question. Je suis d'accord avec vous. Nous ne disons pas qu'il faut diminuer quoi que ce soit relativement à la marijuana. Ce que nous disons, c'est qu'au lieu du régime de tolérance zéro qui est en place dans le système pénitentiaire canadien à l'heure actuelle, si l'on y traitait la marijuana différemment de l'héroïne et de la cocaïne, ce serait plus censé. Le problème est que dans les établissements la marijuana est traitée de la même façon que l'héroïne et la cocaïne. Le problème est que la marijuana reste dans votre système pendant 30 jours. La cocaïne et l'héroïne restent dans votre système pendant trois jours.

Ne voulant pas courir le risque de perdre leur libération conditionnelle, leur travail, la visite de membres de leur famille, des visites sociales, etc., les gens ne fument plus de marijuana en prison. Ce qu'il y a de dangereux là-dedans c'est qu'ils consomment à la place de l'héroïne et de la cocaïne. Je n'approuve pas l'utilisation d'héroïne et de cocaïne. En fait, je déteste ces drogues. Elles sont terribles. Tout le monde constate les dommages que provoquent ces drogues dans la société. Je ne veux pas blanchir la marijuana, mais il y a une différence.

Le seul problème avec la hausse de la consommation d'héroïne et de cocaïne est que si vous regardez les débuts des programmes d'analyse d'urine, ceux-ci ont été un échec. C'est un échec à l'intérieur du Service correctionnel du Canada parce que tout le monde utilise aujourd'hui l'héroïne et la cocaïne. Quel est le problème avec cela? Le problème avec cela est qu'il y a maintenant un problème de santé.

Avant d'aborder cet aspect, j'aimerais dire qu'on parle ici de personnes qui n'ont pas peur de la violence, de personnes qui sont peut-être en prison parce qu'elles ont volé une banque avec violence, de personnes qui sont portées sur la violence, pour qui la violence ne pose aucun problème et qui sortent de nos prisons avec un gros problème. Ils sortent de prison avec une toxicomanie à la cocaïne ou à l'héroïne. Il y en a des centaines aujourd'hui qui pourraient tout de suite vous dire: «Je suis devenu toxicomane dans une prison canadienne».

La question qui se pose sur le plan santé est la suivante: il n'y a pas de programme d'échange de seringues parce qu'on ne veut pas donner l'impression d'approuver l'utilisation de drogues. Or, on ne peut tout simplement pas empêcher cela. Si vous attrapiez tous les dealers, importateurs et trafiquants de drogues et les mettiez en prison, peu importe quel gouvernement était au pouvoir, peu importe qui était directeur de la prison, peu importe quel système de sécurité était en place, vous ne pourriez pas empêcher que des drogues entrent dans les prisons. C'est une réalité. Il n'y a rien qu'on puisse faire pour arrêter cela. À l'heure actuelle, les gens utilisent des aiguilles de fabrication maison ou une seringue qu'une ou deux personnes font entrer clandestinement dans l'établissement. C'est ainsi que vous vous retrouvez avec 50, 60 ou 70 personnes qui utilisent la même aiguille.

Selon une étude effectuée récemment à Joyceville par le Dr Peter Ford de Kingston, entre 30 et 50 p. 100 des détenus ont l'hépatite C et 2 p. 100 sont atteints du VIH, et ils ne sortent pas pour aller dans notre système de soins de santé. C'est là une autre planète. En tant que contribuables, nous payons tous pour toutes les complications que cela entraîne.

Encore une fois, nous ne diminuons pas le problème de la marijuana, mais c'est ce qu'a amené la politique de tolérance zéro et la pratique des analyses d'urine, et c'est à cela que nous sommes confrontés. Nous ne nous attaquons tout simplement pas au problème. Nous ne nous y attaquons pas avec des programmes Nouveau départ, des programmes de désintoxication à la méthadone ou des programmes d'échange d'aiguilles, ce qui se fait dans la rue et qui constitue un droit fondamental. Cela n'est tout simplement pas fait. Le système de soins de santé sait quoi faire, mais politiquement, ses mains sont liées.

Le président: Merci. Cela fait cinq minutes. Y a-t-il quelque chose que vous pourriez très rapidement...

• 1110

M. Jim Abbott: Oui. J'aimerais tout simplement dire quelque chose au sujet de la recommandation 3, dans laquelle vous demandez «la distribution immédiate de seringues hypodermiques dans les établissements fédéraux»: cela reviendra à dire que le gouvernement dit, d'accord, c'est très bien, nous sommes maintenant prêts à tolérer ce que nous considérons ou ce que la loi considère comme étant illégal.

Le président: Une brève réponse, je vous prie.

M. Robert Rowbotham: J'ai parlé à des gardiens des Prairies qui ont fait eux-mêmes des fouilles, qui se sont accidentellement piqués avec une aiguille et qui ont été terrifiés à l'idée qu'ils pouvaient être infectés par le VIH et risquer de le transmettre à leurs épouses et à leurs familles. Cette crainte est très réelle. Il y a des agents qui m'ont abordé dans des pénitenciers en Ontario parce qu'ils n'ont pas le droit d'en parler. Ils disent: «Rosie, fait quelque chose. Tu travailles pour CBC, alors expose cela, fait quelque chose, aide-nous».

On entend maintenant des politiciens dire que ce n'est pas ce qu'ils disent, et on me raconte une histoire différente. Ils ont tenté cela en Suisse. Ils ont tenté cela dans des prisons européennes. Cela a été éprouvé. Ce qui se passe c'est que si une personne utilise des seringues hypodermiques, alors elle a sa seringue dans un boîtier dans sa cellule. Les gardiens savent où elle se trouve et les détenus aussi. Si les gardiens fouillent la cellule, il faut que la seringue soit à sa place. Si elle ne l'est pas, il y a des mesures disciplinaires. Cette pratique a sensiblement réduit la consommation de drogues dures et a également amené une baisse des taux d'infection par le VIH et par l'hépatite C.

• 1115

Bien sûr, il ne s'agit pas d'approuver l'utilisation de drogues, mais nos politiques s'appuient sur une crainte de ce que diront les tabloïdes ou certains partis politiques. Il est temps que tous les partis franchissent la ligne et traitent de ce grave et très tragique problème.

Le président: Merci.

Monsieur MacKay, pour cinq minutes.

M. Peter MacKay: Pour enchaîner là-dessus, j'ai un petit problème avec la logique de leur fournir des seringues si ce que l'on veut c'est essayer de les aider à surmonter leur toxicomanie. Les recommandations 3 et 4 me semblent quelque peu contradictoires. En ce qui concerne «la mise en oeuvre immédiate de programmes de traitement à la méthadone» à l'intérieur des établissements, je suis tout à fait d'accord avec vous. S'il y a des personnes qui entrent en prison qui sont déjà toxicomanes—et d'après ce que vous nous avez dit ici aujourd'hui, il y en a d'autres qui le deviennent en prison—alors il faut absolument prendre ces mesures.

Mais accepter cela et franchir un pas de plus en les aidant activement à s'injecter... Je ne veux pas être facétieux, mais la recommandation suivante demande en fait qu'on leur en donne les moyens. Je ne pense pas que ce soit une solution de leur assurer la capacité de consommer les drogues qui entrent clandestinement dans l'établissement. Il s'agit là d'une abdication totale de sa responsabilité d'essayer d'empêcher la consommation de drogues.

M. Robert Rowbotham: Puis-je répondre?

Le président: Allez-y, je vous prie.

M. Robert Rowbotham: Je suis de votre avis. À priori, il semble y avoir une contradiction, un paradoxe, mais traiter avec des toxicomanes n'est pas la même chose que traiter avec des personnes rationnelles, réfléchies, normales. Il vous faut aborder le problème à différents paliers et à différents niveaux. Nous voulons réduire la consommation de drogues. Personne n'approuve cela. C'est une très brave démarche de la part du gouvernement et de l'administration. Sachant que nous ne pouvons pas empêcher que des drogues n'entrent dans les prisons, et constatant que l'incidence de consommation de drogues augmente de façon faramineuse, devenant presque, en termes médicaux, une épidémie, il nous faut prendre un peu de recul et examiner la situation avec un regard nouveau.

Le gouvernement, en distribuant des seringues dans la rue, dans le cadre de programmes d'échange d'aiguilles, n'est pas en train d'approuver la consommation de drogues. Il est en train de dire: qu'on s'occupe de cela de façon humaine, en tant que problème de santé. Il n'est pas en train de donner son aval. En mettant cela en place dans les prisons, on pourra stopper la propagation du SIDA et du VIH, en tout cas chez ceux qui se piquent.

L'étape suivante est le programme Nouveau départ de désintoxication à la méthadone, étape qui n'a pas encore été franchie. L'actuelle politique prévoit que si les médecins prescrivent de la méthadone avant l'incarcération d'une personne, alors on va laisser celle-ci continuer d'en prendre. Les autorités carcérales ne sont donc pas responsables de cela et ne donnent pas l'impression d'approuver ou de participer au programme de traitement à la méthadone. Cependant, j'ai vu des gens hurler et supplier les médecins. Ils disent qu'ils veulent arrêter de prendre de l'héroïne, qu'ils ne veulent plus être toxicomanes, qu'ils veulent changer leur vie, que leur famille les appuie.

• 1120

J'ai vu des épouses et des détenus demander de l'aide, et le détenu est envoyé dans une prison à sécurité plus élevée. Un ami à moi, Peter Frustik, a été tué il y a deux semaines à Collins Bay parce qu'il avait demandé de l'aide pour se faire inscrire dans un programme de traitement à la méthadone. Un autre détenu s'est suicidé à Joyceville; lui aussi avait demandé de la méthadone.

Ce qu'il y a de bien avec la méthadone c'est que si vous êtes atteint du VIH et que vous commencez à en prendre, vous n'allez plus prendre d'héroïne, vous n'allez plus vous piquer et vous n'allez pas transmettre cette maladie mortelle.

M. Peter MacKay: Je m'excuse de vous interrompre, mais le traitement à la méthadone est-il à l'heure actuelle disponible dans la plupart des villes canadiennes—à l'extérieur?

M. Robert Rowbotham: Oui, même dans de petites localités.

M. Peter MacKay: Très bien. Je suis la logique de votre argumentation. Je pense que cela permettrait également de déterminer qui en consomme à l'intérieur. Cela dévoilerait le tout au grand jour, alors qu'à l'heure actuelle, cela se fait dans les couloirs et dans les recoins...

M. Robert Rowbotham: Et il y a toute la violence qui accompagne cela.

M. Peter MacKay: Oui. Mais, sur le plan philosophique, j'ai toujours de la difficulté avec l'idée de faciliter en fait la chose. On facilite ouvertement la chose si l'on distribue aux gens des aiguilles et si on leur dit: «D'accord, on ne veut pas que vous fassiez cela, peut-être que vous ne voulez même pas prendre cette drogue, mais vous êtes toxicomane, vous ne pouvez pas vous contrôler, alors voici les moyens de vous piquer».

M. Robert Rowbotham: Eh bien, cela fait 30 ans qu'on essaie de faire autrement.

M. Peter MacKay: Oui.

M. Robert Rowbotham: Et cela n'a pas fonctionné. Tout le monde au pays cherche du leadership, espère que l'on va être progressiste et que l'on va essayer quelque chose de différent. Il est difficile d'être si près des États-Unis, avec leur politique mondiale à l'égard des drogues. Si vous prenez l'Europe...

M. Peter MacKay: Est-ce que c'est ce qui se passe là-bas?

M. Robert Rowbotham: Ils font cela en Suisse.

M. Peter MacKay: Non, mais en Amérique du Nord... Est-ce que les prisons américaines distribuent des aiguilles?

M. Robert Rowbotham: Non, absolument pas. Mais regardez les prisons américaines. C'est une véritable industrie: construisez-les les prisons, et les gens viendront. Je me plais à penser que le Canada, comme Dostoevsky, veut que l'on juge l'humanité d'un pays par ce qui se passe dans ses prisons. C'est mon avis.

M. Peter MacKay: Puis-je poser une dernière petite question?

Le président: Oui.

M. Peter MacKay: En ce qui concerne votre dixième recommandation, encore une fois, je suis tout à fait de votre avis: la reddition de comptes serait améliorée si l'enquêteur correctionnel relevait directement du Parlement. Pourriez-vous nous expliquer un peu comment vous en êtes arrivés à cette recommandation? Je ne dis pas qu'elle n'est pas logique, mais elle est sur une piste complètement différente.

M. Robert Rowbotham: Je vais laisser mon collègue répondre à cette question. Mais pour vous situez un petit peu les choses, en vertu de son mandat actuel, l'enquêteur correctionnel n'a pas, politiquement parlant, les moyens qu'il lui faut pour traiter avec le Service correctionnel du Canada et il conviendrait de le doter de mécanismes différents afin qu'il puisse s'occuper d'apporter des solutions.

Je vais maintenant céder la parole à Tom.

M. Thomas Mann: Encore une fois, c'est peut-être un petit peu hors champ, mais nous avons néanmoins voulu recommander cela car pour que le système correctionnel fonctionne vraiment, il faut que l'enquêteur correctionnel y joue un rôle clé, et à l'heure actuelle—cela n'a rien à voir avec l'intégrité personnelle de l'enquêteur correctionnel ni avec ses intentions ou son bureau—il ne fait pas avancer les choses.

Cela ne se limite pas à la seule question des soins de santé. On fait la sourde oreille aux problèmes des droits de la personne dans les prisons. Des plaintes tout à fait justifiées sont déposées auprès de l'enquêteur correctionnel. Le SCC s'empresse de se vanter de l'initiative en matière de droits de la personne qui est en place, du processus de traitement des griefs qui est en place, mais toutes les personnes qui ont vraiment de l'expérience dans les prisons en sont arrivées à un stade où elles ignorent carrément le Bureau de l'enquêteur correctionnel. Si elles veulent vraiment obtenir des résultats elles contournent tout le processus et font appel à la Cour fédérale. Pourquoi avoir un tel bureau, qui coûte cher, et qui est en vérité très progressiste et potentiellement positif, mais qui n'a vraiment pas de muscle? Il n'a aucun poids. Encore une fois, il pourrait, de façon très éclairée et très intelligente, traiter de toutes sortes de questions, de questions qui préoccupent tous les Canadiens.

Le président: Merci, monsieur MacKay.

Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir ici pour nous exposer vos préoccupations. Nous trouvons vos recommandations très claires et très précises, et elles nous aideront certainement dans nos délibérations.

• 1125

Le témoin suivant est le professeur Anthony Doob, du Centre de criminologie de l'Université de Toronto.

Merci d'être venu, professeur. Vous pourriez peut-être nous faire votre déclaration en l'espace d'une dizaine de minutes environ, après quoi nous passerons aux questions.

M. Anthony N. Doob (professeur, Centre de criminologie, Université de Toronto): Merci beaucoup. J'aimerais aborder deux questions distinctes. La première concerne véritablement la détermination de la peine, et je serai très bref. Quels que soient les mots que l'on utilise, les différentes formes de décisions discrétionnaires qui sont prises dans le cadre du régime de libération conditionnelle modifient la façon dont les punitions ont été imposées par la cour. C'est de cela qu'il s'agit, et c'est ainsi que les choses sont censées être.

Peu importe que l'on aime ou non le fait que les punitions imposées par la cour soient modifiables, c'est ce que prévoient nos lois.

Cependant, je dirais que la façon dont ces modifications s'opèrent résulte en vérité de facteurs qui débordent largement du contrôle du contrevenant. Ces facteurs sont liés à l'efficacité du système correctionnel dans la prestation de programmes que les administrateurs correctionnels jugent nécessaires pour réduire les risques de récidive du contrevenant, et aux caractéristiques de ce dernier, notamment casier judiciaire, âge, nature des crimes commis, etc.

Je ne dis pas ces choses pour critiquer la loi ou ceux responsables de son application. Tout ce que je dis c'est que nous avons créé un système dans le cadre duquel une partie importante de la variabilité et de ce qui arrive à un contrevenant est prévisible au moment où sa peine est annoncée.

Il ne faut pas être un génie ni connaître le détail de la LSCMLC pour savoir lequel des deux contrevenants qui suivent est le plus susceptible d'être libéré sous condition: un comptable, qui a escroqué des fonds considérables de son employeur, et qui purge une peine de trois ans, ou un voleur, avec un casier judiciaire antérieur, et qui purge une peine de trois ans. Notre système a clairement été conçu en vue de veiller à ce que la peine de trois ans que chacun de ces deux hommes hypothétiques purge le soit de façon très différente. Ils entendront peut-être tous les deux au tribunal qu'ils sont condamnés à trois ans, mais ils savent et nous savons qu'ils sortiront de prison à des moments différents.

Le deuxième point que je voulais souligner est lui aussi très simple. Les règles régissant la modification des peines ont été conçues de façon à protéger le système de justice pénale et ceux qui sont redevables de ces échecs, mais ne tiennent pas forcément suffisamment compte du travail de protection du reste de la population.

Avant d'aller plus loin, j'aimerais faire ressortir très clairement quelque chose, et c'est ceci: pour moi, la protection du public contre les contrevenants ne suppose pas les enfermer pendant des périodes de temps plus longues. Je pense que la protection du public repose sur des motifs empiriques et sans doute économiques.

J'aimerais que le gouvernement du Canada et que les gouvernements provinciaux utilisent les budgets de sécurité publique, s'il est possible de les cerner, de la façon la plus efficace possible. Il nous faut nous rappeler que la plupart des détenus sont libérés à un moment où à un autre dans leur vie.

Le défi que j'aimerais vous voir relever est le suivant: établir des règles en matière de libération conditionnelle qui cadrent avec le but visé. Je sais que vous examinez depuis longtemps la LSCMLC, mais un certain nombre d'articles méritent un examen attentif.

Premièrement, si vous regardez l'objet de la libération conditionnelle, voici ce que dit le texte:

    L'objet de la libération conditionnelle est de contribuer au maintien d'une société juste, pacifique et sûre grâce à des décisions quant à la date et aux conditions de libération qui facilitent au mieux la réadaptation des contrevenants et leur réintégration dans la communauté en tant que citoyens respectueux des lois.

Il me semble qu'il s'agit là d'une déclaration parfaitement raisonnable. Et le premier principe qui est censé guider les commissions de libération conditionnelle est tout aussi raisonnable. On lit:

    Les principes qui guideront la Commission et les commissions provinciales des libérations conditionnelles dans la réalisation de l'objet de la libération sous condition sont

      (a) que la protection de la société sera la considération primordiale dans toutes les décisions;

Le problème survient lorsqu'on a à l'esprit ces préoccupations en matière de protection et que l'on passe ensuite aux critères régissant l'autorisation d'une libération. La Commission nationale ou les commissions provinciales pourraient autoriser la libération pour un contrevenant si, à leur avis, le contrevenant, en récidivant, ne poserait pas un risque indu pour la société avant l'expiration de la peine qu'il purge conformément à la loi.

J'aimerais faire une observation très simple et très évidente au sujet de ces articles. Ce qui préoccupe la commission des libérations est la période de temps précédant l'expiration du mandat. Par implication, la Commission des libérations est censée se pencher uniquement sur la possibilité que l'intéressé récidive avant l'expiration du mandat. C'est ce que vous a dit ce matin la Commission ontarienne des libérations conditionnelles. Scott Newark vous a tenu des propos semblables.

• 1130

Je ne les critique pas, car ce qu'ils font, c'est parler de la loi.

Si l'on utilise les critères établis dans la loi, il se pose deux problèmes. Premièrement, la sécurité et la sûreté à long terme sont considérées comme n'étant pas pertinentes. Deuxièmement, la récidive avant l'expiration du mandat peut être utilisée comme preuve que la Commission des libérations s'est trompée, tandis que la récidive après l'expiration du mandat n'est pas considérée comme une preuve d'erreur. Il y a à l'intérieur du système un conservatisme qui ne sert certainement pas l'intérêt de la sécurité générale.

Je saute maintenant à la page 4. Ceci est clairement faux. Il ne serait pas difficile de modifier la loi. La Commission des libérations conditionnelles devrait être chargée de chercher le meilleur moyen de réduire le risque de récidive à long terme. Le resserrement des libérations conditionnelles et certaines des autres choses que vous avez entendues ce matin ne tiennent pas vraiment compte de la sécurité à long terme, mais plutôt de ce qui se passe avant l'expiration du mandat.

Il existe un autre problème lorsqu'on s'attarde sur la protection à court terme de la société. L'on ne tient pas compte des coûts.

L'une des déclarations les plus déraisonnables et irresponsables que l'on entend relativement au contrôle de la criminalité est que si une vie est sauvée par telle ou telle politique, alors cela en vaut la peine. L'on entend sans cesse répéter ces déclarations. Si une vie était sauvée du fait de garder les gens en prison jusqu'à expiration de leur mandat ou d'imposer des peines d'emprisonnement plus longues ou des peines d'incarcération minimales ou de nouvelles exigences en matière de contrôle des armes à feu ou autres, alors tout serait justifié, car l'on ne peut pas attribuer de valeur monétaire à la vie humaine.

La raison pour laquelle je trouve ce genre de déclaration complètement irresponsable est que cela ignore le fait qu'il y a d'autres choix qui pourraient être faits quant à l'utilisation des ressources rares dont on dispose. Si une vie pouvait être sauvée du fait de garder plus longtemps en prison un certain nombre de personnes, mais que deux, trois ou quatre vies pouvaient être sauvées du fait d'utiliser ces mêmes ressources d'une autre façon, pourquoi choisirait-on de sauver une vie plutôt que deux ou trois ou plus encore? Le problème politique est qu'une vie non sauvée lorsqu'un détenu est libéré ressort plus aux yeux de tout le monde que plus qu'une vie sauvée grâce à une utilisation censée des ressources sur le plan prévention.

Dans mon domaine, les chercheurs vont souvent au-delà de la question de savoir si une politique de justice pénale fonctionne ou non à un autre rythme. Combien de crimes graves sont évités par million de dollars dépensé?

Regardez les choses de la façon suivante. La prison devient souvent une façon très coûteuse de protéger le public. Comme vous le savez, au cours des cinq dernières années, de plus en plus de personnes sont sorties des pénitenciers fédéraux, soit à l'étape de la libération d'office soit à l'expiration de leur mandat. En d'autres termes, l'on dispose d'amplement de preuves que la Commission nationale des libérations conditionnelles a été très conservatrice dans ses décisions. Cela semble être inévitable, compte tenu du climat actuel en matière de justice pénale et des lois actuelles.

Au bout du compte, si nous voulons veiller à ce que les contrevenants n'entraînent pas des tragédies avant la fin de leur peine, il serait facile d'atteindre cet objectif. Tout simplement, on ne libérerait personne. On ne lirait pas d'articles dans les journaux sur des crimes commis par des personnes en libération conditionnelle. Vraisemblablement, il y aurait davantage de crimes commis par des personnes qui ne bénéficient pas de la supervision et du soutien de la communauté avant d'être incarcérées.

Nous avons un problème au Canada. Le commissaire du Service correctionnel du Canada a souligné que la sécurité publique serait améliorée si plus de prisonniers étaient supervisés dans la communauté au lieu d'être gardés en prison. Une autre façon de dire cela est que nous ne bénéficions pas au maximum des dollars dépensés au titre de la justice pénale. Je pense que le libellé de la LSCMLC est peut-être en partie responsable.

J'aimerais revenir sur l'exemple des deux peines de trois ans. L'escroc sera vraisemblablement libéré en premier, mais c'est le voleur qui bénéficierait sans doute le plus de surveillance et de soutien. En d'autres termes, l'on offre souvent les possibilités de réintégration à ceux qui en ont le moins besoin. À l'inverse, les personnes qui ont le plus besoin de contrôle et de soutien dans la collectivité sont celles qui en reçoivent le moins.

En conclusion, je vous exhorte à examiner attentivement les principes et les critères en matière de libération conditionnelle et de les modifier de telle sorte que la commission ait pour responsabilité de s'intéresser à la sécurité à long terme plutôt qu'à court terme. Si vous faisiez cela, en tant que législateurs responsables, il vous faudrait participer au processus d'éducation des Canadiens relativement à ce que vous faites. Il ne sera pas facile d'expliquer le compromis à trouver entre les risques à court terme et les risques à long terme, mais cela est important. Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup.

La parole sera à M. Abbott, pour cinq minutes.

M. Jim Abbott: Bien. Merci. J'apprécie votre mémoire et votre déclaration. Je trouve que c'est une bonne gymnastique mentale de se forcer de temps à autre. Et je pense que c'est ce que vous nous avez obligés à faire.

• 1135

J'aimerais cependant revenir sur la page 4, et j'éprouve quelques difficultés avec cet exercice mental auquel je m'adonne. dans l'avant-avant dernier paragraphe, vous dites que le problème politique est qu'une vie qui n'est pas sauvée lorsque le prisonnier est libéré a plus d'importance aux yeux de tout le monde que les plus d'une vie qui sont sauvées grâce à une utilisation à bon escient des ressources destinées à la prévention. Il est clair que cela est vrai. J'accepte tout à fait ce constat. L'utilisation de nos maigres ressources gouvernementales pour empêcher la commission d'un acte est clairement préférable à l'utilisation de ces ressources après l'événement en question.

J'ai quelques difficultés avec le concept. Passons maintenant au dernier paragraphe à la page 5, lorsque vous comparez le voleur et l'escroc: ce que vous dites ici c'est que l'escroc va sans doute sortir plus tôt que le voleur. N'est-ce pas le voleur qui reste dans le système, en espérant suivre différents programmes? Ne bénéficie-t-il pas en fait de son séjour dans le système, qui l'expose à ces programmes?

M. Anthony Doob: La question est vraiment celle de savoir si vous croyez dans la libération et le soutien graduels, si vous croyez dans la réintégration de personnes qui ont passé du temps en prison. Voyons cela du point de vue du public plutôt que du point de vue humanitaire du détenu.

La pire chose que nous pouvons faire est de détenir le prisonnier jusqu'à expiration de son mandat pour ensuite le libérer tout d'un coup sans soutien et sans supervision. À qui fait-on cela? À l'heure actuelle, on fait cela aux personnes qui nous inquiètent le plus. Et pourquoi nous inquiétons-nous d'elles? Parce que nous sommes préoccupés par l'expiration de leur mandat, et nous craignons qu'elles commettent un délit entre la date de libération envisagée et l'expiration de leur mandat. Bien franchement, cela nous importe guère ce qui leur arrive après l'expiration du mandat, car elles ne seront plus la responsabilité du système de justice pénale. Elles ont purgé leur peine, et ce sera la fin de l'histoire.

Il est vrai que nous essayons de faire tout ce que nous pouvons avec les détenus, mais lorsqu'on parle de détenus fédéraux qui ont passé beaucoup de temps en prison, il me semble qu'il ne sert à rien de dire: ne consacrons pas beaucoup de ressources à l'intégration de cette personne dans la société, à lui assurer du soutien et à l'aider à reprendre le contrôle de sa vie. Qu'on les tienne au maximum, complètement, puis qu'on les jette dehors. Il me semble, si l'on accepte l'idée d'une libération graduelle, que cela n'est pas du tout productif.

Ma crainte est que la Commission des libérations examine la loi et examine la personne et dise que cette dernière est un risque. Pour revenir sur vos interrogations relativement à ce que je dis au bas de la page 4, prend-on un risque à court terme en prévision d'un gain possible à long terme? Libère-t-on cette personne avant l'expiration de son mandat, sachant que ceux d'entre nous qui sont assis autour de la table ne courent pas le même risque que cette personne de commettre des actes violents au sein de la collectivité? Ces personnes posent un risque pour nous.

Prenons-nous un risque à court terme? La personne et la société sont manifestement à risque pendant cette période entre la décision et l'expiration du mandat. Une fois celui-ci expiré, seule la société est à risque. Prenons-nous ce risque à court terme, sachant que quelque chose pourrait arriver, parce que nous croyons en l'idée que les gens ont besoin de soutien et de surveillance et ainsi de suite au fur et à mesure de leur réintégration dans la société?

C'est le même genre d'analogie que si vous prenez un médicament dangereux mais efficace. Il y a un risque, mais le risque en vaut la peine car vous visez un avantage à long terme.

M. Jim Abbott: Si c'est ma femme ou mon petit-enfant qui est victime de cette personne avant l'expiration de son mandat, votre savant argument sonne très creux.

M. Anthony Doob: Mais bien sûr. Votre argument politique sonne creux si c'est ma femme, mon enfant ou un de mes parents qui est tué par cette personne trois jours après l'expiration du mandat, lorsque vous pouvez vous en laver les mains, car on dira qu'on a gardé le détenu en prison jusqu'à expiration du mandat. C'est là le problème.

• 1140

Je pense que la difficulté est que le système de justice pénale et, en un sens, nous tous, disons que nous contrôlons le détenu pendant cette période de temps et que nous allons minimiser le risque pendant cette même période de temps mais, bien franchement, peu nous importe ce qui arrive une fois le mandat expiré. Cela me paraît complètement irresponsable.

Le président: Merci.

Une toute petite question.

M. Jim Abbott: D'accord.

M. Anthony Doob: Je ne dis pas que vous êtes irresponsable. Je dis que le système tel qu'il existe est irresponsable.

M. Jim Abbott: Je comprends cela. C'est tout simplement qu'il nous faut comprendre que nous avons pour responsabilité d'examiner la LSCMLC. Le comité n'a pas d'autres responsabilités. Dans ce contexte, j'accepte votre point de vue selon lequel il nous faut réfléchir à la protection à long terme. Mais le comité a été chargé d'examiner la Loi sur le système correctionnel et la liberté sous condition.

M. Anthony Doob: C'est pourquoi j'ai dit que l'article 102 de la LSCMLC est le gros problème qui débouche sur cette façon de voir.

M. Jim Abbott: Merci.

Le président: Merci.

[Français]

Monsieur Marceau, vous avez cinq minutes.

M. Richard Marceau: Merci, monsieur le président. Je veux aussi remercier notre témoin.

À la page 4 de votre mémoire, sous le titre Prison vs. other choices, vous décriez de façon assez forte un argument que nous entendons souvent: si une seule vie était sauvée, cela en vaudrait la peine. On entend cela régulièrement, au moins une fois par séance de ce sous-comité, et c'est la même chose au Comité de la justice.

Ensuite, vous dites qu'il faudrait penser à d'autres choix, mais vous n'en parlez que de façon très générale. J'aimerais bien savoir quels pourraient être ces autres choix.

[Traduction]

M. Anthony Doob: Il y a en fait deux ensembles de choses. Dans ce cas particulier, la vie qui pourrait être sauvée dans le contexte de la libération conditionnelle est une vie qui, on le suppose, n'aurait pas été perdue si le détenu, ou plusieurs détenus, n'avaient pas été libérés. Si nous croyons vraiment en l'importance de la libération conditionnelle pour veiller à ce que les gens soient réintégrés dans la société, alors ce que je dis c'est qu'il s'agit ici d'un jeu d'équilibre, et qu'en ce qui concerne les personnes qu'on garde en prison en attendant l'expiration de leur mandat, on est peut-être en train de réduire les risques qu'elles commettent des délits avant expiration de leur mandat, mais peut-être qu'on augmente le risque qu'elles commettent plus tard dans leur vie d'autres délits. En d'autres termes, le compromis—et il est terrible—revient à choisir entre un crime grave hypothétique avant et quatre crimes graves après expiration de leur mandat.

Mon choix serait de dire que peu m'importe que je me fasse attaquer la veille de l'expiration du mandat ou que trois personnes se fassent attaquer après l'expiration du mandat; cependant, trois victimes me paraît pire qu'une seule. Alors le fait d'éviter un crime grave ne suffit pas.

En ce qui concerne, par exemple, les arguments en faveur de l'augmentation de l'emprisonnement, comme l'a dit un criminologue, si vous prenez un million de citoyens américains et que vous les enfermez, ce million de personnes ne va pas commettre de crimes dans la rue. Cela réduira jusqu'à un certain point la criminalité. La question est de savoir ce que l'on peut faire.

Dans le cadre d'études qui ont été faites comparant le recours à l'emprisonnement, l'incarcération de gens pendant des périodes plus longues, ou d'autres choses encore, on a fait des comparaisons avec des programmes sociaux, qui ne sont pas aussi sexy que la construction de prisons ou la modification de la libération conditionnelle, mais qui sont des programmes axés, par exemple sur les jeunes qui ont de la difficulté à l'école, et on essaie de les garder à l'école et de leur trouver des emplois par la suite. En fait, par dollar dépensé, ces genres de choses sont un bien meilleur investissement dans la réduction de la violence. Il se passe beaucoup de choses du genre. Cela est tout aussi visible que le fait d'enfermer des gens.

• 1145

[Français]

M. Richard Marceau: À moins que je ne me trompe, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne parle pas de prévention.

J'en parle parce que cela n'a jamais été abordé de façon aussi directe au sous-comité. Pensez-vous que ce comité devrait faire une recommandation pour qu'une partie de la loi soit consacrée à la prévention? Devrait-il y avoir une section consacrée à la prévention, et que devrait-elle contenir?

[Traduction]

M. Anthony Doob: Permettez que je réponde indirectement à cette question. Cela est lié à quelque chose qui a été mentionné tout à l'heure et j'imagine que cela a été soulevé plusieurs fois dans le cadre de vos délibérations: je veux parler de ce prétendu ratio 50-50 dont a parlé le commissaire du SCC.

• 1150

En ce qui concerne la prévention, ou voudra peut-être que la LSCMLC dise qu'il incombe au gouvernement d'utiliser ses ressources correctionnelles de façon plus efficace afin de réduire le nombre de crimes commis par des personnes sous son contrôle. Cela amènerait le SCC et la Commission nationale des libérations conditionnelles à essayer de dire que cela coûte X dollars pour garder une personne en prison et X dollars pour la surveiller dans la communauté, alors que retire-t-on à long terme de l'utilisation de différents types de ressources? Que nous procurent différents types de programmes? Quelle est la réelle valeur sur le plan de la prévention de la criminalité?

L'on voit à l'heure actuelle dans des travaux de recherche une statistique terrible: le nombre de crimes violents graves évités par million de dollars dépensé. Il s'agit là d'une statistique très froide. Mais si vous gérez une boîte d'un milliard de dollars, il me semble que vous avez en quelque sorte pour responsabilité d'avoir à l'esprit ce genre de statistiques. Je pense donc que le SCC et que la Commission nationale des libérations conditionnelles, dans le cadre des responsabilités qui leur reviennent en vertu de la LSCMLC, ont une responsabilité générale en matière de prévention de la criminalité. Je dirais que si nous étions motivés par l'utilisation efficiente de ce milliard de dollars, nous prendrions sans doute des décisions différentes.

Ma vision très étroite de cette situation est que nous devrions examiner le comportement criminel des personnes pendant toute leur vie, et pas seulement pendant la période prenant fin à l'expiration de leur mandat.

[Français]

Le président: Merci, monsieur Marceau.

[Traduction]

Monsieur MacKay, vous avez cinq minutes.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Merci, professeur, de votre déclaration et de votre approche très informative. Je suppose que j'ai des questions sur toute cette philosophie du long terme versus le court terme, car je constate qu'on a déjà essayé beaucoup de ces choses, et, dans une certaine mesure, c'est ce que cette loi visait.

• 1155

Pour exprimer cela en des termes directs et pratiques, la LSCMLC, et, du fait de l'étape suivante, la Commission des libérations conditionnelles, font exactement ce dont nous parlons ici. Elles prennent une personne qui a été condamnée à purger une peine de telle durée et, en gros, elles écourtent la peine et mettent en place des conditions qui sont censées amener la personne à se réadapter à l'extérieur.

Garder en prison le détenu jusqu'à l'expiration de son mandat pour l'empêcher de retourner dans la rue et de pouvoir commettre d'autres délits est un objectif qui est réalisé pendant la durée de l'incarcération, mais cette période est ensuite écourtée et des conditions sont mises en place.

Pensez-vous qu'il y aurait lieu de faire en sorte—je ne veux pas utiliser le mot «contractuel»—que les prisonniers soient davantage amenés à accepter cela, à convenir qu'ils ne seront libérés que s'ils acceptent les conditions imposées? Cela vise selon moi le processus de réadaptation à long terme que vous évoquez. L'important ici n'est pas tout simplement de les enfermer pour la période de temps jugée nécessaire par le juge, mais de regarder au-delà de l'expiration de leur peine, au-delà de l'expiration de leurs conditions de libération—si cela s'inscrit dans un scénario provincial—pour dire que l'on va consacrer davantage de temps à cette approche à long terme que vous avez, je pense, à très juste titre soulignée comme devant être le principe directeur du système tout entier.

M. Anthony Doob: Comme vous l'avez souligné, je pense que nous devrions en définitive nous pencher sur le risque que cette personne représente pour la société pour sa vie tout entière. Je veux dire par là que chacun d'entre nous pose jusqu'à un certain point un risque aux autres pendant toute sa vie—peut-être que nous conduisons mal, peut-être que nous commettons des crimes, peut-être que nous sommes susceptibles de commettre des crimes très graves. Ce que nous devrions donc faire c'est chercher à minimiser le risque à long terme, sur toute sa vie, du contrevenant. C'est là un élément, je pense.

Le deuxième point est que je crois fermement dans les peines du durée fixe, en ce sens que je ne suis pas favorable aux peines de durée indéterminée, et ce pour plusieurs raisons, qu'il n'est pas nécessaire qu'on approfondisse ici tout de suite. Ce que fait cela, c'est dire au SCC et à la Commission nationale des libérations conditionnelles, travaillant indépendamment—et, bien franchement, pas toujours en tandem—que j'aimerais qu'ils disent comment nous pouvons le mieux réduire le risque à long terme pour l'intéressé.

Le problème, j'en conviens, est que le contrôle exercé par ces institutions, et plus précisément par le SCC, correspond à une période fixe. Il y a une période de temps fixe, et c'est ainsi que ce devrait être, selon moi. Il nous faut donc déterminer la meilleure façon de faire cela. Si le détenu n'est pas d'accord et s'il ne veut pas réduire les risques, alors nous nous trouvons confrontés à encore un autre défi. Mais si l'on envisage une peine de trois ou de quatre ans, il y a toujours cette date d'expiration du mandat devant nous.

M. Peter MacKay: Je suppose que ce que je suis en train de suggérer... Je suis d'accord, je pense que la peine de durée fixe est le processus que nous avons, mais cela dresse des repères très artificiels devant l'intéressé. Je ne sais si je pourrai exprimer cela comme il faut, mais je pense que ce dont je veux parler ce n'est pas tant des peines de durée indéterminée, mais de la capacité—et cet avis sera peut-être très radical—si une personne est condamnée pour un acte violent, par exemple, au bout de trois ou de cinq ans d'une peine de huit ans, du service correctionnel de réévaluer et décider de recondamner cette personne à purger sa peine dans la collectivité, en y attachant des conditions qui peut-être n'étaient pas nécessaires ou n'avaient pas été envisagées par le juge à l'époque où le détenu a comparu devant lui cinq ans plus tôt.

Je me rends compte que cela a toutes sortes de ramifications constitutionnelles si l'on parle de «resentence», et ce n'est pas un terme à employer. Je m'exprime en des termes très flous, mais que pensez-vous de ce concept de... Je sais que des réévaluations se font dans le cadre du processus, mais que pensez-vous de l'idée de mettre en place de nouvelles conditions?

• 1200

M. Anthony Doob: Nous abordons ici un sujet très vaste. Mon point de départ, je pense, est que je crois fermement que les gens devraient se voir imposer une peine lors de leur procès et que la durée de leur incarcération devrait dans une large mesure être fonction de la gravité de leur acte. C'est là mon point de départ. Puis j'ai dit que nous avons une obligation et un intérêt: utiliser ce temps de façon efficace. La façon de modifier et de gérer cela, me semble-t-il, devrait être déterminée de diverses façons et en fonction de divers principes.

J'ai dit dans l'espèce de préface, que je n'ai pas lue, que... Je suppose qu'il faudrait vous rappeler que je ne suis personnellement pas un grand partisan du soulagement discrétionnaire dans la forme telle qu'il existe à l'heure actuelle, c'est-à-dire de la libération conditionnelle. J'ai publiquement endossé un modèle de soulagement différent il y a 15 ans, et je suis toujours convaincu que cela nous servirait mieux.

M. Peter MacKay: S'agit-il de... La vérité est la même chose: cinq ans, c'est cinq ans.

M. Anthony Doob: Si les responsables canadiens des peines recommandaient que la libération conditionnelle telle qu'on la connaît devrait être abolie et que tous les détenus devraient être libérés, selon la définition que vous donnez, aux deux tiers ou aux trois quarts de leur peine, alors cela s'appliquerait à tous les détenus. Si cela était lié à un régime de détermination de peine en vertu duquel les peines seraient contrôlées et proportionnelles au sérieux du délit et que vous ne pourriez pas faire l'un sans l'autre, vous ne pourriez pas tout simplement changer les dispositions en matière de libération sans également changer celles en matière de détermination ou de contrôle de la peine. L'idée cadre largement avec ce dont nous parlons, soit que nous croyons dans la réinsertion et dans l'importance de prévoir ce soutien et ce contrôle pour beaucoup de personnes, et que nous voulons veiller à ce que ces personnes, surtout celles qui en ont le plus besoin, y aient accès, par opposition au système que nous avons à l'heure actuelle.

Le président: Je m'excuse, mais il nous faut passer à l'intervenant suivant.

M. Peter MacKay: Oui. Ça va.

Le président: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président.

Monsieur Doob, pour commencer, je suis un grand défenseur de la libération conditionnelle, de la libération anticipée et de tout ce que l'on peut faire pour sortir le contrevenant du système de la façon la plus sûre et la plus économique possible. Si l'on sort le contrevenant de l'établissement, on économise beaucoup d'argent.

À votre avis, consacre-t-on suffisamment d'argent à surveiller, à aider, à appuyer et à former ces personnes qui sortent de nos établissements carcéraux?

M. Anthony Doob: La réponse la plus juste que je peux vous donner est que je ne sais pas si nous dépensons suffisamment d'argent. D'après certains rapports du vérificateur général, il semble que, peu importe combien d'argent on dépense, qu'on en dépense suffisamment ou pas assez, la question est de savoir si l'on dépense cet argent de la meilleure façon possible. Je suppose que cela découle de mon interprétation des observations faites par le vérificateur général sur les variations qui semblent exister sur le plan supervision entre les différentes régions.

En tant que membre de la collectivité, mon point de départ est que les peines sont purgées et que l'on veut veiller à ce que tout soit fait pour réduire les risques à long terme que pose un contrevenant à la collectivité. Ces efforts nous bénéficient en général.

Quant à ce que j'ai pu lire, permettez-moi de vous donner un exemple. Il s'agit du genre de chose qui remet en question la façon dont nous voyons les choses et certains aspects des questions même constitutionnelles. J'ai lu récemment des travaux de recherche sur les programmes d'emploi. L'une des choses qui ressort de ces travaux de recherche est que ce qui compte c'est non seulement ce que l'on appelle l'étape préparation à l'emploi, et cela relève du travail de formation des gens pendant qu'ils sont en prison, mais également des programmes d'emploi qui procurent du travail à l'intéressé, qui l'aident à se trouver un travail mais qui lui viennent en aide par la suite également.

• 1205

Le détenu obtiendra peut-être l'emploi, mais dans bien des cas, il faudra veiller à ce qu'il acquiert ce que l'on appelle des compétences de travail de base, par exemple arriver au travail à l'heure et, s'il y a des problèmes, téléphoner et les expliquer. Par ailleurs, si l'intéressé perd son emploi pour une raison ou une autre, par exemple s'il y a une mise à pied générale ou s'il est le dernier à avoir été embauché, alors le programme d'emploi de la prison s'enclenche de nouveau.

Nous aurions bien du mal avec ces choses, surtout si cela allait au-delà de l'expiration du mandat, mais j'imagine que ce sont là les éléments de discontinuité que nous avons instaurés. Si j'avais un nouveau million de dollars à dépenser pour assurer la sécurité du public vis-à-vis des détenus, ce que je dirais vraisemblablement est qu'il nous faut travailler plus fort à la réintégration des éléments les plus difficiles. En ce sens, j'essaierais de voir comment je pourrais distribuer les fonds, les nouveaux fonds, en vue de réaliser cet objectif d'ensemble à long terme, en mettant toujours l'accent sur le long terme, c'est-à-dire au-delà de l'expiration du mandat.

M. Ivan Grose: Merci.

J'ai toujours une réaction mixte lorsque quelqu'un mentionne le vérificateur général. Je siège au Comité des comptes publics, et il est incroyable le nombre de fois que j'ai un avis partagé à ce comité.

Ce que vous avez dit est qu'il serait très difficile de maintenir l'aide au-delà de l'expiration du mandat. Je pense qu'il s'agit là d'un cas pour lequel les politiciens doivent prendre leur courage à deux mains et le faire, car je crois—et j'aimerais bien savoir si vous êtes ou non de mon avis—qu'à long terme ce serait sans doute la meilleure façon de faire sur le plan financier.

M. Anthony Doob: Je suis d'accord avec vous. Cela me frappe toujours, comme je l'ai dit, qu'il y ait tous ces décalages. Nous avons ces décalages entre la façon dont les programmes fonctionnent en établissement et dans les collectivités, puis il y a des décalages sur le plan expiration de mandat, sauf lorsqu'interviennent des arrangements informels ou des programmes très spéciaux. On écarte tout simplement les gens, et cela ne sert l'intérêt de personne.

M. Ivan Grose: Merci beaucoup.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

Professeur, j'aimerais tout simplement vous demander un petit éclaircissement. Dans votre mémoire, à la dernière phrase à la page 4, lorsque vous parlez de décisions de la Commission nationale des libérations conditionnelles, vous dites «cela semble être inévitable, étant donné le climat actuel de la justice pénale et la loi actuelle». Pourriez-vous nous expliquer de quoi vous parlez exactement.

M. Anthony Doob: J'ai déjà parlé de la loi actuelle, bien sûr, et il est question ici de l'article 102 de la LSCMLC.

L'actuel climat dans le domaine de la justice pénale veut, je pense, que les problèmes complexes de criminalité soient réglés par des solutions simples, comme par exemple enfermer les gens pendant plus longtemps ou faire ceci ou cela. Il s'agit ici de problèmes sociaux humains complexes, et l'avis que vous avez entendu ce matin exprimé, pas juste avant moi, bien sûr, mais par M. Newark et par la Commission ontarienne des libérations conditionnelles... La Commission ontarienne, par exemple, nous donnerait le pouvoir de détenir les gens pendant quelques mois de plus, prétendant que l'incidence de crimes fléchira. C'est là une solution très populaire, car elle est simple et rapide: qu'on enferme un groupe de prisonniers pendant plus longtemps et le problème disparaîtra.

M. Newark vous a dit, et je pense qu'il a tout à fait tort là-dessus, que la réduction de la criminalité que l'on a constatée au cours de la dernière décennie est en partie due à l'augmentation du nombre de détentions. Je pense que si vous vérifiiez les chiffres, vous constateriez que cela est impossible. Mais ce sont là les genres de solutions simples qui séduisent, et le climat de la justice pénale est telle que l'on pense que l'on va régler les problèmes de la criminalité en bricolant tout simplement le système de justice pénale.

Je pense que l'on sait, du fait de notre abondante expérience dans ce pays et ailleurs, que le bricolage du système de justice pénale ne donne rien. Mais le climat en matière de justice pénale dans ce pays veut que l'on règle ainsi les problèmes, que l'on règle ainsi la criminalité, pas forcément avec la LSCMLC, mais en bricolant le Code criminel, en modifiant les diverses procédures de libération, en retravaillant l'article 745 ou autre. Je pense que nous savons que c'est de la fraude.

• 1210

Le président: Si vous étiez le dictateur du Canada, avec des pouvoirs absolus, et que vous aviez le choix, en matière de détention, de détenir les gens jusqu'à expiration de leur mandat et de les libérer à ce moment-là, sans surveillance, ou de les libérer dans le cadre d'une libération d'office, en examinant leur dossier du point de vue de la protection du public seulement, de quelle façon le public est-il mieux servi, en les laissant sortir plus tôt avec une certaine surveillance, étant donné qu'il s'agit en règle générale de personnes qui ont résisté au traitement et aux programmes, etc.—c'est pourquoi le SCC veut les garder en détention—ou en les gardant en détention pendant cette période de temps supplémentaire au cours de laquelle ils ne vont manifestement pas récidiver du fait qu'ils sont toujours en prison... Le compromis, donc... Je pense que M. Abbott a abordé cette question.

M. Anthony Doob: J'éliminerais la détention, sans hésitation aucune. Je m'y opposais déjà en 1986. Je pense que c'était là la charade parlementaire la plus bizarre que j'aie vue pendant longtemps, le Parlement étant rappelé en 1986 pour un débat d'urgence sur la détention. J'ai trouvé cela étrange au possible. C'était très bizarre, mais sans doute politiquement adroit, en ce sens que l'on dit que l'on va détenir ces personnes et on va les laisser sortir du jour au lendemain. Personne ne tient compte du fait qu'il y a une date d'expiration du mandat.

Cela ne veut pas forcément dire qu'il nous faut les libérer dans les mêmes conditions qu'on libérerait l'escroc hypothétique que j'ai décrit tout à l'heure. Cela veut cependant dire qu'il nous faut accepter le fait que certaines personnes présentent bel et bien un risque à long terme. Ce qu'il nous faut faire c'est examiner les façons dont nous pouvons réduire ce risque à long terme.

En ce qui concerne la préface à votre question, comme vous le savez, le groupe de personnes qui sont détenues jusqu'à expiration du mandat ou qui sont détenues pour des périodes de temps plus courtes est assez hétérogène. Vous vous souviendrez également, comme vous l'ont rappelé des gens comme les représentants de l'Association du barreau canadien, qu'en 1990 on nous avait dit qu'il s'agissait d'un très petit nombre de personnes qui seraient détenues.

Mais la réalité, il me semble, est que les dispositions en matière de détention laissent entendre que notre système a échoué sur le plan administratif en matière de programmes, de soutien, de surveillance et de contrôle qu'il devrait assurer à un groupe de personnes manifestement très difficiles. Ce sur quoi je reviens sans cesse—et c'est pourquoi j'ai trouvé si étranges les recommandations de la Commission ontarienne des libérations conditionnelles voulant qu'elle ait davantage de pouvoirs de détention—est que ces personnes sont en train de sortir.

L'Ontario est en train de dire qu'on sera plus en sécurité si l'on détient les gens pour... De quoi parle l'Ontario: de quatre à huit mois vraisemblablement? Plusieurs personnes en parlent; c'est un petit peu comme ajouter une rallonge puis tout mettre par terre au bout du compte de toute façon. Je pense qu'il revient vraiment au système d'accepter que les mandats vont expirer et de faire tout ce qui est possible, dans la période de temps dont on dispose à cause de la peine imposée par la cour, pour fournir les services et la réadaptation ainsi que le contrôle et le soutien dans la collectivité... pas juste le contrôle, mais également le soutien, car ce contrôle prend lui aussi fin.

Le président: Bien. Merci beaucoup. Nous apprécions beaucoup votre comparution ici aujourd'hui.

Notre dernier témoin avant la pause-déjeuner est Michelle Murphy, de Spirit of the People.

Madame Murphy, si vous pouviez faire votre déclaration en l'espace d'une dizaine de minutes, les membres du comité pourraient alors vous poser des questions. Merci.

Mme Michelle Murphy (directrice exécutive, Spirit of the People): D'accord. Je suis ici pour représenter la communauté autochtone. Nous travaillons avec des ex-délinquants et des détenus.

Pardonnez-moi de ne pas avoir rédigé de mémoire. Je vais simplement lire quelques résumés des mesures prévues à l'article 81 de la loi.

• 1215

Cet article contient déjà les directives applicables aux Autochtones, soit augmenter le nombre d'alternatives à la détention gérées par les Autochtones; élaborer des programmes institutionnels dirigés par des moniteurs et/ou enseignants autochtones; dispenser aux instructeurs non autochtones une formation pluriculturelle; veiller à ce que les fraternités et sororités autochtones disposent de ressources adéquates; accorder aux aînés et à la spiritualité autochtone le même statut et reconnaissance qu'aux autres religions; accroître le nombre d'employés autochtones ou conclure des ententes contractuelles avec des organisations autochtones pour faciliter les plans de libération et les demandes de libération anticipée.

Chaque fois que possible, la Commission nationale des libérations conditionnelles devrait libérer sous condition un délinquant autochtone dans sa localité ou réserve d'origine, dès lors que la communauté est disposée et capable de lui fournir assistance et surveillance; les pouvoirs publics devraient pleinement appuyer l'expansion des programmes et foyers de transition gérés par les Autochtones afin qu'ils puissent accueillir les délinquants autochtones à leur libération anticipée; et la Commission nationale des libérations conditionnelles devrait examiner les répercussions de l'obligation de non-association qui interdit aux délinquants de fréquenter des personnes ayant un casier judiciaire.

Service correctionnel Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles devraient établir conjointement un comité consultatif sur les délinquants autochtones, auquel seraient représentées les principales organisations autochtones travaillant dans le domaine de la justice pénale. Et là où les chiffres le justifient, Service correctionnel devrait assurer une représentation proportionnelle au sein des comités consultatifs de citoyens qui flanquent les pénitenciers et les bureaux de libérations conditionnelles.

Nos hommes autochtones ont 700 fois plus de probabilité d'être incarcérés et nos femmes 131 fois plus que la population générale du Canada.

Travaillant avec les Autochtones incarcérés, je constate que les peines qui leur sont infligées sont plus dures. Ils partent donc en détention pour des périodes plus longues. Une fois dans l'établissement, très peu des mesures prévues par la loi sont exécutées. L'article 84 n'a jamais été appliqué. L'article 81—il n'y a que 12 de ces accords, alors que la loi existe depuis huit ans.

Lorsqu'ils sortent, il n'y a pas de ressources. Le programme que nous gérons, Spirit of the People, est le seul de son type au Canada et aux États-Unis. Nous avons un budget de moins de 100 000 $ pour tous les ex-détenus. Nous visitons les prisons et organisons des sueries et assurons une formation culturelle une fois par mois dans trois pénitenciers. Il n'y a rien de plus, non plus, dans les autres établissements.

Le problème est que les programmes que nous dispensons ne sont pas reconnus comme des programmes officiels. Or, nous avons pu constater que si l'Autochtone incarcéré peut trouver son identité ou ses racines, nous avons une meilleure chance de l'aider à se réinsérer dans la société.

Au niveau de la prévention, il n'y a rien non plus. Le problème est que nous voyons défiler des générations successives. Je travaille avec un jeune garçon à l'école de St. John dont le père et la mère sont tous deux incarcérés dans le sud de l'Ontario, dont le grand-père a également séjourné dans un pénitencier ontarien. Notre population tend à passer beaucoup de temps en prison.

Si nous étions autorisés à faire ce qui a toujours été recommandé et si nous avions les ressources pour cela... Nos taux de récidive sont déjà meilleurs de 20 p. 100 que ceux du SCC. La raison en est que nous pouvons commencer à constituer une famille. C'est l'une des choses qui manquent et c'est l'une des raisons pour lesquelles nos hommes se retrouvent en prison en premier lieu. J'étais à Joyceville avant hier et ils se plaignaient précisément de cela—il n'y a pas de programme autochtone dans ce pénitencier. Ils sont obligés de suivre tous les programmes non autochtones.

Beaucoup d'entre eux refusent de le faire—ils s'y refusent obstinément, ce qui bien sûr fait qu'ils restent en prison jusqu'à expiration du mandat. Ils ne veulent pas aller dans les foyers de transition—nous n'en avons qu'un seul. Avec une population de 60 000 à 100 000 Autochtones rien qu'à Toronto, un foyer de transition à Sudbury ne va pas suffire.

Nous devons pouvoir commencer à coordonner les efforts pour faire des économies. Nous nous associons à certains des foyers de transition des bureaux de libération conditionnelle, etc. et travaillons à l'établissement de plans prélibératoires, dans la perspective de leur libération anticipée. Lorsqu'ils sortent, ils ne veulent pas aller dans les foyers de transition disponibles parce qu'on les y oblige à suivre des programmes sans contenu autochtone.

• 1220

S'il y a un contenu autochtone, nous parvenons à garder davantage des nôtres en dehors des prisons. Cela fait autant de détenus en moins dont vous avez à couvrir le coût. Si on nous laissait faire et si nous avions les ressources pour faire ce que nous sommes censés faire, et ce que prévoit déjà la loi, nous pourrions réaliser des progrès. En gros, tout est déjà dans la loi, il suffit de l'appliquer et de mettre en place toutes ces mesures.

Je sais qu'il y a un Autochtone—un et demi—qui n'est pas représenté à la Commission des libérations conditionnelles ontariennes. À la conférence à laquelle j'ai assisté la semaine dernière, environ un demi pour cent étaient des Autochtones et nous savons que nous sommes plus nombreux que cela dans les prisons ontariennes. Il faut aussi améliorer notre représentation. Tout est déjà prévu dans la loi, il suffit de l'appliquer.

Le président: Merci.

Nous allons passer aux questions. Monsieur Abbott.

M. Jim Abbott: Ceci est excellent. J'apprécie réellement votre contribution et je peux dire qu'en ce qui me concerne, elle m'apprend beaucoup.

Vous dites que les religions autochtones n'ont pas le même statut que les autres religions. Pourriez-vous nous en dire plus? J'avais l'impression que, particulièrement dans l'Ouest du Canada—et je sais bien que nous parlons de l'Ontario, mais je connais bien certains des pénitenciers de l'Ouest—il y a une présence assez importante de religions autochtones. Vous dites que ce n'est pas nécessairement le cas en Ontario?

Mme Michelle Murphy: Vous avez raison. Il est vrai que dans l'Ouest... Je ne sais pas si c'est un plus grand respect, ou une plus grande disponibilité d'aînés, etc, pour aller dans les prisons.

Le président: Nombre d'aînés viennent de l'Est, me dit-on. La moitié des aînés qui visitent les prisons dans l'Ouest viennent de l'Est et, bien entendu, ils n'appartiennent pas à la même culture autochtone que les détenus de l'Ouest. C'est donc un problème.

Mme Michelle Murphy: Oui, c'est vrai également ici. Nous n'avons pas tant de difficulté à les faire accepter par les hommes, car certains des nôtres viennent de l'Ouest et certains de l'Est et d'autres du Centre. Il y a, en Amérique du Nord, 151 nations différentes, et on ne peut pas les mettre toutes dans le même sac.

Le président: Oui.

Mme Michelle Murphy: Nous n'avons pas de problème sur ce plan, mais oui, nous n'avons pas autant de spiritualité—ce n'est pas une religion, c'est une spiritualité et une culture—que dans l'Ouest. Mais cette spiritualité n'est pas reconnue dans les programmes, et c'est un gros problème, parce que si un détenu se laisse convaincre de suivre un programme d'apprentissage cognitif en vue de sa libération, s'il veut venir à l'une de nos sueries ou suivre l'un de nos enseignements, ils vont manquer trois jours de leur programme et seront pénalisés et n'obtiendront pas le crédit pour ce programme. C'est là-dessus que nous nous battons en ce moment car cela les empêche de participer. Donc, à quoi sert-il que nous offrions notre enseignement s'il ne va pas être crédité au titre des programmes qu'ils suivent, d'autant que c'est nous qui les convainquons de suivre les programmes du pénitencier en premier lieu.

• 1225

M. Jim Abbott: Pour ce qui est des conditions de non-association, je suppose que c'est après la libération conditionnelle. Il est logique que si une personne a subi quelques mauvaises influences—a eu de mauvaises fréquentations—que cette personne soit tenue de ne pas fréquenter ces mêmes personnes à sa sortie. Vous semblez être contre cela.

Mme Michelle Murphy: À l'heure actuelle, mon personnel se compose de deux ex-délinquants et de trois qui n'ont jamais été en prison. L'un de mes meilleurs employés est une ex-délinquant lui-même. C'est lui qui fait le meilleur travail pour nos clients lorsqu'ils sortent. La condition de non-association fait qu'il ne pourrait pas travailler avec le client, alors qu'il est le plus apte à le faire. Il faut donc modifier les clauses de non-association. Je l'ai justement obtenu dans un cas ce matin. Je travaillais avec l'agent de libération conditionnelle à un plan prélibératoire où il est prévu que, dans des circonstances précises, cette clause ne s'applique pas.

Je comprends ce que vous dites. Le détenu ne devrait pas aller traîner en ville avec des trafiquants de drogue et autres, mais dans certaines circonstances, notamment selon l'endroit où il habite, il peut y avoir sur place un ex-délinquant. Je m'efforce de placer la personne dans les meilleures conditions possibles pour ne pas récidiver et remettre sa vie sur les rails. La clause d'association m'empêche de le faire. Un grand nombre des nôtres sont d'ex-délinquants.

• 1230

M. Jim Abbott: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Marceau.

[Français]

M. Richard Marceau: Madame Murphy, merci d'être venue nous parler ce matin.

Je suis un peu gêné de l'admettre, mais c'est quand même une réalité: j'en ai appris plus sur la culture amérindienne depuis que je fais partie de ce comité qui voyage à travers le Canada et qui visite les prisons que j'en avais appris auparavant. C'est dommage, mais c'est ainsi.

Au début, j'étais très favorable et enthousiaste à l'idée d'une forte présence spirituelle amérindienne dans les prisons, comme dans le cas des sages, qu'on appelle les elders. Au tout début, j'avais beaucoup de commentaires positifs, jusqu'à ce que je rencontre un groupe d'autochtones à Vancouver et qu'ils me disent que plusieurs de ces elders n'étaient pas de vrais sages, ce qui causait de gros problèmes.

Vous avez parlé de la diversité des nations autochtones en Amérique du Nord; je sais qu'il y en a 11 au Québec seulement, mais je ne sais pas combien il y en a dans le reste du Canada. Plusieurs autochtones, dans les prisons, m'ont dit: «Le elder qui est dans ma prison veut m'imposer des coutumes spirituelles qui ne sont pas les miennes.» C'est un peu comme si moi, Québécois francophone et catholique, on me faisait accompagner spirituellement par un presbytérien écossais dans une prison. C'était aussi différent que cela.

Comment peut-on régler ce problème? Est-ce un problème dont vous êtes au courant? Deuxièmement, est-ce qu'il y a une façon de «satisfaire» tous les groupes autochtones malgré leur diversité?

[Traduction]

Mme Michelle Murphy: Pour ce qui est de votre première remarque, nous avons conscience du problème des aînés auto-proclamés et du comportement frauduleux de certains.

Pour ce qui est de votre deuxième question, à savoir comment résoudre ce problème, le Comité consultatif autochtone se compose d'aînés qui jouissent d'un grand respect auprès de la communauté autochtone sur le plan de la sensibilisation culturelle. Lorsque je fais de la sensibilisation culturelle, même avec les nôtres, car certains des nôtres ne connaissent pas la culture, je leur dis que s'ils sont racistes, ils ne sont pas de vrais sages. Lorsqu'un aîné dit «les nôtres sont les meilleurs», vous savez tout de suite que cette personne a des problèmes, car cette notion est étrangère à notre spiritualité.

Il faut donc faire la sensibilisation culturelle. Cela nous aide à déterminer qui abuse du système pour se donner du pouvoir et contrôler autrui, cherche à imposer ses croyances à autrui. C'est une chose qu'un vrai sage ne ferait jamais.

• 1235

[Français]

M. Richard Marceau: Il ne voulait pas forcer cela, mais son premier exemple était celui des sweat lodges; je ne connais pas l'expression française. On nous disait qu'en Colombie-Britannique, les nations autochtones n'avaient pas de sweat lodges. Cette tradition a été importée de l'est du Canada.

Les gens me disaient que cela les agaçait un peu; que c'était bien mais que cela ne correspondait pas à une pratique spirituelle de leur nation.

Ce n'était pas fait de force—je ne sais quel autre mot utiliser—mais on leur imposait, en quelque sorte, la façon dont un autochtone devait vivre sa spiritualité; cette coutume n'existait pas en Colombie-Britannique.

[Traduction]

Mme Michelle Murphy: J'en reviens à la sensibilisation culturelle. Ce n'est pas une coutume en Colombie-Britannique. La suerie est une coutume dans notre région et dans l'Est. Il s'agit donc de connaître les croyances des Haidas et des Nishgas de la région. En Colombie-Britannique, il faut s'adresser aux Haidas et aux Nishgas et aux Cris et aux Dénés dans les Prairies. Les Inuits devraient s'occuper des Inuits.

[Français]

M. Richard Marceau: C'est cela, la question.

[Traduction]

Mme Michelle Murphy: La question est...

[Français]

M. Richard Marceau: Par exemple, on ne retrouve pas que des autochtones de Colombie-Britannique dans les prisons de cette province. Il y a des Cris, des Inuits, des Métis; on y retrouve des gens de partout. Vous nous dites qu'on devrait aller voir le Conseil des Nisga'as ou un autre conseil.

Est-il possible de donner satisfaction à tous? C'est cela, la question. Dans une institution où on retrouve des représentants de 25 nations, comment fait-on pour que ces 25 nations soient bien représentées? Est-ce que c'est impossible ou si on peut nommer une personne responsable de la spiritualité autochtone? Est-ce que cela ne reviendrait pas à avoir une espèce de ragoût qui ne voudrait absolument rien dire parce qu'on essaierait d'intégrer des coutumes de différentes nations?

[Traduction]

Le président: Ce sera votre dernière question.

Mme Michelle Murphy: On ne peut avoir juste une personne. En Ontario, nous avons à peu près ce que vous dites—un ragoût. J'ai trois enseignants différents—sioux, iroquois et ojibway, mais cela, c'est pour la population de l'Ontario. Ils sont un peu plus ouverts à Toronto. Ils sont moins ouverts dans l'Ouest et certainement pas ouverts dans l'Est.

Il faut juger chaque région individuellement, tout comme les personnes. Si vous n'avez pas un nombre suffisant pour avoir 25 fraternités différentes, il faut chercher un moyen terme et dire: «Voilà, nous ne pouvons offrir que cinq cérémonies différentes. Parlez-en entre fraternités et voyez quelles cérémonies vous allez accepter. C'est tout ce que nous avons, c'est tout ce que nous pouvons offrir. C'est ainsi».

Si vous allez envoyer une seule personne pour 25 groupes, autant ne pas perdre votre temps, votre argent ou vos efforts car vous n'allez qu'en sortir frustré et gaspiller de l'argent. Il faut essayer de s'adapter au groupe avec lequel on travaille.

Comme je l'ai dit, ces trois régions sont très différentes. La Colombie-Britannique a ses façons, l'Est a les siennes et, en Ontario, nous sommes assez prêts à accepter les façons des autres.

Le président: Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Merci beaucoup de votre exposé.

Comme M. Marceau, et je pense tous les membres du comité, nous avons constaté dans les pénitenciers que nous avons visité ce que vous avez signalé, à savoir le nombre disproportionné d'Autochtones actuellement incarcérés. C'est un fait très troublant auquel nous recherchons des explications.

Vous avez mis le doigt sur plusieurs choses, si je puis les résumer brièvement. Le nombre de programmes autochtones est insuffisant. Les programmes qui existent ne sont pas à la satisfaction de tous et ne semblent pas officiellement reconnus au sein du système. Autrement dit, la personne qui suit un programme autochtone ne reçoit pas le même crédit, du moins aux yeux de l'administration du pénitencier ou des agents de libération conditionnelle que si vous aviez suivi un programme plus traditionnel, qu'il s'agisse d'éducation, de maîtrise de la colère ou d'une thérapie pour la toxicomanie ou l'alcoolisme.

• 1240

Ce sont tous là des problèmes importants. Mais vous avez dit le mot clé vers la fin, le mot «argent». En fin de compte, s'agissant de modifications de la loi ou du lancement de nouveaux programmes, tout cela va buter sur l'écueil de l'argent. De ce point de vue, et je rejoins là votre dernière réponse, y a-t-il moyen de «rationaliser»—je ne trouve pas d'autre terme—les programmes autochtones? Nous en venons là à une question très importante?

Je viens de la côté Est, où il y a des Micmacs, et la majorité des détenus micmacs ont maintenant accès, heureusement, tout dernièrement à Dorchester, et dans une certaine mesure à Springhill—ils ont accès à des sueries, des cercles de guérison et d'autres formes d'encadrement par les aînés. Mais sachant ce que vous avez dit—151 nations autochtones différentes—comment voyez-vous le système réagir à cette immense diversité? Y a-t-il un moyen de trouver un moyen terme pour offrir les services dont ces nations autochtones très diverses ont besoin?

Mme Michelle Murphy: Vous avez parlé d'argent. C'est un problème. On nous a fait venir à Ottawa—ceux du Québec, de la côte Est, et il y avait là trois ou quatre d'entre nous de la région Ontario. C'était des enseignants traditionnels, des aînés, et des agents de liaison autochtones. Nous avons suivi un cours du nom de SOAR. Je suppose qu'il en a coûté au service correctionnel au moins 30 000 $ pour nous faire venir pendant deux semaines suivre ce programme, qui est un programme combiné. Il est destiné aux Autochtones, mais il est combiné à un programme constant en matière de drogue et d'alcool, tout en conservant la dimension spirituelle. Nous avons suivi le cours jusqu'à la fin. Nous devions revenir pour une reprise d'une semaine, mais quelqu'un dans la hiérarchie a décidé de supprimer le programme.

Ce programme coûterait beaucoup moins cher, intégrerait différentes composantes spirituelles et constituerait un programme autochtone que les détenus pourraient suivre et en tirer profit... mais ils l'ont supprimé. Non seulement cela, mais ce programme permettait de coordonner le Québec, la côte Est et l'Ontario, d'échanger ce que nous faisions dans nos différentes prisons et partager notre expérience. Aussi, si j'avais un afflux de Micmac au pénitencier de Kingston ou à Joyceville, j'aurais pu leur téléphoner et leur demander de faire quelque chose pour mes gars. Ils auraient pu me dire bon, une fois par trimestre nous allons vous envoyer quelqu'un de la côte Est. Dans l'intervalle, nous leur aurions enseigné la culture et la spiritualité telle que nous la connaissons ici, en Ontario.

S'ils sont Inuits... J'ai maintenant un contact inuit et je peux faire venir l'aîné inuit une fois par trimestre pour que les nôtres puissent lui parler. Ils veulent bien partager. Ils apprennent un peu de la culture des autres en même temps. S'ils sont réellement engagés sur la voie traditionnelle, ils sont ouverts aux autres. Ils ne veulent seulement pas être exclus.

M. Peter MacKay: Comment réagiriez-vous à l'idée d'avoir un bureau d'enquêteur correctionnel autochtone, financé par le gouvernement fédéral, en tout cas quelqu'un qui pourrait disséminer l'information ou faciliter le partage de l'information d'une côte à l'autre?

Par ailleurs, comment réagissez-vous à ce que je considère comme la difficulté la plus fondamentale de toutes, soit après la libération, avec le problème de la non-association... Je connais de très petites collectivités autochtones dans ma région, qui comptent de 400 à 500 personnes. Renvoyer quelqu'un dans sa localité mais en lui disant de ne pas fréquenter les personnes d'avant—c'est virtuellement impossible. C'est vouer la personne à l'échec.

• 1245

Mme Michelle Murphy: La plupart des plans prélibératoires les vouent à l'échec, en ce sens qu'ils doivent trouver du travail et faire ceci et cela. Je me bats en ce moment pour un homme qui est en prison depuis dix ans. Ne lui demandez pas d'avoir un travail dans trois mois. Ce n'est pas lui faire une faveur. Il en va de même avec la clause d'association. Vous avez raison. Il est impossible de la respecter. C'est encore une fois une question de ressources. Nous ne cessons de nous heurter au problème de ressources.

Pour ce qui est d'avoir un bureau central, je reviens à ce que disait M. Marceau, soit qu'il faut faire très attention. Ce serait une idée fantastique, mais il faut faire attention à qui l'on place là, pour toutes les raisons que nous avons vues.

Le président: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président

Madame Murphy, je suis sûr que votre réunion à Ottawa a coûté plus de 30 000 $. Il nous en coûte déjà 30 000 $ pour une réunion d'un jour dans une cabine téléphonique.

Permettez-moi de jouer l'avocat du diable un instant—ce n'est pas un rôle inhabituel pour moi. Nous avons entendu hier un détenu dans un établissement qui nous a expliqué à peu près tous les programmes dont vous avez dit qu'ils sont appliqués ou devraient l'être. Il prenait pour acquis qu'ils existaient tous, ce qui serait merveilleux si c'était vrai. Il en a parlé très longuement, puis a comparé avec ce qui existe pour son groupe culturel, c'est-à-dire rien. Ce détenu était noir. Pourriez-vous m'aider avec ce dilemme? C'est un problème que nous devons confronter. Que puis-je dire à cet homme?

Mme Michelle Murphy: Pour commencer, je ne sais pas à quel groupe culturel il appartient, parce qu'être noir, ce n'est pas un groupe culturel.

M. Ivan Grose: Supposons qu'il soit Antillais.

Mme Michelle Murphy: D'accord, donc il est Antillais. Comme je l'ai dit, nous avons deux sueries par mois dans les prisons. Je le sais parce que je vais dans trois pénitenciers. Nous avons un agent de liaison autochtone trois jours par semaine dans la plupart des prisons—en permanence. Le pénitencier de Bath avait le programme Way of Life. Il n'est pas en vigueur en ce moment. Mais à part cela, il n'y a aucun autre programme pour Autochtones, et je ne sais donc pas de quoi il parle, pour commencer.

M. Ivan Grose: Supposons que ce que vous avez mentionné soit tout ce qui existe. Ce qui compte, c'est sa perception, car elle est répandue. Supposons que les programmes que vous venez d'énoncer soient tout ce qui existe, et je n'ai aucune raison d'en douter. Qu'est-ce que je lui dit?

Mme Michelle Murphy: À l'Antillais?

M. Ivan Grose: Oui.

Mme Michelle Murphy: Tout d'abord, les Autochtones ont été les premiers habitants du Canada. Si les nôtres sont en prison, c'est bien à cause du gouvernement, à cause des écoles résidentielles. C'est l'une des réalités avec lesquelles nous devons vivre. L'autre réalité est qu'il y a une très forte population d'Autochtones dans les prisons. Si vous voulez faire des économies, il faut les amener à un point où ils ne vont pas retourner en prison, et c'est ce que nous voulons pour les nôtres. Il faut aider les Autochtones, les premiers habitants de ce pays. C'est ce que je dis à tous les étrangers qui viennent en visite et se plaignent que l'on fasse tout cela pour les Autochtones, alors que les efforts pour eux ne sont mêmes pas proportionnels au nombre des détenus autochtones qui peuplent les prisons.

M. Ivan Grose: C'est une bonne réponse. Merci beaucoup.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Grose.

Madame Murphy, nous vous remercions infiniment de votre comparution et de votre temps. Nous vous avons donné la parole avec un peu de retard—nous vous présentons des excuses—mais nous essayons de respecter l'horaire. Merci beaucoup. Nous sommes reconnaissants.

Mme Michelle Murphy: Merci.

Le président: Mesdames et messieurs, avant d'ajourner, j'aimerais vous signaler un changement d'ordre du jour. Nous avons rajouté un témoin à 13 h 30. Nous avons eu deux annulations, l'Ontario Halfway House Association et CAVEAT. Ils ne peuvent pas venir. Ils ont dû annuler, mais à 13 h 30 nous entendrons Julian Falconer, qui est un avocat représentant la famille d'un certain Gentles. C'est une situation assez délicate car une enquête de coroner est en cours. Je crois savoir que M. Gentles, qui était détenu, a fait l'objet d'une extraction de cellule. Il me semble que la famille a également déposé plainte contre quelques gardiens, etc., c'est donc une situation très délicate pour cette raison.

• 1250

J'ai usé de mes prérogatives de président pour accepter d'entendre ce témoin, à condition qu'il se limite à parler de la loi. Il évoquera sans aucun doute ses expériences, mais je lui ferai savoir très clairement que nous ne sommes pas ici pour traiter de sujets en instance de procès. Mais je pense qu'il est important de l'entendre, à titre de particulier ayant l'expérience du système. Je demanderais donc votre soutien lors de sa comparution et je lui préciserai bien les limites et lui couperai la parole s'il s'éloigne de notre sujet.

Merci. Nous allons lever la séance jusqu'à 13 h 30.

• 1251




• 1354

Le président: Nous allons reprendre nos travaux.

Nous entendons M. Julian Falconer.

Monsieur Falconer, vous réalisez, je l'espère, que nous sommes un sous-comité du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous sommes chargés de l'examen de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Nous faisons une tournée à travers le pays, visitant autant d'établissements carcéraux que nous le pouvons et parlons avec tant de personnes concernées par l'application de la loi que nous le pouvons. C'est ce que nous faisons actuellement. Nous rédigerons un rapport qui ira au comité plénier, puis à la Chambre des communes, avec nos recommandations.

Je crois savoir que vous représentez les parents de M. Gentles et que diverses procédures judiciaires sont en cours. En acceptant de vous entendre, je dois préciser que nous sommes ici pour traiter de votre expérience ou de celle de votre client avec la loi, dans le cadre de notre étude. Notre rôle n'est pas de nous pencher sur quelque sujet que ce soit en instance de procès.

Là-dessus, si vous voulez nous faire un exposé, nous appliquons ici la règle des dix minutes. Cela laisse du temps aux membres pour poser des questions.

M. Julian N. Falconer (témoignage à titre personnel): Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les membres du comité, d'accepter de m'entendre.

J'ai amené un ensemble de documents que j'ai rassemblés à la hâte, car je n'ai reçu qu'aujourd'hui vos instructions et votre consentement à ma comparution. Ces documents sont dans une chemise verte. Le premier sur la pile est une courte déclaration que je me propose de lire, si vous m'y autorisez.

Le président: D'accord.

M. Julian Falconer: Je vous remercie d'accepter de m'entendre au nom de la famille de Robert Gentles, un détenu qui est décédé après avoir été immobilisé par des agents correctionnels en octobre 1993.

• 1355

Bien que je sois ici en ma capacité d'avocat de la famille Gentles, j'ai conscience que ceci n'est pas le lieu où défendre la cause d'un client donné. Vous vous penchez plutôt, si j'ai bien compris sur les problèmes systémiques potentiels qui peuvent résulter de l'application actuelle de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. C'est sur cette base que vous m'avez invité à comparaître.

Je suis avocat plaidant et j'exerce en Ontario depuis dix ans. J'ai eu l'honneur de plaider pour de nombreux particuliers et organisations d'intérêt public dans des affaires portant sur le recours à la force par des agents de la force publique dans l'exercice de leurs fonctions. Invariablement, ces affaires mettent en jeu le degré de responsabilité qui existe dans l'institution visée. L'enquête de coroner sur le décès de Robert Gentles ne fait pas exception à cet égard. Cette enquête, qui a duré plus d'un an, représente l'étude la plus approfondie du service correctionnel jamais entreprise par un jury de coroner, en l'occurrence le service correctionnel fédéral. Deux commissaires y ont témoigné, le commissaire Ingstrup actuellement en fonction et l'ex-commissaire Edwards.

• 1400

L'examen de l'adéquation et de l'efficacité de la LSCMLC dont vous êtes chargés doit, par définition, et à mon sens, englober l'adéquation et l'efficacité des mécanismes de reddition actuellement en place.

Des témoignages inquiétants ont montré que le décès de Robert Gentles représente simplement un maillon dans une chaîne de défaillances systémiques qui remonte jusqu'au solliciteur général de l'époque, Herb Gray. Le rapport Arbour de 1996, que le SCC et le solliciteur général ont promis d'appliquer, reste délibérément ignoré dans des domaines absolument essentiels. Nous avons maintenant la preuve, selon les procès-verbaux de réunions qui ont maintenant été rendus publics—réunions entre le solliciteur général et le bureau du commissaire—montrant que le commissaire actuel et le solliciteur général de l'époque, M. Gray, se sont entendus pour passer outre à la conclusion clé du rapport du juge Arbour, à savoir que le SCC doit être placé sous la supervision d'organes externes.

Le commissaire Ingstrup a témoigné à l'enquête Gentles il y a deux semaines. Il a déclaré ne pas avoir accepté la prémisse du rapport Arbour à l'effet qu'une supervision additionnelle, sous forme de contrôle parlementaire et judiciaire, est nécessaire. Il est apparu à l'enquête que le commissaire actuel a rejeté plusieurs rapports de son propre groupe de travail recommandant un arbitrage indépendant sur les méthodes employées pour la ségrégation des détenus.

Une note de service de 1994-et je vais passer en revue ces documents avec vous. Les documents dont je parle ici figurent dans le dossier joint. Une note de 1994 sur l'affaire Gentles adressée par l'ex-commissaire Edwards au sous-commissaire Andrew Graham a maintenant été versée au dossier public de l'enquête. Elle révèle l'opinion du commissaire Edwards que le décès de Robert Gentles n'est pas fortuit et qu'une force excessive a été utilisée dans son cas. De fait, le commissaire Edwards, dans cette note, relie le décès de Robert Gentles au décès en 1990 de Gordon Henry Taylor, un autre détenu mort au pénitencier de Kingston dans des circonstances suspectes.

Le commissaire fait état de la collusion de certains gardiens après le décès de Gentles comme d'une entrave à l'enquête. Les deux commissaires ont maintenant admis que le SCC s'est engagé auprès du syndicat à ne sanctionner aucun des gardiens impliqués dans le décès de Gentles avant la conclusion de toute procédure judiciaire, y compris l'enquête du coroner. Ce genre d'accord avec un syndicat n'est soumis à aucun contrôle réel car il n'existe aucun organe de supervision qui puisse poser des questions. Ces problèmes ne font qu'effleurer la surface de toute la problématique mise en évidence à l'enquête concernant le SCC, le pénitencier de Kingston, la mentalité des gardiens et de la haute administration. Ce sont des choses que vous devez savoir.

Les plaidoyers finals résumant le témoignage entendu pendant l'enquête commencent à la fin de la semaine prochaine. Des transcriptions des principales audiences sont déjà disponibles. Venez suivre le plaidoyer final. Lisez les témoignages. Vous avez lieu de poser des questions de haute importance et d'exiger des réponses. Des changements sont nécessaires. Il est indispensable que vous fassiez preuve de vigilance pour que les recommandations du jury soient suivies d'effet.

• 1405

Après cette déclaration formelle, j'aimerais vous expliquer brièvement les pièces du dossier que je vous remets. Encore une fois, ce sont là des documents publics.

Je sais—et respecte le fait—que vous n'avez pas à juger d'un cas en particulier, mais vous savez aussi qu'une enquête de coroner de cette nature, qui ne diffère guère d'une commission royale, se penche sur des questions systémiques qui transcendent les cas particuliers. À mon sens, et je vous le dis avec tout le respect que je vous dois, votre tâche est très similaire, à savoir que vous devez vous pencher sur des problèmes systémiques qui transcendent les cas particuliers et poser des questions importantes sur les causes de ce genre d'affaires.

Un exemple parfait de cela est le témoignage de l'ex-commissaire Edwards lorsqu'il déclare lui-même, après réflexion, que le décès de Robert Gentles reflète des défaillances systémiques qui existent de longue date dans le système. Les documents qui suivent la déclaration sont des procès-verbaux de réunions entre des représentants du bureau du commissaire et le solliciteur général de l'époque, l'honorable Herb Gray.

Vous remarquez qu'aussi bien le 24 octobre que le 4 novembre, comme le précise le procès-verbal, le ministre Gray a commencé par déclarer—et vous trouverez cela à la page 2 du procès-verbal du 24 octobre 1996. C'était juste après l'entrée en fonction du commissaire Ingstrup—il ne s'agit pas ici d'ex-commissaires ou de commissaires suppléants—en 1996, après le rapport Arbour.

    Le ministre Gray commence par indiquer qu'il n'est pas en faveur d'un comité de contrôle ou d'un rôle judiciaire concernant l'application de la politique et de la loi par le SCC.

Puis, le 4 novembre, toujours lors d'une réunion entre le bureau du commissaire Ingstrup et le solliciteur général, il nuance, au deuxième paragraphe du procès-verbal:

    Le ministre précise que, bien qu'il ne soit pas en faveur d'un rôle de supervision judiciaire, il aimerait une analyse de ce que pourrait être le rôle d'un inspecteur général, similaire à celui de l'inspecteur général du SCRS.

Vous devez savoir que le commissaire Ingstrup a témoigné qu'il n'y a jamais eu de suite, qu'aucun rapport n'a jamais été rédigé, aucun document formel établi, et que cette idée a été mise de côté.

Voici où je veux en venir, sans trop entrer dans les détails. Il faut toujours se demander dans quelle mesure la LSCMLC suffit sur le plan de la supervision du SCC et de la reddition de comptes. Si l'on ne se demande pas cela, alors, sauf tout mon respect, c'est que l'on ne pose pas les bonnes questions.

D'aucuns considèrent que la loi est suffisante, d'autres non. C'est un sujet de débat. Ce qui est troublant, c'est qu'une personne à mon sens hautement crédible, expérimentée et respectée, pas seulement au Canada mais à l'échelle internationale, considérait en 1996 que la loi ne suffisait pas et ne remplissait pas son rôle.

Je parle, bien entendu, du rapport de Mme la juge Arbour. J'ai joint un extrait de son rapport, c'est le dernier document de la chemise verte. Je ne vais pas le lire en entier, car vous le connaissez sans aucun doute très bien. Mais il y a là quelques passages choisis qui disent bien ce qu'ils veulent dire et qui placent en contexte le problème systémique causé par la loi.

• 1410

Si vous passez à la page 174 du rapport, on y lit:

    La déplorable culture défensive qui s'est manifestée au cours de l'enquête est profondément enracinée dans le service correctionnel, et rien n'indique qu'elle résulte d'initiatives du commissaire actuel ou de ses principaux collaborateurs. Il semble que ses racines soient anciennes.

—Elle parle bien entendu du commissaire Edwards et de son mandat—

    Je pense que la culture de cette administration veut que l'on referme les rangs, et que l'attitude défensive des hauts gestionnaires était souvent motivée par un sentiment de loyauté envers leur subordonnés. Cet instinct, par ailleurs admirable, devrait toutefois toujours céder le pas à l'obligation de dire scrupuleusement la vérité chez ceux à qui la société confie la liberté de ses membres.

Si vous passez à la page suivante, page 179, il y a là un sous-titre opportunément intitulé «Effondrement de la règle de droit»:

    L'effondrement de la règle de droit dans le service correctionnel a déjà été dénoncé par le passé, souvent en termes très forts.

Elle cite le rapport MacGuigan de 1977, puis—si vous tournez la page—celui du Comité consultatif du solliciteur général de 1984, et affirme en 1996, quatre années après l'adoption de la LSCMLC:

    À mon sens, si quelque chose émerge de cette enquête, c'est la réalisation que la règle de droit ne sera pas instaurée dans le service correctionnel par «des mesures disciplinaires rapides et garanties» contre le personnel et les détenus. L'absence de la règle de droit est la plus évidente au niveau de la direction, tant des prisons qu'au niveau régional et national. La règle de droit doit être importée et intégrée à ces niveaux en provenance des autres partenaires de l'entreprise de justice pénale, et rien n'indique qu'elle émergera spontanément.

Puis, si vous passez à la page 181, à la dernière ligne du premier paragraphe: «La règle de droit est absente, bien que les règles soient partout».

La dernière citation que je vais vous lire se trouve au bas de la page 181:

    Étant donné la difficulté qui se manifeste à tous les niveaux du service correctionnel à comprendre la nécessité d'obéir tant à l'esprit qu'à la lettre de la loi, j'estime qu'il devrait y avoir davantage de fécondation croisée entre le service correctionnel et les autres branches du système de justice pénale.

Puis finalement, sur la même page, page 182, sous la rubrique «Établissement d'une sanction efficace», elle écrit:

    En fin de compte, je pense qu'il n'y a guère d'espoir que la règle de droit s'implantera dans la culture correctionnelle sans l'aide et le contrôle du Parlement et des tribunaux.

Il y a une dernière citation, à la dernière page du dossier, où Mme la juge Arbour répète encore:

    Du point de vue de la problématique correctionnelle générale, les faits dans cette enquête ont mis en lumière un manque inquiétant d'engagement de la part du service correctionnel envers les idéaux de justice. Je suis fermement convaincue qu'un contrôle judiciaire accru est nécessaire. Les deux domaines dans lesquels le service s'est montré le plus défaillant sont la gestion de la ségrégation et l'administration du processus de grief. Les déficiences mises en lumière par les faits sont graves et préjudiciables aux détenus à tous les points de vue, notamment sur le plan de leurs perspectives de réinsertion sociale. Rien n'indique que le service soit disposé ou capable de se réformer sans un encadrement et un contrôle judiciaire.

Le thème qui se dégage du rapport de Mme le juge Arbour, à savoir que le service souffre de déficiences tellement graves et fondamentales qu'il est incapable de se réformer lui-même et qu'un contrôle judiciaire et parlementaire s'impose, revient tout au long du rapport. Le solliciteur général avait affirmé publiquement lors de la publication de ce rapport qu'il serait pris très au sérieux, qu'il appliquerait l'esprit de ce rapport. Or, les procès-verbaux des réunions avec le commissaire reflètent une attitude tout à fait différente.

Je ne prétends pas du tout que rien n'a été fait suite au rapport Arbour. Ce serait faux, car des mesures ont été prises. Mais j'estime qu'ils ont manqué le coche et ce n'est pas surprenant. Ils ont apporté de petits changements, mais ils ne comprennent pas ou ne semblent pas saisir les changements de fonds qui sont nécessaires.

• 1415

Si vous regardez la loi, par exemple les articles 3 et 4, elle énonce des platitudes concernant les principes qui devraient être appliqués sur le plan du contenu réhabilitatif et correctionnel de l'incarcération. Elle énonce des platitudes et des principes qu'il faudrait appliquer. Mais s'il n'y a pas de mécanisme de supervision pour assurer que ces platitudes soient appliquées concrètement, elles restent précisément cela, des platitudes.

La loi contient un important article créant le Bureau de l'enquêteur correctionnel. Or, le Bureau de l'enquêteur correctionnel n'a aucun pouvoir direct sur le SCC. L'enquêteur correctionnel ne peut que faire rapport au solliciteur général. Il n'existe pas d'organe de supervision expert des affaires correctionnelles qui contrôle régulièrement le Service correctionnel. Je le dis avec le plus grand respect pour le Comité de la justice et votre sous-comité. La vérité, comme le commissaire Edwards l'a dit dans son témoignage à l'enquête Gentles, est que le Service n'est pas responsable devant le Comité de la justice. Il a dit, et je cite: «Il doit des comptes, mais n'est pas responsable». Vous ne pouvez forcer ou contraindre le Service correctionnel à faire quoi que ce soit. Vous pouvez lui poser des questions.

La preuve absolue de cette défaillance du système de supervision tel qu'actuellement prévu dans la loi et ailleurs réside, à mon sens, dans le fait que, au sujet de l'affaire Gentles, une affaire qui a fait les grands titres à l'échelle nationale en 1993-1994, n'a fait l'objet que de cinq lignes dans tous les comptes rendus des délibérations de votre comité permanent: une question posée par le président Warren Allmand et une réponse du commissaire Edwards. La question était de savoir ce qui arriverait à certains des agents suite au dépôt des plaintes, la réponse étant que des sanctions seraient décidées après les poursuites. C'est la seule mention de l'affaire Gentles dans tous les échanges entre le comité permanent et le commissaire. Qui donc pose les questions? Qui pose les questions, voilà le problème d'actualité, et cela m'amène aux autres documents que j'ai pour vous.

Il semble que la seule personne qui ait posé les questions, comme c'était son devoir de le faire, était le solliciteur général Herb Gray. On voit qui pose les questions d'après le procès-verbal des réunions entre le commissaire Edwards et le solliciteur général Herb Gray en 1994. Si vous regardez dans la liasse, ces procès-verbaux sont les pages en gros caractères. Je crois que la jeune dame les a déjà sortis de la liasse.

Il s'agit là du procès-verbal d'une réunion du 12 septembre 1994 entre le commissaire Edwards et le solliciteur général Gray. La question est posée au commissaire de savoir ce qui s'est passé dans le cas de Robert Gentles et pourquoi aucune sanction disciplinaire n'a été prise. Vous verrez, en particulier, au deuxième paragraphe de la première page, sous le titre «Affaire Gentles», le ministre Gray a demandé pourquoi ce détenu n'aurait pu tout simplement rester dans sa cellule. On lui a expliqué que lorsqu'il y a tension dans un secteur de la prison, un détenu qui continue à causer des troubles peut déclencher un incident plus vaste mettant en jeu d'autres détenus.

Autrement dit, le commissaire a expliqué au ministre en quoi ces actes étaient justifiés. Si vous regardez le paragraphe précédent, on y dit que le ministre Gray a pris connaissance des documents d'information rédigés par le SCC. Il a demandé pourquoi aucune sanction disciplinaire n'a été prise, vu qu'apparemment l'emploi de la force dans ce cas n'avait pas été autorisé ni planifié et n'était pas conforme à toutes les directives applicables. Le commissaire Edwards a expliqué que le fait que certaines directives n'aient pas été suivies n'a rien changé au résultat et que le règlement institutionnel pertinent était ambigu et n'aurait pu être suivi. Bien que les responsables d'ensemble de l'opération aient suivi un counselling, si l'on considère l'incident comme un tout, il n'y avait pas lieu d'imposer de sanctions disciplinaires à des personnes en particulier.

Très bien. Donc, le commissaire Edwards, le 12 septembre 1994, répond à la seule personne qui lui posait des questions qu'il n'y avait pas lieu de prendre des sanctions disciplinaires, et qu'il y avait des raisons pour lesquelles le détenu devait être extrait de sa cellule, et que tout cela était justifiable.

Je vous demande maintenant de regarder l'autre document qui se trouve devant celui-ci. C'est une note de service datée du 25 juillet 1994, soit moins de 60 jours avant cette réunion entre le solliciteur général et le commissaire Edwards.

• 1420

Le 25 juillet 1994, le commissaire Edwards adresse une note de service au sous-commissaire. Il expose un ensemble extrêmement inquiétant de facteurs que le commissaire a décelés au sujet de la mort de Robert Gentles. Le 25 juillet 1994, moins de 60 jours avant l'entretien du commissaire avec le solliciteur général, il exprime l'avis que le décès de Robert Gentles comporte des éléments très troublants. Il en fait part au sous-commissaire, qui était à l'époque M. Graham.

Rien n'indique que le commissaire Edwards ait changé d'avis entre le 25 juillet et septembre. Le commissaire Edwards a déclaré dans son témoignage qu'il est toujours du même avis que celui exprimé dans cette note. Le 25 juillet 1994, cette note dit sans ambages sa conviction que, bien que les deux détenus étaient très belliqueux, ils étaient sous contrôle chacun dans sa cellule. Il relie les deux décès: le décès survenu en 1990 au pénitencier de Kingston et celui de Robert Gentles. Il exprime l'avis que les deux ont été transférés en cellule de ségrégation par la force, alors que d'autres moyens auraient pu être employés. Il exprime l'avis que, dans les deux cas, il y a probablement eu collusion des gardiens lorsqu'ils ont témoigné. Aussi, dit-il, beaucoup de questions restent sans réponse, ce qui projette une image négative du CSCS, étant donné les décès violents inexpliqués aux mains du personnel.

À la page 2, il dit qu'aucune mesure corrective notable, ni sur le plan de la sécurité ni sur le plan disciplinaire, n'a été prise pour éviter que ces choses se reproduisent. Autrement dit, rien n'indique que les leçons aient été tirées, et d'ailleurs l'enquête récente auprès du personnel montre que la mentalité au pénitencier de Kingston n'a pas changé. Le dernier paragraphe: cet incident tragique soulève sans aucun doute beaucoup d'autres questions.

Vous devez savoir que le commissaire Edwards a évidemment été interrogé sur cette note de service. Il a déclaré que la note est exacte et répétait son opinion que le décès de Robert Gentles reflétait une série de défaillances systémiques qu'il essayait de mettre en lumière. Comment diable pouvait-il dire cela le 25 juillet 1994, et le 12 septembre 1994, comme en témoigne le procès-verbal, assurer au solliciteur général qu'il n'y avait pas de problème? Il m'apparaît absolument évident que les mécanismes de contrôle et de reddition de comptes au sein du Service correctionnel Canada sont truffés de déficiences.

En toute justice pour le commissaire Edwards, car il n'est pas là pour se défendre, il a dit dans son témoignage que le procès-verbal—celui de la réunion entre lui et le solliciteur général Gray—est inexact. Ensuite il a dit qu'il pouvait être exact. Ses déclarations ensuite sont devenues très confuses. Mais je tenais à ce que vous sachiez que c'est l'une des choses qu'il a dites. Le commissaire Ingstrup a témoigné que, selon son expérience, les procès-verbaux de ces réunions sont généralement exactes. Je tenais à vous signaler qu'il a dit cela.

La conclusion de tout cela, c'est que nous avons vu là à l'oeuvre le fonctionnement du mécanisme de reddition de comptes. Il ne marche pas. Mme la juge Arbour l'a reconnu en 1996. Ce que l'année d'enquête sur le décès de Robert Gentles nous apprend, c'est que la seule fois où le projecteur est braqué sur le fonctionnement du SCC, c'est lorsque des incidents tragiques surviennent, comme la fouille à nu à la prison des femmes, comme le décès de Robert Gentles. Dès l'instant où les enquêtes sont terminées, la lumière s'éteint de nouveau. Il n'y a pas en place de mécanisme de contrôle ou de reddition de comptes réel. Vous avez la possibilité de contribuer à créer quelques mécanismes. J'estime qu'ils sont indispensable.

Le président: À ce sujet, monsieur Falconer, avez-vous des recommandations précises à nous formuler?

M. Julian Falconer: Oui.

Le président: Quelles sont-elles?

M. Julian Falconer: Je vous demande de m'excuser, mais je n'ai pas pu les coucher par écrit par manque de temps.

Le président: Pas de problème, tout est enregistré et nous aurons la transcription.

M. Julian Falconer: Tout d'abord, lorsqu'on parle de contrôle et de reddition de comptes, il est très dangereux d'employer les termes de façon vague, et je vais donc essayer d'être précis. La responsabilité et le contrôle interviennent à différents niveaux. Ils interviennent au niveau de l'enquête sur un incident donné. Ensuite, ils interviennent à un niveau plus large, lorsqu'on s'interroge sur le fonctionnement d'une organisation. Je vais donc commencer par le bas, au niveau de l'enquête.

À l'heure actuelle, il existe un Bureau de l'enquêteur correctionnel. Mais comme je l'ai signalé, il n'a aucun pouvoir contraignant, ne peut rien ordonner au SCC. Le rapport Arbour nous apprend que ses préoccupations n'étaient pas prises en compte. Le service passait outre. J'estime qu'au niveau de l'enquête, les commissions d'enquête—le Service correctionnel a un mécanisme interne d'enquête, les commissions d'enquête—devraient pouvoir être contestées, tout comme le prévoient les différentes lois sur la police.

• 1425

Par «contestation», j'entends qu'une partie concernée devrait avoir le droit d'interjeter appel contre le rapport d'une commission d'enquête adressé à l'enquêteur correctionnel, ce dernier devant avoir le mandat et le pouvoir d'évaluer les conclusions, éventuellement de les renverser et de produire son propre rapport, le cas échéant.

La possibilité de réviser les rapports des commissions d'enquête comporte plusieurs avantages. Premièrement, ce n'est pas seulement pour les familles ou les détenus concernés. Les agents correctionnels eux-mêmes mécontents du travail de la commission d'enquête auraient le même droit de faire appel auprès de l'enquêteur correctionnel.

Deuxièmement, cela préserve la faculté, dont toute institution devrait jouir, de se pencher d'abord sur un problème au niveau interne. Les établissements carcéraux pourraient le faire, mais il y aurait un contrôle externe. Le rapport de la commission d'enquête dans l'affaire de la prison des femmes, celle de la juge Arbour, présentait des déficiences graves. Le rapport de la commission d'enquête dans l'affaire Gentles, l'on n'en sera pas surpris, passait sous silence de graves infractions à la loi commises par les agents correctionnels, de même que de graves infractions au règlement, notamment l'omission de remplir des rapports de recours à la force et le non-respect des règles anticollusion.

Le rapport de la commission d'enquête ne mentionnait pas la chose la plus facile que l'on aurait pu faire avec ce détenu. Elle n'est même pas évoquée. La chose la plus facile que l'on aurait pu faire avec ce détenu, qui avait déjà été employée par le passé, aurait été de couper le courant à sa cellule, pour couper sa radio. Le rapport n'en fait même pas état.

Il y a donc des problèmes de crédibilité avec le travail des commissions d'enquête. Je ne prétends pas qu'il y a une sombre conspiration qui règne partout. Ne croyez pas que je parte du principe que tout le monde est de mauvaise foi. La réalité est que certains le sont, mais beaucoup ne le sont pas. Beaucoup de gardiens sont des personnes qui travaillent fort dans un système qui n'est tout simplement pas fait pour produire de bons produits.

Mon idée est donc qu'en établissant ce mécanisme de révision au niveau de l'enquêteur correctionnel, on améliorerait déjà l'intégrité de ces rapports. Voilà le premier point, au niveau des enquêtes.

Au niveau de la supervision, il n'y actuellement pas d'ombudsman pour le service correctionnel. D'ailleurs, dans le procès-verbal du 4 novembre 1996, le solliciteur général, dans son entretien, joue—et j'emploie ce mot avec grand respect—avec l'idée d'un inspecteur général similaire à celui qui contrôle le SCRS. Mais cela n'a abouti à rien, comme en a témoigné le commissaire Ingstrup—et je ne donne pas à entendre que le commissaire Ingstrup n'a pas fait ce que le solliciteur général lui demandait. Il s'est penché sur l'idée, et y a renoncé.

Un ombudsman ayant des pouvoirs réels pourrait assurer la reddition de comptes avec la faculté, premièrement, de faire enquête sur les défaillances systémiques et, deuxièmement, de remettre des rapports, similaires aux rapports du vérificateur général—et ils ne devraient pas aller au solliciteur général, mais directement au Parlement. J'insiste là-dessus car l'une des grandes déficiences du système actuel—s'agissant de l'enquêteur correctionnel actuel—réside dans le fait que les rapports vont au solliciteur général. Sauf tout mon respect, la responsabilité devrait être devant la Chambre. Donc, le médiateur du système correctionnel représente le deuxième élément de solution.

Le troisième élément auquel il conviendrait de réfléchir sérieusement est la création d'un organe de contrôle fixe. Le SCRS, opérant sous le voile du secret puisqu'il travaille sur des questions de sécurité nationale, est régi par un organe de supervision civil, le CSARS. Pourquoi diable cela n'est-il pas le cas aussi du service correctionnel? Le Comité de la justice a un champ de compétence énorme. Il ne possède pas les connaissances spécialisées, à l'exception de quelques membres, mais ce n'est pas garanti ni imposé. Il est essentiel que le service correctionnel soit placé sous la férule d'un organe de contrôle. C'est le cas des simples forces de police municipale. Il existe des commissions des services policiers partout en Ontario. Comment expliquer que le service correctionnel ne possède pas les mêmes contraintes?

Il n'y a pas de contrôle approprié. Mme la juge Arbour en a parlé en détail. Je vais vous dire cette dernière chose avant de terminer.

Le commissaire Ingstrup est un orateur très éloquent. Il a parlé de la notion d'un bon service correctionnel et de l'importance d'un énoncé de mission. Il a évoqué les idéaux inhérents au service correctionnel et dit que nous pouvons tous en être fiers. Il a joué un rôle de premier plan dans leur rédaction à la fin des années 80.

• 1430

Bien entendu, les principes et—mot quelque peu péjoratif—les platitudes sont une chose, l'action en est une autre. Il l'a admis aussi, mais voilà la réalité. Je lui ai demandé s'il n'est pas exact que les délinquants sous sa garde n'ont souvent pas conscience de leurs propres problèmes. Il a répondu que c'était l'évidence. Je lui ai demandé ensuite s'il n'est pas vrai que les délinquants souvent n'admettent pas la nécessité de suivre et l'esprit et la lettre de la loi, et il en a convenu.

Je lui ai demandé si cette incapacité, ce manque de connaissance du monde et de soi, n'est pas justement ce qu'un bon système correctionnel devrait chercher, de l'extérieur, à rectifier en eux, car ils ne peuvent le faire d'eux-mêmes. Il a convenu que c'était effectivement là un bon principe en matière correctionnelle.

Le problème est précisément que c'est cela que le solliciteur général a fait avec le service correctionnel. Il l'a laissé de dépatouiller tout seul avec ses difficultés. Le commissaire Ingstrup a estimé que le service correctionnel mérite une autre chance de s'améliorer lui-même. Je lui ai demandé où il voyait cela dans le rapport Arbour. Il n'a pas su me dire. On le laisse se dépatouiller tout seul.

Je ne doute pas qu'ils proposeront de consulter différents experts, mais moi je parle de contrôle et de reddition de comptes. Lorsque Mme la juge Arbour a dit qu'un contrôle judiciaire était requis, elle n'a pas dit que de laisser une seconde chance était une bonne idée. On passe outre à des éléments clés du rapport Arbour.

• 1435

En outre, j'ai ajouté des extraits des rapports du groupe de travail que ce commissaire, le commissaire Ingstrup, a récemment formé. Dans les rapports des groupes de travail, le rapport Yalden et le rapport de l'autre groupe de travail—je vous ai mis des extraits des deux—on recommande un contrôle indépendant sur le placement en isolement. Les deux recommandations—une supervision étroite dans un domaine précis—ont été rejetées par l'administration actuelle.

On peut sérieusement se demander si le recours à d'ex-commissaires, dont on sait qu'ils ont été une partie du problème, et le maintien d'administrations dont on sait qu'elles sont une partie du problème, peuvent réellement apporter des solutions crédibles. Ma préoccupation, au nom de la famille Gentles, est qu'en fin de compte tout cela se répercute au niveau du bien-être des détenus et, autant de mal que vous ayez à le croire, j'adopte la même position à l'égard du bien-être des agents correctionnels. La réalité est que, en l'absence d'un leadership approprié au SCC, ceux qui ont le travail le plus difficile, les agents correctionnels, et ceux qui purgent des peines, les détenus, souffrent. Vous devez agir pour remédier à cet état de chose.

Le président: Je vous remercie, monsieur Falconer.

Monsieur Abbott.

M. Jim Abbott: Je n'ai que quelques questions rapides.

Dans votre mémoire, à la page 4, vous dites que la note de service:

    révèle l'avis du commissaire Edwards que le décès de Robert Gentles n'était pas inéluctable et qu'une force excessive a été employée. De fait, le commissaire Edwards, dans sa note de service, fait le lien entre le décès de Robert Gentles et le décès, en 1990, de Gordon Henry Taylor.

Or, je crois savoir que dans le premier cas on a carrément lancé des accusations de racisme contre les gardiens, et j'aimerais donc savoir si Gordon Henry Taylor était aussi membre d'une minorité visible?

M. Julian Falconer: Gordon Henry Taylor était autochtone, je crois.

M. Jim Abbott: D'accord.

M. Julian Falconer: J'apprécie la question. Les correspondances à plusieurs niveaux entre les décès... Finalement, tout cela résulte de l'emploi d'une force excessive et d'une façon de traiter les gens qui est rétrograde.

Le témoignage du commissaire Edwards était assez frappant. J'ai joint à la documentation quelques articles de presse. «L'extraction était rétrograde», déclare l'ex-commissaire. Il parle d'un retour à la manière dont on traitait les détenus jadis, avec des réactions physiques très rapides.

Pour répondre à votre question, je ne connaissais pas suffisamment bien l'affaire Taylor pour dire si le racisme a été un facteur ou non. Je peux vous dire que la famille continue à se poser de très sérieuses questions, etc. Il y a eu une enquête qui a duré 14 jours—je suis sûr que beaucoup regrettent cette époque—mais la réalité, comme en témoigne la note de service de juillet 1994, est qu'il subsiste beaucoup plus de questions qu'il n'y a eu de réponses.

M. Jim Abbott: Une dernière question rapide...

• 1440

M. Julian Falconer: Soit dit en passant, Mme Folkes, qui comparaît pour la Black Inmates and Friends Assembly, a également été partie à l'enquête Gentles, et elle pourra peut-être mieux que moi vous parler de cet aspect.

M. Jim Abbott: Tout en ayant énormément de sympathie pour les recommandations que vous avez exprimées, et je le dis très sincèrement, l'envers de la médaille, me semble-t-il, est une impression de déséquilibre croissant que je perçois et peut-être les autres membres du comité aussi. Je pense que par le passé on a trop facilement employé la force ou donné raison aux gardiens, si bien que le pendule, dans l'esprit de certaines gens dans le milieu correctionnel—je ne parle pas nécessairement de la direction—est allé trop loin dans l'autre sens, au point qu'ils ne peuvent plus réellement faire leur travail sans faire toutes sortes de simagrées.

Comment concilier ce que vous préconisez et cette perception, qui me paraît très ancrée, du côté des gens en première ligne?

M. Julian Falconer: Je trouve que c'est une excellente question.

L'une des choses qu'il faut bien voir, et je le dis en passant, c'est que la famille, il y a deux semaines, a fait témoigner un expert américain, une pénologiste très connue, Kelsey Kauffman, qui a rédigé un ouvrage intitulé Prison Officers and Their World, et je vous le recommande si vous ne l'avez pas lu. Elle parle du fardeau des gardiens de prison, et c'est nous qui avons demandé son témoignage. Elle parle des réalités qu'ils vivent, et notamment de celle que vous venez de décrire.

Il me semble que l'on crée des règles que les gens peuvent respecter, des règles qui sont gérables—sur le plan concret—et il faut admettre que l'emploi de la force est une réalité dans le cadre carcéral, c'est quelque chose qui va nécessairement arriver. Je pars donc de ce constat.

Le problème—et c'est un problème pour beaucoup d'agents qui font très bien leur travail et n'ont pas d'ennuis, que l'on n'accuse de rien ou qui ne se livrent pas à des exactions—s'il n'existe pas un mécanisme efficace pour mettre de l'ordre dans la maison, pour sanctionner ceux qui ne comprennent pas l'équilibre, alors, invariablement, on finit par être omnubilé, injustement, par ceux qui se comportent mal. Il faut avoir les moyens de montrer l'exemple, afin que les règles évidentes ne soient pas enfreintes. On évite ainsi le problème que vous décrivez, celui où l'on impose à tout le monde tellement de règles qu'ils ne peuvent plus faire leur travail. À l'heure actuelle, le service correctionnel n'a pas de moyen efficace pour faire le ménage.

Je vais vous donner un exemple. Contrairement à ce qui se passe dans la police où cela arrive sans cesse, on ne peut pas suspendre un gardien avec solde. Donc, si on veut suspendre aujourd'hui un agent correctionnel, il perd sa solde. Autrement dit, vous prenez quelqu'un qui a une famille et des enfants, et vous le privez de revenu, bien qu'il n'ait été jugé coupable de rien. Donc, quelle est la réaction naturelle d'un administrateur ayant le sens de la justice? Eh bien, il ne va pas utiliser cet outil. Donc, il n'y a jamais de suspension.

Tout cela a une conséquence. Les mauvais agents ne sont pas sanctionnés. Il n'y a pas de mécanisme pour réprimer leur comportement. Donc, on modifie les règles applicables à tous parce qu'on n'a pas trouvé de moyen de sanctionner les mauvais agents. Je ne sais pas si cela répond...

M. Jim Abbott: Oui. J'apprécie votre réponse. Merci.

Le président: Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Monsieur le président, j'ai bien du mal à essayer de faire cadrer tout cela avec notre mandat, et je me demande si cela fait partie ou non du mandat du comité plénier.

Le président: Je pense que le témoin formule quelques propositions très précises de modification de la LSCMLC.

M. Julian Falconer: Absolument, et je signale que j'ai passé en revue la loi de très près ce matin, de crainte d'avoir manqué quelque chose. Mais je n'ai rien manqué. Il n'y a rien de tel dans celle loi. Il y a bien l'article 3, qui crée le Bureau de l'enquêteur correctionnel, qui constitue une sorte de mécanisme de reddition de comptes, mais il est placé à côté du SCC, et ne le coiffe pas. Le Comité de la justice, sauf tout mon respect, n'est pas la solution... S'il était la solution, pourquoi ne pas lui avoir confié ce rôle à l'égard du SCRS?

Le président: Concrètement, le seul moment où le Comité de la justice peut poser des questions est au moment de l'étude des prévisions budgétaires, lorsque le commissaire ou le solliciteur général comparaissent devant le Comité de la justice plénier. Ce dernier, il faut bien le dire, est habituellement occupé par les projets de loi, l'examen des lois, etc. Je reconnais donc que ce n'est pas le mécanisme qui...

M. Julian Falconer: Et voyez le rapport de Mme la juge Arbour et le nombre de gens qui pensent qu'il est fondé. Autrement dit, nous ne parlons pas ici des lubies d'un avocat engagé par une famille mécontente. Nous parlons là de problèmes réels, reconnus par les tribunaux.

• 1445

Vous devriez jeter un coup d'oeil sur les jugements rendus. Mon secrétariat sera ravi de vous les envoyer si vous le voulez. L'affaire Gentles fait l'objet de deux contrôles judiciaires. Donc, les tribunaux ont eu à se prononcer sur les questions que je soulève.

À chaque procès, les tribunaux admettent les problèmes au SCC et disent qu'il faudrait y remédier. C'est devenu une litanie. Cela m'a beaucoup surpris. J'ai englobé dans la documentation un extrait du plan d'action introduit par le SCC en réponse au rapport Arbour. Cet extrait est néanmoins assez volumineux. Je l'ai fait pour deux raisons. Premièrement, j'ai jugé important que vous sachiez qu'un tel plan existe concernant le rapport Arbour, afin que vous ne pensiez pas que je prétends que rien n'est fait. D'accord?

Vous verrez que j'ai inséré les pages... La page 17 porte le titre «Rejeté». C'est une ébauche. La seule recommandation précise que Mme la juge Arbour ait formulée sur la supervision est qu'il faudrait un arbitrage indépendant sur les décisions d'isolement. Dans le cas qui l'occupait, des femmes avaient été placées en cellule d'isolement pendant huit mois. Il n'y avait aucun mécanisme de contrôle. C'est vers le bas de la page 17, sous le titre «Rejeté». Il y a là aussi la référence au groupe de travail, qui avait dit la même chose, et dont la recommandation a aussi été rejetée.

Pour être juste, vu qu'il n'est pas là, le commissaire Ingstrup a déclaré que le terme «rejeté» n'était pas le bon. Il pense qu'il aurait fallu écrire à la place «non accepté». Il est bon que vous sachiez ce qui a été dit.

En fin de compte, voilà où en sont les choses. Il n'y a rien de tel dans la loi. Vous pouvez inscrire un tel mécanisme. Voilà en quoi mon intervention correspond à votre mandat, à mon avis.

Le président: Eh bien, merci beaucoup, monsieur Falconer. Je pense que nous devons passer au témoin suivant.

M. Julian Falconer: Merci.

Le président: Nous apprécions que vous ayez pris le temps de venir et de nous faire part de votre point de vue. Nous tiendrons certainement compte de vos recommandations lors de la rédaction de notre rapport.

M. Julian Falconer: Je vous invite à prêter attention à la dernière phase de cette enquête. Je pense que l'argumentation présentée par le SCC et d'autres parties vous intéresse directement.

Le président: D'accord. Je vous remercie.

Nos prochains témoins représentent la Black Inmates and Friends Assembly. Bev Folkes en est la directrice exécutive. L'autre témoin est Everette Dehaney.

Soyez les bienvenues. Si vous pouviez nous faire un exposé d'une dizaine de minutes, cela laisserait du temps aux membres de vous poser des questions.

Mme Bev Folkes (directrice exécutive, Black Inmates and Friends Assembly): Merci.

Je tiens tout d'abord à remercier le comité de nous avoir invités à prendre la parole au sujet de la CSMLC.

Vous verrez quelques pièces jointes au document que je vous ai remis. L'une émane du groupe des détenus noirs du pénitencier de Collins Bay. L'autre reproduit la directive du commissaire sur le programme des délinquants ethnoculturels. Elle étayera certains des arguments que je ferai valoir concernant le fonctionnement des pénitenciers.

La Black Inmates and Friends Assembly of Ontario est une organisation communautaire sensible aux particularités culturelles aux services des contrevenants noirs et antillais. Par notre action soutenue en faveur de ces groupes respectifs, nous en sommes venus à nous intéresser de près aux enjeux ayant des répercussions à long, moyen et court termes sur les politiques dans ce domaine. Nous nous intéressons en particulier aux rôle, responsabilités, fonctions et champs de compétence des enquêteurs correctionnels.

• 1450

Notre intervention ici a pour but de mettre en lumière certaines des préoccupations relatives aux procédures correctionnelles telles que les permissions de sortie avec et sans surveillance et de rechercher la mise en place de procédures équitables envers notre groupe client. Nous préconisons une modification de la loi telle que les membres de notre groupe client et d'autres délinquants ethnoculturels soient intégrés à la catégorie de l'article 20, «Groupes particuliers, besoins spéciaux» et celle des «délinquants autochtones» aux articles 79 à 84.

Je traiterai tout d'abord de l'enquêteur correctionnel. Vous connaissez ses fonctions. J'ajouterais qu'en 1997, Myron Thompson, le critique adjoint de la justice, a déclaré que le rapport du vérificateur général analysant le mandat de l'enquêteur correctionnel mettait en lumière un gaspillage de l'argent du contribuable.

    Le Bureau de l'enquêteur correctionnel est un organe indépendant qui fait enquête sur les doléances des détenus de nos pénitenciers fédéraux. Il est totalement inutile et représente un gaspillage de 1,3 million de dollars payés par le contribuable.

Thompson disait en outre que les détenus possèdent déjà plusieurs autres mécanismes pour exprimer leurs doléances, notamment la procédure de grief, où un détenu siège même au comité d'audition.

    Par ailleurs, de nombreux groupes se portent à leur défense, comme la John Howard Society et le Comité consultatif des citoyens, pour n'en nommer que quelques-uns.

Sans partager les motifs de Thompson, je considère son observation comme juste. J'irai même jusqu'à dire que, bien que l'idée d'un enquêteur correctionnel soit importante, dans sa forme actuelle, ce service va à l'encontre du but recherché. La raison en est double.

Premièrement, environ 6 000 plaintes sont déposées chaque année par les détenus des pénitenciers. Il n'y a que 10 enquêteurs correctionnels, ce qui signifie que chacun d'eux a une charge professionnelle de 600 dossiers.

Deuxièmement, les enquêteurs correctionnels et les établissements correctionnels relèvent tous deux du solliciteur général du Canada, ce qui implique des intérêts acquis, et donc des enquêtes, conclusions ou recommandations partiales.

Passons aux permissions, c'est-à-dire les permissions de sortir avec ou sans surveillance, etc. Ma position à leur sujet est que les détenus que moi-même ou mon organisation servons bénéficient très rarement de ce privilège. Ces permissions sont judicieuses car elles permettent aux détenus de sortir, de chercher un emploi, etc. Le placement à l'extérieur en est une autre forme.

La procédure d'examen expéditif en vue de la libération conditionnelle... Il me semble que les femmes détenues en bénéficient plus souvent que les hommes. Encore une fois, je parle pour le groupe particulier que je défends.

Je sais pertinemment que tous les délinquants primaires ne sont pas admissibles à la procédure accélérée. La Commission nationale des libérations conditionnelles exclue les délinquants condamnés pour meurtre ou pour complicité de meurtre après le fait, ceux condamnés à vie pour d'autres crimes, les coupables de lésions corporelles de l'annexe un et de tentative d'infraction de l'annexe un, les auteurs d'une infraction liée aux drogues admissibles à la libération conditionnelle à la moitié de la peine. En outre, tout détenu dont la semi-liberté a été révoquée n'est pas non plus admissible à la procédure accélérée.

• 1455

Pour ce qui est de l'admissibilité à mi-peine, les juges ont la possibilité d'imposer à une personne condamnée de purger la moitié de la peine, mais cela n'est pas nécessairement juste. Le juge voit la personne avant son départ en prison. Il n'a pas la moindre idée des progrès que fait cette personne sur le plan de son mode de vie et de ses habitudes grâce aux programmes suivis en prison.

L'isolement préventif est une option finale et extrême, comme je l'ai dit lors de ma première comparution devant le comité le 18 avril. Si l'on y regardait de plus près, on verrait que les détenus noirs sont plus souvent placés en isolement préventif, en guise de punition, que les autres et peut-être que les Autochtones, dans la région Ontario—ce n'est pas le cas des autres régions car elles n'ont pas la même population carcérale que nous en Ontario. En Ontario, nous avons un total de 699 hommes et femmes noirs, ce qui est considérable. C'est le groupe le plus important après les blancs.

Comme je l'ai dit, l'isolement est une option finale et extrême et suppose que toutes les autres possibilités raisonnables aient été épuisées. Il incombe à tous les administrateurs correctionnels de créer un environnement ou des solutions de rechange à l'isolement soient la norme établie et où tout le monde, personnel et détenus compris, recherchent des options propres à minimiser le recours à une intervention aussi draconienne. Bien géré, l'isolement préventif peut amener un environnement plus sain et plus productif pour le personnel et les détenus.

Alors que les privilèges que j'ai mentionnés sont des méthodes anciennes et devraient être compris et pratiqués par tous les établissements, je peux formuler les observations et conclusions suivantes. Je les fonde sur mes 18 années d'expérience des prisons fédérales et provinciales, de même que sur mes contacts en tête à tête et en groupe avec les détenus, et en particulier ceux membres de minorités.

La plupart, voire tous, des privilèges accordés aux détenus dans les établissements correctionnels sont administrés différemment selon la couleur de peau. Selon la race, les niveaux de soutien et de défense dont les détenus bénéficient sont disproportionnés. Les préjugés raciaux directs et indirects jouent un rôle majeur dans l'administration, l'examen et la gestion des dossiers des minorités.

À l'heure où je vous parle, un grand nombre des détenus que nous servons ont dépassé la date de leur libération obligatoire parce que les équipes de gestion n'ont pas achevé leur rapport et examen. À plusieurs reprises on leur a demandé de renoncer à la libération conditionnelle parce que le travail n'était pas terminé, ce qui s'accompagne de la menace: «Si vous refusez, nous n'appuierons pas votre libération». Donc, par ce biais, on incite les détenus à renoncer une ou deux fois à présenter leur demande de libération, et ce bien qu'ils aient suivi le programme.

Les détenus appartenant à des minorités raciales commencent à mieux connaître leurs droits et privilèges et sont donc mieux en mesure d'agir lorsqu'ils se sentent victimes de discrimination raciale réelle ou apparente. Mais la structure de responsabilité des enquêteurs correctionnels, du fait qu'ils relèvent du solliciteur général, compromet leur efficacité et leur utilité.

Du fait que les responsables des établissements correctionnels ne font rien pour rectifier les problèmes, on peut en conclure que soit le bureau de l'enquêteur correctionnel n'est pas pris au sérieux, soit que leurs recommandations ne sont pas jugées importantes.

• 1500

Face à cet état de choses, il est nécessaire d'adopter, de mettre en oeuvre, de renforcer et de contrôler l'efficacité de mécanismes propres à améliorer la situation des minorités raciales dans les établissements correctionnels du Canada.

Aussi, j'aimerais recommander que tous les membres du personnel correctionnel soient informés des politiques et procédures concernant les privilèges offerts à tous les détenus des établissements correctionnels.

Des mesures devraient être prises pour assurer l'application équitable de toutes les politiques et procédures du service correctionnel et faire en sorte que les administrateurs soient tenus responsables des violations.

Les cadres et employés du service correctionnel devraient suivre une formation et une sensibilisation concernant les responsabilités quotidiennes d'un établissement correctionnel, englobant la gestion de la diversité, les mécanismes de grief, les droits de la personne, les tendances en matière de gestion correctionnelle et les avantages d'une approche réhabilitative de la gestion correctionnelle.

• 1505

Des normes alternatives de gestion des conflits et de résolution des problèmes devraient être explorées, pour assurer une environnement sain et sûr à tous les détenus. Ces méthodes alternatives devraient englober la médiation, la gestion de cas dynamique et proactive, et la sensibilisation à la dynamique culturelle et raciale.

La composition du personnel et de l'encadrement des établissements correctionnels du Canada devrait refléter celle de la population carcérale, afin de mieux servir tous les éléments de cette dernière.

Tous les processus d'examen institutionnels, en particulier les commissions d'examen, devraient refléter la diversité de la population canadienne.

Les plaintes et griefs qui affectent le plus les droits et libertés des détenus devraient être examinés et réglés en priorité. Une réponse écrite exhaustive et intervenant dans un délai raisonnable devrait être donnée aux détenus.

Les relations de responsabilité des enquêteurs correctionnels devraient être réexaminées et il faudrait envisager de les placer sous l'autorité d'une autre instance ou bien de les rendre autonomes.

• 1510

Comme je l'ai dit, je vous remets également un document émanant des détenus du pénitencier de Collins Bay. Je précise qu'il ne décrit pas seulement la triste situation de ces derniers, car tous les détenus de la région de l'Ontario que nous servons vivent la même.

Le président: Merci beaucoup de cet exposé, madame Folkes. Il est toujours utile que les témoins formulent des recommandations claires et précises.

Nous allons passer aux questions.

Monsieur Abbott, vous avez cinq minutes.

M. Jim Abbott: Merci.

Lorsque vous recommandez que le personnel soit le miroir de la population, songez-vous à la population générale du Canada ou bien à la population carcérale de l'établissement considéré? J'imagine que ce n'est pas nécessairement la même chose.

Mme Bev Folkes: Ce serait plus ou moins. Il devrait réellement y avoir un mélange dans tous les établissements, mais peu importe si, dans certains, il n'y a pas un mélange aussi prononcé de détenus de minorité raciale. Peu importe que l'origine raciale, culturelle ou ethnique soit exactement la même, qu'ils soient noirs, chinois ou ce que vous voudrez. Je sais que le service correctionnel cherche actuellement à recruter des employés dans ces catégories; toutefois, je ne sais pas dans quelle mesure il y parvient, étant donné les employés que je vois dans les bureaux.

M. Jim Abbott: Je pose la question parce que, comme nous l'avons découvert tout à l'heure lorsque les Autochtones ont comparu, chez eux aussi il y a de nombreuses cultures différentes à travers le Canada. Ce n'est pas parce que les gens sont d'une couleur donnée qu'ils ont la même expérience culturelle. Ils peuvent avoir subi le même niveau de discrimination dans la société en général, mais il y aura néanmoins entre eux des distinctions importantes. Ce n'est pas parce qu'une personne est noire ou antillaise, ou tout ce que vous voudrez, qu'elle aura la même expérience qu'une autre de même origine.

Donc, dans une prison où il y a beaucoup de détenus noirs, mettons, originaires des Caraïbes, vous dites qu'il serait préférable d'avoir des gardiens membres de cette minorité visible et, plus précisément, d'origine antillaise plutôt qu'américaine ou autre.

Mme Bev Folkes: Oui, le même mélange racial et culturel.

J'ajouterais qu'un dialecte est utilisé dans les prisons que les gardiens et l'administration interprètent souvent mal. Il y a un langage corporel qui diffère quelque peu des façons canadiennes et qui donne souvent lieu à des malentendus. C'est la cause de nombreuses altercations et problèmes qui surviennent dans les prisons.

Par exemple, à plusieurs reprises, on m'a appelé pour essayer de contrôler les dégâts dans certains établissements où il y a un problème racial, qu'il s'agisse d'affrontements entre détenus ou entre détenus et gardiens. Même les programmes dispensés dans les établissements sont, dans une certaine mesure, teintés de préjugés culturels. J'irais même jusqu'à dire que les tests des psychologues ne donnent pas nécessairement une image fiable des détenus évalués.

M. Jim Abbott: Ce document provenant de Collins Bay est réellement très intéressant. J'ai eu l'occasion de le parcourir pendant votre exposé. Il est daté du 15 janvier. À la page 2, je lis:

    [...] le manque de permission de sortie avec et sans surveillance dans le cas de «TOUS» les détenus noirs du pénitencier de Collins Bay (cela peut être prouvé car toutes les permissions sont enregistrées et les chiffres montrent qu'aucune n'a été accordée aux membres de la population noire à Collins Bay.

Que pouvons-nous faire dans le cadre de notre examen? Il me semble que nous devrions pouvoir faire quelque chose au plan législatif pour régler ce problème.

• 1515

Tout d'abord, est-ce que ce document vient de vous parvenir? Deuxièmement, a-t-il également été adressé au SCC et, si oui, quelle a été la réponse? Troisièmement, que pouvons-nous faire sur le plan législatif pour remédier à une situation comme celle-ci où il y a une injustice manifeste?

Mme Bev Folkes: J'ai dit au départ que je recherchais des solutions équitables à certains des problèmes. Quelles que soient les conditions à remplir pour obtenir une permission de sortie, il faudrait que tous les détenus qui les remplissent puissent en bénéficier, quelle que soit leur race, leur couleur ou leur origine ethnique.

M. Jim Abbott: Absolument.

Mme Bev Folkes: La plupart des détenus noirs de la région Ontario viennent de Toronto. Souvent, ils sont admissibles à une permission de sortie avec surveillance, mais on leur dit qu'il n'y a personne pour les escorter. Il y a toujours un manque de personnel pour accompagner ces détenus-là.

Encore une fois, si l'on recherche la justice et l'équité, tout le monde devrait être placé sur le même pied. Les règlements et politiques devraient tous être appliqués de la même manière. De fait, il faudrait une formation plus poussée en relations raciales pour les équipes de gestion des dossiers travaillant dans ces établissements, car il y a toujours cette vision stéréotypée de cette catégorie particulière de détenus, de ce qu'ils font, de ce qu'ont fait et vont faire.

Le président: Merci, monsieur Abbott.

Monsieur Marceau.

[Français]

M. Richard Marceau: Madame Folkes, permettez-moi de vous remercier d'être venue nous voir aujourd'hui.

Dans le cadre de la tournée du comité à travers le Canada, nous n'avons pas vraiment eu l'occasion d'entendre un point de vue similaire au vôtre. On a eu beaucoup de témoignages d'autochtones ou de personnes qui connaissent les problèmes des autochtones, mais peu de témoignages de gens de votre culture. Je trouve cela rafraîchissant et je vous en remercie. Vous soulevez des enjeux qui, selon moi, méritent d'être étudiés très en profondeur dans notre système.

Je voudrais vous poser quelques questions qui me semblent assez essentielles. Dans votre mémoire, vous dites que

[Traduction]

la plupart, voire tous, des privilèges accordés aux détenus dans les établissements correctionnels sont administrés différemment, selon leur origine raciale.

[Français]

Je suis novice en la matière, mais cela me semble fort comme observation. Est-ce vous avez des éléments de preuve qui pourraient nous aider? Vous avez mentionné l'institution Collins Bay; ce serait intéressant d'avoir les chiffres. On nous dit d'aller voir les ETA et les UTA. Ce serait intéressant de voir les chiffres. J'aimerais bien les avoir.

• 1520

Est-ce que vous avez des exemples concrets et documentés de ce genre d'événements? Si c'est le cas, cela mérite d'être dénoncé très fortement, et avec beaucoup de force, mais dire: «most if not all privileges», cela me paraît beaucoup.

[Traduction]

Mme Bev Folkes: En ce qui concerne la preuve que vous avez demandée, nous avons demandé aux détenus de faire quelques recensements officieux de qui sort et entre avec ces permissions.

Nous avons demandé qu'une étude soit faite au pénitencier de Joyceville et nous avons constaté que, oui, c'est la réalité. Il y avait moins de détenus noirs et nous parlons là d'établissements qui ont une grosse population noire.

À Collins Bay, par exemple, au cours des trois dernières années environ... nous étions au voisinage de 19 p. 100 de la population globale de 600 détenus. J'ai d'ailleurs demandé aux détenus de continuer à regarder, de recenser les chiffres, et je peux donc les fournir dans ce cas particulier. Je n'ai pas encore reçu tous les chiffres. Ces chiffres sont le décompte visuel fait par des détenus qui en ont vu d'autres sortir, dont certains avaient même eu leur liberté conditionnelle révoquée et qui obtiennent quand même beaucoup plus rapidement des permissions de sortie.

[Français]

M. Richard Marceau: Est-ce que vous avez accès à ces chiffres? Vous dites que ce sont des observations de prisonniers. Avez-vous accès à ces chiffres?

J'aimerais voir des chiffres précis. Par exemple, vous nous dites qu'à Joyceville une étude informelle a eu lieu. Est-ce qu'on pourrait avoir ces chiffres? Pouvez-vous nous les fournir? Sinon, il serait peut-être intéressant que le comité puisse avoir des chiffres concrets sur lesquels se baser, si ce genre d'événement se produit.

Le président: On va faire la demande, mais l'attaché de recherche m'indique que les chiffres sur la race ne sont pas conservés. On va faire une demande pour déterminer s'ils sont...

M. Richard Marceau: Très bien.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas de racisme dans le système, car je suis convaincu qu'il y en a, mais il y a une différence entre dire qu'il y en a et dire que tous les privilèges sont accordés sur la base de la race. Avant de dire une telle chose, personnellement, j'essaierais d'avoir des chiffres assez précis.

Cela m'a fait sourire que vous citiez Myron Thompson et qu'ensuite vous disiez être d'accord avec lui, même si le motif derrière tout cela est différent. En fin de compte, vous dites que l'enquêteur correctionnel ne sert à rien. Selon vous, est-ce une bonne idée que d'avoir un enquêteur?

Je veux être sûr de bien vous comprendre. Dites-vous qu'on devrait leur donner plus de pouvoir et plus de ressources, et qu'il faudrait plus d'enquêteurs?

[Traduction]

Mme Bev Folkes: Oui, je dis que le Bureau de l'enquêteur ne sert à rien dans sa forme actuelle. Premièrement, il est soumis au même solliciteur général, qui ne doit des comptes à personne. Comme on l'a vu dans le cas de la police en Ontario, la collectivité noire a exercé de fortes pressions pour obtenir un organe indépendant de contrôle de la police, et nous l'avons obtenu avec l'Unité des enquêtes spéciales. Je dis que dans le secteur correctionnel, il faudrait renforcer et donner un véritable rôle au Bureau de l'enquêteur correctionnel. Actuellement, il est sans pouvoirs.

• 1525

L'enquêteur me l'a dit. «Oui, nous avons formulé des recommandations» m'a-t-il dit, «mais elles ne sont pas suivies». Il y a un manque de reddition de comptes de la part des responsables.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Merci, monsieur Marceau.

[Traduction]

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président.

Il y a une chose qui me gêne avec les permissions de sortie à Collins Bay. Cela me gêne pour deux raisons. Premièrement, si c'est vrai, c'est inquiétant en soi, mais nous allons aussi avoir une difficulté car, comme le dit notre chargé de recherche, l'administration n'a pas le droit d'établir des statistiques par race. Il sera donc difficile d'obtenir les chiffres. Quoi qu'il en soit, nous allons devoir faire de notre mieux.

Est-il exact que...

Mme Lyne Casavant (attachée de recherche du Comité): Il n'y a pas de données sur une base raciale au Canada. La décision a été prise de ne pas recueillir de données sur une base raciale au Canada.

Mme Bev Folkes: Ce n'est pas nécessairement une contradiction, mais il y a quelque temps...

M. Ivan Grose: Eh bien, cela ne serait pas la première fois que l'on me contredit.

Mme Bev Folkes: Moi non plus.

Il y a quelque temps, il y avait des problèmes entre la police et la collectivité noire. Ce n'est pas fini. À l'époque, un inspecteur de police nous a dit lors d'une réunion qu'«ils ne recueillent pas de données formelles».

M. Ivan Grose: Je connais l'histoire. C'est arrivé ici même, à Toronto.

Mme Bev Folkes: Exact.

Cela a été démenti dès le lendemain, car l'inspecteur d'état-major Fantino a rendu publics des documents faisant la distinction raciale. Je suppose donc que c'est la même chose. Je me suis opposée farouchement aux statistiques fondées sur la race, sauf dans certains cas.

Si vous allez nous dire combien il y a de détenus noirs et leur pourcentage de la population en général, alors dites-nous aussi quelles sortes de crimes ils commettent. Qui fait quoi? Leurs peines sont-elles plus longues? Pourquoi purgent-ils des peines plus longues? Pourquoi sont-ils si nombreux à être privés de liberté surveillée? Pourquoi ne bénéficient-ils pas des mêmes privilèges que tout le monde?

M. Ivan Grose: Au cas où vous vous demanderiez pourquoi j'ai souri lorsque vous avez mentionné M. Fantino, c'est que lui et moi avons un dialogue en continu.

Une chose dont j'aimerais vous féliciter—et votre mémoire est un texte bien rédigé...

Mme Bev Folkes: Je vous remercie.

M. Ivan Grose: ...mais ce qui m'a le plus impressionné dans vos recommandations, c'est qu'elles s'adressent à tous les détenus; elles devraient s'appliquer à tous les détenus, et pas seulement à un groupe particulier.

Mme Bev Folkes: C'est juste.

M. Ivan Grose: Je vous admire pour cela.

Mme Bev Folkes: Merci.

M. Ivan Grose: Et je vous remercie. Ces recommandations m'apparaissent raisonnables et réalisables. Merci beaucoup.

Mme Bev Folkes: J'apprécie ces paroles. Merci.

Le président: Je vous remercie, monsieur Grose, et merci à vous, mesdames Folkes et Dehaney. Nous apprécions que vous soyez venues nous faire part de ces renseignements. Nous tiendrons certainement compte de vos recommandations lors de la rédaction de notre rapport.

Merci.

Mme Bev Folkes: J'aimerais juste répondre à l'une des préoccupations que vous avez soulevées.

Dans mon mémoire, là où j'ai écrit «La plupart, voire tous, des privilèges accordés aux détenus dans les établissements correctionnels sont administrés différemment selon leur origine raciale»... Je me demande si j'ai bien dit «tous». Je ne pense pas avoir dit «tous». La plupart, voire «tous...». Oui.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup.

Notre prochain témoin représente Operation Springboard. Margaret Stanowski, veuillez prendre place, je vous prie.

Soyez la bienvenue, madame Stanowski. Vous pourriez peut-être nous faire votre exposé en une dizaine de minutes. Cela nous laisserait du temps pour des questions.

• 1530

Mme Margaret Stanowski (directrice exécutive, Operation Springboard): Je pense que vous avez une copie de mon texte. Je n'ai pas rédigé de mémoire au long. J'aurais aimé avoir le temps de le faire, mais je dirai ces quelques mots.

Merci d'accueillir Springboard aujourd'hui. Nous sommes heureux de pouvoir évoquer certains aspects de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Springboard, fondée en 1969 par deux ex-délinquants, est une organisation caritative sans but lucratif oeuvrant pour rendre nos collectivités plus sûres en concevant et fournissant des services et des programmes destinés à promouvoir le respect de la loi à environ 7 000 personnes chaque année.

Nous pensons que, dans certains cas, l'incarcération est nécessaire, mais que la prévention et la correction du comportement criminel sont les plus efficaces au sein d'une collectivité impliquée.

Springboard adhère aux principes de la loi car l'expérience et les recherches démontrent que la réintégration la plus rapprochée possible de la plupart des délinquants dans des programmes communautaires bien gérés contribue à des collectivités plus sûres.

Étant donné la réussite de notre modèle d'engagement communautaire, mes propos seront axés aujourd'hui sur les façons d'élargir l'adhésion du public à la loi et de diversifier la gamme des stratégies de libération sûres et responsables des détenus fédéraux.

Nous savons tous que la loi régissant la libération et la gestion des délinquants est un sujet de polémique, bien que le public soit insuffisamment informé. Vous avez entendu le criminologue Tony Doob, du Centre de criminologie de l'Université de Toronto, parler du sondage de 1997 sur les opinions des Canadiens concernant la criminalité et le système de justice pénale. Cette recherche avait été commandée par Springboard.

Les résultats confirment que, lorsqu'on pose aux Canadiens des questions simples telles que: «Pensez-vous qu'il faut être plus dur avec les délinquants?», ils se disent en faveur de châtiments plus durs. Toutefois, lorsqu'on leur donne les renseignements les plus élémentaires sur la réalité de la vie carcérale ou sur le taux de réussite et le coût des programmes communautaires, comparés à une incarcération plus longue, et lorsqu'on donne un visage humain aux délinquants, l'opinion publique change radicalement et devient favorable à la substitution de programmes communautaires responsables à l'emprisonnement.

Mieux informer le public sera essentiel si l'on veut que la loi réponde à ses objectifs et que ses dispositions soient mises en oeuvre de manière cohérente et stratégique. Sinon, la loi sera exposée à des modifications et contestations irréfléchies, qui décourageront le SCC et la Commission nationale de libération conditionnelle de prendre des décisions opportunes et éclairées sur la libération des détenus.

Le manque d'adhésion du public limite également la gamme des options envisageables pour la réinsertion des délinquants. Les recherches confirment que le séjour en maison de transition est souvent la clé d'une réinsertion réussie. D'autres experts vous ont toutefois indiqué aussi que le séjour obligatoire, comme dans le cas des libérations d'office, peut être improductif, alors qu'il existe des solutions de rechange plus efficaces et souvent moins coûteuses.

Les stratégies de libération, pour protéger efficacement la sécurité publique, doivent tenir compte des antécédents du délinquant et offrir une gamme raisonnable et diversifiée d'options sur le plan du logement, du traitement et de la formation. Les maisons de transition ont su élargir la gamme des programmes non résidentiels, et leur rôle peut être accru sans danger.

Le SCC et la Commission nationale de libération conditionnelle ont pleinement reconnu l'importance de l'éducation du public pour accroître la connaissance et le soutien à la réinsertion des délinquants. Tous deux ont produit de bons matériels éducatifs expliquant quels programmes donnent de bons résultats sur le plan de la réinsertion des délinquants.

Il faut donner une plus grande priorité à la collaboration avec le secteur bénévole en vue de la production de documents éducatifs, ainsi qu'aux études de marché visant à établir les meilleures façons de rallier le soutien du public. Nous avons les réseaux et les contacts locaux qui permettent de légitimer et de rendre plus efficace la communication avec le public.

• 1535

Toutefois, l'action de Service correctionnel Canada et de la Commission nationale des libérations conditionnelles en matière d'éducation du public doit englober un plan clair énonçant des stratégies de participation des citoyens, assorti de ressources financières. L'attitude actuelle, qui consiste trop souvent à réagir, doit céder la place à une action proactive de communication avec le public.

Une participation réelle des citoyens ou des stratégies de mobilisation communautaire exigent un investissement considérable alors que les résultats dans le temps ne sont qu'à court terme. L'édification d'un soutien public durable à la réinsertion des délinquants représente un processus à long terme et graduel qui exige des ressources spécifiques et des partenariats stratégiques avec des groupes communautaires.

S'il est vrai que le SCC et la Commission nationale des libérations conditionnelles auront besoin de personnel supplémentaire pour accroître le soutien de la collectivité à leur travail et à la loi, je mets en garde contre la propension à embaucher davantage de fonctionnaires pour effectuer un travail de développement communautaire. Cette approche conduit trop souvent à édifier la collectivité autour du rôle de l'État que l'État soit intégré à la collectivité. Les organismes et groupes bénévoles représentant les intérêts communautaires sont mieux placés, selon mon expérience, pour impulser l'engagement des citoyens.

On ne peut bien promouvoir des stratégies de sécurité publique que si l'on fait partie de la collectivité et comprend ce qui détermine le sentiment de sécurité de la population. L'établissement de partenariats axés sur la résolution des problèmes avec des organismes publics et privés, des groupes de citoyens et de victimes, le secteur privé, la police et les tribunaux permet de renforcer la confiance de la collectivité et commence souvent avec des projets à faible visibilité tels que des patrouilles pour assurer la sécurité dans les parcs ou l'enlèvement des graffitis. La confiance et la collaboration forgées à ce niveau ouvrent la porte à des partenariats et à la participation des citoyens relativement à des problèmes plus difficiles en matière de sécurité communautaire, tels que la libération des détenus, en particulier ceux purgeant de longues peines.

Springboard a enregistré des succès sur le plan de l'engagement des citoyens là où elle est active. Je signale que nous sommes présents dans 14 localités de l'Ontario. Nous aidons à organiser des réunions de quartier avec des entreprises, la police, les services de santé public, les services responsables des parcs et loisirs, et collaborons sur des problèmes touchant la sécurité. Nos clients se portent volontaires pour ramasser les déchets dans les parcs locaux, tondre le gazon et déblayer la neige chez nos voisins. Les gens apprennent à nous connaître, ainsi que nos résidents, et souvent veulent faire du bénévolat dans nos programmes.

Notre effectif actuel de bénévoles de 400 personnes a triplé depuis 1990. Le public étant témoin du succès de nos programmes et constatant que nous contribuons au bien-être et à la sécurité de la collectivité, il acquiert la conviction que nous ne sommes pas le problème. Lorsque des problèmes surviennent, comme c'est inévitable dans notre domaine, nous pouvons avoir des discussions en connaissance de cause sur les remèdes à apporter.

L'établissement par le SCC de comités consultatifs de citoyens représente une approche localisée de l'engagement des citoyens mais reste néanmoins perçu comme une action de l'État servant ses propres fins.

Parfois, ce sont les fonctionnaires qui choisissent des membres qu'ils jugent représentatifs des intérêts de la collectivité. Cette approche ne peut avoir que des effets pervers lorsque des difficultés surgissent. En élargissant la participation aux réunions locales et aux activités intéressant la sécurité publique, ils pourraient joindre leurs forces à celles de la collectivité en vue de la prévention et de la réduction de la criminalité et créer de précieuses opportunités d'éducation et de participation des citoyens à leur travail. Même si cela peut sembler à première vue échapper au mandat du SCC et encore davantage à la portée de la loi, l'édification de tels partenariats autour de problèmes moins délicats, tels que la sécurité dans les parcs locaux, peut apporter d'importants avantages sur le plan de l'engagement à long terme des citoyens.

• 1540

L'édification de partenariats à l'intérieur des collectivités améliore le soutien à un éventail d'options pour les détenus fédéraux, notamment des solutions de rechange aux foyers de transition, des possibilités d'emploi et de formation, de counselling et de bénévolat. Les recherches ont abondamment montré que lorsque les besoins individuels des délinquants sont satisfaits grâce à des programmes communautaires efficaces, la récidive diminue sensiblement. En faisant participer les représentants non gouvernementaux à l'élaboration et à l'exécution de programmes communautaires, nous favorisons non seulement la collaboration et la résolution de problèmes aux fins de la prévention de la criminalité, mais aidons également à mieux cerner quelles mesures donnent les meilleurs résultats au niveau de la réinsertion des détenus.

En résumé, Operation Springboard considère que la loi actuelle représente un cadre approprié pour la gestion des peines et des programmes correctionnels et votre examen devrait servir à améliorer et réaffirmer ses dispositions.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Abbott, vous avez cinq minutes.

• 1545

M. Jim Abbott: Merci. Sur votre première page, vous dites que la prévention et la correction du comportement criminel sont les plus efficaces dans une communauté impliquée, et je suis pleinement d'accord. J'ai la chance d'avoir dans une petite localité de ma circonscription, Sparwood, quelques personnes dévouées et engagées. Elles montrent la voie. Vous connaissez sans doute leur programme.

Tout en étant d'accord avec cela, je regarde aussi ce que le maire Giuliani a fait à New York, lequel, me semble-t-il, a peut-être devancé la collectivité et a décrété: voilà ce que nous allons faire, terminé les graffitis, et si vous traversez la rue ou crachez votre chewing gum, vous allez avoir des ennuis—ce genre de choses. Cela semble avoir donné des résultats là-bas.

J'aimerais connaître votre réaction à cela, car encore une fois, j'admets que si le public n'est pas partie prenante au processus et ne le comprend pas, il y a un manque de soutien. Mais cela étant admis, voyons ces deux modèles, car à première vue ils semblent être diamétralement opposés.

Mme Margaret Stanowski: Quelqu'un veut-il chronométrer ma réponse là-dessus, car c'est un sujet hautement controversé et dont les gens parlent sans être toujours informés.

Le modèle de New York que vous évoquez correspond à ce que l'on appelle la théorie de la «fenêtre cassée». Lorsque les gens sont confrontés au délabrement social dans leur quartier, ils se sentent fondamentalement mal protégés. Ils se sentent menacés et tendent à se refermer et à s'isoler de la collectivité environnante. Ils installent des barreaux aux fenêtres. Les gens ne se sentent plus en sécurité dans la rue et dans les parcs. Ils cessent de dépenser leur argent dans leur quartier. Ils s'en vont. C'est un réel souci pour les commerces. Le fait que la population n'ait pas le privilège de se sentir à l'aise et de passer ses loisirs en toute sécurité constitue un problème.

Encore une fois, je suis en faveur de ce qui marche, mais ce que je vois dans la réaction de New York à ce problème, c'est la tolérance zéro. Il y a une tolérance zéro qui consiste à expulser les mendiants de la ville; à enfermer les gens et à les punir pour ce qu'ils ont fait. Rien dans cette stratégie n'autorise une participation des citoyens. La théorie, je suppose, est qu'il en résultera un moindre délabrement social et que, de ce fait, les citoyens se sentiront plus en sécurité et plus libres de sortir et dépenser leur argent et s'amuser. Mais cela n'amène pas la communauté à participer réellement à la réduction et à la prévention du délabrement social.

M. Jim Abbott: J'ai rencontré une jeune femme et son mari, tous deux des mannequins canadiens qui se sont installés à New York. Elle m'a dit qu'elle pouvait quitter son bureau du centre-ville à 22 heures ou 23 heures, prendre le métro et rentrer chez elle en se sentant complètement en sécurité, ce qui n'était pas le cas auparavant. Effectivement, le modèle de Giuliani en est un de tolérance zéro. J'essaie de réconcilier Sparwood et Giuliani.

• 1550

Mme Margaret Stanowski: Encore une fois, je pense que Sparwood est une localité très homogène, avec peu de diversité culturelle et je pense que sa réaction communautaire sur le plan de la lutte contre la criminalité a certainement été admirable si vous me permettez...

M. Jim Abbott: Exactement.

Mme Margaret Stanowski: ...de qualifier un programme tel que celui-ci.

Nous sommes persuadés que dans un modèle d'engagement des citoyens, ces derniers, une fois qu'ils sont bien informés, peuvent agir de manière très réfléchie et équilibrée et trouver des solutions équilibrées à la prévention du crime et du délabrement social. Nous ne pensons pas qu'un modèle prescrit d'en haut par le gouvernement ou la police, indépendamment de la collectivité, soit nécessairement viable à long terme. Lorsque la communauté est engagée, lorsque la localité de Sparwood est engagée et informée et agit collectivement contre la délinquance juvénile et la décrète inacceptable...

M. Jim Abbott: Mais Sparwood ne compte que 3 500 habitants et Toronto en a 3,5 millions...

Mme Margaret Stanowski: Exactement.

M. Jim Abbott: ...la question est donc de savoir si votre modèle est praticable avec une population de 3,5 millions, soit 100 fois supérieur? Nous savons que cela marche avec 3 500.

Mme Margaret Stanowski: Je ne peux vous dire combien je suis ravie que vous ayez posé la question car c'est exactement ce sur quoi nous travaillons. Tous nos programmes, à l'exception de deux... Nous avons deux foyers de jeunes délinquants, un à St. Catharines et un à Sault Ste. Marie, une ville du nord, très homogène et très semblable à St. Catharines, avec, aussi, un fort taux de chômage. À Toronto, où nos programmes visent l'engagement des citoyens, nous faisons ce travail depuis 30 ans.

Nous avons ouvert des foyers de groupe pour des détenus fédéraux là où d'autres n'y sont pas parvenus. Nous avons ouvert des foyers de jeunes contrevenants, lesquels sont l'élément sans doute le plus sujet à controverse—la Loi sur les jeunes contrevenants, combinée à une loi comme celle-ci. Nous avons réussi là où nous avons pu faire comprendre au voisinage, d'abord, ce qui marche bien, puis, deuxièmement, le rôle de la réinsertion et, troisièmement, le rôle que peut jouer un foyer de groupe sur le plan de la sécurité des habitants.

Nous avons connu également un bon succès à Scarborough, ville qui d'après mes chiffres démographiques compte probablement la population la plus diverse du Canada, avec le plus grand nombre d'habitants appartenant à divers groupes ethnoculturels. Notre réussite tient à ce que nous ne choisissons pas les personnes dont nous pensons qu'elles représentent la collectivité. Nous laissons la collectivité déterminer qui peut le mieux représenter les intérêts de la collectivité et agir sur les problèmes et trouver des solutions, en accord avec la police et les tribunaux, au problème de la criminalité. Une fois que le public comprend ces problèmes, il peut chercher des solutions en connaissance de cause.

Le président: Merci beaucoup.

Merci, monsieur Abbott.

Monsieur Marceau.

[Français]

M. Richard Marceau: Je voudrais tout d'abord remercier Mme Stanowski d'être venue nous voir aujourd'hui. Je dois dire que j'ai trouvé votre présentation fort intéressante à plusieurs points de vue.

En tout premier lieu, et je m'en voudrais de ne pas le dire, j'aime bien la philosophie qui est derrière votre organisation. Je crois qu'elle est la bonne. J'aimerais aussi souligner quelque chose que j'ai entendu dans vos remarques, et que j'ai lu, qui, je pense, manque malheureusement dans plusieurs présentations, soit l'importance de l'opinion publique.

• 1555

On oublie que nous, les députés, sommes élus par les gens. L'importance de l'opinion publique est souvent méconnue dans notre travail. Il est important que les lois que nous adoptons reflètent les valeurs de la société pour laquelle on légifère.

Lorsque vous dites que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition doit être mieux connue et mieux expliquée, je ne peux faire autrement qu'être d'accord avec vous. Souvent, de fausses vérités circulent. Les gens ont vite fait de dire qu'il faut enfermer les prisonniers, les emprisonner, jeter la clé par la fenêtre et ne plus jamais en entendre parler. Or, lorsqu'on regarde les statistiques, on se rend compte que ce n'est pas la bonne solution. Je tenais à le souligner parce que c'est important.

Je voudrais en venir à un sujet que j'ai soulevé à quelques reprises: les comités de citoyens. Je ne les trouve pas toujours très représentatifs des citoyens de la communauté dans laquelle se trouve l'institution. Je trouve cela désolant; il me semble que le but est que les citoyens de la communauté soient représentés et qu'il y ait une interaction positive entre la communauté et l'institution locale.

Comment peut-on faire pour que les comité de citoyens soient plus représentatifs de la communauté?

[Traduction]

Mme Margaret Stanowski: Je trouve que c'est une remarque très juste—vu que je suis d'accord, elle doit être juste.

Des voix: Oh, oh!

Mme Margaret Stanowski: J'ajouterais également que je travaille dans le domaine correctionnel depuis 26 ans. J'étais employée pendant 12 ans au Service correctionnel du Canada. La tâche est très rude, je ne le cache pas.

En ce qui concerne les comités consultatifs de citoyens, le principe en est admirable: la recherche d'un engagement du public. Je pense avoir dit que l'intention est très bonne lorsque les pouvoirs publics tendent la main aux collectivités et disent souhaiter leur participation, mais encore une fois, ils tendent la main à des gens qu'ils connaissent déjà ou qu'ils ont peut-être rencontrés en d'autres occasions, si bien que, peut-être par inadvertance, ils en viennent à choisir eux-mêmes les représentants de la communauté.

Sur la base de nos trois années d'expérience avec les conseils de justice, nous avons constaté qu'il faut faire intervenir les groupes existants, parmi lesquels peuvent se trouver des faiseurs d'opinion et qui sont représentatifs d'intérêts et de populations ethnoculturelles divers, même si cela prend plus de temps. Il faut laisser ces groupes choisir—élire—ceux dont ils pensent qu'ils représentent le mieux leurs intérêts et leurs préoccupations en matière de sécurité.

[Français]

M. Richard Marceau: Je suis d'accord avec vous.

En tant que législateurs, nous devons écrire un rapport. Comment pouvons-nous faciliter cela? Je me disais jusqu'à présent qu'un tel comité devait avoir un représentant de la municipalité. Il faudrait que ce que j'appelle des personnes influentes en fassent partie, comme un prêtre, un pasteur ou un rabbin. Ces gens sont en contact avec la communauté. Ce pourrait être aussi bien un membre du Club Optimiste de la région ou toute autre personne qui a une grande influence et qui est en contact avec la communauté en général.

Est-ce qu'on devrait préciser dans notre rapport qu'il est important que la communauté se prenne en main, et que, finalement, elle finisse par choisir ses représentants, mais qu'en attendant, l'institution ou le gouvernement doit tendre la main aux personnes influentes au plan local? Je vous ai donné des exemples. Est-ce que cela faciliterait la représentativité des comités de citoyens?

• 1600

[Traduction]

Mme Margaret Stanowski: Je donnerais une réponse brève à cela. J'aimerais voir une recommandation demandant très clairement un investissement de ressources financières et humaines pour permettre à Service correctionnel Canada et à la Commission nationale des libérations conditionnelles de collaborer, peut-être même de passer contrat, avec des groupes communautaires, pour les aider à élaborer des stratégies d'engagement des citoyens, prévoyant des critères et des efforts pour choisir judicieusement des représentants ou permettre aux représentants de la communauté de choisir leurs délégués.

Prenez le modèle du Manitoba, le succès de ses Conseils de justice pour la jeunesse. Je suis sûre que beaucoup d'entre vous êtes au courant. Ils ont des critères qui assurent une participation appropriée et représentative de la collectivité relativement à la délinquante juvénile. De la même façon, des critères et des groupes communautaires pourraient aider le SCC à collaborer avec la Commission nationale des libérations conditionnelles pour assurer que les comités consultatifs de citoyens soient représentatifs. Deuxièmement, et c'est tout aussi important, le service correctionnel devrait mettre à profit ce qui existe déjà, les groupes déjà existants, plutôt que de former de nouvelles infrastructures.

[Français]

M. Richard Marceau: Merci.

Le président: Merci, monsieur Marceau.

[Traduction]

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président.

Je vais me déclarer en désaccord avec vous. Nous nous entendions un peu trop bien depuis quelque temps.

Des voix: Oh, oh!

M. Ivan Grose: J'adore votre rapport. La meilleure chose que je puisse en dire est que vous chantez ma chanson. C'est ce que j'essaie de faire comprendre à la collectivité et je sais combien cette tâche est difficile, croyez-moi. Le public ne songe qu'à enfermer les malfaiteurs et à jeter la clé et, bien entendu, nous savons que cela ne marche pas—et c'est aussi diablement coûteux.

Cela dit, je pense que vous faites un travail absolument merveilleux, mais je ne suis pas d'accord avec vous au sujet des CCC. Nous en avons rencontré d'un bout à l'autre du pays. Certains, ai-je l'impression, ne font pas grand-chose. D'autres font beaucoup et ils sont réellement enthousiastes. Je n'ai pas perçu cette ingérence du gouvernement ni l'impression qu'ils sont choisis par le gouvernement. D'ailleurs, certains des membres de CCC que nous avons vu n'auraient certainement pas été choisis par le gouvernement; ils manifestent une grande indépendance.

Si vous me permettez de le dire, je ne pense pas que vous et les CCC fassiez le même travail. Pourquoi ne les laissez-vous pas tranquilles, quitte à ce qu'ils flétrissent sur pied s'ils ne font pas un travail efficace, ou bien les laisser jouer un rôle plus grand dans le domaine où ils se situent? Je pense que vous oeuvrez dans des domaines tout à fait différents et je crains que vous perdiez quelques appuis si vous voulez concurrencer les CCC. Ce n'est pas nécessaire. Très franchement, vous perdriez une partie de mon appui, car je trouve qu'il n'est pas nécessaire pour vous de le faire.

Cela étant dit, je ne pense pas que l'idée des CCC soit parvenue à sa pleine maturité encore. C'est mon impression. Ces conseils ne font pas tout ce qu'ils pourraient faire. J'ai demandé à votre bureau national si vous avez une liste de conférenciers, car j'essayais précisément de faire ce dont vous parlez, diffuser la bonne parole parmi les masses barricadées, en quelque sorte, car il y a une grande lacune à cet égard. Vous avez dit que la Commission des libérations conditionnelles et le SCC devraient faire cela. Je suis d'accord, mais je me suis renseigné pour savoir si les CCC faisaient ce travail et je ne pense pas qu'ils soient très efficaces à cet égard.

Si vous y parvenez, je pense qu'il vaudra mieux vous laisser le faire—et je rejoins là ce que vous disiez—plutôt que ce soit le gouvernement. Les gens ne nous font pas confiance. Nous faisons partie du gouvernement. Une fois qu'ils nous ont élus, nous sommes assimilés au gouvernement et ils ne nous aiment plus. Mais si un groupe comme le vôtre, qui a manifestement la confiance de la collectivité, diffusait le message sur ce qu'est le système correctionnel, ce qu'il fait, ce que sont réellement les prisons, je pense que cela vaudrait la peine.

Mme Margaret Stanowski: C'est ce que nous faisons actuellement. Si vous me le permettez, monsieur le président...

Le président: Oui, certainement.

Mme Margaret Stanowski: Je vais essayer d'être brève.

• 1605

Je tiens à ce que les choses soient très claires car je pense que tout effort visant la participation de la collectivité est admirable, même lorsqu'il s'agit d'un comité consultatif de citoyens; je ne considère pas du tout que notre travail est en concurrence avec les CCC. Le message que nous essayons de faire passer aujourd'hui est la manière de construire efficacement un soutien public dans la collectivité. Il y a d'excellents CCC. Mais, lorsque les gouvernements forment les CCC, il peut y avoir la perception qu'ils le font pour servir leurs propres fins.

Au cours de mes 26 années de travail dans le système correctionnel, j'ai vu, comme vous avez dit, beaucoup de gens dans ces comités ayant une attitude contestatrice et négative. Ce n'est pas une mauvaise chose. Mais pour être encore plus efficaces, il faut faire des efforts avant même ce stade. Et encore une fois, dans une ville aussi diversifiée et urbaine que Toronto, la tâche est très différente de ce qu'elle est dans une petite localité homogène comme Sparwood. Pour avoir une représentation aussi diverse que possible dans ces comités, le gouvernement doit être en phase avec la collectivité et doit s'efforcer de nommer les membres les plus appropriés et les plus représentatifs. Nous pouvons travailler utilement avec le gouvernement. Des groupes communautaires comme le nôtre, la John Howard, St. Leonard's, dont vous avez certainement reçu les représentants pendant vos consultations, peuvent oeuvrer avec nous et organiser d'autres formes de consultations et réunions pour mettre le doigt sur les craintes des gens, les choses qui font que le public craint pour sa sécurité.

Je ne pense donc pas qu'il s'agisse d'une concurrence. C'était plutôt un processus d'engagement équilibré des citoyens.

M. Ivan Grose: Merci beaucoup.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Grose.

Madame Stanowski, je vous remercie de votre temps et de votre exposé.

Mme Margaret Stanowski: Il n'y a pas de quoi. Merci de m'avoir invitée.

Le président: Le prochain témoin représente le Metro Action Committee on Violence Against Women and Children, Mme Marilou McPhedren.

Bienvenue. Vous pourriez peut-être nous faire un exposé d'une dizaine de minutes et je suis sûr que les membres auront quelques questions.

Mme Marilou McPhedren (présidente du Conseil, Metro Action Committee on Violence Against Women and Children): Avant de faire mon exposé, j'aimerais vous faire part d'une surprise qui m'attendait en entrant dans la salle et j'aimerais porter cela à votre attention.

Cela fait une vingtaine d'années maintenant que je milite pour un environnement atmosphérique plus sain dans cette ville, et j'ai été très surprise, étant une personne très allergique à la fumée de cigarettes, de trouver votre salle de séance bleue de fumée de cigarette. Je voulais attirer votre attention là-dessus.

• 1610

Je me nomme Marilou McPhedren et je suis avocate. Je travaille également bénévolement pour un certain nombre d'organisations sans but lucratif. Ces dernières se consacrent à lutter contre la violence faite aux femmes et aux enfants dans notre société. Mon intervention ici est en mon nom personnel, en tant que présidente du conseil d'administration de METRAC et aussi au nom de Jane Pepino, la présidente fondatrice de METRAC qui est retenue aujourd'hui en dehors de la ville et n'a pu revenir à temps. Par les temps qui courent, les journées de travail durent jusqu'à 18 heures. Nous avons donc décidé qu'il importait que je vienne moi-même pour intervenir au nom de METRAC.

Nous sommes des bénévoles. Nous avons fondé METRAC il y a une quinzaine d'années et nous nous sommes fixés une mission très précise. À ma connaissance, nous sommes la première organisation sans but lucratif du Canada fondée dans le but spécifique d'être un catalyseur de changements systémiques. Les systèmes sur lesquels nous travaillons sont plus particulièrement le droit, la santé et l'éducation.

Comme je l'ai mentionné, Jane est la présidente fondatrice et je suis la présidente actuelle. J'ai joint au mémoire une liste de certains des travaux entrepris par METRAC dans le domaine de la violence faite aux femmes et aux enfants.

Je tiens à vous remercier de nous avoir invités à comparaître ici aujourd'hui. Très souvent, les organisations sans but lucratif, les organisations de première ligne militantes doivent se battre et négocier agressivement pour être entendues de comités comme le vôtre. Cela n'a pas été le cas aujourd'hui. Nous avons reçu une invitation. Vous nous avez tendu la main. Je tiens à vous en remercier et à vous dire que cela est plutôt rare.

Nous n'avons que quelques remarques à formuler aujourd'hui. En sus de nos remerciements, nous n'allons mettre en lumière qu'un thème principal. Il ressort clairement du CD-ROM que vous nous avez fait parvenir que votre comité a investi beaucoup de réflexion et d'argent dans cette consultation. Le sujet en est de grande importance. Il a des ramifications énormes pour toute notre société et il mérite certainement l'investissement majeur que vous effectuez pour le compte des Canadiens.

Toutefois, j'aimerais attirer votre attention sur un aspect: d'après ce que nous avons pu voir dans la documentation, il conviendrait d'aborder ce travail selon une perspective supplémentaire. Il n'est certainement pas trop tard pour cela. En substance, nous recommandons que vous appliquiez une analyse sexospécifique à la documentation et aux avis que vous avez déjà réunis.

Il est manifeste que les femmes sont victimes de violence de manière disproportionnée et je vous renvoie à cet égard aux recherches de la professeure Rosemary Gartner ainsi qu'à certains arrêts de la Cour suprême.

À la page 12 de votre documentation, le document intitulé «Dispositions relatives aux victimes», vous donnez des chiffres pour l'Ontario et le Québec qui illustrent cet état de chose:

    parmi les victimes de délits violents (crimes sexuels exclus) demandant notification et/ou information, environ 50 p. 100 sont des victimes de violence familiale.

C'est là un signal d'alarme qui devrait vous amener à faire une analyse d'impact sexospécifique. Nous vous exhortons à aborder la prochaine étape de vos travaux en adoptant une politique de tolérance zéro à l'égard de la violence dans notre société. Pour cela, vous devez faire une analyse sexospécifique.

Le président: Je vous demande pardon. Pour ce qui est du document que vous citez, s'agit-il là de l'examen effectué par le solliciteur général précédent—son processus de consultation?

Mme Marilou McPhedren: Oui.

Le président: Ce n'est pas un document qui appartient à notre comité. Nous sommes le sous-comité parlementaire du Comité permanent de la justice et des droits de la personne et nous procédons à une étude indépendante. Ce dont vous parlez sont des documents d'information.

Mme Marilou McPhedren: Merci. Avez-vous compilé cette documentation? En avez-vous pris connaissance? Allez-vous l'intégrer à vos travaux?

Le président: Oui. Nous la connaissons et nous l'utilisons comme point de départ.

Mme Marilou McPhedren: Excellent.

Le président: Nous n'avons tiré encore aucune conclusion.

Mme Marilou McPhedren: C'est une précision très utile. Néanmoins, cela n'enlève rien à la validité de notre remarque et de notre recommandation.

• 1615

Le président: Pas du tout. Je ne conteste pas du tout la validité. Je voulais simplement vous préciser l'origine du document.

Mme Marilou McPhedren: Merci.

La position de METRAC est que les gouvernements de nos provinces et territoires, tout comme le gouvernement fédéral, sont constitutionnellement tenus de promouvoir et assurer le respect de tous les droits de la personne garantis par les articles 7, 15 et 28 de la Charte. De même, étant donné leur rôle de gardien de l'intérêt public, les employés et experts du Service correctionnel du Canada, de la Commission nationale des libérations conditionnelles et du Bureau de l'enquêteur correctionnel doivent appliquer à leur travail les valeurs de la Charte et porter celles-ci à l'attention de tout tribunal judiciaire ou administratif, et en particulier celles concrétisées par les articles 7, 15 et 28 de la Charte, afin que les droits en jeu soient pesés à la lumière d'autres valeurs et intérêts que l'on peut résumer sous le qualificatif d'intérêt public.

Le renvoi au bas de cette page donne quelques références précises à l'appui de notre position.

• 1620

Cet examen mené par votre sous-comité parlementaire est un instrument d'importance critique au moyen duquel le gouvernement du Canada peut énoncer ses choix politiques, c'est-à-dire décider qui doit recevoir le bénéfice et la protection du système correctionnel et en exiger des comptes, et ce de manière à assurer que les femmes jouissent d'une protection égale en pratique et en droit.

Nous voulons inscrire notre propos dans un cadre temporel quelque peu différent de celui de l'examen quinquennal que vous effectuez. Pour nous, il s'agit plutôt d'un examen après dix ans. Jane Pepino a fondé METRAC en 1984 et, en 1988, elle a été nommée présidente de l'enquête fédérale menée en vertu de la Loi sur les pénitenciers, sur la libération et la disparition de Melvin Glen Stanton. Jane a conclu que si nulle personne en particulier n'était à blâmer pour les meurtres et la destruction infligée par Stanton à la collectivité après sa libération anticipée, nul dans le système n'était non plus exempt de faute.

Après l'enquête, Jane a été invitée à présenter un rapport aux fins de la réforme législative et elle a déposé en février 1991 ses recommandations concernant le projet de loi qui a abouti à cette même loi sur laquelle vous invitez aujourd'hui METRAC à exprimer son point de vue. C'est pourquoi nous avons abordé cet examen sur la base d'une réflexion couvrant une période de dix ans. Voilà donc nos principales recommandations aujourd'hui.

Premièrement, avant toute libération, il convient d'identifier les délinquants violents présentant un risque de récidive et les exclure de la procédure de libération conditionnelle.

Deuxièmement, et pour éviter tout malentendu sur la première recommandation, nous sommes en faveur de maisons de transition et programmes similaires mais uniquement pour les candidats ayant fait l'objet d'une évaluation serrée au moyen des meilleures méthodes connues, tels que les indicateurs de létalité et les échelles de psychopathie, et bien entendu sous réserve de la condition ci-dessus. D'aucuns s'inquiètent d'une baisse de la capacité du système correctionnel à mettre en oeuvre les meilleures ressources, du fait de coupures budgétaires, et nous voulons insister sur l'importance de cet aspect.

Nous contestons la fausse déférence envers les victimes qui, selon la page 2 du rapport sur les dispositions que j'ai mentionnées, auraient la faculté de présenter des renseignements «si elles le souhaitent». Pourquoi imposerait-on un risque collectif à la société en plaçant le fardeau de la preuve—et c'est réellement le fardeau—sur les victimes, obligés de prendre l'initiative? Peut-on réellement compter que la victime se sente suffisamment en sécurité, suffisamment forte et possède les ressources et l'organisation voulue pour communiquer au système ces renseignements précieux? Pourquoi n'y a-t-il pas automatiquement une collecte, analyse et suivi des renseignements en possession des victimes?

• 1625

Nous apprécierions réellement une réponse à ces questions, lorsque vous en aurez le temps, et nous l'apprécierions par écrit. Nous considérons votre étude comme très importante et une possibilité d'améliorer encore une situation qui a déjà sensiblement progressé au cours des dix dernières années. Je pense que la loi actuelle est un exemple de réussite du système parlementaire et d'application des valeurs parlementaires.

Nous sommes venues aujourd'hui pour suggérer des améliorations ultérieures qui peuvent être apportées. En procédant à une analyse sexospécifique des nombreuses données en votre possession, vous serez à même, à notre avis, de recommander des changements encore plus utiles.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Monsieur Abbott, vous avez cinq minutes.

M. Jim Abbott: Merci.

Permettez-moi de vous dire, pour commencer, que mesurant six pieds cinq et pesant 250 livres et étant du sexe masculin, j'ai toujours eu l'habitude d'aller où bon me semble au Canada et de ne me laisser arrêter par rien. C'est pourquoi l'un des sujets qui m'a le plus taraudé tout au long de ma vie est le problème même que vous évoquez ici. Du fait de ma taille, et de mon sexe, je jouis du privilège que ne possède pas la femme moyenne au Canada. J'ai de ce fait énormément de sympathie pour ce que vous essayez de faire ici.

Mais j'ai besoin que vous m'éclairiez sur certains des concepts que certains des autres témoins qui ont comparu ici ne cessent de me renvoyer en guise de réfutation. Par exemple, vous dites que toute libération éventuelle doit toujours être assujettie à l'identification, au refus, etc., particulièrement s'agissant de libération d'office. Vous connaissez tous ces arguments, je le sais.

Au sujet des foyers de transition, vous dites que le candidat doit être soigneusement évalué. On me pose sans arrêt la question suivante: Vaut-il mieux garder purement et simplement une personne en prison jusqu'à la fin de sa peine? En fait, si je vous ai bien suivi, vous avez dit «...libération et disparition de Melvin G. Stanton. Jane a conclu que, si nul n'était...» etc. Donc, si je comprends bien, il était toujours sous mandat, mais on me rétorque sans arrêt que s'il n'avait pas récidivé alors, il l'aurait fait de toute façon lorsqu'il n'aurait plus été sous mandat.

Éclairez-moi là-dessus, car c'est pour moi un gros obstacle s'agissant de mettre mes idées à exécution, et peut-être celles aussi du Parti réformiste, dans ce domaine.

Mme Marilou McPhedren: Ce que je vais dire s'inspire largement de la conversation que j'ai eue avec Jane sur ce même sujet. Heureusement, c'en est un dont nous avons longuement parlé car je n'ai pas travaillé avec elle à cette commission d'enquête et elle est beaucoup plus experte que moi. Mais nous en avons discuté.

Vous imaginez bien que les circonstances ayant entouré la libération de Stanton ont été soigneusement épluchées par Jane et les membres de sa commission d'enquête. Elle a indiqué dans son rapport que l'une des plus grandes faiblesses du système était que la planification de la libération et le traitement de l'intéressé, et à bien des égards le manque de traitement pour Stanton, semblaient avoir été déterminés par le sentiment et l'impression que sa libération était inévitable.

• 1630

Elle se souvient, par exemple, du témoignage de l'une des psychologues faisant partie de l'équipe qui préparait Stanton à sa libération. Elle m'a dit encore avant-hier que ce qui l'avait le plus frappée dans le témoignage de cette femme était à quel point elle avait fini par s'identifier avec Stanton et éprouver de la sympathie pour lui, et tenait pour acquis qu'il allait être libéré. En substance, il allait forcément être libéré et son rôle était d'oeuvrer en ce sens.

De ce fait, on n'a pas suffisamment prêté attention au risque pour la collectivité. L'accent était mis sur la préparation du détenu, et même sur l'accélération du processus de sa libération. L'une des raisons citées dans le témoignage était que l'intéressé avait dit avoir épuisé toutes ses ressources en milieu carcéral.

Jane a été frappée par une double incohérence: d'une part l'absence d'un traitement approprié au sein du système carcéral et la croyance, tragiquement erronée, qu'il y aurait quelque chose dans la collectivité. De ce fait, il n'y a pas eu la préparation, le suivi ou contrôle voulus, et il n'aurait pas dû être libéré.

M. Jim Abbott: Mais aidez-moi avec cette idée. Supposons qu'il ait été libéré dans de meilleures conditions, qu'il y ait eu le suivi, et qu'il parvienne à la fin de son mandat. Prenons n'importe quel agresseur violent de femmes et d'enfants, après la huitième année de sa peine de douze ans, soit le moment de la libération d'office: «Nous n'allons pas vous libérer, nous allons vous garder jusqu'à l'expiration de la peine».

L'argument que l'on m'oppose sans cesse est qu'il vaut mieux que ce détenu aille en foyer de transition—avec certes toutes les garanties que vous demandez, soit une évaluation serrée, afin de l'acclimater, au lieu de simplement le mettre à la rue à la fin de sa peine avec un billet de bus et une valise.

Mme Marilou McPhedren: Je pense qu'il y a deux étapes intermédiaires qu'il faut examiner dans un scénario comme celui-ci. Premièrement, avec quelle rapidité peut-on commencer à déterminer si la personne est dangereuse, au premier stade possible, avec des réévaluations périodiques tout au long du processus? Deuxièmement, les membres du comité d'examen sont-ils convaincus que les évaluations à l'échelle du système sont exhaustives et mettent en oeuvre les meilleurs outils disponibles? En êtes-vous convaincus?

Nous-mêmes n'en sommes pas pleinement convaincues. Mais nous sommes des bénévoles et nous n'avons pas les moyens d'examiner cela de manière aussi approfondie que vous. Notre impression est que les outils les plus perfectionnés ne sont pas pleinement utilisés en raison des coupures budgétaires.

M. Jim Abbott: Le problème de la libération d'office est un grand sujet de préoccupation pour moi-même et mon parti et j'apprécie vos avis. Nous serions tous reconnaissant de toute contribution ultérieure que vous pourriez faire.

Le président: Merci.

Je vous remercie, monsieur Abbott.

[Français]

Monsieur Marceau.

M. Richard Marceau: Madame McPhedren, permettez-moi d'abord de vous remercier de vous être déplacée pour nous rencontrer aujourd'hui et nous donner un point de vue qui est essentiel, je pense, à notre travail au sein du sous-comité.

La violence envers les femmes est un des gros problèmes de notre société. Je suis relativement au courant de ce qui se passe, mon épouse étant procureur de la Couronne et se spécialisant dans les cas de violence domestique. C'est donc quelque chose dont j'entends parler régulièrement.

Malheureusement, dans la vie, il n'y a aucune certitude et le système, si on peut l'appeler ainsi, doit toujours faire l'équilibre entre la réintégration—et là-dessus je pense que je diffère un petit peu de mon collègue de droite—et la meilleure solution à long terme pour la communauté, qui est la sécurité publique.

• 1635

Vous demandez que l'on fasse un screening. Je ne sais pas s'il pourrait être mieux fait. C'est possible, mais le problème est que, même s'il est mieux fait, il n'y a aucune certitude.

Je cherche le terme français pour screen.

Un député: Filtrer.

M. Richard Marceau: Merci.

En voulant filtrer de façon très rigide tout ce qui se passe, n'y a-t-il pas danger de laisser des gens à l'intérieur alors que ces personnes pourraient être mieux réhabilitées à l'extérieur au moyen de mesures et de programmes d'encadrement?

Comme le disait M. Abbott, on sait très bien qu'une personne qui sort de prison à la fin de sa peine avec une valise sans avoir pu bénéficier de mesures intermédiaires aura beaucoup de difficulté à être un citoyen qui contribue à la société.

[Traduction]

Mme Marilou McPhedren: Non, mais vous avez décrit là les circonstances de la libération anticipée de Stanton et nous savons ce qui s'est produit dans son cas. Nous savons que cela s'est reproduit à maintes reprises depuis.

Les principes que vous évoquez en matière de réinsertion dans la collectivité sont valides et particulièrement importants dans une démocratie. Mais il faut aussi se garder de ne pas laisser nos préférences subjectives pour de tels principes prendre le pas sur la réalité concrète, soit les résultats pratiques de notre système.

Le travail que j'ai personnellement effectué en matière de réadaptation des délinquants sexuels concernait des professionnels qui abusent sexuellement de leurs clients. Ce ne sont pas nécessairement des criminels qui ont été incarcérés, bien qu'un certain nombre de ces médecins soient en prison.

Je pense qu'il y a une ensemble de faits préliminaires. Ces faits peuvent changer d'un cas à l'autre, mais à l'heure actuelle ce que nous pouvons faire sur le plan de la réadaptation et de la sécurité de la collectivité et des victimes est très limité. C'est particulièrement très limité dans le cas des délinquants sexuels dangereux et celui de la violence conjugale.

La position de METRAC, et c'est celle que nous avons exprimée aussi à d'autres comités parlementaires, est que nous devons confronter directement et objectivement les échecs et insuffisances de nos méthodes de réadaptation avant de commencer à lâcher des gens dans la société en espérant vainement... Les faits ne confirment pas cet espoir.

[Français]

M. Richard Marceau: D'accord, merci.

Le président: Merci, monsieur Marceau.

[Traduction]

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président. Je n'ai pas de question ni de remarque.

Le président: Nous semblons à court de questions. C'est peut-être à cause de l'heure.

Mme Marilou McPhedren: Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup de votre présence et de votre exposé. Nous en tiendrons certainement compte lorsque nous rédigerons notre rapport.

Nos prochains témoins sont Amy Friedman-Fraser et Sarah Fraser de l'Alliance of Prisoners' Families. Veuillez prendre place à la table plus rapprochée, où se trouvent les micros.

Si vous pouvez nous faire un exposé d'une dizaine de minutes, cela laissera du temps aux députés pour poser des questions.

• 1640

Mme Amy Friedman-Fraser (membre, Alliance of Prisoners' Families): Je tiens à vous remercier de nous avoir invités aujourd'hui. Vous avez le texte de notre mémoire, je crois, mais je vais commencer avec quelque chose qui diffère un peu des autres exposés que vous entendez ordinairement. Notre espoir aujourd'hui est de brosser un portrait à grands traits d'une population que le législateur et le grand public, jusqu'à présent, ne reconnaît pas comme interlocuteur, étant considérée comme un groupe vague et hétérogène, troublant et peut-être fauteur de troubles.

Je suis la femme d'un détenu, condamné à vie, actuellement en liberté conditionnelle, heureusement. Voici sa fille, ma fille par alliance.

J'ai fréquenté la prison en 1992 à titre de journaliste car je vivais à Kingston et je voulais voir ce qui se passait derrière les murs de la prison qui entoure la ville que j'habite.

Lorsque j'ai rencontré l'homme que j'ai épousé, le père de Sarah, il était en prison depuis sept ans et je suis entré de plain-pied dans la vie que mènent les familles de détenus. Ce n'est pas mon histoire personnelle que je veux vous raconter aujourd'hui. J'espère plutôt vous donner une image plus générale de la vie au jour le jour, d'année en année, des familles des prisonniers.

Je traiterais plus particulièrement de la loi vers la fin de mon exposé. La raison pour laquelle je veux vous brosser un portrait est que je sais que si nous jouissions de quelques soutiens législatifs et administratifs et si nous étions protégés, au moins dans une certaine mesure, contre les abus que nous endurons, nous pourrions être l'un des outils les plus précieux de prévention de la récidive.

Je vais donc vous demander de projeter dans votre tête l'image que vous avez d'un membre de la famille d'un détenu, sans tricher, de projeter ce que nous sommes et ce à quoi nous ressemblons.

Je vous demanderai d'imaginer deux parents âgés qui ont fait le voyage jusqu'au pénitencier de Collins Bay, à Kingston, pour rendre visite à leur fils. Ils sont venus en voiture; c'est le mois de janvier. Ils se garent dans le stationnement des visiteurs à un quart de mille de l'entrée et marchent sur ce chemin qui, en hiver, est le plus affreux tunnel à vent de Kingston. Pour se rendre à l'entrée, ils passent devant le terrain de stationnement du personnel, juste à côté du bâtiment. Une fois à l'intérieur, ils doivent franchir une première porte, puis une autre. Une troisième les attend derrière le gardien ganté de caoutchouc, à l'attitude nettement méprisante, qui leur prend leurs clés, leurs papiers d'identité, et leur six dollars de monnaie qu'il fourre dans une enveloppe qu'il va ultérieurement déposer dans une boîte à lettres à l'intérieur. Ils espèrent que cet argent sera bien remis à leur fils dans sa cellule.

Le gardien place ces articles dans une boîte, qui ressemble remarquablement à un four à micro-ondes, et pendant que le couple attend, plusieurs gardiens et quelques visiteurs officiels passent et les précèdent dans la prison. La machine qui ressemble à un four à micro-ondes fait des bips. C'est ce que l'on appelle une chambre ionisante. Le gardien demande au couple de lui donner leur nom. Ils s'exécutent, mais ils ne sauront jamais quels renseignements la machine aura crachés sur eux. Ces données pourront un jour apparaître dans le dossier de leur fils, couchées en termes vagues, indiquant qu'à telle date leur fils a reçu un visiteur ayant eu une lecture positive pour quelque signe révélateur de substances illicites.

Je vous demande de garder à l'esprit quelque chose dont j'ai été moi-même témoin. John Edwards, le commissaire du Service correctionnel du Canada à l'époque, rendait visite à ce même pénitencier, Collins Bay, a placé 50 $ dans la machine et la machine s'est mise à tinter comme une folle. Tout le monde s'est mis à rire et il est passé.

Ces machines ont été testées aux États-Unis et je crois que plus de 60 p. 100 des billets de banque, surtout les gros, affichent des résultats positifs pour quelque substance illégale.

Ce couple âgé ne peut protester contre le message donné par la machine et qui va être consigné dans le dossier. Il ne peut pas dire qu'il ne sait même pas à quoi ressemble une drogue. S'ils le disent, on va considérer qu'ils mentent ou qu'ils causent des ennuis, et leur fils paiera sans doute de quelque façon le prix de cette protestation. Ce pourrait être simplement l'hostilité de tel gardien ou bien un ou deux jours en isolement, une inscription dans le dossier IPSO ou simplement un soupçon général.

• 1645

Je vous demande d'imaginer les familles, dont beaucoup ont parcouru des centaines de kilomètres par des moyens de transport publics pour rendre visite à leurs chers vivant dans ces prisons, dont beaucoup ont été construites dans des lieux obscurs et inaccessibles. Imaginez-les faisant la queue pour assister deux ou trois fois par an aux réunions familiales, où ils ont l'occasion de passer quelques heures avec leurs proches dans un gymnase bondé d'autres familles, où le repas et les activités ont été organisés et payés par les prisonniers eux-mêmes.

Je vous demande d'imaginer l'attente de 45 minutes à deux heures pour franchir la porte de la prison pour aller à cette réunion, et souvent attendre autant pour pouvoir repartir à la fin de la journée. Je vous demande de les imaginer attendant dehors, comme c'est généralement le cas, sous la neige, la pluie et la grêle, pendant que, un par un, les visiteurs entrent, enlèvent leurs chaussures, leur ceinture ou parfois se déshabillent entièrement parce que le détecteur de métaux a donné un signal.

Je vous demande d'imaginer ce que ressent une mère qui se voit fouillée à corps, tout cela pour qu'un gardien finisse par découvrir que son soutien-gorge a une baleine métallique. Le mal est déjà fait. Elle a été déshabillée devant des étrangers, mais elle sait que si elle avait refusé de le faire, elle n'aurait pas vu son fils pendant un mois ou deux, ou plus.

Je vous demande d'imaginer une femme, sa valise faite, les enfants prêts, excités à l'idée d'aller dans la zone de visite familiale, ces maisons mobiles où les familles ont parfois la chance de passer trois jours ensemble, derrière des barbelés et sous le regard de gardiens avec un fusil dans les miradors.

Les familles se forgent une version de la vie en commun qui est ponctuée par les lumières aveuglantes de la cour de prison, les sonneries pour l'appel et la visite trois fois par jour de gardiens qui comptent leur père, femme ou mari, dans le cas des prisons de femmes.

Je vous demande d'imaginer une visite en maison mobile où un mari et une femme se disputent. Rien de grave. Nous, les familles des prisonniers, apprenons à nous disputer en silence au parloir, où une voix qui s'élève peut déclencher l'alarme et faire qu'un prisonnier va faire un séjour au mitard.

Je vous demande d'imaginer la femme quittant la prison après trois jours de visite, le coeur lourd et la gorge serrée par les larmes. Elle sait qu'il se passera de nombreux mois avant qu'elle puisse de nouveau dormir et manger avec son mari. À son départ, le gardien lui fait un sourire hypocrite et lui dit: «Alors, vous ne vous êtes pas si bien entendus que cela là-dedans, n'est-ce pas? Pourquoi ne pas essayer un vrai homme?»

Je vous demande d'imaginer une détenue à la prison des femmes parlant au téléphone avec un être cher, disant: «Je ne sais pas si je vais pouvoir durer». Son coeur est lourd de solitude et d'angoisse. La conversation est écoutée. Elle est fichue. L'administration de la prison décide qu'il faut lui enlever ses possessions et la mettre en cellule d'isolement pour sa propre protection. Elle a beau leur dire qu'elle n'est pas suicidaire, qu'il n'est pas nécessaire de la placer en isolement, les administrateurs décident de l'y mettre quand même pour sa sécurité.

Un agent de liaison qui connaît bien la femme, qui est membre de notre organisation, sait que cette femme n'est pas suicidaire. Elle saisit le représentant du Comité consultatif de citoyens, qui téléphone à la prison pour demander ce qui se passe. On lui répond que la prisonnière n'est plus en isolement, qu'on lui a rendu ses biens et ses vêtements. Le représentant est satisfait et en informe l'agent de liaison.

Trois jours après, l'agent de liaison, un membre de notre comité, comme je l'ai dit, arrive pour rendre visite à cette détenue et découvre que la femme est toujours en isolement. Elle est toujours privée de ses affaires, de sa dignité et elle est maintenant suicidaire. Lorsque ce genre de chose arrive, et je parle là du haut de mon expérience et de celle des membres de notre comité, nous les membres des familles avons de nouveau confirmation que le Comité consultatif de citoyens n'est pas une organisation qui peut nous aider.

Imaginez, je vous le demande, un confinement aux cellules. Ce ne sont pas seulement les 500 prisonniers qui vivent derrière ces murs qui sont enfermés dans leurs cellules. Multipliez le nombre d'otages... car nous les membres de la famille nous chiffrons par milliers. Lorsque les 500 hommes sont enfermés dans leurs cellules, nous n'avons aucun moyen de savoir ce qui se passe derrière ces murs, sinon ce que nous entendons dans les médias—une émeute, un meurtre. Nous nous demandons si notre proche est sauf. Nous n'avons personne à qui téléphoner pour le savoir.

Une fois, prise de peur pendant un confinement en cellule, j'ai dit à une gardienne que j'avais peur et elle m'a regardé d'un air soupçonneux. Je lui ai dit que lors de catastrophes minières, à tous le moins les familles des hommes et des femmes coincés au fond sont considérés comme des gens méritant l'attention et la compassion. En tant que membres de la famille de prisonniers, nous rencontrons rarement de la compassion. Parfois, de la pitié, oui, mais pas de la compassion.

Imaginez ce qu'a vécu l'un de nos membres, une femme qui m'aurait accompagnée ici, sauf qu'elle a déménagé dans l'Ouest. Un jour, lors d'une réunion familiale, en arrivant à la troisième barrière, elle s'est souvenue qu'elle aurait besoin de son Tampax. Elle est retournée à sa voiture, dans le stationnement éloigné, pour prendre son sac. Un gardien, l'observant du haut de sa tour, l'a remarquée et, à son retour quelques instants plus tard, elle a été forcée de se courber et de se soumettre à une fouille corporelle. Son comportement, lui a-t-on dit, était suspect. Notre comportement l'est toujours, mais nous ne sommes pas des criminels par association, ni ne manquons-nous de conscience.

• 1650

Nous aimons des hommes et des femmes qui vivent en prison. Certains d'entre nous sont nos parents, d'autres nos enfants, d'autres nos conjoints. Nous, non criminels, avons probablement un plus grand intérêt à leur bonne réinsertion que n'importe qui d'autre.

Après mûre réflexion, nous avons choisi d'appeler votre attention sur deux aspects de la loi. Premièrement, nous demandons l'élargissement de l'article 74 de la loi, ou bien un ajout. Deuxièmement, nous demandons l'élargissement des pouvoirs du Bureau de l'enquêteur correctionnel et la mise en place d'une liaison entre ce bureau et les membres des familles des détenus.

• 1655

Nous croyons que les objectifs énoncés dans la loi—en particulier l'énoncé de mission et l'article 3, l'objet du système correctionnel, et l'article 100, l'objet de la libération conditionnelle—sont dans l'intérêt de la société dans son ensemble. Nous considérons comme approprié, logique et rationnel l'objectif de la réinsertion des détenus dans la collectivité à titre de citoyens respectueux de la loi.

Comme vous le savez, et comme je l'ai entendu dire ici même, un traitement approprié dans la collectivité contribue davantage à prévenir la récidive qu'un traitement approprié en prison. De fait, comme nous le savons et comme nous le vivons chaque jour, la règle en prison est trop souvent un placement et un traitement inappropriés, la diminution des autorisations de sortie temporaire, l'utilisation insuffisante des placements extérieurs, la diminution du nombre de libérations conditionnelles, le recours croissant et abusif à la détention et une atmosphère générale d'insouciance et de licence administrative.

Nous croyons que la négligence et l'abus ont libre cours dans notre prison et que l'administration carcérale n'a pas l'ombre d'une volonté d'appliquer la loi actuelle. Cela engendre non seulement des tensions psychologiques, physiques et financières pour les prisonniers, mais anéantit les capacités des familles des prisonniers qui, nous l'avons dit, pourraient être le meilleur outil pour la réalisation des objectifs de la loi.

L'article 74 stipule:

    Le Service doit permettre aux détenus de participer à ses décisions concernant tout ou partie de la population carcérale, sauf pour les questions de sécurité.

Nous vous demandons d'élargir cet article, ou d'ajouter un article supplémentaire, pour donner la même possibilité aux membres de la famille des détenus. Nos vies sont modifiées de manière incommensurable et intime par les actes du système de justice pénale, et en particulier du SCC.

En ce qui concerne le Bureau de l'enquêteur correctionnel, nous recommandons les changements suivants: que l'enquêteur correctionnel fasse rapport directement au Parlement, à la manière du vérificateur général, de façon à lui donner le rang et les pouvoirs dont il a besoin pour apporter des changements, et mieux faire connaître au public la nature réelle de la vie carcérale, et en particulier les griefs et la manière dont ces griefs sont traités par l'établissement, le bureau régional et national; que le Bureau de l'enquêteur correctionnel soit élargi de façon à pouvoir répondre aux besoins d'une population carcérale croissante et s'attaquer aux problèmes récurrents qui résultent de la non-application de la loi; et que des postes de liaison soient établis, soit à titre indépendant soit comme prolongement du Bureau de l'enquêteur correctionnel, afin que les familles des prisonniers aient une voix et une procédure de grief pour se plaindre des violations authentiques de la loi. Nous espérons que ces agents de liaison soient également chargés de contrôler l'application de l'énoncé de mission, tel qu'il est répercuté dans les directives du commissaire, les politiques régionales et les règlements des institutions.

Nous sommes venus aujourd'hui en dépit de notre grande frayeur. Nous avons été punies par le passé pour avoir osé élever la voix. Mais le dicton veut que la meilleure façon de faire triompher le mal est que les hommes de bien se taisent, et c'est pourquoi nous avons choisi de rompre notre silence. En tant que représentantes de l'Alliance of Prisoners' Families, nous vous offrons ces idées et ces portraits dans l'espoir qu'ils soient intégrés dans la loi et contribuent à l'administration de la justice, non seulement pour nous, mais pour le pays tout entier.

Merci.

Le président: Merci infiniment.

Monsieur Abbott.

M. Jim Abbott: Je dois dire qu'il faut être mort ou inhumain pour ne pas avoir été ému par votre intervention. Je vous remercie. Je peux voir que cela a été très éprouvant pour vous deux.

Je dois vous dire qu'il s'est produit une occasion dans ma circonscription, sur un sujet totalement différent, où il existait une dynamique, la possibilité de rétribution contre certaines personnes... Les personnes avec qui j'étais en contact voulaient faire une déclaration publique. Elles l'ont faite, et grâce à cette publicité, le rétribution ne s'est pas produite.

• 1700

Si vous me permettez de le dire, si vous avez l'impression d'être victime de rétribution par suite de votre intervention ici, je vous encourage à nous le faire savoir et je peux vous dire que moi-même, et tous ici j'en suis sûr, voudront en être informés et y réagir.

Mme Amy Friedman-Fraser: Je vous remercie.

M. Jim Abbott: Mais vous me mettez devant un dilemme fantastique. Le dilemme réside dans le fait que je suis sincèrement ému par votre présentation, et je le dis en toute sincérité. J'essaie de mettre en balance votre intervention et le tableau que vous avez brossé de vous-même et des parents âgés, etc., et la réalité de la présence de drogues dans les prisons, ces drogues qui sont susceptibles de perturber complètement tout le milieu carcéral et d'engendrer des situations violentes et dangereuses, même pour vos proches. Pouvez-vous m'aider à concilier ces deux pôles?

Mme Amy Friedman-Fraser: J'espère pouvoir. Tout d'abord, je ne veux pas voir de drogue dans les prisons.

M. Jim Abbott: Je comprends cela.

Mme Amy Friedman-Fraser: J'ai un ami qui a été assassiné la semaine dernière à cause de la drogue. La drogue est le grand problème. Je dirais que le problème de la drogue existait même lorsque les visites se faisaient derrière une vitre.

Je pense que le problème en est largement un de perception, et je suis sûre que je partageais cette perception avant de voir l'intérieur d'une prison. Je passais devant le pénitencier de Joyceville chaque jour et je voyais sortir des flots de gens et je ne savais pas que ces gens étaient moi. Je crois que c'est surtout cela que voit le public. Il y a eux et nous.

Sarah me disait en chemin pour venir ici, comment faire comprendre aux gens qu'une fois derrière ces portes nous sommes—excusez le terme—de la merde? Les gardiens passent sans contrôle. J'ai fait la queue pendant des heures en attendant le test de la chambre d'ionisation et j'ai vu passer des douzaines de gens avec des sacs, des valises, des chariots.

Si l'on va faire des tests de drogue, qu'on les administre à tout le monde. Le problème à l'heure actuelle, c'est qu'il y a un groupe cible perçu comme étant le problème. L'un des problèmes lorsqu'on fait de telles suppositions et engendre des stéréotypes, c'est que vous perdez de vue ce qui pourrait se passer réellement. C'est pourquoi il est important pour les familles—et pourquoi j'ai organisé ce groupe—que nous ayons une voix et puissions montrer qui nous sommes et que nous ne sommes pas comme on nous perçoit.

Ma difficulté à être objective tient à la punition qu'on nous inflige. Mais pour ce qui est de la stratégie en matière de drogue, par exemple, c'est pourquoi nous demandons que les familles des prisonniers soient partie prenante à une telle stratégie. Je pense que les familles pourraient aider à résoudre ces problèmes, et la réponse à votre question est là.

Je n'ai pas réellement le temps aujourd'hui de vous faire part de toutes mes idées dans ce domaine. Mais c'est pourquoi il est important que les familles aient leur mot à dire. Une stratégie de lutte contre la drogue dont nous sommes exclus n'aboutira à rien. Elle n'a aboutit à rien jusqu'à présent, le problème de drogue est toujours là. Il est aussi grave qu'il l'a jamais été. Il y a toutes sortes de nouvelles machines et de nouveaux tests et analyses d'urine...

M. Jim Abbott: Merci beaucoup.

Le président: Je vous remercie, monsieur Abbott.

[Français]

Monsieur Marceau.

M. Richard Marceau: Je serai très bref. Je voudrais vous dire que j'ai apprécié votre présentation. Vous avez en effet raison. Malheureusement, votre histoire et votre point de vue sont méconnus. Ils méritent d'être plus connus. Je vous remercie de nous en avoir fait part.

• 1705

Je voudrais vous contredire un peu. C'est vous qui écrivez que vous êtes plus cyniques que des politiciens. Je ne croyais pas que ce soit possible. Dans votre mémoire, vous dites:

    Nous savons qu'il est peu probable que des changements importants se produisent à la suite de cette présentation.

C'est ce qui est écrit dans votre document. Vos propositions sont les meilleures que j'ai vues jusqu'ici. Par exemple, vous dites que le Bureau de l'enquêteur correctionnel manque de pouvoir, manque de moyens, manque de substance, manque de personnel. C'est ce que vous mentionnez. J'espère que cela sera indiqué dans le rapport, qu'il contiendra une proposition semblable à la vôtre, parce que je suis d'accord avec vous.

Deuxièmement, vous proposez une contribution des familles à l'élaboration des politiques du Service correctionnel. Personnellement, je n'y avais pas pensé et je trouve que c'est une bonne idée; cela mérite d'être étudié et je suis content que vous l'ayez mentionné, parce que personne avant vous ne l'avait fait. Je me suis dit que cette suggestion avait du bon sens.

Je voudrais simplement vous dire que je suis content que vous ayez présenté une idée qui confirme ce que je pense de l'enquêteur correctionnel. Ensuite, vous présentez une idée nouvelle, et je n'ai pas eu le temps de lire entièrement votre document. Troisièmement, je pense que la contribution des familles de prisonniers à l'élaboration des politiques du Service correctionnel est une idée nouvelle qui mérite toute notre attention.

Je ne suis pas souvent d'accord avec M. Abbott, bien que je l'apprécie énormément sur le plan personnel, mais sur ce point je suis d'accord avec lui. Vous êtes venues dire des choses importantes. Si vous vous sentez pénalisées, faites-le savoir parce que votre point de vue est très important. Je sais qu'il l'est pour moi; je suis sûr qu'il l'est pour tous les membres de ce comité, et je voudrais vous remercier d'être venues nous présenter un document aussi bien fait, avec des propositions aussi bien pensées.

[Traduction]

Mme Amy Friedman-Fraser: Merci beaucoup. Je répondrai juste une chose. Je pense qu'il y a des moments où il est possible d'être plus cynique qu'un politicien, malheureusement.

[Français]

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Merci, monsieur le président.

Vous m'avez demandé de faire une chose qui est inutile dans mon cas. Vous m'avez demandé d'imaginer ce que subit la famille d'un détenu. Je n'ai pas besoin de l'imaginer. J'ai fait vivre cela à ma famille il y a de nombreuses années. À l'époque, il n'y avait pas les commodités que vous avez mentionnées, mais il ne semblait pas non plus y avoir les mêmes difficultés. Il me semble que l'avènement des nouveaux appareils de détection et des meilleures méthodes, a rendu la tâche plus difficile pour le visiteur qu'auparavant, et c'est déplorable.

Je partage également votre conviction... Je n'ai jamais cru que la plus grande partie de la contrebande dans les prisons est le fait des visiteurs. Cela ne tient pas debout. D'aucuns partagent mon avis et d'autres le contestent, mais moi qui ai connu les deux côtés de la barrière, je crains de partager votre avis. Aussi longtemps que l'on perdra son temps à blâmer les visiteurs, on ne résoudra pas le problème.

Je suis déçu d'entendre que la situation est comme vous la décrivez. Les appareils électroniques et la gêne sont peut-être inévitables, mais le problème est aggravé par le comportement du personnel. Cela dépasse l'entendement. C'est inutile. C'est brutal et cela me surprend. Pour ma part, je ferai ce que je peux avec mes moyens pour modifier cet état de choses, car c'est intolérable. C'est un problème qui pourrait facilement être réglé pourvu que l'on y consacre suffisamment d'efforts. Il suffit de dire à ces gens de ne plus agir de cette matière, sous peine de sanctions graves.

• 1710

Je suppose que vous avez rendu visite à votre mari en prison pendant pas mal de temps. Il est en libération conditionnelle actuellement?

Mme Amy Friedman-Fraser: Oui.

M. Ivan Grose: Pendant tout ce temps, avez-vous noté une amélioration ou une détérioration pour ce qui est de la procédure d'entrée et de sortie? Est-ce que les choses ont empiré ou se sont-elles améliorées? Est-ce que cela toujours été pareil?

Mme Amy Friedman-Fraser: C'est difficile à dire, car je commençais à être fatiguée et cela me paraissait peut-être pire. Je ne pense pas que les choses aient beaucoup changé. C'était à peu près toujours la même chose et c'était dû à ce que Mme la juge Arbour appelle la culture, une sorte de mentalité. J'ajoute aussi qu'il ne faut pas mettre tous les membres du personnel dans le même sac.

M. Ivan Grose: Oh, non.

Mme Amy Friedman-Fraser: Pas plus que toutes les familles. Mais il y a une culture qui consiste à diviser et... Je pense que ma fille a vivement réagi, tout comme moi, au témoin précédent, car là encore mon expérience de la libération est que cela n'est pas si facile ni si rapide. Lorsqu'on entend les victimes se plaindre qu'il soit trop facile pour les délinquants de sortir, on a l'impression de vivre dans deux mondes différents.

La solution serait peut-être que les membres de la famille soient consultés et, s'il y a un recours auprès du Bureau de l'enquêteur correctionnel, s'il y a moyen pour nous de faire entendre notre voix, il en résultera peut-être un dialogue et peut-être les deux mondes ne seront-ils plus aussi éloignés l'un de l'autre et aussi contradictoires.

M. Ivan Grose: Cela vous encouragera peut-être de savoir que, en ce qui concerne le rôle de l'enquêteur, à peu près tout le monde est d'accord avec vous et pense qu'il faut élargir son rôle. Personne ici ne dira le contraire. Vous avez certainement frappé à la bonne porte, car c'est nous qui sommes censés établir les normes, fixer les règles. Évidemment, ce n'est pas aussi facile que cela en a l'air.

Mme Amy Friedman-Fraser: Exact.

M. Ivan Grose: Mais je vous comprends. La réaction des gens qui disent qu'il est trop facile de sortir—à moi aussi, on me dit cela. Évidemment, je sais un peu mieux à quoi m'en tenir.

Mais je vous remercie d'être venue et cela valait bien votre déplacement.

Mme Amy Friedman-Fraser: Je vous remercie.

M. Ivan Grose: Vous m'avez apporté quelque chose de nouveau. Je pense connaître bon nombre des réponses, mais pas toutes. Vous m'avez ouvert les yeux sur un aspect nouveau, un nouveau champ d'action. Je vous en remercie.

Mme Amy Friedman-Fraser: Merci.

Le président: Pourrais-je vous poser quelques questions sur vos propositions. Vous dites, à la page 8:

    Nous proposons:

      a. que vous entendiez l'enquêteur correctionnel pour mieux comprendre la nature des questions exigeant l'attention du bureau [...]

L'enquêteur correctionnel comparaîtra devant ce comité le 31 mai, et nous aurons donc l'occasion de passer en revue avec lui ce que nous avons vu et entendu.

Pour ce qui est de votre proposition à la dernière page, à savoir «que les membres du Comité de la justice et des affaires juridiques visitent les prisons et parlent avec ceux qui ne peuvent pas comparaître», etc. C'est précisément ce que nous avons fait. Le sous-comité a fait une tournée des pénitenciers et, à chaque arrêt, nous avons rencontré le comité des détenus—uniquement les membres du comité, sans que personne d'autre ne soit présent, aucun membre du personnel du SCC ni personne du bureau du solliciteur général, etc.

Donc, pour ce qui est de ces deux recommandations, nous les avons déjà mises en oeuvre.

Mme Amy Friedman-Fraser: Merci. Je suis heureuse de l'entendre.

Le président: Merci beaucoup d'être venue, et merci à vous, Sarah.

Notre dernier témoin est la Dre Marnie Rice, directrice de la recherche au Centre de santé mentale de Penetanguishene.

Mme Marnie Rice (témoignage à titre personnel): [docteure]Merci beaucoup, monsieur le président.

Je me nomme Marnie Rice, je suis psychologue et directrice de la recherche à la Division de sécurité maximale Oak Ridge du Centre de santé mentale de Penetanguishene. Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de m'avoir invitée à participer à vos délibérations concernant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

• 1715

Mon mémoire donne davantage de renseignements sur Oak Ridge et moi-même, mais très brièvement, notre département de recherche est un chef de file mondial pour ce qui est de la recherche sur les délinquants et en particulier ceux atteints de troubles psychiatriques, et nous avons publié environ 200 articles scientifiques depuis sa création, et notamment un ouvrage tout récent intitulé Violent Offenders: Appraising and Managing Risk.

Je tiens à préciser que les opinions que je vais exprimer aujourd'hui sont les miennes et pas nécessairement celles du Centre de santé mentale de Penetanguishene ni de toute autre organisation.

Le principal sujet dont je vais traiter est celui de l'évaluation du risque. Tout d'abord, j'aimerais dire que les Canadiens ont toute raison d'être fiers du Service correctionnel du Canada et de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Le Canada jouit d'un système correctionnel moderne, équitable et respecté à l'échelle internationale. Le Canada est reconnu dans le monde comme un leader de la recherche en matière correctionnelle, des programmes de réinsertion et de l'évaluation du risque de récidive. Une bonne partie de ce travail est effectuée par le personnel du solliciteur général et du Service correctionnel du Canada.

En dépit de l'excellence des recherches et de la prudence de la mise en pratique, les taux de récidive violente commise par les détenus libérés sont probablement supérieurs à ce que le public veut tolérer. J'admets également que les taux de récidive violente sont quelque peu supérieurs à ce qu'ils pourraient être et une réduction pourrait être obtenue sans consacrer davantage de ressources à l'incarcération.

Dans la déclaration qu'il a faite au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, le solliciteur général Andy Scott a posé la question de savoir si l'évaluation des risques pourrait être améliorée de façon à mieux déterminer quels délinquants doivent être maintenus en détention. Quantités de recherches ont démontré abondamment que ce que l'on appelle la prévision actuarielle ou statistique est supérieure à ce que l'on appelle le jugement clinique. Littéralement des centaines d'études, dans tous les domaines où l'homme est appelé à formuler des prévisions, ont prouvé que les prévisions les plus fiables sont celles qui recourent à la méthode statistique, par opposition à la communication à un juge des données pertinentes à chaque cas particulier pour qu'il en tire ses propres conclusions.

Toutes les indications que nous possédons à ce sujet penchent en faveur de l'approche statistique. L'instrument actuariel consiste à faire des prévisions sur la base de relations mesurées entre le résultat, soit la récidive violente—c'est-à-dire dans les cas où la sécurité publique est la priorité—et plusieurs caractéristiques personnelles mesurées de manière objective, par exemple l'âge, la situation matrimoniale, etc.

Les caractéristiques personnelles sont choisies en fonction de leur contribution particulière à la prédiction du résultat—la récidive violente—et des coefficients de pondération peuvent être attribués à chacune. Habituellement, on totalise les cotes numériques pour chaque variable, pour obtenir un score total pour chaque sujet. Ensuite, on peut mettre en relation la cote totale et la récidive violente pour des centaines de cas où l'on connaît le résultat. Cela donne un chiffre de probabilité de récidive violente pour chaque nouveau cas.

Comme je l'ai dit, la prévision actuarielle est en opposition aux méthodes informelles, habituellement qualifiées de jugements cliniques dans cette discipline. Les jugements cliniques sont généralement fondés sur l'évaluation intuitive ou subjective et sur un ensemble de caractéristiques désignées par la littérature spécialisée comme étant associées à la violence. Une telle approche dépend également du souvenir que l'on a de cas antérieurs. Les méthodes informelles ne sont pas fondées sur la mise à l'épreuve systématique de la prévision à la lumière du résultat mesuré.

En dépit des abondantes preuves en faveur de la méthode statistique, la Commission nationale des libérations conditionnelles est actuellement chargée de prendre les décisions de libération sur la base du dossier de chaque délinquant pris individuellement. On lui communique diverses évaluations effectuées par le personnel du SCC, ainsi que quantités d'autres renseignements sur le détenu.

Sur la base de ces données et d'un entretien personnel avec l'intéressé, la commission est censée prendre une décision sur la libération qui tienne compte des particularités de chaque cas—autrement dit, les commissaires sont plus ou moins tenus de prononcer un jugement clinique.

Toutes les données scientifiques dans ce domaine amènent à conclure que, du point de vue de la sécurité publique, ce n'est pas la meilleure façon de prendre des décisions. Des décisions plus judicieuses pourraient plutôt être prises en suivant strictement ce que la meilleure méthode statistique nous apprend sur chaque cas individuel.

L'article 203 de la Loi a donné aux juges le nouveau pouvoir d'allonger la durée d'incarcération des délinquants ayant commis des crimes violents et certaines autres infractions avant d'être admissibles à la libération conditionnelle. Dans la mesure où cet article a pour objet d'accroître la sécurité publique, cet objectif pourrait mieux être rempli en enlevant cette latitude au juge et en prenant la décision sur la durée d'incarcération avant libération conditionnelle strictement sur la base du risque statistique. Je dis cela car la latitude du juge appartient à la catégorie de ce que j'ai appelé le jugement clinique, tout comme les décisions de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

• 1720

L'article 23 de la loi fait obligation au SCC de prendre toutes les mesures raisonnables pour obtenir une série de renseignements sur tous les délinquants, et ce dans les meilleurs délais. Il est absolument indispensable, pour une évaluation fiable du risque, de disposer de la bonne sorte de renseignements, et ce en provenance de plusieurs sources, ce qui a été reconnu lors de la rédaction de la loi. Or, d'après les rapports communiqués à votre comité, cette collecte de renseignements ne va pas sans difficultés. Il est impératif de résoudre ces problèmes afin que les renseignements voulus soient disponibles en temps voulu.

J'ajoute que la possession de renseignements additionnels augmenterait la fiabilité des évaluations de risque de violence. Plus particulièrement, chaque fois qu'un délinquant a été envoyé dans un établissement de santé provincial pour une évaluation préalable au procès, des accords de partage de l'information devraient exiger la transmission de tout le dossier établi dans le cadre d'une évaluation préalable au procès, et pas seulement des tests utilisés lors du procès.

Par exemple, en Ontario, le SCC a conclu des accords de partage de l'information avec le procureur général et le ministère des Services communautaires et sociaux pour obtenir la communication des dossiers de police et des antécédents à titre de jeune contrevenant. Des accords de partage de l'information similaires avec le ministère de la Santé seraient bénéfiques aux deux parties, car le ministère de la Santé aussi a besoin de renseignements provenant de toutes les sources possibles pour procéder à des évaluations de risque de violence précises pour sa clientèle.

À l'heure actuelle, nous n'en savons pas assez sur l'évolution du risque de récidive violente d'un délinquant avec le passage du temps ou la participation à des programmes. Jusqu'à présent, les caractéristiques personnelles qui sont les meilleurs indicateurs de risque sont celles qui ne changent pas. Parmi ces prédicteurs statiques figurent l'âge lors du premier délit, le sexe, les antécédents criminels et les évaluations de psychopathie et de personnalité asociale. Les chercheurs dans ce domaine n'ont pas encore identifié les changements pouvant intervenir dans les caractéristiques personnelles—par exemple, changements sur le plan des attitudes, du savoir, des compétences ou des symptômes—qui aideraient à évaluer le risque de violence en sus des facteurs statiques seuls.

C'est difficile à admettre et j'espère que c'est là un état de chose temporaire, mais c'est malheureusement ce que nous montrent les données à l'heure actuelle. Ce fait a d'importantes répercussions. Premièrement, il signifie qu'une évaluation soignée du risque de violence aux fins des décisions de libération n'a besoin d'être effectuée qu'une fois pour chaque incarcération d'une personne. Cette évaluation peut être faite dans les meilleurs délais possibles, dès que toutes les données pertinentes ont été réunies. Du point de vue scientifique, cette évaluation pourrait constituer le seul fondement pour déterminer le moment de la libération. L'évaluation du risque de violence effectuée selon la méthode actuarielle devrait également servir à déterminer quelles ressources devraient être déployées pour la gestion communautaire des délinquants. En particulier, certains délinquants présentent un niveau de risque si élevé que la sécurité publique sera le mieux servie en incarcérant le sujet aussi longtemps que le permet la peine infligée. Ces délinquants représentent un très faible pourcentage du total.

Le fait est qu'un suivi des délinquants actuellement détenus jusqu'à l'expiration de leur peine fait apparaître des taux de récidive moindres que ceux des libérés d'office, ce qui montre que les méthodes de prédiction les plus fiables ne sont pas actuellement utilisées pour décider qui sera maintenu en prison. Cela est dû en partie au fait que la loi stipule que seules certaines catégories de délinquants peuvent être maintenus enfermés, à savoir ceux condamnés pour crime violent grave. Or, ce ne sont pas nécessairement les personnes les plus dangereuses.

Certes, des antécédents violents sont un important prédicteur, mais des facteurs tels que la psychopathie, comme l'a mentionné un témoin précédent tout à l'heure, sont encore plus importants. Mais le fait de limiter le maintien en détention à ceux condamnés pour un délit violent contraint à prendre des décisions qui ne sont pas optimales.

Hormis le très faible pourcentage de délinquants dont les niveaux de risque sont trop élevés pour qu'ils soient libérés avant l'expiration du mandat, tous les autres devraient être supervisés après leur libération d'une manière conforme à leur niveau de risque. Des recherches menées par des chercheurs canadiens ont clairement établi que la meilleure façon de protéger le public consiste à traiter et superviser les délinquants après leur libération conditionnelle en fonction de leur cote de risque.

Les délinquants à très faible risque peuvent devenir plus susceptibles de récidiver si on leur impose plus qu'une supervision très minime. À l'inverse, un traitement et une supervision très intense sont indiquées dans le cas des délinquants à risque modérément élevé. Il ressort des rapports rédigés aux fins de l'examen de la loi que trop de ressources sont actuellement affectées au traitement et à la supervision des cas à plus faible risque et insuffisamment aux cas à plus haut risque. Un rééquilibrage dans ce domaine ne coûterait rien de plus mais contribuerait très favorablement à une meilleure sécurité publique.

• 1725

Enfin, je crois qu'il existe deux catégories d'erreurs. Le premier type d'erreur est commis lorsque nous n'utilisons pas les méthodes d'évaluation des risques les plus fiables, lesquelles exigent d'avoir accès à toute l'information requise sur chaque délinquant. À mon sens, le public a toute raison d'exiger que cette catégorie d'erreurs disparaisse.

Toutefois, le public doit aussi admettre que même les moyens les plus perfectionnés ne sont pas parfaits. Certains délinquants libérés commettront d'autres crimes, même si nous leur appliquons les meilleures méthodes scientifiques disponibles. Cette catégorie d'erreurs ne peut être réduite que par des recherches visant à mieux cerner les raisons pour lesquelles des gens commettent des actes de violence et comment prévenir cette violence. Le SCC et le gouvernement du Canada mènent et financent de telles recherches et doivent continuer à le faire.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Abbott.

M. Jim Abbott: Je dois admettre qu'à cette heure de la journée j'aurais pu me passer de cela.

Mme Marnie Rice: Désolée.

• 1730

M. Jim Abbott: De fait, j'ai bien envie de vous rejoindre sur... Eh bien, pas vous rejoindre sur le divan, mais m'étendre sur le divan pendant que vous travaillez sur moi.

Au bas de la page 4 de votre mémoire, vous dites:

      À l'heure actuelle, nous savons peu de choses sur l'évolution du risque de récidive violente d'un délinquant avec le passage du temps ou la participation à des programmes.

Cela me terrifie.

Mme Marnie Rice: Oui, cela fait peur. C'est une vérité regrettable qu'à l'heure actuelle les meilleurs prédicteurs de violence n'englobent pas des éléments qui peuvent évoluer suite à un traitement, au passage du temps ou à tout ce que l'on peut faire pendant que la personne est incarcérée.

M. Jim Abbott: Donc si je poursuis ce raisonnement, vous dites en substance—et rectifiez si je me trompe—que si nous avons une personne dont on peut actuellement déterminer, au moyen des meilleurs moyens de mesure, qu'elle est violente, qu'elle va récidiver, et si la personne a été condamnée à 12 ans et qu'il n'y a pas réellement d'avantages pour elle ou la société à la libérer après huit ans, il faut protéger la société en gardant la personne enfermée pendant les quatre années restantes. Est-ce cela ce que vous dites?

• 1735

Mme Marnie Rice: C'est le cas uniquement des délinquants à très haut risque. Nous avons élaboré un instrument de mesure qui comporte neuf degrés de risque. Au degré de risque supérieur, nous pouvons virtuellement dire que cette personne présente une probabilité de récidive violente de 100 p. 100 dans un certain délai, qui est d'environ sept ans. Nous disons donc que pour ces personnes, oui, la sécurité publique sera indubitablement servie le mieux si l'on garde cette personne en prison aussi longtemps que possible. Heureusement, c'est là une infime proportion des délinquants et la majorité se situe quelque part dans le milieu de l'échelle des risques.

Donc, pour ces derniers, nous disons qu'il suffit, pour assurer la sécurité publique, de répartir les services offerts dans la collectivité, soit les programmes de supervision et de traitement, en fonction du degré de risque.

Il y a par ailleurs des preuves abondantes montrant que si l'on contraint des gens à réellement faible risque à suivre des programmes etc. dont ils n'ont pas besoin parce que leur risque est tellement faible, cela peut en fait aggraver leur risque. Il vaut mieux prendre ces ressources et les consacrer à des personnes à risque modérément élevé qui ont réellement besoin de la supervision.

M. Jim Abbott: Mais dans ce scénario nous parlons de gens à risque extrêmement élevé... du moins, c'était là mon exemple.

Mme Marnie Rice: Dans le groupe à risque extrêmement élevé, nous n'avons à l'heure actuelle aucune raison de croire que nous pouvons réduire le risque par quelque action d'incarcération ou de supervision que ce soit. À l'heure actuelle, les meilleures données scientifiques nous disent qu'il faut garder ces gens derrière des murs le plus longtemps possible.

M. Jim Abbott: C'est extrêmement important et je veux m'assurer de bien comprendre. Vous dites que s'agissant de personnes à risque modérément élevé—peut-être en l'absence de médicaments psychotropes, laissons cet aspect de côté pour l'instant. Vous dites que même ces personnes-là, vous pourriez les évaluer d'emblée. Si je vous ai bien suivi vous dites que même les programmes de traitement sont de valeur limitée dans leur cas.

Mme Marnie Rice: Je dis que nous n'en connaissons pas encore la valeur. Mais il faut les offrir de toute façon. Il faut continuer à les évaluer. Mais à ce stade, nous n'avons pas de fondement scientifique pour réduire leur cote de risque, notre estimation du risque, sur la base de leur participation à un programme thérapeutique d'une sorte ou d'une autre.

M. Jim Abbott: Laissez-moi vous donner un exemple stupide, et je le choisis intentionnellement. Nombre d'entre nous, pendant notre adolescence ou au début de la vingtaine, avions coutume de nous saouler. Nous avons fini par saisir le message. Il a fallu du temps et beaucoup de gueules de bois avant de réaliser que nous n'aimions pas cela. Aussi, certains d'entre nous ont décidé que, puisque nous n'aimions pas la gueule de bois, nous allions boire modérément.

N'y a-t-il pas une sorte de parallèle entre ce comportement et quelqu'un qui se livre à des actes de violence, qui a un comportement antisocial, qui nous permettrait d'en venir à la même réalisation, de finir par comprendre? Je n'aime pas la gueule de bois; je n'aime pas aller en prison; je n'aime pas la réprobation de l'entourage.

Mme Marnie Rice: Absolument. Nous ne contestons nullement que les gens peuvent apprendre. Malheureusement, l'état de la science est tel que nous ne pouvons encore affirmer que ce que nous enseignons aux délinquants par leur incarcération réduit le niveau de risque qu'ils présentent à l'expiration de la peine.

M. Jim Abbott: Merci.

Le président: Merci.

Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: Je vous remercie, monsieur le président.

Au fait, Jim, soyez prudent avec des analogies stupides. J'ai mélangé un jour des barres de chocolat et des assassins, et cela m'a coûté. C'était une analogie stupide que j'ai faite un jour.

Je ne sais pourquoi, mais j'ai cette impression qui me vient des tripes que, sans avoir votre formation et votre expérience, je savais déjà tout ce que vous dites. Évidemment, c'est peut-être parce que je me fie davantage à la statistique qu'à mes tripes. Ils ne le font simplement pas.

Je commence à dérailler. La journée a été longue.

Avez-vous dit que le meilleur moment pour décider de la longueur de la peine est au stade de la libération conditionnelle plutôt que du procès?

• 1740

Mme Marnie Rice: Non. Je dis simplement que plus l'évaluation est faite tôt, et mieux cela vaut. Idéalement, il faudrait la faire avant même que la personne arrive en prison; il faudrait la faire avant le procès. Dans le cas des personnes les plus dangereuses, j'espère que nous pourrons maintenant les classer comme délinquants dangereux ou les garder sous surveillance à long terme. Mais c'est là un sujet différent.

M. Ivan Grose: Oui, car je ne peux imaginer un juge infligeant une peine de dix ans avec la possibilité qu'au bout de dix ans on impose une rallonge. C'est impossible à faire.

Cela m'amène à autre chose. Pourquoi sommes-nous si réticents à qualifier les gens... Nous avons une loi sur les délinquants dangereux ou multirécidivistes depuis toujours. Elle est rarement invoquée. Pourquoi cette réticence? En avez-vous idée?

Mme Marnie Rice: C'est une bonne question. Premièrement, cela coûte cher de demander le classement d'une personne comme délinquant dangereux, et c'est pourquoi on n'aime pas le faire trop souvent.

M. Ivan Grose: Cela coûte parfois cher aussi de ne pas le faire.

Mme Marnie Rice: Exactement. En Ontario, on commence à demander cette désignation plus souvent. C'est certainement une bonne chose. Comme je l'ai dit, on va certes investir des ressources pour garder ces personnes enfermées. Mais on va aussi investir des ressources si l'on fait une erreur et qu'on laisse la personne sortir et qu'elle récidive. Les procès sont une chose très coûteuse. Nous pensons donc qu'il vaut certainement la peine d'investir de l'argent pour obtenir de bons renseignements sur le délinquant au stade du procès, pour que la bonne décision puisse être prise quant au statut de délinquant dangereux de la personne.

M. Ivan Grose: Vous m'avez rassuré, car j'ai toujours éprouvé énormément de sympathie pour les pauvres médecins qui siègent aux commissions de libération conditionnelle et qui libèrent une personne qui va commettre ensuite quelque crime horrible. Je me suis toujours demandé sur quoi la commission ou les médecins pouvaient se fonder? Était-ce réellement de leur faute? En fait, vous m'avez convaincu qu'ils ont des éléments sur lesquels ils peuvent se fonder. Le fait est que nous ne savons pas quoi faire, et la meilleure solution est donc de se fier aux statistiques. La probabilité est mauvaise, les chances sont de dix contre un que le type va récidiver. Désolé, nous ne pouvons accepter ce risque.

Mme Marnie Rice: Je pense que c'est vrai. Au cours de la dernière décennie, nous avons considérablement progressé sur le plan de la détermination du risque. Ce que nous n'avons pas encore réussi, c'est prouver que l'on peut réduire le risque au moyen de traitements et d'autres choses que nous pouvons offrir à un délinquant pendant son incarcération.

M. Ivan Grose: Bien. Merci beaucoup.

Le président: Monsieur Abbott.

M. Jim Abbott: Tout cela me fascine. Si nous prenons tous les différents éléments qui font que nous mettons des gens en prison et les ramenons à quelques cas exceptionnels—ce sont là les gens qui vont se retrouver en première page du Globe and Mail, du National Post et du Sun. Ce sont là les gens qui causent la conviction de la société que notre système de justice pénale déraille complètement. Donc, bien qu'ils soient très peu nombreux, ce sont eux que l'on voit. La grande explosion, ce sont eux.

Vous semblez dire que, dans certains cas, celui de ces rares personnes, le véritable but de l'incarcération est de retrancher ces gens de la population générale, pour la sécurité de la société.

Mme Marnie Rice: Exactement.

M. Jim Abbott: Cela revient donc à dire que la tentative faite dans la loi de trouver quelque chose... un régime applicable à tous est impossible. On nous parle de toute la question des prisons à sécurité minimale et maximale et de la manière dont la loi peut être appliquée dans une prison à sécurité maximale par opposition à une autre à sécurité minimale. Peu importe en fait. En pratique, nous sommes censés, avec la sagesse de Salomon, inscrire quelque chose dans la loi qui réponde à cette réalité que vous décrivez.

Mme Marnie Rice: Oui, mais il y a certainement des raisons autres que la protection du public d'offrir un traitement et quantités de bonnes activités à ces hommes à très haut risque. Il faut aussi songer à la sécurité à l'intérieur de la prison. Il y a donc d'autres raisons encore d'offrir des traitements et des activités à ces hommes à très fort risque.

• 1745

M. Jim Abbott: Je refuse de nommer ces personnes à cause de ce qu'elles ont fait à notre société, mais si je prends certains de ces meurtriers célèbres qui ont commis des actes absolument méprisables contre l'humanité et qui sont actuellement incarcérés, la difficulté que je vois, depuis le peu de temps que nous nous penchons sur cette question, est de savoir ce que nous devons en faire? Rien que les extraire de leurs 50 pieds carrés de cellule pendant une heure par jour pour qu'ils puissent déambuler dans la cour et lever quelques haltères représente déjà une difficulté en soi, n'est-ce pas?

Mme Marnie Rice: Oui, c'est vrai, et nous avons cette sorte d'hommes dans notre établissement d'Oak Ridge. Notre philosophie est que ce que nous pouvons faire de mieux pour ces hommes est de les placer dans un environnement où ils ont un peu d'espace, dans un environnement aussi sûr et plaisant que possible dans un cadre de sécurité maximale.

M. Jim Abbott: D'accord, merci beaucoup.

Le président: Merci.

M. Abbott a fait référence à la page 4 de votre mémoire, où vous dites que, jusqu'à présent, les caractéristiques personnelles qui permettent le mieux de prédire la violence sont celles qui ne changent pas. Vous en indiquez certaines: l'âge au premier délit, le sexe, les antécédents criminels. Ce sont des facteurs très faciles à quantifier statistiquement. Vous parlez ensuite d'une évaluation de la psychopathie et de la personnalité asociale. C'est là une catégorie plus subjective. Quels sont les liens? Ces éléments figurent tous dans la même liste.

Mme Marnie Rice: Vous dites que ce sont des éléments subjectifs, mais ce n'est pas le cas. Du point de vue de la recherche ou du point de vue statistique, vous pourriez avoir deux personnes les évaluant de manière indépendante l'une de l'autre. Elles arriveraient au même résultat, et on peut l'exprimer sous forme numérique et...

Le président: Mais l'un est une prédiction, et l'autre une donnée statistique sur le passé, n'est-ce pas?

Mme Marnie Rice: Non. Chacun de ces éléments—âge, antécédents criminels, personnalité asociale—est exprimé quantitativement. Tous couvrent le passé et on s'en sert pour prédire l'avenir.

Le président: D'accord. Donc, ces évaluations ne sont pas du type traditionnel, le genre «regardez les tâches d'encre et donnez-nous votre impression», ce genre de chose?

Mme Marnie Rice: Ce sont des évaluations psychologiques traditionnelles avec des méthodes modernes.

Le président: Tout dépend où commence votre tradition.

Mme Marnie Rice: Ce sont des évaluations qui peuvent toutes être faites... vous pouvez avoir deux évaluateurs, cotant la même personne, au moyen des mêmes données, et les deux arrivent au même chiffre. Ce n'est donc pas subjectif dans le sens qu'une personne trouverait une cote différente de celle d'une autre personne.

M. Jim Abbott: Tous les parallèles que nous faisons sont toujours périlleux, mais je me demande si celui-ci est valide.

Vous n'étiez peut-être pas dans la salle à ce moment-là, mais nous avons entendu tout à l'heure quelques personnes représentant la communauté noire. Nous avons parlé du fait qu'il ne semble pas exister de statistiques qui nous permettraient de déterminer dans quelle mesure les noirs sont victimes de préjugés.

Très souvent, dans notre société, nous évitons intentionnellement de tenir des statistiques parce que ce ne serait pas politiquement correct. Y a-t-il un parallèle avec ce dont nous parlons ici, c'est-à-dire qu'il ne serait pas politiquement correct de dire que telle personne est incorrigible ou qu'on ne peut rien faire pour l'aider?

Reprenez-moi si je me trompe, mais je n'avais encore jamais entendu un expert comme vous l'affirmer. Comme M. Grose, j'avais cette conviction instinctive. Y a-t-il un parallèle entre les deux choses?

Mme Marnie Rice: Oui, c'est vrai. Vous ne trouverez pas beaucoup de spécialistes du domaine pour le dire, car notre travail consiste justement à essayer de traiter ces gens. Mais la triste réalité est que, en l'état actuel de la science, nous n'avons aucune raison de croire que nos traitements pour ces personnes à très haut risque réduisent leur risque. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas continuer d'essayer, mais en l'état actuel des choses, nous ne pouvons pas dire que ces traitements réduisent leur risque.

Le président: Monsieur Grose.

M. Ivan Grose: En attendant, on leur dit, désolé, les gars, vous allez devoir rester ici, dans un cadre raisonnablement agréable, jusqu'à ce que nous trouvions la pilule voulue.

• 1750

Mme Marnie Rice: Ou quelque chose d'autre...

Le président: Et vous dites dans votre mémoire que c'est un très faible pourcentage. De quel pourcentage s'agit-il, approximativement?

Mme Marnie Rice: Il s'agit probablement de 3 à 4 p. 100 de la population carcérale fédérale.

Le président: Donc, les 96 autres pour cent...

Mme Marnie Rice: Ne figurent pas dans cette catégorie.

Le président: D'accord, ils n'en font pas partie. On peut donc se montrer plus optimiste dans leur cas.

Mme Marnie Rice: Exactement.

Le président: D'accord. Y a-t-il d'autres questions?

Bien. Merci infiniment.

Mme Marnie Rice: Merci.

Le président: Je suppose que c'est terminé.

Merci au personnel de cette longue journée de travail.

La séance est levée.