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SHUR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SUB-COMMITTEE ON HUMAN RIGHTS AND INTERNATIONAL DEVELOPMENT

SOUS-COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 11 mai 1999

• 1523

[Traduction]

La présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest— Mississauga, Lib.)): Je déclare ouverte la réunion du Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je souhaite la bienvenue à toutes les personnes présentes ici aujour'hui ainsi qu'à tous ceux et toutes celles qui suivent nos délibérations.

Avant d'aller plus loin, je tiens à signaler que, comme notre réunion coïncide malheureusement avec les séances d'information sur la situation au Kosovo offertes aux Comités permanents des affaires étrangères et de la défense nationale et à d'autres parlementaires, un certain nombre de députés ne pourront se joindre à nous qu'à compter de 16 heures. Nous allons néanmoins commencer.

Ceux qui ont suivi les délibérations du sous-comité doivent savoir que les membres du comité s'intéressent vivement aux questions relatives à la sécurité humaine en Afrique. Nous envisageons d'entreprendre une étude sur cette question dès l'automne.

La situation qui prévaut en Sierra Leone, pays d'Afrique, préoccupe tous les Canadiens. Comme vous le savez, le ministre Axworthy a nommé en mars dernier son envoyé spécial en Sierra Leone, notre collègue David Pratt, député de Nepean—Carleton. Il l'a chargé d'évaluer la situation dans la région et de faire des recommandations au gouvernement. Sauf erreur, le rapport de M. Pratt vient à peine d'être publié ce matin, et nous sommes heureux de l'avoir parmi nous pour nous en parler.

• 1525

Pour ajouter à notre bonne fortune, et pour essayer de mieux comprendre la situation en Sierra Leone, nous avons également parmi nous Son Excellence John Ernest Leigh, haut-commissaire de la Sierra Leone au Canada. Il nous vient de Washington.

Certains membres du corps diplomatique d'Ottawa ont également pris le temps d'assister à notre réunion d'aujourd'hui.

Nous vous souhaitons à tous la bienvenue et vous remercions de votre présence.

Excellence, je vais vous expliquer comment le comité fonctionne. M. Pratt, lui, connaît le système. Nous écouterons votre exposé et celui de M. Pratt, après quoi nous passerons aux questions. Certains autres députés se joindront à nous plus tard.

David, voulez-vous commencer ou souhaitez-vous que Son Excellence prenne la parole en premier?

M. David Pratt: [député (envoyé spécial en Sierra Leone du ministre des Affaires étrangères)] Merci, madame la présidente.

J'aimerais dire d'entrée de jeu que je suis ravi de comparaître devant votre comité et de me trouver à la place des témoins plutôt que des membres du comité. C'est un rôle un peu différent pour moi, mais j'ai hâte de pouvoir l'assumer.

Vous avez déjà profité de l'occasion pour présenter Son Excellence John Leigh, haut-commissaire de la Sierra Leone au Canada. J'aimerais vous présenter une autre personne qui a joué un rôle crucial dans tout ce processus: M. Jacques Crête, directeur de la Direction de l'Afrique occidentale et centrale au ministère des Affaires étrangères. M. Crête m'a accompagné lors de ma visite en Sierra Leone, ainsi que le lieutenant-colonel Stephen Moffat, de la Section du maintien de la paix, également du ministère des Affaires étrangères. M. Crête et M. Moffat ont joué un rôle crucial dans la préparation de ce rapport que vous avez sous les yeux aujourd'hui.

J'aimerais donner la parole à Son Excellence John Leigh qui a quelques remarques à faire, après quoi je ferai moi-même de brèves observations, suivies de certaines recommandations que je souhaite formuler. Je donne donc sans tarder la parole à Son Excellence.

La présidente: Très bien, je vous remercie.

Nous vous écoutons, Excellence.

M. John Ernest Leigh (haut-commissaire pour la République de Sierra Leone au Canada): Merci, monsieur Pratt.

Merci, madame la présidente.

Mesdames et messieurs les membres du sous-comité, merci beaucoup de l'intérêt que vous portez à la Sierra Leone et merci de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui pour vous parler de la situation dans mon pays.

Cette réunion tombe vraiment à point nommé. Étant donné la préoccupation bien compréhensible que suscite la crise du Kosovo parmi les pays et les médias du monde occidental depuis environ deux mois, puisque cette question domine l'actualité, la population et le gouvernement élu de la Sierra Leone vous savent gré de leur permettre d'informer votre honorable sous-comité sur la terrible tragédie qui se déroule en Afrique occidentale.

Je dirai tout d'abord que j'ai lu attentivement le rapport intitulé Sierra Leone: la crise oubliée, préparé pour le ministre des Affaires étrangères, l'honorable Lloyd Axworthy, par le député de Nepean—Carleton et envoyé spécial du Canada en Sierra Leone, M. David Pratt.

Au nom du gouvernement élu de la Sierra Leone, je remercie l'honorable Lloyd Axworthy d'avoir pris l'initiative de nommer un envoyé spécial dans mon pays et d'avoir autorisé une délégation—la toute première à représenter une nation occidentale—dirigée par M. David Pratt, à visiter la Sierra Leone pour évaluer sur place la crise profonde qui déchire le pays.

Je tiens également à profiter de l'occasion pour remercier le député de Nepean—Carleton de l'intérêt qu'il porte depuis longtemps à mon pays et de son excellent travail lors de son voyage d'étude récent dans ma région du monde. Nous lui savons gré de l'intérêt soutenu qu'il porte à notre peuple et à notre pays. Aux habitants de sa circonscription, les habitants de Bo, ma ville natale en Sierra Leone, envoient leurs salutations et leurs plus sincères remerciements pour cet appui soutenu.

J'appuie sans réserve le rapport de M. Pratt. Je le fais non seulement parce qu'il présente les faits sous leur vrai jour, mais également parce que c'est un rapport exhaustif, au texte facile à comprendre, et, surtout, parce qu'il présente une analyse réfléchie de la tragédie de la Sierra Leone. Le rapport témoigne d'une parfaite compréhension de notre situation et du rôle que le Canada devrait jouer pour aider notre pays et le reste de l'Afrique occidentale à sortir de cette terrible crise au plus tôt.

• 1530

La Sierra Leone d'aujourd'hui n'est pas du tout un pays pacifique. En fait, c'est une zone de guerre très dangereuse et il en va ainsi depuis près d'une décennie, mais surtout depuis le 25 mai 1997.

En 1991, un petit groupe de rebelles sierra-léoniens entraînés en Libye et accompagnés par des soldats du Liberia et du Burkina Faso, se présentant sous la bannière du Front révolutionnaire unifié, ou RUF, traversent la frontière libérienne à l'Est dans le but de renverser le régime corrompu et bien établi du All Peoples Congress, dirigé par le major-général Joseph Momoh.

Cette incursion est également pour Charles Taylor l'occasion de régler ses comptes avec la Sierra Leone, parce que ce gouvernement corrompu a permis à une force ouest-africaine de maintien de la paix, appelée ECOMOG, d'utiliser le territoire de la Sierra Leone comme zone de transit pour mettre fin à la violence au Liberia. Charles Taylor est devenu depuis président du Liberia. À l'époque, c'était un seigneur de la guerre extrêmement violent, et il continue de faire preuve de violence à l'égard de la Sierra Leone.

Dans le cadre de cette guerre violente en Sierra Leone, tout et tout le monde peut servir de cible: les maisons, les églises, les mosquées, les bureaux de vote, les écoles, les hôpitaux, les boutiques, les usines, les véhicules automobiles, les autobus, les lieux d'emploi, les prêtres, les religieuses, les imams, les paroissiens, les journalistes, les politiques, les alphabètes, les illettrés, les médecins, les avocats, les enseignants, les mendiants, les paysans, les femmes, les hommes et les bébés. Tout sert de cible, car le RUF et ses partisans n'ont aucun respect pour les êtres humains et les valeurs humanitaires. Étant donné ces crimes de violence répétés contre des êtres humains non armés en Sierra Leone, le RUF n'a aucune crédibilité dans le pays, mais il sème la crainte en raison de sa brutalité et de sa violence.

Ce qui a débuté en 1991 comme une guerre civile censée ramener l'ordre public en Sierra Leone est devenu depuis une guerre d'agression lourdement déguisée de la part du Liberia, avec l'appui de la Libye, du Burkina Faso et d'autres pays, dans le but de confisquer et de dilapider les énormes réserves de ressources naturelles très précieuses que possède mon pays. Paradoxalement, les antagonistes de 1991 sont devenus des alliés depuis, faisant subir d'horribles souffrances à des civils non armés et déterminés à renverser le gouvernement dûment élu de la Sierra Leone.

M. Pratt a déjà fait une analyse très pertinente de la situation en Sierra Leone dans son rapport, et il est inutile pour moi de répéter ses observations et ses conclusions. Je dirais simplement que, à mon avis, les auteurs de ces crimes contre l'humanité en Sierra Leone, à l'heure actuelle, sont les descendants idéologiques de ceux qui ont vendu leurs compatriotes africains à l'esclavage il y a des siècles, car ils sont prêts à commettre des atrocités contre leur propre peuple pour faire main basse sur des ressources naturelles en vue de les dilapider.

L'objectif de longue date de Charles Taylor du Liberia, du Burkina Faso et de la Libye est de faire subir au reste de l'Afrique occidentale le même sort que celui qu'ils imposent aujourd'hui à la Sierra Leone. En conséquence, la violence dans ce pays menace la stabilité et la prospérité de toute la sous-région d'Afrique de l'Ouest.

La tragédie de la Sierra Leone ne pourra pas se résoudre sans une intervention adéquate de la communauté internationale. Le Canada se trouve dans une position idéale pour contribuer à mettre fin au conflit de la Sierra Leone de façon opportune et satisfaisante et ce, pour au moins deux raisons.

Tout d'abord, le Canada est tenu en haute estime en Afrique occidentale pour ses réalisations dans le domaine du développement humain et de la sécurité des personnes, comme en témoignent la place très élevée qu'il occupe dans l'Indice de développement humain du Programme de développement des Nations Unies, son rôle de chef de file pour mettre fin à l'utilisation des mines antipersonnel et son respect de la démocratie à l'intérieur de ses frontières.

En second lieu, le Canada est un pays à la fois anglophone et francophone que nous, en Afrique de l'Ouest, considérons comme une puissance neutre et non menaçante. Il serait donc facile au Canada d'être accepté comme pays médiateur à la fois par les pays anglophones et francophones de cette sous-région.

• 1535

Le rôle du Canada en Afrique occidentale peut facilement se restreindre aux trois domaines suivants.

Premièrement, le Canada peut facilement soutenir la stratégie bipolaire de l'ECOMOG, axée sur la sécurité interne et les pourparlers de paix avec les rebelles.

Pour ce qui est de l'aide à la sécurité, l'ECOMOG, force ouest-africaine de maintien de la paix, dirigée par le Nigeria, doit être renforcée de façon à être suffisamment puissante pour protéger convenablement les civils et les institutions démocratiques qu'elle s'efforce de bâtir ou de reconstruire après les atrocités du RUF. À l'heure actuelle, l'ECOMOG manque d'effectifs et de matériel, ce qui a permis au RUF d'infliger de terribles souffrances à la population civile, et de détruire des biens publics et privés. L'appui militaire à l'ECOMOG pourrait consister en la fourniture d'armes légères, de véhicules de transport militaire de combat, d'instruction militaire, d'aide médicale, outre un soutien logistique aux forces de police de la Sierra Leone.

Le Canada peut également intervenir au niveau diplomatique. Les gouvernements démocratiques d'Afrique occidentale ont besoin d'une aide sur le plan diplomatique, non seulement dans le cadre de la CEDEAO dans la sous-région ouest-africaine, mais également au sein de conseils internationaux, comme le Conseil de sécurité des Nations Unies, l'Assemblée générale et d'autres organismes onusiens, le Commonwealth, etc. Certains gouvernements d'Afrique occidentale sont dirigés par des militaires, de sorte qu'un certain nombre d'entre eux ne sont pas prêts à appuyer la Sierra Leone comme ils devraient le faire.

Le Canada peut user de son énorme pouvoir diplomatique et de son grand prestige pour mettre fin aux livraisons d'armes aux rebelles sierra-léoniens. Le Canada peut contribuer à convaincre la Libye, le Liberia et le Burkina Faso de cesser de soutenir le RUF. Le Canada peut contribuer à convaincre d'autres pays à aider l'ECOMOG et à poursuivre les criminels de guerre de la Sierra Leone. Les crimes commis contre l'humanité en Sierra Leone sont absolument inimaginables et les coupables devraient être poursuivis. Au cas contraire, il est évident qu'ils commettront à nouveau les mêmes crimes dans tout le continent.

En outre, le Canada peut contribuer à dissuader le trafic international de diamants de la Sierra Leone. Ce sont les diamants qui sont à l'origine de la guerre. Le Canada peut également user de son pouvoir diplomatique pour aider les pays créanciers à amortir ou à réduire la dette extérieure paralysante de la Sierra Leone. Faute d'un allégement important de sa dette, la Sierra Leone ne pourra jamais occuper la place qui lui revient au sein de la communauté des nations.

La Sierra Leone a besoin d'aide humanitaire et le Canada peut également être utile dans ce domaine. Comme l'indique M. Pratt dans son rapport, la situation humanitaire en Sierra Leone et en Guinée est tout simplement épouvantable—vraiment atroce. Près de 1,2 million de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays. Plus de 500 000 personnes sont dans des camps de réfugiés en Guinée et au Liberia. Des milliers de gens ont été mutilés en raison des tactiques délibérées du RUF pour faire régner la terreur. Il existe un besoin urgent de denrées alimentaires, de logements, de vêtements, de fournitures scolaires, et ainsi de suite. Tant que l'ECOMOG ne disposera pas d'effectifs et de matériel suffisants, il continuera d'y avoir dans le pays des milliers de victimes, de réfugiés et de personnes déplacées.

Enfin, le Canada peut participer à la reconstruction lorsque la paix sera rétablie. La Sierra Leone est considérée dans la documentation internationale comme le pays le plus pauvre du monde. La Sierra Leone est pauvre parce que depuis une trentaine d'années, depuis la fin des années 60, c'est le pays du monde le plus mal dirigé. Les gouvernements civils et militaires qui se sont succédé se sont toujours livrés au banditisme et à l'oppression.

En revanche, le pays jouit d'énormes ressources naturelles. En fait, ce sont ces richesses qui sont à l'origine de la guerre en Sierra Leone. Un certain nombre d'experts internationaux en développement économique rattachés à des organisations multinationales dont le siège se trouve à Washington, D.C., à New York et en Europe, ont décrit la géologie de mon pays comme un kaléidoscope métallurgique de minerais. D'énormes réserves d'or, de diamants, de titane, de platine, de bauxite, de minerai de fer et de chrome ne sont que quelques exemples des ressources naturelles de mon pays, que la nature a doté de ces richesses. D'après les estimations, 50 p. 100 des terres de la Sierra Leone renferment des dépôts alluvionnaires d'or et de diamants.

• 1540

Notre terre est naturellement bien irriguée et se prête bien à l'agriculture commerciale sur une grande échelle. Nous avons énormément de bois de feuillus tropicaux. Le café, le cacao et d'autres cultures arbustives poussent facilement sur notre terre. Le pays se trouve sur le riche plateau continental de l'Atlantique Est, l'une des dernières zones de pêche les plus riches du monde.

En outre, du point de vue géographique, notre pays est très beau. La péninsule de Sierra Leone est le seul endroit d'une très grande partie de l'Afrique où les montagnes touchent des plages de sable encore vierges, longeant des eaux cristallines, propres, de couleur turquoise. Presque tout le littoral de la Sierra Leone est bordé de plages tout aussi belles et prêtes à être développées.

La Sierra Leone ne pourra jamais développer ses ressources sans l'apport des capitaux, de la gestion et de la technologie de la communauté internationale, outre l'accès aux marchés internationaux, comme celui du Canada. Les énormes réserves de richesses naturelles dont jouit la Sierra Leone lui permettront de rebâtir ses institutions sans devenir un poids pour les autres pays. Le Canada n'a donc rien à craindre de s'investir en Sierra Leone, car notre pays sera un jour en mesure de se débrouiller tout seul.

Encore une fois, je vous remercie, madame la présidente et honorables membres du sous-comité, d'avoir permis à un représentant de la Sierra Leone de parler de son pays au Canada aujourd'hui.

Je vous remercie.

La présidente: Merci.

Monsieur Pratt, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. David Pratt: J'ai quelques brèves remarques à faire, madame la présidente.

J'ai une liste de recommandations et de suggestions de mesures à prendre par le gouvernement du Canada. Elles sont au nombre de 19. Je n'abuserai pas de votre temps en les présentant toutes, mais s'il est possible d'annexer cette liste au rapport du comité, ce serait extrêmement utile pour permettre aux députés de bien comprendre sur quels plans le Canada pourrait venir en aide à ce pays.

Je voudrais tout d'abord remercier le ministre des Affaires étrangères, l'honorable Lloyd Axworthy, de m'avoir permis d'être son envoyé spécial en Sierra Leone. Mon intérêt pour la Sierra Leone remonte à 1990, lorsque je me suis rendu pour la première fois dans ce pays, dans de meilleures conditions, cela va sans dire, dans le cadre d'un programme qui était parrainé par la Fédération canadienne des municipalités et financé par l'ACDI. Ce programme visait à établir des liens entre les municipalités canadiennes et les municipalités de la région du sud du Sahara aux fins de développement.

Je peux vous dire qu'au cours de mes 11 ans d'expérience de député, la tâche que m'a confiée le ministre Axworthy est sans doute l'un des projets les plus intéressants et les plus difficiles auxquels il m'a été donné de participer.

Dans le cadre de mes fonctions d'envoyé spécial, je devais faire un rapport sur la sécurité, la situation humanitaire et la situation politique en Sierra Leone. À mon avis, sous bien des aspects, le conflit actuel en Sierra Leone rappelle celui du Kosovo, de par l'ampleur de la tragédie humaine, du nombre de réfugiés qu'il provoque et du risque qu'il présente de déstabiliser la région—en l'occurrence, la sous-région d'Afrique occidentale.

Comme l'a signalé Son Excellence, la situation humanitaire en Sierra Leone est catastrophique et risque encore de s'aggraver. Les organismes d'aide humanitaire estiment à 700 000 le nombre de personnes déplacées à l'intérieur du pays. À cela s'ajoutent 500 000 réfugiés qui ont fui dans des pays voisins: la Guinée en a reçu 400 000 et le Liberia, 100 000 de plus. Uniquement à Freetown, la capitale, on estime à 250 000 le nombre de personnes déplacées à l'intérieur du pays.

Outre la très grave crise du logement et le besoin d'aide alimentaire, l'un des problèmes les plus sérieux auxquels est confrontée la Sierra Leone est la situation des petites villes et des villages de l'intérieur du pays, qui échappent au contrôle du gouvernement. D'après certaines estimations officieuses, il y aurait environ 1,5 million de personnes vivant dans des secteurs sous le contrôle des rebelles, sans aucun accès à l'aide humanitaire.

La situation sur le plan de la sécurité en Sierra Leone reste extrêmement précaire. Le gouvernement de Sierra Leone, avec l'appui de l'ECOMOG, la force ouest-africaine dominée par le Nigeria, ne contrôle en réalité que la péninsule de Freetown et quelques-unes des principales villes. La police civile des Kamajors, qui appuie le gouvernement, tient également certaines des principales villes, mais le reste du pays est apparemment aux mains des rebelles du Front révolutionnaire unifié.

Pour résumer, à mon avis, le Canada devrait offrir plus d'aide humanitaire ainsi qu'un soutien logistique accru aux forces de l'ECOMOG. Je crois également que sur le plan politique, le Canada pourrait jouer un rôle de chef de file en tant que membre du Conseil de sécurité en exerçant des pressions sur les pays qui appuient les rebelles et en faisant le lien entre les pays anglophones et francophones de la région.

Cela met fin à mes remarques officielles, madame la présidente. Nous sommes prêts à répondre à toutes les questions des membres du comité.

La présidente: Je suis sûre qu'il y aura des questions. Merci, monsieur Pratt.

Monsieur Martin.

• 1545

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci beaucoup, madame la présidente.

Merci à tous de votre présence. C'est une question très grave. Je tiens à féliciter M. Pratt de l'excellent travail qu'il a fait dans ce dossier très important qui est au coeur de nos préoccupations.

Même si j'approuve une bonne partie de ce que vous nous avez dit, Excellence, et surtout sur le plan des solutions, je ne peux m'empêcher de me demander comment nous pouvons agir. Le problème du trafic d'armes en Sierra Leone est grave, comme nous le savons tous, mais comment faire pour empêcher ces livraisons? Les rebelles viennent de l'Est. Comment pouvons-nous bloquer ces livraisons d'armes dans cette région qui est extrêmement difficile à surveiller?

Pour ce qui est des diamants, comme vous avez dit que le problème est également d'ordre économique puisque certaines personnes veulent faire main basse sur les mines de diamants de l'est du pays, comment intervenir pour empêcher le commerce de ces diamants, qui sortent très facilement du pays, non seulement par bateau mais également à bord de petits avions et grâce à des gens qui franchissent les frontières à pied?

Je sais que M. Fowler doit se rendre incessamment en Angola pour examiner ce dossier, car comme vous le savez, ce pays est confronté à un problème très semblable puisque les diamants servent de «carburant financier» aux forces rebelles de l'Angola.

J'aimerais vraiment savoir comment nous allons pouvoir intervenir, puisque les diamants sont très difficiles à retrouver étant donné leur similitude avec les diamants extraits dans toute l'Afrique, et surtout la région du sud du Sahara.

J'aimerais également savoir ce que vous pensez du rôle de la Banque africaine de développement. À votre avis, celle-ci peut-elle jouer un rôle plus important en essayant d'exercer des pressions sur les pays qui participent à ce conflit, comme la Libye, le Burkina Faso et le Liberia? J'aimerais savoir également si le FMI et la Banque mondiale ont un rôle à jouer.

Enfin, comme nous le savons, les pays qui participent à l'ECOMOG, et surtout le Ghana et le Nigeria, ont de plus en plus de mal à trouver chez eux l'appui nécessaire pour envoyer des soldats dans cette région. Comment pouvons-nous soutenir l'ECOMOG? Comment pouvons-nous réussir à convaincre les pays participants de ne pas relâcher leurs efforts? Ou faut-il renforcer la capacité intérieure des forces armées de la Sierra Leone pour qu'elles puissent intervenir et retirer ensuite progressivement les forces de l'ECOMOG présentes dans la région?

Je vous remercie.

M. John Leigh: Merci, monsieur. Ce sont des questions très complexes. Je vais y répondre dans l'ordre où vous les avez posées.

Avant de parvenir au Liberia, les armes sont expédiées l'Europe de l'Est. Elles partent de l'Ukraine. Le gouvernement du Canada peut donc recourir à la diplomatie pour parler au gouvernement de l'Ukraine et s'assurer qu'il s'abstient d'envoyer des armes dans notre région.

Je crois savoir que le gouvernement de l'Ukraine est prêt à divulguer publiquement les envois d'armes au Liberia et au Burkina Faso. Le Canada peut user de ses bons offices en vérifiant ces listes par rapport aux stocks que détiennent le Burkina Faso et le Liberia, et leur demander de justifier les écarts éventuels.

Nous pouvons donc non seulement demander à l'Ukraine ou à la Bulgarie—selon le pays d'origine de ces armes—de mettre fin aux livraisons, mais nous pouvons aussi demander aux pays voisins de la Sierra Leone de justifier leurs achats d'armes. À notre avis, toutes les armes achetées par le Burkina Faso finissent par pénétrer en Sierra Leone en passant par le Liberia. On peut donc intervenir au niveau diplomatique dans ce domaine. La Sierra Leone demandera à l'Ukraine d'intervenir, mais nous avons besoin d'aide pour obtenir les renseignements nécessaires car nous sommes un petit pays. Nous avons besoin d'une aide internationale pour convaincre l'Ukraine de collaborer avec nous.

En second lieu, il est très facile de retrouver l'origine des diamants. Il existe une sorte d'empreinte génétique des diamants. Les centres diamantaires du monde sont très précis. Ils se trouvent en Belgique. Ils se trouvent à Beyrouth. Il y en a dans d'autres villes. Grâce à la diplomatie, le Canada peut aider la Sierra Leone à déterminer d'où viennent ces diamants et qui sont les acheteurs, de façon à ce que nous puissions leur intenter des poursuites pour distribution de biens volés. Si nous pouvons les poursuivre devant un tribunal et réclamer des dommages-intérêts, il n'y aura peut-être plus de marché pour les diamants de la Sierra Leone ou d'origine illégale. Ce sont des secteurs dans lesquels le Canada peut être utile.

La Banque africaine de développement est une toute petite banque très sous-capitalisée, et elle n'exercera donc pas de véritables pressions sur les gouvernements d'Afrique occidentale. La Banque mondiale pourra le faire. Le FMI aussi. Nous utilisons ces stratégies. Toutefois, des gens comme Kadhafi et Charles Taylor et compagnie n'écoutent pas ce qu'on leur dit. Ils font ce qu'ils veulent.

• 1550

En fait, Taylor dirige une administration de crime organisée au Liberia, et il sera donc très difficile d'exercer ce genre de pression financière à son égard. Il reçoit de l'argent de la Sierra Leone, tout l'argent dont il a besoin, et il n'a donc pas besoin de faire appel à la Banque mondiale ou au FMI.

Pour résoudre le problème, on pourrait par exemple faire en sorte qu'il ne puisse plus avoir accès aux diamants. On pourrait également s'assurer qu'il n'y a plus de marché pour ses diamants volés. Une troisième approche consisterait à empêcher les livraisons d'armes au Liberia.

Vous avez posé une question au sujet de l'ECOMOG et de l'appui au niveau local. Je ne pense pas que les pays voisins d'Afrique occidentale aient cessé de soutenir l'ECOMOG. Ce qu'il n'y a plus en Afrique occidentale, ce sont des fonds pour payer cette force de maintien de la paix. Le Nigeria a assumé les frais pendant toutes ces années—sept ans au Liberia, et maintenant plusieurs années en Sierra Leone. Lorsque les cours pétroliers étaient élevés, le Nigeria ne s'est jamais plaint. Toutefois, le prix du pétrole a diminué, passant de 25 $ à moins de 10 $ le baril il y a quelques semaines, ce qui crée de gros problèmes financiers au Nigeria. Ce pays a besoin de ses ressources pour son propre développement.

Si nous réussissons à obtenir une aide militaire de pays comme le Canada, les États-Unis et la Grande-Bretagne, toutes les plaintes formulées à l'égard de l'ECOMOG en Afrique occidentale disparaîtront. C'est l'aspect financier qui suscite des plaintes, et non la nécessité de soutenir un gouvernement élu dans un pays voisin. Ils sont tous en faveur de cette initiative.

L'armée sierra-léonienne a été pendant très longtemps un instrument de corruption politique. Elle a organisé un coup d'État le 25 mai 1997 et a causé d'énormes souffrances humaines en Sierra Leone. L'ECOMOG a renversé les auteurs du coup en février et en mars 1998; 5 000 ou 6 000 personnes se sont rendues et l'ECOMOG a persuadé le président Kabbah de réengager certaines d'entre elles. On a donc recruté ces gens auxquels on a offert un nouvel entraînement, mais en novembre et décembre derniers, ils ont de nouveau changé de parti et rejoint les forces rebelles; ce sont eux qui occupent la région pendant que le gouvernement a perdu le contrôle à l'heure actuelle. Nous occupions tout le pays, mais lorsque ces personnes ont changé de côté après avoir été amnistiées et après une prétendue réconciliation, nous avons perdu les mines de diamants et une partie de la province septentrionale.

Nous sommes donc actuellement en train de reconstruire une toute nouvelle armée à partir de rien, et ce grâce à l'aide du gouvernement britannique. Le Canada peut intervenir en assurant le nouvel entraînement de nos policiers. L'invasion de janvier a fait de nombreuses victimes parmi notre force policière et, au fil des ans, les normes de gestion de la police se sont détériorées. Cette force policière est là davantage pour promouvoir les activités corrompues des gouvernements bandits que pour assurer la sécurité de la population civile. Le Canada peut venir en aide en modernisant la police sierra-léonienne.

J'espère avoir répondu à vos questions et n'avoir rien oublié.

M. Keith Martin: Merci beaucoup.

La présidente: Monsieur Pratt.

M. David Pratt: J'aimerais ajouter quelques mots à ce qu'a dit le haut-commissaire.

Certaines recommandations que j'ai formulées sont justement en rapport avec les questions que vous avez soulevées.

Pour répondre dans le désordre, tout d'abord, pour ce qui est de l'appui à l'ECOMOG, il va sans dire que le gouvernement canadien a fourni une aide logistique de 1 million de dollars à cette force en janvier, mais étant donné les besoins globaux de l'ECOMOG, cette somme est dépensée assez rapidement.

Quant aux recommandations concernant l'ECOMOG, j'ai proposé entre autres choses que, dans la mesure du possible, le Canada continue de fournir un appui non létal aux pays fournisseurs de contingents pour cette force de maintien de la paix, mais à un niveau plus élevé qu'auparavant, qu'il s'agisse de l'ampleur ou du genre d'aide, comme le financement des heures de vol d'hélicoptère pour l'hélicoptère de soutien de l'ECOMOG, qui est très important pour cette initiative. Je recommande également d'examiner sérieusement la possibilité de fournir un soutien logistique létal aux pays fournisseurs de contingents pour l'ECOMOG—c'est-à-dire sous forme de contribution directe d'armes légères, de munitions, etc.—et d'encourager les autres pays donneurs à participer à l'effort de soutien de l'ECOMOG.

En outre, il importe que le Canada explore de concert avec le Royaume-Uni—car ce pays joue un rôle crucial en fournissant l'essentiel des mesures de soutien offertes actuellement à l'ECOMOG—des secteurs où nous pourrions fournir une aide limitée, tant létale que non létale, à l'armée sierra-léonienne. Je dis cela parce que votre argument est pertinent: un jour où l'autre, l'armée sierra-léonienne devra prendre la relève et faire régner l'ordre dans le pays.

• 1555

Par ailleurs, à supposer qu'un accord de paix soit conclu, je recommande que le Canada envisage la possibilité d'assurer, à moyen terme, l'entraînement de la nouvelle armée sierra-léonienne dans le cadre du Programme d'aide à l'instruction militaire du Canada, le PAIM, dans des secteurs comme le leadership et les études militaires poussées de concert avec le MDN, la coopération civilo-militaire et les droits de la personne au Centre Pearson pour le maintien de la paix.

S'agissant du commerce de diamants, une chose importante que le Canada devrait envisager est le financement d'une étude sur la façon dont le commerce des diamants d'Afrique occidentale a influé sur le conflit qui sévit en Sierra Leone notamment. Je crois savoir qu'une étude est actuellement en cours sur le problème des diamants de l'Angola, mais ce problème présente des caractéristiques bien particulières en Sierra Leone et il importe d'essayer d'en comprendre tous les éléments.

Quant à la question des armes légères, j'aimerais faire une autre recommandation: que le Canada contribue à mobiliser davantage la communauté internationale pour exercer des pressions sur les pays qui appuient les rebelles et envisagent des moyens de leur imposer des sanctions. Notamment, comme l'a signalé le haut-commissaire, les pays directement en cause dans ce conflit sont le Liberia, le Burkina Faso, la Libye et l'Ukraine. Il est donc possible d'intervenir à ce niveau.

La présidente: Très bien, merci.

Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, madame la présidente.

Monsieur le haut-commissaire, nous vous souhaitons la bienvenue à Ottawa et à notre comité.

Je tiens à féliciter mon collègue de ce rapport, et j'espère que nous aurons tous l'occasion de le lire d'un bout à l'autre.

J'aimerais poser une question au sujet des rapports entre les organismes comme la Croix-Rouge—je me fie à ce que je lis dans les journaux—et les organismes humanitaires ou qui offrent d'autres formes d'aide. J'aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet et je vous en remercie.

M. John Leigh: Merci, madame Augustine.

Nous avons eu beaucoup de chance car un certain nombre d'ONG internationales sont présentes et obtiennent des résultats très concrets en Sierra Leone. Le Programme alimentaire mondial permet de livrer des denrées alimentaires dans les villages reculés; Vision mondiale fait la même chose, surtout pour les enfants et la Croix-Rouge internationale apporte une aide médicale. Cette aide médicale est désespérément nécessaire en Sierra Leone, et la Croix-Rouge assume une partie de cette mission, mais elle ne pourra pas tout faire. C'est une petite organisation qui a des ressources restreintes et qui s'est trouvée prise dans un conflit politique avec l'ECOMOG par le passé, mais le problème a été résolu depuis.

J'aimerais vous dire une chose. Si ce n'était l'intervention de certaines ONG internationales comme CARE, les organismes caritatifs catholiques, et j'ai déjà parlé du Programme alimentaire mondial, etc., la Sierra Leone serait dans une situation plus que catastrophique à l'heure actuelle. Il n'y aurait eu aucun espoir pour les populations civiles—des civils innocents qui sont brutalisés sans la moindre raison valable par le RUF.

Le Canada pourrait donc fournir de l'aide également en appuyant ces organisations. Elles sont très efficaces, elles jouissent d'une grande crédibilité sur le terrain, les gens leur font confiance et elles sont prêtes à intervenir presque n'importe où dans le pays. À l'heure actuelle, elles sont confinées à des secteurs sous le contrôle de l'ECOMOG. Nous essayons de convaincre l'opposition de nous permettre d'atteindre les populations affamées qui se trouvent derrière les lignes ennemies, non seulement pour leur faire parvenir des aliments mais aussi pour répondre à leurs besoins sur le plan médical. Les maladies se répandent rapidement en Sierra Leone derrière les lignes ennemis: la rougeole, la grippe et la tuberculose commence à se manifester dans les régions reculées. Nous demandons à l'opposition de collaborer. Tant que la sécurité ne sera pas rétablie, toutefois, nous ne prendrons pas le risque d'envoyer des représentants des ONG au-delà des lignes de l'ECOMOG.

Merci beaucoup.

Mme Jean Augustine: Je voudrais également vous poser une question sur un sujet sur lequel j'ai des sentiments partagés. Vous dites que le Kosovo et la Sierra Leone présentent des similarités. Pour ce qui est des réactions auxquelles nous assistons actuellement, devant la situation au Kosovo et celle en Sierra Leone, je voudrais demander à mon collègue, qui a été là-bas, quelles sont les principales différences qui expliquent pourquoi le monde semble réagir différemment, en dehors des pays de l'OTAN?

• 1600

M. David Pratt: Je dirais d'abord qu'il y a plusieurs similarités dans la nature des conflits. Premièrement, les conflits au Kosovo et en Sierra Leone sont, dans les deux cas, de nature interne. Dans les deux cas, les forces militaires régionales ou des alliances de forces militaires régionales sont intervenues. Dans le cas du Kosovo, c'est évidemment l'OTAN. Dans le cas de la Sierra Leone, c'est l'ECOMOG.

Ce qu'on a appelé le facteur CNN a joué, sans aucun doute, un rôle important dans l'intervention face à la crise humanitaire au Kosovo. Le fait que les nouvelles rapportées d'heure en heure sur la situation au Kosovo dirigent l'attention de la communauté internationale sur les besoins humanitaires dans cette région. Le Kosovo a donc été pratiquement inondé de toutes sortes d'aide alimentaire et autres. Il y a également des pénuries, mais les réfugiés semblent être dans une situation nettement meilleure que celle des réfugiés et les personnes déplacées de Sierra Leone.

Comment cela est-il arrivé? Pourquoi? Je ne suis sans doute pas le mieux placé pour faire cette analyse. En janvier, à Freetown, deux journalistes blancs, Myles Tierney et un Canadien, Ian Stewart se sont fait tirer dessus. M. Tierney est mort à Freetown tandis que M. Stewart se remet de ses blessures. Cet événement a fait comprendre aux médias internationaux que Freetown n'était pas nécessairement l'endroit le plus sûr et les journalistes ne sont pas marché sur les pieds pour aller en Sierra Leone. La BBC se trouvait sur place et a présenté une assez bonne couverture de la situation, mais à part cela, l'intérêt de la presse occidentale n'a pas été excessif.

La Sierra Leone n'a donc sans doute pas suscité l'intérêt qu'elle mérite compte tenu de la crise humanitaire qui y sévit. J'espère que les médias vont s'intéresser davantage à ce pays et à d'autres crises qui se déroulent dans le monde, car dans les deux cas, il y a des souffrances humaines.

Mme Jean Augustine: On peut se demander si la race ou la couleur ne jouent pas un rôle dans tout cela, mais c'est un autre sujet de discussion.

Je voudrais parler de la participation des Nations Unies. Je sais, Excellence, que vous nous avez parlé de plusieurs choses que le Canada pourrait faire. Pourriez-vous nous indiquer ce que les Nations Unies, par l'entremise du Bureau des droits de l'homme ou autrement, pourraient faire dans ce dossier?

M. John Leigh: Oui, madame.

Le Canada est membre du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Conseil de sécurité a été saisi du cas de la Sierra Leone. Le Canada peut exercer une grande influence au sein du Conseil de sécurité pour faciliter les choses en Sierra Leone. Il peut se servir de son influence pour faire en sorte que les armes ne puissent pas entrer dans le pays et que les Nations Unies—et c'est très important—prennent des dispositions pour la poursuite des criminels de guerre en Sierra Leone. Seules les Nations Unies ont le pouvoir d'établir un tribunal international en Afrique de l'Ouest pour juger les crimes contre l'humanité.

Je peux vous dire que le RUF commet des crimes horribles contre des civils non armés, y compris des bébés, des personnes âgées et des paysannes. Le gouvernement de la Sierra Leone voudrait obtenir l'appui de la communauté mondiale pour poursuivre ces criminels. C'est un domaine dans lequel vous pouvez faire quelque chose.

Pour le moment, ce dont nous avons besoin en Sierra Leone, ce sont des casques bleus des Nations Unies pour superviser un cessez-le-feu. Nous sommes actuellement en pleines négociations qui, nous l'espérons, conduiront à un traité de paix. Avant qu'un traité de paix ne puisse être mis en oeuvre, il faut un cessez-le-feu. Nous voulons être certains que ce cessez-le-feu sera véritable.

• 1605

La méthode libyenne consiste à profiter d'un cessez-le-feu pour se réarmer, regrouper ses forces et consolider ses positions. C'est le moyen de pousser le carnage à un niveau supérieur. Par conséquent, nous voulons que cette fois, le cessez-le-feu soit véritable et conduise à une démobilisation. Nous avons donc besoin d'un nombre suffisant de casques bleus pour assurer la mise en oeuvre véritable d'un cessez-le-feu. C'est un autre domaine dans lequel les Nations Unies peuvent nous aider.

Les Nations Unies peuvent également nous aider à résoudre certains problèmes humanitaires. Il y a le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, mais il n'est pas suffisamment financé. Le député pourra vous dire qu'il est allé en Guinée où il a visité les camps de réfugiés qui sont dans un triste état. Comparés à ceux de Sierra Leone, les réfugiés du Kosovo résident au Waldorf Astoria. La situation est épouvantable. Nous devrions donc demander aux Nations Unies d'améliorer ces camps en Guinée.

Cette situation pose d'énormes problèmes pour le gouvernement guinéen. Il a consenti beaucoup de sacrifices pour la Sierra Leone alors qu'il s'agit également d'une pays pauvre qui commence tout juste à développer ses ressources.

Tels sont donc les domaines dans lesquels les Nations Unies pourraient nous aider.

La présidente: Merci.

Monsieur Proctor.

M. Dick Proctor (Palliser, NPD): Merci beaucoup, madame la présidente. C'est un plaisir d'être ici.

Merci d'être venu, Excellence.

Ce qui ressort surtout de votre rapport, d'après ce que je peux voir, c'est que le Canada est très bien placé pour mettre fin au conflit. Vous avez indiqué deux raisons à cela: le développement humanitaire et la sécurité humaine ainsi que le caractère bilingue de notre pays. Vous parlez ensuite de trois domaines soit l'assistance sur le plan de la sécurité, l'aide diplomatique et l'aide humanitaire.

Je sais que vous venez de parler des Nations Unies et du siège que le Canada occupe au Conseil de sécurité, mais cela suffit-il et que doivent faire les autres pays pour favoriser le règlement du conflit?

La présidente: Puis-je ajouter quelque chose? Vous avez vos bureaux à Washington et nous voudrions savoir quel a été l'intérêt manifesté par le Congrès des États-Unis ou quels sont les engagements que les États-Unis ont pris à cet égard.

M. John Leigh: Merci, madame la présidente.

Merci, monsieur.

Pour le moment, nous obtenons de solides appuis des États-Unis et de la Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne a soutenu très activement l'ECOMOG, le gouvernement élu et l'aide humanitaire aux victimes de Sierra Leone. Je dirais que le Royaume-Uni est le premier à soutenir ce pays. Le haut-commissaire à Freetown, Peter Penfold, a joué un rôle très actif. Il est considéré comme un héros en Sierra Leone, car il a vraiment contribué à amener le Royaume-Uni à jouer un rôle très actif dans le pays.

Les États-Unis se sont davantage intéressés à la dimension humanitaire qu'ils n'ont soutenu l'ECOMOG. Lorsque cette crise s'est produite, les États-Unis n'avaient pas de bonnes relations avec le Nigéria, en raison de la situation militaire dans la région. Mais ces derniers mois, ces relations se sont améliorées et nous espérons que cela conduira les États-Unis à faire davantage confiance à l'ECOMOG.

Toutefois, la Grande-Bretagne a soutenu l'ECOMOG, le gouvernement élu, et s'est intéressée à la dimension humanitaire. C'est seulement maintenant que les États-Unis commencent à manifester de l'intérêt pour l'ECOMOG. Ils ont accordé de l'aide par le passé, mais elle était minuscule, marginale, et n'avait rien à voir avec l'aide au Kosovo.

À la suite de l'exécution de cinq personnes au Kosovo—ce qui est répréhensible et inacceptable—les Américains sont prêts à envoyer 1 000 avions et à débloquer un budget de 6 milliards de dollars que les Républicains veulent même porter à 13 milliards. On a tué 5 000 personnes en Sierra Leone en l'espace de deux semaines et pour cela nous obtenons 3 ou 4 millions de dollars des États-Unis. Ces derniers se disent prêts à tripler cette somme jusqu'à 12 millions. Cela reste insignifiant par rapport à ce qu'ils donnent au Kosovo. Nous apprécions cette aide et nous n'avons rien contre les Kosovars, qui sont également dans une situation terrible, mais nous croyons que les États-Unis peuvent et devraient faire plus.

Je dirais qu'au Congrès des États-Unis, les Républicains soutiennent beaucoup la Sierra Leone, beaucoup plus que les Démocrates, selon moi. Mais il y a aussi un solide appui démocrate pour la Sierra Leone au sein du Congrès. On y examine aujourd'hui une résolution qui demande un plus grand appui de l'administration et accuse le Liberia et le Burkina Faso d'alimenter le conflit en Sierra Leone.

• 1610

L'appui à la Sierra Leone commence donc à augmenter au Congrès américain et nous espérons qu'une décision sera prise sous peu. L'administration américaine a proposé un partage du pouvoir, mais elle comprend maintenant que ce n'est plus une guerre civile et que les rebelles ne sont que des criminels. Nous espérons donc que les États-Unis renforceront leur appui.

À part les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne, les démocraties industrielles du monde peuvent se permettre de venir en aide à la Sierra Leone. Ce pays n'a pas besoin de 13 milliards de dollars. Je crois que 50 millions de dollars peuvent largement contribuer à permettre à l'ECOMOG d'en finir avec les rebelles. Ce n'est pas une grosse somme. Si vous amenez des pays comme l'Union européenne, les autres pays du Commonwealth et les démocraties industrielles occidentales à soutenir la Sierra Leone, cela devrait nous suffire si l'on ajoute à cela l'aide que nous obtenons de nos voisins d'Afrique de l'Ouest. L'aide du Canada n'est toutefois que marginale et nous espérons que l'on songera à faire plus.

Merci.

M. Dick Proctor: Merci beaucoup.

J'ai seulement une autre question, qui fait suite à celle de Mme Augustine, mais qui aborde le sujet sous un angle différent.

De nombreux observateurs soulignent les nombreuses similarités entre le Kosovo et la Sierra Leone. Les démocraties occidentales ont montré, en intervenant au Kosovo, qu'elles n'accepteraient pas que des atrocités soient commises. Elles ont montré qu'il y avait des limites à ne pas dépasser.

Mais j'ai l'impression que les observateurs disent aussi qu'une fois ce conflit réglé au Kosovo, il y a d'autres pays du monde où des atrocités sont aussi terribles. Nous entendons parler aujourd'hui de la Sierra Leone. Je dirais que les deux cas qui sont le plus souvent cités sont ceux du Timor-Oriental et de Sierra Leone.

La question que je pose à David ou à l'ambassadeur est donc la suivante. Une fois que le conflit sera réglé au Kosovo, pensez-vous que les démocraties occidentales, les pays de l'OTAN ou d'autres jugeront indispensables d'aller faire le ménage en Sierra Leone, au Timor-Oriental et dans les autres régions du monde où de graves atrocités sont commises?

M. David Pratt: J'espère que la situation au Kosovo sera rapidement réglée. Nous espérons tous que ce sera le cas.

Je ne peux pas parler de la situation au Timor-Oriental étant donné que je ne la connais pas beaucoup, mais dans le cas de la Sierra Leone, où vous avez de grossières violations des droits de l'homme, il est important que les organisations régionales, comme l'OTAN dans le cas du Kosovo, et l'ECOMOG dans le cas de la Sierra Leone, interviennent.

Dans le cas de l'ECOMOG, qui n'a pas les ressources nécessaires pour accomplir cette tâche rapidement ni pour défendre les droits de l'homme, il faut que la communauté de l'extérieur apporte son soutien. Cela pourrait revêtir, comme je l'ai dit, la forme d'un soutien logistique létal ou non létal à l'ECOMOG. Mais il faut pour cela que tout le monde conjugue ses efforts, pas seulement le Canada ou les États-Unis ou la Grande-Bretagne, mais la communauté mondiale, que cette région soit jugée prioritaire et que l'on s'occupe de régler la crise.

Je suis convaincu que si la communauté mondiale consacrait 10 p. 100 de l'attention qu'elle accorde au Kosovo à la Sierra Leone, le conflit pourrait sans doute être réglé en quelques semaines. Il dure maintenant depuis huit ans. C'est une tragédie incroyable. C'est un véritable cauchemar national pour la population de la Sierra Leone.

M. Dick Proctor: Merci.

La présidente: Merci.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, madame la présidente.

Excellence, vous nous avez très bien expliqué que le trafic des diamants alimentait le conflit dans tout ce secteur, mais vous avez aussi dit une chose qui a piqué ma curiosité: les diamants ont leur propre empreinte génétique, comme vous l'avez dit, qui permet d'identifier leur origine. Je me demande à quel point il serait difficile de mettre en place, à divers endroits stratégiques, une technologie qui permettrait de dépister ce commerce illégal ou ces diamants illégaux.

• 1615

J'ai l'impression que si l'on pouvait au moins ralentir ce trafic sinon y mettre fin complètement, cela améliorerait largement la situation.

M. John Leigh: En effet. Merci de votre question.

Je crois que cette technologie est déjà en place dans certains pays. Il s'agit de se servir de la diplomatie pour l'appliquer à plus grande échelle et commencer à l'utiliser.

Le gouvernement élu de la Sierra Leone est très faible. La Sierra Leone est un État sur le déclin depuis 25 à 30 ans et, depuis le jour où nous avons été élus, nous avons dû nous battre pour survivre. Tous ceux qui étaient là depuis 30 ans se sont ralliés contre le gouvernement élu afin de pouvoir poursuivre leurs activités comme avant. Nous sommes donc très faibles.

Nous ne pouvons pas exiger du gouvernement belge qu'il se servir de la technologie pour identifier tous les diamants ainsi que leur origine, établir qui sont les acheteurs, les importateurs et les vendeurs et les traduire en justice. Le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis peuvent, s'ils sont d'accord avec nous, exercer ces pressions afin que nous puissions identifier les trafiquants et saisir leurs biens. Si nous pouvons saisir leurs biens, ce commerce ralentira. Nous n'allons pas pouvoir l'arrêter complètement, car c'est impossible, mais nous pouvons dissuader de continuer ceux qui occupent les mines.

Tant qu'ils occuperont les mines et pourront vendre ces diamants, il n'y aura pas d'accord de paix, car ils ne vont pas renoncer à ces mines. C'est la même chose pour Savimbi en Angola. Il ne va pas renoncer à ces mines, quoi qu'il arrive. Vous devez les en déloger.

M. Julian Reed: Merci, Excellence

M. David Pratt: Il vaut également la peine de mentionner qu'en Sierra Leone, le commerce des diamants peut générer entre 300 et 400 millions de dollars par an. Vous pouvez imaginez combien d'armes légères vous pouvez acheter si tous ces diamants se retrouvent sur le marché et sont transformés en devises. Cela pourrait alimenter le conflit non seulement pendant des années, mais pendant plusieurs générations, à moins qu'on ne fasse quelque chose pour empêcher ce trafic.

La présidente: Merci.

Monsieur Patry.

[Français]

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.

[Traduction]

Merci, monsieur Pratt et Votre Excellence.

Je voudrais tout d'abord féliciter mon collègue. Il a fait un merveilleux travail qui nous informe très bien sur la situation en Sierra Leone.

J'ai deux ou trois très brèves questions à poser.

Dans votre exposé, vous avez parlé de la sécurité, de la situation humanitaire et de la situation politique. En ce qui concerne la situation politique, vous avez mentionné que le Conseil de sécurité des Nations Unies avait autorisé le déploiement d'une mission d'observateurs de l'ONU en Sierra Leone. Qu'est-ce que cette mission a accompli jusqu'ici? En quoi consistait-elle et quels en ont été les résultats?

Deuxièmement, avez-vous eu l'occasion de négocier avec ces rebelles ou cela va-t-il se terminer par une véritable guerre?

Troisièmement, vous avez mentionné le rôle du Canada et le fait que c'est un pays bilingue et membre du Commonwealth et de La Francophonie. Ces questions sont-elles abordées au sein du Commonwealth? Et pour ce qui est de La Francophonie, le prochain sommet de La Francophonie aura lieu chez nous à Moncton, en septembre, si bien que le Canada pourrait, avec la France, exercer des pressions sur le Burkina Faso et pourrait également parler à la Belgique. Je crois que vous avez besoin du consensus non seulement du groupe de contact que vous pourriez avoir là-bas, mais également de la communauté internationale, et même du Commonwealth et de La Francophonie qui uniraient leurs efforts. Je ne sais pas si cela a été fait.

M. David Pratt: Tout d'abord, pour ce qui est de la MONUSIL, la mission d'observateurs des Nations Unies en Sierra Leone, je crois qu'elle découle de l'accord d'Abidjan, le premier accord de paix signé en 1996.

Tout le monde pensait à l'époque que ce serait un bon accord. Malheureusement, il ne comportait pas les mécanismes de mise en oeuvre ou de surveillance propres à assurer son application efficace. L'une des choses que les rebelles ont réussi à faire à ce moment-là a été de réduire le nombre d'observateurs des Nations Unies de 700, je crois, à environ 70. L'accord de paix s'est donc totalement effondré en l'espace d'un mois environ.

La MONUSIL reste donc sur le terrain, surtout à Freetown. Je ne pense pas qu'elle ait réussi à se rendre dans l'intérieur du pays. En fait, ces observateurs attendent d'avoir un travail à faire. Ils surveillent la situation en ce qui concerne l'ECOMOG et font des rapports à Francis Okelo, le représentant spécial du Secrétaire général, mais ils n'ont pas encore vraiment réalisé le potentiel de leur mission.

• 1620

Pour ce qui est des négociations avec les rebelles, je partage ce que l'on pourrait sans doute décrire comme l'opinion du gouvernement de la Sierra Leone et de nombreux observateurs à savoir que la possibilité d'un partage du pouvoir n'est pas une option qui serait acceptable pour la population du pays. Selon moi, ce n'est tout simplement pas négociable.

À un moment de son histoire, le RUF aurait pu avoir un programme politique sur la base duquel il aurait pu négocier pour s'opposer à la corruption du gouvernement Momoh au début des années 90. Il semblait défendre certaines idées à l'époque. Mais comme le haut-commissaire l'a indiqué, le RUF a été corrompu par la richesse que représentent les diamants. Sa raison d'être est de garder la haute main sur cette richesse.

Le RUF n'a donc pas vraiment de programme politique. Le seul document qu'il ait produit a été écrit, je crois, en 1995 ou 1996. Il s'intitulait Footpaths to Democracy et n'était rien d'autre qu'une diatribe politique. Rien dans ce document ne témoignait d'un programme gouvernemental ou d'une position politique solide.

J'ai donc parlé de «dialogue» avec les rebelles plutôt que de «négociation» étant donné que l'essentiel est d'ouvrir le dialogue de façon à parvenir à un véritable cessez-le-feu, à amener les rebelles à renoncer à leur mainmise sur les mines de diamant et à établir une paix durable en Sierra Leone.

Les deux éléments de la politique gouvernementale, c'est-à-dire le dialogue et la négociation d'une part, et les efforts visant à élargir la sécurité en Sierra Leone, d'autre part, sont solides mais doivent être mieux soutenus par la communauté internationale dans le cadre de ce que l'on pourrait peut-être appeler une troisième voie, soit la participation de la communauté internationale.

Enfin, pour ce qui est du GAMC, le Groupe d'action ministériel du Commonwealth, le groupe du Commonwealth qui se penche sur ce dossier, le ministre Kilgour a assisté à Londres, il n'y a pas si longtemps, à une réunion qui portait principalement sur la question de la Sierra Leone.

L'une des recommandations que je ferais, même si elle ne figure pas dans mon rapport, est que le Canada, compte tenu de son adhésion au Commonwealth et à La Francophonie, tente d'amener la France à participer à la recherche d'une solution à ce conflit qui a une dimension à la fois régionale et anglophone-francophone.

Peut-être est-il temps d'assurer une meilleure coordination entre La Francophonie et le Commonwealth au sujet de la paix et de l'édification de la paix. Nous devons commencer à chercher des façons novatrices de résoudre certaines crises comme celle qui sévit en Sierra Leone.

La présidente: Merci.

Excellence, M. Graham est le président de notre Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Monsieur Graham.

M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.): Merci beaucoup.

Monsieur Pratt et Excellence, je vous remercie d'être venus aujourd'hui. C'est un rapport très intéressant. Je vous prie de m'excuser de mon arrivée tardive.

En lisant ce rapport, j'ai la nette impression qu'il faudrait commencer par aborder la question de la sécurité. Tant que ce besoin fondamental ne sera pas satisfait, l'aide ou toutes les autres ressources seront perdues. C'est donc une question de sécurité.

J'ai lu le rapport et je vous ai écoutés. La situation sur le terrain est extrêmement complexe. J'ai noté avec intérêt les hypothèses quant à l'implication du Burkina Faso. Le Liberia semble clairement impliqué.

Ma première question porte donc sur l'influence que nous pourrions exercer, particulièrement sur le Liberia, pour mettre un terme à son ingérence. J'ai l'impression que c'est une contribution à la sécurité que pourraient apporter le Canada et d'autres pays.

Deuxièmement, comme j'ai raté votre déclaration liminaire, j'ignore si vous avez formulé des propositions pour empêcher ceux qui financent les activités des rebelles de profiter de la richesse des mines de diamant, ce qui représenterait certainement une autre contribution à la sécurité.

Voilà mes principales questions.

• 1625

Pour ce qui est de la sécurité proprement dite, pensez-vous que le Canada devrait apporter une aide particulière aux forces de l'ECOMOG? Je sais que nous avons fourni récemment des soldats à l'ancienne République du Congo, que nous avons des troupes canadiennes actuellement en Afrique, surtout dans des pays francophones. Je me demandais donc si c'était le cas.

Deuxièmement, je n'ai pas eu l'occasion de voir si vous avez formulé des propositions que nous pourrions recommander au ministère sur le plan de l'aide humanitaire.

Et ma troisième question porte sur la reconstruction du pays. Il semble incroyable que ce pays, qui figure parmi ceux qui possèdent les plus grandes richesses minérales au monde, soit pourtant le plus pauvre au monde selon l'Indice de développement des Nations Unies. Cette situation résulte certainement d'une longue série de difficultés. Que pouvons-nous faire pour établir les conditions de base de la société civile afin de permettre au pays de tirer profit de ses immenses richesses?

M. David Pratt: Permettez-moi de répondre d'abord à votre question concernant la sécurité. Vous avez bien compris le rapport si vous avez conclu que la sécurité prime sur tout le reste, mais on doit également tenir compte de la situation humanitaire.

Étant donné que la péninsule de Freetown est sûre, je crois important de pouvoir l'utiliser pour l'arrivée de l'aide humanitaire à destination de l'intérieur du pays. Mais il est extrêmement important d'apporter à l'ECOMOG un soutien logistique tant non létal que létal, autrement dit le matériel dont elle a besoin pour étendre la zone de sécurité à l'intérieur du pays.

Nous avons vu certaines des nouvelles les plus récentes qui ont été diffusées sur le Web—malheureusement, elles ne semblent jamais pouvoir se frayer un chemin jusqu'aux journaux, mais d'après les renseignements diffusés sur le Web—lorsqu'une force de l'ECOMOG prend une ville, des milliers de gens sortent de la brousse pour venir dans la nouvelle zone de sécurité. Ces personnes ont vécu dans la brousse pendant des mois. Certaines d'entre elles sont de véritables squelettes ambulants. Nous devons être en mesure de leur venir en aide le plus rapidement possible une fois que les zones sont libérées et deviennent sûres.

Pour ce qui est des diamants, Son Excellence en a déjà parlé et j'aimerais aussi faire quelques observations à ce sujet, mais je tiens à répéter qu'il est très important de bien comprendre comment se déroule le commerce des diamants en Afrique de l'Ouest et les rapports entre ce trafic et les armes légères, les pays en cause et la filière que les diamants suivent jusqu'au marché.

Son Excellence a mentionné l'empreinte génétique des diamants. J'en ai certainement entendu parler. Nous avons entendu dire lorsque nous étions en Sierra Leone et dans la région, que les diamants produits dans ce pays et dans toute autre région du monde peuvent être retracés en fonction de leur pays d'origine. Ils présentent des caractéristiques particulières qu'un oeil bien entraîné peut reconnaître. Il se trouve que les diamants de la Sierra Leone figurent parmi les plus beaux au monde, ce qui en augmente encore la valeur.

Il est important de faire un certain nombre de recommandations sur le plan de l'aide humanitaire. Le logement est certainement très important. L'aide alimentaire aussi. Les gens dont on a amputé les bras et les jambes ont un énorme besoin de prothèses. Je suggère notamment que le Canada aide à mettre en place des services qui pourront fournir, à long terme, des prothèses à la population du pays.

Les gens de Sierra Leone vont conserver ces cicatrices pendant plusieurs générations. Lorsque nous étions là-bas, nous avons vu dans l'un des camps d'amputés, une petite fille de quatre ans dont le bras gauche avait été coupé. Ses deux parents avaient au moins perdu l'une de leurs mains. C'était terrible à voir.

• 1630

Voilà le genre de chose que le Canada pourrait faire.

D'autre part, il faudrait soigner les gens qui sont victimes d'agression sexuelle. Le RUF a pris des jeunes garçons et des jeunes filles et, dans le cas des jeunes filles et des femmes, il s'en est servi comme esclaves sexuelles, comme cuisinières et pour porter ses armes et ses munitions. Ces gens sont traumatisés et ont besoin d'aide, comme les amputés.

Une autre question mentionnée dans le rapport et dont je dois également parler est celle de l'éducation. Les écoles du pays ont été pratiquement détruites. Après le coup d'État de 1997, 300 écoles ont été détruites. Une soixantaine, je crois, ont été détruites lors des combats de janvier, à Freetown.

Le pays compte environ 300 000 à 400 000 jeunes en âge de fréquenter l'école primaire. Seulement 10 p. 100 environ de ces enfants vont actuellement à l'école et seulement pour quelques heures par jour. Il y a donc d'énormes besoins sur le plan de l'éducation, car ces enfants perdent un temps précieux. Dans certains cas, ils ont déjà perdu une année, deux années ou trois années de scolarité. La situation est désespérée.

M. Bill Graham: Monsieur le haut-commissaire, comme vous le savez sans doute, le Canada cherche à promouvoir, au Conseil de sécurité des Nations Unies, le concept de la sécurité humaine qui porte sur les conflits de cette nature et le fait que les civils sont les véritables victimes d'un grand nombre de conflits modernes dont celui-ci semble être un terrible exemple. Pensez-vous qu'au niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies on comprend l'importance de la sécurité humaine et que l'on peut former davantage d'alliances pour apporter une contribution concrète au règlement de la crise? Obtenez-vous un soutien actif au niveau de l'ONU ou l'Afrique de l'Ouest doit-elle largement compter sur elle-même pour s'en sortir?

M. John Leigh: Merci, monsieur Graham.

Nous obtenons de l'aide des Nations Unies, mais elle n'est que marginale. Elle est tout à fait insuffisante.

Par exemple, nous sommes au courant du travail accompli par le Canada contre l'utilisation des mines antipersonnel. Il y a des mines en Sierra Leone, mais on n'en discute pas aux Nations Unies. Ces mines arrivent en Sierra Leone en provenance de l'Ukraine en transitant par le Burkina Faso et le Liberia. Je ne vois pas les Nations Unies exercer la moindre pression sur ces pays.

Nous pourrions certainement bénéficier d'une aide plus importante. Les Nations Unies représentent une voie, mais nous ne pouvons pas compter entièrement sur elles. Le processus est lent et difficile et certaines décisions font l'objet d'un veto. Le Canada peut recourir à d'autres organisations. Ces dernières peuvent participer directement en tant qu'observateurs aux conférences de l'ECOMOG, comme la Grande-Bretagne et les États-Unis. Elles peuvent aller là-bas et avoir une participation directe. Elles peuvent travailler au sein du Commonwealth. C'est là que se déroule la conférence annuelle et elles peuvent travailler par l'entremise de cette organisation.

Le Canada peut faire beaucoup plus pour résoudre ces problèmes plus tôt s'il se sert de ces organisations en plus des Nations Unies.

M. Bill Graham: Merci.

Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Monsieur l'ambassadeur et monsieur Pratt, bonjour.

On sait que le ministre des Affaires étrangères du Canada attache beaucoup d'importance au trafic des armes légères et à ce qu'on appelle le microdésarmement. Dans votre rapport, monsieur Pratt, vous nous dites que certains pays, dont le Liberia, la Bulgarie, l'Ukraine, la Libye et le Burkina Faso, ont fourni des armes à la Sierra Leone, quoique certains l'aient nié. Vous nous avez même dit que des ressortissants français et angolais seraient mêlés au trafic des armes à cause du commerce du diamant.

Compte tenu de cette préoccupation du ministre des Affaires étrangères, qu'a fait le Canada jusqu'à maintenant face à ces pays fournisseurs d'armes? Bon, j'exclus peut-être le Liberia et la Libye, mais je pense entre autres à la Bulgarie et à l'Ukraine, où le Canada aurait certainement un rôle à jouer. Qu'a-t-il fait pour dénoncer ces pays fournisseurs d'armes à la Sierra Leone?

La question des enfants soldats me préoccupe beaucoup. Les kamajors en particulier, qui appuient le gouvernement de la Sierra Leone, utilisent beaucoup les enfants soldats, cela à cause d'une croyance selon laquelle la pureté protège les gens. On utilise les enfants parce qu'ils sont purs et que l'absence de rapports sexuels les rend invincibles. C'est une déclaration qu'a faite entre autres le chef suprême Hinga Norman des kamajors à une journaliste du Monde récemment.

• 1635

J'aimerais savoir comment nous pourrions contourner ce problème ou comment le gouvernement canadien pourrait influencer le gouvernement de la Sierra Leone afin que les kamajors cessent d'utiliser les enfants soldats.

[Traduction]

M. David Pratt: Permettez-moi de répondre d'abord à votre deuxième question, concernant les enfants soldats. Lorsque nous étions à Freetown, nous avons vu des enfants qui portaient des armes et qui semblaient faire partie des Kamajors. Mais si vous lisez les rapports du représentant spécial du Secrétaire général, M. Okelo, vous verrez qu'il attribue entièrement la responsabilité des enfants soldats au RUF, pour ce qui est du nombre d'enfants soldats qui ont été utilisés et du genre d'activités auxquelles ils ont participé. En fait, le RUF s'est servi des enfants soldats de façon systématique.

Le problème qui existe en ce qui concerne les Kamajors...

[Français]

Mme Maud Debien: Les membres du RUF ne sont pas des alliés du gouvernement, alors que les kamajors le sont. Il y a une nuance très importante à faire, monsieur Pratt. Les membres du RUF sont les rebelles, et je ne parle pas d'eux, mais plutôt des kamajors qui sont les alliés du gouvernement de la Sierra Leone. C'est une tout autre perspective. Si nous sommes capables d'intervenir, je crois que nous devons le faire d'abord auprès des kamajors. Aucune intervention ne serait possible, en ce moment en tout cas, au niveau du RUF. Il nous faudra réparer plus tard les dégâts causés par le RUF, mais en ce qui concerne les kamajors, qui sont des alliés du gouvernement, je pense qu'on peut régler ce problème au départ.

[Traduction]

M. David Pratt: Permettez-moi de répondre également. Je vais demander au haut-commissaire de vous faire part de son opinion, mais permettez-moi de vous dire ma façon de voir les choses.

Pour ce qui est des forces de l'ECOMOG—c'est-à-dire les Nigériens, les Ghanéens, les Guinéens et les Maliens—nous n'avons pas eu la preuve que ces forces utilisaient des enfants soldats. Comme je l'ai mentionné, nous avons vu que les Kamajors en employaient.

Ce qu'il faut surtout comprendre au sujet de la Sierra Leone c'est que le gouvernement exerce très peu de contrôle. Sa survie tient à un fil. Selon moi, il n'a pratiquement aucun contrôle sur les Kamajors. Ils soutiennent le gouvernement. Ils lui apportent leur appui en faisant régner l'ordre dans des villes comme Bo et Kenema ainsi que d'autres secteurs, surtout dans le sud du pays. Mais on ne peut pas imaginer un instant que le gouvernement de la Sierra Leone pourrait émettre un décret interdisant dorénavant aux Kamajors d'utiliser des enfants soldats.

C'est difficile à comprendre pour un Canadien, mais la meilleure façon de décrire la situation est qu'elle frise l'anarchie. Le gouvernement doit profiter de tous les appuis qu'il peut trouver, mais il n'exerce aucun contrôle sur les règles établies. Et dans la mesure où les Kamajors ont des règles établies, elles sont très floues. Ce n'est pas une force combattante que l'on peut qualifier de disciplinée. Certains Kamajors croient au vaudou, à la magie noire et à ce genre de chose.

Le haut-commissaire voudra sans doute vous donner son point de vue, mais je dirais que le gouvernement exerce très peu de contrôle sur la situation.

• 1640

M. John Leigh: Merci, monsieur Pratt. Je voudrais ajouter quelque chose à ce que vous avez dit. Vous avez mis le doigt sur le problème.

Mais madame, je crois ce qu'a dit Hinga Norman, notre sous-ministre de la Défense. Il parlait des convictions des rebelles et non pas de ses propres convictions. Je n'ai pas lu cet article moi-même.

Permettez-moi de vous parler des enfants soldats du côté des Kamajors. Ce sont généralement des orphelins. Leurs parents ont été tués par les rebelles et ils sont restés à errer dans la brousse. Les Kamajors les recueillent. Il n'y a pas, en Sierra Leone, de programme social adéquat pour prendre soin de ces enfants. Ils restent donc avec les Kamajors, qui assurent leur protection.

Certains d'entre eux sont suffisamment vieux pour se porter volontaires; on se sert d'eux comme porteurs. Mais les Kamajors ne les envoient pas directement se battre. Ce sont surtout des orphelins que toute cette expérience a énormément traumatisés. Ils n'ont pas de parents. Ils ne peuvent pas retourner dans leur village, car ils ont été détruits.

Nous voudrions disposer pour ces enfants de programmes en dehors des Kamajors. Les Kamajors sont les seuls à s'en occuper.

Ils ont donc l'air d'enfants soldats, mais ils n'en sont pas. Ce sont seulement les pupilles des Kamajors. Telle est la situation. Voilà ce qui se passe là-bas. C'est une situation très difficile.

[Français]

Mme Maud Debien: Que répondez-vous à ma première question au sujet du trafic des armes légères?

[Traduction]

M. David Pratt: À ce propos, pour ce qui est du commerce des armes légères en Sierra Leone, c'est assez récemment que l'on a fait la lumière sur cette affaire.

Je vais vous donner un exemple et il est cité dans le rapport. Entre le début et la mi-mars, quelques semaines avant l'arrivée de notre délégation, nous avons parlé à des gens de Freetown qui nous ont dit que, selon certains services de sécurité et de renseignement, un avion chargé d'armes était arrivé du Burkina Faso. Il s'était arrêté à Ouagadougou, la capitale. Les armes, qui venaient d'Ukraine, avaient transité par la Libye. Elles ont été déchargées au Burkina Faso et transportées par le Liberia jusqu'en Sierra Leone.

J'ai eu l'occasion de questionner cet agent, qui gardera l'anonymat, au sujet de ses sources de renseignement. Je lui ai demandé comment il avait obtenu confirmation des faits. Était-ce grâce à une observation sur le terrain ou au moyen de photos prises par satellite? Il m'a répondu: «Nous disposons d'un ensemble des deux». Je suis donc absolument convaincu de l'exactitude de ces renseignements.

Comme Son Excellence l'a mentionné, la communauté internationale commence tout juste à prêter attention au Burkina Faso et au Liberia et j'espère aussi à des pays comme la Libye et l'Ukraine étant donné leur part de responsabilité. À mon avis, ils sont directement responsables des atrocités commises en Sierra Leone.

M. John Leigh: Je voudrais clarifier certaines choses pour madame.

Il n'y a pas d'armes qui arrivent de Bulgarie. Nous avons seulement cité ce pays comme exemple. S'il n'est plus possible de se procurer des armes en Ukraine, ils s'adresseront à un autre pays. La Bulgarie et la Roumanie fabriquent également des armes légères.

Les armes ukrainiennes proviennent de deux sources: les ventes légales du gouvernement et les ventes de la Mafia ukrainienne. Le gouvernement ukrainien nous a dit qu'il ignorait que les armes qu'il expédiait vers le Burkina Faso ou la Libye étaient détournées vers la Sierra Leone. Il nous a dit qu'il allait examiner la question et qu'il travaillait avec le Comité des sanctions des Nations Unies sur ce dossier. Le gouvernement ukrainien semble donc sincère, mais nous devons veiller à ce qu'il respecte ses engagements.

Nous demandons également au gouvernement ukrainien de serrer la vis aux éléments criminels du pays qui vendent des armes aux rebelles. Ils continuent de le faire. Je voulais seulement le préciser.

Les Angolais ne sont pas en Sierra Leone. La situation est la même en Angola qu'en Sierra Leone. Les deux pays ont des mines de diamant et, en Angola, c'est le chef de l'opposition qui a la main dessus. Au bout de 10 ans de négociations, il refuse toujours de céder les mines.

Nous croyons que c'est ce qui va se passer en Sierra Leone. Les rebelles vont garder les mines jusqu'à ce que nous les en chassions. Voilà pourquoi nous avons mentionné l'Angola.

La présidente: Merci.

Monsieur Martin.

• 1645

M. Keith Martin: Excellence, Je voudrais revenir sur la question des diamants. Il y a quelques temps, j'ai eu des réunions avec les représentants de DeBeers et d'autres personnes qui s'intéressent aux diamants et j'aimerais donc beaucoup que vous nous fournissiez les renseignements dont vous disposez sur la façon de reconnaître les diamants. S'il y a certaines impuretés dans leur structure moléculaire qui permettent de retracer leur origine, j'aimerais beaucoup le voir. Si votre personnel avait l'amabilité de communiquer ces renseignements au comité, ce serait très instructif pour nous tous.

M. John Leigh: Merci beaucoup. Je vais essayer.

M. Keith Martin: Merci d'avance.

Pour ce qui est de négocier avec M. Sankoh, j'ai l'impression qu'il n'est pas intéressé à négocier. Pour ce qui est des divers groupes de rebelles que vous avez mentionnés, comment allons-nous contrôler la situation? Proposez-vous de renforcer l'ECOMOG dans une large mesure pour leur livrer une guerre sur le terrain et les battre dans l'est de la Sierra Leone? Est-ce ce que vous proposez, une force écrasante qui va les battre?

Et enfin, proposeriez-vous d'établir un tribunal des crimes de guerre en Sierra Leone pour entamer cet important processus afin que les auteurs de ces atrocités soient traduits en justice?

M. John Leigh: Je vous remercie de vos questions.

Nous n'avons pas perdu tout espoir en ce qui concerne Sankoh. Sa faction est encore en train de préparer sa position de négociation et nous lui accordons le bénéfice du doute. Le président Kabbah est l'un des hommes les plus patients que je connaisse. Il est prêt à bien s'assurer que les rebelles ne veulent pas la paix. Par conséquent, nous n'avons pas perdu tout espoir pour Sankoh.

Mon opinion de Sankoh est qu'il n'a pas le contrôle sur tous ses combattants. Nous espérons qu'il finira par en démobiliser un certain nombre et c'est pourquoi nous signerons un accord de paix limité avec lui.

Mais il y a un groupe de rebelles sous les ordres de Charles Taylor, du Liberia. Charles Taylor n'écoute personne. Il fait ce qu'il veut. Du moment qu'il profite des mines, il n'est pas prêt à reculer d'un pouce.

Pour résoudre la crise, il faut commencer par l'empêcher d'obtenir des armes. Nous demandons à l'Ukraine et aux autres fournisseurs d'armes légères de cesser de l'approvisionner. Les Nations Unies peuvent le faire et d'autres pays également. Ils ont les services de renseignement requis.

Il faut donc cesser l'envoi d'armes vers la Sierra Leone. Si vous mettez un terme aux livraisons d'armes, la guerre va prendre fin, car les rebelles n'ont pas d'appuis internes. Ils n'ont aucune structure en place, si ce n'est le recours à la brutalité. Personne ne leur viendra en aide. S'ils ne peuvent plus se procurer d'armes et si l'ECOMOG est renforcée, il suffira pratiquement d'une opération policière. Quelques hélicoptères—une demi-douzaine ou une dizaine—suffiront à la tâche. Des hélicoptères armés peuvent remplir cette mission. Mais l'essentiel est d'empêcher Charles Taylor d'envoyer des armes en Sierra Leone. Tout est là.

Pour ce qui est des crimes de guerre, le gouvernement des États-Unis a manifesté un certain intérêt en février. Il a envoyé son ambassadeur aux crimes de guerre, David Scheffer. Ce dernier est allé à Freetown où il a visité plusieurs hôpitaux. Il a questionné les gens qui lui ont raconté ce qu'ils ont subi. Il est également allé dans les camps de réfugiés de Guinée et il a rédigé un rapport.

Mais je ne pense pas que les États-Unis vont réclamer l'établissement d'un véritable tribunal. Ce n'est peut-être pas dans leur intérêt. La Sierra Leone est un petit pays. Ils sont occupés en Yougoslavie et ne vont donc pas le faire. Nous avons besoin d'un pays qui se soucie beaucoup du développement humain et de la sécurité humaine pour faire valoir l'importance de cette question, pour aiguillonner les États-Unis.

Nous croyons que si l'on ne prend pas des mesures suffisantes contre les crimes de guerre, ils se répéteront ailleurs. Les rebelles de l'Ouganda se sont déjà servis des mêmes tactiques que le RUF pour s'attaquer à des Occidentaux dans une forêt du pays il y a plusieurs mois. Nous croyons que les rebelles attaqueront des civils non armés un peu partout en Afrique si la question des crimes de guerre n'est pas réglée.

M. Keith Martin: Excellence, pouvez-vous me dire comment nous pouvons exercer des pressions sur M. Gadhafi et M. Taylor, deux individus qui se sont moqués à plusieurs reprises de la communauté internationale? Je serais très curieux de savoir comment vous proposez de le faire.

M. John Leigh: Nous pouvons le faire tout d'abord en les empêchant d'obtenir des armes, en s'adressant à leurs fournisseurs et en veillant à ce qu'ils ne leur en expédient plus.

Nous pouvons également le faire en renforçant l'ECOMOG. Taylor a peur de l'ECOMOG. C'est l'ECOMOG qui a établi la paix au Liberia et qui lui a permis de remporter les élections. Il connaît sa force. Si l'ECOMOG est suffisamment forte, elle battra Taylor. Mais il faut empêcher Taylor d'obtenir des armes.

• 1650

En ce qui concerne les diamants, c'est un autre domaine dans lequel le Canada peut apporter son aide. Nous allons réunir les renseignements sur les empreintes génétiques des diamants et ce qu'il est possible de faire pour assécher cette source de revenus.

C'est la seule chose que Taylor comprend: la force ou la privation de ressources financières. Il se moquera de tout ce que vous pourrez faire d'autre.

M. Keith Martin: Merci beaucoup.

La présidente: Merci.

Il est maintenant 16 h 50 et nous savons que vous devez partir à 17 heures.

Nous venons de recevoir aujourd'hui le rapport de M. Pratt, mais je suis certaine que nous allons tous le lire attentivement.

Monsieur Graham, nous pourrions peut-être adopter une résolution. Ce n'est pas un document de politique officiel du gouvernement. Ce rapport a été établi par un envoyé spécial, mais il s'agit d'un simple député. Peut-être que lorsque nous aurons lu le rapport, nous pourrons proposer une résolution au comité principal.

M. Bill Graham: Lorsque des députés présentent leurs rapports au comité en faisant venir des personnalités éminentes pour les assister, Excellence, cela crée un précédent assez énervant. M. Pratt et le ministre se sont entendus là sur un outil très efficace.

Mais vous avez raison. Mme Augustine a dit qu'elle pensait que vous pourriez peut-être, vous et elle, proposer une résolution au comité principal...

La présidente: Appuyer la résolution, oui.

Quand on veut on peut. Monsieur Pratt, vous avez une volonté très forte et peut-être pourrons-nous vous permettre d'arriver à vos fins.

Excellence, nous nous réjouissons vivement de votre présence au comité aujourd'hui. La question des droits de l'homme est toujours très nébuleuse pour ceux d'entre nous qui vivent dans cette région du monde. Nos expériences de vie sont très différentes. Nous étions tous plus ou moins au courant de la situation en Sierra Leone. Néanmoins, votre présence ici aujourd'hui donne à la crise une autre dimension. Nous apprécions vraiment votre venue.

Comme je l'ai dit au départ, le comité va se livrer à une étude intensive de la sécurité humaine en Afrique, car notre ministre tient beaucoup à contribuer au règlement de la situation en Afrique.

Merci beaucoup.

M. John Leigh: Merci beaucoup, madame la présidente.

Je tiens à remercier, une fois de plus, les membres du comité, de m'avoir permis de venir ici aujourd'hui et de m'avoir posé des questions très intéressantes.

Enfin, je tiens à remercier mon frère, M. Pratt, pour le vif intérêt qu'il manifeste pour mon pays et pour le travail qu'il a accompli en notre nom.

Merci beaucoup à tous.

La présidente: Merci.

Et nous vous remercions aussi, David.

M. David Pratt: Merci, madame la présidente.

La présidente: La séance est levée.